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Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=GEN&ID_NUMPUBLIE=GEN_065&ID_ARTICLE=GEN_065_0112 L’écriture d’une thèse en sciences sociales : entre contingences et nécessités par Lamia ZAKI | Belin | Genèses 2006/4 - N° 65 ISSN 1155-3219 | pages 112 à 125 Pour citer cet article : — Zaki L., L’écriture d’une thèse en sciences sociales : entre contingences et nécessités, Genèses 2006/4, N° 65, p. 112-125. Distribution électronique Cairn pour Belin. © Belin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

L ecriture d une these en science sociale

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L’écriture d’une thèse en sciences sociales : entre contingences et nécessitéspar Lamia ZAKI

| Belin | Genèses2006/4 - N° 65ISSN 1155-3219 | pages 112 à 125

Pour citer cet article : — Zaki L., L’écriture d’une thèse en sciences sociales : entre contingences et nécessités, Genèses 2006/4, N° 65, p. 112-125.

Distribution électronique Cairn pour Belin.© Belin. Tous droits réservés pour tous pays.La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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L’écriture d’une thèse en sciences sociales : entre contingences et nécessitésLamia Zaki

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Si l’écriture sociologique apparaît commeun sujet presque tabou, c’est sans douted’abord parce qu’elle relève d’une expériencevécue le plus souvent par les auteurs commeéminemment individuelle, non partageable,difficilement transmissible (et donc quasi«magique»). Elle apparaît également commeun exercice douloureux, dans le sens où ils’agit d’en accepter et d’en assumer le carac-tère contingent – si fortement ressenti faceau vertige de la page blanche – tout ens’efforçant de le réguler. Pourtant, le défi etles enjeux du travail sociologique semblent sesituer en amont : la construction d’unedémonstration est censée précéder le travailde rédaction. Tout en faisant la grâce au lec-teur de ménager ses effets, de le tenir enhaleine, on attend de l’auteur qu’il proposeun texte problématisé et organisé, où lesarguments sont clairement et, si possible,subtilement hiérarchisés. Appréhendée sousle prisme de la transcription en mots d’unraisonnement préalablement construit, l’écri-ture n’est plus alors qu’une simple mise enforme qui semble devoir couler de source.

Cette représentation du travail sociolo-gique légitime ne correspond pas à la pro-gression effective de l’écriture, même si elle

influe sur cette progression parce qu’elle cor-respond à des croyances fortement ancréesdans l’esprit des auteurs au moment de semettre à rédiger. Phase d’aboutissement per-mettant la conversion des efforts de collecteempirique et de recherche théorique en tra-vaux ayant vocation à être diffusés, la rédac-tion est souvent, en effet, considérée (en par-ticulier par les doctorants) comme un« moment de vérité ». De façon sans douteassez superstitieuse, nombreux sont ceux quipensent que ce n’est qu’à ce stade que l’onvoit vraiment si l’agencement des matériaux àpartir desquels on entend construire unedémonstration fonctionne, si les données àdisposition suffisent pour aboutir à un résul-tat satisfaisant. Il s’agit de faire face à l’idéelancinante, non seulement que tout se révèle,mais que finalement tout se joue dans l’écri-ture, puisque tout est encore possible avantcette mise en forme finale, qui peut à elleseule transcender ou faire capoter une entre-prise de longue haleine.

Lorsque les chercheurs parlent de leurterrain, ils reconnaissent assez volontiers, enparticulier dans une démarche d’analyse qua-litative, l’importance du hasard dans la col-lecte des données : même si les manuels

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exposant les différentes méthodologies etpratiques de terrain se développent, on admetque l’aléatoire intervient dans l’enquête. Parconséquent, le but assigné à l’écriture consisteà rendre cohérent un travail empirique quiprocède par tâtonnements, sans linéarité.Cependant, à la contingence du terrainrépond celle de la rédaction: malgré l’effortd’organisation des données réalisé en amont,la rédaction semble dépendre de variablescomplexes et souvent difficilement (ou pas)maîtrisables. Le moral et les états d’âmejouent un rôle non négligeable, de même quele lieu physique de l’écriture par exemple. Laremarque vaut sans doute pour n’importequelle forme d’investissement intellectuel oumême de travail physique, mais il me semblequ’elle s’applique de manière plus décisivepour l’écriture. Encore une fois, l’expériencede la rédaction est solitaire et dépend despersonnalités : si certains noient leur chagrinen s’oubliant dans la rédaction, d’autres doi-vent aller bien pour écrire et pour accepter lesfrustrations d’une progression qui ne se faitjamais comme on l’avait imaginé ou commeon le souhaiterait

J’ai soutenu en décembre 2005 à l’Insti-tut d’études politiques de Paris une thèse descience politique sur les représentations et lespratiques politiques des habitants de troisbidonvilles de Casablanca (Zaki 2005)1. Àpartir d’exemples tirés de mon expérience derédaction, j’insisterai sur la tension à l’œuvreentre la rigueur devant présider au travaild’écriture et l’importance du hasard dans larédaction. En soulignant le fait que l’écrituren’est pas un processus linéaire, je plaideraipour le droit d’écrire sa thèse dans le désordreet par à-coups. J’évoquerai des «ficelles» quim’ont permis de dépasser des moments deblocage, et reviendrai sur certaines habitudesde travail, en essayant de montrer en quoi desrituels de concentration très personnels peu-vent nous renseigner sur les contraintes del’écriture.

Détailler son raisonnement à travers l’écriture

Le plan, un puzzle qui se transformedans l’écriture

Contrairement aux travaux littéraires quifont appel à l’imagination de leurs auteurs, lestravaux scientifiques ont vocation à décrire laréalité sociale, à mettre en évidence la logiqueet les ressorts des processus sociaux. L’écrituresociologique doit traduire la rigueur du rai-sonnement et la finesse de l’interprétation(même si elle se sert des mots pour mettre enscène, faire poids sur les choses dites). Alorsqu’un auteur de romans crée en écrivant (on atous en mémoire des images hollywoo-diennes d’auteurs exaltés ou torturés, noircis-sant de pleines pages jusqu’à épuisement,guidés par leur génie), un sociologue rédigeune pensée déjà organisée. Il semble illégi-time qu’il attende et espère la grâce de l’inspi-ration pour travailler : l’imagination sociolo-gique, qui permet de «saisir ce qui se passedans le monde » (Mills 1997), opère enamont. Le talent littéraire des écrivains semesure à l’éclat de la prose et à l’intensité desémotions que suscite sa lecture; le talent, ouplutôt le mérite, des auteurs de sciencessociales est davantage fonction de la soliditéde l’argumentaire que de la qualité de l’énon-ciation – bien qu’une écriture compliquéepuisse s’expliquer par la recherche du prestigeet cacher la faiblesse d’une démonstration,comme le souligne Howard Becker (2004)2.

Ainsi, on peut considérer que le travaild’écriture en sciences sociales tient del’assemblage d’un puzzle (pour reprendre unemétaphore souvent énoncée par les ensei-gnants). Il n’intervient qu’après la sélection,le classement des données, la définition desenchaînements: après la mise au point de cefameux «plan détaillé» réclamé par tous lesdirecteurs de thèse à leurs doctorants. Si lamétaphore du puzzle me semble bien adaptée

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au travail de rédaction, l’idée qu’on puisseconstruire un plan en déterminant à l’avancela forme et la place de chaque pièce (partie,chapitre, paragraphe…) ne cadre pas avecmon expérience. Les «surprises de l’écriture»m’ont amenée à transformer non seulementla structure, mais aussi parfois la teneur del’argumentation. C’est pourquoi je me suismise à rédiger dès qu’en retravaillant le plan – que j’ai tendance à modifier systématique-ment après en avoir terminé une version – jene faisais plus que changer l’agencement desarguments sans en intégrer de nouveaux.

Certains directeurs de thèse (cela n’a pasété le cas du mien) exigent de lire les chapitresdans l’ordre de leur apparition, pour pousserleurs étudiants à bien se concentrer sur la pro-gression et la cohérence de leur argumenta-tion. Il est bien entendu plus satisfaisant pourle lecteur de suivre une démonstration demanière linéaire. Pourtant, le confort del’écriture – voire même la condition de sonoccurrence – peut parfois passer par une évo-lution plus chaotique, sans empêcher au finalla fluidité et l’efficacité de la démonstration(pour continuer à filer la métaphore dupuzzle, on doit bien reconnaître qu’onl’assemble souvent en fonction du hasard desmorceaux choisis). Pour ma part, j’ai écrit mathèse dans le désordre (en commençant par ledeuxième chapitre, puis en écrivant le troi-sième et le quatrième, puis le huitième, le cin-quième, pour finir par rédiger en parallèle lesixième et le premier). Si je n’ai pas suivil’ordre des chapitres, je ne me suis pas pourautant lancée de manière irréfléchie dans larédaction. J’ai commencé par les chapitres quime semblaient les plus faisables; j’ai aussi écriten fonction de calendriers qui m’étaientimposés (en participant à des colloques).

Découvrir l’argumentation en rédigeantC’est l’écriture d’un premier texte qui m’a

fait comprendre que je pouvais, à partir demorceaux (ou de parties, ou de sections…)

dont les principaux enchaînements étaientsommairement déterminés, commencer àrédiger sans avoir mis au point toutes lesnuances du développement (est-il vraimentpossible de le faire dans un plan, mêmedétaillé?) J’ai rédigé à la rentrée 2002 (aprèstrois terrains de deux mois chacun environ)une trentaine de pages en vue de la participa-tion à un colloque sur les modes de produc-tion de la ville et des identités urbaines auMaghreb.

Durant mes premières enquêtes, j’avaisété frappée par le caractère très fluctuant, etparfois très contradictoire, des modes de pré-sentation de soi des habitants de bidonville.Le sentiment que j’étais face à un sujetincontournable m’apparaissait d’autant plusclairement que je venais de lire Stigmatesd’Erving Goffman (1975). En commençantà rédiger, je voulais montrer que le sentimentd’appartenance au bidonville ne se déclinepas uniquement sur le registre du déshonneuret de l’attachement passif et forcé. La honted’habiter un espace fortement stigmatisén’empêche pas toujours l’expression d’unattachement sentimental fort au quartier :j’avais basé ma proposition sur cette opposi-tion, et souhaitais analyser l’évolution du dis-cours en fonction des situations et des inter-actions. Finalement, j ’ai effectivementmontré que si les habitants de bidonvilleintègrent dans une certaine mesure les sys-tèmes de classement des dominants, etacceptent la disqualification que leur impo-sent les pouvoirs publics, mais aussi lesurbains «établis»3, ils parviennent égalementà s’en détacher. Mais j’ai aussi compris enrédigeant – en reprenant mes extraits d’entre-tien et en m’inspirant notamment des travauxde Dominique Vidal (1999) – qu’un troi-sième moment pouvait être apporté à laréflexion. Il consistait à dire que cette popu-lation ne s’affranchit finalement pas totale-ment du discrédit, puisqu’elle reproduit àl’intérieur du bidonville les différences tracées

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entre «vrais» et «faux» urbains à l’échelle del’agglomération, pour définir la frontièreentre « bons » et « mauvais » habitants dubidonville. Mes conclusions étaient modifiées:le fait que les personnes interrogées «rejettent»le stigmate qui leur est imposé en le «repor-tant » sur des coupables de remplacement(pour reprendre un vocabulaire goffmanien)perd de sa portée contestatrice lorsque l’onprécise que les premiers coupables désignéssont souvent des habitants de bidonville.

Il semble étonnant de ne pas avoir repéréplus tôt ce ressort qui apparaît pourtant évi-dent après coup. Ce n’est qu’en butant surl’interprétation d’extraits d’entretiens et enrevenant sur mes premières analyses, que j’aienvisagé les limites du discours contestatairedéveloppé par les habitants enquêtés. L’écri-ture m’a poussée à montrer des choses que jen’avais pas vues, peut-être parce qu’ellescontredisaient, ou du moins nuançaient, monhypothèse de départ. Je voulais, en effet,mettre en cause les analyses inférant de lastabilité du système autoritaire la soumissiondes sujets marocains, en montrant que cesrésidents étaient loin d’avoir intégré cette«culture de la servitude» décrite par certainspolitologues, comme Abdellah Hammoudi(1997) ou Mohamed Tozy (1999). Le détailde l’écriture impose un impératif de cohé-rence qui pousse à transformer les premiersmodèles d’explication proposés de manièreschématique dans le plan en les confrontantaux nuances des matériaux dont on dispose.

De l’utilité des colloques : un stress à courtterme et un travail à échelle humaine

Si j’ai été « officiellement » décrétée en«phase de rédaction» durant mes cinq der-niers mois de thèse4, je ne partais pas de zéropour cet ultime marathon. Je disposais déjà denombreux fragments, tous écrits pour des col-loques, qui ont finalement constitué à peuprès la moitié de mon texte final. Le fait desubir une contrainte extérieure et de devoir

respecter une date limite pour rendre un textefinalisé m’a aidée à progresser. Ce stress àcourt terme (avec une deadline d’au plusquelques mois) et à petite échelle (les organi-sateurs imposant souvent des limites à la lon-gueur des textes, entre autres pour en faciliterla lisibilité) me semble stimulant dans le sensoù il permet de dédramatiser l’écriture en enrelativisant les enjeux. Les textes produits ser-vent, en effet, d’abord de base à une présenta-tion orale qui ne dépasse en général pas unevingtaine de minutes. Ils ne comptent paspour négligeables, mais ont vocation à êtreremaniés plus tard, un jour, en tenant comptedes remarques et des critiques des autres par-ticipants. Le fait que très souvent, la mention« texte provisoire » soit apposée aux papiersdistribués montre d’ailleurs que les auteurscherchent à influencer le jugement de leurslecteurs en précisant qu’ils n’ont pas encoreutilisé leurs capacités à plein et que le produitn’est pas fini. On rejoint alors la conceptionde l’écriture décomplexée prônée par H. Bec-ker (2004): inutile d’avoir peur de mal rédigerou de rédiger des choses sans intérêt, dans lesens où l’on peut, et même où l’on doit, fairel’effort de rédiger à nouveau pour parvenir àun résultat plus satisfaisant. Accepter que toutécrit est constamment améliorable permet de«se lancer» en relativisant le caractère insur-montable de la rédaction.

Une écriture diachronique, par à-coupsPour moi, les colloques permettent éga-

lement de désacraliser l’exercice de la thèseen donnant finalement à voir cette dernièrecomme une dissertation d’ampleur. Ils aidentà travailler à échelle humaine, en tempslimité, sur des grandeurs, des quantités (entermes de temps, de nombre de pages) ou desproblématiques suffisamment bornées pourne pas sembler complètement insurmon-tables et décourageantes. Ils aident à trouver«un des bouts par lequel prendre la thèse».J’ai mis du temps à comprendre que je pour-

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rais effectivement me servir très largement dece que j’avais écrit progressivement, ou plutôtpar à-coups, dans la version finale de mathèse. Cette « inconscience» m’a sans douteaidée, dans le sens où elle me désinhibait : jepouvais considérer les textes que j’écrivaiscomme des coups d’essai, voués à être retra-vaillés dans un ailleurs temporel appelé«phase de rédaction». Pourtant, j’aurais étérassurée de savoir qu’une thèse ne se terminepas toujours ni pour tous par une périoded’écriture frénétique et interminable (lesrécits des jeunes initiés racontant leur der-nière année de thèse « coupée du monde »,« sans vie sociale », « infernale », accréditentcette conception classique, agréée par lemilieu académique, de la nécessaire « écri-ture-en-une-traite »). Savoir que l’on peutaussi rédiger sa thèse de manière diachro-nique m’aurait davantage motivée que deredouter et d’attendre une phase ultime desouffrance initiatique.

L’exercice amène finalement à prendre ausérieux la métaphore du puzzle qu’utilisentles pédagogues, et à écrire, par pièces, parunités qui font sens en elles-mêmes et qui secomplètent5. Une de ses difficultés essen-tielles consiste à gérer l’inquiétude (indispen-sable dans le sens où elle pousse à toujoursreplacer ce qui est pensé et écrit à un niveau« micro » à une échelle « macro », au seind’une démonstration plus large) de savoir sil’assemblage des chapitres fonctionnera fina-lement, puisque le plan ne se détaille (au prixde sa transformation) que dans l’écriture.

Hasards ou évidences de l’écriture ?Je ne soutiens pas qu’il est utile de parti-

ciper à n’importe quel séminaire et j’ai, bienentendu, ciblé les rencontres portant sur lesproblématiques importantes de ma thèse. Ilest vrai cependant que la formulation desappels à communication peut parfois donnerdes idées, et permettre d’envisager un angled’approche ou de développer un point qu’on

n’aurait peut-être pas cherché à approfondirsans cela. En 2003, j’ai participé à un col-loque sur les élections législatives marocainesde septembre 2002. Ses organisateurs encou-rageaient les approches sociologiques etanthropologiques du scrutin, afin de renou-veler (ou gommer) l’herméneutique domi-nante sur le vote au Maroc, essentiellementappréhendé sous le prisme de la corruption etdes manœuvres du pouvoir. J’étais sur le ter-rain pendant la campagne électorale, et j’avaissuivi la stratégie de séduction de trois candi-dats, sans savoir vraiment comment utiliserles matériaux dont je disposais. Envisager lamise en scène de la propagande m’a permisde mettre en évidence le caractère très terri-torialisé de la politique au bidonville, demême que l’existence d’une compétence pra-tique organisant le mode d’intellection etd’appréhension du politique par les habitants.Cette approche me permettait également demontrer la diversité des ressources socialessusceptibles d’être transformées en capitalpolitique, et de remettre en cause l’exégèselargement diffusée par la presse, consistant àassocier dans une même équation pauvreté etislamisme (l’insertion des habitants de bidon-ville dans des réseaux de clientèle électoralestructurant le rapport à la politique institu-tionnelle empêche en effet une mobilisationpar l’islam politique).

L’expérience de ce colloque m’a surtoutpermis de calmer une de mes inquiétudes dethèse, liée au fait que je menais une enquêted’anthropologie politique sur un terrain – celuides bidonvilles marocains – peu étudié (lesquelques chercheurs s’étant intéressés à cetobjet étant géographes, urbanistes, parfoissociologues) et ignoré des politologues. Unetelle situation a bien évidemment ses avan-tages (très substantiels) : les constats les plusbanals restent pertinents et revêtent facile-ment un cachet d’originalité pour la simpleraison qu’ils n’ont pas encore été énoncés. Lafigure du chercheur-précurseur est valorisante

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en soi, et confortable dans le sens où ellegarantit plus ou moins l’exclusivité de l’ana-lyse. Par ailleurs, il faut assumer seul l’inter-prétation des données empiriques, avec par-fois l ’impression d’une « carte blanche »invalidante (faisant courir le risque de tou-jours être mis en doute par des lecteurs scep-tiques). En découvrant que mes observationsn’étaient finalement pas si éloignées de cellesque faisait Mounia Bennanni-Chraïbi (2004)à partir d’une enquête dans un quartier popu-laire de Casablanca en période électorale, jeme suis sentie moins seule et j’ai gagné enassurance.

Les critiques d’un lecteur, lorsque jeretravaillais le texte pour une publication(Zaki 2004), m’ont également poussée àassumer davantage mes interprétations.J’avais consacré quelques paragraphes à mon-trer que si les animateurs de la campagneélectorale s’étaient réapproprié les symbolesdes partis et les avaient utilisés de manièreintensive dans leurs slogans6, c’est parce qu’ilsreprésentaient des outils efficaces adaptés auxstratégies de communication et aux efforts deséduction par l’affect développés par les can-didats. Je soulignais que les devises s’organi-saient en récits mettant en scène le parti àtravers son symbole, animal ou végétal. Onobtenait des formules rappelant de loin lesfables de La Fontaine. Cependant, je mon-trais qu’au premier abord, l’usage du signe nesemblait pas donner plus de licence aux sup-porters pour étayer leur argumentation poli-tique: le passage par la fiction ne semblait pasavoir pour fonction d’éviter la censure. Ilsemblait même au contraire cantonner la dia-lectique dans un univers allégorique de per-sonnages inventés, où la politique n’avait deplace qu’à l’état simplifié, puisqu’elle se décli-nait essentiellement sur le mode de l’opposi-tion manichéenne entre des « bons » et des«mauvais», des «gentils» et des «méchants»,selon le modèle des comptines enfantines7.L’interprétation que faisaient les enquêtés des

symboles semblait par ailleurs pouvoir justi-fier à elle seule la défiance à l’égard d’un can-didat, ou légitimer au contraire la confianceet la sympathie portées à un autre8.

Ma présentation, comme je m’en suisaperçue à travers la réaction du lecteur, pou-vait laisser à penser que les habitants debidonville étaient politiquement incompé-tents. Je n’avais en tout cas pas suffisammentinsisté sur le fait que l’analyse des symboles,par une rationalisation a posteriori, s’adaptaità la représentation que les électeurs se fai-saient des partis (ou plutôt des candidats) encompétition, et était réappropriée en fonctionde la configuration politique et des rapportsde force locaux. J’ai alors sensiblement étoffél’argumentation montrant que ces habitantsavaient une connaissance pratique du champpolitique local (les candidats étant évalués enfonction de leur capacité avérée ou présuméeà faire, à donner, à travailler). En insistant surce point, je me suis rendu compte que je pou-vais également en faire une grille de lectureintéressant d’autres données récoltées entemps ordinaire (en dehors de toute échéanceélectorale) et que je n’avais pas encore exploi-tées. Cette réécriture a ainsi non seulementtransformé le texte destiné à la publication(qui a constitué l’essentiel de deux chapitresde ma thèse), mais elle a aussi modifié mafaçon d’organiser mes arguments et d’écrire lereste de la thèse.

Si H. Becker (2004) insiste sur la néces-sité de réécrire ses textes pour les améliorer,son expérience reflète une sérénité dansl’écriture que je ne partage pas (il me sembled’ailleurs que l’habitude d’écrire ne me laprocurera pas). Il accepte avec philosophiequ’au final ses textes sont tels qu’ils sont maisqu’ils auraient pu être différents. Cependant,il relativise l’écart entre ce qui existe et ce quiaurait pu exister en insistant sur le fait qu’aumoment de se mettre à écrire, «[on n’a] pasl’éventail de choix énorme et affolant que[l’on] redout[ait]»9. Je ne peux m’empêcher

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de me demander ce qui serait arrivé, ce quej’aurais écrit si j’avais, ou si je n’avais pas fait,dit, pensé, vu telle ou telle chose. En l’occur-rence, quelle thèse aurais-je rendue si un lec-teur aux remarques peu amènes n’avait paspiqué ma susceptibilité et ne m’avait paspoussée à réécrire en faisant de ce qui n’étaitau départ qu’un point (certes important) dansle raisonnement un argument central ? J’aiaujourd’hui le sentiment que ce que j’ai écritse tient et correspond à ce que je voulais dire,mais je suis sûre que j’aurais pu écrire leschoses autrement en insistant sur d’autrespoints. L’écriture fait advenir la recherche,mais elle correspond aussi en creux à une fer-meture des possibles : elle oblige à faire ledeuil de textes qui n’existeront jamais, maisqui auraient pu être plus percutants, plus effi-caces que celui auquel on arrive en fin decompte.

Les voies détournées de la rédaction : le passage par l’oral

Parler pour écrireJusqu’à la toute fin de ma thèse, je

n’éprouvais guère de plaisir à discuter de montravail. J’avais honte de ne faire souvent quebredouiller des réponses confuses à la ques-tion pourtant classique «quel est votre sujetde thèse?» Je trouvais par ailleurs assez infan-tilisant que quiconque se sente habilité àdonner un avis sur ma recherche (sans tou-jours y avoir été invité) : mon sujet soulevaitde nombreux questionnements, mais provo-quait aussi des prises de position péremp-toires, parfois en opposition avec les interpré-tations que j’avançais (mes contradicteursétant le plus souvent des gens que je connais-sais à peine, et qui n’avaient jamais mis lespieds dans un bidonville). Je supportais malqu’on se montre si intrusif avec moi – quidemande en détail à un commerçant ou à un

informaticien sur quoi il travaille, à part lespersonnes appartenant au même champd’activité? En général, la technicité de l’acti-vité décourage les bonnes intentions. J’auraispu envisager les choses d’un point de vuepositif, et me réjouir d’une attention quitémoignait de la popularité de la science poli-tique, et prouvait aussi que mon sujet étaitpertinent – du moins il semblait intéressermes interlocuteurs. Ce n’est qu’après mondeuxième terrain, et suite à une vive alterca-tion avec des proches, que j’ai remarqué queparler (en exposant mes hypothèses et mesdonnées, un peu comme pour un séminairedoctoral, mais de manière plus informelle,sans préparer mes notes10) pouvait aider àécrire. Ma peur de décevoir (« c’est tout ceque tu as à dire?»; «ce que tu racontes n’estpas très clair » ; ou, pire, « si je comprendsbien, tu veux dire que… ») s’est atténuéelorsque j’ai perçu que j’étais en généralcapable de répondre aux questions quim’étaient posées sur mon terrain, et que celleslaissées sans réponse m’ouvraient de nouvellesperspectives de recherche. Cette premièrediscussion a partiellement soulagé mon senti-ment diffus d’illégitimité, voire d’imposture:j’avais des choses à dire (et donc à écrire)grâce à mon enquête, et mes lecturesm’aidaient à problématiser mes données.

En cherchant à expliquer et à convaincredans l’interaction d’une discussion improviséeavec des «non spécialistes», il me fallait êtreclaire et intelligible dans l’instant, sans avoirréfléchi longtemps à l’avance à la manièred’agencer mes arguments. En décrivant lesbidonvilles où je me rendais, en retraçant leparcours des enquêtés avec lesquels j’avaisréalisé mes entretiens les plus significatifs, jerestituais les situations, les réflexions, lesrépliques qui m’avaient le plus marquée. Unde mes auditeurs s’est dit impressionné par lafaculté des habitants de bidonville à osciller«entre critique et demande d’autorité». Cetteremarque qui mettait simplement en pers-

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pective des exemples et des témoignages queje venais d’énoncer a fonctionné pour moi unpeu comme une révélation. Elle me permet-tait en effet d’organiser et de systématiser ungrand nombre d’observations, et d’entrevoirsous cette entrée d’autres possibilités d’inter-prétation. Lors d’une discussion ultérieure,quelqu’un m’a fait remarquer que je n’utilisaispas seulement le terme «makhzen»11, maisaussi celui de «dawla» pour désigner les pou-voirs publics. En prêtant davantage attentionau vocabulaire employé par les habitants, j’aidécouvert que le premier mot était en généralutilisé lorsque l’État était appréhendé à l’aunede son pouvoir de contrainte et de répression.Par contre, lorsque les enquêtés dévelop-paient une critique assumée et « décom-plexée » de l’autorité publique, ils faisaientréférence à la «dawla», incarnant la facettepurement administrative de l’État. La dialec-tique entre État-dawla et État-makhzen per-met de souligner les tensions et les contradic-tions qui animent les perceptions du pouvoirau bidonville. Celui-ci est envisagé sous plu-sieurs facettes : il est à la fois méprisé etredouté, ridicule et menaçant, et suscite detrès fortes attentes alors même qu’il est large-ment discrédité – il apparaît ainsi nettementmoins monolithique que ne tendent à lemontrer certaines analyses des régimes auto-ritaires. Ainsi, la présence d’un public permetde répéter, de «s’échauffer» avant d’attaquerl’écrit avec l’esprit plus clair. Les réactionsd’un auditoire aident en outre à discerner despoints restés à l’état latent, ou à envisagerd’autres questions, un peu comme peuvent lefaire des lecteurs à qui l’on soumet un texte(sauf qu’à ce stade de la réflexion, on n’aencore aucun texte à proposer).

L’écriture parléeQuand je me mets à rédiger, il est rare

que je parvienne à formuler spontanémentdes locutions grammaticalement correctes :d’une part, le verbe est faible quand la pensée

balbutie ; d’autre part, l’écriture n’est pas,pour moi, un acte naturel. Je dois revenir plu-sieurs fois sur une phrase pour en venir àbout ou, tout au moins, pour qu’elle se tiennedu point de vue de la syntaxe, le tout dans lerespect du champ sémantique de la sciencepolitique. J’adopte deux stratégies lorsque jecommence à écrire, selon que je me sens plusou moins en forme, plus ou moins inspirée.La première correspond à une solution defacilité : j’écris d’abord pour moi et pour moiseule. Je note mes idées comme elles vien-nent. Puisque je vois sur le moment où jeveux en venir, je peux rédiger par ellipses : unseul mot suffit parfois à retranscrire un argu-ment (le malheur étant que si je reprendsmon brouillon trop tard, je ne me comprendsplus qu’à moitié, voire plus du tout). Le défide la langue est minimisé, la réflexion estdésinhibée, mais elle a tendance à rester flot-tante, à ne pas dépasser le stade de l’intui-tion : je touche les idées de loin, je tourneautour, je pose mes marques (même pour despoints de détail). Simultanément, j’essayed’agencer les arguments, je me dis que tel outel point que j’entrevois pourrait donnerquelque chose de bien, d’intéressant, tout enremettant à plus tard le soin de le préciser etde le formuler correctement. L’exercice estagréable dans le sens où il signifie un change-ment de phase, un passage à l’action après unterrain, des lectures… mais aussi parce que jeme contente de ces écrits et que je reporte àplus tard le soin d’y retravailler (j’efface pro-gressivement les versions antérieures : je n’aidonc pas d’archives du processus). Je préfèreme forcer à écrire un premier jet, non pas enm’adressant à moi-même, mais comme si jem’adressais à quelqu’un. J’essaye de me sou-venir qu’en rédigeant j’explique, j’expose mapensée. J’utilise alors deux supports : unefeuille de papier sur laquelle je griffonne pourmoi les idées qui me viennent à l’esprit, monécran d’ordinateur sur lequel j’essaye d’expo-ser le plus simplement et clairement possible

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ces embryons de réflexion, qui se précisent, senuancent, se transforment dans le processus.L’exercice consiste à présenter sur le vif l’étatde ses réflexions devant un auditoire quiréagit directement à ce qu’on dit. Il veut quel’on ne reporte pas à plus tard ce qui peut êtrefait tout de suite : j’écris sur la feuille (parexemple : « bidonvillois dénigrent pouvoirspublics car jugés incompétents ou dangereux,mais beaucoup d’attentes»), et j’essaye d’enfaire une vraie phrase sur l’ordinateur (« lesbidonvillois développent l’image paradoxaled’une autorité publique parfois discréditéepour son incompétence, parfois pour sonpouvoir de nuisance, mais qui suscite desattentes considérables»). Exposer ses idées àdes gens prend du temps: à la fois pour lesautres mais aussi pour soi, parce qu’il fautrepartir de zéro et expliquer à nouveau toutdepuis le début, pour préciser, au stade oùl’on en est arrivé, ce que l’interlocuteur (le lec-teur) est censé déjà savoir. Faire «comme si»on parlait quand on écrit permet de ne pasoublier que l’on s’adresse à des lecteurs, touten permettant de prendre des libertés aveccette injonction de clarté quand une idéeémerge et qu’on la consigne pour soi enattendant.

Dépasser les blocages

Blocages non pas de la page blanche maisde la réécriture

Je rencontre rarement de blocage pen-dant la première phase d’écriture. Si je n’aipas peur de la page blanche, je crains lemoment de la réécriture. Les choses se com-pliquent pour moi lorsqu’il s’agit de faire pas-ser le texte de l’état d’embryon à celui de tra-vail scientifique. Tant que les phrases restentécrites en mauvais français ou dans unelangue trop basique pour susciter les préci-sions et les nuances, je renonce sans étatd’âme à une idée qui me semblera finalement

inintéressante après un temps de réflexion.Effacer une belle phrase est nettement pluscoûteux que de supprimer un avorton delocution illisible : d’abord parce que la conce-voir demande du temps ; ensuite, parcequ’une fois que je me trouve face à une for-mule qui sonne bien, je perds beaucoup dema capacité d’imagination. Plus l’écritures’affine et se précise, plus elle se cristallise : j’aiplus de mal à envisager des manières alterna-tives de présenter les choses, et il me semblefinalement que ce que j’ai rédigé s’imposait.En un sens, la recherche de la phrase bienciselée aboutit à perdre le pouvoir sur sontexte, à en devenir davantage lecteurqu’auteur. En réécrivant « mieux » ce qui ad’abord été produit dans un style impropreou basique pour coller à une pensée encoreimprécise, on ne se contente pas de retrans-crire ou de traduire dans un registre profes-sionnel des idées énoncées à la va-vite. Onajoute du sens, on infléchit le raisonnement àmesure qu’on précise le verbe. Une relativepeut entraîner dans une digression imprévue(mais qui devient nécessaire) ; un adjectiffigurant parmi la liste des synonymes queWord permet de consulter peut égalementinspirer des considérations improvisées maisfructueuses. Dans ce sens, je ne suis pas toutà fait d’accord avec les conseils de (bonne)écriture invitant à se méfier systématique-ment des formulations redondantes. (Re)for-muler ses hypothèses et ses arguments de dif-férentes manières revêt plusieurs avantageslorsqu’on rédige sa thèse. D’une part, l’exer-cice permet d’introduire des nuances dans leraisonnement qui n’y figuraient pas audépart, et de mieux comprendre soi-mêmetoutes les articulations de son raisonnement.Ensuite, il reste plus valorisant pour le lecteurd’avoir l’impression que l’auteur répète sesarguments que de se sentir totalement perduface à un style elliptique qui nécessite uneconcentration ascétique. Enfin, et ce n’est pasun point négligeable, synthétiser régulière-

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ment les ressorts de sa démonstration permetde «se piller» soi-même en fin de parcours.Cela m’a permis d’effectuer quelques couper-coller salutaires dans les derniers moments dela rédaction, lorsqu’il s’agit de finaliser lesintroductions et conclusions non seulementde chaque chapitre, mais aussi de chaque par-tie (pour ma part, il y en avait trois), si l’on aorganisé sa thèse de la sorte.

Revenir en arrière pour avancerLa solution de facilité quand on bute sur

un passage consiste à le laisser reposer : onpeut passer à une autre section du texte pourse changer les idées, revenir aux données duterrain, aux lectures théoriques, mais aussidécrocher quelques minutes, le temps d’allerfaire quelques pas, d’échanger quelques mots,de grignoter quelque chose… La ruse peutmarcher s’il s’agit d’un problème mineur deformulation: oublier un peu le rythme et latonalité d’un énoncé peut aider à le reprendreet à le compléter (ou le transformer). J’yreviens en tout cas avec plus de fraîcheuraprès un peu de déconcentration. J’aban-donne plus facilement la structure qui merésistait en m’y remettant, comme si la pen-sée était plus libre et échappait à la réificationdes mots12. Pourtant, l’astuce ne suffit pastoujours. Si je suis toujours paralysée face àmon texte, je me dis que je dois faire face àun de ces trois problèmes: soit je ne sais pasvraiment ce que je veux dire. Auquel cas, jeme remets à réfléchir, et je retourne à uneformulation plus décontractée pour essayerde mieux déterminer mes arguments, enreprenant éventuellement des données empi-riques ou en revenant sur des points théo-riques. Soit, ce que je suis en train d’écriren’est pas à sa place et doit intervenir plus tôtou plus tard dans le raisonnement (l’impor-tant n’est pas de trouver immédiatement uneplace au passage, mais de l’extraire de cequ’on est en train de rédiger pour qu’il neparasite pas l’écriture). Soit, enfin, je me

rends compte que je ne dis pas exactement ceque je voudrais dire, et que je ne sais pascomment continuer à écrire parce que je nem’attendais pas vraiment à en arriver là oùm’a menée la rédaction. Les surprises del’écriture peuvent être bonnes dans le sens deproductives; elles peuvent aussi être complè-tement pétrifiantes lorsqu’elles amènent àdévier de la trajectoire qu’on s’était plus oumoins fixée au départ. Quand je rencontredes difficultés pendant la rédaction, c’est sou-vent moins parce que je ne sais plus quoi direou que je n’ai plus rien à dire que parce quej’ai déjà dit des choses auxquelles je n’adhèrepas particulièrement, et dont je n’arrive pas àvoir où elles peuvent me mener. Il devientdans ces conditions de plus en plus difficile,puis complètement impossible d’écrire.Lorsque je trouve que le décalage entre ceque j’ai écrit et ce que je veux dire n’est pasdémesuré, et surtout lorsque je vois commentpoursuivre mon texte, il m’arrive d’essayer deforcer un peu le raisonnement pour qu’il colleà une mise en forme dont je n’ai plus le cou-rage de me départir après avoir fait l’effort del’inventer. Lorsque le problème est plussérieux, je me relis en cherchant à détermineroù (quand) j’ai commencé à dériver. Parfois,il faut accepter de revenir sur plusieurs pagesoù se sont succédés des écarts de sens imper-ceptibles mais qui finissent par modifier trèssensiblement le déroulement du texte telqu’on l’imaginait (ou, si l’on travaille sansplan, qui empêchent tout simplement d’ima-giner une suite au texte). Plutôt que de retra-vailler le passage, je préfère recommencer unenouvelle copie. Je sauvegarde ce que j’ai déjà– on ne sait jamais, je pourrai éventuellementm’en resservir – puis efface sous un nouveaudocument le passage qui posait problème,pour m’efforcer de penser aux idées sansm’accrocher aux mots. Je reprends alors letexte, et ce retour en arrière me permet tantbien que mal de continuer ma progression.

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Carnet de motsLorsque je commence à écrire, j’ai tou-

jours à portée de main un petit carnet où j’aiconsigné des listes de mots classés par thèmesou champs sémantiques. Je les ai, en général,accumulées au cours de mes lectures et jecontinue à les augmenter en rédigeant desformules quand j’estime qu’elles pourront meresservir (j’avoue que lorsque je reprendslongtemps après leur élaboration certainesséries de termes, j’ai parfois du mal à retrou-ver la logique sous-tendant leur juxtaposi-tion). Ces listes me sont utiles pour trois rai-sons. Elles consistent en général en uneénumération de synonymes, d’expressions oude vocables plus ou moins substituables, etme permettent d’abord de dépasser un blo-cage formel de base, celui de la répétition, entrouvant une solution de substitution dansl’instant et sans casser le mouvement d’écri-ture. Cette suite, par exemple, est censée pro-poser des solutions de remplacement pour« campagne électorale », dont le répertoires’avère au final assez hétérogène:

propagande/séduction ; persuasion poli-tique/stratégies de présentation de soi/registre de légitimation/légitimité ; effica-cité politique/popularité/compétence poli-tique/capital politique/registre d’autorité/crédit ; qualités politiques/motifs ; mobilesde rapprochement/stratégie électorale/engagement politique/emprise politique/ascendant politique/attentes et demandesdes électeurs/supporters/base électorale/détracteurs/challengers /allégeance/adhé-sion…

Ensuite, ces listes m’aident à améliorer età alléger mon style. J’ai une certaine prédilec-tion pour les adjectifs que j’ai tendance à agré-ger dans un style redondant. Il me semble engénéral que chacun d’entre eux introduit unenuance que les autres n’apportent pas, et j’aidu mal à me résoudre à renoncer à l’un plutôtqu’à l’autre. Mon carnet de mots encouragemes capacités d’autocensure : j’abandonne

plus facilement un terme lorsque je leconsigne au préalable. Le mettre de côté, leréserver pour éventuellement plus tard meréconforte. Enfin, je considère mes listescomme des sources d’inspiration : je lesconsulte lorsque je cherche des idées, pas seu-lement pour formuler des titres, mais aussipour affiner certaines interprétations, pourintroduire de nouvelles nuances dans le rai-sonnement en jouant sur les mots.

Changer d’airUn autre procédé qui fonctionne bien

quant à moi consiste à changer d’endroitpour écrire : me sentir dépaysée m’aide par-fois à mieux me concentrer. En déménageantquelques jours ou quelques semaines (nonvers des lieux inhabités, mais au contrairepour retrouver des amis) il me semble qu’onpeut non seulement se changer les idées maisaussi les clarifier. Il y a sans doute là quelquechose de la tentative de se fuir soi-même(voir ailleurs pour changer de point de vue).En «changeant d’air», je m’oublie moi-mêmeun peu et peux revenir à l’écriture de manièreplus sereine. Il me semble, en effet, qu’un desplus gros défis de l’écriture consiste à s’accep-ter : on est seul face à soi lorsqu’on rédige ;l’écran d’ordinateur nous renvoie le reflet denos propres pensées, et il faut faire avec leursmanques, s’efforcer de les combler, supporterla lenteur de la progression qu’on ne peut ques’imputer. Bien sûr, on entre en discussionavec des politologues, sociologues lorsqu’onutilise leurs travaux, mais l’exercice restedésincarné. Il manque singulièrementd’interactions physiques : c’est pourquoi j’aibesoin de ne pas être seule pour écrire.

En relisant mon texte, je me rendscompte que je n’ai échappé que partiellementau danger de la mise en récit du travail d’écri-ture consistant à donner une impression decohérence à des efforts qui en semblent sou-vent singulièrement dépourvus sur le

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moment. Revenir en vétéran sur la rédactionde sa thèse incite à revisiter le passé enreconstruisant un récit enchanté ou aucontraire diabolisé, et finalement peu utile,de ce rite de passage. Dans le même temps,adopter une approche réflexive sur l’écritureinvite à rationaliser un processus qui com-porte une part non négligeable d’aléatoire – une des difficultés principales de la rédac-tion consistant à en gérer seul et au coup parcoup le caractère contingent, en faisant faceaux blocages, mais aussi en profitant desbonnes surprises de l’écriture. On est alorstenté de proposer a posteriori des recettesuniversalisantes et systématisantes pour faireface à des problèmes individuels, qui sonttant bien que mal traités au cas par cas, enfonction des situations (mais aussi del’humeur ou de l’inspiration du moment). Onpeut considérer cependant que le jeu en vautla chandelle : en partageant des « tuyaux »réadaptables et réinterprétables, il s’agit ausside souligner la difficulté d’écrire en sciencessociales, et donc de dédramatiser l’exercice enle démythifiant.

Il m’a fallu cinq ans pour écrire mathèse, mais je serais incapable d’évaluer,même très approximativement, la part (entermes de durée, mais aussi d’effort) consa-crée à la rédaction, comparativement auxautres formes d’activités et d’investissementintellectuels engagées (recherche empirique,lectures académiques, réflexion « éthérée »,sans support matériel, sans papier ou ordi-nateur). Cette entreprise de comptabilisa-tion n’a de toute façon pas de sens. Si le

temps du terrain est facilement repérable(surtout lorsque la recherche porte sur unmilieu social ou un territoire qu’on ne fré-quente pas habituellement), le temps del’écriture est éminemment diffus, et nette-ment plus difficile à estimer. D’une part,l’acte physique d’écrire sous-tend toutes lesétapes du travail de recherche (élaborationdes questionnaires, retranscription desentretiens, prise de notes sur des référencesbibliographiques…). D’autre part, la rédac-tion proprement dite intervient à tous lesstades de la thèse, depuis la préparation dupremier projet dont dépend la première ins-cription administrative jusqu’au rendu dutexte final. C’est un exercice hétérogène,puisqu’il implique plusieurs types d’efforts(trouver des idées, les agencer, les mettre enforme, les agencer de nouveau, les remettreen forme…).

Si l’écriture doit permettre de mettre envaleur la cohérence et la progression logiqued’un raisonnement, je plaide pour le droit desdoctorants à écrire dans le désordre, et àcommencer par la fin s’ils pensent qu’ils yarriveront mieux ainsi. Il serait aussi intéres-sant de diffuser l’idée qu’on peut en finir avecsa thèse sans passer par une phase de rédac-tion ascétique où tout resterait à écrire d’uncoup. Il n’est pas illégitime de rédiger tôt etpar à-coups, lorsqu’on se sent prêt à aborderune section, un chapitre… et l’on a en géné-ral déjà écrit bien des choses quand on sentqu’il est temps de se mettre en mesure de«sortir [la thèse] de l’atelier» (Becker 2004 :129-142).

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BENNANI-CHRAÏBI, Mounia. 2004.«Mobilisations électorales à Derb Soltan et à Hay Hassani », in Mounia Bennani-Chraïbi,Myriam Catusse et Jean-Claude Santucci (éd.). Scènes et coulisses de l’élection au Maroc. Les législatives 2002. Paris, Karthala ; Aix-en-Provence, Iremam (Hommes et sociétés) :105-162.

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Ouvrages cités

Notes

1. Mon analyse localisée des micro-arènes de la représen-tation et de la mobilisation politiques au bidonville m’apermis de montrer que si le bidonville constitue un terri-toire d’exclusion et de disqualification matérielle et sym-bolique, les formes de résistance à l’ordre imposé demême que les processus de négociation et d’intégrationpolitiques qui s’y développent sont pluriels. Cetteapproche par le bas, souvent écartée pour étudier le fonc-tionnement des États autoritaires (fortement centralisés),s’avère productive et permet de saisir des processus que

des approches plus globalisantes ne peuvent appréhen-der. Mon travail de «sociologie politique» se situe ainsi àcheval entre deux champs disciplinaires définis par l’ins-titution universitaire : la science politique d’une part, lasociologie de l’autre. C’est pourquoi j’évoque parfois mathèse comme un travail sociologique.2. À la limite, peu importe la qualité de l’énonciation,puisque des sociologues unanimement reconnus écri-vent de manière particulièrement hermétique, et que lechamp académique tend à valoriser l’écrit « classe »

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(pour reprendre l’expression d’une étudiante deHoward Becker), qui constitue une manière de garan-tir un entre-soi confortable : « le vocabulaire et la syn-taxe ésotériques de la prose universitaire stéréotypéedistinguent clairement les profanes des intellectuels deprofession » : ce type de formulation a « une fonctionrituelle, pas sémantique», qui permet de marquer sonaffiliation à une certaine catégorie de personnes (Bec-ker 2004 : 34, 36 et 37).3. Pour reprendre un concept développé par NorbertElias et John Scotson (1997) qui analysent la ségréga-tion sociale imposée par les insiders (les « établis ») auxoutsiders (les «marginaux») dans la banlieue d’une villeindustrielle anglaise.4. J’utilise cette forme passive pour insister sur le faitque ce label m’a d’abord été imposé de l’extérieur parmon directeur de thèse et par mon entourage, soucieuxet pressés de me voir « en finir une fois pour toutes ».M’assigner ce statut (qui avait un peu valeur d’incanta-tion performatrice), c’était me contraindre à m’yconformer.5. On rejoint alors les normes dictant l’exercice duPhD à l’américaine de certaines universités, notam-ment en économie, où les étudiants rendent trois ouquatre articles indépendants les uns des autres, tout ensoulignant le sens et la cohérence de leur compilationen introduction.6. Les symboles ont été introduits en 2002 pour per-mettre le vote à bulletin unique (l’ancienne formuleélectorale prévoyait un bulletin de couleur par candi-dat, avec une couleur par parti).7. Voici quelques exemples de slogans : « Je suis unecolombe/Je vole dans le ciel/Et les leaders vont voterpour moi ! »/« Regarde !/Et écoute !/Et la colombe res-plendit ! »/« La colombe ne s’échappe pas/Nous on neveut ni lion ni poignard/La colombe s’élève vers toicomme hôte de Dieu/La colombe vole jusqu’à épuise-ment/Et elle monte sur son nid. »8. Par exemple le commentaire d’une habitante : « Lacolombe, c’est la plus forte parce qu’elle peut voler. Lelion ne peut pas, il regarde et il grogne et il ne peutrien faire. »

9. «Au moment de nous mettre à écrire, nous avons enfait déjà beaucoup réfléchi. Nous avons investi danstout ce que nous avons déjà travaillé et cela nousengage par rapport à un point de vue et à une approchedonnés. Même si nous en avions envie nous ne pour-rions pas adopter une approche autre que celle quenous finirons par choisir. Ce qui nous engage, ce n’estpas le choix d’un terme, mais l’analyse déjà accomplie.C’est pourquoi la manière dont nous choisissons dedémarrer importe peu. Il y a déjà longtemps que nousavons choisi notre destination et notre chemin. » (Bec-ker 2004 : 60-61)

10. Je considère les passages en séminaire doctoraldavantage comme un exercice d’écriture (dont l’utilitése rapprocherait de celui d’une participation à un col-loque) que comme un travail oral : les interventionssont programmées longtemps à l’avance, et soigneuse-ment préparées, les étudiants se contentant souvent delire leurs notes plutôt que de s’adresser véritablement àl’assistance.

11. La formule, très largement utilisée en dialecte, aété abondamment analysée et étudiée par les polito-logues spécialistes du pays qui en ont fait un conceptpour qualifier l’organisation du pouvoir et le mode degouvernement marocains.

12. De la même manière, H. Becker (2004 : 108), notequ’en écrivant un premier jet à la fin de l’été et en leretravaillant plus tard, au cours de l’année universitaire,« le remaniement en [est] facilité, car [il a] le tempsd’oublier que tel point ou telle formulation [lui] avaitparu tellement indispensable et [il a] ainsi moins demal à modifier [son] texte ». Le laps de temps entreécriture et réécriture est sensiblement plus long (dequelques minutes à quelques mois) et permet d’oublierdavantage. Mais il me semble que cette tactique derédaction consistant à se déconcentrer pour réattaquerle texte marche même si la coupure est très brève. Bec-ker (2004 : 110) l’a d’ailleurs utilisée : il explique com-ment, pressé par les échéances, il (re)travaillait simulta-nément plusieurs textes à des états d’avancementdifférents, ce qui lui permettait de varier les plaisirs (oules désagréments) des étapes de l’écriture.

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