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LA FIN DE LA GUERRE FROIDE ET L ECONOMIE DE DEFENSE, LE TRACE REVELATEUR DE L INDUSTRIE NORD-AMERICAINE DES MUNITIONS YVES BELANGER 2012 – N°11

LA FIN DE LA GUERRE FROIDE ET L’ÉCONOMIE DE … 11... · plus importante phase de croissance des dépenses militaires depuis la Seconde Guerre mondiale. Aux États-Unis, la crise

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  • LA FIN DE LA GUERRE FROIDE ET LECONOMIE DE DEFENSE, LE TRACE

    REVELATEUR DE

    LINDUSTRIE NORD-AMERICAINE DES

    MUNITIONS YVES BELANGER

    2012 N11

  • LA FIN DE LA GUERRE FROIDE ET LCONOMIE DE DFENSE, LE TRAC RVLATEUR DE LINDUSTRIE NORD-AMRICAINE DES

    MUNITIONS

    YVES BELANGER

    Pour lindustrie de dfense, lheure des ajustements a sonn. Nous sommes aujourdhui laube dun renversement de tendance susceptible de mettre fin la plus importante phase de croissance des dpenses militaires depuis la Seconde Guerre mondiale. Aux tats-Unis, la crise conomique, la rvision des concepts doprations et la mise en place dune politique scuritaire moins coteuse indique quun nouveau cycle du march de larmement est en train de samorcer.

    Lexamen attentif de la trajectoire spcifique de lindustrie nord-amricaine des munitions, composante essentielle lactivit militaire, se montre particulirement utile pour clairer les processus en cours. Lanalyse de ses mutations depuis 1989 savre en effet un puissant rvlateur des tendances de fond qui faonnent lindustrie de dfense de la superpuissance partir de la fin de la guerre froide et qui sont susceptibles, termes, de modifier profondment le panorama de lconomie de dfense mondiale. Cette tude, unique en son genre, propose une analyse des dynamiques industrielles, technologiques et politiques qui ont transform le march de la dfense.

    IRSEM Ecole Militaire

    1 Place Joffre case 46 75700 PARIS SP 07

    http: www.defense.gouv.fr/irsem

    ISSN(1) : 2110-0809 ISSN(2) : encours dattribution ISBN : 978-2-11-129681-7

    http://http:%20www.defense.gouv.fr/irsem

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    NORD-AMRICAINE DES MUNITIONS

    YVES BELANGER

    Mai 2012

    AVERTISSEMENT

    Les opinions mises dans ce document nengagent que leurs auteurs.

    Elles ne constituent en aucune manire une position officielle du ministre de la dfense.

    ISSN(1) : 2110-0809 ISSN(2) : encours dattribution

    ISBN : 978-2-11-129681-7

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    Cahiers de lIRSEM dj parus :

    Hors-srie :.LES FRONTIERES DE L'UNION EUROPEENNE OU LES ETATS-UNIS D'EUROPE ?

    1. ACTION EXTERIEURE ET DEFENSE, L'INFLUENCE FRANCAISE A BRUXELLES

    2. LE PLAN OBAMA-MCCHRYSTAL, L'AXE DU MOINDRE MAL

    3. STRATEGIE OPERATIONNELLE ET ASPECTS CIVILS DE LA GESTION DES CRISES : QUELLE "DOCTRINE" POUR LE VOLET CIVIL DE LA PESD ?

    4. LE PARLEMENT EUROPEEN DANS LA PSDC

    5. QUELLE STRATEGIE D'INFLUENCE EN APPUI AUX OPERATIONS MILITAIRES ?

    6. L'APPROCHE GLOBALE DANS LA GESTION CIVILO-MILITAIRE DES CRISES : ANALYSE CRITIQUE ET PROSPECTIVE DU CONCEPT

    7. UN MUTANT JURIDIQUE, L'AGRESSION INTERNATIONALE ?

    8. LES DEFITS STRATEGIQUES AFRICAINS : EXPLORATION DES RACINES DE LA CONFLICTUALITE

    9. KAPISA, KALACHNIKOVS ET KORRIGAN

    10. LES MUTATIONS DE L'INDUSTRIE DE DEFENSE: REGARDS CROISES SUR TROIS CONTINENTS

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    LInstitut de Recherche Stratgique de lcole Militaire (IRSEM) a t cr en 2009 par le ministre de la dfense pour lancer de nouvelles pistes de rflexion stratgique et promouvoir la recherche sur les questions de dfense. Ses 35 chercheurs permanents, assists par une quipe de soutien de 12 personnes, runissent les approches acadmiques et militaires dans une perspective multidisciplinaire. En troite collaboration avec les principales autorits du ministre (tat-Major des Armes, Secrtariat Gnral pour lAdministration, Direction Gnrale de lArmement, Dlgation aux Affaires Stratgiques, Enseignement Militaire Suprieur), et en lien avec le tissu franais de la recherche universitaire et des think tanks, lIrsem vient complter les expertises oprationnelles et daide la dcision, par une rflexion stratgique conceptuelle qui participe dun effort plus large pour dvelopper lexcellence de la recherche, de la formation et de la documentation sur le site de lcole Militaire. Lensemble des manifestations scientifiques organises par lIrsem est annonc sur son site : www.defense.gouv.fr/irsem

    Autres productions de lIrsem : - 5 collections sont consultables en ligne: Les Cahiers, Les tudes, The Paris Papers, Les Fiches de lIrsem, et notre Lettre dinformation lectronique. - 1 revue acadmique (Les Champs de Mars) est dite la Documentation Franaise. Un programme Jeunes Chercheurs vise encourager lmergence dune relve stratgique, grce un sminaire mensuel, des bourses doctorales et postdoctorales, et un soutien financier et logistique

    http://www.irsem.defense.gouv.fr/

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    Lauteur

    Yves Blanger est Directeur de lObservatoire de lconomie-politique de la dfense lUniversit du Qubec Montral (UQAM) et professeur titulaire au dpartement de science politique de cette universit. A ce titre, il pilote plusieurs projets de recherche en lien avec la problmatique de la mondialisation de lindustrie de dfense et ses impacts sur le march. Il suit et analyse le domaine des munitions depuis 1985.

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    Sommaire

    Les origines ...............................................................................................8

    1989-1993 : Londe de choc ..................................................................... 25

    1993-1997 : Ladaptation ........................................................................ 33

    1997-2001 : Le redressement .................................................................. 42

    2001-2011 : Le retour de la prosprit ..................................................... 47

    2011: Au seuil dun nouveau cycle ........................................................... 65

    Conclusion .............................................................................................. 74

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    En 1989 le mur de Berlin scroulait entranant une remise en question des fondements des politiques de dfense. Depuis, lconomie de larmement a travers un cycle qui la amene, aprs une priode de disette, connatre une de ses phases de rinvestissement les plus importantes de lhistoire contemporaine. Nous sommes aujourdhui probablement laube dun nouveau renversement de tendance susceptible de mettre fin cette priode de croissance des dpenses militaires. En effet, plusieurs signes indiquent un prochain resserrement des crdits : (1) la crise conomique mondiale amorce en 2007 impose de nouveaux impratifs budgtaires la plupart des gouvernements; (2) les concepts qui ont aliment la reprise militaire sont en cours de rvision et (3) le gouvernement des tats-Unis, lorigine de plus de 40% des dpenses militaires mondiales, cherche mettre en place une politique scuritaire moins coteuse.

    Pour lindustrie de dfense, lheure des ajustements a sonn. La plupart des grands groupes de dfense tels Lockheed-Martin, General Dynamics, cherchent actuellement diversifier leurs assises en se tournant vers le domaine civil. Dautres amorcent un processus de rationalisation. La base industrielle de dfense risque donc de sengager sur une nouvelle voie au cours des annes venir. Que deviendra-t-elle? O se redployera-t-elle? Une partie de la rponse ces questions rside dans lanalyse de la transformation subie depuis 1989.

    En vue de bien cerner le sujet, nous avons fait le choix de nous concentrer sur lindustrie des munitions. Plusieurs raisons motivent cette dcision. Premirement il nexiste pas de domaine plus essentiel laction militaire. Sans munitions, avions, blinds et navires de guerre, peu importent leurs avancs technologiques, sont inaptes remplir leur mission. Deuximement, ce domaine aussi nvralgique soit-il est un des plus mconnus. Troisimement il est un de ceux o les tats ont le plus cherch

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    prserver leur autonomie nationale au cours des dcennies. En fait, il est considr dans la plupart des pays comme un lieu dexpression de la souverainet nationale. Les mutations survenues dans la fabrication au fil des vingt dernires annes risquent donc dtre de puissants rvlateurs non seulement du trac de lindustrie militaire, mais galement de la politique des pays o celui-ci prend racine.

    Depuis 1989 le march des munitions et lindustrie qui le soutient ont travers quatre grandes priodes. La premire (1989-1993) en a t une de questionnement sur la nature de ladaptation la fin de la guerre froide. La deuxime (1993-1997) a surtout t place sous linfluence de la recherche de ce quil convient dappeler les dividendes de la paix pour voquer une expression qui a marqu lpoque. Elle contraindra lindustrie sadapter un nouveau cadre et revoir ses plans stratgiques. La troisime priode (1997-2001) a vu merger un discours scuritaire caractris par lidentification de nouvelles menaces. Enfin, la quatrime priode (2001-2011) a t place sous lenseigne de la lutte contre le terrorisme. Chacune de ces priodes a provoqu des mutations qui ont transform autant la demande en munitions, lindustrie qui les produit, que les technologies.

    Avant de sengager dans cette analyse, le lecteur trouvera certainement pertinent de mettre en lumire le trac suivi par le domaine des munitions avant 1989.

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    LES ORIGINES

    Aprs le transfert dun savoir labor vraisemblablement en Chine et en Arabie, plusieurs pays europens dveloppent au 15ime sicle une industrie du canon, des armes portatives et de leurs munitions. Une tape technologique dcisive est franchie au cours du sicle suivant avec lapparition de propulsifs plus fiables et des projectiles plus performants. Cet armement devient rapidement le pivot de la force de frappe des armes et traverse donc lAtlantique avec les explorateurs chargs de prendre possession des terres dAmrique, rgion du monde o la demande manant des corps militaires incite progressivement les autorits se doter dune capacit de fabrication locale. En effet, le poids des mousquets1, canons et boulets autant que le caractre trs instable du mlange qui compose la poudre2 reprsentent des dfis pour les moyens de transport de lpoque. Ainsi, cest en Nouvelle-France, aux Forges du Saint-Maurice pour tre plus prcis3, que seront fabriqus les premires balles et boulets du continent.

    Les tats-Unis procdent leurs premires expriences industrielles au 18ime sicle. En fait, la suite de la dclaration dindpendance, Georges Washington donne son accord la construction dune premire armurerie.

    1 Les premires armes feu portatives europennes datent du Moyen ge. On en connatra plusieurs dont lescopette et larquebuse. Le mousquet, une arme canon long plus puissante que larquebuse est dusage gnralis en 1740. Il est apparu au 16ime sicle et sera dfinitivement dclass au 19ime avec linvention de la cartouche, de la poudre dite sans fume et du fusil rptition, des innovations technologiques survenues entre 1870 et 1890.

    2 Salptre, souffre et charbon de bois. On estime gnralement que la poudre a t invente en Chine probablement au 8ime sicle mais son utilisation a des fins militaires surviendra quelques sicles plus tard.

    3 La premire sidrurgie canadienne fonde en 1733. Ltablissement fermera en 1883.

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    Elle voit le jour en 1777 Springfield sous le nom dArsenal Armories4. Consacre la production darmes et boulets, ses premiers mousquets (les Springfield) sont mis en production en 1795. Dautres petites fabriques darmes et munitions suivront Philadelphie, Baltimore et Dubuque notamment. Un premier arsenal dtat est mis en opration en 18165.

    Au milieu du 19ime sicle, dans les deux pays, lintrt se concentre notamment sur la production de poudre noire6. Les premires fabriques canadiennes et amricaines voient le jour au cours de la dcennie 1850 (Canada Powder, Hercules, etc.). Par ailleurs, lexprimentation dans larmement lger se poursuit, suite linvention du revolver et des fusils rptition (cration de Colt en 1847 et de Volcanic Repeating Arms en 1855). Mais tout cela se dveloppe petite chelle faute de moyens et faute de marchs.

    La guerre de Scession modifie radicalement cette dynamique. On produit aux tats-Unis environ 1,5 million de mousquets Springfield au cours des six annes de conflit, soit le double des importations darmes britanniques Enfield galement populaires lpoque. Poudre noire et boulets servent de point dappui plusieurs nouvelles fabriques autant aux tats-Unis quau Canada. Une nouvelle poudrire est construite Windsor au Qubec en 18647. Cette province accueille galement la premire cartoucherie canadienne (situe dans la ville de Qubec) en 18798.

    Les nouvelles technologies darmes rptition, propulsifs, balles, cartouches et explosifs changent de faon irrvocable la dynamique

    4 Pour plus de dtails lire Eric Peterson, Springfield Armory , springfield-armory-national-historic-site.html.

    5 The Armys Organic Industrial Base, Arlington, VA : Lexington Institute, 2005. 6 Un produit difficile transporter. 7 Lire Matthew Farfan, Poudre noire Windsor, www.townshipsheritage.com 8 Morton, Desmond, Une histoire militaire du Canada, 1608-1991, Sillery, Qubec :

    Septentrion, 1992.

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    industrielle au cours de la seconde moiti du 19ime sicle. Des installations plus importantes prennent le relais, notamment dans la fabrication de carabines, fusils, armes de main, trinitrotolune (TNT, un puissant explosif)9 et propulsifs10. Aux tats-Unis, cette mutation saccompagne dun mouvement dintgration dentreprises duquel merge par exemple le monopole de DuPont dans le domaine des propulsifs11. Un tribunal la forcera dailleurs se dpartir dusines en 1912.

    Les grands acteurs industriels comme Colt, Remington, Winchester et Frankford Arsenal donnent naissance une vritable industrie de larmement aux tats-Unis. Tel nest pas le cas au Canada o limportation dominera longtemps, malgr lavnement de nouveaux sites de production12 comme la Dominion Cartridge fonde en 188613 ou lusine dexplosifs de TNT de McMasterville mise en place en 187814. Les producteurs canadiens se regrouperont galement en vue daffronter la concurrence de leurs voisins du Sud et celle des firmes britanniques. En 1910, sept entreprises fusionnent pour crer la Canadian Explosives Company (CXL), anctre de la Canadian Industries Limited (CIL), un puissant conglomrat diversifi dans les produits chimiques.

    Mais la fabrication darmes canadiennes demeure dficiente. Le premier fusil y est conu plus de 60 ans aprs ceux des tats-Unis dans le contexte exceptionnel de la guerre des Boers o lAngleterre ne parvient pas

    9 Dcouvert en 1863. 10 La poudre sans fume base de nitrocellulose est invente en 1884. 11 Ndiaye, Pap, Du nylon et des bombes : Du Pont de Nemours, le march et ltat amricain,

    1900-1970 , Histoire et socit, 2001. 12 Pour plus de dtails lire James Gooding, An Introduction to British Artillery in North

    America. 13 Par un des acteurs de la rpression contre Louis Riel. Lusine sera implante Brownsburg

    au Qubec. 14 Situe au Qubec.

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    fournir lquipement requis aux volontaires canadiens15. Le fusil Ross demeure la pnible exprience dune arme lourde ayant tendance senrayer facilement lorsque trop sollicite. Retir pendant la Premire Guerre mondiale, linventaire sera rparti entre les anciens combattants et larme russe au cours du conflit 1939-45.

    Le dfi de lapprovisionnement en priode de guerre nest toutefois pas lanc au seul Canada. Au dbut du premier conflit mondial, les tats-Unis possdaient moins de 800 pices dartillerie lourde et ne disposaient pas darmes de main en quantit suffisante. Une fois entr en guerre, en 1917, on investit massivement dans lquipement. Ainsi, en 18 mois, des centaines de milliers de fusils et pas moins de 153 millions de projectiles dartillerie sont livrs larme. Linjection de ressources financires saccompagne dun engagement direct de ltat dans la gestion dusines (notamment au Frankford Arsenal pass sous contrle gouvernemental en 1916)16.

    De son ct le Canada se fait rappeler lurgence de la situation par le gouvernement britannique. En effet, les politiciens canadiens misent sur le secteur priv pour approvisionner les troupes. Les livraisons inappropries et surtout insuffisantes ont tt fait de disqualifier lindustrie en place. Comme la guerre est dabord laffaire de lempire, les Britanniques fondent en 1915 la Commission impriale des munitions, une organisation ayant pour mission de prendre en charge lindustrie canadienne. Ses gestionnaires en feront la plus grande entreprise du pays avec 600 usines engages dans tous les domaines en lien avec les besoins de guerre17. Sous

    15 Foulds, Glenn B., Ross Fusil , Encyclopdie canadienne, www.thecanadianencyclopedia.com

    16 Farley, James J., Making Arms in the Machine Age: Philadelphia's Frankford Arsenal 18161870. University Park, PA : Pennsylvania State University Press, 1994.

    17 Bercuson, David, Commission impriale des munitions , Encyclopdie canadienne, www.thecanadianencyclopedia.com

    http://en.wikipedia.org/wiki/Pennsylvania_State_University_Press

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    cette gestion centralise les munitions deviennent un secteur nettement plus performant18. La capacit de produire des munitions de petit et gros calibre y progresse significativement. Mme si les contrats sont principalement excuts par lindustrie prive, dont la CXL dans la production des explosifs et munitions, on napprcie pas beaucoup lingrence publique et la Commission impriale des munitions est dmantele en 191919. Toutefois, leffondrement des commandes ramne un niveau presque nul lintrt pour le march de dfense une fois la guerre termine.

    Lentre-deux-guerres est une priode plutt dsastreuse pour lindustrie. En effet les fortes contraintes qui psent sur les dpenses publiques et le dsintrt face aux choses militaires provoquent une dcroissance gnrale des budgets de dfense et donc une rduction marque des commandes de munitions. Une fois la structure de gestion publique dmantele, les usines sont un peu laisses elles-mmes. Suivent rationalisations et fermetures de sites. La crise conomique qui frappe en 1929 entrane dautres compressions. La mise en route de chantiers publics destins soutenir la lutte au chmage aura un impact sur certaines infrastructures, tels les aroports, mais trs peu sur les usines de munitions. Il faudra attendre la deuxime moiti des annes 1930 et la monte en puissance du nazisme en Allemagne avant que les autorits publiques ne sinquitent suffisamment de ltat de larmement pour dcider dy rinvestir.

    Le cheminement canadien devient intressant suivre, car, au sein du Commonwealth, on vient de sentendre sur le principe de lautosuffisance en munitions de chaque Dominion20, ce qui amne le Canada construire

    18 Morton, Desmond, op cit. 19 McDowall, Duncan, Brasser de grosses affaires : le Canada 1896-1919, Montral : Muse

    Mc Cord, s.d. 20 Post, Gaines, Dilemmas and Appeasement : British Deterrence and Defense, 1934-1937,

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    partir de 1934 une vaste usine de munitions de petit calibre dans la rgion de Qubec. Suit en 1936 la cration dun comit militaire tripartite (marine, aviation et arme de terre) charg, entre autres, dassurer la viabilit de lindustrie de dfense. Il propose de solliciter lAngleterre pour quelle soutienne certaines usines par ses commandes et cest ainsi que divers fabricants privs comme les Forges de Sorel, la John Inglis Company et la National Steel Car dvelopperont un savoir de pointe dans les canons et projectiles21. De facto la dcision dassocier lindustrie prive la fabrication darmes redevient, comme en 1914 et malgr les drapages de lpoque, une donne de la politique dapprovisionnement. Le gouvernement canadien aurait bien voulu conclure une entente avec les tats-Unis o existait dj une capacit de production consquente, mais les contraintes imposes par la lgislation amricaine rendent cette voie difficilement praticable22.

    Nanmoins, le Canada et les tats-Unis se rapprochent. En 1936, le prsident Roosevelt affirme qu son avis le Canada fait partie de la dfense amricaine et quil serait irresponsable dignorer ce voisin du Nord23 avec lequel plusieurs accords commerciaux ont t conclus depuis le milieu du 19me sicle. Les premires propositions de collaboration de nature militaire prennent donc forme. Ds 1939, il est question de dfense commune et un Permanent Joint Board (PJB) voit le jour en 1940. On planifie conjointement la dfense de la cte atlantique o il est en fait essentiellement question de dploiement amricain en terre canadienne en cas de besoin. Laccord dOgdensburg24 vient prciser et tendre la

    Ithaca, NY : Cornell University Press, 1993. 21 Lemoine, Mario, Sorel Industries www.histoiredesorel.ca. 22 Morton, Desmond, op cit. 23 Stanley, Georges, Nos soldats, lhistoire militaire du Canada de 1604 nos jours, Montral :

    Les ditions de lhomme,1980. 24 Qui cre le PJB

    http://www.histoiredesorel.ca/

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    nature de la collaboration. La planification commune donnera lieu diverses initiatives comme le dveloppement dinstallations de dfense Terre-Neuve, la construction dune route vers lAlaska, celle de terrains daviation (la ligne dtapes du Nord-Ouest et celle du Nord-Est) et la mise en place de dfenses antiariennes en Ontario25.

    La signature de laccord de Hyde Park en 1941 interpelle lconomie de dfense plus directement car les Amricains sy engagent acheter pour 400 millions de dollars en matriel destin soutenir lindustrie de guerre canadienne et acceptent le principe dquilibre de la balance commerciale en matire darmement. Contre lachat davions amricains, Washington est dispos se porter acqureur darmes, dexplosifs (dont lexplosif brisant RDX et la cordite pour lesquels le Canada bnficie dun savoir-faire reconnu) et de munitions canadiennes26. la fin de la guerre les changes auront largement franchi la barre des 400 millions de dollars prvus lorigine. Ils auront galement ouvert la voie dautres ententes entre les deux pays. Il faut dire que la demande tait trs importante. Uniquement aux tats-Unis les 8 millions de soldats mobiliss pendant le conflit couleront 78 milliards de cartouches de petit calibre27.

    La formule de gestion des usines de munitions qui simpose au moment du dclenchement des hostilits est mixte (priv-publique). Autant au Canada quaux tats-Unis, les autorits arrivent la conclusion que lindustrie prive est incapable de soutenir seule leffort de guerre, mais concluent galement quelle doit tre partie prenante du processus de rarmement. Ltat la met donc contribution tout en se rservant le privilge de planifier la production.

    25 Bothwell, Robert, Ian Drummond et John English, Canada 1900-1945, Toronto : University of Toronto Press, 1990.

    26 McInnis, Edgar, Canada, a Political and Social History, New York, 1947. 27 The Armys Organic Industrial Base, op cit.

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    L o il se rvle ncessaire de dvelopper de nouvelles usines, ce qui est spcifiquement le cas dans les munitions, les deux pays prennent des voies diffrentes sur le plan organisationnel. Le gouvernement amricain choisit de sappuyer sur la capacit de gestion prive et donne naissance la formule des Government Owned Contractor Operated ou GOCOs28. Au Canada on opte plutt pour la cration dusines sous tutelle publique en crant des socits dtat. Aux tats-Unis 77 GOCOs29 seront en opration pendant le conflit et pas moins de 16 dentre eux seront affects la seule fabrication de munitions de petit calibre30.

    Ceci dit la guerre mobilise des milliers dentreprises prives dont certaines sintressent de prs la fabrication de munitions. Parmi les plus notables figure la firme Honeywell. lpoque, Honeywell fait partie des plus grands groupes privs et le gouvernement sollicite lentreprise en vue de lamener prendre en charge de nouvelles productions. La multinationale se tourne non seulement vers les munitions, mais galement vers les priscopes et diffrents appareils de prcision.

    Au Canada, la gestion gouvernementale repose sur les Arsenaux canadiens. En fait la machine dtat prend littralement le contrle de lindustrie de guerre suite ladoption, en 1939, de la Loi sur les achats et le financement de la Dfense crant le Conseil des achats de la Dfense (CAD) suivie, deux mois plus tard, par la mise sur pied du ministre des Munitions et Approvisionnements. La loi crant le ministre autorise le gouvernement non seulement acqurir les biens requis par leffort de guerre, mais galement administrer les programmes de dveloppement et organiser

    28 O sites et usines appartiennent ltat mais sont administrs, contre rmunration, par des entreprises prives.

    29 En 1942. 30 Pour en savoir plus sur le sujet, lire notamment Kimberly L. Kane et Steve Gaither, Historic

    Context for the World War II Ordnance Department's Government-Owned Contractor-Operated (GOCO) Industrial Facilities 1939-1945, Submitted to US Army Corps of Engineers, Forth Worth District, Plano, TX : Geo-Marine Inc, 1995.

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    les ressources industrielles. Plusieurs usines ddies aux munitions, armes et canons sont construites dont un immense site comptant 6 800 employs dans la ville de Verdun en priphrie de Montral.31 Donc, pendant la guerre, les arsenaux publics produiront la totalit des munitions et la plus grande partie des armes de combat. Les choses changeront par la suite.

    En 1946 les deux pays entrent dans une dynamique complexe o il faut concilier la reconversion de lconomie de guerre et la gestion des relations avec les forces communistes sovitiques sorties plus influentes de la confrence de Yalta. Washington et Ottawa, il faut donc recentrer leffort conomique, mais sans baisser la garde. Ce contexte contribue au maintien dune industrie de dfense qui, en fin de compte, gre son adaptation la fin du conflit tout en maintenant un niveau de prparation militaire apte contenir la Russie et ses pays satellites. Les lendemains du conflit seront donc trs diffrents de ceux vcus aprs larmistice de 1918. En engendrant des budgets de dfense consquents, la prosprit des annes 1950, la guerre de Core et la guerre froide rendront possible la survie de plusieurs usines.

    On peut affirmer notamment que la guerre de Core sert de creuset au dveloppement dune base industrielle de dfense prive et permanente. Certes, cette industrie prive est rgule par les pouvoirs publics, mais elle devient nanmoins responsable de son dveloppement car les gouvernements ne veulent plus assumer la responsabilit de formuler des stratgies de long terme et encore moins des politiques industrielles spcifiques au domaine de la dfense. Le march doit prendre la relve.

    La signature du Defense Production Sharing Agreement (DPSA) en 1958 reprend le principe de lquilibre dans le commerce militaire entre les tats-Unis et le Canada tabli par laccord de Hyde Park de 1941. Toutefois

    31 Durflinger, Serge, Making Wartime Continue : War Industry and Economic Recovery in Verdun, Qubec : Ronotyp, 2003.

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    la situation change, le savoir-faire amricain tant beaucoup plus tendu qu lpoque de la Seconde Guerre mondiale. Il en rsulte un processus dintgration des industries des deux pays dans certains secteurs tel laronautique, mais pas dans la construction navale et les munitions o des mesures protectionnistes adoptes aprs 1945 font obstacle au libre march. Dans ces secteurs on ne fait preuve douverture que dans de rares domaines dexpertise comme la fabrication de poudres propulsives, dexplosifs et de napalm o les fabricants canadiens aident combler les besoins amricains, notamment en priode de pointe comme pendant la guerre du Vietnam. Selon Victor Levant des produits dorigine canadienne totalisant des milliards de dollars ont aliment leffort de guerre au Vietnam32.

    Le bourbier vietnamien provoque un vaste dbat de socit. Comment lindustrie des munitions peut-elle justifier son maintien? Divers scientifiques inspirs par le mouvement pacifiste prconisent la reconversion des entreprises militaires en postulant quil est possible de canaliser les ressources humaines et matrielles des entreprises vers de nouvelles productions rattaches au march civil. La chose nest pas trop difficile concevoir pour un avionneur. Elle se prsente dj sous un jour moins favorable pour un fabricant de blinds, mais dans le cas des producteurs de munitions, trs rapidement, le dfi se rvle complexe relever.

    lpoque, les principales usines de munitions, dexplosifs et de propulsifs appartiennent des conglomrats aux ramifications varies dans le secteur des produits chimiques. Ceux-ci cherchent ouvrir de nouveaux fronts de production en engageant un processus de rationalisation dans leurs usines militaires. En ce qui a trait aux sites de production dtenus par ltat,

    32 Levant, Victor, Quiet Complicity: Canadian Involvement in the Vietnam War, Toronto : Between the Lines, 1986.

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    souvent gigantesques, ce genre de transition est complexe. Autant la socit dtat au Canada que les GOCOs aux tats-Unis rationalisent leur activit et plusieurs usines sont abandonnes. Nous voquions prcdemment le fait que pendant la Seconde Guerre mondiale, 16 GOCOs produisaient des munitions de petit calibre. la fin de la guerre de Core sept taient toujours actifs dans le domaine, mais il nen reste quun seul aprs la guerre du Vietnam. La production de munitions seffondre totalement passant de 2,5 milliards de cartouches en 1968 a peine 500 millions en 198033. Dans la foule des baisses de commandes, on se tourne vers le march des pays allis en tentant de tirer avantage des programmes de coopration mis de lavant par lOTAN au cours des annes 1970. Mais la cration du Groupe europen indpendant de programme (GEIP) en 1976 favorise surtout la coopration entre les pays du vieux continent.

    Au Canada, les gouvernements libraux qui se succdent entre 1963 et 1984 nourrissent assez peu dambitions militaires. Ils amorcent un processus de privatisation des usines mais en leur garantissant le maintien dune politique dachat prfrentielle34. Ainsi, la poudrire de Valleyfield est vendue CIL en 1965 (puis dautres par la suite). La fabrique de munitions de petit calibre hrite de Dominion Arsenals est cde Saint-Lawrence Manufacturing et ultrieurement au groupe SNC. Le joyau du complexe canadien localis Le Gardeur, une municipalit situe au nord-est de Montral, est privatis le dernier en 1986. En lacqurant, SNC devient le seul fournisseur de munitions en activit au Canada marquant la

    33 Sanville, William, The Small Arms Production Base, 50th Annual Joint Services Small Arms Section Annual Symposium, 10-13 May 2004.

    34 Introduite en 1978 et dlaisse progressivement partir de 1985 dans un contexte o le Canada cherchait obtenir un accord de libre-change avec les tats-Unis. Par ailleurs le gouvernement canadien souhaitait se donner accs des technologies militaires plus avances. Lire Michael Slack Canadas Defence Industrial Base : The Challenges , Canadian Defence Quartely, juin 1989.

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    fin de la gestion gouvernementale et laboutissement dun processus de concentration amorc un sicle plus tt35.

    Au moment o le gouvernement Reagan prend le pouvoir, cest au secteur priv que bnficie principalement la reprise des dpenses militaires. Entre 1980 et 1989, le budget affect aux munitions triple pour atteindre 6 milliards de dollars. Dans le petit monde de la dfense, la disponibilit budgtaire fait gnralement cheminer des programmes de recherche et attire de nouveaux acteurs. Le rinvestissement militaire massif de ladministration Reagan fait sortir les munitions dites intelligentes 36ou guides des centres de recherche. Au cours des cycles prcdents, les munitions avaient connu beaucoup de transformation sur les propulsifs, les matriaux et la puissance des projectiles, mais aucune de ces innovations ne proposait lintgration de systmes de guidage au corps du projectile. Cest cette capacit tout fait rvolutionnaire qui merge au dbut des annes 1980.

    Pourquoi une munition intelligente?37 Pour comprendre les travaux sur le sujet il faut rappeler la popularit grandissante des missiles. En effet, pendant la Seconde Guerre mondiale la fuse porteuse dune charge de destruction est dote par les techniciens allemands dun systme de guidage radiocommand. Le systme est alors peu efficace, mais offre nanmoins un potentiel de prcision plus lev que la munition conventionnelle. Le savoir-faire allemand est rcupr par les forces allies

    35 SNC stait appuye sur des projections de ventes aux forces armes canadiennes qui seront rduites de moiti en 1988. Suite ce changement dans le programme dachat SNC engagera des poursuites qui mneront une entente hors cours quelques annes plus tard.

    36 Soit des munitions dotes dun systme de guidage sophistiqu et miniaturis. En anglais on distingue les smart ammunitions des guided munitions pour bien souligner la diffrence technologique entre la nouvelle gnration de munitions et les missiles.

    37 Voir la description de Dave Ahern, The New Vision , dans Precision Strike Association, Annual Conference, 25 avril 2007.

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    aprs la guerre et les grandes puissances de lpoque dveloppent de nouveaux engins au cours des annes 1950.

    Le prsent texte na pas pour objet de rappeler lhistoire des missiles mais contentons-nous de dire que les amliorations apportes ces systmes darmes sont nombreuses et rapides. Des pas spectaculaires sont franchis dans la propulsion et le guidage au cours des annes 1960-1970 au point o divers fabricants de poudres pour munitions se diversifient dans les propulsifs pour fuses et missiles38. En matire de guidage, les travaux sont concentrs sur le contrle radio pendant la guerre 1939-45, puis lintrt se porte sur llectro-optique et les technologies infrarouges dans les annes 1960 (notamment pendant le conflit au Vietnam) et enfin sur le laser.

    La demande en missiles commence srieusement gruger les budgets ds les annes 1960. Certes, le missile est plus coteux, mais il propose une prcision quaucune munition conventionnelle nest en mesure doffrir. Les armes cherchent donc se doter dun nombre grandissant de missiles. On peut affirmer que les munitions conventionnelles perdent la bataille mene aux missiles autant dans les fonds de recherche et dveloppement que dans les ressources affectes la production dquipement. Il faut dire que le combat est assez ingal dans la mesure o il oppose la tradition la modernit sur le plan technologique et quil met en prsence des acteurs industriels dont limage nest pas comparable. En effet, aux fabricants de produits chimiques aux usines fort peu attrayantes sopposent des entreprises prestigieuses engages dans larmement de pointe (avions, fuses, etc.) comme Boeing ou Raytheon.

    Mais lhistoire des technologies laser est aussi celle des puces lectroniques et de la miniaturisation. Nous voici donc dans les annes

    38 A Brief History of Precision Guided Weapons, Brekenridge, CO : 21st Century Book, 2011.

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    1970 face une technologie en mesure de proposer la mise au point de modules de guidage suffisamment petits pour tre intgrs des munitions conventionnelles. la condition dtre en mesure de construire des composants assez rsistants pour survivre la pousse laquelle sont soumis les projectiles dartillerie et de dvelopper des systmes de guidage assez performants pour corriger la trajectoire dudit projectile en vol, il devient concevable de changer les caractristiques des munitions conventionnelles pour en faire des armes de plus grande prcision.

    Au cours des annes 1960-1970, dans loptique de diversifier leur production et de capter des budgets en R-D encore plus consistants, plusieurs missiliers sintressent de prs aux canons. lpoque leur objectif tait dutiliser le canon comme rampe de lancement de missiles. Ainsi la firme Ford introduit dans les annes 1970 le MGM-51 Shillelagh, un missile conu pour tre tir partir du canon dun vhicule blind. Mais larme est coteuse et entre en comptition avec les missiles portables beaucoup plus polyvalents. Dautres industriels, comme la socit franaise GIAT (devenue Nexter) cherchent quiper le canon des vhicules dun systme de guidage39.

    La socit Martin Marietta (appele sintgrer au groupe Lockheed-Martin), un des missiliers les plus populaires des annes 1970-1980 et la firme allemande Diehl runies dans le consortium PGM travaillent un concept plus audacieux. Leur objectif est de mettre au point une munition de 155mm40 susceptible dtre guide. Les premiers contrats de fabrication sont allous en 1981 pour une munition balistique capable de frapper une cible pointe par un laser. Comme la M712 Copperhead ne peut en principe tre utilise que dans un ciel sans nuage, son potentiel demeure limit. Une version plus sophistique de cette munition est dote

    39 Lobusier F-1 CGT sera produit jusquen 1993. 40 Un calibre dartillerie.

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    dun systme de propulsion pour corriger le tir en prsence de nuages, mais cela un cot beaucoup plus lev et avec un niveau de prcision ne rencontrant pas les attentes des militaires41. La Copperhead sera nanmoins produite 20 000 exemplaires et utilise pendant la guerre du Golfe de 1991.

    Mentionnons galement que des travaux sont entrepris assez tt dans le guidage des bombes ariennes, un domaine qui capte lattention de dautres grands intgrateurs en dfense comme McDonnell Douglas (intgre Boeing)42. En 1985 seulement 3% des bombes achetes par larme de lair des tats-Unis taient dotes de systmes de guidage. Quelque 20 ans plus tard cette proportion stablit 81%. Un changement radical qui provoque notamment une rduction des 2/3 du nombre dunits produites43. Ce genre de mutation va-t-il se manifester dans les munitions conventionnelles?

    Pendant que les missiliers cherchent envahir leur march, les fabricants de munitions conventionnelles demeurent fidles leur production traditionnelle o la demande est tout de mme consistante. Chaque anne, des milliards de dollars sont en effet dpenss en munitions dartillerie, de char, de canons de moyen calibre et de cartouches de petit calibre. Cette activit est une source de prosprit significative. En 1988, pas moins de 30% des revenus du groupe Honeywell proviennent dun march de la dfense aliment en grande partie par ses contrats en munitions. Le groupe vend lpoque pour 1,7 milliard de dollars annuellement en armement. Les revenus en dfense dHercules se chiffrent quant eux 900 millions de dollars. Ceux dAerojet 800 millions de dollars. De son ct Olin en retire 470 millions de dollars.

    41 Rogers, Patrick F., The New Artillery , Field Artillery Journal, dcembre 1980. 42 Rpute pour son programme JDAM qui transforme les bombes existantes en armes guides. 43 Gour, Daniel et al. Supplying Ammunition, the Lifeblood of the Military, Arlington, VA :

    Lexington Institute, 2004.

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    Personne ne se sent menac par les essais peu concluants de quelques missiliers et il nest videmment pas question de se dbrancher du pipeline militaire. Les munitionnaires estiment tre assis sur une mine dor.

    La munition M712 Copperhead

    Source : Global Security.

    Au Canada loptimisme des fabricants de munitions est galement de rigueur suite la publication dun livre blanc sur la dfense (1987) annonant un important programme de rinvestissement en quipement. Toutes proportions gardes il sagit dune injection de ressources plus consistante que celle consentie par ladministration Reagan aux tats-Unis et il ny a donc pas lieu de sinquiter. Ce contexte favorable au progrs des ventes sera dailleurs exploit par le gouvernement canadien pour privatiser les dernires usines sous proprit publique. Des efforts seront

    http://www.globalsecurity.org/military/systems/munitions/images/m712-copperhead.jpg

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    galement dploys en vue de pousser plus loin lintgration de lindustrie de dfense canadienne celle des tats-Unis44.

    Leffondrement du mur de Berlin et la dsintgration de lURSS auront leffet dun sisme et un processus de remise en question doctrinal, stratgique et budgtaire fera de 1989 une anne charnire pour lindustrie des munitions. Du coup, tout ce qui avait justifi les rinvestissements en armement depuis 1980, la constitution dimportants inventaires de munitions et ouvert la voie des programmes jugs avant-gardistes par ladministration amricaine va disparatre.

    Entre 1989 et 2011, lindustrie va traverser quatre grandes priodes. La premire (1989-1993) provoquera un choc o lincomprhension sera sans doute le sentiment partag par le plus grand nombre des acteurs de lindustrie. La seconde priode (1993-1997) donnera lieu un vaste mouvement de rationalisation qui transformera tout jamais lindustrie des munitions. La troisime priode (1997-2001) sera quant elle place sous le signe du redressement. Entre 2001 et 2011, soit au cours de la quatrime priode, lindustrie des munitions renouera avec la croissance sous limpulsion des guerres en Irak et en Afghanistan. Puis, sous le gouvernement de Barack Obama, samorcera une remise en question place sous une politique soucieuse de redfinir les priorits gouvernementales et de contraindre lindustrie sajuster. Sagit-il dune nouvelle phase du dveloppement de lindustrie? Nous rpondrons cette question en fin de texte.

    44 On crera cette fin la North American Technology and Industrial Base Organisation ou NATIBO en 1987.

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    1989-1993 : LONDE DE CHOC

    Sur le plan politique la priode est marque par lincertitude. Peut-on se fier aux images douverture des pays de lEst, croire le discours de la perestroka et sattendre ce que le monde entier volue vers la dtente et le dsarmement? Divers vnements sment le doute.

    LIrak envahit le Kowet en 1990 et provoque la cration dune coalition internationale pilote par les tats-Unis et charge par lONU de le dloger. Quelque 315 000 hommes et un puissant arsenal sont dploys avec pour rsultat une indiscutable dfaite irakienne. Le conflit proprement dit ne dure que quelques mois et permet ladministration amricaine de se retirer avec les honneurs. Faut-il sengager dans dautres foyers dinstabilit? Lintervention en Somalie en dcembre 1992 pousse plusieurs dirigeants politiques ne pas baisser trop rapidement la garde sur le plan militaire. Les fabricants de munitions gardent espoir, bien quils voient mal comment ce genre dintervention apportera de leau leur moulin.

    cela sajoute linstabilit en Russie. Une tentative de coup dtat de la part des forces communistes et de leaders du complexe militaire russe choue en aot 1991, elle est suivie dune contre-offensive des rpubliques sovitiques qui parviennent en dcembre de cette mme anne dissoudre lURSS pour lui substituer la Communaut des tats indpendants ou CEI. Ces vnements portent Boris Eltsine au pouvoir et lancent la Russie dans un vaste processus de rforme aux rsultats incertains. Lindustrie nord-amricaine exploitera ces vnements dans loptique de convaincre Washington et Ottawa de continuer dinvestir dans ses produits.

    Mais le trait sur le dsarmement conventionnel en Europe (FCE) est sign en 1991. Il est suivi dun nouvel accord sur les armements nuclaires

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    confirmant que la doctrine de dfense de lOTAN et de ses pays membres est dfinitivement dpasse. Il en dcoule une invitable remise en question des programmes planifis sous Reagan aux tats-Unis et Mulroney au Canada.

    Pour le domaine des munitions, limpact est immdiat et sans appel. Les niveaux de prparation aux conflits sont revus la baisse et dimportants surplus dinventaire surgissent. Les budgets seffondrent aux tats-Unis. En quatre ans, le volume annuel de commandes chute de 68%. Au Canada la baisse est de 40% dans le plan dapprovisionnement de 199145. Pratiquement toutes les familles de munitions sont touches.

    Tableau 1 : volution des achats du gouvernement amricain en munitions conventionnelles, 1989-1993, en milliards de dollars US

    45 Un phnomne qui avait t prdit. Lire Michael Slack, op cit.

    1

    1,5

    2

    2,5

    3

    3,5

    4

    4,5

    5

    5,5

    6

    1989 1990 1991 1992 1993

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    Sources: U.S. Department of Defense, Budgets.

    La premire raction des industriels est de chercher de nouveaux dbouchs en exportant dune part et de rationaliser dautre part. Comme les producteurs europens sont eux-mmes confronts des rductions de commandes, le march international devient trs comptitif. La rationalisation mne de son ct labandon de productions secondaires. Assez rapidement on sinterroge sur la viabilit dun systme mondial fond sur lautonomie nationale en vertu duquel on dnombre prs de 100 fabricants de munitions et plus dune quarantaine de producteurs de propulsifs, uniquement en Occident.

    Prenons pour exemple la poudrire Expro46 (intgre plus tard General Dynamics OTS Canada) une source dalimentation essentielle aux munitionnaires canadiens autant quamricains. Limpact de la fin de la guerre froide contraint lusine rduire ses cots. Elle renonce en 1991 la reconstruction de son unit de fabrication de nitrocellulose dtruite dans un incendie et retarde, par manque de ressources financires, celle de son unit dexplosif RDX dtruite quelques mois plus tard. En 1985 cette entreprise localise au Qubec comptait une vingtaine de clients lchelle internationale. En 1990 leur nombre a chut de moiti. Comme dautres fabricants darmes canadiens, Expro dispose pourtant du statut de fournisseur local aux tats-Unis et se croit ainsi devenue une composante essentielle de la scurit nord-amricaine. Au dbut des annes 1990 elle prend acte de sa vulnrabilit et engage une lutte pour sa survie linitiative de ses syndicats47.

    46 Ex usine de CIL vendue CPCV en 1977 puis mise en faillite en 1980 pour tre rachete par Expro deux ans plus tard,

    47 Qui amenrent la direction accepter la cration dun comit patronal-syndical (Comit dadaptation de la main-duvre) en vue de formuler un plan de survie.

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    Pour lautre grand fabricant canadien, SNC, le choc de la fin de la guerre froide nest pas moins important. Dj propritaire dune fabrique de munitions de petit calibre et dune douillerie, SNC vient peine dacheter la socit dtat les Arsenaux canadiens responsable de la production des munitions de gros calibre. Elle anticipe doubler son chiffre daffaires. Or, ds 1989 les usines de munitions se transforment en problme pour le groupe. On ferme la fabrique de petit calibre en 1991 et on engage un processus de rationalisation dans lusine de gros calibre quelques mois plus tard. La stratgie est, ds lors, de rduire les cots de production pour devenir plus comptitive sur le march international, de protger le march intrieur canadien en cherchant convaincre le gouvernement canadien de renouveler le statut de fournisseur privilgi et de sortir des marchs traditionnels. Il sagit l dun programme fort ambitieux pour une organisation o le dynamisme et la comptitivit ne sont pas des donnes cls de la culture des divisions militaires. Baisses de commandes et mises pied suivent. Toujours en 1991, SNC fusionne avec Lavalin, une socit dingnierie beaucoup moins familire avec les dossiers de dfense. La division responsable des usines de munitions aura de la difficult faire comprendre son march et faire accepter sa culture la nouvelle direction de SNC-Lavalin.

    Aux tats-Unis, les grands conglomrats chimiques comme CIL, Hercules, Honeywell et Olin qui sintressaient au march de la dfense pour sa stabilit et son rendement ont tt fait de conclure quun changement de stratgie simpose. Lun aprs lautre, ils quitteront le march des munitions. CIL se repliera sur sa clientle civile. Honeywell se dlestera de ses activits en dfense en 1990 qui, vendues ses cadres, forment une nouvelle entreprise appele Alliant Tech (ATK). Hercules et Olin sont un peu plus lents ragir mais le rsultat sera le mme. Les activits dHercules sont acquises par ATK en 1995 alors quOlin incite son tour ses

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    divisions de dfense quitter le groupe pour former la firme Primex en 199648.

    Plusieurs fabricants occupant des niches plus restreintes, comme Day & Zimmerman, Winchester, AAI, Talley, Valentec, Aerojet et Thiokol sengagent galement dans un processus de rationalisation qui donne lieu des ventes ou des fermetures dusines. Ce processus aussi gnralis que brutal ne sera pas sans impact sur le savoir-faire amricain. Ainsi Martin Marietta, seul titulaire des contrats de mortiers de 120mm, abandonne cette production, forant ultrieurement larme amricaine sapprovisionner auprs de la canadienne SNC-Lavalin. Mentionnons enfin que plusieurs GOCOs seront mis en veilleuse suite aux baisses de commandes.

    En fait, la fin de la guerre froide provoque un remodelage intgral de la base industrielle responsable de la production de munitions. Le fait le plus tonnant de ce processus demeure sa rapidit. Lessentiel de la rorganisation est complt en 1996. On doit retenir que londe du choc de 1989 est fatale aux grands conglomrats qui rgnaient en matre sur lindustrie.

    Quoi quil en soit, pour les pouvoirs publics, lobjectif devient ds lors de raliser des conomies et cest dans ce contexte que se poursuivent les programmes de recherche-dveloppement. Les efforts portent sur pratiquement toutes les composantes de munitions et il serait fastidieux de brosser un tableau exhaustif du sujet. notre avis deux grands dossiers mritent nanmoins notre attention parce quils auront un impact sur le dveloppement du secteur. Il sagit des travaux axs sur lamlioration du propulsif et de la poursuite de programmes visant la mise au point de munitions intelligentes.

    48 Sur la restructuration de lindustrie de dfense, lire PriceWaterhouseCoopers, The Defence Industry in the 21st Century, 2005.

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    Dans le dossier des propulsifs les recherches et essais se poursuivent lpoque dans deux grandes directions soit linsensibilisation du produit et la rduction du gaspillage.

    Les risques dexplosion dans les lieux dentreposage de munitions ont toujours constitu un problme, notamment sur les navires de guerre49. Des recherches sont donc lances en vue de dvelopper un propulsif insensible plus scuritaire et ventuellement porteur dconomies. Ce programme mnera la mise en production des poudres de type LOVA (pour low vulnerability).

    Lorsquune batterie dartillerie est en opration, une proportion importante du propulsif est gaspille par les artilleurs dans le processus de dosage de la charge. Des travaux sont entrepris en vue de rduire ce gaspillage. Une piste utilisant un propulsif liquide devint une option srieuse au dbut des annes 1990. Elle implique toutefois la modification des obusiers et canons. Limportance des investissements en cause provoque la mort du programme et on lui prfrera une invention sud-africaine, la charge modulaire, o les sacs de propulsifs sont remplacs par des caissons embotables. Encore ici lconomie budgtaire psera dans la dcision de changer dapproche.

    En ce qui a trait aux munitions intelligentes, lexprience de la munition Copperhead dont le programme est abandonn en 1990 laisse la voie libre dautres projets de munitions guides. Un produit dvelopp par la firme sudoise Bofors se rvle prometteur. Lide retenue par les Sudois repose sur un concept hardi visant utiliser un projectile cargo capable de librer des sous-munitions diriges par la suite sur une cible laide de systmes de traque et de guidage. Cette approche sduit larme

    49 La destruction de navires, dinstallations portuaires et mme de villes a toujours t source de proccupation.

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    amricaine50 et des industriels lancent le tout premier projet baptis SADARM (Sense-and-Destroy Armor Munitions), un programme gr par la firme Aerojet en collaboration avec ATK. Une premire srie de tests est mene en 1993. La production doit dbuter en 1994, mais lide dengloutir des milliards de dollars dans un seul projet de munitions freinera sa mise en uvre. Le programme SADARM concerne un quipement trop cher pour lpoque.

    Il faut dire que la SADARM est propose au gouvernement avec la promesse de rduire sensiblement son cot unitaire un peu dmesur. Cette promesse ne sera jamais tenue. Au moment du lancement du programme chaque unit se dtaille pas moins de 300 000 dollars. On ne parviendra jamais abaisser ce cot sous la barre des 100 000 dollars. Les autorits estimeront ds lors que la munition intelligente ntait pas trs comptitive face au missile tout en imposant des contraintes tactiques beaucoup plus lourdes. En consquence, la SADARM sera abandonne et on se tournera vers une autre approche des activits de support au combat51.

    50 Dans loptique des usagers ventuels, la SADARM constituait une importante tape technologique dans la mesure o chaque sous-munition tait quipe de faon reprer sa propre cible.

    51Powell, Colin L., National Military Strategy of the United States, Washington : Government Printing Office, 1992.

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    La munition M 898 SADARM

    Source : Global Security.

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    1993-1997 : LADAPTATION

    Ladministration Clinton tente de promouvoir une nouvelle vision industrielle en annonant, en 1993, son intention daffecter un budget de 20 milliards de dollars sur cinq ans la reconversion de lindustrie militaire amricaine. Une vingtaine de programmes sont mis contribution avec des objectifs varis incluant laide aux communauts, le reclassement des personnels et le soutien la R-D. La plupart des mesures en cause existaient dj. Quelques nouveauts comme Maritech, Sematech et le Technology Reinvestment Program (ou TRP) viennent toutefois donner plus de mordant et dambition technologique la dmarche. On peut en dgager deux stratgies. Selon toute vidence, la dmarche vise en premier lieu rorienter laide publique vers le dveloppement de projets spcifiques et prometteurs comme lautomobile lectrique. Lintention est donc de remplacer une approche technologique fonde sur le savoir-faire en dfense par une stratgie ddie au savoir-faire civil. En second lieu, ladministration espre amener la base industrielle de dfense se rendre moins dpendante du march militaire, notamment par la promotion des technologies double application (militaire mais aussi civile).

    Comme nous lavons vu, ce nest pas la premire fois quil est question de reconversion. Le concept a merg aprs la Seconde Guerre mondiale soit lpoque o il devient ncessit de recentrer sur la production civile ces milliers dusines ddies la fabrication darmement. Des aides sont consenties lpoque en vue de rorganiser la production, mais il ne faut pas oublier quil sagit essentiellement de recrer la structure industrielle en place avant le conflit. En fait lessentiel de leffort public est consacr, aux tats-Unis comme au Canada, la relance de la consommation en vue de redonner vie la demande de produits commerciaux. Cela vaut galement pour les munitions et, tel quindiqu prcdemment, on

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    adaptera lappareil de production au besoin civil (et aussi militaire) de lpoque.

    Au moment o la guerre de Core prend fin, lindustrie nord-amricaine est plus spcialise. Elle est aussi plus rbarbative lide de se transformer et le climat de guerre froide lui permet dviter les remises en question trop fondamentales. Lenjeu de la reconversion ne refait vritablement surface qu la fin du conflit vietnamien et concerne donc principalement les tats-Unis puisque le Canada ne participe pas cette guerre. Comme la si bien soulign Seymour Melman lpoque, plusieurs gestionnaires rpugnent lide de modifier la mission fondamentale de leur entreprise. Le plus grand obstacle aux rformes dcoule de la crainte daffaiblir lappareil de recherche et de dveloppement en place dans lindustrie de dfense car le secteur se targue dtre un pivot incontournable du savoir-faire technologique, ce qui lui permet en fait dtre le principal bnficiaire des dpenses gouvernementales en R-D. En un sens, le caractre particulier de la R-D militaire est le principal pilier de la culture industrielle propre aux entreprises militaires. Il aurait donc fallu agir en priorit sur ce front, ce qui ne sera pas fait, du moins pas suffisamment, aprs le Vietnam.

    Voil pourquoi le TRP devient le symbole de la reconversion des annes 1990. La rponse de lindustrie semble prometteuse. En effet, en peine un an le TRP donne lieu 2 800 demandes totalisant pas moins de 8 milliards de dollars alors que le budget disponible ne se chiffre qu 300 millions de dollars52. Pour comprendre cet engouement, il faut prciser que des organismes respects tel le Center for Strategic & International Studies (CSIS) contribuent donner crdit au principe du rapprochement entre les conomies militaire et civile, voire la reconversion. Le CSIS cre

    52 Lire W.H. Gregory, Dual Use Conversion; Reversing the Way Defense Does Business , Signal, sept. 1993.

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    en 1994 un Senior Group on Defense Conversion auquel sassocient de grandes vedettes du monde industriel de la dfense dont Norman Augustine, prsident du conseil de Martin Marietta. Ce comit soumet un rapport proposant certes de prserver le caractre spcifique de lindustrie militaire mais aussi daider les entreprises se reconvertir.53 Augustine changera de position par la suite.

    Cette fois lintrt pour la reconversion nest pas exclusif aux tats-Unis. Un dbat plus modeste, mais non moins anim, samorce au Canada. Le gouvernement canadien projette notamment de mettre fin un programme dorigine militaire, le Programme de productivit de lindustrie du matriel de dfense (PPIMD) institu la fin des annes 1950 dans le contexte de ladoption du Defense Production Sharing Agreement (DPSA) dont nous avons prcdemment fait tat. Avec les annes, le PPIMD a un peu perdu sa mission militaire et sert aussi au soutien de lindustrie arospatiale civile. Le projet de rformer ce programme pour en faire un levier de la reconversion est avanc. Il en rsulte un nouvel outil en 1996, Partenariat technologique Canada (PTC)54, qui place plutt laccent sur des secteurs industriels jugs porteurs davenir comme larospatiale civile et lenvironnement. La premire mouture du programme fait rfrence la reconversion des entreprises militaires, mais les budgets affects cette mission sont trs modestes.

    Mentionnons que certains pays de lUnion europenne se lancent lpoque dans leur propre politique de reconversion en sappuyant sur des programmes institus par le Parlement europen (dont Perifra et Konver). Lapproche est centre non pas sur les entreprises, mais les territoires. On peut comprendre ce choix dans la mesure o la runification de

    53 Voir H.J. Brown, Critical Issues in Defense Conversion, A Consensus Report of the CSIS Senior Group on Defense Conversion, Washington : CSIS, 1994.

    54 Un programme aboli en 2007.

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    lAllemagne lance le formidable dfi de reconstruire la base industrielle de lex-Allemagne de lEst. Le gouvernement allemand sera dailleurs trs actif dans le dossier.

    Les entreprises engages dans la fabrication de munitions et leurs composants ne peuvent pas demeurer stoques devant ce mouvement, mme sil est clair que leurs perspectives en matire de dveloppement commercial nont rien voir avec celles des entreprises des secteurs arospatial ou de llectronique. Mais peuvent-elles tout de mme tirer avantage des aides publiques et chercher diversifier leurs sources de revenus?

    Prcisons dentre de jeu que le signal envoy lindustrie des munitions ne favorise pas beaucoup la reconversion. Autant les gestionnaires du secteur public que ceux du secteur priv estiment que les perspectives de redploiement des usines de munitions dans le domaine civil sont limites pour ne pas dire inexistantes. Aux tats-Unis, laide publique au secteur prend la forme du programme ARMS pour Armament Retooling and Manufacturing Support institu en 1992, une initiative destine surtout revitaliser les GOCOs et inciter les entreprises de munitions se moderniser en vue de rduire leurs cots de production55. Au Canada des pressions sont faites, surtout par les organisations syndicales, en vue de rformer les programmes dappui aux fabricants de propulsifs et de munitions. Des aides limites seront consenties en vue, ici de dvelopper des gnrateurs de gaz pour les sacs gonflables destins aux automobiles, l de nouveaux produits destins lentranement des forces policires, mais rien de consistant et de consquent nen ressort.

    Dans ce contexte, des munitionnaires dcident de pousser plus loin les rationalisations entreprises au dbut des annes 1990. Paralllement,

    55 PriceWaterhouseCoopers, ARMS Program in Brief, 2000.

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    plusieurs firmes incluant Martin Marietta, Aerojet et Valentec mettent fin leur production de munitions pour se replier sur leurs autres domaines dexpertise. Ce phnomne engendrera un processus de concentration qui fera merger deux grands leaders, soit ATK et Primex, des organisations dont la priorit avoue sera de rester fidle leur cur de mtier.

    ATK est lentreprise qui agit et sexprime le plus clairement sur la question. la suite de sa formation, la firme achte en lespace de quelques annes les activits de Kilgore, dAccudyne et de Hercules. Ces transactions permettent ATK de freiner la glissade de ses ventes (de 1,4 milliard de dollars en 1988 700 millions de dollars en 1993) et denrichir son portefeuille de programmes. Au terme du processus lentreprise apparat sous le jour dune organisation intgre et mieux place sur le plan technologique, ayant notamment ouvert de nouveaux accs en direction des munitions intelligentes. Mais ATK vise plus. En 1992 elle annonce son intention de se porter acqureur des activits de fabrication de munitions dOlin, sa principale comptitrice. tant donn que le regroupement risque de provoquer une situation de monopole dans certains segments nvralgiques pour larme amricaine, comme les munitions de 120 mm pour chars, le tribunal antitrust interdit la transaction.

    Primex est donc ne du rejet de cette fusion et de lincapacit dOlin dnicher un autre acheteur. Il faut prciser cet gard quavant 1988 Olin tait surtout un assembleur de munitions de petit calibre. Lacquisition de General Defense en 1988 lui avait ouvert les portes de la production de gros calibre et notamment des fameuses munitions de 120 mm pour chars. On ne peut pas dire qu lpoque Olin tait un acteur aussi diversifi quAlliant. Lachat des activits dassemblage de moyen calibre dAerojet en 1994 donne plus dampleur lorganisation de sorte quau moment de sa cration, en 1996, Primex est dj perue comme un challenger srieux. Contrairement ATK dont les ventes ne se redresseront que beaucoup plus tard, Olin/Primex met fin en 1993 au processus de

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    dcroissance de son chiffre daffaires, ses ventes passant de 376 millions de dollars en 1993 508 millions de dollars en 199556. Les gestionnaires de Primex sattireront assez rapidement le respect des institutions militaires.

    Derrire la stratgie de repli sur le cur de mtier dATK et de Primex, se cache galement une dmarche moins centrale axe sur la diversification. Comme certaines firmes voluaient dj dans des domaines autres que les munitions la fin de la guerre froide, elles cherchent tout naturellement se replier sur leurs autres comptences lorsque sengage le processus de dclin des ventes de munitions. Ainsi agissent AAI nouvellement engage dans la fabrication de drones et la canadienne SNC-Lavalin dont la division Dfense sinvestit dans la fabrication de masques gaz et de munitions de pratique pour les corps policiers57. Thiokol et Hercules se tournent pour leur part vers la NASA. Du ct dExpro, la poudrire canadienne, des efforts sont dploys en direction des gnrateurs de gaz destins aux sacs gonflables pour les vhicules automobiles.

    Nous avons voqu prcdemment la reconversion des GOCOs. Le sujet mrite quelques commentaires additionnels destins rappeler le rle dcroissant de ces usines gouvernementales dans la fabrication de munitions. En fait le nombre des GOCOs est pass de 77 17 entre 1945 et 1987. Il tait prvisible que ladministration refasse le point la suite de la fin de la guerre froide. Elle conclut, suite aux analyses dune commission du Congrs (la Base Realignement and Closure Commission ou BRAC), charge de cette tche que 7 installations additionnelles doivent tre mises en sommeil entre 1990 et 2000 en vue de fermer leurs portes ultrieurement. Cest surtout sur ces sites que les fonds ARMS seront utiliss dans une optique de reconversion.

    56 Olin conservera sa division Winchester spcialise dans les munitions de petit calibre. 57 Cette dernire organisation a envisag, un moment, se tourner vers des produits totalement

    trangers aux marchs gouvernementaux, mais la dmarche a chou.

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    Des neufs GOCOs restant, trois seront jugs excdentaires entre 2000 et 200558, ne laissant finalement que six installations pleinement oprationnelles. Pendant les annes 1980 une dizaine de firmes se partageaient la grance des GOCOs. la fin des annes 1990 il nen reste que trois soit (1) ATK, (2) Amricain Ordnance une co-entreprise associant Alliant et Day & Zimmerman, ainsi que (3) Royal Ordnance of North America, une filiale du groupe britannique BAE. elle seule ATK est implique dans la gestion de 4 GOCOs. Non seulement les GOCOs diminuent-ils en nombre, mais leur administration repose donc sur un nombre de plus en plus rduit de gestionnaires privs, ce qui amplifie le processus de resserrement du pouvoir industriel dans le secteur.

    La privatisation des GOCOs est un sujet rcurrent qui ressurgit videmment pendant les annes 1990. Largument premier des promoteurs de lide est que le secteur priv peut rationaliser beaucoup plus efficacement en liminant les lourdeurs cres par le ministre de la Dfense et le Congrs59. On voque mme lexemple canadien et la vente de sa socit dtat pour dmontrer la pertinence de la privatisation60. Mais la volont de prserver la souplesse du processus de mise en veilleuse des sites, le dsir de maintenir le systme dencadrement public et des motifs lis la scurit nationale amneront nanmoins les autorits carter cette avenue.

    La rationalisation et la concentration entre 1993 et 1997 fait merger trois grands champions nationaux soit ATK et Primex aux tats-Unis et SNC-

    58 Suite plusieurs valuations dont celle du Program Executive Office Ammunition, Single Manager for Conventional Ammunition, DoD, 2003.

    59 Hix, William M. et al., Rethinking Governance of the Army's Arsenals and Ammunition Plants, Santa Monica, CA : Rand Corporation, 2003.

    60 Hix, William M. et al., Lessons from the North : Canadas Privatization of Military Ammunition Production, Santa Monica, CA : Rand Corporation, 2004.

    http://www.rand.org/pubs/monograph_reports/MR1651/MR1651.ch4.pdfhttp://www.rand.org/pubs/monograph_reports/MR1651/MR1651.ch4.pdf

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    Lavalin au Canada. Ces grands champions nationaux sengageront dans un processus de prise de contrle des programmes cls.

    En 1997 ladministration amricaine publie un nouveau document dorientation, le Report of the Quadrennial Defense Review (QDR)61, qui marque un point tournant dans la pense gouvernementale. Loin de clbrer la fin de la guerre froide, le texte met laccent sur le caractre instable et imprvisible du monde, pointant du doigt les nouvelles menaces combattre (prolifration des armes de destruction massive, drogue, immigration illgale, terrorisme, etc.).

    Par ailleurs, et cela est une donne importante dans le contexte, la reprise conomique sur fond de libralisation du commerce en Amrique du Nord diminue la pression budgtaire sur les ministres de la Dfense. La lutte contre les dficits gouvernementaux occupe moins le devant de la scne et la voix de ceux qui rclament un rinvestissement en quipement militaire trouve un auditoire plus attentif autant Washington qu Ottawa. De faibles hausses budgtaires seront consenties en 1997 et 1998, mais le signal de la reprise samplifie dfinitivement en fvrier 1999, suite une dclaration du prsident Clinton annonant un rinvestissement de 112 milliards de dollars pour la priode 2000-200562 dans lespoir de mettre fin aux critiques rcurrentes lendroit de sa politique63. Tout indique ds lors quun nouveau cycle budgtaire est en voie de prendre corps. Un dbat similaire se droule au Canada au mme moment.

    61 U.S. Office of the Secretary of Defense, Report of the Quadrennial Defense Review, Washington : 1997.

    62U.S. Department of Defense, Department of Defense Budget 2000 , Communiqu, 1 fvrier 1999.

    63 Spring, Baker, Clintons Defense Budget Falls Far Short Again, Washington : Heritage Foundation, 1995.

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    Tableau 2 : volution des achats du gouvernement amricain en

    munitions conventionnelles, 1993-1997, en milliards de dollars US

    Sources: U.S. Department of Defense, Budgets.

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    1997-2001 : LE REDRESSEMENT

    En trois ans (1997-2000) les fonds affects aux tats-Unis lachat de munitions conventionnelles ont augment de 30% avec une hausse planifie additionnelle de 35% entre 2000 et 2003. la confrence annuelle de la National Defense Industry Association consacre au domaine des munitions tenue en 2000, on redevient optimiste. Le PDG de Primex, James Hascall y invite le gouvernement tourner le dos une vision dpasse, pour saluer lavnement dune industrie de niveau mondial64. Que se passe-t-il donc? De plus en plus de pays ayant rduit leurs capacits nationales, louverture aux fournisseurs trangers gagne en importance et lindustrie amricaine accrot ses exportations. Cette dernire souhaite maintenant labolition de lensemble des obstacles au commerce.

    Entre 1989 et 1995 les ventes internationales de munitions ont diminu de moiti, battant en brche les efforts de plusieurs entreprises qui pensaient trouver leur salut auprs de gouvernements trangers. Mais partir de 1995 le commerce reprend, notamment dans la zone OTAN et au Moyen-Orient. Entre 1995 et 2000 les ventes doublent pour atteindre 3 milliards de dollars.65 Cette progression est intimement lie aux exportations de vhicules de combat qui, avec le soutien des gouvernements, progressent de faon significative. Mme le Canada, un acteur pourtant marginal sur le march international de larmement, dcroche en 1999 un important contrat de vhicules blinds en Arabie saoudite.66

    64 Hascall, James G., Industry Perspectives, Munitions Executive Summit, janvier 2000. 65 Blanger, Yves, Le march des munitions : dynamique et perspectives, janvier 2000. 66 Ministre des Affaires trangres et du Commerce international, Exportations de

    marchandises militaires du Canada, Ottawa : 1999.

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    Par ailleurs, le Canada et les tats-Unis ne sont pas les seuls rationaliser leur industrie en faisant merger des champions nationaux. Des dmarches similaires se droulent dans les pays nordiques (Bofors et Nammo67), en France (GIAT), au Royaume-Uni (Royal Ordnance-BAE) et en Allemagne (Rheinmetall). Le jeu complexe des alliances europennes fait pratiquement disparatre les propritaires nationaux des Pays-Bas et de la Suisse. Lintgration europenne est lente et seme dembches, mais elle progresse dans la foule dententes bi et multilatrales comme lAccord franco-britannique de Saint-Malo en 1998. Ds lors, le nombre des munitionnaires diminue lchelle de lOccident et les survivants partagent une vue commune de lintgration des marchs. Il nest plus uniquement question de dvelopper des programmes conjoints pour plaire lOTAN, mais de jeter les bases dun march plus ouvert, globalis. En 1999 une importante brche est enfin faite dans le protectionnisme amricain lorsque Royal Ordnance (filiale du groupe BAE Systems) dcroche la grance du GOCO dHolston spcialis dans les explosifs.

    67 En 2009 le prsident de Nammo se demandera publiquement sil restait une place pour une entreprise comme la sienne dans lenvironnement dune industrie en pleine mutation. Edgar Fossheim, Communication au Munitions Executive Summit, 2009.

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    Tableau 3 : volution des achats du gouvernement amricain en munitions conventionnelles, 1997-2000, en milliards de dollars US

    Sources: U.S. Department of Defense, Budgets.

    Cette rfrence la firme britannique Royal Ordnance nous permet dintroduire lapparition dun autre phnomne qui a un impact croissant sur lindustrie des munitions : lincorporation des grands intgrateurs en dfense. En effet, geste prmonitoire sans doute, suite des pressions gouvernementales, lindustrie britannique nouvellement privatise sengage dans une rorganisation majeure. Le fruit de ce processus que lon nommera plus tard BAE Systems (British Aerospace ou BAe lpoque), se tourne vers les munitions en intgrant Royal Ordnance son organigramme. Le projet britannique est de fonder un intgrateur lexpertise diversifie, capable de rayonner dans le monde. Il sagit donc dun nouveau modle dentreprise militaire. Ajoutons que la division des munitions de BAE Systems se lance en mme temps dans une campagne internationale qui lamne notamment acheter des comptiteurs

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    continentaux et nord-amricains comme BMARC, Heckler & Koch et Muiden Chemie. Les partenariats technologiques se multiplient galement avec lAllemagne et la France. BAE devient probablement la premire vritable multinationale de larmement et prfigure les grands intgrateurs de systmes qui domineront le march des annes 2000. Ce cheminement britannique inspire dautres dmarches. Entre 1989 et 1995 de vastes groupes clairement ddis la dfense et dots de capacits tendues se constituent. Parmi ceux-ci figurent Lockheed-Martin, Raytheon, Thales, General Dynamics, Northrop-Grumman et quelques autres.

    Aux tats-Unis, en 2000, un de ces monopoles, General Dynamics, jette son dvolu sur Primex et en fait lacquisition. Cette transaction avait t prcde de quelques semaines par lachat du groupe espagnol Santa Barbara actif dans la fabrication de blinds et de munitions. General Dynamics ne convoitait pas uniquement deux firmes militaires. Il voulait, comme BAE, se donner accs aux munitions intelligentes, intgrer ses technologies plates-formes/canons/munitions et se donner une assise transatlantique, bref faire merger une organisation dote dun savoir-faire intgr et dun rayonnement international tendu.

    Les termes march global commencent prendre sens au dbut du nouveau millnaire avec une stratgie dentreprise diffrente de celle qui prvalait vingt ans plus tt68. Ce modle est porteur dun potentiel commercial certes, mais il constitue aussi un outil par lequel se dveloppent des entreprises dotes de capacits accrues au plan technologique. La munition intelligente qui tait lobjet des rves de plusieurs devient le chantier des nouveaux leaders. Plus dune dizaine de projets majeurs mergent dans un cercle restreint compos des deux gants amricains, de 5 ou 6 munitionnaires europens et de quelques fabricants de missiles.

    68 Lire ICAF, Munitions : An Industry in Peril, National Defense University, 2002.

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    Un consortium amricano-sudois auquel participent Raytheon et Primex vient dailleurs de mettre au point une nouvelle gnration de munitions intelligentes. Elle sort de lombre le 9 janvier 1997. La ronde Excalibur dont le nom moins prosaque est XM98269 vient dtre teste avec succs. Elle introduit le guidage par GPS en temps rel. Plus polyvalente, la nouvelle munition promet de complter le plus grand projet militaire des temps modernes, soit la gestion intgre du champ de bataille. Ce fantasme est incarn dans un concept, la rvolution dans les affaires militaires (RAM), il le sera par la suite dans le programme du Future Combat Systems (FCS).

    Entre 1997 et 2001, lindustrie nord-amricaine des munitions poursuit donc sa transformation. Maintenant que le processus de rationalisation et de concentration a atteint son aboutissement, elle aspire linternationalisation et une plus grande matrise technologique. La reprise des ventes nourrit les espoirs de ses gestionnaires de voir la prosprit frapper nouveau leur porte. Ils seront combls.

    69 Pour une description lire Janes, 155 mm XM982 Excalibur Projectile , Janes Ammunition Handbook, 2009.

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    2001-2011 : LE RETOUR DE LA PROSPERITE

    On a beaucoup crit sur le 11 septembre 2001 et son impact. Notre intention nest pas de reprendre les analyses ralises sur le sujet, elle est simplement de rappeler que ces vnements ont provoqu aux tats-Unis une rupture dans les priorits de ltat. Il faut aussi se souvenir que les attaques contre New York et Washington ont engendr une onde de choc qui a balay avec force le Canada, atteint lOrganisation des tats amricains (OA) et mobilis lOTAN. La riposte a t rapide et a entran les allis des Amricains, pour certains dans le conflit en Afghanistan et pour dautres dans la guerre contre lIrak. Le nouveau climat scuritaire a enfin pouss les budgets militaires vers des sommets ingals depuis 1945.

    Dans ce contexte le gouvernement amricain veut prendre les commandes de la scurit du monde et dfinir les priorits mettre de lavant, principalement dans la lutte au terrorisme. Le Report of the Quadrennial Defense Review (QDR) de 200670 qui synthtise bien le sujet stipule que les tats-Unis doivent tre:

    Prts affronter lincertitude et des menaces asymtriques (ingales et de diffrentes natures).

    Capables dadaptation aux nouvelles formes de conflits avec des forces polyvalentes, souples, rapides et dotes dune puissance de frappe prcise et dissuasive ainsi que dune logistique adapte un environnement caractris par lurgence.

    Intelligents au point de prvoir les problmes et danticiper les rponses leur apporter par des stratgies adaptes et correctement soutenues sur le plan organisationnel et financier.

    70U.S. DoD, Report of the Quadrennial Defense Review, Washington : 2006.

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    En mesure de dployer des troupes rapidement dans toutes les parties du monde.

    Disposs dissuader toute volont dattaque par une sanctuarisation du territoire national.

    Aptes mettre de lavant des mesures innovantes, non conventionnelles et rassembleuses.

    Capables de composer avec la mondialisation, mais sans mettre le pays en position de vulnrabilit.

    Dots des outils requis pour aussi faire face des menaces plus traditionnelles comme la menace nuclaire.

    Jusquen 2001 les concepts militaires trop audacieux se perdaient souvent dans les labyrinthes du Pentagone et du Congrs. partir de 2001 non seulement fait-on preuve de plus dcoute mais on accepte galement de dnouer les cordons de la bourse.

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    Les niveaux de la guerre hybride

    Mme la conception de la guerre est atteinte par le processus de remise en question. Le concept de guerre asymtrique pourtant n des observations du QDR 1997 est dtrn par le concept de guerre hybride71. Selon les promoteurs de cette nouvelle ide, les conflits modernes ne se profilent plus selon un modle classique ou un modle asymtrique mais, en fait, ils les combinent72. Pour y rpondre, il devient donc ncessaire de

    71 Voir US, DoD, National Defense Strategy, Washington: 2008. 72 Hoffman, Frank G., Hybrid Warfare and Challenges , Joint Forces Quaterly, 1 janvier,

    2009.

    Scurit intrieure=dissuasion globale

    Guerre irrgulire