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LA CARAIBE MONDIALISATION - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782707611697.pdf · (Union européenne, ALENA, MERCOSUR, etc.) de la transnationalisation des firmes, dont

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LA CARAIBE FACE AU DEFI

DE LA MONDIALISATION

Sous la direction d'Emmanuel JOS et Danielle PERROT

LA CARAIBE FACE AU DEFI

DE LA MONDIALISATION

MARCHES ET NATIONS

DANS L'AIRE CARAIBE/AMERIQUE

A c t e s d u c o l l o q u e d e S c h œ l c h e r ( M a r t i n i q u e )

d e s 3 e t 4 a v r i l 1 9 9 7

C R P L C - U P R E S - A C N R S 8 0 5 3 CENTRE DE RECHERCHE SUR LES POUVOIRS LOCAUX DANS LA

CARAÏBE DE L'UNIVERSITE DES ANTILLES-GUYANE UNITE DE RECHERCHE ASSOCIEE AU CNRS

C E D I N - P A R I S 1

C A H I E R S I N T E R N A T I O N A U X

Montchrestien

DANGER LE

PHOTOCOPILLAGE TUE LE LIVRE

© 1999, Editions Montchrestien, E.J.A., 31. rue Falguièrc. 75741 Paris Cedex 15

ISBN : 2-7076-1 169-7

SOMMAIRE

Présentation générale

Rapports introductifs

Première partie L A V O I E D E S R E G R O U P E M E N T S E N D O G E N E S

Chapitre 1 : Coopération et intégration régionales caraïbes à l'épreuve de la mondialisation

Chapitre II : Départements français d'Amérique coopération et intégration régionales

Rapport de synthèse

Deuxième partie L A V O I E D E S P A R T E N A R I A T S E X T E R I E U R S

Chapitre 1 : La Caraïbe et l'Union européenne

Chapitre II : La Caraïbe et les autres Amériques

Rapport de synthèse

PRESENTATION GENERALE

P h i l i p p e M A N I N Professeur à l'Université de Paris I

1

Durant l'année universitaire 1992-93, l'U.F.R. « Etudes inter-

nationales et européennes » de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne a organisé, grâce à un financement particulier accordé par le Ministère de l'Education nationale dans le cadre de l'appel d'offres relatif à la « recompo- sition du champ juridique », un séminaire sur le thème « Marché et Nation ».

Ce séminaire, pluridisciplinaire, a permis de recueillir les contribu- tions d'un philosophe, de deux historiens, d'un géographe, de trois économistes et de sept juristes.

Il a donné lieu à la publication d'un ouvrage, sous la direction du Profession Brigitte STERN, qui avait été le maître d'œuvre du séminaire, sous le titre « Marché et Nation : regards croisés » (publications du CEDIN-Paris I, Perspectives internationales n° 8, Montchrestien, Paris, 1995).

Le « triumvirat » (Brigitte STERN, Patrick JUILLARD et le soussigné) qui avait été à l'origine de la conception du séminaire, avait considéré, dès l'origine, que la suite logique de celui-ci, qui s'était borné à établir le cadre conceptuel général, devait être constituée d'études « régionales » ayant pour objet de rechercher, comment, dans un cadre géographique, historique, politique et humain donné, avaient pu se confronter, se combiner, voire se fondre, le « marché » et la « nation ».

Il fallait, pour cela, trouver des aires dans lesquelles des Etats et des peuples étaient à l'œuvre pour constituer un ensemble tendant à les englober et à les dépasser et dans lequel, nécessairement, la « nation », expression de l'individualité et du particularisme, devrait s'accommoder d'une certaine limitation des souverainetés.

Il faillait aussi rechercher si et dans quelle mesure la constitution d'un « marché » plus vaste que celui de chacune des composantes de l'ensemble constituait l'une, voire la principale, des explications du phénomène.

Comme il ne s'agissait pas de faire des études historiques, des exemples aussi intéressants que les Etats-Unis d'Amérique, le Canada ou l'Empire allemand ne faisaient pas partie du champ d'investigation.

Comme la « construction européenne» en cours depuis 1950 paraissait déjà trop étudiée, comme l'Asie ne semblait en être qu'à un stade trop peu avancé de la construction d'un ensemble ou de plusieurs ensembles « supranationaux », comme les recompositions en cours dans l'ensemble Europe orientale-Asie occidentale paraissaient encore peu intelligibles, il ne restait plus qu'à se concentrer sur deux « régions » : l'Amérique latine et la Caraïbe.

A beaucoup d'égards, l'Amérique latine, tant en raison de l'ancienneté et de la diversité de ses expériences que de la vigueur actuelle de l'une de celle-ci, le « MERCOSUR », paraissait devoir être retenue en priorité.

Mais la Caraïbe, moins connue, probablement plus « multiculturelle » et plus diverse, dans la zone d'attraction de l'Amérique du Nord mais ne voulant pas oublier et même voulant renforcer ses liens avec l'Europe, dont la transformation en « Union européenne » faisait oublier que se trouvaient là les anciens colonisateurs, constituait aussi un objet d'éude particulièrement attirant.

De plus, la réalisation de l'étude dépendait de l'association de l'équipe de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne à un partenaire local compétent, intéressé et disponible.

Or, la chance a voulu que ce partenaire existât à l'Université Antilles- Guyane sous la forme du Centre de Recherche sur les Pouvoirs Locaux dans la Caraïbe (CRPLC) sis à Schœlcher.

Avec le soutien du Président de l'Université, Jean-Claude WILLIAM, du Doyen de la Faculté de droit et d'économie, Philippe SAINT-CYR, le Directeur du Centre, Justin DANIEL, a accepté d'apporter au projet, non seulement une aide matérielle déterminante, mais surtout le concours d'une équipe de chercheurs et d'enseignants particulièrement déterminante, mais surtout le concours d'une équipe de chercheurs et d'enseignants particulière- ment qualifiés par une connaissance approfondie de la région et de ses

problèmes et d'un réseau de correspondants dans plusieurs organismes et universités de la région et au-delà de celle-ci.

Le projet a aussi bénéficié des concours de l'Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de l'Université des Antilles et de la Guyane, des communes de Schœlcher et du Lamentin, du Conseil général de la Martini- que, des Conseils régionaux de Martinique et de Guadeloupe, de la Commission pour l'Etude des Communautés Européennes, de la Chaire Jean Monnet de la Martinique, de la Communauté Européenne, du SERMAC et de l'ARDTM, du FIC et du Ministère de l'Education Nationale.

Emmanuel JOS et Danielle PERROT ont accepté d'être les maîtres d'oeuvre du projet. Grâce à eux, un colloque, magnifiquement organisé dans le cadre merveilleux de la Faculté de Droit et d'Economie de Martinique, a pu être tenu les 3 et 4 avril 1997. Grâce à eux à nouveau et à leurs collaborateurs, le manuscrit qui sert de base à la présente publication a pu être établi.

RAPPORTS INTRODUCTIFS

REFLEXIONS SUR L'ECONOMIE GLOBALISEE

ET L'ETAT-NATION

Panayotis SOLDATOS

Professeur, titulaire de la Chaire Jean Monnet Université de Montréal

On a political map, the boundaries between countries are as clear as ever.

But on a competitive map, a map showing the real flows of activity, those boundaries have largely disappeared.

K. OHMAE, « Managing a borderless World », in Harvard Business Review, May-June 1989

En guise d'introduction, il convient d'insister ici sur un aspect concep- tuel essentiel de l'analyse de l'évolution du système économique inter- national, celui du choix entre mondialisation et globalisation. A cet égard, il ne s'agit pas d'une coquetterie sémantique, mais plutôt d'une question de fond, dans la mesure où la clarté conceptuelle permet de mieux cerner les dimensions essentielles des phénomènes étudiés.

Dans le cadre de cette réflexion, nous nous proposons d'inscrire notre propos sous l'enseigne du terme globalisation plutôt que sous celle de la mondialisation. En effet, la mondialisation renvoie à un phénomène des années 1960 et 1970 ainsi que de la première moitié des années 1980, pério- des durant lesquelles, sous l'action des firmes multinationales et de leurs

filiales à travers le monde, on tissait des liens économiques, surtout commer- ciaux (échanges de biens et, à un moindre degré, de services), attirant dans leur sillage la plupart des pays d'une économie libérale et créant, entre eux, des liens d'interdépendance. En revanche, la globalisation qualifie un phéno- mène de la seconde moitié des années 1980 et de la présente décennie : les économies nationales s'intègrent, sous l'action, d'une part, des firmes trans- nationales, dont les filiales se multilocalisent et connaissent un plus haut degré d'indépendance de leur société-mère que celui des filiales des firmes multinationales, et, d'autre part, des communications (transports, télécommu- nications), d'une portée technologique globale et accessibles, d'un point de vue technologique toujours, même à des collectivités géographiquement périphériques. Outre ces caractéristiques propres à la globalisation, trois manifestations, considérées ici de façon cumulative, s'ajoutent à la spécificité de la globalisation par rapport à la mondialisation. Il s'agit du processus de libéralisation-intensification accélérée des échanges (biens, services, facteurs de production) du développement des intégrations régionales internationales (Union européenne, ALENA, MERCOSUR, etc.) de la transnationalisation des firmes, dont les stratégies et flux perforent les frontières économiques de l'État-nation, provoquent un découplage du politique de l'économique, génèrent une érosion du politique.

I - L E S C O N T O U R S E S S E N T I E L S

D E L ' E C O N O M I E G L O B A L I S E E

A - Processus de libéralisation-intensification accélérée

des échanges

1 - Le processus de libéralisation-intensification accélérée des échanges (biens, services, capitaux), manifesté tant sur le plan des relations transnationales que sur celui des relations d'une institutionnalisation inter- étatique, globale (GATT/OMC) ou régionale (CE, ALENA, ANASE, etc.), a perméabilisé, voire perforé les frontières de l'Etat-nation en termes de souve- raineté économique. Il en découle (certes, à côté des aspects positifs pour les relations internationales et le développement économique) une remise en question de la légitimité d'un cordon extérieur souverain de démarcation politique, économique, sociale ou culturelle et, surtout, une incapacité fonctionnelle croissante de l'Etat-nation dans des sphères telles que l'orien- tation-planification (en termes de priorités de contenu et de moyens) du

développement économique, la régu la t ion monétai re , la promotion commerciale, la protection sociale, les arbitrages sociétaux.

2 - D'aucuns y voient un processus d'interdépendance internatio- nale pouvant, s'il est adéquatement encadré par des règles et par des instan- ces internationales appropriées et efficaces, générer des richesses élargies et une plus grande dissémination du développement économique.

Quant à nous, et sans nier cette vision optimiste des choses, force nous est de constater que, devant l'absence de réelle « gouvernance » inter- nationale, d'homogénéité culturelle, de symétrie et d'équilibre de dévelop- pement économique et social, de contrôle démocratique suffisant de la mouvance transnationale (flux, stratégies de firmes, etc.), cette perforation et ce « débordement » de l'Etat-nation réduisent considérablement sa capacité fonctionnelle et ses rôles sociétaux, hypothéquant, du même souffle, sa légi- timité d'existence structurelle-fonctionnelle.

B - Déploiement transnationalisé des firmes

Les stratégies internationales de déploiement transnationalisé des firmes (phénomènes de délocalisation, de relocalisation, de multilocalisation) provoquent des flux de biens, de services, de personnes, de capitaux et de savoir qui échappent, de plus en plus, aux logiques et au contrôle de l'Etat- nation et de ses institutions ; elles impliquent, par ailleurs, fort souvent, un déficit démocratique, des déficits commerciaux, des « dumping » sociaux, des fuites de ressources (investissement à l'étranger, non-rapatriement de certains gains, etc.). Aussi empêchent-elles l'Etat-nation d'assumer, avec efficacité et « rentabilité », ses rôles micro-économiques et macro- économiques et ses fonctions de protection sociale, et, par ailleurs, ajoutent- elles, dans nombre de cas, des éléments de « cacophonie » dûs aux « many voices phenomenon » (acteurs sous-nationaux, nationaux, internationaux, supra-nationaux, transnationaux).

C - Processus d'intégration régionale internationale

Les obstacles quantitatifs (grand nombre de pays) et qualitatifs (hétérogénéité systémique) auxquels se heurte la coopération internationale globale (ONU, OMC, etc.), d'une part, la présence de solidarités socio-

économiques plus fortes au sein de partenaires d'une plus grande proximité géographique, historico-politique et culturelle, d'autre part, ont scellé le sort prometteur des intégrations régionales internationales d'ordre socio- économique (Union européenne, ANASE, ALENA, MERCOSUR, etc.). On y trouve une démarche de « régionalisation », c'est-à-dire d'application dans une aire régionale de logiques qui ont conduit à des coopérations inter- nationales globales aux carences structurelles-fonctionnelles déjà mention- nées. De façon plus précise : on y réglemente et codifie une libéralisation régionale des échanges socio-économiques ; on s'y assure permanence, cohésion et harmonie par un complément institutionnel ; on y développe, progressivement, une approche commune face au global. En somme, il s'agit ici d'un processus d'assainissement régional de l'Etat-nation, en carence structurelle-fonctionnelle.

Parmi les diverses zones d'intégration régionale internationale, celle des Communautés européennes est la plus avancée. On y trouve en effet :

- l'ouverture des frontières socio-économiques nationales et la création d'un espace européen intégré, c'est-à-dire de libre circulation des biens, des services et des facteurs de production,

- la mise en commun de droits souverains dans certains domaines

d'intervention socio-économique, en vue du rapprochement, de l'harmo- nisation, voire, dans certains cas, de l'unification des politiques afférentes,

- l'établissement d'un système juridico-institutionnel supra- national capable de formuler, d'adopter, d'exécuter et de faire respecter les règles communes régissant cet espace intégré, et cela de façon rapide, cohérente, efficace, équitable, démocratique,

- l' insertion juridique et, plus tard, politique, du citoyen dans ce système intégré, par la création, en vertu de l'ordre juridico-institutionnel des Communautés européennes, de droits et obligations sur le chef des personnes physiques et morales des Etats membres (applicabilité directe et effets directs du droit communautaire, primauté du droit communautaire sur le droit national, recours devant la Cour de Justice des CE, citoyenneté européenne, etc.),

- l'établissement, dans le cadre de ce processus d'ouverture écono- mique des frontières nationales et d'intégration économique progressive de l'espace européen, de mécanismes d'élaboration et de mise en œuvre de poli- tiques communes d'accompagnement de la libéralisation des flux écono- miques, dans le but de corriger les asymétries socio-économiques initiales et

à venir au sein des partenaires de l'intégration (États membres, régions, secteurs économiques et sociaux, etc.),

- la conception, enfin, et la mise en œuvre d'un mécanisme juridico-institutionnel et économique de dépassement des crises au sein du système ainsi que d'engrenage de fonctions et d'interdépendance d'intérêts, susceptible de conduire les Etats membres de cet espace socio-économique libéralisé vers des phases plus avancées d'intégration économique, voire, ultérieurement, politique (« spill-over »).

II - L 'ETAT-NATION FACE A L 'ECONOMIE GLOBALISEE

1 - La crise structurelle-fonctionnelle de l'Etat-nation dans ce dernier quart de siècle, avec ses phénomènes de fragmentations internes et de débordements-perforations externes, a introduit, dans le débat prédictif, un large éventail d'options-prévisions en matière d'évolutions-aboutissements : elles vont du scénario apocalyptique du déclin-obsolescence-dépérissement de l'Etat-nation à celui de son rétablissement-modernisation (« mieux d'Etat »), en passant par les thèses intermédiaires d'altération-rétrécissement (« moins d'Etat », « Etat déménagé », etc.).

2 - Quant à nous, nous pensons pouvoir retenir, ici, notre scénario de l' Etat rénové ou, mieux, de l'Etat métamorphosé.

En effet, cette position est sous-tendue à la fois par la capacité déjà démontrée de survivance systémique de l'État-nation et par la gravité de la crise qui le secoue et qui devrait lui dicter des mutations profondes.

La survivance systémique de l'Etat-nation s'appuie : sur le long processus de socialisation de l'individu au cadre étatique, aussi bien utilitaire (distribution de valeurs systémiques, matérielles et immatérielles) qu'affectif (attachement culturel et politique) ; sur l'optimalité du cadre étatique en matière d'accomplissement de certaines fonctions sociétales essentielles ; sur la difficulté d'organiser sa succession par un cadre régional supranational ou, beaucoup moins, mondial.

Comme le souligne si bien Raymond BARRE, « l'Etat-nation est une idée d'avenir, car il est à la fois facteur d'intégration sociale et garant de l'identité de chacun dans un espace légué par l'Histoire à l'échelle des problèmes que rencontre notre société... [car il peut] établir une relation

unique et enracinée avec chaque citoyen1. »

A - La permanence du cadre utilitaire et affectif de l'Etat-nation

1 - Un creuset identitaire

L'Etat-nation est dépositaire d'un héritage « de valeurs, de mémoire, de mœurs, de grands textes, de références culturelles enseignées et trans- mises, sans lequel il n'est pas de communication, donc pas de société possible2 ». Dans un monde multinational, donc hétérogène, et dans un système international privé encore de « gouvernance » mondiale, chaque héritage national a grandement besoin du cordon protecteur de l'Etat-nation et aussi de son rôle de promotion.

2- Une police d'assurance face aux nationalismes de domination

Dans un monde où les systèmes de sécurité collective, globaux ou régionaux, sont loin d'être efficaces et d'une structuration égalitaire ou, au moins, symétrique, l'Etat-nation, malgré ses incapacités, est chargé de l'exer- cice d'une fonction de maintien de la nécessaire cohésion et de l'indis- pensable consensus internes, en vue de pouvoir endiguer les vagues externes d'érosion de son tissu sociétal, seul ou en alliance.

3 - Une force d'ordre public et d'arbitrages sociaux

Sans le cadre étatique et sa colonne vertébrale institutionnelle, il serait impossible de réussir à articuler et à agréger les divers intérêts sectoriels et territoriaux (économiques, sociaux, culturels, politiques, etc.). Aucune

1. Dans C. PHILIP et P. SOLDATOS dir., Au-delà et en deçà de l'Etat-nation.

Bruxelles, Bruylant, 1996, p. 12.

2. A.-G. SLAMA, « La nation est morte, vive la nation », Le Figaro. 11-12 mai 1996.

« spontanéité » ne serait, à cet égard, opérationnelle et capable d'appliquer l'arbitrage de l'intérêt général.

Par comparaison, les cadres internationaux, régionaux et globaux, souffrent de leur gigantisme, faiblesses institutionnelles, carences décision- nelles, hétérogénéité de composition, asymétrie de partenaires, « flous » de communication, déficit démocratique ; aussi ne peuvent-ils pas se substituer efficacement à ces rôles de l'État-nation. Tout au plus, ils lui fournissent une aire d'action supplétive, encore qu'en difficulté d'articulation.

4 - Une protection face au chaos planétaire du marché global

La globalisation de l'économie a fait reculer les frontières de l'éco- nomie nationale, instauré un processus de « californisation » des modes de vie et de déstructuration des tissus sociaux des Etats-nations, affaibli la Répu- blique, transnationalisé, pire dilué les responsabilités sociétales ; elle menace de réduire le citoyen aux rôles de producteur et de consommateur.

Or, devant ce flou du global et du transnational, l'Etat-nation, qui en subit les effets de crise structurelle-fonctionnelle, conserve encore, bien que « rétréci », un patrimoine institutionnel et de ressources, un réservoir de « vouloir vivre collectif » et des sentiments d'appartenance, lui permettant de défendre le citoyen face à ce processus de concassage-dilution. A cet égard, les réactions « anti-Maastricht » des peuples européens, au-delà de leurs sources de « désinformation » et de déficit de communications, comportent les manifestations de ce malaise devant certaines logiques économiques de «hyper-compétitivité» et de « moins d'Etat» et devant le danger d'une dérive des Etats-nations par et vers le transnational. En fait, on observe que, plus il y a du transnational et du planétaire, plus il y a du national et de l'éta- tique (ou du sous-étatique), réflexe humain de protection culturelle et socié- tale et de maintien d'une légitimité démocratique qui risque de s'évaporer dans le concassage de la Cité en individus producteurs-consommateurs- soumissionnaires, sous-contractants-gérants, dans le « techno-apartheid »3 global et dans la fluidité du transnational.

3. L'expression est de Riccardo PETRELLA.

B - Les limites du processus de substitution à l 'Etat-nation d 'une structure internationale

Nous avons déjà, dans ce qui précède, exposé les logiques-finalités fonctionnelles de l'Etat-nation. Or, force nous est de constater qu'elles ne peuvent pas, en l'état actuel et prévisible des choses, être relayées par des structures internationales, surtout lorsque celles-ci sont secouées par leurs propres dysfonctions et par les pressions que sécrète le système international, maintenant transnationalisé et globalisé.

1 - L 'hétérogénéité de la communauté internationale

Sous-tendue, entre autres, par des différences quantitatives et, surtout, qualitatives du niveau de développement socio-économique, par des asy- métries de taille et de puissance, par des incompatibilités institutionnelles et. plus généralement, systémiques des élites au pouvoir, par des différences culturelles et nationales, cette hétérogénéité hypothèque l'avènement d'une vraie « gouvernance » internationale, que celle-ci soit régionale- transrégionale (voir, par exemple, les cas de l'ALENA, de l'ANASE. du MERCOSUR, de l'OSCE) ou mondiale (voir, notamment, le cas du GATT/OMC). pouvant relayer plus efficacement l'Etat-nation dans la plupart de ses fonctions. Au contraire, et au-delà de certaines activités de régulation des échanges et de diffusion des conflits, l'Etat-nation reste l'élément moteur et les logiques intergouvernementales le substratum de l'organisation internationale.

Même dans le cas européen, l'hétérogénéité accrue de l'Europe des Quinze, par rapport à celle des Six, contribue aux paralysies actuelles et hypothèque la marche vers un système réellement supranational, voire fédéral.

2 - Le découplage entre la souveraineté économique et la souveraineté politique

Depuis l'avènement des marchés communs et des unions économiques partielles, d'une part, de la globalisation de l'économie, d'autre part. la souveraineté économique a connu une profonde érosion au profit d'acteurs supranationaux régionaux, internationaux régionaux et globaux ; en revanche.

la souveraineté politique reste, encore, jalousement aux mains des élites de l'Etat-nation, empêchant, de la sorte, les instances économiques inter- nationales de renforcer leur profil structurel-fonctionnel et d'espérer ainsi une plus large efficacité de relais de rôles par rapport à l'Etat-nation. A cet égard, la CE, qui fut engagée dans un processus d'affranchissement politique, se trouve, aujourd'hui, plongée dans une contestation de la marche vers le fédé- ralisme, des phénomènes même de « renationalisation » du processus y appa- raissant.

3 - Les déficits démocratiques et de communication des instances internationales

Structurées selon des principes qui renvoient beaucoup plus souvent à l'intergouvernementalisme ou, dans le cas de la CE, à des alliages d'inter- gouvernementalisme et de supranationalité, les instances internationales limitent les possibilités de participation démocratique des citoyens (déficit démocratique, déficit de communications). Aussi, et compte tenu de la culture politique de nos démocraties représentatives, est-il difficile, en termes de légitimité, de progresser considérablement dans le transfert de droits souverains à des instances internationales voire supranationales. Même au niveau de la CE/UE, les difficultés actuelles d'un « spill-over » intégratif (CIG) témoignent de ces blocages.

C - Vers un système mixte d'instances internationales interdépendantes, ordonnées autour d'un Etat-nation métamorphosé et réhabilité

Cette prévision est sous-tendue par la persistance, malgré les insuffi- sances structurelles-fonctionnelles évoquées, de certains rôles utilitaires que l'Etat-nation semble pouvoir encore assurer, grâce à l'attachement affectif des peuples à l'idée d'appartenance nationale, aux ressources de légitimité étatique, à la renaissance-résistance des identités culturelles-nationales aux pressions d'un marché mondial, à l'incompréhension, d'un point de vue de culture politique, du fonctionnement, des choix et de la prise de décision des instances transnationales. Le tout est combiné au refus, compte tenu de la logique de subsidiarité, d'un système de « gouvernance » monolithique

(préférence pour plusieurs niveaux de gouvernement et d'acteurs - sous- national, national, supranational, international, transnational - en interaction- i n t e r d é p e n d a n c e e t e n s y n e r g i e d e r ô l e s 4 ) .

Dans ce schéma de plusieurs systèmes d'acteurs en chevauchement, avec des partages, des conflits et des harmonisations de rôles, l'Etat-nation nous semble voué à un rôle-pivot : rénové, métamorphosé (combinant les « moins d'Etat » et « mieux d'Etat »), il se concentrerait à ses créneaux de performance structurelle-fonctionnelle, tout en se prêtant à des participations, à géométrie variable, au sein des instances internationales, à des processus de dévolution interne et de construction externe, régionale et globale, à un « maillage » transnationalisé. L'affirmation de Daniel BELL, « The national state has become too small for the big problems of life, and too big for the small problems », résume cet impératif et cette rationalité pluraliste, multi- forme, multivocale, au sein de laquelle l'Etat-nation reste, comme l'affirme pertinemment E. FRY, « une unité optimale5 ».

4. Pour des éléments additionnels, voir E. H. FRY, « La perméabilisation de l'Etat- nation dans un monde d'interdépendance internationale globale et de mutations sous- nationales », dans C. PHILIP et P. SOLDATOS dir., op. cit., p. 50-52.

5. Ibid., p. 50.

MONDIALISATION, REGIONALISATION

ET L'ECONOMIE CARIBEENNE

F r e d C E L I M E N E

Professeur Université des Antilles et de la Guyane

Mondialisation, régionalisation, intégration ; chacun de ces trois termes est déjà porteur d'ambiguïté, mais leur conjonction pose cependant une question de fond aujourd'hui. Il s'agit de savoir si les processus d'inter- nationalisation de la production des échanges, des mouvements de population et de capitaux et le renforcement des unions économiques à l'échelle conti- nentale (européenne, asiatique ou amérique/caraïbe) vont ou non atténuer les disparités de croissance et les écarts de développement entre les pays constitutifs.

La question certes n'est pas nouvelle, et elle était déjà posée en 1957 lors de la mise en place du Marché commun, mais elle était de nouveau posée en 1973 lors de la signature du traité de Chaguaramas qui donna naissance à la CARICOM : la Communauté caribéenne. En dépit de leurs inégalités en termes de taille ou de puissance économique et commerciale, tous les pays signataires de ces traités escomptaient naturellement des bénéfices signi- ficatifs de la réduction concertée de leurs droits de douane, de l'adoption d'un tarif extérieur commun et d'une harmonisation progressive de leurs poli- tiques. De plus, les théoriciens des Unions douanières de l'époque (Jacob VINE R, James MEADE, Bela BALASSA, Léon DIJQUESNE DE LA VINELLE et François PERROUX) démontraient sans difficulté les gains en bien-être découlant d'une intensification des courants d'échanges commerciaux.

Aujourd'hui, nous sommes entrés dans un monde passablement plus complexe, aux certitudes plus fragiles. Les stratégies des acteurs se mondia- lisent ; la production se délocalise ; pour un même produit fabriqué, la

production se déroule désormais sur des régions, des pays, voire des conti- nents entièrement différents. Toutefois, on assiste simultanément à une globalisation/mondialisation des processus de production et d'échange et à un ancrage dans les savoir-faire et des systèmes productifs parfois étroitement régionalisés, territorialisés.

Par conséquent, il faut d'une bonne dose d'optimisme pour prétendre qu'une union économique et monétaire (Européenne, Asiatique/américo/ caribénne) permettrait d'atteindre l'objectif souligné précédemment : la réduction ou l'atténuation des disparités de croissance et les écarts de développement entre les grandes ou, les petites régions, ou entre les pays signataires de l'union économique. Autrement dit : les économies vont-elles converger ou diverger ? Si la réponse à la question était tranchée dans les années 50 et 60, elle est mitigée aujourd'hui.

Ainsi, avant d'aborder le cas de la Caraïbe à l'épreuve du phénomène de la mondialisation, nous tenterons une approche théorique du processus d'intégration.

1 - UNE APPROCHE THEORIQUE DE L ' INTEGRATION

La notion d'intégration n'est donc pas nouvelle, elle est chargée d'ambiguïté et elle devient encore plus floue quand on y introduit une dimension régionale ou spatiale (Européenne, Asiatique, Caribéenne ou Américaine). L'intégration économique est un processus qui conduit plusieurs économies distinctes à constituer un seul espace économique. Ce processus peut se faire par les mécanismes de marché, mais aussi dans le cadre d'une planification. Les modalités de l'intégration et du processus sont évidemment à préciser, et suivant des protocoles, notamment mathé- matiques, institutionnels ou politiques.

A - La notion d'intégration

Il reste cependant difficile de déterminer une conception claire de l'intégration économique dans la mesure où la notion est historiquement marquée par deux entrées bien différenciées :

- d'un côté la notion d'intégration est liée à la théorie de la firme et à la gestion des entreprises. Ici, les références courantes renvoient aux

thèmes de l'intégration verticale essentiellement, de fusion, d'absorption, de concentration, dont on connaît bien les avantages ;

- d'un autre côté, la notion d'intégration est liée au champ de l'économie internationale. Elle nous renvoie à la thématique des arguments favorables classiques : meilleure allocation des ressources, dimension opti- male des firmes, extension des marchés, abaissement des coûts de produc- tion, etc... C'est l'idée forte qu'un monde sans frontières est, toutes choses égales par ailleurs, globalement bénéfique.

Mais les écarts peuvent au contraire être cumulatifs, comme le démon- trent KRUGMAN (1986) et bien d'autres auteurs, ou comme le prouvent les études d'économétrie positive sur le rythme relativement lent des conver- gences nationales et régionales au sein de l'Union européenne par exemple (environ trente à quarante an en moyenne). Si la convergence se réalisait, elle résulterait d'une conjoncture dans les valeurs de certains paramètres, ou en conséquence d'un effort particulièrement massif sur certains investissements publics d'accompagnement de la croissance comme cela a été constaté dans certaines régions des pays de l'Europe du Sud par exemple.

Le débat théorique sur la convergence des ensembles nationaux et régionaux s'est polarisé depuis quelques temps sur les bénéfices à attendre d'une union économique et monétaire. D'un côté, l'expression des valeurs dans une même unité monétaire supprime les surcoûts liés à la couverture des risques de change, facilitent par la même les arbitrages financiers et flui- difient les échanges. Mais, dans le même temps, elle rend possible presque instantanément et sans coût les transferts de ressources et de capitaux, qui ne manqueront pas de se diriger vers les pays potentiellement les plus développés.

Il est alors à craindre que, selon un processus cumulatif à la MYRDAL, les pays les plus riches deviennent de plus en plus riches en profitant de l'abondance des capitaux, et les pays les plus pauvres deviennent de plus en plus pauvres.

Mais tout dépendra de l'intensité et de l'efficacité correctrices qui seront mises en œuvre par les pays signataires de l'Union et de la Commu- nauté elle-même. Toujours est-il que le point de savoir si, pour un pays quelconque, il vaut mieux être un pays riche dans une communauté pauvre, ou un pays pauvre dans une communauté riche pour maximiser ses chances d'une convergence rapide vers la moyenne, n'est tranché, ni dans la théorie, ni dans l'économétrie positive : la CARICOM est un exemple.

Mais l ' intégrat ion est surtout une modalité, une étape pour aboutir

éventuel lement à l ' issue d ' u n processus plus au moins long à l 'égalité de t rai tement des produits, services ou facteurs, quelle que soit leur provenance ou leur nationalité d 'or igine.

Les voies qui mènen t à l ' intégration sont donc complexes , progres- sives certes, éventuel lement remises en cause, j amais définitives et générales : des protections, des exceptions, des effets de diversion ou de

dé tournement de trafic à la VINER existeront nécessairement. Que de chemin

parcouru entre la CARIFTA de 1968 et l ' intégration des Caraïbes aujourd 'hui

incluant le Suriname, ou encore l'ALENA de 1993 tentant d ' in tégrer la CARICOM dans un proche avenir.

Donc, l ' intégrat ion économique peut-être comparée à un système

d ' éc luses ; l ' in tégrat ion avance et ressemble à Janus aux deux visages : d ' u n

côté elle facilite la circulation, fait converger des niveaux différents, et de

l 'autre elle amorti t ou freine des flux qui, laissés à leur propre force,

pourraient se révéler dévastateurs. En effet, aujourd 'hui les trois Pacifique commercen t entre eux, liés par des accords bilatéraux généralisés, éventuel-

lement par la clause de la nation la plus favorisée. On est ainsi en face de

blocs-écluses plus ou moins intégrés, garantissant avantages internes et rela-

tive protection c o m m u n e contre l 'extérieur.

B - Les f o n d e m e n t s t h é o r i q u e s de l ' i n t é g r a t i o n

L ' intégrat ion, qu 'e l le se fasse dans la zone Europe, Asie-Pacif ique ou

Amér ique Caraïbe, comprend un certain nombre de caractéristiques qui sont les suivantes :

- Tout d ' abord , une centralité déplacée. En effet, que l 'on raisonne

d 'un point de vue monétaire et financier ou par rapport aux systèmes

productifs, la centralité, le pouvoir de commandement des « zones intégra- trices » se sont déplacés vers des lieux que la formulation d 'extra- ou d ' intra- national rend assez mal. Les grandes firmes continuent bien à avoir des sièges

sociaux puissants et les Etats-Nations n 'en tendent pas perdre certaines de

leurs prérogatives. Pourtant, les centralités évoluent ; les marchés financiers

remplacent bien des zones d 'act ivi té sans que l 'on ne sache qui ils sont ni où ils sont : la formule magique de la contrainte des taux d' intérêts, celle qui

évoque les Directives de Bruxelles, par exemple, et détermine des facteurs d ' intégrat ion singulièrement efficaces autant que difficiles à personnaliser et

localiser. Les centralités, qu'elles se commandent par des marchés ou qu'elles s'initient par des programmes, ne correspondent que partiellement à des acteurs et à des institutions clairement repérables.

Mais, en même temps des « organisateurs » de centralités intégrative apparaissent, qu'ils soient marchands, technocrates ou informaticiens. Cet anonymat et ce constat d'inéluctabilité irresponsable expliquent aussi les réactions hostiles et violentes à l'intégration, ils renforcent des nationalismes au demeurant latents.

- Ensuite, une communauté essentielle. Comme nous l'avons signalé précédemment, l'intégration peut prendre différentes formes et osciller de l'entente limitée et temporaire à la fusion pure sur des facteurs de « communautarisation » internes et externes. C'est bien pour cela que le libre échange intégral ne peut-être retenu comme seule force intégratrice et que l'on invente des écluses. La mondialisation, la globalisation au nom de la logistique marchande, nécessitent peut-être des techniques largement uni- fiées, lancent des campagnes publicitaires unitaires, mais tiennent compte des spécificités locales et nationales : principe de réalité autant que d'efficacité. Cette communauté a cependant vocation à devenir de droit, générale, et progressivement, les exceptions limitées. La communauté Amérique-Caraïbe a donc vocation à devenir de droit, générale, naturelle et progressive.

- En outre, une cohésion importante. Cette cohésion est déterminée d'un point de vue interne à l'espace intégré et aussi aux non-membres de la communauté. La cohésion impose des règles claires, notamment quant aux régions ou aux pays défavorisés, aux espaces dérivés. Ce sont ces règles qui assurent l'appartenance communautaire. A titre d'exemple : ne jamais impo- ser directement ou ne pas tenir compte de règles ou de principes qu'un Etat- membre pourrait avancer pour mettre en cause ou sortir de la communauté ; ne pas faire que ceux qui participent à une communauté puissent perdre beaucoup à tout élargissement. C'est le cas du Mexique qui ne verrait pas d'un bon œil l'intégration de la CARICOM à l'ALENA dans la mesure où les pays caribéens apparaissent comme de sérieux concurrents dans bien des secteurs d'activité.

Mais, la cohésion d'ensemble connaît naturellement des divergences, des antagonismes et des conflits.

Cette cohésion interne vaut évidemment vis à vis de l'extérieur. La

communauté minimale, la cohésion importante organisent des règles du jeu par rapport à l'extérieur. Et chaque espace interne, chaque espace extérieur va

tenter éventuellement de tirer les avantages : les solidarités sont fluctuantes, les alliances variées. Les DOM joueront de leurs spécificités pour bénéficier de leur appartenance communautaire, pour défendre leurs productions concurrencées par l'environnement caraïbe et américain dont par ailleurs ils se revendiquent sur certains points solidaires.

Donc, d'un côté l'intégration mondiale joue en faveur de la mise en cause des cohésions internes qui, bien entendu, ne sauraient ignorer mondialisation, globalisation, marchés financiers et taux d'intérêt. D'un autre côté, l'intégration mondiale favorise, « en réponse » ou en prudence, des avancées de l'intégration régionale-mondiale et régionale-locale ;

- Par ailleurs, une coopération privilégiée traverse à l'évidence les intégrations, quelles que soient leur étendue et leur extension : les Etats-Unis et le Japon entendent bien confirmer et améliorer leurs économies pourtant déjà fortement liées malgré les conflits entre le dollar et le yen. L'Allemagne n'a pas attendu l'élargissement de l'Union à l'Est pour tenter des intégrations en matière de systèmes productifs et commerciaux. La France tend à conserver des liens fortement intégrés avec l'Afrique noire, malgré les vicissitudes du franc CFA. La Martinique et la Guadeloupe sont peu favorables à un marché unifié, préférant une meilleure intégration à l'Europe, tout en cherchant à bénéficier de leur situation géopolitique. Les pays de la CARICOM veulent s'intégrer à l'ALENA tout en voulant garder des liens étroits avec la Grande-Bretagne et bénéficier des accords de Lomé. La coopération préférentielle est un principe fort de proximité géographique, culturelle, sectorielle ou stratégique.

- Enfin, une capacité d'adaptation. Toutes les analyses relatives à l'intégration reconnaissent qu'il s'agit d'un processus dynamique, progressif ou chaotique. Les commentaires venant de l'économie industrielle tout particulièrement, soulignent cette dimension adaptative : l'intégration sait se faire caméléon, épouser les couleurs et les caractéristiques de l'environne- ment pour mieux avancer... Ces caractères nationaux, locaux et territoriaux pourront ainsi servir de référence pour mettre en œuvre des stratégies de résistance ou s'appuyer sur la quotidienneté que tendent par exemple à mieux organiser les régions ou les pays.

On aurait tort de voir dans les processus d'intégration un phénomène automatique et linéaire. Il est beaucoup plus discursif, aléatoire, se dévelop- pant éventuellement en boucle, par cycle d'avancées et de reculs, au gré des enjeux, des alliances ou des stratégies.

Les cinq caractéristiques précédentes paraissent ainsi déterminer les fondements d'une théorisation de l'intégration. Trois grandes formes peuvent être retenues et qui regrouperaient les innombrables variétés possibles :

- La première forme : l'intégration par la fusion ou l'absorp-tion. C'est la forme la plus définitive. Elle peut maintenir l'unité absorbée mais une fonction ou un rôle répondant à la logique du chef d'opération ou tout simplement la faire disparaître. De ce point de vue, l'intégration est bien un phénomène ancien et permanent qui renvoie aussi bien au théorème de Hotelling qu'aux phénomènes de villes-centres absorbant leur périphérie. C'est la conception englobante de l'intégration en ce sens qu'elle est géné- ralement déterminée à partir de quelques principes forts d'unités dominantes.

Cette intégration-fusion peut se faire de deux manières bien diffé- renciées :

• la première relève d'une autorité, d'une décision explicite. Cette modalité fait souvent peur maintenant, conduisant à ce que peu d'intégrations de nature définitive puissent avoir lieu. Ainsi, pour éviter une intégration « brutale », on cherche à mettre en œuvre des formes maîtrisées par les acteurs : on favorise des formes de coopérations qui, clairement, veulent être des garde-fous à toutes procédures « violentes » d'intégration-fusion ;

• la seconde au-delà des formes explicites, autoritaires ou réglemen- taires, peut se faire et se réaliser couramment sans qu'aucune volonté soit clairement manifestée ou des décisions clairement prises. Il en va ainsi par les diffusions de normes, aussi bien techniques que culturelles ou comportemen- tales. C'est alors moins un statut, une décision, une volonté qui assure l'intégration, qu'une histoire, une langue, l'école ou les modes de consomma- tion. Mais c'est aussi une technologie, un réseau, un principe dominant ou une logique de réalisme.

- la deuxième forme : l'intégration par la coordination des stratégies globales ou l'harmonisation. Cette deuxième forme d'intégration relève de ce qu'on pourrait appeler la complémentarité, la coordination des stratégies globales en respectant formellement, voire en valorisant les spécifi-cités initiales : c'est la route vers la convergence et les politiques du rattra-page (ARMSTRONG et WICKERMAN, 1955 ; VEGGELAND, 1992 ; SALAS FUMAS, 1994). La coordination fait essentiellement référence à des prises de décision qui maximisent le bien-être collectif de plusieurs entités considérées globalement.

Cela conduit à préciser les principales caractéristiques de la coordi- nation. Tout d'abord, on insistera sur les intentions des décideurs, leur volonté d'améliorer le bien-être global, d'éviter des distorsions excessives plutôt que sur les conséquences de leurs politiques. Ensuite, on définira des principes généraux en laissant éventuellement aux acteurs le choix des moyens pour y parvenir, même si progressivement, ceux-ci tendent à être « normés » et calibrés. D'où, bien souvent, se retrouvent deux modalités d'harmonisation : une partie visible, genre « grand messe » (la Conférence de Miami, la Conférence Intergouvernementale, ...) qui soulève les questions, exorcise les démons et internalise les solutions, et une intensification du travail des « experts », des techniciens qui, quotidiennement, patiemment mettent en œuvre des rapprochements nécessaires.

Dans cette forme d'intégration, on travaille surtout sur des tempo- ralités longues, les exemplarités et on instille régulièrement et quotidien- nement de l'intégration jusqu'à des points de non retour.

Au lieu de chercher directement à générer un modèle unique ou uni- taire comme dans le cas de l'intégration par fusion-absorption, on procède par une démarche progressive d'harmonisation douce et rampante. On est bien en présence d'intégration par parties, par avancées nouvelles . On procède par des effets d'extension, d'intensification et de remplissage progressif des vides. On élargit la portée d'une décision, d'une orientation et on étend les interdictions. On enrichit aussi l'intégration en faisant appel à la mobilisation d'acteurs non institutionnels, fondée sur des alliances et des conflits à géométrie variable, à temporalité différenciée.

On pourrait dire que nous sommes en présence d'une quasi- intégration, régulièrement en marche ou souvent potentielle, rarement irrévocable, généralement souhaitée, à condition que les acteurs en restent réellement ou formellement les maîtres. Cette quasi-intégration peut conduire à la création de lieux et structures de coopération qui, même légers, orga- nisent ce que nous avons appelé la centralité déplacée.

Autant la première forme d'intégration repose essentiellement sur une philosophie verticale et hiérarchique et sur une organisation parfaitement explicite, autant la deuxième forme d'intégration peut prendre de multiples aspects plus ou moins autoritaires, plus ou moins simples, généralement effi- caces parce que discrets : la référence à l'intégration-coopération implique davantage le recours aux réseaux d'une part, à la théorie des jeux et des orga- nisations instables d'autre part.

- La troisième forme : l'intégration par la résistance à l'inté-gration. On est tenté de parler, pour cette forme d'intégration, d'anti-intégration. Cette forme privilégie les aspects essentiellement négatifs de l'intégration sous sa forme initiale ou sous sa version plus douce ; des oppositions, des résistances naissent à ces processus qui se traduisent par des réactions électorales, des sentiments anti-centre, contre les bureaucraties...

Tous les nationalismes localistes que l'on peut imaginer apparaissent : le national prendrait sa revanche contre la globalisation, le territoire se vengerait de la mondialisation... Les sentiments d'appartenance locale se ravi-vent face à ce que l'on craint être leur disparition.

On retiendra cependant de ces réactions hostiles aux intégrations, des manifestations positives. Une communauté peut naître ou se raviver d'une opposition aux principes fondateurs de l'intégration. Des solidarités natio- nales, régionales ou locales peuvent apparaître en réaction à des logiques de fusion ou d'harmonisation.

Bien entendu, le risque existe d'ententes ou de rapprochements essentielles fondés sur une addition de marginalités ou d'exclus.

II - LA REGION CARAIBE A L 'EPREUVE DU PROCESSUS D'INTEGRATION

Qu'en est-il de la région caraïbe, de son processus d'intégration achevé ou en cours, de son élargissement ou de son éclatement ?

A - Intégration régionale et performances économiques

La CARICOM est une Communauté constituée de trois pays continen- taux (Guyana, Suriname, Belize) et onze petits pays insulaires. Elle comprend 6 millions d'habitants et un PIB de 17 milliards de dollars (1994). Comparativement à la Communauté européenne avec ses 400 millions d'habitants et un PIB de 7 000 milliards de dollars et à l'ALENA (Etat-Unis. Canada, Mexique) comptant 363 millions d'habitants et un PIB de 6 200 milliards de dollars, la CARICOM apparaît comme une entité marginale de chacun des deux grands blocs précédemment cités.

Par ailleurs, en dehors des différences linguistiques, la Caraïbe est surtout caractérisée par la diversité que la logistique d'intégration

(l'intégration intra-Caraïbe : la CARICOM, ou l'intégration caraïbe et pays tiers : CBI-Accord Lomé) tente de faire disparaître. Cette diversité est physique : les superficies peuvent être immenses (Guyana : 215 000 km2 ou le Suriname: 163 000 km2) ou très réduites (Grenade: 340 km2; (ou la) Barbade : 430 km2). La diversité des peuples est tout aussi grande du fait des considérations linguistiques et des caractères ethniques. La diversité des économies est caractérisée notamment par des revenus extrêmement variables (14 000 dollars par habitant aux Bahamas contre 350 à Haïti). La diversité enfin des statuts politiques.

Tableau 1

Quelques indicateurs des pays de la CARICOM - 1994

Source : Social and Economic indicators 1994, Development Bank

Même si un processus d'intégration ne se mesure pas qu'aux perfor- mances économiques, on ne peut s'empêcher de s'appuyer sur les résultats économiques pour faire un bilan de plus de vingt ans d'intégration de la CARICOM. On évitera d'aborder les méthodes à la β-convergence où à la Γ-convergence chères aux économistes.

Tableau 2

Taux de croissance du PIB des pays de la CARICOM 1983-1994

Source : Source and Economic Indicators 1994, Caribbean Developement Bank, central Bank of Suriname

TABLE DES MATIERES

Presentation générale Par Philippe MANIN 7

Rapports introductifs

Reflexions sur l'économie globalisée et l 'Etat-Nation Par Panayotis SOLD A TOS 13

Mondialisation, régionalisation et l 'économie caribeenne Par Fred CELIMENE 23

Premiere partie L A V O I E D E S R E G R O U P E M E N T S E N D O G E N E S

Chapitre I Cooperation et integration régionales caraibes

a l 'épreuve de la mondialisation

L'association des Etats de la Caraibe :

De la fragmentation a l 'union pour faire face a la mondialisation Par Emmanuel JOS 55

Monnaie et integration régionale dans la Caraibe Par Régis CHEMAIN 85

Managing changes in the external environment Par Oral WILLIAMS 103

Débat

Geneviève BURDEA U, Maurice BURAC, Mario ESTRADA . . . . . . . . . . . . . . . . . 117

Chapitre II Departements français d'Amérique

cooperation et integration régionales

La problématique des relations économiques entre les Departements français d'Amérique et la Caraïbe/Amérique latine Par Jean CRUSOL 127

La question des conventions fiscales et des accords sur l'encouragement et la protection reciproques des investissements entre la France et les Etats caribeens Par Brigitte GASPARD 139

Les departements français d'Amérique : une plate-forme pour le capital français ou une vitrine de la France dans la Caraïbe Par Justin DANIEL 167

La question des listes negatives dans les Etats-membres de la CARICOM Par Max AUGUIAC 193

L'appui de l'Union europeenne a la cooperation régionale entre les DOM et les pays voisins Par Marc JANUS 201

Débat Georges FOUSSE, Guy OVIDE-ETIENNE, Clovis BEAUREGARD ........ 227

Rapport de synthese Par Brigitte STERN ..... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243