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La naissance de VénusFlorence - 1486
Sandro Botticelli1445-1510
L'équation de BotticelliIntroduction à la Géométrie Comparée
par Yvo JacquierPrague | Janvier 2011
Yvo Jacquier - La Naissance de Vénus, 1486 - L'équation de Sandro Botticelli 1 on 23
◊ Les Maîtres de la Géométrie Sacrée
Tous les artistes étudiés à ce jour pratiquaient la Géométrie Sacrée, depuis la plus
haute antiquité et au-delà de la Renaissance. Il serait plus juste de nommer ceux qui
n'ont pas encore été abordés pour des raisons évidente de temps, mais encore de
stratégie. Ingres permet de poser une borne, et laisse supposer que son maître David
était un grand praticien (cependant, ce fait n'est pas encore établi). Holbein fgure
aussi au nombre des belles réserves de l'étude. Il s'est éclipsé pour quelques années
au proft de Dürer, le grand architecte des Tarots. La liste des oeuvres étudiées étant
accessible par ailleurs, cet article peut préciser son objectif : révéler son sens
profond à la superbe démonstration de Géométrie qui accompagne l'oeuvre de
Sandro Botticelli « La naissance de Vénus ».
Trois artistes se distinguent par la façon dont ils entreprennent leur pratique, et
chacun répond par la géométrie à l'équation initiale de son oeuvre.
- Rublev résout le problème de la Trinité dans l'icône du même nom,
- Botticelli celui de la révélation de la Beauté avec sa naissance de Vénus,
- et enfn Dürer celui de la représentation Symbolique dans Melencolia et les Tarots.
À chaque fois l'artiste renouvelle la structure, exactement comme on le constate en
Musique à propos des grands compositeurs : ceux qui changent le cadre et le
remplacent par un autre, à la mesure de leur ambition artistique.
La comparaison avec la musique et sa part théorique est également utile à expliquer
l'extraordinaire unité de la Géométrie Sacrée au long de son Histoire. L'on a sans
doute attendu Bach pour efectuer un dernier réglage aux instruments, mais le
principe d'harmonie a toujours présidé aux préoccupations des compositeurs.
L'harmonie, la théorie musicale, ne rassemblent pas des règles de bon goût ou des
limites à l'expression. Ce véritable Savoir énonce des structures qui permettent à
l'Inspiration des compositeurs de s'exprimer. Et quand ils sont grands, ils
s'approprient ces règles au point de les changer, et d'en proposer d'autres. Pour
autant, les précédentes ne deviennent pas fausses; il est très important de le
souligner. Beethoven n'abolit pas Mozart : il lui succède !
Yvo Jacquier - La Naissance de Vénus, 1486 - L'équation de Sandro Botticelli 2 on 23
Aucune note de Mozart ne change de sens, ou d'intérêt, parce que Beethoven lâche
ses chevaux dans sa cinquième symphonie. Les instruments, les musiciens peuvent
être les mêmes, et apprécier de jouer deux rôles, deux répertoires. Idem pour le
public. La guerre entre Mozart et Beethoven n'a pas lieu.
Rublev, Botticelli et Dürer ont ainsi renouvelé les structures de la Géométrie Sacrée.
Point remarquable, ils ont investi cette fantastique énergie au proft d'une seule
oeuvre (en admettant que les Tarots et leur écrin, Melencolia, ne fasse qu'un). C'est
dire l'importance que cette oeuvre avait à leurs yeux de peintres.
Aux trois questions posées correspondent trois sujets propres à chaque artiste;
également à son époque. Rublev parle de Dieu et de son mystère dans un pays qui se
constitue et afrme son identité politique en s'appuyant sur la Religion. Déjà au
XIème Siècle, le roi Vladimir avait imposé la religion Chrétienne Byzantine sur ses
terres païennes (paganisme) afn d'unifer ses peuples et faire face à l'Islam des
Tartares. En ce XVème Siècle, la Russie porte le nom de Moscovie, son grand Prince
est Vassili Ier, et Rublev est mis à contribution pour magnifer les lieux de culte les
plus en vue, tels la Cathédrale de l’Annonciation, à Moscou. C'est dans le contexte de
la constitution d'un pays, en fn de lutte contre la Horde d'or mongole et déchiré par
des querelles fratricides, qu'il faut situer l'intervention de l'Iconographe. Sa réponse
au tumulte général est l'énonciation de la Sainte Trinité, réduite à ses trois
représentants. Les autres personnages de l'histoire sont même oubliés. Nous aurons
l'occasion d'aborder la composition extrêmement complexe de Trinité. Comme nous
aborderons celle de Melencolia et des Tarots : Dürer s'y pose la question de la
représentation symbolique, dans une époque de Réforme où l'on entend d'un coté
supprimer l'image religieuse et de l'autre la profaner ! Dürer s'empresse alors de
constituer l'encyclopédie des Symboles, pour sauver l'essentiel de l'héritage Sacré du
bûcher, de l'oubli, et de l'allégorie (cette représentation sans cervelle !).
Cet article aborde la seconde équation chronologiquement, qui pose le problème de
la révélation de la Beauté. On ne peut prétendre faire le tour de tous les aspects
d'une si vaste entreprise, celle de Botticelli quand il répond à cette question, celle
également de comprendre l'artiste dans l'intégralité. Néanmoins, le fait d'établir le
bien-fondé d'une telle afrmation, et d'identifer les termes dans lesquels Botticelli a
abordé son équation picturale, constitue au-delà de l'oeuvre une réelle avancée dans
la compréhension de l'Art et de son Histoire.
Yvo Jacquier - La Naissance de Vénus, 1486 - L'équation de Sandro Botticelli 3 on 23
◊ Vénus - Le contexte de l'oeuvre
La Renaissance de Botticelli voit feurir une notion de confort qui l'oppose au Moyen-
Age. Cette nouvelle ère, encore conçue comme une rupture avec la précédente, est
en réalité sa récolte dans le domaine de la peinture. Tout ce que l'Europe a de talent
se donne rendez-vous en Italie du Nord sur un cercle de 225 km de diamètre,
comme poussé par la vague de froid qui sévit de 1450 à 1550 ! Il y a en peinture
beaucoup de nouveauté technique et pratique : la toile, la perspective, la peinture à
l'huile etc. La Géométrie Sacrée y trouve avantage au lieu de s'en inquiéter : qu'à cela
ne tienne, les peintres progressivement pratiqueront deux systèmes de composition
sur les mêmes oeuvres ! Les apparences sont si trompeuses... Sous le séduisant
aspect des motifs qui se libèrent, les mêmes oppositions, les mêmes enjeux
continuent d'occuper les esprits, de les diviser et de les pousser au sublime. Botticelli
est un puriste, un idéaliste, et cette position n'a pas d'époque, en tout cas pas de
fn ! Il puise dans la mythologie grecque, registre de tradition s'il en est, le propos de
son tableau, et il en dresse un second avant de commencer : celui d'une géométrie
parfaite, qui n'oublie aucun des aspects des questions auxquelles il répond, avec
talent et franchise. Plus tard dans sa carrière, il perdra la clientèle des patriciens de
Florence car il se refusera à représenter la Vierge dans le luxe des habits de
l'époque, non pour échapper à la mode mais par refus de ce contre-sens pour ne pas
dire de ce non-sens. Botticelli est un homme de vérité, et à la question de la Beauté
il répond, en parfait accord avec son sublime mécène Laurent le Magnifque, qu'elle
n'est pas une afaire de canons ou de proportions, mais de manifestation.
Le débat sur les "grilles de proportions" n'a pas d'époque. Notre mauvaise lecture
des oeuvres et des composition en occulte les aspects. De tous temps, les artistes se
partagent entre une idée de la beauté fgée dans ses canons, quand d'autres essaient
de capter son étrange manifestation : sa révélation.
Pour établir ces conclusions et en apprécier tout le sens, nous allons aborder les
diférentes fgures de la composition, en insistant sur leurs liens. Car, si résolution il
y a, elle doit emprunter cette forme.
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◊ Les diférents calques de composition
La composition de ce tableau est d'une extraordinaire complexité. On ne saurait s'en
plaindre, car elle est une part du plaisir accompli que provoque l'oeuvre. Elle
explique aussi son légitime succès. Reprocherait-on à Stravinsky de produire sept
partitions l'orchestre parallèles dans son « Sacre du Printemps » ? Personne n'oserait.
Le mélomane va simplement au concert, et cela suft amplement à étancher sa soif,
quand le musicologue lui, met le nez dans la partition. Et avant de s'autoriser à
quelque commentaire que ce soit, le musicologue s'emploie à comprendre la logique
des partitions, pas seulement à en faire le compte. De même en Peinture, l'amateur
se rend aux Ofces de Florence pour y voir Vénus devant laquelle il connaît l'extase...
L'analyste se doit en revanche d'étudier la partition, à savoir la Géométrie Sacrée de
l'oeuvre, avant tout développement, avant tout discours. L'on pourrait prendre cette
habitude, et ainsi éviter certaines situations fâcheuses. Si les philosophes du XXe
Siècle avaient su que Dürer avait résolu le problème de son Polyèdre (i.e. calculé la
sphère où il s'inscrit), ils n'auraient pas taxé l'Archange d'impuissance (Melencolia I,
1514). Essuyant les fots de littérature qui inondent sa robe blanche, celui-ci nous
montre la puissance de la Géométrie Sacrée, autant que son réel ennui à attendre
qu'enfn, l'on s'y intéresse !
La structure
Le système de composition comprend un ensemble de fgures reliées entre elles par
des coïncidences géométriques non anecdotiques : leur sens est précis et intelligible.
La symbolique est portée par le système selon ses deux aspects, ses fgures et ses
liens, et la dynamique qui en résulte permet notamment l'expression de la vie.
Les diférents articles sur ce tableau ont mis l'accent sur l'identifcation visuelle et
l'interprétation des motifs, un a un, en s'appuyant sur une observation attentive de
l'oeuvre. Cette première logique est celle de la découverte et de la recherche. Elle
fonde la légitimité des propositions géométriques, du point de vue du Spectateur.
Tous les articles sont accessibles à la page : Presentation.html. Il est utile de les lire.
Nous allons maintenant rassembler les mêmes composantes sur le fl d'une logique
d'ensemble, selon le point de vue de l'Artiste. Le présent texte ne peut pas reprendre
tous les éléments démonstratifs didactiques qui fgurent dans les autres.
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◊ L'équation de Botticelli
L'Équation de Botticelli est, comme celles de Rublev et de Dürer, d'un très haut
niveau de Spiritualité. Ne doutons pas qu'à l'avenir, cet enseignement trouvera des
formes plus accessibles. Pour l'instant il s'agit d'exposer ce formidable propos.
Le référentiel
Aucune Géométrie Sacrée n'est possible sans un référentiel. C'est le préambule à tout
développement, à toute construction. Depuis l'Égypte ancienne, les géomètres
étudient les fgures sur un quadrillage, et ses raisons d'être sont précises.
Avant les Grecs, le vocabulaire mathématique que nous utilisons aujourd'hui n'existe
pas : hypothèse, preuve, déduction, etc. Sans entrer dans les détails de la révolution
que la Grèce va porter, depuis Thalès et Pythagore jusqu'à Euclide, l'on peut résumer
la précédente approche à cette expression : l'évidence. Les Égyptiens sont les
principaux acteurs de la géométrie pré-hellénique. Si, dans la société égyptienne, le
calcul intéresse avant tout les collecteurs d'impôts, les prêtres, plus disponibles,
s'intéressent à la science pour la science : astronomie, médecine et mathématiques.
Ces prêtres pratiquent une "géométrie avec les yeux", sur un quadrillage. C'est le
meilleur moyen de démontrer facilement les propriétés des fgures avec le seul
argument de l'évidence. Principalement le principe des triangles semblables. Cette
approche de la Géométrie a donc une origine, une raison initiale : comprendre.
Une parenthèse doit être ouverte sur les termes employés au cours des débats sur
cette étape fondamentale de l'évolution de la pensée humaine. Le terme d'empirisme
fgure de façon systématique en opposition à la science, telle qu'elle naît une
première fois en Grèce avec un ensemble cohérent de procédés hypothético-
déductifs. Une grande confusion s'en suit, car l'on place sous la même bannière des
pratiques très diférentes les unes les autres. Le potier antique sait la quantité de
bois nécessaire à la cuisson de son four par une logique empirique. Il ne dispose pas
des abaques que la science va produire au XXème Siècle. "Ça marche comme ça". En
Yvo Jacquier - La Naissance de Vénus, 1486 - L'équation de Sandro Botticelli 6 on 23
revanche, le prêtre égyptien qui découvre la proportion dorée du Triangle Sacré sur
un quadrillage ne pratique pas l'empirisme. L'empirisme corrige un procédé dans le
temps jusqu'à se rapprocher du résultat escompté. L'évidence n'use pas de la
répétition pour se produire (attitude chère aux disciples de Coué). L'évidence se
révèle à un moment précis. Taxer la géométrie des Égyptiens d'empirisme est
profondément malhonnête, digne des lois rétroactives des régimes les plus
funestes : l'on juge avec les mots qui apparaissent "après" de ce qu'il y a "avant". En
ce cas précis, l'intelligence naîtrait chez les Grecs avec de fâcheuses conséquences
pour ceux qui les ont précédés ! Ces préjugés sont irrecevables, et même
condamnables. Les Grecs sont les premiers à rendre hommage aux Égyptiens. C'est
dans un ouvrage aussi important que la Métaphysique qu'Aristote écrit : « Aussi l'Égypte a-t-elle été le berceau des arts mathématiques ». (Pr Théophile Obenga de
l'Université de Montpellier - Merci, Professeur !). Fin de la parenthèse.
La deuxième raison d'être du quadrillage est prosaïque : retenir. Non seulement, il
est beaucoup plus facile de visualiser les fgures directement comme mentalement
quand il les soutient, mais encore il est très facile de les reproduire ensuite "de
mémoire". Les livres sont chers, lourds, fragiles. Ils s'accommodent mal du voyage et
du partage... Le quadrillage est LA réponse à bien des problèmes, notamment celui
de la transmission du Savoir. Ce point fera le succès du quadrillage et explique
pourquoi il gardera son rôle au-delà de la Renaissance.
Le cadre d'ensemble
Dans le cas de cette oeuvre, d'emblée Botticelli prend ses marques en impliquant les
trois notions de Quadrillage, de Triangle Sacré et de Nombre d'Or dans une seule et
même grille. Il anticipe les besoins de sa
construction, en choisissant la bonne échelle.
L'expérience montre, par exemple par l'étude du
Pentagramme, que le Nombre d'Or se reproduit
classiquement trois fois dans les fgures : Phi,
Phi2, et Phi3. Le peintre choisit alors Phi3 pour
grande mesure à son cadre, assorti du 2.
Pourquoi ? Parce que la proportion dorée du
Triangle Sacré, ou Triangle 3-4-5, se présente
sous la forme de 2.Phi. La Géométrie Sacrée est résonance, accord, itération des
valeurs numériques. Le Peintre dresse donc un cadre doré de 2.Phi3 sur 2.Phi2.
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Il s'en suit une construction qui développe les
rectangles dorés selon la logique dite de la Croix
Grecque. Le principe moteur est la principale
propriété géométrique de la proportion dorée :
tout carré inscrit au rectangle provoque
l'apparition d'un rectangle doré résiduel.
L'ensemble des lignes internes à cette
architecture entre dans la structure. Cette trame
se révèlera utile tout au long de la construction. La valeur de Phi permet des rendez-
vous inattendus dans l'espace. Ce maillage devient naturellement réseau.
NB : Il est question de ce principe à propos de la mythique grille byzantine, mais ce
n'est pas du tout le cas. Cette erreur, induite par l'obsession des canons si chère aux
pouvoirs, explique pourquoi cette structure soit restée si longtemps irrésolue.
Le quadrillage - Il se précise en fonction des
mesures énoncées plus haut. Il prend son origine
en haut et à droite du tableau. Le quadrillage n'est
donc pas un simple repère cartésien. L'identité
spirituelle des nombres se lit aisément dans cette
Géométrie avec les yeux. Pythagore est allé à cette
école et en protègera jalousement l'héritage.
Le premier grand Pentagramme
Le Pentagramme est la première proposition géométrique de Botticelli, en réponse à
l'équation de son oeuvre. La question fondamentale concerne la Beauté. Qu'est-ce
que la Beauté ? Une réponse symbolique ne doit pas être personnelle ou individuelle.
Botticelli veut que cette réponse soit juste, qu'elle soit au-dessus de lui comme au-
delà de son époque. L'absolu des symboles doit même s'afranchir de débats comme
ceux des classiques contre les modernes, ou encore philosophie contre religion...
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Botticelli a besoin d'un support, d'un porte fambeau à sa réponse. Vénus est un
symbole universel. Une distance antique le met à l'abri des conjectures passagères. Il
est ancien par l'origine et nouveau dans la Peinture. Le peintre peut alors préciser
son message sans encourir les déformations d'une trop forte antériorité ou d'une
quelconque mode. Il ne se rend pas compte à quel point sa défnition fera loi par la
suite, trop occupé à construire une image qui exprime une juste conception de la
Beauté, sans concession envers l'histoire passagère. Botticelli se veut libre, sous la
protection bienveillante de Laurent le Magnifque, le brillant chef de famille des
Médicis. Une oeuvre aussi imposante est forcément l'objet de longs échanges entre
le peintre et ses mécènes. Le salon des Médicis est le lieu de tous les débats, celui de
la Beauté plus que tout autre. La Renaissance n'est pas seulement une afaire
d'élégance et de confort : toute la réfexion du Moyen-Age peut enfn s'épanouir au
grand jour, et elle s'exprime dans l'Art avec une formidable volonté.
Une notion fait l'unanimité à propos de la Renaissance : l'humanisation des
ambitions et des valeurs. Pour les artistes et les penseurs, mais aussi les politiques.
Une réforme et une contre-réforme de la religion s'en suivront. En symbolique, cette
dimension humaine se traduit par le chifre 5. Botticelli prend ce nombre au pied de
la lettre et, après avoir tendu les cordes de son quadrillage, il compose un
pentagramme à la hauteur du cadre.
Le grand Pentagramme inversé
Un grand pentagramme inversé prend la hauteur
exacte du cadre. C'est donc bien celui des deux
(droit et inversé) qui fait référence. La pointe
droite du triangle d'argent, souligné sur le visuel,
occupe la position 2 et 2 sur les mailles du
quadrillage. Le 2 fait son apparition comme
seconde valeur importante de la construction. Elle
sera sa constante. Le 5 est défnitivement humain,
et face à lui le 2 incarne l'Inspiration. Présidant au placement du Pentagramme, le
triangle d'argent se pose sur une ligne 2 qui passe par le nombril de Vénus : l'un des
points clé du tableau.
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Le premier pas de l'Inspiration est le discernement, la diférenciation, et ici elle prend
le sens de dualité. D'une part, le Pentagramme se plante en terre, posant sur l'épaule
de Vénus le sommet de son corps : le pentagone intérieur. Ensuite, le nombril est à
la base du triangle d'argent, ouvrant à la question de la pro/création, ce que
confrme la présence du sein dans le triangle. Très prosaïquement, cette descente
vers la Terre du grand Pentagramme évoque la Mort, dont Botticelli pose le choix,
délicatement, sur l'épaule de la Belle. La fgure suivante, entièrement liée à celle-ci,
complètera ce thème avec logique.
Comment Botticelli peut-il aborder une quelconque vérité sur la Beauté, en nous
parlant de la Mort dès la première ligne ? Le modèle humain qui transparaît sous les
traits de Vénus est Simonetta Vespucci (1453-1476), « La Sans Pareille », la plus
belle femme de la Renaissance. Elle est à la fois la femme de Marco Vespucci et la
maîtresse de Julien de Médicis, le jeune frère de Laurent le Magnifque. À l'époque où
se conçoit le tableau elle est morte depuis bientôt dix ans (tout comme son amant
deux ans après elle). Tout Florence fait cortège à son enterrement, elle est l'objet
d'un véritable culte, notamment de la part des artistes. Et c'est avant tout à ses
proches que le tableau s'adresse : il porte sa prestigieuse mémoire. La légende que
nous pourrions porter aujourd'hui à l'écran de sa passion adultère n'est pas dans le
ton de ce tableau. Ensuite, Botticelli doit son entrée dans le cercle des Médicis à
Giorgio Antonio Vespucci, cousin du célèbre navigateur. Le peintre conçoit une
admiration sans bornes pour la Simonetta, qui devient son principal modèle. Bien
plus tard, dans la maturité de sa quarantaine et le contexte du souvenir, nul doute
que Botticelli veuille lui rendre hommage, et livrer tout son idéal à la toile.
Ce premier Pentagramme s'ancre dans la réalité. Il pointe d'un triangle l'épaule de
Simonetta, et montre la chute prématurée de la Belle vers la Terre. Déjà, dans son
tableau « Le Printemps », Chloris pousse Simonetta vers un destin qui sera d'incarner
la beauté plutôt que de vieillir. La dualité du 2 prend ici un sens très complexe,
puisqu'il souligne la précarité de la vie face à la mort inexorable, et la renaissance
qu'apporte la fgure suivante : le Vesica Piscis. Une seconde vie, une autre vie. Tous
ceux qui animent la vie forentine de l'époque sont de l'autre monde aujourd'hui
quand Simonetta elle, est toujours Vénus...
Yvo Jacquier - La Naissance de Vénus, 1486 - L'équation de Sandro Botticelli 10 on 23
Le Vesica Piscis
Deux cercles jumeaux de diamètre 5 posent leur centres l'un sur l'autre. Selon la
tradition symbolique la plus ancienne, aux temps du paganisme, le glyphe du Vesica
Piscis est associé à la déesse Vénus, et représente les organes génitaux féminins.
Placement du premier cercle
Un premier cercle de diamètre 5 (circonscrit au
triangle 3-4-5) prend sa place au milieu vertical
du cadre, et il se cale latéralement avec le même
sommet du triangle d'argent. L'épaule de Vénus
épouse alors parfaitement la courbe du cercle. Le
triangle d'argent pointe une fois encore l'épaule
de Simonetta, et ce choix la destine à une
mission, qui transcende celle de n'être que le
nombril de son époque...
Le Vesica Piscis
Le thème est ainsi clairement posé : Simonetta,
après sa chute vers la Terre deviendra Vénus,
puisque c'est elle que le destin choisit... L'amande
centrale du Vesica est encore appelée mandorle
dans la littérature. Cette fgure est l'objet d'une
forte réputation. L'art iconographique byzantin
orthodoxe fait abondamment appel à son
vocabulaire : Icônes de la transfguration, de la
descente aux limbes ou encore du Christ pantocrator (triple mandorle). Dans l'icône
de la nativité, la Vierge est représentée dans une mandorle qui se confond avec son
lit, et dans celle de la dormition, le Christ vient y accueillir son âme. La mandorle du
Monde des tarots est également particulièrement remarquée, et dès l'Antiquité, les
Pythagoriciens vouent un culte à cette fgure qu'ils considèrent comme sacrée.
Yvo Jacquier - La Naissance de Vénus, 1486 - L'équation de Sandro Botticelli 11 on 23
Les explications à propos du sens précis du Vesica Piscis restent un peu confuses. Ce
qui est connu : la mandorle mesure en hauteur √3 fois le rayon des cercles.
Manifestement, la fgure est dominée par ce nombre irrationnel. L'obsession des
hommes a toujours été de rationaliser ce qui ne l'est pas. À cet égard, 265÷153 est
une très bonne approximation de √3, de l'ordre de 1,4 pour 100 000, ce qui
enchante Pythagore ! L'on rapproche ensuite cette fraction de l'épisode de la pêche
miraculeuse du Christ, qui se solde par la prise de 153 poissons (Jean 22.11). La
mandorle, symbole des Chrétiens de la première heure, retrouve là sa mesure.
Le nombre 153 est d'ailleurs la somme des 17 premiers (on dit qu'il est triangulaire).
Or 17 est précisément le nombre de l'Étoile des Tarots, autre représentation de
Vénus... Ce lien avec le poisson du Vesica se réafrme parallèlement à la
représentation paganique de Vénus évoquée plus haut.
Mais la fraction comporte deux nombres. Nous n'avons entrepris que le premier. De
son coté, 265 est un multiple de 5 : 265 = 5x53. C'est également un nombre carré
centré, 265 = (232+1)÷2. L'on peut disposer toutes les unités autour d'un centre de
façon à dessiner un carré. Malheureusement, ces éléments ne se rapportent pas à la
grande tradition, et cela nous laisse sur notre faim.
Ce qui est nouveau : L'explication du symboliste Christophe de Cène présente un
intérêt salutaire. En efet, 2-6-5 est le "code génétique" du trois de Deniers, selon la
longue étude qu'il a réalisé à propos des Tarots. Chaque lame mineure correspond à
une combinaison unique de trois dés. Et cette carte, selon le même type de
nomenclature, est liée à trois cartes majeures : la Roue de Fortune, le Soleil et le
Chariot. Le trois de Deniers incarne le triomphe. il est à ce titre en grande afnité
avec la pêche miraculeuse, ce que souligne le 3, qui trouve sa racine dans le Vesica.
Ensuite, les nombres intriguent beaucoup les Grecs. Ils sont les dignes inventeurs de
l'ensemble hypothético-déductif qui fonde les Mathématiques, mais un aspect
beaucoup moins connu le leur recherche concerne les Pythagoriciens. Ceux-ci ne se
contentent pas de prendre l'irrationalité des nombres pour une provocation. Sur les
bases de l'enseignement donné à Pythagore par les prêtres égyptiens, ils cherchent à
défnir un sens symbolique à certaines valeurs numériques. Quand les Grecs
afrment que tout est nombre, il est utile de se rappeler des Pythagoriciens et de
leurs développements. Leur héritage prendra ensuite le chemin de Byzance...
Yvo Jacquier - La Naissance de Vénus, 1486 - L'équation de Sandro Botticelli 12 on 23
Ainsi, les racines carrées expriment globalement l'origine, le fondement et le mystère
des nombres. Les plus usuelles sont √2, √3, et √5. Il est à noter que √4 (= 2) n'est
pas irrationnelle. Comment s'en étonner : Le 4 exprime le Terrestre et il n'est pas pas
réellement l'objet d'un mystère pour les hommes. Le Terrestre leur inspire avant tout
la conquête. À l'opposé, la racine du 3 qui se rapporte au Céleste, est irrationnelle :
aucune fraction ne peut résoudre cette valeur et l'apprivoiser. Le mystère de la
Trinité est l'expression la plus pure de ce nombre. En tant que proportion, √3 est
présente dans l'Hexagramme de Salomon, symbole de l'Amour accompli, et dans le
Vesica Piscis, fgure où se produit la transfguration, la révélation fondamentale selon
la tradition iconographique chrétienne. √3 est aussi présent dans les motifs du livre
de Kells pour construire celui de la Trinité...
La mandorle adopte √3 pour échelle, c'est à dire la dimension irrationnelle du
Céleste à son origine. Plus que dans toute autre composition, √3 apparait clairement
comme l'axe principal de la fgure, la mesure de sa signifcation. Et, rapportée à
l'échelle de la fgure, constituée de deux cercles de rayon 5/2, la mandorle mesure
précisément 5√3÷2. La valeur de √3 se retrouve ainsi encadrée par celles que nous
avons rencontrées précédemment. Botticelli construit son tableau avec une logique
remarquable, et elle se constate sur tous les plans de façon conjuguée.
Maintenant, dans cet espace en amande, quelque chose va advenir. Une révolution va
se produire qui tient du mystère, de la transformation, et de la renaissance.
Simonetta la Belle, qu'un tragique destin a plaquée prématurément à terre, trouve en
cette verticale la force de renaître et de se révéler. Elle deviendra Vénus.
Le pentagramme et son symétrique (debout) produisent chacun 5 spirales dorées,
chacune liée à un triangle d'or. La principale appartient au grand pentagramme
debout, et elle raconte toute l'histoire de Vénus... Son père Ouranos règne en Dieu
sur le Ciel jusqu'à ce que son fls Cronos ne l'empêche d'exiler ses enfants, et de les
bannir au Tartare au côté des Titans. Par un geste radical, Cronos émascule Ouranos
dont la semence se répand dans l'océan, au large de Cythère. Vénus/Aphrodite naît
dans l'écume des vagues, à la façon des poissons quand ils se reproduisent. La
semence des mâles (laitance) va à la rencontre des oeufs que les femelles ont déposé
dans l'eau. Le mythe de Vénus révèle d'emblée sa nature aquatique, elle ne saurait
trouver meilleur écrin que le corps d'un poisson pour grandir, un Vesica Piscis... La
courbe d'or prend au passage le son d'une conque au doux nom de Cyprée, se
rappelant de Chypre où accoste la Belle. Elle se rappelle aussi que la révélation de
Yvo Jacquier - La Naissance de Vénus, 1486 - L'équation de Sandro Botticelli 13 on 23
cette courbe dorée est en cette proposition de la nature à la curiosité humaine. La
nature nourrit autant le corps que l'esprit des Hommes, et ce fait n'échappe pas au
symboliste, pour qui la révélation a autant l'importance que la digestion.
Juchée sur un autre coquillage, une coquille Saint-Jacques, Vénus est poussé par le
vent de Zéphyr. L'Heure accueille la Belle et la couvre d'une cape royale. Les Heures,
flles de Zeus incarnent la vertu, la Discipline, la Justice et la Paix, mais encore le
Printemps, l'Été et l'Hiver. Et c'est à l'une d'entre elles que revient l'honneur de tenir
le diapason de la Cyprée. La nymphe Chloris (Flore pour les Romains, Divinité des
Fleurs), se suspend passionnément au cou de son mari Zéphyr, et elle court à
grandes enjambées sur la voie que trace la courbe. Serait-ce à la recherche de la
beauté éternelle qu'incarne Simonetta, enfn devenue elle même ? La terre entière
admirera pendant des siècles et encore des siècles cette Vénus, cette Aphrodite,
selon les langues, selon les croyances... Toutes chanteront le même désir.
La courbe dorée passe au sommet de l'amande centrale, la mandorle du Vesica.
L'histoire de Vénus croise ici son destin. Elle en accepte la mesure, la grandeur. Ce
point de rencontre situé en plein ciel mérite le nom de conjonction d'Uranus. Uranus,
planète de la Liberté, de la découverte et de la Science...
Les rectangles sacrés
Dans chaque cercle du Vesica Piscis prend place
un rectangle de 3 sur 4. Le cercle de 5 est alors
circonscrit naturellement à quatre triangles 3-4-
5 : leurs hypoténuses sont aussi les diagonales
du rectangle. Ensuite, le rectangle est incliné de
27°. Cet angle retrouve la logique du
Pentagramme avec sa pointe de 36° qui est,
comme l'angle de 27°, un multiple de 9°. La
construction ne cesse de créer des ponts avec la logique humaine du 5 initiale. C'est
un modèle défnitivement humain qui est choisi au départ pour la grande épreuve de
l'immortalité et de l'absolu.
Yvo Jacquier - La Naissance de Vénus, 1486 - L'équation de Sandro Botticelli 14 on 23
Première coïncidence
Le cercle droit du Vesica (en vert) croise le cercle
circonscrit aux Pentagrammes exactement à la
hauteur de son centre. L'on aurait pu caler la
nouvelle fgure de cette façon, mais elle est moins
loquace sur le plan symbolique. Ce type de
rencontre, qui prend l'allure de rendez-vous, est
le résultat de la magie du Nombre d'Or.
Deuxième coïncidence
Le grand Pentagramme debout (en blanc), jumeau
du précédent par une rotation de 180°, vient
chercher l'intersection entre cercle droit du Vesica
(en vert) avec le rectangle de gauche (en blanc).
Le rectangle se retrouve ainsi attaché au
Pentagramme initial. Ce, en un point situé sur le
coté 4, terrestre, du rectangle, et aussi sur le
cercle droit qui cerne la vertu, représentée par
l'Heure. À cette occasion, Botticelli nous rappelle que malgré sa chute mortelle,
Simonetta n'a jamais cessé d'être digne du respect que les gens lui portaient. Pour le
confrmer, le pied de la Belle vient toucher ce point de rencontre.
La rencontre des bissectrices dorées, d'ordre 2
Les bissectrices dorées des triangles, assimilables
à des diagonales de double carrés par leurs
directions, de retrouvent sur le cercle de 5 deux à
deux. La longueur de 2√5 continue d'insister sur
un même vocabulaire symbolique. L'Inspiration et
l'Humain. Le profl de Vénus se dessine...
Yvo Jacquier - La Naissance de Vénus, 1486 - L'équation de Sandro Botticelli 15 on 23
La rencontre des bissectrices d'ordre 3
De même, les bissectrices assimilables à des
diagonales de triple carrés, se rejoignent sur le
cercle deux à deux. Cette fois le 2 et le 5 sont
déclinés sous une forme "symétrique" à la
précédente, à savoir 5√2 au lieu de 2√5.
Les bissectrices d'ordre 1
Elles dessinent une croix de Saint-André, et au
centre du rectangle, un carré dont le coté est
√2/2. La référence à l'unité sur deux carrés en
symétrie sur la fgure du Vesica pourrait se
réclamer de la Bible (testaments)
La communion des rectangles
Tout est symétrique sur ce Vesica, et l'inclinaison
des deux rectangles n'est pas due au hasard. Le
coté "4" intérieur de l'un rejoint l'angle droit
supérieur de l'autre.
Les fgures du Pentagramme et du Vesica Piscis sont liées autant par la géométrie
que par les nombres 5 et 2, que les rectangles développent à leur tour de façon
itérative. Par deux fois, les pentagrammes mènent géométriquement au centre du
Vesica : une première quand celui-ci vient chercher le triangle d'argent pour se caler,
une deuxième quand la courbe dorée attrape le sommet de sa mandorle. Plusieurs
coïncidences soulignent autant la solidité que la complexité de la structure
d'ensemble. Enfn Les rectangles sacrés, de valeur 4 sur 3 inclinés, font écho au
Pentagramme par les angles qu'ils créent, tous multiples de 9°, son code biologique.
Yvo Jacquier - La Naissance de Vénus, 1486 - L'équation de Sandro Botticelli 16 on 23
Des angles de diamant
Les angles suivent la règle des neuf (somme des
chifres) et l'on voit apparaître la nageoire de
Vénus au croisement des lignes. Le terme de
Vesica Piscis, corps du poisson, trouve ici une
justifcation picturale merveilleuse.
◊ Vénus est une Sirène
L'apparition de l'attribut qui fait d'elle une Sirène
ofre à Vénus l'occasion de se justifer. Cette
révélation résout un certain nombre de sensations
sur l'oeuvre, jusque là mis au compte des marges
oniriques de la Peinture...
En efet, Vénus ne tient objectivement pas debout, et il suft de tracer la verticale
passant par son centre de gravité, et aussi très exactement à l'extrémité de ses deux
pouces, pour s'en rendre compte. Ce trait passe en-dehors de la surface de
sustentation ! En d'autres termes, les pieds de Vénus ne portent pas son poids, il lui
faudrait même une canne pour tenir debout. La savante maîtrise du contrapposto
que démontre Botticelli, qui pendant des mois étudie ses secrets sur une statue
grecque (fgurant à l'impressionnante collection des Médicis), n'a d'autre but que de
nous faire oublier cette incohérence. Et elle n'est pas la seule. À l'endroit où la Belle
prend appui sur la conque, elle devrait être claire et nacrée, ce qui n'est pas le cas. La
coquille n'a pas la réputation de plier. À l'arrière, elle s'ouvre comme un éventail et sa
forme est plus proche de celle d'un canapé que de celle d'une barque. Le décor dans
Yvo Jacquier - La Naissance de Vénus, 1486 - L'équation de Sandro Botticelli 17 on 23
l'ensemble ne respecte pas à la lettre les lois de la perspective. Son aspect naïf
contraste avec la fnesse de l'exécution des personnages. C'est d'ailleurs sur eux
qu'une impression se précise : les étofes sont trop lourdes pour fotter de la sorte, il
faudrait au vent la force d'une tempête, ce que contredit l'atmosphère paisible de la
scène. Il suft de poser l'hypothèse qu'elle se déroule sous l'eau pour que tout
s'explique et se mette en place. Il ne manque à Zéphyr et Chloris que leur panoplie
de plongeurs ! La fuidité et la suspension des drapés, des cheveux, et des corps
trouvent enfn sa résolution. Il fallait simplement la géométrie pour y parvenir !
La légende d'Aphrodite se lie de toutes part aux poissons. Quand Vénus fuit la
persécution du géant Typhon, accompagnée de son fls Cupidon, elle est portée au
delà de l'Euphrate par deux poissons. Pour ce service, ils obtiennent la place qu'on
leur connaît au ciel du Zodiaque. Dans certains récits, Aphrodite se change même en
Poisson pour échapper au massacre...
L'équation de Botticelli se résout à travers Simonetta disparue, quand elle renaît à la
postérité sous la forme d'un éternel féminin, quand elle révèle la Beauté absolue. Si
nous n'avions pas touché l'oeuvre dans ses couches intimes, celles de sa conception,
la clé de la scène nous eut échappé, tel le mot de la fn.
La Beauté de Vénus ne serait qu'apparence, certes pleine de mystère mais aussi
d'incompréhension. Peut-on réellement apprécier quelqu'un sans rien savoir de son
élément naturel ? La contemplation tiendrait plus du fantasme ordinaire que du rêve
éveillé. Pour Botticelli la beauté n'est pas apparence : elle est révélation. Et il n'y a
pas de révélation sans connaissance, sans éducation, sans initiation. Dürer reprendra
le même motif dans toute son oeuvre, jusque dans ses écrits.
Cette Renaissance croit plus à la Culture qu'au confort : en ce sens elle hérite du
Moyen-Age plus qu'elle ne s'y oppose. La dimension humaine ne s'oppose pas à celle
du Divin, comme on l'entend souvent. Pas en cette toile où Vénus se réclame du
Divin : elle révèle le Divin de Simonetta. Il lui fallait mourir pour y accéder, et le génie
d'un homme pour que la magie opère.
Yvo Jacquier - La Naissance de Vénus, 1486 - L'équation de Sandro Botticelli 18 on 23
Les Spirales cordiformes
La question de tout homme de bon sens (une fois sur deux c'est une femme),
concerne la Terre. Comment fait-elle pour se manifester ?
Le Terrestre est concerné par le sort de Vénus, son histoire, son destin. Et pour s'en
rapprocher, la valeur du 4 qui le caractérise se sert du Nombre d'Or, ce cadeau de
Dieu à l'Homme pour qu'il apprivoise le réel, le Terrestre justement. La spirale dorée
du rectangle réglé sur le 4 par la magie de Phi entre curieusement en communion
avec un cercle de diamètre 5. Cette rencontre n'est pas parfaite, puisque les
courbures sont fxes pour le cercle, et variables pour la spirale. Il n'en demeure pas
moins que deux spirales issues du 4 se plaisent à dessiner un coeur au centre de ce
cercle de 5, celui du Vesica Piscis, et que leurs origines s'ancrent aux deux
rectangles du même Vesica.
Première spirale cordiforme
Les courbes se rejoignent dans un cercle de 5
entre les poitrines de Vénus et de l'Heure. La
spirale de gauche prend son origine à l'angle du
rectangle de gauche, dans la chevelure de Vénus,
et au sommet du 4.
Seconde spirale cordiforme
La seconde spirale s'accroche au rectangle de
droite, au point de rencontre d'une bissectrice
dorée sur le côté 4. Elle frise également l'angle
inférieur du rectangle, au bas du coté 4.
Yvo Jacquier - La Naissance de Vénus, 1486 - L'équation de Sandro Botticelli 19 on 23
Doit-on répéter, comme pour lui faire écho, l'attitude itérative de la symbolique. Ses
valeurs raisonnent comme La Musique. L'idée même de musique des sphères se
réfère à cela. L'expression de la vérité n'est pas fgée dans des boîtes métalliques,
elle se sert de vibrations, de résonances harmoniques, de coïncidences et de rendez-
vous. Au contraire de la logique de canons, qui ne procède que de la volonté des
pouvoirs. La vérité symbolique se distingue également de la logique introduite par
un système perspectif qui a essentiellement libéré les courbes de leur sens. Comme
des enfants à qui pour un temps l'on permet de balbutier comme ils veulent sans
aucun souci du comprendra-t-on ! C'est assez drôle chez les autres, surtout quand
ça ne dure pas trop longtemps... Le Système Perspectif donne aux artistes une
grande maîtrise des décors, particulièrement en architecture. On lui doit une
amélioration de la scénographie. Pour exemple : l'école d'Athènes par Raphaël. Pour
autant, le développement majestueux et monumental sert d'avantage la dimension
politique de la peinture que sa nature symbolique, qui peu à peu régresse sous la
pression des sponsors. L'Allégorie parachève cette chute, quand la peinture se
retrouve littéralement à la solde de l'écrit. Le XXème Siècle épris de vitesse et de
progrès ne comprendra pas l'évolution progressive depuis un "monde du sens" vers
un "monde des sens", dont l'Art Contemporain consacre les sensations
kinesthésiques, les provocations brutales et scénographiées.
Dans le cas de notre Vénus adorée, l'histoire du 4, terrestre référentiel, est
charmante : il accède à la fréquentation du sujet par ce Nombre d'Or que tout le
monde attribue à la Belle. Est-ce la Terre qui s'anoblit et se cultive, ou est-ce Vénus
qui l'apprivoise ? Une magie opère, et le dialogue entre les poitrines de Vénus et de
l'Heure est un très beau spectacle.
Les triangles sacrés
Cet article ne veut pas faire l'inventaire des fgures qui composent le tableau. L'on
aborde celles qui ouvrent à la lecture des intentions de Botticelli, cette part de la
structure révèle son propos de compositeur. Il ne s'agit pas d'identifer, comme dans
les articles écrits à ce propos, les formes du vocabulaire, mais de trouver leur
motivation initiale, celle qui justife une telle entreprise : le tableau de Vénus. Dans
ce cadre orienté, deux triangles sacrés ne sauraient être oubliées. Leurs médaillons
Yvo Jacquier - La Naissance de Vénus, 1486 - L'équation de Sandro Botticelli 20 on 23
cernent le couple de Zéphyr et Chloris ainsi que l'océan, et leurs bissectrices dorées
se coupent précisément sur le nombril de Vénus. Les triangles se calent à même le
quadrillage selon leurs segments 3 et 4. Ils constituent en cela un retour à l'étape
initiale qui préparait la trame du tableau.
Le Triangle Sacré de Zéphyr et Chloris
Le cercle inscrit au triangle contient le corps et les
visages du couple. L'homme incarne le vent
d’Ouest/Nord-Ouest poussant Aphrodite vers la
Terre. Le soufe qui émane de la bouche de
Zéphyr suit une ligne strictement parallèle au trait
rouge ( celui qui relie le centre du médaillon au
nombril de la déesse). Ce visuel montre de façon
didactique le rôle actif des lignes internes. Il est
habituel de les voir relier les éléments géométriques d'un système de composition,
mais pour bien des observateurs, ce discours d'atelier reste éloigné de leurs
préoccupations. Dans ce cas précis, la Géométrie habituellement cachée dans les
mailles d'une structure sous-jacente afeure, tel un granit témoignant de la nature
profonde de la Terre.
L'angle d'origine au triangle joint la dimension 5, attribuée à l'Homme au 3, relié au
Ciel. Cet angle est, selon la Symbolique universelle, un lieu d'échange entre l'Humain
et le Céleste. La bissectrice qui le coupe en deux parties égales est une sorte d'axe
où se traduit l'énergie. C'est aussi une ligne d'équilibre, puisque son parcours porte
la mesure du Nombre d'Or. Rappelons-le : entre le sommet du triangle et le cercle, la
mesure de la bissectrice est 2.Phi. Or, le point d'intersection sur le cercle est
justement en contact avec la branche horizontale du grand Pentagramme, et la
bissectrice attrape une seconde fois le Pentagramme à la naissance des branches !
Concentrons-nous maintenant sur le cercle du couple. Son centre est entre les deux
amants qui esquissent la fgure du Yin et du Yang (écho du 2, diamètre du cercle).
Du centre du couple jusqu'au nombril de Vénus, la distance est exactement de √5.
C'est la mesure du mystère humain, et pour cause : le nombril n'aurait pas lieu
d'être sans le mystère de la procréation, et il n'est meilleur interlocuteur pour
Yvo Jacquier - La Naissance de Vénus, 1486 - L'équation de Sandro Botticelli 21 on 23
évoquer ce sujet que le couple. Dürer place dans ses Tarots une image symbolique
tout à fait surprenante : le symbole du sexe féminin y coupe un pied de "l'Arcane
sans nom" (dite « La Mort »)... En dépit de ses couleurs marbrées qui se rappellent
des études de Sandro Botticelli face à une sculpture grecque, Vénus tient un propos
beaucoup plus frais, voire printanier, dans lequel l'Heure assume le rôle du
Printemps. Les feurs qui parsèment la toile se veulent une fête à l'Amour, à sa
création. Le Symbole "fnal" de cette bissectrice dorée se résume alors au centre du
couple lié au Divin par le mystère de la procréation. La pente de la droite est
descendante, traduisant une "descente" vers la matière, vers la terre où elle plonge
au fnal. Cette droite descendante est liée au pentagramme debout.
Le couple de Zéphyr et Chloris se valorise ici sous cette identité, et il s'agit avant tout
d'une naissance, dont Vénus porte le propos avec pour attribut son nombril. La
dimension narrative du discours perd une part de son aspect littéraire au fur et à
mesure que les valeurs numériques entrent en action. La Géométrie traduit et se
traduit. Plus l'étude s'afne, plus les éléments mythologiques prennent une forme
symbolique pure, afranchie de tout discours. Zéphyr cesse ici d'être Dieu. L'a-t-il
jamais été ? Dans le contexte de ce tableau, il forme un couple avec Chloris, et
ensemble, ils défendent ses "valeurs". Ce décalage entre allégories mythologiques et
valeurs symboliques au fnal, tenant de l'absolu, est une constante de la Géométrie
Sacrée. Ainsi, les symboles des Tarots sont rafnés de bien des écarts dus à leur
pratique, narrative ou astrologique, avant de fgurer au rang des lames majeures.
Le Triangle Sacré de l'Océan
Le deuxième cercle souligné du visuel semblerait
"vide" si l'on oubliait que Vénus est née de la
semence de son père Ouranos, répandue dans la
mer. Sa bissectrice associée est montante et elle
passe de la profondeur bleue de la mer jusqu'au
vert sombre qui abrite le silence des arbres. Là
encore s'expose le mystère de la création, et il
passe par la bouche de l'Heure. Cette naissance est aussi une renaissance : les feurs
témoignent ici en tant qu'allégorie de la semence d'Ouranos. Elles sont les plus
belles paroles du Printemps. La pente est ascendante et joint le triangle d'argent du
Pentagramme inversé pour fnir sa course tout là-haut au point 0 du Référentiel.
Yvo Jacquier - La Naissance de Vénus, 1486 - L'équation de Sandro Botticelli 22 on 23
◊ Conclusion
Pour exprimer son idéal de Beauté, Botticelli donne une seconde vie à Simonetta
Vespucci, que la Terre a rappelé prématurément. Cette seconde vie est marquée par
la révélation du Divin, et également un lien à la procréation dont l'élément Eau est
une des composantes naturelles. Simonetta devenue Vénus est une sirène, et elle
porte le rêve de perfection et d'équilibre humain.
La Géométrie Sacrée met à contribution tous ses arguments dans cette oeuvre. Une
structure unit les fgures, les angles et les nombres dans un ensemble ou tous ces
éléments se font écho au proft d'un même sens. La nature harmonique et
résonnante de la Symbolique trouve dans cette oeuvre une expression
particulièrement didactique. Les liens multiplient le sens de chaque valeur, quand les
formes se rencontrent au bout de leurs mesures.
La première Renaissance montre en cette oeuvre à quel point elle hérite du Moyen-
Age, non pour l'abolir mais pour accomplir ses desseins, ses espoirs les plus justes.
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