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13 AVRIL 2007 AVENTURE AVENTURE MUSIQUECONTEMPORAINE 36 «Je suis dans la forêt, au Gabon. J’ai installé une plate-forme entre deux arbres, à 10 m du sol. J’enregistre des sons d’ambiance pour un documentaire. Soudain, un groupe de treize éléphants s’approche. Ils m’ont vu. Je suis un intrus, je sais qu’ils peuvent déraciner un arbre, me jeter à terre et me piétiner. Alors, je commence à leur parler. Doucement. Ils me reniflent avec leurs trompes mais, sans doute tranquillisés par la mélodie non agressive de ma voix, ils me laissent en paix. Je suis resté là 8 heures, sans dormir, à fixer sur mes bandes leurs activités, des accouplements, des bagarres. C’était magique. » C’est pour ces instants exceptionnels que Christian Holl parcourt le monde depuis presque vingt ans. Le casque sur les oreilles, le magnétophone en bandoulière et, dans les poches, une batterie de micros ultrasensibles, perfectionnés au fil de ses voyages, il écoute le monde. Mi-Tintin mi-Indiana Jones, il part à la rencontre des peuples et de la nature pour composer le chant de la Terre. Mais, contrairement à Gustav Mahler, ses instruments ne sont pas ceux d’un orchestre symphonique. Des fourmis au Niger, le glissement d’une jonque dans la baie d’Along, au Vietnam, un cactus gorgé d’eau sur l’île de Komodo, en Indonésie, les cathédrales calcaires des Tsingy de Bemahara, à Madagascar, rien n’échappe à sa curiosité ni à son imagination. Il tend l’oreille partout et en tout sens pour capter des sons inouïs. Quelles sononorités peut bien produire une liane guatémaltèque que l’on frotte ? Qu’entend donc un Bouddha en pierre en partie immergé dans les eaux du Mékong ? Quelle sorte de vibration émet le cœur d’un arbre de la forêt de Brocéliande ? À toutes ces questions, Christian Holl apporte des réponses. Au retour, dans le petit studio de son appartement parisien, il les couche sur ses partitions pour ciseler des mélodies à la fois simples et envoûtantes. Des airs accessibles à tous, comme l’a compris l’Unesco en choisissant, pour commémorer ses 60 ans, les compositions d’un séjour au Cambodge. Celui qui se considère comme un invité partout où il se déplace, mène aujourd’hui la vie dont il rêvait lorsque la vocation lui est venu. Christian a 9 ans en 1969. Il passe des vacances à Villefranche-sur-Mer. Un cinéma en LA MUSIQUE DE CHRISTIAN HOLL LECHANTDELA T Christian Holl n’est pas un musicien comme les autres. La planète est son studio d’enregistrement, la nature son instrument. Avec ses micros, il capte la pulsation de la vie, animale, végétale et minérale. Rencontre avec un poète globe-trotter. À RETROUVER SUR www.myfreesport.com PHOTOS FRANCIS DEMANGE/GAMMA

LA MUSIQUE DE CHRISTIAN HOLL Tprojette Il était une fois dans l’Ouest, de Sergio Leone. Le souffl e du vent qui fait grincer une éolienne, une mouche qui vrombit sur le visage

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AVENTURE AVENTURE MUSIQUE�CONTEMPORAINE36

« Je suis dans la forêt, au Gabon. J’ai installé une plate-forme entre deux arbres, à 10 m du sol. J’enregistre des

sons d’ambiance pour un documentaire. Soudain, un groupe de treize éléphants s’approche. Ils m’ont vu. Je suis un intrus, je sais qu’ils peuvent déraciner un arbre, me jeter à terre et me piétiner. Alors, je commence à leur parler. Doucement. Ils me renifl ent avec leurs trompes mais, sans doute tranquillisés par la mélodie non agressive de ma voix, ils me laissent en paix. Je suis resté là 8 heures, sans

dormir, à fi xer sur mes bandes leurs activités, des accouplements, des bagarres. C’était magique. » C’est pour ces instants exceptionnels que Christian Holl parcourt le monde depuis presque vingt ans. Le casque sur les oreilles, le magnétophone en bandoulière et, dans les poches, une batterie de micros ultrasensibles, perfectionnés au fi l de ses voyages, il écoute le monde. Mi-Tintin mi-Indiana Jones, il part à la rencontre des peuples et de la nature pour composer le chant de la Terre. Mais, contrairement à Gustav Mahler, ses instruments ne sont pas ceux d’un orchestre symphonique. Des fourmis au Niger, le glissement d’une jonque dans la baie d’Along, au Vietnam, un cactus gorgé d’eau

sur l’île de Komodo, en Indonésie, les cathédrales calcaires des Tsingy de Bemahara, à Madagascar, rien n’échappe à sa curiosité ni à son imagination. Il tend l’oreille partout et en tout sens pour capter des sons inouïs. Quelles sononorités peut bien produire une liane guatémaltèque que l’on frotte ? Qu’entend donc un Bouddha en pierre en partie immergé dans les eaux du Mékong ? Quelle sorte de vibration émet le cœur d’un arbre de la forêt de Brocéliande ? À toutes ces questions, Christian Holl apporte des réponses. Au retour, dans le petit studio de son appartement parisien, il les couche sur ses partitions pour ciseler des mélodies à la fois simples et envoûtantes. Des airs accessibles à tous, comme l’a compris l’Unesco en choisissant, pour commémorer ses 60 ans, les compositions d’un séjour au Cambodge. Celui qui se considère comme un invité partout où il se déplace, mène aujourd’hui la vie dont il rêvait lorsque la vocation lui est venu. Christian a 9 ans en 1969. Il passe des vacances à Villefranche-sur-Mer. Un cinéma en

LA MUSIQUE DE CHRISTIAN HOLL

LE CHANT DE LA TChristian Holl n’est pas un musicien comme les autres. La planète est son studio d’enregistrement, la nature son instrument. Avec ses micros, il capte la pulsation de la vie, animale, végétale et minérale. Rencontre avec un poète globe-trotter.

À RETROUVER SUR www.myfreesport.com

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plein air a été installé dans la Citadelle. On y projette Il était une fois dans l’Ouest, de Sergio Leone. Le souffl e du vent qui fait grincer une éolienne, une mouche qui vrombit sur le visage de Charles Bronson, le tout en résonance… avec l’harmonica de la partition d’Ennio Morricone. L’enfant reste subjugué par cet univers sonore. « Je voulais entrer dans le fi lm, se souvient-il. Je me suis dit : c’est ça que je veux faire. »

FAIRE TOMBER LES MURS DU SONQuelque 38 ans plus tard, il peut inscrire sur sa carte de visite : chasseur de sons, compositeur, musicien de la nature. « Je n’ai pas l’impression d’avoir un métier, confi e-t-il. J’aime créer chaque jour. J’aime combler le vide. » Avant d’en arriver là, il a pris quelques chemins de traverse. À 10 ans, il compose des chants religieux à la guitare (mai 1968 est passé par là, même si Patrick Bouchitey ne chante pas encore Jésus reviens dans la Vie est un long fl euve tranquille). À 14 ans, il est

reçu au Petit Conservatoire de Mireille et, à 20 ans, il sort son premier 45 tours. Mais, pour passer de la Variété à la variété… des sons, il a fallu passer par la fenêtre. « J’ai voulu me faire engager comme compositeur sur le terrain mais il n’y avait pas de budget pour ça », se souvient-il. Sur ses premiers tournages, il se cache donc sous une casquette d’ingénieur du son. Au fur et à mesure, il impose son art. Tout aurait pu s’arrêter en 2000. Il est opéré d’une tumeur au cerveau qui lui fait perdre l’audition de l’oreille gauche et ne lui laisse qu’une corde vocale. Trois mois plus tard, il doit partir en Himalaya. Il demande à des amis de le déposer chaque jour au pied de la tour Eiffel. Il gravit d’abord quelques marches à grand-peine mais, au bout d’un mois, il atteint le 1er étage. L’aventure peut continuer. « Ça a donné un véritable sens à mon travail, confi e Christian. Désormais, je rends grâce à la vie, à la beauté de la nature et des êtres. » Comme pour faire tomber les murs du son. ■

STÉPHANE MÉJANÈS

Sur le site de Bemahara, à Madagascar, Christian Holl

déploie son micro ultrasensible. Sur l’île de

Komodo, il capte les battements du cœur d’un

redoutable varan, transforme un cactus en instrument à

percussion, ou échange avec un « enfant dragon », son guide

au pays de ces animaux tout droit sortis de la Préhistoire.

CHRISTIAN HOLLNé le 13 février 1960 à Paris, chasseur de sons, compositeur1969-1973 : compose des chants religieux1974-1979 : Petit Conservatoire de Mireille1980 : 1er 45 tours, Shooting Star’s Light1985 : Best Music Composer Award au Festival de Tokyo avec Femme dans ma vie1988 : bande-son du magazine

« Adventure » (M6)1988-1992 : compose pour « Les animaux du monde » et « Ushuaia » (TF1)1994 : compose l’Air de rien, album de Georges Chelon1998-2000 : musique de « Animal Zone » et « Zone sauvage » (Fr2)2001-2002 : musique de « Aventures sauvages » (Fr3)2005 : compose Sans défense pour Clémence St-Preux

2006 : compose Où es-tu ?, album de Clémence St-PreuxAvril 2007 : lance www.christian-holl.comJuin 2007 : livre-CD Angkor sur partition (Nouvelle Prod), disponible en ligneSeptembre 2007 : début du tournage de trois documentaires pour Arte : « Madagascar », « Route des esclaves du Bénin au Brésil en bateau » et « Himalaya ».

REPÈRESREPÈRES

TERRE

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ECOUTEZ LES SOChristian Holl a sillonné le monde pour enregistrer les sons de la nature. Il les offre aux lecteurs de Sport.À écouter sur www.myfreesport.com.

ÉCOUTEZ LES SONS ET MUSIQUES DU MONDE DE CHRISTIAN HOLL SUR www.myfreesport.com

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