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Masarykova univerzita Université Paris-Est, Créteil
Filosofická fakulta Faculté LLSH
Francouzský jazyk a literatura Littératures, discours, francophonies
Bc. Karolìna Opltová
La femme et sa position dans la société africaine
traditionnelle dans l’œuvre d’Henri Lopes
Magisterská diplomová práce
Le mémoire de maîtrise
Directeurs: doc. PhDr. Petr Dytrt, Ph.D.
et
Papa Samba Diop
Brno/Créteil, 2015
Je soussignée déclare que ce mémoire a été élaboré d’une manière indépendante, en
utilisant les sources secondaires citées dans la liste de bibliogaphie. J’affirme également
que la version éléctronique de ce document est identique avec la version imprimée.
Tìmto prohlašuji, že jsem magisterskou diplomovou práci vypracovala samostatně s
využitìm uvedených pramenů a literatury. Dále prohlašuji, že tištěná verze mé práce se
shoduje s verzì elektronickou.
V Brně dne / À Brno .………………………………………….
Remerciements
À cet endroit, j’aimerais bien adresser mes remerciements aux directeurs de mon
mémoire : doc. PhDr. Petr Dytrt, Ph. D., et Papa Samba Diop. Je leur remercie surtout
pour le temps qu’ils ont consacré à l’examen de mon travail. Leur remarques précieuses
ont permis que le mémoire puisse être présenté au lecteur sous sa forme actuelle.
Mes remerciements vont aussi à Francis Claudon. Ses encouragements sont à l’origine
de mon séjour à l’Université Paris-Est, Créteil, qui était une occasion pour mon
évolution personnelle aussi bien qu’une grande inspiration.
Na tomto mìstě bych ráda poděkovala vedoucìm mé magisterské práce doc.
PhDr. Petru Dytrtovi, Ph.D., a Papa Samba Diopovi, jejichž ochota, čas a rady
umožnily, aby práce nabyla své současné podoby.
Děkuji také Francisi Claudonovi, jehož podpora a důvěra byla impulzem pro můj pobyt
na Université Paris-Est, Créteil, který byl pro mě velkou inspiracì.
Table des matières
Introduction 5
1. La vie de l’auteur 8
2. La société africaine traditionnelle et les femmes 10
3. La Nouvelle romance : Wali, Awa et Elise 18
4. Le Pleurer-rire : Elengui, Soukali et Ma Mireille 25
5. Le Chercheur d’Afriques : Ngalaha, Ouloumo, Kani (et Fleur) 32
6. Sur l’Autre Rive : Madeleine, sa mère et Félicité 40
7. Le Lys et le Flamboyant : Simone Fragonard (ou Kolélé) et M’ma Eugénie 48
8. Le Dossier classé : Mama Motéma, Tantine Élodie (et Nancy) 58
9. Une Enfant de Poto-Poto : Kimia et Pélagie 65
10. Comparaison 72
Conclusion 80
Bibliographie 84
5
Introduction
La situation des femmes dans la société contemporaine est l’aboutissement
d’une évolution à long terme qui a commencé comme une lutte pour les droits qui
égaleraient ceux des hommes. L’état des choses dans l’Europe d’aujourd’hui nous
montre que cette lutte a été réussie mais nous ne pouvons pas dire la même chose de
tous les coins du monde. En Afrique, même si longtemps colonisée par les Européens,
nous pouvons toujours trouver les traces des sociétés traditionnelles patriarcales, surtout
dans les régions rurales, où le rôle de la femme est réduit à sa capacité d’accoucher de la
progéniture, de s’occuper du ménage et d’assurer qu’il y a de quoi manger pour les
hommes quand ils rentrent. Même s’il est vrai qu’à l’heure présente ces coutumes sont
en voie de régression, sinon disparition, ils restent néanmoins un thème assez important
dans la littérature francophone. Nous voyons que les auteurs d’origine africaine essaient
de le relater pour nous présenter une image précise de ce que nous pourrions appeler des
abus des anciens schémas tribaux par rapport à des droits de l’homme. Aussi, cette
démarche peut être comprise comme un essai de faire un lien entre la situation des
femmes d’autrefois et celles d’aujourd’hui.
Traiter ce thème est certes le fief des écrivains-femmes, plutôt que des hommes,
et il est sûr qu’elles apportent une sensibilité toute autre par rapport à cette
problématique que les écrivains masculins. Cependant, il est indiscutable que le point de
vue masculin n’en est pas moins intéressant, véritable ou touchant. Un des écrivains qui
prête beaucoup d’attention à l’image de la femme dans son œuvre, et l’on dirait même
qu’il est fasciné par son destin, est Henri Lopes, auteur congolais qui aborde dans son
œuvre romanesque la thématique du métissage. C’est pourquoi nous avons décidé de
l’analyser en entier pour essayer de comprendre comment ce thème et l’intérêt qu’il
porte aux femmes peuvent se compléter. Nous voudrions aussi faire aprrécier la
compléxité de ses personnages féminins. La question que nous nous posons est celle-ci :
Les représentations de la femme imaginée par Henri Lopes, est-elle en accord avec son
statut de l’écrivain du métissage ? Afin de pouvoir y répondre, nous allons considérer
les personnages féminins par rapport à la société traditionnelle : nous examinerons leur
position vis-à-vis des personnages masculins, la tribu (si présente dans l’œuvre) ou
6
milieu urbain, d’autres personnages féminins et elles-mêmes. L’analyse de ces éléments
devrait nous aider à comprendre l’attitude de l’écrivain par rapport à la position
défavorable des femmes dans la société africaine traditionnelle.
Nous avons choisi de traiter l’œuvre entière de l’écrivain avec quelques
exceptions. Les romans que nous avons selectionnés sont les suivants (nous mettons les
abréviations que nous utiliserons pour les romans individuels au cours de notre étude
entre les paranthèses) : La Nouvelle romance (NR), publié en 1976 aux Éditions Clé,
Yaoundé, Le Pleurer-Rire (P-R) qui a paru en 1982 aux Éditions Présence Africaine.
Puis les romans publiés aux Éditions du Seuil : Le Chercheur d’Afriques (CA), 1990 ;
Sur l’Autre rive (SAR), 1992 ; Le Lys et le flamboyant (LF), 1997 et Dossier classé
(DC), 2002. Et le dernier roman de l’auteur : Une Enfant de Poto-poto (EP), publié aux
Éditions Gallimard en 2012. Au total, nous avons donc affaire à 7 romans. Nous avons
exclu de cette sélection le recueil des nouvelles Tribaliques, le premier ouvrage de
l’auteur, comme nous préférons de traiter les personnages que l’auteur a élaborés un peu
plus profondément. Pour les mêmes raisons, nous avons aussi renoncé à étudier le
roman Sans Tam-tam qui est un roman epistolaire et où les personnages féminins ne
sont évoqués que sur quelques pages. La dernière œuvre que nous avons omise est Ma
Grand-mère Bantoue et mes ancêtres les Gaulois (GBAG) comme il s’agit de simples
discours qui, cependant, nous serviront d’appui pour quelques chapitres qui suivront.
Plusieurs prix ont été attribués à Henri Lopes pour sa création littéraire, c’était : le
Grand Prix de littérature d’Afrique Noire pour Tribaliques, Prix de Jules Verne, le
Grand Prix de l’Académie française et la Palme d’Or des Lettres. Comme les romans
que nous venons de mentionner ont été publiés dans un laps de temps considérable,
nous essayerons de démontrer aussi en quoi consiste le changement de la position de la
femme dans l’œuvre de Lopes sauf s’il ne soit pas possible de le reconnaître.
En ce qui concerne l’organisation du présent travail, nous aimerions bien
consacrer sa première partie, qui sera plutôt théorique et qui nous servira de fond pour la
recherche suivante, à quelques informations sur la vie de l’auteur afin de pouvoir mettre
en relief les liens entre l’histoire personnelle de l’écrivain et son œuvre. Aussi, nous
croyons que ce petit exposé nous permettra de comprendre l’importance que Lopes
7
accorde aux personnages féminins. La deuxième moitié de cette partie théorique portera
sur la société africaine traditionnelle. Nous essayerons de la définir pour que le lecteur
puisse comprendre ce que nous entendons par ce terme et ce qu’il signifie dans le cas du
Congo. Ceci nous permettra de juger sur la nature de la position des personnages
féminins particuliers vis-à-vis la société.
Dans la deuxième partie de ce travail, nous effectuerons les analyses des romans
particuliers en nous concentrant sur les personnages féminins et ce non seulement sur
les personnages principaux, mais aussi secondaires si nous considérerons qu’ils sont
importants pour la représentation complète des protagonistes. Chaque analyse sera
précédée d’un bref résumé du contenu du roman en question pour permettre une
meilleure orientation dans son étude détaillée. À l’instar du travail Les Femmes dans la
littérature africaine : portraits de Denise Brahimi et Catherine Coquery-Vidrovitch,
nous essayrons de classer les différentes attitudes des femmes dans les romans analysés
selon leur position dans la société en femmes faibles, femmes en lutte et femme fortes1.
Le dernier chapitre de cette deuxième partie contiendra une comparaison entre ces
personnages différents et essayera de présenter leur développement à travers le temps.
Cette comparaison devrait nous permettre de juger la nature de création de l’auteur et de
décider si elle correspond à une création d’un écrivain qui chante le métissage.
1 Brahimi, Denise et Catherine Coquery-Vidrovitch. Les femmes dans la littérature africaine : portraits.
Paris, Karthala, 1998. p. 9.
8
1. La vie de l’auteur
Henri Lopes est né à Kinshasa le 12 septembre 1937 comme fils unique de sa
mère métisse (dont la mère était d’ethnie bangangoulou) et d’un père d’origine belge.
Cet homme se trouve donc, dès sa plus tendre enfance, à la rencontre de plusieurs
cultures ce qui est une expérience qu’il met en œuvre plus tard dans sa vie.
Allez savoir pourquoi, le noir et le blanc ne donnèrent pas du gris mais du
marron. ‘Non, me reprenait grand-mère, nous ne sommes ni gris ni marron, nous sommes
métis ; une tribu sans langue ni mœurs, mais sans laquelle le monde serait privé de soleil.
Marron ?... Le mot n’existe pas en lingala. Gris ?... Nous le serions si nous étions des
souris. Or nous sommes une tribue née de l’amour et de la fantaisie, c’est-à-dire de la
sagesse.’ (GBAG, p. 59)
Babou Diène souligne que Lopes doit sa première éducation justement à sa grand-mère
qui « le rattache aux valeurs culturelles de sa tribu »2 ce rattachement, cependant, est
très tôt en jeu comme Lopes voyage avec ses parents en Europe et commence à
fréquenter les écoles occidentales. Tout de même, dans le GBAG, Lopes affime une
identité triple et appelle une de ses parties « identité originelle » qui est liée à « sa terre
natale » (GBAG, p. 11). Ainsi, nous pouvons considérer que la première formation a
bien laissé des traces profondes en Lopes comme les enfants sont très sensibles à toutes
les informations et influences de genre quelconque. En 1961, Henri Lopes se marie avec
Nirva Pasbeau et l’année suivante, il obtient sa licence en Histoire-Géographie à la
Sorbonne et continue ses études à cette même institution. C’est en 1963 que le Congo
devient indépendant mais l’écrivain n’y rentre qu’en 1965 pour devenir l’enseignant de
l’histoire à l’École Normale Supérieure d’Afrique Centrale et pour être nommé
directeur général d’enseignement juste un an après. En 1968 se produit un coup d’État
qui a pour la suite la création du Parti Congolais du Travail auquel Lopes adhère. Ainsi,
il occupe successivement plusieurs postes politiques impotants : ministre de l’Éducation
nationale, ministre des Affaires Étrangères, Premier Ministre et ministre des Finances.
Entretemps, il publie ses premières œuvres et reçoit le Grand Prix de littérature
d’Afrique Noire. En 1981, il commence à faire l’office de Sous-directeur Général de
l’UNESCO qu’il maintient jusqu’en 1991 où il devient Directeur Général adjoint, il
2 Diène, Babou. Henri Lopes et Sony Labou Tansi : Immersion culturelle et écriture romanesque, Paris,
L’Harmattan 2011. p. 19.
9
occupe ce poste jusqu’en 1997. En 1998, il accepte le poste de l’ambassadeur du Congo
en France. Henri Lopes est détenteur de deux titres de docteur honoris causa et celui de
l’Université Paris XII (depuis 1993) et de l’Université Laval du Québec (depuis 2002).
En novembre 2014 il s’est porté candidant au poste du secrétaire général de OIF
(Organisation Internationale de la Francophonie). Il a essayé d’y accéder déjà en 2002
mais il était forcé de retirer sa candidature à la fin. En 2014, comme plusieurs fois
avant, il n’a pas été élu, cette fois-ci à cause du soutien qui lui a été accordé de la part
du dictateur congolais contemporain Denis Sassou Ngouesso.
Comme nous avons pu le voir, Henri Lopes est un homme de nombreuses faces
et il en est consicent :
Je vis ma francophonie comme je vis ma taille, la forme de mes cheveux ; comme
je vis mon métissage : des attributs qui me rendent ni plus beau, ni plus laid, ni plus
puissant, ni plus faible, ni plus intelligent, ni plus bête que les autres. Mon patrimoine
biologique et anthropomorphique constitue l'une de mes identités ; je l'assume. La
francophonie en constitue une autre : un élément de mon patrimoine culturel. "Un trésor
est caché dedans". Ma francophonie est frappée du sceau de mon identité personnelle :
celle d'un enfant des deux rives du fleuve Congo, qui a vécu le plus clair de sa vie hors de
sa terre natale. Une manière d'Ulysse dont le souvenir d'Ithaque est chevillé à la mémoire
et au cœur ; est planté dans la chair.3
3 Lopes, Henri in « Francophonie: Henri Lopès l'éternel candidat à l'OIF mal parti pour succéder à Abdou Diouf, la
faute à Denis Sassou Nguesso ! » Blogs Mediapart, 4 mai 2014, pages non numérotées.
10
2. La société africaine traditionnelle et les femmes
Le présent chapitre portera sur les caractéristiques majeures des sociétés
africaines traditionnelles, surtout en ce qui concerne la délimitation du rôle qui y est
assigné aux femmes. Ce petit résumé nous servira de cadre pour notre étude et permettra
non seulement de comprendre pourquoi Henri Lopes revient à ce thème dans ses romans
mais aussi sa manière de le développer.
Tout au début, il faut que nous constations que le noyau de ces sociétés est
constitué par la tribu, tout comme dans les temps préhistoriques, et non pas par la
famille nucléaire comme c’est le cas en Europe. Le Petit Robert définit la tribu de la
façon suivante : 1. « Groupe social et politique fondé sur une parenté ethnique réelle ou
supposée, chez les peuples à organisation primitive » et 2. « Groupe dont les membres
sont unis par un style de vie, une mode vestimentaire, un langage ».4 Nous pouvons
donc voir que les notions de famille et de tribu sont assez proches mais avec quelques
différences. Dans la tribu, nous pouvons observer un style de vie qui est commun à tous
ses membres et, qui plus est, il est souvent codifié, comme nous pouvons le voir selon
l’utilisation du terme « politique ». À part cela, il en résulte que la tribu a un chef, élu
d’après une coutume, et qu’il est bien possible qu’elle contient d’autres méchanismes de
pouvoir. La notion de langue commune joue un rôle important aussi, comme
Phillipe Moukoko l’observe par rapport à la guerre tribale de 1959 : « Les bandes
armées (couteaux, bois, etc.) reconnaissaient leurs ennemis ou leurs alliés par l’usage
de la langue (lingala pour les Mbochi/kokongo, munukutuba pour les Kongo) [...] »5.
Ainsi, il est évident qu’à certaines époques l’utilisation de la langue tribale pouvait être
une question de vie ou de mort au Congo et qu’elle pouvait bien servir d’outil pour
reconnaître le membre d’une tribu précise.
La population du Congo était composée de plusieurs ethnies. Un des groupes
ethniques majoritaires était les Kongo qui se divisait successivement en neuf sous-
ethnies et qui constituait à peu près 40 % de la population.6 On peut dire que même si
4 Le Petit Robert de la langue française 2011; Dictionnaires Le Robert, Paris, entrée: tribu. 5 Moukoko, Phillip. Dictionnaire général du Congo-Brazzaville. Paris, L’Harmattan, 1999. p. 141, entrée:
guerre tribale de 1959. 6 Ibidem, p. 173, entrée: Kongo (ethnie).
11
les ethnies au sein du Congo était nombreuses, leur mode de vie variait seulement en
quelques détails (par exemple le culte et ses manifestations précises) et les principes de
survie étaient quasiment les mêmes sauf que dans quelques cas nous pouvons trouver
des activités supplémentaires pratiquées seulement par un nombre limité de groupes
ethniques variés (tel que l’exploitation des métaux). Au royaume de Kongo,
l’organisation était basée sur un système matrilinéaire où les enfants appartenaient au
clan7 de la mère. Cependant, ceci ne veut pas dire que les membres masculins du clan
seraient sans importance. C’était l’oncle maternel qui avait plus d’autorité devant les
enfants de sa sœur que leur propre père, celui-ci, par contre, jouissait de l’autorité
auprès des enfants de sa sœur à lui. Plus la famille était grande, plus de pouvoir tombait
dans les mains de l’oncle maternel (chef de clan, « ngwa kazi »), il devait être respecté
et obéi tout comme les ancêtres, les aînés et les parents. Le départ des membres du clan
(en cas de mariage, de mort, etc.) était compensé par l’achat des esclaves qui assuraient
que le pouvoir du clan ne se dégradait pas. Les Kongo pratiquaient le culte qui vénérait
les ancêtres et les sorciers ou shamans distincts jouaient un rôle important dans la vie du
clan : il y avait certains qui soignaient les malades et d’autres qui communiquaient avec
les ancêtres pour prédire l’avenir ou trouver des réponses aux problèmes qui se
présentaient dans la vie quotidienne. En ce qui concerne la survie, les Kongo
s’adonnaient à l’agriculture pour obtenir ce qu’il leur fallait. Les tâches sur les champs
étaient exercées par les femmes tandis que les hommes performaient les activités
d’artisanat, de tissage ou partaient à la pêche.8
Autre partie de la population congolaise était constituée de 23 % par la deuxième
ethnie majoritaire : les Téké. Chez eux aussi, l’unité fondamentale de l’organisation,
c’était bien le clan avec les chefs de famille comme les personnalités d’autorité
supérieure. Leur devoir était d’éduquer les jeunes et de protéger la communauté. En
revanche, ils exercaient le rôle de juge avec le droit de répugner les coupables. Comme
la force de leur pouvoir dépendait, de même que dans le cas des Kongo, de la taille de
leur famille, ils avaient droit de fonder les mariages polygames. Leurs culte et mode de
7 Selon le Petit Robert, clan est une « division ethnique de la tribu ». Le Petit Robert de la langue
française 2011, op. cit., entrée : clan. 8 Moukoko, Phillip. op.cit., p. 176-177, entrée: Kongo (royaume de).
12
survie étaient similaires à ceux des Kongo sauf que les Téké savaient exploiter le cuivre
ce qui faisaient d’eux des guerriers redoutés, mais ils en profitaient aussi pour se
décorer.9 D’ailleurs, nous pouvons trouver parmi les peuples du Congo les Mbochi qui
représentent environ 13 % de la population et dont l’activité traditionelle était la pêche
et la chasse.10
Contrairement à d’autres ethnies, l’agriculture ne représentait qu’un
moyen mineur de survie. Les Oubanguiens forment autres 2 % de la population
congolaise contemporaine et il s’agit d’un peuple qui s’est engagé dans le commerce de
la transaction des peuples de la côte à l’intérieur et vice versa.11
Il est pertinent de
souligner que les différences entre les ethnies particulières se manifestaient aussi au
niveau des relations avec les colonisateurs : certains clans refusaient d’entrer dans une
relation commerciale avec les Européens tandis que d’autres n’hésitaient pas à en
profiter Il y avait des clans qui se sont engagés dans le marché avec les esclaves ou bien
d’autres qui vendaient le surplus de leur production agricole en ville. Cet état résultait
en conclusions hâtives des Européens sur l’adaptabilité des peuples divers et des
jugements sur leur intelligence.
À part l’engagement des tribus particulières dans des activités spécialisées, leurs
vies ressemblaient beaucoup à la division des tâches journalières selon les rôles sociaux
et le sexe. Nous avons déjà noté plus haut que les travaux agricoles étaient réservés aux
femmes qui s’occupaient du cycle entier de la production des plantes cultivées, y
compris la récolte. Au début de l’ère coloniale, ceci avait pour résultat le fait que les
femmes s’ocuupaient du commerce avec les Européens et en devenant fournisseurs
majeurs vu que ce sont elles qui étaient les productrices principales du pain de manioc
ou de la bière.12
C’est peut-être pour la capacité des femmes d’assurer l’existance de la
tribu de cette manière, qu’il s’est développé autour d’elles tout un univers mythique et
iconique de force vitale et tranformatrice qu’elles sont supposées incarner.13
C’est
d’ailleurs une image que l’on trouve souvent dans la littérature africaine et même dans
9 Moukoko, Phillip. op.cit. p. 338, 341, entrées: Téké (les), Téké (royaume) 10 Ibidem, p. 227, entrée: Mbochi (les) 11Ibidem, p. 277, entrée: Oubanguiens (les) 12 Martin, Phyllis M. Loisirs et société à Brazzaville pendant l’ère coloniale. Paris, Karthala, 2005. p. 35. 13 Bádéjo, Diedre L. “African Feminism : Mythical and Social Power of Women of African Descent.”
Research in African Literatures, 29.2 (L’été 1998), p. 100.
13
le cas de Lopes nous pouvons l’observer quand il parle de sa grand-mère : « une grande
dame » (GBAG, p. 31). «La tendance à mythifier la femme est assez générale chez les
écrivains hommes d’Afrique. Ils veulent rendre hommage en elle à la puissance
créatrice et à l’esprit de sacrifice des Mères, imprégnées de sacralité archaïque. »14
C’est peut-être parce que la division des rôles selon le sexe se faisait si tôt dans
la tribu que ces attributs font une partie inséparable de l’imagerie liée aux femmes. Les
enfants étaient exposés aux règles de ces structures dès leur naissance et de cette façon
il leur était inculqué un respect profond pour l’organisation de la communauté et pour
ses besoins. Ceux qui ont été inscrits aux écoles missionaires abandonnaient leurs
études assez tôt pour pouvoir travailler.15
À l’époque coloniale les garçons partaient en
ville pour trouver un emploi de boy. La situation des filles était encore un peu plus
difficile. Comme le note Autain, l’instruction des filles était longtemps interdite pour
qu’elles se consacrerent entièrement aux besoins de la tribu.16
Et c’est d’ailleurs ce que
observe Christine Venter aussi :
Dans les sociétés traditionnelles, la communauté est perçue comme ayant des droits
et les rôles attribués aux femmes sont supposés d’assurer qu’elles se soumettront aux
besoins de cette communauté plutôt qu’aux besoins d’elles-mêmes. Les femmes sont
souvent socialisées pour accepter les rôles qui sont définis par la communauté et les
essais de les confronter mènent souvent à l’expulsion de la société.17
Cela veut dire que dès leur premier âge, les filles suivaient leurs mères pour les aider
aux champs. C’était non seulement un moyen de leur apprendre les tâches agricoles
mais aussi de les habituer à ce qui deviendrait un jour leur rôle dans la société. Cette
réalité était confirmée par les instituteurs dans les écoles missionaires qui observaient
14 Brahimi, Denise et Catherine Coquery-Vidrovitch. op. cit., p. 10-11. 15 Martin, Phyllis M. op. cit., p. 36. 16 Autain dans Iloh, Ngozi Obiajulum. « La Femme Intellectuelle Chez Henri Lopes. » Neohelicon 40
(2014). p. 216. 17 Venter, Christine M. « Community Culture and Tradition : Maintaining Male Dominance in
Conservative Institutions. » Journal of Law and Religion, 12,1 (1995-1996), p. 61. Nous traduisons de
l’anglais : « […] in traditional societies where the community is viewed as the bearer of rights, and the
roles assigned women are designed to ensure that they conform to the needs of the community, rather
than the needs of individual women. Women are often socialized into accepting the roles mapped out for
them by the community, and attempts to challenge them often lead only to ostracization by the
community. »
14
souvent l’absentisme chez les filles dans la période des pluies comme elles partaient à la
campagne pour aider pendant la récolte.18
Henri Lopes fait allusions au mode de vie des sociétés traditionnelles dans ses
simples discours GBAG quand il se rapelle sa grand-mère :
Femme audacieuse [la grand-mère], elle en épousa un [homme blanc]. Malgré la
bénédiction de son père (les pères absolvent vite les écarts de leurs filles), quelques esprits
ombrageux ne manquèrent jamais lui faire sentir que ce n’était pas là comportement de la
fille de lignée. Quant au Commandant, il n’eut jamais le courage de la ramener à Mpoto,
son pays. Elle n’était aux yeux des autres Blancs qu’une concubine, une « ménagère ».
(GBAG, p. 31).
Nous avons ici affaire à plusieurs phénomènes typiques pour l’ère coloniale. Non
seulement la grand-mère de Lopes a dû faire face à son père et aux règles de sa tribu qui
lui imposait l’obéissance, mais aussi elle n’était pas acceptée par la société blanche.
C’était un sort commun des femmes qui se sont retrouvées dans une union avec des
blancs alors qu’elles n’étaient pas mariées avec eux selon la coutume occidentale,
c’est-à-dire officiellement. Leur statut en était considérablement mis en question même
si ces relations étaient souvent très stables.19
L’accent qui était mis sur le dévouement des femmes pour leur communauté est
aussi visible sur le fait que les femmes qui ont eu trop de temps libre étaient considérées
soit comme des « mères irresponsables », soit comme des « prostituées ».20
Il est
remarquable que ces idées reçues trouvaient leur place même dans la société ubaine
dont la population a progressivement dépassé en nombre celle des sociétés rurales. Au
début du XXe
siècle, les jeunes gens ont commencé à se rendre en ville, d’une part
c’était pour se trouver un emploi, d’autre part parce qu’ « [ils] étaient dominés par
l’idée que la ville était un lieu d’indépendance par rapport aux structures autoritaires
de la vie familiale rurale. »21
Vu ce que nous avons noté plus haut, il est sûr que la
migration vers la ville concernait plutôt la population masculine que féminine du
Congo. Cependant, le rattachement des jeunes gens à la communauté originelle ne
18 Martin, Phyllis M. op. cit., p. 67. 19 Martin, Phyllis M. op. cit., p. 40. 20 Ibidem, p. 104. 21 Ibidem, p. 75.
15
disparaissait pas étant donné qu’ils revenaient souvent pour se trouver une femme au
sein de leur tribu.22
Gondola observe d’ailleur sur ce fait que « les femmes non-mariées
restaient tenues en ‘otages’ dans les campagnes pour assurer le retour des hommes de
la ville ».23
Au fur et à mésure, ce comportement menait à une migration des femmes
vers le mileu urbain aussi mais, comme le souligne Martin, leur nombre était beaucoup
plus bas que celui des hommes et ne commençait pas à être égal qu’à la période des
Indépendances.24
La disparité entre le nombre des femmes et des hommes en ville
menait à de nombreuses ruptures entre les hommes qui étaient fustrés par la situation où
ils étaient souvent obligés de recourir au service des prostituées.
En ce qui concerne le mariage dans les sociétés traditionnelles, nous avons déjà
remarqué ci-dessus que pour assurer le pouvoir, il n’était pas rare que les chefs des
tribus épousaient plusieurs femmes. En principe, les mariages étaient convenus entre les
familles, ou la fammille et l’époux potentiel, et le paiement de la dot faisait partie de la
conclusion de cet accord. Venter observe à propos de cette tradition :
La femme est sujet de la tutelle de son père ou un autre relatif masculin, si le père
est décédé ou incapable de figurer en tant que protecteur. Une fois que la femme est
mariée, la tutelle passe à son mari et sa famille. Un tel transfert de l’autorité est
représenté par le paiement d’un prix pour la mariée à son père. Ce paiement signifie
aussi le fait que tous les enfants nés de ce mariage seront sous la tutelle du mari et sa
famille. […] Si la femme n’est pas féconde, une de ses sœurs ou une autre relative femelle
peut être offerte à son mari en tant que deuxième épouse.25
Un tel arrangement de mariage permettait surtout le contrôle des relations indésirables
pour la tribu, par exemple avec les représentant des tribus ennemies ou des personnes
qui n’apportaient aucun avantage pour la survie du clan. C’est aussi pour cela que dans
la recherche de Barbara Harrell-Bond auprès des Sierra-léonais, de nombreuses
22 Martin, Phyllis M. op. cit., p. 35. 23 Gondola, Didier Ch. “Unies pour le meilleur et pour le pire. Femmes africaines et villes coloniales : une
histoire du métissage” Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 6 (1997), p. 1. 24 Martin, Phyllis M. op. cit., p. 75-76. 25 Venter, Christine M., op. cit., p. 63. Nous traduisons de l’anglais : “A woman is subject to the
guardianship of her father, or a male relative if her father is deceased or otherwise unable to act as
guardian. Once a woman is married, guardianship over her passes to her husband and his family. This
transfer of authority is signified by the husband's paying of a bride price to the woman's father. Such
payment also signifies the fact that the husband and his family will have custody over any children born
of the marriage. […]If a woman proves to be barren, one of her sisters, or another female relative, may be
offered to her husband as a second wife.”
16
personnes trouvaient le stéréotype du mariage à l’européenne beaucoup plus attirant que
l’africain et il était même idéalisé dans une grande mesure.26
Aussi, nous voyons que la
capacité de la femme d’accoucher de la progéniture était vraiment primordiale dans les
sociétés traditionnelles africaines et dans le cas de stérilité, la fémininité de l’épouse en
question était réduite au minimum. Même si Ogbu observe que le paiement de la dot
était une forme de garantie, nous pouvons supposer que cela l’était pour l’époux et non
pas pour la femme qui était en train de conclure un tel mariage. Il résume les fonctions
de la dot suivantes :
1. Assurance des droits de l’époux sur sa femme 2. Assurance des services
domestiques et sexuels de la part de sa femme 3. Assurance des droits de l’homme sur
les enfants nés de la relation avec la femme 4. Assurance de la permanence des
services et droits mentionnés ci-dessus et 5. La compensation pour la tribu de la
femme pour la perte d’un de ses membres et sa force auxiliaire.27
Avec la migration de la population en ville, ces coutumes perdaient de leur
importance mais cela ne veut pas dire qu’elles ont complétement disparu. Même en
ville, il existait des couples mariés qui ont été formés de cette manière artificielle ou
bien d’autres, surtout après les Indépendances, qui ont conclu leur mariage après être
tombé amoureux l’un de l’autre sauf qu’avec le temps, l’homme a choisi de se remarier
« il y a évidemment [...] un changement de registre, senti comme une trahison. »28
Il est
bien visible ici que ce qui a pu marcher sous le système traditionnel a cessé de
fonctionner lors de la réunion de deux systèmes incompatibles. Disons que le milieu
urbain manquait d’ancrage de la tribu. Ainsi, la tradition et les coutumes prouvent être
d’une grande importance comme elles représentaient un principe des poids et des
contrepoids qui, à part d’imposer des obligations aux femmes, permettait aussi de leur
assurer une vie décente.
26 Harrell-Bond, Barbara E. “Stereotypes of Western and African Patterns of Marriage and Family Life.”
Journal of Marriage and Family, 38,2 (Mai 1976), p. 389. 27 Ogbu, John U. “African Bridewealth and Women’s Status.” American Ethnologist, 5,2 (Mai 1978), p.
242. Nous traduisons de l’anglais: “(1) to secure legal rights for the husband over his wife (2) to secure
for the man rights over the domestic and sexual services of his wife (3) to secure for the man rights over
the offspring of his wife (4) to ensure the permanence of the arrangement under which the man will enjoy
the above services and (5) to compensate the woman's male kin for the loss of her labor. 28 Brahimi, Denise et Catherine Coquery-Vidrovitch. op. cit., p. 16.
17
Le rôle de la femme dans la société africaine traditionnelle est donc une affaire à
double face. D’une part, elles sont très importantes parce qu’elles participent à la
cultivation des champs et elles assurent la continuation de la lignée. D’autre part, leur
importance n’est pas reflétée dans leur status dans cette société. Elles sont souvent
obligées de se soumettres aux besoins soit de leur famille, soit de la tribu et elles n’ont
pas d’espace pour essayer de satisfaire leurs besoins à elles. Cependant, cette situation a
commencé à changer avec les Indépendances et son évolution est bien représentée dans
l’œuvre d’Henri Lopes, avec tous les pour et les contre que cela puisse supposer. Dans
les chapitres qui suivront, nous essaierons de saisir en quoi consiste le passage de la
tradition à la modernité en tentant d’éviter les simples dichotomies qui se proposent
dans une telle situation.
18
3. La Nouvelle romance : Wali, Awa et Elise
3.1 Résumé
La Nouvelle romance, qui a paru en 1976, est le premier roman d’Henri Lopes.
L’histoire commence par la description d’un jeune homme qui se promène dans sa
voiture ‒ symbole de succès. On apprend qu’il s’agit d’un joueur de football, Bienvenu
Delarumba, assez connu au Congo pour ses capacités sportives, lui permettant de de
gagner les matchs décisifs pour son équipe. Néanmoins, il s’agit d’un homme marié
dont les qualités manifestées sur le terrain de football ne sont pas reflétées au foyer. Sa
femme Wali souffre de son attitude comme elle est souvent abandonnée par son mari
qui sort pour s’amuser et pour la tromper. Quand Bienvenu passe une nuit avec une
jeune fille et n’arrive pas à se lever pour aller travailler, il est licencié encore pour une
fois et se retrouve sans moyens pour nourrir sa famille, étant donné que son poste de
joueur n’est pas payant comme il le serait en Europe. Après avoir rencontré un de ses
anciens amis qui travaillait comme diplomate, Bienvenu se décide à demander un
emploi dans les services de l’État, vu qu’ils sont beaucoup mieux payés que les postes
qu’il occupait jusqu’ici. Sa femme y voit une chance pour changer sa position non
seulement dans le mariage qu’elle a vu se détériorer dès le jour des noces mais aussi
dans la société. Elle parle de son espoir avec ses deux amies : Awa et Elise qui, chacune
d’entre elles, essaient de changer leur position de femme aussi mais leurs moyens de le
faire diffèrent tout comme diffèrent leurs personnalités. Bienvenu réussit à obtenir un
poste à l’ambassade du Congo en Belgique et il s’y déplace tout seul avant que sa
femme ne le rejoigne. Son mode de vie ne change pourtant pas avec le nouveau climat.
Il cherche toujours la compagnie des femmes sauf la sienne, il dépense de l’argent qui
ne lui appartient pas et il se comporte d’une manière irresponsable. À l’arrivée de sa
femme, il n’a même pas un appartement mais profite de tout ce que le pays européen
peut lui offrir sans tenir compte de son épouse qui, en entre temps, s’occupe de tout.
Comme elle se retrouve toute seule la plupart du temps en Belgique, elle fait
connaissance de la famille des Impanis qui la surprend par leur charité aussi bien que
par l’organisation de leur vie familiale qui ne ressemble en rien à celle qu’elle mène
avec Bienvenu et dont elle était souvent témoin au Congo. À part cela, les Impanis
19
initient Wali aux colloques de l’Union des Femmes Belges et c’est aussi grâce à eux
qu’elle s’inscrit à l’Université Populaire pour approfondir son savoir qu’elle désire
transmettre aux femmes congolaises. Ce faire lui semble encore plus important quand
elle découvre que son amie Awa est devenue la première bachelière au Congo et que ce
fait lui ouvre de nombreuses possibilités qu’elle n’avait pas auparavant. De plus, le
séjour en Belgique est important pour Wali aussi parce que le petit fils des Impanis,
Jean-Jean, cause que Wali se rend compte que le rôle de mère lui manque véritablement
dans sa vie et qu’elle commence à chercher un moyen de soigner sa stérilité. Quand
Wali apprend qu’elle va être obligée de retourner au Congo parce que son mari s’est
servi de l’argent public pour payer ses aventures, elle est désespérée. Elle reste en
Belgique plus longtemps que son mari pour y gérér les affaires et se prépare au départ.
Le jour où Wali doit rentrer, Elise vient la chercher à l’aeroport mais Wali n’arrive pas.
Quelques jours après, Elise obtient une lettre dans laquelle Wali explique les raisons de
sa décision de ne pas rentrer au Congo mais de rester à Paris. La fin du roman reste
donc ouverte et le lecteur peut s’imaginer les possibles conséquences de la décision de
Wali que l’on espère favorables à l’amélioration de sa situation.
3.2 Analyse
Dès le début du roman, l’auteur nous fait comprendre l’importance de la tribu
dans l’organisation de la vie au Congo. Même une célébrité comme Bienvenu n’y
échappe pas et l’on pourrait dire, qu’en vérité, il est soumis aux coutumes de son pays
encore plus que les personnes non-exposées. Quand il rentre après un match victorieux,
il retrouve chez lui un groupe de gens « Des cousins à lui. Disons, des gens de la même
tribu. » (NR, p.12) qui attendent qu’il aille les aider et s’occuper d’eux. Une telle
attitude est le résultat des coutumes de la société congolaise : celui qui réussit sa vie
partage les fruits de son succès avec les autres membres de sa famille qui, comprise
dans son intégralité, peut compter jusqu’à des centaines des personnes. « Tout ce qu’il
avait gagné au travail et pour ses victoires était dépensé plus par ces parasites que par
lui-même ». (NR, p.12) Et c’est d’ailleurs ce qu’observe l’étudiant Raymond Nyounzu
qui, ayant émigré en Belgique, se fait passer pour mort pour échapper à des exigences
de sa tribu (NR, p. 73). Wali et Bienvenu se retrouvent ainsi au milieu des structures
20
tribales qui les limitent dans une grande mesure vu qu’elles se manifestent aussi au plus
haut niveau et influencent toute la société. « On a beau dire que nous combattons le
tribalisme, c’est une réalité. [...] » (NR, p. 57) et c’est d’ailleurs pour les mêmes raisons
que Wali est dans le mariage avec Bienvenu en non pas Kwala, son premier amour,
comme la famille de Wali a empêché les fiançailles avec ce dernier suite à son origine
montagnarde (NR, p. 98). Pour ce faire, il suffisait de lui demander une dot au-delà de
ses possibilités : un obstacle insurmontable dans les conditions de la société congolaise.
Les attentes imposées par la tradition se manifestent partout. Si Bienvenu doit
faire attention à ce que son comportement corresponde à celui d’un joueur de football
reconnu, Wali en est réduite à une simple femme de ménage qui doit assurer que tout se
passe selon les vœux de son mari. « Je veux une femme à moi, qui m’appartienne
entièrement et qui reste à la maison pour s’en occuper, me préparer à manger et
accueillir mes amis, comme je le désire, à toute heure de la journée » (NR, p. 16). La
situation de Wali en est d’autant plus difficile que dans sa famille, elle n’a pas eu
l’habitude de s’adonner à des activités semblables, comme elle étudiait. Les tâches
ménagères deviennent donc une sorte de corvée qu’elle est obligée d’accomplir chaque
jour mais pour lesquelles elle n’est pas spécialement douée. « C’est un perpetuel
recommencement. De ce côté, ma foi oui, elle n’est pas femme » (NR, p. 16). Ce fait ne
peut pas être accepté par son mari qui la « traite de bonne à rien » (NR, p. 47) au
moment où elle échoue à effectuer les tâches qu’il juge essentielles à un moment donné.
Le mariage est donc partagé entre les valeurs traditionnelles où les besoins du mari
doivent être satisfaites à tout prix, représentées par Bienvenu, et le désir de libérté et
d’égalité éprouvé par Wali.
Vu que la société congolaise est à la base patriarcale, il est compréhensible que
le monde masculin est décrit par Lopes comme un bastion de valeurs et coutumes
dépassées où la femme a la place d’un objet d’usage quotidien. C’est déjà dans le
deuxième chapitre que l’auteur évoque une expérience pénible de la vie des femmes en
famille. Cette description est d’autant plus touchante qu’elle est présentée du point de
vue de Wali-enfant, qui la prend pour une partie intégrante de la culture à laquelle elle
est exposée. « Les femmes à la plantation, aux enfants et à la cuisine. Mais puisqu’on
21
ne se battait plus entre tribus voisines, mais puisque les blancs avaient tué tout le
gibier... que pouvaient donc bien faire les hommes ? » (NR, p. 15) Dans ce sens, la mère
de Wali est perçue par la protagoniste comme une héroïne qui était là pour ses enfants
en toute circonstance, même si elle pouvait paraître stricte et distante aussi bien que
résignée: « C’est aujourd’hui que Wali sait que les silences de sa mère n’était pas
dureté, mais philosophie. » (NR, p. 15). Sous cette lumière, les aventures des hommes
sont décrites tout au long de l’histoire comme quelque chose de commun. De plus, elles
sont comprises comme telles par tous les personnages masculins qui apparaissent dans
le roman, de même que par quelques personnages féminins qui sont des simples
constates sur ce fait sans être étonnés : « ça, il en a toujours été ainsi » (NR, p. 66).
Néanmoins, il est vrai que les commentaires des héroïnes sont par moments assez amers
en ce qui concerne l’existence de cette réalité injuste. Dans le cas de Bienvenu, l’auteur
décrit en direct quatre situations où ce personnage trompe sa femme, dont une fois avec
une fille qui fréquente encore le collège (NR, p. 33) et une fois avec une prostitutée
seulement par la curiosité de faire amour avec une blanche (NR, p. 88). À part cela, il
évoque les « sœurs » de Wali avec lesquelles Bienvenu a conçu des enfants dont sa
femme est censée s’occuper. Cette pratique est seulement une mise en œuvre d’une
réalité que nous avons décrite dans l’introduction : la femme se trouve dans une
situation qu’elle ne peut pas combattre comme elle est justifiée par la coutume et par la
présomption qu’une bonne femme est obligée de procurer son mari de la progéniture :
Elle n’est plus qu’une employée de maison, chargée de l’approvisionnement,
de soin et de la garde d’une progéniture plus nombreuse qu’elle n’aurait souhaité et
qu’elle n’a pas enfanté. C’est là le drame. Malgré l’argent, les sacrifices aux mânes
ancestraux et les soins, médecins et les féticheurs sont formels : elle n’aura pas
d’enfant. (NR, p. 14)
Les expressions de mécontentement que Wali essaie de faire vis-à-vis les pratiques de
son mari sont réduites au silence soit sous la menace de se faire restituer la dot soit par
le fait d’être battue (NR, p. 138).
La société congolaise comme décrite au début du roman donc impose aux
femmes de se contenter avec ce qu’elles ont et de s’adapter à la situation sans essayer de
se plaindre. Si le lecteur croit, qu’en vérité, le moyen de changer la situation n’existe
22
pas, l’auteur essaie de proposer des possibilités qui se présentent aux femmes dans la
situation de Wali. C’est à travers ses copines que l’on voit que les femmes ont un choix
diversifié mais à la fois assez rétréci. D’un côté, il y a Elise : une femme qui a decidé de
se comporter comme les hommes congolais et entretient plusieurs relations à la fois.
Elle est persuadée qu’en faisant ainsi, elle profite au maximum de la situation comme
elle peut faire ce qu’elle veut et elle ne manque de rien :
Je n’échangerai pas ma place pour la tienne [celle de Wali]. Mais regardez-
moi ! Pas de mari, une case comme aucune de vous n’en a, la T.V., des amants qui se
mettent à genoux devant moi, m’habillent mieux que n’importe quel mari ne peut le faire,
le plaisir de sortir plusieurs soirs par semaine ... je suis l’éternelle fiancée. (NR, p.64)
Avec ce point de vue, Elise est en rapport avec la colégienne qui couche avec Zikisso,
ami de Bienvenu, même si elle aime son fiancé qui se trouve en France au moment
donné « Tu veux que je meure pendant ce temps alors ? […] d’ailleurs, lui si tu crois
qu’il se prive là-bas... » (NR, p. 35). La seule différence est le fait qu’Elise n’éprouve
les sentiments d’amour pour personne si nous ne prenons pas en compte ses amies. L’on
pourrait dire que Wali essaie de s’inspirer auprès de ses copines pour trouver l’issue de
sa situation qui ne lui convient pas. D’une certaine manière, elle admire Elise pour avoir
choisi la vie d’une femme indépendante qui ne se laisse pas dominer par les hommes:
« [...] si j’étais à ta place [celle d’Elise] je mépriserais toutes les femmes mariées [...]
nous avons encore une nature d’esclave » (NR, p.64). Cependant, elle refuse
symboliquement la voie qui lui est proposée par Elise quand elle ne se laisse pas séduire
par Kwala, son premier amour, même si quelques jours après elle ne comprend pas
pourquoi (NR, p. 100). La réponse à cette question est toutefois prononcée par elle-
même quand elle dit que « Pour moi, l’amour ne va pas sans l’exclusivité » (NR, p. 66).
C’est justement le fait que Kwala manque de cette exclusivité pour elle comme il y a sa
femme enceinte qui l’attend à l’hôtel au moment où il se trouve avec Wali.
L’autre résolution éventuelle de la situation est représentée par Awa. Cette amie
de Wali choisit de poursuivre ses études pour se libérer : « Elle s’était donnée pour
tâche de développer en elle ces aptitudes dont les hommes tirent leur prétendue
supériorité. Et à son avis, c’était d’abord la vie intellectuelle » (NR, p. 59). Ce but est si
important pour elle qu’elle renonce à sa vie amoureuse et se consacre entièrement à
23
l’enrichissement de son savoir. Comme c’est souvent le cas, le nom de ce protagoniste
est emblématique pour son rôle dans le roman. Awa, nom d’origine hébreu, signifie
« vie » ou le fait de « donner la vie »29
. Vis-à-vis de Wali, il s’agit d’un personnage
crucial comme elle l’incite à la lecture et lui montre que son rêve de devenir enseignante
n’est pas perdu. Selon Awa, elle pourrait même permettre aux autres femmes de se
développer si elle persiste dans son effort de passer son brevet, but dont elle a été
détournée par le mariage. C’est d’ailleurs encore plus encourageant quand elle réussit à
l’avoir elle-même (NR, p. 135). Nous voyons que cette voie est très attrayante pour Wali
et qu’elle l’accepte presque entièrement. Sa différence par rapport à sa copine consiste
dans le fait qu’elle réalise l’importance de sa vie de femme.
Il est intéressant de voir que les deux amies de Wali pourraient être caractérisées
comme des femmes fortes selon la définition de Brahimi et Coquery-Vidrovitch, vu
qu’elles essaient d’être autonomes et d’évoluer à leur gré sans regarder les conventions
qui leur sont indirectement imposées par la société. Cependant, les choix de Wali nous
montrent que l’auteur considère que la vie féminine de ses copines n’est pas entièrement
accomplie. Tout de même, on ne peut pas dire non plus que le chemin de Wali vers sa
liberté soit tout à fait achevé. Si nous observons la composition sémantique de son nom,
nous découvrons que Wali est en même temps le nom d’un ruisseau qui se trouve au
Congo. Cette signification métaphorique suggère un personnage qui commence sa route
et qui va petit à petit arriver à prendre un peu plus de force et évoluer vers sa plénitude.
Wali est une femme qui est en lutte et qui, tel un ruisseau, doit parcourir un chemin qui
lui permettra de devenir plus forte. Elle est obligée de quitter Congo parce que
l’omniprésence de la tradition l’étouffe et ne lui permet pas de se manifester
complètement. Aussi, il faut dire que Wali en est consciente d’où les grandes attentes de
son déplacement : « Wali sait déjà qu’elle ne reviendra pas la même » (NR, p. 63) ce
que l’auteur décrit convenablement comme un « mythe de départ » (NR, p. 63). Dans le
cas de Wali, le changement du milieu est une véritable délivrance. Le lecteur se rend
compte de l’importance de ce déplacement lors du passage qui décrit le vol vers
l’Europe : la description de l’espace aérien laisse entendre une rupture entre ce qui
29 http://www.signification-prenom.com/prenom/prenom-AWA.html, site consulté le 13/02/2015.
24
précède et ce qui suit. De plus, les pensées de Wali à propos des accidents d’avion
peuvent être aussi bien comprises comme une mort imaginaire qui la fait passer d’une
vie à l’autre (NR, p. 102). Il s’agit non seulement du fait qu’en Belgique elle décide
enfin de se libérer de la domination de son mari mais aussi de sa résolution à trouver un
remède à sa stérilité qu’elle comprend comme une injustice. En verité, elle a besoin de
se faire soigner parce que c’était en raison de cette infirmité que sa féminité était mise
en question lorsqu’elle ne correspondait pas à l’image traditionnelle de femme et elle lui
causait maintes humiliations. Enfin, elle est obligée de quitter Bienvenu parce qu’elle
réalise qu’il ne lui permettrait jamais d’évoluer ni de changer son destin : « [...] elle a
remarqué que ceux qui veulent oublier une peine trop dure à supporter, changeaient de
paysage » (NR, p. 170). D’une certaine manière, Bienvenu est content que Wali soit
incomplète comme femme parce qu’ainsi affaiblie, elle n’ose pas l’affronter et cela lui
laisse la possibilité de la soumettre encore plus à ses attentes sans devoir rendre compte
de son comportement. Néanmoins, il ne se rend pas compte que sa femme a su profiter
du temps pendant lequel il la laissait toute seule et que même si elle n’a pas accompli
ses cours, elle a appris une leçon. Le lecteur voit, qu’après la scène où il bat sa femme à
un tel point qu’elle s’évanouie (NR, p. 138), il y a quelque chose qui se brise en elle et
elle comprend qu’il faut qu’elle devienne auteure de son destin.
Si Lopes n’offre pas au lecteur un aboutissement clair de l’histoire, c’est parce
qu’il s’agit de son premier roman et que la situation au Congo à cette époque-là ne
justifierait peut-être pas un dénouement ouvertement heureux. Néanmoins, la décision
de Wali de rester à Paris laisse entendre une vision d’un développement favorable à
l’émancipation des femmes qui devaient affronter des problèmes semblables à ceux de
la protagoniste du roman. Dans les chapitres qui suivent nous allons voir si cette
tendance persiste ou si l’auteur choisit un ton différent. Cependant, on peut déjà dire que
son attitude envers les femmes est positive et qu’il encourage leur lutte pour
l’indépendence. Comme Diène l’observe, Lopes a un « souci de grandir la femme »30
.
30 Diène, Babou. op. cit. p. 73.
25
4. Le Pleurer-rire : Elengui, Soukali et Ma Mireille
4.1 Résumé
Le Pleurer-rire, publié pour la première fois en 1982, raconte l’histoire de
Maître qui est dans les services du général Bwakambé Na Sakkadé (Tonton), le chef de
l’État au Pays. Au début du récit, Maître est l’employé d’un hôtel mais cet état des
choses ne dure pas trop longtemps, vu qu’il est appelé à l’audience chez le Président.
Celui-ci a besoin d’un maître d’hôtel et l’embauche immédiatement. Nous voyons que
Maître hésite d’entreprendre ce poste comme il en résulte beaucoup de responsablités :
surtout le fait qu’il serait engagé avec le régime qui a été instauré au Pays après le
renversement du gouvernement de Polépolé. Or, il voit, qu’en vérité, il n’a pas le choix.
Ainsi, Maître commence à participer aux événements qui accompagnent la direction du
Pays aussi bien qu’aux nombreuses décisions absurdes faites par Tonton. Il témoigne de
la cérémonie de couronnement de Tonton selon la coutume ancienne et d’autres gestes
théâtrales et manifestations de pouvoir de celui-ci. Dans de nombreux épisodes, il donne
preuve de l’absurdité du régime dans un État qui apprend encore à disposer de sa liberté
et de son autonomie et qui essaie de s’inspirer auprès de l’ancien colonisateur aussi bien
qu’auprès des autres anciennes colonies. Il est clair que le comportement hautain de
Tonton et des remaniements ministériels infinissables lui causent beaucoup d’ennemis
dont il essaie de se débarrasser d’une manière plus ou moins cachée selon les
circonstances. Des précautions prises pour la securité de Tonton n’empêchent pas une
tentative de coup d’État dans lequel beaucoup de dignitaires du Pays sont tués et où la
vie de Maître est mise en danger. Cet incident, cependant, ne met pas en garde Tonton
et il continue ses activités comme auparavant.
Avec son poste, le Maître se voit partagé entre trois femmes qui influencent son
sort. Une de ces femmes est Elengui, épouse légitime de Maître, que le lecteur découvre
dans le rôle la protectrice du foyer. La deuxième femme dans la vie de Maître est
Soukali, sa maîtresse et la femme de monsieur l’Inspecteur qui part souvent en voyages
d’affaires. C’est le caractère échevelé de Soukali qui est à l’origine du départ de Maître
du Pays comme il est soupçonné d’avoir essayé d’organiser un coup d’État en
coopération avec l’Ambassade bulgare où elle travaille. Elle est d’ailleurs poursuivie et
26
emprisonnée pour ses activités menées contre les dirigeants du Pays. C’est après cet
épisode qu’on obtient une description plus objective de la situation politique, comme si
le protagoniste était en dehors de tout le danger auquel il devait faire face avant son
départ. Paradoxalement, c’est la relation la plus dangereuse avec la femme de Tonton,
Ma Mireille, qui lui sauve la vie quand elle s’emploie non seulement à ajourner la
détention de Maître mais aussi à acquérir les documents qui lui permettent de partir en
France.
4.2 Analyse
La vision du monde féminin au Pays est fortement influencée par la voix du
narrateur qui est un homme et qui fait donc pénétrer son opinion sur la situation des
femmes dans le récit. Il est nécessaire de constater, qu’en tant qu’un homme dans une
société patriarcale, Maître n’est pas trop préocuppé par les difficultés que pourraient
rencontrer les femmes dans son entourage et il ne songe même pas à l’éventualité du
mécontentement féminin avec cet état des choses. Cependant, pas toutes les femmes
avec lesquelles il entretient une relation sont satisfaites de leur position. Nous allons
donc comparer les situations particulières d’Elengui, de Soukali et de Ma Mireille aussi
bien que leurs attitudes face aux situations qu’elles traversent dans leurs vies.
L’importance d’Elengui dans la vie de Maître est bien illustrée lorsqu’elle
apparaît à la première page du roman. Même si nous apprenons vite qu’elle est trompée
par son mari, il est clair qu’elle représente un élément fondamental pour Maître.
On dit qu’on n’aime qu’une seule fois. Mais moi, je dois être particulier.
J’aimais, j’aime toujours d’un égal amour Elengui et Soukali. Et s’il y a la différence
des sentiments pour celle-ci ou celle-là, ce n’est pas affaire de quantité. Dans la qualité
seulement. De la tenderesse profonde et intense pour Elengui, du feu, de la musique
pour Soukali. (P-R, p. 300)
La tendresse dont parle Maître vis-à-vis de sa femme témoigne de la stabilité de sa
relation avec elle malgré ses aventures. En dépit de ce fait, Elengui se trouve dans la
position d’une femme faible. Non seulement ses précautions n’empêchent pas
l’infidélité de son mari, mais en plus elle accepte son rôle de femme au foyer et le
lecteur n’a aucune raison de penser qu’elle serait capable de tromper son époux.
« Elengui aimait à dire que ‘les bananes non gardées appartiennent à tout le monde’.
27
Et elle me surveillait bien plus qu’un régime de bananes » (P-R, p. 22). Dans l’épisode
où elle approche Maître avec les ciseaux dans le but de s’emparer de quelques-unes de
ses poils pour le clairvoyant, Maître craint vraiment qu’elle n’ait appris l’existence de
ses relations extraconjugales (P-R, p. 274). Néanmoins, le lecteur voit, qu’en vérité,
Elengui ne suspecte rien et croit que son mari est victime d’un maléfice qui le rend
impuissant. Elle vit donc dans une illusion de la fidélité de son mari même si un tel
comportement est en opposition avec la façon habituelle de gérer la vie maritale au
Pays. Cela prouve qu’Elengui est un personnage dont la vie est étroitement liée avec
celle de la tribu et ainsi avec la tradition où la place de la femme est aux côtés de son
mari mais surtout au foyer dont elle s’occupe. Si elle n’est pas allée à la garden-party
offerte par Tonton et suivie par une tentative de coup d’État, c’est à cause de ses
mauvais pressentiments aussi bien qu’à cause des cauchemars que faisait Maître et qui
ont été confirmés par un clairvoyant comme de mauvais signes (P-R, p. 159). On voit
donc, que comme une femme, elle écoute beaucoup plus son intuition que Maître et elle
est donc étroitement liée à la terre et aux ancêtres. Elengui est un personnage soumis à
la vie traditionelle qu’elle accepte sans réserve, y compris les croyances et l’institution
du mariage. Celle-ci est décrite par le narrateur d’une façon pessimiste : « Le mariage
est une instution au profit de la famille, le clan, la tribu, pour ne pas avoir de problèmes
avec les siens, quoi. L’amour sucré, c’est l’histoire d’avant mariage, ou d’à côté » (P-
R, p. 23). Maître et Elengui ont vécu cette expérience à travers la nécessité de payer la
dot qui « [l’avait] obligé à prendre un crédit à la Banque de Développement. Un crédit
[qu’il a] dû rembourser pendant de nombreux mois » (P-R, p. 21). Cependant, l’on ne
peut pas dire que l’affection démontrée par les deux époux serait fausse. Elengui est
bien fière de la réussite de son mari même s’il paraît qu’elle ne se rend pas compte des
dangers qui découlent de son poste. «Elengui, elle, avait refusé de venir à la fête.
[...] ‘Si c’est pour être avec des autres, ça ne m’intéresse pas. Si je mets pour moi mon
pagne Mon mari est capable, c’est pour avoir le plaisir de me montrer avec toi, non’ »
(P-R, p. 161). On peut également observer qu’Elengui se fait de véritables soucis pour
son mari lors du coup d’État :
Je trouvai Elengui endormie dans un fauteil du salon. Inquiète, elle m’avait
attendue. [...] Nous mangeâmes vite et passâmes dans la chambre. Nous nous
28
couchâmes, côte à côte, la main dans la main. Cette nuit-là, je la sentis s’endormir en
serrant ma main de plus en plus fort (P-R, p. 204).
Maître, quant à lui, ressent envers Elengui une responsabilité que l’on ne trouve pas
dans ses relations avec les autres femmes. C’est à son épouse que Maître veut adresser
une lettre avant de quitter le pays pour l’assurer (P-R, p. 300). Même si la relation du
couple Maître-Elengui est décrite comme conforme aux conventions du Pays, il est
intéressant de noter que le narrateur ne mentionne l’existence d’aucun descendant
provenant de leur union. Avoir un enfant est néanmoins une des raisons principales du
mariage dans le milieu social en question mais l’auteur ne cite pas l’inexistence de la
progéniture de ce couple comme une raison qui forcerait Maître d’entretenir des
relations en dehors du mariage. Qui plus est, le narrateur ne ressent aucune nécessité de
justifier les aventures de Maître qu’on peut donc accorder au désir physique.
Comme nous avons pu le voir dans la citation ci-dessus (P-R, p. 300), la relation
de Maître avec Soukali ne ressemble en rien à celle qu’il entretient avec son épouse.
Cela est vrai aussi si l’on voudrait comparer le caractère des deux héroïnes. Femme de
l’Inspecteur, qui, quant à lui, reste un personnage qui est absent tout au long du récit,
Soukali se met dans la position d’une femme en lutte qui n’est pas prête à se contenter
de la vie délimitée par la tradition et on dirait même que la position d’une maîtresse
ordinaire ne lui suffit pas non plus. « Si une belle femme, disent les vieux, n’est pas
voleuse, elle est sorcière. Et telle était Soukali » (P-R, p. 24). Le lecteur comprend très
vite que si Maître se soumet à des caprices de cette femme, c’est parce qu’il est
incapable de résister à sa beauté et à la passion qu’il compare à la musique : « Soukali,
ballet de flammes secouées par le tam-tam en rut. Un courant de ventre nous inspirait
comme deux chanteurs [...]. L’amour lui redonnait la santé » (P-R, p. 25). La passion de
Maître pour Soukali qu’il ne maîtrise pas fait qu’il ne s’oppose pas à son idée de
travailler même s’il trouve que « [elle] s’était mise en tête les idées de Blanche.
Travailler ? Comme si les enfants, le ménage, le marché, la cuisine et la couture ne
suffisaient pas pour occuper une vie de femme » (P-R, p. 84). En vérité, ce n’est pas
seulement à cause de cette idée que Soukali se rapproche aux hommes du Pays par son
comportement: si elle trompe son mari et en trouvant cela absolument normal, c’est
parce que celui-ci n’arrive pas à la satisfaire (P-R, p. 84). Du côté physique elle éprouve
29
donc les mêmes besoins que Maître. Le problème est que, tout en ayant acquis le poste
convoité, Soukali reste une femme et, ce qui est pire, elle est une femme jalouse. Il en
résulte que non seulement elle ne sait pas se comporter dans sa nouvelle position, mais
aussi sa maladresse et les exigences de prouver l’amour de Maître pour elle causent est
obligé de quitter le Pays :
Une communication téléphonique, quelquefois trois (on en avait même
enrégistré cinq en une seule matinée), chaque jour avec l’ambassade de Bulgarie, c’était
trop [...]. Ma correspondante était une femme dont on ne parvenais pas à déterminer
l’identité et avec laquelle je m’entretenais en un langage codé (P-R, p. 286).
À part l’absurdité du régime, cet extrait démontre aussi l’obstination de Soukali pour les
témoignages de l’amour fiévreux tels que composition des chansons pour sa personne et
autres choses du même genre. « Y a-t-il deux femmes sur la terre comme Soukali ? » (P-
R, p. 299). Même si le lecteur pourrait croire que Soukali est un personnage plutôt
simple, elle demeure le caractère féminin le plus actif dans le roman ce qu’elle prouve
aussi vers la fin. Mécontente de la situation au Pays, elle rejoint le groupe Téléma
suspecté d’avoir organisé une tentative d’attentat de Tonton (P-R, p. 331). Cet essai de
Soukali d’obtenir une sorte de liberté absolue, cependant, cause qu’elle est rejetée par
son mari : « Le monsieur n’a pas répugné à formuler une déclaration de répudiation
publique, de la même eau que celle des Djassikini de l’époque de La Cinquième » (P-R,
p. 348). On pourrait donc dire qu’en fin de compte, elle se trouve dans une position qui
est pire que celle d’Elengui étant donné que son mari l’abandonne comme si elle n’était
qu’un objet qui ne mérite pas d’être associé avec son nom. Le fait qu’elle pouvait
travailler comme « des Blanches » n’y change rien, elle est toujours sujette à une forme
de tradition pérenne. Peut-être que c’est le courage que le personnage de Soukali
démontre vis-à-vis de la torture et de la répudiation de la part de son mari que Maître,
ou l’auteur, la fait parler au lecteur à la fin du roman d’une perspective différente que
les autres héroïnes : il lui permet de mettre en question, et de supporter ainsi en même
temps, la véracité de l’œuvre entière quand elle adresse une lettre qui glose l’intrigue du
roman à son narrateur. Nous pouvons nous demander pourquoi cette honneur n’échoit
pas à Elengui mais supposons que la position clandestine et à la fois privilégiée de
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Soukali par rapport à la femme de Maître aussi bien que des autres maîtresses coïncide
bien avec ce devoir qui place l’œuvre à la limite entre la fiction et la réalité.
La place de Ma Mireille dans la vie de Maître diffère encore de celle occupée
par les deux femmes dont nous venons de parler. « Ma Mireille ? Pas la même chose.
Disons, un certain goût pour le fruit défendu, et aussi le plaisir vertigineux de valoir
plus qu’un grand de ce monde » (P-R, p. 300). Épouse du chef de l’État, elle occupe une
position d’importance mais, en même temps, elle est soumise aux coutumes, contre son
gré, peut-être plus que toutes les autres femmes au Pays. Le lecteur peut s’en apercevoir
par exemple dans la scène du couronnement traditionnel de Tonton : « Connais-tu,
femme, dans tout le Pays, danseur aussi souple, aussi agil, aussi fort ? Viens, viens, ma
sœur, tu ne, non, tu ne le regretteras pas. Et Ma Mireille se leva d’un air de vierge
forcée » (P-R, p. 56). Même si, au cours de l’histoire, elle prouve qu’elle n’est pas
résignée à obéir à tous les projets de Tonton, en vérité, il est impossible pour elle de
s’opposer ouvertement à lui et elle participe donc à son jeu et remplit son rôle dans le
couple régnant. C’est pour ces raisons que nous ne pouvons la classer ni parmi les
femmes faibles, ni parmi les femmes en lutte mais quelque part à la frontière entre ces
deux catégories. Si elle se révolte contre Tonton, elle choisit deux méthodes et on peut
dire qu’elles sont, toutes les deux, liées aux obligations traditionnelles que l’épouse doit
à son mari. Une façon d’exprimer son abomination de Tonton est sa relation
extraconjugale avec Maître (P-R, p. 126). Il est difficile de dire, si Maître l’attire plus
que son époux légitime ou si elle l’a choisi pour le simple fait qu’il est le subordonné de
Tonton et qu’il est censé lui servir à boire ce qui permettrait à Ma Mireille d’humilier
son mari davantage. La manière dont elle veille à la sécurité de Maître après que ses
appels avec Soukali sont découverts laisse pourtant entendre qu’il ne lui est pas
indifférent : « Partir les mains vides ? Ma Mireille y avait songé et s’occupait de tout.
[...] N’avait-elle pas un frère directeur de la Sûreté et l’autre P.-D. G. d’une
banque ?D’ailleurs Cécile devait s’en aller pour rendre compte de la première partie
de sa mission [sauvetage de la vie de Maître]» (P-R, p. 288). De surcoît, sa relation avec
Maître lui permet de s’opposer à la coutume qui présume qu’un homme peut avoir une
maîtresse à la différence de la femme. Il est clair que Tonton, en tant que chef de l’État,
31
c’est-à-dire d’une tribu imaginaire, est entouré de diverses femmes qu’il s’agisse
d’épouses officielles ou non. En effet, elles lui permettent consolider son pouvoir : « Et
Tonton se mit à narrer sa vie privée. Ma Mireille en était le centre et n’y suffisait pas.
Non, non, non. C’est pourquoi il maintenait une population de femmes en résidence
surveillée dans plusieurs villas » (P-R, p. 339). Il est donc évident que Ma Mireille
n’est pas sans influence sur Tonton. Si dans certains cas, c’est grâce à ses prières que
Tonton n’en fait pas sa tête, dans d’autres épisodes elle réussit à le détourner de ses
desseins par lui refuser l’acte sexuel (P-R, p. 349). Même s’il y a des moments où elle
arrive à changer l’opinion de Tonton, et c’est grâce à cette capacité qu’elle sauve la vie
de Maître, elle sait trop bien qu’elle ne pourra jamais changer rien dans sa position
racornie par la tradition, ni dans l’attitude de son mari : « Ma Mireille dit qu’avec
l’homme-là, ce qui compte c’est pas la vérité, mais sa vérité à lui » (P-R, p. 287). Ma
Mireille est le personnage féminin qui a le mieux compris l’état des choses entre les
hommes et les femmes dans son pays et n’essaie pas d’y changer quoi que ce soit
comme elle sait qu’elle est impuissante contre les siècles de coutumes et de croyances.
C’est cette connaissance de la nature humaine qui la mène à ordonner à Cécile, sa
domestique, de veiller à ce « qu’il [Maître] ne manque de rien » (P-R, p. 301) : elle
n’espère pas commencer sa vie ailleurs, ni occuper une place privilégiée dans la vie de
Maître qui, en fin de compte, n’est pour elle qu’une évasion de la réalité.
L’attitude de Lopes envers les héroïnes est, cette fois-ci, beaucoup plus
pessimiste. Nous pouvons supposer que c’est dû au fait que son livre concerne la
politique au Pays dans une période qui n’incitait pas à changer l’ordre social et culturel,
fortement influencé par la tradition. En quelque sorte, celle-ci justifiait le gouvernement
de Tonton et procurait à son idéologie une certaine base. Malgré cela, l’auteur ne laisse
pas les personnages féminins dans le roman complètement passifs et essaie de les doter
d’un peu d’espace pour évoluer, même si cela n’était possible qu’au niveau personnel et
que cela ne mène pas à un changement à une grande échelle.
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5. Le Chercheur d’Afriques : Ngalaha, Ouloumo, Kani (et Fleur)
5.1 Résumé
Le Chercheur d’Afriques, publié en 1990, est une histoire qui raconte la vie
d’André Leclerc, un jeune métis qui est en même temps le narrateur. Le récit est divisé
en deux parties : la première, qui se déroule au présent laisse un espace pour la
deuxième partie constituée par les flash-backs qui évoquent l’enfance du protagoniste et
les moments avant son arrivée à Nantes où il espère retrouver son père, ancien colon. Le
roman reçoit ainsi une forme épisodique où les passages particuliers forment un
ensemble sans avoir, par endroits, d’importance particulière en eux-mêmes. Il est
cependant possible de reconstituer l’histoire dans son ordre chronologique. Les petits
épisodes nous montrent enfant André en tant que fils de Commandant César Leclerc et
de Ngalaha, fille du chef de la tribu. Le plus grand malheur d’André est non seulement
la différence entre la couleur de sa peau et de ses yeux et celle des autres enfants du
village mais surtout la différence de son statut qui met une distance entre lui et les
enfants « normaux » ce qui l’empêche de jouer avec eux. Sa différence lui est souvent
rappelée non seulement par sa mère mais aussi par sa nounou Oloumo. Les jours du
comfort sont néanmoins terminés quand Commandant aux cheveux rouges doit partir
vers d’autres engagements et doit laisser sa famille sur place comme il n’est pas clair
quelle sera sa prochaine destination. Ngalaha doit accepter le sort de femme indigène de
colon et doit s’accomoder à la nouvelle situation incomparable avec la vie qu’elle
menait avec son mari, Européen, et qui la distinguait parmi les autres femmes indigènes.
La situation se complique pour elle et son fils lors de quatrième ou cinquième
anniversaire d’André à cause d’un décret qui exige enlever les enfants métis de leurs
familles pour qu’ils soient éduqués à l’européenne. Ngalaha est donc obligée de fuir son
village et d’aller sur l’autre rive. Le danger surmonté, André se retrouve, après quelques
années, avec son oncle Ngatsiala qui lui raconte l’histoire de son père et de sa mère et
lui confie les détails concernant l’identité de son progéniteur. Ngalaha, quant à elle,
décide de se remarier pour assurer son statut dans la société. Après avoir reçu son
baccalauréat, André va poursuivre ses études en France en espérant de pouvoir retrouver
son père perdu. C’est en Europe qu’il rencontre Kani dont il fait sa copine même si elle
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est déjà mariée en Afrique. L’évidence concernant le sort de son père le mène à
rejoindre son ami Vouragan, joueur de football, qui l’invite à Nantes quelques jour
avant le début du carnaval local. Ici, il se présente à une conférence donnée par le
docteur César Leclerc ce qui lui permet de se rassurer qu’il s’agit vraiment de son père.
C’est dès cette rencontre à distance qu’André essaie d’obtenir un rendez-vous dans le
cabinet médical du monsieur Leclerc. Entretemps, Vouragan le présente à un grand
nombre de ses amis dont Fleur, fille à la chevelure rouge, qui semble être différente des
autres femmes qu’il avait la possibilité de rencontrer. Il profite de son temps libre dans
la chambre de Vouragan qu’il a libéré pour lui lors de son départ avec Mme de
Vannessieux. Ainsi délaissé, André se laisse tenter par les possibilités offertes par la
ville au temps du carnaval et oublie même sa copine en faveur d’autres femmes, surtout
madame au péplos et Fleur. Il n’apprend le nom de famille de Fleur qu’au retour à
Chartres grâce à un bout de papier sur lequel elle lui a noté son adresse : le fait qu’il est
identique avec le sien cause un malaise à André. La rencontre avec César Leclerc est
courte sans qu’André dévoile son identité dont son père se doute néanmoins. Ce n’est
que beaucoup plus tard qu’il apprend que son père est décédé la nuit suivante en
hallucinant et parlant une langue étrange qui paraîssait être le lingala.
5.2 Analyse
La vision masculine qui est présentée au lecteur dans ce roman fait que les
femmes sont reparties dans deux groupes distincts : un est constitué par les femmes-
protectrices, c’est-à-dire Ngalaha et Oloumo, qui représentent la sécurité de l’enfance
d’André et l’autre groupe est formé par les femmes-amantes (Kani, femme au péplos et
Fleur) qui apparaissent dans la vie adulte du protagoniste et qui sont les sujets de son
désir. Nous pouvons remarquer que les deux groupes sont reliés par l’amour que le
héros ressent envers ces femmes même si la nature de cet amour diffère d’un groupe à
l’autre. On peut néanmoins percevoir une certaine contestation dans la position de ces
dernières par rapport à la tradition africiane. Elle va surtout contre cette repartition
ambiguë.
La mère d’André, Ngalaha, est un des exemples contradictoires aussi à cause de
sa maternité. Cette contradiction est, d’une certaine partie, due à un croisement des
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points de vue entre André-adulte et André-enfant. Le deuxième mentionné contemple sa
mère dans sa position d’autorité et c’est pour cela que, dans ses yeux, elle est liée à la
tradition avec l’oralité et ses grands récits, tandis qu’il associe son père avec la tradition
littéraire (CA, p. 213), ne serait-ce que pour le fait qu’il est l’auteur de plusieurs livres :
la différence entre l’Europe et l’Afrique est donc établie dès le début du roman. Un des
récits les plus importants pour André est celui qui raconte la rencontre entre sa mère et
son père et explique de la sorte sa naissance aussi bien que les origines de sa différence
par rapport aux autres. Nous voyons que comme sa mère reste muette concernant cette
épisode de sa vie, l’histoire lui est racontée par son oncle Ngatsiala et l’existence de sa
mère reçoit ainsi un côté mythique ; d’autant plus que son père reste quasiment inconnu
pour lui et que son oncle commence son récit par des tournures traditionnelles :
Je saute par-dessus des siècles pour ne retenir de son récit que les passages
relatifs à Leclerc. La tradition orale est souvent entourée de brumes. Ainsi est-il difficile
de préciser, à partir du témoignage de Ngatsiala aussi bien que celui de Ngalaha, si, lors
de son séjour au Congo, Leclerc était un administrateur (le Commandant) ou bien déjà
médecin.
- Niain, niain ?
- Niain !31 (CA, p. 116)
C’est à travers l’histoire qui lui est racontée par son oncle qu’André voit sa mère
s’engager à la tradition lorsque César Leclerc est décrit comme un homme
extraordinaire et le sauveur de la paix dans le pays aussi bien comme un bon
Commandant (CA, p. 117-118). Fille du chef de la tribu, Ngalaha ne pourrait pas se
marier avec un homme quelconque. Le fait que Ngalaha a choisi de lier sa vie avec
César met néanmoins sa position dans la tribu en question lors du départ de son mari :
depuis qu’elle est mariée, elle n’est considérée qu’en relation avec son époux. En tant
qu’une femme abandonnée, elle doit faire face aux nombreux prétendants qui la croient
obligée d’épouser quelqu’un vite pour que son honneur ne soit pas mis en
question (CA, p. 77). Son audace de choisir un autre Européen pour mari n’empêche pas
que son deuxième mariage soit négocié bien en avance avec les représentants de la tribu
31 Équivalents de cette tournure fournies par l’auteur diffèrent tout au long de l’histoire:
- Que je dise ?
- Dis, seulement !
- Que je vide la besace ?
- Vide-la jusqu’à son dernier grain de poussière. (CA, p. 176)
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qui sont disposés à l’accepter dans leur famille seulement à condition d’enrichir leur
clan (CA, p. 84). Ainsi, Ngalaha se retrouve par moments dans une position de
dépendance apparemment, étant incapable d’agir pour elle-même. Son sort étant
plannifié par les autres, elle perd une partie de sa force et devient l’épouse du nouveau
Commandant qui est désormais le seul qualité qui aurait de l’importance en considérant
sa personne : « Ma mère s’était retirée dans la case des femmes [et] Ngatsiala rendait
compte à l’assemblée des Anciens, sous le mbongui » (CA, p. 87).
De ce point de vue, on pourrait constater que la position de Ngalaha dans le
monde traditionnel est celle d’une femme faible qui se soumet aux exigences de la tribu.
Cependant, la vérité se révèle un peu plus complexe dès que le lecteur s’aperçoit de la
réalité de la tradition qui la pousse continuellement à être l’épouse de quelqu’un mais
qu’en même temps elle arrive à choisir ses compagnons en fonction du bénéfice qu’ils
pourraient apporter à son fils. Ngalaha réussit donc à renforcer sa position mythique par
son comportement protecteur envers son fils lorsqu’elle se retrouve toute seule avec lui.
Quand elle décide de fuir le village et qu’elle se retrouve dans la jungle au milieu de la
nuit, le lecteur voit qu’André a une confiance complète en elle, même si en réalité elle
est aussi fragile que lui : en effet la perte de l’enfant est aussi pénible pour la mère que
pour son enfant (CA, p. 148). Le fait de quitter le village à cause de son fils est un
sacrifice de sa part qui fait d’elle un idéal maternel mais qui prouve aussi son
dévouement à César Leclerc dont le fils lui ressemble de manière frappante. Il est clair
que Ngalaha désire un futur reluisant pour André et c’est pour cela aussi qu’elle n’arrête
pas de lui rappeler sa différence et qu’elle essaie de l’envoyer en Europe dès son
premier enfance. C’est ici que l’on s’aperçoit que la tradition africaine pourrait
également bénéficier à Ngalaha : elle pourrait partir en Europe avec son fils à condition
que César Leclerc puisse avoir plusieurs femmes. Du point de vue de la mère d’André,
la polygamie serait un moyen de réunir la famille.
- Ngalaha : « Moi, je n’irai pas à Mpoto [Europe]. »
- André : « Pourquoi, maman ? »
- « Ton père ne m’y appelle pas. » [...] Elle s’est arrêtée, et j’ai distingué de la buée
sur ses yeux qui rosissaient. « Les Blancs n’ont pas le droit d’avoir plus d’une
femme. » (CA, p. 129)
36
En fin de compte, Ngalaha décide de garder André auprès d’elle, même si son côté
rationnel aurait décidé différement. Comme Ngatsiala l’observe plus tard : « L’Enfant
ne peut quitter sa mère avant que la geste des Anciens ne lui ait été relatée en détail,
non pas seulement pour qu’il en ait connaissance, mais surtout pour la graver dans
l’argile de sa mémoire » (CA, p. 178). Or, Ngalaha étant trop orientée vers les valeurs
européennes, c’est la nounou d’André, Ouloumo, qui assure que l’enfant obtient le
savoir provenant de la sagesse populaire transmise par l’oralité. On peut voir que cette
tâche lui est propre aussi à cause de sa situation dans la société coloniale: comme elle
est employée pour s’occuper de l’enfant du Commandant et de la fille du chef de la
tribu, c’est-à-dire du couple supérieur, elle se trouve dans un rôle classique et en même
temps fortement dépendant. Dans cette situation, elle n’a pas d’autres possibilités que
d’assumer cette responsabilité avec tout ce qui va avec, y compris l’éducation de
l’enfant. C’est grâce à la transmission du savoir populaire qu’André prend Ouloumo
pour sa deuxième mère ce que nous povons constater selon son habitude de l’appeler
« Mama Oloumo » (CA, p. 17). Même si elle veille à ce que l’enfant soit traité avec des
égards dignes du fils du Commandant et que, d’une certaine manière, elle laisse aussi
compredre à André qu’il est unique (CA, p. 19), elle lui inculque la vie traditionnelle
assez profodément comme elle la lui apprend indirectement par sa façon de chanter, de
le porter ou de travailler tout simplement. Sa position est acceptée pleinement par
Ouloumo et elle s’y comporte avec une grande spontanéité qui enchante l’enfant. Ses
chants sont donc, dans l’image mentale d’André, liés à l’expression habituelle de la
femme indigène et la sincérité avec laquelle elle s’exprime cause qu’il associe la
musique avec la nature même de l’existence nègre.
Sous la véranda d’une case en ciment, une jeune fille, assise sur un tabouret,
chante. [...] Oloumo s’addresse à quelqu’un visiblement. Elle monte d’un ton, se
rapproche du cri, puis redescend, souriante, les yeux malicieux et rassurants. Sa voix
plane un moment et poursuit son mouvement jusqu’à la hauteur du murmure (CA, p. 11,
nous soulignons).
Pour André, Ouloumo est quelqu’un qui, par la force de son enracinement dans la
tradition, exerce une grande autorité sans être quelqu’un qui essaierait de s’en détacher
ou de la combattre. Ainsi, sa vision du monde influence le compréhension de celui-ci
par André aussi bien que son approche envers les femmes qu’il rencontre plus tard dans
37
la vie et dont il attache la sensualité à la musique et ainsi au rythme du corps humain et
à la nature.
Les femmes-amantes sont donc, aux yeux d’André, toutes attachées à la tradition
même si certaines parmi elles sont des Européennes : il les contemple en tant
qu’incarnations de la nature dont la vie traditionnelle dans son pays est très proche.
Kani est un exemple parfait de cette perception : la première information que le lecteur
obtient sur elle concerne son physique. Ainsi, il est clair que le côté visuel joue
beaucoup pour André. Sa description de Kani procède après vers le timbre de sa voix et
elle est donc connectée aussi avec l’ouïe. Lors d’une autre rencontre, il évoque son
parfum aussi bien que les sensations qu’il ressent quand il la touche et il essaie d’écrire
son goût également (CA, p. 101-103). Kani est un personnage qui incite en André ses
instincts les plus bas et naturels comme c’est visible lorsqu’il tente de faire au lecteur
une connaissance sensorielle d’elle et nous sommes obligée de noter que les
informations de ce genre éclipsent un peu tout le reste que le lecteur peut apprendre sur
elle. L’apogée de ces descriptions pourrait être vue dans la scène de l’acte sexuel entre
André et Kani pour le récit duquel l’auteur se sert de la métaphore de la musique. Ceci
est une démarche commune chez Lopes sauf que, dans ce cas, elle souligne le
rapprochement avec la nature. Néanmoins, la position de Kani est liée à la tradition
aussi pour d’autres raisons et nous devons constater qu’une d’elles est le comportement
d’André. Malgré les déclarations d’André sur la beauté de Kani et le fait qu’il
« songeait à Kani et à ses serments » (CA, p. 157) et qu’il « avait honte de la bête en
lui, mais dites un peu, ô vous-là, dites comment se maîtriser ? » (CA, p. 159), il se laisse
séduire par d’autres femmes dès qu’il arrive à Nantes. Kani se trouve donc dans la
même situation que les femmes mariées au Congo : elle est trompée à la base
quotidienne. La différence de sa situation consiste dans le fait qu’André n’est pas son
mari et qu’elle est déjà mariée à quelqu’un d’autre. Même si Vouragan, ami d’André,
affirme qu’ « un annuaire ne veut rien dire » (CA, p. 98), selon la description de Kani
fournie par l’auteur, nous pouvons considérer qu’elle n’est pas une femme facile. Au
contraire, sa relation sérieuse avec André laisse entendre qu’elle a besoin de lui pour se
détacher de son mari. Même au prix d’être trompée en même temps. De ce point de vue,
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leur liaison est donc assez ambiguë comme, d’un côté, elle la met dans une position
d’infériorité, mais de l’autre, elle permet à Kani d’atteindre son indépendance de son
mari qui paraît être désintéressé par les besoins de sa femme comme il est tout le temps
parti.
Le cas de Fleur diffère de celui de Kani du simple fait qu’elle est Européenne et
l’on pourrait donc supposer que sa relation envers la tradition africaine est inéxistante.
Une femme indépendante dans tous les aspects de sa vie, elle est le modèle d’une
femme émancipée ce dont les autres femmes dans l’histoire peuvent seulement rêver.
Cependant, on peut dire qu’il y a en lien entre elle et la tradition africaine à cause de son
amour pour l’expression artistique noire. D’une certaine manière, ce lien est aussi fort
que celui de Kani comme il a lui été transmis par son père qui a passé une partie de sa
vie comme membre intégrant d’une communauté africaine et qui l’a prise pour sienne.
Mais en fin de compte, le lecteur voit qu’une vraie acceptation de cette culture par Fleur
est impossible tout comme le serait son adoption dans la communauté africaine : elle se
distancie d’elle quand on apprend qu’elle est une demi sœur d’André et qu’elle a quand
même noué une relation intime avec lui quoiqu’elle ne pût pas se douter de sa vraie
identité. Comme Ngalaha le rappelle à son fils « Évoquer l’inceste, même en pensée,
c’est appeler malédiction sur soi » (CA, p. 248) : Fleur ne serait donc pas admise dans
la tribu du titre de la superstition qui influence toujours la vie tribale dans une grande
mesure.
Nous voyons que les positions des femmes dans l’histoire diffèrent et que cette
différence correspond avec leur apparition dans la vie d’André. Les femmes qu’il
associe avec son enfance sont plus dépendantes mais il est possible de remarquer qu’elle
n’en souffrent pas forcément. Par exemple, sa mère a bien appris à utiliser la tradition
en sa faveur et elle pourrait donc être classée parmi les femmes en lutte même si le
lecteur voit qu’en vérité, elle n’essaie pas de se détacher de la société traditionnelle. Au
contraire, elle espère réussir d’en sortir son fils et de lui procurer ainsi un sort meilleur.
Elle comprend que même un mariage avec un Européen ne représente aucune garantie
pour elle, d’autant plus que ces relations se dirigent par des us particuliers. Elle est prête
à faire face aux conséquences défavorables qui suivent normalement la séparation de le
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femme indigène de son époux blanc. Dans le cas d’Oloumo, il est douteux qu’elle
pourrait être désignée en tant qu’une femme faible comme il est visible qu’elle est
contente avec sa situation qui ne lui pose pas de contraintes. On dirait qu’elle existe en
dehors des limites habituellement accordées à la société africaine et qu’elle accepte sa
culture et ne songe pas à la contester. En même temps, il s’agit d’une seule femme dans
l’histoire qui soit exclue des relations avec les hommes : sa communication avec eux est
restreinte à la gestion des tâches quotidiennes mais ne comprend jamais de traces des
liaisons plus intimes. C’est peut-être pour cela qu’André se sent en sécurité avec elle,
comme sa place n’est pas mise en danger par un autre homme. Ceci est d’ailleurs
confirmé quand il essaie de la persuader de le garder quand sa mère doit démenager
pour vivre avec un autre homme (CA, p. 247). En revanche, le sort des femmes
qu’André rencontre dans sa vie adulte témoignent des difficultés qu’elle rencontrent
vis-à-vis de la tradition. Pour Kani, c’est son rapprochement avec la culture européenne
qui la sauve de sa position inférieure qu’elle serait obligée de subir dans son mariage
mais en même temps sa relation avec André ne représente pas forcément une
amélioration. Elle demeure donc une femme en lutte. Dans le cas de Fleur, il est
perceptible que le chemin inverse n’soit pas possible non plus : une fois habituée à la
vie indépendante, Fleur serait une anomalie dans la société traditionnelle même si nous
voyons que son père joue un grand rôle pour son développement tout comme dans les
tribus africaines. Son identité de l’Européenne l’exclue cependant de notre classement
en femmes faibles, femmes en lutte ou femmes fortes comme sa force à été offerte à
Fleur au berceau.
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6. Sur l’Autre Rive : Madeleine, sa mère et Félicité
6.1 Résumé
Sur l’Autre Rive est le cinquième roman d’Henri Lopes qui a été publié pour la
première fois en 1992. Il raconte l’histoire de Madeleine qui nous est présentée sous
nom de Marie-Éve au début et dont nous découvrons l’identité et le destin petit à petit.
Les premières pages de l’œuvre nous amènent aux Antilles où l’on rencontre
Madeleine, une peintre, en plein préparation de l’exposition de ses toiles. Toutefois, elle
est incapable de se concentrer complétement aux préparatifs comme elle croise un
couple qui paraît être lié à sa vie précédente et dont elle essaie d’éviter une renconte
prolongée parce qu’elle a peur d’être reconnue. Leur apparition la fait penser à sa vie
qu’elle a laissée en Afrique il y a onze ans et qu’elle a échangée contre un cabinet
photographique et la vie à côté de Rico, son époux. Nous apprenons que Madeleine a
quitté l’Afrique dans des circonstances étranges : ses proches n’ont découvert que ses
vêtements au bord du fleuve. Cela les a fait croire que Madeleine s’est noyée soit par un
accident, soit par un acte volontaire, ce qui laissait entendre les tableaux brûlés avant
son départ. La narratrice nous fait entrevoir ce que précédait cette décision qui paraît
assez radicale : nous voyons sa vie en couple avec Anicet qui, malheureusement, n’a
jamais été bénie des enfants, la situation dont son mari souffre et qui se manifeste sur
son comportement envers sa femme. Incomprise, elle recourt à ses peintures et au
travail ce qui cause la désapprobation de sa famille aussi bien que celle d’Anicet. Lors
du stage de son mari aux États Unis, Madeleine se consacre entièrement à son travail de
traductrice qu’elle effectue pour la délégation nigérienne qui arrive au Congo et à la tête
de laquelle est Chief Olayodé ou Yinka. Leur relation reste strictement professionelle
jusqu’au moment où ils se déplacent à Pointe-Noire. Le fait qu’elle a trompé son mari
est apprécié par son amie Félicité qui conseillait à Madeleine depuis longtemps de
chercher son bonheur ailleurs. Après cela, une rencontre avec Yinka de deux semaines à
Libreville qu’elle appelle leur lune de miel et suivent huit ans de séparation remplis par
des lettres qui deviennent de plus en plus rares avant de se rencontrer pour la dernière
fois au Lagos lors du Festival panafricain auquel Madeleine participe avec ses toiles. La
connaissance de Yinka cause que Madeleine d’aperçoit définitivement de son
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mécontentement avec sa vie familiale avec Anicet en constatant qu’il est
irréparablement abîmé. Quand il tente de renforcer leur union lors d’un voyage à
Libreville chez des amis Clarissa et Obiang, l’effet est tout contraire : après avoir vu
Yinka avec sa femme, Madeleine s’enferme en elle et finit par prendre sa décision et
part un matin au bord du fleuve qui la ramène vers une nouvelle vie.
6.2 Analyse
L’image que nous recevons de Marie-Éve (c’est-à-dire Madeleine) est celle
d’une femme qui réussit bien sa vie. En plein préparation du vernissage de ses œuvres,
elle est entourée des gens qui l’admirent et sont prêts à l’aider mais nous voyons qu’en
même temps, sa vie est beaucoup influencée par des hommes qui y apparaissent. Aux
Antilles il s’agit de Rico, son mari, et de Raymond, le conservateur de galerie où elle va
exposer ses travaux. Dans sa vie précédente, le lecteur peut apercevoir l’importance
qu’executent Anicet, son ex-mari, et Yinka, son amant. Par rapport à d’autres femmes
qui figurent dans le récit, Madeleine paraît être celle qui est la plus partagée entre ses
désirs et ce que veulent les hommes qu’elle rencontre. Pour bien considérer le
développement du personnage, nous allons étudier ses relations avec les hommes
différents dans l’ordre chronologique.
Le séjour de Madeleine en Afrique étant placé dans les années 1970, c’est-à-dire
après les Indépendances, n’empêche pas que sa vie maritale soit fortement influencée
par la tradition qui semble être omniprésente. Nous sommes donc à la découverte de la
coexistence d’un couple où la compréhension mutuelle est quasiment absente ce qui se
manifeste surtout dans leur vie sexuelle : « Anicet me pesait comme un rocher et je le
repoussais d’un mouvement brusque, de peur de m’écorcher la peau et, lui tournant le
dos, je me recorquevillais en chien de fusil. [...] L’homme balbutiait les mots d’excuses
et je me bouchais les oreilles » (SAR, p. 61). Nous voyons que la communication entre
les deux personnes est difficile et que, par moments, il arrive qu’un des deux époux ne
soit pas capable de prêter l’oreille à ce que l’autre lui dit. Ce thème est retravaillé par
Lopes d’une manière métaphorique lors du séjour d’Anicet aux États-Unis : mauvaise
connexion téléphonique entre les deux continents ne permet d’entendre que des bribes
d’informations, une situation si frustrante qu’ « une fois, il a perdu patience mais il s’est
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aussitôt ressasi et a finalement écourté la conversation » (SAR, p. 123). La cause de
l’impossibilité de leur réconciliation consiste dans ce que Madeleine ne peut pas avoir
d’enfants. Il en découle un désenchentement de la famille d’Anicet et une humiliation
de Madeleine qui est obligée d’accepter toutes les conditions que la famille de son mari
lui pose pour que la sienne ne doive pas rendre la dot ce qu’elle ne pourrait pas se
permettre (SAR, p. 104). Ainsi, il se fait que le mariage d’Anicet et de Madeleine n’est
pas leur affaire à eux mais qu’il y a les deux familles entières qui y participent et qui
prennent les décisions à leur place : « Mais étions-nous un couple normal ? Je gardais
ces questions au fond de ma poitrine et le laissai déverser toute sa bile » (SAR, p. 106).
La valeur de Madeleine en tant que femme est donc réduite au minimum ce qui est
visible quand elle se demande « Que valais-je socialement ? » (SAR, p. 113) et nous
pouvons supposer que c’est à cause de cela qu’elle a du mal à s’apprêter à une action
aussi intime que faire l’amour avec son mari. Pourtant, elle affirme que :
Nous n’allâmes pas jusqu’à faire lit à part. Sinon, j’eusse été contrainte de
comparaître devant le conseil coutumier de nos deux familles et d’en accepter la
condamnation à mes dépenses. Nous couchions dans les mêmes draps, séparés par une
zone tampon que mon époux ne franchissait qu’au prix d’une stratégie digne d’un
grand maître (SAR, p. 59).
Au lieu de réunir les maris, les familles les séparent comme celle d’Anicet ne fait que
critiquer Madeleine et la sienne ne prend pas sa partie : elle a donc personne auprès de
qui elle puisse chercher le recours. La situation est pourtant d’autant plus paradoxale
que Madeleine pourrait soigner sa stérilité grâce à une simple opération que sa mère
l’empêche de subir à cause de la coutume. « La vieille femme qui lisait dans les cauris
conseilla à ma mère d’attendre cinq saisons des pluies avant de me soumettre au
verdict du médecin » (SAR, p. 103). Ainsi, la coutume approche finalement Madeleine
de la culture occidentale comme elle se sert de son temps qu’elle pourrait consacrer aux
enfants non seulement pour peindre les tableaux, mais aussi pour poursuivre ses études
de doctorat et de travailler. Madeleine se rend compte que la situation dans son foyer
pourrait être réglée mais sait aussi bien que l’assistance de la tribu ne fait que l’empirer.
Alors que si la coutume ne l’a pas empêchée d’étudier et qu’elle a la possibilité de
travailler malgré les voix mécontentes de la famille, dans ce cas, la décision familiale
s’impose sur l’individu « car si vous vous blessez le doigt, toute la main s’ensanglante »
43
(SAR, p. 113). Nous comprenons donc que la tradition joue un rôle tellement primordial
dans la société congolaise, qu’elle rend impossible pour la mère de Madeleine de
prendre défense de sa propre fille comme elle est persuadée que le destin de l’individu
est rien en comparaison avec le clan et qu’il est donc nécessaire qu’elle se soumette à sa
volonté. Ainsi, Madeleine croit qu’elle ne représente qu’une déception dans les yeux de
sa mère ce qui est visible dans les rêves qu’elle fait aux Antilles : « Quand j’ai voulu
l’embrasser [sa mère], elle m’a repoussée » (SAR, p. 7).
C’est par l’intermédiaire de son amie Félicité que Madeleine trouve la solution
de son problème et il est probable que c’est à cause de cela que l’auteur évoque le nom
entier de Madeleine, qui, en vérité, était Marie-Madeleine, celui de la pécheresse
biblique, qu’elle change avant de rentrer au lycée parce qu’elle a honte de la
connotation (SAR, p. 36). Le lecteur peut donc s’apercevoir que Madeleine avait des
problèmes à accepter son identité dès son enfance et que c’est depuis cette époque-là
qu’elle a pris l’habitude de la modifier à son gré. Félicité, quant à elle, développe son
raisonnement en faveur de la tromperie de façon suivante : « Ce qu’il faut, c’est de
compenser le poids du clan sur les couples, par le jeu. C’est en jouant à cache-cache
qu’on rencontre l’amour. Je te le dis, ma sœur, l’amant de l’ombre a meilleur goût que
celui de plein jour » (SAR, p. 120). Égalitariste, Félicité trouve sa propre façon de gérer
les influences éventuelles de la coutume sur sa vie personnelle sans toutefois essayer de
renverser l’ordre qui s’est instalé dans la société. Comme elle se rend compte que les
conseils familiaux sont souvent injustes envers les femmes seulement pour permettre à
l’homme de se procurer de la postérité, elle adopte un comportement qui copie celui des
hommes au pays et conseille la même chose à Madeleine surtout quand elle voit
comment la famille d’Anicet se comporte envers elle : « S’ils ne veulent plus de toi, va
t’en sans pleurnicher. Ne pas avoir d’enfant ne constitue pas une infirmité » (SAR,
p. 98). Il n’est donc pas surprenant qu’elle assure le passage de Madeleine vers sa
nouvelle vie non seulement d’une façon imaginaire, psychique, mais aussi de la
factuelle quand elle la tient au courant de la conférence à l’occasion de laquelle
Madeleine occupe le rôle de l’interprète de Yinka. Sa position libérale se manifeste
44
aussi quand elle conseille aux nièces de Madeleine de bien poursuivre leurs études pour
ne pas « dépendre des hommes » (SAR, p. 189).
Le rôle crucial de Yinka dans la vie de Madeleine repose dans le fait qu’il
l’apprécie et qu’il l’aide à réaliser ses qualités de femme qu’elle négligeait depuis
longtemps. La féminité réprimée de Madeleine se manifeste par exemple sur le fait
qu’elle se laissait couper les cheveux « à la garçonne » ce qu’elle affirme d’être, entre
autres, « une attitude politique [de] l’époque où les Noirs redécouvraient leurs racines »
(SAR, p. 68). Yinka l’aide à découvrir sa sensualité et l’enchante par sa culture mais son
bénefice principal demeure dans sa capacité de disparaître de la vie de Madeleine au
moment propice pour qu’elle puisse assumer sa vraie personnalité et son nouveau
destin. D’où la joie de Félicité quand elle apprend que Madeleine a trompé son mari :
« Elle me prit dans ses bras, me couvrit de baisers et déclara qu’elle était fière de moi :
j’étais une femme, une sœur, une vraie » (SAR, p. 194). C’est là, l’origine de la
renaissance de Madeleine comme elle se rend compte qu’elle est capable de réaliser sa
fuite tout comme elle était capable d’une relation extraconjugale où elle était soi-même
et où sa capacité de donner naissance n’avait aucune importance.
Un jour, il faudra te décider et les surprendre tous. Te lever tôt, Madeleine, et
marcher jusqu’à la plage, lâcher le pagne et te déchausser. Un jour, il faudra décider
d’abandonner le rive. [...] Tu sauras sur quelle étoile faire le point, à quel courant
confier ton sort, les vents feront alliance et te porteront à la vie à la mort. [...] Une autre
terre existe, Madeleine (SAR, p. 107).
Le changement intérieur de Madeleine se manifeste dans la forme que prennent ses
toiles et que son épouxa du mal à accepter comme, à son avis, il s’agit de «l’illustration
de fantasme de nymphomanes » (SAR, p. 192). Selon ce commentaire nous pouvons
deviner que Yinka a bien éveillé en Madeleine sa féminité et le côté sensuel qui, jusque
là, restait quasiment muet. D’ailleurs, ce n’est que dans sa relation intime avec Yinka
que l’auteur évoque la métaphore de la musique pour l’acte amoureux qui est sinon
absente : « Enfreignant les tabous, j’ai placé le tam-tam entre mes genoux. [...] Toute la
nuit, il m’enseigna le rythme à battre. [...] Tam-tam déjà chanté, tam-tam que
j’entendais toujours au loin, tam-tam la veille encore inaccessible » (SAR, p. 176).
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Même si l’on pourrait croire que sa façon de disparaître est lâche, il faut avoir à
l’esprit que la loi coutumière et les règles de la société n’auraient jamais permis sa
séparation avec Anicet dans le cas de laquelle elle serait obligée de porter la marque
d’une femme divorcée, incapable de donner des enfants à son mari. Le déplacement aux
Antilles représente pour Madeleine, à part la facilité de changement d’identité, aussi un
mouvement vers l’acceptation d’elle-même. Elle choisit de se rapprocher des États-Unis
parce que c’était durant son séjour à l’université là bas qu’elle a « compris la fécondité
de la solitude. Pour apprendre, réflechir ou créer » (SAR, p. 123). Il est donc naturel
que lorsqu’elle se retrouve toute seule pour la première fois dans sa vie, libérée des
contraintes de la famille aussi bien que de celles de son mari, c’est vers le pays
d’individualisme qu’elle se dirige. On peut comprendre le choix des Antilles aussi
comme une tentative de ne pas perdre de vue complètement ses racines. Le changement
de son attitude envers elle-même se manifeste aussi dans son choix de son mari antillais
Rico. La comparaison entre lui et Anicet s’offre tout naturellement. Nous voyons que
Rico remplit le rôle d’un mari soigneux et attentif qui ressent les malaises de sa femme
et qui est là pour partager ses soucis (SAR, p. 18). Sa différence par rapport à Anicet est
bien perceptible quand Madeleine cherche du secours auprès de lui, quelque chose
qu’elle n’aurait jamais essayé de faire au Congo. « La nuit qui suivit cet incident
[rencontre avec Clarissa qui la poursuit pour s’assurer de son identité] a été agitée. Des
rêves hachés, difficiles à reconstituer. Un peu comme quand la fièvre vous fait délirer.
Pourtant, Rico avait été merveilleux. Je m’étais endormie épuisée dans ses bras […] »
(SAR, p. 56). Son comportement protecteur, cependant, ne veut pas dire que Rico serait
sans influence sur sa femme. Il essaie de diriger sa carrière de peintre mais le fait en
l’encourageant et en l’assurant de ses capacités. Comme dans sa relation avec Yinka,
Madeleine libère le passage à ses besoins de femme sans se priver et n’a pas honte de
prendre plaisir dans sa vie intime qui, désormais, n’est pas sujette à des essais de
conception d’un enfant : « J’aime sa [de Rico] manière de me faire l’amour » (SAR,
p. 8). Les mondes masculin et féminin semblent coexister en symbiose et n’étant plus en
opposition.
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Il est cependant vrai que même aux Antilles Madeleine n’échappe pas
complètement aux influences africaines qui sont incarnées par le personnage de
Raymond. Madeleine avoue qu’elle lui doit beaucoup (SAR, p. 9) et on doit constater
que le fait qu’elle se relance dans la vie professionnelle de peintre est dû à un homme
comme cela aurait été le cas en Afrique. Qui plus est, Raymond n’arrête pas d’évoquer
ses origines d’Africain dont il se vente surtout en ce qui concerne sa relation envers les
femmes : « Outre cinq enfants, que sa femme élève avec constance, on lui en attribue
quelques autres, semés dans plusieurs communes de l’île » (SAR, p. 11). On voit que le
modèle de société partriarcale où la capacité d’homme d’engendrer beaucoup d’enfants
sans être obligé d’en rendre comptes à sa partenaire est présent même aux Antilles et
que Rico représente donc une exception. Pourtant, cela ne porte aucune signification si
nous nous rendons compte que Madeleine a choisi son mari de son propre gré et que la
confiance qu’elle a en elle l’a menée à choisir quelqu’un qui la respecte : une élection
d’une importance majeure en considérant le développement du personnage dans son
détachement de la tradition. Même si nous pouvons nous apercevoir que l’évolution de
la situation est favorable, il est aussi vrai que quelques visées à franchir demeurent. La
conversation que mènent Solange, Raymond, Rico et Madeleine à propos de l’utilisation
du mot « peintre » sous forme féminine en est un bon exemple. Tout en convenant que
son emploi gagne de l’importance, ils observent aussi qu’il sera impossible qu’un
homme choisisse un pseudonyme féminin en Afrique « Un nègre, offrir à une femme la
gloire de son succès ?... Il ricane et secoue la tête de droite à gauche comme s’il venait
d’entendre une bonne blague » (SAR, p. 15-16) et il est donc possible de conclure que
l’égalisation des femmes et des hommes n’a pas encore été achevée et qu’il y a encore
un long chemin à parcourir.
Le chemin de Madeleine vers la liberté et sa délivrance des contraintes de la vie
traditionnelle ne commence que quand elle se rend compte sa valeur et que sa situation
devient insupportable. Nous la classons parmi les femmes en lutte dont le conflit se joue
à deux niveaux : c’est celui contre elle-même et celui contre le reste de la société. Son
développement se manifeste surtout dans ses relations avec les hommes différents qui
changent de nature avec le temps. À la fin du roman, il est possible de la placer parmi
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les femmes fortes même s’il est visible qu’elle fuit toujours son passé dont elle a peur et
qu’elle profite de la protection de son mari qu’elle ne songe pas à contester comme il
constitue un pivot de sa nouvelle vie. Comparée à Madeleine, Félicité se trouve dans la
position de femme forte dès le début de l’histoire ne serait-ce que du fait qu’elle a appris
à jouer le jeux des hommes. Or, nous devons constater qu’elle n’est pas à la recherche
d’une société égalitariste elle non plus mais qu’elle crée son égalité de sa façon. La
position de la mère de Madeleine est double : vis-à-vis de sa fille elle représente une
femme forte comme elle exerce une grande autorité et Madeleine n’a aucun moyen de
s’opposer à son avis. En revanche, en relation avec la coutume, elle devient une femme
faible, comme la loi tribale l’oblige à entreprendre des décisions qu’elle prend pour les
siennes mais qu’elle n’aurait peut-être pas fait si elle n’était pas sous influence de la
coutume qui traverse toute sa vie et dont elle ne se rend même pas compte, tellement la
tradition constitue une partie intégrante de son existence.
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7. Le Lys et le Flamboyant : Simone Fragonard (ou Kolélé) et M’ma
Eugénie
7.1 Résumé
La parution du sixième roman d’Henri Lopes, Le Lys et le Flamboyant, date de
1997. Ce roman est conçu comme une biographie de la chanteuse Simone Fragonard
alias Monette alias Kolélé, telle que présentée dans le témoignage de Victor-Augagneur
Houang, fils de la métisse Odette, amie de Simone, et d’un Chinois. Une telle
constellation laisse comprendre qu’il s’agit d’un milieu assez diversifié qui encourage la
naissance de beaucoup d’unions improbables mais d’autant plus inspiratrices. L’histoire
s’ouvre par une scène d’enterrement de Simone que le narrateur appelle tantine et où le
lecteur peut s’appercevoir de l’entourage hétérogène qui cernait la vie de l’héroïne et où
apparaissent ses trois enfants, tous nés d’un père différent. C’est après la fin de la
cérémonie que Victor rencontre la mère de Simone, M’ma Eugénie, qui le charge de la
rédaction de la vie de sa fille pour qu’elle ne soit jamais oubliée. Victor donc commence
à reconstituer le curriculum vitae de tantine Monette à partir du moment dont il avait
des témoignages fiables, c’est-à-dire, du moment où un certain Lomata apparaît dans la
maison de M’ma Eugénie qui projette le mariage de celui-ci avec sa fille, alors étudiante
de 17 ans chez des Bonnes sœurs. Simone Fragonard part de la maison de sa mère pour
rejoindre son mari et pour donner naissance à son premier fils Léon. Or, ce mariage
dure seulement jusqu’au moment où Monette, découvrant l’infidélité de son époux,
quitte sa maison pour se refugier avec son fils chez son amie Marie-Chinoise où, à cette
époque-là, loge aussi Victor avec sa mère. Les tentatives de consolation se terminent
lors d’une soirée où, après plusieurs semaines de négotiations, Monette sort avec
Lomata pour dîner ensemble mais finit par être frappée par lui. Le destin de Simone est,
dans les années qui suivent, influencé par les hommes qu’elle rencontre et dont certains
figurent comme ses compagnons pendant un moment mais la relation avec lesquels ne
dure jamais trop longtemps. Tel est le cas d’Éric Batestti, de Guy Sergent, de Dr.
Salluste, aussi bien que de Jeannot Boucheron avec qui elle part en France.
Contrairement à ses attentes, la vie française n’est pas pour Monette ce qu’elle a
toujours imaginé. À sa grande surprise, tous les gens ne vivent pas là bas avec des
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domestiques qui sont toujours à leur disposition. Cette situation incite une activité chez
Simone qui, désormais, tente d’entretenir la maison de son mari par son propre travail
qui lui permet aussi d’envoyer ses enfants dans les écoles de qualité pour qu’ils puissent
avoir un meilleur avenir. La rencontre avec une de ses amies de l’époque du couvent qui
est acompagnée de Batestti et qui est devenue, à ses côtés, une dame de rang, provoque
chez Monette une cotemplation sur la vie qu’elle menait jusque-là et elle se rend compte
qu’elle aimerait bien avoir un futur meilleur que celui qui l’attend à côté de Boucheron.
Quand elle est frappée par la tuberculose et qu’elle doit partir dans un sanatorium afin
de commencer une cure sérieuse, elle choisit exprès celui qui est plus éloigné de son
mari et après avoir subi son traitement, elle le quitte pour tenter sa chance et améliorer
sa situation. À Paris, elle se lance donc dans un concours de chant où elle emporte le
victoire et on lui offre de chanter dans le club Rêve, ce qui lui permet de gagner sa vie.
C’est ici qu’elle fait connaissance de M. Verdoux dont le récit sur le besoin de travailler
assidûment la voix pour pouvoir devenir un véritable chanteur l’enchante tellement
qu’elle quitte le club pour se consacrer entièrement aux cours que M. Verdoux lui
donnait. Ainsi, elle connaît quelques rôlse dans les opéras et gagne sa renomée. C’est
après cette partie de sa vie qu’elle rencontre Victor qui, cependant, ne la reconnaît pas
au début et qui croit qu’elle s’appelle Célimène. Il noue une relation avec elle parce
qu’il espère qu’elle pourrait lui donner une trace de sa tantine Monette qu’il recherche à
la demande de sa mère. Il ne découvre sa vraie identité qu’après avoir passé plusieurs
nuits avec elle. Or, avant qu’il lui fasse des reproches, elle lui rappelle qu’en vérité, ils
n’ont aucune liaison consanguine, c’est seulement la tradition qui le menait à l’appeler
tantine. Comme avec les autres hommes de sa vie, Monette abandonne Victor quand
cela lui convient et ils ne se rencontrent de nouveau que lors d’un voyage d’affaires de
Victor en Chine. Ici, il a affaire à Monette qui a changé son identité et passe pour une
Américaine. Il découvre que pendant le temps d’absence, sa tantine est devenue une
communiste militante. Suit une période où Victor perd Simone de vue encore une fois
jusqu’au festival du film qui se tient à Alger en 1969. Lors de la prochaine réapparition
de Kolélé, elle milite pour les droits de femmes lors d’un tour de l’éducation populaire
dans les pays africains. Le lecteur peut s’apercevoir, cependant, qu’avec l’âge, le
militantisme de Monette diminue et qu’à la fin, elle décide de retourner dans son pays
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natal qui lui manque et où elle construit une maison pour pouvoir profiter du calme de
la campagne quoiqu’elle n’arrête jamais complètement son activité de chanteuse. À la
fin, c’est Kolélé qui est atteinte par une maladie inconnue que le lecteur découvre. Elle
n’arrête pas pour autant de donner des leçons sur la condition du peuple africain et des
métis à son entourage. Celui-ci ne cesse pas d’admirer l’acharnement de Kolélé qui est
présent en elle jusqu’à la fin.
7.2 Analyse
La vie adolescente de Kolélé correspond à la vie d’une fille de couleur ordinaire
de colonie que cela soit la façon dont elle est éduquée chez des Bonnes Sœurs ou la
façon dont son futur mari est choisi et dont le mariage est finalement convenu même si
la mariée, paraît-il, n’a pas encore atteint l’âge adulte.
Sur cette photo [de mariage], tantine Monette a un visage d’adolescente. M’ma
Eugénie le confirme. Le mot n’existant pas dans notre langue, elle dit, sur un ton qui
plaide l’indulgence, que sa fille n’était encore qu’une enfant et qu’elle ne savait rien de
la vie ; que tel est le lot des femmes et qu’il n’y a rien à y faire. [...] Les calculs simples
que j’ai effectués et les recoupements auxquels j’ai procédé me permettent d’affirmer
que tantine Monette se maria vraisemblablement à l’âge de dix-sept ans (LF, p. 77).
On peut voir que le destin de Monette n’était pas alors dans ses propres mains étant
plutôt objet des décisions tribales : ce sont des gens plus âgés qui étaient censés faire les
décisions à sa place vu qu’elle n’était pas considérée capable de faire de bons choix. Il
est clair que l’éducation obtenue chez des Bonnes Sœurs invitait Monette à accepter son
destin tel qu’il était projetté pour elle par ses proches et à ne pas s’opposer à leurs
ordres. Le respect pour les personnes âgées est présent dans la tradition indigène aussi
bien que dans la religion européenne et il n’est donc pas surprenant que si ces deux
aspects culturels ont des points communs, le mariage de Monette a eu lieu dans une
église à l’européenne mais que la fête qui s’ensuivit comportait des éléments d’un
mariage traditionnel pour renforcer l’union des nouveaux mariés. Il est possible de
constater que c’est déjà le premier mariage de Monette qui était exposé à une double
influence culturelle mais il est clair que le rôle principal y était joué par la tradition, que
cela soit la cérémonie même ou la vie des époux après le mariage, considérant que
Monette était trompée par son mari sans que personne ne considère cela anormal. Les
tentatives de la famille d’arranger le mariage qui s’est retrouvé ainsi en ruines
51
pourraient, quant à eux, être aussi bien jugés comme une manifestation de la loi tribale :
« Mais tantine Monette ? bredouillai-je. De quoi je me mêle ? Elle est avec son mari.
[...] Les époux unis par Dieu sont faits pour vivre ensemble » (LF, p. 112). Cependant,
nous pouvons considérer la famille de Monette libérale comme personne ne la force de
rester avec son mari quand il se montre violent envers elle. Sa famille ne l’empêche pas
de procéder au divorce (LF, p. 114) aussi bien qu’elle procure un abri à Monette où elle
peut demeurer avec son fils contrairement à ce qu’on lui aurait proposé au couvent.
La différence des autres relations par rapport à son premier mariage est celle
que, désormais, c’est Monette qui choisit ses compagnons. Cela est son premier pas
dans le détachement de la tradition, d’autant plus que les hommes avec lesquels elle
entretient une relation sont les Européens, à l’exception de Dr. Salluste qui, quant à lui,
vient de Gouadeloupe. On peut donc dire qu’il est possible qu’après sa mauvaise
expérience avec un métis, Monette veille à bien choisir les hommes qui n’ont pas subi
l’éducation indigène. Cela ne veut pas dire, cependant, que les liaisons avec les
Européens aient facilité sa position de femme dans la société traditionnelle. Même si sa
famille est contente pour elle et l’encourage à nouer des relations pareilles (« [la mère
de Victor et Marie-Chinoise] se révélèrent prévenantes et bénirent le ciel d’avoir casé
Monette si vite » (LF, p. 130), c’est l’auteur qui souligne), elle n’échappe pas aux
préjugés visés sur les femmes de couleur par les colons. Qui plus est, elle est souvent
obligée de porter le signe d’une « ménagère », c’est-à-dire d’une femme indigène qui
partage le foyer avec un membre de l’administration coloniale mais qui n’est jamais
reconnue par celui-ci en tant que son épouse légitime : « Bien qu’ils [Monette et M.
Sergent] ne fussent pas encore officiellement mariés, ajouta-t-elle en lingala, il l’avait
imposée dans toute les réceptions et la présentait comme Mme Sergent » (LF, p. 145).
Un tel comportement de la part de Guy Sergent assure Monette de la sincérité de ses
sentiments mais en même temps cette déclaration peut-être considérée comme empirant
son cas quand, l’abandonnant avec deux enfants dont sa propre fille, M. Sergent est
renvoyé du pays. Étant donné que Monette n’arrêtait pas à jouir de certains privilèges de
la femme de colon, sa position ne cessait pas de provoquer les indigènes à proférer des
insultes envers ses enfants :
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Nous avions droit à l’énumération de tous nos grades [par la foule] : cafés-au-lait,
Blancs-manioc, bâtards, [...], enfants de putains...
- [M’ma Eugénie en réponse] : Sauvages, macaques, sales nègres ! Vous bavez parce
que vous n’êtes pas capables de faire d’aussi beaux gosses !
- [Foule] : Yéhé! Des enfants de bordelles, oui !
- [M’ma Eugénie]: Des enfants de l’amour ! (LF, p. 200, c’est l’auteur qui souligne)
Nous voyons que, par le fait d’entretenir les relations en dehors de la tribu et, qui plus
est, les relations qui ne sont pas légitimées par la cérémonie nuptiale, Monette accepte
volontairement un statut qui n’est pas encore admissible dans sa société et que c’est
ainsi qu’elle rompt avec celle-ci. Même si elle séjourne toujours au Congo, elle préfère
sa liberté à la pleine acceptation par la société qui la forcerait de se conformer à ses
exigences sans se soucier de son bien-être.
Le déplacement de Monette en Europe avec Jeannot Boucheron ne représente
pas une amélioration considérable de sa situation. Telle qu’elle était suivie de préjugés
en Afrique parce qu’elle a osé vivre avec les Blancs, en Europe, elle est objet du
racisme inverse, surtout prononcé par la famille de son nouveau mari mais, avec
l’étonnement, aussi par Boucheron lui-même :
[les débarqués d’Europe] finissaient par se résoudre à l’évidence et à assumer le
rôle de dirigeants que tout Européen se devait d’avoir aux colonies pour peu qu’il ne
voulût pas dégénerer. Parce qu’ils avaient besoin d’être éduqués, commandés, châtiés,
les indigènes, mon cher pépé ! Pourquoi alors, avait interogé, perverse, la mémé, un jour
qu’elle se trouvait en tête à tête avec Jeannot, pourquoi donc leur en avait-il amené une,
d’indigène ? (LF, p. 252)
Paradoxalement, c’est sa vie avec un Blanc en Europe dont elle a souvent rêvé qui,
finalement, l’approche de la tradition dont elle a essayé de se détacher. C’est en
assumant son identité pour montrer à la famille de Jeannot ses qualités, qu’elle réalise
que c’est ses origines qui font d’elle une meilleure personne, capable de surmonter un
obstacle quelconque que cela soit le besoin d’apprendre une autre langue ou de
s’adapter à un nouvel endroit (LF, p. 260). Sa volonté de s’éduquer est d’autant plus
grande qu’elle ne rencontre que de l’hypocrisie de la part des gens qui normalement
devraient l’encourager. Elle se retourne vers son passé quand elle s’aperçoit que sa fille
Maud, née blonde, est en voie de nier ses ancêtres : « Monette l’avait [Maud] vertement
rappelée à l’ordre [...]. En la tançant et agitant l’index devant son nez, elle lui rappelait
53
qu’elle descendait d’une grand-mère noire, encore vivante, alors que le grand-père
gaulois était introuvable et appartenait presque à la mythologie » (LF, p. 269). Son
déplacement en Europe représente tout de même un mouvement vers une plus grande
liberté quoiqu’on puisse dire qu’en fin de compte, elle se retrouve sous l’influence d’un
nouveau ordre familial qui essaie de la soumettre à ses besoins. Or, comme elle a du mal
à accepter la nouvelle famille pour sienne, son détachement de la tradition prend la
forme définitive. Elle se lance dans son chemin individualiste qu’elle décide de protéger
désormais des personnes non désirées ce qui se manifeste par un changement fréquent
de nom et par l’acceptation d’une nouvelle identité où, inopinément, la tradition se
réserve une place malgré elle comme il en témoigne son nouveau métier de chanteuse.
Nous pouvons supposer que c’est à cause de son mal du pays, qu’elle redécouvre en elle
son sens inné pour la musique et qu’elle entonne de plus en plus souvent les chansons
qu’elle a connues lors de son séjour au Congo et qui ont la force de lui rappeler son
pays natal d’autant plus qu’ils occupaient une place importante dans l’éducation
traditionnelle (LF, p. 275). Son chant l’aide à assumer ses origines surtout si nous nous
rendons compte qu’après avoir parcouru une formation de chanteuse d’opéra, elle
revient tout de même aux rythmes qui sont propres à l’Afrique. Pour trouver sa vraie
personnalité et la place dans la société qui lui conviendrait, elle mélange, encore pour
une fois, ce qu’il y a de bon dans la tradition africaine tout comme dans l’européenne.
Nous pouvons observer qu’après sa relation avec Boucheron, Monette choisit de
commencer la vie d’une femme solitaire où elle ne s’attache plus aux hommes de la
même manière qu’ils s’attachaient à elle. D’une certaine façon elle adopte donc le
comportement des hommes congolais qu’elle désapprouvait jusque là.
Malheureusement pour Victor, cela se manifeste surtout dans sa relation avec Monette
qui lui envoie ses adieux dès qu’elle a impression que sa relation avec lui devient trop
sérieuse et qu’elle risquerait de perdre sa liberté. « Nous n’avons rien commis de grave.
Juste un péché merveilleux. Mais il fallait en rester là » (LF, p. 310). Sa décision est
surprennante surtout quand nous réalisons que depuis le début de leur liaison, elle savait
bien que Victor est à sa recherche et qu’elle a quand même décidé de venir en contact
avec lui, même si elle devait se rendre compte qu’il allait découvrir la vérité sur ses
54
nombreux changements d’identité plus ou moins tôt. Si nous laissons de côté
l’hypothèse qu’elle pourrait vouloir entretenir une liaison amoureuse avec
Victor-Augagneur seulement pour se persuader de sa beauté subsistante dont il
l’assurait souvent quand il était petit, il est vraisemblable qu’elle commence sa relation
avec lui justement par la curiosité de retour sur ses origines et le passé qu’elle a essayé
d’oublier et qu’il représente.
En fin de compte, l’expérience de vie en couple avec les Européens n’est pas
inutile. Nous avons déjà vu que l’influence des hommes sur la vie de Monette est
importante. C’est grâce à Boucheron qu’elle se rend compte de l’ignorance des Français
qu’elle a pu rencontrer en Europe. Cette ignorance l’a fait tenir compte de l’absurdité du
colonialisme qu’elle n’a jamais songé à mettre en question lorsqu’elle se trouvait encore
en Afrique : « Il n’y avait pas en France de Noirs à commander. Les métiers réservés à
ceux-ci, là-bas, constituaient ici le lot des Blancs. Patron là-bas signifiait au mieux
contremaître ici » (LF, p. 249). Cette réalité, qui fait baisser Boucheron dans le rang
permet à Monette de réaliser que celui-ci n’est en aucune mesure meilleur qu’elle.
Ainsi, Kolélé a pu se libérer de la domination de son mari dont le père soulignait
souvent par le manque d’imagination que « Moins le Blanc est intelligent, plus il trouve
le Noir bête » (LF, p. 260) et qui reflète bien sa coexistence avec la famille des
Boucherons. Le mépris pour les « petits Blancs » (LF, p. 249) qu’elle découvre en elle
est à l’origine de son activisme qu’elle n’aurait peut-être jamais lié avec le communisme
s’il n’y avait pas pour Dr. Salluste qui faisait partie de sa vie encore au Congo : « C’est
lui qui le premier, un jour où elle les avait condamnés dans des termes qu’elle
empruntait à Sergent, modifia la vision de Monette sur les comunistes » (LF, p. 210).
Encore une fois, elle choisit ce qu’il y a de meilleur de l’influence des hommes pour
l’incorporer dans sa vie et pour lui donner du sens. Elle devient donc « une femme
libre » (LF, p. 248) et dit à qui veut l’entendre qu’elle n’a « pas peur de réfléchir » (LF,
p. 388) comme si cette affirmation l’exluait de la classe des femmes. Sa libération de la
domination masculine l’incite à se battre pour la libération de son peuple de la
domination coloniale. Nous pouvons supposer que, dans sa tête, ces deux ordres étaient
quasiment égales comme elles incitent à l’oppression du plus faible. Qui plus est, nous
55
pouvons constater que le droit colonial encourageait d’une certaine façon le maintien de
la situation des femmes dans la société traditionnelle dans l’état des choses comme
l’organisation de la colonie n’invitait pas les femmes à une autre éducation que celle
chez des Bonnes Sœurs et ne créait pas les conditions propices pour le travail des
femmes. Il est possible de dire que, d’une certaine façon, les colons seulement
encourageaient l’existence de la lois tribale sous sa vieille forme et ne chercheaient pas
à la changer.
Cependant, on peut voir que pour les femmes qui ont toujours vécu sous l’ordre
de la tribu et qui ne sont jamais parties en Europe, le raisonnement de Monette qui veut
changer leur situation est difficile à accepter. En effet, elles la comprennent comme
quelque chose de naturel.
- Qui l’apostropha une paysanne déjà mûre et à la voix forte, qui donc t’a raconté que
la polygamie était un mal ?
- Voudrais-tu garder ton mari pour toi seule, comme les Blanches ? enchérit une
autre. Et qui nous nourrira ?
Au cours du débat où Kolélé tenta de justifier sa ligne, la doyenne qui l’avait
interpellée lui expliqua combien elle était heureuse, elle, de posséder des coépouses,
compagnes de grande utilité dans les travaux de ménage et qui constituaient souvent des
alliées indéfectibles et efficaces pour rappeler à l’ordre leur époux [...] (LF, p. 356).
À la fin, Monette doit reconnaître que « Finalement [...] rien n’a changé sauf moi. Tout
est comme à l’époque de la colonie » (LF, p. 387), une vérité nettement perceptible
quand nous contemplons sa mère. Même si, au début, c’est elle qui choisit son mari
selon la coutume, son influence sur sa fille ne cesse pas de diminuer tout au long de
l’histoire mais, en même temps, elle ne songe jamais à changer sa position vis-à-vis de
la vie traditionnelle. Quand, après son divorce, Monette décide de loger chez Marie-
Chinoise plutôt que chez sa mère, M’ma Eugénie l’accepte. Tout comme ce qu’elle
considère comme d’autres bizarreries chez sa fille qui s’oppose à la coutume (LF,
p. 84). Ainsi, elle ne se mêle plus dans le choix des compagnons pour sa fille mais se
montre reconnaissante à chaque fois que sa fille noue une nouvelle relation comme cela
signifie qu’elle ne restera pas toute seule avec les enfants. Ceci serait impensable du
point de vue de la coutume : « M’ma Eugénie se frappait dans les mains pour bénir les
ancêtres de leur avoir enfin envoyé un gendre taillé sur mesure au-delà de toute
espérance : de quel plus beau parti aurait-elle pu rêver que de ce Noir [...] ? » (LF,
56
p. 196). Or, il est vrai qu’elle n’approuve pas toutes les démarches de Monette, surtout
après son retour d’Europe, et qu’elle ne se prive pas des commentaires méprisants sur
l’importunité d’un tel comportement qui est tellement différent de celui qui lui serait
propre. Une situation pareille survient souvent quand quelqu’un vient rendre visite à
Monette :
- Ma fille, implorait la vieille, un visiteur est toujours quelqu’un qui vient t’honorer
ou t’apporter une nouvelle importante.
- Pas celui-là, pas Sinoa [surnom de Victor]. Lui, c’est notre enfant, non.
La vieille ne voulait rien entendre d’une telle logique et y allait de sa parabole. Elle
contait la fable d’un roi qui périssait assasiné pour avoir négligé d’accorder audience
à un mille-pattes (LF, p. 391)
Le lecteur peut donc s’apercevoir de la persévérance de la coutume dans la vie des
indigènes, surtout celles de la vieille génération mais son importance ne mène pas
M’ma Eugénie de nier sa fille et elle se montre même fière de son succès aussi bien
qu’encourageante quoique certaines démarches de Monette peuvent lui sembler
étranges. La coutume demeure quelque chose d’ordinaire pour M’ma Eugénie et c’est
aussi pour cela qu’elle est sa porteuse dans les yeux de ses proches sans que cette image
soit due tout simplement à son âge. Il est donc compréhensible que lors de l’enterrement
de Monette, elle recourt à la façon traditionnelle d’exprimer son chagrin même si elle
est dévisagée avec refus par des gens qui n’ont jamais été formés par l’éducation
indigène.
Soutenue par deux proches, la vieille M’ma Eugénie était agitée de spasmes et
de convulsions. Elle avait, selon la coutume, le corps saupoudré de terre et la poitrine
nue. Ses seins flasques pendouillaient telle une paire de chaussettes vides. Gênés, la
blonde et l’Indien ont baissé la tête (LF, p. 13).
Il est clair que Monette a réussi de se libérer de l’influence de la tradition sur sa
vie sans qu’elle prête attention aux voix méprisantes. Elle fait ce qu’elle considère
comme le meilleur pour son avenir aussi bien que celui de ses enfants. C’est pour cela
que nous la classons parmi les femmes fortes comme elle n’a jamais fait preuve
d’hésiter même si elle prenait des décision qui sont normalement jugées difficiles pour
les mères. Après sa libération de la domination de la coutume sur sa vie, elle choisit la
voie individualiste et décide de ne pas fier son destin aux hommes qui l’ont souvent
déçue mais qui l’ont aidé en même temps dans son développement personnel. D’une
57
certaine manière, c’est ses relations avec les hommes qui lui permettent de réaliser
beaucoup de choses et qui font d’elle ce qu’elle est à la fin du roman : une femme qui
rassemble les aspects culturels de la tradition, tels que la musique, avec sa personnalité
d’une femme libérée. En ce qui concerne la mère de Monette, encore une fois, nous ne
pouvons pas la juger comme une femme faible seulement parce qu’elle se soumet à la
tradition. Celle-ci fait tout simplement partie intégrante de sa vie et nous pouvons nous
apercevoir que tout au long du roman, M’ma Eugénie représente un pivot auquel
recourent les autres membres de la famille dans les moments clés de leurs vies.
58
8. Le Dossier classé : Mama Motéma, Tantine Élodie (et Nancy)
8.1 Résumé
Dossier classé, le septième roman de notre auteur, a vu le jour en 2002. Lazare
Mayélé, le journaliste américain de revue African Heritage, est envoyé à Mossika, le
pays de ses ancêtres, pour effectuer une recherche qui lui servira de base pour la
rédaction des articles pour le magazine. Ce voyage est accepté par Lazare non
seulement à cause de la vision d’un séjour dans un pays tropical mais aussi parce qu’il
espère de pouvoir effectuer une enquête qui permettra d’éclaircir les circonstances de
l’assassinat de son père Bossuet, surtout l’identité de la personne responsable de cet
événement. Ce retour dans le pays qu’il a dû quitter à l’âge d’enfant dans les bras de
Mama Motéma, la compagne de son père, déclenche chez Lazare une chaîne de
souvenirs qu’il a pensé longtemps oubliés, en le menant à la redecouverte de la part
africaine de sa personnalité. C’est surtout la rencontre avec Tante Élodie, la sœur de
Mama Motéma, qui le fait penser à celle-ci et aux années qu’ils ont passées ensemble à
Paris et où ils recevaient souvent la visite de la part de Goma, ami de son père. Ainsi, en
arrivant à Mossika, Lazare essaie tout d’abord de retrouver les personnes qui pourrait
l’enseigner sur le passé et qui pourrait lui procurer des indices qui l’aideraient à
continuer sa recherche. Il se rend vite compte que le pays africain n’est pas tel qu’il l’a
imaginé et l’on pourrait même dire qu’il est déconcerté par l’état des choses là bas : les
gens qui essaient de profiter de son ignorance du milieu aussi bien que la culture entière
qui semble être incapable de produire des conditions propices pour l’ascension des
capacités intellectuelles de l’individu, un pays où le changement officiel du régime ne
représente pas vraiment une amélioration de la situation mais seulement une variation
du nom qui lui est assigné. Même s’il retrouve la personne qu’il espère être infomée sur
la situation autour de l’assassinat de son père, docteur Antoinette Polélé, il découvre que
le climat du pays aussi bien que la grande distance temporelle rendent l’éclaircissment
de la vérité impossible. Il se contente donc de la possibilité de revoir les gens qui étaient
importants pour lui. Il s’agit de la Tante Élodie et de Goma, de même que de M. Babéla,
son enseignant. Il quitte le pays pour se retrouver avec son épouse Nancy avec la
conscience que, pour sa part, il est plus Américain que Mossikanais.
59
8.2 Analyse
Étant donné que le narrateur de l’histoire, Lazare Mayélé, n’a jamais connu sa
mère, d’origine française, on peut comprendre que, tout au long du récit, il accorde une
grande importance aux femmes qui, dans sa vie, représentaient des pivots que
normalement représentent les mères pour leurs enfants. « D’une certaine manière, je
suis l’envers des métis de la colonisation. Enfants de père inconnu, ceux-ci
recherchaient les traces d’un géniteur à la sauvette ; moi, je tente de retrouver celles
d’une mère qui m’a été arrachée » (DC, p. 114). D’un côté, cette ignorance l’approche
de la culture de son père comme c’était Mama Motéma, une indigène, qui l’a élevé,
mais de l’autre côté, il choisit une blanche pour son épouse peut-être par le souci de se
rapprocher de l’idéal maternel qu’il a pu se créer dans sa tête. De toute façon, il est clair
que les femmes jouent un rôle important dans la vie de Lazare comme, après la
disparition de sa mère, c’était sa grand-mère maternelle qui a décidé de s’occuper de lui
malgré le désir de son gand-père. Après la disparition de son père, c’est-à-dire du seul
exemple masculin digne de cette désignation, son destin et son éducation étaient confiés
encore une fois entièrement au sexe faible, y compris l’acquisition de toute information
qu’il a pu avoir sur ses ancêtres. Il n’est donc pas étonnant que, proportionnellement, les
mentions de Mama Motéma sont beaucoup plus nombreuses que celles de sa femme
qu’il a du laisser aux États-Unis pendant son voyage en Afrique qu’on pourrait
considérer comme un voyage de retour vers ses racines.
On pourrait dire que ce voyage commence déjà durant les années que Lazare a
passées avec Mama Motéma à Paris. Comme il l’observe : « [...] mon information
repose sur une tradition orale dont Mama Motéma était le dépositaire » (DC, p. 75).
C’est par son intermédiaire que Lazare a l’accès à l’Afrique. Non seulement que les
récits de Mama Motéma ont une grande force évocatrice, mais aussi elle se sert de la
langue française d’une façon tellement individuelle qu’à part d’évoquer le passé en
Lazare, elle lui permet aussi de reconstituer le pays de son enfance. L’emploi fréquent
des proverbes africains ne fait que faciliter ce procès. « Elle voulait insuffler en moi le
meilleur de l’âme du pays et m’en divulguer les mots de passe » (DC, p. 34). C’est
grâce à elle que Lazare dispose d’une connaissance de base des langues indigènes de
60
Mossika : « Avec obstination, elle me donnait des cours afin que je n’oublie pas la
race » (DC, p. 12, c’est l’auteur qui souligne). Elle représente donc pour Lazare une
mémoire vive et pendant longtemps aussi le seul lien avec son histoire personnelle qui
sinon serait oubliée.
Or, si nous voyons que Mama Motéma éprouvait des sentiments maternels
vis-à-vis de Lazare, c’est grâce à sa relation avec son père qu’il en était ainsi, sauf que
nous pouvons constater que celui-ci n’a pas toujours été correct avec elle. Bossuet part
en Afrique où il épouse Mama Motéma, qui lui « avait été promise quelques années
avant la naissance [de Lazare]. Un arrangement parental entre les familles» (DC,
p. 115) mais qui découvre la liaison de son mari avec la mère de Lazare qu’après être
arrivée en France (ibidem) et Lazare souligne qu’elle était « rivale de sa mère » (DC, p.
113). Cependant, le lecteur peut observer qu’elle représentait plutôt un « joli coup pour
la politique » (DC, p. 115) comme elle s’est vite retrouvée abandonnée à son sort et
qu’elle a été trompée par Bossuet au moins une fois avec le docteur Antoinette Polélé :
« Vrai ou faux, le ragot affectait Motéma. Quand elle rencontrait le médecin dans
Likolo, elle changeait le trottoir » (DC, p. 177). De ce point de vue, il est surprennant
qu’elle ait fini par adopter Lazare si nous considérons le fait que Bossuet, influencé par
la culture occidentale, ne l’a peut-être jamais perçue comme son épouse légitime. D’une
certaine manière on pourrait dire qu’il a adopté le comportement des anciens colons qui
se procuraient des femmes indigènes alors qu’il séjournaient dans les pays africains sans
les épouser. Nous devons comprendre que l’acceptation de ce sort par Motéma est due à
la force de la coutume aussi bien qu’à la place qu’occupait la foi dans sa vie « [...]
Mama Motéma le [Goma] traitât de mécréant et lui enjoignît de cesser ses blasphèmes.
Au lieu de quoi il renchérissait en proférant d’un ton bourru des boutades qui effrayait
Mama Motéma parce qu’elles mettait en cause l’existence de Dieu » (DC, p. 53). Même
si elle se trouve reportée en Europe, un milieu étrange pour elle, elle ne cesse pas de
mener une vie fortement influencée par la coutume. Elle se reconstitue un monde qui
correspond à son Afrique à elle, ce qui se manifeste aussi dans ses récits qui ne
correspondent pas complètement à la réalité. Lazare s’aperçoit de ce fait en arrivant à
Mossika comme il découvre un milieu qui est tout autre qu’il ne l’avait imaginé à
61
travers les récits de Mama Motéma et doit faire face à la vraie Afrique : « Je ne sais
quelle est la part de la réalité et celle de la légende dans ce que m’ont rapporté Goma
[et] Mama Motéma [...] » (DC, p. 92). Nous pouvons dire que Goma a fait partie des
hommes qui étaient de l’importance dans la vie de Mama Motéma et dont le nombre
total remontait à trois : un était Bossuet Mayélé, qui l’a déçue mais qui l’a bénie d’un
fils qui représente le deuxième homme dans la vie de Mama Motéma et le troisième est
Goma. Sans qu’ils soient liés par une relation amoureuse, nous pouvons constater que
Goma est important dans la vie de Mama Motéma non seulement par son amitié mais
aussi par le fait que ses visites lui rappelaient l’Afrique. Cela est perceptible dans les
scènes qui suivent l’arrivée de Goma au foyer de Mama Motéma qui peuvent être
comparées à un rite : « D’un geste désivolte, il tendait à Mama Motéma un sac en
plastique, qu’elle repoussait de mille protestations avant de l’accepter en soupirant, en
lamentant qu’il ne fallait pas, qu’il ne fallait pas, que vraiment c’était trop. Chaque fois
la même comédie de part et d’autre » (DC, p. 52). Si nous considérons le fait que Mama
Motéma n’a jamais été acceptée par Bossuet en tant qu’objet de ses sentiments plus
profonds, sa personne peut être classée, même dans son jeune temps, dans le rang des
femmes avec une grande aura de maternité auxquelles est associée la sagesse populaire
provenant du temps des ancêtres.
Quoique, dans la pensée de Lazare, Mama Motéma est liée à la tradition, il est
visible qu’il perçoit clairement la différence entre l’occident et l’Afrique qu’après son
arrivée à Mossika. C’est ici qu’il voit que la coutume traverse le vie quotidienne
mossikanaise entièrement jusqu’au point qui excède ses attentes. Telle que Mama
Motéma représente une Afrique légendaire, Tante Élodie passe pour une Afrique réelle
d’aujourd’hui et symbolise pour Lazare un point depuis lequel il peut lancer ses
recherches et qui l’aide à comprendre l’état des choses. Cela n’empêche pas que le
protagoniste soit fortement déconcerté par la réalité qui s’offre à ses yeux, surtout en ce
qui concerne la position des femmes dans la société dont la défaveur se manifeste par
exemple dans l’habitude de désigner la main gauche « bras femelle » ou « maudite »
(DC, p. 203) et la main droite « bras mâle » (DC, p. 103). Il est évident que Tante
Élodie se rend compte de l’éloignement de son neveu de la tradition et quand elle voit
62
l’occasion de l’approcher de l’Afrique actuelle, elle n’hésite pas. On peut constater cela
grâce à sa proposition à Lazare de l’appeler « maman-maman » étant donné que Mama
Motéma est décédée et qu’il n’a pas d’autres proches parents (DC, p. 200). Qui plus est,
elle essaie d’assurer ce passage symbolique de Lazare vers l’Afrique réelle par le fait de
lui proposer une femme indigène qui pourrait être sa deuxième épouse : « Il faut donc à
ta mamdame-là [Nancy] une coépouse, mon fils. Et la gazelle que tu vois là, c’est une
ménagère capable d’entretenir comme il faut un château de Baroupéen » (DC, p. 198).
Moins qu’une manifestation de manque de respect envers les femmes de la part de
Tante Élodie, il s’agit ici de l’expression de sa conviction sur le fonctionnement correct
de la société et des couples. Lazare n’ose même pas refuser ouvertement cette
proposition comme les essais de le faire ne rencontrent pas la compréhension de la part
de Tante Élodie : « C’est bien ce que l’on m’avait dit. La femme-là [Nancy] t’a fétiché,
mon fils » (DC, p. 199). On dirait qu’à Mossika que découvre Lazare, il est impensable
qu’une relation entre homme et femme puisse être fondée sur quelque chose d’autre que
le profit mutuel : « Il a voulu savoir si j’avais épousé une Blanche ou une Noire. – Ni
l’une, ni l’autre. – Une Asiatique ? – Non plus. – Une métisse, alors. – Non plus... J’ai
épousé la femme que j’aime. Il s’est étonné qu’après plus de trois ans de mariage je
n’eus pas d’enfant » (DC, p. 174). Il se rend vite compte que l’avis de la femme dans le
pays ne compte pas beaucoup et, par des moments, il est horrifié par l’approche de
certains hommes envers les femmes, parmi lesquels M. Babéla, qu’il sait sinon assez
éduqué : « La bière n’était pas assez fraîche. Il a rappelé la jeune femme et lui a parlé
en langue sur un ton vif. J’étais gêné pour elle. Comment ce républicain, laïc,
moderniste, pouvait-il humilier publiquement une femme ? » (DC, p. 165).
Toutefois, on peut supposer que s’il y a de l’accord de la part des jeunes filles
pour entretenir des relations avec des hommes qui sont plus âgés et souvent mariés,
c’est parce qu’elles espèrent pouvoir améliorer leur situation : « Quelle jeune fille
refuserait un parti de ton calibre ? Épouser un Africain du pays des Baroupéens, c’est
l’occasion d’aller voir le pays de Tino » (DC, p. 197). Et Lazare s’aperçoit donc que les
femmes qui se proposent elles-mêmes aux hommes ne représentent rien d’extraordinaire
à Mossika, qu’il s’agit « des adolescentes [qui] racolaient dans les halls de la
63
réception [de l’hôtel]» (DC, p. 88) ou de Gigi, la propriétaire d’un dancing, qui se laisse
conduire à la chambre d’hôtel de Lazare par Mowudzar, son guide, plus par le plaisir de
séduire qu’autre chose (DC, p. 179). S’il y a une exception parmi les femmes que
Lazare rencontre en Afrique, c’est le docteur Antoinette Polélé chez laquelle il découvre
de l’intélligence qui se marie avec de la beauté « [la] dernière image que j’emporte
d’elle, c’est celle d’une femme courageuse développant un raisonnement à
contre-courant de son milieu » (DC, p. 224). Malgré cela, il est forcé d’admettre que,
même s’il s’agit d’un personnage qui mérite d’être apprécié, elle est toujours sous
l’influence du milieu qui ne lui permet pas d’évoluer librement que ce soit le fait qu’elle
est l’objet de la rumeur qu’elle n’arrive pas à dementir (DC, p. 220) ou le fait qu’elle
renonce à la poursuite de la vérité concernant l’assassinat de Bossuet Mayélé et de son
mari comme elle se rend compte que l’atmosphère dans le pays n’y invite pas et que la
société mossikanaise n’est pas prête à telles révélations (DC, p. 222). Qui plus est,
même cette femme éduquée qui doit une grand partie de sa culture à Bossuet Mayélé et
qui « était encore séduisante » (DC, p. 213), selon la description de Lazare, n’échappe
pas à la couleur locale comme elle figure dans la mémoire commune en tant que
maîtresse de nombreux hommes et que son rôle dans l’histoire de l’assassinat du père de
Lazare est presque réduit à ce titre.
Même si Mama Motéma et Tante Élodie sont des sœurs, nous voyons que leur
positionnement envers la tradition n’est pas le même. Mama Motéma reste attachée à
son pays natal à travers ses connaissances et croyances. Elle en imprègne ses récits et
fait de Mossika un endroit légendaire ce qui cause qu’elle aussi est idéalisée par Lazare.
Le mode de vie de Tante Élodie, au contraire, reflète une situation où la tradition
représente la vie quotidienne et elle est donc perçue par Lazare d’une façon réaliste.
D’une certaine manière, nous pouvons affirmer que le déménagement de Mama
Motéma en Europe lui convient comme c’était à cause de la coutume qu’elle a dû
supporter l’humiliation d’être la deuxième femme de Bossuet Mayélé qui n’était jamais
vraiment intéressé par elle et les récits de Mama qui modifient un peu la réalité laissent
donc entendre un désir de faire de son pays un endroit où une telle humiliation ne
pourrait pas se produire. Nous la classons parmi les femmes en lutte comme elle se bat
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pour l’attention de Bossuet et préfère quitter son pays natal avec un enfant pour Europe
où elle peut faire les choses à sa façon. Contrairement à elle, les femmes que Lazare
rencontre à Mossika se montrent sous l’influence complète de la coutume et des
habitudes sociales insatisfaisantes vis-à-vis de leur situation et développement
personnel. Ces femmes ne se rendent même pas compte des circonstances défavorables
dans lesquelles elles vivent et elles les considèrent comme un état ordinaire qu’elles ne
songent pas à contester et assistent même à son expansion. On peut le voir dans le cas
de Tante Élodie, le comportement des femmes à l’Occident est incompréhensible pour
elles comme elles considèrent l’inexistance de la polygamie comme la manifestation de
l’égoïsme aussi bien qu’un désavantage dans la gestion du foyer. Il est donc contestable
de les considérer comme femmes faibles même s’il est sûr que nous ne pouvons pas leur
assigner la marque des femmes en lutte ni des femmes fortes. Finalement, nous ne
rencontrons qu’une seule femme qui s’écarte de la normale en Afrique, qui est
Antoinette Polélé. Néanmoins, nous voyons que son intelligence la fait se résigner à la
situation au pays même si elle démeure sa propre maîtresse. Plus qu’une femme forte
elle est donc une femme en lutte qui, cependant, se montre assez passive.
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9. Une Enfant de Poto-Poto : Kimia et Pélagie
9.1 Résumé
Le huitième, et pour l’instant dernier, roman d’Henri Lopes a été publié en 2012.
Dans Une Enfant de Poto-Poto l’auteur conte l’histoire de Kimia, narrée par elle-même,
Pélagie et Franceschini qui commence par la déclaration de l’Indépendance au Congo
en 1960. Nous sommes donc à la découverte d’une atmosphère spécifique qui se
manifeste par la libération des règles et la vision des nouvelles possibilités. Pour les
deux héroïnes cela signifie l’espérance de faire leurs études en métropole. C’est pour
cela que lors de l’arrivée d’un nouveau professeur de la littérature française,
Franceschini, dont les méthodes se montrent assez révolutionnaires Kimia n’hésite pas à
changer de coursus pour améliorer ses connaissances. Une fois, quand les filles sortent
avec leurs amis, elles rencontrent leur professeur dans le même dancing et c’est alors
que leur relation obtient une nouvelle dimension. Malgré le fait que Franceschini danse
avec les deux copines, c’est Pélagie qu’il emmène chez lui à la fin de la soirée et Kimia,
jalouse, les suit en cachette pour avoir une preuve de ses soupçons. Quand Pélagie
découvre qu’elle est enceinte, le mariage avec son fiancé Barnabé, en entretemps parti à
l’étranger, ne se laisse pas attendre trop longtemps. Après avoir obtenu leur baccalauréat
les filles croient que le départ en France ne va pas tarder mais quelle est leur surprise
quand elles apprennent qu’une nouvelle université a été fondée au Congo et que les
étudiants ne partent plus à Paris. Leur déception dure seulement jusqu’au moment où
elles découvrent que Franceschini fait partie du corps enseignant. Un malentendu
cependant devient la cause de son banissement du pays qu’il ne quitte qu’à contrecœur.
À la fin, Kimia, comme Pélagie, réussit à obtenir sa bourse pour l’étranger et part aux
États-Unis. Même si ce n’est pas ce qu’elle a imaginé tout au long de son adolescence,
elle est contente d’avoir cette chance qui est cependant mise en danger quand les
relations diplomatiques entre les deux pays rompent. Elle refuse de rentrer et poursuit
son chemin toute seule et devient professeur de la littérature française comme, inspirée
par Franceschini, elle en a toujours rêvé. C’est alors qu’elle tombe sur un article qui la
fait penser à son ancien enseignant et qu’elle essaie de contacter l’auteur de celui-ci.
Comme elle s’en doute, il s’agit bien de Franceschini qu’elle invite en Amérique à
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l’occasion d’un colloque ce qui lui permet de renouer le contanct avec lui. C’est lors de
son voyage à l’occasion de la présentation de son nouveau roman que Kimia apprend
que Franceschini et Pélagie se sont mariés. Même si elle est contente de revoir son
amie, cela n’empêche pas qu’elle soit un peu déçue de cette découverte, ce qui est
surprennant vu qu’elle s’est déjà mariée avec Jordan, un Américain. Cette rencontre
affirme aussi ce dont elle s’est longtemps doutée : Franceschini est bien le père de fils
que Pélagie a concu lors de ses études de lycéenne. Les rencontres de Kimia avec
Franceschini deviennent de plus en plus nombreuses et mènent éventuellement à une
relation extraconjugale entre eux. Quand Pélagie se rend compte de ce qui se passe, elle
propose à Kimia de partager Franceschini entre elles. C’est là que Kimia renonce à sa
relation avec Franceschini et se retire jusqu’au moment où Pélagie la contacte pour lui
dire que l’état de Franceschini s’est aggravé : à cause de son diabète on a du lui amputer
une jambe. Pour lui faire plaisir, Kimia les rejoint chez eux pour tenir compagnie à son
ami malade. La prochaine fois qu’ils se voient, Franceschini se retrouve à l’hôpital et
son état ne laisse aucun doute qu’il est couché sur son lit de mort.
9.2 Analyse
L’ouverture de ce roman est symbolique de son dénouement : « Certains nous
[Kimia et Pélagie] appelaient les enfants dipanda, un mot forgé pour traduire
indépandance en langue » (EP, p. 9, c’est l’auteur qui souligne). Dès le début, il est
donc clair que si les deux amies n’étaient pas tout à fait indépendantes à l’âge de
dix-huit ans, c’est les choix qu’elles entreprendront qui vont faire d’elles leurs propres
maîtresses. C’est déjà leur amitié sinon inhabituelle entre deux représentantes de deux
tribus différentes qui les distingue des autres filles indigènes (EP, p. 32). Quand le
lecteur apprend qu’elles sont les étudiantes au lycée de Savorgnan à Brazzaville (EP,
p. 30), cela seulement confirme l’hypothèse de leur singularité : l’éducation, encore
rarement accordée aux filles au Congo à cette époque-là, aidera aux deux amies
d’évoluer dans le sens qu’elles choisiront. Quelle est donc la place de la coutume dans
leurs vies ? Paradoxalement, nous devons constater que si, par moments, elles doivent
faire face aux démarches traditionnelles dans la société congolaise, c’est à cause de
l’émergence de Franceschini dans la ville.
67
La description que nous obtenons de Kimia l’exclut, d’une certaine manière, de
la vie indigène : une intellectuelle qui fait tout pour poursuivre ses études jusqu’au point
où elle pourrait occuper les postes jusque là attribués aux hommes au pays. Nous dirions
que les limitations qui se présentent normalement aux femmes au Congo passent à côté
d’elle, comme si elles ne la regardaient pas du tout. Si cela est le cas, c’est grâce à ses
parents qui, apparamment, la laissent gérer son propre destin. Nous voyons cela quand
elle peut aller participer à la fête de l’Indépendance « Lorsque [Pélagie] avait plaidé
mon cas, Papa avait d’abord rechigné. Maman est venu à la rescousse. C’était le jour
de l’Indépendance, non ! Une occasion unique. J’obtins la permission de minuit » (EP,
p. 10). L’opinion des femmes change la décision du père de famille qui ne s’oppose pas
aux désirs de sa fille. Une situation pareille survient aussi au moment où Kimia veut
changer son coursus :
Un jour, je frappai à la porte de censeur : je voulais changer de série, devenir
élève de Franceschini. « Ce n’est pas à vous de décider, mademoiselle.
- À qui donc ?
- À vos parents... Pourquoi ricanez-vous ?
- Je ne ricane pas, monsieurs le censeur, je ris.
- Et pourquoi donc ?
- Mes parents de comprennent pas...
- Ne comprennent pas quoi ?
- La différence de programme entre deux séries » (EP, p. 34).
L’attitude de Kimia laisse entendre clairement qu’elle ne comprend pas pourquoi
quelqu’un d’autre devrait décider sur son avenir, d’autant moins ses parents qui vivent
dans un monde tout à fait différent. Globalement, le lecteur peut comprendre que la
situation au pays est toute autre que celle dans laquelle vit Kimia et que, contrairement
aux autres, elle n’est pas obligée de rendre compte de ses actions à ses parents mais que
cela lui sert de prétexte quand elle a besoin de se débarrasser des hommes trop insistants
(EP, p. 88). S’il y a un domaine où elle n’échappe pas au sort habituel des femmes de
son pays, c’est justement l’attitude des hommes envers elle. Étant une femme, elle est
souvent objet des remarques de la part des hommes qui sont pleines de sous-entendus :
« [Les policiers] ont procédé à la vérification de nos identités, nous ont sermonnés en
poussant des hurlements et faisant des allusions salaces à mon sujet » (EP, p. 87).
Également, elle doit faire face à leurs propositions quand elle sort avec Pélagie dans les
68
dancings, aussi bien qu’aux assauts variés quand elle se retrouve toute seule avec un
homme dans un endroit inconnu pour elle. Que ce soit avec Floribert, son « fiancé »,
quand ils rentrent ensemble d’une soirée (EP, p. 28), avec le Ponténégrin à l’hôtel de
passage aux États-Unis (EP, p. 136), avec Franceschini lors de sa première visite en
Amérique (EP, p. 167) ou avec Banga, son ami et ancien ministre : « Je sentais dans
son regard et sa manière de me serrer contre lui plus qu’un sentiment paternel. Il a dû,
en son temps, être un chaud lapin, le vieux Banga » (EP, p. 241). On dirait que tout cela
fait partie d’un climat habituel au Congo et que plus qu’une manifestation du manque
du respect, les hommes considèrent ce comportement comme un jeu innocent.
Or, si Kimia sait se défendre, quant aux hommes elle devient impuissante devant
le régime qui s’installe au Congo après les Indépendances. Bachelière, elle rêve de
partir à Paris pour poursuivre ses études à la Sorbonne mais, par l’intermédiaire d’un
fonctionnaire, apprend que cela est désormais impossible. Pour faire son chemin et
obtenir une bourse qui lui permettrait de partir, elle doit compter sur un cousin qui
travaille dans le ministère de l’Éducation. Elle a donc recours au système de tribalisme
qui est omniprésent dans le pays :
Dans la capitale, tout le monde se connaissait, ou connaissait celui qui
connaissait celui qui connaissait quelque détenteur d’une parcelle du pouvoir d’État.
Aujourd’hui tu m’aides, demain je te rends service. Sinon moi-même, du moins l’un des
miens. Comme au village, où les choses s’arrangent toujours à la bonne franquette (EP,
p. 104).
Même si elle est dégoûtée de devoir procéder de cette façon, qu’elle ne considère pas
digne de son éducation, elle sait bien que ses chances de partir à l’étranger seraient
sinon inéxistantes. Cependant, elle paie pour ce service une fois ses parents décédés : le
cousin s’empare de la maison où elle avait grandi (EP, p. 149) et l’on peut dire que, de
cette manière, il la vole d’une part de ses origines. D’un autre côté, l’attitude de Kimia
laisse entendre qu’elle est contente d’être partie aux États-Unis et de pouvoir évoluer à
son gré ce qui se manifeste surtout au moment où elle apprend que les relations
diplomatiques ont été rompues entre son pays et Amérique. Cela lui permet de se
débarrasser du passé trop pesé par la coutume : « j’ai obtenu une bourse du MIT [...].
J’étais fière de ma réussite. Je la devais à mes seuls mérites » (EP, p. 146). Pour
69
confirmer son évolution, elle se marie avec un Américain : un mariage à l’européenne
qui a lieu dans une église et où manquent ses parents, les gens qui étaient à l’origine de
son lien avec son pays natal et dont le décès la narratrice évoque juste quelques lignes
après l’annonce de ses noces (EP, p. 147). Ce n’est qu’après la mort de ses parents
qu’elle n’ose retourner au Congo, comme si elle craignait l’influence que la tribu
pourrait encore exercer sur elle mais qui n’atteignit jamais l’ampleur de celle de la
famille de Pélagie sur sa copine.
En ce qui concerne Pélagie, il est évident que l’importance de la coutume dans
sa vie est beaucoup plus grande que dans la vie de Kimia, surtout parce que, par son
comportement, elle se montre être plus Africaine que son amie. Cela se manifeste, entre
autres, par le nombre de ses amants : « D’ailleurs, Pélagie savourait tellement la
chose-là qu’elle était peu regardante sur le profil de celui qui la lui faisait »
(EP, p. 128). Cependant, nous la voyons piégée par la tradition qu’après la découverte
de sa grossesse dont sa mère est tellement contente :
En apprenant la nouvelle, la mère de Pélagie frappa ses mains, ferma les yeux et
bénit sa mère, son père, ses aïeux et tous les ancêtres de l’immense famille qui
s’étendait sur les deux rives du fleuve Congo. Dieu était grand et bon de lui permettre
d’être grand-mère avant de mourir. [...] Pour Pélagie, c’était une calamité (EP, p. 61).
Ainsi, la différence de la perception de la gravidité d’une adolescente entre les deux
générations témoigne du développement que Congo a subi entretemps. Or, la règle de la
coutume est toujours la même et force Pélagie à épouser Barnabé pour empêcher la
rumeur de circuler. Nous nous apercevons qu’une fois soumis aux exigences
coutumières, Pélagie aussi bien que son mari n’y échappent plus, même s’ils possèdent
les arguments qui les aident à atténuer l’influence de la famille. Le progrès qui permet
de justifier la couleur blanche du fils de Pélagie par les lois Mendel devant le conseil
familial, représente aussi bien un justificatif pour que Barnabé soit obligé de payer une
amende qui excuserait son omission d’informer le clan sur son histoire familiale (EP,
p. 65-66). Étonnamment, les interventions des deux familles dans la vie des nouveaux
mariés sont absurdes mais leur impact est beaucoup plus négatif pour le mari. Nous
pouvons donc supposer que si Pélagie recourt à la coutume plus tard dans sa vie, c’est
parce qu’elle s’est montrée efficace dans la gestion de certains problèmes et l’on dirait
70
même que grâce à ses études, Pélagie possède la capacité de la courber à son avantage.
Elle devient donc le personnage le plus représentatif de la tradition qu’elle évoque
souvent, même si nous ne pouvons pas constater que, durant son enfance, elle y serait
exposée plus que Kimia. Alors, c’est en remémorant les vieux usages populaires qu’elle
propose à Kimia de séduir son mari pour qu’elle puisse partir en Europe et c’est à
travers la même coutume qu’elle serait capable de partager Franceschini entre elles pour
vivre dans un foyer à trois : « Tu connais aussi bien que moi la coutume lorsqu’on
épouse une jumelle. Le mari de l’une est celui des deux. Il y a même des sœurs qui se
partagent leur homme » (EP, p. 131).
Une autre raison pour les mentions fréquentes des lois coutumières par Pélagie
peut être sa relation avec Franceschini qui se considère « nègre » et qui était né déjà
dans les années 20. En ce temps-là Congo était encore fortement africain. Cela était
aussi à l’origine de la francisation de Franceschini comme la présence d’un enfant blanc
dans le quarier indigène faisait grand bruit (EP, p. 121). Il est possible que
l’incorporation des éléments traditionnels dans leur vie de couple aide à Pélagie de
confirmer l’africanité de son époux qui est sinon contestée à plusieurs reprises dans le
roman. Il est certain qu’elle recourt à ce stratagème au moins une fois : quand elle
épouse Franceschini lors d’un mariage traditionnel, y compris l’offre de la dot par
celui-ci à la famille de la mariée. « Explication de Pélagie : c’était une manière
d’accomplir son initiation dans la société, lui qui, comme le commande la coutume,
avec certes été circoncis, mais à l’hôpital. La famille de Pélagie exulta, le Blanc manioc
avait accompli son devoir, comme un indigène authentique » (EP, p. 181). Nous
pouvons donc voir que la coutume représente un procédé qui aide à soulager les
membres de la famille de leurs soucis et c’est aussi pour cela que les deux copines s’y
appuyent, contrairement à leur habitude, quand elles sont abattues après l’expulsion de
Franceschini du pays : elles se rendent auprès des clairvoyants pour se désensorceler
(EP, p. 127). Cependant, comme Pélagie observe plus tard, il est évident que l’influence
que les démarches traditionnelles pourraient exercer sur elles n’est pas si grande que
dans le cas de leurs parents et d’autres membres de la tribu qui n’ont pas étudié : « Le
71
problème, pour toi et moi, c’est qu’à force de lire nous nous aliénons l’esprit. Pour que
ces bobards fonctionnent, il faut croire à leurs effets » (EP, p. 132).
Nous devons constater que, vu le fait que Pélagie a poursuit ses études tout
comme Kimia, la différence de leur relation vis-à-vis de la coutume consiste aussi en
autre chose. Nous supposons que la cause de celle-ci est la maternité de Pélagie. Étant
donné que Kimia n’a qu’une responsabilité envers elle-même, elle n’est pas obligée de
se courber devant les exigences tribales dont la désobeissance pourrait rendre
l’acceptation de son enfant par la communauté difficile. Même s’il est visible que
Pélagie a appris à se débrouiller avec la coutume, cela n’empêche pas que, par
moments, elle doit faire face à des limitations qui s’imposent à elle. Ainsi, elle se plie
devant les demandes de son mari Barnabé et emménage avec lui lors de son arrivée de
la métropole surtout parce que vivre dans des foyers séparés était alors quelque chose
d’impensable dans la société congolaise (EP, p. 127). Nous donc considérons que la
lutte de Pélagie contre la coutume était plus difficile que celle de Kimia et en même
temps nous voyons qu’elle a ses raisons pour ne pas rompre avec la tradition
complètement. Qui plus est, Pélagie ne quitte jamais Congo pour trop logtemps ce qui
fait qu’elle n’a pas la possibilité d’adopter complétement la culture d’un autre pays. De
renoncer à la tradition aurait créé une espace vide dans sa personnalité. Quant à Kimia,
sa lutte est achevée dès qu’elle réussit à se séparer du soutien dont son pays la procure
dans la poursuite de ses études. Après l’obtention de sa bourse, elle devient une femme
forte qui ne songe plus à la tradition surtout parce qu’elle devient plus une Américaine
ce qui observent souvent les Congolais, quand elle est de retour au pays.
72
10. Comparaison
Après avoir analysé les sept romans de la plume d’Henri Lopes, nous aimerions
bien porter notre attention à leur comparaison. Il est évident que même si les romans
particuliers présentent à chaque fois une histoire particulière, il est possible d’identifier
des modèles récurrents qui ont servi de base pour la création des personnages qui sont
les porteurs du message que l’auteur a introduit dans ses histoires.
Au début, nous avons proposé de classer les femmes en trois groupes : les
femmes faibles, les femmes en lutte et les femmes fortes, mais nous voyons que ce
classement de Brahimi et Coquery-Vidrovitch n’est pas suffisant pour la répartition des
femmes telles que présentées dans l’œuvre de Lopes. Certains personnages se trouvent à
la limite des catégories tandis que d’autres auraient éxigé un groupe réservé uniquement
pour eux-mêmes. Parmi les dix-neuf héroïnes que nous avons évoquées, nous pouvons
distinguer clairement deux femmes faibles (Elengui et la mère de Madeleine), neuf
femmes en lutte (dont toutes les héroïnes du premier roman, Soukali, Ngalaha, Kani,
Madeleine, Mama Motéma et Antoinette Polélé) et quatre femmes fortes (Félicité,
Kolélé, Kimia et Pélagie). C’est déjà cette répartition qui permet d’observer que la
situation des femmes dans la société africaine demande une révision, comme la plupart
des protagonistes se montreent insatisfaites de leur position. Ce phénomène se
manifeste par leur lutte. Nous devons avouer que les marques que nous attribuons ainsi
à certaines protagonistes ne sont clairement perceptibles que si l’on considère leur
évolution à travers le roman entier même si une peut se montrer plus forte en traversant
certaines épreuves que l’autre.
Mais comment placer dans ce classement les femmes qui représentent la
tradition et qui paraissent être contentes de leur position dans la société ou qui ne se
rendent même pas compte qu’une autre position puisse se proposer à elles en dehors de
la société traditionnelle ? Nous considérons que, s’il s’agit des femmes de la vieille
génération, il y en a quelques-unes que nous pouvons appeler les femmes fortes comme,
malgré leur enracinement dans la société traditionnelle, elles représentent les pivots
dans les vies des membres de leur famille. Tel est le cas d’Oloumo, M’ma Eugénie ou
de Tante Élodie. Pourquoi alors, sous cette lumière, nous classons la mère de Madeleine
73
parmi les femmes faibles ? La décision est due surtout à son incapacité de protéger et de
supporter sa fille ce que nous considérons comme un des devoirs primordiaux des
mères : même du point de vue de la tradition, elle ne remplit pas bien son rôle comme
elle favorise des aspects de la coutume qui empêchent à sa fille d’assumer sa vie de
femme. Nous devons cependant remarquer que la mère de Madeleine représente une
exception parmi les femmes de la vieille génération. Sinon, ces femmes respectables
réapparaissent d’une façon continue dans l’œuvre de Lopes et elles passent souvent pour
un point de départ d’une grande importance pour les protagonistes, même si elles
occupent une partie mineure du narratif. Nous pouvons supposer que l’origine de ces
représentations répétées repose dans la personne de la grand-mère de Lopes que nous
avons évoquée au début de notre étude. Cela est même probable si nous considérons que
les personnages imprégnés de la tradition sont les mères ou les grand-mères des
protagonistes. Selon l’image que Lopes crée de ces femmes, nous pouvons deviner un
grand respect qu’il leur réserve, comme elles ont dû souvent faire face non seulement
aux contraintes imposées par la tribu mais aussi celles de la colonie. Lopes les dépeint
comme révolutionnaires en évoquant leur jeune temps où nous les voyons épouser des
blancs malgré les désirs de leurs parents. Cette préférence de l’amour à la tradition ne
signifie toutefois pas son refus ce qui est visible sur la ténacité du savoir des ancêtres
dans les raisonnements de ces femmes.
Je trouve insipides, pauvres et sans intérêt, les potinages des Brazavillois [...]. Au
contraire, avec la maman de Pélagie, cela venait spontanément. Analphabète, elle avait
un sens inné de la philosophie. Non, Socrate, Diogène et Confucius ne sont pas morts :
je les ai rencontrés à Bacongo et à Poto-Poto. Ce sont des femmes. Des Noires. (EP,
p. 55)
À part ces femmes qui incarnent la tradition et le savoir des ancêtres, nous
avons rencontré le problème de classement encore dans le cas de Ma Mireille : nous
voyons qu’elle trouve les moyens de contester ce qui s’impose à elle à travers la
tradition mais en même temps, il est évident qu’elle ne peut pas se permettre de le faire
ouvertement, d’autant moins que de faire cela aurait mis en danger sa propre vie. La
vision d’une tentative de changer la situation des femmes dans le pays reste donc
quelque chose de complètement irréel même si, par des moments elle réussit à atténuer
les décisions de son mari au prix de s’exposer à sa colère. Elle représente le personnage
74
féminin peut-être le plus sombre dans toute l’œuvre de Lopes comme, en vérité, nous la
voyons quasiment impuissante devant la coutume renforcée par le pouvoir de son mari.
C’est pour cette raison que nous considérons son classement parmi les femmes faibles
comme injuste. Or, il est aussi impossible de la placer parmi les femmes en lutte.
Comment donc interpréter sa position ? Nous considérons propice de lui accorder une
catégorie des femmes au piège qui est créée par la combinaison de la coutume avec le
système du pouvoir qui copie celui des dictatures européennes. C’est pour cela qu’il n’y
a pas d’issue de sa situation et elle doit se contenter de limiter son opposition au point
où elle ne risque pas de perdre sa vie. La différence de sa position par rapport à docteur
Antoinette Polélé, que nous voyons résignée devant la situation dans le pays, consiste
dans le fait qu’Antoinette démeure toute seule. Cela lui permet d’être libre dans ses
décisions qu’elle n’ose pas, cependant, diriger contre l’ordre instauré à Mossika.
Nous voyons que l’œuvre de Lopes est repartie d’une manière assez régulière et
qu’elle présente les personnages qui sont souvent opposés l’un de l’autre que cela soit à
l’intérieur d’un seul roman ou que ces oppositions se présentent à travers les œuvres
distinctes. Nous rencontrons ainsi les potagonistes qui sont beaucoup liés à la tradition,
comme nous l’avons vu dans l’évocation de la vieille génération, ou d’autres qui
essaient de se détacher de la vie coutumière qui leur impose des contraintes qui ne leur
permettent pas de vivre comment ils l’auraient désiré. Cependant, il est clair que les
oppositions travaillées par Lopes ne sont que noires et blanches mais qu’il songe à
présenter au lecteur la vie congolaise avec toutes ses nuances. Certains personnages qui
incarnent la tradition se montrent donc assez progressites, par exemple Ngalaha, tandis
que d’autres qui vivent à l’européenne prouvent par moments qu’elles ont un fort
penchant pour la tradition, comme c’est le cas de Pélagie. Même si chaque personnage
est spécifique, l’auteur oppose les deux pôles dans ses romans souvent pour que celui
qui est plus libéré dans ses pensées soit une inspiration pour le protagoniste qui n’est
pas content avec sa situation mais ne cherche pas à la changer pour le moment. Un tel
schéma est présent dès le premier roman de Lopes où Wali trouve la solution de ses
problèmes après qu’elle s’inspire auprès de son amie Awa et entreprend ses études qui
l’aident à comprendre les fondements de l’influence que son mari exerce sur elle.
75
Souvent les femmes qui ont déjà réussi à changer leur situation ont adopté le
comportement des hommes et elles ne se prennent plus la tête avec leur infidélité
qu’elles considèrent comme un état naturel contre lequel il ne faut pas se battre.
L’œuvre de Lopes est donc entrelardé par les femmes qui ont assumé leur sensualité et
n’ont pas honte de l’exposer telle une révolte contre les contraintes sociales qui les
auraient forcées d’attendre leurs maris à la maison les mains croisées.
Le dualisme lopésien prend une forme intéressante quand l’auteur crée des
personnages qu’il insère dans plusieurs de ses romans ce qui a pour le résultat un effet
de l’intertextualité digne d’attention. On aurait dit que Wali et Madeleine sont des
homologues : les deux sont tourmentées par l’impossibilité d’avoir d’enfants, les deux
ne sont pas contentes avec leur situation et les deux choisissent de s’enfuir pour pouvoir
commencer une vie meilleure. Quelle est donc la différence entre elles ? C’est le choix
de Madeleine de nouer une relation extraconjugale qui l’aide à se détacher mentalement
de son mari, une action qui est à l’origine de son évasion aux Antilles et qui permet au
lecteur de découvrir sa nouvelle vie qui est ouverte aux possibilités dont elle pourrait
seuelement rêver au Congo. L’incapacité de Wali de faire ce pas est la cause pour
laquelle nous ne pouvons pas être témoins de sa vie indépendante. On aurait dit que
Madeleine est en effet la continuation du destin de Wali ou son alternative dans le cas
où Wali serait plus courageuse et aurait prêté plus d’attention à son amie Élise qui
l’encourageait à se trouver un amant. De ce point de vue, l’amie libertine de Madeleine,
Félicité, réussit mieux son rôle de catalyseur Nous voyons qu’avec le développement
dans le temps, les destins des protagonistes de Lopes prennent le chemin d’une plus
grande liberté ce que nous pourrions assigner à un relâchement général dans la société
congolaise. À part Wali et Madeleine, nous pouvons considérer aussi le destin alternatif
de Kolélé qui réapparaît sous une forme plus indirecte dans Le Dossier classé dans le
personnage d’Antoinette Polélé. Non seulement le narrateur affirme que Polélé le fait
penser à la chanteuse du roman précédant, mais aussi leurs noms diffèrent seulement
dans une seule consonne. Les deux héroïnes, images des femmes éduquées, qui toutes
les deux laissent comprendre au lecteur l’influence que les hommes ont exercé sur leurs
vies, finissent par se décider qu’elles n’entretiendront plus de relations intimes avec les
76
hommes. Nous pouvons supposer que la différence d’attitude des deux personnages
envers la situation au pays et la résignation prononcée de Polélé est due au fait qu’elle
est retournée au pays beaucoup plus tôt que Kolélé qui s’est fait influencer, non
seulement par les hommes, mais aussi par ses voyages.
Outre l’imagination des personnages dont le destin diffère seulement en
quelques détails, l’auteur recourt souvent à l’évocation des mêmes obstacles imposés
par la tradition. Nous pensons qu’il s’agit de ces aspects de la coutume qui prouvent être
les plus pesants dans les vies des individus. Ainsi, nous entendons parler de la
polygamie, la nécessité de la dot pour la famille de mariée, l’obligation de concevoir des
enfants et le problème de tribalisme qui se manifeste dans les sphères publiques de la
vie congolaise. Cela est souvent à l’origine des ennuis des protagonistes, tels que
l’impossibilité de partir à l’étranger, d’accéder aux postes désirés ou d’éviter les
embrouilles avec la police. Même si, par des moments, le lecteur peut apercevoir des
voix qui louent des côtés positifs de la tradition, surtout en ce qui concerne l’existence
de coépouse dans les mariages polygames, nous devons constater que dans la plupart
des cas, les héroïnes se sentent limitées par les usages qui datent de plusieurs siècles et
qui ne correspondent plus aux besoins de la femme moderne.
Il est intéressant de noter que même si la capacité d’une femme d’enfanter
représente un des éléments primodiaux dans les sociétés africaines traditionnelles, dans
la plupart des cas, les protagonistes lopésiennes n’ont pas d’enfant ou l’auteur ne
mentionne pas leur existence. À chaque fois que la femme des narratifs d’Henri Lopes
est aussi mère, cela est à l’origine de nombreuses limitations et d’obstacles qui se
présentent à elle. « Je la mettais en garde contre une grossesse qui compromettrait et
ses études et notre projet d’aller un jour là-bas, sur le Boul’Mich’ [...]» (EP, p. 24).
Une fois mère, la femme devient plus fragile comme elle doit veiller non seulement à
son avenir à elle, mais surtout à celui de son enfant. Ainsi, elle se soumet plus
facilement aux exigences qui sont lui imposées par la société. Cela est visible surtout
dans les cas des femmes qui vivent à la limite entre la tradition et le modernisme
représenté par le mode de vie européen. Au contraire, les femmes qui mènent une vie
traditionnelle assument, avec leur maternité, aussi le rôle de l’idéal maternel qu’elle
77
représentent non seulement pour leurs enfants mais aussi les petits-enfants qui fait
qu’elles les relient avec le passé ancestral. Nous dirions que Lopes s’en rend compte
quand il travaille l’histoire de Kolélé qu’il laisse abandonner ses enfants ensemble avec
son mari. Comme si l’auteur disait que la libération de la femme n’est pas possible
jusqu’au moment où elle doit avoir des égards aux besoins de ses enfants. Néanmoins,
la stérilité de certaines parmi ses protagonistes n’est une délivrance pour elles non plus.
Dans la société fortement traditionnelle leur incapacité de concevoir des enfants fait
d’elles des êtres inférieurs qui ne méritent pas l’attention de leur mari désormais libre à
agir comme cela lui convient pour assurer la continuation de sa lignée. La seule
exception à cette règle se présente au lecteur sous forme de Kimia. Néanmoins, nous
devons constater que vu son approchement à la culture occidentale et le fait qu’elle a
épousé un Américain, cela n’est pas étonnant et que ce fait témoigne plutôt des effets
libérateurs de l’adoption de certains éléments occidentaux dans la vie autrement fondée
sur la tradition.
Sur l’exemple du développement des héroïnes de Lopes, nous voyons que le
mariage de la culture occidentale avec la culture traditionnelle africaine est à leur
avantage si elles aprennent à gérer la présence de la tradition. Si cela n’est pas le cas, le
lecteur témoigne des fuites des protagonistes qui préfèrent s’adapter à un nouveau
milieu que de rester exposées à l’influence de la tribu qui rend la situation dans leurs
familles insupportable. Cependant, on doit remarquer que si les protagonistes recourent
à cette solution, c’est parce que la tradition se montre trop forte dans leur vie et ne
permet pas d’être mélangée avec d’autres courants culturels. Souvent, c’est à travers
l’éducation que les femmes dans l’œuvre de Lopes commencent à distinguer les
injustices qu’elles subissent mais qu’elles découvrent aussi les moyens qui les aident à
changer ce que ne leur convient pas et l’on peut dire que, de cette manière, elles
montrent au lecteur les bénéfices du métissage culturel qui facilite leur vie de femme,
un procédé sinon manié avec excellence par des femmes qui ont lié leur vie avec la
tradition entièrement. Ce fait est le mieux perceptible si nous considérons le personnage
de Pélagie : même si elle est trompée par son mari, à la différence des autres héroïnes
avec le sort pareil, elle ne se laisse pas faire et au lieu de se dire qu’un tel comportement
78
est normal chez un homme, elle se sert de la coutume pour pouvoir rompre la relation
extraconjugale entre son mari et Kimia. Toutefois, nous devons noter que si ce
stratagème réussit, c’est parce que son amie est plus une Blanche qu’une Africaine et
l’utilisation de la loi coutumière lui paraît bizarre ce qui cause qu’elle préfère renoncer à
son aventure. Néanmoins, l’auteur décrit un certain progrès même dans le cas des
personnages que nous jugerions comme étant les représentantes de la tradition. Même si
Mama Motéma ne nie pas son héritage culturel, elle choisit de rester en Europe avec le
fils de son mari, comme c’est ici que son lien persistant avec le coutume ne risque pas
de lui faire du mal comme c’était le cas en Afrique. La tradition a sa place dans la vie de
Mama Motéma et elle l’assume mais sans pression du clan qui s’est autrefois montrée
nuisible.
Il serait donc possible de constater qu’à travers les sorts de ses héroïnes, l’auteur
fait le plan du changement de la situation qui s’est produit dans le pays dans la période
entre la publication de son premier et son dernier roman. Nous voyons que tandis que
les protagonistes de La Nouvelle romance vivent les mauvaises effets de la tradition qui
les font soit fuir le pays, soit renoncer à leur vie de femme ou bien s’habituer à la
situation en adoptant le comportement libertin des hommes, Kimia et Pélagie dans Une
Enfant de Poto-Poto incarnent la coutume dans leurs vies comme une partie de leur
héritage culturel mais en même temps n’ont pas honte de mener une vie épanouie
d’intellectuelle sans devoir faire face aux préjugés que rencontrent les femmes du
premier roman. L’auteur montre que les femmes au Congo ont appris à être leur propres
maîtresses qui n’ont pas besoin des hommes pour qu’elle puissent relever leur rang.
Cela est suggéré par la différence entre Soukali, qui demande au Maître de la procurer
d’un poste et, quand elle voit qu’il est incapable de le faire, recourt au tribalisme pour se
retrouver au poste de secrétaire à l’ambassade de Bulgarie, et Kolélé qui quitte son mari
pour prendre les cours de chant et devenir une célèbre chanteuse qui, libérée, renonce à
toute relation intime avec le sexe opposé. Ce qui demeure le même, c’est la liaison des
grand-mères avec le passé qu’elles transmettent à leurs petits-enfants par l’intermédiaire
de l’oralité. C’est elles qui contribuent à la création de la couleur locale dans l’œuvre de
Lopes en évoquant la sagesse des ancêtres comprise dans les proverbes et dictons. Nous
79
dirions que le lutte des femmes dont nous étions témoins dans les romans de Lopes
représente en vérité une certaine difficulté de joindre la tradition de l’Afrique avec la
modernité de l’Europe et de créer ainsi les produits du métissage culturel. D’une
certaine manière, Lopes propose la métaphore de l’accouchement qui donnera jour à
une nouvelle culture et il est donc compréhensible qu’il se sert des sorts des femmes
pour démontrer ce processus, surtout parce qu’il s’aperçoit que leur chemin vers le
nouvel état des choses était plus difficile que celui des hommes à moins qu’il soit
possible de le juger accompli.
80
Conclusion
Nous avons établi comme but de notre travail d’effectuer une analyse des
personnages féminins dans l’œuvre d’Henri Lopes, surtout en ce qui concerne leur
position envers la société africaine traditionnelle et son changement dans le temps. À
part de cela, nous nous sommes intéressée aussi au traitement de ce thème par l’auteur à
la lumière de son statut de l’écrivain de métissage.
Les analyses des sept romans de l’auteur étaient précédées par une étude de la
coutume congolaise en relation avec les femmes. Nous avons pu voir la diversité de la
population congolaise composée des clan divers qui partagent tout de même une grande
partie leur mode de vie. Ainsi, nous avons compris l’importance de la dot dans la
conclusion des mariages aussi bien que la place de la femme qui était souvent liée à la
terre et l’éducation des enfants, la partie fondamentale dans la vie d’un couple. Aussi,
nous avons pu observer que les passes-temps étaient une affaire des hommes dont la
façon traditionnelle de vie était abîmée par l’arrivée des colons et l’instauration de la
nouvelle règle. Ces remarques était de l’importance pour la meilleure compréhension de
la description de la vie traditionnelle par notre auteur. Avant de procéder aux analyses
mêmes, nous avons essayé d’établir les catégories d’un classement, bâties selon
l’exemple de Brahimi et Coquery-Vidrovitch en femmes faibles, femmes en lutte et
femmes fortes, pour y placer les héroïnes individuelles et avoir ainsi une image plus
nette de la situation entière telle que perçue par l’auteur.
Dans les analyses qui ont suivi, nous avons porté notre attention aux
personnages féminins qui sont développés par l’auteur dans une profondeur suffisante
qui nous permettait de juger sur leur position dans la société et leur satisfaction avec
celle-ci.
Dans le premier roman, La Nouvelle romance, nous avons découvert trois
personnages féminins dont la protagoniste, Wali, et ses amies Awa et Élise. Nous avons
vu que leurs situations diffèrent mais qu’elles rêvent, toutes les trois, d’améliorer leur
position. Cela est surtout cas de Wali qui est humiliée par son mari à cause de sa
stérilité. Après s’être inspirée auprès de ses amies, elle commence à s’éduquer et finit
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par quitter son mari qui se montre incapable de gérer le poste qu’on lui a confié grâce à
ses relations. Nous avons qualifié les trois femmes en tant que femmes en lutte.
Le Pleurer-Rire offre le lecteur un point de vue différent comme le roman est
raconté par un homme. La société dictatoriale dans laquelle il vit ne montre pas beacoup
de possibilités aux femmes qui passent soit pour des épouses, soit pour des maîtresses.
La femme de Maître est une des deux femmes faibles qui apparaissent dans l’œuvre de
Lopes comme elle est trompée par son mari sans le savoir et sans pouvoir y changer
quoi que ce soit. Même si les deux autres femmes se montrent plus actives et plus
conscientes de comportement des hommes au Pays, nous ne pouvons pas dire que leur
situation soit meilleure. Soukali compte sur l’aide des hommes pour obtenir un poste où
elle ne sait pas se comporter mais nous l’avons classé parmi les femmes en lutte tout de
même comme elle ose travailler malgré les attentes de la société. En ce qui concerne Ma
Mireille, nous avons dû lui attribuer une catégorie spécifique des femmes piégées
comme nous considérons que sa situation l’exige. Même si elle essaie de s’opposer à
son mari par des moments, nous voyons que vu son poste, elle ne peut pas combattre sa
situation véritablement ou de changer quoi que ce soit dans la situation des femmes au
Pays. Ses méthode d’influencer Tonton sont seulement de courte durée.
Le Chercheur d’Afrique présente au lecteur de pôles différents des
femmes-protectrices et femmes-amantes. Les premières accompagnent le narrateur
durant son enfance et les représentantes du deuxième groupe sont les femmes qu’il
rencontre en tant qu’adulte. Nous avons vu que les femmes-protectrices ont un fort lien
avec la tradition qui, dans le cas d’Ouloumo, est tellement incontestable que nous
l’assignons la marque des femmes fortes. Le cas de Ngalaha est plus compliqué comme
elle engage une relation avec un Blanc et est obligée de faire face aux préjugés de la
tribu, étant la mère d’un enfant métis : vu sa position difficile et son incapacité de se
libérer de l’influence de la coutume, elle appartient dans le groupe des femme en lutte.
Pour des raisons semblables, nous avons placé Kani dans le même groupe comme dans
l’essaie de se détacher de son mari, elle noue la relation avec André qui la trompe.
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Sur l’Autre Rive présente l’histoire qui, dans des nombreux détails, ressemble à
celle de La Nouvelle Romance. Or, nous avons dû constater un certain progrès chez la
protagoniste qui commence son chemin libérateur beaucoup plus tôt que Wali mais
demeure quand même une femme en lutte vu qu’elle n’échappe pas complètement aux
influences culturelles africaines. Le choix de son nouveau mari qui la respecte malgré sa
stérilité témoigne cependant du développement positif de ce personnage. Entre autres,
nous avons rencontré la deuxième femme faible de notre énumération qui est la mère de
Madeleine. Victime de la coutume, elle échoue à représenter un appui pour sa fille et ses
décisions empêchent Madeleine de se soigner. En ce qui concerne Félicité, elle est
homologue d’Élise avec une plus grande influence sur le sort de son amie. Elle est une
femme forte, consciente de ses qualités, qui refuse d’être sujette aux exigences tribales
et des hommes.
Le Lys et le Flamboyant décrit les destins de deux femmes fortes quoique
chacune pour des raisons différentes. Kolélé prouve qu’elle est une femme forte par son
chemin que le lecteur suit à partir de ses dix-sept ans où elle est sous l’influence de la
coutume qu’elle réussit à diminuer petit à petit. Même si d’une part, sa libération est due
aux hommes qu’elle rencontre, sa réussite finale est le résultat de ses propres efforts qui
la mènent à renoncer à nouer des liaisons amoureuses comme à chaque fois, qu’elle se
retrouve avec un homme, elle se voit limitée. M’ma Eugénie, quant à elle, peut être
désignée comme une femme forte grâce à sa stabilité dans le récit et sa capacité de
représenter un point stable aussi pour ses proches même si cette sûreté et due, d’une
grande partie, à la force de la tradition dans sa vie qu’elle n’abandonne jamais.
Le Dossier classé nous présente deux femmes forgées dans la tradition et
pourtant nous classons Tante Élodie en tant qu’une femme forte pour des raisons
semblables que dans le cas de M’ma Eugénie, et Mama Motéma en tant qu’une femme
en lutte. La raison pour cela était le fait que Mama Motéma mène une vie où
l’approchement avec l’Occident la soulage comme c’est à cause de la loi coutumière
qu’elle s’est retrouvée mariée avec un homme qui ne l’aimait pas. Son déplacement en
Europe est donc, d’une certaine manière, la manifestation de son désaccord avec
l’influence de la coutume dans toutes les sphères de la vie même si elle sait que la
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tradition fait partie de son héritage qu’elle transmet à Lazare. Quant à Antoinette Polélé,
nous avons découvert encore une femme en lutte qui, même si éduquée, se trouve
impuissante devant les usages à Mossika auxquels elle se conforme plus qu’elle ne s’y
oppose. Elle réussit cependant à vivre dans la position d’une femme libre.
Une Enfant de Poto-Poto représente l’apogée de l’œuvre lopésienne avec deux
femmes fortes qui méritent cette désignation même si Kimia est plus Américaine
qu’Africaine ce qui est pourtant le résultat de ses propres efforts. Même si, au début du
roman, nous avons pu observer quelques impacts de la coutume sur le parcours des
héroïnes, ceux-ci n’atteignent jamais une telle ampleur qui les empêcherait de
développer dans le sens qu’elles ont choisi. Nous avons observé, néanmoins, que
Pélagie réussit à mélanger son éducation avec le savoir populaire mieux que Kimia et
nous avons vu que dans son cas, la tradition obtient même un côté bénéficiaire ce qui est
également le cas des femmes comme M’ma Eugénie ou Oloumo.
L’analyse de ces œuvres nous a montré que la tradition est un thème récurrent
chez Lopes qui est, en plus, souvent travaillée sous les termes quasiment semblables
avec un léger changement de l’angle. Cela est le cas de La Nouvelle Romance et de Sur
l’Autre Rive mais nous avons vu aussi que même si les personnages principaux
ressemblent, il y a un certain progrès qui est perceptible chez Madeleine. Souvent, c’est
la rencontre des deux cultures qui cause que les femmes doivent se battre pour trouver
la place qui leur conviendrait le mieux et nous dirions qu’en vérité, il s’agit d’une lutte
de joindre l’africain et l’européen, c’est-à-dire de créer des métissages culturels. Ainsi,
nous avons vu les femmes qui assument leur héritage culturel africain avec quelques
manifestations de la coutume tout en le liant à leur vie où elles ne sont pas soumises aux
exigences tribales ou celles de leurs maris ou amants.
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Bibliographie
Romans étudiés
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Diène, Babou. Henri Lopes et Sony Labou Tansi : Immersion culturelle et écriture
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Lopes, Henri. Ma Grand-mère bantoue et mes ancêtres les gaulois. Paris, Gallimard,
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Martin, Phyllis M. Loisirs et société à Brazzaville pendant l’ère coloniale. Paris,
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