28 avril 2013, par Pierre Barthlmy
Les incroyables promesses de la mdecine rgnratrice
Tout a commenc avec Rocky. Non pas le boxeur de cinma incarn par
Sylvester Stallone, mais un chien qui portait le mme nom et qui, au
fond, s'est lui aussi vu offrir une deuxime chance. Nous sommes la
fin des annes 1980 et l'Amricain Stephen Badylak, spcialiste
l'poque de pathologie animale Purdue University (Indiana), cherche
un substitut aux tubes synthtiques qui remplacent les aortes en
chirurgie cardiaque et prsentent le dfaut de provoquer inflammation
et caillots. Son ide : prlever un morceau d'intestin grle de Rocky,
qui fait le bon diamtre, et le greffer la place de son artre pour
vrifier qu'il est assez rsistant pour jouer ce rle. Quand il rentre
chez lui aprs l'opration, le chercheur ne s'attend pas vraiment ce
que Rocky passe la nuit. Mais le lendemain matin, et les jours
suivants, le chien est en pleine forme et attend avec impatience
qu'on lui serve sa pte... Badylak ritre l'opration sur 14 autres
chiens.Au bout de six mois, aucun dcs n'tant survenu, il se dcide
ouvrir un de ses sujets pour voir dans quel tat se trouve son
aorte. C'est l, comme l'a confi l'Amricain au magazine
HYPERLINK
"http://discovermagazine.com/2011/jul-aug/13-how-pig-guts-became-hope-regenerating-human-limbs"
\l ".UVxSDqWeNuA"Discoveren 2011, que les choses sont vraiment
devenues bizarres. Plus aucune trace du bout d'intestin. Il n'y a
pourtant pas d'erreur: la marque de la suture existe mais le tissu
observ au microscope est celui d'une artre. J'tais en train de voir
quelque chose qui n'tait pas cens arriver, dit Badylak, quelque
chose qui allait contre tout ce qu'on m'avait enseign la facult de
mdecine. En examinant d'autres chiens et en observant chaque fois
la disparition du tissu intestinal, le chercheur finit par supposer
que quelque chose, dans ce tissu, provoque la rgnration de l'aorte.
Or, la rgnration, la possibilit de fabriquer un tissu, un organe,
un membre nouveaux pour remplacer ceux qui ont t endommags ou
arrachs, est un des Graals de la mdecineauquel le Scientific
Americanconsacre un dossier (payant) dans son numro d'avril.Rocky a
vcu sa vie de chien pendant huit autres annes, au cours desquelles
Badylak a identifi ce qui avait permis ce petit miracle. Il ne
s'agissait pas de cellules intestinales, mais de l'armature qui les
maintient ensemble, ce que l'on appelle la matrice extracellulaire.
Trs vite, Badylak s'est aperu qu'en tant toutes les cellules de
cette matrice, on obtenait un matriau blanc que l'on pouvait
prsenter sous diffrentes formes (poudre, gel, feuilles...) et qui
ne pouvait tre rejet par les organismes-htes. Pour en disposer en
grande quantit, le chercheur commena rcuprer, auprs d'un levage,
des intestins et des vessies de porcs.Restait comprendre comment
cette matrice extracellulaire agissait. Sans la rponse sa question,
Stephen Badylak risquait de passer pour un charlatan avec sa poudre
magique. Pendant des annes, il n'osa pas trop communiquer son
sujet, mais il passa un accord avec un fabriquant de matriel
orthopdique qui fit breveter sa dcouverte. Celle-ci fut ensuite
accepte en 1999 par la Food and Drug Administration pour tre
employe en chirurgie des tendons de l'paule, dans le soin des
hernies abdominales voire celui des mninges. La poudre de vessie de
porc faisait des miracles sur les hommes ! Et c'est grce une
biopsie effectue par un chirurgien sur un patient que Stephen
Badylak, au dbut des annes 2000, finit par rsoudre une partie du
mystre: une fois dposes dans l'organisme, les protines contenues
dans sa poudre jouent aux sergents-recruteurs et appellent la
rescousse... les cellules souches contenues dans l'organisme.
Celles-ci ayant la capacit de se spcialiser en n'importe quel type
de cellules, rien d'tonnant ce qu'elles se mtamorphosent en aorte
un jour, en tendon le lendemain.D'o un changement de paradigme
total, selon Stephen Badylak: Presque tout le monde considrait la
matrice extracellulaire comme un simple support structurel qui vous
permettait de tenir debout, de supporter votre poids et de
maintenir les choses ensemble. Nous savons maintenant que c'est
presque le contraire. C'est essentiellement une collection de
protines-signaux et d'informations, qui sont maintenues entre les
molcules structurelles. D'o, aussi, un pas de gant dans une
discipline toute jeune, la mdecine rgnratrice.En 2007, un accident
se produit un dimanche matin dans une boutique de jeux et maquettes
de Cincinnati (Ohio). Un des employs, Lee Spievack, voit le bout de
son annulaire tranch net par l'hlice d'un avion en modle rduit. Prs
d'un centimtre de doigt disparat. La chair et l'os sont nu mais
cela n'impressionne pas outre-mesure cet ancien de la guerre du
Vietnam. A l'hpital, on lui propose de revenir quelques jours plus
tard pour crer un moignon l'extrmit de son doigt, grce de la peau
prleve ailleurs sur son corps. Mais Lee Spievack veut d'abord
l'avis de son frre an, ancien chirurgien. Or celui-ci a rencontr
Stephen Badylak quelques annes auparavant et connat les "pouvoirs"
de sa matrice extracellulaire. Il envoie donc son frre bless un
tube de poudre magique et lui recommande d'en saupoudrer son doigt
sectionn tous les deux jours. Et le bout de l'annulaire repousse:
l'os, la chair, l'ongle, tout revient, y compris les empreintes
digitales. L'information fait le tour des Etats-Unis puis du monde
par la grce d'Internet. Il ne se passe dsormais plus une semaine
sans que Stephen Badylak, aujourd'hui directeur adjoint du McGowan
Institute for Regenerative Medicine l'universit de Pittsburgh
(Pennsylvanie), reoive par courrier lectronique des demandes pour
traiter des amputs.Mais entre faire repousser un morceau de
phalange et un doigt voire un membre entier, il y a un monde. Mme
si, comme les salamandres, l'embryon humain peut recrer entirement
un bras coup, cette capacit de rgnration est mise en sommeil par la
suite et le corps ne connat plus qu'un procd nettement plus
sommaire, la cicatrisation. Pour l'heure, mme s'il a obtenu des
rsultats encourageants sur des souris, Stephen Badylak sait qu'il
ne peut remonter le Meccano complexe d'un doigt humain entier, avec
ses os, ses articulations, ses muscles, ses tendons, ses vaisseaux
sanguins, etc. Mais il sait galement que la demande de rparation
est immense dans un pays en guerre comme les Etats-Unis. Il a donc
collabor avec l'arme sur une tude impliquant des soldats revenus
blesss d'Irak et d'Afghanistan, tout en continuant tester les
limites de sa matrice extracellulaire sur d'autres tissus. En 2011,
il a ainsi publi un article annonant la reconstruction d'un sophage
chez cinq patients.Stephen Badylakn'est pas le seul pionnier de la
mdecine rgnratrice. A quelques centaines de kilomtres au sud de
Pittsburgh, au Wake Forest Institute for Regenerative Medecine de
Winston-Salem (Caroline du Nord), Anthony Atala fait depuis
quelques annes "pousser" des vessies qu'il implante ensuite avec
succs sur des malades. Son quipe travaille dsormais sur la cration
d'autres organes, comme le rein. Toujours aux Etats-Unis, au Texas
Heart Institute de Houston, Doris Taylor tente quant elle de recrer
des curs. Elle y est dj parvenue avec des souris.L're des rgnrs a
commenc...
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