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3L/E! IDXJEÎI-i 'DU û PUCE 111 KOMIS PRI~ ~I iJUiLuMi~ 'ET ' 'DU OOJTE DE TURIN Le Fif/aro terminait hier sa relation des incidents de la journée par ces mots sigrii fioatifs « La rencontre esc tout à fait imminente. » C'est à minuit, en effet, que nous écri- vions cette dernière ligne, et c'est à trois heures du matin que les combattants et et les témoins se mettaient en route, se dirigeant vers le lieu de la rencontre, au sujet duquel le secret avait été d'autant plus facile à garder que c'est au dernier, tout dernier moment qu'il avait été dé- signé. Voici, en effet, le premier procès-ver- bal, signé dans la journée, le procès- verbal d'àvant-combat, comme oh dit en termes techniques, et l'on y verra que le lieu et l'heure de la rencontre y sont très mystérieusementréservés: Procès-verbald'avant-combat S. A. R. le prince Victor-Emmanuel de Savoie-Aoste, comte de Turin, ayant jugé offensante pour l'armée italienne la publica- tion des lettres de S. A. R. le prince Henri d'Orléans dans le Figaro, lui a adressé une lettre à la date du 6 (six) juillet dernier de- mandant rétractation. Il n'a pu être répondu à cette lettre que le 11 août, jour de l'arrivée de Mgr le prince Henri d'Orléans en France. Faisant toutes réserves comme voyageur sur ses droits d'écrivain, le prince Henri d'Or- léans a répondu par télégraphe. Mgr le comte de Turin l'a aussitôt avisé du départ immé- diat de ses représentants, colonel Felice Avo- gadro di Quinto, commandantla brigade de cavalerie de l'armée italienne, et colonel François Vicino Palavicino, commandant, à "Gênes, la cavalerie de la même armée. S. A. R. le prince Henri d'Orléans a, dès leur arrivée, mis ces messieurs en rapport avec ses/Hémoins, M. le comte Nicolas de Léontieffy gouverneur général des provin- ces équatoriales d'Ethiopie, et M. Raoul Mourichon, ses compagnons de voyage. Dés la première entrevue une rencontre a été jugée inévitable. D'un commun accord, les conditions suivantes ont -été arrêtées L'arme choisie est l'épée de combat. Il est admis que chacun des adversaires se servira respectivement de l'épée de son pays, avec lame de même longueur. Le terrain' acquis sera conservé. Il est donné à chaque combattant 15 mètres pour rompre. Après chaque reprise; qui durera 54 minu- tes, le combat reprendra à l'endroit occupé par chacun des combattants et ne cessera que sur la décision des quatre témoins et l'avis des médecins, lorsque l'un des deux adver- saires sera en état d'infériorité manifeste. Les places seront tirées au sort. La direc- tion du combat sera confiée alternativement aux deux parties, après tirage au sort pour la première reprise. Cette disposition a été prise par suite de l'opposition formelle des témoins de S. A. R. le prince Henri d'Orléans de confier à un cin- quième la direction du combat. Le lieu et l'heure de la rencontre seront fixés dans la journée. Fait à Paris, en double, le 14 août 1897. Pour S. A. R. le prince Henri d'Orléans: Comte Nicolas de Léontieff, Raoul MOURICHON. Pour S. A. R. le comte de Turin Colonel AVOGADRO DI Quinto Felice, François VICINO Palavicino. C'est seulement dans la soirée que, réunis à l'hôtel d'Albe, les quatre témoins signèrent le procès-verbal annexe qui fixait l'heure et le lieu du duel, et qui est ainsi conçu Comme suite au procès-verbal en date de ce jour réglant la rencontre entre Leurs Al- tesses Royales le comte de Turin et le prince Henri d'Orléans, l'endroit choisi est le Bois des Maréchaux dans le bois de Vaucresson, et rendez-vous est pris pour demain matin à cinq heures précises. Les témoins avaient donné leur parole i'honneur de ne communiquer ces indi- cations à personne, à nous pas plus qu'à d'autres. Ils ont tenu leur parole. Ils ont observé une discrétion de nature à étonner les reporters parisiens. Ils ont même cherché à être plus que discrets. Ils ont essayé de « dépister les curiosités professionnelles les plus habiles par des confidences destinées à égarer sur de fausses voies ceux qui les suivaient de trop près. Mais, en ces circonstances, trop d'ha- bileté nuit quelquefois. Ainsi, pendant que les racontars les plus étranges étaient mis en circulation, nous apprenions qu'au déjeuner auquel le prince Henri avait assisté à l'hôtel Continental avec ses témoins et M. Ré- copé, on avait parlé avec affectation d'un projet de voyage à Amsterdam, et avec réserve d'une promenade à Vau- cresson. Etant donné que M. Récopé se trou- vait là, cette indication de Vaucresson prenait une valeur précise. C'est de ce côté qu'il fallait chercher. On chercha. Et l'on trouva. L'utilité des bicyclistes éclaireurs fut une fois de plus démon- trée. Au milieu de la nuit, nous étions in- formé que dans la soirée, après le cou- cher du soleil, un joli morceau de che- min sous bois, dans la forêt de Vaucres- son, au fonds des Maréchaux, à quelques centaines de mètres de l'endroit la route aux Boeufs se détache de la route de Vaucresson à Versailles, avait été soi- gneusement nivelé et ratissé. Interrogé, un des hommes qui faisaient ce travail avait répondu Il parait que c'est pour un bal. Tenez, on m'a dit que l'orches- tre serais là. C'est iout même une singulière idée. Et voilà pourquoi hier avant l'aube, dans un taillis, en bon endroit pour bien voir la « place du bal », un garde et un cantonnier plus vrais que nature, atten- daient. Le métier de reporter a parfois des exigences dignes du roman. La présence de ces deux forestiers à cette heure matinale dans le bois, préci- sément à l'endroit choisi, a-t-elle paru bien naturelle aux témoins italiens ? Je ne le pourrais dire. Toujours est-il qu'a- près la troisième reprise, alors que le combat devenait palpitant, et que pour mieux voir, le garde et le cantonnier s'étaient avancés, s'étaient découverts, le colonel Palavicino les désigna à ses compagnons, demandant ce qu'ils fais- aient là, et que l'on dut lui répondre: « Trop tard maintenant pour les chas- ser n Je ne cherche point à faire de cette re- lation ce que les chroniqueurs brillants appellent une « page ». Je transcris fidè- lement des notes et des souvenirs. Arrivée des combattants L'attente sous la futaie, dans l'herbe, sous le brouillard et dans la rosée, -ne fut pas trop longue. Quelques minutes avant cinq heures arrive un landau. xM. Hëcopé,' lès 'doc- teurs Toupet et Hartmann en descen- dent. Puis ce sont deux autres landaus qui amènent sur le terrain le comte de Turin, ses deux témoins, son aide de camp et son médecin, le docteur Carli. Immédiatement après, c'est le landau du prince Henri d'Orléans et de ses deux témoins. Tous sont vêtus comme pour une partie de campagne. N'étaient les quatre fourreaux de serge verte qui contiennent les paires d'épées, on pourrait croire qu'il s'agit d'une simple promenade ma- tinale. Le prince Henri d'Orléans est coiffé d'un chapeau canotier blanc à ruban noir rayé de rouge. Il est vêtu d'un ves- ton bleu-noir, d'un gilet blanc, d'un pan- talon de même drap que le veston. Il a une chemise blanche et une cravate noire. Il est chaussé de souliers à talons bas, en cuir jaune.. Le comte Léontieff porte un chapeau rond de feutre noir; jaquette et gilet noir, pantalon gris foncé. M. Mourichon est en complet-veston bleu marin, avec un chapeau canotier de paille blanche à ruban noir, et guêtres blanches. Ils laissent leurs pardessus dans les landaus. J'ai appris, depuis, que cette petite tenue de campagne avait été choisie d'un commun accord, afin que si quelque cu- rieux trop tenace avait, la veille, rencon- tré tard combattants et témoins allant coucher ailleurs qu'en Jour domicile habituel, il n'ait pu supposer le duel pour le lendemain. Voici le costume du comte de Turin chapeau canotier de paille blanche à ru- ban noir; paletot 'et pantalon de drap noir; gilet blanc; chemise blanche; le pantalon est retroussé à l'anglaise, très haut sur des chaussettes de soie noire. Les escarpins sont en cuir noir verni et à talons plats une chaussure de bal. Un des médecins est en redingote, les autres assistants en jaquette. En s'abordant, les deux partis se sa- luent respectueusement. à distance. Ce mot de partis est ici, je crois, de mise. D'attitude et d'aspect, les deux groupes nous apparaissent très nettement hos- tiles. Ils ont tous deux également la cor- rection la plus absolue; mais en les voyant, le souvenir nous vient du temps les seconds mettaient, eux aussi, flamberge au vent. Les voitures, par un chemin de tra- verse, sont conduites dans une allée pa- rallèle à celle du combat, à une centaine de mètres plus loin. Faut-il ajouter que les cochers, bien qu'onleur eût-ditde re- garder leurs chevaux, ont regardé toute autre chose? Quand, tout en se dissimu- lant derrière les,arbres, ils s'approchè- rent du lieu du combat, on pouvait re- marquer avec eux deux nouveaux cu- rieux, deux bons paysans qui, j'en suis .bien sûr, prirent aussi des notes. mais pas pour un journal. Les préparatifs II est exactementcinq heures dix mi- nutes lorsque les deux groupes de té- moins commencentpréparer le combat. Ils mesurent le champ. Il a été pré- paré suivant leurs instructions. Le long rectangle ratissé et nivelé, sur le côté de la large route, de l'allée forestière, a trente-cinq mètres de long sur cinq de large. M. de Léontieff y trace deux li- gnes transversales qui permettront de mettre les combattants en garde en leur laissant quinze mètres de champ pour rompre. Puis ils mesurent les épées. Les épées italiennes du comte de Turin sont plus longues il est vrai que c'est de la garde. Les lames sont passées à l'acide phéni- que. Ensuite, à pile ou face, avec un écu jeté en l'air par le colonel Avogadro, le sort est chargé de donner le choix des places et de désigner qui dirigera le pre- mier engagement du combat. II avait été convenu, on le sait, que les engagements seraient alternativement dirigés par M. le colonelAvogadro et par M. de Léontieff. Le sort désigne M. de Léontieff pour le premier engagement, et donne au prince d'Orléans la place mettant à sa droite le côté du champ qui touche le fossé de l'allée. Les préliminaires durent à peine cinq minutes, mais. en pareille circonstance, alors que brillent les James' dont l'acier va se rougir de sang, alors que le pro- blème de l'instant qui suivra devient agaçant, énervant, angoissant pour les plus braves, alors les minutes sont des heures. A Pendant ces préparatifs en même terrip.5 si brefs et si longs, le prince fran- çais et le prince italien, en tenue de combat, se promènent de chaque côté de la route, essayant de ne se point voir, et'regardant seulement la forêt qui se ré- veille au soleil, la forêt d'été où, parmi les verdures vivantes apparaissent déjà les rougeurs des feuilles qui vont mou- rir. Ils paraissent très calmes. Ils affectent le pas du promeneur qui n'aurait d'autre souci que celui du paysage. Et cepen- dant ils ont des mouvements de ner- veux, mettons d'énergiques prêts'à s'en- tre-tuer. Ils ont assuré la ceinture de le» pan- talon. Ils ont enlevé veston et gilet, cra- vate et col. Les conditions du combat leur permettaient la « chemise de ville », sans autre indication. Donc le plastron empesé était permis. Celui du comte de Turin brille comm'e une cuirasse 1 La physionomie du prince Henri d'Or- léans nous est familière. Telle nous la connaissions, telle nous la retrouvions à cette minute suprême qui précède le combat. Je ne sais quelle est aux heures calmes la physionomie du comte de Turin. Elle était, alors, singulièrement énergique; trop peut-être les yeux gris brillaient dans la figure d'un ovale très pur, mais la moustache avait les pointes en croc et ls menton avançait contracté,. u% « menton à la Pini ». Enfin les préparatifs sont terminés. Les témoins appellent les combattantset les arment. L'opération est longue et compliquée pour le comte de Turin. C'est d'abord un gant de combat au vaste et dur crispin qui reluit comme un bras- sard. Puis l'épée en main, c'est une bé- lière longue etfine, mais longue surtout, qu'il faut rouler et nouer autour du poi- gnet. L'épée du comte de Turin est une de ses armes familières. Celle du prince est neuve. Un voyageur qui court comme lui le monde,hier au Tonkin, au- jourd'hui en Abyssinie, demain. Dieu le permettra. n'a généralement point une épée « de chevet ». Mais ce sont considérations aux- quelles on ne songeait guère à s'attar- der au moment le colonel Avogadro et le comte Léontieff mettaient face à face, pointe contre pointe, deux princes du sang, dont l'un au moins paraissait absolument décidé àvouloir tuer l'autre. J'ai noté bien exactement les places du combat. Qu'on se représente le rectangle ni- velé. Qu'on y prenne pour "côté droit celui qui touche le fossé de la route. Alors, sur la première ligne transver- sale, avec un champ de 15 mètres en ar- rière, se trouve le prince Henri d'Or- léans. En face, sur l'autre ligne trans- versale, à cinq mètres en avant, et possédant également 15 mètres de champ derrière lui, se trouve le comte de Turin. A droite, sur la ligne médiane trans- versale du « terrain » et aussi de l'espace qui sépare les adversaires, au bord du fossé, a pris place le colonel Avogadro. Exactement en face, c'est-à-dire sur le bord du « terrain qui touche la route, et à gauche du prince, se trouve M. de Léontieff. Derrière lui, au milieu de la route, à quelques pas, sont le colonel Palavicino et M. Mourichon. Puis, un peu plus loin,' les trois médecins. Enfin, à une cinquan- taine de mètres. à gauche de ce groupe, M. Récopé et l'aide de camp du comte de Turin regardent. Les deux directeurs du combat, au lieu de la canne classique, ont l'épée. Ils la tiennent pointe en bas, le bras étendu. Les adversaires, parés à se mettre en garde, ont l'attitude aussi réglementaire- ment correcte que deux prévôts se dispo- sant à faire le mur. Le corps effacé, les pieds en équerre, la tête haute, ils sont prêts, attentifs. Le comte de Turin en est plus grand. Et l'instant paraît solennel. C'est un tableau dramatique; en soi, et peut-être aussi par la qualité des personnages qui l'animent. Le silence est religieux. Aussi entend-on très nettement lorsque le comte Léontieff dit, d'une voix vibrante, assurée « Messeigneurs, vous connais- sez les conditions du combat. Le terrain acquis est conservé. La. reprise a quatre minutes. Sur l'honneur, je sais que vous croiserez le fer seulement lorsque je vous aurai dit: « Allez et que vous vous arrêterez lorsque vous entendrez le commandementde « Halte » Les adversaires étendent le bras droit et le comte Léontieff place leurs épées en ligne, les pointes à environ « deux pieds » l'une de l'autre. Puis, se recu- ;lant, et remettant lui-même son épée en position, ilcommande: « Messeigneurs, en garde » et immédiatement après, sur un ton plus haut: « Allez » », Et c'est le combat. Le duel Voilà face à face, après tant de provo- cations, après tant de longs pourparlers, voilà fer contre fer un prince italien qui s'est fait le champion de l'armée italienne et un prince français qui s'est fait le re- porter des faiblesses de cette armée. L'armée italienne aurait difficilement trouvé meilleur champion. De suite le comte de Turin apparaît très vigoureux, très habile, et surtout très en forme et merveilleusement entraîné. Le prince Henri d'Orléans revient, lui, d'Abyssi- nie. Les commandementsdu comte Léon- tieff ont été très rapides. Les combattants les ont suivis non moins rapidement. A peine avaient-ils entendu «Messeigneurs, en garde! » qu'ils l'étaient. Apeineavait retenti le mot « allez » qu'ils allaient, et que le fer était engagé. Quand je dis qu'ils « allaient », j'exagère peut-être. Car l'attaque venait du prince d'Orléans. Tombé en garde en arrière, ramassé,très ramassé, très souple et du coup parais- sant diminué de moitié, le corps plié sur la cuisse, la tête sur le bras allongé. rappelez-vous Pini. la pointe en ligne basse, le comte de Turin fort habilement 'attendait t'attaque et la recevait en rom- pant. > L'épée haute, mais aussi très couvert, le prince, qui, aussitôt après s'être mis en garde en arrière, avait marche pour en- gager le fer, attaquait vigoureusement. Des froissements rapides suivis de dé- gagements. Un jeu serré, très pressé, qui visiblement étonne le comte de Turin, lequel s'attendait sans doute à une « étude n. Aussi rompt-il. Mais c'est par bonds en arrière, avec de terribles allonges qui pendant deux minutes tem- pèrent les attaques du prince. Le combat, je l'ai dit, est engagé dans les lignes basses. Les deux adversaires tirent au corps. Ils veulent que la rencontre soit sérieuse. A ce moment, je crois bien que les té- moins sont beaucoup plus inquiets que les combattants. La gravité du combat ne peut plus être mise en doute.. L'épée du comte de Turin, à la riposte, cherche toujours le ventre du prince, et celle du prince semble plus préoccupée de toucher que de parer. « Halte! » Le comte Léontieff arrête le combat. Une riposte du comte de Tu- rin a blessé le prince às la partie supé- rieure de la poitrine, à droite. Les deux directeurs du combat exami- nent la blessure et prient les médecins d'en, dire la gravité, il faut croire que ce n'est rien, malgré l'impression et les gestes d'inquiétude du docteur Toupet, car les deux adversaires retombent en igarde et le combat recommence, sous la direction cette fois du colonel Avogadro. Le premierengagement avait été vif. SLe second l'est davantage. Le prince at- taque plus et le comte rompt moins. Aussi la conséquence fatale, puisque.les deux tireurs parent bien, ne se fait point attendre longtemps. Après de furieux froissements de fer et une attaque fran- che dans laquelle, tombant sur une ri- poste en avant du comte de Turin, le prince Henri d'Orléans s'est fendu à fond, c'est le corps à corps. Le vrai. Poitrine contre poitrine. Les deux bras armés font équerre en arrière, se voulant plus longs pour trou- ver de la pointe la poitrine ennemie. Le colonel Avogadro eut à peine temps d'ar- rêter le combat qui prenait la physiono- mie d'un duel au couteau. Au couteau. eh bien oui l'expression est juste, cela devenait furieux comme une bataille au couteau. Furieux encore le troisième engage- ment. Maintenantle comte de Turin, cal- culant sans doute que s'il rompt tou- jours il ne lui restera bientôt, plus de terrain, attaque à son tour, se garde moins. Dans urne allonge il est blessé à la main droite. L'épée du prince- file dans le crispin-brassard. *' On ôte le gant du comte. Est-ce que la blessure sera suffisante pour mettre fin à ce duel dont chaque reprise devien- dra de plus en plus dangereuse?Anxieux, nous le souhaitons . Mais non. Voilà que le comte remet son gant et que ses témoins ficellent de nouveau autour de son poignet la garde de son épée. Et c'est le quatrième engagement. Il faut croire que les témoins n'avaient pas suffisamment ficelé la garde de son épée, car, absolument comme s'il se fut trouvé à la salle d'armes, le comte de Turin, oubliant que devant son arme s'en trouve une autre menaçante, de la main gauche rajuste sa garde. Il était découvert. C'est miracle que le prince d'Orléans, qui attaquait toujours, ait vu quelle cause, quel oubli lui ouvrait le chemin de la poitrine de son adversaire, et se soit arrêté au lieu de se fendre à fond! Après cet incident, le combat est arrêté. Le directeur a remarqué que la pointe de l'épée du prince Henri est faussée. Dans l'après-midi, on disait à Paris que cela provenait d'un coup ar- rêté par un des boutons de culotte du comte de Turin. Il est probable que personne n'en sait rien. Mais le fait est possible, car dans le troisième et le qua- trième engagement, le prince a tiré au corps de son adversaire en portant des coups que le comtedeTurinaévitésmoins en parant de l'épée qu'en sachant à point bondir en arrière, et, qu'on me passe l'expression dans les salles d'armes en creusant continuellement sa poitrine. Plus d'une fois le fer du prince qui croyait atteindre la chair ne trouva que le plastron empesé de la chemise. Enfin, quelle qu'en soit la cause, l'épée du prince était faussée. On lui en donna une autre pour le cinquième engage- ment. La dernière reprise Le combat durait depuis vingt-quatre minutes quand pour la cinquième fois le prince et le comte retombèrent en garde l'un devant l'autre. Sentaient-ils dimi- nuer leurs forces, et chacun d'eux com- prit-il que si d'un suprême élan il ne blessait point l'adversaire, ce serait la défaite?. Peut-être, car, à peine en garde, ils se trouvaient corps à corps. On les sépare. Ils se chargent de nouveau. «Halte!» crie encore M. de Léontieff. en se précipitant vers son client comme pour le soutenir. Le prince a reçu un coup d'épée dans le ventre. Il veut rester debout pendant qu'on examine sa blessure. Mais on le force à s'asseoir, puis à se coucher par terre. Cette fois, c'est bien la fin du combat. La blessure du prince le met hors d'état de continuer. Les médecins le dé- clarent. Et cette fois ils parlent très haut. On les entend de loin. On pourrait sup- poser qu'ils s'adressent à des gens qui avaient l'oreille dure. Alors le comte de Turin s'approche du blessé qui se soulève et lui tend la main. Le procès-verbal mentionne que le prince Henri d'Orléans a dit alors à son adversaire «Permettez-moi, mon- seigneur, de vous serrer la main. » Le comte de Turin se rhabille très vite. Il Quitte le terrain accompagné par son médecin et son aide de camp. Lorsqu'il passe devant MM. de Léontieff et Mou- riehon, il leur serre la main. Les docteurs Toupet et Hartmann pan- sent rapidement les blessures du prince qui, relevé et rhabillé, tient à regagner à pied sa voiture.'Il marche légèrement courbé, le côté droit du corps un peu raide. Visiblement il souffre. Il monte en voiture avec M. Récopé et ses mé- decins. Le procès-verbal de la rencontre Seuls restent en présence les quatre témoins qui, sur le terrain, rédigent le procès-verbal suivant Conformément au procès-verbal du 14 août 1897, la rencontre décidée entre S. A. R. Mgr le prince Henri d'Orléans et S. A. R;. Mgr comte de Turin a eu lieu à cinq heures du matin, dans le bois de Vaucresson, au lieu dit le Bois des Maréchaux. La durée du combat a été de vingt-six mi- nutes en cinq reprises, dirigées alternative- ment par M. le comte Léontieff et M. le comte Avogadro. Au premier engagement, S. A. R. le prince d'Orléans a été atteint dans la région pecto- rale droite d'un coup d'épée ne paraissant pas dépasser le tissu cellulaire sous-cutané. Après avis.des médecins, les témoins ont décidé de continuer le combat. Le deuxième engagement a être inter- rompu par suite d'un corps à corps. u.' Au troisième engagement, S. A. R. Mgr le comte de Turin a été atteint à la face dorsale de la main droite d'un coup d'épée ne dépas- sant pas le tissu cellulaire sous-cutané. A la reprise, le directeur du combat cons- tatait que l'épée de Mgr le prince d'Orléans était faussée. Il a arrêté l'engagement et rem- placé l'arme. Au cinquième engagement, après un corps à corps immédiatement#irrêté,dans un coup de riposte, Mgr le prince d'Orléans ayant reçu dans la partie inférieure droite de l'ab- domen un coup d'épée, le directeur du com- bat a arrêté l'engagement. Après vérification et examen de la blessure, les médecins des deux parties ayant reconnu que la plaie de Mgr le prince Henri le met- tait dans des conditions d'infériorité mani- feste, MM. de LéontieÔ et Mourichon propo- sent d'arrêter le combat. D'un commun accord il fut arrêté. •• Après la rencontreet pendant le pansement de la blessure, Mgr le prince Henri, se soule- vant, tendit la main à S. A. R. le comte de Turin, lui adressant ces paroles r « Permettez-moi, monseigneur, de vous serrer la main. » '' Le comte de Turin la lui serra. Les adversaires étaient assistés de MM. le docteur Toupet, du docteur Hartmann, des hôpitaux, pour Mgr le prince Henri, et du docteur Carli pour Mgr.le comte.de Turin. Fait à Vaucresson, au Bois des M aréchaux, le 15 août 1897: Pour S.'A. R. Mgr le prin.ee Henri '. Comte Nicolas de Léontieff, Raoul Mourichon. Pour S. A. R. Mgr le comte de Turin: Colonel Avqgadko DI QUINTO Felice, François Vicino Palavigino; Voilà fidèlement rapportées les péri- péties d'un duel dont, pendant ces vingt- cinq minutes de combat, les « forestiers » curieux qui représentaientà Vaucresson le Figaro crurent plus d'une fois, avec angoisse, que les résultats seraient plus tragiques. r ,<; .s.. 7 Départ de S. A. R. le Comte de Turin Après le duel, le comte de Turin est rentré à l'hôtel d'Albe, il habitait de- puis vendredi sous le nom de comte de Carpenetto, avec ses témoins et ses amis, le marquis Ginori, le comte d'Avi- gliana, et le docteur Carli. Le comte de Turin a quitté Paris par le train de 2 h. 15 pour se rendre direc- tement à Turin. Détail à noter pendant tout son sé- jour à Paris, le comte de Turin n'est t sorti de l'hôtel que pour aller se battre. Chez le prince Henri d'Orléans Après le duel, le prince Henri d'Orléans s'est fait reconduire à l'hôtel de Mgr le duc de Chartres, rue Jean-Goujon, où il est arrivé à sept heures. Il s'est immédiatement couché et les médecins ont procédé à un, nouveau pansement de ses blessures. le duc et Près de lui se trouvent Mgr le duc et Mme la duchesse de Chartres et Mgr le prince Jean d'Orléans. Aussitôt que la nouvelle du duel a été connue, tous les amis du prince qui sont encore à Paris sont venus s'inscrire rue Jean-Goujon. L'affluence desvisiteursn'a cessé qu'à dix heures du soir. Le bulletin communiqué à cinq heures et demie parles docteurs Toupet et Hart- mann était ainsi conçu « Journée très calme. Aucune compli- cation. » Relevé quelques noms sur les regis- tres Duc de Fezensac, colonel Munier, M. Jus- serand, marquis de Noailles, le commandant marquis de Villecin, MM. Julien Dumas et de Bernis, députés; comte André Zamoyski, le capitaine Martinie, comte Greffulhe, MM. Marcel Prévost, Jean Béraud, P. d'Epinay, A. Cibiel, A. de Pracomtal, E. de Pommereu, Ed. Hervé, de l'Académie française; Es- tancelin, Gordon-Bennett, F. de Rodays, G.-R. de Rézé, Hubert de Cliarnacé, marquis du Lau, marquis de Grollier, comté Arnold de Cohtades, comte Louis de Périgord, vi- comte de Froissard-Broissia, comte Louis de Vassart d'Hozier, comte de Narbonne-Lara, comte de Savignac, baron d'Escurolles de Charnacé, baron Raoul de Vaux, comte de Rochegude, baron de Mackau, comte P. d'Ornano, MM. Pierre Carette, Albert Ulrich, A. Thomeguex, Georges Calmann Lévy, A. Bouillon, Henri et Charles Houfflard, A. Guiet, A. Cuvillier, Georges Rolland, Georges de Vergie, Edouard Archdeacon, Ed. Béjot, Jean et- Maxime Groult, M.-B. Lescot de L'Isle, Hugues Cocher, Edouard Blanc; vi- comte Jean de Savignac, baron de Claye, comte R. de Fitz-James, comte Beugnot, vi- comte d'Origny, vicomte A. de Bernis, baron Henri de Montesquieu, etc. Mgr le prince Henri d'Orléans ne re- çoit personne. Les médecins luiront or- donné le repos le plus complet et une immobilité absolue. Jean Hess, Block-Notes '< d'un Anglais à Paris En excursion de vingt-quatre heures au Ha- vre, j'ai eu la bonne fortune d'apercevoir M. Félix Faure. Il se promenait à pied. L'heure était mati- nale le Président, en tenue de petit lever complet de flanelle claire, bottines jaunes, chemise de soie, feutre gris, venait de fran- chir le seuil de la villa de la Côte. Il était seul j'ai pu le contempler à' loisir. Il m'a paru d'abord fatigué, l'air maussade et plus < marqué que sursesportraitsles moins flatteurs mais quelques minutes de marche au grand air ont suffi pour le rasséréner, le rafraîchir. Et il s'est mis bientôt à sourire. Il souriait. A qui ? à quoi ? D'agréables pen- sers lui traversaient sans doute l'esprit. la vision d'un peuple entier l'acclamant, tes' son- neries des cloches orthodoxes, le fracas des .canons. les arcs de triomphe. l'Empereur à ses côtés. tous les yeux de l'Europe attentifs à ses gestes, à ses changements de physiono- mie, à sa prestance, à son monocle M. Félix Faure souriait. Des ouvriers qui se rendaient à leur travail le saluèrent; il souriait. Une petite mendiante qui traînait sur la route, l'ayant reconnu, s'est précipitée au-devant lui en poussant .un < Vive monsieur Félix! suraigu. Il a souri et lui a donné une pièce d'argent, tout en paraissant regretter qu'elle ne fût pas à son effigie. Puis il a repris sa promenade en continuant de sou- rire. Voilà l'indice d'une conscience tranquille et satisfaite de soi. En vérité, on a grand tort de tant le ridicu- liser. Rien en lui, certes, ne témoigne d'une distinction suprême et l'on chercherait vaine- ment sur ses traits la marque, d'une de ces intelligences qui illuminent un visage et frap- pent l'observateur le plus superficiel. Il ne manque toutefois ni de solennité ni d'aisance. Son plus grand mérite, à mon sens, est de' représenter parfaitement le type du Français de classe moyenne; il a le physique de sa race ce qui est moins fréquent qu'on ne croit chez un chef d'Etat avec une pointe d'anglomanie. Il ya en lui du prince de Galles moins la naissance. Quoi qu'il en soit, pas, un jour ne s'écoule .qu'on ne l'accuse, qu'on ne: l'attaque, qu'on ne le condamne. Et il paraît qu'on n'a rien à lui reprocher. < Vous en faites autant, et pis, chez vous .m'objectera-t-on. langage que vous vous permettez à l'égard de la Reine et de la fa- mille royale est tout aussi libre, tout aussi violent même! Il. faut en .convenir mais cela ne diminue en rien leur èr-ëstige les plai- santeries que nous nous permettons sur la Reine n'affaiblissent nullement l'attachement que -nous lui portons; c'est simplement une manière à nous d'affirmer notre amour de la liberté, mais -notre loyalisme démeure en- tier. Avouez qu'il n'en va pas de même en France, à ce que je crois deviner ici; l'esprit tue. et tout le monde en a. Pickwick. ^•V~– Échos da Température La baisse barométrique est générale sur le nord-ouest de l'Europe des pluies abon- dantes sont signalées. En France, on a re- cueilli 14mm d'eau au Mans, 3 à Lorient, Cette, i à Paris. La température est également en baisse i3o à Valentia, Moscou, 16° à Paris, 260 à Alger. {.a journée d'hier à Paris a été déplorable, il a plu tout l'après-midi, et les ondées res- tent toujours probables. Le thermomètre mar- quait 20° le matin à huit heures, 25° à midi et 22° seulement à deux heures; dans la soirée, vers onze heures, il indiquait 18°, et le baro- mètre, qui était à 760OEK1 dans la matinée res- tait à 7S5mm. Dieppe. Temps chaud, ciel couvert; mer magmfique. Thermomètre 210. LE VOYAGE Oy Voici prêt à s'accomplir le voyage <K de M. le Président de la République en Russie. Cet événement, dont on avait douté, même en France, qui paraissait offrir des difficultés et soulever des obs- tacles presque insurmontables, apparaît aujourd'hui comme un acte naturel et nécessaire. Nous n'en voulons d'autre preuve que ta mauvaise humeur qu'il cause à certains parmi nos confrères allemands. La Gazette de Cologne, qui se fait l'interprète d'étranges sentiments de dépit, a imaginé d'affirmer que le tsar Nicolas II n'attendait M. Félix Faure sur le sol russe que pour l'abreuver d'impo- litesses préméditées. Le Tsar sera très flatté, sans doute, qu'on lui attribue des sentiments aussi relevés, et nous avons dans cette insi- nuation, plus ridicule encore qu'odieuse, une démonstration nouvelle de ce tact exquis, de cette correction morale raffinée qui ont de tout temps rendu cé- lèbres les plaisanteries tudësques. La vérité est que M. Félix 'Faure sera reçu, en Russie, personnellement comme un hôte agréable, officiellement comme le représentant respecté d'un pays dont on a accepté l'alliance et qui est resté, malgré tout et peut-être un peu malgré lui-même, l'un des facteurs non seule- ment importants, mais essentiels des destinées de l'Europe et de l'avenir du monde civilisé. La vérité est qu'en dépit, et peut-être à cause des oppositions, des jalousies, des, susceptibilités que le projet de ce voyage suscita. dès les premiers moments dans la pétaudière parlementaire, les yeux et le coeur de la France suivront M. le Pré- sident de la République dans la course rapide, fatigante, mais assurément triom- phale qu'il va faire dans les Etats de Ni- colas if., Les qualités qui distinguent essentiellement M. Félix Faure sontla finesse et le sens de la mesure. Ce sont

là. iout Block-Notes IDXJEÎI-i il Anglais à Parisdata.over-blog-kiwi.com/1/49/53/17/20180813/ob_4d0b8f_figaro16-a… · heures du matin que les combattants et et les témoins se

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3L/E! IDXJEÎI-i'DUû

PUCE 111 KOMISPRI~ ~I iJUiLuMi~

'ET ''DU OOJTE DE TURIN

Le Fif/aro terminait hier sa relationdes incidents de la journée par ces motssigrii fioatifs « La rencontre esc tout àfaitimminente. »

C'est à minuit, en effet, que nous écri-vions cette dernière ligne, et c'est à troisheures du matin que les combattants etet les témoins se mettaient en route, sedirigeant vers le lieu de la rencontre, ausujet duquel le secret avait été d'autantplus facile à garder que c'est au dernier,tout dernier moment qu'il avait été dé-signé.

Voici, en effet, le premier procès-ver-bal, signé dans la journée, le procès-verbal d'àvant-combat, comme oh dit entermes techniques, et l'on y verra que lelieu et l'heure de la rencontre y sont trèsmystérieusementréservés:

Procès-verbald'avant-combat

S. A. R. le prince Victor-Emmanuel deSavoie-Aoste, comte de Turin, ayant jugéoffensante pour l'armée italienne la publica-tion des lettres de S. A. R. le prince Henrid'Orléans dans le Figaro, lui a adressé unelettre à la date du 6 (six) juillet dernier de-mandant rétractation.Il n'a pu être réponduà cette lettre que le 11 août, jour de l'arrivéede Mgr le prince Henri d'Orléans en France.Faisant toutes réserves comme voyageur surses droits d'écrivain, le prince Henri d'Or-léans a répondu par télégraphe. Mgr le comtede Turin l'a aussitôt avisé du départ immé-diat de ses représentants, colonel Felice Avo-gadro di Quinto, commandantla 4« brigadede cavalerie de l'armée italienne, et colonelFrançois Vicino Palavicino,commandant,à

"Gênes, la cavalerie de la même armée.S. A. R. le prince Henri d'Orléans a, dès

leur arrivée, mis ces messieurs en rapportavec ses/Hémoins, M. le comte Nicolas deLéontieffy gouverneur général des provin-ces équatoriales d'Ethiopie, et M. RaoulMourichon, ses compagnons de voyage.

Dés la première entrevue une rencontre aété jugée inévitable. D'un commun accord,les conditions suivantes ont -été arrêtées

L'arme choisie est l'épée de combat. Il estadmis que chacun des adversaires se servirarespectivement de l'épée de son pays, aveclame de même longueur.

Le terrain' acquis sera conservé. Il estdonné à chaque combattant 15 mètres pourrompre.

Après chaque reprise; qui durera 54 minu-tes, le combat reprendra à l'endroit occupépar chacun des combattantset ne cessera quesur la décision des quatre témoins et l'avisdes médecins, lorsque l'un des deux adver-

saires sera en état d'inférioritémanifeste.Les places seront tirées au sort. La direc-

tion du combat sera confiée alternativementaux deux parties, après tirage au sort pour

la première reprise.Cette disposition a été prise par suite de

l'opposition formelle des témoins de S. A. R.le prince Henri d'Orléans de confier à un cin-quième la direction du combat.

Le lieu et l'heure de la rencontre serontfixés dans la journée.

Fait à Paris, en double, le 14 août 1897.

Pour S. A. R. le prince Henri d'Orléans:Comte Nicolas de Léontieff,Raoul MOURICHON.

Pour S. A. R. le comte de TurinColonel AVOGADRO DI Quinto Felice,François VICINO Palavicino.

C'est seulement dans la soirée que,réunis à l'hôtel d'Albe, les quatre témoinssignèrent le procès-verbal annexe quifixait l'heure et le lieu du duel, et qui estainsi conçu

Comme suite au procès-verbal en date dece jour réglant la rencontre entre Leurs Al-tesses Royales le comte de Turin et le princeHenri d'Orléans, l'endroit choisi est le Boisdes Maréchaux dans le bois de Vaucresson,et rendez-vous est pris pour demain matin àcinq heures précises.

Les témoins avaient donné leur parolei'honneur de ne communiquer ces indi-cations à personne, à nous pas plusqu'à d'autres. Ils ont tenu leur parole.Ils ont observé une discrétionde natureà étonner les reporters parisiens. Ils ontmême cherchéà être plus que discrets. Ilsont essayé de « dépister les curiositésprofessionnelles les plus habiles pardes confidences destinées à égarer surde fausses voiesceux qui les suivaientdetrop près.

Mais, en ces circonstances, trop d'ha-bileté nuit quelquefois.

Ainsi, pendant que les racontars lesplus étranges étaient mis en circulation,nous apprenions qu'au déjeuner auquelle prince Henri avait assisté à l'hôtelContinental avec ses témoins et M. Ré-copé, on avait parlé avec affectationd'un projet de voyage à Amsterdam, etavec réserve d'une promenade à Vau-cresson.

Etant donné que M. Récopé se trou-vait là, cette indication de Vaucressonprenait une valeur précise. C'est de cecôté qu'il fallait chercher. On chercha.Et l'on trouva. L'utilité des bicyclisteséclaireurs fut une fois de plus démon-trée.

Au milieu de la nuit, nous étions in-formé que dans la soirée, après le cou-cher du soleil, un joli morceau de che-min sous bois, dans la forêt de Vaucres-son, au fonds des Maréchaux, à quelquescentaines de mètres de l'endroit où laroute aux Bœufs se détache de la routede Vaucresson à Versailles, avait été soi-gneusement nivelé et ratissé. Interrogé,un des hommes qui faisaient ce travailavait répondu :« Il parait que c'estpourun bal. Tenez, on m'a dit que l'orches-

tre seraislà. C'est iout d« même unesingulière idée.

Et voilà pourquoi hier avant l'aube,dans un taillis, en bon endroit pour bienvoir la « place du bal », un garde et uncantonnier plus vrais que nature, atten-daient. Le métierde reportera parfois desexigences dignes du roman.

La présence de ces deux forestiers àcette heure matinale dans le bois, préci-sément à l'endroit choisi, a-t-elle parubien naturelle aux témoins italiens ? Jene le pourrais dire. Toujours est-il qu'a-près la troisième reprise, alors que lecombat devenait palpitant, et que pourmieux voir, le garde et le cantonniers'étaient avancés, s'étaient découverts,le colonel Palavicino les désigna à sescompagnons, demandant ce qu'ils fais-aient là, et que l'on dut lui répondre:« Trop tard maintenant pour les chas-ser nJe ne cherche point à faire de cette re-lation ce que les chroniqueurs brillantsappellent une « page ». Je transcris fidè-lement des notes et des souvenirs.

Arrivée des combattants

L'attente sous la futaie, dans l'herbe,sous le brouillard et dans la rosée, -ne futpas trop longue.

Quelques minutes avant cinq heuresarrive un landau. xM. Hëcopé,' lès 'doc-teurs Toupet et Hartmann en descen-dent.

Puis ce sont deux autres landaus quiamènent sur le terrain le comte de Turin,ses deux témoins, son aide de camp etson médecin, le docteur Carli.

Immédiatement après, c'est le landaudu prince Henri d'Orléans et de ses deuxtémoins.

Tous sont vêtus comme pour unepartie de campagne. N'étaient les quatrefourreaux de serge vertequi contiennentles paires d'épées, on pourrait croirequ'il s'agit d'une simple promenadema-tinale.

Le prince Henri d'Orléans est coifféd'un chapeau canotier blanc à rubannoir rayé de rouge. Il est vêtu d'un ves-ton bleu-noir, d'un gilet blanc, d'un pan-talon de même drap que le veston. Il aune chemise blanche et une cravatenoire. Il est chaussé de souliers à talonsbas, en cuir jaune..

Le comte Léontieff porte un chapeaurond de feutre noir; jaquette et giletnoir, pantalon gris foncé. M. Mourichonest en complet-veston bleu marin, avecun chapeau canotier de paille blanche àruban noir, et guêtres blanches.

Ils laissent leurs pardessus dans leslandaus.

J'ai appris, depuis, que cette petitetenue de campagneavait été choisie d'uncommun accord, afin que si quelque cu-rieux trop tenace avait, la veille, rencon-tré tard combattants et témoins allantcoucher ailleurs qu'en Jour domicilehabituel, il n'ait pu supposer le duelpour le lendemain.

Voici le costume du comte de Turinchapeau canotier de paille blanche à ru-ban noir; paletot 'et pantalon de drapnoir; gilet blanc; chemise blanche; lepantalon est retroussé à l'anglaise, trèshaut sur des chaussettes de soie noire.Les escarpins sont en cuir noir verni età talons plats une chaussure de bal. Undes médecins est en redingote, les autresassistants en jaquette.

En s'abordant, les deux partis se sa-luent respectueusement. à distance. Cemot de partis est ici, je crois, de mise.D'attitude et d'aspect, les deux groupesnous apparaissent très nettement hos-tiles. Ils ont tous deux également la cor-rection la plus absolue; mais en lesvoyant, le souvenir nous vient du tempsoù les seconds mettaient, eux aussi,flamberge au vent.

Les voitures, par un chemin de tra-verse, sont conduites dans une allée pa-rallèle à celle du combat, à une centainede mètres plus loin. Faut-il ajouter queles cochers, bien qu'onleur eût-ditde re-garder leurs chevaux, ont regardé touteautre chose? Quand, tout en se dissimu-lant derrière les,arbres, ils s'approchè-rent du lieu du combat, on pouvait re-marquer avec eux deux nouveaux cu-rieux, deux bons paysans qui, j'en suis.bien sûr, prirent aussi des notes. maispas pour un journal.

Les préparatifs

II est exactementcinq heures dix mi-nutes lorsque les deux groupes de té-moins commencentpréparer le combat.

Ils mesurent le champ. Il a été pré-paré suivant leurs instructions. Le longrectangle ratissé et nivelé, sur le côté dela large route, de l'allée forestière, atrente-cinq mètres de long sur cinq delarge. M. de Léontieff y trace deux li-gnes transversales qui permettront demettre les combattantsen garde en leurlaissant quinze mètres de champ pourrompre.

Puis ils mesurent les épées. Les épéesitaliennes du comte de Turin sont pluslongues il est vrai que c'est de la garde.Les lames sont passées à l'acide phéni-que. Ensuite, à pile ou face, avec un écujeté en l'air par le colonel Avogadro, lesort est chargé de donner le choix desplaces et de désigner qui dirigera le pre-mier engagementdu combat.

II avait été convenu, on le sait, que lesengagements seraient alternativementdirigéspar M. le colonelAvogadro et parM. de Léontieff.

Le sort désigne M. de Léontieff pourle premier engagement, et donne auprince d'Orléans la place mettant à sadroite le côté du champ qui touche lefossé de l'allée.

Les préliminaires durent à peine cinqminutes, mais. en pareille circonstance,alors que brillent les James' dont l'acierva se rougir de sang, alors que le pro-blème de l'instant qui suivra devientagaçant, énervant, angoissant pour lesplus braves, alors les minutes sont desheures. •

APendant ces préparatifs en même

terrip.5 si brefs et si longs, le prince fran-çais et le prince italien, en tenue decombat, se promènent de chaque côtéde la route, essayant de ne se point voir,et'regardant seulement la forêt qui se ré-veille au soleil, la forêt d'été où, parmiles verdures vivantes apparaissent déjàles rougeurs des feuilles qui vont mou-rir.

Ils paraissent très calmes. Ils affectentle pas du promeneurqui n'aurait d'autresouci que celui du paysage. Et cepen-dant ils ont des mouvements de ner-veux, mettons d'énergiquesprêts'à s'en-tre-tuer.

Ils ont assuré la ceinture de le» pan-talon. Ils ont enlevé veston et gilet, cra-vate et col. Les conditions du combatleur permettaient la « chemise de ville »,sans autre indication. Donc le plastronempesé était permis. Celui du comte deTurin brille comm'e une cuirasse 1La physionomie du prince Henri d'Or-

léans nous est familière. Telle nous laconnaissions, telle nous la retrouvions àcette minute suprême qui précède lecombat.

Je ne sais quelle est aux heures calmesla physionomie du comte de Turin. Elleétait, alors, singulièrement énergique;trop peut-être les yeux gris brillaientdans la figure d'un ovale très pur, maisla moustache avait les pointes en crocet ls menton avançait contracté,. u%« menton à la Pini ».

Enfin les préparatifs sont terminés.Les témoins appellent les combattantsetles arment. L'opération est longue etcompliquée pour le comte de Turin.C'est d'abord un gant de combat au vasteet dur crispin qui reluit comme un bras-sard. Puis l'épée en main, c'est une bé-lière longue etfine, mais longue surtout,qu'il faut rouler et nouer autour du poi-gnet. L'épée du comte de Turin est unede ses armes familières. Celle du princeest neuve. Un voyageur qui courtcomme lui le monde,hierau Tonkin, au-jourd'hui en Abyssinie, demain. oùDieu le permettra. n'a généralementpoint une épée « de chevet ».

Mais ce sont là considérations aux-quelles on ne songeait guère à s'attar-der au moment où le colonel Avogadroet le comte Léontieff mettaient face àface, pointe contre pointe, deux princesdu sang, dont l'un au moins paraissaitabsolument décidé àvouloir tuer l'autre.

J'ai noté bien exactementles places ducombat.

Qu'on se représente le rectangle ni-velé. Qu'on y prenne pour "côté droitcelui qui touche le fossé de la route.Alors, sur la première ligne transver-sale, avec un champ de 15 mètres en ar-rière, se trouve le prince Henri d'Or-léans. En face, sur l'autre ligne trans-versale, à cinq mètres en avant, etpossédantégalement15 mètresde champderrière lui, se trouve le comte de Turin.

A droite, sur la ligne médiane trans-versale du « terrain » et aussi de l'espacequi sépare les adversaires, au bord dufossé, a pris place le colonel Avogadro.Exactement en face, c'est-à-dire sur lebord du « terrain qui touche la route,et à gauche du prince, se trouve M. deLéontieff.

Derrière lui, au milieu de la route, àquelques pas, sont le colonel Palavicinoet M. Mourichon. Puis, un peu plus loin,'les trois médecins. Enfin, à une cinquan-taine de mètres.à gauche de ce groupe,M. Récopé et l'aide de camp du comte deTurin regardent.

Les deux directeurs du combat, aulieu de la canne classique, ont l'épée. Ilsla tiennent pointe en bas, le bras étendu.Les adversaires, parés à se mettre engarde, ont l'attitudeaussi réglementaire-ment correcte que deux prévôts se dispo-sant à faire le mur. Le corps effacé, lespieds en équerre, la tête haute, ils sontprêts, attentifs. Le comte de Turin enest plus grand.

Et l'instant paraît solennel. C'est untableau dramatique; en soi, et peut-êtreaussi par la qualité des personnages quil'animent.Le silence est religieux. Aussientend-on très nettement lorsque lecomte Léontieffdit, d'une voix vibrante,assurée « Messeigneurs,vous connais-sez les conditions du combat. Le terrainacquis est conservé. La. reprise a quatreminutes. Sur l'honneur, je sais que vouscroiserez le fer seulement lorsque jevous aurai dit: « Allez et que vousvous arrêterez lorsque vous entendrezle commandementde « Halte »

Les adversaires étendent le bras droitet le comte Léontieffplace leurs épées enligne, les pointes à environ « deuxpieds » l'une de l'autre. Puis, se recu-;lant, et remettant lui-même son épée enposition, ilcommande: « Messeigneurs,en garde » et immédiatement après, surun ton plus haut: « Allez »»,

Et c'est le combat.

Le duel

Voilà face à face, après tant de provo-cations, après tant de longs pourparlers,voilà fer contre fer un prince italien quis'est fait le champion de l'arméeitalienneet un prince français qui s'est fait le re-porter des faiblesses de cette armée.L'armée italienne aurait difficilementtrouvé meilleur champion. De suite lecomte de Turin apparaît très vigoureux,très habile, et surtout très en forme etmerveilleusement entraîné. Le princeHenri d'Orléans revient, lui, d'Abyssi-nie.

Les commandementsdu comte Léon-tieff ont été très rapides. Les combattantsles ont suivis non moins rapidement. Apeine avaient-ils entendu «Messeigneurs,en garde! » qu'ils l'étaient. Apeineavaitretenti le mot « allez » qu'ils allaient, etque le fer était engagé. Quand je disqu'ils « allaient », j'exagère peut-être.Car l'attaque venait du prince d'Orléans.Tombé en garde en arrière, ramassé,trèsramassé, très souple et du coup parais-sant diminué de moitié, le corps plié surla cuisse, la tête sur le bras allongé.rappelez-vous Pini. la pointe en lignebasse, le comte de Turin fort habilement

'attendait t'attaque et la recevait en rom-pant. >

L'épée haute, mais aussi très couvert,le prince, qui, aussitôtaprès s'être mis engarde en arrière, avait marche pour en-gager le fer, attaquait vigoureusement.Des froissements rapides suivis de dé-gagements. Un jeu serré, très pressé,qui visiblement étonne le comte deTurin, lequel s'attendait sans doute àune « étude n. Aussi rompt-il. Mais c'estpar bonds en arrière, avec de terriblesallonges qui pendant deux minutes tem-pèrent les attaquesdu prince. Le combat,je l'ai dit, est engagé dans les lignesbasses.

Les deux adversaires tirent au corps.Ils veulent que la rencontre soit sérieuse.A ce moment, je crois bien que les té-moins sont beaucoup plus inquiets queles combattants.

La gravité du combat ne peut plus êtremise en doute..

L'épée du comte de Turin, à la riposte,cherche toujours le ventre du prince, etcelle du prince semble plus préoccupéede toucher que de parer.

« Halte! » Le comte Léontieff arrête lecombat. Une riposte du comte de Tu-rin a blessé le prince às la partie supé-rieure de la poitrine, à droite.

Les deux directeurs du combat exami-nent la blessure et prient les médecinsd'en, dire la gravité, il faut croire que cen'est rien, malgré l'impression et lesgestes d'inquiétude du docteur Toupet,car les deux adversaires retombent enigarde et le combat recommence, sous ladirection cette fois du colonel Avogadro.

Le premierengagement avait été vif.SLe second l'est davantage. Le prince at-taque plus et le comte rompt moins.Aussi la conséquence fatale, puisque.lesdeux tireurs parent bien, ne se fait pointattendre longtemps. Après de furieuxfroissements de fer et une attaque fran-che dans laquelle, tombant sur une ri-poste en avant du comte de Turin, leprinceHenri d'Orléans s'est fendu à fond,c'est le corps à corps. Le vrai. Poitrinecontre poitrine.

Les deux bras armés font équerre enarrière, se voulant plus longs pour trou-ver de la pointe la poitrine ennemie. Lecolonel Avogadroeut à peine temps d'ar-rêter le combat qui prenait la physiono-mie d'un duel au couteau.

Au couteau. eh bien oui l'expressionest juste, cela devenait furieux commeune bataille au couteau.Furieux encore le troisième engage-ment. Maintenantle comte de Turin, cal-culant sans doute que s'il rompt tou-jours il ne lui restera bientôt, plus deterrain, attaque à son tour, se gardemoins. Dans urne allonge il est blessé àla main droite. L'épée du prince- file dansle crispin-brassard. *'

On ôte le gant du comte. Est-ce quela blessure sera suffisante pour mettrefin à ce duel dont chaque reprise devien-dra de plus en plus dangereuse?Anxieux,nous le souhaitons .

Mais non. Voilà que le comte remetson gant et que ses témoins ficellent denouveau autour de son poignet la gardede son épée.

Et c'est le quatrième engagement.Il faut croire que les témoins n'avaient

pas suffisamment ficelé la garde de sonépée, car, absolumentcomme s'il se futtrouvé à la salle d'armes, le comte deTurin, oubliant que devant son armes'en trouve une autre menaçante, de lamain gauche rajuste sa garde. Il étaitdécouvert. C'est miracle que le princed'Orléans, qui attaquait toujours, ait vuquelle cause, quel oubli lui ouvrait lechemin de la poitrine de son adversaire,et se soit arrêté au lieu de se fendre àfond! Après cet incident, le combat estarrêté. Le directeur a remarqué que lapointe de l'épée du prince Henri estfaussée. Dans l'après-midi, on disait àParis que cela provenait d'un coup ar-rêté par un des boutons de culotte ducomte de Turin. Il est probable quepersonne n'en sait rien. Mais le fait estpossible, car dans le troisième et le qua-trième engagement, le prince a tiré aucorps de son adversaire en portant descoupsque le comtedeTurinaévitésmoinsen parant de l'épée qu'en sachant à pointbondir en arrière, et, qu'on me passel'expression dans les salles d'armes encreusant continuellement sa poitrine.Plus d'une fois le fer du prince quicroyait atteindre la chair ne trouva quele plastron empesé de la chemise.

Enfin, quelle qu'en soit la cause, l'épéedu prince était faussée. On lui en donnaune autre pour le cinquième engage-ment.

La dernière reprise

Le combat durait depuis vingt-quatreminutes quand pour la cinquième fois leprince et le comte retombèrent en gardel'un devant l'autre. Sentaient-ils dimi-nuer leurs forces, et chacun d'eux com-prit-il que si d'un suprême élan il neblessait point l'adversaire, ce serait ladéfaite?. Peut-être, car, à peine en garde,ils se trouvaient corps à corps. On lessépare. Ils se chargent de nouveau.«Halte!» crie encore M. de Léontieff. ense précipitantvers son client comme pourle soutenir. Le prince a reçu un coupd'épée dans le ventre.

Il veut rester debout pendant qu'onexamine sa blessure. Mais on le force às'asseoir, puis à se coucher par terre.

Cette fois, c'est bien la fin du combat.La blessure du prince le met horsd'état de continuer. Les médecins le dé-clarent. Et cette fois ils parlent très haut.On les entend de loin. On pourrait sup-poser qu'ils s'adressent à des gens quiavaient l'oreilledure.

Alors le comte de Turin s'approchedu blessé qui se soulève et lui tend lamain. Le procès-verbal mentionne quele prince Henri d'Orléans a dit alors àson adversaire «Permettez-moi, mon-seigneur, de vous serrer la main. » Lecomte de Turin se rhabille très vite. IlQuitte le terrain accompagné par son

médecin et son aide de camp. Lorsqu'ilpassedevant MM.de Léontieffet Mou-riehon, il leur serre la main.

Les docteursToupet et Hartmannpan-sent rapidement les blessures du princequi, relevé et rhabillé, tient à regagnerà pied sa voiture.'Il marche légèrementcourbé, le côté droit du corps un peuraide. Visiblement il souffre. Il monteen voiture avec M. Récopé et ses mé-decins.

Le procès-verbal de la rencontre

Seuls restent en présence les quatretémoins qui, sur le terrain, rédigent leprocès-verbal suivant

Conformément au procès-verbal du 14 août1897, la rencontre décidée entre S. A. R. Mgrle prince Henri d'Orléans et S. A. R;. Mgr lécomte de Turin a eu lieu à cinq heures dumatin, dans le bois de Vaucresson, au lieudit le Bois des Maréchaux.

La durée du combat a été de vingt-six mi-nutes en cinq reprises, dirigées alternative-ment par M. le comte Léontieffet M. le comteAvogadro.

Au premier engagement, S. A. R. le princed'Orléans a été atteint dans la région pecto-rale droite d'un coup d'épée ne paraissant pasdépasser le tissu cellulaire sous-cutané.

Après avis.des médecins, les témoins ontdécidé de continuer le combat.

Le deuxième engagement a dû être inter-rompu par suite d'un corps à corps.u.' Au troisième engagement, S. A. R. Mgr lecomte de Turin a été atteint à la face dorsalede la main droite d'un coup d'épée ne dépas-sant pas le tissu cellulaire sous-cutané.

A la reprise, le directeur du combat cons-tatait que l'épée de Mgr le prince d'Orléansétait faussée. Il a arrêté l'engagementet rem-placé l'arme.

Au cinquième engagement, après un corpsà corps immédiatement#irrêté,dans un coupde riposte, Mgr le prince d'Orléans ayantreçu dans la partie inférieure droite de l'ab-domen un coup d'épée, le directeur du com-bat a arrêté l'engagement.

Après vérification et examen de la blessure,les médecins des deux parties ayant reconnuque la plaie de Mgr le prince Henri le met-tait dans des conditions d'infériorité mani-feste, MM. de LéontieÔ et Mourichon propo-sent d'arrêter le combat.

D'un commun accord il fut arrêté. ••Après la rencontreet pendant le pansement

de la blessure, Mgr le prince Henri, se soule-vant, tendit la main à S. A. R. le comte deTurin, lui adressant ces paroles r

« Permettez-moi, monseigneur, de vousserrer la main. » ''

Le comte de Turin la lui serra.Les adversairesétaient assistés de MM. le

docteur Toupet, du docteur Hartmann, deshôpitaux, pour Mgr le prince Henri, et dudocteur Carli pour Mgr.le comte.de Turin.

Fait à Vaucresson, au Bois des M aréchaux,le 15 août1897:Pour S.'A. R. Mgr le prin.ee Henri '.

Comte Nicolas de Léontieff,Raoul Mourichon.

Pour S. A. R. Mgr le comte de Turin:Colonel AvqgadkoDI QUINTO Felice,François Vicino Palavigino;

Voilà fidèlement rapportées les péri-péties d'un duel dont, pendant ces vingt-cinq minutes de combat, les « forestiers »curieux qui représentaientà Vaucressonle Figaro crurent plus d'une fois, avecangoisse, que les résultats seraient plustragiques. r

,<;.s.. • 7Départ de S. A. R. le Comte de Turin

Après le duel, le comte de Turin estrentré à l'hôtel d'Albe, où il habitait de-puis vendredi sous le nom de comte deCarpenetto, avec ses témoins et sesamis, le marquis Ginori, le comte d'Avi-gliana, et le docteur Carli.

Le comte de Turin a quitté Paris parle train de 2 h. 15 pour se rendre direc-tement à Turin.

Détail à noter pendant tout son sé-jour à Paris, le comte de Turin n'esttsorti de l'hôtel que pour aller se battre.

Chez le prince Henri d'Orléans

Après le duel, le prince Henri d'Orléanss'est fait reconduire à l'hôtel de Mgr leduc de Chartres, rue Jean-Goujon, où ilest arrivé à sept heures.

Il s'est immédiatement couché et lesmédecins ont procédé à un, nouveaupansementde ses blessures.

le duc etPrès de lui se trouvent Mgr le duc etMme la duchesse de Chartres et Mgr leprince Jean d'Orléans.Aussitôt que la nouvelle du duel a étéconnue, tous les amis du prince qui sontencore à Paris sont venus s'inscrire rueJean-Goujon. L'affluencedesvisiteursn'acessé qu'à dix heures du soir.

Le bulletin communiqué à cinq heureset demie parles docteurs Toupet et Hart-mann était ainsi conçu« Journée très calme. Aucune compli-cation. »

Relevé quelques noms sur les regis-tres

Duc de Fezensac, colonel Munier, M. Jus-serand, marquis de Noailles, le commandantmarquis de Villecin, MM. Julien Dumas etde Bernis,députés;comte André Zamoyski, lecapitaine Martinie, comte Greffulhe, MM.Marcel Prévost, Jean Béraud, P. d'Epinay,A. Cibiel, A. de Pracomtal,E. de Pommereu,Ed. Hervé, de l'Académie française; Es-tancelin, Gordon-Bennett, F. de Rodays,G.-R. de Rézé, Hubert de Cliarnacé, marquisdu Lau, marquis de Grollier, comté Arnoldde Cohtades, comte Louis de Périgord, vi-comte de Froissard-Broissia, comte Louis deVassart d'Hozier, comte de Narbonne-Lara,comte de Savignac, baron d'Escurolles deCharnacé, baron Raoul de Vaux, comte deRochegude, baron de Mackau, comte P.d'Ornano, MM. Pierre Carette, Albert Ulrich,A. Thomeguex, Georges Calmann Lévy, A.Bouillon, Henri et Charles Houfflard, A.Guiet, A. Cuvillier, Georges Rolland, Georgesde Vergie, Edouard Archdeacon, Ed. Béjot,Jean et- Maxime Groult, M.-B. Lescot deL'Isle, Hugues Cocher, Edouard Blanc; vi-comte Jean de Savignac, baron de Claye,comte R. de Fitz-James, comte Beugnot, vi-comte d'Origny, vicomte A. de Bernis, baronHenri de Montesquieu, etc.

Mgr le prince Henri d'Orléans ne re-çoit personne. Les médecins luiront or-donné le repos le plus complet et uneimmobilitéabsolue.

Jean Hess,

Block-Notes '<

d'un Anglais à Paris

En excursion de vingt-quatreheures au Ha-vre, j'ai eu la bonne fortune d'apercevoir M.Félix Faure.

Il se promenait à pied. L'heure était mati-nale le Président, en tenue de petit levercomplet de flanelle claire, bottines jaunes,chemise de soie, feutre gris, venait de fran-chir le seuil de la villa de la Côte. Il était seulj'ai pu le contempler à' loisir.

Il m'a paru d'abord fatigué, l'air maussade etplus < marquéque sursesportraitsles moinsflatteurs mais quelques minutes de marcheau grand air ont suffi pour le rasséréner, lerafraîchir. Et il s'est mis bientôt à sourire.

Il souriait. A qui ? à quoi ? D'agréables pen-sers lui traversaient sans doute l'esprit. lavision d'un peuple entier l'acclamant, tes' son-neries des cloches orthodoxes, le fracas des.canons. les arcs de triomphe. l'Empereur àses côtés. tous les yeux de l'Europe attentifsà ses gestes, à ses changements de physiono-mie, à sa prestance, à son monocle M. FélixFaure souriait.Des ouvriers qui se rendaient à leur travaille saluèrent; il souriait. Une petite mendiantequi traînait sur la route, l'ayant reconnu, s'estprécipitée au-devant lui en poussant .un < Vivemonsieur Félix! suraigu. Il a souri et lui adonné une pièce d'argent, tout en paraissantregretter qu'elle ne fût pas à son effigie. Puisil a repris sa promenade en continuant de sou-rire. Voilà l'indice d'une conscience tranquilleet satisfaite de soi.

En vérité, on a grand tort de tant le ridicu-liser. Rien en lui, certes, ne témoigne d'unedistinction suprême et l'on chercherait vaine-ment sur ses traits la marque, d'une de cesintelligences qui illuminent un visage et frap-pent l'observateur le plus superficiel. Il nemanque toutefois ni de solennité ni d'aisance.Son plus grand mérite, à mon sens, est de'représenter parfaitement le type du Françaisde classe moyenne; il a le physique de sarace ce qui est moins fréquent qu'on necroit chez un chef d'Etat avec une pointed'anglomanie. Il y a en lui du prince de Gallesmoins la naissance.

Quoi qu'il en soit, pas, un jour ne s'écoule.qu'on ne l'accuse, qu'on ne: l'attaque, qu'on nele condamne. Et il paraît qu'on n'a rien à luireprocher.

< Vous en faites autant, et pis, chez vous.m'objectera-t-on. Lé langage que vous vouspermettez à l'égard de la Reine et de la fa-mille royale est tout aussi libre, tout aussiviolent même! Il. faut en .convenir maiscela ne diminue en rien leur èr-ëstige les plai-santeries que nous nous permettons sur laReine n'affaiblissent nullement l'attachementque -nous lui portons; c'est simplement unemanière à nous d'affirmer notre amour de laliberté, mais -notre loyalisme démeure en-tier.

Avouez qu'il n'en va pas de même en France,à ce que je crois deviner ici; l'esprit tue. ettout le monde en a.

Pickwick.^•V~–Échos

da Température

La baisse barométrique est générale sur lenord-ouest de l'Europe où des pluies abon-dantes sont signalées. En France, on a re-cueilli 14mm d'eau au Mans, 3 à Lorient, Cette,i à Paris. La température est également enbaisse i3o à Valentia, Moscou, 16° à Paris,260 à Alger.

{.a journée d'hier à Paris a été déplorable,il a plu tout l'après-midi, et les ondées res-tent toujours probables. Le thermomètre mar-quait 20° le matin à huit heures, 25° à midi et22° seulement à deux heures; dans la soirée,vers onze heures, il indiquait 18°, et le baro-mètre, qui était à 760ŒK1 dans la matinée res-tait à 7S5mm.

Dieppe. Temps chaud, ciel couvert; mermagmfique. Thermomètre 210.

LE VOYAGE

Oy Voici prêt à s'accomplir le voyage<K de M. le Président de la République

en Russie. Cet événement, dont on avaitdouté, même en France, qui paraissaitoffrir des difficultés et soulever des obs-tacles presque insurmontables,apparaîtaujourd'hui comme un acte naturel etnécessaire. Nous n'en voulons d'autrepreuve que ta mauvaise humeur qu'ilcause à certains parmi nos confrèresallemands. La Gazette de Cologne, quise fait l'interprète d'étranges sentimentsde dépit, a imaginé d'affirmer que le tsarNicolas II n'attendait M. Félix Faure surle sol russe que pour l'abreuver d'impo-litesses préméditées.

Le Tsar sera très flatté, sans doute,qu'on lui attribue des sentiments aussirelevés, et nous avons dans cette insi-nuation, plus ridicule encore qu'odieuse,une démonstration nouvelle de ce tactexquis, de cette correction moraleraffinée qui ont de tout temps rendu cé-lèbres les plaisanteries tudësques.

La vérité est que M. Félix 'Faure serareçu, en Russie,personnellementcommeun hôte agréable, officiellementcommele représentant respecté d'un pays donton a accepté l'alliance et qui est resté,malgré tout et peut-être un peu malgrélui-même, l'un des facteurs non seule-ment importants, mais essentiels desdestinées de l'Europe et de l'avenir dumonde civilisé.

La vérité est qu'endépit, et peut-être àcause des oppositions, des jalousies, des,susceptibilités que le projetde ce voyagesuscita. dès les premiers moments dansla pétaudière parlementaire, les yeux etle cœur de la France suivront M. le Pré-sident de la République dans la courserapide,fatigante, mais assurément triom-phale qu'il va faire dans les Etats de Ni-colas if., Les qualités qui distinguentessentiellement M. Félix Faure sontlafinesse et le sens de la mesure. Ce sont