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DANS CE NUMÉRO :
DOSSIER : Le temps d’un rêve
Parole de Marmotte nº13 : La chasse aux rêves est ouverte/Rêve de
marmotte … 2-3
Tu rêves !… 3
Défragmentation cérebrale … 5
B’Rêve-sur-Roya… 6
Si j’avais un rêve/si j’avais un cauchemar… 6
Psychanalyse du tunnel de Tende … 7
[OREILLES TENDUES] Dialogue avec un chevreuil rêveur… 7
Du rêve à l’action … 8
Rêve de sciences … 9
Les nouveaux dieux … 10
Aux prisonniers mutinés … 11
JOURNAL DE N’IMPORTE QUI - L’art endormi … 12
PAROLE AUX USAGERS DU TRAIN … 13
CEUX QUI MARCHENT SUR NOS ROUTES … 13
INITATIVES LOCALES :
Le SEL du Citron … 14
La pépinière de Bendola … 14
COURRIER DES LECTEURS … 15
ACTUALITÉS : Linky, UNESCO, Véolia, Eau, Train, Tunnel de Ten-
de, Arrêté 19 tonnes, Loi de sécurité intérieure 2017… 15-16
ÉVÈNEMENTS EN ROYA - BEVERA … 16
La marmotte La marmotte déroutéedéroutée
Janvier 2018 - nº13 - Prix libre
UN JOURNAL POUR LA ROYA
Le temps d’un rêve Souvent, ses rêves sont des
villes. Villes grandes, dont elle arpente le bitume sans
objectif apparent. Paysages issus d’une mosaïque de sou-
venirs transformés par l’imaginaire : un coin de rue sur-
monté d’une maison colorée à deux étages avec une épi-
cerie ou un garage donnant sur le trottoir, un édifice flan-
qué d’autres édifices, le dernier rayon du soleil se reflé-
tant sur leurs parois en verre. Un arbre, avec des feuilles
de printemps, seul au milieu de ces reflets. D’un rêve à
l’autre, ces fragments de ville se mélangent, se recompo-
sent, s’allient à d’autres fragments. Morceaux de rues
couvertes de boue séchée, bordées de murs peints à la
chaux, de longues voies droites dont les pavés scintillent
à la lueur de la lune, fils électriques d’un tramway enche-
vêtrés au-dessus d’un carrefour, cloches violettes des
fleurs d’un jacaranda, un bouleau dégarni par l’automne,
traverses crasses lavées au jet d’eau par quelque som-
nambule forcé. Ces villes, elle les explore souvent de
nuit. Souvent, le ciel finit par s’éclaircir, mais le monstre
urbain ne s’ébouriffe pas encore. Alors, à regarder le jour
venir, dans le silence d’avant le premier chant d’oiseau,
elle trouve, souvent, une sensation d’intense quiétude. La
sensation d’avoir le temps.
Le temps, une des multiples obsessions sur lesquelles nos
rêves font le jour. Le temps qui manque, qui passe trop
vite, qui passe sans qu’il ne se passe rien, qui traîne en
longueur quand le sommeil nous fuit. Le temps qu’on tra-
que quand on décide de ne pas dormir, qu’on croit avoir
vaincu à la fin d’une nuit blanche ou lorsqu’on se lève
avant le jour, quand le « tout est à faire » ne nous paralyse
pas encore. Le temps qu’on perd à parfaire quelque ouv-
rage qui ne nous satisfera jamais. Le temps que nos rêves
mettent en scène, dilatent, tordent ou font durer. Le
temps dont on refuse la tyrannie quand on se laisse aller
à la rêverie. Ou le temps qu’on saisit, l’espace d’un ins-
tant, lorsqu’un rêve rencontre le réel.
L’hiver est la période d’hibernation chez les marmottes.
Voyant s’accroître la distance entre ses souhaits et une
réalité qu’elle n’arrive pas à faire sienne, la nôtre sombre
peu à peu dans le sommeil : léger d’abord, profond, puis
paradoxal. Le temps de prendre le temps de rêver sé-
rieusement. Bonne lecture.
Publication autogérée par des habitants de la vallée de la Roya - www.la-marmotte-deroutee.fr - [email protected] - 07 68 05 65 34
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Page 2
PAROLE DE MARMOTTE Nº13
10h35. [Messages reçus. Expéditeur :
Stagiaire nº1] « Opération réussie. J’ai le sujet. Respiration
stable, rythme cardiaque ralenti. Toutes les caractéristiques
d’un vrai sommeil hivernal »
- Aaah ! …. (Le professeur Delporte affiche des signes mani-
festes de satisfaction en verrouillant son smartphone) Voilà
qui est fait. Excellente nouvelle. Nous allons pouvoir commen-
cer ! Enfin, si vous êtes engagée, bien sûr !
- Justement, si vous pouviez me résumer l’objet précis de mon
stage… (La candidate, d’une trentaine d’années, brune et
anguleuse, sort un stylo et un calepin. Elle est toute ouïe, et
souhaite que cela se voie).
- Le programme auquel vous avez postulé est probablement le
plus ambitieux depuis que l’Homme a marché sur la Lune. A
nous, à vous aussi, si vous avez à travailler avec moi, de le
prouver à ceux qui nous prennent pour des rigolos, là-haut, au
Ministère. Comme vous l’avez lu dans la description du poste,
il s’agit, dans un premier temps, d’une expérience de capta-
tion et d’interprétation des rêves d’un animal, une marmotte
des Alpes. Qu’est-ce qui vous pousse à faire ce stage ?
- J’ai le projet d’ouvrir un cabinet de zoothérapie [1]. Mon ex-
périence de psychologue a besoin d’être complétée par une
meilleure compréhension des affects d’animaux sauvages. Ce
stage m’offre une opportunité immanquable. Bien entendu, je
serai aussi heureuse d’apporter ma pierre à l’édifice de la
science.
- Bien. Ce que la description ne dit pas, mais que vous devez
comprendre pour mesurer l’ampleur de l’enjeu, c’est la nature
de ces rêves et le choix particulier du sujet. Cette marmotte
n’est pas comme les autres. Depuis plus d’un an, elle a aban-
donné son habitat naturel, et notre agent vient de la localiser à
15 km en aval. L’année dernière, elle
n’a pas hiberné, c’est dire à quel point
son comportement est anormal. Nous
tenons de source sérieuse qu’elle se
comporte ainsi en réaction à une modi-
fication brutale de son environnement.
Mais aussi, tenez-vous bien, il semble-
rait qu’elle soit guidée par ses rêves.
Un rêve en particulier lui a fait prendre
la direction du littoral, jusqu’à rentrer
en contact avec le RAR.
- Le RAR ?
- Renseignements animaux de la Roya.
Une organisation animale dont l’objet
pourrait être subversif. C’est ce que
nous chercherons à prouver.
- Ah…
- Vous me prenez pour un fou ?
- Non, pas du tout, j’ai toujours été
convaincue que le danger était partout.
- Le fait que les animaux puissent s’organiser ne vous cho-
que pas ?
- Non, mes chats forment souvent des coalitions contre moi
pour voler de la nourriture.
- Bien. Lire les rêves de cette marmotte nous permettra d’y
retrouver des souvenirs, des images de ce qu’est le RAR. Une
forme de vidéosurveillance déléguée. Certes, ces images
seront déformées par le filtre psychique du rêve, c’est là que
nous allons avoir besoin de vous.
- Ce sera un défi passionnant !
- Je n’ai pas fini. Pour une raison qu’on ignore encore, notre
sujet semble être important pour le RAR. Une hypothèse,
encore à vérifier, est que l’organisation soit, elle aussi, inté-
ressée par ses rêves. Voire, même, qu’elle y cherche des
messages pour orienter ses actions.
- Comme dans certaines sociétés indigènes, guidées par les
rêves des chamans ?
- Par exemple. Si l’hypothèse se vérifie, intercepter les rêves
de cette marmotte nous permettra d’anticiper les mouve-
ments du RAR et d’apporter la preuve de son existence.
- Extraordinaire. Je peux vous poser une question ?
- Faites.
- Pourquoi un laboratoire de pointe comme le vôtre fait-il
appel à des stagiaires pour des missions aussi délicates ?
- Par manque de budget. Au Ministère, ils nous prennent
pour de doux rêveurs. Ils refusent obstinément d’admettre
que les animaux sont capables d’organisation et qu’ils ont
donc le potentiel de se rendre dangereux pour l’équilibre
fondamental de notre société. Ils ne se rendent pas compte
non plus des formidables débouchés commerciaux que rep-
LA CHASSE AUX RÊVES EST OUVERTE
Déroutée par sa crainte des bouleversements irréversibles que lui annoncent les travaux au col de Tende, la « petite
reine des tunnels », une marmotte des alpages de la Haute Roya, quitte son terrier et part découvrir le vaste monde à
la recherche d’une solution. « Parole de Marmotte » est son journal de bord. Elle y retrace sa quête et ses appren-
tissages du monde des Humains. Pour retrouver les précédents épisodes, lisez les pages 2 des anciens numéros.
LE TEMPS D’UN RÊVE
La Marmotte déroutée
DOSSIER :
Page 2
résenteront les données de notre expérience ! Les chercheurs
en biologie ou en neurosciences donneront cher pour y accé-
der ! Et que dire des gribouillards en sciences sociales qui vous
font des tartines sur l’intériorité des non-humains ? Non, au Mi-
nistère, ils nous laissent à peine survivre. Tout notre budget
part dans le matériel. Vous ne serez pas rémunérée. Ils ne fer-
ment pas notre labo parce qu’il leur donne une caution écolo,
cette fleur verte gentille qu’on colle en bas des rapports. Ils
n’ont aucune idée de la portée géostratégique et commerciale
de nos travaux. Ni de leur contribution notoire à la sécurité in-
térieure.
- En effet.
- Et puis, imaginez seulement, si on se laisse rêver un peu, pour
de bon cette fois : si nous trouvions un moyen d’orienter les
rêves du sujet ? Ce serait un pari incroyable, mais il n’est pas
complètement hors de portée. Vous savez que des expériences
sont déjà menées en ce sens sur des sujets humains, avec leurs
premières applications commerciales [2] ? Mais nous n’en som-
mes pas là. Et il nous faudra faire vite, pour remettre cette mar-
motte dans le circuit à temps. Vous le voulez, ce stage ?
- Oui, Monsieur.
- Alors, au travail !
* * *
10h36. À la sortie du tunnel ferroviaire hélicoïdal de
Berghe. Le stagiaire nº 1, regard fuyant, lunettes vissées au
bout du nez, enlève le bout de tissu imbibé d’éther du mu-
seau de la Marmotte. Il se saisit d’un sac de sport couleur
crème, aux bords renforcés et percés de trous pour y dépo-
ser délicatement la bête immobile.
* * *
10h36. À la sortie du tunnel ferroviaire hélicoïdal de
Berghe. Deux ombres encapuchonnées observent la scène.
- Enfoiré, il l’emporte.
- T’inquiète. Il a l’air d’un bleu. On va le suivre.
* * *
12h. Vallon de la Bendola, non loin du croisement avec la
RD 6204. Le lièvre-messager, essoufflé, halète sa missive à
l’oreille d’Épicure-le-Chat : « Alerte urgente au centre d’infor-
mation de Berghe : les Humains ont pris la Marmotte. Par chan-
ce ou par leur gaucherie, le centre n’a pas été découvert ».
En guise de merci, le Chat le gratifie d’une œillade perçante
et quelque peu carnassière qui le fait bondir de deux pas en
arrière.
Page 3
LE TEMPS D’UN RÊVE
Rêve de marmotte?
Dès l’automne, la durée du sommeil des marmottes s’allonge et
l'activité se réduit au ramassage d'herbes sèches pour installer
la litière du terrier d'hiver. Puis, nos amies s'endorment en
boule, la tête logée entre les pattes postérieures, les unes
contre les autres. La vie est maintenue au ralenti grâce aux
réserves de graisse accumulées.
En dépit de l'expression « dormir comme une marmotte »,
l'hibernation n'est pas un sommeil, mais plutôt une « vie
ralentie ». Toutes les deux à trois semaines, l'hibernation est
interrompue pour rejoindre les toilettes dans un état second,
ou pour... dormir ! Comme les autres mammifères, quand elle
dort, lors de ses phases de sommeil paradoxal, la marmotte
rêve et remue. Elle « défragmente son cerveau » et mémorise
(cf. p 5). Il semble ainsi que l'action réparatrice du véritable
sommeil et du rêve est indispensable pour la reine des tunnels
comme pour nous !
Janvier 2018, nº13
[1] Thérapie qui utilise la proximité d'un animal domestique ou de
compagnie auprès d'un humain souffrant de troubles mentaux, phy-
siques ou sociaux pour réduire le stress ou les conséquences d'un
traitement médical ou des problèmes postopératoires (définition de
Wikipédia).
[2] A ce sujet, lire : Guillaume Grallet, « Le high-tech veut contrôler
nos rêves ! », Le Point du 10/07/2014, disponible en ligne.
« Et si, pour le prochain numéro, on choisissait un thème léger, facile ? » - « Le rêve ? » -
« Bonne idée, enfin un sujet qui nous reposera! » Facile ? Quelle prétention ! Il nous au-
rait été impossible d’être plus loin de la réalité ! Rêve endormi, rêve éveillé, capté, inter-
prété, fou, artistique, technophile, impossible, solitaire, collectif…, - et on n’a pas fini
d’énumérer les directions dans lesquelles le thème du rêve nous entraîne. Mais puisque
c’est décidé, on tente : fermez les yeux, ouvrez les yeux, rêvons, c’est parti !
Tu rêves!
« Élève Dupont ! Je vous ai posé une question, vous rêvez ou
quoi ? »
Ben oui, je rêve tout éveillé, je suis cet oiseau qui est passé
devant la fenêtre et je pars en voyage loin de cette classe.
Capter les rêves
Fascinant monde des rêves ! Si les rêves éveillés reflètent
nos souhaits et nos états d’âmes, quand nous dormons, les
rêves deviennent plus complexes à cerner. Les surréalistes
ont joué à s’empêcher de s'endormir profondément pour
avoir accès aux images oniriques qui peuplaient les prémi-
ces de leur sommeil. Y trouver des inspirations au-delà du
réel et emmener l’autre, grâce à leurs œuvres ainsi réali-
sées, dans un monde inexploré. Beaucoup pensent qu'il y a
bien deux mondes dans lesquels nous vivons alternativement
du réel ou du rêve, mondes séparés par des portes, telle cel-
le franchie par Alice qui s'en va au pays des Merveilles. An-
dré Breton et ses amis s’étendaient avec une clé en main, la
main placée au-dessus d'une soucoupe et à chaque endor-
missement, celle-ci tombait dans la soucoupe et réveillait
celui qui la lâchait. Or, à force de s’empêcher de dormir,
donc aussi de rêver suffisamment, les deux mondes se mé-
langèrent et la folie s'installa !
Rêves et folie
Les privations de sommeil sont extrêmement dangereuses
pour l’équilibre mental, elles sont d'ailleurs utilisées depuis
des siècles comme méthode de torture, mais sait-on seule-
ment si c'est le manque de sommeil ou celui du rêve qui est
si dommageable ? Il semble bien que nos rêves nous soient
FLRF
AL
Le chemin le plus court pour aller d’un point à un autre, ce n’est pas la ligne droite, c’est le rêve (proverbe malien)
Suite : p.4
Page 4 Janvier 2018, nº13
indispensables même si nous ne nous en souvenons
pas suffisamment.
Les liens entre rêve et folie ont retenu l'attention de
moult psy. De nombreux thérapeutes se sont penchés
et se penchent encore sur les rêves pour guérir le
psychisme, et tout un tas de méthodes consistent à in-
terpréter les rêves à l'aide de clés, comme une langue
méconnue qui permettrait de trouver les causes du
mal de vivre. Et si c’était l'essence même de nos rêves
que de nous dire secrets et trésors ?
Rêves imposés
Détourné, « le rêve » tient dans notre société marchan-
de un rôle important pour créer les besoins et huiler la
consommation. Les rêves d’être et d’avoir se font ha-
meçons pour la pêche au consommateur. Le spot pu-
blicitaire se fait « rêve endormi » en imitant sa structu-
re irréaliste et incohérente, l'espace et le temps y sont
déformés, le fantastique y règne, les couleurs et les
formes nous appellent au pays des songes, ce monde
attirant que nous avons tant de mal à mémoriser et qui
est pour nous un besoin fondamental. Et l’acquisition
du produit vanté devient le « rêve éveillé », l’idéal
vers lequel tout un chacun tend. Ainsi, éveillé, je me
rêve au volant d'une voiture fabuleuse ; ou bien, belle
comme le jour, j'attire le magnifique autre grâce à ce
parfum irrésistible, dont il n'est même plus question de
prix. Je suis subjuguée et un jour, en passant devant
une chic parfumerie, je ne pourrai me retenir d'entrer
pour réaliser mon rêve ! C'est là que mon cerveau aura
largué ses formidables capacités pour devenir une
vulgaire éponge ! Les écrans de toutes sortes ont ce
pouvoir d'attirer notre attention et de nous abêtir. Si
nous voulons faire avec nos rêves à nous, il vaut mieux
s'en éloigner !
Mais que faire avec nos rêves ?
On l'a vu précédemment, ils sont sources sublimes
d'inspirations créatives artistiques. En peinture, nous avons
une multitude d’œuvres, en voici quelques-unes qui à mon
goût valent le détour. Dès le XVème siècle, Canavesio plonge
dans ses songes pour peindre, à la Brigue, « l’Apocalypse de
Notre-Dame-des-Fontaines » ; au XVème également, Hie-
ronymus Bosch, « Le jardin des délices » ; au XVIIIème, Wi-
lliam Blake, « l’Ancien des jours » ; au XIXème, Klimt, « le Bai-
ser » ; Khalil Gibran, « Au cœur du Lotus » ; au XXème, Dali,
« Les montres molles », Picasso, « Les demoiselles d’Avig-
non », Magritte, « Pommes ». Alors, oui, créons à partir de nos
rêves, même si le talent n'est pas toujours au rendez-vous,
nous n'en tirerons que du bon (lire, p. 12, Journal de n’importe
qui).
Nous pouvons également y chercher un sens via l’interpréta-
tion. Là, la prudence est requise car il est trop facile de pas-
ser à côté du sens caché et cela peut nous amener à de gros-
sières erreurs. Pour les rêves prémonitoires, il y a couram-
ment inversion de la signification apparente. Il y a plusieurs
types de décryptage. Avant Freud, les rêves étaient ressentis
comme des messages divins : les esprits, les dieux, voire le
diable nous parlaient à travers nos songes et les augures,
spécialistes de l'interprétation, étaient là, dans les temples,
pour décrypter. Pour Freud, le rêve est la voie royale d’accès
à l'inconscient et sa compréhension, un axe central pour la
guérison des hystéries et autres problèmes psy. Yung y ajou-
te un accès à l'inconscient collectif. De nombreux livres et
sites Internet, à utiliser toutefois avec prudence, peuvent
nous guider dans le décodage de nos rêves. Avant tout, se
souvenir de son rêve, se dire au coucher qu'on va s'en rappe-
ler, avoir un carnet et un stylo à portée de main au réveil, car
sinon tout s’évapore. Noter aussi le sentiment lié à l'image....
Bref, il y a de quoi s'occuper et il faut prendre son temps. Be-
lle chasse aux trésors !
Parlons du rêve éveillé, l’idéal à atteindre ; le plus grand
bonheur, c'est souvent de réaliser son rêve ! Les rabats joies
sont souvent là pour nous dire « tu rêves ou quoi, c'est pas
réalisable ! » C'est là que vient le combat face à ceux qui ne
croient pas aux changements ou préfèrent faire l'autruche.
Mais là encore, un piège : à force de rêver, la vie s’écoule, le
temps, lui, ne s’arrête pas, et mon rêve reste rêve. Il peut
même insidieusement devenir l'alibi de mon non-faire. Alors,
oui, rêvons et battons-nous pour réaliser nos rêves plutôt que
nos cauchemars !
PS : Il était une fois….
… quelques convives autour d’une table ; l’un sort quelques
poires bien mûres, l’autre s’exclame : “ce serait si bon de les
manger chaudes avec du chocolat fondant!” ; et l’une se lève
et en deux temps, trois mouvements, le dessert succulent est
sur la table, au grand bonheur des amis. Moralité, à plu-
sieurs, on réalise encore mieux ses rêves.
LE TEMPS D’UN RÊVE
Et Donald Trump, un mur plus haut que le Bego le long de la frontière DOSSIER Brigitte Bardot a vu en rêve la résurgence de
Notre-Dame-des Fontaines remplie de bébés phoques...
La belette
Page 5
[1] Michel Jouvet, De la science et des
rêves, mémoires d'un onirologue, Odile
Jacob, 2013.
[2] Une étude a montré que les animaux
privés de sommeil paradoxal mourraient
au bout de 3 à 6 semaines.
[3] Pr. Diekelmann, psychologue spécia-
liste en neurosciences cognitives à l'Uni-
versité de Tübingen (Allemagne).
La défragmentation cérébrale
LE TEMPS D’UN RÊVE
Après une journée chargée, il est temps
de se mettre au lit. Trois à cinq cycles de
sommeil de 90 à 120 minutes se suc-
cèdent, entrecoupés de périodes d'éveil
(sommeil intermédiaire). On relâche les
muscles et le rythme cardiaque pour entrer en somnolence et s'assoupir.
Durant les 4 à 12 heures de sommeil, la moitié sera caractérisée par un som-
meil léger, très sensible aux stimuli
externes. Puis l’activité cérébrale ralen-tit à son minimum durant le sommeil
lent profond. Ensuite, le sommeil pro-
fond se caractérise par l'endormisse-
ment de l’ensemble du corps (les mus-
cles, le cerveau). Cette phase de repos
total permet de récupérer la fatigue
physique accumulée (c’est aussi à ce
moment que peut survenir le somnam-
bulisme). Nos yeux sont en
mouvement et notre respira-
tion devient irrégulière, le
cerveau émet des ondes rapi-
des. Nous entrons dans un
état particulier et profond de
notre sommeil identifié à la fin des années 1950 : le sommeil
paradoxal ou sommeil rapi-
de. Il occupe environ un quart
du temps de repos mais peut
laisser penser que l'on est sur
le point de s’éveiller. Selon
l’onirologue Michel Jouvet [1],
"[cet] état ressemble à un
éveil, à cause de l'activation
corticale qui simule un vérita-
ble éveil actif : ce serait alors
un éveil paradoxal puisque le
seuil d'éveil augmente !" [1].
Les rêves, qui peuvent surve-
nir durant le sommeil léger, se
manifestent principalement
durant cette phase et ne durent
en réalité que quelques secon-
des. Ils sont généralement effa-
cés avant le cycle suivant. C'est
pourquoi on ne s'en souvient
que très rarement. Cette phase
étrange de la vie où l'être est démuni et
à la merci des prédateurs, où notre cer-
veau bouillonne et consomme beaucoup
d'én-ergie, semble vitale [2] et anime la
vie de tous les animaux.
Rêves et mémoire
Le monde onirique serait étroitement lié
à notre mémoire, notre capacité d'enre-
gistrer et d’organiser le chaos mêlant
nos souvenirs de la journée et de la se-
maine au reste de notre vécu, à nos
raisonnements, nos apprentissages, nos
interrogations, nos ressentis... Il aiderait
à organiser toutes les informations que
traite notre cerveau, à les mettre en lien
quand il le faut, à « traiter » nos malheurs
et nos bonheurs. C'est pour cela que nos
rêves sont souvent en lien (plus ou
moins direct) avec nos préoccupations
et peuvent même être perçus comme
des événements vécus. Lorsque l'on
manque de sommeil, la partie frontale
du cerveau ne fait plus le tri et "notre
capacité à décider si un souvenir est vrai
ou faux est alors affaiblie, ce qui peut en-
traîner la production de faux souve-
nirs" [3]. Le cortex pariétal et frontal,
impliqué dans l'esprit critique, est
désactivé ce qui favorise diverses ano-
malies comme la non réaction aux sons
rentrés dans les habitudes, etc.
L’imagerie cérébrale permet d'observer
l'éveil de certaines régions du cerveau
(visuelles, motrices, émotionnelles, mé-
moire autobiographique) pendant que
d'autres demeurent profondément en-
dormies (placement d'objets dans leur
contexte). Cela explique probablement
le caractère visuel des rêves et les fré-
quentes aberrations spatiales. Durant le
sommeil paradoxal, "une relative quies-
cence du réseau attentionnel peut expli-
quer pourquoi les stimuli externes déli-
vrés à ce moment sont soit ignorés, soit
automatiquement in-
corporés dans la nar-
ration du rêve, au lieu d'en interrompre
l'histoire. Ce qui suggère que le rêve est
le gardien du sommeil" [4].
Le Dr. Allan Hobson proposait, pour sa
part, en 1977, une "nouvelle théorie du
rêve", hypothèse selon laquelle "les
rêves seraient une activation-synthèse de
la conscience destinée à attribuer un sens
à des signaux aléatoires produits au cours
du sommeil", qui justifierait ce mélange
de cohérence et d'étrange.
Michel Jouvet désigne ces phases oniri-
ques comme des simulations de la réali-
té permettant de s’entraîner et donc
d’accélérer la maturation cérébrale [5];
simulations que les rêves lucides per-
mettraient de contrôler.
De nombreux facteurs altèrent la
qualité de notre sommeil : l'alcool,
la nicotine, les repas trop lourds,
la télévision, les lumières artifici-
elles le soir. Le réveil qui sonne
tous les matins briserait, selon une
étude récente, « les périodes de
sommeil paradoxal les plus lon-
gues» [6]. Une vie équilibrée et
simplement le fait de s'offrir, dans
la mesure du possible, des réveils
naturels vous aideront à mieux
vous reposer, à combler cette né-
cessité physiologique qu'est le
rêve, et donc à favoriser une bon-
ne santé mentale et la mémorisa-
tion des données.
Nos connaissances du rêve sont encore limitées. Selon de nombreux neuroscientifiques, ils permet-
traient en quelque sorte de "défragmenter" notre cerveau, organiser et synthétiser notre mémoire,
préparer le terrain pour les informations à recevoir ou à transmettre et digérer nos émotions.
La Marmotte déroutée
Andromède Lelagopède
Rêve lucide : Cette technique de rêve contrôlé
consiste à prendre connaissance de son rêve et l'orienter
pour en changer le déroulement. Cela peut commencer
par le constat d'un cauchemar afin de s’éveiller pour le
faire cesser. Mais il semblerait qu’il soit aussi possible de
modifier le cours de son rêve sans devoir s’éveiller ! [4] Pr. Martin Desseilles, du dépar-
tement de psychologie médicale de l'Univer-
sité de Namur (Belgique).
[5] En observant une corrélation entre la
quantité de sommeil paradoxal dans le règne
animal et le niveau de maturité des bébés à la
naissance.
[6] Sarah Winkel, « Rêver, c’est bon pour la
santé », 7sur7.be, 30 octobre 2017
(disponible en ligne)
Autres sources:
« Rêves, cauchemars… Que veulent-ils nous
dire », www.passeportsante.net
Jean du Chazaud, «Le rêve est-il nécessaire à
la santé ? » sur www.endocrino-
psychologie.org
Page 6 Janvier 2018, nº13
LE TEMPS D’UN RÊVE
B’Rêve-sur-Roya Et si l’histoire d’un village, d’un lieu, était construite par les rêves de celles et ceux qui y
ont vécu ? Et si chaque lieu avait son propre rêve ?
J’ai commencé à rêver
au temps de ma jeunes-
se, quand régnaient les guerres des
clans du Silex. J’étais au col de Brouis
affrontant vents et pluies, je me riais
des avalanches, mes bâtisseurs par di-
zaines s’en allaient graver des prières
sur le flanc du Bego pour que je rêve
encore.
A mon adolescence, je rêvais dans les
collines, de simples maisons de bois aux
fondations de pierres me servaient de
corpus. Les hommes faisaient toujours la
guerre, mais ils défrichaient aussi les
forêts, chassaient ours et loups pour pro-
téger les troupeaux, ils adoraient les
dieux de la montagne, mais
avaient oublié le Bego. Leur nombre
augmentait, un soir j’en ai compté 200.
Pour organiser leurs éternels conflits, les
hommes se soumettaient entre eux et les
chefs les faisaient travailler à m'embellir.
J’étais de bois, mais déjà la pierre
s’échappait des fondations pour faire
des murs supportant des poutres et un
chapeau de chaume. A ce moment-là,
arriva le clan du crucifié avec ses magi-
ciens, ses architectes et ses banquiers.
Ils remplacèrent les anciens dieux par le
cloué vif et stupéfièrent la population en
construisant une nef de pierre flanquée
d’un clocher qui montait plus haut que
les arbres du bosquet sacré de la Gian-
dola. Alors, sur une crête rocheuse en-
tourée de falaises dominant la rivière,
les hommes construisirent une forteres-
se de pierre en s’inspirant des nefs du
cloué.
C’est ainsi que démarrèrent mes rêves
d’adulte, j’avais trouvé ma place. Les
hommes se regroupèrent, toutes les
masures et chaumières se retrouvèrent
au pied du château.
C’était l’âge d’or, mes plus beaux rêves
se réalisaient tous, les uns après les au-
tres. Avec les faucons, je rêvais d’une
tour dominant le ciel. Les hommes cons-
truisirent la Cruella ! Pour égayer mon
paysage, les gars de la croix édifièrent
des clochers. Même quand ils s’entre-
tuaient, je rêvais toujours, mais de pri-
sons, de canons et d’une muraille pour
protéger mes maisons.
A présent, les hommes étaient si nom-
breux que même après une peste, ou
une guerre, il en restait encore plus de
mille sur ma commune.
Les hommes pétrissaient les pierres, le
feu, le fer, maitrisaient les rivières, le
vent et même les étoiles, je rêvais d’or,
d’encens et de myrrhe. Ils me tracèrent
une route pharaonique creusée dans la
montagne, ils érigèrent une muraille qui
me rendit invincible, construisirent des
ponts au-dessus des abimes.
Puis ils détruisirent le château, et chaque
pierre, avec son petit bout de rêve,
égayait à présent leurs nouvelles de-
meures. Ils couvrirent mes toits de terre
cuite, pavèrent mes rues de galets, firent
chanter des fontaines et dansèrent à
2000 pendant la Stacada. Pour parfaire
mon paysage onirique, ils sculptèrent
des milliers d’escaliers dans la monta-
gne et créèrent un verger de 150 000
oliviers. Et, en guise de cathédrale, ils
firent surgir Santa Maria in Albi.
200 ans plus tard, le cauchemar a com-
mencé, le clan du Progrès est arrivé, il a
remplacé ma muraille par des bouchons
de voitures, transformé la terre en gou-
dron, abandonné les oliviers, cimenté les
maisons et les ponts, grillagé la rivière,
tué les paysans, remplacé les faucons par
des avions, vidé les églises, rempli les
banques ; le chemin ducal est transformé
en voie rapide, plus de charrettes, plus de
mulets, plus de moutons mais des ca-
mions. Moins de bons sens mais le Crédit
agricole, plus de veillée mais des télés,
plus de tavernes et plus de chansons... Et,
comble du cruel, ils ont creusé un lac qui
sera ma tombe ! Sous les caméras de la
Ca d'Breil, entouré d’hommes électriques
et de filles en plastique, je ne rêve plus !
Zézé Si j’avais un rêve : A l’enfant qui sommeille en chacun de nous : ferme les
yeux et fais trois vœux… Mais moi, dans mon rêve, je n’en
ai qu’un : tenir la baguette magique !
Avec elle, j’entendrai les enfants piailler sans craindre
l’asthme et les bronchiolites et courir après leur ballon
sans risquer un destin de hérisson.
Avec elle, notre train, riant comme un tarin*, est une ligne
de vie, un lieu de vie... Wagon musique, wagon livres,
wagon marché, wagon sportif, wagon terrasse, wagon pay-
sage et tranquillité, wagon « retraite et contemplation »,
wagon surprise, wagon à thème.... Et cela en incessants
allers-retours, de gare en gare fleuries aux quais enfiévrés.
(* tarin : petit oiseau chanteur de la famille des passereaux)
Si j’avais un cauchemar : Si j’avais un cauchemar à raconter, dans mon lit à l’étage...
Ma baguette magique est écrabouillée sur la route...
Et alors, je vois du gris partout, des volets tous clos, des
plantes désormais anorexiques et moribondes. Au-dessus
de moi, des viaducs occultent le soleil et les étoiles.... Je
n’ai plus qu’à partir et dire adieu à la vallée de la Roya
sacrifiée sur l’autel de nos égoïsmes … « No future »
Les Coyotes des Alpages
La Marmotte déroutée Page 7
LE TEMPS D’UN RÊVE DOSSIER
Quelle idée saugrenue a-t-elle eu, la Marmotte, de partir à la recherche de rêveurs-rêveuses en ce premier
mois d’hiver ! Et en plus, après les fêtes, à l’entrée d’une période creuse où l’on ne rêve même plus de cadeaux ou de
repas gargantuesques ! Mais si c’était, tout au contraire, le bon moment pour prendre du recul et regarder nos rêves -
enfin, pour ceux/celles qui en ont - avec un peu de sérieux ? Quoi qu’il en soit, la Marmotte a bien fini par tomber sur
un rêveur, et pas des moindres. Son rêve ? Être un chevreuil. Voici quelques extraits de leur conversation.
Dialogue avec un chevreuil rêveur OREILLES TENDUES
M : Réalise-t-on vraiment nos rêves ? Mais déjà, pour com-
mencer, rêve-t-on vraiment ?
Élaborer tes rêves, c’est un effort, un travail presque, une tor-
ture. Délimiter ton espace de subjectivité. Là où c’est toi qui
penses, et pas la morale ou les conventions. Le temps mort, le
manque d’intensité, la mort à petit feu par ennui, c’est là que
les rêves peuvent devenir sombres, et la violence faire son
entrée. Mais la violence, tu peux la donner pour t’émanciper.
Souvent, et on le sait, même quand on croit réaliser nos rêves,
on reste dans le faux. Même quand ils contiennent quelque
chose de vrai, c’est noyé dans du faux. Quand les pubs utili-
sent des termes comme « révolution », « réalité » ou « rêve »
pour vendre un robot épluche-légumes ou une voiture, on
s’habitue à la mise en scène de la vie. Et quand on a un choix
à faire, on se réfère à un catalogue.
M : Même quand on résiste ?
Quelqu’un d’opprimé devient agressif, enfin, normalement.
Mais la plupart du temps, nos résistances sont du théâtre, un
truc à propos duquel tout le monde sait par avance qu’il sera
inoffensif – la manif en est une incarnation par excellence,
mais beaucoup d’autres formes de mobilisation le sont tout
autant, qu’on les étiquette de légalistes ou d’anarchistes. On
fait du happening. On agite un couteau en plastique, inoffensif
même s’il peut être impressionnant, le seul outil admis.
M : L’émeute, c’est aussi un jeu ?
Non, parfois, c’est spontané et ça peut devenir ingouverna-
ble. Mais quand c’est un but en soi, donc prévisible, on reste
dans les règles statistiques. Le théâtre est l’espace qu’on nous
laisse pour canaliser nos rêves et neutraliser notre violence
(fût-ce en la réalisant pour de faux). Pour orienter la créativité
et l’intelligence des gens dans le sens du pouvoir, on peut
utiliser des coups de bâton ou des récompenses. Du pain et
des jeux. Un bon spectacle est une bonne récompense.
M : Qu’on le regarde ou qu’on en soit l’acteur. Ça défrus-
tre ?
C’est ça, quand le spectacle finit, on a vécu des choses, puis
le rideau tombe et on rentre chez soi.
M : Que faire alors?
Récupérer le vrai terrain de la rue. Nous associer. Avec des
passions à partager.
M : Et pourquoi vouloir être un chevreuil ?
(Il n’y aura pas de réponse à cette question)
Jidé
L’oiseau vole en cercle Au-dessus des montagnes, les nuages se chargent d’hiver La flûte sonne sur les ruines des remparts
Oreille tendue par Andrea
Installez-vous.
Parlez-moi de vos rêves et de
vos cauchemars !
Depuis quelques temps, je rêve
que je suis deux ! Tout allait bien
pourtant y a quelques années. Et
puis, on a commencé à me faire
sentir vieux, obsolète. Terrible
sentiment. Je suis un tunnel, je
ne pouvais pas tuer mon père et
me marier avec ma mère, j’ai
donc décidé de refouler mes
complexes. Je sais, c’est une très
mauvaise habitude.
Dites m’en plus sur vos
complexes ?
En fait, je n’en avais pas il y a
encore quelques mois. Un jour,
on est venu me forer les côtés à
différents endroits et je me suis
rendu compte qu’on me ratta-
chait à une sorte d’extension de
moi, sensiblement plus récente,
mais, avec un mal-être pro-
fond…Une sacrée expérience.
Je pense qu’il s’agissait de
mon inconscient, mais à ce
moment-là, je sentis beau-
coup de souffrance. Cette
extension était si fragile…
Poursuivez !
Je crois que je manque
d’amour. Vous me suivez ?
D’apparence masculine, je
suis un symbole évidemment fé-
minin… Tandis que les véhicules
qui me traversent… phalliques,
bien entendu. Vous me suivez ?
J’ai beau avoir un bel âge, je souf-
fre de manque de reconnaissance.
J’ai l’impression que je fais peur.
Pourtant, il ne faut pas se tromper.
Bien entendu, mon moi est un tun-
nel austère. Mais mon surmoi, ce
que je cache à moi-même mais
aussi aux autres, c’est un vide
« d’amour » qui n’est pas comblé !
… Ah, ça va mieux en le disant.
Merci de m’avoir écouté.
Combien je vous dois ? Jidé
Page 8 La Marmotte déroutée
LE TEMPS D’UN RÊVE DOSSIER
Savourer le vertige sans céder à l’appel du précipice Du rêve à l’action : Rêve (éveillé) : « production idéale ou chimérique de l’imagination destinée à satisfaire un besoin ou un désir, à refuser une réalité
difficile, à représenter ce que l’on veut accomplir » (Dictionnaire Antidote).
Les rêves éveillés n’ont pas pour vocation
première d’être réalisables, ce sont des rêves,
pas des projets. On ne rêve pas un plan d’action
ou une feuille de calcul, on rêve des situations,
des émotions. Mais nos projets peuvent se nourrir
de ces situations imaginaires et nous, avoir be-
soin d’elles pour y puiser nos intentions. Il y a des
rêves qui nous portent, nous accompagnent à la
manière d’une puissance secrète qui nous fait
prendre de la hauteur sur les problèmes du quoti-
dien. Mettant en scène quelque détail possible de
notre vie, d’autres promettent une récompense
dont l’avant-goût donne de la niaque à nos actes
et gestes. Mais, à de rares exceptions près, les
choses ne se passent pas comme on les imagine,
et les histoires qu’on se raconte restent trop sou-
vent dans la fiction. Alors, quand la promesse
s’évanouit, le rêve n’inspire plus, ne compense
plus l’insipide de la routine, il devient, au contrai-
re, un facteur d’apathie : quand la distance entre lui et le réel
se fait infranchissable, tous nos efforts nous paraissent vains.
Nos rêves impossibles rendent nos possibles ternes et creux.
De là, il n’y a qu’un pas pour qu’on s’endorme dans l’ennui du
« à quoi bon », un vide où on ne veut plus rien puisque tout
rêve nous semble être un délire. Rêver, c’est vivre dange-
reusement : suivre la ligne de crête au plus près du précipi-
ce, savourer le vertige sans y céder. Alors, pour peu qu’on
veuille garder ce quelque chose de passion qui fait que nos
vies sortent parfois de l’ordinaire, on doit apprendre à appri-
voiser notre imaginaire et à déjouer les pièges qu’il nous
tend.
Veiller à ce que le rêve oriente la réalité au lieu d’en prendre
la place est un jeu d’équilibriste. Oblomov, le héros du roman
homonyme d’Ivan Gontcharov, passe sa vie sur un divan
rêvant à un pays chimérique. Les souvenirs d’enfance qu’il y
retrouve l’égarent dans la nostalgie d’un passé révolu. Sym-
bole de désœuvrement mélancolique, de perte totale de pri-
se sur la vie, Oblomov nous éclaire sur la puissance anéantis-
sante des fantasmes [1]. Ces créations psychiques, nos créa-
tions, sont faites pour exhausser nos désirs. L’extrême préci-
sion de leurs voyages immobiles rend le passage à l’acte su-
perflu. En parallèle, souvent, l’intensité des émotions qu’elles
nous procurent, alliée à la conscience de ne pouvoir les vivre
que « pour de faux », nous accaparent, nous empêchent
d’« être là » et d’être sensibles à la beauté de ce qui existe.
Notre monde imaginaire devient ainsi un puits à frustrations.
C’est un savant dosage que d’imaginer assez pour nourrir le
désir de faire et s’arrêter avant que les méandres de l’imagi-
naire ne nous retiennent prisonniers.
Une force vitale plus qu’un espoir
On rêve toujours au-dessus de nos moyens. L’admettre par
avance peut nous aider à amortir les chutes. Mais, en antici-
pant et en désamorçant ainsi nos frustrations, faut-il encore ne
pas tomber dans le travers contraire : mettre trop vite le point
final à quelque chose qu’on peut rêver de vivre ou de créer,
le juger impossible sans lui laisser une chance d’être essayé.
Un autre piège est le rôle de victime dans lequel on se com-
plait si facilement. Souvent, la réalisation de nos rêves ne dé-
pend pas seulement de nous, et les cas où les autres, l’exté-
rieur et le hasard rentrent en consonance totale avec notre
imaginaire sont aussi rares qu’un alignement planétaire.
Alors, on peut avoir tendance à rendre les autres responsa-
bles de nos échecs ou de notre inaction, on fait d’eux des ca-
che-sexes de nos peurs existentielles, boucs émissaires de
nos renoncements. Faire face à soi-même est loin d’être faci-
le. Il est peut-être plus dur encore, et plus fragilisant à priori,
de parvenir à ajuster nos rêves à ce que sont ces autres, les
autres vrais, pas tels qu’on les imagine. Et que penser alors
de l’idée folle de partager nos rêves avec eux, de prendre le
risque, pour construire des rêves communs, de voir nos rêves
se désarticuler, de ne plus être uniquement nôtres?
Un rêve devient rarement réalité sous sa forme de départ,
avec tous ses détails. Mais il peut être à l’origine de réalités
qui n’existaient pas avant lui. Un rêve ne meurt pas : soit il
nous hante, soit il se métamorphose, et cette deuxième option
laisse beaucoup de possibilités. Accepter que nos rêves évo-
luent au contact du réel implique le courage, non pas d’y re-
noncer, mais de pouvoir les mettre en pièces pour les remo-
deler, tel un échafaudage mental qu’on change régulièrement
d’endroit et qu’on ajuste sans cesse pour qu’il s’élève plus
haut tout en étant plus solidement ancré au sol. L’altérité,
même faite de blocages, apporte à cette entreprise un salutai-
re décalage, comme lorsque, confronté à une impasse d’or-
dre pratique, on cherche un regard neuf pour en sortir. Nos
rêves peuvent être des trames dont on s’amuse à revisiter les
scénarios, laissant aux situations réelles, avec ce qui les com-
pose, un large espace d’improvisation. Souvent, le contenu-
Le sanglier rêve de cimetières remplis de chasseurs, Et le chasseur, de forêts pleines de sangliers vivants.
Janvier 2018, nº13 Page 9
Alice
LE TEMPS D’UN RÊVE
Rêve de sciences
Des superstitions au scientisme
Pendant des millénaires, la magie, le
mysticisme et la religion ont joué un
rôle de premier plan dans la com-
préhension que les Humains avaient du
monde. Cette emprise, qui paraissait
inébranlable, a donné lieu à des régi-
mes politico-religieux dont la monar-
chie héréditaire de droit divin est l’un
des exemples paradigmatiques. Puis,
entre le XVIème et le XVIIIème siècle, les
découvertes scientifiques et les inven-
tions successives ont fait advenir un
nouveau mode de pensée incarné et
diffusé par ceux et celles que nous ap-
pelons « les Lumières » - une métaphore
pour signifier qu’ils « éclairèrent » le
monde pour le faire sortir de l’obscu-
rantisme. Les travaux de Descartes, no-
tamment sa méthode dite « rationnelle »,
c’est-à-dire fonctionnant sur des déduc-
tions logiques et sur des expériences
concrètes, favorisèrent la naissance
d’un nouveau courant de pensée : le
positivisme ou scientisme. La science
nous permettrait de tout comprendre,
de « nous rendre comme maîtres et pos-
sesseurs de la nature ».
Le scientisme, nouvelle superstition ?
L’évolution des espèces (Darwin), la
mécanique classique (Newton), la ri-
chesse des nations (Smith) ou la créa-
tion de l’univers (théorie du big-bang) :
peut-on réellement tout expliquer
scientifiquement ? Aujourd’hui, la scien-
ce est omniprésente, privilégiée dès les
bancs de l’école, vulgarisée dans les
magazines grand-public ou les émis-
sions radio, à portée de nos doigts au
travers des smartphones. La fusion nu-
cléaire nous promet une énergie quasi-
infinie, la manipulation génétique per-
met d’enrichir le golden riz en vitamine
A, nous sommes capables de faire pous-
ser des légumes dans un substrat qui
reproduit le sol martien, de sélectionner
le sexe des bébés, de refaire marcher
les handicapés moteurs et de greffer de
nouvelles têtes sur le tronc d’autres per-
sonnes, de lire sur le visage d’un dor-
meur pour savoir de quoi il rêve [1] (cf.
l’encadré p.10)… La science peut-elle
tout ? Doit-on en avoir peur ? Ou bien,
nous n’avons d’autre choix que croire
en sa toute-puissance, sans libre-
arbitre, aveuglement ?
« Science sans conscience n’est que
ruine de l’âme » (Rabelais)
Nous sommes (encore …) des êtres sen-
sibles, sujets à des émotions qui nous
sont propres. La colère, l’amour, la tris-
tesse, la joie… Sans cela, nous serions
des clones, dépossédés de nos subjecti-
vités, de notre « âme », de ce qui fait
que nous sommes ce que nous sommes.
« Je sens donc je suis », pourrions-nous
répondre aux gourous scientistes. Car
une certaine déraison plane sur les
rêves de technologie. Les mythes et la
Critique du progrès :
les néo-luddites
Le néo-luddisme est un mouvement
d'opposition à tout ou partie du progrès
technologique. Héritiers des luddites du
XIXème siècle (ouvriers et artisans an-
glais qui détruisaient les machines par
lesquelles on remplaçait leur travail),
les néo-luddites ne sont pas nécessaire-
ment technophobes mais plutôt criti-
ques des technologies et de leurs effets
sur les individus et les communautés. Ils
revendiquent un retour à des valeurs et
des pratiques plus « naturelles » et plus
simples que celles portées par la tech-
nologie moderne. (Source : Wikipédia)
même de nos rêves reste emprisonné par le déjà-vécu ou par des
idéaux figés, tout comme nos bancs d’essai pâtissent des préjugés
qu’on cultive sur nos limites. La connaissance de soi, précieuse
pour ne pas tomber trop bas, devient parfois notre plus grande
prison. En acceptant d’ouvrir nos rêves à l’inconnu, celui précisé-
ment qu’on ne peut pas imaginer, on évacue non seulement la peur
et la douleur des échecs. On s’offre le luxe de rêver au-delà de
nous, pour « devenir sans cesse » [2].
[1] Un fantasme est une « production de
l’imagination qui exprime des désirs
conscients ou inconscients », il n’est pas
forcément sexuel. Par exemple, un pro-
jet, individuel ou collectif, aux attentes
trop détaillées peut aussi en être un.
[2] « Ne soyez rien, devenez sans cesse »
est l’adage inspirant d’un des protago-
nistes du roman d’Alain Damasio « La
Zone du Dehors ».
Être immortel, dompter la nature, s’affranchir des limites de l’espace, voler… La science fait
rêver. Pourtant, le mythe du progrès scientifique infini a beaucoup été critiqué par le passé et fait tou-
jours encore (un peu) débat.
Page 10 La Marmotte déroutée
fiction s’en délectent : Prométhée, en vo-
lant le feu aux Dieux, en avait fait les
frais, condamné à se faire dévorer chaque
jour le foie, qui repoussait chaque nuit ;
Mary Shelley a mis en scène la folie de la
technique sans éthique dans son roman
« Frankenstein ». Parfois, l’invention dé-
truit son créateur ou peut être lourde de
menaces pour la vie telle que nous la connaissons : le nu-
cléaire serait capable de faire littéralement exploser la
planète ; les nouvelles molécules chimiques font baisser la
fertilité des espèces animales ; les manipulations généti-
ques (OGM, Crispr-Cas9) détruisent la biodiversité ou
menacent de créer des mutants ; le contrôle climatique,
encore à ses balbutiements, risque de dérégler des sys-
tèmes complexes dont on ignore encore beaucoup de
choses ; l’intelligence artificielle (IA) pourrait trouver
l’être humain gênant et vouloir le supprimer comme on
efface un fichier sur un disque dur ; etc. Si dans un premier
temps, la science nous aura permis de sortir de l’ignoran-
ce, aujourd’hui, devenue hégémonique, elle met notre
existence en question. Même si des mécanismes [2] ont
été mis en place pour brider cette science atteinte de
mégalomanie, à l’heure de la compétition mondiale et de
la marchandisation de tout, ils sont bien peu de choses (cf.
l’encadré ci-contre). Méfions-nous : n’est pas rare que les
rêves de certains soient les cauchemars des autres !
Jidé
LE TEMPS D’UN RÊVE Les nouveaux dieux : transhumanistes et
géo-ingénieurs
Peut-on réellement « augmenter » l’Humain, comme on
augmenterait le volume d’un poste radio ? C’est ce que
croient les adeptes du transhumanisme, courant se si-
tuant à la jonction des nanotechnologies (technique de l’infini-
ment petit), des biotechnologies (manipulation du vivant), de
la génétique, de la robotique et de l’informatique (intelligence
artificielle). Visant « la promotion de l'amélioration de la condi-
tion humaine à travers des technologies d'amélioration de la vie,
ayant pour but l'élimination du vieillissement et l'augmentation
des capacités intellectuelles, physiques ou psychologiques », ils
se définissent comme héritiers de l’humanisme. Mais déjà, der
-rière ces cantiques, on voit se dessiner un avenir marqué par
les inégalités. Bientôt, « il y aura des gens implantés, hybridés,
et ceux-ci domineront le monde. Les autres qui ne le seront pas,
ne seront pas plus utiles que nos vaches actuelles gardées au
pré. […] Ceux qui décideront de rester humains et refuseront de
s’améliorer auront un sérieux handicap. Ils constitueront une
sous-espèce et formeront les chimpanzés du futur » [1].
La but de la géo-ingénierie n’est ni plus ni moins de contrôler le
climat, notamment pour amoindrir les conséquences dramati-
ques d'un futur et probable réchauffement climatique produit par
nos émissions de gaz à effet de serre (GES). Un exemple ? Refroi-
dir la planète en injectant dans l’air de la stratosphère, via des
aéronefs, des particules volatiles filtrantes (soufrés) dans le but
de créer un bouclier protecteur des rayons solaires. Si les re-
cherches menées en ce sens aboutissent, il nous faudra nous pré-
parer à voir le ciel en permanence voilé avec d’autant plus de
probabilités que les dernières COP (sommets internationaux sur
le climat) ont inscrit l’usage de la géo-ingénierie dans les possi-
bles mécanismes de réduction des émissions de GES, aux côtés
des énergies renouvelables (solaire, éolien, etc.) [2]. D’autres
techniques cherchent à augmenter la capacité d’absorption du
carbone des océans (en les ensemençant avec du fer, en corri-
geant leur acidité avec de la chaux, du calcaire concassé ou en
accélérant l’érosion des roches) ou à éclaircir les nuages marins.
Il y en a qui sont même allés jusqu’à imaginer repeindre les An-
des péruviennes en blanc pour augmenter leur albédo (pouvoir
réfléchissant) ou couper les forêts boréales pour laisser à décou-
vert le tapis neigeux ! Les principales pistes jugées « sérieuses »
laissent en suspens de très nombreuses questions. Dans un ou-
vrage récent, l’essayiste australien Clive Hamilton [3] passe au
crible leurs limites : un très grand nombre d’inconnues dues à la
méconnaissance des processus complexes sur lesquels on pré-
tend intervenir, une efficacité douteuse, des coûts souvent très
élevés et surtout la nécessité de mettre en place de lourdes in-
frastructures dévoreuses d’énergie et d’autres ressources» [4]. Et
si la solution était le problème ?
[1] Voir le « Manifeste des Chimpanzés du futur contre le transhumanis-
me » de Pièces et Main d’œuvre, chimpanzesdufutur.wordpress.com,
2017.
[2] « COP23 : L'ingénierie climatique est risquée mais doit être explo-
rée, selon des experts », mediaterre.org, Florent Breuil, le 17/11/2017
[3] Lire « Les Apprentis sorciers du climat Raisons et déraisons de la
géo-ingénierie », Clive Hamilton, Seuil, Col. Anthropocène, 2013.
[4] Lire « Extractivisme, Exploitation industrielle de la nature : logiques,
conséquences, résistances », A. Bednik, Le Passager clandestin, 2016.
A lire : « La Silicolonisation du Monde » d’Eric Sadin
« Au nom de l’innovation, de l’emploi et des sacro-saints points
de croissance, le pouvoir politique est totalement à la botte du
techno-pouvoir et de son économie des start-ups. Jamais il ne
s’interroge sur les dommages collatéraux de ce soutien aveu-
gle, et plus largement d’une telle évolution. Il ne veut pas voir,
qu’au travers de ce qu’on appelle l’économie des données, se
construit sous nos yeux un modèle de civilisation basé sur la
quantification de tout, la marchandisation et la régulation conti-
nues de la vie. » […] « Cet âge de la mesure de la vie est celui
de la connaissance quantitative. […] Via les applications […], il
induit un « accompagnement algorithmique de la vie » […],
l’orientation de nos existences, de façon plus ou moins affichée
[...], par des suggestions d’ordre commercial » (Eric Sadin, l'âge
de la mesure de la vie. Une alerte contre l'emprise du tout algo-
rithmique, culturemobile.net, 27/02/2016)
[1] Lire Guillaume Grallet, « Le high-tech veut contrôler nos rêves ! »,
Le Point.fr, le 10/07/2014.
[2] Notamment le principe de précaution : en cas de risque de dom-
mages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique
absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard
l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de
l'environnement (Déclaration de Rio en 1992).
Janvier 2018, nº13 Page 11
L’oiseau enragé
LE TEMPS D’UN RÊVE DOSSIER Le patron d’Alice rêve d’un tunnel de Tende triplé, pour augmenter le trafic. Et Alice rêve d’être aveugle.
S’il est un endroit où la police et l’armée ne sont plus
que des poupées de chiffons, frappant ce qui est à leur por-
tée avec de vulgaires bouts de ficelles, ça n’est ni dans les
églises, ni dans les cités ouvrières, mais dans chaque pensée
vagabonde où elles se voient mises en échec par les armes
de l’enfance. Là où tout est possible, les braves pandores
sont transpercés par le ridicule comme le torero, quand il est
pourchassé et mis en
pièces par sa victime.
La flicaille peut se dis-
soudre dans l’esprit
comme une goutte
d’eau dans un fleuve
en crue. C’est dans les
profondeurs du rêve
et le désir brutal d’un
renversement de
perspective, où liber-
té, créativité et spon-
tanéité se réunissent,
que meurt en moi le
sourire forcé de l’au-
torité. Il me suffit de
parler à mes rêves
pour que mes rêves
me répondent aus-
sitôt. J’entre dans la
forêt sans nom où la
biche de Lewis Ca-
rroll explique à Alice :
« Imagine que la maî-
tresse d’école désire
t’interpeller. Plus de
nom, la voilà qui crie
Hé ! Ho ! Mais personne ne s’appelle de la sorte, personne ne
doit donc répondre »... Heureusement forêt de la subjectivité
radicale. Le rêve ne connaît aucune morale, ni contrainte qui
ne puissent être brisées d’une simple envie.
Pendant que les bigots ou les supermarchés fourrent les din-
des de la pensée unique avec beaucoup de bienveillance, de
positif et d’abnégation, la poésie révolutionnaire explore la
négativité et la violence des rêves. Cette poésie amère, ar-
mée du désir d’en finir définitivement avec la hiérarchie et
de briser les chaînes de l’esclavage, exige de se réaliser
librement [1] - condition sans laquelle la violence insurrec-
tionnelle est soumise à la puanteur du pouvoir et à sa corro-
sion. L'homme n'est ni le bon sauvage de Rousseau, ni le per-
vers de l’Église et de La Rochefoucauld. Il est violent quand
on l’opprime, il est doux quand il est libre. En exprimant la
volonté de vivre et les passions débordantes qui en décou-
lent, « la longue révolution se prépare à écrire dans les faits,
les gestes dont les auteurs anonymes ou inconnus rejoindront
pêle-mêle Sade, Fourier, Babeuf, Marx, Lacenaire, Stirner, Lau-
tréamont, Lehautier, Vaillant, Henry, Villa, Zapata, Makhno, les
Fédérées, ceux de Hambourg, de Kiel, de Cronstadt, des As-
turies, ceux qui n’ont pas fini de jouer, avec nous qui com-
mençons à peine le grand jeu sur la liberté. » [2]. Nous attise-
rons le feu de l’imaginaire pour que nos incendies éclairent
les ruines de la réalité qu’est l’organisation de la survie.
Raoul Vaneigem, pour en accélérer le pourrissement et la
décomposition, disait un an avant les émeutes de mai 1968: «
Avec ses hantises, ses obsessions, ses flambées de haine, son
sadisme, l’intermonde semble une cache aux fauves, rendus
furieux par leur séquestration. Chacun est libre d’y descendre
à la faveur du rêve, de la drogue, de l’alcool, du délire des
sens. Il y a là une violence qui ne demande qu’à être libérée,
un climat où il est bon de se plonger, ne serait-ce qu’afin d’at-
teindre cette conscience qui danse et tue, et que Norman
Brown a appelé la « conscience dionysiaque» [3]. L’aube rouge
des émeutes ne dissout pas les créatures monstrueuses de la
nuit. Elle les habille de lumière et de feu, les répand par les
villes, par les campagnes. La nouvelle innocence, c’est le rêve
maléfique devenant réalité. La subjectivité ne se construit pas
sans anéantir ses obstacles ; elle puise dans l’intermonde la
violence nécessaire à cette fin. La nouvelle innocence est la
construction lucide d’un anéantissement. » Le désir d’en finir
avec la survie, de transformer passionnément le monde selon
la volonté de chacun, et de vivre, renaîtra toujours là où nos
rêves, mille fois, ont été brisés et mutilés par la mécanique
inhumaine de la réalité. Les fusillés de la Commune de Paris
hanteront nos nuits tant qu’ils n’auront pas été vengés ! Le
dépassement des rapports de domination et du pouvoir hié-
rarchisé propose les bases d’un rêve à la fois individuel et
collectif. La société des maîtres sans esclave reste à réaliser.
Aux prisonniers mutinés A ceux qui rêvent sur les toits…
[1] Insoumission (refus du sacrifice, de la hiérarchie, de l'enrôle-
ment, de l'idéologie...).
[2] Raoul Vaneigem, 1967, Traité de savoir-vivre à l’usage des
jeunes générations - [3] « Dionysos le dieu fou démolit les frontières,
libère les prisonniers, abolit les refoulements et abolit le principium
individuationis pour lui substituer l’unité de l’homme et l’unité de
l’homme avec la nature. », Norman O Brown, 1967.
Le commerçant rêve d’avoir un parking, Le transporteur, d’un tunnel Nice-Turin gratuit, Et le camionneur rêve de passer ailleurs.
Page 12 La Marmotte déroutée
JOURNAL DE N’IMPORTE QUI L’art endormi "L'espace autour de moi est profond, dégagé. C'est
un grand cercle, je me tiens debout, au centre. Tout m'évo-
que une scène de théâtre : le silence, l'éclairage vif puis
l'obscurité qui m'entourent, ma solitude. Je suis profondé-
ment calme et concentré. Autour, aux limites de ce cercle
auquel j'appartiens, flottent des fresques. Elles sont immen-
ses et bariolées, elles flottent, elles dansent, elles n'ont pas
de support. Ce sont mes peintures, mes couleurs qui se for-
ment et se déforment d'une façon douce et sublime. Des rou-
ges profonds qui se noient dans les ombres, des bleus pi-
quants, électriques qui éclatent en pigments, de larges cour-
bes noires qui serpentent et découpent l'espace... La peintu-
re est vivante, elle cherche son support." Ce rêve est celui
d'un peintre, d'un ami qui ne peint plus depuis longtemps.
Le rêve - celui de l'endormi - n'est pas un art, c'est pire. Le rêve
est l'art, il en est sa racine. Chacun de nous, la nuit, sous l'em-
prise de cette transe nocturne, pratique cet art pur, originel
qu'est la transfiguration du réel. Les outils que nous utilisons
sont communs à toutes les formes d'art "éveillé" : le figuratif,
l’exagération, le symbolisme, la métaphore... Le contenu est
parfois terriblement explicite : cette femme rêve chaque nuit
de son travail, elle revit une conversation angoissée avec son
supérieur, des centaines de fois. C'est l'exagération et la répé-
tition de cette scène très réaliste qui lui donnent une portée
artistique. Parfois, au contraire, le symbolique est mis à profit
pour exprimer des messages soit indescriptibles, soit très
clairs. Je me souviens avoir rencontré "mon âme d'enfant", sous
la forme d'un enfant joueur et familier qui me rappelait genti-
ment à l'ordre, m'entraînant dans ses jeux, à une période où il
me semblait, indiciblement, la perdre. Ou encore, m'être vue
affublée d'un costume ridicule alors que j'étais, dans ce rêve
comme dans la vie, dans une situation effectivement ridicule,
poursuivant sans mesure l’attention d’un homme qui ne me
regardait pas.
La plupart du temps, les rêves, ou du moins leurs souvenirs, ne
sont pas agréables, ni conciliants. Ils sont plutôt perturbants,
révélateurs, lancinants. Ils fouillent, bouleversent, dévorent nos
fragilités, écartèlent nos tensions. Ils peuvent faire mal, comme
seuls de vrais amis peuvent le faire, en faisant le jour sur nos
parts d'ombre, liquide révélateur de notre chambre noire. Ils
peuvent aussi être doux, simples, ou encore ennuyeux et tri-
viaux. Mais, toujours, les rêves, les miens ou ceux que l'on veut
bien me raconter, me fascinent par leur audace, leur malice,
leurs messages tordus dignes de vieux contes mystiques...
Tout le monde ne se souvient pas de ses fic-
tions nocturnes, ou alors seulement quelques
minutes au réveil, puis les images se dislo-
quent et s'évanouissent. Mais, évidemment,
ce qui est vécu est vécu, et reste inscrit dans
la "façon d'être" de chacun. Ces fictions ont
leur propre raison d'être, leur rayon d'action
incontestable, et se fichent d'accéder ou non
au filtre de la lucidité matinale. Pourtant, pour
le chanceux qui s'en rappelle, son "univers
onirique" est un sujet de contemplation hors
du commun. Il peut s'y observer comme dans
un miroir déformant, rire de ses grimaces
folles ou y trouver quelques indices utiles à sa
vie, identifier les grands thèmes qui viennent
et reviennent le "hanter" et servent parfois à
recevoir, comme sur une messagerie privée,
des messages de cette autre entité mystérieu-
se qu'est le corps.
Les songes étant fiction, transfiguration du
réel, ils agissent sur nos esprits de la même
façon que l'art. Cette opération tient principa-
lement d’un déchaussage de notre esprit de
son socle logique, rationnel. Émancipé de
celui-ci, l'esprit sensible s'exprime dans toute
sa liberté et son incohérence féconde. Je ne
m'aventurerai pas plus loin dans le ça du moi
du pourquoi du comment mais en art endor-
mi comme en art éveillé, si l'on veut appro-
cher un sens, une essence, c'est à cet esprit
ailé, vibrant de sensations mais sans mémoi-
re, sans savoir, qu'il nous faut s'adresser
d'abord.
S. Dali, Rêve causé par le vol d'une abeille autour d'une grenade (Source : Flickr.com, Médéric)
LE TEMPS D’UN RÊVE DOSSIER
N’importe qui
Janvier 2018, nº13 Page 13
CEUX QUI MARCHENT SUR NOS ROUTES
Roya citoyenne ne sera pas dissoute. M. Bettati et Défendre la
Roya devront même lui verser 5000€ pour procédure abusive
et vexatoire. Par contre, l’appel des « 4 papis et mamie » a
confirmé leur condamnation pour aide à la circulation d’étran-
gers en situation irrégulière (800€ d’amende avec sursis),
même si le procureur général les a traités de « braves
gens »… Ils vont aller en cassation. Quant à Cédric Herrou,
poursuivi pour diffamation par le préfet, il devra attendre le
16 avril pour être fixé sur son sort. (RC)
Sur le front judiciaire
En réalité, le commerce d’esclaves ne s’est jamais
arrêté, mais, pour la première fois, une chaîne de télévi-
sion grand public (CNN) a diffusé un reportage révélant
l'existence de marchés aux esclaves près de Tripoli, en
Libye. Ventes aux enchères, travaux forcés, exploitation
sexuelle, trafic d’organes...-, la traite d’êtres humains à
l’échelle mondiale (près de 150 pays) engrangerait plus
de 27 milliards d’euros de profits par an. Cela en fait le troisième trafic le plus lucratif sur Terre, derrière la dro-
gue et la contrefaçon. Les régions les plus touchées sont
l’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud-Est, l’Amérique
latine, l’Europe de l'Est, l’Afrique du Nord et le Moyen-
Orient. (Source : Le trafic d'êtres humains, une industrie
planétaire et des millions de victimes, Benoît Zagdoun,
22/11/2017, francetvinfo.fr, vidéo)
Retour du trafic d’esclaves
Le 16 décembre dernier, une importante manifestation de
solidarité avec les réfugiés a rassemblé, à Menton Garavan,
près de 800 personnes, dont de nombreux demandeurs d'asi-
le, venus de toute la France, d’Italie et d'autres pays d'Europe
pour dénoncer le double discours des autorités, revendiquer
le respect du droit d'asile et des droits de l'Homme, l'ouvertu-
re des frontières, la fin des violences policières et la bien-
veillance entre humains. La mobilisation a débuté à la gare de
Menton-Garavan, lieu aujourd'hui emblématique du délit de
faciès, de la production de faux documents
pour favoriser les expulsions et de la viola-
tion du droit à la circulation des mineurs
isolés. Les autorités, mobilisées elles aussi
massivement, ont bloqué le cortège et la
circulation devant la frontière des Balzi Rossi, où fut posée
une plaque à la mémoire des 20 jeunes africain(e)s mort(e)s
en tentant de franchir la frontière ces deux dernières années.
(AL)
Manifestation pour la liberté de circulation à Menton
M : Pourquoi prenez-vous le train plutôt qu'un autre trans-
port ?
Voici un petit palmarès des raisons de vos préférences. Le
confort du train, transport « peu fatiguant », « plus repo-
sant », arrive en première position (cité 18 fois). Le prix vient
juste après (14 fois). Le train est, en effet, beaucoup moins
cher que la voiture - avec la carte zou, bien sûr, et surtout si
on est seul. En troisième place : la rapidité (10 fois), surtout
pour qui veut accéder au centre-ville (en plus, on n’a pas de
problème d’embouteillages !), suivie de la sécurité (8 fois).
Le train, dites-vous, ne croise pas les camions. Enfin, il est
jugé plus pratique (7, entre autres : il évite le problème de
stationnement en ville, offre un accès direct au centre-ville),
plus écologique (6) et plus convivial (3) que les autres mo-
yens de transport. Vous aimez y lire ou y dormir (4), y « être
tranquilles » (3) et vous y détendre, y faire des rencontres (3),
mais aussi y travailler. Le temps du voyage peut être mis à
profit pour une activité ou, simplement à « se poser avant de
travailler ou de rentrer ». L’unique moyen de transport en com-
mun sur le trajet Breil-Sospel, le train est aussi une chance
pour ceux qui n’ont pas le permis (3). Vous trouvez notre lig-
ne, en outre, « remarquable » et « agréable ». Un(e) collégien
(ne) qui l’aime pour « profiter de la vue », y voit, comme autre
avantage, celui de « laisser travailler nos parents » (les emplo-
yeurs apprécieront). Enfin, quelques détails pour le côté pra-
tique : « On peut transporter son vélo… si on n’a pas peur des
camions. Les enfants peuvent circuler, bouger, jouer. Les per-
sonnes âgées peuvent se déplacer plus facilement, […] aller aux
wc. Les personnes handicapées (mauvaise vue, problèmes
d’ouïe ou handicap majeur) peuvent se déplacer. Les scolaires
ou différents groupes peuvent se déplacer ensemble […] En fait,
il n’y a que du positif à prendre le train ».
A l’occasion du numéro 11 consacré à notre ligne de
train Nice-Vintimille-Cuneo, la Marmotte a enquêté au-
près de ses usagers (35 personnes de tout âge). Son idée
était de recueillir vos impressions, ressentis et expérien-
ces liés à l’usage du train dans votre quotidien. Pendant
toute la durée des travaux de réhabilitation de la ligne,
commencés en septembre, nous publierons de courtes
synthèses de vos réponses aux 10 questions posées.
PAROLE AUX USAGERS !
ALA. Merci à Gelsomina pour le questionnaire
Page 14 La Marmotte déroutée
C’était un langoureux matin de juin, de ceux qui ne nous écrasent pas encore par leur chaleur alors
que l’ombre tend déjà ses promesses rafraichissantes. On vous fait rêver ? Alors, on a bien fait de
garder ce sujet au chaud ! A Gorbio, c’est un orme tricentenaire qui projette son ombre bienvenue
sur la petite place, ses deux oliviers et une belle fontaine qui clapote joyeusement. Ce 18 juin 2017, la place est tou-
te remplie de gens, de tables et d’objets divers : vêtements, livres, vaisselle, cartes, bijoux, outils, accessoires. Un
vide-grenier ? Non, une « gratiferia », un marché gratuit où chacun peut donner ou emporter ce qu’il veut, sans for-
cément donner quelque chose en échange. La Marmotte s’y est rendue pour rencontrer le SEL du Citron, orga-nisateur de l’événement.
Ça vous fera 25 zestes !
Le SEL (système d’échange local) de Roquebrune-Menton, dit
SEL du Citron, existe depuis cinq ans et compte plus de 130
adhérents. Le prix de l’adhésion est « symbolique », 5€ pour
l’année. Une présence est exigée à au moins une réunion,
« pour pas qu’il n’y ait de personnes virtuelles et pour créer des
relations de confiance basées sur la convivialité ». Les réunions
sont mensuelles. Chacun amène des choses à donner ou pro-
pose des services à échanger. Le SEL a aussi un site Internet
(selducitron.communityforge.net), où on met ses offres et
demandes. Ceux qui rencontrent des difficultés avec Internet
peuvent compter sur d’autres membres du SEL pour les ai-
der. Les échanges se font en monnaie locale, le zeste. L’unité
de référence est l’heure de travail (60 zestes, quel que soit le
travail en question). Sur le site, chacun possède un compte en
zestes, qui démarre à zéro, ne peut pas descendre en des-
sous de - 1000, ni monter au-delà de 3000. Le but, c’est
l’échange, pas l’accumulation. On commence à zéro, et on
peut aussi faire des dons. Mais Internet ou pas, « pour que ça
fonctionne, il faut que les gens habitent assez près ».
Qu’est-ce qui s’échange le plus ? Des services. Beaucoup de
cours ou de coups de main (comme par exemple ramasser
des cerises, 25 zestes par kilo). Il y a aussi des prêts d’objets
(par exemple un karcher, 120 zests par jour) ou l’échange de
nourriture (fruits, confitures…). Par ailleurs, chaque réunion
est suivie d’un repas partagé. Certains adhèrent au SEL uni-
quement dans le but de participer à ce moment de conviviali-
té.
Quand on fait partie d’un SEL, on peut aussi prendre part à
des échanges inter-SEL, via une plateforme nationale,
SEL’Idaire (seldefrance.communityforge.net). On peut faire
des stages, apprendre quelque chose ou aider à un projet.
Comment on convertit les différentes monnaies ? En passant
par l’équivalent en heures de travail (unité de valeur). Un
autre site, route-des-sel.org, permet de recevoir des gens
chez soi ou de louer des chambres en monnaies locales (60
unités).
Pourquoi monétariser l’échange ? « Dans les villes, ça sert à ce
que les gens se rencontrent. C’est différent dans les villages, où
le lien existe déjà, où les gens ont encore une histoire commu-
ne ». Payer, même en monnaie locale, et demander un servi-
ce ou un objet via un SEL dérange moins que de taper à la
porte du voisin. « Ça redynamise les relations, la vie. Il n’y a
pas d’âme sur le littoral. L’idée est de proposer autre chose que
le béton, la mer et le tourisme ».
INITIATIVES LOCALES
Petite tchatche avec le SEL du Citron
La pépinière de la Bendola
Dans nos vallées, les arbres ont généreusement offert aux po-
pulations ce qui constituait pendant longtemps une des princi-
pales sources et base de leur alimentation, voire de leur survie :
fruits frais et de garde, figues séchées, fruits à coques, fruits et
baies « sauvages », etc. Pourtant, les vergers vieillissent et il est
de plus en plus difficile de trouver ces précieux fruits, aux sa-
veurs et usages variés.
De nombreux habitants continuent néanmoins à planter et à fai-
re vivre les campagnes. C’est aussi pour participer à cette dy-
namique que nous avons créé notre petite pépinière à Saorge !
Nous proposons une centaine de scions de variétés fruitières
anciennes, rustiques et adaptées aux différents sols et climats,
des moyennes montagnes jusqu’au littoral.
C’est une aventure qui démarre. Aidez-nous à retrouver les vie-
lles variétés locales! Si vous connaissez de vieux arbres dont
vous aimez les fruits, faites-nous savoir ! D'autant plus que l’hi-
ver est le bon moment pour prélever des greffons !
Pour plus de détails : Tél. 0783321085
Mail : [email protected]
Catalogue : http://fr.calameo.com/read/001175433d65080e7d66c
Oreille tendue par Andrea
Janvier 2018, nº13 Page 15
ACTUALITÉS
Candidature des Alpes de la Méditerranée à l’UNESCO
Linky, une « silicolonisation » de nos quotidiens ?
Un simple caisson mis sous scellé comptabilisant votre consommation
d’énergie ? On rigole ! Le Linky, nouveau et imposé compteur EDF,
en rajoute au rayon des options obligatoires : connecté en
permanence via le CPL (Courant Porteur Léger), en plus d’émettre
des ondes (probablement nocives) dans toutes nos installations
électriques domestiques, il communique intelligemment tous les
détails de notre activité électrique : combien de fois par nuit je me
lève ; fais-je la cuisine au micro-ondes, mon frigo est-il vide ; étais-je
chez moi ce jour-là… On peut imaginer d’autres scenarii, mais en a-t-
on vraiment besoin pour payer une facture d’énergie ? (cf. Article et encadrés pp. 9-10). Nous approfondirons ce sujet dans la
prochaine Marmotte (n° 14).
Quelques extraits des courriers que nous avons reçus - Merci!
Chère Marmotte,
Peut-être connaissez-vous le mitote, le brouillard évoqué
dans Les Quatre Accords Toltèques écrit par Don Miguel
Ruiz, le brouillard qui brouille notre rêve personnel.
Pour s'en libérer, se libérer du rêve de la planète qui nous
est imposé à notre insu dès notre naissance, 4 ac-
cords (qui résonnent comme des mantras bienveillants
rédigés pour nous aider vraiment à vivre notre vie!) :
- 1er accord : Avoir une parole impeccable; si ta parole
est impeccable, une bulle de vérité se forme autour de toi
et te préserve des sorts de la parole malveillante d'autrui,
elle ne peut plus t'atteindre.
- 2ème accord: Ne rien prendre de manière personnelle.
En effet, je ne suis pas responsable des agissements d'au-
trui, de ce qu'ils disent, font ou pensent, en bien ou en
mal.
- 3ème accord: Ne pas faire de supposition, poser des
questions.
- 4ème accord: Toujours faire de son mieux, ainsi, quoi
qu'il arrive, je n'aurai rien à me reprocher, j'aurais fait de
mon mieux.
La lecture du livre de Don Miguel Ruiz présente une aide
précieuse pour se rapprocher de ses propres rêves, elle
se termine par des prières toutes simples. Et si c'était ça
notre rêve, qui dilate l'espace et le temps, la formidable
érosion des contours... la simplicité?
[…]
Avis aux buveurs de bières et de coca, fumeurs ou adeptes de
McDo ou biscuits qui ont l’habitude de jeter leurs emballages le
long de la route Fontan-Saorge : ce trajet ressemble à une dé-
charge. Je ramasse un sac plein à chaque fois. J’aime cette va-
llée, et j’ai autre chose à faire !
COURRIER DES LECTEURS
Jidé
Enfin de l'eau !
Nous avons connu la plus longue période de sécheresse depuis plu-
sieurs décennies ! Espérons que les forêts s'en remettent et que les
sources demeurent. Sinon, nous comprendrons probablement mieux
ce qui a pu pousser nos congénères du néolithique et de l'âge du
bronze à venir graver les roches des vallons du Mercantour. Le climat
chaud et sec amena probablement les populations chercher l'eau et
l'herbe en montagne… (AL)
La candidature du site des Alpes de la Méditerra-
née au Patrimoine mondial de l’UNESCO, portée
par l'Italie, concerne une cinquantaine de commu-
nes franco-italiennes (Alpi maritime, Mercantour,
Alpes ligures, Abysses monégasques...) dont cel-
les de la Roya et la Bevera, sur une superficie d'en-
viron 200 000 hectares. Elle est basée principale-
ment sur la diversité géologique et, en second
plan, sur la biodiversité. Le grand oral décisif aura
lieu début 2018. Cet événement est d'une grande
importance car il risque d’enclencher une pompe
à touristes difficilement contrôlable. L'enjeu prin-
cipal sera de conserver une gestion locale. Les
exemples de dérives du tourisme de masse géré
par de grandes agences de voyage ne sont que
trop nombreux pour les zones déjà classées UNES-
CO. Par ailleurs, l'axe central de la vallée et les
villages ne sont pas inclus. Dommage, car nous
aurions pu profiter du cahier des charges de
l'UNESCO pour empêcher le réaménagement de
la vallée en une grande traversée alpine pour le
trafic international de marchandises… - ce qui au-
rait limité en retour les aménagements pour le
tourisme de masse ! (AL)
Page 16
ACTUALITÉS (suite)
La Roya italienne prête à interdire les poids-lourds
Après les mairies de la Roya française et le con-
seil départemental du 06, les maires italiens
Adriano Biancheri (Olivetta), Fausto Molinari
(Airole) et Enrico Ioculano (Ventimiglia) ont sig-
nalé leur intention d’adopter, eux aussi, un
arrêté interdisant le transit des poids-lourds de
plus de 19 tonnes sur la route de la Roya. (ALJ)
Veolia aux portes de la vallée
La Marmotte déroutée Nous cherchons toujours des illustrateurs-dessinateurs, des traducteurs
du français en italien et de nouveaux points de diffusion. Et bien sûr,
continuez à nous faire parvenir vos idées, vos réactions et réflexions, que
nous ne manquerons pas de publier dans la rubrique « Courriers des
lecteurs ». Cette vallée est la nôtre, ce journal aussi!
www.la-marmotte-deroutee.fr
Tél. 07 68 05 65 34
Quid du tunnel de Tende ?
La multinationale de la gestion des déchets et
du transport public est aussi championne de
la gestion (comprendre privatisation) de
l'eau dans le monde et, donc, de la mainmise
sur les sources. Dans la Roya, elle s'intéresse
à l'eau de la Maglia et de Mérim alimentant
Breil et Saorge (cf. La Marmotte nº6), pour la
revendre aux habitants de la vallée, mais aussi et surtout aux
villes côtières. Avec la mise en application de la loi NOTRE
(cf. La Marmotte n°3), la gestion de l'eau, aujourd'hui encore
en régie municipale dans la majorité de nos communes, de-
vrait être transmise à la CARF en janvier 2020. CARF dont le
cœur balance pour Veolia ? (AL).
Du côté du train
Ceux qui ont pu mettre leur museau derrière les
barrières qui cachent ce qui se passe sur le
chantier de doublement du tunnel de Tende
nous rapportent qu’on serait proche de la simu-
lation d’activité. Peut-être par peur que « la sali-
ve » ne tienne pas la montagne si bien que ça
(voir la Marmotte nº9), d’autant plus que les in-
tempéries menacent… Les expertises ont-elles
vraiment été effectuées comme il se doit? Pour-
quoi n’avons-nous aucune information ? (Jidé)
Loi de sécurité intérieure 2017 La loi de sécurité intérieure, adoptée en août 2017, transpose la plupart
des dispositifs de l’état d’urgence dans le droit commun. C’est un renver-
sement du système judiciaire, qui rend le droit français dérogatoire à de
nombreux príncipes et textes, comme par exemple la Convention euro-
péenne des droits de l’Homme. « On n’est plus dans le système de la preu-
ve, mais dans celui de présomption de culpabilité », résume l’avocate Fran-
çoise Cotta, qui a tenu une conférence sur ce sujet à l’Université populaire
de la Roya de décembre. En gros, « on est tous préjugés coupables poten-
tiels d’un crime virtuel »… qu’on pourrait éventuellement, dans le futur,
risquer de vouloir commettre !
Non seulement le préfet gagne tout un tas de prérogatives (il peut interdire
une manifestation, ordonner une perquisition ou saisir les données infor-
matiques d’un citoyen sans l’intervention d’un juge), mais on entérine aussi
le système de surveillance généralisé, déjà en place sous le régime d’état
d’urgence. La Commission nationale de contrôles des techniques du renseig-
nement (CNCTR) rapporte qu’entre octobre 2015 et octobre 2016, plus de
20 000 personnes ont fait objet d’une surveillance: 47% au titre de la pré-
vention du terrorisme, 29% pour des motifs de criminalité et de délinquan-
ce organisées, les autres, pour des raisons diverses, comme par exemple
la « préservation de l'indépendance nationale », « des intérêts majeurs de la
politique étrangère » ou encore « des intérêts économiques, industriels et
scientifiques majeurs de la France». (A)
Les travaux de rénovation sont toujours en
cours. En attendant, suite aux intempéries de
décembre, des rochers suspendus quelque part
entre Peille et l’Escarène menacent la voie fer-
rée. Des bus de substitution ont été mis en pla-
ce, mais c’est un vrai jeu de piste de savoir s’il y
en a un. (Jidé)
ÉVÈNEMENTS EN ROYA-BEVERA
31 décembre 2017 à Saorge : Baleti Rock à la salle des
fêtes pour le réveillon 2017 (19h : Apéro avec Rumpa
Baleti, repas partagé ; 22 h: Fran e i Pensieri Molesti) 1 janvier 2018 : Bonne année!
5 janvier à 19h, à Breil (A Ca de Brei) : Université
populaire de la Roya : paysannerie et véganisme.
Repas partagé. 5 janvier 2018 : Concerto senza frontiere au Centre
Social La Talpa 625 via Argine Destro à Imperia. 18h :
repas, 21h concert. 03 février à Breil (place Brancion) :
3ème Souperrr Fest'hiver, Fête de la
Soupe.
Nouveau dans la vallée : des ateliers
d'expression et de langue des
signes. Pour tout renseignement et
inscription : 06 23 64 40 59