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La Banlieue Parisienne du Dehors au Dedans : Annie Ernaux et Faïza Guène

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To cite this article: Anouk Alquier (2011) La Banlieue Parisienne du Dehors au Dedans :Annie Ernaux et Faïza Guène, Contemporary French and Francophone Studies, 15:4,451-458, DOI: 10.1080/17409292.2011.594278

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Contemporary French and Francophone StudiesVol. 15, No. 4, September 2011, 451–458

LA BANLIEUE PARISIENNE DU DEHORS AU

DEDANS : ANNIE ERNAUX ET FAIZA GUENE

Anouk Alquier

ABSTRACT The French suburbs, les banlieues, expanded after World War II. This paperfirst describes and explores this socio-spatial construct, as well as characterizes therelationship between the inner city and its outskirts, highlighting the stigmatization of thebanlieue. But, is it possible for these two spaces and these two worlds to communicate?How can a dialogue be instituted? Is there a point of interpenetration? This paper analyzeshow Annie Ernaux with Journal du dehors and La Vie exterieure and Faıza Guenewith Kiffe Kiffe demain, Du reve pour les oufs, and Les Gens du Balto succeed inaddressing this issue and offer means to bridge the gap between Paris and its banlieue.

Keywords: Banlieue; French suburbs; verlan; urban space; cultural gap; youth language

Les annees beton, c’est-a-dire le developpement de la prefabrication engendrepar les besoins de logements de l’apres-guerre,1 ont donne naissance a un espacefoncierement francais : la banlieue. Le terme banlieue remonte au Moyen Ageet a d’abord un sens juridique puisque c’etait l’espace (la couronne) a une lieuea la ronde autour des fortifications d’une ville qui dependait de la villeavoisinante juridiquement. D’ailleurs, c’est en banlieue que certaines activitesagricoles, industrielles, ou commerciales vitales pour la ville se developpent et,de la sorte, un certain rapport de dependance (surtout economique) s’etablit.A l’epoque moderne, les banlieues continuent de s’etendre et c’est avec larevolution industrielle que l’on voit vraiment leur essor (economique d’abord)parallelement aux grandes villes qu’elles entourent – notamment Paris quicompte 1.053.897 habitants en 1846, population s’etant accrue de 70%en moins d’un demi siecle.2 Qui plus est, certains projets d’urbanisation,en particulier ceux du prefet Haussmann (1853–1870), contribuent directementau developpement de la banlieue parisienne. L’haussmannisation, c’est

ISSN 1740-9292 (print)/ISSN 1740-9306 (online)/11/040451–8 � 2011 Taylor & Francis

DOI: 10.1080/17409292.2011.594278

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l’edification d’un ensemble coherent, des equipements collectifs (relier les garesles unes aux autres) avec principalement des travaux de voirie (pour l’eau etl’evacuation), mais aussi la creation d’une ville bourgeoise : de nombreuxbatiments des quartiers populaires sont rases et les « classes laborieuses » ou« dangereuses » (Chevalier) se retrouvent poussees a la peripherie dansde nouvelles banlieues grandies n’importe comment. L’exode rural et ledeveloppement du chemin de fer participent aussi de l’expansion des banlieuesbien sur qui continuent de croıtre au debut du vingtieme siecle, toujours enraison de l’industrialisation et de la venue de main d’œuvre etrangere. Ainsi,les banlieues sont une realite socio-spatiale servant a designer l’espaceperipherique urbanise prolongeant une grande ville et etant divise adminis-trativement en unites communales suburbaines dependant toutefois del’agglomeration principale sur le plan des services. Le lien organique unissantles banlieues a la ville-centre et la polarisation qui s’y exercent nourrissent desimages negatives de ces espaces, percus comme n’appartenant finalement ni audomaine urbain, ni au domaine rural, tout particulierement les ensemblesbatis apres 1950 : les « grands ensembles » ou les « cites » avec leurs HLM.Leur expansion s’arrete en raison du premier choc petrolier et de la situationeconomique et leur structure meme de perdre de sa coherence puisque lesbesoins economiques les ayant motives deviennent caducs. Par exemple, certainsgrands ensembles, comme la Cite des 3000 a Aulnay-sous-Bois (en Seine-Saint-Denis, a 20 km de Paris) et qui doit son nom a la construction de 3000logements dans le Quartier de la Rose des Vents, ont ete construits en raison deleur proximite avec les usines (dans ce cas celles de Citroen) alors qu’il y a deslicenciements importants (le taux de chomage est au-dessus de 10% en 2005).Un retournement assez spectaculaire s’opere : ce qui etait le produit de lareforme devient l’anti-modele, « les couches moyennes desertent ; les menagess’isolent ; les discours sur l’insecurite et le refus des etrangers se banalisent »(Vieillard-Baron 79). Les banlieues sont le siege d’affrontements dans les annees1990 et le lieu d’origine des emeutes du nouveau millenaire et Azouz Begaget Christian Delorme de resumer ainsi la transformation des banlieues : « Dansles espaces ou les amenageurs ont cherche la cohabitation harmonieuse desdifferences, avec pour objectif un enrichissement mutuel, se sont accumuleshandicaps et vulnerabilite, pour finalement faire surgir le spectre du ghetto »(14–15). Le terme banlieues sert a present de designation commode au pluriel,dans la presse et dans le langage courant, pour la population dite immigreeet divers synonymes proches de l’euphemisme, issus du discours politique etrelayes par les medias, sont recemment apparus, tels que zones urbaines sensibles,quartiers sensibles, quartiers chauds, ou meme les quartiers tout court. Les banlieuesrenvoie donc a des communes suburbaines recentes et peut designer unterritoire percu comme socialement inferiorise.3 Quant au terme banlieusard,il est apparu en 1889 a l’occasion d’une polemique politique entre les elus deParis et les elus de banlieue, les premiers accusant les seconds d’etre des ruraux,

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attardes et reactionnaires : des banlieusards. La connotation pejorative disparaıtrapidement pour en venir a designer les actifs – ouvriers et surtout employes –residant en banlieue et venant travailler tous les jours a Paris (en chemin de fer,bateau ou tramway a l’epoque). Banlieues et banlieusards font partie integrantede la societe francaise ; cependant, un processus de ghettoısation s’opere et lesbanlieues sont souvent rejetees a la peripherie du champ litteraire, fonctionnantcomme une zone d’etrangeite. Avec respectivement Journal du dehors (1993) etLa Vie exterieure (2000), Kiffe kiffe demain (2004), Du reve pour les oufs (2006), etLes Gens du Balto (2008), Annie Ernaux et Faıza Guene proposent une image de labanlieue et de la vie dans la banlieue ainsi qu’une image de la societe francaisecontemporaine ; est-ce que le fosse qui s’est creuse entre Paris et sa banlieuepeut etre comble ?

Annie Ernaux naıt en 1940 en Normandie et est issue d’une famille ouvriere(ses parents tiennent un cafe-epicerie), elle quitte Lillebonne pour faire sesetudes superieures a Rouen. Apres avoir enseigne le francais a Annecy et enregion parisienne, elle decide de s’installer dans une ville-nouvelle, enl’occurrence a Cergy-Pontoise, en 1976. Le Schema Directeur d’Amenagementet d’Urbanisme de la Region de Paris prevoit le developpement polycentriquede la region en raison de la croissance demographique4 et c’est ainsi que Cergy-Pontoise est creee en 1969 : « Arriver dans un lieu sorti du neant en quelquesannees, prive de toute memoire, aux constructions eparpillees sur un territoireimmense, aux limites incertaines, a constitue une experience bouleversante »(7) comme ne manque pas de le constater Annie Ernaux dans l’avant-propos deson Journal du dehors redige a posteriori (en 1996). La banlieue est situeegeographiquement dans un autre monde et Ernaux assimile ce nouvel espace aun no man’s land a propos duquel elle entreprend d’ecrire.

Le texte en soi s’ouvre directement sur l’espace et les entrees de lapremiere partie de Journal du dehors – 1995 – nous transportent d’un lieu a unautre : au parking couvert, dans le quartier des Linandes, dans le train vers lagare Saint-Lazare, au supermarche et au centre commercial, dans les rues autourdu centre commercial, puis dans le train a deux reprises, nous ramenent placedes Linandes, nous conduisent ensuite a la boucherie, dans le metro parisien,dans un grand magasin du centre commercial, et enfin a la gare de la villenouvelle. Ainsi le temps s’exprime en termes d’espace : ce n’est pas le passaged’un lieu a un autre qui compte, mais bien le lieu en soi au depart pour lapremiere annee. Annie Ernaux s’interesse a l’architecture de la banlieue et auxinfrastructures ainsqu’a la mise en place de la distance geographique toutd’abord entre la ville-centre et la banlieue par le biais, surtout, des nombreuxinstantanes devolus aux transports en commun, mais cette distance geometriqueen revele une autre : culturelle. Il est impossible de se reconnaıtre au sein de lasociete telle qu’elle est presentee, principalement par les medias et de faconinstitutionnelle, ce qui est relayee par certaines entrees, notamment cellesconcernant la galerie d’art parisienne, le cours de francais a Nanterre, ou encore

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la conference d’un auteur celebre. Ce nouvel espace sert, d’une certainemaniere, de representation metonymique de sa culture, certaines entrees etantseulement devolues a sa description en tant qu’il est habite :

au bas des lotissements de maisons clean, roses, creme, avec des volets verts(une petite fille ouvrait ceux d’un rez-de-chaussee et je voyais des plantes,des fauteuils en rotin a travers la baie), separe de cette zone urbanisee parune rue bordee de pelouses, commence un terrain vague, avec des bosquets,quelques maisons abandonnees, un sentier creuse de fondrieres rempliesd’eau. Il y a des objets jetes partout, dans les broussailles, sur les bords dusentier. Un papier de sables hollandais Spirits, une bouteille cassee de Coca-Cola, des emballages de biere, la Gazette-Telex, un tuyau de fer, desbouteilles de plastique aplaties, une matiere blanche avec des cloques –peut-etre du carton detrempe – comme un amas de roses des sables.Cet endroit desole est donc constamment frequente, mais a des heuresindefinissables, plutot nocturnes sans doute. Signes de presences accumules,de solitudes successives. Signes surtout alimentaires, mais on ne vient pasla d’abord pour manger, mais pour s’isoler, a deux ou en petit groupe. Il estnaturel de jeter les boıtes et les papiers dans cet endroit sauvage, remporterses traces est un geste du surmoi civilise. (26–27)

Il ne s’agit pas d’une description directe, ce sont davantage des traces, lesempreintes laissees par les banlieusards, ce qui participe a creer une memoirecollective, permettant de se reconnaıtre au sein de la societe. La deuxiemeperiode, en l’occurrence l’annee 1986, s’attache d’ailleurs aux habitants de labanlieue, tels un aveugle chantant dans le metro, la caissiere du supermarche, ouencore une estheticienne et les passagers du train. Il existe donc une distancespatiale et culturelle, mais comment reduire l’ecart ? Ne plus mettre la banlieueentre parentheses ?

Les titres des deux textes ernaussiens devolus a la banlieue, Journal du dehorsqui s’interesse a la periode de 1985 a 1992 et La Vie exterieure couvrant les anneesde 1993 a 1999, ne manquent pas d’insister sur l’espace en soi, en dehors de soiegalement : « l’intime est encore et toujours social, parce qu’un moi pur ou lesautres, les lois, l’histoire ne seraient pas presents est inconcevable » commeAnnie Ernaux le precise dans son long entretien, L’Ecriture comme un couteau, avecPierre-Yves Jeannet (152). Annie Ernaux brouille la distinction entre l’interieuret l’exterieur, elle conserve pourtant un tant soit peu la forme du journal enoffrant des entrees comparables a celles d’un journal intime. Le texte estponctue de parentheses metatextuelles plus ou moins longues – incluses entreparentheses justement – servant dans un double mouvement a affirmer et ainfirmer l’appartenance a cet espace. Il s’agit d’ouvrir la voie au reel pour que lelieu urbain absent devienne le lieu quotidien de la litterature. Si Annie Ernauxsouhaite faire part de cette realite, elle doit s’imposer en tant qu’auteure et,

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pour ce faire, la voie qu’elle a trouvee consiste a profiter de son role d’ecrivainet, par-la meme a asseoir sa position de dominante (Bourdieu). Annie Ernauxfait entrer les banlieusards dans la litterature, mais ils se voient rejetes a saperipherie. Il faudrait non seulement se donner les moyens d’acceder auxbanlieues, ces nouveaux espaces, mais aussi donner un droit de citer auxbanlieusards donc ouvrir la voie et leur donner une voix.

Faıza Guene naıt en 1985 a Bobigny de parents algeriens (d’Oran) et grandita Pantin, en banlieue parisienne donc, avant d’entamer des etudes de sociologiea Paris VIII (a Saint-Denis). Depuis l’age de huit ans, elle vit dans la cite desCourtillieres (a Pantin). Kiffe kiffe demain propose une vision de la cite et suitl’itineraire d’une beurette sur deux annees scolaires. C’est l’histoire de Doria,quinze ans, qui habite en banlieue, a Livry-Gargan (en Seine-Saint-Denis), avecsa mere, Yasmina, femme de menage dans un hotel Formule 1 de Bagnolet, ouon l’appelle « la Fatma ». Le pere est absent, les ayant quittees pour une autreepouse au Maroc. Doria, la narratrice, vit dans un HLM et raconte sonquotidien et les personnages qui en font partie : Hamoudi, un grand du hall 32,qui recite des poemes de Rimbaud, Samara qui habite au onzieme etage et queson frere suit partout, Nabil qui l’embrasse un soir ou encore les professeurs etl’assistante sociale. La narratrice de Kiffe kiffe demain, Doria, decrit directementla banlieue :

Le gardien de nos immeubles, il s’en fout de l’etat des tours on dirait.Heureusement que des fois Carla la femme de menage portugaise nettoie unpeu. Mais quand elle vient pas, ca reste bien degueulasse pendant dessemaines, comme ces derniers temps. Dans l’ascenseur, y avait de la pisse etdes mollards, ca sentait mauvais, mais on etait quand meme contentes queca marche. (36–37)

La langue utilisee par Faıza Guene est un langage a part avec son systeme lexical,semantique, et syntaxique. C’est un francais moderne infuse de verlan : « elle estperspicace comme meuf » (11). Cette langue urbaine inventive est souventsubversive. D’ailleurs la reaction politique face a un tel phenomene culturel estde se plaindre que le verlan denature la langue et divise la France5 ; il y a undouble mouvement de specialisation et de banalisation culturelle. Qui plus est,Faıza Guene utilise des mots d’arabe : « C’est fini, c’est plus kif-kif demaincomme tu me le disais tout le temps ?. . . » (187) et c’est le cas des le titre.L’expression kif kif daterait de 1867 et aurait ete empruntee a l’arabe maghrebinet ramenee en France par les soldats des armees d’Afrique du Nord ; c’est undedoublement du mot arabe kif qui signifie comme ou pareil ; quant au verbekiffer, il deriverait de l’arabe et viendrait d’abord de la preparation de certainesfeuilles de cannabis pour ensuite servir a referer au plaisir procure en le fumant,et signifie a present aimer.6 Le texte renvoie donc a son propre espace et lalangue de devenir le gage de l’identite ou, tout au moins, de l’appartenance,

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c’est-a-dire une facon de creer une certaine unite face au rejet et a la peur de laFrance dominante.

Le titre du deuxieme roman de Faıza Guene, Du reve pour les oufs, releve decette meme demarche meme si cette fois-ci certains mots sont litteralementtraduits non pas dans le texte, mais a sa peripherie, par le biais de notes de basde page : « Miloudi, c’est un vieux de la vieille. Il tient la mission locale de lacite de l’Insurrection depuis des annees et a du voir defiler tous les cassosdu secteur » (8), le terme « cassos » etant suivi d’un asterisque et il est precise :« cas sociaux ». Dans la replique : « Tu fais pitie, miskina ! » (16), le derniermot est en italique, ce qui laisse d’emblee envisager qu’il s’agit d’un terme apart, et est de surcroit suivi d’un asterisque renvoyant a une note de bas de pagequi stipule « ‘la pauvre’ en arabe ». Ces traductions figurent la frontiere entrel’interieur et l’exterieur de la banlieue tout en mettant en parallele deux languesafin d’initier un dialogue. Certains mots ou expressions arabes, telles que« starfoullah », « que dieu nous preserve » (111), « ce chetane » « diable » (121),« naal chetane », « le diable soit maudit » (129), « habs », « prison » (134), ouencore « belaani », « du style » (156) sont donc en italiques, ce qui ne manquepas de souligner leur etrangete et par la-meme leur non appartenance a la languedominante, et supple par des notes de bas de page. D’autres termes, nonetrangers, sont egalement annotes comme par exemple l’expression « Mafamille de crevards » (17) pour laquelle le terme « radins » figure entreguillemets en bas de page, rendre le langage inaccessible accessible. Lorsque lanarratrice raconte son experience aux controles douaniers a l’aeroport, « lapetite bonne femme arrive d’un pas decide, le moustachu lui parle dans l’oreille– a ce que je vois ils veulent la jouer ‘screde’ » (190), la note pour « screde »precise « discret en verlan », comme si les paroles – et c’est bien ce dont ils’agit ici avec les guillemets – ne pouvaient etre comprises au dehors, et celamarque la difference. Pourtant d’autres phrases pouvant sembler problema-tiques, telles que « C’est pour ca que maintenant, chez moi, on a mis laparabole. Ca nous a sauve la vie parce qu’a la tele francaise, ils kiffent trop defoutre des meufs a poil pour un oui ou pour un non » (17), sont laissees tellesqu’elles ; il existerait donc une zone de permeabilite et les banlieusardspourraient parvenir a se faire entendre. A preuve les livres de Faıza Gueneont eu du succes : Kiffe kiffe demain s’est vendu a plus de 300.000 exemplaires eta ete traduit dans plus de vingt pays ; l’interieur et l’exterieur pourraient donctrouver un terrain d’entente.

Les Gens du Balto donne la parole au gens du Balto, potentiels temoins de lamort du patron du bar-tabac ayant ete retrouve baignant dans son sang et « Cachange de voir un fait divers sans rapport avec la banlieue ou l’immigration.D’habitude, a part pour les accidents de la route, y a toujours un lien, memes’il est subtile » (100). Il y a un souci de s’eloigner des informationssensationnalistes. Ce roman polyphonique utilise le meme pot-pourri langagier,mais il n’y a pas de notes de bas de page. Les termes sont explicites par

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les narrateurs eux-memes comme s’ils etaient conscients que ce qu’ilsdisent pouvait ne pas etre comprehensible pour certains. Ceci correspond al’affirmation de leur identite et au desir de penetrer l’espace francais d’une partet, d’autre part, il s’agit de faire passer un message or, l’utilisation de ces deuxsystems langagiers pourrait egalement creuser Pecart.

Les textes d’Annie Ernaux et de Faıza Guene pourraient etre caracterises deparadigme sociopolitique base sur la tension entre l’interieur et l’exterieur.La societe francaise contemporaine est toujours empreinte de neo-colonialismeet le pouvoir n’est pas pret a reconnaıtre les textes litteraires qui se passentdans les banlieues sauf comme des textes exotiques, etranges, voire tabous.La peur des banlieues, c’est d’abord la peur que la societe eprouve a l’egardd’elle-meme, une peur qu’une partie de ses membres tente d’exorciser par lerejet de l’autre (Rey). Cette peur va de pair avec la mondialisation, phenomenemultiple ayant une dimension economique, sociale, culturelle, et religieuse ;c’est la combinaison de l’universalite et de la suppression des frontieres d’unepart et, d’autre part, le renforcement des frontieres intranationales et laparticularisation, voire la stigmatisation. D’ailleurs il semblerait qu’a gauchecomme a droite, les politiques et les elus se refusent au Grand-Paris : unemetropole parisienne qu’on oppose souvent de nos jours au Petit Paris, c’est-a-dire Paris intra-muros – le Paris des 20 arrondissements. L’opinion semblepourtant favorable a un tel projet et on a vu fleurir recemment le magazineMegalopolis mag, le journal du tres Grand Paris. C’est dans cette optiquequ’Europe-Ecologie, qui avait pour tete de liste en Ile-de-France Cecile Duflot,a amene le tete de liste (et depuis peu l’elu) socialiste et president sortant de laregion, Jean-Paul Huchon, a accepter l’accord programmatique Ile-de-Franceconcernant les transports en commun et la mise en place d’une carte detransport a tarif unique permettant de « developper, en meme temps que lamodernisation et l’extension du reseau, le sentiment d’appartenance regionale »(Duflot). Ainsi cette mesure symbolique pourrait prefigurer la creation d’unemetropole reunifiee autour de ses transports dans un souci de « redonner a toutle monde, sa place dans la metropole ! » (Duflot) et, au-dela, ouvrir le debat surla question de la gouvernance meme s’il ne s’agit peut-etre que d’uneinstrumentalisation du Grand-Paris en periode electorale.

Notes

1 De 1950 a 1965, le nombre de logements construits chaque annee passe de50.000 a plus de 550.000.

2 Selon le recensement de 1811, Paris compte 623.000 habitants.3 Certains sociologues francais, Christian Bachmann et Luc Basier, parlent

meme de « stigmates territoriaux » pour referer a ces espaces (45).

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4 Plan mis en place par Paul Delouvrier delegue general au District de laRegion de Paris entre 1961 et 1969 et qui se deroule dans le cadre juridiquede l’Operation d’Interet National (ONI) allant de pair avec la creation,au niveau local, d’Etablissements Publics d’Amenagement charges desdifferentes etapes (de l’elaboration des projets urbains aux achats fonciers).

5 La culture des banlieues est devenue a la mode avec l’usage du verlan, relayepar certains artistes tels NTM ou Diam’s dans le domaine musical ou DjamelDebouze chez les humoristes.

6 Ce terme a ete popularise avec la chanson a succes de la chanteuse Diam’s« DJ » qui repete « laisse moi kiffer la vibe avec mon mec », largementdiffusee sur les antennes francaises et, l’album dont le morceau est extrait,Brut de femme, recoit la Victoire de la musique du meilleur album rap/hip hopde l’annee en 2004.

Works Cited

Bachmann, Christian and Luc Basier. Mise en images d’une banlieue ordinaire:stigmatisations urbaines et strategies de communication. Paris: Syros/Alternative,1989. Print.

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Anouk Alquier is a lecturer at Smith College where she teaches language, culture, and

literature courses at all levels, including a course on the French banlieues. She

specializes in contemporary French literature—with a special focus on first person

narratives—and culture, especially pop culture.

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