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Marcel Boyer Économiste principal à l’Institut économique de Montréal Professeur émérite de sciences économiques à l’Université de Montréal Fellow du CIRANO et de l’Institut C.D. Howe La crise économique et ses conséquences sur l’emploi Décembre 2009 Les cahiers de l’Institut économique de Montréal

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Marcel BoyerÉconomiste principal à l’Institut économique de Montréal

Professeur émérite de sciences économiques à l’Université de MontréalFellow du CIRANO et de l’Institut C.D. Howe

La crise économiqueet ses conséquences sur l’emploi

Décembre 2009

Les cahiers del’Institut économique de Montréal

L’Institut économique de Montréal (IEDM) est un organisme de

recherche et d’éducation indépendant, non partisan et sans but

lucratif. Il œuvre à la promotion de l’approche économique dans

l’étude des politiques publiques. Fruit de l’initiative commune

d’entrepreneurs, d’universitaires et d’économistes, l’IEDM ne

reçoit aucun financement gouvernemental.

Les opinions de l’auteur de la présente étude ne représentent pas

nécessairement celles de l’IEDM ou des membres de son conseil

d’administration. La présente publication n’implique aucunement

que l’IEDM ou les membres de son conseil d’administration

souhaitent l’adoption ou le rejet d’un projet de loi, quel qu’il soit.

Reproduction autorisée à des fins éducatives et non commerciales

à condition de mentionner la source.

Infographie : Valna Graphisme & Impression

© 2009 Institut économique de Montréal

ISBN 978-2-922687-28-7

Dépôt légal : 4e trimestre 2009

Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Bibliothèque et Archives Canada

Imprimé au Canada

1010, rue Sherbrooke O.,

bureau 930

Montréal (Québec)

H3A 2R7, Canada

Téléphone : (514) 273-0969

Télécopieur : (514) 273-2581

Site Web : www.iedm.org

Marcel BoyerÉconomiste principal à l’Institut économique de Montréal

Professeur émérite de sciences économiques à l’Université de MontréalFellow du CIRANO et de l’Institut C.D. Howe

Les Cahiers de recherche de l’Institut économique de Montréal

Décembre 2009

La crise économique

et ses conséquences sur l’emploi

RÉSUMÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

1. UN BREF HISTORIQUE DE LA CRISE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

2. LA PERTE DE CONFIANCE ENVERS LE SYSTÈME BANCAIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

3. DES SYSTÈMES DE BONIS MAL CONÇUS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

4. RÉFORMER LE CAPITALISME : ATTENTION AUX APPRENTIS SORCIERS! . . . . . . . . . . . . . 15

5. UN PHÉNOMÈNE SOUS-ESTIMÉ : LA DESTRUCTION CRÉATRICE À L’OEUVRE . . . . . . . . . 17

6. DÉFICIT ET CROISSANCE : AMIS OU ENNEMIS? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

CONCLUSION : DÉFIS ET PERSPECTIVES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

À PROPOS DE L’AUTEUR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

Table des matières

La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

4 Institut économique de Montréal

Résumé

Une récession économiqueamène son lot de conséquencesdéplorables : pertes dans la valeurdes fonds de retraite, diminutionde la valeur des actifs immobiliers,chute de la rentabilité des entre-prises, retour des déficits conjonc-turels des gouvernements, etc.Cependant, l’impact le plus visibled’une récession est sans contreditles pertes d’emploi qui ne man-quent pas d’en découler.

Ce cahier de recherche porte sur différentsaspects de la crise financière et de la récessionéconomique qui nous accablent depuis 2007.Après un bref historique des principaux événe-ments et une analyse de leurs causes possibles,nous abordons l’élément le plus important, àsavoir la perte de confiance dans le systèmefinancier. La confiance étant un capital socialtrès important, la perte de confiance au sein dusystème financier, en particulier dans les rela-tions interbancaires, a précipité d’abord la crisefinancière et ensuite la récession économique.

Pour rétablir la confiance et surtout lamaintenir, il faut s’attaquer à quatre chantiers :la manipulation, voire la falsification, desinformations transmises par les organismespublics et les entreprises, en particulier enmatière de mesure des risques; les interventionspolitiques malavisées dans les entreprises publi-ques ou réglementées et la complaisance desrégulateurs envers ces entreprises (les cas deFannie Mae et de Freddie Mac étant les plusnotoires); les failles des mécanismes incitatifs aurendement qui trop souvent négligent la priseinconsidérée de risques et donc la favorisent; etenfin, l’application rigoriste de la règle comptabled’évaluation au prix du marché (mark-to-marketrule) qui favorise la contagion de l’incertitudedans un contexte où la perte de confiance faitdisparaître des marchés pertinents.

Nous poursuivons alors avecun examen du rôle des formules derémunération au rendement dans lesecteur financier, en particulier deleurs déficiences, et du bien-fondédes appels répétés de divers groupesde pression et politiciens partisansd’une réforme en profondeur ducapitalisme. Nous soulignons lerisque sérieux de tuer ce faisant lapoule aux œufs d’or.

Nous arrivons alors à l’élé-ment central de ce cahier de recherche, à savoir lacréation et la perte d’emplois au sein del’économie, en période d’expansion et en périodede récession, et le processus de destructioncréatrice qui les sous-tend. Nous montrons enutilisant les données sur la création et la pertebrutes d’emplois que l’économie américaine acontinué à créer durant la crise un nombreimpressionnant d’emplois, même si elle en aperdu un nombre encore plus important.

Les données sur la dynamique des emploismontrent qu’au cours de 65 trimestres allant dutroisième trimestre de 1992 au troisièmetrimestre de 2008, les établissements d’entre-prises privées américaines ont créé en moyenne357 000 nouveaux emplois nets par trimestre.En termes bruts, ces entreprises ont en réalitécréé en moyenne 7 863 000 nouveaux emploispar trimestre, dont 79 % dans des établissementsexistants et 21 % à la suite de l’ouverture denouveaux établissements. Les établissementsd’entreprises privées ont par ailleurs perdu enmoyenne 7 506 000 emplois par trimestre, dont80 % dans des établissements existants et 20 % àla suite de fermetures d’établissements. Ainsi,chaque emploi net créé durant ces 65 trimestres(plus de 16 ans) résulte en moyenne de 21 em-plois créés et de 20 emplois perdus au sein desétablissements.

Malgré les pertes d’emplois nettes impor-tantes des derniers trimestres, le secteur privé del’économie américaine a continué à créer unnombre brut d’emplois très élevé dans toutes lesindustries : 7 222 000 emplois bruts ont étécréés et 7 617 000 emplois bruts ont été perdusen moyenne par trimestre, pour les quatrederniers trimestres disponibles (du quatrièmetrimestre de 2007 au troisième trimestre de2008). Quand on compare ces données avec lenombre d’emplois créés ou sauvegardés par leplan de relance du gouvernement américain,qui selon la Maison Blanche se chiffrerait aprèsdeux trimestres à environ 650 000, on ne peutque constater la relative insignifiance de cenombre par rapport à la création brute d’em-plois dans le secteur privé (environ 14,4 mil-lions pour deux trimestres).

En conclusion, nous rappelons les défisauxquels nous faisons face et les mesures àprendre pour éviter de se retrouver dans le mêmechaos.

D’abord, recentrer le rôle des gouverne-ments sur les conditions de création d’emploiset de richesse. En effet, quand on considère ladynamique des emplois et établissements crééset perdus en termes bruts, le portrait de la criseéconomique prend un tout autre visage. Lesgouvernements devraient concentrer leursefforts sur le rétablissement de la confiance etsur le développement des conditions favorablesà la destruction créatrice, plutôt qu’intervenirdirectement au sein de l’économie.

Ensuite, favoriser l’insertion de clausesd’options et d’ajustement dans les contrats, hypo-thécaires entre autres, afin de permettre larenégociation en réponse à des situations mac-roéconomiques désastreuses, permettant ainsi, encas de récession ou de crise, des ajustementscontinuels aux conditions économiques plutôtque des ajustements brusques en cascade qui nefont qu’aggraver inutilement les mauvaisesconditions économiques. Elles permettront deréduire les effets collatéraux néfastes desrécessions.

De plus, parmi les changements les plusimportants qui permettront d’améliorer la régle-mentation des institutions financières, il fautmentionner les diverses règles micropruden-tielles et macroprudentielles qui pourraient êtremises en place dans les prochaines années. Nousfaisons état d’une liste de ces règles susceptiblesde rendre plus efficace la réglementation dusystème financier et de permettre les ajustementset les restructurations éventuelles sans mettre enpéril le système lui-même.

Enfin, il est souhaitable que les gouver-nements résistent à la tentation de recourir auxmesures protectionnistes et d’achat local, audétriment du coût de la vie et du bien-être de lapopulation. Il y a actuellement un réel danger devoir apparaître un cercle vicieux où le protec-tionnisme répond au protectionnisme, plon-geant les économies dans un véritable marasme :rappelons que deux emplois sur cinq au Canadadépendent des marchés étrangers. Il faut plutôtveiller à protéger le mouvement vers la mondia-lisation et la libéralisation toujours plus grandedes marchés. La croissance substantielle ducommerce international durant le dernierdemi-siècle a été un facteur majeur d’améliora-tion tant du bien-être économique collectif quedu développement culturel et social. Cettecroissance a permis d’importants gains dansl’éradication de la pauvreté, la création derichesse et la croissance économique et sociale.

La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

5Institut économique de Montréal

La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

6 Institut économique de Montréal

Introduction

Une récession économique amène son lot deconséquences déplorables : pertes dans la valeurdes fonds de retraite, diminution de la valeur desactifs immobiliers, chute de la rentabilité desentreprises, retour des déficits conjoncturels desgouvernements, etc. Cependant, l’impact le plusvisible d’une récession est sans contredit les pertesd’emploi qui ne manquent pas d’en découler.

Même si nous ne pouvons affirmer que lacrise est terminée de manière définitive, il est toutde même utile de prendre un peu de recul etd’établir un premier bilan de ses causes et de sesconséquences. Ce cahier porte surtout surl’importance et la nature des pertes d’emplois auxÉtats-Unis (pour des raisons de disponibilité dedonnées) et sur le processus par lequel des emploissont créés et perdus non seulement durant lespériodes d’expansion ou de croissance, maiségalement durant les périodes de récession.

Rappelons que l’économie américaine a créédes millions d’emplois, même dans les mois lesplus difficiles de la récession actuelle, mais perduégalement des millions d’emplois se soldant enune perte d’emplois nette substantielle. Avant decaractériser cette création et cette perte brutesd’emplois, il est utile de revoir l’historique de lacrise financière et de la récession économique et lesfacteurs les plus importants qui en sont les sources.

La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

7Institut économique de Montréal

1. Un bref historique

de la crise

En octobre 2008, un plan de 700 milliards dedollars a été adopté aux États-Unis afin de racheterdes actifs à risque élevé et de renflouer le capital desbanques. En février 2009, un « plan de relance » dontle coût est évalué à 787 milliards de dollars, censéstimuler l’économie par des dépenses gouverne-mentales, a également été adopté par les autoritésaméricaines. Ces sommes ne représentent qu’unepartie de ce que le gouvernement américain s’est en-gagé depuis à dépenser en réponse à la crisefinancière.

Mais que s’est-il passé exactement? En quoicette crise est-elle comparable à d’autres, majeures,comme celle de 1929? Quels dysfonctionnementsdes marchés révèle-t-elle? Afin de répondre à cesquestions, nous allons commencer par présenterles origines de cette crise. Comme nous allons ledémontrer, les causes de cette crise sont à la foiséconomiques et politiques.

Si la crise des prêts hypothécaires subprime aéclaté en février 2007, elle trouve son fondementdans l’éclatement de la bulle technologique à la findes années 1990. Pour contrer la chute des coursboursiers et la récession qui s’ensuivit, la Réservefédérale mena alors une politique de taux d’intérêtbas, afin de limiter les dégâts du ralentissementéconomique.

Les taux d’intérêt bas ont incité à la distri-bution « agressive » de crédit. Ainsi, la demandepour des maisons aux États-Unis a crû, provoquantune hausse des prix. En parallèle, des millions depropriétaires ont profité de la baisse des tauxd’intérêt pour refinancer leur prêts hypothécaires.Par anticipation, les banques ont donc augmentéleur offre de crédit, mais ceci provoqua une baissede la qualité des prêts hypothécaires proposées.

En plus du maintien de bas taux d’intérêt, lemarché hypothécaire américain était entravé par

un grand nombre de distorsions et d’inter-ventions de la part des pouvoirs publics1. Depuis1977, lors de l’adoption du Community Reinvest-ment Act, les banques américaines sont tenues dene pas écarter les ménages à faible revenu et de leurproposer du crédit. Les banques étaient mêmesujettes à d’importantes sanctions si elles contre-venaient aux dispositions prévues dans le CRA.C’est ce qui a provoqué le développement et lamultiplication des prêts hypothécaires subprime.

Comme ces prêts hypothécaires furent octroyésà un segment de la population caractérisé par desrevenus insuffisants, de mauvaises cotes de créditet des apports personnels faibles ou nuls, il n’estpas surprenant de constater que les prêts subprimeavaient dix fois plus de chances que les autres de seterminer par une saisie2.

Afin d’augmenter leurs réserves de liquidités,ces institutions financières ont développé toutessortes d’innovations financières qui leur ont permisde titriser ces actifs et de les revendre sur les marchés.De plus, comme ces prêts étaient adossés à desactifs bénéficiant d’une certaine garantie dugouvernement fédéral par l’entremise des quasi-sociétés d’État Fannie Mae et Freddie Mac, ces actifsétaient perçus comme relativement peu risqués parles investisseurs qui les ont achetés. Au moment del’éclatement de la bulle immobilière, ces deuxorganismes garantissaient près de la moitié desprêts hypothécaires résidentiels aux États-Unis.

Or, à partir de la mi-2006, le marché del’immobilier a piqué du nez : le nombre de maisonsvendues et le prix des logements ont plongé. Selonles données de la National Association of Realtors,le nombre de maisons vendues aux États-Unis achuté de 13,9 % en 2007. À partir du deuxièmetrimestre de 2006, le prix des maisons a diminué enmoyenne de 3,6 % au deuxième trimestre de 2007et de 17,9 % au deuxième trimestre de 20083. Pour

1. Voir Pierre Lemieux, Les origines de la crise économique, Noteéconomique, IEDM, mars 2009, p. 3.

2. Id.3. Voir Pending Home Sales Index

(http://www.realtor.org/research/research/ehspage) et Housing BubbleGraphs (http://mysite.verizon.net/vzeqrguz/housingbubble/).

La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

8 Institut économique de Montréal

les propriétaires vivant dans des régions où la baissedes prix fut importante, le risque de se retrouverdans une situation où la valeur de la maisondevient inférieure à celle du prêt hypothécairecontracté pour la payer devenait très élevé.

De plus, la Réserve fédérale a progressivementrelevé son taux directeur de 1 % à 5,25 % de 2004à 20064. Les ménages ayant contracté un empruntà taux variable ont dû assumer des paiements deplus en plus élevés alors que la valeur de leurpropriété fondait. Par conséquent, les emprunteursse retrouvèrent confrontés à une hausse rapide deleurs mensualités et les plus fragiles furentincapables de poursuivre leurs remboursements.

Dès le début de 2007, les défauts de paiementsur les emprunts hypothécaires se multiplièrent etprovoquèrent les premières faillites d’établisse-ments bancaires spécialisés5. C’est dans ce con-

texte que la banque d’investissement Bear Stearnsa annoncé, en juin 2007, la faillite de deux fondsspéculatifs. La crise des subprime éclatait.

Mais la crise est-elle réelle ou virtuelle? Lestaux d’emprunteurs hypothécaires en défautrestèrent, dans l’ensemble, à l’intérieur de margesqui semblent acceptables et gérables. Le marché desprêts hypothécaires subprime à taux variable acertes connu des difficultés avec un taux dedéfaillance de 21 % en janvier 20086 et de 25 % enmai 20087 par rapport à un taux de 14 % enmoyenne pendant la période 2000-2007 (avec uneembellie exceptionnelle à 11 % de 2004 à 2006).Mais même là, on comprend mal la panique desmarchés financiers.

6. Federal Reserve, Financial Markets, the Economic Outlook, andMonetary Policy, 10 janvier 2008,http://www.federalreserve.gov/newsevents/speech/bernanke20080110a.htm.

7. Federal Reserve, Mortgage Delinquencies and Foreclosures, 5 mai 2008,http://www.federalreserve.gov/newsevents/speech/Bernanke20080505a.htm.

4. Federal Reserve, Open Market Operations,http://www.federalreserve.gov/fomc/fundsrate.htm.

5. RealtyTrac, U.S. Foreclosure Activity Increases 75 Percent in 2007,29 janvier 2008, http://www.realtytrac.com/ContentManagement/PressRelease.aspx?channelid=9&ItemID=3988.

Figure 1.1

Comparaison des taux de saisie des prêts hypothécaires

prime et subprime aux États-Unis (1998-2007)

10,0

9,0

8,0

7,0

6,0

5,0

4,0

3,0

2,0

1,0

0,0

Pourcentage

1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007

Subprime taux variable Subprime taux fixePrime taux fixePrime taux variable

Source : Joint Economic Committee, The Subprime Lending Crisis, Report and Recommandations by the MajorityStaff, octobre 2007, p. 27, http://jec.senate.gov/archive/Documents/Reports/10.25.07OctoberSubprimeReport.pdf.

La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

9Institut économique de Montréal

La très grande majorité des ménages conti-nuaient à honorer leurs engagements hypothé-caires. Globalement, le taux de défaillance sur lesprêts hypothécaires est passé de 5 % pendant lapériode 2000-2007 à un peu plus de 9 % en 20098.Rien pour provoquer et justifier la panique et soncercle vicieux, d’autant plus que la populationaméricaine croît à un bon rythme (21,3 % depuis1990), ce qui se répercutera sur les besoins enlogement. Une fois la liquidité et la confiancerevenues à la normale, les actuels chasseursd’aubaines bénéficieront de gains considérables, enpartie grâce à la règle d’évaluation à la valeur demarché (mark-to-market rule) qui, dans les faits,reflète mal la réalité actuelle.

Malgré les difficultés du marché des prêtshypothécaires subprime aux États-Unis, il sembleimprobable que ce problème ait pu générer unecrise financière mondiale de l’ampleur de celle que

nous avons connue et connaissons encore aujour-d’hui, malgré une certaine stabilité retrouvée. Si lacrise des subprime a pu agir comme facteurdéclencheur de la crise financière, il faut chercherailleurs la cause véritable de cette dernière.

La crise des subprime s’est ensuite propagéeaux autres secteurs économiques par diversesvoies. La première réside dans le phénomène de latitrisation des créances, une pratique qui a pris del’ampleur depuis le début des années 2000. Latitrisation est une opération financière qui con-siste pour une banque à revendre ses créances surdes marchés spécialisés, souvent groupées avecd’autres valeurs. Cette stratégie lui permet à la foisde se refinancer et de réduire son risque. Le risqueest ainsi transféré aux investisseurs qui achètent cescréances. Ces titres sont ensuite rachetés par diversinvestisseurs tels que les fonds d’investissementclassiques, fonds plus spéculatifs, etc.

Les banques qui cherchaient à augmenterleurs réserves de liquidités pour le marché hypo-thécaire subprime ont eu recours à la titrisation ducrédit subprime (les titres adossés à des actifs ou

Figure 1.2

Emprunteurs hypothécaires gravement en défaut

par type de prêt (pourcentage d’emprunteurs qui

sont en défaut depuis 90 jours ou plus

ou qui sont en processus de saisie)

Pourcentage

0

5

10

15

20

25

30

2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009

Subprime Prêt de la Federal Housing AdministrationPrime, taux fixePrime, taux variable

Source : John Carney, « Prime Mortgage Foreclosures Outpacing Subprime! », Business Insider, 21 août 2009.

8. Mortgage Bankers Association, Delinquencies and ForeclosuresContinue to Climb in Latest MBA National Delinquency Survey,Communiqué de presse, 28 mai 2009, http://www.mortgagebankers.org/NewsandMedia/PressCenter/69031.htm.

La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

10 Institut économique de Montréal

ABS en anglais, pour asset-backed securities).Toutefois, elles ne se sont pas arrêtées là : prenantdes paquets d’ABS, elles les ont combinés dans desproduits plus complexes, les obligations adossées àdes actifs (en anglais CDO pour collateralized debtobligations). Avec la chute du marché immobilieraméricain, le risque des subprime a rendu suspectsles titres qui y étaient adossés (ABS et CDO), puis amené à leur effondrement avec la montée de lapanique bancaire. La panique a gagné tous les typesde titrisation.

La deuxième voie par laquelle la crise s’esttransmise est les fonds d’investissement, qui onteux-mêmes acheté les créances titrisées. Les prêtssubprime offraient des rendements élevés enraison du paiement par l’emprunteur d’un tauxd’intérêt plus élevé. Pour les investisseurs, cestitres étaient intéressants puisqu’ils leur permet-taient de doper le rendement de leurs fondsd’investissement et par conséquent leurs bonis.Ainsi, les fonds de couverture (hedge funds),toujours à la recherche de rendements élevés,étaient particulièrement friands de ces titres.Quand la contre-performance des subprime s’estamplifiée, certains déposants ont demandé leretrait de leurs investissements et des créanciersont refusé de renouveler leurs prêts.

L’effondrement de la valeur de deux fondsd’investissement de la banque américaine BearStearns, révélé le 17 juillet 2007, a donné le signalde la crise de confiance. Ce sont désormais tous lesfonds d’investissement qui allaient à leur tourdevenir suspects. Le 16 mars 2008, le géant bancaireaméricain J.P. Morgan racheta Bear Stearns pour236 millions de dollars, aidé financièrement par laRéserve fédérale. Le 13 juillet 2008, les deux quasi-sociétés d’État américaines de refinancementhypothécaire, Freddie Mac et Fannie Mae, rece-vaient aussi le soutien des autorités américaines9.

L’échec des négociations sur la reprise deLehman Brothers et sa mise en faillite le 15 sep-tembre 2008 – l’évènement marquant le véritabledébut de la crise – a précipité le développementde la crise en détruisant une part importante dustock de capital de confiance envers le systèmefinancier. À la suite de la prise de contrôle deMerrill Lynch par Bank of America le même jour,le gouvernement fédéral, devant la débâcleannoncée, a décidé de renflouer AIG deux joursplus tard par l’entremise d’un investissement de85 milliards de dollars.

Finalement, la troisième voie par laquellecette crise a atteint le reste de l’économie est liéeau fait que ces fonds d’investissement apparte-naient ou étaient financés par les banques (lesfonds de couverture se financent avec peu decapitaux propres et beaucoup d’emprunts). Lesbanques se retrouvaient donc à assumer lesrisques qu’elles avaient vendus ou transférés à cesfonds. Au final, l’ensemble du système bancairesupportait des risques liés au crédit, non seule-ment dans les fonds que les banques finançaient,mais aussi dans ceux qu’elles géraient.

Cette crise qui a débuté par les empruntshypothécaires subprime, s’est donc étendue àtoutes les obligations adossées à des actifs, a misen danger les compagnies d’assurance et deréassurance des obligations des municipalités etdes emprunts immobiliers. Le coup de grâce a étédonné lorsque les prêts interbancaires, qui sontau cœur du système financier, ont été désorga-nisés par le fait que les banques ne se faisaientplus confiance et conservaient leurs fonds afin dese renflouer et d’éviter la faillite. Les banquescentrales ont alors injecté des sommes sansprécédent, étendant à un niveau encore inconnula gamme des collatéraux acceptés en contre-partie de prêts accordés à un nombre record debanques.

9. Malgré une étude publiée en 2002 par Fannie Mae qui soutenait qu'ilétait très improbable que les deux quasi-sociétés d'État aient besoind'un sauvetage gouvernemental un jour. Voir : Joseph E. Stiglitz,Jonathan M. Orszag et Peter R. Orszag, « Implications of the NewFannie Mae and Freddie Mac Risk-based Capital Standard », FannieMae Papers, vol. 1, no 2 (mars 2002).

La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

11Institut économique de Montréal

2. La perte de

confiance envers le

système bancaire

Les développements remarquables de lafinance moderne ont permis de réduire considé-rablement le niveau de risque systémique quenous devons assumer. Cette réduction du risque apu se produire en augmentant les possibilités dediversification grâce à la mondialisation desmarchés financiers et en développant de nou-veaux outils de gestion du risque, tels les produitsd’assurance, les trocs de défaillance de crédit et lestitres dérivés. Ces développements ont permisaux agents économiques de réduire la probabilitéet la sévérité des mauvaises situations possibles,par des stratégies plus diversifiées et mieuxciblées de protection et de couverture, tantpréalables que subséquentes aux événementsproblématiques. Parallèlement, ces développe-ments de la finance moderne ont pu augmenter leniveau de risque systémique dans la mesure où,par l’interdépendance des marchés, une criseéventuelle ne peut être que globale.

La crise économique est une crise deconfiance envers une des infrastructures com-munes essentielles de nos sociétés, à savoir lesystème financier. On peut fermer une entreprise,mais on peut difficilement se passer d’une auto-route ou d’un système de communications.Similairement, on ne peut se passer d’un systèmefinancier efficace et accessible.

Diverses innovations financières ont permisaux institutions et aux entreprises de détenir destitres (papier commercial adossé à des actifs ouautres) habituellement très liquides, commesubstituts rentables aux dépôts bancaires tradi-tionnels et considérés à ce titre comme de laquasi-monnaie1. Lorsque ces titres ont perdu leurliquidité, une méfiance contagieuse s’est déve-loppée, entraînant une dévaluation d’actifs, elle-même exacerbée par les règles trop rigides de

valorisation au prix de marché. C’est comme siune partie importante de la masse monétaire s’étaitvolatilisée, provoquant une crise de liquidité. Cemanque de liquidité a provoqué une course versles encaisses, donc une crise de crédit, générant unehausse des risques de contrepartie (c’est-à-dire, lerisque qu’un débiteur n’honore pas sa dette).

Malgré l’intervention des banques centrales,la perte de confiance et la peur de la faillite se sontgénéralisées : les banques, comme bien d’autresentreprises, ont cherché à renflouer leurs réserveset à augmenter leurs capitaux propres, rendantplus difficiles les conditions du crédit (hausse ducoût d’emprunt et rationnement du crédit) dansun contexte où les risques de contrepartie et doncles primes de risque avaient beaucoup augmenté.

Les interventions de la Réserve fédérale amé-ricaine, par l’entremise de sa politique monétaire,sont directement observables en réponse à cettesituation : les réserves totales des institutions dedépôt sont passées d’environ 47 milliards $ le 10 septembre 2008 (leur niveau habituel des der-nières années) à 653 milliards $ le 12 novembre2008 et à 904 milliards $ le 14 janvier 20092. Demême, la base monétaire est passée de son niveauhabituel de 845 milliards $ le 10 septembre 2008 à1476 milliards $ le 12 novembre 2008 et à 1742milliards $ le 14 janvier 20093.

La confiance interbancaire est devenuetellement faible que la crise, au départ purementbancaire et créée de toutes pièces par des innova-teurs financiers « géniaux », mais peu compétentsen économie des incitations et des organisations,s’est étendue à l’économie entière. La confianceest un capital particulièrement important dans lesecteur financier, qui repose essentiellement surdes promesses et sur la primauté du droit : un

1. Les dépôts bancaires exprimés en pourcentage du PIB ont diminuérapidement, partout dans le monde, passant aux États-Unis de prèsde 18 % du PIB en 1965 à moins de 5 % en 2005. Voir Robert E.Lucas Jr., The Current Financial Crisis, Universidad Torcuato di Tella,9 décembre 2008.

2. Federal Reserve, Mortgage Delinquencies and Foreclosures, 5 mai 2008,http://www.federalreserve.gov/newsevents/speech/Bernanke20080505a.htm.

3. Id.

La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

12 Institut économique de Montréal

dépôt bancaire n’a d’intérêt que si le déposant aconfiance de pouvoir retirer ses fonds au momentqu’il juge opportun.

L’outil privilégié pour tenter de rétablir laconfiance fut l’injection massive de capitalgouvernemental dans les banques. Cette injectionmassive pose elle-même plusieurs problèmes.D’abord, une partie substantielle du nouveaucapital a servi à sécuriser les créanciers obliga-taires des banques, réduisant d’autant la disponi-bilité de fonds prêtables. Ensuite, si le marchéimmobilier poursuit sa débâcle, il faudra souspeu recommencer le même scénario à un coûtpotentiellement exorbitant pour les contri-buables. Enfin, il fallait s’attendre à ce que despressions de plus en plus fortes se fassent sentirpour que les gouvernements injectent du capitaldans les entreprises privées non financières endifficulté, un cercle infernal en gestation quipourrait entraîner une spirale de destruction devaleur dans l’ensemble de l’économie.

La confiance est le plus important capitalsocial, car elle permet de réduire significative-ment une multitude de coûts de transaction ausein d’une société. La crise actuelle des marchésfinanciers, qui est fondamentalement une crise deconfiance au sein du secteur bancaire en général,remet cet enjeu à l’avant-scène4.

La confiance est à la fois un capital privé etun capital social et à ce titre son développementet son maintien posent de difficiles problèmes decoordination et d’incitation. C’est un capitalprivé, car une entreprise bénéficiera de laconfiance de ses partenaires. Mais la confianceainsi créée de façon privée se répercute posi-tivement sur la confiance envers l’ensemble desentreprises. Cet effet social est suffisammentimportant pour que les autorités publiques aientune responsabilité particulière de veiller au

développement et au maintien de ce capital deconfiance.

Il faut s’attaquer à quatre chantiers. D’abord,la manipulation, voire la falsification, des informa-tions transmises par les organisations et les entre-prises, en particulier en matière de mesure desrisques, est un premier facteur pernicieux dedestruction du capital social qu’est la confiance. Undeuxième découle des interventions politiquesdans les entreprises publiques ou réglementées etde la complaisance des régulateurs envers cesentreprises (les cas de Fannie Mae et de FreddieMac étant les plus notoires). Un troisième provientdes failles dans les mécanismes incitatifs au rende-ment, qui trop souvent négligent et donc favorisentla prise inconsidérée de risques. Dans le contexte dela crise actuelle, ces trois facteurs occupent lespremières loges. L’application rigoriste de la règlecomptable d’évaluation à la valeur de marché, quifavorise la contagion de l’incertitude dans uncontexte où la perte de confiance fait disparaître desmarchés pertinents, complète le tableau.

Dans la mesure où le capital de confiancesocial résulte des comportements des entreprises etdes individus face à leur capital de confiance privé,il est essentiel qu’une réglementation appropriéel’encadre et en favorise le développement. Cetteréglementation sera d’autant moins coûteuse queles gestionnaires incarneront et partageront desvaleurs d’honnêteté et de rigueur intellectuelle, nonseulement dans la production de biens et services,mais aussi dans la production et la transmission desinformations à l’ensemble de leurs partenaires. Etces valeurs de probité seront d’autant plusprésentes et partagées que la réglementation lesfavorisant sera efficace et rigoureuse.

Pour espérer sortir du marasme actuel, ilfaut resserrer la divulgation d’information sur lesrisques, assurer l’indépendance des régulateurs et,pour ce faire, recourir davantage à desorganismes de régulation privés, favoriser unemeilleure compréhension de la structure efficacedes mécanismes incitatifs au rendement etassouplir la règle comptable d’évaluation à lavaleur de marché à la lumière de la règleéconomique de la valeur actualisée nette (VAN).

4. Lors du Forum économique mondial de Davos de janvier 2003 oùj’avais été invité comme conférencier, un des principaux thèmes dediscussion portait sur le rétablissement et le développement de laconfiance au sein du monde des affaires et envers ce dernier. Cettediscussion suivait une vague de faillites de grande envergure et descandales financiers.

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3. Des systèmes debonis mal conçus

Dans la foulée de la crise financière, lesgrandes maisons de courtage et banques d’inves-tissement ont déboursé des bonis record alors queleurs gestionnaires les mettaient en sérieuse diffi-culté. Selon le contrôleur de l’État de New York, lesfirmes de Wall Street ont payé en 2007 quelque33,2 milliards $ en bonis, pratiquement le mêmemontant qu’en 2006, alors que les sept plusgrandes institutions voyaient leur valeur action-nariale chuter de 200 milliards $. Un exemple :Lehman Brothers a augmenté ses bonis de 10 % en2007 pour les amener à 5,7 milliards $ et se retrouvaen faillite en septembre 2008. Et si ces bonis étaientl’une des sources de la crise financière?

Les mécanismes incitatifs utilisés notam-ment dans l’industrie des services financiersrémunèrent les revenus générés dans une mesurequasi indépendante des risques, avec commeconséquences prévisibles la mesure négligente etdéfaillante des risques et la prise injustifiée derisques. Nous y sommes.

Nombre d’économistes ont mis les entre-prises en garde contre de telles pratiques en leurrappelant qu’il est nécessaire de tenir compte, dansla conception de mécanismes incitatifs, des risquespris ou encourus afin d’éviter ce que les écono-mistes et assureurs appellent le « risque moral ».Les économistes spécialistes des incitations aurendement suggèrent depuis plusieurs années derendre les bonis conditionnels à des audits derisques afin de pénaliser – plutôt que derécompenser – les résultats financiers excep-tionnels reposant sur des prises de risquesinconsidérées1.

Mais la lueur semble présente au bout dutunnel. Dans le sauvetage de Fannie Mae et deFreddie Mac, les gestionnaires, actionnaires etdétenteurs d’obligations de ces entreprises, trop

dominantes dans le crédit hypothécaire etprotégées par des régulateurs complaisants, enont pris pour leur rhume. Le gouvernement seraremboursé en priorité. Et ces entreprises ne pour-ront plus profiter de leurs relations politiquespour masquer leur mauvaise gestion : on ferme laporte! Si le cheval est parti, au moins on garderale poulain dans l’écurie.

Par ailleurs, selon un analyste, les banquesont remplacé leur modèle traditionnel « initier etconserver » par un nouveau modèle « initier ettransférer », en fonction duquel elles prêtent etensuite vendent les créances à quelqu’un d’autre2.L’adoption plus généralisée de ce nouveaumodèle serait un facteur responsable de la crise.Cependant, le phénomène de titrisation n’est pasnouveau; les banques ont adopté cette pratiquedepuis près de 30 ans sans provoquer de crises. Cequi a changé lors de la dernière décennie a été lacroissance des titres adossés à des prêts hypothé-caires subprime qui sont échangés tellement de foisqu’un problème de transparence important finitpar apparaître.

Cette pratique a mené à la création d’uneclasse de capitaux pour laquelle il devient extrê-mement difficile d’établir qui assume les risquesfondamentaux. Cette particularité a provoquéune distorsion des incitations de six manièresdifférentes.

Premièrement, les honoraires des courtiershypothécaires sont basés uniquement sur lenombre de prêts hypothécaires qu’ils accordent,sans prendre en considération le risque dedéfaillance. Ainsi, les courtiers n’étaient aucune-ment incités à se pencher sur les risques liés auxprêts hypothécaires subprime. Au contraire, ilsétaient incités à accorder le plus grand nombre deprêts hypothécaires, indépendamment du niveaude risque que ceux-ci présentaient.

1. Voir Bernard Sinclair-Desgagné, « How to restore higher-poweredincentives in multitask agencies », Journal of Law, Economics, &Organization, vol. 15, no 2 (juillet 1999), p. 418-433.

2. Paul Mizen, « The Credit Crunch of 2007-2008: A Discussion of theBackground, Market Reactions, and Policy Responses », FederalReserve Bank of St. Louis Review, septembre/octobre 2008, p. 531-568.

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14 Institut économique de Montréal

Ensuite, les prêteurs n’avaient aucuneincitation à vérifier la qualité des prêts hypothé-caires octroyés dans la mesure où ils comptaientregrouper et revendre ces actifs sous forme deproduits dérivés complexes. Dans les annéesavant l’éclatement de la crise, ces institutions ontaugmenté leur offre de prêts hypothécairessubprime pour les revendre aux investisseurs quicherchaient de plus hauts rendements.

Troisièmement, les profits générés par latitrisation de ces produits ont incité les prêteurs àoffrir le plus de prêts possible indépendammentde leur qualité. Puisque la demande de prêtshypothécaires diminuait, les prêteurs ont alorsdiminué leurs exigences afin de maintenir unecroissance du nombre de prêts constante.

Quatrièmement, le tranchage a permis decréer plusieurs classes d’obligations, avec desclasses supérieures et des classes subordonnées,chacune destinée à des types d’investisseursdifférents. L’argument justifiant la création de cesclasses est très simple : en créant des classessubordonnées, on améliore théoriquement laqualité de la classe « A » jusqu’à réduire la proba-bilité apparente de perte sur cette classe à unniveau très faible, réduisant d’autant le coût definancement de cette classe. Ainsi, ces obligationsadossées à des actifs obtenaient des cotes élevées dela part des agences de notation même si ellesn’étaient en fait qu’une combinaison de prêtshypothécaires risqués à fort effet de levier.

Cinquièmement, la majorité des revenus desagences de cotation provenait des opérations decotation des produits structurés. Il y avait donc unrisque de conflit d’intérêts parce que ces agencesrecevaient une somme forfaitaire de l’institutionémettrice pour établir la cote de ces produits, touten conseillant ces institutions sur l’émission de cesproduits.

Finalement, les gestionnaires de fonds étaient,tout comme les courtiers hypothécaires, motivéspar la perspective de bonis qui n'étaient pas suffi-samment ou correctement corrigés en fonction duniveau de risque encouru.

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4. Réformer le

capitalisme :

attention aux

apprentis sorciers!

Dans la foulée de la crise économique,plusieurs voix s’élèvent pour réclamer uneréforme en profondeur du capitalisme. Même sion admet la nécessité que certaines pratiquesdans le domaine du crédit soient mieux encadrées(le crédit hypothécaire subprime entre autres),avant d’imaginer des solutions, il faut d’abordcomprendre comment ces pratiques ont pu voirle jour.

On connaît déjà deux des principales sourcesdes difficultés encourues. D’abord, la politiqueéconomique du gouvernement américain. Enparticulier à la suite de l’éclatement de la bulletechnologique au tournant du siècle et desévènements du 11 septembre 2001, cette politiquea favorisé des programmes de crédit facile grâce àdes taux d’intérêt anormalement faibles. Ensuite,les pressions indues de certains membres duCongrès sur les quasi-sociétés d’État Fannie Maeet Freddie Mac au profit des prêts hypothécairessubprime. Ces entreprises ont été amenées nonpas tant à sous-estimer les risques de certainestransactions financières, mais plutôt à devoirfermer les yeux sur ces risques.

Les gouvernements devraient cesser de joueraux apprentis sorciers de la pensée magique, tropsouvent animés de bonnes intentions qui nepeuvent qu’avoir des conséquences catastrophi-ques. Il est difficile de croire que les propositionsactuelles de réforme du capitalisme amènerontces gouvernements à s’imposer des restrictionsaccrues sur leurs propres actions! Bien aucontraire, ces réformes nous font courir le risquede voir les gouvernements s’immiscer de manièreinefficace dans la microgestion des entreprisesprivées, financières ou non.

En effet, quoique la crise ait durement frappéplusieurs marchés, financiers et industriels, il nefaut pas oublier la croissance économiqueexceptionnelle des quelque 25 dernières années1.De 1981 à 2007 (avant la crise), l’économie amé-ricaine a créé 45,6 millions d’emplois nets, soit uneaugmentation de 45 %; l’économie canadiennehors Québec en a créé 4,5 millions, une augmen-tation de 53 %; et l’économie québécoise, 1,1 mil-lion, une augmentation de 38 %. Le produitintérieur brut (PIB) réel par habitant, une mesurerelativement fiable et comparable des gains deniveau de vie au fil du temps, a augmenté de1981 à 2007 de 66 % aux États-Unis, de 55 % auCanada hors Québec et de 46 % au Québec. Unefois corrigé pour tenir compte des différencesdans le coût de la vie, le PIB par habitant duCanada, qui s’élevait à 92,1 % de celui des États-Unis en 1981, atteignait 82,4 % de celui des États-Unis en 2007. Ainsi, avant le début de la crise, leCanada avait perdu du terrain par rapport auxÉtats-Unis, tout comme la France, l’Italie,l’Allemagne, le Japon et la Suède, alors que laCorée du Sud, la Norvège, le Royaume-Uni,l’Espagne et le Portugal ont fait des gainsappréciables par rapport aux États-Unis.

De toute évidence, le dernier quart de sièclea été exceptionnel pour l’économie américainesur le plan du niveau de vie. S’il est nécessaired’apporter certaines réformes au fonctionnementdu capitalisme aux États-Unis et ailleurs, il fautbien se garder du risque bien réel de jeter le bébéavec l’eau du bain. L’économie de marché et sescorollaires, la liberté et la responsabilité, restent,au regard des faits, les meilleures garanties dedéveloppement et de croissance du niveau de vie.Par le fait même, elles sont aussi la voie la plusefficace vers l’éradication de la pauvreté et dusous-développement.

1. Voir Marcel Boyer, Performance et développement économiques du Québec : les 12 travaux d’Hercule, CIRANO, à paraître(novembre/décembre 2009).

La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

16 Institut économique de Montréal

Dans la même veine, face aux résultats pourle moins désastreux des institutions financières,divers commentateurs ont remis en cause leurstructure, leur gouvernance et la compétence deleurs gestionnaires et ont réclamé une interven-tion plus ferme des gouvernements. Plusieurs ontagi en gérants d’estrade : sachant maintenantcomment ont évolué les marchés durant ces dix-huit mois de grande volatilité, on aurait dû faireautrement, recomposer le portefeuille, investirici, ne pas investir là. Trop facile.

D’abord, on ne peut juger de la qualité d’unestratégie de placement, choisie et mise en placeavant une crise, à partir des résultats observésaprès coup. Ensuite, on ne peut augmenter lerendement espéré d’un portefeuille de placementsans accepter de prendre davantage de risquessystémiques : risques systémiques encourus etrendements espérés augmentent et diminuent entandem. Mais rendement espéré et rendementréalisé sont deux concepts très différents : lepremier correspond à la moyenne pondérée (parleur probabilité respective) des rendementspossibles, alors que le deuxième correspond à unseul des rendements possibles, à savoir celui qui aété observé. Enfin, prendre davantage de risquessystémiques pour augmenter le rendement espéréimplique qu’on accepte de subir parfois demauvais résultats, voire des résultats catastro-phiques. C’est la loi d’airain, aussi cruelle soit-elle, des marchés financiers où se négocient lesrisques : une fois exclues l’incompétence et lespossibilités d’arbitrage, vouloir augmenter lerendement espéré en prenant moins de risquesrelève de la pensée magique.

Pour juger de la qualité de la politique deplacement d’une institution financière, il fautrevenir en arrière et examiner les décisions prisesavec l’information disponible au moment où elles

l’ont été et non pas avec l’information disponibleaujourd’hui. Les gestionnaires de l’institutiondiscutent et établissent la stratégie de placementet de crédit qu’ils adopteront ou recommande-ront à leurs clients. Ils doivent tenir compte tantdu niveau de risque que le client en question estprêt à prendre que de la mise en application de lastratégie qui, conditionnellement au niveau derisque ainsi choisi, maximisera le rendementespéré. Il revient à chaque investisseur, déposantou client d’établir sa politique de placement entenant compte de ses objectifs ou engagementsfinanciers à long terme et du niveau de risquequ’il est prêt à assumer.

Ce qu’une institution financière et un clientchoisissent, c’est une distribution où chacun desrendements possibles, allant du plus faible auplus élevé, est associé à une probabilité de réalisa-tion; le rendement espéré correspond alors à lamoyenne pondérée de ces rendements possibles.La qualité de la stratégie de placement est d’im-planter ou de traduire correctement, par un choixapproprié de titres, les objectifs. Après coup, unseul des rendements possibles sera observé : unestratégie de très bonne qualité à la base peutgénérer après coup des résultats mauvais, moyensou excellents.

Par contre, il importe de ne pas ignorer leseffets pervers de politiques qui visent àcompenser les individus et les entreprises ayantperdu de l’argent à la suite de l’échec de leurstratégie. Cela aura pour effet de créer desdistorsions dans l’évaluation du risque par cesindividus et entreprises. En bref, l’anticipationd’un sauvetage fera qu’il sera « moins risqué deprendre des risques » et n’incitera certainementpas les investisseurs à être plus prudents àl’avenir.

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5. Un phénomène sous-

estimé : la destruction

créatrice à l’œuvre

La destruction créatrice est l’un desmécanismes les plus importants de croissance et decréation de richesse. Elle représente le processussous-jacent à la perte continuelle d’emploispermettant la création tout aussi continuelled’emplois dans des secteurs souvent plus promet-teurs ou dans des entreprises plus productives.

Dans la mesure où les plans de relance lancéspar les différents gouvernements visent surtout àpréserver des emplois existants, ils peuventengendrer des pertes importantes de bien-être enempêchant les ajustements provoqués par ladestruction créatrice dans le tissu commercial etindustriel des économies. Considérons quatreangles de cette destruction créatrice, à savoir lenombre d’emplois, le nombre d’établissements, lenombre d’établissements en croissance et endécroissance, de même que la croissance et ladécroissance d’emplois en fonction de la taille del’entreprise.

Nombre d’emplois

Pour les 65 trimestres allant du troisièmetrimestre de 1992 au troisième trimestre de 2008,les établissements d’entreprises privées améri-caines ont créé en moyenne 357 000 nouveauxemplois nets par trimestre1. En termes bruts, cesentreprises ont en réalité créé en moyenne7 863 000 nouveaux emplois par trimestre, dont79 % dans des établissements existants et 21 % àla suite de l’ouverture de nouveaux établisse-ments. Les établissements d’entreprises privées ont

par ailleurs perdu en moyenne 7 506 000 emploispar trimestre, dont 80 % dans des établissementsexistants et 20 % à la suite de fermeturesd’établissements. Ainsi, chaque emploi net créédurant ces 65 trimestres (plus de 16 ans) résulte enmoyenne de 21 emplois créés et de 20 emploisperdus au sein des établissements.

Pour les mêmes 65 trimestres, on a observé enmoyenne la création nette de 18 000 nouveauxétablissements d’entreprises privées américainespar trimestre. En termes bruts, les entreprisesprivées américaines ont ouvert en moyenne337 000 nouveaux établissements, responsables enmoyenne de la création de 1 646 000 nouveauxemplois, et en ont fermé en moyenne 320 000 partrimestre, responsables en moyenne de la perte de1 523 000 emplois. Ainsi, chaque nouvel établisse-ment net observé résulte en moyenne de 19 ouver-tures d’établissements et de 18 fermetures d’établis-sements, avec en moyenne 133 000 nouveauxemplois nets créés par trimestre.

Toujours pour les mêmes 65 trimestres, lesentreprises privées américaines ont créé en moyenne6 524 000 nouveaux emplois par trimestre, dont53 % dans des entreprises de moins de 50 employéset 18 % dans des entreprises de 1000 employés etplus. Elles ont par ailleurs perdu en moyenne6 142 000 emplois par trimestre, dont 54 % dans desentreprises de moins de 50 employés et 17 % dansdes entreprises de 1000 employés et plus. Ainsi, des382 000 nouveaux emplois nets créés en moyennepar trimestre, 35 % l’ont été dans des entreprises demoins de 50 employés et 29 % dans des entreprisesde 1000 employés et plus. La majorité des emploiscréés et perdus, soit 53 % et 54 % respectivement,l’ont été dans les entreprises de moins de 50 em-ployés.

1. Les données utilisées dans cette section proviennent de la base dedonnées Business Employment Dynamics du Bureau of LaborStatistics des États-Unis. Au moment de la rédaction de ce cahier, lesdonnées disponibles couvraient les 65 trimestres du troisièmetrimestre de 1992 au troisième trimestre de 2008. Le Canada neproduit pas de données similaires.

La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

18 Institut économique de Montréal

Tableau 5.1

Emplois créés et perdus dans les établissements d’entreprises privées américaines (en milliers)

Emplois créés Emplois perdus Emplois nets

4e trimestre 2007 7 676 7 564 310

1er trimestre 2008 7 130 7 400 (270)

2e trimestre 2008 7 258 7 751 (493)

3e trimestre 2008 6 822 7 754 (932)

Tableau 5.3

Emplois créés et perdus dans les entreprises privées américaines (en milliers)

Emplois créés Emplois perdus Emplois nets

4e trimestre 2007 6 248 5 997 251

1er trimestre 2008 5 738 6 040 (302)

2e trimestre 2008 5 860 6 336 (476)

3e trimestre 2008 5 465 6 450 (985)

Tableau 5.4

Proportion d’emplois créés et perdus dans les entreprisesprivées américaines selon leur taille

Emplois créés % Emplois perdus % Emplois nets

(en milliers)

Taille de l’entreprise <50 >1000 <50 >1000 <50 >1000

4e trimestre 2007 53 % 19 % 55 % 17 % (24) 193

1er trimestre 2008 56 % 15 % 56 % 17 % (157) (145)

2e trimestre 2008 54 % 17 % 54 % 18 % (251) (169)

3e trimestre 2008 55 % 16 % 52 % 19 % (376) (361)

Tableau 5.2

Ouvertures et fermetures d’établissements d’entreprises privées américaines (en milliers)

Ouvertures Fermetures Nombre net

4e trimestre 2007 382 360 22

1er trimestre 2008 357 380 (23)*

2e trimestre 2008 355 391 (36)*

3e trimestre 2008 349 379 (30)*

*Pour la première fois en seize ans, il y a eu décroissance du nombre d’établissements pendant trois trimestres consécutifs.

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Si l’on considère les données du troisièmetrimestre de 2008, on observe que 6 822 000emplois ont été créés par des établissements privésaméricains, alors que 7 754 000 emplois ont étéperdus. Donc en termes nets, il y a eu une perte de932 000 emplois en trois mois. Ce nombred’emplois est sans doute considérable, mais quandon le compare au nombre brut d’emplois crééspendant la même période, il reste quand mêmerelativement faible. Quant au nombre d’ouver-tures et de fermetures d’établissements, 349 000établissements ont ouvert leurs portes tandis que379 000 établissements ont mis la clé sous laporte. En termes nets, cela représente une baissede 30 000 établissements privés aux États-Unispour le troisième trimestre de 2008.

Ainsi, pour le troisième trimestre de 2008, il ya eu plus d’emplois perdus que créés. Or, si l’ons’attarde un peu plus sur les données, les pertesd’emplois n’excèdent pas la création d’emploisdans toutes les industries. Les pertes d’emploissont concentrées dans certaines industries et demême pour la création d’emplois. En effet, dejuillet 2008 à septembre 2008, les pertes brutesd’emplois ont dépassé la création brute d’emplois,sauf pour trois secteurs industriels : ressourcesnaturelles et exploitation minière, services publics(utilities) et éducation et services de santé. Ceciillustre le fait que certaines industries sont en trainde perdre de l’importance, tandis que d’autresprennent de l’ampleur dans le marché américain.

Pour ce qui est des industries liées à laproduction de biens, les nouveaux établissementset ceux en expansion ont été responsables de lacréation de 1 397 000 nouveaux emplois, tandisque les établissements qui ont fermé ou qui ontréduit leurs effectifs ont causé la perte de1 767 000 emplois. Cette perte nette de 370 000emplois représente le neuvième trimestreconsécutif de pertes nettes d’emplois dans cesindustries, un phénomène qui a commencé bienavant la récession.

En ce qui concerne l’industrie de la construc-tion, les gains bruts d’emplois ont diminué à698 000. C’est le niveau le plus bas de création

d’emplois dans ce secteur depuis le premiertrimestre de 1993. Le secteur de la construction asubi une perte nette de 178 000 emplois, même siles pertes d’emplois brutes ont aussi diminué à876 000. C’était le sixième trimestre consécutif depertes d’emplois nettes dans ce secteur.

Quant au secteur manufacturier, 425 000 em-plois ont été créés tandis que 636 000 ont étéperdus pendant le troisième trimestre de 2008. Laperte nette de 211 000 emplois représente le neu-vième trimestre consécutif de pertes d’emploisnettes dans l’industrie manufacturière, un phéno-mène qui a donc également commencé bien avantla récession.

Dans les secteurs des services, les gains brutsd’emplois ont diminué à 5 425 000 et les pertesbrutes d’emplois ont grimpé à 5 987 000, ayantpour résultat une perte nette de 562 000 emplois.Pour les industries de commerce de détail, les gainsbruts d’emplois ont diminué à 892 000. Les pertesd’emplois brutes ont également diminué à1 062 000 pour une perte nette de 170 000 em-plois. C’est la plus importante perte nette danscette industrie depuis 1992, causée par le plus basniveau de gains bruts d’emplois dans l’histoire decette série.

Finalement, les pertes d’emplois brutes ontdépassé des gains bruts dans le secteur financierpour le sixième trimestre consécutif. Il y a eu376 000 nouveaux emplois contre 460 000 pertesd’emplois, ayant pour résultat une perte nette de84 000 emplois pour le troisième trimestre.

À l’opposé, les gains bruts d’emplois dans lessecteurs de l’éducation et de la santé privées ontgrimpé légèrement jusqu’à 799 000 emplois pourle troisième trimestre de 2008, alors que les pertesd’emplois brutes diminuaient à 706 000. Cesecteur d’activité est le seul secteur ayant connuun changement net positif chaque trimestredepuis que la série a commencé en 1992.

Ainsi, malgré les pertes d’emplois considé-rables des derniers trimestres, il reste que l’éco-nomie américaine continue à créer un nombre brut

La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

20 Institut économique de Montréal

d’emplois très important dans toutes les industries,et ce, malgré que le nombre d’emplois créésdemeure inférieur à celui des emplois perdus.

Malgré les nombreuses pertes d’emploisdepuis le début de la crise, les économiescanadienne et québécoise restent relativementrobustes. Au Québec, les secteurs les plus touchéssont l’industrie du commerce et l’industrie desservices aux entreprises, services relatifs aux bâti-ments et autres services de soutien. Si l’on regardel’évolution depuis 2000, l’industrie de la fabricationa connu d’importantes pertes d’emplois, même si

en 2008 il y a eu une faible croissance du nombred’emplois dans ce secteur.

Au Canada, les secteurs qui ont été les plusatteints par les pertes d’emplois en 2008 sont ceuxde la fabrication, du transport et de l’entreposageet de l’information, de la culture et des loisirs.Comme au Québec, l’industrie de la fabrication aconnu d’importantes pertes d’emplois depuis2000. Ceci nous laisse croire que les pertesd’emplois ne sont pas nécessairement liées à lacrise économique, mais plutôt à un changementdans la structure du marché du travail.

Tableau 5.5

Variation annuelle du nombre d’emplois au Québec

(en milliers) 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Ensemble de l’économie 74,7 37,4 129,7 58,9 51,7 36,8 48,1 86,3 30,0

Employés

(exclut les travailleurs autonomes)

Secteur public 28,7 30,2 24,1 13,7 5,0 23,1 -2,6 15,4 9,3

Secteur privé 54,4 38,3 106,7 28,3 45,5 -6,1 52,1 21,2 30,5

Par industrie

Industries productrices de biens 13,4 13,9 46,4 17,2 -3,9 12,6 24,8 29,0 14,3

Agriculture 0,9 -4,6 5,1 -4,6 -6,9 10,7 4,3 0,2 -3,8

Foresterie, pêche, mines et

extraction de pétrole et de gaz

Services publics 0,8 1,7 0,6 0,5 1,8 -0,4 -2,1 2,6 0,6

Construction 10,5 -2,6 15,8 9,5 1,6 14,7 6,9 9,4 20,3

Fabrication 0,6 -4,9 21,1 -21,1 2,2 -14,5 -34,4 -38,1 0,4

Industries productrices de services 61,3 51,2 83,4 76,1 55,5 24,3 73,0 115,2 15,6

Commerce 22,2 8,2 26,3 27,6 15,0 8,3 8,9 17,5 -21,4

Transport et entreposage 10,2 4,5 -17,1 12,6 7,9 -13,3 2,8 11,2 7,6

Finance, assurances, immobilier

et location

Services professionnels,

scientifiques et techniques

Services aux entreprises,

services relatifs aux bâtiments

et autres services de soutien

Services d'enseignement -9,3 4,6 10,7 8,5 -7,6 7,4 17,1 -1,6 -2,8

Soins de santé et assistance sociale 23,3 14,4 22,6 17,2 14,7 3,4 9,4 1,1 15,4

Information, culture et loisirs 1,2 10,8 4,6 3,4 4,6 1,8 -7,5 11,5 2,9

Hébergement et services de

restauration

Autres services -9,3 -15,1 10,5 4,5 0,9 -6,9 -2,0 17,6 -0,9

Administrations publiques 5,4 9,0 -2,3 -1,2 3,4 0,0 0,0 4,2 9,3

83,2 68,5 130,7 42,0 50,5 17,0 49,4 36,7 39,7

2,4 -3,5 3,8 -1,4 -2,7 2,1 0,4 -3,0 -3,1

4,0 2,9 8,7 -3,3 12,8 1,9 18,5 9,3 -1,0

-1,5 10,4 2,2 3,7 11,3 0,9 17,6 15,0 8,9

7,4 0,5 2,1 10,7 -7,5 7,1 -0,9 21,7 8,2

7,8 0,9 15,1 -7,6 -0,1 13,7 9,2 7,6 -10,5

Source : Institut de la statistique du Québec, Variation de l’emploi par rapport à l’année précédente selon le sexe, l’âge, le niveau d’études, le lien, le régime detravail et le statut de l’emploi, moyennes annuelles, Québec, 1998 à 2008, 24 février 2009,http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/societe/march_travl_remnr/parnt_etudn_march_travl/pop_active/tab12.htm.

La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

21Institut économique de Montréal

Tableau 5.6

Variation annuelle du nombre d’emplois au Canada

(en milliers) 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Ensemble de l’économie 357,5 182 364,2 361,9 274,7 222,7 314,6 382,1 259,4

Employés

(exclut les travailleurs autonomes)

Secteur public 98,6 43,6 65,4 46,9 88,5 78,6 74,6 84,8 141,7

Secteur privé 318 235,4 261,1 227,7 134,6 85,9 253,6 180,3 103,1

Par industrie

Industries productrices de biens 79,5 -42,1 98,7 47,1 64,1 12,6 -16,5 7,1 28,3

Agriculture -33,9 -48,8 2,1 7,0 -6,4 17,7 2,7 -9,2 -10,2

Foresterie, pêche, mines et

extraction de pétrole et de gaz

Services publics 0,6 9,5 7,5 -1,4 2,8 -8 -3,3 16 13,8

Construction 43,2 14,2 40,9 40,8 45,7 67,8 50,2 63,8 98,7

Fabrication 57,9 -20,4 56,9 -10,7 16,9 -84,7 -89,7 -72,8 -74,6

Industries productrices de services 277,9 224 265,6 314,8 210,6 210,1 331,1 375,1 231

Commerce 75,1 70 46 58,5 39,3 67,5 58,9 48,9 -3,6

Transport et entreposage 75,1 -5,1 -24 12,5 -19,2 28,2 -8,6 -10 -52,5

Finance, assurances, immobilier

et location

Services professionnels,

scientifiques et techniques

Services aux entreprises,

services relatifs aux bâtiments

et autres services de soutien

Services d'enseignement 3,4 7,5 25,8 19,7 8,6 70,4 52,3 24,8 9,6

Soins de santé et assistance sociale 78 26,4 76,9 61,9 54,2 1,2 50,9 60,6 57,3

Information, culture et loisirs 31,6 47,3 5,7 -0,5 23,4 -2,9 9,9 37 -22,4

Hébergement et services de

restauration

Autres services -28 -21,7 19,4 26,9 -16,5 -3,2 7,6 22,5 27,6

Administrations publiques -3,7 12,8 3,5 30,1 6,5 7,6 4,3 27,2 61,1

416,7 279 326,4 274,6 223,1 164,6 328,1 265,1 244,8

11,6 3,5 -8,6 11,3 5,0 19,8 23,7 9,2 0,8

-2,0 18,8 18,4 21.9 43,6 27,2 52,7 19,9 15,0

31,5 54,3 0,6 16,5 14,7 31,7 39,9 47,0 63,1

24,6 5 41,9 20,4 6,9 -7,9 10,5 54,4 4,1

32,3 0,2 42,4 29,1 21,5 24,2 35,6 12,1 -15,6

Source : Statistique Canada, Enquête sur la population active.

La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

22 Institut économique de Montréal

6. Déficit et croissance :

amis ou ennemis?

En réaction à la récession, les gouvernementsont gonflé leurs déficits pour tenter de stimulerl’économie. Pourtant, non seulement les effetsbénéfiques présumés de ces politiques de « plansde relance » n’arrivent habituellement que troptard, mais le caractère improvisé du bouquet desmesures proposées risque également de générerbeaucoup de gaspillage et des incitations néfastesen amenant les entreprises à s’occuper davantagede leurs représentants politiques que de leursmarchés.

Que les gouvernements aient un rôle clé dansle développement et le maintien des infrastruc-tures publiques, dans l’éducation, la formationprofessionnelle et la formation continue, entreautres, est indéniable. On pense en particulier auxinfrastructures qui ne peuvent être financéesefficacement par la tarification. Mais leur respon-sabilité en cette matière n’est pas plus grande enpériode de ralentissement économique. On doitpeut-être se réjouir du fait qu’à défaut d’avoir bienrempli leur rôle de gardiens du bon état desinfrastructures, les gouvernements se réveillent enpériode de ralentissement économique et s’ymettent enfin, mais leur réveil soudain apparaîtsurtout comme un indicateur de mauvaise gestion.

La relation entre déficits publics et crois-sance économique est pour la moins floue et lelien entre les deux très discutable. Pour s’en con-vaincre, considérons l’expérience canadienne desannées 1990.

De 1990 à 19951, le déficit budgétaire dugouvernement canadien s’est élevé en moyenne à5 % du PIB, déjà une amélioration importantepar rapport aux cinq années précédentes. De

1997 jusqu’à aujourd’hui, ces déficits ont faitplace à des surplus. Que sait-on de l’impact de cerenversement, plutôt exceptionnel parmi les paysde l’OCDE, sur la croissance?

Dans la décennie des grands déficits, de 1985à 1995, le Canada a eu une croissance du PIB réelpar habitant nettement inférieure à celle duJapon, du Royaume-Uni, de l’Italie, des États-Unis, de la France. Pour la période des surplusbudgétaires de 1997 à 2002, les résultats duCanada ont surpassé ceux de tous ces pays. Auchapitre de la création d’emplois, le Canada aégalement surpassé ces autres pays de 1994 à 2004et l’écart entre le taux de chômage canadien etaméricain a chuté de manière importante,passant de 4,2 points de pourcentage de 1993 à1996 à 1,5 point de 2003 à 2005. Parallèlement, letaux de participation de la main-d’œuvre et letaux d’emploi augmentaient tous les deux demanière importante au Canada par rapport auxÉtats-Unis. De ces observations certes trop par-tielles, on peut au moins conclure que l’élimina-tion de ses déficits chroniques a permis auCanada d’améliorer sa performance économiquepar rapport aux pays conservant des déficitsbudgétaires importants.

Il ne faut pas oublier que les citoyens et lesentreprises, en tant qu’agents économiques, com-prennent bien que ces déficits auront des consé-quences sur la taxation et les taux d’intérêt, doncleurs coûts d’emprunt et leurs coûts du capital,dans un avenir plus prochain que lointain. Il y a uncertain consensus chez les économistes sur le faitque les politiques fiscales discrétionnaires n’ontdans le meilleur des cas qu’un effet marginal, maispeuvent avoir par ailleurs provoqué des distorsionsdurables et importantes qui seront fort coûteusessur le plan de l’efficacité économique.

Pour situer les plans de relance dansl’ensemble de l’économie, considérons le cas duCanada. Dans le discours du budget du ministredes Finances de janvier 2009, le gouvernement aannoncé des mesures qui mèneront à des déficitsadditionnels (à ceux qui auraient prévalu enl’absence du plan de relance) totalisant un peumoins de 50 milliards $ au cours des six

1. Voir Industrie Canada, Un partenaire indispensable, 2003; Ministèredes Finances Canada, La mise à jour économique et financière, 2006.

La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

23Institut économique de Montréal

prochaines années. Ces déficits additionnelsseront encourus d’une part en raison de haussesdes investissements gouvernementaux dans lesinfrastructures et d’autre part à cause de baissesd’impôts dont certaines avaient déjà été annon-cées, mais qui sont entrées en vigueur en 2009. Cesmontants, bien qu’impressionnants à premièrevue, restent relativement marginaux par rapport àl’ensemble de l’économie. En effet, la compositiondu PIB canadien lors du troisième trimestre de2008 (égal à 1640 milliards $ sur une baseannuelle) indique que les dépenses personnelles enbiens et services totalisent plus de 900 milliards $par année, que les investissements privés totalisentplus de 315 milliards $ et que les investissementspublics totalisent plus de 50 milliards $.

De toute évidence, le gouvernement canadiendevrait et aurait dû se préoccuper d’abord et avanttout de ses missions premières (i) de bon gestion-naire des fonds publics et, pour ce faire, éviter degonfler indûment son déficit conjoncturel, (ii) debon gestionnaire des infrastructures publiques,tant de leur développement que de leur entretien,et (iii) de bon gestionnaire de la production desbiens et services publics sous sa gouverne.

Il devrait et aurait dû aussi en priorité se con-sacrer à rétablir la confiance des agentséconomiques – individus, ménages et entreprises –de façon à assurer le fonctionnement efficace ettransparent du système économique canadien, enparticulier le bon fonctionnement, sous la gou-verne de la Banque du Canada, du systèmefinancier.

En temps de récession comme en temps decroissance, une stratégie de déficit budgétaire, deprotectionnisme et de subventions à tout vent nepeut que faire plus de mal que de bien. Mieuxvaut une stratégie qui favorise l’ajustement néces-saire et efficace des prix, des marchés et du tissuindustriel et qui laisse les entreprises se préparerà la reprise : une médecine exigeante, mais quiremettra le malade sur pied de manière durable.Les annonces de dépenses gouvernementalesgargantuesques peuvent contribuer à la perte deconfiance en annonçant une crise de plus en plus

grave, faisant augmenter les primes de risque etrendant plus difficiles les conditions d’accès aucrédit bancaire.

D’abord, ces dépenses bloquent systémati-quement les ajustements nécessaires au tissucommercial et industriel de leurs sociétés et écono-mies respectives : il y avait bien avant la crise unesurcapacité dans l’industrie automobile, dansl’industrie forestière, dans l’industrie agroalimen-taire (des pays développés) et ailleurs. Il fallaitlibérer et éliminer cette surcapacité pour permettreaux entreprises rentables dans tous les secteurs,nouveaux ou non, de croître. Ensuite, les dépensesgouvernementales constituent un mécanismed’éviction des investissements du secteur privé. Lesdéficits devront d’une manière ou d’une autre êtrefinancés et éventuellement remboursés. De plus, ilsconsomment des ressources réelles importantes etcanalisées dans des programmes dont la rentabilitén’existe souvent que sur papier.

Les aides et subventions gouvernementales detoutes sortes visent supposément à soutenir lesentreprises privées (les entreprises parapubliquesétant toujours soutenues de manière prioritaire etpermanente) qui doivent composer avec une con-currence intense ou des investissements très risqués.Les millions de dollars promis à Bombardier à l’été2008 apparaissent aujourd’hui négligeables devantles milliards investis dans GM et Chrysler et lesmultiples milliards que réclament déjà d’autresentreprises dans bien d’autres secteurs (acier,transport, mines, agriculture, distribution, forêt,tourisme, culture, etc.), affirmant qu’elles sontaussi sinon plus méritantes que le secteur auto-mobile.

Les coûts et bénéfices des aides gouverne-mentales ont toujours les mêmes caractéristiques.Les coûts sont diffus et répartis sur l’ensemble descitoyens et de l’économie alors que les bénéficessont capturés par des groupes d’intérêts, patro-naux et syndicaux entre autres, bien identifiés etpolitiquement influents.

C’est l’ensemble des décisions d’investisse-ment, de R&D et de production qui est faussé par

La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

24 Institut économique de Montréal

ces programmes d’aide : il devient préférable des’occuper des représentants politiques plutôt quede se soucier de sa compétitivité, donc de sesemployés, clients, fournisseurs et concurrents.Cette stratégie est la voie royale vers l’inefficacitéet la faillite éventuelle, une fois les fonds publicsproprement dilapidés.

La bonne façon d’évaluer le coût anticipéd’une aide gouvernementale serait d’organiser uneenchère visant à transférer le contrat d’aide, tantles garanties, prêts et autres déboursés que lesremboursements, à une tierce partie du secteurprivé. La meilleure offre reçue pourrait exiger uneprime ou compensation d’un certain montant,que le gouvernement devrait inscrire à sesdépenses. Cette sanction transparente par lemarché rassurerait l’ensemble des citoyens sur lefait que leur gouvernement veille à leurs intérêts etne protège pas des emplois précaires d’aujourd’huidans certaines entreprises au détriment demeilleurs emplois actuels et futurs dans l’ensemblede l’économie.

Face à la crise actuelle, la stratégie débridée dedéficits et de subventions, freinant les ajustementssouhaitables dans les prix, les marchés et le tissuindustriel, risque surtout de retarder et d’affaiblirle retour à une véritable croissance.

La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

25Institut économique de Montréal

Conclusion :

défis et perspectives

Pour conclure, nous regroupons nos recom-mandations en quatre points généraux.

1. Recentrer le rôle des gouvernements sur lesconditions de création d’emplois et de richesse

Quand on évalue la dynamique des emploiset établissements créés et perdus en termes bruts, leportrait de la crise économique prend un toutautre visage. Malgré les pertes d’emplois nettesimportantes des derniers trimestres, il reste que lesecteur privé de l’économie américaine a continuéà créer un nombre brut d’emplois très élevé danstoutes les industries : 7 222 000 emplois ont étécréés en moyenne par trimestre, pour les quatrederniers trimestres disponibles (du quatrièmetrimestre de 2007 au troisième trimestre de 2008).

Quand on compare ces données à l’ampleurdes plans de relance gouvernementaux, il apparaîtévident que les autorités américaines, canadienneset étrangères devraient de manière générale mettrel’accent sur des politiques qui catalyseront lacréation de nouveaux emplois plutôt que d’essayerde sauver des emplois qui sont probablementvoués à disparaître. En effet, le nombre d’emploiseffectivement visés par les plans de relance, tantaux États-Unis qu’au Canada et qu’en Europe,toujours exprimés en termes bruts, fait piètrefigure par rapport à l’ampleur de la création bruted’emplois au sein du secteur privé, même durantles trimestres les plus difficiles de la récession1. Leprocessus de destruction créatrice, qui apparaîttant en période de croissance qu’en période derécession, domine de loin les effets visés par lesactions directes des gouvernements.

C’est pourquoi les gouvernements devraientconcentrer leurs efforts sur le rétablissement de laconfiance et sur le développement des conditionsfavorables à la destruction créatrice, plutôtqu’intervenir directement au sein de l’économie.Malheureusement, les nombreux plans de relancequ’on a vus naître au cours de la dernière annéesemblent avoir davantage nui à la confiance et faitdérailler le processus de destruction créatrice quifavorise une reprise réelle et vigoureuse de lacroissance.

2. Modification des contrats pour un ajustementgraduel et automatique en fonction des condi-tions économiques

Luigi Zingales, professeur d’économie,d’entrepreneuriat et de finance à l’Université deChicago, a proposé un plan en deux parties pourfaciliter les ajustements des conditions hypothé-caires aux variations importantes dans le prix desmaisons2.

D’abord, le gouvernement devrait favoriserl’inclusion dans les contrats hypothécaires declauses donnant aux propriétaires d’un logementl’option de renégocier leur prêt hypothécaire à labaisse lorsque la valeur des maisons dans leurquartier ou région a diminué de plus de 20 %. Encontrepartie, le prêteur hypothécaire recevrait uneportion du prix de vente éventuelle de la maison,par exemple 50 % de la différence entre le prix devente et le prêt hypothécaire renégocié. C’est là unesolution gagnant-gagnant comparativement à lasaisie traditionnelle.

Ensuite, pour aider les institutions bancairesen difficulté, le gouvernement mettrait à leurdisposition un processus rapide de recours à lafaillite partielle selon lequel la dette (papiercommercial et obligations) serait transformée encapital-actions et les actionnaires actuels verraientleur capital-actions liquidé tout en obtenant uneoption, à exercer dans les sept jours, de racheter ladette à sa valeur nominale. Afin de s’assurer quetoutes les banques non solvables et seulement

1. La Maison Blanche a estimé le 30 octobre 2009 que le nombre d’em-plois créés ou sauvegardés grâce à son « plan de relance » de 787 mil-liards $ s’établissait à 640 239. Plusieurs intervenants suggèrent quecette estimation est généreuse, car les règles pour calculer les emploissont plutôt nébuleuses et favorisent une surestimation des emploiscréés ou sauvegardés (voir par exemple : Michael Cooper et Ron Nixon,« Reports Show Conflicting Number of Jobs Attributed to StimulusMoney », New York Times, 5 novembre 2009, p. A16).

2. Luigi Zingales, « Plan B », The Economists’ Voice, vol. 5 (2008), no 6,article 4.

La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

26 Institut économique de Montréal

celles-là choisissent de recourir à ce processus defaillite, il faudrait assujettir la dette de court termeau processus. Dans la mesure où les créanciers decette dette considèrent la banque comme nonsolvable, ils liquideront leur dette dès que possible,provoquant une crise de liquidités et forçant labanque à recourir au processus. Les incitations sontalors bien alignées et la banque retrouvera sasolidité financière, pourra recommencer à prêter etgardera par ailleurs toutes ses autres obligationscontractuelles.

La force du processus est triple : d’abord, encas de crise, le secteur bancaire serait recapitalisésans injection de capital gouvernemental. Ensuite,le gouvernement n’a pas à déterminer la valeur desactifs de la banque en difficulté. Enfin, on évite devoir le gouvernement décider de l’avenir des ban-ques individuelles, car le marché s’en chargera.Pour le professeur Zingales, il est maintenanttemps que les gouvernements mettent en place unesolution basée sur le fonctionnement des marchésprivés pour d’abord éviter de gaspiller des fondspublics et ensuite n’utiliser la force publique quepour réorganiser rapidement et efficacement lesecteur bancaire.

L’économiste Luc Vallée, ex-économiste enchef de la Caisse de dépôt et placement du Québec,a proposé une solution de rechange. Selon lui, legouvernement devrait offrir à tous les propriétairesoccupant leur logement la possibilité d’en vendreun certain pourcentage au gouvernement. Mais,selon Vallée, cette offre doit prévoir des incitationsqui assureront que seuls les propriétaires endifficulté accepteront d’y souscrire, ce qu’il définitdans sa proposition.

Cette option est intéressante sur plusieursplans. Premièrement, les décisions individuellesd’accepter ou non l’option offerte par le gouverne-ment fourniraient de l’information importante surla qualité des prêts hypothécaires. En effet, cetteoffre n’est intéressante que si les propriétaires sontincapables de rembourser leurs prêts. Ainsi, lesecteur financier serait en mesure de déterminer lavaleur des blocs hypothécaires. Comme l’offre estfaite à tous les propriétaires, la nécessité de

déterminer qui devrait bénéficier de l’aide dispa-raît, un problème épineux des plans d’aide mis del’avant par les différents gouvernements. Deuxiè-mement, la possibilité offerte à chaque propriétairede vendre une quote-part de leur logement au gou-vernement (conversion de dette en prise de partici-pation) entraînerait une baisse suffisante despaiements hypothécaires pour permettre à denombreux propriétaires en difficulté de passer àtravers la crise. De plus, cette opération assainiraitles bilans financiers des institutions bancaires.Troisièmement, cette stratégie permettrait destabiliser le marché de l’immobilier en cas de baisseabrupte des prix puisqu’elle réduit le nombre delogements qui seront mis en vente.

D’autres types d’options similaires pour-raient être intégrés dans les contrats hypothécairesou autres pour permettre, en cas de récession oude crise, des ajustements continuels aux conditionséconomiques plutôt que des ajustements brusquesen cascade qui ne font qu’aggraver inutilement lesmauvaises conditions économiques. Ces optionsseront évidemment incorporées aux contrats à uncertain coût pour les parties. Mais, dans la mesureoù suffisamment de ces clauses d’ajustementseront effectivement intégrées dans les contrats,elles permettront de réduire les effets collatérauxnon désirables des récessions.

3. Règles microprudentielles et macroprudentielles

Parmi les changements les plus importants quipermettront d’améliorer la réglementation desinstitutions financières, il faut mentionner lesdiverses règles microprudentielles et macropruden-tielles qui pourraient être implantées dans les pro-chaines années.

Parmi ces règles, on retrouve les suivantes :

� L’utilisation des taux d’intérêt (donc des ni-veaux de risque) comme facteur de pondéra-tion pour la détermination des réserves encapital que devront détenir les institutions.

La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

27Institut économique de Montréal

� L’imposition aux grandes institutions finan-cières de coefficients de réserve en capital plusélevés en périodes normales ou de croissancesoutenue et plus faibles en période de réces-sion. Définir de tels coefficients de réservespermettrait d’accumuler des réserves de capitalexcédentaires en période favorable à utiliserpour soutenir l’économie et leurs opérationslors des périodes de troubles majeurs. Il seraitaussi avisé d’exiger que les banques et autresinstitutions financières assimilées les plusgrosses et les plus complexes (« too big to fail »)détiennent des réserves en capital plus élevéesétant donné le risque systémique qu’elles repré-sentent pour l’économie.

� L’imposition de stress tests et de calculs de« VaR » (valeur à risque) externes par les orga-nismes responsables de la stabilité des systèmesbancaires et financiers nationaux et du systèmefinancier international. Ces tests permettraientde quantifier les effets de chocs financiersmajeurs sur le système bancaire : récessionmajeure, variations importantes des taux dechange, choc pétrolier, forte baisse des coursboursiers, en particulier des bourses de pro-duits dérivés. Ces stress tests doivent permettrede déterminer les ratios de solvabilité critiquespermettant aux systèmes bancaires et financiersde supporter des chocs macroéconomiquesd’envergure telle une récession économiqueprolongée sur deux ou trois ans.

� L’obligation des agences de cotation (les « orga-nismes de cotation statistique nationalementreconnus » ou NRSRO en anglais) de rendredes comptes quant à leurs évaluations des pro-babilités de défaut et des pertes en cas dedéfaut. En plus du capital de réputation quiconstitue la principale source de valeur desagences de cotation, on peut anticiper que cesagences devront un jour ou l’autre devoircontribuer à clarifier et à caractériser les incita-tions auxquelles elles font face et devoirdémontrer une capacité financière suffisantepour faire face à des contestations de la qualitéde leurs prévisions et analyses, eu égard auxrésultats observés.

� Dans l’esprit des clauses d’ajustement descontrats dont nous avons traité plus haut, ilfaudra favoriser la « mise en faillite » ordonnéedes banques et institutions les plus grosses etles plus complexes : plan de contingence pourle transfert du contrôle et pour le partage descoûts et pertes.

� Pour éviter les déboires causés par les inter-ventions directes et malavisées des autoritéspolitiques dans la conduite des institutions etdes marchés, il faudrait abolir les entreprisesoffrant des garanties gouvernementales,favorisant par le fait même de mauvaises règlesde gestion, telles Fannie Mae, Freddie Mac, laFederal Housing Administration, les FederalHome Loan Banks et ce, en faveur d’une aidedirecte aux plus démunis pour l’accession à lapropriété.

� Finalement, une mesure susceptible d’amé-liorer la gouvernance des grandes banques, enparticulier un contrôle raisonnable et efficacedes gestionnaires par les actionnaires, il faudraitrendre plus flexibles les règles sur la propriétédes banques, actuellement très restrictives.

4. Défis politiques et sociaux

Parmi les défis plus larges et plus englobantsauxquels nous ferons face, il faut mentionnerl’ultime danger d’un recours aux mesures protec-tionnistes et d’achat local comme tentative demousser la demande pour les produits et serviceslocaux, au détriment du coût de la vie et du bien-être de la population. Il y a actuellement un réeldanger de voir apparaître un cercle vicieux où leprotectionnisme répond au protectionnisme,plongeant les économies dans un véritablemarasme : rappelons que deux emplois sur cinq auCanada dépendent des marchés étrangers.

Il faut plutôt veiller à protéger le mouvementvers la mondialisation et la libéralisation toujoursplus grande des marchés. Certains ont peur desprocessus concurrentiels non seulement à l’échellenationale, mais aussi dans le contexte interna-tional. La mondialisation des marchés est souvent

La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

28 Institut économique de Montréal

considérée comme responsable de la destructiond’emplois (sous-traitance ou délocalisation) dansles économies développées et comme favorisantl’exploitation des travailleurs dans les pays sous-développés.

Cependant, la croissance substantielle ducommerce international durant le dernier demi-siècle a été un facteur majeur d’amélioration tantdu bien-être économique collectif que dudéveloppement culturel et social. Comme lementionne l’économiste indien Amartya Sen,lauréat du prix Nobel d’économie en 1998 :

« Il y a quelques siècles à peine, la pauvreté etune vie “misérable, bestiale et brève”, commel’écrivait Thomas Hobbes, dominaient le monde, àl’exception de rares poches d’abondance. Enmaîtrisant cette pénurie, la technologie modernede même que les échanges économiques ont euleur importance. Les situations précaires nepeuvent s’inverser si les plus démunis sont privésdes bienfaits considérables de la technologiecontemporaine, de la solide efficacité du com-merce et des échanges internationaux, enfin desavantages sociaux autant qu’économiques à vivredans une société ouverte plutôt que fermée. Cequi est nécessaire, c’est une répartition plus équi-table des fruits de la mondialisation »3.

Sans entrer plus dans le détail, il est clair quenier le potentiel phénoménal du commerceinternational dans l’amélioration du bien-être detous doit venir d’une mauvaise compréhension oud’une ignorance pure et simple des éléments lesplus importants de l’histoire économique mo-derne, à savoir la théorie des avantages comparatifsformulée par l’économiste David Ricardo4 dont lesimplications sont implacables et inévitables, maisrelativement contre-intuitives. Elle affirme qu’àcondition qu’il existe une différence entre les coûtscomparés de production de différents biens etservices constatés en autarcie dans plusieurs pays,

chacun d’eux bénéficiera du commerce interna-tional en se spécialisant dans la production et enexportant les biens pour lesquels il dispose du plusfort avantage comparé ou du moindre désavantagecomparé, en important en échange les autresbiens. Il est important d’insister sur le fait que tousles pays vont bénéficier de ce commerce, indé-pendamment de leur compétitivité absolue.

Cette assertion est sans doute un des résultatsles plus importants de la théorie économiquemoderne. Elle est le fondement du libre-échange,de l’éradication de la pauvreté, de la création derichesse, de la croissance économique et duprogrès social.

3. Amartya Sen, « Dix vérités sur la mondialisation », Le Monde,18 juillet 2001.

4. David Ricardo, On the Principles of Political Economy and Taxation,1817.

À propos de l’auteur

Marcel Boyer, économiste principal à l’Institut économique deMontréal (IEDM), est l’un des économistes les plus réputésau Canada. Titulaire d’un doctorat en économie de

l’Université Carnegie-Mellon, il est professeur émérite de scienceséconomiques à l’Université de Montréal. Il est aussi Fellow duCentre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations(CIRANO) et de l’Institut C.D. Howe, en plus de siéger au conseild’administration de l’Agence des partenariats public-privé duQuébec. Il a notamment obtenu en 1985 le prix triennald’excellence scientifique Marcel-Dagenais de la Société canadiennede science économique et en 2002 le prix Marcel-Vincent del'Association francophone pour le savoir (ACFAS) pour la qualitéexceptionnelle de ses travaux en sciences sociales. Il est membre élude la Société royale du Canada (Les Académies des arts, des lettres etdes sciences du Canada) et a été président de l’Associationcanadienne d’économique et de la Société canadienne de scienceéconomique.

ISBN 978-2-922687-28-7