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barouk444
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La doctrine de l’abrogation*
A l’égard des révélations antérieures, le privilège islamique s’exprime dans la
doctrine de l’abrogation. Il s’agit d’un pouvoir unique dans son essence et
double dans sa manifestation, comme le « pouvoir de vie et de mort » dont il est
un aspect. C’est le droit de confirmer ou d’abroger ce qui subsiste aujourd’hui
des traditions qui ont précédé l’islâm, car confirmer, c’est faire vivre, et abroger,
c’est décréter la mort. En dépit de toutes les précisions que nous avons données
dans notre ouvrage sur le Califat (1), certains feignent de ne pas comprendre (2)
et insistent sur l’idée de confirmation comme s’il fallait entendre par là le
maintien des lois sacrées antérieures, ce qui est faux. Au regard du Droit divin,
la loi islamique est souveraine : c’est elle, et elle seule, qui détermine ce qui peut
légitimement subsister aujourd’hui des lois et des formes antérieures. Ce qui est
ainsi maintenu résulte uniquement de la confirmation opérée par l’islâm et n’est
plus fondé sur la loi sacrée dont il faisait partie à l’origine, car celle-ci a été
abrogée. C’est le sens de la parole prophétique : « Si Moïse était vivant, il
n’aurait pas d’autre choix que de me suivre.» Cette confirmation peut-être de
deux sortes. Ou bien le rite antérieur est intégré directement dans la pratique
islamique ; c’est le cas, par exemple, pour le jeûne du jour de l’Ashûrâ. Le
judaïsme et l’islâm ont en commun, à la différence du christianisme, de suivre
un calendrier lunaire. Le dixième jour du premier mois de l’année est fêté dans
les deux traditions. Du côté juif, il s’agit du « Yom Kippour » ou « Jour des
Expiations ». Le terme kippour est un équivalent de l’arabe kaffâra, qui a le
même sens. Apprenant que les juifs jeûnaient ce jour là, le Prophète ordonna aux
musulmans de jeûner également en ce jour ; il dit aux juifs : « Nous avons
priorité sur vous en ce qui concerne Moïse », ce qu’Ibn Arabî commente ainsi
: « ″Nous″, c’est-à-dire lui-même et sa communauté, nous avons priorité
sur les juifs en ce qui concerne Moïse, car ils ne croient pas en tout ce que
Moïse leur a transmis. S’ils avaient cette foi totale, ils croiraient en
Muhammad et dans son livre (kitâb, c’est-à-dire dans sa ″prescription″ ou
dans sa loi) ». Il apporte ensuite des précisions nuancées, mais dépourvues de
toute ambiguïté sur la façon dont il faut comprendre cette confirmation des lois
sacrées antérieures : « (Le Prophète) nous a ordonné de nous différencier des
juifs. Pour cette raison, il nous a commandé de jeûner un jour avant
Ashûrâ, c’est-à-dire le neuvième (jour du mois e Muharram), et un jour
après, c’est-à-dire le onzième. Il nous a dit : ″Jeûnez le jour de l’Ashûrâ en
vous opposant (khâlafa) à la manière dont les juifs le jeûnent″ ; il n’a pas
dit : ″en vous opposant à Moïse″. En effet, Allâh nous a préservés de toute
opposition à l’égard des prophètes (antérieurs). En revanche, il a abrogé
(asqata) pour nous une part de leurs lois sacrées, comme Il l’a fait en
abrogeant une part de ce qu’Il nous avait prescrit (initialement) (3). Nous
croyons en tout ce qui a été abrogé, et en tout ce qui a été prescrit en
remplacement de ce qui a tété abrogé (kullu nâsikhin wa mansûkhin) en
toute loi (divine) ; mais le fait de croire n’implique pas le fait de pratiquer,
sauf dans le cas où cette pratique nous a été ordonnée. Telle est la mesure
exacte dans laquelle nous nous opposons aux juifs. » (4) Cette mesure est
déterminée de manière souveraine par la loi sacrée de l’islâm ; il ne s’agit donc,
en aucun cas, d’imiter ou de suivre ce que font les juifs. Un autre exemple d’une
confirmation de ce genre est celui de l’abattage rituel des bêtes : la régularité et
l’orthodoxie du judaïsme sont également confirmées sur ce point, car les
musulmans ont le droit de consommer de la viande « casher » ; c’est le verset : «
La nourriture de ceux qui ont reçu le Livre est licite pour vous et votre
nourriture est licite pour eux » (Cor.,5,5).
Un second type de confirmation concerne ceux qui désirent continuer à pratiquer
les rites propres aux traditions antérieures. Ils en ont aussi le droit, car, selon le
Coran, « Il n’y a pas de contrainte en (matière de) religion » (Cor.,2,256).
Reprenons l’exemple mentionné tout d’abord : un juif qui désire jeûner Yom
Kippour est libre de le faire selon les prescriptions de la loi de Moïse, même s’il
réside dans le « dâr al-islâm », c’est-à-dire sur une terre régie par la sharî’a. Il
n’est nullement obligé de suivre la loi islamique et les recommandations
énoncées par le Prophète lorsqu’il a instauré le jeûne du jour de Ashûrâ. L’islâm
confirme la loi juive qui ordonne ce jeûne et autorise les juifs à pratiquer leur
religion, mais uniquement dans la mesure fixée à l’intérieur d’un statut dont la
loi islamique détermine souverainement le contenu et les conditions, en
l’occurrence le payement d’un impôt appelé jizya. Le Coran ordonne de
combattre « ceux qui ne suivent pas la religion de la Vérité alors qu’ils ont
reçu le Livre, jusqu’à ce qu’ils payent l’impôt de leur propre mains, en
position d’infériorité » (Cor.,9,29). Il ne s’agit donc nullement d’une égalité de
droits ou d’une coexistence de lois sacrées différentes en contradiction les unes
avec les autres ; la manière dont Ibn Arabî comprend ce passage coranique (5)
est également tout à fait claire : « Aucune religion ne possède désormais de
statut traditionnel auprès d’Allâh en dehors de ce qui a été confirmé par
Lui : elle ne subsiste que par cette confirmation et fait partie de la loi et de
la mission universelle (de Muhammad). Si l’un ou l’autre statut antérieur
subsiste, il ne pourra être considéré comme un statut d’Allâh que pour ceux
qui sont soumis à l’impôt islamique » ; et ailleurs : « Aucun Prophète
(antérieur) ne possède plus aujourd’hui une autorité quelconque sur sa
propre loi ». Il y a donc bien abrogation des lois sacrées antérieures en dépit des
confirmations intégrant partiellement ces lois à l’intérieur de la Loi totale et
universelle qui est celle de Muhammad – sur lui la Grâce et la Paix !
Telle est la signification véritable d’une compétence juridique s’étendant à
l’humanité toute entière. Ces mises au point concernent les rapports de l’islâm
avec l’ensemble des formes traditionnelles antérieures. Les exemples que nous
avons donnés ont été tirés du judaïsme parce que celui-ci est l’objet de la
présente étude, mais l’enseignement qu’ils illustrent ne s’appliquent pas qu’à lui.
* Charles-André Gilis, chapitre du livre La profanation d’Israël selon le Droit
sacré.
(1) Cf. chap. XXXV.
(2) Cf. C. Gayat, La Règle d’Abraham, n°13, p.52 et 59.
(3) Allusion aux versets abrogés. Sur ce point, cf. Les sept Etendards, p.268,
chap.XXXV.
(4) Futûhât, chap.71; vol.9, p.308 de l’éd. O. Yahyâ.
(5) Cf. Ibid. vol.2, p. 293, 294 et 338 de de l’éd. O. Yahyâ.