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La Chine et le Droit / 中国与法律 中国与法律 中国与法律 中国与法律 1 Numéro 6 – avril - novembre 2009 La Chine et le Droit 中国与法律 中国与法律 中国与法律 中国与法律 Service Juridique de l’Ambassade de France en Chine 驻华法国大使馆法律处 Fondation pour le Droit Continental 大陆法系基金会 Numéro 6, avril – novembre 2009 第六期,20094 – 11SOMMAIRE Présentation…………………….…………1 编首语 编首语 编首语 编首语 Actualités………………………………......2 时讯 时讯 时讯 时讯 Comprendre le droit chinois……………...6 理解中国法制 理解中国法制 理解中国法制 理解中国法制 30 ans de droit administratif chinois (1978 - 2008) Le droit chinois et nous…………...............11 中国法律和我们 中国法律和我们 中国法律和我们 中国法律和我们 Les actes administratifs susceptibles de recours judiciaire Regards croisés………………....................15 交流 交流 交流 交流 La procédure applicable devant le juge administratif en France et en Chine Le droit dessiné….……………………….25 从字到法 从字到法 从字到法 从字到法 L'administration Ce document est destiné à un usage personnel. Tout autre usage requiert une autorisation préalable. [email protected] Ont contribué à ce numéro : - M. Jean-Luc QUINIO, conseiller juridique de l’Ambassade de France en Chine - M. Terry OLSON, conseiller d'État - M.LIANG Fengyun, juge à la Cour populaire suprême - Mme ZHANG Li, professeur associée de droit à l’Université de science politique et du droit de Chine - Mme Stéphanie BALME, chercheur à Sciences Po et déléguée pour la Chine de la Fondation pour le Droit Continental - M. PENG Tao, maître de conférences à l'Université de science politique et de droit de Xi'an - M. WANG Kun, professeur à l’Université des langues étrangères de Pékin - M. YAN Suwei, professeur à l’Université des relations internationales de Pékin - Mme Maud PHILIPPERON-PECHEUX, avocate - M. Alessandro MARIANI, chargé de mission au service juridique de l’Ambassade de France en Chine - Mme DA Qi, assistante au service juridique de l’Ambassade de France en Chine - Mme SUN Hua, assistante de la Fondation pour le Droit Continental en Chine Le droit administratif en Chine Ce 6 ème bulletin évoque quelques aspects particuliers du droit administratif chinois et du droit administratif français. Les auteurs des principaux articles sont des universitaires ou des praticiens du droit. Ils nous permettent de mieux comprendre le fonctionnement des institutions et le rôle de l’Etat dans l’organisation et l’évolution de la société. Au nom de tous les lecteurs de ce bulletin nous tenons à exprimer nos très vifs remerciements à M. le Conseiller d’Etat Terry Olson, au juge Liang Fengyun et à Madame et Messieurs les professeurs Zhang Li, Peng Tao et Wang Kun pour avoir pris le temps de nous faire part de leurs analyses et de leurs réflexions. Nous vous souhaitons une bonne lecture et serons toujours attentifs à vos observations ou commentaires.

La Chine et le droit n°6 - fondation-droitcontinental.org · Seconde interprétation judiciaire de la loi sur les contrats - Dix ans après la loi sur les contrats, la Cour ... litiges

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La Chine et le Droit / 中国与法律中国与法律中国与法律中国与法律 1� Numéro 6 – avril - novembre 2009

La Chine et le Droit 中国与法律中国与法律中国与法律中国与法律 Service Juridique de l’Ambassade de France en Chine 驻华法国大使馆法律处 Fondation pour le Droit Continental 大陆法系基金会 Numéro 6, avril – novembre 2009 第六期,2009年 4 – 11月

SOMMAIRE Présentation…………………….…………1 编首语编首语编首语编首语 Actualités………………………………......2 时讯时讯时讯时讯 Comprendre le droit chinois……………...6 理解中国法制理解中国法制理解中国法制理解中国法制 30 ans de droit administratif chinois (1978 - 2008) Le droit chinois et nous…………...............11 中国法律和我们中国法律和我们中国法律和我们中国法律和我们 Les actes administratifs susceptibles de recours judiciaire Regards croisés………………....................15 交流交流交流交流 La procédure applicable devant le juge administratif en France et en Chine Le droit dessiné….……………………….25 从字到法从字到法从字到法从字到法 L'administration – 行行行行 政政政政

Ce document est destiné à un usage personnel. Tout autre usage requiert une autorisation préalable. [email protected]

Ont contribué à ce numéro :

- M. Jean-Luc QUINIO, conseiller juridique de l’Ambassade de France en Chine - M. Terry OLSON, conseiller d'État - M.LIANG Fengyun, juge à la Cour populaire suprême - Mme ZHANG Li, professeur associée de droit à l’Université de science politique et du droit de Chine - Mme Stéphanie BALME, chercheur à Sciences Po et déléguée pour la Chine de la Fondation pour le Droit Continental - M. PENG Tao, maître de conférences à l'Université de science politique et de droit de Xi'an - M. WANG Kun, professeur à l’Université des langues étrangères de Pékin - M. YAN Suwei, professeur à l’Université des relations internationales de Pékin - Mme Maud PHILIPPERON-PECHEUX, avocate - M. Alessandro MARIANI, chargé de mission au service juridique de l’Ambassade de France en Chine - Mme DA Qi, assistante au service juridique de l’Ambassade de France en Chine - Mme SUN Hua, assistante de la Fondation pour le Droit Continental en Chine

Le droit administratif en Chine Ce 6ème bulletin évoque quelques aspects particuliers du droit administratif chinois et du droit administratif français. Les auteurs des principaux articles sont des universitaires ou des praticiens du droit. Ils nous permettent de mieux comprendre le fonctionnement des institutions et le rôle de l’Etat dans l’organisation et l’évolution de la société. Au nom de tous les lecteurs de ce bulletin nous tenons à exprimer nos très vifs remerciements à M. le Conseiller d’Etat Terry Olson, au juge Liang Fengyun et à Madame et Messieurs les professeurs Zhang Li, Peng Tao et Wang Kun pour avoir pris le temps de nous faire part de leurs analyses et de leurs réflexions. Nous vous souhaitons une bonne lecture et serons toujours attentifs à vos observations ou commentaires.

La Chine et le Droit / 中国与法律中国与法律中国与法律中国与法律 2� Numéro 6 – avril - novembre 2009

ACTUALITÉS / 时讯时讯时讯时讯

Du 1er avril au 30 novembre 2009

Droit des affaires Seconde interprétation judiciaire de la loi sur les contrats - Dix ans après la loi sur les contrats, la Cour populaire suprême a rendu une seconde interprétation de cette loi. Cette interprétation judiciaire, entrée en vigueur le 13 mai 2009, comprend 30 articles relatifs notamment à la conclusion du contrat, son exécution et sa rupture. Le texte est destiné à faciliter le règlement des litiges par les tribunaux. Entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les brevets - La nouvelle loi sur les brevets est entrée en vigueur le 1er octobre 2009. Son objectif est d'améliorer la protection des brevets et de favoriser l'innovation. La loi de 1985 avait déjà été modifiée à deux reprises. Au terme de plusieurs années de procédure en Allemagne, la marque chinoise Wangzhihe a remporté l'un des premiers procès concernant les droits de propriété intellectuelle d'une entreprise chinoise. Le tribunal de grande instance de Munich a rendu un jugement en dernier ressort aux termes duquel la société Okai se voit interdire l'utilisation sans autorisation de la marque chinoise, sous peine de devoir payer une amende de 250 000 euros ou de voir ses principaux responsables condamnés à une détention de six mois. Conseils aux investisseurs étrangers - La crise économique a amené la Cour populaire suprême à donner des conseils aux investisseurs étrangers qui évoluent sur le marché chinois dans une « opinion importante » (zhidao yijian) concernant les affaires de contrats commerciaux. Accusation de corruption contre le géant minier anglo-australien Rio Tinto - Le 5 juillet 2009, les autorités chinoises ont arrêté quatre cadres du groupe minier Rio Tinto en poste à Shanghai, soupçonnés d'espionnage et de vol de secrets d'État. Les bureaux de la Sécurité d'État de Shanghai a annoncé qu'ils n'auraient pas hésité à corrompre des hauts responsables d’aciéries chinoises.

Droit civil

Exécution des décisions de la Cour populaire suprême - La Cour populaire suprême a publié une liste noire des personnes n'ayant pas exécuté la décision qu'elle a rendue à leur encontre dans des litiges civils et commerciaux. Cette liste, accessible sur internet, concerne 4,23 millions de personnes et 1,93

million d'organisations. Une demande écrite était auparavant nécessaire pour savoir si une personne était en règle avec la justice. Ce site internet devrait accroître la pression sociale afin que les condamnations soient exécutées.

Droit de l'environnement

Lancement d'un numéro vert pour dénoncer les abus ou les situations d’urgence en matière environnementale - Le ministère de la protection de l'environnement a créé un numéro spécial destiné à recevoir ces appels. Les personnes qui auront des plaintes à formuler concernant la pollution de l'environnement en Chine pourront également directement en informer le ministère.

Droits de l'Homme

La Chine publie son premier Plan national d'action sur les droits de l'Homme - Ce document a été publié le 13 avril 2009 par le gouvernement central « afin d’améliorer en moins de deux ans la situation des droits de l'homme en Chine ». Un engagement est pris en ce qui concerne « l’amélioration de la situation des détenus dans les prisons et le contrôle et l’encadrement des exécutions capitales, le droit à l'information et à la participation des citoyens, la formation des lycéens aux droits de l’homme, l’augmentation des revenus par habitant, une meilleure accessibilité des soins médicaux en vue de garantir les droits économiques, sociaux et culturels du peuple chinois ». Non respect des droits de l'Homme par le gouvernement : des compensations accordées aux victimes - La Cour populaire suprême a rappelé que des compensations financières seront accordées aux personnes dont les droits fondamentaux ont été bafoués par une administration ou un organe judiciaire. La loi sur les compensations d'État stipule qu'en cas de décès, les ayant-droits recevront jusqu'à vingt fois le salaire quotidien moyen des employés chinois.1

Droit pénal Une loi amendée sur les forces de police armée en précise les fonctions et renforce les restrictions en cas d'abus- La nouvelle loi sur les forces de police armée contient une description claire des incidents

1 Article 27 alinéa 3 de la Loi sur les compensations d'État, adoptée le 12 mai 1994 et entrée en vigueur le 1er janvier 1995.

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menaçant la sécurité publique. Les émeutes, les crimes de violence et le terrorisme entrent désormais dans cette catégorie. Par ailleurs, la loi encadre strictement la procédure de mobilisation des forces armées et prévoit de restreindre dans certaines circonstances le pouvoir de la police. La détention des citoyens ou la fouille illégale de leur personne ou de leur domicile par ces forces armées sont interdites. Ouverture de deux procès de crimes organisés à Chongqing, dans le sud-ouest de la Chine - En novembre 2009, une trentaine de suspects ont été poursuivis pour les faits suivants : crimes en bande organisée, homicides, agressions, possession illégale d'armes à feu et de munitions, cambriolages, chantage, fabrication de fausses cartes d'identité, sabotage de services publics et, enfin, exploitation illégale de mines. Ils ont été condamnés à la peine capitale ou à de longues peines de prison, et à de très fortes amendes. Les biens confisqués dans le cadre de ces procès seront mis aux enchères dans un hôtel des ventes spécialement créé pour l’occasion. Trafic de faux billets - La police pékinoise a démantelé en juillet 2009 l’un des plus grands trafics de faux billets de l'histoire récente en saisissant des faux billets d’une valeur nominale de plus de 6,6 millions de yuans (soit environ 660 000 euros). Premier procès de pirates informatique - Six hackers ont été jugés en juin 2009 pour avoir répandu sur Internet « le virus du cheval de Troie ». La cour populaire du district de Gulou, dans la ville de Nankin, les a condamnés à des peines de plus d’un an d'emprisonnement pour « intrusion illégale dans un système informatique ». Campagne contre les fraudes par carte bancaire - A compter du mois de janvier 2010, les autorités chinoises lancent une campagne de lutte contre les fraudes par carte bancaire. Celle-ci doit durer 10 mois. Le nombre d’infractions de ce genre a doublé au cours du premier semestre 2009.

Lutte anti-corruption

Lutte contre la corruption au sein du système judiciaire - La Cour populaire suprême a annoncé le lancement d’un site internet (http://jubao.court.gov.cn) permettant de dénoncer en ligne « tous les actes illégaux et les violations à la discipline » ainsi que les actes de corruption des juges et des personnels de l’appareil judiciaire. Une dizaine de très hauts fonctionnaires d'État déchus de leur poste pour infraction à la loi et aux règles disciplinaires - « Une campagne anti-corruption, violente, impétueuse et de grande envergure» a été lancée en 2009 permettant l’arrestation notamment de l’ancien secrétaire adjoint

du parti de la municipalité de Shenzhen, de l’ancien vice-ministre de la Sécurité publique, du responsable de la commission de contrôle de la discipline de la province du Zhejiang et, enfin, de l’ancien président de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC) de la province du Guangdong. Nominations au sein des instances judiciaires suprêmes pour lutter contre la corruption - Quatre hauts responsables chargés de combattre la corruption au sein de l’appareil judiciaire ont été nommés au sein de la Cour populaire et du Parquet populaire suprêmes. Numéro vert anti-corruption - Une nouvelle ligne téléphonique «anti-corruption» gratuite (12309) a reçu plus de 11 000 appels dès son lancement le 22 juin 2009. Environ 6000 dénonciateurs ont également rapporté des affaires de corruption ou d'abus de pouvoir sur le site internet du Parquet populaire suprême : www.12309.gov.cn. L’ancien Président de la Cour populaire suprême, M. Xiao Yang, publie un ouvrage - Dans son livre, il propose que la Chine mette en place une équipe spéciale anti-corruption, autorise les médias à rendre compte de telles affaires et, enfin, revalorise les salaires des fonctionnaires «afin de minimiser toute tentation d’accepter des pots-de-vin».

Droit rural

Le Comité permanent de l'Assemblée nationale populaire adopte une loi relative aux litiges fonciers en milieu rural - La loi sur la médiation et l'arbitrage des différends liés au foncier rural, entrée en vigueur le 1er janvier 2010, vise à normaliser les procédures d'arbitrage, les différends liés au foncier rural étant devenus de plus en plus fréquents et "affectant l'harmonie et la stabilité". Selon des statistiques officielles, plus de 50 000 affaires liées à des différends fonciers ont été enregistrées dans 224 villes et districts du pays entre 2003 et mars 2008.

Justice

Statistiques judiciaires - Le 23 novembre 2009, la Cour populaire suprême a rendu un avis dans lequel elle rappelle l'importance des statistiques en matière judiciaire et la nécessité de mettre en place un bureau spécialisé au sein des cours supérieures, doté de moyens humains et matériels lui permettant d'établir une base de données sûres. Réglementation protégeant le droit de recours en matière administrative - La Cour populaire suprême a publié un «Avis sur la protection du droit de recours en matière administrative» indiquant que les juridictions, à tous les niveaux, doivent «accorder davantage

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d’importance à l’acceptation et au traitement des affaires administratives, protéger le droit de recours et faciliter le dépôt des requêtes». Accord entre la Cour supérieure de Pékin et l’association des usagers d’Internet - Désormais, les personnes victimes du non respect de la propriété intellectuelle par internet pourront choisir cette association pour régler le litige à l’amiable. Une fois un accord intervenu entre les parties, celles-ci peuvent demander à une juridiction de l’entériner afin de lui donner force obligatoire. Les zones pauvres de la Chine ont besoin d’assistance juridique gratuite - Le journal China Daily du 31 juillet 2009 rapporte qu'un groupe de 30 avocats et 70 étudiants diplômés volontaires resteront entre 1 et 3 ans dans les provinces de l’Ouest, en manque d’avocats, afin de prodiguer des conseils juridiques. Il s’agit du premier groupe de volontaires du programme d’aide juridique chinois. Selon les internautes, l'accès à la justice est un réel problème en Chine - L'accès à la justice est le principal problème soulevé par les internautes qui se sont exprimés par le biais du nouveau site internet de la Cour populaire suprême dédié aux suggestions des citoyens chinois. Contrôle des prisons et des centres de détention - Les instances du Parquet suprême ont annoncé que les provinces allaient entamer un contrôle approfondi des prisons et des centres de détention pour éviter les risques d’abus sur les détenus. Un budget de 30 millions de yuans (soit environ 3 millions d'euros) aurait été débloqué pour améliorer le système de surveillance dans les lieux de détention. Cette décision a été prise après le décès de Li Qiaoming, battu à mort par ses codétenus en février 2009 alors qu'il se trouvait en centre de détention.

Publicité des jugements de la Cour suprême sur Internet - Annonce confirmée par le vice-directeur du bureau de la réforme de la Cour populaire suprême, Jiang Huiling.

Numérisation du travail au sein des tribunaux - La Cour populaire suprême a demandé aux tribunaux de développer la numérisation afin d’améliorer l’efficacité de leur travail et l'administration des juridictions.

Droit de propriété Inspection de la gestion des terres arables - Des équipes d’inspection ont été déployées par le ministère du territoire et des ressources afin d’évaluer la qualité de la protection des 120 millions d’hectares de terre arable par les gouverneurs de provinces. Alors que la surface totale de terre arable baissait en moyenne annuelle de 755 000 hectares de 1997 à 2007, elle n’a

plus baissé que de 18 500 hectares de 2007 à 2008 pour se situer à 121,7 millions d’hectares, juste au dessus du seuil considéré comme minimum de 120 millions d’hectares.

Droit de la propriété intellectuelle

Protection de la propriété intellectuelle - La Chine, en collaboration avec l'UE, a créé un site internet permettant la consultation et le téléchargement gratuits de documents juridiques en chinois et en anglais concernant la protection de la propriété intellectuelle (www.ipr2.org/ipsearch). Publication de la jurisprudence sur la propriété intellectuelle - La Cour populaire suprême a publié 23 décisions récentes sur ce thème afin d’orienter les tribunaux dans de futures affaires similaires.

La Cour populaire suprême publie une directive sur la protection des droits de propriété intellectuelle - La Cour a demandé récemment aux tribunaux de renforcer la lutte contre les infractions aux droits de la propriété intellectuelle. Elle a par ailleurs publié un document qui détaille le traitement de 16 catégories d'infractions dans ce domaine concernant entre autres les brevets, les marques commerciales et les droits d'auteur.

Société

Un juge, soupçonné de corruption, se suicide dans sa cellule - Un ancien juge de Chongqing s’est suicidé en détention à la fin du mois de novembre 2009. Il était soupçonné d’être impliqué, avec d'autres fonctionnaires de la justice, dans une affaire de crime organisé de grande ampleur. Un juge renvoyé pour avoir séquestré un avocat - Le juge de Chenjiang (Yunnan) qui avait ordonné qu'on menotte pendant 40 minutes un avocat à un poteau de basket a été renvoyé. Il aurait donné cet ordre inhabituel après une dispute avec l'avocat de la défense concernant un dossier. Campagne pour les dons d'organes - La Croix-Rouge chinoise a lancé une campagne nationale de dons d’organes qui devraient permettre de mettre fin aux prélèvements massifs sur les condamnés. Un problème qui a été officiellement reconnu par le gouvernement. Augmentation de la délinquance en Chine - La dernière enquête menée par la cour supérieure de Pékin a montré que les adolescents dépourvus de domicile fixe sont responsables de 40 à 80 % des délits enregistrés à Pékin depuis 2006. A Shanghai, une étude a montré que la délinquance des jeunes non natifs de la ville a augmenté de presque 70% entre 2004 et 2007. Parmi eux, 1 833 n'avaient pas de domicile fixe et 86 % avaient arrêté leurs études après l'école primaire.

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En chiffres cela fait…

Avocats - Selon le « Legal Daily » du 18 septembre 2009, la Chine comptait en 2008 156 710 avocats repartis en 14 467 cabinets d’avocats. Les statistiques du Bureau de la justice de Pékin indiquent que l'an dernier, la capitale était dotée de 1 211 cabinets d’avocats employant 18 635 avocats. Cependant, seuls 1 800 avocats exercent dans la province du Gansu (nord-ouest de la Chine) et 6 provinces ne dénombrent même pas un seul avocat.

Criminalité organisée - Les cours populaires de première instance ont traité 473 affaires de criminalité organisée impliquant 5 066 personnes. Un chiffre en augmentation de 26,5 % en 2008 par rapport à 2007, selon la Cour populaire suprême.

Drogues - 43 726 affaires de drogue ont été jugées en 2008 (soit une augmentation de 30% par rapport à 2007) impliquant 16 000 personnes qui ont été condamnées à des peines allant de 5 ans d'emprisonnement à la peine capitale.

Examen judiciaire 2009 - Ils étaient 353 000 candidats à passer les épreuves du 8eme examen judiciaire, organisé le 19 et 20 septembre 2009.

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COMPRENDRE LE DROIT CHINOIS / 理解中国法制理解中国法制理解中国法制理解中国法制 30 ans de droit administratif chinois

(1978-2008)

par ZHANG Li

Professeur associée en droit à l'Université de science politique et du droit de Chine

Les droits administratifs chinois et français sont conçus comme un ensemble de règles indépendantes et autonomes par rapport au droit privé. L’histoire de la Chine impériale, caractérisée par la confusion des pouvoirs au profit d’une administration puissante chargée de multiples fonctions, n’est pas favorable à l’émergence d’une telle branche du droit. Historiquement, le gouvernement du district était celui d’un seul homme, tour à tour préfet et magistrat, chargé à la fois de prélever l’impôt, de maintenir l’ordre public, de rendre la justice, d’assurer le fonctionnement des postes, de gérer les services d’éducation, de répartir les terres et de venir en aide aux nécessiteux. L’administration occupe aujourd’hui une place primordiale parmi les organes de l’État.

Zhu Yuanzhang : au XIVème siècle, l'empereur reprend en main le

pouvoir sur l'administration

Durant les trente dernières années, le droit administratif, en tant que branche du droit, a connu une importante évolution caractérisée par l’objectif de créer successivement un État des lois, un État légal et un État de droit. I. – Administrer par la loi (yifa xingzheng) au service d’un État des lois (1978-1989) Le droit est-il un instrument mis à la disposition de l'administration ou un cadre auquel elle doit se soumettre ? La réponse des juristes chinois serait aujourd'hui probablement unanime : l’administration

applique les règles de droit au quotidien, mais ses propres activités doivent également être conformes aux exigences des normes juridiques qui les régissent. Néanmoins, un tel point de vue était beaucoup moins évident il y a trente ans. En 1978, après la Révolution culturelle, la nouvelle génération de gouvernants conduite par Deng Xiaoping a pris conscience de l’importance du respect par les dirigeants politiques et administratifs des règles de droit préétablies. À l’échelle nationale, une polémique a eu lieu autour des thèmes de « gouverner par les hommes » (ren zhi) et « gouverner par la loi » (fa zhi), dont les racines remontent respectivement à l’école confucéenne (ru jia) et l’école des Lois (fa jia) à l’époque des Printemps et des Automnes (770-476 av J.-C.) et des Royaumes Combattants (475-221 av J.-C.). Tenant compte de l’expérience dévastatrice de la Révolution culturelle, des discussions ont été menées en pleine conscience de l’enjeu et ont fini par donner la primauté à l’idée de « gouverner par la loi ». Une fois son rôle important affirmé, le droit s’est développé dans le sillage de la pensée juridique marxiste. La tendance en Chine est désormais au renforcement de l’autorité du droit, comme en témoigne la Constitution de 1982, fixant pour objectif de « développer la démocratie socialiste et perfectionner la légalité socialiste »2. En matière d’institutions administratives, deux lois organiques ont été successivement votées : la loi organique des assemblées populaires locales et des gouvernements locaux du 1er juillet 1979 et la loi organique du Conseil des affaires d’État du 10 octobre 1982. La Chine a franchi le premier pas vers la légalité administrative, dans la mesure où les compétences et l’organisation interne des gouvernements – central et locaux – sont définies dans les textes législatifs. Dans le domaine des activités administratives, une grande quantité de textes juridiques ont été élaborés, dont le plus important était sans doute la réglementation du 5 septembre 1986 relative aux sanctions en matière de sécurité publique (zhi'an guanli chufa tiaoli). Visant les différents aspects de la vie sociale, le droit administratif de l'époque pouvait être considéré comme un moyen de soutenir l’exercice du pouvoir politique de l'État, ce qui pourrait se résumer par le principe d’« administrer par la loi » (yifa xingzheng). De la politique du Parti communiste à la loi de l’État, les activités administratives se sont au fur et à mesure

2 Préambule de la Constitution du 4 décembre 1982.

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dépolitisées. La fonction principale du droit administratif de cette époque était de gérer les relations entre l'État et les particuliers, l'accent étant mis sur le pouvoir de l’administration et l’obligation des particuliers. Par rapport au vide juridique précédent, l’idée d’« administrer par la loi » représentait indéniablement un grand progrès. Le recours à la loi comportait implicitement les premiers éléments indispensables à la lutte contre l’arbitraire. Cependant, ce principe restait largement insuffisant, compte tenu de la nécessité croissante de voir encadrer juridiquement les activités de l’administration. La loi sur le contentieux administratif du 4 avril 1989 a ensuite confirmé l’adhésion de la Chine au principe de la légalité administrative, en fournissant aux particuliers des garanties juridictionnelles.

20ème anniversaire de la loi sur le contentieux administratif

II. – Un droit administratif venant limiter le pouvoir de l’administration (1989-2000) Inspirés de l’idée confucéenne du juste milieu (zhongyong), qui exige le sens de l’équilibre, de l’équité et de la mesure et qui estime que les excès ruinent toute possibilité d'harmonie durable, les juristes chinois ont avancé la « théorie de l’équilibre du droit administratif ». D’après ce courant doctrinal, le droit administratif ne doit pas seulement être fondé sur des prérogatives publiques, mais il doit également tenir compte des intérêts subjectifs des particuliers. Si en raison des prérogatives accordées à l’administration - tels que le pouvoir d’édicter des actes unilatéraux ou le privilège du préalable - une inégalité s’installe entre l’administration et les particuliers dans la procédure administrative non contentieuse, ce rapport juridique inégalitaire devrait être compensé par des contrôles postérieurs à l’encontre de l’administration et par de multiples règles procédurales visant à restreindre l’exercice du pouvoir administratif. Le contrôle de l’administration peut être réalisé selon plusieurs modalités.

1) Le contentieux administratif La loi du 4 avril 1989 sur le contentieux administratif a été unanimement considérée comme un texte historique marquant l’acceptation du principe de la légalité administrative. Grâce à ce texte, les administrés peuvent saisir le juge des actes administratifs concrets portant atteinte à leurs droits et intérêts. Pour contrebalancer les prérogatives dont jouit l’administration avant la saisine du juge, le législateur a prévu des dispositions en faveur de l’administré, notamment l'inversion de la charge de la preuve dans le contentieux sur la légalité des actes administratifs. 2) Le contrôle administratif En dehors du contrôle juridictionnel, la Chine a revalorisé le censorat (御史台 yushitai, puis 都察院 duchayuan), un système traditionnel de contrôle interne des fonctionnaires. Portant le nom aujourd’hui de « contrôle administratif » (xingzheng jiancha) et régi par une loi du 9 mai 1997, ce système de contrôle interne des fonctionnaires a pour objectif de s'assurer du respect de la discipline. Au sommet des institutions spécialement créées à cet effet se trouve le ministère de la Surveillance (jiancha bu), supprimé en 1959 et restauré en 1986. 3) Le recours administratif Aux termes d’une réglementation du 24 décembre 1990 modifiée le 9 octobre 1994, les administrés pouvaient adresser une demande de réexamen soit à l’auteur de l’acte administratif concret soit à son supérieur hiérarchique. C’était la mise en place d'un système de recours administratif. Depuis l’entrée en vigueur le 1er octobre 1999 de la loi sur le recours administratif, les administrés ont pu également faire examiner l’acte réglementaire qui a servi de fondement juridique à la décision objet du recours. 4) La responsabilité de l’État La loi du 12 mai 1994, qui a pour objectif de mettre en œuvre le principe de légalité et de garantir aux citoyens le droit à réparation reconnu dans la Constitution, dispose dans son article 2 que « lorsque les organes de l'État et leurs agents abusent de leurs pouvoirs au préjudice des citoyens, des personnes morales ou d’autres groupements, la victime est en droit de réclamer une réparation ». L’adoption d’un régime spécial de responsabilité de la puissance publique représente indéniablement un pas historique vers l'État légal : l'État assume les conséquences du non respect des lois par l’administration. Ce système présente cependant certains inconvénients : une conception trop étroite de la responsabilité de l'État, essentiellement due au principe de la responsabilité pour illégalité, le caractère trop restreint des droits et intérêts susceptibles d’être protégés et du

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préjudice indemnisable et enfin une procédure d’indemnisation insuffisamment judiciarisée en cas de responsabilité du fait de la justice. Pour l'ensemble de ces raisons, le Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale travaille actuellement sur une révision de ce texte. 5) Les règles procédurales non contentieuses Sous l’influence de la doctrine qui réclame un contrôle de la procédure d'élaboration des actes administratifs, le législateur chinois a posé des règles destinées à garantir les droits de la défense des administrés au cours de l’adoption d’une sanction administrative ou d’un acte administratif concret défavorable. Il s’agit principalement des éléments suivants : l’information sur les faits reprochés et les motifs de la décision, l’obligation de vérifier les arguments de défense présentés par l’intéressé et l’information sur les droits de l'administré, notamment la possibilité d'être entendu. En matière de sanction administrative, la personne qui fait l'objet d'une mesure de sanction doit avoir la possibilité de prendre connaissance des griefs formulés contre elle et de présenter ses arguments. Cela implique tout d’abord que l’autorité qui prononce la sanction soit tenue d’informer la personne sanctionnée du contenu de la décision à venir et des droits dont elle bénéficie pour s’exprimer et se défendre. L’administration doit ensuite procéder à la vérification des faits, des preuves et des moyens avancés par cette personne, en prenant en compte ceux dont le bien-fondé est démontré. Il est strictement interdit à l’administration d’aggraver la sanction encourue par l’administré en raison de l’exercice par ce dernier de ses droits à se défendre. III. – Un droit administratif équilibré dans la perspective d’un État de droit (2000...) En déclarant le 15 mars 1999 dans sa Constitution que « la République populaire de Chine gouverne l’État en vertu du droit et construit un État de droit socialiste » 3, la Chine est entrée dans une nouvelle ère, celle de la construction d’un « État de droit ». Si un État légal implique avant tout la soumission de l’administration à la loi, la construction d'un État de droit exige un gouvernement qui respecte les droits fondamentaux des administrés (A), un gouvernement fiable (B) et transparent (C). A) Un gouvernement qui respecte les droits fondamentaux Dans un État de droit, la loi n'est plus simplement l’un des moyens d’organiser la société. Elle remplit une fonction supplémentaire, celle de poser des limites aux pouvoirs publics afin d'octroyer aux citoyens des zones autonomes de liberté.

3 Article 5 de la Constitution.

La Chine est un pays traditionnellement construit sur la notion de « devoir » et imprégnée de collectivisme. Les droits positifs, notamment dans le cadre des relations entre l'État et les citoyens, ne sont apparus que vers la fin du XIXème siècle. En dépit des efforts menés tout au long du XXème siècle, les Chinois semblent avoir encore des difficultés à faire valoir leurs droits fondamentaux devant le juge. Le statut d’« acteur de l’économie » acquis par les individus avec le développement de l’économie de marché se manifeste également dans le domaine juridique. En tant que « sujets de droit » indépendants, ils cherchent à faire protéger leurs droits et intérêts par divers moyens. Pour des raisons historiques, le contentieux administratif ne constitue pas le moyen préféré des administrés pour obtenir la protection de leurs droits et intérêts en Chine. Toutefois, depuis l’entrée en vigueur le 1er octobre 1990 de la loi sur le contentieux administratif, les requêtes administratives se sont multipliées d’année en année. En presque vingt ans (1989-2008), les tribunaux populaires de base ont enregistré 1 405 085 nouvelles requêtes dont 1 401 532 ont fait l'objet d'un jugement, ce qui représente 99.7% des affaires. Certes, la Chine a un long chemin à parcourir dans le domaine de la sauvegarde des droits de l’homme. Pourtant, depuis 2000, un certain nombre de progrès dans le domaine du droit administratif méritent d’être soulignés. Les dispositions contraires aux droits de l’homme cèdent peu à peu leur place à des mesures plus humaines, traduisant une prise de conscience de l'individu en droit administratif. Ainsi, l’affaire SUN Zhigang, extrêmement médiatisée, a conduit à la suppression de la rétention préalable au renvoi de l'individu. En mars 2003, M. SUN Zhigang, jeune diplômé de 27 ans d’une université de la province du Hubei s’est rendu à Guangzhou dans le but d’y chercher un travail. Au cours de son séjour, il a été interpellé par la police pour un contrôle d’identité. Ne possédant aucune pièce permettant de la prouver, il a été considéré comme une personne sans domicile fixe et sans ressource et placé en centre de rétention, où il est décédé le 20 mars 2003 à la suite de maltraitances. Révélée dans la presse, cette affaire a suscité des réactions d’indignation qui ont conduit à l’abolition de la rétention préalable au renvoi. Le règlement du 12 mai 1982 relatif à la rétention pour renvoi des vagabonds et des mendiants en ville a ainsi été remplacé le 1er août 2003 par des mesures destinées à aider les personnes en situation irrégulière.

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M. Sun Zhigang est décédé en centre de rétention le 20 mars 2003

L’ancien système de rétention, caractérisé par les moyens de coercition dont disposait l’administration à l'encontre de ces personnes démunies, a par conséquent été remplacé par une aide sociale gratuite octroyée à la demande des intéressés. De la rétention à l’aide sociale, cela ne constitue pas seulement une nouvelle méthode de travail pour l’administration, mais aussi une transformation du statut des individus dans leurs rapports avec l’administration. Les administrés ne sont pas l’objet de l’exercice du pouvoir administratif mais des sujets égaux à l’administration, qui ont droit à un traitement humain en cas de difficulté. De plus, en sanctionnant l’inertie de l’administration, le droit administratif chinois insiste sur le devoir qu'elle a d'exercer sa fonction au profit des administrés. A l’occasion de l’affaire M. LI Maorun c/ Commissariat de police de Langzhong, la Cour populaire suprême a clairement confirmé que l’inaction de l’administration peut engager sa responsabilité. En l’espèce, M. LI Maorun a été poursuivi et menacé de mort par un déséquilibré pendant quatre jours et trois nuits en mai 1998, sans que la police donne suite à ses appels à l'aide. Il s’est finalement réfugié dans le commissariat de police où il a été violemment battu par son agresseur sous les yeux indifférents des policiers. Pendant trois ans, M. LI s’est battu pour que le juge administratif lui rende justice en condamnant le commissariat de police de Langzhong à l’indemniser. Le 26 juin 2001, à la demande de la cour supérieure de la province du Sichuan, la Cour suprême a rendu un avis aux termes duquel elle a estimé que l’administration policière est tenue de réparer le préjudice subi par les citoyens, les personnes morales et d’autres groupements lors de manquements à ses devoirs et qu'il convient de tenir compte du rôle joué par ce manquement au devoir dans la réalisation du préjudice afin de déterminer le montant de l'indemnisation due. Le 4 septembre 2001, en application de cet avis, la cour intermédiaire de Langzhong a rendu un jugement déclarant illégale l’inertie de l’administration policière et la condamnant à payer une indemnité de 19 751,32 yuans (environ 2 000 euros).

A la suite de cette affaire, de nombreux litiges similaires ont conduit à la condamnation de l’administration à verser des dommages-intérêts pour manquement à un devoir légal. Au-delà des changements suscités par ces affaires médiatisées, l’administration chinoise a manifesté elle-même la volonté de se soumettre davantage au droit, comme en témoigne son « Programme sur la promotion de la mise en œuvre du principe de la légalité administrative » du 22 avril 2004. Ce programme du gouvernement central a explicité une nouvelle conception des rapports entre le pouvoir administratif et les citoyens. Si l’administration gardait auparavant la maîtrise de ses pouvoirs, aujourd’hui, avec l'essor de mouvements civiques, les droits fondamentaux reconnus par la Constitution sont considérés comme une limite imposée au pouvoir administratif. Ainsi le gouvernement doit exercer son pouvoir dans l’intérêt général en respectant les droits fondamentaux des individus, sous peine d’être sanctionné par les autorités auxquelles est confiée la mission de contrôle de l’administration. B) Un gouvernement qui inspire de la confiance (chengxin zhengfu) Au cours du développement d’un État de droit, le gouvernement doit renforcer sa crédibilité. Cela se traduit notamment par l’acceptation du principe de la fiabilité des normes de droit administratif. C’est la loi sur les autorisations administratives du 27 août 2003 qui a établi une ébauche du principe de la « confiance légitime ». D'office ou à la demande d'un administré, l’administration compétente peut retirer l’autorisation illégalement octroyée conformément à l’article 69 de cette loi. Le retrait de l’autorisation pour illégalité sera pourtant impossible s'il porte une grave atteinte à l’intérêt général. Par ailleurs, lorsque l’illégalité de l’autorisation n’est pas imputable au bénéficiaire de celle-ci et que le retrait pour illégalité porte atteinte aux droits et intérêts qu'il a acquis, l’administration doit réparer son préjudice. C) Un gouvernement plus transparent Un État de droit ne peut se construire sans la promotion de la démocratie. Tout en renforçant la démocratie représentative, la Chine envisage de développer une démocratie participative. Toutefois, la promotion de ces deux formes de démocratie en Chine suppose le renforcement du droit à l’information des individus. A cet égard, la Chine a adopté le 17 janvier 2007 une réglementation relative à la publicité des informations gouvernementales. Entré en vigueur le 1er mai 2008, ce texte a non seulement défini les catégories d'informations faisant l’objet d’une publication systématique, mais également précisé les procédures de diffusion des documents administratifs nominatifs.

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Les informations devant être publiées comprennent principalement : 1) les textes juridiques, 2) les documents de service tels que ceux relatifs à l’organisation interne, les attributions et les procédures et 3) les informations concernant les activités courantes de l'administration. S'agissant de ce dernier point, les gouvernements aux différents échelons et leurs départements sont tenus de publier tout particulièrement les informations concernant les statistiques, les planifications, les finances publiques, les autorisations administratives, les marchés publics et les travaux publics d'envergure. Les organes administratifs ont l’obligation de publier les informations gouvernementales dans les 20 jours suivant leur adoption. En complément des informations publiées d’office par les organes administratifs, les particuliers ont le droit d’accéder aux informations qui leur seraient utiles notamment en matière professionnelle. L’autorité administrative chargée de la diffusion de l’information sollicitée dispose de 15 jours pour examiner la demande de l'administré. Conclusion De 1978 à 2008, avec sa politique d'ouverture et l'objectif de construire un État de droit respectant les droits de l’homme, la Chine a été saisie par une véritable « frénésie législative ». Des efforts tout à fait remarquables dans le domaine législatif et réglementaire lui ont permis de créer un cadre juridique qui, malgré d’inévitables imperfections, n’en constitue pas moins un régime de droit complet et comparable à celui de la plupart des pays dans le monde. L’État de droit ne se caractérise pas seulement par une hiérarchie des normes respectant la suprématie des principes constitutionnels, il exige surtout que les droits fondamentaux soient réellement garantis à tous les niveaux. De nos jours, les prises de position en faveur de l’État de droit se banalisent et se mondialisent, à tel point qu’elles deviennent presque obligatoires sur le plan international. Dès lors, ce sera la mise en œuvre effective des valeurs et des principes fondamentaux qui fera la différence. Un droit administratif ayant pour objectif de trouver un bon équilibre entre le pouvoir de l’administration et les droits des administrés et permettant l'existence d'un gouvernement légal, transparent, crédible et responsable est assurément une avancée dans ce sens, plus éloquente que tout discours.

LE DROIT CHINOIS ET NOUS / 中中中中

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LE DROIT CHINOIS ET NOUS / 中国法律与我们中国法律与我们中国法律与我们中国法律与我们

Les actes administratifs susceptibles de recours judiciaire

par PENG Tao

Maître de Conférence à l'Université de science politique et du droit de Xi'an

Historiquement et par tradition, la Chine a toujours été réticente aux procès intentés contre les fonctionnaires. On a découvert, lors de fouilles archéologiques, des bronzes datant de plus 3 000 ans sur lesquels était gravé un texte racontant un procès intenté par un dénommé Muniu contre un fonctionnaire local. Après avoir jugé l’affaire, le juge Bo Yangfu dit au demandeur : « Muniu, comment as-tu pu avoir suffisamment d’audace pour intenter un procès contre un fonctionnaire ? Moi, le grand juge, je te condamne à recevoir 1 000 coups de fouet, à porter sur ton visage une marque d'infamie et à donner à celui que tu accuses 5 esclaves ». Ce texte vieux de plus de 3 000 ans montre qu'à l'époque celui qui saisit la justice contre un fonctionnaire est sévèrement puni, que sa demande soit légitime ou pas.

Bronze datant de 920 av. JC faisant référence au procès de Muniu

Cette situation a duré pendant des siècles, le régime politique ne permettant pas au peuple de saisir la justice contre les fonctionnaires. Dans la culture féodale chinoise, le fonctionnaire occupe une position qui le place au dessus du peuple, ce qui a conduit à l'époque contemporaine à empêcher la mise en place d'un système d'action contentieuse ayant pour effet de contester le pouvoir administratif. Ce système n'est devenu possible que lorsque la Chine moderne a abandonné le régime féodal. La volonté d’instituer une action contentieuse administrative apparaît pour la première fois vers la fin de la dynastie des Qing, période à laquelle ont eu lieu des tentatives de mise en place d'un régime constitutionnel. La première législation sur la procédure contentieuse administrative, au sens

moderne du terme, date du début de la République de Chine: le 21 juillet 1914 a été publiée la loi sur le contentieux administratif. Un des procès administratifs les plus connus a été intenté en 1952 par le célèbre écrivain Lu Xun contre le ministère de l’Éducation qui l’avait destitué de son poste. Lu Xun, dont le nom d’origine était Zhou Shuren, a poursuivi le ministère devant la juridiction administrative en invoquant la loi sur la discipline des fonctionnaires, en demandant la révocation de la décision prise à son encontre. Lu Xun eut gain de cause, la juridiction administrative estimant que la procédure suivant laquelle le ministère avait pris la décision n’était pas conforme à la loi.

M. Lu Xun eut gain de cause contre le ministère de l'Éducation

En 1949, la Chine nouvelle (La République populaire de Chine) a été fondée. Le Code civil de la République de Chine (Liu Fa Quan Shu) a été aboli et le régime de l'action contentieuse administrative a été par conséquent abrogé. En 1966, au moment de la Révolution culturelle, la police et la justice ont fait l’objet de critiques. Le fonctionnement de la Cour populaire a été gravement entravé pour des raisons politiques. Le Parquet, organe de supervision de la justice, a été quant à lui tout simplement supprimé. Les instances judiciaires suprêmes ont été dans une large mesure détruites, affectant ainsi sérieusement la démocratie et la justice dans tout le pays. Après la Révolution culturelle, la Chine a rétabli progressivement son système légal. En 1982, un projet de loi sur la procédure civile a précisé pour la première fois que les cours populaires sont compétentes pour juger les affaires administratives. Depuis lors, les affaires administratives sont jugées par les cours populaires de tous les niveaux. Entre 1985 et 1986, les cours populaires locales de toute la Chine ont mis en place des tribunaux spécialisés pour juger ces affaires. Le premier tribunal de ce genre a été créé dans le

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district de Miluo (province du Hunan). Selon les statistiques de la Cour populaire suprême, au début de l'année 1989, 26 cours populaires supérieures, 242 cours populaires de deuxième instance (63.5% des cours populaires de la deuxième instance) et 1 154 cours de base (39% des cours de base) ont institué un tribunal administratif. Pourtant, de vieilles habitudes ancrées dans la population et la tradition étatique représentaient encore un obstacle de taille à l'adoption d'une législation sur l'action contentieuse en matière administrative. En 1989, le bureau de la législation du Conseil des affaires d’État a mené une consultation générale sur la nécessité de mettre en place une telle loi. Parmi les fonctionnaires consultés, certains estimaient que si les citoyens bénéficiaient du droit de saisir la justice contre l’administration, le gouvernement perdrait son autorité et les fonctionnaires n’oseraient plus jouer leur rôle. Dans cette perspective, un système d'action contentieuse administrative aurait eu pour effet de multiplier les conflits entre l’administration et la population, affectant ainsi la stabilité du pays et de la société. Certains allaient même jusqu’à dire qu’une telle loi encouragerait les administrés à abuser de cette procédure. Les fonctionnaires de l’administration d’une province avaient même envoyé une lettre au Comité central du PCC pour signifier qu’ils démissionneraient collectivement si de telles réformes étaient mises en place, dans la mesure où ils estimaient que, dans ce contexte, ils ne manqueraient pas d'être poursuivis. Finalement, le Premier ministre avait tout de même estimé qu'une loi sur l'action contentieuse administrative était nécessaire au bon fonctionnement de l’administration. A l'époque, personne n’osait intenter la moindre action contre l’administration. C'est un paysan nommé Bao Zhengzhao qui eut le premier le courage d’intenter un tel procès contre l’administration locale le 25 août 1988. Ce procès symbolique en matière de contentieux administratif est désormais reconnu comme étant le premier procès administratif de la Chine contemporaine. Cet habitant du district de Cangnan, dans la ville de Wenzhou, démontra par son courage que tout le monde pouvait poursuivre en justice l’administration publique. Ce genre d’affaires était symptomatique du besoin de légalité administrative en Chine, consacré par la loi sur le contentieux administratif votée le 4 avril 1989. Sur le fond, l'affaire n’était pas compliquée. Bao Zhengzhao, qui était un paysan de 61 ans, avait construit en 1985 une maison à 3 étages avec l’autorisation du bureau de la construction urbaine de la commune. Le 4 juillet 1987, les autorités du district, estimant que la maison était construite sur une digue ont fait détruire une partie de cette maison. Bao Zhengzhao a saisi la justice contre le gouvernement du district considérant que la décision portait atteinte à ses droits et intérêts légitimes alors que la construction

avait fait l'objet d'une autorisation administrative. A cette époque, comme il n’existait pas encore de loi sur les rapports entre l’administration et les citoyens, le tribunal a décidé de ne pas examiner l'affaire. Le président du tribunal a expliqué son refus en précisant que le tribunal n’était pas compétent pour examiner la requête contre l’administration du district mais que le demandeur gardait la possibilité de s’adresser à la cour de niveau supérieur.

« Requérant » : M. Bao Zhengzhao lors de l'audience

La difficulté à laquelle s'est heurté Bao Zhengzhao pour saisir la justice a suscité l’intérêt du président de la cour populaire supérieure de la province du Zhejiang, lequel a ordonné à la cour populaire du second degré de Wenzhou d'examiner le litige. Le procès s’est ainsi engagé de façon exceptionnelle. L’affaire était médiatisée et une partie de l’opinion publique estimait que les Bao étaient des « malins perfides ». Certains journaux titraient à la une : « Un procès sans fondement ». Huang Deyu, chef du district, était présent en personne à l’audience, fait exceptionnel pour l'époque. Bao Zhengzhao a ainsi permis de rompre une longue tradition culturelle selon laquelle les gens ne doivent jamais se confronter judiciairement à l’administration : il a eu le courage d’affronter le gouverneur qui, pour la première fois également dans l’histoire de la Chine, s’est présenté de sa propre initiative comme défendeur devant le tribunal. Le jour de l’audience, les 40 000 habitants du district de Cangnan suivaient le procès, qui devait se tenir dans une salle d'environ 450 places : l’affluence était telle qu’il fut finalement organisé dans une salle de cinéma de plus de 1 000 places, laquelle était à peine suffisante. Devant un public aussi nombreux et sous les projecteurs, une pression psychologique considérable pesait sur les parties. Plusieurs débats acharnés ont eu lieu au sein des organes dirigeant du district pour déterminer l'opportunité de la présence du gouverneur Huang Deyu à l’audience. Alors que la plupart étaient contre, le gouverneur insistait pour être présent. Lorsque la nouvelle de sa présence a été rendue publique, elle s'est répandue dans tout le pays.

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Ce procès emblématique s’est soldé par la victoire du défendeur. Il a une portée considérable dans l’histoire de la procédure contentieuse administrative chinoise : on estime même qu’il constitue un jalon majeur dans la construction juridique de la Chine contemporaine. Cette affaire a inspiré le réalisateur Zhang Yimou dans le film « Le procès de Qiuju »1. Les médias étrangers ont, quant à eux, estimé que cette affaire montrait les progrès faits par la Chine en matière de démocratie. A la suite de ce procès, l'Assemblée populaire nationale a voté la loi sur le contentieux administratif, laquelle est considérée comme une étape importante dans la construction de la démocratie et la légalité de la société au cours des 50 dernières années. Pourtant, après la publication de cette loi, des réticences à l’égard du contentieux administratif ont continué à exister. Ainsi, selon le rapport du secrétariat du Bureau du Comité central du PCC, plus de 2 000 fonctionnaires d’une commune ont présenté leur démission en août 1990 car ils estimaient que « la loi avait rendu extrêmement difficile leurs tâches quotidiennes, qu’elle n’était pas favorable à l’exercice normal du pouvoir et qu'elle bouleversait l’ordre social ». Au fur et à mesure de l’établissement du régime de l’action contentieuse administrative, le nombre des recours a augmenté. Certains d’entre eux ont eu pour effet de promouvoir le développement d'un État de droit. En 1998, l’affaire Tian Yong place pour la première fois un établissement d’enseignement supérieur en position de défendeur. En 2001, l’affaire Ma Dandan a sensibilisé l'opinion publique sur la question des dommages et intérêts octroyés en réparation d'un préjudice moral. Toujours en 2001, l’affaire intentée par l'avocat Qiao Zhanxiang contre le ministère des Chemins de fer ayant décidé d’augmenter le prix du transport des voyageurs pendant la Fête du Printemps a ouvert la voie aux audiences publiques concernant les décisions administratives mettant en jeu les intérêts publics. En 2003, l’affaire Sun Zhigang2 a conduit à l'abrogation de la procédure sur le rapatriement des personnes sans domicile, remplacée par une procédure mettant l'accent sur l’hébergement et le secours de ces individus. Favorisé par ces affaires, le système de la procédure administrative contentieuse présente aujourd'hui, après vingt ans de développement, les particularités suivantes : Premièrement, il est pour l’essentiel de plus en plus complet et perfectionné. Après la publication de la loi sur le contentieux administratif, le volume des textes a augmenté : notamment, ont été votées successivement « la loi sur la réparation civile », « la loi sur la sanction

1 C'est le titre d’un film célèbre racontant l’histoire d’une

paysanne qui cherche à saisir la justice contre le chef de village qui a blessé son mari.

2 Voir l'article sur les 30 ans de droit administratif chinois (1978-

2008), page 5.

administrative », « la loi sur le réexamen administratif », et « la loi sur l'autorisation administrative ». La Cour populaire suprême a également publié deux interprétations judiciaires afin de faciliter l'application de la procédure contentieuse administrative. Deuxièmement, la procédure est entrée dans une ère nouvelle. Les statistiques le montrent de façon éloquente : entre 1989 et 2008, le nombre des requêtes s’est élevé à 1 405 085 dont 1 401 532 ont été traitées, ce qui représente 99.7﹪ des requêtes. L’augmentation constante du nombre de procès administratifs prouve que la population prend conscience de l'importance de la légalité des actes administratifs. Les individus sont de plus en plus sensibles à la protection de leurs droits et intérêts légitimes. Parallèlement, l’application des lois par l'administration s'est dans une large mesure améliorée. Troisièmement, on rencontre toujours cependant une certaine réticence du public face à la procédure contentieuse administrative. Jusqu’à présent, les Chinois sont restés méfiants à son égard et évitent dans la mesure du possible les procédures contentieuses. Les requêtes augmentent en nombre mais ce chiffre reste insignifiant par rapport aux affaires traitées par les administrations. Ainsi, en 2003, le bureau d’administration des Industries et du Commerce de Yichang, dans la province du Hubei, a traité plus de 2 000 affaires mais à peine une centaine ont fait l'objet d'un recours. Un grand nombre d'entre eux n'étaient donc pas soumis à la justice. L’histoire de la Chine montre que le système judiciaire a toujours été conçu comme une branche de l'administration, et que par ailleurs traditionnellement les fonctionnaires et le peuple n'ont jamais été sur un pied d’égalité, d’autant plus que la question de la légalité des actes administratifs était marginale. Les affaires jugées nous montrent que jusqu’à présent le contentieux administratif n'est pas bien connu et accepté par les administrés. La procédure juridique paraît longue et persiste la peur de « vexer » les fonctionnaires de l’administration. Les affaires intentées par les citoyens auraient peu de chances d'aboutir favorablement. Beaucoup d'administrés se refusent même catégoriquement de faire appel à la justice lorsque leurs droits sont réellement atteints : ils ne veulent pas, en gagnant leur procès, courir le risque de se mettre en mauvais termes avec l’administration et d'être victime de sa malveillance. De plus, l’action contentieuse administrative n’est pas la seule issue possible en cas de litige : le réexamen administratif (xing zheng fu yi) et les lettres et visites (xin fang) ont beaucoup plus de succès auprès des Chinois parce que la procédure leur apparaît plus simple et moins brutale tout en étant plus efficace quant au résultat. Le réexamen administratif est une procédure qui permet à un citoyen ou à une personne morale de

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former un recours devant l'administration contre la décision administrative qu'il estime contraire à la loi et lésant ses droits. L'administration qui a pris la décision contestée ou celle hiérarchiquement supérieure réexaminera la décision conformément à la loi. Le système des lettres et visites permet, quant à lui, à un citoyen ou une personne morale qui s'estime victime d’une injustice de la part de l’administration, d’aller déposer une plainte auprès d’une autorité compétente ou à d'une administration de niveau supérieur. Les doléances sont formulées dans un courrier, un courriel ou lors d'un appel téléphonique ou d'un entretien. Les administrations ont par contre des moyens multiples et sans cesse renouvelés pour neutraliser les procès. Certaines tentent même de les étouffer en s'appuyant sur la loi de procédure administrative. Ainsi, avant de prendre une décision, l'administration envisage des mesures de prévention pour dissuader les citoyens susceptibles d’être victimes de la décision administrative de faire appel à la justice. Parfois, ils seraient menacés de sanctions lourdes s’ils s’avisaient à saisir la justice et l’administration chercherait à passer un « accord verbal » pour empêcher les victimes potentielles d'agir. Il arrive même que certains fonctionnaires sacrifient les intérêts de l’État afin d'étouffer les recours. Si ces manœuvres échouent et qu'une requête est déposée, l'administration peut faire en sorte que le demandeur renonce au procès, et ceci par deux moyens : en cherchant à nouer de « bonnes relations » avec les magistrats afin qu'ils invitent le demandeur à se désister de sa demande ou en faisant intervenir quelqu’un de niveau hiérarchiquement supérieur qui étouffera la requête en usant de son pouvoir ou de son influence administratifs. Tous ces comportements constituent autant d’obstacles à la procédure administrative qu'à une bonne application de la loi par l'administration. Depuis une vingtaine d’années, la Chine a fait des progrès incontestables dans le domaine des actions contentieuses en matière administrative. Cependant, des efforts seront encore nécessaires pour perfectionner les mécanismes de cette procédure.

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REGARDS CROISÉS / 交流交流交流交流

LA PROCÉDURE APPLICABLE DEVANT LE

JUGE ADMINISTRATIF FRANÇAIS

par Terry Olson

Conseiller d’Etat

Monsieur le Conseiller d'État Olson a bien voulu nous autoriser à publier le contenu de son intervention lors du Colloque sino-français de droit comparé qui s'est tenu à Pékin le 11 mai 2009 sur le thème du contentieux administratif en droit français. L’immensité du sujet que je suis censé traiter à présent, compte tenu du temps qui m’est imparti, défie toute prétention à l’exhaustivité. Il s’agira tout au plus pour moi de vous décrire de manière très synthétique les principes généraux servant en quelque sorte de points de repère au juge administratif français. On peut d’ores et déjà souligner trois éléments.

La procédure appliquée au contentieux administratif en France plonge ses racines dans l’Histoire. On a coutume d’en retracer l’évolution depuis 1738, lorsque le Chancelier d’Aguesseau (désignant alors le ministre de la Justice) a fait adopter un règlement pour le traitement des requêtes devant le Conseil du Roi, qui était l’ancêtre du Conseil d’État institué en 1799. D’autres textes de procédure ont suivi à partir de 1806 et tout au long des XIXème et XXème siècles. Ce droit dit processuel a également été fortement enrichi par la jurisprudence. Ceci explique pourquoi, encore aujourd’hui, nos jugements font la distinction entre les principes et les règles de procédure : · les principes généraux de procédure qui constituent les garanties fondamentales bénéficiant aux justiciables et auxquels on ne peut jamais déroger ; · les simples règles de procédure, qui ont une valeur subsidiaire et auxquelles les textes peuvent déroger.

Installation du Conseil d'Etat au Palais du Petit-Luxembourg le 25

décembre 1799

On peut noter en deuxième lieu que ces textes de procédure, qui s’étaient accumulés avec le temps sans véritable souci de cohérence, ont été codifiés dans un instrument unique valable pour toute la juridiction administrative. Il s’agit du code de justice administrative qui est entré en vigueur le 1er janvier 2001. Ce code a simplifié et rendu plus accessibles les règles de droit applicables à notre procédure. Ajoutons que ce texte a été traduit en plusieurs langues autres que le français, et est devenu une référence pour un certain nombre de systèmes juridiques étrangers. Notons enfin que ce processus de codification n’est jamais figé et que le code de justice administrative est un code très dynamique qui ne cesse de se perfectionner : des compléments et améliorations y sont apportés quasiment chaque année. Il convient de souligner qu’un certain nombre de ces compléments s’analysent comme la transcription sous forme écrite de règles jusque là coutumières, auxquelles il était devenu indispensable de donner une forme écrite et explicite pour couper court à des critiques souvent injustifiées. Cette démarche est d’autant plus importante qu’à l’instar de ce qui se passe dans plusieurs pays européens, les règles de procédure applicables en France devant les juridictions administratives doivent respecter les exigences de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’Homme qui fonde partout en Europe le droit au procès équitable, devant un juge indépendant et impartial. Je me propose : · tout d’abord de vous présenter les principes fondamentaux qui structurent notre procédure contentieuse ; · dans un deuxième temps, de vous décrire dans ses principales étapes le cheminement d’une requête devant une juridiction administrative. 1. Les principes fondamentaux de la procédure administrative contentieuse Une première question qu’on peut évoquer est celle de la publicité. Ce terme appliqué à notre procédure renvoie à plusieurs sens qu’il est utile de distinguer. Tout d’abord – cela va de soi - la justice est rendue «au nom du Peuple français» et donc en principe publiquement, mais le principe de la publicité ne s’applique vraiment qu’au stade des audiences de jugement et de la diffusion des décisions de justice. Les audiences sont publiques : toute personne, sans être obligatoirement intéressée par l’une des affaires jugées ce jour-là, a la possibilité d’assister à une audience. Quant aux décisions rendues, elles sont communicables à tous les justiciables et ne revêtent aucun caractère

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secret; simplement certains arrêts sont rendus anonymes dans de rares cas où il est nécessaire pour les parties elles-mêmes de préserver la confidentialité. Avant l’audience de jugement et donc pendant l’instruction de la requête, il en va tout autrement. Le principe appliqué est que tout ceux dont les droits sont susceptibles d’être affectés de manière significative par le jugement qui sera rendu, selon que la requête sera acceptée ou rejetée, doivent en recevoir communication. Cette communication est destinée à permettre à la personne concernée de faire ses commentaires pour se faire entendre et pour défendre ses droits. Seront donc « mis en cause » selon l’expression en usage tous ceux mais seulement ceux qui sont intéressés par l’issue du litige. Ceci étant rappelé, trois principes essentiels se distinguent dans notre procédure. Celle-ci est : écrite, inquisitoire et contradictoire. Évoquons successivement chacun de ces trois éléments. Tout d’abord la procédure est écrite. Il serait plus exact de dire « principalement écrite ». Sur ce point notre procédure se distingue assez fortement de la procédure pénale, dans laquelle comme on le sait l’audition des témoins et des personnes poursuivies elles-mêmes jouent un rôle essentiel. Si on tente de faire quelques comparaisons avec d’autres systèmes, on notera que la procédure administrative française se distingue fortement aussi de celle en usage dans les États de culture juridique anglo-saxonne, Dans les pays de Common law, la pratique du jury impose de recourir souvent au débat oral ; or en France en matière administrative le jury est inconnu. Le juge administratif se prononce avant tout après avoir consulté et traité de manière approfondie un dossier dans lequel les pièces essentielles sont les productions écrites des parties et tous les documents qui justifient les demandes des parties. Doit-on en déduire que l'oralité est absente de notre procédure ? Évidemment non. Elle est au contraire présente à plusieurs titres. Il est en premier lieu toujours possible à l’avocat d’une partie de faire des observations orales à l’audience. Devant les juridictions de première instance ainsi que devant les cours administratives d’appel, les requérants eux-mêmes ont la possibilité non seulement d’assister à l’audience mais aussi de s’exprimer – possibilité de prendre la parole n’étant ouverte devant le Conseil d’Etat qu’aux avocats et à eux seuls. Il mérite également d’être souligné que les textes comme la pratique tendent à développer ce que l’on nomme « l'enquête à la barre » qui permet d’organiser des auditions et d’interroger oralement les parties, en présence de tous les protagonistes.

Enfin le développement des procédures d’urgence, notamment les divers types de référé, contribue à changer les pratiques. Est souvent organisée à cette occasion une « audience de cabinet » non accessible au public. Au cours de cet échange, qui se veut libre, les parties dialoguent devant le juge qui peut poser toutes les questions qu’il souhaite et se forge ainsi son opinion, qui est éclairée par les échanges oraux. En deuxième lieu notre procédure est inquisitoire. Sur ce point également, la procédure administrative s’éloigne des principales règles en vigueur devant les tribunaux civils où la procédure est dite accusatoire ; elle s’écarte aussi de la démarche adoptée dans les pays de Common law, où le juge agit plus en arbitre qu’en acteur. Cela signifie que le juge n’est pas dans notre procédure un simple arbitre et encore moins un spectateur passif : le juge dirige la procédure. Il a le pouvoir d’inviter les parties à produire des documents pour concourir à la manifestation de la vérité. Il peut donner des délais pour satisfaire ces obligations. Enfin notre procédure est contradictoire. Le débat devant le juge doit garantir que celui-ci ne forgera sa conviction qu’au vu d’éléments dont toutes les parties en présence ont eu connaissance. Toutes les parties doivent être placées sur un strict pied d’égalité quant à la connaissance réciproque des informations et données de fait produites ou des arguments juridiques dont elles se prévalent. De la même manière, chaque fois que le juge introduira dans le débat un élément juridique déduit du dossier mais non invoqué par les parties – on utilise l’expression qu’il « soulève d’office un moyen » - il ne pourra le faire qu’après avoir mis les parties à même d’en discuter entre elles. C’est une garantie de bonne justice et de transparence. Le respect du contradictoire est d’une importance particulière pour les mesures d’instruction qui doivent être conduites sous le regard de toutes les parties. Tel est par exemple le cas : · des demandes d’explications et de production de pièces que le juge adresse aux parties ; · des visites sur place, étant noté qu’elles sont assez rares; · des expertises qui sont quant à elles fréquentes, en particulier en matière de responsabilité. Chacun doit être libre de contester les conditions dans lesquelles ces expertises sont faites et les conclusions auxquelles elles parviennent, tout particulièrement en matière médicale et hospitalière. 2. Le cheminement d’une requête devant une juridiction administrative Je vais à présent vous décrire en quelques mots le cheminement d’une requête devant une juridiction

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administrative. J’ai choisi la section du contentieux du Conseil d’État, mais la procédure suivie devant les tribunaux et les cours est assez proche. On distinguera deux étapes, en amont et en aval de la séance de jugement.

Salle du contentieux du Conseil d'État

2.1. Le déroulement de l’instance en amont de la séance de jugement La requête est introduite en principe dans un délai de deux mois suivant : · pour un acte réglementaire, la date de publication du règlement que l’on souhaite attaquer; · pour une décision individuelle, la date à laquelle cette décision vous a été notifiée, cette notification prenant le plus souvent la forme d’une lettre recommandée. En France, le principe est que le recours préalable devant l’administration, recours destiné à obtenir de l’administration qu’elle reconsidère sa position, n’est pas obligatoire sans texte qui l’impose. Le principe est inverse dans certains autres systèmes : on peut citer à cet égard l’exemple de l’Allemagne. La volonté du Conseil d’État est d’encourager le développement de cette formule qui favorise la prévention du contentieux et permet de trouver des solutions équitables sans avoir à encombrer les tribunaux. A titre d’illustration, j’indique que ce recours préalable a été rendu obligatoire pour la plupart des litiges individuels concernant les militaires; cette formule a donné de bons résultats. Il serait utile d’envisager de l’étendre à d’autres champs de contentieux, par exemple celui des litiges engagés par les fonctionnaires ou au moins de certaines catégories d’entre eux. Autre précision importante : en France, et toujours en l’absence de texte en prévoyant autrement, l’exercice du recours contentieux n’a pas d’effet suspensif. Si l’on veut que l’exécution de la décision soit interrompue pendant la durée de l’examen de la requête, il faut en faire la demande spécialement. Cette demande prend le plus souvent la forme d’un référé suspension. Le juge peut y faire droit si deux conditions sont réunies : - l’existence d’une situation d’urgence ; - l’existence d’un moyen (argument juridique) de nature, en l’état de l’instruction, à soulever un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.

Lorsque l’intéressé dépose sa requête, il doit dans le délai de deux mois indiquer un certain nombre d’éléments et en particulier formuler ses conclusions – en d’autres termes ce qu’il demande – et exposer les faits et les moyens de droit qui justifient sa demande. Du point de vue de l’argumentation juridique, on admet que cette demande initiale soit un peu résumée ou sommaire mais à la condition que l’intéressé complète sa demande par un mémoire complémentaire, plus développé, qui doit être enregistré dans un délai de quatre mois suivant le dépôt de la requête initiale. Si la requête initiale comporte certaines imperfections que l’on peut rattraper, on effectuera ce que l’on appelle les demandes de régularisation, notamment quand la demande a été présentée directement et qu’elle exige en réalité l’intervention d’un avocat. L’instruction peut donc commencer. Elle comporte deux phases.

Une première phase consiste à mettre en cause toutes les parties intéressées et à leur communiquer la requête. Chacune de ces parties pourra produire par écrit, soit en demande soit en défense. Certaines personnes pourront aussi se présenter spontanément et, selon l’expression utilisée, elles pourront former une «intervention» soit en demande soit en défense : par exemple, dans le cas d’un fonctionnaire qui attaque une sanction prise à son égard, il est possible et même assez fréquent que son syndicat intervienne pour soutenir sa demande. Ainsi que cela a été indiqué, cette première phase est régie par le principe du contradictoire et cette exigence est contrôlée de manière très rigoureuse : c’est un élément indissociable d’une procédure impartiale, fondée sur un traitement équitable entre toutes les parties au litige.

Tous ces échanges prennent du temps, en général plusieurs mois. Toutefois le délai de l’instruction tient compte de l’importance et de l’urgence de l’affaire. Comme cela a été dit, le juge contrôle le déroulement de l’instruction et il peut donner aux parties des délais assez rapprochés pour produire, de telle sorte que l’instruction de l’affaire soit conduite dans des délais conformes aux exigences d’une bonne administration de la justice. C’est au cours de cette première phase que seront éventuellement décidées des mesures d’instruction, par exemple une expertise, dont le juge estimerait avoir besoin pour prendre sa décision en étant pleinement informé le cas échéant avec l’aide et l’avis technique d’un spécialiste. Au terme de cette première phase l’affaire sera prête à être confiée à un rapporteur. Celui-ci pourra provoquer telle ou telle mesure d’instruction supplémentaire qui lui semblerait nécessaire. Son travail primordial consistera à étudier le dossier, à analyser les moyens et à réunir une documentation sur l’affaire. Cette documentation doit notamment comporter les textes et la jurisprudence pertinente sur le ou les points de droit

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que l’affaire présente à juger. Au terme de cette étude le rapporteur soumet le dossier enrichi du fruit de ses recherches et comportant des « visas » qui sont une analyse des moyens de fait et de droit échangés au cours de l’instruction, une note (rapport) et un projet de jugement. Ce dossier est transmis à un « réviseur » qui est un magistrat confirmé et expérimenté qui va faire une deuxième étude de l’affaire sur la base du travail fourni par le rapporteur.

Lorsque le réviseur a terminé son étude du dossier, l’affaire – du moins si elle revêt un certain intérêt – est examinée lors d’une séance d’instruction. Cette séance réunit, hors de la présence des parties et de leurs avocats et bien entendu hors de la présence du public, les membres de la chambre chargée de l’instruction – il y en a dix au Conseil d’État. Le rapporteur et le réviseur résument le fruit de leurs travaux et les membres de la chambre sous la conduite de son président en débattent. On dénombre en général une douzaine de personnes dans la chambre. Au terme de ce débat, au cours duquel chacun pose des questions et s’exprime librement, un projet de jugement est adopté au nom de la chambre. Si nécessaire une mesure d’instruction complémentaire pourra être décidée.

Lors de cette séance était présent un rapporteur public, dont le travail consiste à donner son avis sur l’affaire, à présenter ce que l’on appelle ses « conclusions ». Il intervient peu au cours de la séance d’instruction, mais il s’informe sur l’affaire et il reçoit communication du dossier très peu de temps plus tard. Son travail consiste à vérifier si les faits ont été correctement appréciés, et à s’assurer de la conformité de la solution adoptée à titre provisoire avec la jurisprudence. Celle-ci n’est cependant pas figée et la chambre, tout comme le rapporteur public, peuvent estimer qu’il faut la faire évoluer si cela est justifié. Si le rapporteur public a des doutes sur la solution proposée, il poursuivra son dialogue avec la chambre pour tenter de trouver un terrain d’entente. Si il n’y a pas de problème, le rapporteur public inscrit l’affaire lors d’une séance de jugement, en d’autres termes une séance publique suivie d’un délibéré.

Le Conseil d'État à Paris

2.2 Le déroulement de l’instance en aval de la séance de jugement La séance de jugement, à laquelle les parties sont convoquées, comporte deux parties : · une partie publique, accessible à tous y compris bien entendu les parties ; · une partie inaccessible au public que nous appelons le délibéré. La partie publique est consacrée en grande partie à l’audition des conclusions du rapporteur public. Ce magistrat expose l’ensemble des données de fait et de droit de l’affaire et recommande une solution. Les avocats des parties sont invités à s’exprimer en prenant la parole, non seulement avant mais désormais aussi après avoir entendu les conclusions du rapporteur public. Devant les tribunaux et les cours - mais pas devant le Conseil d’État - les parties peuvent s’exprimer directement et sans passer par l’entremise de leurs avocats. Lorsque l’ensemble des affaires inscrites au titre de cette séance ont été examinées, commence le délibéré. Les juges se réunissent à huis clos et délibèrent sur le projet qui a été adopté provisoirement par la formation chargée de l’instruction. Le projet est souvent conforme et parfois contraire au sens des conclusions du rapporteur public. Chacun des juges qui délibèrent peut s’exprimer comme il l’entend ; chacun dispose d’une voix et celle d’un jeune magistrat a au moment du vote le même poids que la voix d’un juge expérimenté et confirmé. Les formations siègent toujours en nombre impair, pour que l’on soit certain qu’une majorité sera dégagée. Il est interdit de refuser de voter. Après le débat d’ensemble le président de la formation soit constate un consensus ce qui dispense d’un vote formel, soit fait voter. Le sens du vote individuel de chaque juge ne sera jamais connu à l’extérieur. Le secret du vote est considéré en France comme un élément de la liberté du juge. A la différence de la procédure anglo-saxonne, il est interdit à tout juge de publier une opinion concordante ou dissidente, car cela permettrait de connaître le sens de son vote et d’en déduire le sens du vote des autres juges. Quelques jours après la séance, la décision est rédigée dans sa forme définitive : nous accordons beaucoup d’importance à la qualité formelle et rédactionnelle de nos décisions. Lorsque ce travail de relecture est achevé, l’arrêt est prêt à être publié – nous disons « lu » - et au cours des jours suivants il est notifié aux parties. L’arrêt est accessible sur divers sites Internet. Les conclusions du rapporteur public sont également communiquées aux personnes qui en font la demande. Voici les grandes étapes de la procédure qui est suivie. Vous aurez noté, j’en suis certain, deux éléments qui s’en dégagent :

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· d’une part la volonté du juge administratif de conduire l’instruction de l’affaire d’une manière qui soit à la fois contradictoire et équitable mais aussi efficace. Une des difficultés qu’il faut parfois surmonter est la réticence de l’administration à produire tous les documents et pièces dont le juge a besoin pour se faire une idée complète sur le bien-fondé des demandes dont il est saisi. Le juge doit se forger son intime conviction. Il n’y a en effet pas de régime légal de preuve devant le juge administratif ; · d’autre part la procédure qui est suivie, en particulier au cours de la deuxième phase que je me suis efforcé de vous décrire, est une succession de « filtres » soit individuels soit collégiaux qui sont destinés à prévenir les oublis, erreurs ou approximations. Le but est de rendre une décision de qualité, prenant en compte tous les aspects de l’affaire. L’une des préoccupations essentielles est de ne jamais s’écarter involontairement de la jurisprudence : en cette matière la cohérence est indispensable. Cela ne signifie pas que le juge est le « prisonnier » des précédents existant en jurisprudence. Il est toujours possible et parfois nécessaire de préciser voire de changer la jurisprudence ; il est indispensable lorsque l’on fait ce choix de le faire de manière volontaire et consciente, en pesant l’ensemble des enjeux de ce changement. Ceci est très important du point de vue du respect du principe de sécurité juridique.

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La procédure applicable devant le juge administratif chinois

par

LIANG Fengyun Magistrat à la Cour populaire suprême

Docteur en droit En Chine, la procédure administrative est définie par la loi sur le contentieux administratif et par les interprétations judiciaires de la Cour populaire suprême. On y trouve essentiellement des dispositions sur les principes fondamentaux de la procédure, le dépôt de la requête, l'enregistrement de l’affaire par la juridiction, la première et la seconde instances et le réexamen de l'affaire. Les principes fondamentaux et les règles de procédure de première instance en sont les composantes les plus importantes. Nous procéderons dans cet article à leur analyse.

Contentieux administratif devant une cour supérieure

1- Les principes fondamentaux Ils constituent le noyau dur de la procédure contentieuse administrative chinoise, dont ils reflètent l'esprit. Ils incarnent également les particularités de la justice administrative en Chine, orientant la législation et les pratiques administratives vers la démocratie et l’État de droit. La procédure chinoise repose sur deux principes fondamentaux : celui de l’examen de la légalité des actes administratifs et celui du respect des droits au cours du procès. 1.1 Le principe de l’examen de la légalité L’examen de la légalité est le fondement de la loi sur le contentieux administratif en Chine. On entend par « examen de la légalité » la vérification faite par le tribunal de la légalité des actes administratifs, laquelle consiste pour le tribunal à recevoir et juger conformément à la loi une requête contre un acte administratif. Le principe de l’examen de la légalité a une importance considérable dans la loi sur le contentieux

administratif. Cet examen ne se fait pas seulement pendant le procès mais également lors de l'enregistrement de la requête par le tribunal et au moment du délibéré. En vertu de ce principe, sont examinées non seulement la légalité de l'acte administratif objet du recours mais aussi la légalité des actes pour lesquels l’administration formule une demande d'avis à la cour avant de les mettre en application. L’examen de la légalité est consacré dans la loi sur le contentieux administratif pour les raisons suivantes : - premièrement, le pouvoir administratif et le pouvoir judiciaire ont chacun leurs compétences propres. On entend à la fois par « pouvoir administratif » l’exécution des actes administratifs conformément aux lois et le pouvoir exercé par un organe administratif en vertu de ses compétences, lui permettant de juger d'une situation et de prendre des décisions concrètes de façon indépendante par rapport au pouvoir judiciaire ;

- deuxièmement, l’administration des affaires publiques relève d’une compétence spéciale nécessitant une pratique et des connaissances particulières. Ainsi, il est parfois difficile de demander à un juge d'apprécier si un acte administratif est opportun ;

- troisièmement, s’il fallait que le pouvoir judiciaire intervienne pour décider si un acte administratif est opportun, la justice serait hiérarchiquement à un niveau supérieur à celui de l'administration, lui permettant ainsi de contrôler son fonctionnement. Le principe de l'examen de la légalité est également explicité dans certaines interprétations judiciaires de la Cour populaire suprême. L’appréciation de l'opportunité d'un acte administratif fait actuellement l’objet d’un débat acharné parmi les juristes. Selon la Cour populaire suprême, l'examen de la légalité et de l'opportunité d'un acte présentent une différence de degré. Par conséquent, les juridictions n'examinent que très rarement l'opportunité des actes administratifs. 1.2 Le principe du respect des droit aux procès Ce principe est axé essentiellement autour de quatre points:

- le principe du jugement indépendant :

Selon l’article 126 de la Constitution et l’article 4 de la loi organique des cours, les juridictions exercent sa compétence en toute indépendance vis-à-vis des organes administratifs, des collectivités locales et des personnes physiques. Ce principe est également défini dans la loi sur le contentieux administratif. Il se réfère à l’autonomie avec laquelle le juge saisi d'un litige administratif statue en tenant compte des faits, conformément à la loi et sans aucune intervention extérieure.

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- le principe de l’égalité de droit :

Selon l’article 33 de la Constitution, tous les citoyens de la République populaire de Chine sont égaux devant la loi. Dans la mesure où le procès administratif a essentiellement pour objet la légalité des actes administratifs, des règles particulières sont prévues pour préserver l’égalité en droit entre les parties concernées. A titre d'exemple, la partie en défense a la charge de prouver la légalité de ses actes. Les deux parties ont également le droit d'interjeter appel et d'être entendues. Les actes contraires à la procédure peuvent faire l'objet de sanctions. - le principe du débat oral :

Dans un procès administratif, le juge doit entendre les arguments des parties, vérifier le dossier et les éléments versés au débat et prendre sa décision conformément à la loi. Ce principe comprend deux aspects : la présence obligatoire au tribunal et l'obligation d'évoquer lors de l'audience l'ensemble des éléments de fait et de droit. L'expression « débat oral » signifie que l'instruction, les débats et le prononcé de la décision ont lieu oralement en salle d'audience. Ces deux règles exigent l’une comme l’autre que les parties soient présentes en personne à l’audience et que la décision prise par le juge soit fondée directement sur l’instruction et le débat menés devant la juridiction. Le juge n’a pas le droit de statuer dans l’affaire en se fondant uniquement sur des documents écrits fournis par la partie en défense. - le principe du débat contradictoire : Le droit de se défendre est un droit fondamental pour les parties. Selon les règles de procédure, une décision affectant les droits ou les obligations d’une partie ne peut être prise qu’après un débat contradictoire. Selon ce principe, la langue ne doit pas être un obstacle à l'audition des parties. Ces dernières ont le droit de débattre sur l'ensemble des points faisant l'objet de la contestation. Le tribunal doit permettre aux parties de s’exprimer et le résultat du débat doit constituer le fondement de la décision judiciaire.

Audience dans la ville de Chongqing

2- La procédure devant les juridictions administratives de premier ressort Elle comprend principalement le dépôt de la requête et l’acception de l’affaire par la juridiction ainsi que la tenue de l'audience et le prononcé de la décision. 2.1 Le dépôt de la requête et l’acception de l’affaire Selon l’article 41 de la loi sur le contentieux administratif, pour intenter un procès administratif il faut que la requête déposée par une personne physique ou un organisme remplisse les conditions suivantes : la demande doit être dirigée contre un acte administratif qui porte atteinte aux droits et intérêts du requérant ; elle doit mentionner quelle est la partie en défense et exposer les faits et le fondement juridique de la demande ; l’affaire doit par ailleurs relever du domaine de compétence de la juridiction saisie. A ce stade, la juridiction ne peut pas encore examiner l’affaire sur le fond. Le demandeur réunit les conditions nécessaires pour déposer sa requête et acquiert la qualité de demandeur tant que ses droits sont susceptibles d'être bafoués par l’administration. Pour déposer la requête, il convient de préciser si un réexamen administratif préalable est obligatoire. Le réexamen préalable est obligatoire s'il est prescrit par la loi. Le réexamen et le recours contentieux s'articulent de trois manières : (1) le premier cas est celui où le demandeur a la possibilité de faire un choix: demander un réexamen ou déposer directement une requête. Selon la loi sur le contentieux administratif, sauf stipulation contraire, lorsqu’une personne conteste un acte administratif, elle peut demander un réexamen à l’administration du niveau supérieur ou à l’administration désignée par les lois ou les règlements. Si le résultat du réexamen ne lui convient pas, elle peut alors saisir la justice. A l'inverse, elle a aussi la possibilité de déposer directement une requête sans passer par le réexamen administratif. C'est le cas le plus fréquent prévu par les lois et règlements. (2) le deuxième cas est celui du réexamen préalable obligatoire. Avant d’intenter un procès, la personne doit obligatoirement solliciter un réexamen administratif, sans lequel la saisine de la justice n’est pas possible. (3) le troisième cas est celui où la personne a l'obligation de choisir entre le réexamen et le procès. Si elle choisit de demander un réexamen administratif, le résultat du réexamen sera définitif sans lui laisser la possibilité de saisir la justice. Par contre, elle peut choisir de saisir directement la justice sans demander un réexamen administratif. Deux délais pour déposer la requête sont prévus par la loi sur le contentieux administratif. Le délai de recours est de trois mois à partir du jour où l'administré a eu

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connaissance de la décision administrative portant atteinte à ses droits et intérêts. Lorsque la personne a été destinataire d'une décision de réexamen administratif, elle pourra la contester en déposant une requête dans un délai de 15 jours. La Cour populaire suprême a été amenée à préciser un troisième délai applicable exceptionnellement lorsque la personne qui a fait l'objet d’un acte administratif n’a pas été informée de son droit de recours devant la juridiction administrative. La requête peut alors être déposée dans les 2 ans qui suivent le jour où l'administré a eu connaissance de l'acte. Une fois la requête déposée, il est impossible de saisir une autre juridiction et la prescription de la procédure est suspendue. L'enregistrement de l’affaire se fait en deux étapes : la vérification de la requête et la décision d'examiner le fond du litige. Dans un premier temps, la requête fait l'objet d'une vérification à deux niveaux : l'examen porte à la fois sur les éléments formels de la requête et sur les éléments substantiels de celle-ci, l'objectif étant de vérifier la conformité aux articles 37 et 41 de la loi de procédure administrative. Dans un second temps, la juridiction est confrontée à 5 possibilités : 1) décider de se saisir de l’affaire. Si l'affaire est recevable, la juridiction doit se saisir de celle-ci dans un délai de 7 jours et prévenir les parties concernées. 2) si le dossier est incomplet, certaines conditions requises étant absentes ou l'exposé des faits lacunaire, la cour peut demander au requérant de lui apporter des compléments d'information dans un délai limité. 3) se saisir provisoirement de l’affaire. Si la juridiction ne peut pas statuer sur la recevabilité de l'affaire dans les 7 jours, elle doit s'en saisir de façon provisoire. La requête sera ensuite examinée et rejetée si elle ne réunit pas les conditions requises. 4) décider de ne pas recevoir l'affaire si elle estime que celle-ci ne réunit pas les conditions requises. 5) lorsqu'une juridiction ne se saisit pas de la requête et ne prend aucune décision dans les 7 jours, l'administré a le droit de présenter une requête ou de former un recours devant la cour de niveau supérieur. Cette règle est définie dans les interprétations judiciaires de la Cour populaire suprême et a pour objectif d'empêcher l'éventuelle intervention d'un autre tribunal local. 2.2 L'audience et le jugement Pour que le jugement soit rendu dans de bonnes conditions, la loi prévoit un travail préparatoire avant l’audience qui comprend notamment : la désignation

des magistrats qui siégeront à l'audience, la notification aux intéressés d'une copie de la requête et des conclusions en réponse, la fixation d'un délai pour l’échange des pièces, l'éventuelle mise en cause d'autres parties et l'envoi de l'avis d'audience aux parties concernées. Ce travail préparatoire a pour objectif de définir précisément les demandes des parties, les points litigieux et les pièces qu'il conviendra de verser aux débats afin d'assurer le bon fonctionnement de la procédure à l’audience.

Maillet d'un président de cour

L’audience constitue une étape obligatoire de la procédure de première instance. L'affaire doit être jugée au tribunal au cours d'une audience publique ; les audiences à huis clos ne peuvent avoir lieu que dans des cas exceptionnels. Au cours de l’audience ont lieu successivement l’instruction, les débats, le délibéré et le prononcé du jugement. Le jugement doit vérifier que l’acte administratif est compatible avec la loi en vigueur et qu'il a un fondement légal suffisant. Il évalue également l'ensemble des éléments de l’acte administratif que le demandeur prétend contraires à la loi. Le juge administratif ne siège jamais seul : le tribunal est toujours composé de plusieurs juges ou de plusieurs juges et assesseurs. Les membres du tribunal doivent être en nombre impair égal ou supérieur à trois. Une étude est actuellement en cours au sujet de la mise en place d’une procédure simplifiée caractérisée par l’intervention d’un juge unique, ayant pour objectif d’accroître l’efficacité des juridictions. En général, la médiation n’est pas applicable à l’action administrative : le procès administratif se termine toujours par une décision judiciaire. En Chine, les modalités de jugement sont définies et précisées par la loi et les interprétations judiciaires. En ce qui concerne la décision, la loi sur le contentieux administratif prévoit que la cour peut décider du maintien de l'acte administratif ou de sa révocation, voire prononcer son annulation en donnant l’ordre à l'administration d'émettre un autre acte.1

1

La Cour populaire suprême a envisagé deux autres types de jugement à travers ses interprétations : la déclaration d’invalidité et le rejet de la demande de la partie requérante.

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Dans la mesure où le juge doit rendre son jugement selon les modalités stipulées par la loi, il peut se trouver dans l’impossibilité de statuer dans certaines affaires ayant des particularités exceptionnelles. Un débat est en cours dans le milieu judiciaire pour voir élargir le choix offert aux magistrats. 3- Les régimes particuliers La loi sur le contentieux administratif a défini certains régimes particuliers. En voici quatre à titre d'exemple. 3.1 La médiation Selon l’article 50 de la loi sur le contentieux administratif, la médiation n’est pas applicable aux procès administratifs. Ce principe s’explique par le fait que la partie en défense dans ce contentieux est l’administration. Ses actes sont pris au nom de l’État et en vertu d’un pouvoir qui lui est accordé par la législation. Ainsi, l’administration se doit d’exercer son pouvoir conformément à la loi. Toutefois, la doctrine et les praticiens estiment que la conciliation devrait être permise pour les actes administratifs concrets. Ainsi, l’article 67-3 de la loi sur le contentieux administratif prévoit la médiation lors d'un procès portant sur une demande d'indemnisation. Dans ce cas, l'administré peut abandonner ou disposer librement de ses droits à indemnisation et l'administration dispose d'une certaine marge de manoeuvre.

Cour supérieure du Henan : accueil d'un requérant

3.2 Le retrait de la demande Selon l’article 51 de la loi sur le contentieux administratif, la cour peut donner acte du retrait de la demande si, avant qu'elle n'ait rendu sa décision, l'administré fait savoir qu'il se désiste ou que l'administration modifie l'acte litigieux et que le requérant accepte cette modification et formule une demande de désistement. La loi sur le contentieux administratif et des interprétations judiciaires de la Cour populaire suprême distinguent trois cas :

1) le requérant demande de sa propre initiative le retrait. Cela concerne deux hypothèses : il demande ce retrait car il a changé d'avis ou parce que la partie en défense a modifié l'acte litigieux. 2) la requête est considérée comme abandonnée ou la demande de désistement est présumée. Il s’agit du cas où, après deux convocations par le tribunal, le requérant ne s’est toujours pas présenté à l'audience sans raison valable. Le tribunal pourra alors considérer qu'il s'est désisté de sa demande et, après avoir déclaré la demande recevable, il constatera qu'elle n'a plus d'objet. 3) l’affaire est traitée comme si le requérant se désistait de sa demande. Ceci a lieu s'il ne règle pas préalablement et dans les temps prévus les frais de procédure et qu'il ne formule ni demande de délai, ni demande de minoration ou d’exonération de paiement, ou qu'ayant formulé l'une de ces demandes, celle-ci a été rejetée. En pratique, ce régime du retrait s'avère être utilisé comme un moyen de conciliation entre les parties. 3.3 L’exécution provisoire de l’acte administratif Le procès n'a pas d'effet suspensif sur l’exécution de l’acte administratif litigieux. Ce principe a été institué pour trois raisons principales : l’acte administratif litigieux a un effet d’antériorité ; il a une force contraignante pour son destinataire mais également pour l’administration ; l'administré a l'obligation d'agir en conformité avec ses dispositions. Dans les faits, l'exécution provisoire est de plus en plus contestée et certains juristes demandent à ce que soit inscrit dans la loi le principe de suspension de l'acte administratif en cas de saisine de la justice. Cependant, si les magistrats reconnaissent volontiers que l'effet non suspensif peut avoir des inconvénients, ils estiment qu'il convient de le maintenir en corrigeant ses inconvénients. Il existe déjà des exceptions à ce principe. Ainsi, dans la cadre d'un procès, l'administration peut demander au tribunal de prononcer la suspension de son acte. Il sera fait droit à cette demande si l’acte litigieux est susceptible d’être à l’origine de préjudices difficilement réparables et que sa suspension ne porte pas atteinte à l'intérêt public. L’acte administratif sera également suspendu lorsque la loi et les règlements prévoient expressément cette suspension. 3.4 L'application immédiate de l’acte administratif Il s’agit d’un régime suivant lequel le tribunal peut décider de façon exceptionnelle de prendre des mesures

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avant dire droit, lesquelles consistent essentiellement à octroyer des moyens financiers, à ordonner des actes précis ou à l'inverse à suspendre l'exécution de certains actes. Par moyens financiers, on entend notamment l'octroi d'une pension, d'une couverture sociale ou la garantie d'une allocation. Quant à la suspension ou à l’exécution immédiate d'un acte, elles peuvent être ordonnées pour prévenir la naissance d'un dommage. Toutes ces mesures montrent bien à quel point la législation en vigueur essaye d'équilibrer les rapports entre les administrés et l'administration.

Liste non exhaustive de la réglementation chinoise relative à l'expropriation - Constitution de la République populaire de Chine du 4 décembre 1982 http://www.lawinfochina.com/law/display.asp?db=1&id=3437&keyword=constitution - Loi sur le contentieux administratif du 4 avril 1989 entrée en vigueur le 1er octobre 1990 http://www.lawinfochina.com/law/display.asp?db=1&id=1204&keyword=administrative%20procedure%20law - Loi organique des tribunaux populaires du 1er juillet 1979, modifiée le 2 septembre 1983 et le 31 octobre 2006 http://www.lawinfochina.com/law/display.asp?db=1&id=5623&keyword=Organic%20Law%20of%20the%20People’s%20Courts%20of%20the%20People’s%20Republic%20of%20China - Loi sur la responsabilité de l'État du fait de ses agents du 12 mai 1994, entrée en vigueur le 1er janvier 1995 http://www.lawinfochina.com/law/display.asp?db=1&id=145&keyword=state%20compensation%20law - Loi sur le réexamen administratif du 29 avril 1999 entrée en vigueur le 1 octobre 1999 http://www.lawinfochina.com/law/display.asp?db=1&id=5279&keyword=administrative%20reconsideration%20law - Interprétation judiciaire de la Cour populaire suprême du 24 novembre 1999 intitulée «Explications relatives à l'application de la loi sur le contentieux administratif» - Interprétation judiciaire de la Cour populaire suprême du 4 juin 2002 intitulée « Règles sur la preuve en contentieux administratif » - Interprétation judiciaire de la Cour populaire suprême du 8 mars 2000 sur l'application de la loi sur le contentieux administratif - Réglementation sur la mise en œuvre du réexamen administratif adoptée le 23 mai 2007 - Avis de la Cour populaire suprême sur le désistement en matière de contentieux administratif en date du 31 janvier 2008

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LE DROIT DESSINÉ / 从字到法从字到法从字到法从字到法

L'administration

行 政 xíng zhèng

par M. WANG Kun, Professeur à l’Université des langues étrangères de Pékin

L’écriture chinoise, formée de “sinogrammes” (汉字–hàn zì), fut inventée il y plus de 6 000 ans. Elle doit son unité d’aujourd’hui à Qin Shihuang, premier empereur de Chine (259 av. JC - 210 av. JC). Sa vision unificatrice a permis de supprimer les difficultés de communication, de préserver la langue chinoise de la fragmentation et d'en conserver la compréhension sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'aide des archéologues comme dans le cas des hiéroglyphes égyptiens. Intéressons-nous cette fois-ci au mot : “行政”(xíng zhèng). Il est apparu très tôt et comme beaucoup de mots anciens, il a connu une longue évolution. Regardons d’abord sa composition : il est formé de deux caractères : “行”(xíng) et “政”(zhèng). Ces deux sinogrammes furent inventés pour désigner deux réalités distinctes avant d’être juxtaposés pour signifier une nouvelle idée. La façon la plus simple d’inventer un sinogramme est de reproduire la forme d’un objet. Tel est le cas du premier caractère “行”(xíng). Il s’agit du dessin d'un carrefour irrégulier. Nous pouvons facilement deviner qu’il fut inventé pour désigner un chemin, une voie et les verbes « marcher », « voyager » puis « pratiquer », « exercer ». Cette évolution de sens nous rappelle celle du nom latin “via” (chemin, voie) vers la préposition “via” du français moderne (en passant par).

Cependant, la conception des caractères est parfois bien plus compliquée. Pour représenter une idée plus complexe ou abstraite, il ne suffit pas de tracer le contour d’une chose. Les penseurs chinois de l’antiquité ont eu recours à plusieurs éléments. Le deuxième caractère “政”(zhèng, la politique) en est un bon exemple. Cette méthode est appelée alors “会意”( huì yì - littéralement “réunion des sens”). Il faut savoir que traditionnellement les méthodes de création des sinogrammes étaient classées en six catégories, nommées les “Six Écritures” (六书 – liù shū)1; leur connaissance était indispensable aux lettrés de l'époque classique comme faisant partie des “Six Arts” (六艺 – liù yì ).

1 Les six méthodes sont : 象形(pictogramme), 指事(idéogramme par indicateurs), 形声(idéophonogramme), 会意(idéogramme par sens), 转注(dérivation) et 假借(emprunt)。

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La partie gauche du caractère “正”lui donne sa prononciation “zhèng”, qui signifie “droit, correct, juste” ou encore “corriger, rectifier”. La partie droite “攴”(pū, ou plus tard “攵”), représentant une main tenant une branche, signifie “fouet” et “fouetter”. Le sens premier du caractère “政” était donc “corriger, remettre les choses dans leur forme initiale par la force”, avant qu'il ne devienne “gouverner” et “ affaires politiques”. Ces deux caractères se rencontraient dans les biographies des empereurs, “fils du ciel”. L’expression “行其政事”(xíng qí zhèng shì - faire de la politique, exercer son pouvoir) était alors consacrée et réservée à l’usage exclusif du souverain. Il fallut attendre la dynastie des Tang (618 – 907 ap. JC) pour que ce terme soit employé au sujet des ministres, à l'époque où naquit le corps mandarinal composé d’hommes lettrés recrutés par un concours national. Le système d’administration centralisée fut une des nombreuses inventions de Qin Shihuang, Le sens traditionnel du mot “行政”, à savoir “l’exercice du pouvoir, la gestion des affaires étatiques”, reposait sur la réalité de la société ancienne chinoise, où la hiérarchie sociale était strictement maintenue par le pouvoir monarchique et reproduite par les rituels confucéens. Le sens moderne du mot fut introduit en Chine vers la fin du XIXème siècle via le Japon qui, suite à la réforme de Meiji en 1868, s’ouvrit à l’Occident et en copia le modèle politique. Écrit de la même façon, le mot japonais signifiait “institution d'exécution de la volonté politique”. Quand les réformateurs chinois empruntèrent ce néologisme, ils l’assimilèrent à “gouvernement”, “institutions étatiques”. Ce sens s’est ensuite élargi aux “activités de gestion d’une institution”, voire même au delà de la sphère publique. Par exemple, on peut encore aujourd’hui appeler le personnel d’administration d’une entreprise privée “公司的行政人员”(gōng sī dè xíng zhèng rén yuán). L’utilisation de ce mot fait encore débat et, dans une certaine mesure, la traduction en est le reflet. Un sens large du mot et un usage plus restreint coexistent : d'un côté la séparation des pouvoirs - c’est-à-dire l’équilibre entre “立法权”(lì fă quán - pouvoir législatif), “司法”(sī fă - pouvoir judiciaire) et “行政权”(xíng zhèng quān - pouvoir exécutif) – et de l'autre l'administration proprement dite “行政”(xíng zhèng - les institutions de l'État) en opposition au politique “政治”(zhèng zhì). Deux écoles, l'une plus administrative et l'autre orientée vers la gestion publique, s'affrontent autour de l'utilisation de ce mot. Depuis les années 80, l’administration publique est devenue officiellement en Chine une science de gestion (en chinois “公共管理学”). Toutefois, de nombreux chercheurs déplorent ce classement, dans la mesure où l'administration publique fait bien partie de la science politique étant donné qu'elle étudie les formes d’organisation de l'État. Il faudrait donc plutôt utiliser l'expression “公共行政学”(gōng gòng xíng zhèng xué). Néanmoins, le droit administratif qui régit les rapports entre l’administration et les administrés est traduit comme “行政法”(xíng zhèng fă). Les débats sont toujours ouverts et nous n'avons pas la prétention de clarifier ici ces divergences, l’objectif étant de vous faire découvrir à travers cette petite rétrospective l’origine du mot et son évolution sémantique.