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Une exposition sur la foule sans représentation de foule. Tentatives d’éclairages par l’obscurité Guillaume Désanges La Foule (0-infini), est un projet d’exposition en deux chapitres qui prend comme point de départ une notion “la foule”, et un livre, fondamental pour saisir les enjeux de cette idée : “Masse et Puissance” d’Elias Canetti. Ces deux éléments étant un point de départ plutôt intuitif du projet, il fallait articuler l’exposition en tentant d’éviter deux écueils, toujours présents dans une exposition thématique : l’illustration d’un côté, l’hermétisme de l’autre. Organiser une exposition signifie pour moi avancer dans une logique de balancement permanent, de contrepoints, d’équilibre-déséquilibre. S’efforcer de simplifier ce qui apparaît trop obscur et complexifier ce qui apparaît trop évident. Le cinéaste François Truffaut expliquant sa méthode de travail disait qu’il fallait “tourner contre le scénario et monter contre le tournage”. De la même façon, concevoir une exposition pourrait signifier définir une liste d’artistes contre la thématique et installer l’exposition contre la liste d’artistes. De fait, chaque œuvre est là pour l’exposition et pour autre chose, elle éclaire le sujet et dans le même temps l’emmène ailleurs, ouvre des perspectives tout en contestant la circonscription thématique. De la même façon l’accrochage des œuvres dans l’exposition dévie temporairement leur réception, les éclaire différemment, crée des liens précaires en termes formels et conceptuels. Bref, il faut créer ce désordre tout en s’efforçant d’éviter la cacophonie. Dans ce premier chapitre de l’exposition, s’il n’y a aucune représentation de foule humaine, et aucune œuvre ne traitant directement cette thématique (à l’exception d’Anna Ådahl, peut- être, mais qui aborde la question du contrôle de la foule sans non plus la représenter directement), c’est qu’il me paraissait intéressant de montrer que l’on peut problématiser la question de la masse humaine sans forcément la montrer. Chaque œuvre suscite donc l’interrogation sur sa propre présence dans l’exposition thématique, et propose des lectures multiples. Si l’exposition apparaît dans l’obscurité, c’est d’abord parce que la présence de nombreuses vidéos, et notamment l’installation de Nicolas Moulin volontairement placée à l’entrée, aurait obligé à cloisonner l’espace, ce qui aurait été dommage compte tenu du volume intéressant du bâtiment. De là l’idée que les vidéos donnent le la de la luminosité générale, et que chaque œuvre soit ensuite éclairée selon cette contrainte. Une exposition “Black Box” (la boîte noire de la salle de spectacle) qui s’oppose au “White Cube” (le cube blanc) de l’art contemporain. L’idée est que chacune des œuvres puisse ainsi dialoguer avec les autres dans le même espace, en assumant l’aspect passablement théâtral de l’ensemble. Ce choix est aussi une affirmation formelle de l’autonomie de chaque pièce, qui, malgré l’association thématique, crée ou circonscrit chacune son halo de lumière. Dans la lignée de la pensée du sociologue Elias Canetti, le motif de la foule se fait l’écho de la notion ontologiquement politique de communauté, mais concerne tout aussi bien une histoire des formes. Idéellement, la foule naît de la formation paradoxale d’une “individualité collective”, un regroupement physique de sujets partageant momentanément un objectif commun. Un regroupement pouvant atteindre l’”innombrable”, qui fascine autant qu’il effraie par sa monstruosité physique et sa puissance incontrôlable, mais aussi sa volatilité. D’un point de vue formel, le motif de la foule aborde la représentation d’un tout composé d’une somme d’éléments caractéristiques, donc la fractalité, mais évoque aussi la tradition ornementale du grotesque, comme organisation visuelle semblant donner un ordre à une réalité multichangeante. Mais cette investigation sur la foule, la masse, ne peut pas se faire sans considérer d’abord son contrepoint, la question de l’absence et du néant, de l’individu isolé apparaissant au monde, puis de son rapport à l’altérité et au groupe, première étape vers la constitution d’une communauté. Dans cette perspective, l’exposition se construit progressivement selon un scénario continu qui mène de l’un au multiple. iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii LA FOULE ZÉRO–INFINI CHAPITRE 1 (unité – dualité – la meute – la masse) Commissariat : Guillaume Désanges, assisté de Mélanie Mermod (Work Method) otographies couleurs Claude Rutault Définition méthode #1 1973 Châssis, peinture LA FOULE ZERO-INFINI Nicolas Moulin ViderParis 2001 Diaporama numérique Espace de documentation Anna Ådahl Human Pyramid 2007 Structure métallique Dog Duet 1975-1976 Vidéo Marie Voignier Le bruit du canon 2006 Vidéo Felix Gonzalez-Torres “Untitled” (Welcome Back Heroes) 1991 Chewing-gums Bazooka Maurizio Cattelan Il Super-noi 1993 Quarante-neuf portraits Kristof Kintera Revolution 2005 Mannequin Jiři Kovanda Contact 1977 Photographie XXX November 19, 1976 1976 Photographie Waiting for someone to call me… 1976 Photographie XXX January 23, 1978 “I arranged to meet a few friends … we were standing in a small group on the square, talking … suddenly, I started running; I raced across the square and disappeared into Melantrich Street…” 1978 Photographie William Wegman Dog Baseball 1986 Vidéo couleur Felix Gonzalez-Torres “Untitled”(March, 5th) #2 1991 Ampoules Anna Ådahl Democracy 2007 Photographies couleurs Entre wo Leaves 1982 Photographie Laure Tixier Siphonophores : Bassia 1 Bassia 2 Bassia3 Epibulia 1 Epibulia2 Epibulia 3 Porpema 1 Porpema “ (stade 1) Popema 28 stade 2) Popema 2 (stade 3) 2002 Huit aquarelles sur papier Annia Erisson The Copenhagen Postmen’s Orchestra 1996 photographies et vidéo Roman Ond waiting nacted 2003 a s de ourneau

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Une exposition sur la foule sans représentation de foule.Tentatives d’éclairages par l’obscurité

Guillaume Désanges

La Foule (0-infini), est un projet d’exposition en deux chapitres qui prend comme point de départ une notion “la foule”, et un livre, fondamental pour saisir les enjeux de cette idée : “Masse et Puissance” d’Elias Canetti. Ces deux éléments étant un point de départ plutôt intuitif du projet, il fallait articuler l’exposition en tentant d’éviter deux écueils, toujours présents dans une exposition thématique : l’illustration d’un côté, l’hermétisme de l’autre. Organiser une exposition signifie pour moi avancer dans une logique de balancement permanent, de contrepoints, d’équilibre-déséquilibre. S’efforcer de simplifier ce qui apparaît trop obscur et complexifier ce qui apparaît trop évident. Le cinéaste François Truffaut expliquant sa méthode de travail disait qu’il fallait “tourner contre le scénario et monter contre le tournage”. De la même façon, concevoir une exposition pourrait signifier définir une liste d’artistes contre la thématique et installer l’exposition contre la liste d’artistes. De fait, chaque œuvre est là pour l’exposition et pour autre chose, elle éclaire le sujet et dans le même temps l’emmène ailleurs, ouvre des perspectives tout en contestant la circonscription thématique. De la même façon l’accrochage des œuvres dans l’exposition dévie temporairement leur réception, les éclaire différemment, crée des liens précaires en termes formels et conceptuels. Bref, il faut créer ce désordre tout en s’efforçant d’éviter la cacophonie.Dans ce premier chapitre de l’exposition, s’il n’y a aucune représentation de foule humaine, et aucune œuvre ne

traitant directement cette thématique (à l’exception d’Anna Ådahl, peut-être, mais qui aborde la question du contrôle de la foule sans non plus la représenter directement), c’est qu’il me paraissait intéressant de montrer que l’on peut problématiser la question de la masse humaine sans forcément la montrer. Chaque œuvre suscite donc l’interrogation sur sa propre présence dans l’exposition thématique, et propose des lectures multiples. Si l’exposition apparaît dans l’obscurité, c’est d’abord parce que la présence de nombreuses vidéos, et notamment l’installation de Nicolas Moulin volontairement placée à l’entrée, aurait obligé à cloisonner l’espace, ce qui aurait été dommage compte tenu du volume intéressant du bâtiment. De là l’idée que les vidéos donnent le la de la luminosité générale, et que chaque œuvre soit ensuite éclairée selon cette contrainte. Une exposition “Black Box” (la boîte noire de la salle de spectacle) qui s’oppose au “White Cube” (le cube blanc) de l’art contemporain. L’idée est que chacune des œuvres puisse ainsi dialoguer avec les autres dans le même espace, en assumant l’aspect passablement théâtral de l’ensemble. Ce choix est aussi une affirmation formelle de l’autonomie de chaque pièce, qui, malgré l’association thématique, crée ou circonscrit chacune son halo de lumière.

Dans la lignée de la pensée du sociologue Elias Canetti, le motif de la foule se fait l’écho de la notion ontologiquement politique de communauté, mais concerne tout aussi bien une histoire des formes. Idéellement, la foule naît de la formation paradoxale d’une “individualité collective”, un regroupement physique de sujets partageant momentanément un objectif commun. Un regroupement pouvant atteindre l’”innombrable”, qui fascine autant qu’il effraie par sa monstruosité physique et sa puissance incontrôlable, mais aussi sa volatilité. D’un point de vue formel, le motif de la foule aborde la représentation d’un tout composé d’une somme d’éléments caractéristiques, donc la fractalité, mais évoque aussi la tradition ornementale du grotesque, comme organisation visuelle semblant donner un ordre à une réalité multichangeante. Mais cette investigation sur la foule, la masse, ne peut pas se faire sans considérer d’abord son contrepoint, la question de l’absence et du néant, de l’individu isolé apparaissant au monde, puis de son rapport à l’altérité et au groupe, première étape vers la constitution d’une communauté. Dans cette perspective, l’exposition se construit progressivement selon un scénario continu qui mène de l’un au multiple.

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LaFouLe zéro–inFini Chapitre1(unité–dualité–lameute–lamasse) Commissariat:GuillaumeDésanges,assistédeMélanieMermod(WorkMethod)

otographies couleurs

Claude RutaultDéfi nition méthode #1 1973Châssis, peinture

LA FOULEZERO-INFINI

Nicolas Moulin ViderParis 2001Diaporama numérique

Espace de documentation

Anna ÅdahlHuman Pyramid2007Structure

métallique

Dog Duet 1975-1976

Vidéo

Marie VoignierLe bruit du canon

2006 Vidéo

Felix Gonzalez-Torres“Untitled” (Welcome Back Heroes)

1991Chewing-gums Bazooka

Maurizio CattelanIl Super-noi 1993Quarante-neuf portraits

Kristof KinteraRevolution

2005Mannequin

Jiři KovandaContact1977Photographie

XXXNovember 19, 19761976Photographie

Waiting for someone to call me… 1976Photographie

XXX January 23, 1978 “I arranged to meet a few friends … we were standing in a small group on the square, talking … suddenly, I started running; I raced across the square and disappeared into Melantrich Street…”1978Photographie

William WegmanDog Baseball 1986Vidéo couleur

Felix Gonzalez-Torres“Untitled”(March, 5th) #2

1991Ampoules

Anna ÅdahlDemocracy

2007Photographies couleurs

Vous êtes ici

Entr�e

�wo Leaves1982

Photographie

Laure TixierSiphonophores : Bassia 1 Bassia 2Bassia3 Epibulia 1Epibulia2 Epibulia 3Porpema 1Porpema “ (stade 1)Popema 28 stade 2) Popema 2 (stade 3)2002Huit aquarelles sur papier

Anni�a Eri�ssonThe Copenhagen

Postmen’s Orchestra 1996

photographies et vidéo

Roman Ond�� �waiting �nacted2003�a s de �ourneau�

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Le premier chapitre de ce projet, qui se déroulera en deux temps, ne comporte volontairement aucune représentation de foule humaine. Il propose d’aborder ce sujet complexe de manière abstraite, voire paradoxale, à travers un choix d’œuvres dont le rapport à l’unité et à la multitude est sensitif plus qu’illustratif, formel plus que discursif, indirect plus que manifeste. Du monochrome comme effacement du sujet jusqu’à la multitude chaotique ou faussement contrôlée de l’amoncellement, en passant par des structures organiques ou sociales qui, telles des “cristaux de masse”, développent des embryons de comportement unitaire. Il s’agit de problématiser un sujet de manière sensible, révélant des éclairages particuliers et des liens précaires entre des oeuvres qui échappent individuellement à la circonscription thématique.

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Dans une période où politique et économie mondiales semblent prôner l’échelle individuelle comme valeur absolue, où les formes de contre-pouvoir ont souvent pris comme angle d’attaque la reconnaissance des minorités ou les micro-résistances localisées, l’échelle de la foule, de la multitude, de la masse, et le malaise qu’elle peut susciter apparaissent peut-être plus subversif qu’il n’y paraît à première vue. C’est aussi ce que ces deux expositions entendent progressivement éclairer.

u Anna Ådahl Democracy 2007 Photographies couleurs. Courtesy de l’artiste. Production Work Method.

u HumanPyramid 2007 Structure métallique. Courtesy de l’artiste. Production Work Method.

Le projet Staging Independence d’Anna Ådahl, inspiré entre autres de la pensée d’Elias Canetti, consiste en cinq œuvres évoquant différents moyens et stratégies de rassemblement, d’organisation et de maîtrise de la foule. Ces éléments jouent sur les frontières troubles entre contrôle et chaos, soumission et émancipation, loisirs et répression.Les pièces Democracy et Human Pyramid, présentées dans ce

À VENIR:LA FOULE (0-INFINI) Chapitre 2 de septembre à novembre 2008

iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii10, rue de Bien- Assis63000 Clermont-FerrandTél. 04 73 42 63 76

Tous les jourssauf le lundide 15 h à 19h Entrée libre

la tôlerieEspace d’art contemporain

Implanté dans le cœur historique et industriel de la Ville, l’Espace d’Art contemporain La Tôlerie, ancien garage réhabilité à l’initiative de la Ville de Clermont-Ferrand en 2003, s’affirme comme un instrument d’exploration de la création contemporaine. Il invite chaque année un commissaire extérieur pour imaginer et mettre en œuvre une programmation spécifique sur une saison. Guillaume Désanges critique d ‘art, commissaire d’exposition et cofondateur de Work Method, structure de indépendante commissariat et production de projets a été chargée de la programmation en 2007-2008.

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premier chapitre de l’exposition La Foule (0-Infini), représentent des structures construites pour accueillir des foules dans une logique de célébration collective. Democracy est une série de photographies documentant des espaces publics communautaires suédois, nommés « parcs du peuple », servant de salles de bals, de jeu et ou kiosques à musique. Présentés vides de toute présence humaine, les photographies de ces structures offre un catalogue de formes architecturales conçues pour le regroupement populaire. Human Pyramid est la reconstitution d’une structure destinée à porter des groupes de figurants, qui formaient des pyramides humaines lors de parades soviétiques, tels que photographiés par l’artiste Alexandre Rodtchenko en 1936. Présenté lui-aussi volontairement dépourvu de

présence humaine, cet outil de célébration de la magnificence du peuple devient ici un objet sculptural vaguement dérisoire, qui évoque de manière sous-jacente la contrainte plus que la liberté.Les trois autres éléments du projet, Loudspeaker, Crowd Control et Fire, seront présentés dans le deuxième chapitre de l’exposition.

AnnaÅdahlestnéeen1973àStockholm,ellevitettravailleàParisetàStockholm.

uMaurizio Cattelan IlSuper-noi 1993 49 portraits, encre sur acétate, 180 x 180 cm. Collection Fonds régional d’art contemporain Languedoc-Roussillon, Montpellier.

Beaucoup d’œuvres de l’artiste italien Maurizio Cattelan jouent sur la mise en scène de sa propre absence. Pour Untitled - Certificato medico (1989), il se fait faire par un médecin un justificatif d’arrêt de travail et l’envoie au directeur du lieu où il doit exposer ; Torno Subito (1989) consiste uniquement en un petit panneau qui porte l’inscription “Je reviens tout de suite” ; pour une exposition collective au Castello di Rivara près de Turin, il symbolise son évasion du monde de l’art en nouant une corde de draps à la fenêtre de l’une des salles d’exposition (Una domenica a Rivara, 1992). Par ailleurs, la majorité des entretiens qu’il accorde n’est pas réalisée par lui mais par Massimiliano

“Art is a matter of statistics : it’s not about individuals, it’s about people.”(Maurizio Cattelan, interview avec Brigit Lohmann, Designboom, avril 2004)

EXPOSITIONcommissariat d’exposition: Guillaume Désangescoordination exposition:Mélanie Mermodcoordination Mairie:Gaelle GibaultDirection technique:Pierre MauchienEquipe de montage:Fabrice Coudert, Stéphane Renié, Nicolas Charpin, Olivier Chambrialgraphisme affiche et flyer:Gérard Gstagiaire:Hélène Hibou

CATALOGUEchef de rédaction: Guillaume Désangesrédaction notices:Mélanie Mermod et Guillaume Désangesconception graphique:gmgplan d’exposition:Hélène Hibou

REMERCIEMENTSaux prêteurs: Electronic Art Intermix, FRAC Languedoc-Roussillon, galerie gb agency, Kadist Art Foundation, Barbara et Howard Morse, Joao Tovar, galerie Polaris, galerie Schleicher+Lange, Robert Vifian.

et : Anna Ådahl, Henni Alftan, Céline Bernard, Frédéric Bouglé, Caroline Bourgeois, Thomas Boutoux, Jennifer Flay, Eva Gonzalez-Sancho, Jiři Kovanda, Kristof Kintera, Sylvain Lizon, Nicolas Moulin, Jean Nanni, Roman Ondák, Claude Rutault, Laure Tixier, Marie Voignier, William Wegman, École Supérieure d’Art de Clermont Communauté, Foundation Felix Gonzalez-Torres, Mairie de Clermont-Ferrand.

Folkests Park, Malmö, Suède, 2004.

© Helene Blast

Vladimir Tatline, Modèle du Monument pour la

Troisième Internationale, 1919-1920.

Musées nationaux russes, Saint-Pétersbourg.Maurizio Cattelan

Stadium 1991.

Busby Berkeley préparant une chorégraphie de Gold Diggers (1933)

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Gioni, sa doublure officielle qui joue son rôle et répond aux questions des journalistes. De prime abord, Il Super–noi (1993) pourrait être perçu comme un ensemble de portraits d’un groupe de touristes de passage à Montmartre, avec un trait légèrement fauviste. Pourtant une seule et unique identité se cache derrière ces visages: celle de l’artiste. Pour cette œuvre, Maurizio Cattelan a demandé à quarante-neuf de ses proches de faire une description écrite de son visage et a transmis ces informations à des portraitistes professionnels des services de police judiciaire, afin de faire réaliser ces portraits-robots de lui-même. Difficultés à définir l’autre et à le représenter, multiplicité et évanescence des identités, clonage imparfait, prolifération virale du même, morphing, ces visages laissent imaginer une foule de possibles.

MaurizioCattelanestnéen1960àPadoue,ilvitettravailleàMilanetNewYork.

uAnnika Eriksson TheCopenhagen Postmen’sOrchestra 1996 Vidéo, photographies et son, 30 min. Photographie : 20 x (21 x 16 cm). Musique : “Sour Times” de Portishead (Brooks/Turner/ Schifrin/Barrow/GibbonsUtley) avec l’autorisation de Air Chrysalis Scandinavia, Peer Music et BMG. Caméra : Nicki Martin. Collection Fonds régional d’art contemporain Languedoc- Roussillon, Montpellier.

En 1996, l’artiste suédoise Annika Eriksson a proposé à un orchestre amateur de postiers danois d’interpréter le morceau trip hop “Sour Times” du groupe anglais Portishead, dans le cadre de l’exposition “NowHere” au Louisiana Museum for Moderne Kunst. L’installation présentée ici consiste en la vidéo du concert

déclencher la formation de masses. Il est important que ces groupes puissent être saisis et embrassés d’un coup d’œil. C’est leur unité qui compte, beaucoup plus que leur étendue. Leur fonction doit être bien connue, il faut savoir pour quoi ils sont là. Le moindre doute sur cette fonction leur ôterait tout leur sens; l’idéal est qu’ils restent inchangés. Qu’ils ne prêtent pas à confusion.” (Elias Canetti, Masse et Puissance, Paris, Gallimard, 1966)

“Par cristaux de masse je désigne de petits groupes rigides d’hommes, nettement délimités et très persistants, qui servent à

Le nombre 3 en tant que 3 pour moi, ce n’est ni l’unité ni la dualité. Le 3 est tout, la fin dernière de la numération. Avec trois unités, j’ai assez pour tout faire, pour dénombrer les choses. Les millions ne comptent pas. Le 3 remplit le même rôle pour moí.

(Marcel Duchamp, Entretien pour la BBC)

QUELQUES REFLEXIONS SUR LE COMMISSARIAT D’EXPOSITION

Guillaume Désanges

(extrait d’un texte publié par le MAC-Val dans la publication : “Qu’est-ce qu’un commissaire d’exposition ?”, 2007

Polysémie, éclairages & liens précaires

- la pratique curatoriale est un va et vient permanent entre deux mouvements : puiser dans un catalogue de formes pour éclairer

des idées et puiser dans un catalogue d’idées pour éclairer des formes- il s’agit de miser sur la polysémie des œuvres (image du polyèdre -> montrer des choses qui n’ont rien à voir mais peuvent s’accorder sur une face particulière)- l’exposition dévie chaque œuvre : en retour, chaque œuvre dévie l’exposition- il faut avoir confiance en les œuvres, leur force, leur capacité de résistance... même à une mauvaise exposition

Une expérimentation dans le fond avant la forme

- l’expérimentation n’est pas intéressante en soi. Croire suffisamment au médium exposition (soit, un déploiement d’œuvres dans l’espace de l’art) pour ne pas avoir envie de le “défier”.- faire des projets curatoriaux actifs et non pas réactifs- l’expérimentation doit essentiellement résider dans la sélection et l’association d’œuvres d’art, dans la tension entre des idées et des œuvres qui s’y dérobent sans cesse- les formes de l’exposition doivent rester au service d’une perception polysémique de l’œuvre - les formes curatoriales, y compris

les plus audacieuses, doivent être a posteriori, elle ne doivent être a priori, pas être simplement gratuites- la limite de l’expérimentation formelle, c’est le sens (idem pour la critique d’art) : la thématique, les liens sensibles ou idéels, la fidélité à des intuitions restent l’essentiel- la forme d’une exposition doit être nécessaire, en tant qu’elle est toujours une solution à un ou plusieurs problèmes

Libertés protocolaires

- s’autoriser toutes les formes, tous les protocoles d’exposition si les résolutions de sens et d’accrochage les justifient- s’efforcer de trouver une forme qui batte au rythme de son sujet- savoir s’adapter aux cadres sans s’y plier- savoir prendre des risques - dans les choix des œuvres et les modes de monstration (au même titre que les artistes)- croire à la “fécondité des contresens” (R. Barthes), et en assumer les conséquences- un protocole d’exposition n’est jamais un modèle, il propose des éclairages précaires sur des formes et de idées

Diffusion d’un portrait-robot

dans l’affaire de Bagnols sur Cèze.

mai 2006

Couverture de l’album de Portishead “Roseland NYC Live”

(Go! Discs/Londres) 1998

Elias Canetti

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accompagnée des portraits photographiques des vingt musiciens en uniforme. Annika Eriksson a souvent travaillé avec des groupes et associations d’individus : un club suédois d’amateurs de voitures de sports (Sportvagnsklubben), le personnel d’institutions culturelles ou d’entreprises privées (Swiss-Re, Volkswagen, Biennale de São Paulo, Moderna Museet à Stockholm, le Malmö Museet ou le Mori Art Museum à Tokyo), un groupe d’adolescents squattant un espace public à Malmö, des conducteurs de bus, ou d’autres orchestres amateurs (The Stockholm Postmen’s Orchestra en 1998, The Connecticut Fire-fighters Pipes and Drums en 2000).L’intérêt d’Annika Eriksson pour ces groupes existant au préalable l’a amené à créer des situations

performatives qui brouillent les représentations habituelles de ces microcosmes. Si le processus utilisé dans The Copenhagen Postmen’s Orchestra est similaire à la culture de la “reprise” en rock, du standard en jazz, ou du sample en musique électronique, elle opère à l’inverse de ce qui est généralement pratiqué: la reprise dans un style traditionnel et suranné d’un hit des jeunes générations. Cette performance montre avec humour la persistance d’une logique disciplinaire de groupe même lorsque le motif principal de l’activité est dévoyé.

AnnikaErikssonestnéeen1956àMalmö(Suède),ellevitettravailleàBerlin.

uFelix Gonzalez-Torres “Untitled”(March,5th)#2 1991 Deux ampoules de 40 watts, rallonges, douilles en porcelaine, dimension variable. Collection Barbara et Howard Morse, New York. Courtesy Foundation Felix Gonzalez-Torres.

uFelix Gonzalez-Torres “Untitled”(Welcome BackHeroes) 1991 440 lbs (199,6 kg) de chewing- gums Bazooka, dimension variable. Collection privée, Paris.

uWilliam Wegman DogBaseball 1986 Vidéo couleur, son, DVD sur moniteur, 3’26’’ min. Courtesy de l’artiste et Electronic Art Intermix, New York. Produit pour Saturday Night Live.

uWilliam Wegman DogDuet 1975-1976 Vidéo n/b, son, DVD sur moniteur, durée 2’38’’ min. Courtesy de l’artiste et Electronic Art Intermix, New York.

William Wegman est surtout connu pour ses photographies mettant en scène ses chiens, des braques de Weimar, dans des situations burlesques souvent anthropomorphiques.Dog Duet (1974) est l’une des premières vidéos où apparaissent les braques de Weimar et une des rares œuvres de Wegman que l’on pourrait rapprocher de l’art conceptuel par son minimalisme narratif et formel. Le ballet des mouvements presque parfaitement synchrones des chiens ne lâchant pas des yeux une balle de tennis manipulée par l’artiste hors-champ, évoque avec humour les phénomènes de mimétismes comportementaux, analysés entre autres par des chercheurs comme René Girard, qui considère ces mécanismes comme fondamentaux pour la

construction de l’individu et de ses désirs. Ces mouvements mécaniques renvoient indirectement à la notion de foule, en ce qu’ils constituent un embryon de comportement unitaire par deux individus.À l’inverse, Dog Baseball (1986) démontre avec humour et ironie l’échec de la volonté de dressage et de soumission d’un groupe de chiens à des règles comme celles du base-ball, mettant en évidence l’absurdité de cette recherche de maîtrise, mais aussi la forme jubilatoire de l’anarchie collective.

WilliamWegmanestnéen1943àinHolyoke(Massachusetts),ilvitettravailleàNewYorketMaine.

“J’ai eu une première réaction typiquement de gauche, totalement prévisible, à propos de laquelle je me pose de plus en plus de questions,

« Pluralitas non est ponenda sine necessitate »

« Les multiples ne doivent pas être utilisés sans nécessité »

principe du Rasoir d’Occam

Annika Eriksson, Staff de la 25ième Biennale de Sao Paulo.2002

container de chips Doritos échoué aur la plage de Outer Banks en Caroline du Nord.2006

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Untitled (Welcome Back Heroes) est l’un des célèbres “candy spills” (tas de bonbons), nom donné à ce corpus d’œuvres de l’artiste américain d’origine cubaine Felix Gonzalez–Torres. Comme toujours chez l’artiste, la pièce au protocole simple s’avère extrêmement

polysémique. L’idée proposée à travers cette fragile structure est d’offrir la possibilité au visiteur d’emporter un “morceau” de l’œuvre tout en sachant qu’il participe ainsi à sa disparition. Cette œuvre date de 1991, alors que la deuxième guerre du Golfe (suite à l’invasion du Koweit par l’Irak) touche à sa fin. Le protocole, décrit sur une feuille A4 signée par l’artiste, demande que soit rassemblés 440 pounds (199,6 kg) de chewing-gums de marque Bazooka. Ce poids équivaut à celui de deux soldats équipés. Le Bazooka, friandise créée au moment où une autre guerre, la Deuxième guerre mondiale, prenait fin, évoque de manière ostentatoire le patriotisme et l’hégémonie alors naissante d’une certaine culture américaine, basée sur une célébration de la consommation.Souvent citées comme des

formes emblématiques de l’art participatif (ou de “l’esthétique relationnelle”) développé dans les années quatre-vingt-dix, ces dispositifs à priori innocents et généreux évoquent avec une certaine violence une autre réalité sous-jacente: la disparition programmée de l’artiste et de certains de ses proches, contaminés par le virus du sida. Chaque “candy spill” propose ainsi de décrypter une multitude d’histoires et d’hypothèses à chaque fois renouvelables, qui peuvent être formulées à partir du peu d’éléments fournis par l’artiste: le type de bonbons choisi, le titre de l’œuvre, sa date et son poids. Dans le cadre de l’exposition La Foule (0-infini), par exemple, ce tas multicolore évoque multitude faussement homogène (puisque les bonbons contiennent différents dessins à l’intérieur), à la fois fascinante, féérique et vaguement écœurante, chaos

“Masse et puissance” d’Elias Canetti (Editions Gallimard, 1996, Paris)

Elias Canetti (1905-1994) est un auteur de pièces de théâtre, d’un roman (“Die Bindung”) mais surtout d’essais théoriques, de recueils d’aphorisme et d’une autobiographie. Il a reçu en 1981 le Prix Nobel de littérature pour l’ensemble de son œuvre. Le 15 juillet 1927, un événement marquera sa vie et son œuvre: une manifestation populaire qui tourne à l’incendie du palais de justice de Vienne. Cela provoquera en lui le désir d’analyser et de comprendre le rapport entre les comportements de masse et le pouvoir. Il étudiera

cette problématique centrale de l’histoire du XXème siècle jusqu’en 1960, date de la publication de l’œuvre majeure de sa vie, “Masse und Macht” (Masse et puissance). Dans ce livre majeur, édité après trente ans de recherches en 1960 en Allemagne et publié six ans plus tard en France chez Gallimard, Elias Canetti se penche sur les rapports que la masse entretient de tous temps avec le pouvoir. Ce faisant, il puise dans un matériau historique très varié, se référant aussi bien à la très ancienne civilisation chinoise qu’aux événements européens qui lui sont contemporains. Il choisit

néanmoins une approche non historique et analyse dans la première partie les différentes dynamiques et typologies de foule (“la masse”, “la meute”). Selon lui, le modèle formel et comportemental de la foule, qu’il appelle “symboles de masse”, sont le feu, la mer, la pluie, le vent, le sable, etc. dans leur aspect à la fois puissant et informe, proliférant et souvent éphémères, envahissant tout en se consommant eux-mêmes. Il défend l’importance de la survie de l’individu dans la foule et les enjeux de puissance et d’ordre déployés par différents pouvoirs politique et religieux.

et que je trouve très statique, voire défaitiste. Aujourd’hui, je ne veux pas me tenir en dehors des structures de pouvoir, je ne veux pas constituer l’opposition, l’alternative. L’alternative à quoi ? Au pouvoir ? Non. Je veux avoir du pouvoir. Car le pouvoir est efficace en termes de changements. Je veux être un virus au cœur de l’institution.”(Felix Gonzalez–Torres, “Joseph Kosuth - Felix Gonzalez-Torres. Une conversation. 1993”, in Trouble, n°1, hiver 2002.)

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pop artificiellement soumis à un ordre géométrique hérité de l’esthétique minimale.A contrario, Untitled (March 5th) #2 évoque par une matérialisation quasi invisible, la fragilité de l’individu et des liens qui peuvent l’unir à l’autre.

FelixGonzalez–Torresestnéen1957àGuaimaro(Cuba),ilestdécédéen1996àNewYork.

uKristof Kintera Revolution 2005 Système électronique et mécanique, puce électronique, structure métallique, polyuréthane, vêtements, etc. Collection Joao Tovar. Courtesy galerie Schleicher+Lange, Paris.

La facture hyperréaliste, la petitesse du personnage et la singularité de sa position debout face au mur suscitent divers types de spéculations: doit-on y voir le résultat d’une punition, d’une bouderie, d’un sentiment d’abandon, de mélancolie, de timidité ou simplement un jeu d’enfant ? Si la représentation d’un sujet de dos est une référence dans la tradition picturale (entre autres exemples, l’autoportrait implicite

du peintre dans la Renaissance du Nord, ou la projection du spectateur dans la toile dans la peinture Romantique), il apparaît plutôt improbable et absurde dans le champ de la sculpture. Déclenché par intermittence, le mouvement quasi-épileptique du personnage qui se cogne la tête contre le mur renvoie à une sorte d’entêtement masochiste. Dans une posture antihéroïque, tournant le dos au monde et à l’histoire, c’est une Révolution solitaire et désespérée que ce petit homme nous invite à contempler. Un combattant conscient mais non réconcilié avec sa propre inutilité et son impuissance, qui, faute d’ennemi identifié peut-être, se retrouve à lutter contre lui-même.

KristofKinteraestnéen1973àPrague,ilvitettravailleàPrague.

évoqués dans les aquarelles de Laure Texier mettent au défi les notions d’individualité qui perçoit l’individu comme un être vivant indépendant et de groupe comme un ensemble plus ou moins autonome d’individus. Inspirées des planches d’Ernst Maeckel, on peut y déceler, en les observant de près, de petits parasites évoquant les mouches discrètes des natures mortes de la peinture hollandaise, qui selon certains iconographes faisaient allusion au déclin lancinant de toute vie. Par ces minuscules intrusions de vaisseaux et véhicules tout droit sortis des films “Starwars” ou “Dune”, l’artiste transforment les siphonophores en méga-structures architecturales utopiques perdues dans l’espace du papier.

LaureTixierestnéeen1972àClermont-Ferrand,ellevitettravailleàParis.

uMarie Voignier Lebruitducanon 2006 Vidéo, 27 min. Courtesy de l’artiste. Production Capricci.

La peur latente des phénomènes de foule et de migration massive épinglée par le regard précis de Marie Voignier, jeune réalisatrice qui a reçu en 2007 pour ce documentaire le prix du court-métrage du “Cinéma du réel”, festival international de films ethnographiques et sociologiques.

MarieVoignierestnéeen1974àRis-Orangis,ellevitettravailleàParis.

“We don’t need no educationWe don’t need no thought controlNo dark sarcasm in the classroom“We don’t need no educationWe don’t need no thought controlNo dark sarcasm in the classroom Teachers leave them kids aloneHey! Teachers! Leave them kids alone!All in all it’s just another brick in the wall.All in all you’re just another brick in the wall.” (Pink Floyd, “Another Brick in the Wall Part 2 (Waters)”,

“Est-ce une conséquence de la chute du Mur de Berlin ? En tout cas, ils sont arrivés quelques années après, par milliers, d’Europe de l’Est. Depuis, ce coin paisible de Bretagne est devenu un nouveau Vietnam : ils tiennent le ciel et les paysans se terrent. Comme le bétail. […] Les pouvoirs publics les ont abandonnés. Les armes chimiques sont interdites, les coups de feu inoffensifs, rien n’est autorisé, tout est inefficace : le mal ne fait que [de] se déplacer”. (Yann Lardeau, notice de présentation, programme du festival “Cinéma du Réel”, Paris, 2007 )

Santiago Sierra, Group of people facing the wall,2002

René Magritte, Décalcomanie,

1966

Caspar David FriedrichDer Wanderer über dem Nebelmeer

(Le voyageur au-dessus de la mer de nuages)1817

Appel public pour participer à l’expérience du professeur Staney Milgram, qui demontrera par la suite que 62,5 pourcent des cobayes avaient été prêts à infliger des poses mortels à des individus sous la pression d’une autorité (scientifique ou militaire)

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Ernst Haeckel couverture de Kunstformen der Natur (« Les Formes d’Art de la Nature »), publiés entre 1899 et 1904

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uJiři Kovanda Waitingforsomeoneto callme… November18,1976 Prague 1976 Photographie n/b, texte dactylographié sur papier, 332 x 240 mm. Courtesy galerie gb agency, Paris.

uTwoLeaves Autumn1982 Prague 1982 Photographie. Courtesy galerie gb agency, Paris.

uXXX January23,1978 “Iarrangedtomeeta fewfriends…wewere standinginasmallgroup onthesquare,talking…

suddenly,Istartedrunning; Iracedacrossthesquare anddisappearedinto MelantrichStreet…” Staroměstskénaměsti, Prague 1978 Photographie n/b, texte dactylographié sur papier, 332 x 240 mm. Courtesy galerie gb agency, Paris.

uXXX November19,1976 Vaclavskénaměsti,Prague 1976 Photographie n/b, texte dactylographié sur papier, 332 x 240 mm. Courtesy galerie gb agency, Paris.

u Contact September3,1977 Špalenaulice,Vodičkova ulice,Prague

1977 Photographie n/b, texte dactylographié sur papier, 332 x 240 mm. Courtesy galerie gb agency, Paris.

À partir des années soixante-dix, l’artiste tchèque Jiři Kovanda réalise des actions discrètes et intrusives qui sont presque impossibles à différencier de la vie réelle : marcher dans la rue et frôler les passants, quitter une discussion en courant, attendre que le téléphone sonne, donner des rendez-vous et arriver en avance, etc. Son travail, aussi précisément poétique que politique, renvoie au questionnement existentiel de la place de l’individu dans l’espace social, en restant irréductible à une réaction contextuelle liée à la situation des pays de l’Est durant la période soviétique. Son économie de travail, entre modestie des moyens et

avant d’être exécutée, laissant la possibilité à toute personne de réaliser l’œuvre. Il s’oppose ainsi à la personnalisation fétichiste et virtuose du geste manuel de l’artiste pour y substituer un geste de la pensée, à la fois radical et généreux.

ClaudeRutaultestnéen1941ààTroisMoutiers,ilvitettravailleàVaucresson.

uLaure Tixier Siphonophores: Bassia1 Bassia2 Bassia3 Epibulia2 Porpema1 Porpema2(stade1) Porpema2(stade2) Porpema2(stade3) 2002 Aquarelle sur papier 28,3 cm x 29,8 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie Polaris, Paris.

Décrit pour la première fois par le naturaliste Carl Vogt en 1855, le siphonophore est un organisme vivant de la famille des méduses qui a la particularité rare d’être considéré comme étant à la fois un être autonome et une colonie. Il est en effet composé de milliers d’individus spécialisés dans des tâches différentes : défense et capture des proies, digestion, excrétion, propulsion, reproduction, flottaison, etc. Chacun de ces sous-organismes a toutes les caractéristiques de l’individu autonome, mais à cause de son ultra-spécialisation fonctionnelle, il reste dépendant de l’ensemble pour les autres fonctions vitales nécessaires à sa survie auxquelles il ne peut subvenir lui-même. Ce n’est pas en se rassemblant à un moment donné que ces individus constituent le « super-organisme » qu’est le siphonophore. Ces zoides

naissent et s’autonomisent progressivement, à partir d’une cellule unique issue d’un œuf fertilisé. Les scientifiques définissent l’ensemble colonial de ces individus autonomes comme étant un « individu écologique ».La découverte de ces nouvelles espèces vivantes tout au long du dix-neuvième siècle a eu une influence prépondérante sur différents courants artistiques comme l’Art Nouveau. Les planches issues des ouvrages de la collection «Kunstformen der Natur » (« Les Formes d’Art de la Nature », publiés entre 1899 et 1904) d’Ernest Haeckel ont par exemple servi de modèle direct à différents artistes et architectes comme Constant Roux, Louis Confort Tiffany ou René Binet, qui réalisa la maison privée « Medusa » d’Ernst Maeckel en se basant sur ses travaux scientifiques.Les trois types de siphonophores

Douglas HueblerVariable Piece # 44 (Global)

1971

Chandelier en verre du Musée Océanographique de

Monaco créé de Constant Roux inspiré d’une planche Kunstformen der Natur de

Ernst Haeckel.

Ernst Haeckel “Siphonophorae”, inKunstformen der Natur (« Les Formes d’Art de la Nature »), publiés entre 1899 et 1904

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volontarisme dans l’action, entre universalité et immédiateté, fonde une œuvre d’un profond romantisme. Utilisant son propre corps comme instrument de mesure, il propose une sorte de résistance passive, mais émouvante, au caractère paradoxal d’un espace public devenu espace de circulation sans déviation, de coexistence sans communication, de proximité sans contact. Les actions discrètes de Kovanda sont ainsi une manière à la fois élégante et légèrement désespérée d’assumer un positionnement d’éternel outsider au cœur même du collectif. Une individualité autonome, physiquement et politiquement insoumise à l’organisation sociale de la modernité.

L’ œuvre Two leaves (“Deux feuilles”) fait partie des œuvres de type “interventions”,

qui consistent en de mini-constructions, presque invisibles, de l’artiste dans l’espace public. Ici, Jiři Kovanda a accroché deux feuilles mortes avec un trombone, abandonnant au hasard d’un improbable regard ce collage artificiel et romantique de deux éléments naturels.

JiřiKovandaestnéen1953àPrague,ilvitettravailleàPrague.

uNicolas Moulin ViderParis 2001 Diaporama numérique (son réalisé en collaboration avec Jimmy T) Courtesy de l’artiste et de la galerie Chez Valentin, Paris.

d’attentes” et à la loi “Little”, afin de fournir des outils pratiques pour réguler et perfectionner les systèmes d’attente. Ainsi ce sont développés des systèmes de cheminements imposés avec de grand virages à angles morts afin d’atténuer le sentiment de frustration (dans les expositions universelles et les parcs d’attraction, par exemple), mais aussi le système de “file d’attente virtuelle” avec la distribution de numéros, la mise en place de “coupe-files” payants et les dispositifs dits de “waitentertainement”, qui consistent à faire “oublier” la queue en proposant des jeux interactifs, en faisant intervenir des acteurs ou la projection d’images sur grand écran.

RomanOndákestnéen1966àZilina(Tchécoslovaquie),ilvitettravailleàBratislava(Slovaquie).

uClaude Rutault Définitionméthode#1 1973 Châssis, peinture, dimension variable. Courtesy de l’artiste.

L’oeuvre Définition/méthode #1 de Claude Rutault à été choisie pour ouvrir l’exposition La Foule (0-Infini): Chapitre 1, afin d’évoquer en

introduction les notions de néant et d’absence qui s’opposent à priori à l’idée de multitude. Vide de la représentation: la couleur de la toile monochrome se fondant presque dans le mur arrête le regard, mais aussi absence de l’artiste qui n’a pas peint directement l’œuvre, et ne donne que les instructions de sa réalisation. Mais plus profondément, cette œuvre formellement simple et conceptuellement complexe évoque tout aussi bien la multitude et l’infini : infinité des potentiels de réalisations, multiplicités des versions, don d’ubiquité de la peinture, éternité d’une œuvre fondamentalement inépuisable. À la fois le zéro et l’infini de la peinture, cette œuvre historique est l’un des premiers exemples d’œuvres protocolaires, dont la valeur réside autant dans le concept de base que dans sa matérialisation. Il est déterminant pour Claude Rutault que “la peinture [soit] d’abord écrite”

“Aujourd’hui, on vit dans un monde qui n’est pas totalitaire mais total. Les objectifs politiques sont tous polarisés sur la même chose. Il y a une unité de pensée liée à l’économie. La seule chose qui nous reste, c’est une sorte d’évasion. L’acte de se cacher devient très subversif, car on vit dans un monde de surveillance. Si vous échappez à la surveillance, vous êtes potentiellement dangereux. Si vous décidez de passer votre vie dans un caisson en ayant besoin du moins de choses possibles, vous êtes potentiellement plus dangereux que quelqu’un qui essaie de changer ce qui est là. J’aime bien cette idée d’une résistance de l’ordre de l’anti-héroïsme.”(Nicolas Moulin, compte-rendu de la conférence “La voie du ciel est dans les systèmes d’air conditionné avec l’artiste Nicolas Moulin, l’écrivain Jean-Bernard Pouy et Catherine Francblin”, Fondation d’Entreprise Ricard, 24 janvier 2006)

La définition/méthode # 1 de 1973: toile à l’unité.“Une toile tendue sur châssis peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée. Sont utilisables tous les formats standard disponibles dans le commerce qu’ils soient rectangulaires, carrés, ronds ou ovales. L’accrochage est traditionnel.” (Claude Rutault, 1974-1975)

Lausanne, SuisseG8 d’Evian 2003

Prypiat, ville fantôme adjacente à Tchernobil@Redrat72, 2007

Ouverture forcée de la fontière Egyptienne près de Gaza, 2008

Le premier acheteur du iphone aux Etats-Unis2007

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Désertification intensive de Paris : il n’y a plus aucune trace d’existence humaine, plus de voitures, plus de végétaux, plus aucun signe de vie. Les façades des immeubles sont murées jusqu’au deuxième étage, les panneaux d’indications et les enseignes lumineuses ont disparus, la Seine est asséchée et son lit bétonné. Vision fantastique ? Protection paranoïaque face à un danger invisible ? Départ précipité après catastrophe ? Ces images retouchées numériquement par l’artiste proposent des amorces de narrations, proches des récits d’anticipation post-apocalyptique, entre dystopies (qui s’opposent aux utopies positives en imaginant le pire) et uchronies (récits des conséquences d’un événement imaginé du passé). Ayant perdu une part de leur fonctionnalité sociale, les constructions haussmanniennes bétonnées

et dépouillées évoquent les villes fantômes, celles d’une civilisation retournée au stade désertique, dont il ne subsistent que des signes devenus incompréhensibles.

NicolasMoulinestnéen1970àParis,ilvitettravailleàBerlin. OchlocratieDéfinition tirée du dictionnaire politique « La Toupie ».

Etymologie : du grec “Okhlos”, foule, multitude, et “kratos”, pouvoir, autorité.

L’ochlocratie est une forme de gouvernement dans lequel la multitude, la foule, la population, détient tous les pouvoirs et impose tous ses désirs. Le mot ochlocratie a une connotation péjorative pour désigner le règne de la médiocrité, de la vulgarité, accompagné d’une décomposition de la loi et des moeurs engendrant un chaos politique et la lutte entre les individus. Il s’oppose au règne de la politique caractérisée

uRoman Ondák Awaiting Enacted 2003 Journaux n/b à emporter, dimension 46 x 31 cm. Collection Kadist Art Foundation, Paris. Courtesy galerie gb agency, Paris.

Le motif de la file d’attente se retrouve dans plusieurs œuvres de l’artiste slovaque Roman Ondák, comme This Way, Please (1999) et Good Feelings in Good Times réalisé pour la première fois en 2003 à la Kölnischer Kunstverein à Cologne, puis en 2005 à la Tate Modern à Londres. Pour la performance Good Feelings in Good Times des acteurs professionnels sont engagés par l’artiste pour créer des files d’attente artificielles devant un musée ou un lieu dans la ville. La file d’attente provoquetoujours une curiosité de la part des passants, qui s’interrogent sur sa raison d’être et se sentent poussés à la rejoindre, soit par discipline, soit dans l’espoir de profiter d’une occasion potentielle. Dans cette performance de Roman Ondák, à un signal donné, les acteurs quittent soudainement la queue, dissolvant ce regroupement précaire en laissant seules les personnes qui l’avaient rejointe.

Dans Awaiting Enacted (“Attente décrétée”), l’artiste distribue des exemplaires d’un quotidien slovaque dont il a remplacé les illustrations originales par des images de files d’attente. Le surgissement de la file d’attente dans l’actualité des médias n’est souvent pas bon signe: récession économique, soumission administrative, crash boursier, pénurie… Mais il peut être aussi le signe d’une euphorie collective : l’obtention du dernier i-phone, rencontre avec une star ou soldes. La file d’attente est le dernier comportement de masse civilisé régit par la loi du “premier arrivé, premier servi” avant de basculer vers la ruée, le soulèvement ou l’anarchie individualiste. Cette pratique du quotidien a son histoire, ses règles implicites et ses spécificités régionales. Depuis le début du vingtième siècle, elle est analysée sur la base des lois de probabilité mathématique, qui ont abouti à la “théorie des files

par l’existence de l’Etat et de la loi, qui permet aux hommes de cohabiter.Le terme ochlocratie sert aussi à qualifier certaines dérives de la démocratie qui, par des pressions et des demandes particulières de plus en plus fortes et de plus en plus disparates, finissent par bloquer le fonctionnement de l’Etat. Bien que le terme soit peu utilisé, il a été de tout temps débattu dans les traités de philosophie politique. L’historien grec Polybe (vers 200 - 125 avant JC) considère l’ochlocratie comme le pire des régimes qui termine le cycle des six phases constituant la théoriede succession des régimes politiques : monarchie, tyrannie, aristocratie, oligarchie, puis démocratie qui dégénère en ochlocratie avant l’avènement d’un homme providentiel qui ramènera la monarchie. Dans le Contrat social, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) définit l’ochlocratie comme une dégénérescence de la démocratie par une dénaturation de la “volonté générale” qui tend à incarner les intérêts de certains et non de la population toute entière.

“Dans les années soixante-dix et quatre-vingt [les files d’attente] se formaient souvent devant les magasins… Dans ce qu’on appelait alors les moments difficiles, les gens étaient capable de faire patiemment la queue sans que cela ne leur pose de problèmes, parce qu’ils pensaient qu’au bout, ils obtiendraient sûrement ce qu’ils espéraient.”(Roman Ondák cité in Max Andrews, “Roman Ondák”, in TateEtc…, Issue 5, automne 2005)