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Jean René CANEVET ASPECT DE LA RESISTANCE A FOUESNANT Mémoires de Madame Bertrand Les événements rapportés ici nous les devons à Nadine Bertrand, fille de Madame Bertrand, suite aux confidences qu’elle avait faites à sa fille voilà déjà quelques années. Un article est d’ailleurs paru dans la revue anglaise « living France »en janvier 2001. Un autre article est paru dans le bulletin municipal de Fouesnant de décembre 1993 à l’occasion de la cérémonie commémorative du 50 ème anniversaire de la mort des 4 aviateurs anglais. Barbara Bertrand de son nom de jeune fille Frankel-Foster est anglaise d’origine , mariée à un Français , Alexandre Bertrand en 1922, et obtint la nationalité Française .Elle vient pour la première fois à Beg-Meil en 1925 sur les conseils d’amis. Cette région l’a séduite immédiatement, et elle y revient régulièrement. Elle s’installe définitivement à Beg-Meil en 1939 avec ses 5 enfants suite à la déclaration de la guerre, pour être plus en sécurité. Ses enfants Sandy, Alain, Nadine, Christine et Betty, aimaient l’appeler« Mummy ». Elle habitait à Beg-Meil la villa l’Hermitage dans le quartier de Kerlosquen. Sandy et Alain ont eux aussi participé à la guerre. Son rôle principal officiel consistait a être l’interprète auprès des autorités Allemandes, parlant l’anglais et l’allemand et aussi chauffeur du maire de Fouesnant. Elle fut à même de connaître des secrets militaires lors de ses différents déplacements. Madame BERTRAND & son fils Alain 1/12

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Jean René CANEVET

ASPECT DE LA RESISTANCEA FOUESNANT

Mémoires de Madame Bertrand

Les événements rapportés ici nousles devons à Nadine Bertrand, fille deMadame Bertrand, suite aux confidencesqu’elle avait faites à sa fille voilà déjàquelques années. Un article est d’ailleursparu dans la revue anglaise « livingFrance »en janvier 2001. Un autre articleest paru dans le bulletin municipal deFouesnant de décembre 1993 à l’occasionde la cérémonie commémorative du 50ème

anniversaire de la mort des 4 aviateursanglais.

Barbara Bertrand de son nom dejeune fille Frankel-Foster est anglaised’origine , mariée à un Français ,Alexandre Bertrand en 1922, et obtint lanationalité Française .Elle vient pour lapremière fois à Beg-Meil en 1925 sur lesconseils d’amis. Cette région l’a séduiteimmédiatement, et elle y revientrégulièrement. Elle s’installedéfinitivement à Beg-Meil en 1939 avecses 5 enfants suite à la déclaration de laguerre, pour être plus en sécurité. Sesenfants Sandy, Alain, Nadine, Christine etBetty, aimaient l’appeler« Mummy ». Ellehabitait à Beg-Meil la villa l’Hermitagedans le quartier de Kerlosquen. Sandy etAlain ont eux aussi participé à la guerre.

Son rôle principal officiel consistaita être l’interprète auprès des autoritésAllemandes, parlant l’anglais et l’allemandet aussi chauffeur du maire de Fouesnant.Elle fut à même de connaître des secretsmilitaires lors de ses différentsdéplacements.

Madame BERTRAND & son fils Alain

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Laissons maintenant Nadine nousdécrire les faits et événements :

Sa situation singulière d’Anglaiserésidant en zone interdite et servantd’intermédiaire entre les autoritésAllemandes et Françaises, amenèrent lesgens de la résistance à s’intéresser à elle.

Barbara BERTRAND avec le Cdt TURNEREn septembre 1944

Contactée par un ami d’avant-guerre(Stany Baudry, travaille dans la photo ;celui-ci avait un « ausweis »qui luipermettait de circuler en zone contrôlée),membre du réseau Thermopyles lié à celuidu colonel Rémy de son nom GilbertRenault (du groupe confrérie Notre-dame), Mummy entra sous le nom de« Rilstone 22 » (nom de la maisond’enfance à Bournmouth en Angleterre)dans le réseau Thermopyles. Un ‘’contact‘’( Baudry) lui donnait rendez-vous au caféde Bretagne à Quimper et les informationsqu’elle recueillait étaient transmises par larésistance à l’intelligence service à

Londres ; ces rendez-vous comportaientbien entendu des risques importants et ellese souvient d’un jour où revenant du caféde Bretagne elle apprit qu’une rafle venaitd’avoir lieu à la gare , là justement oùl’homme du café de Bretagne se rendaitpour rentrer à Paris porteur derenseignements importants écrits de lamain de Mummy ; jours d’angoisses , pourlui et pour elle …mais le ‘’contact’’ réussità passer entre les mailles du filet.Revenons- en aux événements tels queMummy me l’a raconté :

Dans la nuit du 13 août 1943, uneviolente explosion nous réveilla ; de lafenêtre de l’hermitage nous avons vu leciel illuminé par l’éclatement de plusieursobus de la D.C.A. installée à Kermyl, P.C.Allemand de Beg-Meil. Le tir fut bref etdans le silence et la nuit vite retombéeéclatèrent des hourras de victoire ; lesAllemands criaient leur joie d’avoir abattuun avion de la Royal Air Force (unWellington), un poseur de mines qui volaità basse altitude le long des côtes. Latristesse nous serrait l’une contre l’autre.Le lendemain Mummy allait apprendre que5 de ses compatriotes gisaient au fond de lamer à quelques encablures du rivage.

Dès la fin du couvre-feu Mummyest partie aux nouvelles, non sansm’intimer l’ordre de ne bouger de lamaison sous aucun prétexte.

Je brûlais de participer moi aussicomme Mummy, Sandy et Alain à lalibération du pays .Une fois tout de mêmej’ai eu un petit rôle (je n’avais que 15 ans).

Institué pour pallier au manque demain-d’œuvre en Allemagne , le travailobligatoire ( S.T.O. ) y envoyait lesFrançais en âge de travailler ; beaucoupcherchaient à s’y soustraire en prenant lemaquis ; c’est ainsi que Jean Quilliec,surnommé « Carotte » , trouva refuge pourquelque temps à l’Hermitage.

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Ce marin pêcheur, gaillard à la staturecarrée et puissante, avait un bagoutinimitable qui le rendait très populaire dansle pays. J’étais chargée de lui porter 3 foispar jour la mauvaise tambouille que je luipréparais. Quand je montais son bol de juset de l’horrible pain noir, là-haut dans legrenier, je ne lui parlais guère à Carotte,son franc parler m’intimidait ; je restaissilencieuse, me contentant de le regarderintensément pour me souvenir ; parcequ’en aidant un réfractaire je me donnaisl’illusion d’être enfin adulte. Puis un jour,un grand frisson a couru de bas en haut dela maison : les Allemands étaient là ! àcoup sûr ils venaient arrêter Carotte…Avec un flegme très britannique, sansperdre son sang-froid, « Rilstone » offrit unverre à l’officier et à ses hommes, histoirede donner le change et qui sait de glanerquelques renseignements pour son contactdu café de Bretagne à Quimper ? Quand jesuis passée derrière la porte du salon avecl’assiette de bouillie d’avoine et la bolée decidre, "j’ai l’estomac dans les talons" enentendant les voix Allemandes "Prima…"das ist sehr gut". J’ai grimpéquatre à quatre l’escalier jusqu’au grenierrassurer Carotte qui avait « les jetons », carles Boches ne venaient pas le coffrer …ilsapportaient simplement des instructions auchauffeur du maire… Ouf ! L’alerte avaitété chaude, on en tremblait encore Carotteet moi dans le grenier après leur départ.C’est à ce moment que j’ai pris la vraiemesure des menaces qui pesaient surMummy ; si les Allemands découvraientque l’Anglaise cachait chez elle unrésistant, ils l’enverraient dans un campd’internement, ça ne ferait pas un pli .Il yavait bien de quoi frémir… Voilà ce quefut mon petit rôle.

Dans la matinée qui suivi le "crash"de l’avion Anglais , lorsque Mummy estarrivée sur le haut de la dune, elle a vuétendu sur la plage le corps d’un aviateurque la marée avait déposé à l’aube sur le

sable ( il s’agissait du pilote officier IfvorLewis, âgé de 20 ans , originaire duSwansea , récemment marié ) ; elle a vuaussi des Allemands remonter à l’aide d’unvolet de Ker-Myl un deuxième aviateurenveloppé d’un rideau à fleurs .Celui-ciétait-il vivant ? On peut le supposer carune ambulance l’emmena dans l’après-midi, mais personne ne sut ce qu’il estdevenu malgré d’innombrables recherchesdans les hôpitaux de la région.( il s’agit dusergent mitrailleur arrière R. Henshaw )

Le Maire de Fouesnant reçut l’ordrede s’occuper de l’inhumation de l’Anglaisainsi que l’autorisation de l’enterrer dans lecimetière du bourg. Tous ces événementsprovoquèrent une émotion immense ; unecollecte fut faite sur le champ et une grossesomme d’argent apportée à l’Hermitagepar la belle fille du Maire , MadameMorvan :

Les gens d’ici souhaitent déposerune gerbe sur la tombe au cimetière ce soir,dit Madame Morvan à Mummy. IL n’y aque vous qui conduisez dans le pays ; allezà Quimper, rapportez-nous de belles fleursavec un ruban tricolore ; tous nous vous ledemandons Mme Bertrand !

Quand elle est revenue de Quimperau volant de la voiture du Maire, l’énormegerbe nouée de tricolore à coté d’elle,Mummy était loin d’imaginer lesprolongements fâcheux qui allaientdécouler de cette histoire de gerbe au rubantricolore. Elle ne se doutait pas que lepréfet, nouvellement nommé à Quimper,avait aperçu de la fenêtre de son bureaucette gerbe enrubannée dans la voituregarée le long de la préfecture.

De chaque ferme, de chaque penty,de chaque barque de pêche, ils sont venusle soir à 6 heures ; il n’en manquait pas unau cimetière de Fouesnant ; chacun avaitun bouquet à la main. Combien étions-nous ? Trois mille ! Quatre mille peut-être ! C’était impressionnant.

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On s’écrasait dans le cimetière ; endehors, la place de l’église était noire demonde, certains même étaient juchés sur lavieille bretonne en pierre qui veille sur lesmorts depuis l’autre guerre et dont la coiffea verdi avec le temps.

Oui, ils étaient bien tous là, " SanticDu "peut l’attester, de mémoire de saint,jamais il n’avait tant vu !

« Nous étions silencieux pourmarquer une réprobation qui ne pouvaitêtre qu’indirecte, muette ». Cette phrased’André Maurois résume bien ce que nousressentions face à la tombe de l’aviateurAnglais, mais il y avait aussi dans lacommunion de ces milliers d’amis etd’inconnus comme un souffle de joie quigonflait les cœurs et enflammait lesregards.

Notre bon vieux curé priait avecune grande ferveur ; à ses cotés se tenaitl’Officier de la Kommandantur et sonordonnance. Leur présence ne nousétonnait pas car dans ce bout de la France,loin des points névralgiques du pays, dansce petit coin de Bretagne les relations avec

l’occupant étaient correctes, comme ondisait. Nous avons tout de même étéstupéfaits en entendant, après la dernièrebénédiction du Curé, le commandant direces mots : « Dans la guerre nous étions ennemis Dans la mort, nous sommes amis Que la terre de Fouesnant soit Légère à votre éternel sommeil » Puis il jeta une poignée de terre et sortit.

Le défilé commença sans un bruit.Trois mille mains ont déposé doucementles bouquets de fleurs ; le silence étaittotal, absolu ; des larmes coulaient…larmes de pitié…larmes de rage…larmesd’espoir…

Quand la dernière fleur fut posée,une pyramide multicolore de la hauteurd’un homme recouvrait la tombe.Spectacle insensé, inconcevable en pleineguerre, inoubliable… Dans le soir quivenait, chacun s’en est allé, la gorge nouée,sans proférer un mot ; dans les yeux onpouvait lire une détermination farouche :« On les aura les boches ».

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"Vous m’avez mis dans de beauxdraps Madame Bertrand !" lui dit le mairetrès inquiet, quelques jours plus tard. Nonseulement les Allemands ne décolèrent pasà cause de la manifestation pro Anglaise aucimetière, mais voici le préfet quim’adresse une convocation concernant lagerbe au ruban tricolore que vous aveztransportée dans ma voiture. On dit queLouis Dupiech, le tout nouveau préfet, estpro Allemand et que pour cette raison, ensigne de protestation, les fleuristes deQuimper ne lui ont pas donné de rubanpour sa prise de fonction, ce qui l'a parait-ilbeaucoup irrité ; la gerbe était une véritableprovocation et je risque gros à cause devous…

Ne vous en faites pas Monsieur leMaire, répondit Mummy, puisque je suis laseule responsable, c’est moi qui irai àvotre place voir le préfet et m’expliqueraiavec lui.

Ce n’est pas sans appréhension queMummy s’en alla au rendez-vous de laPréfecture. Savoir dans quel camp était lapersonne qu’on avait en face de soi posaitun véritable problème sous l’occupation ;faire confiance ou pas ? Dilemme… Laprudence était nécessaire et la méfiance derigueur : s’observer, se jauger était uneprécaution indispensable, l’intuition en finde compte dictait la conduite à tenir. Aprèsl’avertissement du Maire, Mummy avaitdonc doublement raison d’être sur sesgardes lorsqu’elle s’est trouvée dans lebureau du Préfet. Après un débutd’entretien courtois Louis Dupiech abordal’affaire du ruban ; mise en confiance parl’attitude bienveillante du Préfet , quisemblait contredire la réputation qui luiétait faite , Mummy lui raconta en détail lajournée mémorable qui suivit le crash del’avion de la R.A.F. Lorsqu’elle eutterminé, le Préfet par un clin d’œilcomplice lui fit comprendre qu’ils étaientdu même bord ; alors Mummy n’hésitaplus et lui révéla ce qu’on disait de sessympathies pour l’occupant.

C’est pourquoi Monsieur le Préfet,conclut-elle, les fleuristes de Quimper,pour manifester leur hostilité ne vous ontpas donné de ruban tricolore le jour de lacérémonie de votre prise de fonction.Madame répondit amicalement le Préfet,sans relever ce qu’il venait d’entendre, lesAllemands m’ont fait part de leurexaspération devant l’ampleur de lamanifestation anti-Allemande de lapopulation de Fouesnant et de leurintention d’arrêter le Maire en représailles.Je suis dans l’obligation d’agir vis-à-visd’eux et de prendre une sanction.J’arrangerai cela en vous retirant votrepermis de conduire pendant 15 jours pourles satisfaire.

La peine était si légère que Mummyposa avec un réel soulagement son permissur le bureau du Préfet ; elle le remercia ets’en fut à pied prendre le car pour rentrer àBeg-Meil.

Mummy ne s’était pas trompée,Louis Dupiech était bien un vrai résistant.Quelque temps plus tard il fut arrêté,déporté et mourut peu avant la libérationde son camp ; et bien malgré cela il a éténécessaire d’obtenir une réhabilitationofficielle après la guerre (Mummytémoigna en sa faveur pour que la véritésoit reconnue). Ce qui démontre commentrumeurs et médisances peuvent fabriquerune mauvaise réputation, si solidementancrée dans l’esprit d’une communauté quela force de la réalité ne peut l’y déloger.

Les jours ont passé, les tensions se sontapaisées dans le pays jusqu’à ce matin du30 août où nous avons vu arriver àl’Hermitage le Maire en bicyclette, horsd’haleine et paniqué :

Un marin a repêché le corps d’un3ème aviateur, nous dit-il ; il l’a déposé sousune bâche sur le sable de la cale (il s’agitdu Flying officier W. B. Mac Ginn,originaire de Ayr en Ecosse, et âgé luiaussi de 20 ans).

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Les Allemands sont très nerveux, etm’ont prévenu qu’ils interdisaient qu’onl’enterre à Fouesnant car ils craignent unenouvelle manifestation.

Quant à moi, Madame Bertrand, jevous préviens, je ne m’en mêle plus !

La chaleur était toujours aussitorride en cette fin d’août 1943, il y avaitfoule sur la plage quand Mummy descendità la cale. Non loin, des jeunes qui sebaignaient, Mummy aperçut la bâche, unpeu à l’écart. Elle est allée s’enquérirauprès du chef de poste de ce qu’ilsallaient en faire.

Revenez cet après-midi, lui dit le"feldwebel", je n’ai reçu aucun ordre.

L’après-midi nouvelle discussion.Devant l’indécision des autorités etl’urgence d’agir Mummy, poussée par uneimpulsion aussi irrésistible qu’audacieusedit au "feldwebel" :

Si vous acceptez et en accord avecle Maire, je me charge de l’inhumation etvous donne ma parole que cet homme seraenterré discrètement et qu’aucuneassistance ne sera présente au cimetière.

Le bluff a marché, les Allemandsont accepté mais Dieu que l’entreprise étaithasardeuse ! Il fallait faire vite car l’après-midi était avancée et le soleil cognait durdepuis le matin sur la bâche.

Son permis de conduire étanttoujours entre les mains du Préfet, Mummyenfourcha sa Bicyclette et s’en allaprévenir le Maire de l’initiative qu’ellevenait de prendre. La nouvelle plongea leMaire dans de terribles angoisses, car iln’était pas douteux qu’au moindre incidentil serait arrêté même si Mummy lui assuraqu’elle seule assumait toute l’opération ;non vraiment, il n’en menait pas large lepauvre Maire, quand Mummy le quittapour descendre dire au curé de se tenir prêtle soir pour la bénédiction au cimetière.Elle passa ensuite chez le boucher, pour luidemander de descendre un cercueil dans sacarriole, puis elle fonça à l’Hermitage

prendre le plus beau drap brodé de sonarmoire et reprit le chemin de la cale.

La courte descente qui va au portest raide et malaisée, le pas du cheval sefaisait hésitant en le franchissant ; Mummyserrait contre elle le drap lorsque leboucher déboucha sur la plage. Il posa lecercueil sur le sable ; tous deuxs’approchèrent de la bâche et attendirentque les Allemands viennent faire la miseen bière. Sur la terrasse du poste dedouane, au-dessus de la cale, les soldats semirent en position ; ils étaient immobiles ;personne ne bougeait. Attente … longmoment d’attente … Alors Mummycomprit que les Allemands, là-haut derrièreelle, ne viendraient pas, la sinistre besognec’était à eux, au boucher et à elle, de lafaire…

Quand le boucher souleva la toile ,ce qu’ils virent les firent reculer d’horreur :la décomposition avancée … le corps sanstête… l’odeur… n’y tenant plus , leboucher courut derrière un rocher , maladeà vomir , il ne revint plus.

Mummy était seule. Seule, sous leregard des Allemands. Comment a-t-ellepu puiser en elle la force nécessaire pourfaire ce qu’elle a fait ? Car elle l’a fait… « C’est la présence des Allemands qui m’adonné la force et la volonté d’accomplir cetravail surhumain, m’a-t-elle confiée, sij’avais été seule, je n’aurais pas pu… jeserais partie dans la mer attendre…attendre de l’aide ».

Malgré l’insoutenable, elle a mis lecorps en bière, morceau après morceau ;elle a déposé les pauvres restes sur le finlinceul brodé, animée par une seule etunique pensée : tenir, tenir coûte que coûteet prouver aux Allemands postés là-hautderrière elle, qu’elle irait jusqu’au bout decette abomination. Lorsqu’elle eut replié ledrap, le boucher sortit de derrière le rocheret cloua le couvercle, mais malgré lecercueil maintenant fermé, l’odeur étaittoujours insupportable ; ils se mirent enroute.

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Etrange cortège funèbre :l’Anglaise, le boucher et le cheval seuls surla route subitement déserte, emmenant lehéros anonyme vers sa dernière demeure.

La nouvelle avait couru comme unetraînée de poudre et lorsque la drôle deprocession arriva à Fouesnant, le bourgétait vide, étonnamment déserté par seshabitants. Au cimetière, à part le curé etl’officier Allemand, pas âme qui vive …Le pacte demandé par le Maire étaitrespecté , la connivence de toute lapopulation avait magnifiquement joué. Aubord de la tombe, le curé entouré deMummy et de l’officier, priait avecbeaucoup d’émotion, puis l’Allemandprononça les mêmes paroles « Que la terrede Fouesnant soit légère à votre éternelsommeil… » Il jeta une poignée de terre ets’en alla. Mummy avait gagné !

Quand le jour se leva le lendemainmatin, stupeur … une montagne de fleursrecouvrait la toute nouvelle tombe à côtéde celle du premier aviateur ! Malgré lecouvre-feu, les habitants étaient venustoute la nuit apporter le témoignage de leurreconnaissance…

Mais au bout de tout ceci, ce jour làil y eut le 4ème corps. (Il s’agit du sergentR. Hadley âgé de 23 ans, originaire deLiverpool)C’est l’ordonnance du commandant quivint prévenir Mummy : Madame, encoreun corps d’aviateur à la cale.

Le même scénario avec les mêmesacteurs se répéta identiquement à 24 heuresd’intervalle. La carriole du boucherapporta un cercueil à la cale où Mummyattendait avec un draps brodé dans lesmains. La répétition des gestes macabresfait frémir … mais cette fois le boucheraida Mummy à ensevelir le corps altéré etdéfait par le long séjour en mer. Lecorbillard de fortune refit le long chemindésert jusqu’au cimetière, ce soir là encorevide d’assistance et à l’aube du jour

suivant la, 3ème tombe croulait sous unmonceau de fleurs.

Le 5ème aviateur, le sergent G.I.Turnbull, radio, a été inhumé aucimetière de Trégunc

En 1944, plusieurs navires de laRoyal Navy furent coulés dans demystérieuses circonstances ; nulle trace debateau Allemand dans les parages, maisune certitude : des torpilles inconnuesvenues de nulle part avaient bien envoyéces navires par le fond ; aussi lesrenseignements transmis à l’intelligenceservice de Londres sur la baseexpérimentale de torpilles téléguidées ausémaphore de Beg-Meil revêtaient-elles unintérêt capital.

Cette arme nouvelle était aussiimportante pour la marine Allemande queles redoutables V2 de l’armée de terre ;pour cette raison la base ultra-secrète dusémaphore fut successivement inspectéepar le commandant en chef du front del’ouest, Rommel, et le chef d’état Major del’armée Allemande, Kietel.

Les informations de « Rilstone22 » furent reconnues de premièreimportance et à la libération de la Bretagneen septembre 1944, Mummy deviendraOfficier de liaison auprès du commandoBritannique chargé du déminage et plusspécialement attachée au colonel GeoffreyTurner (il était un des rares décoré de lamédaille et de la croix de Saint-Georges)pour l’aider à déterminer la position desbases de lancement de ces mystérieusestorpilles, de Lorient jusqu’à Brest.

Il arriva à Fouesnant avec lespremiers officiers Britanniques le 4septembre 1944. Après s’être renseigné dudomicile de Madame Bertrand à la mairie,il vint chez elle et pensant trouver uneFrançaise, il essaya de dialoguer dans unFrançais approximatif.

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Madame Bertrand très émue l’yaida quelque peu, avant de lui dire. « Neserait-il pas plus commode que nousparlions l’anglais ? ». Il fut stupéfait !

Turner voulut tout de suitedécouvrir les sites, la tenue militaire étantde rigueur, il nomma Barbara lieutenant etlui fournit un uniforme. La liste des sitesfut établit pour le 8 septembre 1944 etBarbara participait à la visite de ces sites etservait de guide et interprète. Turnerparticipa à la libération de Brest qui eutlieu le 19 septembre. C’est au cours d’unedes fêtes célébrant le passage deslibérateurs qu’un jour, rue de Siam,ruisselante de pluie elle croisa JacquesPrévert…On peut penser qu’il entenditTurner appeler Barbara et que la vue deleur attitude lui inspira le poème« Barbara » .Il ne fait pas de doute qu’ilséprouvaient des sentiments l’un pourl’autre. Après la libération de Brest, lescourriers que Geoffrey Turner adressa à

Barbara au cours des missions enBelgique, en Hollande, en Allemagne etdans l’est de la France, en attestent .Dansune de ses lettres il fait part de« l’importance du service rendu à notrepays par votre travail avec moi ».A la finde la guerre chacun retourne dans sesfoyers, mais ils restent amis. GeorgesTurner mourut le 9 février 1959 enAngleterre et c’est sa femme qui eninforma Barbara par une lettre trèsémouvante.

Un an avant son décès, Christine,une autre fille de Madame Bertrand, alorsqu’elles écoutaient Yves Montand chanter« Barbara », l’émotion et les souvenirsrevenaient, soudain Barbara dit toutnaturellement « c’était moi ».

Bien que n’ayant jamais précisé dequelle inspiration était son poème, JacquesPrévert se bornait à dire « qu’il y avaitbien des Barbara en Finistère ».

Le commandant Geoffrey TURNER et son chauffeur en septembre 1944

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Je ne résiste pas à vous le transcrire ici :

Rappelle-toi BarbaraIl pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-làEt tu marchais souriante Epanouie, ravie, ruisselante

Sous la pluie Rappelle-toi BarbaraIl pleuvait sans cesse sur BrestEt je t’ai croisée rue de SiamTu souriaisEt moi, je souriais de même

Rappelle-toi BarbaraToi que je ne connaissais pasToi qui ne me connaissais pas

Rappelle-toi Rappelle-toi quand même ce jour làN’oublie pasUn homme sous un porche s’abritait

Il a crié ton nom BarbaraEt tu as couru vers lui sous la pluieRuisselante, ravie, épanouieEt tu t’es jetée dans ses bras

Rappelle-toi BarbaraEt ne m’en veux pas si je te tutoieJe dis tu à tous ceux que j’aimeMême si je ne les ai vu qu’une seule foisJe dis tu à tous ceux qui s’aimentMême si je ne les connais pas

Rappelle-toi BarbaraN’oublie pas

Cette pluie sage et heureuseSur ton visage heureuxSur cette ville heureuseCette pluie sur la merSur l’arsenalSur le bateau d’Ouesssant

Oh BarbaraQuelle connerie la guerreQu’es-tu devenue maintenantSous cette pluie de ferDe feu, d’acier, de sangEt celui qui te serrait dans ses brasAmoureusementEst-il mort disparu ou bien encore vivant

Oh BarbaraIl pleut sans cesse sur BrestComme il pleuvait avantMais ce n’est plus pareil et tout est abîméC’est une pluie de deuil terrible et désoléeCe n’est même plus l’orageDe fer, d’acier, de sangTout simplement des nuagesQui crèvent comme des chiensDes chiens qui disparaissentAu fil de l’eau sur BrestEt vont pourrir plus loinAu loin très loin de BrestDont il ne reste rien.

Jacques Prévert

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Cette belle et dramatique histoireconnut un épilogue heureux quelquesannées plus tard, quand la sœur du 3ème

pilote, Gwladus Lewis, vint se recueillirpour la première fois sur la tombe de sonfrère .Elle n’avait que 12 ans à l’époque dudrame et n’a pu se résoudre à venir à la finde la guerre. Ce n’est que 25 années plustard que cette femme désespérée de n’avoirjamais eu d’enfant , mit au monde unsuperbe garçon 9 mois après sa visite aucimetière de Fouesnant, sans doute unmiracle de la nature humaine. En 1991Geoffrey, fils de Gwladus s’est rendu luiaussi sur la tombe de son oncle.

Madame Bertrand avait conservé,quand il était possible, des objetspersonnels, afin de permettrel’identification des aviateurs, et entre autrele mouchoir aux initiales de Ifvor Lewis.Après la guerre elle fit des recherches pourretrouver les familles des aviateurs et desliens d’amitiés se sont noués avec elles. Lafamille Lewis venait tous les 13 août àFouesnant, se recueillir sur la tombe deleur fils.

La famille Mac Ginn venait aussirégulièrement à Fouesnant et lors d’unevisite le père remarqua que l’horloge del’église était cassée. Il fit une proposition àla commune de Fouesnant en allouant une

somme de 70000frs. Le conseil municipaldans sa séance du 29 mai 1950 acceptecette offre et vote un créditcomplémentaire de 75000frs, pourpermettre l’acquisition d’une nouvellehorloge. Par courrier du 9 septembre 1950le père de W.B. Mac Ginn demandait à sabanque de virer la somme de 70000frs à lacommune de Fouesnant pour contribuer àla mise en place d’une horloge pourl’église paroissiale. Il souhaitait ainsimanifester sa gratitude devant le soinapporté à l’entretien des tombes des 4aviateurs et pour l’action courageuse de lapopulation qui a permis que les corps deces soldats soient dignement enterrés.

(La trace de l’ancien cadran de l’horloge àpoids, est encore visible en bas à droite)

La tombe de Barbara BERTRAND près de celles des aviateurs anglais au cimetière de Fouesnant.

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En outre Madame Reeza Mac Ginn, bellesœur de l’aviateur, peignit un tableauqu’elle offrit en souvenir à la mairie deFouesnant.

La quatrième tombe est celle dusergent Charles Le Masson, d’origineCanadienne, dont le corps a été découvertsur la plage de Mousterlin le 9 octobre1940.

Madame Barbara Bertrand« Rilstone 22 » est décédée le 8 mai 1990et a souhaité être enterrée à coté desaviateurs Anglais , dans le cimetière deFouesnant .Un seul regret : que la chansonBarbara, tirée du poème de JacquesPrévert, ne fut pas interprétée lors de lacérémonie d’enterrement .

Elle a reçu les décorations suivantes :

La médaille des Forces Françaises LibresLa croix du combattantLa croix du combattant volontaire de larésistanceUne citation du Gouvernement de SaMajesté BritanniqueUne citation de la Croix Rouge Française

Elle était d’une nature très secrète,d’une grande bravoure et d’une grandehumanité. Elle fut présidente du syndicatd’initiative de Fouesnant. Membre del’association pour la sauvegarde du paysFouesnantais. Elle recevait le PrésidentPompidou quand il résidait dans notrecommune lors de ses vacances.

Le 13 août 1993 à eu lieu lacommémoration du 50ème anniversaire dela mort des 4 aviateurs de la Royal AirForce en présence de 200 personnes .Parmicelle-ci les familles des 2 aviateurs MacGinn et Lewis, ainsi que la famille deBarbara Bertrand. Les personnalitésprésentes : Mrs Christian Frémont Préfetdu Finistère, Alain Gérard sénateur, AndréAngot député, Jean-François Garrecconseiller régional, Ronald Frankel consulrégional de Grande-Bretagne, les maires etélus de Trégunc et du canton.

Les officiels militaires étaientreprésentés par : le lieutenant-colonelDufay, délégué militaire départemental, lelieutenant-colonel Le Brun, commandant labase aérienne de Brest Loperhet , lecommandant Ferrand , représentant le vice-Amiral d’escadre Préfet maritime, lecommandant Casey de la R.A.F.,représentant le général attaché militaire del’ambassade de Grande-Bretagne, lelieutenant-colonel Frizon commandant legroupement de gendarmerie du Finistère,le capitaine Quesnel commandant lacompagnie de gendarmerie de Quimper,

M. Léonard Brock président del ‘association des anciens de la R.A.F .pourl’ouest de la France, les représentantsdépartementaux et cantonaux des ForcesFrançaises Libres, des Forces NavalesFrançaises Libres, des anciensCombattants, volontaires et résistants.

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Après un dépôt de gerbes aucimetière , sur les tombes des 4 aviateurs etde Madame Bertrand, Mrs. Roger Le GoffMaire de Fouesnant , Ronald Frankel,consul de Grande-Bretagne , et ChristianFrémont Préfet du Finistère prirent laparole pour rendre hommage au sacrificedes aviateurs Anglais pour la liberté denotre pays , à la fraternité d’armes Franco-Anglaise durant cette 2ème guerre mondialeet à l’attitude particulièrement courageusede Madame Barbara Bertrand et deshabitants de Fouesnant, qui permirent queces soldats bénéficient d’une sépulturedigne de ce nom.

Les anciens combattants etrésistants avaient tenu à associer également

dans ce même hommage toutes lesvictimes des guerres par un dépôt de gerbeau Monument aux Morts.

M. & Mme Guitteny, JeanGuilhard, Jean-Pierre Lecerf, YvonMerrien, et Henri Rannou ont interprété leshymnes nationaux Anglais et Français,ainsi que la sonnerie aux Morts.

Le service religieux a été célébréconjointement par Monsieur Le Curé deFouesnant et un Pasteur Anglican.

A la suite de la cérémonie un vind’honneur réunissait l’ensemble desparticipants, unanimes à reconnaître lasolennité particulièrement émouvante de lacérémonie.

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