La Musique Congolaise

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LA MUSIQUE CONGOLAISE DE LA FIN DU VINGTIEME SIECLE : DU " SOUKOUSS " A " LHELICO ". Daniel MATOKOT

INTRODUCTION Connatre et comprendre la musique du Congo-Brazzaville consiste avant tout la restituer dans un environnement caractris ces derniers temps par le chaos social et politique. Guerres civiles, confrence nationale, revendications sociales, querelles ethniques et contingences de toutes sortes (misre, famine, pauvret, maladies) ont contribu perturber grandement la quitude des Congolais. Rpublique dAfrique centrale, avec pour principale richesse le ptrole, le Congo affronte des violences et des atrocits dune intensit inoue. La conqute du pouvoir par des politiciens de toute nature pose des difficults au peuple et surtout aux artistes qui ont bien du mal se consacrer exclusivement la production duvres musicales originales et de bonne facture. Malmens de toutes parts, les crateurs sont confronts dnormes problmes sociaux et financiers qui minent leur intgrit, leur efficacit et certainement leur crativit. Pourtant, ils ont russi maintenir ltrave haute pour sengager dans le chenal du vingt-et-unime sicle. Les annes 90 constituent une priode particulire dans lhistoire de lHumanit. Elles sont la passerelle reliant un sicle lautre. Lan 2000, avec ses promesses dun monde meilleur de paix et de fraternit, se double du projet de la mondialisation, " rendez-vous du donner et du recevoir " de la civilisation de l universel. Le moment est venu de se mettre en cause, de faire le point, et de vrifier si les turbulences socio-conomico-politiques nont pas rduit nant les perspectives de crativit et dvolution des musiciens congolais ou dtruit lart au Congo. Quel est le bilan musical de la fin du sicle dernier ? Quel a t limpact des troubles et des soubresauts sociaux et politiques sur la vie musicale ? Quest-ce qui a favoris lapparition des rythmes et danses nouvelles comme " soukouss ", " ndombolo " ou " hlico " ? Quelle perspective offre la musique congolaise lore du troisime millnaire ?

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A. Historique de la musique congolaise Lart, reprsentation de la socit, volue dans la continuit. Autrement dit, il volue dans le sens de la marche du temps. Il saccroche lvolution de la communaut et est tributaire des russites et des checs de la vie sociale. Le passage dune dcennie lautre ne signifie nullement faire table rase des acquis des annes prcdentes. Aussi, pour mieux suivre la progression de la musique du Congo, un bref parcours historique simpose. Cela nous permettra de dmontrer la vitalit de cette musique et de mieux analyser l impact sur elle des turbulences de ces dix dernires annes. Signalons que, sur le plan musical, le clivage entre rive droite (Congo-Brazzaville) et rive gauche (Congo-Kinshasa) est peu significatif. Les musiciens des deux pays ont en effet suivi des parcours similaires et volu dans les mmes orchestres. La ligne de partage se situe surtout au niveau des trois coles musicales dans lesquelles ces artistes ont fait leur apprentissage: lOK Jazz , lAfrican Jazz et les Bantou de la Capitale Nous essayerons, tout au long de cette analyse, de focaliser notre attention sur les musiciens du Congo-Brazzaville, tout en nous rservant le droit deffectuer des analogies avec ceux du Congo- Kinshasa chaque fois que la ncessit sen fera sentir. Quatre tapes caractrisent la musique des deux Congo : la gense, lge dor, le creux de la vague et la relance. 1. La gense Lentre triomphale du phonographe et des rythmes latino-amricains Brazzaville et Kinshasa annoncent la naissance de la musique congolaise moderne. L hgmonie de la rumba cubaine et du high-life ghanen ou nigrian suscitent des vocations musicales et contribuent la cration et l panouissement de nombreux groupes Brazzaville et Lopoldville : Victoria Jazz, Jazz Bohme, Dinamic Jazz, African Rock, Vedette Jazz, Victoria Brazza, Victoria Kin, Salvator Le plus clbre de ces ensembles est incontestablement Victoria-Brazza cr en 1942 par Paul Kamba, artiste n en 1912 et mort en 1956. En son sein se ctoient et se succdent des artistes tels que Hyppolite Ita, Franois Lokwa, Philippe Mokouamy, Jacques Elenga, Paul Wonga, Damongo Dadet, Albert Loboko, Bernard Massamba Lebel. Le trio Bukasa, Oliveira et Wendo chantera plus tard les mrites et luvre de pionnier de Victoria Brazza dans un chef-duvre intitul " Victoria a piki dalapo " (Victoria a plant le drapeau). Paul Kamba est sans conteste le Pre fondateur de la musique moderne des deux rives. Le chroniqueur musical congolais Manda Tchebwa le reconnat en ces termes (La musique congolaise, hier et aujourdhui, Duculot, Afrique Editions, 1996) : 2

" Brazzaville reste malgr tout le royaume incontest du matre de la chanson congolaise, Paul Kamba ". En 1947, louverture des premiers studios denregistrement Lopoldville ainsi que la prosprit conomique de cette ville ex-Belge se traduisent par la rue des musiciens Brazzavillois vers la capitale-sur. Ils intgrent les orchestres locaux et participent lge dor de la musique congolaise sur le continent africain vers les annes 1950. De nombreuses maisons dditions contribuent ce rayonnement : Olympia (1939), Ngoma (1947), Congolia (1947 ), Auditorium (1947 ), Opika (1950), Esengo (1951), Congo Bina (1953), Loninguisa (1955). 2. Lge dor La tte de file demeure Antoine Kolossoi alias Wendo. N en 1925, sa chanson " Marie Louise " le propulse au Panthon de la musique congolaise. Il marque dune manire indlbile cette poque que lon appellera par la suite " tango ya ba Wendo " (le temps des Wendo) Une premire vague de musiciens se fait remarquer : Camille Ferruzi, DOliveira, Sono Emmanuel, De Saio, Honor Tinapa, Jimmy, Guy Lon Fylla, Verre Cass, Franois Bosele, Jean Makanga, Ernest Salambanzi, Pewo, Franois Bamanabio, Antoine Moundanda La premire gnration de femmes musiciennes est reprsente par Lucie Eyenga, Tekele Moukango, Pauline Lisanga, Aime Mbombo, Albertine Ndaye, Marie Kitoko, Marthe Modibala La deuxime vague est compose de musiciens suivants : Joseph Kabasele, Luambo Makiadi, Franck Lassan, Jean Bokelo, De Wayon, Serge Essous, Mujos, Ganga Edo, Kwamy, Franklin Boukaka, Simaro, Madiata, Max Massengo, Tino Baroza, Nino Malapet, Vicky Longomba, Sinamoyi Pascal, Ntouta Mamadou, Michel Boyibanda A ct de la rumba congolaise qui prend de lassurance, le cha-cha-cha, le calypso et le meringue sont les rythmes les plus usits et confirment linfluence des mlodies latino-amricaines. Beaucoup dinstruments traditionnels sont intgrs la musique moderne. Moundanda introduit en 1953 le " likembe ", appel aussi " sanza " ou " sansi " ; Kabasele ajoute le tambour " tetela " en 1955. Les autres percussions qui feront leur apparition sont le " nkwaka ", le " bitsatsa ", le " nsakala " et le " patengue ". Les musiciens chantent presque tous en lingala. 3

Cette priode verra la naissance des trois orchestres typiques du Congo : LAfrican Jazz (1953) : Kalle Jeff, Nico Kasanda, Tino Baroza, Dechaud, Damoiseau, Tabou Rochereau, etc. LO.K. Jazz (1956 ) : Luambo Franco, Vicky Longomba, Mujos, Kwamy, Simaro, etc. Les Bantou de la Capitale (1959 ) : Essous, Edo, Celio, Dino, Papa Nol, Pandy, De la Lune, Nino Malapet, etc.

Les autres orchestres qui connatront du succs sont : Conga Succs, Rock-AMambo, Cercul Jazz, Negro Band, Conga jazz, Noveltys, Tembo, Rumbaberos LAfrican Jazz de Kabasele laissera la place LAfrican Fiesta du docteur Nico et de Rochereau. Ce groupe par la suite se scindera en deux : LAfrican Fiesta Nationale de Rochereau et lAfrican Fiesta Sukissa de Nico. 3. Le creux de la vague et la relance Le succs de Ray Charles et le passage de James Brown Kinshasa font dcouvrir dautres musiques. Les magazines " Salut les copains " et " Hits " font la publicit du rockn roll. Lorganisation des Premiers Jeux Africains Brazzaville (1965) permet aux Bantou de la Capitale de crer le rythme " rumba boucher " en sinspirant de la danse folklorique " walla ". La cration de la Socodi (Socit congolaise du disque) en 1970 relance les activits musicales brazzavilloises. Elle permet aussi lorchestre Les Bantou de la Capitale de confirmer son statut international. Les musiciens qui voluent en son sein deviennent des modles imiter : Serge Essous, Nino Malapet, Passy Mermans, Pandy, Nkouka Celestin, Edouard Ganga, Sammy Trompette, Taloulou Alphonso, Ricky Simon, Pamelo Mounka, Kosmos, Jerry Grard Le bassiste Taloulou Alphonso fait cette confidence ( La Cigale, magazine culturel congolais, n3, 1987) : " Les Bantou taient les clous des orchestres congolais Ctait le rve de tout musicien lpoque : faire partie des Bantou. Cela ma permis de jouer avec les grands musiciens tels Nino et Essous ". La cration de lOrchestre national, slection des meilleurs musiciens congolais, redynamise la scne musicale. Cet ensemble disparat malheureusement aprs avoir particip avec brio une srie de festivals internationaux : Festival de Dakar (1976), Festival de Lagos (1977) et Festival de Cuba (1978). Il est intressant de noter que lossature de cet orchestre est constitu par les musiciens des Bantou de la Capitale. Les dfections au sein des Bantou de la capitale aboutiront la cration de nombreux orchestres perptuant les traditions de cette cole musicale: Sossa, Nzo, le Peuple, les Fantmes, etc. 4

La dbaptisation du Congo exBelge, qui devient le Zare, facilite la distinction des orchestres de Brazzaville de ceux de Kinshasa, mais lexpression " musique zarocongolaise " prserve lorigine commune de la musique des deux pays. La mode des groupes vocaux, commence dj Kinshasa ds la fin des annes 1950 avec le phnomne Jecoke (1957) et Jecokat (1959), prend de lampleur Brazzaville et Pointe-Noire et se concrtise par la formation de jeunes ensembles: les Cheveux crpus, les Cols bleus, les Echos noirs, les Ombres, les Anges, les Orphelins Les groupes vocaux seront de vritables viviers o spanouiront beaucoup de vedettes. En 1970, le chanteur kinois Tabou Ley Rochereau affronte la scne mythique de lOlympia (France). Les nombreuses innovations qu il apporte au son, au rythme et au jeu de scne, pour tre en accord avec les lois implacables du "showbusiness" international, donne naissance une nouvelle conception artistique. Le rythme " soum djoun ", o la batterie prend dfinitivement le dessus sur les tambours ou " tumba ", ouvre la voie aux danses Ciao, Cavacha, Choqu, Ekonda saccad ou Bidounda-dounda, Volant qui feront le succs des gnrations suivantes. La relance des annes 1975 sera assure par des leaders tels que Lita Bembo, Papa Wemba, Mario, Djeskain, Sinatra, Evoloko, Pp Kall, Nyoka Longo, Youlou Mabiala, Machakado, Soki Vangou, Soki Dianzenza, Canta Nyboma, Sam Mangwana, etc. De nombreux ensembles parviennent dune manire fulgurante la notorit: Zako Langa-Langa, Viva la musica, Stukas, Sossolisso, Grands Maquisards, Mando Negro, LipuaLipua, Sinza Kotoko, Touzana, Bakuba, SBB (Super Boboto), Manta Lokoka, Cobantou, Tl Music, 3 Frres, Rumbayas, Kamikaze, African Mod Matata, Super Tembessa, etc. A ct des orchestres professionnels naissent Brazza les orchestres amateurs de jeunes, notamment dans les milieux scolaires : Tout Choc Zimbabwe , Ndjila Mouley, Bilengue Sakana, Djimbola Lokol, Techniciens, Chaminadiens, Chamanga, Chanta Bouita, Group Rouge, etc. La rumba congolaise, musique lente et lancinante quatre mouvements, subit une volution notable. La partie rapide, dnomme " sebne " (ce mot, corruption du mot anglais Seven, signifie accord de Septime et indique ici un changement de mouvement dans un rythme), simpose. La partie lente, la rumba, tend se rduire sa plus petite expression. Sa suppression par certains musiciens aboutit au " soukouss ". Le changement de tempo indiquant le passage dune partie de la chanson une autre disparat. La mlodie et le texte sont relgus au second plan au profit du rythme.

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LAngolais Sam Mangwana et les Xongolais Tho Blaise Nkounkou et Pambou Tchico, depuis la Cte dIvoire, feront connatre le " soukouss " au public international ds le dbut des annes 1980. Le phnomne de la " sape " porte chance Aurlus Mabele du groupe Loketo qui obtient le Prix Docteur Nico aux Maracas dor de 1986 et sautoproclame " Roi du Soukouss ". Cest la conscration pour ce rythme. Sur les traces des anes, les musiciennes Marie Bella, Josphine Bijou, Pongo Love, Abeti Massikini, Mbilia Bel, Tsiala Muana, Carmen Essous apparaissent Pembe Sheiro, Mamie Claudia, Judith Ndecko, Dianny Bakela, Nina, Michalle Mountouari, Pierrette Adams, etc. Les danses " trs fch " et mouyirika " , variantes du soukouss, qui mlent la tradition et le moderne avec un brin doprette, dfraient la chronique pendant un certain temps. Dans la mme veine, la danse " Engondza " du " chairman " Jacques Koyo traversera les frontires et connatra un rel succs Kinshasa et dans toute lAfrique. Mais la rumba et le soukouss ne constituent pas les seules pistes de recherche. Bikouta Bicks, Bruno Houla, Jeff Louna se distinguent dans le jazz quils mlent aux rythmes traditionnels avec beaucoup de bonheur. Dana et Ren (Balka Sound), Malonda Jean Jody et Zam (Zakala), Nzongo Soul et Bakouma Bengot (Walla Players), Clotahaire Kimbolo Douley (Les Anges), Samba Ngo (Mbamina), Tanawa et les Bruches Walla marient la soul, le rock et le folklore. De nombreux groupes de gospels manifestent leur prsence : Yimbila, Masselafa, Mages, Colombes, Samouna, Perles, Dahlia, Longoka, Lozi, etc. Le reggae aussi a des adeptes : Famille des Serpents, Jah Children, Black Prophet, Duvellers, etc. Les orchestres typiques, comme on dsigne au Congo ceux qui ont pour base musicale la rumba, sinspirent de la biguine et du zouk, aprs le succs clatant de lorchestre antillais Kassav et son passage remarqu Brazzaville o il sest produit au Palais des Congrs et au Stade de la Rvolution. Le makossa imprimera sa griffe dans la musique du Congo travers le succs de Manu Dibango, Eboa Lotin, Ekambi Brillant, Kemayo, Toto Guillaume, Sam Fan Thomas ou Moni Bil, etc. Tandis que les groupes folkloriques sinstallent sur les ondes radio et les grandes places de Brazzaville et Pointe Noire (Nkembo dor, Songa Zola, Fua Bissalou, Lossa Nsengo), les voix de griots ne sont pas en reste (Ngalsiana, Lukobi lwa Bakula, Loussialala de la poussire, etc.).

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Cest dans cette euphorie musicale, caractrise par la multiplication des ensembles musicaux, le renouvellement des textes et des rythmes, que dmarrent les annes 90. B. Les turbulences dune dcennie cruciale Lanalyse des vnements qui ont eu un impact significatif sur la socit congolaise pendant ces dix dernires annes savre incontournable pour comprendre lvolution actuelle de la musique congolaise. 1. La dmocratisation Le sommet de la Baule adopte la rsolution de napporter de laide aux pays en dveloppement qu la condition que ces derniers appliquent les principes de la dmocratie. La tenue des confrences nationales cre une psychose deuphorie dans la plbe grise par la promesse de pouvoir - enfin - se grer soi-mme. Marches de revendication et actions de contestation se multiplient. Au Congo Brazzaville les runions politiques drainent plus de public que le traditionnel match de football Diables-Noirs / Etoile du Congo. Les bars dsemplissent au profit des salles de meeting. Les partis se multiplient. Les orchestres ne sont utiles qu lanimation des rencontres politiques. De nombreuses chansons naissent sur le thme de la dmocratie. La transition et llection prsidentielle se droulent sur fond doptimisme musical. 2. Les vnements de 1993-1994 Cest le premier vritable couac de cette liesse populaire. La chasse lhomme, lintolrance, les massacres vident des quartiers entiers de leurs habitants. Le mixage des populations smiette. Les groupes ethniques se replient et se regroupent, soit dans les mmes quartiers, soit dans les mmes villes. Beaucoup de fonctionnaires refusent de se rendre leurs postes daffectation pour des raisons dinscurit. Les milices armes se metttent en place. Les activits communautaires sont gravement perturbes. Lexode des occupants de certaines villes (Dolisie, Kinkala, Nkayi) et de certains quartiers priphriques de Brazzaville sonne le glas de beaucoup densembles musicaux. Les jeunes orchestres prometteurs de Mfilou Mutabala, tels que Vritable Mandolina ou Viva Mandolina, se noient dans la tourmente ou sombrent dans lanonymat. Bernard Boundzeki Rapha est lun des rares chanteurs de la jeune gnration tirer son pingle du jeu. Lattaque de Bacongo et les exactions de Mfilou et de Moutabala en 1993 et 1994 ont t indubitablement les premiers signaux du naufrage de la musique congolaise. La censure sinstalle sur les chanes de tlvision et de radio dEtat. 7

3. La guerre civile de 1997 Le 05 juin 1997, Brazzaville se rveille coupe en deux. La ligne de front, qui suit le chemin de fer, fait apparatre deux zones : le Nord (Ouenze, Talanga, Mikalou, Nkombo) et le Sud (Bacongo, Diata, Mfilou, Maklkl). Sur fond de crpitements de fusils mitrailleurs, les obus tombent sur les quartiers populaires. Lexode massif commence. Les zones de refuge sont satures par la mare humaine. Confronts aux contingences de la vie courante, les artistes nont plus ni le temps, ni la volont de se consacrer des activits cratrices. Ils ne peuvent plus voluer normalement. Seule la musique des dtonations se fait entendre sur la ville capitale. Le couvre-feu est instaur. Les bars dancings et autres salles de spectacles sont dtruits ou ferms. Les instruments de musique sont pills. Il nexiste plus aucun local sr pour les rptitions. Les coles sont fermes. Autant dlments qui expliquent la disparition rapide de beaucoup dorchestres. La fin de cette horrible guerre indiquera un redmarrage des activits musicales. 4. La guerre civile de 1998 Laccalmie, bien que trs courte, permet aux groupes de se reconstituer tant bien que mal. Le rythme " Ndombolo " rgne en matre sur les deux rives. Extra-Musica, Patrouille des stars, Watikanya, Expression des As se mettent sur les traces de Wengue Musica, Quartier Latin, Nouvelle Ecriture ou Viva la Musica, etc. Lhorreur de la guerre dferle de nouveau sur le Congo Brazzaville. De nombreuses vies humaines sont immoles sur lautel de la barbarie. Des quartiers entiers sont vids de leur population. Des rgions entires sont isoles. Le chemin de fer qui relie Brazzaville et Pointe-Noire est ferm pendant de longs mois. Dans les quartiers Nord sentassent des milliers de sinistrs, victimes innocentes des affrontements entre Ninja et Cobra. La culture du pillage est restaure grande chelle. Entre deux alertes, les orchestres se crent. Le " ndombolo " volue et senrichit de l" hlico ", nouvelle danse qui s inspire de la position dattaque des hlicoptres de combat. Banalisation, dfoulement ou exorcisme ? Quimporte ! Le succs de l" hlico " est immdiat. Pendant cette dcennie de troubles, le Congolais se rapproche de la Divinit. Lincertitude du lendemain provoque la monte de la musique religieuse. Chants clectiques mlant blues, rumba, gospel, soukouss, ou ndombolo envahissent le march du disque et se retrouvent en bonne place toutes les veilles mortuaires o joie et tristesse s'entremlent pour accompagner le mort sa dernire demeure, sans sgrgation de foi ou de religion. Les malheurs communs se chantent en chur sur des refrains de consolation. 8

Ainsi, les priodes de troubles constituent un frein au progrs culturel. Mais tel le mythique Phnix, la musique renat toujours de ses cendres. Chaque rpit lui permet de relever la tte et deffectuer un processus dadaptation aux nouvelles ralits. Les gnrations se succdent pour prserver la tradition musicale. Avant tout miroir de la socit, la musique emprunte son environnement. Les images traumatisantes vcues par la population ne pouvaient que se matrialiser dans le paysage musical congolais. Ce sont ces images de guerre que l'on dcouvrira dans le chapitre qui suit. C. Magie de la musique et images de guerre Lart plonge dans linconscient collectif pour y puiser la source de sa matire et lexprimer par le biais du style et de lidal. Touchant le cur et lesprit, il permet de surmonter les coups durs, de banaliser les preuves de la vie quotidienne et prodigue la force ncessaire pour affronter les lendemains qui dchantent. Baume irremplaable pour panser les meurtrissures dues la mchancet des humains, il se nourrit des faits et vnements qui marquent lhistoire de lhomme. Les errements de lespce humaine lui permettent de saffirmer et de dnoncer les drives, moins quil ne veuille les corriger. Pour cela, il simprgne des lments de son environnement, par son pouvoir magique leur fait subir des transformations afin de les rendre digestes, et les restitue travers les rythmes, les textes, les thmes, les costumes de scne. Une socit de guerre ne peut produire quune musique de guerre. Quels sont les stigmates de la guerre qui sont reprables dans la musique congolaise de ces dernires annes ? 1. Le rythme La musique congolaise est avant tout une musique damour. Aussi, au niveau du rythme, les excuteurs adoptent-ils le plus souvent un tempo lent qui permet aux danseurs par couple, les pieds rivs sur le plancher, de virevolter sur les pas de la sacrosainte rumba et dextrioriser leurs sentiments. La rumba congolaise est un rythme doux, " soft ". Le morceau souvre le plus souvent par quelques notes de guitare ou une brve introduction de batterie. Les deux parties du couplet, chantes deux ou trois voix, sont la plupart du temps spares par un solo de guitare que suit le refrain harmonis par les improvisations du chanteur vedette et des rpons de guitare ou de cuivre. Cette partie est suivie par le sebene ou chauff qui donne loccasion aux instrumentistes de sexprimer. Avec le temps, les cuivres ont t dlaisss au profit de la guitare, l instrument roi. Cela donne au guitariste un rel ascendant sur les autres musiciens. Ce pouvoir quon leur a octroy les laisse matres des arrangements et des animations. Le sebene devient alors le lieu pour admirer non seulement la virtuosit du guitariste, mais surtout sa capacit faire " bouger " les danseurs. A partir des annes 80, la structure des chansons subit une transformation en profondeur. Le tempo sacclre. Le morceau devient monolithique. La composition tourne autour de deux ou trois accords de base afin de faciliter les improvisations du 9

soliste. Pas de grandes variations sur le thme. Le rythme est dsormais allgre, alerte, endiabl. Cest le principe de base du soukouss des annes 70 et 80, immortalis par Pierre Mountouari ou Aurlus Mabele. Le ndombolo et lhlico des annes 90 sappuient sur le mme principe. Le soliste guitariste sexprime sans interruption dun bout lautre des gimmicks entrecoups de nombreux breaks. Ce rle danimateur lui est finalement disput par le chanteur animateur que lon dsigne sous le terme dataraku (ou atalaku). Celui-ci, charg lorigine de diriger la section des petites percussions (maracas, nkwaka, nsakala et sifflet), renforce, avec ses nsakala, lagressivit du rythme. Il finit par devenir le vritable animateur du " ndombolo ". Matre de danse, ses cris indiquent les figures excuter. La popularit de lataraku se confond avec celle de lorchestre. Nanti dun pouvoir hypnotique sur le public, soutenu par des sonorits dures de guitare et des roulements intempestifs de batterie, lataraku est le pivot dun rythme fond sur la violence. Les rappeurs des grandes cits occidentales dvoilent la violence des banlieues ; les ataraku, quant eux, expriment la violence des villes congolaises. La prcarit de la vie quotidienne se rpercute sur le rythme. Dans des pays en pleine dstabilisation, cette musique saccade et violente devient la soupape de scurit qui empche le peuple de sombrer dans la folie du dsespoir. 2. Le texte Lacclration du tempo et le phnomne ataraku expliquent peut-tre le dsintrt pour les chansons de texte. La partie chauffe prend le pas sur la partie chante. La carrire du chanteur principal est menace : pour survivre et lutter sur le mme terrain que l animateur, il se transforme son tour en danseur. Le public exige du rythme, on lui donne du rythme. Les spectateurs veulent de la danse, on leur donne de la danse. Les textes sappauvrissent. Le romantisme seffiloche. Cette volution se remarque au niveau des titres. Les prnoms fminins tels que Mado, Josphine ou Marie-Louise se font rares. Plus incitatifs et fonctionnels, obissant en outre aux vnements qui ont un impact immdiat sur limaginaire collectif, on remarque dans le rpertoire des musiciens deux rives des titres agressifs emprunts aux oprations militaires, au cinma ou simplement lactualit : " Tempte du dsert " " Ultimatum ", Embargo ", " Attentat ", " Poison ", " Arme ultime ", " Obus kanga bissaka ", " Force de frappe ", " Panique totale ", Amnistie ", " Laissez-passez ", " Pentagone ", " Dossier X ", " Coup de marteau ", " Loi ", " Etat major ". Le chorus dnonce les provocations lances (par qui ?) lencontre du guitariste (ba toumoli Roga-Poga ; on a provoqu Roga-Roga ). Le chanteur, limage des griots dAfrique de lOuest spcialistes des louanges, propose une liste de noms de personnes clbres ou non quil encense pour la postrit ; moins que ce ne soit une litanie de proverbes et de devinettes en lingala et en franais ou dfaut des " kimbouakila ", messages 10

nigmatiques, destins confondre de fantomatiques rivaux, qui ont fait la renomme du grand Matre Franco. Le danseur est invit se mettre en " position de tir " pour une ventuelle attaque, se mettre couvert car " hlico eza ko ya, eza na likolo " (lhlicoptre de combat arrive, il est au-dessus de vos ttes) ; ou prendre la route de lexil car " obus kanga bissaka " (les obus tombent, fais ton baluchon). Les images de guerre foisonnent dsormais, transformes par la magie de la musique. Pire, les combattants, en plein front, ont surnomm leurs canons et obusiers ndombolo. La peur de la mort, le dfoulement, la conjuration, lincantation expliquent certainement ce phnomne, etc. Victimes de leurs succs, les rengaines des ataraku se popularisent et tuent la crativit. Les plagiats se multiplient et rencontrent plus ou moins de russite. Se contentant demprunter de vieux airs au folklore et la chanson populaire, la musique moderne congolaise tourne en rond et est en qute de renouveau au niveau des textes. Aussi est-on en droit de se demander si cela ne correspond-il pas la dsillusion de la jeunesse actuelle ? 3. La scne A musique nouvelle, spectacle nouveau. Fini le rgne des chanteurs de charme. Cest le temps des " show-men ". Les artistes doivent affronter la scne internationale. La participation des rendez-vous mondiaux de musique, les tournes lextrieur du Congo, aboutissent une nouvelle configuration du spectacle. Linvasion de la tlvision dans les familles et le systme de vedettariat entranent des contraintes auxquelles le musicien doit se soumettre. Les annes 90 introduisent des lments neufs dans la prsentation des spectacles. La mode veut que lon aligne dsormais sur la scne une demi-douzaine de chanteurs et de danseurs, renforces par une autre demi-douzaine de danseuses se contorsionnant sous la direction du matre ataraku. Aligns et en position de tir, ils avancent et reculent selon un rituel bien codifi. Cela nempche cependant pas les danseurs d improviser et de sexprimer individuellement. Des processions la queue leu-leu ponctuent ce crmonial. Lapparition de nouveaux costumes de scne renouvelle la scne. Collants et " bodies " vtent les femmes, faisant ressortir les appts de leur plastique. Condamns par les uns, encenss par les autres, ces images hautement sexy de danseuses dvtues hantent les chanes de tl, alimentant le dbat moral sur le sujet. La constance rotique devient une constituante de cette musique. Pour les hommes, le port des maillots de sports aux couleurs des grands clubs de football europens ou sud- amricains, rsultat des Coupes du monde et des Ligues des champions fortement mdiatises, est pris.

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Plus significatif, ladoption des treillis militaires, dnomms Pentagone, comme tenue de scne. Lensemble Patrouille des stars illustre cet exemple dans le clip " Obus kanga bissaka ". Relevons que les danseuses de Koffi Olomide avaient dj popularis la mode Pentagone. Les guerres civiles, ayant habitu la population au matriel de larme et aux tenues militaires dans les rues, ont banalis ces images de combat. Tempo hach, cris de combat, sonorits dures des guitares et des percussions, vocabulaire guerrier, habillement de campagne, autant dlments qui prouvent lutilisation dimages de mort dans le paysage musical du Congo. Musiques de combat, le ndombolo et lhlico participent de la reprsentation dun monde en pleine dconfiture. D. Musique et politique : le meilleur ou le pire ? Frappant le cur et lesprit, la musique a toujours t pour les politiciens loutil rv pour battre campagne et convaincre le peuple. Sylvain Bemba dclare (50 ans de musique du Congo/ Zare , 1920-1970, Paris-Dakar, Prsence Africaine, 1984) : " la chanson politique, si importante dans un pays en proie des tendances centrifuges accrues, va jouer dans les consciences un rle pdagogique tout fait nouveau ". Poursuivant parfois les mmes idaux, les deux partenaires ont quelquefois fait bon mnage. Comment donc a volu la cohabitation entre la musique et la politique au Congo ? 1. La lune de miel La priode du monopartisme a t une poque de bonheur pour le couple musique/politique. Le socialisme considre lart comme une arme de combat pour affronter les drives des socits capitalistes. Aussi tout est mis en uvre pour pousser les artistes participer, de gr ou de force, la vie sociale et politique. Ainsi nest-il pas rare de trouver des artistes politiciens. Les uvres musicales seront exploites pour propager et dfendre lidologie du Parti. Tout au long de lhistoire du Congo, les musiciens ont toujours rpondu prsent aux manifestations politiques. Tous les grands vnements mmorables du pays ont t marqus par des chants patriotiques et des hymnes la gloire du pouvoir. Ces chansons sont produites, enregistres et diffuses sur les antennes des chanes dEtat. On remarque de nombreuses uvres discographiques engages dans le rpertoire des annes davant 1990. Lorchestre SBB vulgarise la chanson rvolutionnaire sur les pistes de danse et dans les rues partir du dancing Le Temple Rouge. Josphine Bijou et le groupe les Orphelins montent au sommet des hits grce l interprtation de la chanson engage. " au secours, para commando ".

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Le refus de librer les mdias aboutit la squestration de la Culture. La clbrit passe par lapprobation de lhomme politique. Les liens troits entre la politique et la musique, ont t le gage, pendant trois dcennies, de lunit nationale et ont servi, en apparence, de garde-fou au danger du tribalisme. La situation politique du moment favorisait lengagement des artistes. 2. La rupture Les bouleversements sociaux de la dcennie 90 font sauter cet quilibre. Leuphorie de la libralisation de lexpression individuelle amne la contestation et la remise en cause des acquis du pass. Lart ne peut tre apprivois, dompt. Il se nourrit de la libert que seule procure linspiration. Le travail de lartiste souffre grandement de la contrainte. En voulant museler, asservir lartiste, on ne pouvait obtenir quun rsultat ngatif. La situation chaotique du pays na fait que prcipiter la rupture. Le divorce entre politique et musique a t exacerbe par la nouvelle donne socio-politique. En effet, partir des annes 90, aucune politique culturelle digne nest mise sur pied. La disparition des grands rendezvous culturels le dmontre suffisance : semaines culturelles, Centre de vacances organises Les ensembles amateurs sont msestims. Un vent dintolrance qui se manifeste par une censure non dite sabat sur les mdias et empche lpanouissement de beaucoup de musiciens. Les grands orchestres vgtent car non soutenus et finissent par sombrer. Dmotivs ou en manque dinspiration, des artistes mettent leurs activits en hibernation. Ils deviennent conseillers des hommes dEtat et peut-tre mme " princes des coulisses ". Les exemples de Tabu Ley au Congo Kinshasa et de Jean Serge Essous au Congo Brazzaville sont significatifs cet gard. A une question sur son engagement politique, Tabu Ley rtorque (Les dpches de Brazzaville, Editions Adiac, aot 1999) : " Depuis le dbut de ma carrire, je fais de la politique, mais cest la politique de derrire les rideaux. A notre poque, que ce soit les Bantous ou nous-mmes Kinshasa, nous chantions des chansons engages. La politique ma impliqu dans des histoires que je ne comprenais pas et maintenant cest la dputation que je vise. " Les troubles permanents et les guerres civiles successives sparent politiciens et musiciens. Les couvre-feux successifs, labsence de scurit et les exodes nont pas contribu renouer des liens dj menacs. Une censure sournoise se dessine. Certains artistes de renom disparaissent brutalement des ondes pour des motifs ethniques. Aucune dcision politique ne va permettre de sauvegarder les hauts lieux de la musique tels les bars Elyse, Macedo, Choisis ou le Temple Rouge. La tenue Brazza du premier festival panafricain de musique ne fera quaccentuer la faille. Critiqu par la presse internationale pour sa mauvaise organisation, les musiciens congolais retenus pour ce grand vnement ont toutes les peines du monde encaisser leurs cachets. Dus, nombreux jurent de ne plus mettre 13

leurs talents au service de lEtat. Hormis quelques exceptions, les musiciens congolais vont dsormais entretenir des relations conflictuelles, ou tout au moins dindiffrence, avec les politiciens. 3. Sur le sentier de la rconciliation Il faudra attendre 1999 pour que les relations se rchauffent. Lhorreur des guerres civiles entrane un ras le bol qui exige des solutions pour rtablir lunit nationale. La musique va servir de nouveau faire passer des messages de paix et de solidarit. On se remet faire la cour aux artistes. On essaie alors de rtablir les conditions pour un nouvel engagement de leur part. La participation de 50 artistes congolais au MASAA (March africain du spectacle et des Arts dAbidjan) dcoule de cette logique. Lorganisation du deuxime Festival panafricain de musique de Brazzaville permet aux musiciens de simpliquer dans la reconstruction de la Paix. Le FESPAM II a pour but ambitieux le brassage des cultures et des arts africains. Il se met au mme niveau que le Festival panafricain du cinma (Ouagadougou), le March des arts et spectacles (Abidjan) ou le Festival du Cinma (Carthage). En marge du festival sont prvus un march de la musique (MUSAF), une exposition dinstruments de musique traditionnelle et des confrences dbats sur le thme de la musique. Le festival est un grand rassemblement qui se propose de redonner un " sens lespoir " , car comme le dit si bien Belinda Ayessa (Les dpches de Brazzaville, " Pourquoi ne pas rver ", Editions Adiac, Aot 1999) : " Les artistes ont ceci de particulier quils sont capables de nous faire prendre des rves pour des ralits et le rve, parfois, aide accder la ralit. " Les vedettes africaines les plus reprsentatives de la World Music y sont convies : Meiway, Acha Kon , Chantal Ayissi, Ismal L, Sekou Bambino, Petit PaysPlus de 150 musiciens de Kinshassa viendront construire le " pont sur le Congo " : Tabu Ley, Papa Wemba, Simaro, Mbilia Bel, Lengi Lenga, etc. Les crmonies officielles se droulent au Palais des Congrs. Mais la politique veut aussi reconqurir les rues dfigures par la guerre. Aussi sont prvus des " plateaux " dans toute la ville : Centre Culturel Franais, Ecole dart de Poto-Poto, Luna Park, Terminus Mikalou, Centre Sportif de Maklkl. Le clou du spectacle est la soire des femmes du 6 aot 1999 et la nuit des hommes du 7 aot 1999. En direct la RTC (Radiodiffusion et tlvision du Congo), se succdent sur le podium du Palais des Congrs Chantal Ayissi (Cameroun), Pembe Sheiro (Congo), Amy Kota ( Mali ), Acha Kone (Cte dIvoire), Mbilia Bel (Congo dmocratique), Dina Santos (Angola), Flacha et sa petite Ingrid (Congo dmocratique). Le spectacle des hommes connatra les prestations de Meiway (Cte dIvoire), Zeca 14

Nha Renaldo (Cap Vert), Sekou Bambino (Guine), Ismal L (Sngal), Extra Musica (Congo), Papa Wemba (Congo dmocratique). Au cours du festival, qui est la plus grande fte musicale organise par les pouvoirs publics durant la dernire dcennie, le public dcouvre le Ballet libyen, lOrchestre Philharmonique dEgypte, les Tambours parleurs du Benin et le groupe Agora du Ghana. Ces manifestations dbouchent sur la cration Brazzaville dun Centre panafricain dEthnomusicologie sous le parrainage de lUNESCO. Lexprience du FESPAM montre limportance que revt la musique pour la propagation didaux politiques. Le dilemme entre musique et politique se rsorbe facilement lorsque toutes les deux poursuivent un objectif commun, le bien-tre de la population. Les artistes sont prts sengager pour les grandes causes quand cela en vaut la peine et sils sont convaincus de la sincrit de la classe politique. Mais pour simpliquer dans les luttes politiques du moment, nul nest besoin denrler les artistes dans les Partis ou autres organisations politiques. Ce serait l porter un coup fatal linspiration, et du coup, lefficacit de lartiste. En effet, les Muses perdent le fil des ides lorsquelles sont soumises la contrainte. Mettre son art au service du peuple ne veut pas dire devenir obligatoirement politicien. Le dilemme entre musique et politique se rsout donc dans le respect de la libert de lartiste et de sa cration. La seule obligation pour le musicien est de sengager en lui-mme, c'est--dire de rester authentique. E. Musique et reconstruction de la paix ou les gnrations Bisso na Bisso Au plus fort des turbulences congolaises, des voix isoles avaient dj montr du doigt les drives de la socit. Dune manire individuelle ou collective, lengagement en eux mmes les a pousss prendre le devant, prvenir les dviances dun monde cruel et proposer des solutions pour panser les plaies et gurir les maux. " Princes des nues ", " Rois de lazur ", surplombant le thtre des combats, ces gnrations de potes ont montr dans leurs uvres lyriques comment reconstruire une paix si fragile et si ncessaire. 1. Les prcurseurs Ds les annes 80, Zoba Casimir alias Zao fait sortir un tube intitul Ancien combattant. Prtant sa voix un vieux combattant, Zao dcrit sans tat dme les horreurs et les ravages de la guerre, de toutes les guerres qui ont marqu lhistoire de lhumanit. La condamnation est sans appel : " La guerre ce nest pas bon, / ce nest pas bon /

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Les consquences sont aussi rvles sans fioritures : " Quand il y aura la guerre mondiaux tout le monde cadavr ". Toutes les nations connatront des scnes dapocalypse. Aucun continent ne sera pargn. Mme les responsables de ces hcatombes, nchapperont pas lholocauste car la guerre " il ny a pas de choisi " ni de " bitchangui ". Le slogan cher au mouvement hippie des annes 60 est relanc : " Faisons lamour et non la guerre mes amis ". Tous les ingrdients pour prserver la Paix se trouvent rsums dans ce beau texte humoristique de Zao. Mais peut-tre est-ce lapparence non srieuse du message qui explique que les garants officiels de la paix et de la scurit ont ferm les oreilles cet avertissement ? On nen est pas sr. Le message tait bien peru. Mais sourds, ils voulaient ltre ; sourds, ils sont rests. Les annes 1997 et 1998 confirment ladage qui dit que " nul nest prophte chez soi ". Aprs sa traverse du dsert, - et des forts du Pool -, Zao, dans sa dernire composition, " Plus jamais a ", exprime le dsabusement du pote comdien. Sous le rgne du Prsident Pascal Lissouba, aprs les vnements de 1993-1994 et la formation des milices armes, une autre voix dnonce la guerre. Le chanteur Youss, accompagn de sa fidle guitare, met en garde les politiciens contre lescalade qui pointe lhorizon. Il supplie les Ninjas, les Cocoyes et les Cobras de laisser les dirigeants saffronter tout seuls sur le ring du pouvoir. Quils ninterviennent plus dans linutile effusion de sang. Ce conseil tombe aussi dans loreille des sourds. Ces exemples dvoilent la difficult rencontre par les artistes pour tre pris au srieux par lhomme politique. Ils permettent de voir le prcipice sparant les intrts du peuple et ceux des gouvernants. Par la suite, des initiatives plus srieuses, impliquant un plus grand nombre dartistes musiciens, viendront soutenir ce constat. 2. Tribalit cratrice Au plus fort de la guerre de 1997, un projet voit le jour. Il prend le nom de Tribalit Cratrice. Cest un lan de solidarit pour les victimes innocentes de la guerre. Il prend racine partir de Paris, et se cristallise autour du chanteur interprte Nzongo Soul. Rvl en 1984 par les concours Dcouvertes de RFI (Radio France Internationale), ayant bnfici dun coup de pouce du chanteur franais Bernard Lavilliers, Nzongo Soul a poursuivi une carrire solitaire bas sur le rythme walla. Etymologiquement, walla veut dire " couter la voie " et " rechercher le principe vital ". Coinc entre le soukouss dbrid, le folklore tournoyant, le rock lectrifi et la soul larmoyante, le walla se propose la mise en relief de la tradition orale africaine, par 16

une manire dcouter, de penser, dagir, base sur la sagesse africaine. Cette sagesse milite pour la Paix, lUnit et la Rconciliation. Elle impose la Purification, thme favori de la musique walla. Le titre " Noir et Blanc " que Nzongo Soul interprte entre 1986 et 1987 est dj une dnonciation de la discrimination. " Freedom in the air " qui sort en 1994, fte avec joie et ferveur la fin de lApartheid. La folie meurtrire des Congolais suscite des ractions de la part des dizaines dartistes qui sont loin du thtre des oprations. La tourmente dans laquelle le pays est plong les regroupe autour de Nzongo Soul et de son projet Tribalit Cratrice. Le but de lopration est duvrer la reconstruction du pays et la rconciliation des citoyens. Dans la ddicace de lalbum (Tribalit Cratrice, Editions Glenn Musique), Nzongo Soul sexprime en ces termes : " Le feu mal matris de la Tribu brlait dj la capitale congolaise. Les musiciens congolais de toutes origines, et dopinions politiques divergentes, rassembls Paris, enregistraient sous ma direction un disque deau pour teindre lincendie ". Ce projet runit les musiciens suivants : Balou Canta, Dany Engobo, Dhelly Mputu, Dianga Chopin, Franky Moul, Jackito Wa Mpoungou, John Boxingo, Locko Massengo, Mav Cacharel, Michel Rapha, Nzongo Soul, Les Palata, Pambou Tchicaya, Pembey Sheiro, Tchico, Pp Kall, Tho Blaise Nkounkou, Victoire Ballenda, Vital. Lenregistrement seffectue sous la direction artistique de Nzongo Soul. La production excutive est assure par Emile Dessantos et Nzongo Soul pour le compte des ditions Glenn Music. Le projet est plac sous la bannire de lassociation Congo SO Action humanitaire. Les bnfices sur la vente de ce phonographe sont destins aux associations Delta et Pharmaciens sans frontire pour le Congo Brazzaville. A lissue de lopration, des mdicaments seraient achets et vendus moindre cot la population. Les titres de lalbum refltent les thmes qui y sont abords : Dmokrasiya (Nzongo Soul), Lamour et le pardon (Locko Massengo), Songa ou the time of change (Nzongo Soul), Apocalypse (Akela Moliki, interprt par Pepe Kalle), Congo (Dianga Chopin), Kintuari (Clem Mounkala), Rconciliation (Mbemba Bouesso). Ces voix ne seront jamais coutes. Pour des raisons inconnues, le " disque deau " ne sortira pas, ce qui fait dire Nzongo Soul ( ddicace du disque Tribalit Cratrice, Editions Glenn Musique) : " Hlas, pour des raisons que nous ne pouvons pas voquer ici, la sortie neut jamais lieu. Les mmes causes produisant les mmes effets, aujourdhui encore Brazzaville brle ". 3. Le rire carnavalesque de Bisso na Bisso Laventure des Bisso na Bisso est encore plus exceptionnelle. Ce groupe est avant tout une affaire de famille entre Congolais, car Bisso na Bisso en lingala signifie " entre nous ". Les huit membres du groupe (sept garons et une fille) sont tous 17

dorigine congolaise. Ils ont fait carrire dans des ensembles de rapp diffrents : Passi (Ministre AMER), sa cousine Mpassi (Melgroove), les jumeaux Doc et 6 Kill (2 Bal), Lino et Calbo (Arsenyk), Ben J. (Neg Marrons) et Mystik. Sous la pense et la direction de Passi, Bisso na Bisso manie avec art la musique africaine du moment avec les sonorits Hip-hop. Dans une interview (Afrique Magazine, " La rvolution Bisso ", Avril 1999) Passi annonce les intentions du collectif : " il sagit non seulement dun retour sur des musiques qucoutaient nos parents et sur lesquels on a tous grandi, mais galement dune vraie cration artistique, qui introduit une nouvelle dimension dans la hip hop en incluant une acoustique proche du folklore musical congolais, un mlange de rumba soukouss avec du free style de rappeurs engags ". Le succs de lalbum " Racines " (V2 Music) est immdiat et propulse ce groupe sur le devant de la scne internationale. De grands noms de la musique participent laventure : Koffi Olomid, Papa Wemba, Isml Lo, Lokua Kanza, Diego Pelas, Tanya St Val, Jacob Devarieux, Monique Seka Vendu plus de 180 000 exemplaires, une des meilleures ventes de 1999, l'album " Racines " reoit deux trophes lors des Kora African Music Awards, la plus haute distinction musicale africaine, en prsence de Nelson Mandela et de Michael Jackson. Meilleur groupe africain, meilleure vido-clip, le succs commercial de ce disque ne doit pas masquer le message de paix et de rconciliation. La musique Bisso na Bisso interpelle avant tout les Congolais afin quils disent non la guerre une bonne fois pour toute. Cest ce quexplique Passi (Afrique Magazine, " La rvolution Bisso " , Avril 1999) : " LAfrique reste toujours une pompe fric pour la France et les autres pays europens. Il faut absolument arrter tout cela, tout ce gaspillage, cette folie meurtrire, ces massacres. Notre musique nest pas forcment trs engage, mais travers des morceaux comme " LUnion " ou " Libert " (une reprise de Franklin Boukaka), nous voulons faire passer un message de paix et de fraternit. " Mlant fte, esthtique et revendication, Bisso na Bisso assume son rle dartiste en faisant rflchir les gens sur des problmes graves en usant du rire, de lironie et de la satire. En dnonant les conflits ethniques servant des intrts financiers suprieures, il se veut conscience dun peuple car " La mre patrie pleure des rivires de sang / Le rouge est dans les yeux / Le peuple est mcontent ". La production de ce groupe devient donc un acte politique de re-cration dun monde meilleur exempt de guerre et de corruption. Do la diversit des thmes : nostalgie et retour aux sources, qute de lidentit culturelle, appel la paix et la

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fraternit, condamnation de la guerre et de la corruption, supplication la divinit et surtout fte au village. La nostalgie dune Afrique lointaine et inaccessible se comprend par le fait que plusieurs membres du groupe sont fils dimmigrs. Passi par exemple est arriv en France lge de 7 ans et a vcu dans lenvironnement difficile de Sarcelles, une des banlieues parisiennes. Les conditions de vie ainsi que le racisme ambiant accentuent la volont de rhabiliter les valeurs africaines. " Lgendes africaines " est un clin dil vers le pass et la tradition, tandis que " Afrika by night " offre une vision idalise du continent. Quitter Paris (" ici il fait froid ") pour retourner Brazza afin de retrouver lambiance de Moungali et des Maduku (" l-bas il fait chaud ") ne se fait pas sans dchirures, car en fin de compte " Brazza Paris/ Des deux cts, je suis bloqu /L-bas, ici /Toujours le mme qui va te croquer /Le cul entre deux chaises/ Lexil presse mes pas / On ne sait quoi faire pour diriger nos pas". On se rappelle les joies de son enfance, on veut repartir dans ce pays qui fut notre berceau, on ne veut pas mourir en France. Pourtant : " On devrait cramer tous ceux qui te disent / vas-y, rentre chez toi ". L-bas il y a la guerre. Et la guerre " ce nest pas bon / ce nest pas bon " car elle " Nest pas faite pour tuer /mais pour vaincre. " Alors " Comment peut-on parler de vainqueur aprs la guerre "? Dautant plus quon ne sait pas " Ce quon fout aprs la guerre / Le bilan est lourd / Il n y a que le Diable / Pour appeler cela de lamour. " Ces dnonciations se retrouvent dans des titres tels que " Aprs la guerre ", " LUnion " ou " Tata Nzambe ". Ce dernier texte est une supplique Dieu le Pre qui seul peut intervenir efficacement " dans un monde qui ne pardonne pas / Sans foi ni loi / Ici bas on a besoin de toi ". Pour essuyer " les rivires de sang " et remettre " le jardin dEden " aprs " les cloches dHarmaggedn ", grand renfort d " Alleluah " et d" Hosanna ", Bisso na Bisso " revient louer lEternel ". Seul ce retour de Tata Nzambe mettra fin aux agissements des gouvernants cupides et malhonntes qui " ne laissent rien dans la caisse " et qui encaissent les " bnefs ". Car " le temps est si bref / dans la peau dun chef " mais aussi dans celle des coureurs de jupon en qute du " deuxime bureau " qui nest la fin " Que ma secrtaire, il ny a rien entre elle et moi ". Bisso na Bisso sarroge le droit de parler de la pauvret, de linjustice, de limpunit, de lcrasement et de la mystification. La vie ne devrait pas servir sclater ou clater les autres, mais plutt btir, reconstruire.

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Pour y arriver, il faut chanter la Beaut qui passe et lAmour pour Amiyo " Ton cur est ma maison / Mon amour est en toi / Jai besoin de toi. " Lamour de la vie, lamour des autres, lamour de Dieu fusionnent dans la fte au village o lon peut danser le ndombolo, symbole de la vie vritable, celle que tout le monde devrait connatre : " Oyo ndombolo ya suka / Ndombolo ya soin / Oyo ezali ndombolo rapp ya solo ". Pour avoir la force daffronter les vicissitudes de la vie quotidienne et extirper les images de guerre, il faut que " Je danse le ndombolo / Je fais ngolo-ngolo ". Se moquant de ce qui est lev ou srieux, rabaissant ce qui est inaccessible pour le mettre la porte de tous, le rire Bisso na Bisso sadresse tous, et pourfend le rieur lui-mme. Cest un rire universel, comparable celui que le critique russe Mikhal Bakhtine1 qualifie de " rire carnavalesque " qui " nie et affirme la fois, ensevelit et ressuscite la fois ". Puissant et profond, ce rire des festivits se diffrencie du rire ordinaire. " Alors que le rire ordinaire est dirig vers lAutre, le rire carnavalesque se braque sur le rieur luimme. Il sintresse au monde, exprime lopinion de tous, et le rieur lui-mme en est lobjet. Toute hirarchie est efface dans ce rire, et la vision quil nous donne du monde est universelle. "2 Cest peut tre ce caractre universel qui explique le grand succs rencontr par le groupe Bisso na Bisso. Musique de rconciliation et de reconstruction, musique des festivits populaires, cest le plus puissant cri musical de Paix et dUnit au Congo qui se soit fait entendre en cette fin de sicle. CONCLUSION Cette tude sur la musique congolaise a fait ressortir certains lments qui montrent bien que, contre vents et mares, et malgr la perte de plusieurs orchestres dans les tumultes, la musique congolaise garde toute sa vitalit. Le succs surprenant rencontr par de jeunes groupes sur le plan national et international semble le confirmer. Ayant dj conquis le cur des Congolais, Extra Musica, Patrouille des Stars, Watikania ou Expression des As se retrouvent dans les meilleurs classements des hits des chanes de radio et de tlvision telles que CFI, RF.ou Africa n1. Et que dire du phnomne Bisso na Bisso ?1

Bakhtine, M., Luvre de Franois Rabelais et la culture populaire au Moyen-age et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, 1970. 2 Matokot, D., Le rire carnavalesque dans les romans de Sony Labou Tansi, Mmoire pour le de DES, Universit Marien Ngouabi, Brazzaville,1987.

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La musique de tous ceux qui nous ont quitts (Franklin Boukaka, Marie Bella, Pamelo Mounka, Carmen Essous, Mamie Claudia, Ange Linaud, Diop Missamou) continue danimer les jeunes gnrations. Cela devrait interpeller tous les amateurs de la bonne musique, les mcnes et les sponsors et leur montrer la ncessit dencourager ces ensembles. Les responsables politiques sont les premiers sollicits. Tout est reconstruire. Les studios denregistrement devraient renatre. Une bonne politique culturelle devrait tre mise sur pied. Un effort de lEtat congolais doit mettre fin au piratage des uvres de lesprit. Les droits dauteurs doivent tre protgs et verss leurs ayant-droit. Louverture desprit devrait obliger les groupes sortir des frontires pour affronter la concurrence internationale dans des grandes salles internationales. Le rayonnement des orchestres de Kinshasa participe de cette logique et cet exemple devrait tre suivi. Production, dition, prospection constituent des outils indispensables la promotion et au lancement des jeunes artistes. Aussi est -il important de consolider ces aspects. Mais il faudrait surtout garantir la libert de cration et dexpression des artistes ; ce qui passe imprativement par la consolidation du processus de Paix, de Solidarit, de Fraternit et dAmour. Cette tude sur la musique congolaise de la fin du sicle ne se veut pas exhaustive. Elle na pas cherch non plus emprisonner la Vrit. Elle demeure une porte ouverte pour des investigations plus fines. Tous les amis de la bonne musique sont convis la critiquer dans le but de la complter.

Bibliographie succincte Les dpches de Brazzaville , " La chronique quotidienne du FESPAM ", n 13, Ed. Adiac, aot 1999. Manda Tchebwa, La musique zaroise, hier et aujourdhui, Duculot, Afrique Editions, 1996. Matokot (D.), Le rire carnavalesque dans les romans de Sony Labou Tansi, Mmoire de DES, Universit Marien Ngouabi, Brazzaville, 1987.

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