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La Doctrine de l'Abrogation

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Page 1: La Doctrine de l'Abrogation

La doctrine de l’abrogation*

A l’égard des révélations antérieures, le privilège islamique s’exprime dans la

doctrine de l’abrogation. Il s’agit d’un pouvoir unique dans son essence et

double dans sa manifestation, comme le « pouvoir de vie et de mort » dont il est

un aspect. C’est le droit de confirmer ou d’abroger ce qui subsiste aujourd’hui

des traditions qui ont précédé l’islâm, car confirmer, c’est faire vivre, et abroger,

c’est décréter la mort. En dépit de toutes les précisions que nous avons données

dans notre ouvrage sur le Califat (1), certains feignent de ne pas comprendre (2)

et insistent sur l’idée de confirmation comme s’il fallait entendre par là le

maintien des lois sacrées antérieures, ce qui est faux. Au regard du Droit divin,

la loi islamique est souveraine : c’est elle, et elle seule, qui détermine ce qui peut

légitimement subsister aujourd’hui des lois et des formes antérieures. Ce qui est

ainsi maintenu résulte uniquement de la confirmation opérée par l’islâm et n’est

plus fondé sur la loi sacrée dont il faisait partie à l’origine, car celle-ci a été

abrogée. C’est le sens de la parole prophétique : « Si Moïse était vivant, il

n’aurait pas d’autre choix que de me suivre.» Cette confirmation peut-être de

deux sortes. Ou bien le rite antérieur est intégré directement dans la pratique

islamique ; c’est le cas, par exemple, pour le jeûne du jour de l’Ashûrâ. Le

judaïsme et l’islâm ont en commun, à la différence du christianisme, de suivre

un calendrier lunaire. Le dixième jour du premier mois de l’année est fêté dans

les deux traditions. Du côté juif, il s’agit du « Yom Kippour » ou « Jour des

Expiations ». Le terme kippour est un équivalent de l’arabe kaffâra, qui a le

même sens. Apprenant que les juifs jeûnaient ce jour là, le Prophète ordonna aux

musulmans de jeûner également en ce jour ; il dit aux juifs : « Nous avons

priorité sur vous en ce qui concerne Moïse », ce qu’Ibn Arabî commente ainsi

: « ″Nous″, c’est-à-dire lui-même et sa communauté, nous avons priorité

sur les juifs en ce qui concerne Moïse, car ils ne croient pas en tout ce que

Moïse leur a transmis. S’ils avaient cette foi totale, ils croiraient en

Muhammad et dans son livre (kitâb, c’est-à-dire dans sa ″prescription″ ou

dans sa loi) ». Il apporte ensuite des précisions nuancées, mais dépourvues de

toute ambiguïté sur la façon dont il faut comprendre cette confirmation des lois

sacrées antérieures : « (Le Prophète) nous a ordonné de nous différencier des

juifs. Pour cette raison, il nous a commandé de jeûner un jour avant

Ashûrâ, c’est-à-dire le neuvième (jour du mois e Muharram), et un jour

après, c’est-à-dire le onzième. Il nous a dit : ″Jeûnez le jour de l’Ashûrâ en

vous opposant (khâlafa) à la manière dont les juifs le jeûnent″ ; il n’a pas

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dit : ″en vous opposant à Moïse″. En effet, Allâh nous a préservés de toute

opposition à l’égard des prophètes (antérieurs). En revanche, il a abrogé

(asqata) pour nous une part de leurs lois sacrées, comme Il l’a fait en

abrogeant une part de ce qu’Il nous avait prescrit (initialement) (3). Nous

croyons en tout ce qui a été abrogé, et en tout ce qui a été prescrit en

remplacement de ce qui a tété abrogé (kullu nâsikhin wa mansûkhin) en

toute loi (divine) ; mais le fait de croire n’implique pas le fait de pratiquer,

sauf dans le cas où cette pratique nous a été ordonnée. Telle est la mesure

exacte dans laquelle nous nous opposons aux juifs. » (4) Cette mesure est

déterminée de manière souveraine par la loi sacrée de l’islâm ; il ne s’agit donc,

en aucun cas, d’imiter ou de suivre ce que font les juifs. Un autre exemple d’une

confirmation de ce genre est celui de l’abattage rituel des bêtes : la régularité et

l’orthodoxie du judaïsme sont également confirmées sur ce point, car les

musulmans ont le droit de consommer de la viande « casher » ; c’est le verset : «

La nourriture de ceux qui ont reçu le Livre est licite pour vous et votre

nourriture est licite pour eux » (Cor.,5,5).

Un second type de confirmation concerne ceux qui désirent continuer à pratiquer

les rites propres aux traditions antérieures. Ils en ont aussi le droit, car, selon le

Coran, « Il n’y a pas de contrainte en (matière de) religion » (Cor.,2,256).

Reprenons l’exemple mentionné tout d’abord : un juif qui désire jeûner Yom

Kippour est libre de le faire selon les prescriptions de la loi de Moïse, même s’il

réside dans le « dâr al-islâm », c’est-à-dire sur une terre régie par la sharî’a. Il

n’est nullement obligé de suivre la loi islamique et les recommandations

énoncées par le Prophète lorsqu’il a instauré le jeûne du jour de Ashûrâ. L’islâm

confirme la loi juive qui ordonne ce jeûne et autorise les juifs à pratiquer leur

religion, mais uniquement dans la mesure fixée à l’intérieur d’un statut dont la

loi islamique détermine souverainement le contenu et les conditions, en

l’occurrence le payement d’un impôt appelé jizya. Le Coran ordonne de

combattre « ceux qui ne suivent pas la religion de la Vérité alors qu’ils ont

reçu le Livre, jusqu’à ce qu’ils payent l’impôt de leur propre mains, en

position d’infériorité » (Cor.,9,29). Il ne s’agit donc nullement d’une égalité de

droits ou d’une coexistence de lois sacrées différentes en contradiction les unes

avec les autres ; la manière dont Ibn Arabî comprend ce passage coranique (5)

est également tout à fait claire : « Aucune religion ne possède désormais de

statut traditionnel auprès d’Allâh en dehors de ce qui a été confirmé par

Lui : elle ne subsiste que par cette confirmation et fait partie de la loi et de

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la mission universelle (de Muhammad). Si l’un ou l’autre statut antérieur

subsiste, il ne pourra être considéré comme un statut d’Allâh que pour ceux

qui sont soumis à l’impôt islamique » ; et ailleurs : « Aucun Prophète

(antérieur) ne possède plus aujourd’hui une autorité quelconque sur sa

propre loi ». Il y a donc bien abrogation des lois sacrées antérieures en dépit des

confirmations intégrant partiellement ces lois à l’intérieur de la Loi totale et

universelle qui est celle de Muhammad – sur lui la Grâce et la Paix !

Telle est la signification véritable d’une compétence juridique s’étendant à

l’humanité toute entière. Ces mises au point concernent les rapports de l’islâm

avec l’ensemble des formes traditionnelles antérieures. Les exemples que nous

avons donnés ont été tirés du judaïsme parce que celui-ci est l’objet de la

présente étude, mais l’enseignement qu’ils illustrent ne s’appliquent pas qu’à lui.

* Charles-André Gilis, chapitre du livre La profanation d’Israël selon le Droit

sacré.

(1) Cf. chap. XXXV.

(2) Cf. C. Gayat, La Règle d’Abraham, n°13, p.52 et 59.

(3) Allusion aux versets abrogés. Sur ce point, cf. Les sept Etendards, p.268,

chap.XXXV.

(4) Futûhât, chap.71; vol.9, p.308 de l’éd. O. Yahyâ.

(5) Cf. Ibid. vol.2, p. 293, 294 et 338 de de l’éd. O. Yahyâ.