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LA LETTRE DU NORRAG RÉSEAU D’ÉTUDES ET DE RECHERCHE SUR LES POLITIQUES D’ÉDUCATION ET DE FORMATION (NORRAG) NUMÉRO 44 Septembre 2010 NUMÉRO SPÉCIAL LE MEILLEUR DES MONDES DES DONATEURS « EMERGENTS », « HORS-CAD » ET LEURS DIFFERENCES PAR RAPPORT AUX DONATEURS « TRADITIONNELS » [disponible gratuitement sur le site Internet : www.norrag.org] Éditeur Kenneth King Adresse de l’éditeur Kenneth King, Saltoun Hall, Pencaitland, East Lothian, EH34 5DS, Scotland, UK Telephone : +44 1875 340 418 [email protected] ou [email protected] Adresse de la coordination Michel Carton, Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement (IHEID), Case postale 136, Rue Rothschild 20, 1211 Genève 21, Suisse. téléphone : (41) 22 908 45 07/57 ; fax : (41) 22 908 62 62 [email protected]

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LA LETTRE DU NORRAG

RÉSEAU D’ÉTUDES ET DE RECHERCHE SUR LES POLITIQUES

D’ÉDUCATION ET DE FORMATION (NORRAG)

NUMÉRO 44 Septembre 2010

NUMÉRO SPÉCIAL

LE MEILLEUR DES MONDES DES DONATEURS

« EMERGENTS », « HORS-CAD » ET LEURS DIFFERENCES PAR RAPPORT AUX DONATEURS « TRADITIONNELS »

[disponible gratuitement sur le site Internet : www.norrag.org]

Éditeur

Kenneth King

Adresse de l’éditeur

Kenneth King, Saltoun Hall, Pencaitland, East Lothian, EH34 5DS, Scotland, UK Telephone : +44 1875 340 418

[email protected] ou [email protected]

Adresse de la coordination

Michel Carton, Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement (IHEID), Case postale 136, Rue Rothschild 20, 1211 Genève 21, Suisse.

téléphone : (41) 22 908 45 07/57 ; fax : (41) 22 908 62 62 [email protected]

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SEPTEMBRE 2010 LA LETTRE DU NORRAG 2

Qu’est-ce que le NORRAG ? Le NORRAG (Network for Policy Research, Review and Advice on Education and Training) est un réseau qui vise à promouvoir une analyse critique des politiques de coopération internationale en matière d’éducation et de formation. Il vise également à améliorer l’échange entre ses membres, qui sont basés à l’université, dans des centres de recherche, des agences de développement et des ONG. Les quatre objectifs du NORRAG peuvent se résumer ainsi:

1. La collecte d’information, la synthèse des recherches, et l’analyse critique dans le domaine des politiques internationales d’éducation et de formation;

2. La diffusion d’information et d’analyses critiques sur les politiques internationales d’éducation et de formation;

3. Le plaidoyer pour une analyse critique des politiques et stratégies internationales en matière d’éducation et de formation;

4. La coopération avec d’autres réseaux pour échanger information et experience, co-organiser des activités et renforcer le plaidoyer.

Les principaux instruments de travail du NORRAG sont ses publications (la Lettre du NORRAG et les “Policy Briefs”), son site Internet, et l’organisation de (ou la participation à) des réunions ou conférences. Qu’est-ce que la Lettre du NORRAG ? La Lettre du NORRAG (NORRAG NEWS) est une lettre d’information électronique qui paraît deux fois par an. Cette lettre comprend plusieurs articles, courts et critiques, qui traitent de ce qu’impliquent les résultats des recherches pour les politiques internationales en matière d’éducation et de formation, et/ou des effets qu’ont, sur les pratiques, les nouvelles politiques formulées par les agences multilatérales ou bailleurs de fonds. La spécialité du NORRAG est d’identifier des fils conducteurs dans les discours actuels en matière de coopération éducative, et de les soumettre à une analyse critique dans les numéros thématiques spéciaux de la Lettre du NORRAG.

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SEPTEMBRE 2010 LA LETTRE DU NORRAG 3

LA LETTRE DU NORRAG N°44

LE MEILLEUR DES MONDES DES DONATEURS « EMERGENTS », « HORS-CAD » ET LEURS DIFFERENCES PAR RAPPORT

AUX DONATEURS « TRADITIONNELS » Ce numéro de La Lettre du NORRAG (LN 44) est consacré à l’analyse des nouveaux partenaires pour le développement, parfois appelés donateurs émergents. Ce terme n’est pas toujours pertinent dans la mesure où il est souvent employé en référence à l’Inde, la Chine ou la Corée du Sud, qui sont depuis longtemps impliquées dans la coopération au développement. Ces nouveaux acteurs de l’aide au développement sont aussi appelés parfois donateurs hors Comité d’Aide au Développement (CAD). C’est également une façon trompeuse et plutôt négative de définir ce groupe très divers, car certains de ces nouveaux partenaires de l’aide au développement font partie des nouveaux Etats européens, d’autres sont des membres de l’OCDE mais pas de son CAD. Certains font partie des Etats du Golfe et d’autres du groupe appelé BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Et il y en a bien d’autres. Ce numéro ne traite pas du monde très divers et complexe de l’aide du secteur privé et des fondations, qui pourrait être analysé dans un prochain numéro de La Lettre du NORRAG. Nous nous intéressons ici à l’ensemble des acteurs bilatéraux non traditionnels, de l’Inde au Nigéria, du Brésil à la Chine et de la Turquie à la Thaïlande. L’ensemble de ces donateurs non traditionnels et récents est large, et certains d’entre eux représentent des pays où les membres de NORRAG ne sont pas nombreux, comme par exemple la Corée du Sud, la Russie et l’Arabie Saoudite. Dans d’autres cas – en Afrique du Sud, en Inde, en Chine, au Chili et au Brésil –, les membres sont en plus grand nombre. Voici quelques-unes des questions qui sont traitées dans le cadre de cette analyse des donateurs non traditionnels, ou nouveaux partenaires du développement : - Dans quelle mesure les approches et modalités de ces donateurs sont-elles différentes de

celles des donateurs plus traditionnels du CAD (bien qu’il y ait une diversité importante au sein même de ce groupe) ?

- Dans quelle mesure cette aide est-elle conditionnée et quelle est l’importance des experts

de ces pays dans la distribution de l’aide ? - Comment ces nouveaux donateurs sont-ils perçus dans les pays où ils interviennent ?

- Dans quelle mesure cette nouvelle coopération est-elle régionalement orientée et dans

quelle mesure traverse-t-elle les continents comme le soutien du Brésil à certains pays africains ?

- Qu’ont les donateurs plus anciens à apprendre de ces nouveaux partenaires pour le

développement ? - Les chercheurs et les consultants de pays associés aux donateurs du CAD jouent-ils un

rôle de conseiller pour certains de ces nouveaux partenaires pour le développement ?

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SEPTEMBRE 2010 LA LETTRE DU NORRAG 4

- Que signifie l’essor de ces nouveaux donateurs pour la coordination des donateurs ?

- Ces nouveaux partenaires pour le développement sont-ils impliqués dans les pays où

interviennent les deux partenaires de NORRAG, ROCARE (en Afrique de l’Ouest et du Centre) et RedEtis (en Amérique Latine) ?

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SEPTEMBRE 2010 LA LETTRE DU NORRAG 5

SOMMAIRE

PREFACE 8 Kenneth King, Hong Kong Institute of Education/NORRAG

EDITORIAL 10

Nouveaux acteurs – Anciens paradigmes ? 10 Kenneth King, Hong Kong Institute of Education/NORRAG

LOGIQUE, POLITIQUE REELLE & REALITE DES NOUVEAUX PARTENAIRES DE DEVELOPPEMENT 16

Rôles et activités des « nouveaux partenaires de l’aide au développement » 17 Penny Davies, Diakonia, Stockholm

Les « donateurs émergents » et le paysage changeant de l'aide au développement : apports de la théorie du don 19

Emma Mawdsley, Department of Geography, Cambridge University

Les « nouveaux » donateurs sont-ils différents ? 20 Axel Dreher, Université Georg-August Goettingen, Allemagne, KOF Swiss Economic Institute, Suisse, IZA, et CESifo, Allemagne ; Peter Nunnenkamp et Rainer Thiele, Kiel Institute for the World Economy, Kiel, Allemagne

Diversité parmi les donateurs humanitaires : le rôle des donateurs hors-CAD 22 Adele Harmer, Humanitarian Outcomes, Londres et Ellen Martin, ODI Londres

Le CAD, les économies émergentes et le développement dans le monde du G20 24 Richard Manning, Consultant, anciennement au Comité d'aide au développement, OCDE

La coopération (Nord-) Sud-Sud dans le contexte de l'aide standardisée 27 Gita Steiner-Khamsi, Teachers College, Columbia University, New York

Donateurs arabes : plus prospères, moins généreux ? 28 Debra Shushan et Christopher Marcoux, College of William and Mary, Williamsburg

Les « donateurs émergents » et l'architecture de l'aide internationale au développement 30 Dane Rowlands, Carleton University

Pourquoi nous devons repenser radicalement l'aide au développement 32 Roger Riddell, Oxford Policy Management, Oxford

Financements innovants pour l'éducation 34 Desmond Bermingham, Centre for Global Development, Washington

LES BRIQUES (BRICS) POUR CONSTRUIRE LE NOUVEAU RENFORCEMENT DES COMPETENCES DES DONATEURS ? 38

Le programme d'aide émergent du Brésil : le moment est venu de dépasser le complexe de Jabuticaba 39 Lídia Cabral, ODI, Londres et Julia Weinstock, consultante, Londres

Donateur émergent : l'Inde 41 Subhash Agrawal, India Focus, New Delhi

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SEPTEMBRE 2010 LA LETTRE DU NORRAG 6

La Chine à l’étranger : « Exporter des hordes d'experts » ou « Apprendre à pêcher »? 43 Deborah Bräutigam, American University, Washington

La logique de l'aide chinoise au DRH en Tanzanie : Offrir un poisson, apprendre à pêcher et partager le poisson 46

Yuan Tingting, University of Bristol

La Chine et l’Égypte: le prolongement d’une longue amitié 49 Bjorn H. Nordtveit, Faculté de l’éducation, Université de Hong Kong

La Chine – Un donateur pas si nouveau? 51 Henning Melber, Dag Hammarskjöld Foundation, Uppsala

Éviter les approches traditionnelles ? Le cas de l’aide au développement sud-africaine 53 Elizabeth Sidiropoulos, South African Institute of International Affairs, Johannesburg

L’exceptionnalisme dans les relations Afrique du Sud - Chine 55 Kenneth King, Hong Kong Institute of Education/NORRAG

La Russie est de retour en Afrique 58 Pandji Kawe, Université de Ngaoundéré, Cameroun

LES NOUVEAUX DONATEURS ASIATIQUES (A L’EXCEPTION DE L’INDE ET DE LA CHINE) 61

Renaître des cendres de la guerre : la République de Corée et son rôle dans l’agenda global 62 Gwang-Jo Kim, Bureau régional de l’éducation de l’UNESCO pour la région Asie-Pacifique, Bangkok

LA COOPERATION SUD-SUD – PERSPECTIVES LATINO-AMERICAINES 64

La coopération Sud-Sud : Le cas des institutions de formation professionnelle dans la région de l’Amérique latine et des Caraïbes 65

Pedro Daniel Weinberg, Consultant, Montevideo, auparavant avec le CINTERFOR

Le soutien de Cuba à l’Afrique 66 Daniel Hammett, School of Geography, University of Sheffield; School of Geography, University of the Free State

Coopération pour le développement des compétences en Amérique latine : nouveaux acteurs et défis en matière de coordination 68

Claudia Jacinto, Réseau éducation, travail et insertion sociale en Amérique latine (redEtis), Buenos Aires

LA COOPERATION SUD-SUD – L’AFRIQUE ET LE PROCHE-ORIENT 70

Le Nigeria est un donateur ! Mais avec un historique inégal 71 Kunle Osidipe, Unievrsité normale de Shejiang, Jinhua

TIKA : 20 d’aide au développement de la Turquie 72 Cennet Engin-Demir, Université technique du Moyen-Orient, Ankara

NOUVEAUX DONATEURS : PERSPECTIVES DES RECIPIENDAIRES 76

Les donateurs non traditionnels : le difficile cas du Kenya 77 Bernard Momanyi, University of Nottingham

S’engager avec les partenaires « émergents »: un point de vue kenyan 79 Emma Mawdsley, Département de géographie, Université de Cambridge

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SEPTEMBRE 2010 LA LETTRE DU NORRAG 7

Mali : Les nouveaux donateurs – Vers une nouvelle forme de coopération bilatérale 82 Djénéba Traoré, ROCARE, Bamako

A PROPOS DU NORRAG 86

Le nouveau site Web est en ligne – Dernières nouvelles 87 Secrétariat NORRAG

Réponses au sondage NORRAG : Résumé des résultats 87 Secrétariat NORRAG

Réunion sur les compétences entre l’IAMR et NORRAG à New Delhi 89 Kenneth King, Hong Kong Institute of Education/NORRAG

Réunion NORRAG à Addis Abeba 90 Stéphanie Langstaff, Université d’Addis Abeba

POST-SCRIPTUM 92

Danser sur la scène des BRIC ? La Chine, donateur émergent et traditionnel 92 Zhou Shuqing, Université de Zhejiang, Jinhua

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SEPTEMBRE 2010 LA LETTRE DU NORRAG 8

PREFACE

Kenneth King, Hong Kong Institute of Education/NORRAG Email: [email protected]

Bienvenue dans le premier numéro de la Lettre du NORRAG entièrement consacré aux nouveaux acteurs et partenaires du développement ! La Lettre du NORRAG s'était auparavant intéressée aux donateurs traditionnels. Ainsi, elle s'est concentrée dans le numéro précédent (LN43 sur le « monde des rapports ») sur les rapports issus des conférences mondiales sur l'éducation, comme Jomtien et Dakar, organisées par les principales agences de développement multilatérales, ou aux documents de politiques majeurs, comme les rapports mondiaux de suivi, ou les rapports de la Banque mondiale et de l'UNESCO. Nous n'avons pas publié de numéro spécial sur la première réunion de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l'Afrique (TICAD) en 1993, ni sur les principales conférences ou sommets liés au Forum sur la Coopération Sino-Africaine (FOCAC) qui se sont tenus à partir de 2000. Cela s'explique en partie par le fait qu'il ne s'agissait pas de conférences consacrées spécifiquement à l'éducation et la formation, mais plutôt au développement, au commerce et à l'aide plus généralement. Mais c'est aussi parce qu’en 1990, la Chine, l'Inde et le Brésil ne faisaient pas encore figure de donateurs importants au même titre que le Japon. Nous espérons que ces contributions sur différentes dimensions de ces nouveaux acteurs du développement, ouvrira le débat ! Nous avons essayé de présenter différentes perspectives sur certains de ces nouveaux acteurs, comme l'Afrique du Sud, le Brésil, la Chine et l'Inde. Vous constaterez que nous n'avons pas mentionné le « développement des ressources humaines » (DRH) dans le titre final de ce numéro spécial. Les auteurs n'ont, en effet, pas tous intégré le DRH dans leur analyse des nouveaux donateurs, ce qui est légitime dans la mesure où il était important en premier lieu de définir qui sont ces nouveaux acteurs du développement. Nous aurons bientôt d'autres opportunités de nous pencher sur l'aspect DRH de ces nouveaux, et pas si nouveaux, donateurs. L'une d'entre elles sera le Groupe de travail sur la coopération en matière de formation qui se réunira durant la conférence triennale de l'EADI/DSA l'année prochaine. Ce groupe de travail se concentrera spécifiquement sur les dimensions du DRH de ces nouveaux acteurs du développement. Par une heureuse coïncidence, la Conférence générale de l'EADI/DSA, qui se tiendra à York du 19 au 22 septembre, aura lieu quatre jours seulement après la Conférence Internationale d'Oxford de l'UKFIET sur le développement de l’éducation. Nous sommes convaincus que le NORRAG sera bien représenté lors de ces deux événements. Le 19 novembre 2010 aura lieu au siège de la DDC à Berne une réunion du NORRAG co-organisée par le Réseau Suisse Éducation et Coopération internationale, où sera discuté le présent numéro spécial de la Lettre du NORRAG sur les donateurs émergents. Bilan de NORRAG Durant le mois de septembre 2010, environ 70 lecteurs de la Lettre du NORRAG seront contactés par téléphone dans le cadre d'une étude qualitative approfondie de bilan du rôle actuel du NORRAG. Vous vous souvenez certainement que nous avons effectué une courte enquête par questionnaire au début de l'année, dont les résultats sont présentés par Robert

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Palmer dans la section « NORRAG » à la fin de ce numéro spécial. Ces 70 entretiens téléphoniques sont organisés au niveau régional dans sept régions différentes. Il y aura donc 10 entretiens approfondis dans chacune de ces régions. Les résultats seront disponibles dans le prochain numéro. Il pourrait se révéler délicat pour l'enquêteur régional chargé de l'Asie de mener cette tâche à terme. Pour une raison que nous ne pouvons nous expliquer, il n'est pas possible d'ouvrir le site internet du NORRAG depuis la Chine continentale, mais il est toutefois possible de contourner ce problème temporaire en utilisant le RPV (Réseau Privé Virtuel, VPN en anglais). Cela signifie qu'il sera difficile pour l'enquêteur de demander aux Chinois leurs impressions sur les récents développements du NORRAG s'ils n'y ont pas eu accès, hormis à travers le RPV. Développement des compétences Malgré l'interruption du Groupe de travail sur la coopération internationale en matière de développement des compétences fin 2008, le NORRAG a continué à être actif dans le domaine du réseautage international sur le développement des compétences.Il a ainsi organisé une conférence de qualité sur la définition des politiques publiques dans le domaine du développement des compétences à Genève en juin 2009 ; il a ensuite co-organisé une conférence à Delhi en mai 2010 sur les défis du développement des compétences en Inde (Challenges facing skills development in India). Pour plus de détails sur cette conférence, voir What's new? sur le site internet du NORRAG. En septembre 2010, le NORRAG a soutenu la Direction du développement et de la coopération (DDC) dans l’organisation d'une importante conférence régionale sur le développement des compétences à Dhaka. Il va sans dire que le NORRAG s'efforcera également en temps voulu de soutenir le travail de l'équipe du Rapport mondial de suivi de l’éducation pour tous (RMS-EPT), quand elle commencera prochainement à travailler sur le développement des compétences et l'apprentissage des adultes pour le RMS-EPT de 2012. Colloque en l’honneur de Michel Carton Le 18 novembre 2010 aura lieu un colloque spécial organisé à l'IHEID, Genève, pour marquer le départ à la retraite de Michel Carton. Le colloque est intitulé : « Knowledge, Skills and Development: Global Frameworks and Local Realities in Higher Education and TVET » et est ouvert à tous! Il y a bientôt 20 ans que Michel a contribué pour la première fois à la Lettre du NORRAG, en janvier 1992 (NN13); et il n'aurait pas encouragé le groupe informel appelé NORRAG à se déplacer de La Haye, où il était basé, à Genève, s'il n'y avait pas été lui-même impliqué depuis plusieurs années déjà. Son soutien continu au NORRAG durant ces 20 années a été crucial pour que notre réseau devienne ce qu'il est aujourd'hui. Nombre de ses amis à travers le monde espèrent qu'il poursuivra son engagement auprès du NORRAG et de beaucoup d'autres projets durant les prochaines années. Nous espérons vous voir nombreux le 18.

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SEPTEMBRE 2010 LA LETTRE DU NORRAG 10

Nos remerciements à Robert et Lama pour leur aide précieuse dans ce numéro de la Lettre du NORRAG. Kenneth King, Professeur invité Department of International Education and Lifelong Learning & Department of Education Policy and Leadership, Hong Kong Institute of Education, Hong Kong 10 septembre 2010

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EDITORIAL

Nouveaux acteurs – Anciens paradigmes ? 1

Kenneth King, Hong Kong Institute of Education/NORRAG Email: [email protected]

Mots clés : donateurs émergents, partenaires de développement ; coopération Sud-Sud ; coopération Nord-Sud ; Déclaration de Paris ; coopération horizontale ; nouveaux acteurs du développement Résumé : L'article explore le défi terminologique consistant à décrire les nouveaux acteurs du développement de manière à les distinguer de façon satisfaisante des « donateurs traditionnels », particulièrement lorsque l'on considère l'histoire des deux groupes. Des donateurs pas si nouveaux ? Nous allons bientôt être submergés par le nombre des donateurs, des partenaires et des acteurs émergents, ainsi que des coopérateurs Sud-Sud!!! Riddell (voir son article dans ce numéro) a estimé que 30 000 missions sont mises en place chaque année par les donateurs pour les pays récipiendaires, soit plus de 100 par jour. Les noms de certains des plus anciens coopérateurs font aujourd'hui presque partie du langage courant, ou sont devenus des marques clés, dans la sphère du développement, comme USAID, GTZ, JICA, CIDA, Sida, AusAID et DFID. Mais d'autres donateurs traditionnels sont beaucoup moins connus au niveau international, comme DGIS en Hollande ou AECI en Espagne, sans parler de l'aide italienne, portugaise ou belge. Et voilà que subitement, nous avons affaire à toute une série de nouveaux acronymes. Il y a TIKA (Turquie), TICA (Thaïlande), TAC et NTF (Nigeria). Il y a aussi ITEC (Inde), KOICA (Corée du Sud) et ICDF (Taïwan). Il y a encore AGCI (Chili), ABC et SENAI (Brésil), et SADPA (Afrique du Sud). D'autres, enfin, comme la coopération chinoise, ne sont pas liées à une agence de développement particulière ou à un acronyme.

1 La recherche sur la coopération éducative entre la Chine et l'Afrique liée à cet article a été financée par le Fonds général pour la recherche de Hong Kong (Hong Kong’s General Research Fund, GRF), ref no.750008.

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Mais leur nouveauté est loin d'être exacte ; SENAI a été créé en 1942 et opère dans la coopération Sud-Sud depuis 1956 ; la même année, les quatre premiers étudiants égyptiens partirent étudier en Chine par le biais de la coopération sino-égyptienne ; ITEC fut établi formellement en 1964, et la Corée du Sud commença à fournir de l'assistance technique sur la base du partage des connaissances au milieu des années 1960, tandis que NTF fut mis sur pied en 1976. De nombreux pays arabes se lancèrent également dans la coopération après l'augmentation vertigineuse du prix du pétrole en 1973. Ce qui est nouveau, pour être plus exact, est la reconnaissance récente par les analystes de l'aide du fait que ces organismes constituent un domaine d'étude pertinent. A quand remonte la première utilisation du terme « donateur émergent »? Aujourd'hui, il enregistre des millions d'occurrences sur Google en un dixième de seconde. Bien que les termes de coopération Sud-Sud et de coopération horizontale commencent seulement à être utilisés de plus en plus fréquemment, le concept de « coopération technique entre pays en développement » remonte à 1978 ; en effet, cette année-là, Weinberg (voir aussi son article dans ce numéro) organisa une importante conférence pour partager des expériences entre les systèmes nationaux de formation professionnelle d'Amérique latine et leurs équivalents africains. En quoi ces donateurs « pas si nouveaux » sont-ils différents des « donateurs traditionnels » ? Notons tout d'abord le fait que les « donateurs traditionnels » sont eux-mêmes très différents les uns des autres, et que la plupart d'entre eux sont différents aujourd'hui de ce qu'ils étaient hier. Les donateurs traditionnels sont loin d'être homogènes ; ils peuvent donc être classés en clubs ou groupements informels, notamment sur la base de conceptions communes, ce qui suggère bien entendu des similarités et des différences au sein même du groupe des partenaires habituels de l’aide au développement. Ces distinctions correspondent à différentes modalités ou approches de l'aide, par exemple les donateurs qui préfèrent travailler par projet plutôt que par programme, ceux qui peuvent ou ne peuvent pas investir de l'argent directement dans un soutien budgétaire sectoriel ou général; enfin, à l'intérieur même des différents secteurs, comme celui de l'éducation, les priorités varient considérablement dans l'allocation des ressources, certains donateurs soutenant avant tout l'éducation de base, d'autres se concentrant sur l'éducation primaire. Historiquement aussi, les « donateurs traditionnels » ont manifestement changé leurs habitudes. Ainsi, le lien étroit entre l'aide et le commerce dans l'aide britannique a seulement été aboli en 1997.2 De même, la fin de la Guerre froide commença à changer l'allocation stratégique de l'aide aux pays en développement à des fins politiques. Autrement dit, la fin de la Guerre froide marqua l'introduction d'une nouvelle série de conditionnalités politiques de la part de certains donateurs occidentaux, lesquels commencèrent à accorder une plus grande importance à la démocratie multipartite et aux droits de l'homme qu'auparavant. En d'autres termes, de nombreuses critiques adressées aujourd'hui aux donateurs émergents, leur reprochant par exemple de ne pas interférer dans la politique et l'élaboration de politiques 2 Dix ans plus tard, l'agence chilienne de coopération internationale indiquait : « Le Chili a une stratégie de développement qui considère le commerce comme un élément clé, et le commerce est une composante essentielle de ses programmes de coopération en Amérique du Sud et Centrale. » (www.oecd.org/dataoecd/45/19/39639012.pdf)

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publiques des récipiendaires d'aide, ou de lier leur aide et leur assistance technique, se retrouvent dans les actions des donateurs traditionnels d'un passé récent, voire très récent. Les (pas si nouveaux) donateurs émergents sont-ils aujourd'hui partie intégrante de la nouvelle architecture de l’aide ? Depuis le Sommet du Millénaire de 2000 et l'élaboration subséquente des Objectifs du Millénaire pour le développement, et, plus tard, la Déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide, le besoin s'est fait ressentir de mieux harmoniser l'aide extérieure et de l'aligner sur les politiques nationales (des pays récipiendaires). Tout un lexique d'indicateurs a été établi pour évaluer l'appropriation, l'alignement et l'harmonisation des initiatives d'aide extérieure (voir LN42). Les architectes de la Déclaration de Paris tenaient absolument à être inclusifs. Ils espéraient ainsi que l'esprit de Paris engloberait non seulement la coopération Nord-Sud traditionnelle, mais aussi une communauté de partenaires de développement qui était perçue comme opérant plutôt dans un cadre de coopération Sud-Sud. Il s'agit clairement d'une référence à notre groupe hétérogène de donateurs émergents qui, nous l'espérions, participeraient aussi au jeu de la coopération au développement en utilisant les règles de la Déclaration de Paris comme points de référence. Étonnamment, la Déclaration de Paris admet certaines différences dans les principes et les préférences des partenaires impliqués dans la coopération Sud-Sud ; ils sont vus, peut-être de façon un peu condescendante, comme des compléments utiles au courant dominant Nord-Sud. Paris avec des caractéristiques Sud-Sud ?

La coopération au développement Sud-Sud vise à observer les principes de non-interférence dans les affaires internes, d'égalité entre les partenaires de développement et de respect pour leur indépendance, de souveraineté nationale, d'identité et de diversité culturelle, et de contenu local. Elle joue un rôle important dans la coopération au développement international et est un complément précieux à la coopération Nord-Sud.3

Ces propos exagèrent sans doute la distinction entre la coopération Nord-Sud et Sud-Sud. Mais ce qu'il est difficile d'évaluer, sans disposer de beaucoup plus de recherches empiriques sur les donateurs émergents, est l'importance de l'architecture des Objectifs du Millénaire, de la Déclaration de Paris ou du Programme d’action d'Accra subséquent (2008) sur leurs prises de décision en matière de coopération. Cette question concerne moins les nouveaux États membres de l'Union Européenne, dans la mesure où ils sont progressivement impliqués dans les processus d'aide de la Commission Européenne à travers des accords juridiquement contraignants. Identité spécifique Mais la plupart des autres donateurs ne vont-ils pas, en réalité, fixer leurs priorités d'aide en partie en fonction de leurs « sphères d'influence », de leurs connections historiques, d'une langue, d'une religion ou d'une identité ethnique commune, comme l'ont fait certains des anciens donateurs à travers leurs liens étroits avec le Commonwealth anglophone (54 États 3 Traduction de: « South-South co-operation on development aims to observe the principle of non-interference in internal affairs, equality among developing partners and respect for their independence, national sovereignty, cultural diversity and identity and local content. It plays an important role in international development co-operation and is a valuable complement to North-South co-operation. » (Paris Declaration, 2005: paragraph 19e).

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membres), la Francophonie (56 membres) ou le monde lusophone (10 pays) ? Ainsi, la majeure partie de l'aide indienne va à certains de ses voisins, bien qu'elle ait été étendue récemment à l'Afrique. De même, la Turquie a commencé par s'orienter vers les peuples turcs du Caucase, mais s'est depuis étendue à pas moins de 100 pays dans le monde entier. L'Écosse, pour des raisons historiques remontant aux années 1850 et à David Livingstone, a choisi à l'origine le Malawi comme centre de ses nouveaux partenariats d'aide. Le discours de la solidarité Néanmoins, alors qu'une langue commune, sinon une précédente relation coloniale, explique en partie les connections actuelles entre le Brésil et l'Afrique lusophone, l'engagement de la Chine ou de l’Inde en Afrique n'est basé sur aucune relation principalement linguistique, même si la communication se fait en anglais entre l’Inde et l’Afrique anglophone. De ce fait, plusieurs nouveaux donateurs adoptent un discours différent, celui de la solidarité avec d'autres pays en développement, y compris, pour certains pays africains, une histoire de soutien durant la période de résistance au pouvoir colonial. La Chine, par exemple, a des ambassades dans pas moins de 47 des 53 pays africains, indépendamment de leur langue, leur histoire et leur culture; et son mécanisme de liaison avec le continent, le Forum sur la Coopération Sino-Africaine (FOCAC), est véritablement de portée panafricaine,4 comme l'avait été la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l'Afrique (TICAD) dès ses débuts en 1993, lorsque pas moins de 48 pays africains étaient représentés à Tokyo. Partager des expériences de développement pertinentes Beaucoup de nouveaux donateurs, au delà de l' « inclusivité » de la solidarité du tiers-monde, se sentent investis de la mission de partager avec d'autres la dynamique de leur propre expérience de développement. Parmi tous les nouveaux donateurs, la Corée du Sud, passée de l'un des pays les plus pauvres au monde à l'un des pays les plus avancés économiquement, est l'exemple le plus explicite de cette volonté de partager son expérience. Bien entendu, ce désir de partager une expérience de développement nationale est un élément de plus qui va à l'encontre d'une dichotomie trop nette entre donateurs traditionnels et émergents; le Japon a longtemps pensé que sa propre expérience de transformation après la Seconde guerre mondiale, et son désir de devenir un donateur alors qu'il était encore récipiendaire, pourraient être potentiellement précieux pour d'autres pays en voie de développement. Ce partage d'une expérience de développement pertinente caractérise également l'ITEC indien, qui s'engage explicitement à « partager les fruits de son développement socio-économique et de ses accomplissements technologiques avec d'autres pays en développement ». C’est une caractéristique commune à tous les programmes, de Taïwan au Nigeria, en passant par le Chili, la Chine et Cuba, de fournir des experts et des volontaires pour transmettre à l'étranger un aperçu de l'expérience de leur propre développement. Bénéfices mutuels et « donnant-donnant », plutôt qu'aide à sens unique Plusieurs donateurs émergents soutiennent qu'ils ne font pas de charité, mais s'engagent dans des accords réciproques; qu'ils ne donnent pas de l'aide à sens unique, mais s'engagent dans une relation « donnant-donnant ». Il y a près de 40 ans, Zhou Enlai fit bien ressortir ce refus d'une relation donateur-récipiendaire en disant dans ses 8 principes de l'aide au développement: « Le gouvernement chinois se base toujours sur le principe de l'égalité et du

4 Quatre pays africains maintiennent des relations diplomatiques avec Taïwan.

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bénéfice mutuel en fournissant de l'aide à d'autres pays. Il ne considère jamais une telle aide comme une sorte d'aumône unilatérale, mais comme quelque chose de mutuel »5. C'est le type de solidarité dont Zhou Enlai parla souvent durant ses fameuses visites en Afrique au début des années 1960: « l'aide économique mutuelle parmi les pays asiatiques et africains était une sorte d'assistance entre amis pauvres qui ramaient dans le même bateau »6. Mais cette recherche d'un bénéfice mutuel est-elle une caractéristique propre aux donateurs émergents? Certainement pas. Il n'est pas inhabituel pour les donateurs traditionnels de percevoir l'aide à la fois comme une obligation morale et comme une source de sécurité, voire de prospérité. Voici les propos de l'ancien Premier Ministre britannique Gordon Brown au sujet du bénéfice mutuel que peut constituer l'aide: « Nous ferons cela parce que c'est moralement juste. Mais aussi parce que notre prospérité, notre sécurité et notre santé sont toujours plus indissociables d'événements survenant bien au-delà de nos frontières »7. Encore plus explicitement, AusAID définit dans son rapport annuel 2008/2009 les deux principaux objectifs qu’elle a atteints, et tous deux concernent la dimension de bénéfice mutuel de l'aide: « Objectif 1: aider les pays en développement à réduire la pauvreté et atteindre un développement durable conformément à l'intérêt national de l'Australie » (AusAid, 2009: 11). Le lien entre le développement et l'agenda sécuritaire, parfois appelé « sécurisation du développement », est une preuve supplémentaire de la difficulté à considérer le bénéfice mutuel comme un trait distinctif des donateurs émergents et du type de coopération qu'ils pratiquent. Abolir la pauvreté ou construire une route pour devenir riche? En dépit de ces parallèles évidents dans les stratégies de bénéfice mutuel adoptées aussi bien par les nouveaux que par les anciens partenaires de l’aide au développement, il demeure possible de suggérer qu'un discours puissant a été développé chez beaucoup de donateurs occidentaux, y compris des ONG, autour du slogan « abolissons la pauvreté » (Make poverty history). Cette focalisation sur une grande impulsion devant mettre fin à la pauvreté dans un futur proche a une résonance considérable en occident, et a un caractère différent de l'adage chinois selon lequel il faut construire une route si l'on veut devenir riche. En termes de stratégies de coopération, la Chine considère les infrastructures comme cruciales pour un développement réussi, tandis que plusieurs donateurs occidentaux soulignent la priorité d'investir dans l'éducation, la santé et les secteurs sociaux dans leur ensemble. Mais de nouveau, une distinction trop nette entre les donateurs nouveaux et traditionnels ne fonctionne pas, puisque le Japon a invariablement insisté sur l'importance d'investir dans les infrastructures plutôt que de se concentrer uniquement sur les OMD. En guise de conclusion On pourrait conclure de ces brèves remarques que, lorsque l'on cherche à distinguer ces deux groupes de donateurs, la terminologie nouveau vs. traditionnel n'est pas très utile ; l'opposition CAD vs. hors CAD, quant à elle, ne tient pas compte des mouvements à l'intérieur des 5 Traduction de : The Chinese Government always bases itself on the principle of equality and mutual benefit in providing aid to other countries. It never regards such aid as a kind of unilateral alm [sic] but as something mutual.’ 6 Traduction de : ‘mutual economic assistance among the Asian and African countries was the kind of assistance between poor friends who were in the same boat pulling oars together.’ (King, 2006: 3) 7 Traduction de : 'We will do so because it is morally right. But also because our prosperity, security and health are increasingly inseparable from events far beyond our borders.’ [DFID, 2009: 5]

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Nouveaux États membres vers le CAD ; Paris vs. non-Paris néglige le fait que la coopération Sud-Sud a été intégrée à la Déclaration de Paris; enfin, la solidarité, le bénéfice mutuel et l'expérience particulière d'un développement réussi se révèlent difficiles à attribuer aux seuls nouveaux donateurs. Ce qu'il nous faut, ce sont davantage de comptes-rendus critiques sur le discours des nouveaux acteurs du développement, de même que des recherches empiriques sur leurs opérations dans leurs pays partenaires. La Conférence Générale de l'EADI qui se tiendra du 19 au 22 septembre à l'Université de York pourrait donner l'opportunité de se pencher plus en détails sur les nouveaux acteurs du développement et de se concentrer tout particulièrement sur la dimension DRH de ces nouveaux acteurs. Voir le Working Group for Cooperation in Training et le Sub-Group on Non-DAC Donors (http://www.eadi.org/gc2011). Lectures complémentaires AusAID (2009) Annual Report 2008/9. AusAID, Canberra DFID (2009) Eliminating World Poverty: Building our Common Future. Cmd 7656, London King, K. (2006) China and Africa: New Approaches to Aid, Trade and International Cooperation, CERC, Faculty of Education, University of Hong Kong, 24 mars 2006 (http://www.hku.hk/cerc/KK-Article.htm) OECD (2005) The Paris Declaration on Aid Effectiveness. Paris.

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LOGIQUE, POLITIQUE REELLE & REALITE DES NOUVEAUX PARTENAIRES DE DEVELOPPEMENT

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Rôles et activités des « nouveaux partenaires de l’aide au développement »

Penny Davies, Diakonia, Stockholm

Email : [email protected] Mots clés : donateurs émergents ; nouveaux partenaires de l’aide au développement ; donateurs hors CAD ; efficacité de l’aide ; modalités de l'aide Résumé : Il est nécessaire aujourd'hui de remédier au manque de terminologie adéquate pour décrire les « donateurs émergents ». Alors que des différences existent, les donateurs émergents partagent aussi des points communs avec les donateurs du CAD dans leurs rôles et leurs activités. Une similarité importante entre les deux groupes, par exemple, est leur intérêt pour l'efficacité de l'aide. Pour aller de l'avant, tous doivent s'engager dans un processus de réforme et d'apprentissage mutuel. Un problème clé dans la description du groupe des « donateurs émergents » ou des donateurs bilatéraux souverains hors CAD réside dans le manque d'une terminologie satisfaisante. En utilisant le CAD comme point de référence, on les définit par ce qu'ils ne sont pas, plutôt que par ce qu'ils sont. Par ailleurs, plusieurs d'entre eux ne sont pas du tout nouveaux, mais fournissent de l'aide depuis très longtemps. Beaucoup ne se considèrent pas comme des donateurs, et préfèrent dire qu'ils s'engagent dans des partenariats dans un contexte Sud-Sud. En outre, le groupe englobe une telle diversité (géographique, socio-économique et dans leur expérience de l'aide), qu'il est pertinent de se demander si cela a du sens de s'y référer comme à un groupe. Ce défi fait ressortir le besoin de dépasser la terminologie et les catégorisations traditionnelles et de trouver une meilleure façon de désigner les formes toujours plus diverses de coopération au développement et les partenaires toujours plus variés qui s'y engagent. L'augmentation du volume de l'aide des « nouveaux partenaires de développement » (qui reflète les mutations du pouvoir économique mondial) est peut-être ce qui a généré le plus d'intérêt. Estimer les volumes d'aide est difficile en raison du manque de données collectées et rapportées systématiquement, et de l'absence d'une définition mondialement reconnue de ce qui compte comme « aide ». Les chiffres sont souvent gonflés. En 2008, le total de l'APD des donateurs hors CAD rapporté au CAD atteignait 9,9 milliards de dollars, pour 3,4 milliards en 2003. Si le montant de l'aide au développement des pays « BRICS », issu de différentes estimations crédibles, allant de 2,3 à 5,1 milliards de dollars, est ajouté à ce montant, il s'élèverait à quelque 12-15 milliards, soit 10-12% de l'APD totale (voir source ci-dessous). Si le volume de l'aide est important, il est plus crucial encore de s'intéresser à comment l'aide est affectée, à qui elle est allouée, sur la base de quels critères et avec quels résultats. Une évaluation des rôles et des activités des nouveaux partenaires de développement révèle aussi bien des similarités que des différences avec les donateurs du CAD (des exemples sont donnés dans les sources). En moyenne, les nouveaux partenaires de développement recourent moins à l'aide multilatérale (18%) que les donateurs du CAD (30%). Si la proximité géographique est un facteur important pour déterminer la direction de l'aide, et en particulier celle des donateurs du Sud, les programmes d'aide ont dans l'ensemble une portée géographique très étendue. Comme pour les donateurs du CAD, une focalisation croissante sur l'Afrique est aussi visible

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parmi les donateurs émergents. A l'instar des donateurs du CAD, les nouveaux partenaires de développement tendent en outre à concentrer leur aide sur les pays les plus pauvres et, dans une certaine mesure, les pays récipiendaires convergent. La tendance à financer les infrastructures et le secteur productif est dans une large mesure complémentaire à celle des donateurs du CAD. Cependant, il est faux de penser que les donateurs émergents négligent les secteurs sociaux, car, en réalité, plusieurs d'entre eux affectent leur aide à des secteurs divers. Leur pilier est l'aide-projet et, contrairement aux donateurs du CAD, ils fournissent rarement un soutien au budget ou à des programmes, à quelques exceptions près. Si l'aide est presque toujours liée à l'achat de biens et de services, le procédé n'est pas toujours associé aux inconvénients qui accompagnent habituellement l'aide liée, comme des coûts plus élevés pour les pays récipiendaires. Mais il ne s'agit ici que de quelques exemples généraux, et il faudrait examiner en détail chacun d'entre eux dans la perspective du pays partenaire pour éviter de faire des généralisations. Si des différences existent – comme l'accent mis par les fournisseurs du Sud sur la non-interférence, lequel s’oppose aux pratiques de conditionnalité des donateurs du CAD, les deux groupes ont aussi beaucoup de points communs. Notons par exemple l'importance qu'ils accordent tous deux à s'assurer que l'aide soit efficace et qu'elle contribue aux objectifs de développement du pays partenaire et aux OMD. Pour que cela se matérialise, il est nécessaire de prendre les mesures suivantes :

• Un dialogue plus inclusif sur l'efficacité de l'aide devrait être instauré dans la perspective d’un apprentissage mutuel et pour mieux intégrer les différentes expériences des nouveaux partenaires. Tous les acteurs devraient reconnaître qu'ils peuvent apprendre les uns des autres.

• La collaboration devrait être renforcée pour tirer profit au maximum des avantages comparatifs des différents fournisseurs d'aide et garantir la complémentarité. En même temps, la diversité des options disponibles pour les pays partenaires devrait être maintenue.

• La transparence et l'échange d'informations devraient être améliorés. Cela est essentiel pour l'apprentissage mutuel et pour encourager la responsabilité financière. Les informations sur qui fait quoi au niveau national devraient être partagées, y compris le volume, le type et les termes de l'aide.

• L'appropriation par le pays partenaire devrait être renforcée, et tous les fournisseurs d'aide doivent garantir qu'ils alignent leur aide sur les priorités du pays. Les pays partenaires devraient quant à eux faire preuve d'un fort leadership dans la définition des priorités par le biais de processus démocratiques de grande envergure.

• L'accent devrait être mis sur les principes d'efficacité de l'aide, ainsi que sur les normes sociales et environnementales. Les fournisseurs d'aide doivent dépasser les simples promesses et s'assurer que leur aide bénéficie aux individus les plus pauvres et contribue à un développement soutenable à long terme.

• Toutes les politiques devraient être cohérentes avec les objectifs de l'aide au développement. L'aide, en particulier celle apportée par les donateurs émergents, est souvent intrinsèquement liée à d'autres types de coopération (commerce et investissements), et toutes les politiques devraient viser à contribuer à un développement équitable et durable.

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Lectures complémentaires : Davies, P. (2010) A Review of the Roles and Activities of New Development Partners, CFP Working Paper Series no.4, The World Bank: http://www-wds.worldbank.org/external/default/WDSContentServer/WDSP/IB/2010/04/07/000333038_20100407034236/Rendered/PDF/538660NWP0CFPW10Box345632B01PUBLIC1.pdf Davies, P. (2010) "South-South Cooperation: Moving Towards a New Aid Dynamic" in Poverty in Focus, South-South Cooperation - The Same Old Game or a New Paradigm?, International Policy Centre for Inclusive Growth, UNDP: http://www.ipc-undp.org/pub/IPCPovertyInFocus20.pdf

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Les « donateurs émergents » et le paysage changeant de l'aide au développement : apports de la théorie du don

Emma Mawdsley, Department of Geography, Cambridge University

Email: [email protected] Mots clés : donateurs émergents ; caractéristiques de l’aide ; théorie du don Résumé : S'appuyant sur la théorie du don, l'auteur évalue les régimes symboliques que les « donateurs émergents » construisent autour des idéologies et des pratiques de leur aide au développement. Cet article traite des régimes symboliques que les « donateurs émergents » (comme le Brésil, la Chine, l'Inde et l'Afrique du Sud) construisent autour de leurs idéologies et de leurs pratiques d'aide au développement. Il s'appuie sur la théorie du don, qui a précédemment été confinée à l'analyse des donateurs occidentaux dominants, des ONG et de leur public. Cinq traits caractéristiques des régimes symboliques de l'aide « émergente » sont identifiés et analysés : l'assertion d'une identité du « tiers-monde » partagée ; une expertise spécifique pour un développement approprié ; le refus explicite de relations hiérarchiques ; la prépondérance de l'idée d'opportunité mutuelle ; et la valeur positive accordée à la réciprocité. Ces affirmations se placent en porte-à-faux par rapport à la construction de l'aide occidentale basée sur le concept de charité. En outre, elles œuvrent implicitement et explicitement à critiquer les échecs et les dommages associés à l'architecture et aux modalités de l'aide dominantes. L’article* examine ensuite ce que ces régimes symboliques cherchent peut-être à « euphémiser » ou à obscurcir dans la politique réelle des relations Sud-Sud. Il conclut par une évaluation des implications de ces conceptions pour la théorie postcoloniale. *[Les lecteurs intéressés par l'article complet peuvent s'adresser directement à Emma Mawdsley. L'éditeur]

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Les « nouveaux » donateurs sont-ils différents ?

Axel Dreher, Université Georg-August Goettingen, Allemagne, KOF Swiss Economic Institute, Suisse, IZA, et CESifo, Allemagne ;

Peter Nunnenkamp et Rainer Thiele, Kiel Institute for the World Economy, Kiel, Allemagne

Emails: [email protected]; [email protected]; [email protected] Mots clés : allocation de l’aide ; nouveaux donateurs ; motivations des donateurs ; modalités de l’aide ; éviter la dichotomie nouveaux/anciens donateurs Résumé : Nous comparons l'allocation de l'aide des principaux donateurs du CAD avec celle des donateurs émergents. Nous remarquons que, en moyenne, les nouveaux donateurs se soucient moins des besoins des récipiendaires que les anciens donateurs. Aussi bien les nouveaux que les anciens donateurs se montrent indifférents au mérite, dans la mesure où ils ne tiennent pas compte du niveau de corruption dans les pays récipiendaires. Par ailleurs, pour les deux groupes, l'allocation de l'aide semble être altérée par leurs intérêts commerciaux propres. Un nombre croissant de « nouveaux » donateurs ou donateurs « émergents » fournissent des sources alternatives d'aide aux pays en développement. Plus de 30 pays donateurs opèrent en dehors du Comité d'aide au développement (CAD), lequel regroupe les pays économiquement avancés de l'OCDE. Certains d'entre eux ne sont, en réalité, pas si nouveaux sur la scène de la coopération internationale au développement. Certains donateurs hors CAD fournissent ainsi de l'aide à l'Afrique depuis plus d'un demi-siècle. Néanmoins, l'importance quantitative et le comportement d'allocation de ces donateurs est difficile à définir précisément. Selon l'OCDE, les déboursements nets totaux effectués par les pays non membres du CAD s'élèvent à 26,2 milliards de dollars pour la période 2001-2007 (aux prix actuels). L'aide bilatérale compte pour environ 85% de cette somme. Par contre, on ne dispose que de peu d'informations sur la distribution de l'aide de la part des pays non membres du CAD. La Chine, par exemple, ne divulgue pas l'allocation de son aide. Des anecdotes sur la façon qu’ont certains fonds de dépenser cette aide alternative ont provoqué un débat controversé sur la question de savoir si de telles alternatives constituent un changement positif pour la coopération internationale au développement, voire pour les pays récipiendaires. Si la notion d' « aide malveillante » (rogue aid) représente clairement un point de vue extrême, l'inquiétude au sujet des motifs qui sous-tendent à l'allocation de l'aide hors CAD est largement partagée. En fait, ces préoccupations ne sont pas très différentes de celles, bien connues, des chercheurs qui s'intéressent à l'allocation de l'aide par les donateurs traditionnels du CAD. D'un autre côté, il se peut que les donateurs qui faisaient partie jusqu'à récemment du groupe des récipiendaires soient plus familiers avec les besoins des récipiendaires et, par conséquent, fournissent une aide mieux ciblée. Les preuves empiriques permettant de déterminer dans quelle mesure et comment l'allocation de l'aide par les pays non membres du CAD diffère de celle de l'aide du CAD sont rares et largement descriptives. Nous nous efforçons de combler cette lacune en évaluant l'allocation de l'aide aux différents pays récipiendaires pour un groupe de 16 donateurs non membres du CAD pour la période 2001-2008. Nous nous appuyons sur la base de données récemment

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publiée par l'initiative AidData, laquelle fournit des informations sur l'engagement des donateurs dans différents pays récipiendaires. Nos résultats, basés sur les modèles de Tobit et Probit, suggèrent clairement que le débat actuel sur les forces et les faiblesses des nouvelles sources d'aide n'est guère documenté par des preuves empiriques. L'allocation de l'aide par les nouveaux donateurs diffère à certains égards des schémas traditionnels, mais ces différences ne correspondent pas vraiment aux stéréotypes caractérisant le débat actuel. Ce qui est moins surprenant peut-être est que presque tous les nouveaux donateurs de notre échantillon sont plus sélectifs lorsqu'il s'agit de décider si un pays est éligible ou non pour recevoir de l'aide. Par contre, il est frappant de noter que l’aide des nouveaux donateurs est clairement mois orientée vers la pauvreté que les standards du CAD, et ce bien que les nouveaux donateurs soient relativement actifs pour répondre aux catastrophes naturelles, en dépit des contraintes budgétaires. En revanche, les besoins des récipiendaires mesurés en termes de revenu par habitant, de malnutrition et de mortalité infantile n'ont presque pas d'impact sur l'allocation de l'aide par les nouveaux donateurs. Pour la plupart d'entre eux, leur plus grande familiarité avec les besoins des récipiendaires ne se traduit pas en une allocation basée sur ces besoins. D'un autre côté, les nouveaux et les anciens donateurs se comportent de façon similaire à plusieurs égards. Il est vrai que les nouveaux donateurs, en moyenne, ne favorisent pas les pays récipiendaires les moins corrompus et les plus démocratiques. Mais les anciens donateurs eux aussi sont souvent indifférents au mérite, dans la mesure où ils ne tiennent pas compte du niveau de corruption dans les pays récipiendaires. Autrement dit, les nouveaux donateurs ne se montrent généralement pas moins enclins que les anciens à aider les pays mieux gouvernés. Il semble ainsi exagéré de craindre que l'émergence d'un nombre croissant de nouveaux donateurs érode l'aide basée sur le mérite fournie par le CAD. De même, nous trouvons peu justifié de reprocher aux nouveaux donateurs d'utiliser l'aide comme moyen de promouvoir leurs propres intérêts commerciaux. En somme, nos résultats mettent à l'épreuve aussi bien les détracteurs des nouveaux donateurs que les optimistes s'attendant à une aide mieux ciblée de leur part. Nous sommes cependant conscients des limites de notre étude. Nous ne disposons pas de données pour des donateurs importants comme la Chine et l'Inde. A moins que ces donateurs ne deviennent plus transparents et ne divulguent des données comparables sur l'allocation de leur aide, il sera difficile de dire si les similarités observées dans le présent échantillon sont aussi valables pour un groupe encore plus hétérogène de nouveaux donateurs. En d'autres termes, il est clairement inutile de faire des généralisations hâtives, le déficit d'information continuant à être important. On peut néanmoins soutenir que les nouveaux donateurs partagent en tout cas un point commun avec les plus anciens : les deux catégories cachent des variations considérables, en termes de besoins, de mérite et d'intérêt propre comme motivations sous-tendant les activités d'aide. Lectures complémentaires: Dreher, A., Nunnenkamp, P. and Thiele, R. (2010) Are ‘New’ Donors Different? Comparing the Allocation of Bilateral Aid between Non-DAC and DAC Donor Countries. Courant Research Centre: Poverty, Equity and Growth Discussion Paper 25, March.

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Diversité parmi les donateurs humanitaires : le rôle des donateurs hors-CAD8

Adele Harmer, Humanitarian Outcomes, Londres et Ellen Martin, ODI Londres Emails : [email protected] ; [email protected]

Mots clés : système d'aide parallèle ; non-homogénéité ; concentration de l’aide ; aide d'État à État ; aide orientée par l’offre ; solidarité ; coordination de l'aide Résumé : Cet article soutient que sans un engagement efficace avec les donateurs hors CAD, l’on risque de voir se développer un système d'aide internationale parallèle, avec pour résultat une réponse humanitaire plus dysfonctionnelle. Les donateurs non membres du CAD ont suscité toujours plus d'attention au cours des dernières années, notamment par rapport à leur rôle dans l'octroi d'aide humanitaire. Cela s'explique en partie par le fait que les donateurs hors-CAD jouent un rôle stratégique lorsqu'il s'agit de combler des manques de financement dans certaines crises et institutions. Cela s’explique aussi par le besoin, de plus en plus ressenti, de transformer la perception problématique selon laquelle le système humanitaire international est dominé par l'Ouest. En effet, en promouvant et en augmentant la visibilité des donateurs hors-CAD, l'aide pourrait commencer à être perçue comme une responsabilité plus universelle. Les donateurs non membres du CAD ne constituent pas un groupe homogène, mais partagent cependant certaines caractéristiques qui les distinguent des donateurs du CAD. Les contributions des donateurs hors-CAD aux crises humanitaires demeurent relativement faibles par rapport à celle des donateurs du CAD. En moyenne, durant la dernière décennie, les contributions hors-CAD ont constitué environ 14% de toutes les contributions gouvernementales.9 Toutefois, l'aide fournie par les donateurs non membres du CAD tend à être concentrée géographiquement. Les États du Golfe, par exemple, ont envoyé l'essentiel de leur assistance des dix dernières années à seulement 6 régions : les Territoires palestiniens occupés, le Bangladesh, le Liban, l'Irak, le Pakistan et le Soudan. Étant donné cette concentration, les contributions hors-CAD sont, dans certains pays, plus importantes que celles des donateurs du CAD. L'Arabie Saoudite, par exemple, a fourni huit fois plus d'aide au Bangladesh en réponse au cyclone Sidr en 2007 que ECHO ou les États-Unis, les deuxième et troisième plus grands donateurs, contribuant ainsi à 55% de l'aide totale. La Corée du Sud a, pour sa part, alloué 90% de son aide à la Corée du Nord voisine. En outre, quelques contributions importantes ont été apportées aux institutions multilatérales, comme les 500 millions de dollars offerts par l'Arabie Saoudite au Programme Alimentaire Mondial en 2008, en réponse à l'appel pour la crise alimentaire et pétrolière. En plus du soutien financier, les donateurs hors-CAD ont joué un rôle crucial dans la diplomatie de l'aide,

8 Le terme « hors-CAD » désigne le groupe de donateurs qui reste largement (bien que pas entièrement) en dehors du Comité d'aide au développement (CAD) de l'Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE). Si l'appellation « hors-CAD » regroupe un large éventail d'institutions, de politiques et de capacités, des termes comme « nouveaux » et « émergents » ou « non traditionnels » ne reflètent pas la longue tradition et les programmes d'aide établis par les gouvernements non membres du CAD dans de nombreux États. 9 Selon les chiffres rapportés au système de suivi financier de l'OCHA (Financial Tracking System) (http://fts.unocha.org).

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notamment la Chine qui s'est engagée auprès du gouvernement de la Birmanie dans les premiers jours tendus de la réponse internationale au cyclone Nargis. L'une des différences les plus frappantes entre les donateurs du CAD et hors-CAD réside dans la nature de leur engagement auprès de l'État touché. La plupart des gouvernements non membres du CAD préfèrent faire parvenir leur assistance humanitaire par le biais des mécanismes de l'État hôte. Ce procédé permet de garantir que l'État touché occupe le rôle principal dans la gestion de la réponse humanitaire sur son territoire. Les gouvernements donateurs hors-CAD sont d'avis que l'État touché devrait pouvoir déterminer seul le type d'aide qu'il veut recevoir et la façon dont cette aide doit être coordonnée et gérée. Pour les donateurs hors-CAD, il s'agit d'une question de principe, qui trouve son origine dans le mouvement de non-alignement des années 1960. Il en résulte que l'équilibre entre le financement bilatéral et multilatéral est, comparativement, fortement biaisé en faveur du premier. Les donateurs hors-CAD se targuent de réagir rapidement, eux qui sont souvent les premiers à opérer sur le terrain. L'allocation de l'aide humanitaire par la communauté hors CAD pourrait, toutefois, être sujette à critiques, pour être orientée sur l'offre – fournissant à l'État touché des marchandises immédiatement disponibles ou de l'assistance technique, plutôt qu'un soutien basé sur une évaluation des besoins des populations affectées.10 Cette façon d'agir est nuancée par une perception parmi les donateurs hors-CAD que l'objectif de l'aide humanitaire est en partie d'exprimer sa solidarité. Par conséquent, les donateurs hors-CAD ont une compréhension plus large de l'aide humanitaire que leurs homologues du CAD, qualifiant souvent l'aide au développement, voire dans certains cas les investissements économiques, d' « humanitaires » s'ils sont effectués en période de crise. Les donateurs hors-CAD accordent également beaucoup d'importance à un passage rapide de l'aide d'urgence à des programmes de transition, de reconstruction et de développement. C'est peut-être à cause de certaines de ces différences d'approche que les donateurs hors-CAD sont rarement impliqués dans les efforts plus larges de coordination de la communauté internationale et que, plus globalement, l'analyse de la réponse humanitaire de ces pays est imparfaite par rapport aux réponses du CAD, de l'ONU et des ONG occidentales. La communauté internationale vit actuellement un moment charnière : sans un engagement efficace avec les donateurs hors-CAD, on risque de voir se développer un système d'aide internationale parallèle, avec pour résultat une réponse humanitaire plus dysfonctionnelle. L'alternative serait d'intégrer davantage la perspective des donateurs hors-CAD aux discussions humanitaires dans les forums internationaux, laquelle contribuerait à établir une série de normes visant à gérer l'aide humanitaire internationale, ainsi qu'une plus grande coordination sur le terrain. Les expériences et les approches de l’aide s'en verraient diversifiées, ce qui rendrait l'action humanitaire plus représentative géographiquement, politiquement et culturellement et multiplierait les opportunités de promouvoir les valeurs humanitaires universelles.

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10 Il convient de noter ici que selon certains éléments, malgré leur engagement en faveur d'une allocation de l'aide plus juste, l'aide des donateurs du CAD continue à être hautement politisée dans certains contextes, et à ne pas être octroyée en fonctions des besoins.

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Le CAD, les économies émergentes et le développement dans le monde du G20

Richard Manning, Consultant, anciennement au Comité d'aide au développement, OCDE

Email : [email protected] Mots clés : OCDE-CAD ; G20 ; le « club CAD » en pleine expansion ; nouveaux États membres ; donateurs du Moyen-Orient ; donateurs des économies émergentes ; solidarité ; bénéfice mutuel ; Banques multilatérales de développement (BMD) ; représentation des nouveaux donateurs dans l'architecture mondiale de l'aide Résumé : Cet article explore le nouveau paysage riche et varié aide, avec ses multiples acteurs de développement. Les acteurs du CAD et hors CAD sont confrontés à de nombreux défis lorsqu'ils s'engagent dans une solidarité bilatérale et multilatérale pour répondre aux exigences continues du développement. La question de la sous-représentation devra clairement être traitée au sein du FMI et des Banques multilatérales de développement. Le G20 devra pour sa part accepter ce que ces nouvelles configurations pourraient signifier pour l'aide et le développement. Vous souvenez-vous du « G8 » ? Avec la Chine qui vient tout juste de remplacer officiellement le Japon au rang de deuxième plus grande économie mondiale, il n'est pas étonnant que les discussions de politique économique internationale soient maintenant menées au sein du G20. Il est pertinent de réfléchir à ce que cette nouvelle configuration pourrait signifier pour l'aide et le développement, un sujet que le G20 commence progressivement à reconnaître comme difficile à ignorer – tout comme il est devenu (et demeure) une partie essentielle des déclarations et du dialogue du G8. Commençons par examiner le paysage des donateurs non membres du « club » établi depuis longtemps, le Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE. C'est un club hétérogène, certes, mais il s'est mis d'accord au fil des années sur différentes normes et standards sur lesquels ses membres acceptent d'être jugés, qu'il s'agisse de se soumettre à des comptes-rendus ordinaires ou de délier la plupart de l'aide fournie au pays les moins développés. Ce club aussi s'est développé, intégrant dans les années 1990 des pays comme l'Espagne, le Portugal et la Grèce, et rejoint cette année par la Corée – qui était déjà un important fournisseur d'aide avec de grandes perspectives d'expansion. Tout d'abord, il y a naturellement les donateurs qui pourraient considérer les normes et les standards du CAD comme quelque chose vers quoi aspirer. Parmi eux figurent des pays de l'OCDE comme la Turquie (déjà un donateur substantiel), la Pologne ou la République Tchèque (des pays qui, pendant la période du Conseil d'aide économique mutuelle, impliquaient les différents ministères dans leurs relations de coopération économique, et qui sont aujourd'hui passés à une structure d'aide plus typique, gravitant autour du ministère des affaires étrangères). Certains de ces pays pourraient devenir prochainement membres du CAD. Un second groupe à l'intérieur de cette catégorie est celui des États membres de l'UE qui ne sont pas membres de l'OCDE. La plupart d'entre eux ont des programmes très modestes au-delà de leurs contributions à l'UE, mais tous, même les pays relativement pauvres comme la Bulgarie et la Roumanie, sont favorables au principe d'étendre leur aide.

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Ensuite, il y a le groupe des donateurs du Moyen-Orient, disposant pour la plupart d'économies riches en liquidités alimentées par leurs ressources pétrolières. Ils sont caractérisés par un fort esprit collectif (plus harmonisé à certains égards que les membres du CAD), de bonnes compétences techniques et une focalisation sur des projets spécifiques financés par des prêts non liés. Typiquement, ils ont maintenu un modèle de « bureau principal » centralisé, contrairement au système dominant actuellement chez les membres du CAD et les principales agences multilatérales, où les bureaux dans les pays jouent un rôle prépondérant. Enfin, il y a les économies émergentes extérieures au CAD, qui sont devenues des acteurs importants de la coopération internationale au cours de la dernière décennie: parmi elles figurent bien entendu la Chine, l'Inde, le Brésil et la Russie – mais aussi des pays ayant un poids régional significatif comme l'Afrique du Sud, la Malaisie, la Thaïlande et le Venezuela. C'est le groupe dont les programmes de coopération se sont développés le plus rapidement, au point que la Chine, en particulier, joue aujourd'hui un rôle prépondérant comme source de financement et d'assistance techniques à de nombreux pays dépendant de l'aide. A quel point ce groupe est-il « différent » ? Contrairement au groupe du Moyen-Orient, il est loin d'être homogène. Mais la plupart des pays de cette catégorie sont d'accords sur un point : ils considèrent ce qu'ils font comme de la coopération Sud-Sud basée sur la solidarité et le bénéfice mutuel, plutôt que comme de l'aide Nord-Sud guidée par un sentiment d'obligation, qu'il soit issu d'une culpabilité postcoloniale ou parce que « richesse oblige ». Les pays à moyen revenu en particulier, qui reçoivent encore pour la plupart des montants d'aide substantiels de la part des membres du CAD, se voient comme des pays qui ont lutté pour se faire leur place dans un monde où les règles ont été fixées par le G8 et l'OCDE, et qui par conséquent ont un lien instinctif avec les pays encore plus pauvres dont la voix n'a toujours pas été entendue sur la scène internationale. Qui oserait remettre en cause le principe de solidarité dans un monde en rapide globalisation ? C'est plutôt l’idée de « bénéfice mutuel » qui préoccupe les membres du CAD. Alors qu'ils se sont eux-mêmes efforcés – souvent avec peine – de rendre leurs propres programmes moins ouvertement guidés par les avantages commerciaux (vous souvenez-vous de la « Aid and Trade Provision » de la Grande-Bretagne?) et par la rivalité entre les grandes puissances (tous ces dollars de l'aide pour Mobutu), d'autres, moins regardant, ne sont-ils pas prêts à engloutir des concessions minières, à se précipiter sur les contrats les plus juteux, à conduire les pays récipiendaires dans un nouveau surendettement, ou à encourager des élites en perdition à s'accrocher au pouvoir? De telles préoccupations ne peuvent pas être entièrement ignorées. Toutes les formes d'aide ont, hélas, le potentiel d'affaiblir le « contrat » interne sur lequel toutes les économies développées se sont construites au cours des siècles: un bon gouvernement (quoique imparfait) en échange d'impôts locaux. Ces effets négatifs potentiels peuvent être, et sont, modérés là où il existe de la transparence et une large appropriation locale des stratégies de développement. Ces préconditions ne sont pas en place partout. Les économies émergentes, tout comme les donateurs traditionnels, doivent améliorer considérablement la transparence des projets et des programmes qu'ils financent. Quand de telles préconditions sont en place, la disponibilité de nouvelles sources d'aide devrait apporter un réel bénéfice, surtout si l'aide en question répond à des besoins locaux que certains donateurs traditionnels pourraient ne pas être disposés à satisfaire, comme les

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infrastructures économiques, où si les économies émergentes peuvent fournir une aide qui transmette efficacement leurs compétences et leur expérience. Il est crucial que la question de la soutenabilité soit prise en compte, afin d'éviter de faire les mêmes erreurs que bon nombre de donateurs traditionnels, en finançant des infrastructures inadaptées ou impossibles à entretenir. Les projets clé en main permettent de garantir une construction dans les temps, mais pourraient se révéler plus difficiles à gérer lorsqu'ils sont finalement confiés au pays récipiendaire que des projets où le client local joue un rôle plus important dès le départ. Les donateurs du CAD devraient, dans tous les contextes, éviter de se montrer « supérieurs ». Ils ont, presque tous, longtemps utilisé l'aide à des fins politiques, pour réaliser des contrats commerciaux ou pour jouir d'une visibilité culturelle, entre autres. De ce fait, leurs protestations peuvent facilement ressembler à de l'hypocrisie. Et le « bénéfice mutuel » est, tant que le partenaire le plus pauvre à son mot à dire dans la transaction, un fondement plus solide pour une coopération soutenable que la charité. En effet, un processus d'apprentissage mutuel (tel que mené par le CAD avec la Chine) est une bien meilleure base de dialogue. Les défis à relever pour améliorer les résultats du développement dans des environnements institutionnels et économiques faibles sont considérables, et tous les fournisseurs de coopération ont intérêt à promouvoir un développement qui fonctionne. Mais il y a un autre aspect du monde du G20 qui doit être discuté, à savoir le système de développement multilatéral, notamment les programmes de développement de l'ONU, les Banques multilatérales de développement, et les principaux fonds mondiaux. Ces instruments ont tous été, traditionnellement, financés par les donateurs du CAD, avec quelques investissements faits par les donateurs du Moyen-Orient (bien que ceux-ci aient fluctué avec le prix du pétrole). Les économies émergentes principales sont particulièrement sous représentées dans la gouvernance des BMD (et au FMI), et contribuent très modestement aux prêts concessionnels et aux subventions octroyés par ces institutions (bien que les remboursements de prêts à taux réduit des BMD par les économies émergentes soient une source toujours plus importante de financement). Si le système de développement multilatéral veut prospérer – et malgré toutes les difficultés à opérer multilatéralement, ses bénéfices ne peuvent pas être ignorés – ces deux questions doivent être traitées. Un début modeste a été fait en s'attaquant à la sous-représentation au FMI et dans les BMD, mais la question ne sera véritablement résolue que lorsque l'Europe aura abandonné son niveau aujourd'hui embarrassant de sur-représentation par rapport à son poids économique. Et les économies émergentes, bien que relativement pauvres pour un grand nombre d'entre elles, doivent reconnaître qu'elles devront jouer leur rôle dans la solidarité internationale, pas seulement à travers une coopération bilatérale Sud-Sud pour un bénéfice mutuel, mais aussi par un investissement sérieux dans les principaux canaux multilatéraux en échange d'une voix plus forte et une provision efficace par les agences concernées. En fin de compte, les économies émergentes ont un intérêt commun aux membres du CAD à voir les pays les plus pauvres du monde progresser rapidement. Le G20, tout comme le G8, ne peut ignorer sa responsabilité collective envers les nations les plus pauvres, qui demeurent absentes du dialogue économique mondial.

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La coopération (Nord-) Sud-Sud dans le contexte de l'aide standardisée

Gita Steiner-Khamsi, Teachers College, Columbia University, New York Email : [email protected]

Mots clés : coopération Sud-Sud ; aide standardisée ; transfert de politiques publiques ; indicateurs d’aide ; donateurs « insoumis » Résumé : En plus des donateurs traditionnels du CAD, le terrain de l'aide est envahi aujourd'hui par une multitude de « donateurs insoumis ». La réapparition de la Chine et de la Fédération de Russie sur la scène des donateurs bilatéraux marque une renaissance de la coopération Sud-Sud et de la coopération Est-Est. La coopération Sud-Sud (CSS) n'est en aucun cas une idée nouvelle, mais est plutôt périodiquement réinventée pour s'adapter à l'environnement changeant de l'aide. Alors que, lors de périodes plus anciennes, notamment durant la Guerre Froide, le mouvement des pays non-alignés utilisait le concept à des fins politiques pour mobiliser des pays du Sud, le terme a aujourd'hui été intégré au jargon de l'aide. Le système des Nations unies, par le biais de l'Unité spéciale de Coopération Sud-Sud au sein du PNUD, mais aussi d'autres agences, croit fermement en la coopération régionale et la coopération Sud-Sud. Le terme est positivement associé à un type d'aide différent, n'ayant ni le même objectif, ni les mêmes modalités ; un type d'aide qui promet de libérer les pays pauvres du piège de la dépendance. Cette connotation positive est-elle réellement justifiée ou la CSS est-elle surestimée en tant que forme d'aide nouvelle et meilleure ? Selon certains, dans les conditions actuelles de l'aide standardisée, la CSS est, si on l'examine de plus près, une forme de transfert de politiques publiques, dans un premier temps du Nord vers le Sud, puis d'un pays en développement à un autre (Chisholm & Steiner-Khamsi 2009). En d'autres termes, il s'agit d'une forme de transfert N-S-S (Nord-Sud-Sud). Ce type particulier de transfert de politiques publiques apparaît comme la diffusion mondiale de « meilleures pratiques ». A l'instar du « transfert », la coopération entre les individus et les institutions du Sud reflète la transformation de l’environnement de l'aide. C'est un environnement toujours plus standardisé, normatif et coercitif pour les gouvernements nationaux, qui se focalise sur les points de référence, des normes et des objectifs. La façon dont les gouvernements du Sud atteignent ces objectifs, définis au Nord, est secondaire. Si l' « appropriation nationale » est devenue l'expression à la mode du nouveau millénaire, le soin est laissé aux gouvernements, dans une certaine mesure, de décider de la façon dont ils vont mettre en œuvre des réformes conformes aux objectifs fixés au niveau international. Dans cette nouvelle ère de l'aide standardisée où les décisions politiques sont basées sur des faits avérés, la coopération Sud-Sud peut être vue comme un moyen d'accélérer la réalisation des objectifs de développement établis par le Nord. Peut-être devrions-nous cependant réfréner notre enthousiasme pour ce concept revitalisé et plutôt reconnaître que la coopération Sud-Sud est partie intégrante de l'aide standardisée, élaborée, financée et contrôlée par le Nord. Le « Cartel des bonnes intentions » (Cartel of Good Intentions, William Easterly 2002) a renforcé et étendu sa gouvernance mondiale et garantit maintenant une certaine marge de manœuvre aux gouvernements récipiendaires de l’APD dans le Sud. Le but, néanmoins, reste d'atteindre les objectifs standardisés déterminés dans le Nord de façon plus efficace et, si possible, plus rentable.

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Il y a peu à espérer en termes d'efficacité de l'aide, quand le flux des « meilleures pratiques » est simplement redirigé de façon à le faire apparaître comme émanant d'un autre pays pauvre. Dans la majeure partie des cas, la « logique du donateur » demeure inchangée, c'est-à-dire que les raisons, le but et les conditions de l'octroi de l'aide sont restés les mêmes malgré la rhétorique et la pratique de la CSS. Le terrain de l'aide est aujourd'hui envahi par une multitude de « donateurs insoumis », motivés par le côté glamour de l'aide ou par les intérêts commerciaux en jeu, ou agissant parfois par philanthropie. Ils ont au moins un point commun : contrairement aux agences bilatérales ou multilatérales, ils ne sont pas tenus de rendre des comptes à leurs membres ou leurs électeurs, et ils ne doivent pas s'engager, même par des paroles en l'air, à respecter les règles et les régulations établies par la communauté internationale. Ils ne suivent pas la Déclaration de Paris, n'évaluent pas les projets qu'ils financent, ne publient pas d'articles dans des revues ou des newsletters sur le développement éducatif, ne participent à aucune conférence sur l'éducation comparée et internationale ni aux événements de notre communauté, où un espace est réservé à la réflexion et à la discussion sur les relations d'aide et sur l'efficacité de l'aide. En plus de la multitude de donateurs insoumis mentionnée précédemment, nous observons actuellement de nouveaux donateurs bilatéraux au Sud: la Chine, le Venezuela, la Turquie – pour en nommer quelques uns – sont devenus de puissants acteurs régionaux et mondiaux. Il va de soi que la CSS – comme idée et comme pratique – est en train d'être réinventée de façon à répondre à ce nouvel environnement de l'aide, qui inclut aujourd'hui l'arrivée de donateurs puissants du Sud. Références Chisholm, L. and Steiner-Khamsi, G. eds. (2009) South-South Cooperation in Education and Development. New York and Cape Town: Teachers College Press and HSRC Press. Easterly, W. (2002) The Cartel of Good Intentions. Foreign Policy, July/August, 40-49.

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Donateurs arabes : plus prospères, moins généreux ?

Debra Shushan et Christopher Marcoux, College of William and Mary, Williamsburg Emails: [email protected]; [email protected]

Mots clés : donateurs arabes ; ratio APD/RNB ; récipiendaires arabes et donateurs non arabes ; de l'aide à l'investissement intérieur Résumé: Plusieurs donateurs arabes essentiels (principalement l'Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis et le Koweït,) sont devenus moins « généreux » au cours de la dernière décennie, n'augmentant pas leurs contributions proportionnellement à la croissance de leur richesse. Que font les États arabes riches en pétrole de leur argent ? L'aide au développement est une partie de la réponse. Dans le groupe des non membres du CAD, ces pays figurent parmi les

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donateurs les plus prolifiques. Toutefois, notre recherche suggère que les organisations nationales d'aide au développement des principaux donateurs arabes (surtout le Koweït, l'Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis (EAU)) sont devenues moins généreuses au cours de la dernière décennie, n'augmentant pas leurs contributions proportionnellement à la croissance de leur richesse. Les riches États arabes fournissent une aide au développement substantielle depuis que l'embargo sur le pétrole de 1973 et l'explosion des prix subséquente ont généré pour eux des profits inespérés. De nouvelles sources de données sur l'aide au développement, y compris AidData, fournissent un aperçu plus détaillé de la façon dont le déboursement de cette aide est organisé. Néanmoins, il y a encore beaucoup de choses que nous ignorons à propos de l'aide des pays arabes. Si les trois principaux donateurs bilatéraux de la région rendent compte de l'aide qu'ils allouent par le biais de leurs organisations d'aide nationales, ils procèdent également à des transferts cachés. Ainsi, l'Arabie Saoudite par exemple distribue une part particulièrement importante de son aide de cette manière. Certains pays (comme le Koweït) sont plus fiables et constants que d'autres lorsqu'il s'agit de rendre compte de leur aide bilatérale. Nous saluons la mise en place par les EAU d'un Bureau de coordination de l'aide au développement en 2009, chargé de rassembler des données sur l'aide gouvernementale et non gouvernementale déboursée par les Émirats, ce qui devrait améliorer les futurs comptes-rendus. Le Qatar, un donateur toujours plus important, lance quant à lui son propre fonds de développement national. Que voulons-nous dire en affirmant que les donateurs arabes sont devenus moins « généreux » ? Conventionnellement, la générosité mesure le montant de l'aide fournie par un pays comme pourcentage de son revenu national brut (RNB). En 1970, l'ONU appela tous les États à consacrer au minimum 0,7% de leur RNB à l'APD, et les donateurs arabes étaient alors plus ou moins aussi généreux que les donateurs du CAD. Nos recherches montrent que le déclin de la générosité des États arabes dans leur aide bilatérale n'est pas dû à une diminution du niveau de leur aide (il est resté relativement inchangé), mais à une forte hausse de leur PNB générée par des profits pétroliers considérables. Dit simplement, si la générosité semble avoir diminué, c'est que les donateurs arabes n'ont pas augmenté leurs engagements d'aide proportionnellement à la hausse de leur richesse nationale. A l'inverse, lorsque le prix du pétrole chuta dans les années 1980, l'aide des pays arabes déclina en conséquence. Nous pouvons noter une autre tendance étonnante. Les récipiendaires arabes, qui reçoivent la majeure partie de l'aide allouée par les donateurs arabes, ont enregistré une hausse des contributions de la part des donateurs non arabes depuis le début de la guerre en Irak en 2003. Durant la période de 1998 à 2002, les États non arabes donnèrent aux récipiendaires arabes en moyenne 8,2 milliards de dollars par année. Entre 2003 et 2007, ce montant moyen passa à près de 20 milliards. En d'autres termes, les donateurs non arabes doublèrent leur aide aux récipiendaires arabes après 2003. Pendant ce temps, l'aide annuelle moyenne en provenance des pays arabes était de 2,3 milliards entre 1998 et 2002, et de 2 milliards entre 2003 et 2007. Leur contribution constituait 22% de l'aide en faveur des pays arabes durant la première période, et seulement 9% durant la seconde, malgré la croissance de leur PNB. Pourquoi la générosité relative des principaux donateurs arabes a-t-elle décliné? Une réponse possible serait que ces donateurs ont distribué une plus grande partie de leur aide à travers des canaux multilatéraux. En effet, nous voyons que les promesses d'aide par quatre organisations dont la majeure partie des ressources provient des donateurs arabes (le Fonds arabe pour le développement économique et social, la Banque islamique de développement, le Fonds de

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l'OPEC pour le développement international et la Banque arabe pour le développement économique en Afrique) se sont accrues progressivement depuis la fin des années 1980. Ce passage à une aide multilatérale est intéressant, étant donné à la fois le déclin des normes de solidarité arabe au niveau politique et le fait que, selon nos données, les donateurs arabes bilatéraux et multilatéraux présentent des préférences similaires pour les projets d'infrastructures dans les secteurs des transports, de l'énergie et de l'eau. Pourtant, les promesses multilatérales des pays arabes n'ont pas suffisamment augmenté pour compenser le déclin de leur générosité bilatérale. Qu'ont fait les pays arabes de leur richesse, s'ils ne l'ont pas consacrée à l'aide au développement? Ils ont en partie dépensé ces fonds chez eux, en augmentant considérablement leurs dépenses gouvernementales. Par exemple, les dépenses publiques du Koweït ont progressé plus rapidement – et ont commencé à progresser plus tôt – que son PNB. Entre 2001 et 2007, les dépenses du gouvernement ont presque doublé et, depuis 1975, ces dépenses ont été multipliées par douze. Probablement préoccupés par la stabilité de leur régime face à une opposition croissante, les dirigeants des pays du Golfe riches en pétrole pourraient avoir calculé qu'il est plus sage de distribuer leur richesse chez eux afin d'améliorer leurs chances de survie politique. Il y a encore beaucoup à apprendre sur l'aide au développement fournie par les pays arabes. Des travaux récents, soulignant la contribution de ces « donateurs non traditionnels » trop longtemps négligée, aide à élargir notre compréhension des flux mondiaux d'aide. Des données supplémentaires sur d'autres importants donateurs arabes, comme le Qatar et la Libye, pourraient contribuer à cet effort, de même que des comptes-rendus plus fiables et transparents par les donateurs arabes établis. On peut être optimiste quant aux développements futurs dans ce domaine.

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Les « donateurs émergents » et l'architecture de l'aide internationale au développement

Dane Rowlands, Carleton University Email : [email protected]

Mots clés : donateurs émergents ; réforme de l'architecture de l’aide ; défis posés par les définitions ; négligence historique des nouveaux donateurs ; CAD/hors CAD, deux manières d'apprendre Résumé : La présence de « nouveaux donateurs» ou de « donateurs émergents » complique et remet en cause notre compréhension de l'architecture de l'aide internationale au développement pour plusieurs raisons. Cet article explore ces raisons. L'un des changements les plus intéressants et les plus radicaux dans le paysage de l'aide internationale au développement est l'importance croissante des « nouveaux donateurs » ou « donateurs émergents ». Alors que les grands projets de la Chine ont monopolisé l'attention, il y a beaucoup d'autres donateurs « non traditionnels » importants, comme l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud. Leur présence complique et remet en cause notre compréhension de l'architecture de l'aide au développement pour plusieurs raisons.

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Premièrement, il est presque impossible de catégoriser ou de caractériser ces partenaires de l’aide au développement. Nombre d'entre eux participent à des activités similaires depuis longtemps, de sorte qu'ils ne sont ni « nouveaux », ni « émergents ». Bien qu'ils soient engagés dans la coopération au développement, nombre de leurs activités ne correspondent pas aux définitions standard de l'aide publique au développement (APD). De ce fait, il est quelque peu impropre de les qualifier de « donateurs », et l'étiquette ne leur va pas très bien puisque ces pays ne font pas partie du Comité d'assistance au développement (CAD) de l'OCDE, l'arbitre auto-déclaré de l'architecture de l'aide traditionnelle. L'appellation « donateur hors CAD » pourrait être la plus adaptée, mais elle ne parvient pas à refléter leur importance croissante ou leurs diverses relations avec le CAD. Par exemple, les États donateurs du Golfe transmettent depuis longtemps leurs données au CAD sans en être membres. En fait, leur seule caractéristique véritablement commune est qu'ils ont jusqu'à présent été largement ignorés par les donateurs traditionnels et les chercheurs. Deuxièmement, il est très difficile d'évaluer l'importance de ces donateurs émergents dans le paysage de l'aide au développement. Parce qu'ils n'ont pas la même obligation de rendre des comptes que les donateurs du CAD, et en raison de l'opacité des termes de certains de leurs programmes de développement, il est impossible de tirer des données claires et comparables sur le type et la quantité d'aide qu'ils fournissent. La difficulté analytique réside en partie dans la structure administrative de leurs programmes de développement. De nombreuses activités se sont développées comme des arrangements coopératifs ancrés dans les différents départements, surtout les accords de coopération techniques, avec une surveillance minimale par une agence centrale. Si certains pays (le Brésil, et plus récemment l'Afrique du Sud et l'Inde) ont établi ou commencé à établir des agences centrales pour coordonner la programmation de leur aide au développement, ces agences n'ont pas encore une portée et une capacité similaires à celles des membres du CAD. Enfin, nous ne savons toujours pas vraiment dans quelle mesure ces acteurs vont remettre en cause ou suivre les normes et les arrangements du CAD. Pour certains pays, comme la Chine, être associé aux donateurs traditionnels du CAD semblerait être un anathème. D'autres, comme le Brésil et l'Inde, préfèrent qualifier leurs activités de partenariats non hiérarchiques de coopération Sud-Sud, tout en acceptant prudemment certaines des normes du CAD pour améliorer l'efficacité de leur aide. D'autres encore paraissent relativement satisfaits d'être considérés comme appartenant à la ligue du CAD (la Russie) ou finissent par rejoindre le CAD pour achever leur transformation de récipiendaire à donateur (la Corée du Sud). Nombre de ces donateurs émergents reçoivent eux-mêmes, ou recevaient encore récemment, de l'APD « traditionnelle », et peuvent offrir de nouvelles perspectives et remettre en cause les anciens raisonnements. Cette influence potentiellement positive doit être mise en balance avec la possibilité qu'ils n'intègrent pas à leurs programmes les leçons tirées des programmes du CAD, simplement pour se distancer du cadre traditionnel donateur-récipiendaire. Leurs programmes offrent peut-être aux pays récipiendaires une aide alternative qui leur permette d'éviter les donateurs du CAD et les conditions politiques. Si une compétition de ce type entre les donateurs améliorerait la souveraineté des États, elle pourrait aussi, dans certains cas, nuire aux plus pauvres. En définitive, il faut que l'architecture de l'aide au développement existante reflète les expériences des donateurs émergents, et il faut que les donateurs émergents examinent de plus près les processus et les protocoles définis par le CAD qui améliorent légitimement la

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distribution de l'aide au développement. L'aide au développement a toujours été subordonnée, à différents degrés, aux intérêts des donateurs. La présence de fournisseurs d'aide moins établis et moins riches pourrait être un moyen utile pour combler l'écart donateur-récipiendaire traditionnel, mais seulement si les nouveaux et les anciens donateurs collaborent les uns avec les autres et tiennent compte des intérêts des pays pauvres et des individus qu'ils prétendent aider. (Le contenu de cet article a été en partie tiré de l’étude menée en 2008 sur les donateurs émergents, financée par le Centre de recherche sur le développement international (International Development Research Centre). Les rapports sur lesquels se base l’étude sont disponibles (en anglais) sur http://www.idrc.ca/en/ev-140964-201-1-DO_TOPIC.html. Nous vous suggérons également de lire Richard Manning (2006) “Will ‘Emerging Donors’ Change the Face of International Co-Operation?” Development Policy Review 24(4): 371-385.)

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Pourquoi nous devons repenser radicalement l'aide au développement

(extrait tiré de Europe’s World, printemps 2010)

Roger Riddell, Oxford Policy Management, Oxford Email : [email protected]

Mots clés : APD ; problèmes systémiques ; non pro-pauvre ; court terme ; volatilité ; multiplicité des donateurs ; manque d’harmonisation ; aide liée ; fonds verticaux ; fonds mondial unique Résumé : Le problème central du système de l'aide est qu'il n'y a pas de système. Résoudre les problèmes systémiques majeurs relatifs à l'aide aurait probablement un effet plus grand sur l'extrême pauvreté qu'augmenter le volume de l'aide. Le problème central du système de l'aide est qu'il n'y a pas de système. La façon dont l'aide est donnée et reçue souffre de deux problèmes fondamentaux. Tout d'abord, aucune tentative n'a été faite pour déterminer précisément quels pays ont besoin d'aide au développement ou évaluer les besoins spécifiques de chaque récipiendaire, même si nous savons que l'écart entre ce qui est requis et ce qui est fourni est très large. Ensuite, il n'y a pas de système pour financer l'aide ou pour s'assurer que l'aide va à ceux qui en ont le plus besoin. Fournir de l'aide est volontaire, et aucune sanction ou peine n'est infligée à ceux qui décident de ne pas fournir d'aide, ou qui s'engagent à fournir de l'aide et ne respectent pas leurs promesses. L'aide allouée aux différents pays est la somme des décisions faites par les donateurs individuels de la quantité d'aide qu'ils donneront aux bénéficiaires qu'ils ont choisis. Si un donateur décide de ne pas fournir d'aide à un pays particulier, les autres donateurs ne ressentent pas le besoin de combler ce manque. La raison pour laquelle ces problèmes systémiques sont si importants est que, directement ou indirectement, ils sont la cause de nombreuses distorsions et pratiques qui, combinées les unes aux autres, nuisent sévèrement à l'efficacité et à l'impact de l'aide. Les décisions sur la distribution de l'aide sont prises par les gouvernements des pays riches. Si tous reconnaissent que le but premier de l'aide est de contribuer au développement durable et à la réduction de la

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pauvreté, leurs décisions continuent à être influencées par des considérations politiques à court terme et par leurs propres intérêts nationaux et commerciaux. Voyons maintenant certaines des conséquences d'une telle attitude. La majeure partie de l'aide ne va pas vers ceux qui en ont le plus besoin. Moins de la moitié de toute l'aide publique est allouée aux 65 pays les plus pauvres du monde. L'aide est allouée sur le court terme, est souvent reportée d'un récipiendaire à un autre et est volatile et imprévisible. L'Afghanistan, l'Irak et le Pakistan reçurent à eux trois moins de 2% du total de l'aide publique en 1999. Cinq ans plus tard, ils bénéficiaient de 26% de l'aide publique (y compris l'allègement de leur dette), soit près de 30 fois plus. La volatilité de l'aide a augmenté durant les dernières décennies, réduisant l'efficacité de l'aide par une perte équivalente à 161 milliards de dollars. Le nombre de donateurs avec lesquels les pays récipiendaires ont à traiter a augmenté considérablement, passant d'une douzaine dans les années 1960 à 33 en 2005 ; à l'heure actuelle, au moins 30 pays doivent traiter avec plus de 40 donateurs chacun. En 1996, 17 000 activités d'aide furent menées séparément par les donateurs ; 10 ans plus tard, leur nombre s'élevait à 81 000. Selon des estimations, plus de 30 000 missions initiées par les donateurs ont lieu chaque année dans les pays récipiendaires, soit en moyenne près de 100 par jour. Dans certains pays, une nouvelle mission est mise sur pied chaque jour. Moins de la moitié de l'aide reçue par les pays pauvres passe par le système financier de leur gouvernement. La majeure partie de l'aide est transférée dans différents projets, supervisée et souvent gérée par les donateurs. Moins de la moitié de l'aide est complètement déliée, laissant le pays récipiendaire décider où acheter les biens et les services dont il a besoin. En liant leur aide, les donateurs augmentent les coûts de l'aide pour les pays récipiendaires de 20% à 30%, ce qui équivaut au total à une perte annuelle d'environ 8 milliards de dollars. Au cours des dernières années, les donateurs ont créé une succession de nouveaux mécanismes et fonds pour transférer l'aide aux récipiendaires, afin de répondre à des besoins spécifiques comme augmenter la production alimentaire, accroître le taux de scolarisation au primaire, étendre les programmes d'immunisation pour combattre le HIV/Sida, la tuberculose et la malaria, ou résoudre les problèmes liés à l'environnement et aux changements climatiques. Ces instruments fonctionnent en parallèle, mais ne sont généralement pas liés aux programmes d'aide traditionnels. L'allocation de l'argent placé dans ces fonds est essentiellement contrôlée par les donateurs, bien qu'une telle pratique soit contraire à ce qui avait été décidé dans la Déclaration de Paris et qu'elle fausse souvent les budgets et les priorités sectorielles des pays récipiendaires. Depuis les débuts de l'aide publique au développement ou presque, les politiciens dénoncent les problèmes systémiques de l'aide et proposent des alternatives. Parmi celles-ci, il est proposé de : réunir des fonds par le biais d'un mécanisme obligatoire basé sur la capacité à payer ; mettre en commun les ressources et les allouer en fonction des besoins ; et, s'il y a raison de croire qu’un gouvernement récipiendaire ne peut ou ne veut pas utiliser l'aide de façon transparente, l’administrer par un fonds géré indépendamment. La plupart de ces bonnes idées ont été éclipsées par la focalisation sur l'augmentation du volume de l'aide. Une réponse habituelle donnée à quiconque défend ces solutions aux problèmes systémiques de l'aide est que ces problèmes sont partie intégrante du système de

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l'aide, et qu'il est naïf de suggérer qu'il peut être changé. Si les gouvernements ne sont pas en mesure de décider eux-mêmes comment distribuer l'aide et ensuite de contrôler son utilisation, alors ils refuseront de donner. Il y a deux façons de répondre à ces arguments. La première est de faire remarquer que les problèmes systémiques de l'aide s'aggravent rapidement, entravant les progrès accomplis vers l'objectif central de l'élimination de l'extrême pauvreté. Résoudre les principaux problèmes systémiques aurait probablement un effet plus important sur l'extrême pauvreté qu'augmenter le volume de l'aide. L'autre est d'attirer l'attention sur les discussions de haut niveau où les types de changements nécessaires pour améliorer l'aide sont présentés comme politiquement viables. Durant les réunions du printemps 2006 du FMI et de la Banque mondiale, le Premier Ministre britannique Gordon Brown a appelé à ce que le travail opérationnel du FMI soit effectué « indépendamment de toute influence politique et soit totalement transparent ». Pourquoi s'arrêter là ? L'argument sur les distorsions politiques à court terme et la question de l'indépendance s'applique de la même manière au système de l'aide. Et lors de la réunion des ministres des finances du G20, en septembre dernier, un document d'information présenta une proposition demandant que tous les pays – hormis les plus pauvres – subventionnent un fonds climatique mondial et que l'argent soit distribué aux pays en ayant le plus besoin. De nouveau, pourquoi s'arrêter là ? Le même argument est valable pour le système de l'aide dans son ensemble. Le système de l'aide a besoin d'une restructuration radicale. C'est dans le leadership politique que réside le détonateur du changement, et les gouvernements de l'UE fournissent près de 60% de toute l'aide publique et figurent parmi les donateurs les plus clairvoyants au monde. Maintenant, le traité de Lisbonne offre à l'Europe une nouvelle opportunité d’exprimer haut et fort le besoin d'un changement fondamental dans le système de l'aide et de mener la discussion sur comment le provoquer. [Cet extrait est tiré d'un article de Roger Riddell intitulé: Why we need a radical re-think of official aid. Vous trouverez l'original (en anglais) sur: http://www.europesworld.org/NewEnglish/Home_old/Article/tabid/191/ArticleType/ArticleView/ArticleID/21588/language/en-US/Whyweneedaradicalrethinkofofficialaid.aspx ]

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Financements innovants pour l'éducation

Desmond Bermingham, Centre for Global Development, Washington Email : [email protected]

Mots clés : financement innovant ; LCDBEd ; IFFEd ; COD ; EdVF ; FTI Résumé : L'intérêt croissant pour les « nouveaux donateurs » s'est accompagné, au cours des dernières années, d'une attention portée aux approches de financement innovantes, comme l'émission d'obligations internationales et différentes formes de taxes et prélèvements volontaires pour soutenir le développement à l’échelle mondiale.

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L'intérêt croissant pour les « nouveaux donateurs » discuté dans ce numéro de la Lettre du NORRAG s'est accompagné, au cours des dernières années, d'une attention portée à des approches de financement innovantes, comme l'émission d'obligations internationales et différentes formes de taxes et prélèvements volontaires pour soutenir le développement global.11 Cette attention a en partie été suscitée par la reconnaissance du fait que les donateurs traditionnels seront probablement incapables de combler les importants déficits financiers qui persistent dans de nombreux pays en développement cherchant à réaliser les OMD.12 Elle a aussi été influencée par une frustration généralisée face à la lenteur des progrès accomplis dans le cadre de la Déclaration de Paris pour améliorer l'efficacité de l'aide bilatérale et multilatérale traditionnelle. Le mouvement pour des financements innovants cherche à mobiliser des ressources supplémentaires issues de sources publiques et privées, qui compléteront l'aide traditionnelle et insuffleront une culture d'innovation et de prise de risque aux efforts de développement. Il est clair que quelques uns des nouveaux acteurs du développement montrent de l’intérêt pour certaines de ces initiatives. Les innovations ayant rencontré le plus grand succès ont principalement eut lieu dans les secteurs de la santé et du changement climatique. Le Service international de financement pour la vaccination (International Financing Facility for Immunisation, IFFIm) a mobilisé plus de 2 milliards de dollars depuis son lancement en 2002 pour soutenir des programmes de vaccination mis en place par les membres de l'Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination (GAVI). La taxe de solidarité sur les billets d'avion en France a aussi permis de collecter 100 millions de dollars pour soutenir UNAIDS dans sa lutte contre le SIDA, la tuberculose et la malaria. La « Red Campaign » a quant à elle mobilisé un soutien populaire pour le travail du Fonds Mondial par le biais de partenariats de grande envergure avec The Body Shop et d'autres sociétés internationales. Dans le secteur du changement climatique, il existe différentes formes de taxes carbone et de plans de financement visant à promouvoir des programmes de protection de l'environnement et d'atténuation des changements climatiques.13 Il y a eu relativement peu d'initiatives pour développer des approches innovantes similaires dans le secteur éducatif. Nick Burnett et moi-même avons produit au début de l'année une évaluation de l'état actuel des propositions sur les financements innovants pour l'éducation (IFFEd) pour l’Open Society Institute.14 L'évaluation a été présentée comme contribution à l'équipe opérationnelle du Groupe pilote sur les financements innovants pour l'éducation, laquelle développe une note d'information pour une réunion parallèle sur le sujet lors du Sommet sur les OMD en septembre 2010.15 Dans notre compte-rendu, nous avons souligné l'importance d'utiliser des approches de financement innovantes pour soutenir l'innovation à l'intérieur du secteur, ainsi que de chercher des sources de financement innovantes. L'objectif devrait être d'insuffler une nouvelle énergie de prise de risque dans un secteur généralement conservateur. Nous avons également insisté fortement sur l'importance de développer des approches permettant de mieux utiliser les ressources domestiques, étant donné la prédominance du financement local, qui couvre en général 70-80% du coût total des programmes du secteur éducatif dans la plupart des pays en développement.

11 The Leading Group for Innovative Financing for Development. 12 Cela est d'autant moins probable aujourd'hui, alors que la plupart des pays de l'OCDE-CAD doivent gérer leurs propres déficits fiscaux après la récente crise financière. 13 Innovative Financing At A Glance. 14 Innovative Financing for Education. Burnett and Bermingham. OSI. Juin 2010. 15 Leading Group Education Task Force on Innovative Financing for Education.

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Notre évaluation présente plusieurs propositions prometteuses qui pourraient être développées sous la forme d'initiatives pilotes durant les prochains 12 à 18 mois. En ce qui concerne la mobilisation de ressources domestiques supplémentaires, la proposition la plus prometteuse est le Local Currency Development Bond for Education (LCDBEd). Elle est basée sur une proposition primée, développée par Results for Development et Affinity Macro Finance, pour tirer meilleur profit du trillion de dollars investi via des fonds de pension dans les pays en développement en offrant des garanties financières permettant aux fonds d'investir dans des projets plus risqués et de diversifier leur portefeuille au-delà des obligations du gouvernement. Dans le secteur éducatif, ces projets pourraient inclure des universités privées ou des écoles secondaires, ou n’importe quelle initiative éducative disposant d'un flux de revenus permettant de rembourser l'investissement. Cette approche a l'avantage de mobiliser la monnaie locale, qui peut être utilisée pour payer les coûts sans augmenter les risques lié au taux de change. Le concept a été développé de façon approfondie et devrait être mis au banc d'essai début 2011. Pour ce qui est de distribuer des fonds pour l'éducation de manière innovante, c’est le concept du Cash on Delivery Aid (COD Aid)16 développé par Nancy Birdsall et son équipe au Center for Global Development à Washington qui semble le plus prometteur. Le COD Aid propose de payer les pays en fonction des résultats réalisés et cherche à modifier le comportement des donateurs en les encourageant à adopter une approche de non-intervention pour atteindre ces résultats. L'exemple utilisé par COD Aid est un paiement pour chaque enfant qui passe un examen à la fin de l'école primaire. Les donateurs sont incités à conclure des accords contraignants avec les pays pour leur assurer que le financement sera fourni une fois le résultat atteint. En échange, les pays acceptent un examen indépendant de leur système d'évaluation et ainsi que de fournir des rapports d’avancement. La principale force de cette proposition est qu'elle augmente la prévisibilité de l'aide et réduit le besoin pour les agences de développement de gérer dans le détail les interventions dans le secteur éducatif. Cette proposition a été examinée et évaluée minutieusement. Le COD Aid sera probablement testé dans un ou deux pays africains en 2011. Finalement, la proposition la plus prometteuse qui combine des approches de mobilisation de financements supplémentaires avec des mesures visant à promouvoir l'innovation à l'intérieur du secteur éducatif est le concept du Ed Venture Fund (EdVF) développé par Results for Development à Washington DC. Ce concept propose d'adopter une approche de « capital-risque social » pour promouvoir l'innovation dans le secteur éducatif dans les pays en développement. Comme avec un fonds à capital-risque privé, les ressources peuvent être mobilisées à partir d'une variété de sources : des donateurs publics et privés ; des donateurs émergents, des fonds souverains d'affectation spéciale et des fondations privées ; des taxes sur les transactions financières ; l'émission d'obligations internationales et locales ; d'autres formes de financement innovant pour le développement. Les retours sur investissement sont mesurés en termes de « capital social » plutôt que de profits financiers et seraient des plus attrayants pour des investisseurs éthiques ou des nouveaux donateurs cherchant une approche entrepreneuriale. L’EdVF adopte la discipline d'un fonds à capital-risque et insiste sur une stratégie claire d'entrée, de développement et de sortie ainsi que sur une évaluation solide et indépendante dès le début du projet. L’EdVF serait configuré pour prendre des risques et aurait la liberté de tirer des leçons des interventions manquées et réussies. L’EdVF est toujours au stade du concept et un travail plus approfondi sera nécessaire pour développer les détails de son modèle commercial et de sa stratégie de mise en œuvre. Il faudrait en outre que 16 Cash on Delivery Aid. A New Approach to Foreign Assistance. Center for Global Development. Washington.

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le concept articule clairement comment il soutiendrait ou complèterait d'autres initiatives du secteur éducatif, comme l'Initiative Fast Track pour l'Education pour Tous ou des programmes bilatéraux et multilatéraux existants. Le développement de méthodes de financement innovantes pour l'éducation constituera une part importante de la discussion à l’échelle mondiale sur le financement de l'éducation au cours des prochaines décennies. Les donateurs nouveaux et « émergents » (de même que les donateurs traditionnels) chercheront de nouveaux moyens d'apporter leur soutien plus efficacement et de s'assurer que leurs investissements dans le secteur éducatif atteignent un impact maximal. Il est probable que cela implique de nouveaux partenariats et modalités qui mettent à profit les succès et tirent des leçons des échecs du mouvement mondial de l'éducation au cours des deux dernières décennies.

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LES BRIQUES (BRICS) POUR CONSTRUIRE LE NOUVEAU RENFORCEMENT DES COMPETENCES

DES DONATEURS ?

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Le programme d'aide émergent du Brésil : le moment est venu de dépasser le complexe

de Jabuticaba

Lídia Cabral, ODI, Londres et Julia Weinstock, consultante, Londres Emails : [email protected] ; [email protected]

Mots clés : aide brésilienne ; préférences locales ; coopération technique ; aide basée sur l’expérience ; absence de conditionnalité politique ; horizontalité ; qualité de l’aide ; apprentissage de politiques publiques Résumé : Il est grand temps de dépasser le discours selon lequel le Brésil n'a qu'une façon de fournir de l'aide. Selon un dicton populaire brésilien, « tout ce qui n'est pas jabuticaba17 n'a pas de sens ».18 Cela illustre bien l'enthousiasme des Brésiliens pour tout ce qui est développé localement. Le même raisonnement s'applique à leur approche de la coopération au développement. Mais il est grand temps de dépasser le discours selon lequel le Brésil n'a qu'une façon de fournir de l'aide. Sans évaluer l'impact de son programme d'aide sur le terrain, écouter les voix des récipiendaires et écarter sa trajectoire de celle d'autres donateurs émergents aussi bien que traditionnels, la nouveauté et la valeur ajoutée de la coopération au développement brésilienne ne peuvent pas être considérées comme acquises. Nous nous appuyons sur l'expérience de ce pays pour plaider en faveur de données de terrain plus convaincantes et de plus de recherches comparatives sur les structures institutionnelles et les pratiques des donateurs émergents. Le Brésil fait partie du groupe des donateurs émergents.19 Bien qu'il soit actif dans la coopération au développement depuis de nombreuses années, son programme d'aide a reçu récemment une impulsion significative, guidée principalement par une politique étrangère vibrante visant à faire du Brésil un acteur mondial influent. Selon des estimations récentes, le volume du programme d’aide du Brésil s’élève à 1,2 milliards de dollars,20 ce qui place le pays au même niveau que l’Inde et la Chine, ainsi que de donateurs traditionnels comme la Finlande et l’Irlande.21 La coopération technique constitue une part importante du programme d’aide brésilien, équivalent à environ 40% de l’aide totale. L’agriculture, la santé et l’éducation sont les principaux domaines d’aide et comptent pour près de la moitié du portefeuille de la coopération technique. Les pays lusophones figurent parmi les principaux bénéficiaires de la coopération technique. Les pays de la région, particulièrement Haïti, sont également des récipiendaires importants d’aide humanitaire ou

17 Le Jabuticaba est un arbre fruitier brésilien, généralement considéré comme ne poussant qu'au Brésil. 18 Cette citation est attribuée à Nelson Rodrigues, un auteur brésilien de renom. 19 Le Brésil tend à désapprouver une telle étiquette, préférant se décrire comme un partenaire dans une relation horizontale et mutuellement bénéfique avec les pays en développement. 20 Ce chiffre exclut les prêts de la Banque nationale de développement économique et social, car leur degré de concessionalité ne peut pas être établi. Source: The Economist (2010) ‘Speak softly and carry a blank cheque’, publié le 16 juillet 2010. 21 Sources: UN (2008) ‘Trends in South-South triangular development cooperation’, background study for the Development Cooperation Forum, United Nations Economic and Social Council, New York; OECD-DAC aid statistics, www.oecd.org/dac/stats/data.

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d’autres types d’assistance. Le Brésil étend actuellement sa coopération au développement au monde entier, conformément à son programme de politique étrangère globale. L’approche brésilienne de la coopération au développement réunit plusieurs caractéristiques qui semblent attrayantes. Le pays a fait figure de pionnier en menant à bien un certain nombre de politiques publiques (par exemple dans les domaines de la recherche en agriculture, des traitements pour le VIH/Sida, des transferts d’argent conditionnels et des négociations commerciales) qui pourraient être pertinentes pour les processus de développement des pays en développement. Il semblerait que ses technologies et son expertise soient mieux adaptées au niveau de développement économique et institutionnel (ainsi qu’aux conditions climatiques) des pays en développement que celles des donateurs traditionnels. L’absence d’une relation coloniale passée pourrait garantir au pays une certaine neutralité politique par rapport à certains donateurs traditionnels. Le fait que le pays soit simultanément un fournisseur et un bénéficiaire d’aide pourrait en outre lui permettre de mieux comprendre les besoins et les contraintes rencontrés par d’autres pays récipiendaires. Enfin, l’absence d’une conditionnalité politique associée aux déboursements d’aide est séduisante pour les bénéficiaires. Malgré ces caractéristiques attrayantes, dont certaines sont partagés par d’autres donateurs émergents, et bien que le Brésil affirme que l’altruisme et l’horizontalité sont les principes directeurs de ses relations de coopération, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions sur la qualité de son aide au développement. On en sait peu sur la performance du programme d’aide brésilien sur le terrain. Il manque au pays une culture de contrôle et d’évaluation et il n'existe pratiquement pas de comptes-rendus sur les performances et l’impact de l’aide. Ces lacunes reflètent l’organisation institutionnelle de la coopération au développement, ainsi que les motivations qui la sous-tendent, c’est-à-dire sa subordination à la politique étrangère. Le système de coopération du Brésil est fragmenté sur le plan opérationnel. Un grand nombre d’institutions, aux niveaux fédéral et étatique, sont impliquées dans la coopération au développement, mais elles ne sont pas suffisamment articulées entre elles. L’agence de coopération brésilienne (ABC) a été créée en 1987 pour superviser et articuler la coopération technique. Toutefois, n’étant pas totalement indépendante du Ministère des affaires étrangères, connu sous le nom de Itamaraty, ABC ne jouit pas d'une capacité institutionnelle adéquate, et doit se battre pour établir un noyau stable et qualifié d’experts en coopération au développement. En outre, la législation existante n’anticipe pas les contributions du Brésil au bénéfice d’autres pays ; ainsi, il n’existe pas de cadre légal pour réguler la coopération au développement, laquelle doit alors être distribuée par le biais de mécanismes ad hoc. Ce vide limite la capacité des institutions brésiliennes, et d’ABC en particulier, à exécuter des fonctions basiques d’aide au développement à l’étranger. Sa forte subordination au Itamaraty implique que la coopération brésilienne est très exposée et réactive aux lubies et à la vision à court terme de la politique étrangère, laissant peu de place au développement d’une véritable politique de coopération, ou d’une stratégie opérationnelle permettant de faire un usage efficace des ressources financières et humaines. Le Brésil a encore du chemin à faire avant de pouvoir affirmer qu’il possède un programme d’aide à part entière. Pour aller de l’avant, le pays doit être moins replié sur lui-même et obsédé par son unicité, être plus franc et objectif quant à ses accomplissements. Il est urgent de récolter des données sur la qualité et l'impact de son programme de coopération dans les pays récipiendaires et, pour ce faire, il faut qu'une culture de contrôle et d’évaluation soit

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insufflée au plus profond du système, permettant aux bénéficiaires de faire entendre leur voix. Le Brésil devrait par ailleurs être prêt à apprendre d'autres pays, à l'intérieur ou hors du CAD, et à tenir compte de leurs expériences présentes et passées. Le Japon des années 1960 a suivi une trajectoire similaire à celle que le Brésil connaît aujourd'hui, que ce soit dans sa focalisation initiale sur la coopération technique, dans la subordination de sa coopération à sa politique étrangère ou dans sa transition de récipiendaire à fournisseur d'aide. Des recherches comparatives sur les expériences des donateurs émergents (contemporains et passés) pourraient aider le Brésil à repenser l'organisation institutionnelle de son programme d'aide et jeter les bases pour la création d'une coopération au développement comme un domaine de politiques publiques à part entière.

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Donateur émergent : l'Inde

Subhash Agrawal, India Focus, New Delhi Email : [email protected]

Mots clés : l'Inde comme pays récipiendaire ; fournisseur d’aide ; ratio APD/RNB ; focalisation régionale de l’aide ; ITEC ; focalisation sur le partage des connaissances ; incohérence Résumé : Cet article porte un regard sur le rôle beaucoup moins connu de l'Inde en tant que fournisseur d'aide au développement à d'autre pays. L'expérience de l'Inde en tant que bénéficiaire de l'aide fournie par les pays développés est bien connue et bien documentée ; en revanche, son rôle de fournisseur d'aide au développement à d'autres pays l'est beaucoup moins. Durant la dernière décennie, l'Inde est progressivement devenue un donateur d'aide important pour d'autres pays moins développés, et les tendances actuelles suggèrent qu'elle pourrait même devenir un exportateur net d'aide au cours des prochaines années. Cette transformation est due à une combinaison de facteurs, notamment la prise de conscience par l'Inde de son rôle de puissance émergente, sa compétition avec la Chine pour l'influence politique et les ressources énergétiques et la croissance rapide de son économie, incluant à la fois son secteur non lucratif et son secteur privé. Au milieu des années 1980, l'Inde était le plus grand bénéficiaire d'aide multilatérale au monde, et figurait parmi les premiers bénéficiaires d'aide bilatérale. Toutefois, les réformes économiques initiées en Inde au début des années 1990 ont presque doublé la croissance annuelle à long terme de son PNB, de sorte que l'aide étrangère est devenue beaucoup moins cruciale pour le développement économique du pays. En fait, le niveau du soutien multilatéral et bilatéral a baissé considérablement durant la dernière décennie, et s'élève actuellement à moins de 2 milliards de dollars par année, soit à peine 0,2% du PNB de l'Inde. A l'inverse, le programme d'aide publique au développement (APD) de l'Inde, qui a officiellement été lancé en 1964 avec la création d'une ligne budgétaire séparée pour l'aide étrangère, s'est développé rapidement durant les dernières années (voir tableau ci-dessous), enregistrant un taux de croissance annuel moyen de 6,9% de 2004 à 2010. Ainsi, le total de

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l'aide fournie par l'Inde durant les trois dernières décennies s'élève à plus de 2,5 milliards de dollars – une portée financière considérable pour un pays pauvre.

Table 1. Budget de l'Inde lié à l'aide au développement, 2004-10 (en millions de roupies)

2010 2009 2008 2007 2006 2005 2004 Dons et prêts 23,834 24,083 26,999 18,133 17,290 21,620 19,619 Dont dons (%) 84.1 82.3 65.6 93.7 90.7 79.1 70.9 Contributions aux org. internationales 5,578 5,317 12,775 3,550 3,595 3,320 2,568 Investissements dans les IFI 2,948 67,627 30,900 137 580 180 101 Dépenses EXIM Bank 4,300 4,394 5,098 2,350 1,600 1,717 2,266 Estimation budget total 36,660 101,421 75,772 24,169 23,065 26,836 24,554 En millions de dollars US 785 2,171 1,622 517 494 574 526 Source: indiabudget.nic.in L'essentiel de l'aide étrangère indienne est dirigée vers les pays voisins, comme le Bhoutan, l'Afghanistan et le Népal, tandis qu'une part considérable et croissante est attribuée aux nations africaines. Environ 60% de l'APD indienne est consacrée à la formation de fonctionnaires, d'ingénieurs et de gestionnaires du service publics dans les pays récipiendaires; quelque 30% est dépensée pour offrir des prêts à taux réduit à des gouvernements étrangers, leur permettant d'acheter des équipements ou des services indiens, tels que des camions, des pompes à eau, des médicaments, des infrastructures de santé publique ou des équipements de chemins de fer; quant aux 10% restants, ils couvrent les coûts liés aux projets à l'étranger, tels que les études de faisabilité ou l'expertise technique de l'Inde sur des institutions dirigées par le gouvernement comme des hôpitaux, des services de chemins de fer et des universités. En général, l'Inde fournit très peu d'aide sous la forme d'allocations en espèces. La formation et l'éducation sont dispensées dans le cadre du programme ITEC (Indian Technical and Economic Cooperation), un département au sein du MEA, avec des missions diplomatique à l'étranger comme principaux points de contact. Les crédits à taux réduit sont généralement octroyés et gérés par l’EXIM Bank of India, une banque du secteur public qui opère sous le contrôle administratif du Ministère des finances. Le trait le plus caractéristique du programme d'aide de l'Inde est le fait qu'il cherche à partager son expérience dans la réduction de la pauvreté et le développement par le biais d'une filière active de consultants et d'experts. L'essentiel de l'aide indienne est consacré à la formation des ressources humaines, au renforcement des capacités et à d'autres investissements immatériels dans les nations récipiendaires, bien que l'Inde soutienne aussi un certain nombre de projets physiques à travers une assistance financière et technique. Bien entendu, la diplomatie économique de l'Inde commence à peine à être active et est loin derrière celle de la Chine en chiffres absolus. Ainsi, selon des estimations, le volume de l'APD chinoise est 10 fois supérieur à celui de l'APD indienne. Cependant, l'Inde possède une vaste gamme de compétences, que ce soit en informatique, en anglais ou dans d'autres domaines liés au savoir, un important capital humain, ainsi que des institutions et un héritage qui constituent un immense potentiel pour apporter de l'assistance technique à d'autres, à un coût relativement faible. En outre, l'Inde a une longue tradition de démocratie qui pourrait se révéler pertinente pour une réforme de la gouvernance dans de nombreux pays pauvres.

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Dans l'ensemble, il y a de nombreuses raisons de croire que l'Inde est en train de devenir un acteur majeur dans le monde de l'aide au développement. Mentionnons tout d'abord la simple géopolitique de l'aide et la quête par l'Inde d'un statut de puissance régionale, voire sa volonté de devenir membre permanent dans un Conseil de sécurité de l'ONU restructuré. La classe moyenne indienne, toujours plus importante, et une classe d'entrepreneurs sûre d’elle, ont créé un immense appétit pour des ressources énergétiques, et ont simultanément permis au pays d’agrandir son empreinte économique à l'étranger. Et bien sûr, l'Inde s'est également trouvée une ouverture stratégique après l'effondrement de l'Union Soviétique, qui bouleversa la source stable d'assistance économique pour de nombreux pays pauvres d'Afrique et d'Asie. Ces tendances générales combinées les unes aux autres ont propulsé l'Inde dans la catégorie des donateurs. Néanmoins, malgré l'expansion de son APD, les tentatives de l'Inde ont été marquées par de nombreuses inconsistances, voire incohérences. Ainsi, il n'existe toujours pas une seule agence d'APD dans le vaste empire bureaucratique de l'Inde, bien que les gouvernements successifs aient envisagé de créer une agence d'aide spécialisée. Il a été reconnu tardivement dans l'institution de la politique étrangère indienne que si l'APD indienne veut atteindre son objectif non déclaré mais évident d'aider l'Inde à devenir un acteur régional influent, son effort d'aide au développement aura besoin de plus d'argent, d'une meilleure focalisation, d'une distribution plus pointue et d'une administration plus professionnelle.

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La Chine à l’étranger : « Exporter des hordes d'experts » ou « Apprendre à pêcher »?

Deborah Bräutigam, American University, Washington Email : [email protected]

Mots clés : Chine ; assistance technique ; renforcement des capacités ; formation en entreprise Résumé : Il est communément admis au sujet de l'engagement de la Chine dans d'autres pays en développement que les Chinois ne pratiquent pas beaucoup de renforcement des capacités. Cet article remet en question cette croyance conventionnelle, faisant observer que les efforts de renforcement des capacités de la Chine pourraient être guidés plus par le profit que par l'altruisme, mais que, peut-être justement pour cette raison, ils pourraient finalement être plus soutenables. Il est communément admis au sujet de l'engagement de la Chine dans d'autres pays en développement que les Chinois ne s’impliquent pas beaucoup dans le renforcement des capacités. La pratique des compagnies chinoises consistant à faire venir leur propre personnel pour mener à bien des projets de construction – un stade, un bâtiment gouvernemental ou une route – contribuent à renforcer cette perception. En 2008, par exemple, un projet d'aide chinois consistant à construire des systèmes d'eau dans des villages tanzaniens employa 50 ingénieurs et ouvriers techniques chinois, aux côtés de 500 ouvriers locaux (1:10) ; d'autres entreprises chinoises en Tanzanie ont un ratio moyen de 2:8. En Angola, la part des ouvriers chinois semble encore beaucoup plus élevée, des estimations faisant état de ratios allant de 5:5 à 9:1 (Brautigam 2009 : 156 ; Centre for Chinese Studies 2006 : 52). Mais peut-on pour

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autant en déduire que l'engagement croissant de la Chine à l'étranger s'accompagne de peu de transfert de technologies ou de développement de compétences ? Au cours des cinq dernières décennies, les donateurs ont dû faire face au défi du manque de capacités. Certains ont géré le problème en établissant des unités de mise en œuvre des projets (project implementation units, PMUs) qui contournent efficacement les départements du gouvernement. D'autres ont promu des partenariats public-privé avec des ONG et des entreprises, ou financé des experts étrangers pour fournir des formations et de l'expertise. L'ancienne Ministre néerlandaise de la coopération au développement, Evelyne Herfkens, estimait en 2002 que les donateurs traditionnels employaient plus de 100 000 assistants techniques expatriés en Afrique, à un coût d'environ 5 milliards de dollars. En 2008, les donateurs du CAD déboursèrent 17,2 milliards de dollars dans la coopération technique, c'est-à-dire pour la mise à disposition d'enseignants, de volontaires et d'experts sectoriels chargés de dispenser des enseignements, des formations ou des conseils. Durant la même période, l'aide au développement et d'autres formes de coopération officielle de la Chine ont également essayé de transférer des technologies et de renforcer des compétences. Pendant les années 1960 et 1970, comme je l'explique dans mon ouvrage sur l'aide et l'engagement économique de la Chine en Afrique, The Dragon's Gift (le cadeau du dragon), le gouvernement chinois a élaboré un processus en cinq étapes pour promouvoir la soutenabilité de ses projets d'aide. Il s'agissait de demander au gouvernement hôte de nommer des partenaires locaux, de leur transférer graduellement les responsabilités, de les former pour les réparations et la maintenance, d'organiser et de transférer tous les plans, croquis ou modes d'emploi et de distribuer des dépliants avec des croquis et les numéros des pièces pour commander des pièces de rechange. Toutefois, certains gouvernements étaient incapables de nommer des responsables locaux et, en l'absence de ceux-ci, les autres étapes n'étaient souvent pas menées à bien. Les difficultés liées à la langue entravèrent également le développement des compétences dans certains domaines, même si dans les nombreux projets d'agriculture l’apprentissage par la pratique semblait être une façon efficace de transférer des technologies (Brautigam 1998). En dehors de l'agriculture, un petit nombre de projets d'aide essayèrent aussi de renforcer les compétences. En 1997, le programme d'aide de la Chine finança, équipa et fournit en formateurs le Uganda Industrial Research Institute, qui abrite un incubateur, un laboratoire de R&D et un centre de formation pour les Ougandais et les habitants de la région. En 2000 fut initié un programme à long terme visant à créer une formation professionnelle en Ethiopie, impliquant dans un premier temps l'envoi de formateurs chinois, puis la construction du Ethio-China Polytechnic College. L'institution devrait former 3000 étudiants par année dans la construction, l'ingénierie et les technologies de l'information. Par ailleurs, de vastes programmes de bourses et de formation fournissent un renforcement des capacités autonome, comme l'a fait remarquer Liu Haifang. Toutefois, il n'existe que peu d'évaluation publique de l'impact de ces programmes. Comme le fait observer la chercheuse chinoise Liu Haifang (2009), « des termes comme 'capacités' et 'renforcement des capacités'... étaient considérés comme 'inadaptés' et n'étaient par conséquent jamais utilisés dans des documents officiels bilatéraux »22. Aujourd'hui, ajoute-t-elle, ces termes sont des « mots clés » dans les promesses chinoises. En 2005, dans le

22 Traduction de: “terms such as ‘capacity’ and ‘capacity building’ … were regarded as ‘unsuitable’ and therefore never used in bilateral official documents.”

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cadre de l'effort pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement, les Chinois promirent de former 30000 ressortissants de pays en développement, la moitié en Afrique. Fin 2009, une formation fut promise à 20000 personnes supplémentaires en Afrique d'ici 2012. Ces programmes de formation peuvent durer d'environ trois semaines à plusieurs mois, et peuvent couvrir une variété de domaines, de l'expérience de la Chine dans la réduction de la pauvreté à des domaines techniques comme le traitement du cuir. D'autres programmes gouvernementaux autonomes sont en place pour renforcer les capacités, même si nous ne disposons que de peu d'informations à leur sujet. En 1986, la Chine offrait chaque année 1600 bourses universitaires à des étudiants africains. Plus de deux décennies plus tard, leur nombre a augmenté considérablement.En 2008, des dirigeants chinois se sont engagés d'augmenter le nombre de bourses universitaires pour atteindre un niveau annuel de 10000 d'ici 2012 (dont 5500 seraient attribuées à des étudiants africains). En 2008, les Chinois ont par ailleurs promis d'aider à former, d'une part, 1000 médecins, infirmières et membres du personnel administratif pour des hôpitaux africains (3000 en 2009), d'autre part, 1500 enseignants et directeurs d'écoles. Ces deux engagements ont été accompagnés de la promesse de construire des hôpitaux et des écoles. Presque aucune recherche n'a été faite sur l'efficacité de ce renforcement des capacités. Pourtant, les gouvernements récipiendaires pourraient suivre relativement facilement, et au moins contrôler, les résultats d'une partie de ce travail, présentant un rapport initial sur leur impact sur le renforcement des capacités. Pour avoir une vue d'ensemble de l'impact chinois sur les capacités, nous devons aussi inclure l'engagement commercial de la Chine. Lorsque la Chine initia sa transition à la fin des années 1970, ses entreprises commencèrent à faire des affaires à l'étranger, financées par des moyens autres que l'aide publique chinoise. En 2008, au moins 140000 Chinois travaillaient officiellement en Afrique dans le cadre de programmes d'ingénierie ou de main d'œuvre. Des entreprises de construction chinoises signèrent des contrats pour plus de 39 milliards de dollars seulement en Afrique cette année-là (Ministère du commerce, 2009). La grande majorité de ces projets seront financés par des entités non chinoises: des gouvernements africains, des agences d'aide bilatérales et multilatérales, des clients privés. Le gouvernement chinois peut faire pression quant au lieu, mais n'a presque pas d'influence sur ces projets, qui seront soumis aux exigences des permis de travail, du renforcement des capacités, du travail local et du transfert de technologie imposés par les gouvernements hôtes, par ceux qui paient la facture ou par les propres motivations commerciales des entreprises. Au sein de l'industrie pétrolière verticalement intégrée du Soudan – où la CNCP, la plus grande compagnie pétrolière chinoise, est fortement impliquée depuis 1995 –, 93% des employés sont soudanais (Lee and Shalmon 2008: 135). Quelques industriels nigérians ont engagé des techniciens chinois pour installer les équipements d'usine et former la main d'œuvre nigériane ; ils se disent très satisfaits du transfert de technologie qui en a découlé. Pour réduire ses coûts, le géant chinois des télécommunications Huawei a établi des instituts régionaux en Angola, en Afrique du Sud, au Nigeria, en Égypte, en Tunisie et au Kenya pour inculquer aux Africains les compétences requises pour gérer et entretenir les systèmes sans fil et à large bande de l'entreprise. De plus en plus de gestionnaires de département et d'ingénieurs travaillant pour Huawei sont maintenant africains. Même dans l'industrie de la construction, des recherches montrent que, plus longtemps les entreprises chinoises sont présentes dans un pays, plus elles engagent du personnel local (Tang 2010). Au Nigeria, le géant China Civil Engineering and Construction Corporation (CCECC) rapporte qu'il a employé quelque 20000 Nigérians pour les 70 projets qu'il a mis en œuvre depuis 1980, engagé des ingénieurs nigérians qui avaient été formés en Chine et envoyé d'autres Nigérians

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en Chine pour une formation supplémentaire (Xinhua 2010). Ces solutions de renforcement des capacités sont motivées par le profit, et non par l'altruisme, mais peut-être justement pour cette raison, elles pourraient en fin de compte se révéler plus soutenables. Références Brautigam, Deborah. The Dragon’s Gift: The Real Story of China in Africa. Oxford University Press, 2009. Centre for Chinese Studies, “China’s Interest and Activity in Africa’s Construction and Infrastructure Sectors,” Stellenbosch University, 2006. Lee, Henry and Dan Shalmon. “Searching for Oil: China’s Oil Strategies in Africa,” in Robert Rotberg, ed. China into Africa: Trade, Aid, and Influence Brookings Institution Press 2008. Liu Haifang. “Continuities, Readjustments and New Explorations -- A Deep Reading of the Fourth FOCAC Action Plan 2009/12/22,” Pambazuka, 2009-12-17, Issue 462. http://pambazuka.org/en/category/africa_china/61089 [au 16 août 2010]. Ministry of Commerce, China Commerce Yearbook 2009, Beijing: China Commerce and Trade Press, 2009. Tang, Xiaoyang. “Bulldozer or Locomotive? The Impact of Chinese Enterprises on Local Employment in Angola and the DRC,” Journal of Asian and African Studies June 2010 vol. 45 no. 3: 350-368. Xinhua, “CCECC’s Localization Strategy Pays Off in Nigeria,” China Daily, August 10, 2010 http://www.chinadaily.com.cn/business/2010-08/12/content_11145866.htm

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La logique de l'aide chinoise au DRH en Tanzanie :

Offrir un poisson, apprendre à pêcher et partager le poisson

Yuan Tingting, University of Bristol Email : [email protected]

Mots clés : aide éducative chinoise ; Tanzanie ; bourses d'étude en Chine ; experts invités Résumé : La Tanzanie est le plus grand bénéficiaire de l'aide chinoise en Afrique. Cet article explore brièvement l'aide éducative de la Chine en Afrique. Le rôle de la Chine en tant que puissance montante dans l'arène mondiale a été beaucoup discuté, notamment par rapport à son engagement actif en Afrique. Toutefois, la nature et l'objectif de l'aide chinoise dans le domaine de l'éducation suscitent encore et toujours la curiosité. Plutôt que de poursuivre les Objectifs du millénaire pour le développement visant l'éducation primaire universelle, ou de prétendre mener une coopération éducative et un échange culturel, la Chine crée sa propre approche du soutien aux ressources humaines pour

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les pays africains, avec une logique et une focalisation distinctes. Sa coopération cible principalement les niveaux supérieur et professionnel de l'éducation, prenant la forme de bourses d'étude, de formations à court terme ou encore d'études de la langue chinoise. Dans cet article, nous nous concentrons sur les bourses à long terme. Dans quelle mesure l'aide chinoise diffère-t-elle de l'aide orthodoxe des donateurs traditionnels du CAD? La logique selon laquelle tous les pays pourraient devenir « modernes » et « rattraper » l'occident s'ils suivaient les mêmes étapes que l'occident peut être considérée à la fois comme une théorie et comme une prescription (Dale, 1982); c’est cette logique qui a jeté les bases du modèle de développement occidental. Plutôt que de donner une prescription standard aux pays récipiendaires ou de leur fixer des conditions, la Chine prétend agir en empruntant une voie « gagnant-gagnant » (bénéficiant aux deux parties) (FOCAC, 2006). Contrairement à la logique occidentale consistant à construire un cadre de modernisation, ou à promouvoir des ajustements économiques/politiques, la Chine œuvre activement à construire des relations bilatérales plutôt qu’à élaborer une structure globale (bien que son influence semble de plus en plus globale). Selon les règles du « gagnant-gagnant », on peut affirmer que la Chine élargit ses relations politiques et économiques à travers cette transformation des ressources humaines. La Tanzanie est le plus grand bénéficiaire de l'aide chinoise en Afrique. Le lien diplomatique entre les deux pays remonte à l'époque où ils étaient « frères socialistes ». L'amitié entre Nyerere et Mao a tissé d'étroits liens émotionnels entre les précédentes générations de Tanzaniens et de Chinois. Le chemin de fer Tanzara, qui demeure aujourd'hui le plus grand projet d'aide de la Chine en Afrique, est considéré comme un monument pour les deux pays. L'aide éducative de la Chine en Tanzanie consiste essentiellement en l'octroi de bourses, surtout pour le troisième cycle. Basée sur l'accord de coopération culturelle entre le gouvernement de la République de Tanganyika et le gouvernement de la République populaire de Chine signé en 1962 et l'accord culturel amélioré signé en 1992 par la Chine et le gouvernement de la République unie de Tanzanie, la sous-convention sur le développement du projet coopératif de l'éducation supérieure entre le Ministère de l'éducation chinois et le Ministère des sciences, de la technologie et de l'éducation supérieure tanzanien a été établie en juin 2000.Selon cet accord sur l'éducation supérieure, la partie chinoise a promis de fournir à l'Institut de technologie de Dar es Salaam (Dar es Salaam Institute of Technology, DIT) deux enseignants par année et de former des chargés d'enseignement et des étudiants du DIT en micro-informatique. Entre 2005 et 2007, la partie chinoise a offert chaque année 100 bourses gouvernementales complètes à la Tanzanie. La partie tanzanienne a offert à la Chine cinq bourses gouvernementales en 2006 et quatre en 2007.23 Bien que d'autres Tanzaniens reçoivent des bourses gouvernementales chinoises, le DIT est le principal bénéficiaire institutionnel en Tanzanie depuis les années 1990 (y compris en acceptant des bourses d'étudiants et des chargés d'enseignement chinois). En vertu de l'accord entre le gouvernement de la RPC et la Tanzanie en 1991, un projet collaboratif entre l'Université de Xian Highway (Université Xian Jiao Tong, Chine) et le Dar es Salaam Technical College (aujourd'hui le DIT) a été établi pour développer un laboratoire d'ingénierie des routes et des transports. Le laboratoire a été mis sur pied en 1993. En juin 2000, la Chine s'est engagée dans un accord visant à développer un laboratoire informatique au DIT. Elle a fourni 50 micro-ordinateurs ainsi que des experts chinois chargés de dispenser une formation

23 Voir le site Internet de l'ambassade de la Chine en Tanzanie (en anglais): http://tz.china-embassy.org/eng/ztgx/

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en applications informatiques, et a par ailleurs offert des opportunités de formation en Chine. Le projet devait durer deux ans à partir de décembre 2001. Durant un travail de terrain mené au DIT en 2008, j'ai interrogé plusieurs chargés d'enseignement de retour de Chine, y compris certains ayant étudié à l'Université de Xian Highway. Ils avaient tous obtenu un diplôme supérieur en Chine, pour la plupart un doctorat. Après l'obtention de leur diplôme, ils sont retournés au DIT pour enseigner ou mener des recherches, ce qui signifie que les connaissances académiques acquises en Chine en ingénierie ou en informatique ont été transmises à de plus en plus d'étudiants tanzaniens. Comparé au don d'équipement (surtout pour les ordinateurs, qui deviennent rapidement dépassés), et le petit nombre d'enseignants chinois envoyés en Tanzanie, le processus consistant à former des membres du DIT en Chine et à leur délivrer des diplômes de haut niveau d'universités chinoises semble être la façon la plus efficace et la plus pratique d'améliorer les capacités en sciences appliquées en Tanzanie. Les chargés d'enseignement du DIT indiquent qu'obtenir un master ou un doctorat en Chine est attrayant, précisant toutefois que le processus comporte quelques problèmes, comme la durée de la formation, la langue de communication et la qualité de l'enseignement pour les étudiants étrangers. Les membres du DIT font en outre remarquer que renforcer les capacités d'apprentissage pour un développement futur est plus important que de consommer des dons. Par exemple, le directeur du DIT explique : « Nous devons produire quelque chose, et nous avons besoin de la capacité de produire quelque chose. Il nous faut une éducation de bonne qualité et une plus grande ouverture de l'éducation. Nous voulons savoir comment la Chine progresse et nous voulons apprendre des Chinois des compétences avancées. »24 Le directeur espère également coopérer avec les entreprises chinoises à Dar es Salaam, ce qui montre que l'éducation n'est pas un objectif en soi mais plutôt une approche, visant à obtenir de meilleures opportunités pour les individus et les institutions au niveau local. L'éducation fait partie de la logique chinoise du « gagnant-gagnant » et, tandis qu'elle bénéficie aux pays africains, elle aide aussi la Chine à réaliser ses objectifs de développement à long terme. Fournir de l'aide dans l'éducation supérieure dans certains domaines pour combler les besoins urgents de la Tanzanie et mener des formations technologiques peut être considéré comme un moyen de sauver les Africains de la faible efficacité de l'aide au développement qu'ils reçoivent habituellement. Les médias chinois aiment utiliser un proverbe de Lao-Tseu pour décrire la logique chinoise de l'aide à l'éducation en Afrique: « Donnez un poisson à un homme, il mangera une journée; apprenez-lui à pêcher, il mangera toute sa vie ». De fait, si tous deux dépendent du poisson qu'ils peuvent pêcher, l'approche « par l'enseignement » semble effectivement plus pertinente.

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24 Traduction de : « We have to produce something, and we need the ability of producing. A good quality education is needed, and more opening up for education is needed. We want to know how China is rising up and we want to learn advanced skills from them. »

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La Chine et l’Égypte: le prolongement d’une longue amitié25

Bjorn H. Nordtveit, Faculté de l’éducation, Université de Hong Kong Email: [email protected]

Mots-clés: Chine; Égypte; Islam; monde arabe; coopération; éducation; langues. Le pavillon égyptien à l’exposition universelle de Shanghai a comme thème « Le Caire – mère du monde » et, selon un entretien avec son directeur, il cherche à montrer la continuité entre le passé et l’avenir. Le directeur souligne que « les deux plus vieilles civilisations du monde » ont plusieurs choses en commun, notamment l’éducation. Citant le Prophète Mohamed, connu pour avoir déclaré « Allez en quête de savoir, même si c’est jusqu’en Chine », le directeur note que les deux pays n’ont cessé d’accroître leur coopération en matière d’éducation durant les 50 dernières années. En effet, depuis longtemps l’Égypte envoie des enseignants en Chine pour y enseigner l’arabe, et reçoit des étudiants chinois qui viennent y étudier la langue et la civilisation du pays. Chaque jour, environ 40 000 visiteurs passent les portes du pavillon et circulent dans son décor moderne noir et blanc pour y admirer les expositions d’objets, de films et d’images, anciens et modernes, qui explorent « comment faire face aux défis du présent et de l’avenir en se basant sur les expériences du passé ? »26. Dans un sens, une bonne partie du développement de la Chine se caractérise par la même question. Un groupe au sein de la population chinoise voit peut-être les réponses à cette question d’un angle particulier : les plus de vingt millions de Chinois musulmans27, pour qui l’apprentissage de l’arabe est essentiel. Même si la plupart des Chinois musulmans apprennent cette langue localement, de plus en plus d’entre eux l’étudient aussi à l’étranger. Selon un entretien à l’ambassade chinoise au Caire, plusieurs jeunes chinois vont en Égypte pour y étudier l’Islam. Ce phénomène est aussi mis en avant sur le site Web de l’ambassade, qui explique que la coopération en éducation entre les deux pays a commencé dès le 19e siècle, lorsqu’ « en 1841, Ma Fuchu, un intellectuel et théologien musulman de la dynastie Qing, est venu à l’université Al-Azhar, établissant ainsi un précédent pour les étudiants chinois en Égypte »28. Selon l’ambassade, dès 1931 la Chine a commencé à envoyer des étudiants en Égypte sur une base régulière, et cette coopération a continué suite à la fondation de la République populaire de Chine en 1949. Selon certaines analyses, les besoins de la Chine en matière d’apprentissage de la langue arabe seraient récemment entrés dans une nouvelle phase. Comme l’explique Jackie Armijo, « En ces temps de développement économique rapide et de malaise social croissant, et alors que les inégalités de revenus s’élargissent et que les services sociaux dispensés par le gouvernement diminuent, de plus en plus de Chinois trouvent refuge dans une foi qui a survécu en Chine plus de 1300 ans au travers de périodes d’isolation, de persécution et de soutien par l’État : l’Islam »29. Toutefois, tous les étudiants chinois en Égypte ne sont pas motivés par des raisons religieuses. Un groupe d’étudiants de Beijing interviewés en 2009 à l’Université du Canal de Suez à

25 La recherche sur laquelle se fonde cet article a été financée par le Comité de financement de l’université du Fond général de recherche de Hong Kong, référence no. 750008. 26 Archive du Pavillon d’Egypte, disponible ici: http://en.expo2010.cn/c/en_gj_tpl_86.htm#gk 27 Il n’y a pas de chiffre définitif sur le nombre de Chinois musulmans ; les estimations varient entre 10 et 100 millions, mais la plupart s’entendent sur 20-25 millions. 28 Ambassade chinoise en Egypte: http://eg.china-embassy.org/eng/zaigx/jyjl/t76340.htm 29 Armijo, J. (2006). Islamic Education in China. Harvard Asia Quarterly 10(1).

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Ismaïlia semblaient davantage motivés par des raisons culturelles et économiques. L’un d’entre eux expliquait : « Il y a 22 pays arabophones dans le monde – un territoire gigantesque – et des perspectives d’avenir dans toutes les industries. Très peu de gens en Chine étudient la langue arabe, alors nous aurons de bonnes perspectives d’emploi ». Plusieurs autres tenaient des propos semblables sur leurs raisons d’être venu étudier en Égypte. Cette même Université du Canal de Suez offre aussi des cours de chinois aux étudiants égyptiens, qui sont sans doute moins attirés par les propos du Prophète que par les masses de touristes chinois, dont le nombre ne cesse d’augmenter en Égypte. Un professeur de chinois explique quelles sont les trois motivations principales de ses étudiants qui apprennent le chinois: travailler dans le domaine du tourisme, devenir interprète, ou – le « grand rêve » – entrer dans le monde académique comme professeur de chinois. Cette analyse a été confirmée par des étudiants égyptiens, qui voulaient devenir traducteurs-interprètes pour travailler avec des entreprises chinoises. Certains avaient aussi des raisons pragmatiques : « Il y a des Chinois partout, alors nous devons apprendre le chinois », alors que d’autres avaient des ambitions académiques : « J’aimerais aller en Chine pour enseigner la langue arabe ». Selon un représentant de l’ambassade chinoise au Caire, le nombre de touristes chinois est passé de pratiquement zéro, il y a à peine dix ans, à plus de 100 000 par année actuellement. Ce phénomène augmente automatiquement les besoins en enseignement du chinois dans les universités égyptiennes, et par conséquent, « la coopération la plus importante a lieu en matière d’enseignement des langues, qui s’est développée très rapidement au cours des dernières années ». À titre de preuve, on note que jusqu’à l’an 2000, une seule université égyptienne offrait des cours de chinois : le département de chinois de la Faculté Al-Alsun à l’Université Ain Shams. Il fut fondé en 1958 avec une poignée d’étudiants ; il compte désormais 30 enseignants et plus de mille étudiants. Présentement, quatre autres universités ont établi des départements de langue chinoise : l’Université du Caire, l’Université Al-Azhar, l’Université du Canal de Suez et l’Université Misr de science et de technologie, Ville du 6 Octobre. La majorité des étudiants sont des étudiantes, « parce que les filles égyptiennes préfèrent les langues, et nombreuses sont celles qui pensent qu’elles sont plus douées que les garçons ». Au moins trois possibilités existent pour les Égyptiens qui désirent apprendre le chinois : les départements de langue chinoise dans les cinq universités mentionnées ci-dessus, qui sont ouverts aux étudiants et mènent à des diplômes universitaires en langue chinoise. Une deuxième option réside dans les Instituts Confucius, qui sont au nombre de deux en Égypte (aux universités du Caire et du Canal de Suez), auxquelles s’ajoute une Classe Confucius à Alexandrie. Bien qu’ils soient situés au sein d’universités, les Instituts Confucius sont ouverts à tous, pas seulement aux étudiants. Aussi, ils offrent une formation moins formelle et moins académique, et attirent donc des étudiants qui sont moins intéressés par le travail d’enseignement et de traduction. Nombreux sont les étudiants qui sont des départements de langue chinoise qui suivent aussi des cours à l’Institut Confucius, afin de pouvoir pratiquer la langue à l’oral (à Ismaïlia, c’est le cas d’environ 60% des étudiants). Enfin, une troisième option est offerte par le Centre culturel chinois au Caire. Et bien sûr, les cours privés offrent une dernière possibilité, moins formelle, pour étudier le chinois. Le directeur du Pavillon égyptien à Shanghai explique que l’Égypte est perçue comme une porte d’entrée pour l’Afrique, et que les Chinois s’intéressent beaucoup au pays, tant pour le tourisme que pour l’investissement. En ce qui a trait à l’éducation, les deux plus vieilles

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civilisations semblent être faites l’une pour l’autre : chacune offre ce dont l’autre a besoin, que ce soit la culture, les opportunités d’affaires ou la religion. Les bourses chinoises pour les étudiants égyptiens sont égalées par les bourses égyptiennes pour les étudiants chinois. Suite au tremblement de terre au Sichuan, l’Égypte a envoyé cinquante tonnes de matériel de secours, qui sont arrivées à Chengdu par avion spécial30. Le 4e Forum sur la coopération Chine-Afrique (FOCCA) a eu lieu les 8-9 novembre 2009 à Sharm el-Sheikh, en Égypte, avec la présence de 49 chefs d’État à la cérémonie d’ouverture. Rétrospectivement, il semble que la coopération entre la Chine et l’Égypte en matière d’éducation, plutôt que d’être dominée par les discours sur l’aide et les rapports entre donateurs et récipiendaires, constitue le prolongement d’une longue amitié.

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La Chine – Un donateur pas si nouveau?

Henning Melber, Dag Hammarskjöld Foundation, Uppsala Email: [email protected]

Mots-clé : Chine ; rapports avec l’Afrique pendant la guerre froide ; chemin de fer Tazara ; relations post-guerre Froide. Résumé : La Chine n’est pas une nouvelle venue en Afrique. Alors qu’y a-t-il de nouveau à propos de la Chine en Afrique ? La Chine poursuit une nouvelle offensive en Afrique, où elle envahit rapidement les marchés africains et cherche à avoir accès aux énergies fossiles et autres ressources minérales dont elle a besoin pour alimenter son rapide processus d’industrialisation. Cette offensive marque un changement vers une nouvelle rivalité multilatérale au niveau mondial. Ce phénomène a fait couler beaucoup d’encre et la plupart des analyses se concentrent sur l’impact des pratiques chinoises sur les pays Africains. Pendant ce temps, les politiques européenne et américaine semblent avoir pratiquement disparu du paysage. Mais ce genre de prophéties de Cassandre ne présentent qu’un côté de l’histoire. Ces récits, sélectifs, ont tendance à diminuer l’importance des effets externes néfastes, créés et consolidés depuis de nombreuses années par les déséquilibres socio-économiques et les structures de pouvoir existantes. Ainsi, les critiques soulevées à l’endroit de la Chine représentent plus un indicateur d’une peur grandissante de certains pays de perdre leur propre mainmise sur l’Afrique que des inquiétudes réelles pour le bien-être des Africains. Dès la conférence de Bandung de 1954, la politique étrangère chinoise a des ambitions pour jouer un rôle hégémonique au Sud, dans le contexte de la rivalité sino-soviétique. À travers son soutien aux mouvements de libération et aux nouveaux gouvernements indépendants des pays africains, la Chine a poursuivi une politique proactive et interventionniste en Afrique. Cette politique expansionniste, sous le drapeau anti-impérialiste, était parfois guidée par des erreurs de jugement désastreuses et, sous Mao, a eu pour résultat des aventures coûteuses non seulement en termes financiers mais aussi en vies humaines. Plus récemment, la politique étrangère chinoise a fait preuve d’encore plus de dynamisme à l’étranger, bien qu’elle reste discrète.

30 PRC (MOFA). (2009). China’s Foreign Affairs, 2009. Beijing: World’s Affairs Press.

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L’architecture de l’aide internationale, qui a émergé avec les indépendances au cours des années 1960, a traversé plusieurs changements depuis ses débuts. En dépit de la collaboration continue entre pays du Sud, et de l’internationalisme socialiste, l’aide a toujours été perçue comme une approche occidentale pour aider les pays africains dans un processus appelé développement. On oublie souvent que la Chine a fait sa part pour soutenir les gouvernements africains dans leurs aspirations à plus de souveraineté et de développement, non seulement en théorie mais aussi en pratique. Un des projets d’infrastructure les plus ambitieux des années 1970 a été le chemin de fer de Tazara, qui connectait la ceinture du cuivre de la Zambie avec le port de Dar-es-Salaam. Les donateurs occidentaux considéraient que c’était un projet mégalomane, que la Chine ne pourrait jamais terminer. En effet, la mise en marche fut difficile, et le maintient des opérations le fut encore plus. Arrivé près de l’effondrement à un certain moment, le chemin de fer a depuis été rénové, et demeure aujourd’hui une infrastructure fonctionnelle. Certains pensaient qu’il serait la risée de tous, mais le projet est devenu un exemple de coopération économique et d’autosuffisance entre ces pays africains et la Chine. Il a aidé tant à la formation d’une image positive de la coopération chinoise auprès des gouvernements africains, qu’à la construction d’une pléthore de bâtiments publics comme les parlements et autres symboles du pouvoir du gouvernement. Peut-être encore plus importants pour l’image de la Chine sont les stades sportifs qui, construits au fil des décennies en tant que signe d’amitié, ont une forte influence sur les perceptions du public. Le Forum social mondial, tenu à Nairobi en janvier 2007, a eu lieu dans un stade construit par la Chine. Cette image positive ne peut évidemment pas protéger les entreprises chinoises des critiques, qui viennent surtout du commun des mortels, dont la vie quotidienne est affectée négativement par cette nouvelle compétition internationale. Mais plus d’un demi-siècle après la décolonisation, la Chine a établi un solide bilan, qui fait qu’aux yeux des Africains elle est tout sauf un nouveau venu. En effet, elle peut fonder ses efforts actuels sur plusieurs décennies de relations amicales avec les gouvernements et les dirigeants, sinon avec le commun des mortels. Alors que la Chine et d’autres nouveaux acteurs puissants se joignent aux réseaux internationaux qui lient les pays Africains au reste du monde, et les remettent en question, il est nécessaire de repenser les paradigmes de l’aide au développement afin de voir si et quand ils changent, et comment les rapports économiques fluctuants influencent les priorités définies ainsi que les collaborations potentielles entre les anciens et les nouveaux pays donateurs. Plusieurs éléments fondamentaux du paradigme et des politiques de l’aide actuels doivent être examinés en prenant en compte les « engagements constructifs » de la Chine en Afrique. Cela inclut, entre autres, les éléments suivants :

- le rôle joué par le multilatéralisme vs. les relations bilatérales entre les États ; - l’équilibre entre les responsabilités collectives et la souveraineté nationale ; - la proéminence et la préférence accordées aux priorités « dures » (infrastructure) vs

« soft » (bonne gouvernance et renforcement des capacités institutionnelles). -

Ces catégories touchent à des débats qui ont vu le jour à l’époque des politiques d’État développementaliste, dans les années 1970. La notion officielle propagée à l’époque (surtout par des gouvernements qui n’avaient de comptes à rendre qu’à eux-mêmes) demandait le développement d’abord, la démocratie et les droits humains ensuite. Cela contraste avec la

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compréhension développée plus tard, suite à la guerre froide, selon laquelle il n’y a pas de développement durable sans l’institutionnalisation des normes démocratiques et l’enchâssement des droits humains et des valeurs qui y correspondent. Il reste à voir si les défenseurs de ces deux points de vue arrivent à s’orienter vers une convergence de priorités en un seul cadre cohérent, qui donne assez de reconnaissance et d’espace pour mettre en œuvre les deux approches de manière complémentaire et pour promouvoir le développement soutenable qui bénéficie la majorité de la population des pays. Posée de manière différente, la question est de savoir si les parties prenantes externes sont de retour à une géopolitique qui rappelle la période de la guerre froide, ou si les bases ont été jetées pour plus de Realpolitik qui cherche à faire bénéficier toutes les personnes impliquées, sans oublier les plus marginalisés. Jusqu’à maintenant, les interventions de la Chine ne sont pas l’indicateur d’une nouvelle trajectoire, qui bénéficierait à la majorité des peuples africains. En fait, la politique étrangère chinoise de non-interférence est attirante pour les leaders autocrates et les oligarchies qui sont encore au pouvoir, que ce soit en Angola, en République Démocratique du Congo, en Guinée Équatoriale, au Soudan, au Zimbabwe, ou dans des sociétés semblables qui sont, encore aujourd’hui, gérées comme les propriétés privées de petites cliques. Les systèmes à deux vitesses et les décalages entre la rhétorique officielle et les actions pratiques ne sont pas si différents de ceux qui demandent la démocratie en certains endroits seulement lorsque c’est à leur avantage, tandis qu’ils restent généreusement passifs lorsque ce sont des régimes « amis » qui commettent des violations des droits humains dans des pays où les intérêts économiques dominent les relations. En ce sens, la Chine n’est pas un donateur si nouveau, dans les deux sens que l’on peut donner à ce terme.

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Éviter les approches traditionnelles ? Le cas de l’aide au développement sud-africaine

Elizabeth Sidiropoulos, South African Institute of International Affairs, Johannesburg Email: [email protected]

Mots-clés : Agence sud-africaine de partenariat pour le développement ; fond pour la renaissance africaine ; coopération Sud-Sud ; bénéfice mutuel. Résumé : L’Afrique du Sud a évité d’être caractérisée comme « donateur » et n’a pas voulu adopter le cadre du CAD pour son aide. L’Afrique du Sud a préféré mettre l’accent sur son rôle comme partenaire de développement. Dans son discours sur le budget en avril 2010, la ministre sud-africaine des relations internationales et de la coopération, Maie Nkoana-Mashabane, a formellement annoncé qu’elle déposerait bientôt un projet de loi pour établir l’Agence sud-africaine de partenariat pour le développement. Ce projet fournirait « un cadre légal pour l’exécution de notre politique étrangère et faciliterait une coopération plus efficace ». Ce projet de loi, qui n’a jusqu’à maintenant pas été déposé, ne marque pas le signal du début de la coopération au développement en Afrique du Sud ; plutôt, il est motivé par un désir de consolider et de donner un cadre gouvernemental général pour une activité qui ne date pas d’hier et qui, en fait, existait déjà avant la fin de l’apartheid en 1994.

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Jusqu’en 1994, la coopération pour le développement du gouvernement d’Afrique du Sud était surtout motivée par les efforts du Parti National pour entretenir ses appuis dans quelques pays africains, afin de se gagner des amis et d’acheter des votes à l’ONU. L’aide au développement était aussi conçue pour soutenir les « foyers indépendants » ou Bantoustans, en Afrique du Sud. Depuis 1994, des impératifs différents et plus légitimes déterminent la coopération sud-africaine pour le développement, qui se résume par son « agenda africain » de priorités en matière de politique étrangère. Ces priorités ont été motivées d’abord par la nécessité pour le nouveau gouvernement démocratique de réintégrer l’Afrique du Sud dans l’Afrique (soit de ramener le pays vers son identité africaine) et, ensuite, par une aversion envers les politiques de « grande puissance » que l’ancien gouvernement d’apartheid faisait régner sur la région. L’Afrique du Sud démocratique a cru que sa propre transformation portait des leçons pour les autres, et qu’elle avait une responsabilité pour aider à instaurer la paix, la sécurité et le développement dans le reste du continent. Ce désir n’était pas seulement motivé par la gratitude envers tous les pays qui avaient aidé le mouvement contre l’apartheid, mais aussi parce qu’une région stable et prospère était certainement bénéfique pour le développement et la croissance de l’Afrique du Sud elle-même. Dans l’esprit de la coopération Sud-Sud, l’Afrique du Sud a préféré éviter de se définir comme un « donateur » - une caractéristique partagée avec d’autres nouveaux partenaires de coopération comme la Chine, l’Inde et le Brésil. Elle a aussi choisi de ne pas adopter le cadre du CAD. L’Afrique du Sud a plutôt mis l’accent sur le fait qu’elle est un partenaire pour le développement, sans les conditionnalités politiques ou l’aide liée qui accompagnent l’aide des pays du Nord. Par exemple, l’aide ne requiert pas que des experts sud-africains soient engagés. La coopération sud-africaine est fondée sur les projets plutôt que sur le support budgétaire. Refusant d’être une puissance hégémonique en Afrique, l’Afrique du Sud a cherché à développer son aide afin de répondre directement aux demandes d’autres États africains. La coopération au développement sud-africaine a été active dans une variété de domaines, du soutien préélectoral en République Démocratique du Congo (RDC) au processus de paix au Burundi, en passant par la formation de fonctionnaires au Sud-Soudan. Il existe également d’autres projets comme le soutien agricole associé aux mesures phytosanitaires, ainsi que la coopération scientifique et technologique. Le Fond pour la renaissance africaine (FRA) du Département des relations internationales et de la coopération a été établi en 2000 pour améliorer la coopération entre l’Afrique du Sud et d’autres pays (surtout en Afrique) à travers la promotion de la démocratie et de la bonne gouvernance, la prévention et la résolution de conflits, le développement socio-économique et l’intégration, l’aide humanitaire et le développement des ressources humaines. Même s’il ne compte que pour une petite proportion de l’ensemble de l’aide au développement, comme l’estime le Ministère des finances, le FRA opère au sein d’un cadre légal avec des objectifs clairs, bien qu’il ne bénéficie pas encore de systèmes de suivi et d’évaluation suffisants. Plusieurs départements gouvernementaux, agences gouvernementales et autres entreprises publiques et semi-publiques entreprennent des initiatives dans d’autres pays africains en dehors du FRA, bien qu’ils fassent souvent la promotion des mêmes objectifs. En 2006, le Ministère des finances a réalisé une enquête pour établir les grandes lignes de la coopération

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au développement de l’Afrique du Sud dans l’ensemble du gouvernement, après avoir constaté que si le gouvernement voulait mesurer les montants de l’aide qu’il verse et son efficacité, il devait y avoir plus de coordination et de suivi. La nouvelle agence de développement pourrait bien remplir cette fonction, bien qu’il ne soit pas clair si l’aide, qui provient en ce moment de différents ministères et organismes parapublics, sera intégrée au sein de cette nouvelle agence. La coopération au développement sud-africaine est-elle différent des approches traditionnelles ? Une grande partie de l’aide donnée par l’Afrique du Sud, que ce soit en résolution de conflits ou en reconstruction étatique post-conflit, n’a pas été liée de manière explicite à des conditionnalités politiques ou économiques. En fait, un certain nombre de hauts fonctionnaires se sont plaints dans les dernières années qu’en dépit des montants substantiels dépensés par l’Afrique du Sud pour apporter la paix et la sécurité dans plusieurs pays, elle n’a pas bénéficié d’opportunités économiques dans les environnements post-conflits et n’a augmenté son pouvoir d’influence. Cette vision de l’aide, qui cherche à récolter du capital politique de la coopération au développement, sera-t-elle dominante dans la future agence de développement sud-africaine ? Ou les sensibilités politiques autour de l’idée d’hégémonie et d’un « big brother » vont-elles faire en sorte que l’Afrique du Sud continue d’insister sur l’esprit de coopération Sud-Sud et de bénéfice mutuel, plutôt que sur les rapports donateur-récipiendaire ? Au cours de la dernière année, sous le président Zuma, la politique étrangère sud-africaine a mis l’accent sur la diplomatie commerciale et les relations bilatérales avec des pays clés. Ces deux priorités sont motivées, dans une certaine mesure, par les défis socio-économiques énormes auxquels fait face le pays, en particulier en termes en termes de chômage. Mais il y a également beaucoup de latitude pour que l’Afrique du Sud utilise son influence et construise des alliances au service d’une vision pour elle-même et pour le continent. De plus, la marge de manœuvre réduite du gouvernement en matière fiscale dans le climat économique actuel exige des dépenses plus judicieuses, tant à l’intérieur du pays que dans la coopération internationale. Tout ceci mène peut-être, du moins dans les coulisses, à une approche plus dure de la coopération internationale. Alors que la coopération au développement sud-africaine devient plus simplifiée et coordonnée, il sera peut-être ardu pour le gouvernement de trouver un équilibre entre sa rhétorique de solidarité et ses propres impératifs économiques – en d’autres mots, d’éviter d’être accusé que sa coopération au développement n’est qu’une façade pour un agenda politique et économique intéressé. Ce ne serait certainement pas propre à l’Afrique du Sud, mais le pays est peut-être plus sensible politiquement à son image et à son identité.

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L’exceptionnalisme dans les relations Afrique du Sud - Chine31

Kenneth King, Hong Kong Institute of Education/NORRAG Email: [email protected]

Mots-clés: Agence sud-africaine de partenariat pour le développement; coopération en éducation et formation; expertise sud-africaine sur Chine-Afrique. 31 La recherche plus large sur la coopération Chine-Afrique en éducation associée à cet article a été financée par le Fond général de recherche de Hong Kong, no. de référence 750008.

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Résumé: cet article relève un nombre d’éléments qui font de la coopération entre la Chine et l’Afrique du Sud un cas particulier sur le continent. D’une certaine manière, l’Afrique du Sud est un excellent exemple de la coopération mutuellement bénéfique dont la Chine fait si fréquemment la promotion. L’Afrique du Sud n’est pas un pays comme les autres. Sa communauté chinoise y est implantée depuis bien avant les migrations chinoises plus récentes vers d’autres pays africains (Yap et Man, 1996). Contrairement à plusieurs pays africains, l’Afrique du Sud maintient des relations avec Taiwan depuis 1976, et n’a fait le changement vers des relations diplomatiques avec la Chine qu’en 1998. Au cours des 12 années qui se sont écoulées depuis, la coopération s’est rapidement intensifiée. Sans être un exportateur de pétrole, l’Afrique du Sud a généré plus de 16 milliards de dollars en échanges commerciaux avec la Chine.La préférence de la Chine pour des coopérations symétriques et des partenariats gagnant-gagnant plutôt que pour des relations d’aide est bien illustrée dans son partenariat avec l’Afrique du Sud. Une commission binationale entre les deux pays a été établie en 2000 ; il y a désormais plus de 50 ententes de coopérations, dans des domaines comme l’énergie nucléaire, la science et la technologie, la culture, l’éducation et le tourisme. L’importance de la coopération scientifique est visible par la présence en Afrique du Sud d’un conseiller chinois pour la science et la technologie, le seul sur le continent africain en dehors de l’Égypte32. L’Afrique du Sud et l’Égypte sont aussi les deux seuls pays sur le continent africain à bénéficier de la présence de conseillers chinois en éducation. La présence de ces conseillers en éducation n’indique pas une relation d’aide, mais plutôt la présence de longue date de nombreux étudiants chinois ; elle atteste donc de la qualité et de l’attractivité des universités sud-africaines, davantage que du nombre d’étudiants sud-africains qui vont chercher un enseignement universitaire en Chine. L’Afrique du Sud est aussi un cas particulier dans la mesure où il s’agit d’un des rares pays africains qui est en train de mettre sur pied une Agence de partenariat pour le développement (ASAPD) ; cette agence devrait éventuellement remplacer le Fond pour la renaissance africaine (FRA). Ainsi, l’Afrique du Sud, comme la Chine, sera à la fois un pays donateur et récipiendaire d’aide au développement. L’aide qu’elle reçoit, toutefois, ne représente même pas 1% de son revenu national. Un autre domaine dans lequel l’Afrique du Sud se démarque dans ses relations avec la Chine est que, même sans compter la communauté d’Africains du Sud d’origine chinoise qui se trouve dans le pays depuis longtemps, le pays abrite le plus grand nombre de nouveaux résidents chinois dans tout le continent. Comme ailleurs en Afrique, il est difficile de savoir le nombre exact de ces migrants économiques, mais on estime souvent que le total doit atteindre autour de 300 000 personnes ; certains vont jusqu’à parler de 500 000 migrants d’origine chinoise. Fait intéressant, lorsque Taiwan entretenait des relations diplomatiques avec l’Afrique du Sud, sa population migrante atteignait un total de 30 000 personnes dans les années 1980 et au début des années 1990 ; ces migrants avaient pour rôle clé d’établir des manufactures dans les régions reculées d’Afrique du Sud. Le nombre d’immigrants taiwanais

32 Les conseillers en science et technologie sont très répandus dans les ambassades chinoises dans les pays d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Asie.

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a depuis baissé de manière drastique, et se situe maintenant autour de 6 000 personnes (Park, 2008 : 166). Une dernière dimension par laquelle l’Afrique du Sud représente un cas spécial est son rôle comme source d’information sur les activités de la Chine ailleurs en Afrique. Le Centre pour les études chinoises (CCS, Centre for Chinese Studies) fondé à l’Université Stellenbosch en 2004, demeure le seul du genre en Afrique. Ses recherches ont couvert une grande partie des engagements chinois en Afrique au cours des six dernières années, par exemple le développement des infrastructures, la pertinence des technologies agricoles chinoises pour l’Afrique, les modalités de l’aide chinoise en Afrique, les schémas d’investissement chinois, les détails de l’aide et du commerce dans certains pays et, récemment, une évaluation jusqu’à 2009 du Forum sur la coopération Sino-Africaine (FCSA) – qui, depuis dix ans, est le mécanisme de coordination pour les engagements de la Chine en Afrique. En plus de ces travaux commandités, les chercheurs du CCS ont publié des articles académiques, mais aussi les bulletins hebdomadaires China Briefing, et presque 50 numéros du China Monitor, tous deux très utiles pour ceux et celles qui suivent les développements dans les relations Chine-Afrique (www.css.org.za). Suite au départ fin 2009 de son premier directeur, Martyn Davies pour le Gordon Institute of Business Science de l’Université de Pretoria une autre source sud-africaine d’information et d’analyse a été lancée : le Réseau Chine Afrique (CAN, China Africa Network). Ce nouveau réseau est clairement orienté vers le monde des affaires, avec l’intention de « faciliter et de promouvoir la compétitivité des économies et du secteur privé africain en lien avec leurs engagements avec la Chine » (China Africa Network, 2010). Ces facteurs particuliers dans le positionnement de la Chine en Afrique du Sud en font un cas très différent des autres pays. La Chine est à la fois plus et moins visible en Afrique du Sud que dans d’autres pays africains. Elle n’est pas responsable, par exemple, des stades massifs qui ont été construits pour la Coupe du monde de football 2010, ni des autoroutes qui strient les villes et les campagnes, comme c’est le cas en Éthiopie, par exemple. Et l’achat de 20% de la Standard Bank d’Afrique du Sud, par la Banque commerciale et industrielle de Chine, pour moins de 5 milliards de dollars, n’est pas particulièrement visible pour le commun des Sud-Africains. Ce qui est peut-être le plus frappant est l’ouverture de supermarchés et de centres commerciaux chinois dans les moyennes et grandes villes. Dans certains villages, le magasin général chinois fait désormais partie du paysage. La nouvelle ambassade chinoise, la plus grande à Pretoria, a ouvert en avril 2010. Elle est encore plus grande que celle de l’Inde, l’autre grand « moteur asiatique ». Quelles implications ont ces facteurs pour le rôle de la Chine en matière d’éducation et de formation en Afrique du Sud ? Depuis vingt ans, soit depuis la réintégration de l’ANC et la libération de Mandela, l’Afrique du Sud s’enorgueillit de sa forte appropriation des politiques en matière d’éducation et de formation. Cela rappelle l’Inde dans le même secteur. Il est donc clair que toute aide extérieure dans le secteur de l’éducation et de la formation doit se conformer aux politiques nationales en la matière. Si l’on en vient aux modalités principales de l’aide chinoise en matière d’éducation et de formation, par exemple les bourses à long terme et les formations à court terme, il ne faut pas s’étonner que la compétition pour leur obtention ne soit pas aussi féroce en Afrique du Sud que dans des pays comme l’Éthiopie ou le Kenya. De plus, comme nous l’avons mentionné plus haut, il y a autant ou plus d’intérêt de la part des étudiants chinois pour venir étudier en

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Afrique du Sud que l’inverse. Il s’agit là d’un témoignage de la qualité de certaines universités d’Afrique du Sud aux yeux de la majorité des Sud-africains non blancs et des étudiants chinois, davantage qu’une critique des universités chinoises. De même, lorsqu’on en vient à l’introduction des Instituts Confucius en Afrique du Sud, il semblerait que, dans certaines situations, il y ait eu plus de débats et de questionnements en Afrique du Sud qu’ailleurs en Afrique au sujet de leur rôle, de leur idéologie et de leur positionnement en milieu universitaire. Parmi les engagements pris au Sommet de Beijing du FCSA, il semblerait que deux éléments en particulier – les 100 écoles rurales et les 300 jeunes volontaires – n’étaient pas particulièrement pertinents pour le contexte sud-africain. Mais lors de la conférence ministérielle du FCSA de Charm el-Cheikh en Égypte, les objectifs ont semblé convenir parfaitement à l’Afrique du Sud. En fait, on pourrait dire que les engagements Chine-Afrique pour des partenariats en matière de science et de technologie sont, d’une certaine manière, déjà mis en œuvre en Afrique du Sud. Ainsi, le schéma de coopération scientifique avec l’Afrique du Sud représente le modèle proposé pour le reste de l’Afrique dans le cadre des déclarations du FCSA 2009. La collaboration entre la Chine et l’Afrique du Sud semble être un partenariat réellement égal davantage qu’une relation d’aide. Toutefois, si le même genre de partenariat scientifique était tenté dans plusieurs autres pays africains, dont les institutions scientifiques et les établissements d’enseignement supérieur sont plus faibles, il est probable qu’il en résulterait plus une relation d’aide qu’un partenariat symétrique entre égaux.

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La Russie est de retour en Afrique

Pandji Kawe, Université de Ngaoundéré, Cameroun Email : [email protected]

Mots-clés : aide russe ; pétrole ; énergie ; armes ; dette africaine à la Russie. Résumé : La Russie est de retour, et prête à faire face à la concurrence. Cet article décrit les différentes approches employées par la Russie et met en évidence quelques-uns de ses partenaires en Afrique. Il est fini le temps où la Russie était considérée comme un fauteur de trouble, responsable de perturbations politiques en Afrique. Pendant la Guerre Froide, la Russie devait coopérer avec plusieurs pays africains dans le cadre de sa rivalité avec les Etats-Unis et le monde capitaliste. Les années 1990 sont considérées comme une période de relance par les historiens. La Russie a essayé de retrouver sa position de puissance mondiale, ce qui a signifié la fin d’une franche collaboration avec plusieurs pays africains. Toutefois, le continent africain a une dette envers la Russie – littéralement. Le montant avoisinait les $25 milliards en 1991, et la Russie n’était pas prête à coopérer avec les pays africains s’ils ne payaient pas leur dette. C’est aussi pour cela que le gouvernement russe a mis tant de temps à revenir en Afrique. L’admission de la Russie au sein du Club de Paris en

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1997 a conduit à l’annulation de la dette africaine et a ouvert la voie à un nouveau modèle de coopération. Les choses se sont accélérées lorsque Vladimir Poutine a été élu en 2000. Suivant la vague de plusieurs pays développés et émergeants désormais prêts à investir en Afrique, le dirigeant russe a inauguré une tournée dans plusieurs pays et signé des accords importants. En général, l’approche russe se distingue sur plusieurs points :

- Alors que des pays comme la France, la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis sont pointilleux au sujet du respect des règles démocratiques et des droits humains, la Russie n’a jamais obligé ses partenaires à s’orienter vers la démocratie ;

- Même si la Russie a joué un rôle important dans plusieurs guerres civiles africaines, elle bénéficie d’un préjugé favorable car elle n’a jamais eu de colonie en Afrique.

- L’aide russe se concentre dans trois domaines spécifiques : le secteur énergétique et les matières premières, les armes (comme dans le bon vieux temps) et le pétrole.

Depuis 2001, Evgueni Primakov, le ministre des affaires étrangères, a rendu visite aux pays africains considérés comme les partenaires les plus importants de la Russie, notamment l’Afrique du Sud avec qui d’importants accords économiques ont été conclus. Depuis 2006, le manganèse qui se trouve dans la région de Cape Coast est exploité par Renova, une entreprise qui appartient au milliardaire russe Viktor Vekselberg. L’Afrique du Sud profite aussi de l’aide de la Russie, qui est l’unique fournisseur d’uranium pour le centre nucléaire sud-africain de Koesberg. Le Maroc est aussi un partenaire important pour la Russie. Le roi du Maroc a visité la Russie en 2002. Les accords entre les deux pays sont des plus diversifiés. Le Maroc a triplé la proportion du pétrole provenant de Russie et, en retour, exporte des farines de poisson et des légumes. Son voisin algérien est aussi un acteur majeur, avec lequel Vladimir Poutine a signé plusieurs accords en 2006, basés sur l’importation d’armes et de tanks pour un montant s’élevant à presque $8 milliards. L’Angola et le Nigeria sont les partenaires les plus prolifiques en Afrique du Centre et de l’Ouest. L’Angola est un partenaire depuis plusieurs décennies – la guerre civile angolaise, qui a duré de 1975 à 2002, était d’ailleurs encouragée par la Russie. Mais l’idéologie a bien changé maintenant. La Russie est prête à soutenir l’Angola et lui a offert une aide financière et structurelle pour construire des barrages hydroélectriques et pour extraire des diamants. Quant au Nigeria, c’est un partenaire essentiel pour la Russie. Le pays est un des plus importants producteurs de pétrole du continent, et la Russie a besoin d’énergie pour diversifier sa production et renouveler ses marchés. Les interventions de Poutine et de Medvedev ont mené à des accords entre le consortium russe Gazprom et Nigeria Oil Gas en 2008. L’objectif est d’aider le Nigeria à découvrir et à exploiter de nouveaux champs pétrolifères grâce à l’expertise russe. Cette collaboration a aussi mené à l’un des plus grands projets d’infrastructure dans toute l’Afrique : la construction d’un oléoduc de 2 500 kilomètres, qui va du Nigeria jusqu’à la Méditerranée, commanditée par la Russie et qui doit être terminé en 2011. Plusieurs autres pays ont bénéficié d’une collaboration rapprochée avec la Russie, qui a l’intention de devenir un partenaire majeur pour le développement de l’Afrique. L’approche russe n’est pas si différente de l’approche chinoise, mis à part son orientation claire vers les

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secteurs énergétiques. Poutine a expliqué le nouveau partenariat Russie-Afrique en juin 2009, lorsqu’il a déclaré que « Les sphères d’influence traditionnelles en Afrique ont été rendues désuètes et la Russie est prête à travailler ici ». Oui, la Russie est de retour et prête à faire face à la concurrence.

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LES NOUVEAUX DONATEURS ASIATIQUES (A L’EXCEPTION DE L’INDE ET DE LA CHINE)

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Renaître des cendres de la guerre : la République de Corée et son rôle dans l’agenda global

Gwang-Jo Kim, Bureau régional de l’éducation de l’UNESCO pour la région Asie-

Pacifique, Bangkok Email : [email protected]

Mots-clés : membres du CAD ; ratio APD/PIB, expérience coréenne de développement ; éradication de la pauvreté. Résumé : La Corée du Sud a émergé en tant que nation importante au sein du G20 et en tant que nouveau membre du CAD. Cet article rappelle l’ascension de la Corée du Sud, explique la manière dont elle est devenue un pont entre les pays en développement et les donateurs et commente les défis auxquels elle est toujours confrontée. La République de Corée (ou Corée du Sud) va marquer une autre étape importante de son histoire en étant l’hôte du sommet du G20 en novembre 2010. Bien qu’il soit moins spectaculaire que les Jeux Olympiques ou d’autres événements internationaux qui ont eu lieu dans le pays ces dernières années, le sommet du G20 a sans doute une signification plus profonde. Etre l’hôte du G20, c’est la confirmation de l’appartenance de la Corée du Sud au groupe exclusif des nations les plus développées, la juste reconnaissance du travail accompli pour arriver à ce statut, une réussite qui a été honorée cette année par le statut de membre du CAD de l’OCDE. C’est une source de fierté immense pour un pays qui, il y a à peine un siècle, était un des plus pauvres au monde avec un PIB par habitant de moins de $100. Près de quatre décennies de colonisation japonaise et trois ans de guerre avaient ôté au pays toute chance de se développer ; son peuple était soumis à des privations, et vivait dans le dénuement et la misère. Cette situation désespérée a duré jusque dans les années 1960. Aujourd’hui, la Corée du Sud est un exemple éclatant d’une démocratie fonctionnelle et d’une économie dynamique ayant réussi à faire des quelques productions locales de grandes marques respectées à travers le monde (Samsung, Hyundai, LG, pour ne nommer que ceux-là). Il y a à peine une génération, la fin du cercle vicieux de la pauvreté absolue a dû commencer à partir de zéro, puisqu’il n’y avait rien, mis à part les gens – pas de capital, pas de technologie, pas de ressources. L’industrialisation et la démocratisation du pays sont très liées aux stratégies de développement de l’Etat qui, avec des slogans comme « Vivons une vie meilleure » et « Saemaul Undong » (Mouvement du nouveau village), a incité les gens à travailler plus dur, et a renforcé leur détermination à tenter leur chance et réussir. Il faut souligner, évidemment, que la Corée a grandement bénéficié de l’aide internationale – pas seulement financière, mais aussi au niveau du transfert de connaissances et de technologies. La Corée est le seul pays issu du monde en développement à être devenu un membre officiel de la communauté des donateurs. Sa trajectoire de développement distincte la place dans une position unique pour devenir un pont qui, on l’espère, pourra non seulement joindre ces deux mondes, mais aussi réduire les disparités entre eux. En jouant ce rôle, la Corée du Sud doit se demander ce qu’elle peut apporter au reste du monde. Mais d’abord, elle doit répondre à une question importante : le pays est-il, en vertu de son expérience extraordinaire et de ses grandes réalisations, réellement prêt à offrir son aide à d’autres pays ?

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Dans un monde affligé par les crises économiques, les désastres naturels et les conflits armés, la Corée du Sud peut certainement commencer par augmenter son APD en tant que membre du CAD, bien que cela ne résolve que partiellement le problème de la diminution globale du niveau d’aide au développement. Il serait peut-être plus important encore de partager son expérience de développement et son savoir-faire en la matière, avant qu’ils ne soit obsolètes. Contrairement aux autres pays de l’OCDE, la Corée a une ou deux générations de personnes – dont je fais partie – qui ont vécu des périodes « d’indigence absolue » et de « développement comprimé » [compressed development], et qui possèdent donc une expérience sans égale pour travailler à la réduction de la pauvreté. Au-delà de l’expérience individuelle, la transformation de la Corée d’un récipiendaire d’aide à un donateur en adoptant la bonne stratégie de développement, soutenu en cela par un peuple doté d’une forte détermination de réussir, peut probablement inspirer d’autres pays et d’autres peuples dans des situations semblables à rejeter l’apathie et à adapter un esprit d’entreprise qui a bien servi à la Corée du Sud et a permis à son peuple d’atteindre l’excellence. Suite à son adhésion au CAD de l’OCDE, il est utile de faire une pause, et de se demander si la Corée du Sud a rempli les attentes internationales à son égard. A ce sujet, il sera essentiel de voir si la Corée du Sud va tenir la promesse faite à plusieurs reprises par son président Lee Myung Bak de doubler son APD. Il faut surtout savoir comment cela sera fait. En 2008, l’APD de la Corée du Sud représentait à peine 0.09% de son PNB, bien en deçà de la moyenne des pays du CAD (0.31%). L’ONU a fixé comme objectif 0.7% pour 2015, alors que la Corée s’est donné l’objectif plus modeste d’atteindre 0.25%33. Si la Corée du Sud ne revoit pas son objectif à la hausse, elle risque d’être l’objet de critiques injustes de la part de ceux qui ont des attentes élevées à son égard. Un autre défi auquel la Corée du Sud fait face, si elle veut être considérée réellement comme un leader international, réside dans la mentalité et les comportements des gens. Les Coréens sont un peuple ethniquement et linguistiquement homogène, et ont tendance à être repliés sur eux-mêmes, et donc à éviter de s’engager dans les grandes questions mondiales, que ce soit la réduction de la pauvreté, les réponses aux changements climatiques ou la prospérité soutenable. Ces problèmes sont plus nombreux que jamais, et le monde a besoin d’une nouvelle manière de penser pour trouver des solutions alternatives au développement. A cette fin, c’est un moment approprié pour la Corée et son peuple de démontrer que « noblesse oblige »34 à la communauté du développement. Si elle réussissait, elle serait un rayon d’espoir pour plusieurs pays, étant sortie des cendres de la guerre. Elle pourrait et devrait agir comme médiateur honnête, convaincant et pas encore intimidant pour diminuer l’écart entre les riches et les pauvres.

33 http://www.odakorea.go.kr/ 34 Ndlt : En français dans le texte.

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LA COOPERATION SUD-SUD – PERSPECTIVES LATINO-AMERICAINES

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La coopération Sud-Sud : Le cas des institutions de formation professionnelle dans la

région de l’Amérique latine et des Caraïbes

Pedro Daniel Weinberg, Consultant, Montevideo, auparavant avec le CINTERFOR Email: [email protected]

Mots-clés : Amérique latine ; Caraïbes ; éducation et formation technique et professionnelle (EFTP); coopération Sud-Sud ; coopération technique entre pays en développement (CTEPD); Centre interaméricain pour le développement des connaissances sur la formation professionnelle (CINTERFOR); institutions de formation professionnelle ; bénéfices mutuels. Résumé : L’assistance technique qui s’est développée entre différentes institutions de formation professionnelle en Amérique Latine et dans les Caraïbes représente une réussite de coopération Sud-Sud qui ne date pas d’hier. L’assistance technique qui s’est développée entre différentes institutions de formation professionnelle (IFP) en Amérique Latine et dans les Caraïbes (ALC) peut être considérée comme l’une des expériences de coopération Sud-Sud les plus anciennes et les plus réussies, du moins dans la région des Amériques. Quelques faits illustrent cette affirmation :

1. Dès les années 1950, on trouve des formes de coopération Sud-Sud dans le domaine de la formation professionnelle dans les Amériques. SENAI Brésil, le premier organisme spécialisé en formation professionnelle dans la région, a été créé par les employeurs brésiliens en 1942. Quelques années plus tard, à travers l’Organisation internationale du travail (OIT) et la Commission économique pour l’Amérique Latine (CEPAL), il offrait de l’assistance technique aux gouvernements de Colombie (1956) et du Venezuela (1958), pour les aider à créer leur propre organisme de formation professionnelle. A suivi la création de SENA en Colombie (1957) et de l'INCE au Venezuela (1959). SENAI et l’OIT ont promu ce modèle d’IFP à travers l’Amérique latine ; il s’est avéré être l’une des initiatives de développement institutionnels les plus réussies, surtout si on le compare aux initiatives du même genre entreprises par les Ministères de l’éducation ou du travail.

2. Lors de la conférence de l’OIT en 1961, des délégations ministérielles de l’Argentine,

du Brésil, de la Colombie et du Venezuela, entre autres, ont promu la création du CINTERFOR. En dépit de son nom très long (Centre interaméricain pour le développement des connaissances sur la formation professionnelle), le Centre promeut depuis 1963 une approche horizontale pour la coopération technique entre les organismes spécialisés dans le domaine de la formation et du développement des ressources humaines. Cette approche s’est avérée être à la fois utile et légitime ; elle a, par conséquent, été institutionnalisée.

3. Après presque un demi-siècle, le CINTERFOR est toujours actif dans la promotion

des échanges de responsables, d’idées, d’innovations, d’information, de documentation, etc. Le système fonctionne librement, sur la base de l’équité, du

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partage des coûts et, principe très important, de l’absence de toute forme d’institution hégémonique.

4. Les Nations Unies, à travers le PNUD, ont commencé à développer le concept de

coopération technique entre pays en développement (CTPED) dès 1978, lors d’une conférence mondiale à Mar del Plata, en Argentine, pour discuter de l’idée de coopération horizontale. À ce moment, l’OIT et les IFP de l’ALC ont pu partager avec le monde entier non seulement un concept, mais aussi un mécanisme de coopération horizontale Sud-Sud qui avait fait ses preuves. Pendant ces premières années, les IFP groupées autour du CINTERFOR ont : conçu et publié des outils d’enseignement pour former les travailleurs dans presque tous les métiers ; mené des formations régionales et sous-régionales de formateurs ; fait la promotion d’un modèle de certification des compétences ; et mis à jour et amélioré les cours destinés aux administrateurs d’IFP et aux leaders locaux, régionaux, nationaux et sectoriels.

5. Actuellement, le CINTERFOR continue de jouer son rôle initial, mais accompagne

aussi d’autres initiatives fondées sur la coopération Sud-Sud, principalement au niveau sous-régional, national et sectoriel. Au niveau sous-régional, on trouve CANTA (Association des agences nationales de formation des Caraïbes), le réseau des IFP d’Amérique centrale et de la République dominicaine, ainsi que des arrangements dans les pays andins et dans les pays du Mercosur. En deuxième lieu, au niveau national, il y a des nombreux accords entre les IFP individuelles, toujours sans but lucratif et selon le principe du partage des coûts (surtout ceux des voyages et des frais de séjour), en général sans aucun frais institutionnels ou professionnels. Finalement, au niveau sectoriel, il faut mentionner les accords dans le domaine de l’imprimerie et du bâtiment.

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Le soutien de Cuba à l’Afrique

Daniel Hammett, School of Geography, University of Sheffield; School of Geography, University of the Free State

Email : [email protected]

Mots-clés : Cuba ; décolonisation ; Afrique du Sud ; coopération Sud-Sud ; solidarité internationale. Résumé : L’implication de Cuba dans le développement Sud-Sud illustre depuis longtemps les coûts et bénéfices de tels paradigmes alternatifs de développement. Le principe de coopération Sud-Sud connaît un fort engouement depuis quelques années, son modèle offrant pour le « Sud global » une vision d’autonomie et de détermination, sans le poids des politiques, des contraintes, des rapports de pouvoir et du bagage colonial qui accompagnent l’aide des pays du Nord. La coopération Sud-Sud fonctionne pourtant depuis longtemps, bien avant qu’elle ne devienne un élément central des intentions politiques du

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groupe des 77 et le lancement du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD). Au cœur de l’histoire de ce concept se trouve le rôle de Cuba. Depuis 1959, le gouvernement communiste cubain poursuit une politique étrangère internationaliste, fondée sur une philosophie de solidarité prolétaire, et qui se concrétise par l’envoi de volontaires militaires et humanitaires dans plusieurs pays d’Afrique, d’Amérique latine et des Caraïbes. Au départ, ces pratiques ont assuré à Cuba une position de pouvoir et une sécurité relative au sein du Sud global. Plus récemment, suite à la marginalisation de l’île dans le contexte géopolitique de l’après-Guerre Froide et à la suite de l’embargo économique des Etats-Unis, l’aide humanitaire a permis à l’île de jouir d’un capital symbolique accru et de bénéfices économiques indirects. Après la révolution de 1959, le gouvernement cubain a investi massivement dans l’éducation et les soins de santé, ce qui a produit un surplus de jeunes diplômés, d’enseignants qualifiés et de personnel médical. L’exportation de ces compétences et de ce capital humain – à travers des accords bilatéraux et le plus souvent pour des périodes de durée déterminée – est devenue un élément-clé de la politique internationale cubaine ; au fil du temps, elle s’est aussi avérée une source importante de devises étrangères. Les bénéficiaires/récipiendaires étaient, et sont toujours, des gouvernements postcoloniaux du Sud, dont les systèmes de santé et d’éducation souffrent de l’héritage colonial : infrastructures déficientes, manque de capacité, sous investissement et pénurie de ressources humaines. À ces problèmes s’ajoutent les mouvements du personnel qualifié : d’une part, à l’intérieur du pays, du secteur public vers le secteur privé ; et d’autre part, les migrations internationales vers les pays du Nord. Par conséquent, la possibilité d’importer du personnel compétent et expérimenté, formé par le secteur public cubain, permet à ces gouvernements d’atténuer ces problèmes à court et moyen terme. Depuis 1995, l’Afrique du Sud et Cuba ont signé des accords bilatéraux permettant l’envoi de médecins et de professeurs de médecine en Afrique du Sud, et la formation d’étudiants en médecine sud-africains à Cuba. Les enseignants, formateurs et médecins cubains sont aussi présents en Namibie, au Ghana, au Togo et au Botswana, afin de contribuer à la formation médicale dans ces pays. Les pays récipiendaires bénéficient ainsi d’une augmentation immédiate, bien que de courte durée, des ressources humaines. De plus, le personnel cubain va souvent dans les régions rurales ou autrement « indésirables » ou « marginales », ce qui augmente la prestation de soins, permet au gouvernement en place de gagner du capital politique dans ces régions, et contribue à la diminution des disparités dans l’accès aux soins. La supervision et le développement professionnel des jeunes praticiens de la santé au niveau local par un personnel cubain expérimenté, ainsi que la possibilité d’accomplir des opérations plus délicates et d’être exposés à des pratiques pédagogiques d’excellente qualité représentent des avantages supplémentaires. En retour, Cuba reçoit des devises étrangères – par exemple, en Afrique du Sud, le gouvernement sud-africain paie l’impôt sur les salaires au gouvernement cubain – et des remises de fond, envoyées par les médecins eux-mêmes à leurs familles restées sur l’île. De plus, ces accords humanitaires sont souvent associés à des accords commerciaux bilatéraux plus larges qui conduisent à une augmentation des exportations. Dans le contexte cubain de pressions économiques continues et de changement dans le leadership politique, la poursuite de ces programmes de solidarité internationale est loin d’être certaine sur le long terme. Sur le terrain, les volontaires cubains envoyés à l’étranger font face

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à des problèmes de connaissance des langues, ainsi que d’adéquation entre leur propre formation et l’environnement dans lequel on leur demande d’exercer, où les habitudes d’enseignement sont différentes et les problèmes de santé spécifiques. Finalement, des allégations concernant la coercition qui serait employée pour « convaincre » le personnel médical d’aller à l’étranger sans leur famille, et les mesures prises pour empêcher que les volontaires ne restent au pays une fois leur mission terminée, posent aussi de sérieuses questions. Ainsi, bien qu’il soit naïf de suggérer que de tels systèmes représentent une panacée aux défis du développement et qu’ils ne soient motivés que par l’altruisme, il faut reconnaître qu’ils offrent une alternative à court et moyen terme aux paradigmes traditionnels de l’aide au développement, et qu’ils offrent une série de bénéfices, tant à Cuba qu’aux pays récipiendaires. Parmi ces bénéfices, figurent le renforcement des capacités et l’amélioration de la qualité, combinés à la décolonisation de l’éducation et d’autres secteurs du service public.

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Coopération pour le développement des compétences en Amérique latine : nouveaux acteurs et défis en matière de coordination

Claudia Jacinto,

Réseau éducation, travail et insertion sociale en Amérique latine (redEtis), Buenos Aires Email : [email protected]

Mots-clés : coopération horizontale ; coopération verticale, traditionnelle ; coordination et apprentissages ; CINTERFOR ; SENAI ; établissement de formation professionnelle (EFP). Résumé : En Amérique latine, la coopération pour le développement des compétences développe de plus en plus de liens Sud-Sud, ce qui pose un défi de coordination pour tous les acteurs, anciens et nouveaux. Au cours des dernières décennies, l’univers du développement international semblait prêter de moins en moins attention à la région de l’Amérique latine (AL), et les regards se tournaient vers les nouveaux récipiendaires de l’aide, par exemple l’Europe de l’Est et les régions les plus pauvres, comme l’Afrique sub-saharienne. Dans ce contexte changeant, de nouveaux acteurs ont émergé dans la région, notamment des pays asiatiques et latino-américains qui offrent une aide bilatérale – par exemple le Brésil et le Venezuela. Leur agenda est très différent de celui des donateurs traditionnels. Souvent, les approches politiques et les contenus techniques de cette nouvelle coopération sont à l’opposé de ceux des acteurs traditionnels. En plus de ces nouvelles réalités, les acteurs de la coopération internationale en matière d’éducation et de formation professionnelle sont de plus en plus diversifiés. Les agences (d’Amérique latine et d’ailleurs) interagissent désormais non seulement avec les représentants nationaux, mais aussi avec des ONG et des acteurs religieux, le tout formant une configuration complexe. Les entreprises émergent aussi comme donateurs : on trouve souvent des fondations liées à des entreprises possédant de vastes ressources, qu’elles veulent utiliser dans l’esprit de la responsabilité sociale des entreprises. Dans ce contexte hétérogène, la

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coordination des approches devient un défi particulièrement ardu pour les agences, qui doivent collaborer et faire des alliances avec toutes sortes d’acteurs. Les pays eux-mêmes doivent, à leur tour, coordonner différentes sources de coopération. Une autre caractéristique de la coopération internationale en Amérique latine est la « coopération horizontale » ; la coopération entre un pays latino-américain et un autre pays en développement, parfois au sein même de la région. Cette coopération horizontale implique normalement différents types de coopérations techniques. L’Amérique latine a une longue histoire de coopération horizontale entre des organisations similaires situées dans différents pays. Un des premiers exemple est le Movimento Fé y Alegría [Mouvement foi et bonheur], dont l’objectif principal est de promouvoir le partage et le soutien réciproque entre organisations qui travaillent dans le champ de la formation professionnelle des jeunes. Une enquête effectuée récemment en Amérique latine par l’Organisation internationale du travail (OIT) et le CINTERFOR auprès d’établissements de formation professionnelle (EFP) montre que 16 d’entre eux sont des prestataires de coopération horizontale et d’assistance mutuelle dans des domaines comme : le développement de la formation basée sur les compétences ; la gestion de la qualité et de l’équité dans la formation ; l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans la formation, etc. Le cas de SENAI, au Brésil, est un exemple d’institution d’un pays émergent qui est en train d’accroître son implication bilatérale dans des programmes qui visent à établir des centres régionaux de formation professionnelle dans des pays lusophones d’Afrique. En fait, dans le cadre de sa stratégie pour soutenir le développement industriel au Brésil, SENAI a un réseau de centres technologiques qui offrent de la formation professionnelle et des services techniques et technologiques. SENAI a adopté une stratégie de coopération technique en tant que mécanisme pour la modernisation et pour rendre l’institution soutenable. Cette coopération a différentes modalités : a) la coopération trilatérale, puisqu’il est considéré par d’autres pays comme un partenaire de coopération, surtout pour la transmission de son savoir-faire ; b) des conventions horizontales et des actions en tant que récipiendaire et en tant que fournisseur de coopération dans des programmes techniques avec d’autres EFP en Amérique latine. Existe-t-il une compétition entre ces modèles de coopération horizontale et un modèle vertical, plus traditionnel ? Les nouveaux donateurs sont très variés et ils forment un panorama très complexe, avec différentes stratégies opérationnelles. Même lorsque les agences se ressemblent par certains critères, il est clair qu’il y a des différences dans leurs approches et dans leurs objectifs. On peut supposer que la coopération horizontale dans une perspective Sud-Sud se fonde sur une association moins asymétrique. Il existe plusieurs exemples de coopération technique qui ont évolué et sont devenus des perspectives régionales ; par exemple, les Ministères de l’emploi ont adopté des approches similaires pour le développement des bureaux d’emploi, et les Ministères de l’éducation ont signé un accord sur les objectifs pour 2020 en matière d’éducation. Mais naturellement, la coordination entre les acteurs de la coopération internationale, tant dans la planification que dans la mise en œuvre, demeure un problème complexe, et ce qu’il s’agisse d’un modèle vertical plus ancien ou d’un nouveau modèle horizontal.

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LA COOPERATION SUD-SUD – L’AFRIQUE ET LE PROCHE-ORIENT

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Le Nigeria est un donateur ! Mais avec un historique inégal

Kunle Osidipe, Unievrsité normale de Shejiang, Jinhua Email: [email protected]

Mots-clés : Nigeria ; aide internationale ; politique étrangère ; NTF ; TAC ; ACP ; cohérence. Résumé : Cet article est une courte critique du programme d’aide extérieure du gouvernement du Nigeria, dans le contexte des pratiques mondiales en matière d’aide internationale. Ceci peut paraître étrange, mais le Nigeria devrait être inclus sur la liste des pays donateurs d’aide internationale (traditionnels ou non traditionnels). Bien qu’actuellement le pays ne soit pas considéré comme tel, son implication comme donateur d’aide internationale ne doit pas être négligée. Le Nigeria reçoit beaucoup d’aide internationale de la part des donateurs, membres ou non membres du CAD de l’OCDE – aussi appelés « traditionnels » et « émergents ». Toutefois, à certains moments de son histoire, le pays a lui-même entrepris de fournir de l’aide internationale. Ces programmes d’aide ne sont pas fondés sur l’habituelle aide humanitaire en période de crise. Nous examinerons brièvement le programme d’aide internationale du Nigeria afin de comprendre le type d’aide qu’il fournit et les récipiendaires visés, ainsi que sa pertinence pour la politique étrangère du pays. Le Nigeria a fait ses débuts dans l’arène de l’aide internationale avec le Nigeria Trust Fund (NTF), un fond spécial de la Banque africaine de développement (BAD) initié par le Nigeria et le groupe BAD en 1976. L’objectif du NTF était d’assister les efforts de la banque en matière de développement dans certains pays-membres de la région, dont les conditions économiques et sociales demandaient des prêts concessionnels. Le NTF a commencé ses opérations en avril 1976, avec un capital de 80 millions USD. Depuis, plusieurs pays africains ont pu bénéficier du NTF – par exemple, en 2009, un prêt de $5 millions a été approuvé pour la Gambie pour, et le Burundi et le Togo ont reçu $0.7 millions en annulation de la dette, sous l’initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE). Le fond est géré par la BAD – grâce à son organisation, ses services, ses infrastructures, ses cadres, son personnel et autres experts et consultants – mais maintient une consultation régulière avec le Gouverneur nigérian pour la Banque. Le deuxième vestige encore visible des aventures du Nigeria en tant que donateur international est le Nigerian Technical Aids Corps Scheme (TAC). Fondé en 1987, le TAC est conçu comme une alternative à l’aide financière directe du gouvernement du Nigeria aux pays de l’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). Au lieu de fournir de l’aide sous forme de dons ou de prêts, le Nigeria partage son savoir-faire et son expertise en se basant sur les besoins perçus et évalués des pays récipiendaires. Le TAC fait aussi la promotion de la coopération et de la compréhension entre le Nigeria et les pays ACP. Ce programme est un instrument stratégique pour la politique étrangère du pays, puisqu’il implique le déploiement pour des périodes de deux ans de professionnels nigérians dans des domaines tels que la médecine, les soins infirmiers, l’éducation, l’ingénierie, l’agriculture et la comptabilité. Ainsi, plus de 2000 volontaires ont travaillé dans plus de 27 pays depuis le début du programme.

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Bien que le rôle du Nigeria comme donateur soit louable, il est pertinent de souligner le peu d’organisation stratégique et de gestion ciblée dans ce programme d’aide – et le contraste énorme qui existe avec les activités de plusieurs donateurs, traditionnels et émergents. En dépit des ressources humaines et financières considérables ayant été consacrées à l’aide internationale par le gouvernement, il est difficile d’évaluer sérieusement l’efficacité de l’aide qui a été déboursée. Il est tout aussi difficile d’obtenir et d’analyser les descriptions des politiques, les rapports de suivi et autres instruments normalement utilisés par les pays donateurs pour évaluer et faire le suivi de leurs programmes, et d’identifier les domaines où elle pourrait être améliorée. La conception et la mise en œuvre d’une bonne politique d’aide internationale est rendue difficile par la question de la gouvernance. Le TAC, par exemple, est géré par un directorat du Ministère des affaires étrangères ; par conséquent, le programme a été victime des nombreux et fréquents changements de responsabilités au sein du gouvernement et du ministère. Chaque nouveau ministre cherche à imposer ses idées et à se démarquer de son prédécesseur ; ainsi, toutes les politiques déjà mises en œuvre sont abandonnées. De plus, et en dépit de l’engagement du Nigeria à consacrer une partie de ses ressources humaines et financières pour d’autres pays, les effets de ses actions sont limités en raison de l’absence d’une politique étrangère cohérente. Encore une fois, la comparaison avec d’autres pays donateurs est très peu favorable. Si le statu quo persiste, les actions du pays en matière d’aide internationale pourrait être comparé à un effritement des ressources. En conclusion, bien que le Nigeria ne soit pas considéré comme un donateur d’aide internationale, traditionnel ou émergent, le pays s’est aventuré à quelques reprises dans la fourniture d’aide pour le développement d’autres pays. Ces programmes d’aide doivent toutefois être évalués et réformés pour qu’ils correspondent aux standards des pratiques actuelles en matière d’aide internationale. Le Nigeria, comme les autres pays donateurs, devrait affiner sa politique étrangère en mettant l’accent sur la diplomatie stratégique, les bénéfices économiques et les promotions de son idéologie et de ses valeurs fondamentales. En tant que récipiendaire d’une importante aide internationale, le pays pourrait se baser sur sa propre expérience avec d’autres donateurs pour formuler une politique d’aide internationale plus pointue et qui aurait une pertinence directe pour sa politique étrangère. La posture actuelle du pays dans le domaine de l’aide internationale pose un point d’interrogation quant à sa position de leader en Afrique et requiert une réponse rapide.

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TIKA : 20 d’aide au développement de la Turquie

Cennet Engin-Demir, Université technique du Moyen-Orient, Ankara Email : [email protected]

Mots-clés : Turquie ; TIKA ; PNUD ; coopération Sud-Sud. Résumé : L’Agence de coopération et de développement turque (TIKA) réussit à atteindre plus de 100 pays, avec un portfolio d’aide d’un total de $780 millions.

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La Turquie a fait bien du chemin en matière d’aide au développement, tout d’abord en réussissant à atteindre les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) pour sa propre population. Cette réussite, accomplie à travers une augmentation budgétaire importante, a contribué à faire de la Turquie un donateur émergent. L’Agence de coopération et de développement turque (TIKA) est une agence gouvernementale turque directement liée au bureau du Premier ministre. Elle a été établie en tant qu’agence affiliée au Ministère des affaires étrangères en 1992 et, en 1999, a été transférée au Ministère d’État en charge des républiques turques d’Asie Centrale et du Caucase et des communautés turques et apparentées. Lors de sa fondation en 1992, le principal objectif de la TIKA était d’assister les républiques nouvellement indépendantes d’Asie Centrale dans leurs efforts pour se convertir à une économie de marché et au nouvel ordre politique international. Cet objectif a évolué au fil des ans et la TIKA a élargi l’étendue de ses activités aux Balkans, au Moyen-Orient et à des pays africains, à leur demande. Aujourd’hui, la TIKA est active dans plus de 100 pays, et possède 23 bureaux dans 20 pays. L’aide fournie par la Turquie atteint $780 millions en 2008. Comme le déclarait le président de la TIKA, ces développements ont fait passer la Turquie d’un pays récipiendaire à un pays donateur d’aide internationale35. La TIKA met en œuvre des projets dans un cadre d’amélioration de la coopération, d’aide au développement et d’aide humanitaire à travers la mise en place de structures corporatives dans tous les secteurs, l’amélioration de l’agriculture et de l’élevage, des infrastructures, le développement social et l’amélioration des standards de vie, la formation professionnelle et l’emploi, la protection des monuments culturels et du patrimoine, l’amélioration des relations culturelles, ainsi que des activités de publication, et le soutien à l’enseignement de la langue turque comme élément de développement des capacités36. En Turquie, les différents domaines d’assistance au développement sont gérés par plusieurs agences et institutions publiques. La TIKA coordonne l’ensemble des activités d’assistance technique menées par les agences et institutions publiques dans leur domaine d’expertise respectif, afin de développer une compréhension commune. Suivant les tendances globales en matière de développement, la Turquie a amorcé une refonte générale de son aide publique au développement. Elle vise à renforcer sa position dans la coopération internationale au développement par l’évaluation de la capacité de la TIKA comme agence nationale de développement. À ces fins, elle s’est engagée, avec le bureau turc du PNUD, dans un projet intitulé « Etablir des ponts entre la coopération Sud-Sud et les rôles des donateurs émergents : Renforcer la participation de la Turquie dans la coopération au développement international ». Ce projet a pour objectif d’aider le gouvernement turc, en tant que donateur émergent, à contribuer à atteindre les OMD dans d’autres pays en partageant ses expériences et ses meilleures pratiques avec d’autres donateurs. Comme le souligne le président, la TIKA continuera à développer des politiques et des projets pour établir des stratégies de développement en suivant les progrès internationaux en matière de développement, avec comme objectif de devenir membre du CAD de l’OCDE et un pays donateur net. 35 http:/www.undp.org.tr/Gozlem2.aspx?Web SayfaNo=2450. 36 Pour des informations plus détaillées sur les projets de TIKA, voir http://www.tika.gov.tr .

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Les projets occidentaux et chinois en République démocratique du Congo

Ignace Pollet, Université catholique de Louvain Email : [email protected]

Mots-clés : Belgique ; Chine ; RDC ; étude de terrain ; pertinence ; soutenabilité ; appropriation ; alignement ; développement des capacités. Résumé : Une équipe de recherche mixte belge-chinoise-congolaise prévoit d’étudier un certain nombre de projets de développement ayant été initiés au Congo par des donateurs belges et chinois. L’étude vise à générer des recommandations au sujet de l’appropriation et de l’alignement des projets, et à augmenter la plate-forme de compréhension mutuelle entre des donateurs issus de traditions différentes. Depuis maintenant un certain temps, les Chinois sont apparus sur la scène africaine. Leurs accords avec les gouvernements africains et leur manière de lier l’aide à leurs investissements et à leurs activités commerciales ont soulevé plus d’un sourcil occidental (Lee M.C. et al., 2007). Peu émus par ces critiques, souvent fondées sur les principes de la Déclaration de Paris (alignement, harmonisation et appropriation), les Chinois font invariablement référence à leurs propres principes, ceux du Consensus de Beijing : respect mutuel et bénéfice mutuel (He Wenping, 2010). Les études et les débats autour de ce sujet se concentrent surtout sur les politiques et les principes de chaque donateur. Toutefois, les études de terrain portant sur le sujet sont relativement peu nombreuses. En République démocratique du Congo (RDC), où les Chinois sont très présents depuis le « deal du siècle »37, les attentes irréalistes et les frustrations des populations locales, censées bénéficier de l’aide, ont contribué à instaurer un climat parfois tendu, tant pour les investisseurs chinois que pour les agences occidentales d’aide internationale. Inspiré par des demandes des ambassades belge et chinoise, le département des affaires étrangères de Belgique finance une recherche basée sur l’observation et l’analyse de projets de développement concrets et visant à révéler dans quelle mesure des considérations comme l’appropriation, l’enracinement local et le respect des acteurs locaux sont pris en compte par les différents donateurs. Bien que les résultats ne soient pas encore disponibles, cette approche par le terrain fournira certainement des observations de première qualité qui pourront enrichir le débat. Cette étude est réalisée en 2010-2011 par trois instituts : HIVA (Institut de recherche sur le travail et la société, Université de Louvain, Belgique) ; IASZNU (Institut d’études africaines à l’Université normale de Zhejiang, Chine) ; et la CDS (Chaire de dynamique sociale, Université de Kinshasa, Congo). Le projet de recherche a identifié quatre secteurs où les Belges et les Chinois mettent en œuvre des projets : l’infrastructure, la santé, l’éducation et l’agriculture. Dans chacun de ces secteurs, les chercheurs belges et chinois vont choisir deux études de cas. Ils vont ensuite étudier leurs cas simultanément, permettant aux chercheurs belges d’étudier aussi le cas chinois, et vice-versa, tandis que l’ensemble du travail de terrain sera modéré et accompagné par des chercheurs congolais. Ceux-ci vont ensuite étudier les

37 US$ 9 milliards en infrastructures et autres investissements en RDC en échange d’un volume non précisé d’extraction de matières premières.

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deux derniers cas par eux-mêmes, pour un total de quatre cas d’études par secteur, et donc de seize cas d’étude pour l’ensemble du projet. La présence des chercheurs congolais est indispensable pour entrer sur les sites des projets ; en même temps, la participation à l’étude est une expérience de base dans le processus de développement des capacités d’un jeune institut de recherche comme le CDS. Bien que l’étude n’en soit encore qu’à ses premières étapes, l’équipe doit faire face au défi de la construction d’un cadre conceptuel commun, et donc de la déconstruction du concept d’« enracinement local » par une série de questions de recherche et d’indicateurs compris par tous. Ceci pourrait s’avérer être un exercice difficile, étant donné que des termes comme « appropriation » et « durabilité » sont compris de manière différente par les Chinois et par les Occidentaux. Il est tout de même important que toutes les étapes de ce projet, de la méthodologie aux résultats, soient effectuées par tous les membres de l’équipe de recherche. L’équipe espère que cette manière de procéder donnera un plus grand poids aux conclusions et aux recommandations issues de la recherche, tant en Chine qu’en Occident. En ce sens, l’étude tente de suivre les enseignements d’intellectuels qui cherchent une compréhension mutuelle plutôt que le maintien de compréhensions parallèles (Jin Ling, 2010). Références He Wenping (2010), Equal Platform, Mutual Benefit, in China Daily, July 17th 2010 Jin Ling (2010), Aid to Africa: What can the EU and China Learn from Each Other, Occasional Paper n°54, South African Institute of International Affairs, Joburg Lee M.C. & others (2007), China in Africa, Current African Issues, Nordiska Afrikainstitutet, Uppsala.

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NOUVEAUX DONATEURS : PERSPECTIVES DES RECIPIENDAIRES

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Les donateurs non traditionnels : le difficile cas du Kenya

Bernard Momanyi, University of Nottingham Email: [email protected]

Mots-clés : modalités de l’aide ; gouvernance ; non-conditionnalité ; donateurs hors-CAD ; donateurs du Golfe ; Iran. Résumé : La Chine, l’Iran et d’autres donateurs orientaux aident actuellement plusieurs économies africaines à combattre la pauvreté et le sous-développement. Toutefois, en raison des circonstances suspectes dans lesquelles cette aide est fournie, il est nécessaire d’être prudent par rapport à l’agenda réel de certains de ces donateurs émergents. Au Kenya, le soutien des donateurs internationaux est au cœur de l’agenda pour le développement, et ce depuis l’indépendance. Dans les premières décennies qui ont suivi l’indépendance, la majorité de l’aide reçue venait des institutions de Bretton Woods et des pays membres du CAD de l’OCDE, et était assortie d’une conditionnalité relativement souple. Toutefois, la situation a changé au début des années 1980 avec l’arrivée des politiques d’ajustement structurel (PAS), de l’exigence de la démocratie multipartite et de la lutte contre la corruption. Ces nouvelles conditionnalités ont mené à des tensions entre le régime du président Moi et plusieurs pays occidentaux. Parallèlement, le Kenya a commencé à forger des liens économiques plus forts avec plusieurs pays orientaux, à commencer par la Chine. Un des projets exemplaires de cette nouvelle collaboration est la construction par la Chine du Centre sportif international Moi à Nairobi. En 2001, le président Kibaki est arrivé au pouvoir avec la NARC (Coalition nationale arc-en-ciel) et la question de la démocratie n’a plus semblé poser problème. Le soutien des donateurs, qui avait été partiellement suspendu pendant la présidence de Moi, a été rétabli. Toutefois, la corruption est demeurée un problème épineux, et a de nouveau conduit à une réduction, et même à une suspension des prêts au Kenya. Comme son prédécesseur, le gouvernement Kibaki a commencé à se tourner vers l’Orient et son aide économique plus avantageuse, comme l’atteste une visite du président en Chine, en 2005, puis encore en 2006 et en 2010. L’Orient demeure donc l’une des alternatives dont le Kenya dispose pour éviter d’avoir à se plier aux demandes occidentales en matière de transparence et de gouvernance économique saine. Le Kenya entretient des relations avec plusieurs donateurs orientaux : en plus du Japon et de la Corée, qui sont membres du CAD de l’OCDE, la Chine, l’Inde, le Qatar, le Koweït, l’Iran et l’Arabie Saoudite sont tous des donateurs importants pour le Kenya. La majorité de ces donateurs « hors-CAD » ont des approches et des modalités assez différentes de celles des donateurs traditionnels – et c’est la raison principale pour laquelle le gouvernement kenyan semble les apprécier. Traditionnellement, le Japon a aussi l’habitude de faire les choses à sa manière, en raison de sa politique de non-interférence dans les affaires internes des autres pays. Toutefois, il le fait grâce à partir d’un système très élaboré de distribution et de suivi de l’utilisation de ses fonds qui limite les possibilités de corruption et de fraude. Ainsi, l’aide japonaise a continué à être versée au Kenya alors que d’autres pays membres du CAD avaient suspendu la leur.

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Un donateur qui a récemment pris de l’importance et généré bien des inquiétudes est la Chine, avec son approche sans conditionnalité. Le gouvernement kenyan soutient que la Chine est un donateur plus honnête que les Occidentaux, puisqu’il ne lie aucune condition à son aide. De plus, avec la Chine, selon les dires du Ministère pour la planification économique du Kenya, les délais entre le début des négociations et le déboursement des fonds sont courts – au contraire des donateurs Occidentaux. De surcroît, les nouveaux donateurs sont prêts à financer des projets qui ont été rejetés par les donateurs occidentaux ; par exemple la Chine va financer la construction d’un nouveau port de mer et l’infrastructure nécessaire (chemin de fer, routes) pour le lier au Sud-Soudan. Toutefois, il faut saisir les intérêts de la Chine en Afrique, et au Kenya en particulier, pour comprendre les raisons de cette décision – alors que le port de Mombasa est sous-utilisé, et que la ligne de chemin de fer qui relie Mombasa à Kampala est en piteux état. Avec une économie énorme et assoiffée de pétrole, une ligne de chemin de fer qui relie le Sud-Soudan est sans doute davantage dans l’intérêt de la Chine que dans celui du Kenya, même si le régime actuel soutient le projet par souci d’efficacité politique. De plus, la Chine semble se concentrer sur des projets de reconstruction lucratifs au Sud-Soudan, en cas de séparation de la région d’avec le Nord du Soudan. D’un autre côté, des donateurs comme le Qatar, le Koweït et l’Arabie Saoudite ont concentré leur aide sur des projets spécifiques dans les régions semi-arides et sous-développées du Nord et de l’Est du Kenya. Bien que ce choix semble plausible, certains au Kenya soupçonnent ces États arides du Golfe d’avoir en vue les riches sols alluviaux de la partie basse du fleuve Tana. En effet, il pourrait s’agir d’une partie de la stratégie agricole des États pétroliers riches, qui achètent ou louent d’énormes terrains à travers l’Afrique pour augmenter la production agricole et assurer leur propre sécurité alimentaire. Un autre donateur hors-CAD particulièrement inquiétant, pour l’Afrique et pour le Kenya en particulier, est l’Iran. L’Iran, qui porte un statut de paria au sein de la communauté internationale, suite à ses nombreuses confrontations avec l’ONU au sujet de ses activités nucléaires, a entrepris de nombreuses visites éclairs en Afrique depuis 2009 et a signé plusieurs accords avec l’Ouganda, le Zimbabwe, le Sénégal et le Kenya. Au Sénégal par exemple, le président iranien a réussi à obtenir le soutien du président Abdoulaye Wade pour le programme nucléaire iranien – ce qui a soulevé plusieurs protestations des Etats-Unis. Au Kenya, suite à la signature d’un accord, le pays obtient du pétrole à bon prix, des bourses qui permettront à de jeunes Kenyans d’aller étudier en Iran. L’Iran a également injecté US$ 1.4 milliards dans l’économie kenyane pour l’aider à se dynamiser. Bien que ce soit un geste louable, la manière dont l’Iran gère son programme nucléaire, et son manque de coopération avec les inspecteurs de l’ONU causent de grandes inquiétudes pour quiconque a à cœur la paix et la stabilité mondiale. Ainsi, alors que de plus en plus de pays africains se tournent vers l’Orient pour obtenir du soutien et de l’aide internationale, il semble assez fréquent de trouver un agenda caché chez ces nouveaux donateurs. La Chine, l’Iran et les autres pays orientaux donnent évidemment un soutien apprécié à des pays pauvres comme le Kenya. Mais il y a un risque d’empirer l’état de la gouvernance africaine en donnant une aide sans aucune condition. Un très bon exemple est la controverse qui entoure un prêt chinois d’une valeur de US$ 53 millions, destiné à la construction d’hôpitaux mobiles en Zambie. Le grand public, les experts en santé et les donateurs s’opposent à ce projet en raison du piètre état des routes et du fait que les Zambiens ne sont pas nomades. De plus, dans les années 1990, des projets de cliniques mobiles semblables sont rapidement devenus des « éléphants blancs ». Ainsi, il n’est pas utile de

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soutenir des régimes qui ne rendent pas de comptes à leur population puisqu’à la fin c’est cette population même qui en souffre. Références Africa Review, 29/04/2010, Iran's Ahmadinejad casts his sights and nets on Africa http://www.africareview.com/Analysis/Ahmadinejad%20casts%20his%20sights%20on%20Africa/-/825452/908714/-/imve1sz/-/index.html Kwayera, J. (2009) The West gets jitters as Kenya embraces new trade allies http://www.standardmedia.co.ke/InsidePage.php?id=1144008348&catid=14&a=1 Mbao, E. (2010) Zambia ignores critics; goes for $53m Chinese loan http://www.africareview.com/News/Zambia%20ignores%20critics%20to%20pick%20Chinese%20loan/-/825442/965838/-/vx2ipfz/-/index.html Mbogo, S. (2010) The hidden hand in Sudan elections http://www.africareview.com/News/Hidden%20hand%20in%20Sudan%20elections/-/825442/896120/-/bfo843/-/index.html Oyuke, J. (2009) Iran gives Kenya Sh400m loan for projects http://www.standardmedia.co.ke/InsidePage.php?id=1144007549&catid=14&a=1

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S’engager avec les partenaires « émergents »: un point de vue kenyan

Emma Mawdsley, Département de géographie, Université de Cambridge Email: [email protected]

Mots-clés : Kenya ; aide indienne ; coopération Inde-Kenya ; visibilité chinoise ; présence du secteur privé indien ; coordination des donateurs. Résumé : À travers le cas du Kenya, cet article examine la manière dont les donateurs « émergents » que sont la Chine et l’Inde sont perçus au niveau national. Les institutions et les acteurs traditionnels de l’industrie du développement sont de plus en plus conscients de la présence des acteurs dits « émergents », et tentent de s’y adapter. Les initiatives pour dialoguer avec les acteurs « émergents » sont de plus en plus visibles, par exemple dans la création du Forum pour la coopération en matière de développement d’ECOSOC, dans les débats au sein du Forum global sur le développement de l’OCDE, et dans le Comité de développement conjoint de la Banque mondiale et du Fond monétaire international (FMI). En 2006, sous les auspices de la présidence russe, le G8 s’est associé à l’OCDE et à la Banque mondiale pour la tenue d’une conférence sur « Les donateurs émergents et la communauté mondiale du développement ». En 2005, le CAD a annoncé que les relations avec les donateurs hors CAD faisaient désormais officiellement partie de son agenda politique. Parmi les nouveaux mots à la mode, on retrouve le concept de « coopération

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triangulaire », dans laquelle un donateur du CAD et un donateur hors CAD coopèrent à travers un programme de développement dans un troisième pays (Altenburg et Weinhert 2007 ; Chahoud 2008 ; ECOSOC 2008). Certains des donateurs « émergents » font preuve d’enthousiasme pour ce genre de collaboration, et tentent de se rapprocher de la communauté du CAD – notamment certains membres hors CAD de l’OCDE, et un certain nombre de « nouveaux » États européens. D’autres sont plus prudents et semblent se méfier de l’alignement avec les donateurs traditionnels. Certains ne veulent pas limiter leur politique de développement de par les restrictions du CAD, alors que d’autres rejettent ouvertement ce qu’ils considèrent être des politiques et des pratiques de développement discréditées. Selon Rowlands (2008), le Brésil et l’Afrique du Sud seraient plus ouverts à la coopération « triangulaire », tout en maintenant une certaine réserve:

« Bien que moins réticent [que la Chine et l’Inde], le Brésil demeure méfiant par rapport à de tels arrangements, et prend soin de s’assurer qu’ils ne servent pas qu’à rétablir des vieux rapports hiérarchiques, dans lesquels il ne jouerait qu’un rôle subordonné à un donateur traditionnel. » (p. 16)

À quoi ressemblent ces initiatives qui tentent de s’engager avec les donateurs « émergents » sur le terrain, loin de Paris, Londres et New York ? Mon étude sur la coopération au développement entre l’Inde et le Kenya suggère que la communauté des donateurs « traditionnels » à Nairobi ne se préoccupe que de la Chine, à tort ou à raison. La présence et l’agenda de l’Inde, en tant que partenaire de développement officiel du Kenya, sont très modestes : actuellement, le Kenya dispose d’une ligne de crédit de 5 millions de dollars (partagée avec d’autres pays d’Afrique de l’Est) et d’environ 50 places de formation technique. Ce faible volume, typique pour la plupart des pays avec lesquels l’Inde a des partenariats de développement, n’a rien d’étonnant. Le dynamisme des relations entre l’Inde et l’Afrique de l’Est vient plus certainement d’un vibrant secteur privé indien engagé dans la mondialisation. Le 10 septembre 2007, la Stratégie conjointe d’assistance au Kenya (SCAK) a été lancée, après deux ans de négociations entre les 13 donateurs du CAD, la Commission Européenne, la Banque africaine de développement, l’ONU et le groupe de la Banque mondiale, tous présents au Kenya. La SCAK est une tentative, de la part de ces donateurs, de mieux harmoniser leur aide, dans l’esprit de la déclaration de Paris. Mes entretiens avec des représentants des donateurs bilatéraux et multilatéraux impliqués dans la SCAK ont révélé quelques-uns des problèmes et des bénéfices de la SCAK, tant au niveau du processus que des résultats obtenus. Les donateurs accordaient des degrés différents d’engagement au principe d’harmonisation, et présentaient une variété d’intérêts et d’avantages à soutenir ou, au contraire, à freiner le processus. J’ai demandé à toutes les personnes interviewées si elles avaient déjà considéré l’inclusion de l’Inde comme membre potentiel ou comme simple observateur de la SCAK. La réponse fut systématiquement négative, avec un étonnement plus ou moins grand face à cette idée ; dans la plupart des cas, cette idée ne leur avait jamais traversé l’esprit. Un interlocuteur d’une grande agence bilatérale a déclaré : « Jusqu’à ce que vous ne m’ayez posé la question, je ne m’étais jamais aperçu que nous ne parlions jamais de l’Inde ». La situation ne pourrait pas être plus différente lorsqu’on évoque la Chine. Même si l’intérêt pour établir un réel dialogue avec l’ambassade chinoise au Kenya était variable, chaque personne interviewée avait beaucoup de choses à dire sur le sujet. Tous étaient conscients d’une part des efforts déployés pour convaincre la Chine d’assister aux réunions importantes,

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et d’autre part des principaux débats entre les différents acteurs – Chinois, Kenyans et membres du CAD – impliqués dans les négociations. Tous connaissaient la position de la Chine sur les différents donateurs et sur les forums de donateurs, et tous étaient intéressés par le rôle croissant de la Chine au Kenya, en Afrique et dans le monde – et prêts à entrer dans des discussions assez détaillées sur le sujet. Quant à l’Inde, il semblerait que ses ambitions au niveau macro, son affirmation croissante et sa présence dans une variété de forums mondiaux (incluant les débats sur l’aide traditionnelle), n’arrivent pas à venir à bout de sa faible présence au niveau national. Dans le cas du Kenya au moins, et même si c’est un pays qui concentre une présence importante de donateurs, les donateurs du CAD ne cherchent pas à atteindre les donateurs « émergents » autres que la Chine. Ainsi, il semblerait que les négociations, le dialogue et la coopération/cooptation potentielle entre donateurs « traditionnels » et « émergents » se soient propagées jusqu’à la plupart des bureaux nationaux des agences bilatérales et multilatérales, mais de manière très inégale. Au Kenya, un pays clé pour de nombreuses agences de développement qui travaillent en Afrique de l’Est, le seul donateur « émergent » qui est pris en compte demeure la Chine. L’Inde, jusqu’à maintenant, avec ses modestes activités de développement, semble passer tellement inaperçue qu’elle n’est même pas perçue comme un donateur. Il y a, évidemment, des bonnes raisons pour cela. En termes formels, les activités de donateurs de l’Inde en Afrique de l’Est sont négligeables, et elles ne présentent pas de menace pour l’agenda du CAD puisqu’elles ne constituent pas une alternative, contrairement à celles de la Chine. Mais (au risque de paraître optimiste), c’est peut-être en travaillant ensemble sur le terrain avec les petits donateurs « émergents », que des opportunités d’apprentissage et de dialogue peuvent être créées. Pour l’article complet, contactez l’auteur ou voir : Mawdsley, E. (2010) ‘The Non-DAC donors and the changing landscape of foreign aid: the (in)significance of India's development cooperation with Kenya’. Journal of Eastern African Studies 4 (2), 361-79. References Altenburg, T. and Weikert, J. (2007) Trilateral Development Cooperation with ‘New Donors’. DIE Briefing Paper 5/2007. Chahoud, T. (2008) Financing for Development Series: Southern Non-DAC Actors in Development Cooperation. DIE Briefing Paper 13/2008. ECOSOC [United Nations Economic and Social Council] (2008) Background Study for the Development Cooperation Forum: Trends in South-South and triangular development cooperation. Avril 2008 Rowlands, D. (2008) Emerging Donors in International Development Assistance: A Synthesis Report. PBDD Report, Janvier 2008.

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Mali : Les nouveaux donateurs – Vers une nouvelle forme de coopération bilatérale

Djénéba Traoré, ROCARE, Bamako Email : [email protected]

Mots clés : indépendance, nouveaux donateurs, partenariat, développement Résumé : 17 pays africains célèbrent en 2010 le cinquantenaire de leur accession à l’indépendance. L’heure est à la réflexion et au changement de cap vers une relation plus décomplexée avec les anciennes puissances coloniales, fortement fragilisées par l’intervention de plus en plus visible et dynamique de partenaires provenant majoritairement du Sud, appelés les «nouveaux donateurs». Le présent article donne un aperçu de la politique menée au Mali par ces nouveaux coopérants opérant pour le compte de leurs Etats respectifs ou de nombreuses sociétés privées. Au Mali, les nouveaux donateurs sont majoritairement issus de nations émergentes telles que la Chine, le Brésil, la Russie, l’Inde et d’autres moins émergentes comme Cuba, l’Iran et la Turquie. Le dénominateur commun de ces pays est qu’aucun d’entre eux n’a colonisé le continent africain, certains ayant été même envahis et mis sous le joug colonial. Dès lors, nous pouvons nous demander comment les nouveaux donateurs sont arrivés en Afrique? Il y a-t-il eu un mode opératoire ? La probabilité est forte de répondre par l’affirmative, car les nouveaux donateurs comme l’Inde, la Chine et le Brésil ont utilisé la conquête culturelle, avant de tisser des liens économiques et diplomatiques avec les pays africains. En effet, les films venus du continent asiatique et les feuilletons brésiliens à rebondissement multiples ont conquis le public africain dès le début des années 1960 pour les premiers et celui des années 1980 pour les seconds. Cette donne culturelle n’est pas à négliger, si nous voulons comprendre les raisons profondes du succès de certains nouveaux partenariats économiques et politiques. La coopération russe, quant à elle, peut s’enorgueillir du fait que plus de 10 000 Maliens ont, de 1960 à nos jours, effectué leurs études supérieures dans des universités russes. Ainsi, lorsque les liens de coopération plus durables se sont établis, les nouveaux donateurs étaient d’ores et déjà acceptés par les élites et les populations africaines séduites par leurs cultures et leurs modes de vie. Peut-on dès lors établir un lien avec la stratégie coloniale ? D’une méthode à l’autre, il n’y a qu’un pas que certains s’empresseront à tort ou à raison de franchir, car c’est avec la bible et les missionnaires que la pénétration coloniale a débuté en Afrique de l’Ouest durant la seconde moitié du 19ème siècle. La véritable raison, nous le savons, était d’ordre économique et hégémonique. Ce qui caractérise la politique des nouveaux donateurs, c’est la recherche de relations plus humaines basées sur des principes égalitaires dans l’établissement de liens de coopération bilatérale et multilatérale. Bien avant la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide, les nouveaux donateurs avaient compris que l’aide au développement devait être directement dirigée vers les communautés locales et les populations vivant en zones rurales, sans accès à l’eau, l’électricité, aux services sociaux de santé et à l’éducation. La coopération sino-malienne par exemple existe depuis le 25 octobre 1960, aussi la Chine a-t-elle bâti sa coopération bilatérale sur le socle d’une « amitié traditionnelle » avec le Mali.

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Les chiffres des échanges commerciaux entre les deux pays sont en nette progression depuis 2005 avec l’intervention intensive de la Chine dans la construction, l’octroi de prêts sans intérêt et la facilitation douanière pour certains produits maliens en Chine. La coopération culturelle entre la Chine et le Mali a fait l’objet d’un accord signé le 15 juillet 2004 portant sur la formation des formateurs, l'enseignement et l'organisation des stages de formation. Dans le domaine de la santé, la Chine a construit un Centre anti-paludique et un hôpital moderne à Bamako. De plus, elle envoie des missions médicales, des médicaments, équipements sanitaires et financements d'urgence sur toute l’étendue du territoire national. La coopération Mali-Inde se développe depuis 2009 dans le domaine de l'électrification villageoise par le système d’énergie solaire et du développement des énergies renouvelables. La coopération bilatérale Mali-Brésil se veut axée sur la nécessité pour le Mali d’aller vers le développement socio-économique. Ainsi, le Mali a signé avec le Brésil en 2002 un protocole d’accord relatif au transfert des technologies dans le domaine de la recherche agronomique et l’amélioration de la culture du coton. Grâce à ces dispositions, le Mali compte augmenter ses capacités de production et créer des centaines, voire des milliers de nouveaux emplois. Un accord a également été scellé entre les deux parties sur la suppression des visas pour les détenteurs de passeports diplomatiques et de service. Par ailleurs, de nombreuses sociétés brésiliennes ont exprimé leur intention de s’installer au Mali dans les prochaines années. Le partage des expériences réussies constitue également un axe de coopération entre le Brésil et le Mali. Dans cette optique, les opérateurs économiques maliens ont été invités à se rendre au Brésil, en vue de s’imprégner des acquis réalisés par cette nation émergente dans le domaine de la santé, de l'éducation et de l'énergie renouvelable. Fait marquant, l’aide au développement octroyée par les nouveaux donateurs n’est pas conditionnée par la prise en compte de facteurs liés à l’instauration de la démocratie et des droits de l’homme, comme l’exigent les pays du Nord. Cependant, il existe une contrepartie: à titre d’exemple, la construction d’un hôpital pour le Mali par la Chine a été négociée contre l’exploitation forestière à Kita, une région faisant déjà l’objet d’une surexploitation de sa flore. Toutefois, il convient de retenir que ce qui est mis en avant par les nouveaux donateurs, c’est le rapprochement des peuples et le caractère mutuellement avantageux de la coopération, en vue de favoriser le progrès social et économique. Les donateurs les plus anciens, qui sont pour la plupart les anciennes puissances coloniales ont à apprendre que les temps passés sont révolus et que l’Afrique nouvelle souhaite être traitée d’égale à égale lors des négociations. L’Afrique d’aujourd’hui a un besoin urgent de transfert de compétences et de renforcement des capacités de ses institutions et ressources humaines, sans lesquels les milliards de dollars qui lui sont versés au nom de l’aide au développement depuis cinq décades n’auront aucun effet.

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Cela, les nouveaux donateurs l’ont compris et appliqué. Sites web consultés le 15 août 2010 [A noter que ces références de sites web couvrent davantage de relations bilatérales que celles qui sont discutées dans cet article. Editeur] Coopération Mali-Afrique du Sud www.malikounda.com/nouvelle_voir.php?idNouvelle=8068 - www.malikounda.com/nouvelle_voir.php?idNouvelle=6567 - www.journaldumali.com/article.php?aid=989 - Coopération Mali-Inde www.malikounda.com/nouvelle_voir.php?idNouvelle www.malikounda.com/nouvelle_voir.php?idNouvelle www.malijet.com/...du_mali/cooperation_mali_inde.html Coopération Mali-Iran www.malijet.com/index.php?news=26072 www.malijet.com/...malienne/coop_ration_mali-iran_le_pr_sident_iranien_mahmoud_ahmadinejad_d.html Coopération Mali-Chine www.malikounda.com/nouvelle_voir.php? www.malikounda.com/nouvelle_voir.php?idNouvelle. www.primature.gov.ml/index.php? www.grioo.com/ar,cooperation_mali_chine_une_relation_qui_prend_un_gout_de_troc,13217.html www.temoignages.re/renforcer-l-amitie-et-la,12912.html quebec.com/.../about5914.html&sid=d3f41515e2dc1031b8316c3dd2b0c9cb ml.china-embassy.org www.maliweb.net/category.php?NID=14612 www.malijet.com/...mali/coop_ration_mali-chine_une_nouvelle_sucrerie_dans_24_mois.html french1.peopledaily.com.cn/International/7014725.html Coopération Mali-Brésil www.malikounda.com/nouvelle_voir.php?idNouvelle www.journaldumali.com/article.php?aid=1314 www.journaldumali.com/article.php?aid=1300 - www.essor.ml/societe/article/mali-bresil-mission-prospective sports.maliweb.net/category.php?NID=52209 www.info-matin.net/index.php? Coopération Mali-Cuba cubasilorraine.over-blog.org/article-mali-amerique-latine-vers-une-cooperation-gagnant-gagnant-le-journal-du-mali-37493849.html www.malikounda.com/nouvelle_voir.php?idNouvelle=3063 www.malikounda.com/nouvelle_voir.php?idNouvelle=5043 www.primature.gov.ml/.../index.php?emba.cubaminrex.cu/malifr/ www.malijet.com/...mali/cooperation_sportive_mali_cuba_hamane_niang.html

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www.malipages.com/presse/news_03_05/news_0067.asp www.afribone.com/spip.php?article3876 Coopération Mali-Russie ambamali-russie.ru/ - www.un.int/wcm/webdav/site/mali/.../fr/.../1164134682.pdf - www.malikounda.com/nouvelle_voir.php?idNouvelle=9441 - Coopération Mali-Turquie www.malikounda.com/nouvelle_voir.php?idNouvelle=7145 www.malikounda.com/nouvelle_voir.php? www.afribone.net.ml/spip.php?article1163 sports.maliweb.net/category.php?NID=41339 www.ortm.ml/articaldetails1.php?ID=1200&DATE...0

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A PROPOS DU NORRAG

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Le nouveau site Web est en ligne – Dernières nouvelles

Secrétariat NORRAG Email: [email protected]

Le NORRAG estime que son site Web www.norrag.org est un outil essentiel de dissémination pour la Lettre de NORRAG (LN), ainsi que pour les activités du réseau et le réseautage (networking) entre ses membres. Pour ces raisons, le NORRAG a entrepris deux phases de développement de son site depuis 2006 afin de le rendre plus efficace. Voici un résumé des changements les plus récents que nous avons apporté au site Web. Mise à jour de norrag.org (octobre 2009) Le système de gestion des contenus a été mis à jour, afin que nous puissions utiliser les outils Web les plus récents. Il y a désormais un accès libre (sans avoir à s’enregistrer) à la plupart des contenus du site Web, incluant : tous les articles en ligne, y compris les derniers numéros ; toutes les notes de synthèse (policy briefs) ; tous les anciens numéros de la LN, articles et éditoriaux y compris. Seuls quelques contenus requièrent un nom d’utilisateur et un mot de passe pour y avoir accès : i) le dernier numéro de la LN, en format pdf ; ii) l’outil de réseautage de NORRAG ; iii) les informations personnelles des membres. Les modalités d’enregistrement ont été améliorées, afin que les membres puissent inscrire plusieurs régions et domaines d’expertise. Les membres déjà enregistrés peuvent voir leur profil et le mettre à jour en utilisant un mot de passe. Un nouveau moteur de recherche de style Google, avec des options pour une recherche simple ou avancée, a remplacé l’ancien moteur de recherche. Le système d’alertes par email a été mis à jour. Finalement, l’outil Google Analytics a été installé et nous permettra de savoir d’où viennent nos visiteurs et comment ils utilisent notre site Web. METTEZ VOTRE PROFIL À JOUR AFIN D’AVOIR ACCÈS ILLIMITÉ À TOUT LE SITE DE NORRAG !! Pour ce faire, c’est très simple, vous devez faire une mise à jour de votre profil. Sur la page d’accueil, vous trouverez une boîte intitulée « You are a member already » (« Vous êtes déjà membre »). Entrez-y votre adresse email, et vous serez redirigé vers un écran vous permettant de mettre à jour votre profil, incluant le choix d’un mot de passe.

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Réponses au sondage NORRAG : Résumé des résultats

Secrétariat NORRAG Email: [email protected]

Entre novembre 2007 et janvier 2008, NORRAG avait interrogé ses membres en ligne afin de connaître leur opinion sur ses activités. Le sondage était le premier du genre pour l’organisation, et il nous avait donné des informations précieuses sur les membres, ainsi que des idées sur la direction que NORRAG devait prendre. Deux ans plus tard, un sondage

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comparable a été effectué du 15 avril au 11 juin 2010. Nous avons obtenu un total de 230 réponses. Répartition des membres par types d’institutions

• Un des objectifs de NORRAG est « le plaidoyer critique en matière de politiques et de stratégies d’éducation et de formation auprès des gouvernements, des ONG et d’autres organisations ». Les réponses au sondage suggèrent que 70% des membres proviennent de ces types d’institutions (gouvernements : 13%, agences d’aide : 8%, ONG : 14% et établissements d’enseignement supérieur : 36%). Il semble donc que NORRAG arrive à atteindre directement ces groupes.

• On peut aussi affirmer que NORRAG rejoint, indirectement, d’autres organisations à travers les 20% de ses membres qui sont des consultants ou des étudiants.

Utilisation de norrag.org

• Plus de la moitié des sondés ont déclaré qu’ils consultent régulièrement le dernier numéro de la LN, alors qu’un quart d’entre eux consultent aussi régulièrement les anciens numéros. Les numéros précédents sont encore très populaires.

• La manière la plus répandue d’accéder au contenu de la lettre du NORRAG est de lire un ou deux articles en ligne, sans nécessairement télécharger tout le numéro en format pdf. Environ le quart des répondants a indiqué utiliser la LN comme outil de référence.

• Environ 70% des sondés n’avaient jamais utilisé l’outil de réseautage de NORRAG, bien que 50% estiment que ce soit un outil potentiellement très utile.

• Presque deux tiers des répondants ont indiqué que les notes de synthèse constituent un résumé efficace du numéro complet de la lettre du NORRAG, ou encore un avant-goût qui leur donne envie de lire les articles individuels.

Utilisation de la LN

• Dans l’ensemble, il semble que les membres utilisent la LN pour être au courant des dernières évolutions en matière d’éducation et de formation. Une personne sur cinq a aussi déclaré utiliser la LN très souvent pour des travaux de recherche.

• Plus de 40% des répondants ont déclaré utiliser la LN pour la préparation de projets ou de politiques publiques, souvent ou très souvent.

Opinions sur les derniers numéros (NN 41, 42 et 43)

• L’immense majorité (plus de 95%) dit considérer les derniers numéros de la LN très bons ou excellents. Personne n’a dit penser que ces numéros étaient mauvais.

Atteinte des objectifs du NORRAG Les objectifs du NORRAG sont :

1. La collecte, l’analyse critique et la synthèse d’informations sur les politiques publiques et les stratégies en matière d’éducation et de coopération internationale.

2. La dissémination d’informations récentes sur les politiques d’aide. 3. La proposition d’un plaidoyer critique en matière de politiques et de stratégies

d’éducation et de formation auprès des gouvernements, des ONG et d’autres organisations.

4. La coopération avec d’autres réseaux afin de partager l’information, de mener des programmes conjoints, d’allier les efforts de plaidoyer et de renforcer les réseaux.

• Par rapport au sondage de 2007, plus de membres du NORRAG considèrent que ces

objectifs sont atteints.

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• Les membres considèrent que le premier objectif est le plus atteint : 93% des répondants ont indiqué que le NORRAG arrivait très bien ou assez bien à atteindre cet objectif (ce chiffre était de 89% en 2007). Seuls 2% des répondants ont indiqué que l’objectif n’était pas atteint.

• De même, le deuxième objectif est considéré comme étant bien atteint par 86% des membres, alors que ce nombre était de 79% en 2007. 3% des membres ont indiqué que l’objectif n’est pas atteint, contre 7% en 2007.

• En ce qui a trait à l’objectif 3, 71% des membres considèrent qu’il est très bien ou bien atteint, alors que ce nombre était de 67% en 2007. Toutefois, 10% des membres estiment qu’il n’est pas atteint, contre 14% en 2007.

• 59% des membres estiment que le quatrième objectif est très bien ou bien atteint, alors que ce nombre était de 53% en 2007. Toutefois, seulement 6% des membres estiment que cet objectif n’a pas été atteint, contre 20% en 2007.

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Réunion sur les compétences entre l’IAMR et NORRAG à New Delhi

Kenneth King, Hong Kong Institute of Education/NORRAG

Email: [email protected] Cette réunion donnait suite à la conférence de NORRAG sur la définition de politiques publiques dans le développement des compétences, qui avait eu lieu à Genève en juin 2009. Le Dr. Santosh Mehrotra, directeur de l’Institute for applied manpower research (IAMR) était présent à Genève. Il y avait exprimé le besoin crucial de ce genre d’analyse critique des compétences, y compris par des donateurs et par des chercheurs intéressés par le développement des compétences, au moment où l’Inde s’apprête à livrer la plus ambitieuse politique de compétences jamais formulée. Un texte de référence avait donc été rédigé, intitulé Les défis auxquels fait face le développement des compétences en Inde. C’est ce texte qui a servi de base pour la série de discussions très interactives qui ont eu lieu à New Delhi, les 6 et 7 mai 2010. NORRAG devait proposer l’éclairage d’experts internationaux : Adrienne Bird sur l’Afrique du Sud, et Enrique Pieck sur le Mexique. Leurs perspectives internationales furent très appréciées, dans un débat qui portait essentiellement sur la situation spécifique à l’Inde. Le document de préparation rédigé pour cette occasion sera aussi débattu en septembre 2010 à la Conférence régionale sur le développement des compétences de Dhaka, organisée par la Coopération suisse (DDC), avec le soutien de NORRAG. Le rapport complet de la réunion de Delhi sur les compétences est en cours de finalisation.

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Réunion NORRAG à Addis Abeba

Stéphanie Langstaff, Université d’Addis Abeba Email: [email protected]

NORRAG, en collaboration avec l’Organisation pour la recherche en sciences sociales en Afrique de l’Est et Australe (Organization for Social Science Research in Eastern and Southern Africa, OSSREA), a organisé une rencontre à Addis Abeba le 13 avril 2010. La rencontre portait sur « L’utilisation et l’utilité de la recherche éducative et des rapports mondiaux sur le développement - Une perspective éthiopienne », et donnait suite au numéro 43 de la LN sur les rapports mondiaux. Elle a rassemblé 27 participants, issus d’institutions de formation et de recherche, de ministères, d’organisations internationales et de l’agence britannique de coopération DFID. Après une brève présentation de NORRAG et du numéro 43 de la LN par Kenneth King, et une présentation de Dominic Agyeman du ROCARE, les participants ont discuté des éléments suivants : 1) Les décideurs éthiopiens lisent-ils les rapports de recherche ou les rapports mondiaux ? Paschal Mihyo, le directeur de l’OSSREA, a souligné quelques éléments essentiels à propos des décideurs et de leur utilisation des savoirs globaux. Les rapports divers, tout comme la LN, ne sont pas à la portée des décideurs à cause de leur format. En effet, ils sont longs et difficiles d’utilisation, alors que les décideurs aiment lire des textes courts, qui leur seront directement utiles. Le message doit être concis, et rédigé dans une langue facile à comprendre pour les décideurs. Selon certains participants, la majorité de la recherche menée en ce moment n’est pas pertinente pour le contexte et les besoins africains, et n’intéresse pas les décideurs. Cela pourrait s’expliquer par la faible présence de chercheurs africains au sein des équipes de recherche mobilisées pour les rapports mondiaux sur le développement. 2) Comment les rapports mondiaux et la recherche éducative influencent-ils les politiques et les discours ? Les participants étaient d’accord que ces savoirs globaux ont une influence sur les priorités et sur les discours en Ethiopie. Les décideurs éthiopiens sont soucieux de leur image, et de la position du pays dans divers classements internationaux. Les statistiques sont donc l’élément qui les influence le plus. L’influence des rapports mondiaux est aussi liée à la conditionnalité de l’aide et aux prescriptions politiques qui accompagne l’aide des donateurs étrangers. Ces dernières années, plusieurs nouvelles expressions et thématiques de recherche ont fait leur entrée en Éthiopie : « assurance de qualité », « évaluation et résultats des apprentissages », « meilleures pratiques » ou « évaluation comparative » (« benchmarking »). Cela signifie que l’architecture globale de l’aide transfère des savoirs qui influencent les priorités politiques, ainsi que la terminologie et les idées de la manière dont l’éducation devrait être dispensée. Cela pourrait ainsi saper la réflexion sur la définition du type d’éducation le plus approprié pour le pays. D’ailleurs, certains participants ont souligné une contradiction intéressante : les rapports mondiaux et les savoirs globaux influencent les politiques nationales, alors que selon la déclaration de Paris, ce devrait être les donateurs qui alignent leurs politiques avec les priorités nationales.

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Toutefois, pour des raisons historiques, l’Éthiopie ne suit pas de modèle précis et elle maîtrise elle-même ses politiques. Ainsi, le gouvernement éthiopien définit des priorités qui ne sont pas déterminées par les donateurs ni par l’architecture globale, par exemple sur le développement de l’éducation post-secondaire. L’Éthiopie a aussi une influence sur les politiques mondiales : la nouvelle stratégie de DFID en éducation s’est inspirée de la stratégie éthiopienne pour augmenter les taux d’inscription à l’école primaire. L’Éthiopie a d’ailleurs été invitée à partager son expérience lors de la rencontre de haut niveau de l’Éducation pour tous (EPT), qui a eu lieu à Addis Abeba en février 2010. Finalement, un participant a expliqué que les liens entre la politique et la recherche jouent un rôle important dans le pays ; l’impact des recommandations est lié à la manière dont elles s’insèrent dans les priorités politiques. Le contenu des rapports de recherche ou des rapports mondiaux n’est pas simplement transféré ; il est sélectionné, réinterprété et adapté. 3) Quelles sont les conditions nécessaires pour stimuler l’utilisation des résultats de la recherche en Éthiopie ? Les liens entre le gouvernement et les chercheurs sont minces et peu nombreux. Le gouvernement a besoin d’une structure pour absorber et utiliser la recherche. Les groupes de réflexion [think-tanks] sont plus utilisés par les donateurs que par le gouvernement. Il n’y a, pour le moment, aucune plate-forme pour susciter le dialogue entre les chercheurs, les décideurs, les praticiens et d’autres acteurs importants comme les parents d’élèves et les ONG. L’examen des politiques a lieu chaque année, mais les chercheurs n’y sont pas invités. Le représentant de DFID a expliqué que les liens sont aussi ténus entre les chercheurs et les donateurs. DFID soutient la recherche axée sur les politiques publiques, grâce au financement du PNUD, mais ne reçoit que très peu de propositions de recherche de la part de chercheurs éthiopiens. Le contrat stipule que seulement 25% de leur temps doit être consacré à la recherche. Les projets soumis par les universités sont examinés par un processus très long, allant jusqu’au ministère de l’Éducation. Une fois qu’un projet est accepté, l’argent met encore du temps pour parvenir aux récipiendaires. Par conséquent, ils s’impliquent plus dans l’enseignement, qui est plus avantageux économiquement. Dans l’ensemble, cette rencontre a donné aux participants l’occasion de se rencontrer, d’échanger leurs opinions et leurs expériences, et d’en savoir plus sur NORRAG. Suite à la rencontre, le nombre de membres éthiopiens de NORRAG a augmenté de 25%, passant de 33 à 40 membres. Nous espérons que ces nouveaux membres contribueront à la LN. Depuis ses débuts, il n’y a eu que quatre articles portant sur l’Éthiopie (dans les numéros 19, 33, 40 et 42), dont un seul était écrit par un chercheur éthiopien – et ce bien que 112 membres de NORRAG aient déclaré posséder une expertise sur l’Éthiopie (40 résidants et 72 membres vivant hors du pays).

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POST-SCRIPTUM [Nous terminons, comme nous avons commencé, avec une question sur l’identité de ces nouveaux venus qui ne sont pas si nouveaux, et sur les acteurs du développement qui se déplacent, pour des raisons stratégiques, entre différents rôles sur la scène de l’aide au développement. L’éditeur]

Danser sur la scène des BRIC ? La Chine, donateur émergent et traditionnel

Zhou Shuqing, Université de Zhejiang, Jinhua Email : [email protected]

Résumé : En tant que donateur, la Chine occupe une position floue entre le rôle de donateur traditionnel et celui de donateur émergent. L’aide au développement peut être considérée comme un opportunisme, et elle n’est qu’un aspect de la stratégie chinoise pour devenir un pays dominant. Mots-clés : Chine ; donateur émergent ; BRIC ; aide publique au développement ; opportunisme. En tant que membre des BRIC, la Chine est en pleine ascension. En offrant un soutien aux pays en développement, la Chine joue un rôle de plus en plus important. Le monde a remarqué ce nouvel acteur, un donateur émergent significatif. La Chine s’occupe pourtant d’aide au développement depuis les années 1960, époque depuis laquelle le pays n’a jamais ralenti son rythme. Avant l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping, l’aide chinoise était chargée d’une idéologie politique rigide. Mais ces dernières années, la Chine a accru l’importance de ses intérêts commerciaux dans aide, et avec les autres pays BRIC, elle met au défi les standards et les normes créés par les donateurs traditionnels. Le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud et la Chine partagent certaines caractéristiques dans leur aide au développement, qui contrastent avec les donateurs traditionnels. Ceux-ci se concentrent sur l’évaluation environnementale, la démocratisation, la bonne gouvernance et l’élimination de la pauvreté, tandis que les donateurs émergents orientent leurs programmes vers la stabilité locale et la sécurité. De plus, les intérêts commerciaux poussent leur assistance vers des endroits plus reculés. On peut résumer ces caractéristiques comme suit : ils mettent l’accent sur le partenariat et la coopération Sud-Sud ; les besoins et les intérêts locaux sont considérés ; l’égalité est présente ; les principes d’échange réciproque, de respect et de privilège sont pris en compte. Tous ces éléments contrastent avec les donateurs traditionnels. À la lumière de ces éléments, les donateurs émergents ont été l’objet d’une attention accrue depuis dix ans, et les pays récipiendaires de l’aide ont salué leurs efforts. Au sein de ces nouveaux donateurs, la Chine est encore plus particulière. Le pays poursuit un objectif d’influence mondiale, laquelle pour le moment est toujours aux mains des États-Unis.

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Le développement de son impact international, qui fait partie de ce qu’on peut appeler la Renaissance chinoise, est devenu l’un de ses objectifs principaux. Dans ce contexte, la Chine pose des gestes concrets. D’une part, elle a montré au reste du monde son caractère distinctif, afin d’obtenir plus d’influence dans les affaires internationales. Elle caresse aussi le rêve de devenir le leader du monde. D’autre part, la Chine aspire à gagner du pouvoir au sein de la hiérarchie traditionnelle, notamment par ses actions au sein de l’ONU et du FMI. C’est à partir de ces idées directrices que la Chine joue son rôle en tant que donateur. Elle est tentée tant par les rôles de donateur traditionnel que par ceux de donateur émergent. Et son choix d’agir comme l’un ou l’autre dépend de ses intérêts stratégiques, ainsi que de l’environnement extérieur. La force nouvelle et émergente arrivera-t-elle à dépasser l’ancienne, la question demeure. On peut comprendre cette question grâce à une métaphore : la Chine agit comme un danseur, et les BRIC forment sa scène. Si elle se sent fatiguée ou étourdie, elle va en descendre et reprendre son rôle traditionnel. Si les pays BRIC sont assez puissants pour créer une nouvelle scène, elle n’en descendra jamais. À ce moment, elle y occupera une position dominante. Voilà comment est la Chine : un pays à l’affût de toutes les chances, entre l’ancien et le nouveau. Pour la Chine, la question du choix entre les manières de faire traditionnelles et émergentes ne se pose pas. L’aide publique au développement n’est qu’une manière d’atteindre ses objectifs stratégiques, qui se résument à l’extension de son pouvoir mondial. Les modalités de l’aide, qu’elle soit ancienne ou nouvelle, ne sont que des étapes sur l’autoroute qui mène à son objectif ultime : devenir un pays mondialement dominant. Suggestions de lecture The Economist, “Brazil's foreign-aid programme: Speak softly and carry a blank cheque”, disponible sur: http://www.economist.com/node/16592455?story_id=16592455 (en anglais) Les études du CRDI sur les économies émergentes et l’aide au développement international sont disponibles ici : http://www.idrc.ca/fr/ev-140964-201-1-DO_TOPIC.html .

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