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This article was downloaded by: [University of Birmingham] On: 10 November 2014, At: 22:13 Publisher: Routledge Informa Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK Paedagogica Historica: International Journal of the History of Education Publication details, including instructions for authors and subscription information: http://www.tandfonline.com/loi/cpdh20 LA CONSULTATION GÉNÉRALE ET LES PLANS D'UNE COOPÉRATION UNIVERSELLE Marcelle Denis a a Dijon Published online: 28 Jul 2006. To cite this article: Marcelle Denis (1992) LA CONSULTATION GÉNÉRALE ET LES PLANS D'UNE COOPÉRATION UNIVERSELLE, Paedagogica Historica: International Journal of the History of Education, 28:2, 315-326, DOI: 10.1080/0030923920280211 To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/0030923920280211 PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE Taylor & Francis makes every effort to ensure the accuracy of all the information (the “Content”) contained in the publications on our platform. However, Taylor & Francis, our agents, and our licensors make no representations or warranties whatsoever as to the accuracy, completeness, or suitability for any purpose of the Content. Any opinions and views expressed in this publication are the opinions and views of the authors, and are not the views of or endorsed by Taylor & Francis. The accuracy of the Content should not be relied upon and should be independently verified with primary sources of information. Taylor and Francis shall not be liable for any losses, actions, claims, proceedings, demands, costs, expenses, damages, and other liabilities whatsoever or howsoever caused arising directly or indirectly in connection with, in relation to or arising out of the use of the Content. This article may be used for research, teaching, and private study purposes. Any substantial or systematic reproduction, redistribution, reselling, loan, sub-licensing, systematic supply, or distribution in any form to anyone is

LA CONSULTATION GÉNÉRALE ET LES PLANS D'UNE COOPÉRATION UNIVERSELLE

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LA CONSULTATION GÉNÉRALEET LES PLANS D'UNECOOPÉRATION UNIVERSELLEMarcelle Denis aa DijonPublished online: 28 Jul 2006.

To cite this article: Marcelle Denis (1992) LA CONSULTATION GÉNÉRALE ET LES PLANSD'UNE COOPÉRATION UNIVERSELLE, Paedagogica Historica: International Journal ofthe History of Education, 28:2, 315-326, DOI: 10.1080/0030923920280211

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PH XXVIII (1992) 2

LA CONSULTATION GÉNÉRALE ET LES PLANSD'UNE COOPÉRATION UNIVERSELLE

MARCELLE DENIS, Dijon

The "Consultation" discloses Comenius's lifelong design, viz.the search for a solution of worldwide significance, and paves theway for the Age of Enlightenment. As a theologian, Comeniussucceeded in uniting faith and knowledge, while entertainingutopian concerns about society. The responsibilities entailed byhis Church caused him to initiate political decisions of interna-tional importance. Omnipresent insecurity and Hussite traditionurged Comenius to launch out into "panorthosic" or world-redress-ing activities directed towards the establishment of a perfecthierarchy for man to fit in. Shifting from irration al to rationalattitudes is no doubt an uphill task, but necessary to make menbetter and to bring them closer to each other by eradicatingindividualism.

Comenius's dream is still valid today. But our knowledge ofman incites us to some pessimism at variance with universalwisdom. The use of technical language and jargon isolates menincreasingly. Moreover, human behaviour is very much promptedby anti-solidary rights.

En 1966, l'Académie des Sciences de Prague publiait, enlatin, dans sa version originale et pour la première fois la Consulta-tion Générale sur la Réforme des Affaires Humaines de Comeniussous le titre De rerum humanarum emendatione consuitatio catho-lica. Cet ensemble de 1791 pages, de vaste envergure, dont lemanuscrit trouvé en Allemagne, à Halle par Dmytro Čyževśkyj en1934, fut traduit en langue tchèque en 1992, apparaît comme lecouronnement de l'oeuvre de son auteur. Inachevé au moment de

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la mort de Comenius en 1670, mis en forme par les héritiers et leséditeurs du philosophe, il témoigne du cheminement de la penséede Comenius, toujours sous-tendue par le souci d'éduquer, derééduquer, de réformer pour élever, d'améliorer pour pacifier, deré-unir ce qui a été désuni, d'harmoniser ce qui a été dis-harmoni-sé.

L'auteur, homme de l'Eglise de l'Unité des Frères Bohèmes,vécut 78 années à une époque où la moyenne d'âge n'atteignaitpas trente ans. Une activité de longue haleine recouvrant plusieursgénérations, en butte à des convictions inébranlables ou desattaques violentes et impitoyables, découle d'une personnalitésincère, profondément pieuse mais perturbée et qui saisit lemonde à travers une conception idéologique et les lunettes d'uneinconsciente projection mentale. A travers la Consultation Géné-rale filtre le dessein de Comenius qui résulte, à la fois, de l'éduca-tion reçue par son auteur au sein de sa famille et de son Eglise, enmême temps que de l'insécurité générale imposée par le cadre devie du moment: les deux éléments déterminent la vie et l'orienta-tion du philosophe morave.

Chronologiquement, dès 1623, le but que s'assigne Come-nius se dessine dans le Labyrinthe du Monde et le Paradis duCoeur dont la première édition en tchèque ne paraîtra qu'en 1631à Leszno, puis une autre à Amsterdam, en 1663, sous le titredéfinitif que nous connaissons. D'après cette édition, plusieurséditions tchèques furent préparées. Traduit en plusieurs langues,par exemple en anglais (1901, 1902, 1905), en allemand (1738,1787, 1872, 1908 ...), en hollandais (1660), en polonais (1695),en russe (1866, 1884, 1891), il devait paraître en français, traduitpar Edouard-Henri Robert et par De Crayencourt (Lille, 1906).Actuellement, nous disposons d'une édition nouvelle, traduite enfrançais par Xavier Galmiche, en collaboration avec Hana Jeckova,et publiée à Paris en 1991.

C'est en 1641-1642 que Comenius rédige à Londres ViaLucis mais elle ne sera publiée qu'en 1668 à Amsterdam, complé-tée par une dédicace à la Royal Society de Londres. De 1650 à1656, c'est-à-dire après les traités de Munster et d'Osnabrùckcondamnant tout espoir de retour de Comenius et de ses coreli-gionnaires dans leur patrie, l'homme de l'Unité des Frères rédigeLux in Tenebris et publie, encore anonymement, aussi Panégersieet Panaugie. Une partie de la correspondance de Comenius échan-gée avec ses amis anglais atteste qu'en 1644 lé travail sur laConsultation Générale est commencé. D'ailleurs, le plan de l'en-semble de l'oeuvre et le manuscrit de la première partie (Panéger-

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sie) parviennent en 1 647 à Hartlib. En 1667, Comenius fait éditerAngélus Pacis qu'il destine aux ambassadeurs anglais et hollandaisréunis à Breda pour mettre un terme à la lutte engagée entre lesdeux pays chers à Comenius. Le titre, complété d'une requêteouverte "envoyé à tous les chrétiens de l'Europe et ensuite àtoutes les nations du monde entier afin qu'elles s'arrêtent, qu'ellescessent de se battre" (J.A. Comenii Opéra omnia, 13 (Prague1974) p. 177), prend alors une signification hors du commun.Jamais, avant Comenius, on ne s'était permis d'intervenir dans larecherche d'une solution de portée universelle.1

Ce penseur, étranger à son époque, chrétien, humanisteattardé de la Renaissance, insuffle particulièrement le Siècle desLumières tout en allant au-delà. La pédagogie coménienne serévèle moins comme une science que comme application à d'au-tres sciences, supports de l'activité du protecteur de l'EgliseTchèque Réformée. Nous voulons parler de la théologie, de lapsychologie, de la sociologie.2 L'un des grands mérites de Come-nius réside dans le fait que non seulement le fil conducteur detoute son oeuvre jalonnée ponctuellement d'ouvrages plus spécifi-ques aux données du moment, constitue une trame jamais démen-tie et toujours apparente: ne perdons jamais de vue que le géniede Komensky est universel et qu'à travers lui percent toujours lethéoricien et le praticien de l'éducation de l'homme en particulier,et des hommes en général. Séduit par le problème de la Rédemp-tion humaine, animé d'un esprit ardent, d'une foi religieuse pro-fonde, Comenius fonde la régénération des hommes sur la trans-formation systématique et totale de la société grâce à une organi-sation générale, cohérente, basée sur l'harmonie régissant l'uni-vers. Arguments et références d'ordre théologique rappellentconstamment la conviction profonde et sincère, la piété sanslimite de celui qui demeura toute sa vie l'homme de l'Unité.desFrères; et c'est en cette qualité que se détermina l'orientation dela vie et des travaux de Komensky dont le plus grand mérite fut deréaliser l'unité de la foi et du savoir.

Représentons-nous un homme dont les malheurs et lestourments dépassent ce que l'on peut imaginer, dont la foi, jointeà l'espérance, lui confère un pouvoir extraordinaire. Grâce à un

Les dissensions au sein des Anglicans -avaient profondément troubléComenius. De ce fait, c'est à la Hollande qu'il porta toutes ses sympathies aprèsson retour d'Angleterre en 1642.

2La nature de ses travaux, moins théologiques dans l'immédiat, s'oriente versles sciences humaines, ce qui s'avère tout à fait nouveau.

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mysticisme de combat, il travaille sans relâche, s'acharne àvouloir donner la perfection à ceux qu'il instruit, qu'il conseille,qu'il éduque. Komensky manifeste des préoccupations d'ordresocial: c'est dans l'insécurité la plus totale qu'il se débat. Par uneappréhension directe du monde, l'homme d'après Comenius doittrouver un remède à son insertion, inconfortable jusqu'alors, dansla Babylone des hommes et des choses, dans ce monde labyrinthi-que.

En effet, la civilisation du XVIIe siècle en train de se transfor-mer en culture s'avère incapable d'apporter à l'homme l'optimismequi lui manque et la sécurité sur la terre. Tout semble le trahir àchaque instant.3 Les vérités qu'il tenait de l'Eglise, sécurisantesdans la mesure où ce qui était dit passait pour vrai, se révèlenttout à coup remises en cause.

La pluralité des religions, en rompant l'unité religieuse, brisedu même coup l'obéissance envers l'Eglise remplacée par lapolitique. Celle-ci va désormais s'appliquer à appréhender lesproblèmes sociaux non plus selon les conceptions médiévalesmais selon des conceptions nouvelles, opposées et rattachées auxtentatives utopistes d'un Thomas More, d'un Campanella, d'unHobbes, d'un Bacon, d'un Sully, d'un Komensky. Sans être népolitique, Comenius devient, par suite des événements consécutifsà la défaite de la Montagne-Blanche (1620), et grâce à ses rela-tions internationales, le porte-parole des exilés de son pays dont ilassume la charge matérielle, morale et spirituelle. Multipliant lescontacts avec les responsables les plus éminents du mondeprotestant afin de mieux étayer et défendre les revendications desréfugiés tchèques, il conjure tous ses efforts afin d'attirer l'atten-tion des milieux politiques.

Dans un autre ordre d'idées, les inventions qui devaienthumaniser le monde du travail en libérant l'homme, s'avèrentdangereuses. Les découvertes qui font rêver, deviennent pour laplupart des hommes un simple tissu d'imagination dans lequel ilss'enveloppent, se leurrent, et qui les conduira à des déceptions, àla guerre, à la ruine, quand il s'agira de conquérir des terreslointaines, le marché, et quand, par la suite, les Etats voudront lesconserver. La nation ne se confond pas avec l'Etat et le pouvoir,et les intérêts de l'une et des autres sont diamétralement oppo-sés.

3La mort toujours présente (guerres, famines, peste, menaces naturelles)effraie chaque individu.

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Les XVIe et XVIIe siècles sont caractérisés par une suiteininterrompue de troubles et de guerres: guerres coloniales etinternationales, guerres de religion, guerres de prestige et deconquêtes, révolutions, la défenestration de Prague (1618), laFronde, les révolutions néerlandaise et anglaise, la prise deconscience des nations, la révolte généralisée des forces destruc-tives de l'âme collective. Il en résulte des massacres, la mise horsla loi de toutes les fractions réformées du christianisme au mêmetitre que celles des "Infidèles", les musulmans aux portes deVienne, la guerre des Paysans en Allemagne, les conquêtes desterritoires prometteurs de richesses. Non seulement les cruautésensanglantent tout le pays, mais la peste, dans ces jours dedésastre, décime une grande partie de la population. La famille deComenius en est la première victime. Il y a dans ce chaos bien desraisons de découragement, de désespoir, en même temps que derévolte, de recherche de consolation, de refuge, de sécurité.

Ceci suffirait à expliquer les oscillations, les hésitations deComenius tiraillé à la fois par les vérités anciennes et les véritésnouvelles (la Bible n'est plus une encyclopédie des sciences), parla nostalgie des temps anciens et l'espoir en des temps meilleurs,par les réalités tragiques du moment et des perspectives heureu-ses. Fidèle à l'Eglise primitive, il condamne ce que Rome en a faitet rêve d'une réunification des Eglises dans laquelle la sienne,l'Unité des Frères, aurait une place de choix, et c'est dans ce butqu'il participe au colloque de Thorn (Torurt) en 1648. Pendanttoute sa vie Comenius oeuvra pour adoucir le sort de ses coreli-gionnaires exilés et parvenir à regagner la terre de Bohême. Le malest général, l'homme ne se sent en sécurité nulle part: des remè-des s'imposent.4

Il cherche à accélérer la libération des peuples opprimés etjuge nécessaire et indispensable un renouvellement intérieur poursatisfaire aux intérêts d'une politique antihabsbourgeoise. Leregroupement de tous les hommes de bonne volonté, le désircommun, la dissolution des individualités dans la collectivité, laformation d'un front de lutte contre toutes les inégalités, contretoutes les injustices, contre toutes les misères que ce tempsdistribue largement, injustement, impitoyablement doit, grâce àl'éducation, instaurer une vaste coopération entre les munis et lesdémunis, les oppresseurs et les opprimés, les croyants de touteobédience.

C'est dans une insécurité générale que Comenius se débat.

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Ceci expliqué, en partie du moins, l'activité coménienneétendue à tous les domaines. Mais c'est aussi la situation histori-que de l'Unité, la tradition hussite qu'elle détient qui engagentComenius non seulement sur le plan religieux mais sur le plansocial et politique. Nous voyons le fondement théologique de lapensée coménienne qui relativise tout ce qui est donné et faitnaître les projets panorthosiques déjà en gestation et en applica-tion au sein de son Eglise.

L'harmonie qu'espère Comenius n'est pas autre chose quel'unité, à la fois source de l'Etre et Etre imaginaire, cause de tout,créatrice d'une puissance et d'un amour infinis de toutes lescréations réunies dans une hiérarchie parfaite, harmonisées dans"l'unité absolue du cosmos". D'autres avaient fait le même rêveavant lui, d'autres encore feront le même rêve après lui (AugusteComte et Etienne Cabet, par exemple) car l'homme est voué às'insérer dans l'histoire universelle, à un moment déterminé, dansun espace donné, dans une collectivité définie. Son existence estassurée au prix d'un combat farouche et permanent, livré aumonde imposé, tel qu'il se présente. Est-il, au XVIIe siècle, possi-ble et facile, sans souci d'honnêteté vis-à-vis des autres et de soi-même, sans crainte d'erreur humaine, d'abandonner, du jour aulendemain, les conceptions fondées et défendues depuis dessiècles sur un subjectivisme, pour en étayer de nouvelles, à partirde la raison dépouillée de toute construction imaginaire et senti-mentale, malgré les substrats sensibles qui l'enrichissent en lasous-tendant, sans lui ôter sa fonction fondamentale que luiveulent les scientistes?

Pour Comenius, la violence apparaît comme une rupture dudialogue indispensable dans toute coopération: un écran de blo-cage interdit tout contact humain possible, tout échange, touteconversation, toute discussion, toute ouverture de l'un versl'autre, toute participation, toute communication. Et dans ce cas,c'est la condamnation pure et simple de l'autoritarisme exercé àtout prix par n'importe qui, par n'importe quel moyen, sous laforme la plus totale, la plus instinctuelle, la plus pauvre, maistoujours dangereuse. Comenius condamne tout autoritarisme,politique, économique, religieux et pédagogique.

Pratiquement, le rapprochement des hommes ne sauraits'établir sans un moyen de compréhension mutuelle indispensableà la constitution d'un lien essentiel entre les hommes. Selon notreauteur, la langue constitue le support du savoir et règle les rela-tions des hommes. Aussi, dès son retour d'Angleterre, en 1641,Comenius songe-t-il à remplacer le latin, passeport du monde

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cultivé, par une autre langue, nouvelle, facile à apprendre, artifi-cielle, qui serait internationale: elle cimenterait la compréhensionentre les individus, rapprocherait les peuples et conduirait finale-ment à l'amélioration des hommes.

Le principe en est contenu dans Via Lucis et Panglottiacependant que l'idée d'une langue internationale, artificielle, étaitdéjà répandue au XVIIe siècle. La conception coménienne d'unetelle langue considérée comme instrument capable d'aider leshommes à se comprendre et à s'entendre mutuellement, atteste lacorrespondance de l'universalisme linguistique et de l'universa-lisme social de Comenius. Il n'y aura de respect de la personnehumaine que dans la mesure où, sans contrainte d'aucune sorte,les hommes pourront se comprendre et vivre ensemble, harmo-nieusement, et que s'édifiera une véritable assistance. La notiond'intérêt général domine la pédagogie coménienne qui lutte sanscesse contre l'égoïsme, l'individualisme.

A l'inverse des conceptions moyenâgeuses, les principes deComenius inspirés par sa propre foi débouchent sur la possibilitédu rachat de l'homme même si son "passage sur la terre" se faitsans douleur. En conséquence, il confère donc à l'homme le droitde vivre heureux et pour cela de s'y employer dans la mesure oùla morale ne s'y oppose pas. L'homme est un homme: pour cela, ildoit le devenir et le demeurer. En harmonisant l'homme, l'éduca-tion améliore la société par sa fonction sociale humaniste eteffective.6

Pendant longtemps, cet aspect de la pédagogie coméniennedemeura dans l'ombre. Mais à la lumière de la Consultation Géné-rale sur la Réforme des Affaires Humaines, devant des progrèstechniques qui ne laissent place ni à l'humanisme, ni à la quiétude,le rêve coménien conserve toute son actualité et toute sa valeur.La condamnation de la ségrégation raciale, sociale, religieuse,politique, économique, professionnelle, garde le sens premierexprimé dans la pensée panharmonique de Komensky. Cette idéetraduit, avant l'heure, l'esquisse de l'interdépendance de l'hommeet de son milieu. L'individu qui refuserait l'éducation universelleferait du tort, non seulement à lui-même, mais encore à toutel'humanité. Le savoir, l'assimilation des connaissances, laconscience que l'homme prend de lui-même et du rôle qui lui estimparti dans le monde des hommes et des choses, montrentl'image et la structure du monde, révèlent l'enchaînement deschoses et leurs rapports.

Comenius est le premier à donner à l'école une fonction sociale.

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Comenius croit pouvoir offrir une panacée à l'état critique ettroublé de l'humanité qu'il a connu à son époque, un remèdeuniversel qui peut conduire à la réconciliation générale. Il imagineun homme qui ne vit pas en lui-même, mais pour les autres, pourla totalité et en elle. Malheureusement, l'application du systèmed'éducation universelle néglige totalement la connaissance del'homme. L'auteur saisit celui-ci à un moment donné et supposetous les hommes, de tout l'univers, capables de comprendre etd'accepter la nécessité de s'extraire de leur passé pour se hisser,quels que soient leur âge, leur niveau de développement physique,intellectuel, moral, économique, social ou politique, au degré de laSagesse Universelle conçue par des hommes qui, eux aussi, nesont que ce qu'ils sont, parce qu'ils ressentent le passé qu'ils ontvécus. Par là, le Tchèque admet, dès le départ, que le saut estfait, que le nivellement, dans tous les domaines, est parvenu àson terme avec le succès escompté. D'un trait de plume, lessiècles passés sont abolis, de même que le temps nécessaire à latransformation totale de l'homme est révolu.6

L'homme universel vit en dehors de son environnement, deson lieu d'origine ou d'implantation. Qu'il soit l'homme de lamontagne ou de la plaine, des grandes étendues glacées ou desdéserts brûlants, des riches plaines ou des terres ingrates, séden-taire au nomade, habitant des villes ou des campagnes - peuimporte, il y a nivellement de l'espace. Le système pédagogiqueuniversel doit avoir raison, vite et bien, de toutes ces multiples etprofondes différences. L'auteur porte ses efforts en fonction, à lafois, d'une unité de temps et d'une unité de lieu. Le concept dumonde qu'il nous offre semble simpliste. Il semble ignorer que lessols, les climats, l'eau, déterminent en même temps les conditionsde vie, l'existence et la mentalité humaines (il sait qu'il y a lapsychologie de celui qui a faim et de celui qui affame, et celle detous les cas intermédiaires), le degré du niveau de développementdes civilisations et des cultures qui les accompagnent.

Niveau de connaissance, accessible à des degrés divers,niveau de progrès, donnent l'apparence d'être absents de la phasede transition - par laquelle il faudrait bien passer et dont il n'estquestion nulle part - amenant les hommes tels qu'ils sont à ce queComenius veut qu'ils deviennent, phase de transition à laquelle lamarche naturelle de la vie ne saurait ni être suspendue ni réglée defaçon à déterminer un alignement général. Pourtant, l'homme del'Unité des Frères connaît, pour les avoir tragiquement vécues, les

6C'est dans cet aspect que réside l'utopie coménienne.

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interférences des différents aspects de la vie sur la conduite et lecomportement, ainsi que les conflits individuels et interindividuelsqui en découlent et qui sont propres à la nature humaine.

Pratiquement, vouloir destiner à tous les enfants, à tous leshommes, le système éducatif unique, universel, signifie que quelsque soient les régimes politiques, les conditions économiques etsociales, les hommes deviendront citoyens du monde. Les gouver-nements y aideront en prenant à leur compte la charge de toutl'édifice pédagogique. C'est alors compter avec une bonne volontétout illusoire de tous les gouvernants qui, au nom de la Sagesseuniverselle accepteraient d'emblée une soumission à une instanceextérieure. Ce que nous avons dit de l'appréhension de l'hommeen général, de la mentalité humaine en particulier, nous ne pou-vons que le répéter, pour les chefs, chefs de partis, chefs degouvernements, chefs d'Etats. Malheureusement, les exemples nemanquent pas en la matière. Il n'y a qu'à se référer aux espoirsescomptés, au rôle inefficace de la Société des Nations, auxpolitiques qui s'arrogent le droit d'intervention et de non-interven-tion. Les alliances se font et se défont. Dans la main des hommes,elles deviennent une arme dirigée, tôt au tard, d'une façon oud'une autre, contre d'autres hommes. Là encore, ne pas tenircompte de la mentalité humaine forgée par la soif du pouvoir, dela matérialité, de la vengeance ("que la vengeance est douce auxcoeurs offensés" écrivait Marivaux), c'est renier tout ce qui sepose en impératif.

Comme nous sommes loin du Savoir universel et de la Sa-gesse universelle en mesurant toute la distance qui sépare leparticularisme de l'universalisme... Quelle part faisait Comenius aureste du monde? Et quel acharnement, compréhensible d'ailleurs,il montrait à défendre sa Moravie natale, sa Bohême, sa patrieinsérée dans les limites de l'Europe, au coeur de l'Europe, aucentre du monde d'alors! Cependant, la notion du Savoir univer-sel, source de la Sagesse universelle, ne peut se concevoir qu'enfonction d'une représentation de tout l'espace planétaire à desfins idéologiques, abstraction faite de toutes les particularitésrelevant en même temps de la nature et des hommes, et de ceque nous appelons aujourd'hui les niveaux d'analyse à partir desfaits humains.

Du nouvel horizon entrevu par Comenius - et plus près denous par Auguste Comte et Etienne Cabet - il est possible d'éclai-rer l'humanité sur le destin qu'on lui promet. Mais encore faut-ilarriver au premier moment, c'est-à-dire quand toutes les difficul-tés, les problèmes nés d'hier et de partout, auront été épongés;

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quand les grands comme les petits Etats auront accepté d'êtrerayés de la Carte Universelle, et que la Sagesse habitera tous leshommes.

Préformer ainsi l'avenir, c'est faire table rase de tout le passéhistorique, géographique, politique, économique, théologique,social. La diversité des hommes et des niveaux de civilisations faitla diversité des croyances, des vérités humaines. Or, l'hommen'accepte que sa vérité. Quand Comenius souhaite l'unificationdes Eglises, c'est pour la victoire de la sienne qu'il travaille.L'image de l'émiettement du christianisme, de la dislocation ducatholicisme, de la poussée des intégrismes porte témoignage dusectarisme des hommes. Dans l'esprit de Komensky, une grandenation est celle où régnent l'amour et la paix, et où les hommes, àtous les niveaux sociaux, participent, selon leurs capacités intel-lectuelles et manuelles, à la richesse générale et particulière.Ainsi, dans cette perspective, s'efface l'idée des confins militai-res, toujours sources de désaccords, de ruines, de misères maté-rielles et morales. C'est dans l'ombre de la Paix que l'ordre de lanature participe au bonheur de l'humanité.

En fonction d'une mentalité scientifique, logiquement Ko-mensky devait construire un monde dans lequel il était donné à lanature humaine de se créer des conditions de bonheur et de seréhabiliter. Hélas, le progrès de l'humanité est lourd de contradic-tions. La cohésion sociale n'est qu'un mythe. Le développementdes sciences qui pousse à une spécialisation outrancière oubliel'homme et l'exclut. Celui qui devait être libéré se trouve assujettiau point de chercher vainement une place toujours plus confor-table et sécurisante. Les espaces déshumanisés se multiplient,l'industrialisation, telle qu'elle se dessine aujourd'hui, ne laisseguère de place à une créativité individualisée et au choix del'individu. La puissance industrielle, la compétition dans le mondedes affaires, ne permettent plus à l'homme de l'art, à l'artisan, dese réaliser pleinement et de survivre. Mais il serait de mauvaisgoût que de reprocher à Comenius d'avoir voulu aller trop loin.

Notre pédagogie contemporaine, par le conditionnementqu'elle impose, aboutit à un alignement vers le bas, d'où s'exclutobligatoirement et facilement l'humain. Les hommes ne saventtoujours pas adapter un monde multidimensionnel aux besoinspermanents de paix et d'harmonie, combiner leurs efforts pourcoopérer à l'édification générale d'un monde amélioré. Si lesmoyens de communication, multiples, variés, rapides, rapprochentles hommes et diminuent les espaces, ils n'ont pas encore réussi à

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faire entendre les hommes sur leurs buts qui dépassent, et de loin,aujourd'hui, le domaine spirituel.

Les mouvements sociaux, tout en défendant des intérêtsimmédiats, se réfèrent au passé en même temps qu'il proposentun progressisme social. Les mouvements de libération sociale ounationale dans les pays dominés sont, également, à la fois volontéde développement économique et affirmation, ou parfois recréa-tion, d'une tradition nationale. Devant la nécessité de multiplier lesconnaissances devenues nécessaires et urgentes, spécialisées etlimitées à un domaine particulier, s'efface la culture, cet idéal desavoir général que souhaitait Comenius, seul capable de ré-unir leshommes dans une coopération universelle où les intérêts decertains n'ont rien de commun avec les ideaux de culture. Malheu-reusement, aujourd'hui, en voulant anticiper trop l'avenir, onoublie trop souvent de regarder le passé. Si les rêves sont trans-missibles, l'expérience, elle, ne l'est pas. Au pessimisme logiquedevrait se substituer un optimisme constructif. Si, par le passé,l'universalisme apparaissait comme un remède à la dis-harmonie,aujourd'hui, la lucidité réclame une ré-union des hommes.

En matière d'éducation, ce qui importe, ce n'est pas tantd'employer telle ou telle méthode, que d'en appliquer une avec foiet persévérance, en essayant de sauvegarder ce qu'il y a demeilleur dans l'homme. Devenu capable d'admettre ses devoirs etde ne pas revendiquer seulement des droits, alors seulement, ilpourrait devenir "citoyen du monde" et, membre de l'univers, ilserait artisan de la sécurité collective.

BIBLIOGRAPHIE

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