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LA GUERRE D’ALGERIE AU CINEMA.
Compte-rendu de la conférence donnée aux Archives départementales du Cher par M. Michel
JACQUET le 18 mars 2016.
……………………
Sur le flyer annonçant la conférence, on pouvait lire cette accroche:
« Il semble convenu que le cinéma français n’a pas su montrer la guerre d’Algérie et qu’il ne
l’a représentée que de manière très allusive. Cette contre-vérité quasiment instituée nourrit les
complexes que les Français entretiennent par rapport au cinéma américain, prétendument beaucoup
plus libre et critique quand il s’agit de mettre en images les épisodes les moins avantageux de
l’histoire récente des Etats-Unis. Et si l’on faisait un mauvais procès à nos réalisateurs ?».
Cette problématique « d’un mauvais procès » a été au cœur de l’intervention de M. Jacquet
qui a toutefois posé en introduction le caractère très particulier que revêt la guerre d’Algérie dans la
mémoire collective française au point qu’il faudra attendre 1999 pour que « les opérations de
maintien de l’ordre » en Algérie (1954-1962) soient officiellement reconnues comme « guerre
d’Algérie ». Trois facteurs peuvent expliquer un tel déni.
Aux traumatismes subis par les appelés et rappelés (1,5 M. d’hommes, 30 mois de service
militaire) encadrés par une armée de métier à qui on avait confié des tâches de police vient s’ajouter
le déracinement vécu par 1M de rapatriés Pieds-Noirs et Harkis souvent mal accueillis en métropole.
A ces raisons s’ajoute la conclusion d’une guerre perdue politiquement –l’Algérie devient
indépendante en juillet 1962- et moralement : pratique de la torture. « Cette guerre a laissé de
profonds stigmates dans notre mémoire nationale » déclarait le président de la République Jacques
Chirac en 2002 lors de l’inauguration du Mémorial de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et
de Tunisie, quai Branly à Paris.
……………………
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L’histoire de la guerre d’Algérie au cinéma est d’abord l’histoire d’une représentation en
creux, d’une évocation : on suggère son existence. Deux films.
La première œuvre cinématographique est signée
Agnès Varda en 1961 : Cléo de 5 à 7.
Synopsis : Cléo craint d'être atteinte d'un cancer.
Alors qu’elle attend les résultats de ses examens
médicaux, elle rencontre un jeune homme en attente
de son départ pour l’Algérie. Rencontre de deux
solitudes.
Bande annonce :
https://www.youtube.com/watch?v=TnzD-XRXiHk
Le deuxième opus à évoquer la guerre d’Algérie est
le film musical franco-ouest-allemand de Jacques
Demy, palme d’or à Cannes en 1964 : Les
parapluies de Cherbourg.
Geneviève est amoureuse de Guy, mécanicien dans
un garage, bientôt appelé en Algérie pour son
service militaire.
Bande annonce :
http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia
=19518481&cfilm=495.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Parapluies_de_C
herbourg
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Evocation de la guerre car la censure veille comme en témoignent les interdictions dont
furent victimes deux films qui abordaient le sujet de la désertion : Le petit soldat de Jean Luc
Godard en 1960 et L’insoumis tourné en 1964 par Alain Cavalier. Deux histoires alors que les
blessures du conflit sont encore à vif et que la désertion est sévèrement punie par le code de justice
militaire.
justice militaire.
Le petit soldat : https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Petit_Soldat
L’insoumis : Extrait : https://www.youtube.com/watch?v=gpgNh2ZzRek
La censure frappe aussi la chanson de Boris Vian Le déserteur, écrite en 1954. Elle ne sera levée
qu’en 1962 :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_D%C3%A9serteur_(chanson)
https://www.youtube.com/watch?v=N5_vcVq_vSE
Sorti en 1963, Muriel ou le temps d’un retour est un film d’Alain Resnais qui évoque en
filigrane les traumatismes de la guerre d’Algérie. Rentré d’Algérie, Bernard est torturé par le souvenir
de ses actes et la vision d’un corps féminin massacré. Au cours d’une scène, « Bernard avoue avoir été
non seulement le témoin – « C’est en m’approchant de la table que j’ai buté sur elle. Elle avait l’air
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endormie, mais elle tremblait de partout. On me dit qu’elle
s’appelle Muriel. » –, mais aussi le complice – « Je m’y suis
mis aussi. Muriel geignait en recevant des gifles. La paume de
mes mains me brûlait. » – des tortures infligées à une jeune
femme pendant la Guerre d’Algérie. L’ex-appelé indique,
enfin, que Muriel a succombé à ces sévices, son cadavre
ressemblant à « un sac de pommes de terres éventré… Avec
du sang sur tout le corps, dans les cheveux… des brûlures sur
la poitrine. » Délivré d’une voix neutre l’aveu est accompagné
d’images sans rapport direct avec celui-ci. Alain Resnais fait
alors défiler à l’écran des extraits de films amateurs montrant
des soldats français en Algérie se livrant à des activités des
plus pacifiques – on les voit, souriants, se nourrir ou se
détendre – ou bien effectuant avec décontraction des
manœuvres tenant apparemment plus du jeu que de la
guerre... »
In http://www.dvdclassik.com/critique/muriel-ou-le-temps-
d-un-retour-resnais
Deux ans plutôt, Resnais signait « le manifeste des 121 » en faveur de l'insoumission des jeunes
appelés en Algérie : http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/le_manifeste_des_121/181930
C’est en 1966 que sort sur les écrans La bataille
d’Alger film italo-algérien de Gillo Pontecorvo. Comme
son titre l'indique, l’action se déroule lors de la bataille
d'Alger en 1957 qui oppose l'armée française aux
indépendantistes du Front de libération nationale. Alors
que chacun s’accorde à reconnaître la présentation
honnête et équilibrée des faits, ce « film d’une grande
valeur documentaire » est en fait l’histoire d’une
« invisibilité » comme l’explique l’historien Benjamin Stora :
http://www.univ-paris13.fr/benjaminstora/limage/199-
la-qbataille-dalgerq-histoire-des-qcensuresq-par-
benjamin-stora
et https://www.youtube.com/watch?v=xnSxohMdOqI
Extrait : http://www.dailymotion.com/video/x1d77i_la-
bataille-d-alger-trailer_news
Après plusieurs tentatives de programmation, « il faudra attendre … octobre 2004 pour que la
Bataille d’Alger sorte à nouveau en salles à Paris, et soit diffusé à une heure de grande écoute sur
une chaîne de télévision française ». In B. Stora.
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L’après mai 68 propose une nouvelle approche de la guerre vue cette fois par les soldats
sur le terrain.
C’est en 1972 la sortie de Avoir 20 ans dans les
Aurès réalisé par René Vautier et en 1973 de
R.A.S d’Yves Boisset.
Deux films antimilitaristes, bien dans l’air du
temps, comme en résonance avec les
mouvements pacifistes contre la guerre du
Vietnam. Ces films présentent des individus
lambda, hostiles à la guerre mais qui, conditionnés,
finissent par changer de comportement, illustrant
ainsi la banalité du mal qui est en chacun de nous.
Avoir 20 ans dans les Aurès :
http://www.avoir20ansdanslesaures.net/wp/
(Les Aurès sont un massif montagneux d’Algérie).
R.A.S : "R.A.S., "Rien à signaler". Derrière cette
mention régulièrement consignée sur les registres
d’une guerre qui ne disait pas son nom, le film
d’Yves Boisset dénonçait sans fioritures les
méthodes de la guerre de pacification employées
durant le conflit algérien. "Rappelés" pour grossir
les effectifs d’une armée en campagne, Rémy
March (Jacques Spiesser), Alain Charpentier
(Jacques Veber) et Raymond Dax (Jacques Villeret)
vont faire la dure expérience, au sein d’un bataillon
disciplinaire, de la préparation au combat contre
les fellaghas* et des ratissages dans le djebel **».
In http://kales.over-blog.com/article-r-a-s-d-yves-
boisset-un-film-sur-la-guerre-d-algerie-diffuse-ce-
soir-dans-la-nuit-sur-france-2-a-99731908.html
* Fellaghas: partisans du FLN algérien. De l’arabe
fellah = paysan.
** Djebel : massif montagneux.
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A cinq ans d’intervalle, deux films reviennent sur la torture couramment pratiquée en
Algérie.
En 1977, Laurent Heynemann adapte le récit
accusateur et autobiographique de Henri Alleg censuré
lors de sa sortie en 1958 : La Question.
Bande annonce :
http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=1866
6263&cfilm=9376.html
Le récit. Pour l’historien Jean Pierre Rioux, « il s’est
imposé parce que ce récit de tortures était d’abord la
transcription de valeurs en souffrance. Il a pris rang
dans la chaîne des œuvres indispensables : celle qui
disent tout simplement qu’on en vient à cultiver la peur
et la mort dès qu’on a piétiné les valeurs fondatrices ».
In
http://www.leseditionsdeminuit.fr/f/index.php?sp=liv&li
vre_id=2594
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Question_(livre)
Quant à Pierre Schoendoerffer, il questionne sur
l’usage de la torture dans son film de 1982 L’Honneur
d’un capitaine. Ce capitaine, c’est Caron présenté lors
d’un débat télévisé comme un tortionnaire. Sa veuve
décide d’intenter un procès en diffamation.
Bande annonce :
http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19
478135&cfilm=2332.html
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Il faut attendre les années 2000 pour que la guerre d’Algérie fasse de nouveau sujet au
cinéma avec, en 2006, Mon colonel, film de Laurent Herbiert et, réalisé en 2007 par Florent Emilio
Siri, L’ennemi intime.
Une même thématique unit les deux films : partis armés d’un idéal, de certitudes, de jeunes officiers
sont confrontés à la réalité de la guerre et vont progressivement prendre part aux exactions
auxquelles au départ ils s'opposaient.
Mon colonel :
Bande annonce :http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19441886&cfilm=109423.html
Extrait : http://www.dailymotion.com/video/x28g8bg_mon-colonel-ext1_shortfilms
L’ennemi intime :
Bande annonce : https://www.youtube.com/watch?v=6pfdi5RhiWo
Extrait : http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=18742481&cfilm=111536.html
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La nostalgie –la « nostalgérie »- s’invite dans le
film de Nicole Garcia sorti en 2010 Un balcon sur la
mer.
Synopsis : Un agent immobilier pense reconnaître dans
un visage son amour d’adolescent dans l’Algérie, à la fin
de la guerre d'indépendance.
Bande annonce :
https://www.youtube.com/watch?v=yIjjqZvNGH8
En 1979, dans Le coup de sirocco, Alexandre Arcady
traite du déchirement du départ au travers de la figure
stéréotypée du juif pied noir.
Extrait :
http://www.dailymotion.com/video/x20ytt_le-coup-
de-sirocco-l-exode_shortfilms
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Aucun film de cinéma sur les Harkis, supplétifs algériens de l’armée française, aux destins
tragiques pour ceux qui n’ont pas pu quitter l’Algérie indépendante. D’autres films évoquent et
dénoncent le racisme qui minait la société lors de cette guerre qui ne voulait pas dire son nom.
Élise ou la Vraie Vie est d’abord un roman de Claire Etcherelli paru en 1967. L'histoire se passe en
France pendant la guerre d'Algérie : Élise, jeune Bordelaise rêvant de « vraie vie », monte à Paris,
trouve un travail dans une usine et y rencontre Arezki, un Algérien, dont elle s'éprend. Marie José
Nat interprète Claire dans le film du même nom de Michel Drach en 1970.
http://www.dailymotion.com/video/xwqsht_trailer-elise-ou-la-vraie-vie-de-michel-drach_shortfilms
Les mêmes propos racistes, les mêmes relents xénophobes et
la même violence –les ratonnades (brutalités exercées à
l’encontre des Maghrébins ((*))- émaillent en 1970 le film
d’Yves Boisset Dupont Lajoie. L’histoire d’un cafetier en
vacances qui maquille le meurtre d’une jeune fille pour que
les soupçons se portent sur les ouvriers algériens du chantier
voisin.
https://www.youtube.com/watch?v=lD9mdY4l6d0
(*) La nuit noire réalisé par Alain Tasma en 2005 revient sur
le massacre du 17 octobre 1961 à Paris, où plusieurs dizaines
à centaines de Nord-Africains furent tués par la police lors
d'une manifestation pacifique en faveur de l'indépendance de
l'Algérie et contre le couvre-feu auquel ils étaient astreints.
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Plus près de nous, ces propos et attitudes donnent lieu à
des scènes dans une comédie dramatique : Michou
d’Auber, de Thomas Gilou en 2007.
1960. Séparé de son frère, Messaoud est teint en blond et
devient Michel dit Michou afin d’être accepté dans sa
famille d’accueil.
Bande annonce :
http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=187198
11&cfilm=61510.html
Dans la vidéo, est prononcé le mot bougnoule. Il s’agit d’un
terme injurieux et raciste désignant un Arabe, un
Maghrébin.
……………………
On constate donc que la guerre d’Algérie n’est pas absente du cinéma français. Ce dernier
n’a pas hésité à aborder des thèmes durs comme la torture et à questionner sur la responsabilité
des hommes avec la question justice-légalité-légitimité d’un acte. Mais la production n’est pas
pléthorique et les œuvres ne sont pas en tête du box office. Le cinéma n’est finalement qu’un
indicateur sociologique, le reflet d’une société à un moment donné : avait-on, avons-nous envie de
voir un film sur cette guerre qui fait encore aujourd’hui l’objet d’une lutte mémorielle entre les
Pieds Noirs, les Harkis, les anciens combattants, les institutions officielles : se remémorer les
récentes polémiques sur la commémoration de la journée du 19 mars, jour anniversaire du cessez
le feu en Algérie. Ces polémiques illustreraient la « phase d’hypermnésie » dans laquelle est
rentrée la guerre d’Algérie.
……………………
Pour aller plus loin sur le thème de la mémoire historique, de ses cycles et enjeux :
http://www.cndp.fr/crdp-reims/memoire/enseigner/memoire_histoire/07algerie.htm
Pour Henri Rousso, le cycle mémoriel connaît quatre phases :
« La liquidation de la crise » est suivie d’ « une phase d’amnésie, d’occultation, d’oubli, de
deuil silencieux » qui précède « une prise de conscience, un retour progressif sur le passé qu’on avait
refoulé » avant « une phase d’hypermnésie, correspondant à un excès de mémoire ».