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Q U E S A I S - J E ?

H E N R I L A M O T T E

Ancien élève de l'École nationale d'Administration Directeur d'Études d'Économie

à l'Institut d'Études politiques de Paris

J E A N - P H I L I P P E V I N C E N T

Ancien élève de l'École nationale d'Administration Directeur d'Études d'Économie

à l'Institut d'Études politiques de Paris

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DES MÊMES AUTEURS

La Nouvelle Macroéconomie classique ( «Que sais-je ?» ), 1 éd., 1993.

HENRI LAMOTTE

en collaboration avec J.-M. Communier

Finances publiques : le budget de l'État, PUF, coll. «Premier Cycle»,

ISBN 2 13 048806 4

Dépôt légal — 1 édition : 1998, mars

© Presses Universitaires de France, 1998 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

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INTRODUCTION

A la fin des années soixante-dix, le paradigme key- nésien traverse une crise profonde. Non seulement il semble impuissant à expliquer l'existence simultanée de taux de chômage et d'inflation élevés et croissants, mais les politiques économiques dont il constituait le fondement traditionnel ne semblent pas en mesure de permettre aux pays industrialisés de faire face aux effets du premier choc pétrolier.

Toutefois, comme le reconnaissent la plupart des économistes keynésiens eux-mêmes, la crise du keyné- sianisme est moins empirique que théorique. L'ana- lyse keynésienne reposait en fait sur une idée d'une grande simplicité. Le fonctionnement du marché du travail (et du marché des biens) est entravé par l'exis- tence de rigidités nominales, notamment une rigidité à la baisse des salaires nominaux. De ce fait, l'ajuste- ment se fait par les quantités plutôt que par les prix. Il en résulte en cas de perturbation macroéconomique des phénomènes de rationnement coûteux pour la collectivité comme pour les agents, tels que le chô- mage. Dans la mesure où elle permet d'agir sur la demande globale et donc sur le volume de la produc- tion puisque les prix sont rigides, la politique macroéconomique - monétaire ou budgétaire - appa- raît comme la réponse incontestable au problème du chômage.

Néanmoins, ce paradigme reposait sur deux postu- lats implicites que les nouveaux classiques vont remettre en cause au début des années soixante-dix. Tout d'abord, les nouveaux classiques vont souli-

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gner que la politique macroéconomique n'est pas en mesure d'agir efficacement sur le niveau d'activité et d'emploi dès lors que les agents anticipent rationnel- lement leurs effets futurs. Mais, surtout, ils vont forte- ment mettre en avant l'incohérence microéconomique du postulat de rigidité des prix et des salaires. Si ces rigidités sont coûteuses pour la société et les agents pris individuellement, pourquoi des agents privés rationnels ne s'arrangent-ils pas pour réduire ces rigi- dités ? En d'autres termes, les nouveaux classiques vont souligner l'absence dans le paradigme keynésien de réponse satisfaisante à la contradiction apparente entre le postulat de rigidité des prix et des salaires et la rationalité des agents.

Cette critique n'est d'ailleurs pas nouvelle puisque Schumpeter en 1954 souligne bien que la fragilité du paradigme keynésien réside dans l'absence de fonde- ment microéconomique au postulat central de rigidité des prix :

« La théorie keynésienne des salaires est intéres- sante car elle semble offrir une explication du chô- mage permanent distingué du chômage cyclique. Mais cette explication ne repose que sur l'hypothèse de la rigidité du taux de salaire nominal. Et personne n'a jamais nié que le chômage puisse persister indéfi- niment dans ce cas... Il semble évident que Keynes souhaitait assurer ses principaux résultats sans invo- quer l'élément de rigidité. Il fut néanmoins, à plu- sieurs reprises, incapable de s'en tenir à cette atti- tude... Il est bien sûr toujours possible de montrer que le système économique cessera de fonctionner si un nombre significatif de ses organes d'adaptation sont paralysés. »

En l'absence d'explication microéconomique au postulat de rigidité des prix et des salaires nominaux,

1. Schumpeter (1954), Histoire de l'analyse économique, Paris, Galli- mard, 1983.

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la théorie « générale » n'est en fait qu'un cas particu- lier de la théorie néo-classique : le cas particulier d'un équilibre à prix fixes de courte période.

A partir du milieu des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, un certain nombre d'économistes, notamment du Massachusetts Insti- tute of Technology (MIT) et de l'Université de Colum- bia, tels que O. Blanchard, S. Fischer, G. Mankiw, J. Stiglitz, L. Summers, J. Taylor vont tenter de réduire cette contradiction en apportant des fonde- ments microéconomiques aux postulats de rigidité des prix et des salaires. En 1984, M. Parkin qualifie ce nouveau courant de « nouvelle école keynésienne ». L'objet de cet ouvrage est de présenter une synthèse des principaux apports de cette école de pensée à la macroéconomie.

Le premier chapitre est consacré à l'évolution et aux renouvellements successifs du paradigme keynésien depuis le « keynésianisme de Keynes » jusqu'à la Nou- velle Macroéconomie keynésienne (NMK). Le second chapitre est centré sur les fondements microéconomi- ques des rigidités nominales, rigidités des salaires nominaux et des prix, entravant l'ajustement du mar- ché des biens. De la même façon, la NMK s'est efforcée de donner des fondements microéconomiques à la rigi- dité des salaires réels : c'est l'objet du chapitre III qui analyse également les implications de politique écono- mique susceptibles d'être tirées de ce renouvellement théorique. Le chapitre IV analyse les facteurs engen- drant l'existence de rationnement sur les marchés financiers en ne permettant pas au taux d'intérêt de jouer son rôle de variable d'équilibre. Le chapitre V analyse les renouvellements récents des théories du commerce international qui appliquent à ce secteur les modèles de concurrence imparfaite : différenciation des produits, rendements d'échelle croissants et comporte- ments stratégiques de firmes en situation oligopolis- tique au niveau mondial. Le chapitre VI présentera

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une synthèse de l'équilibre macroéconomique proposé par la NMK en présentant différents scénarios de poli- tique économique dont les effets seront analysés à l'aide d'un modèle macroéconomique fortement ins- piré par la NMK : le modèle MULTIMOD du Fonds monétaire international.

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Chapitre I

DE LA MACROÉCONOMIE DE KEYNES A LA NOUVELLE MACROÉCONOMIE KEYNÉSIENNE

La Nouvelle Macroéconomie keynésienne constitue l'aboutissement, sans doute provisoire, d'une école de pensée qui remonte aux travaux de John Maynard Keynes et à son ouvrage principal, la Théorie géné- rale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, paru en 1936. Entre les idées de Keynes et la Nouvelle Macroéconomie keynésienne (NMK), il existe cepen- dant de telles différences qu'il nous a semblé utile, dans un premier chapitre, de retracer un peu longue- ment l'évolution de cette école de pensée, de discerner les solutions de continuité et les éléments de rupture. Ceci permet de mieux cerner l'originalité de la Nou- velle Macroéconomie keynésienne et son apport au regard, respectivement, des idées initiales de Keynes, de ce que nous appelons la macroéconomie keyné- sienne standard, de la synthèse néo-classique et, fina- lement, du postkeynésianisme. La fin du chapitre pré- sente une vue synthétique de la NMK qui se veut en même temps un guide de lecture de ce nouveau para- digme économique.

1. The collected writings of John Maynard Keynes, vol. VII: The general theorv of employment, interest and money, Macmillan Cambridge University Press, 1973.

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I. — La macroéconomie de John Maynard Keynes

Présenter la macroéconomie de Keynes relève presque de la gageure. D'une part, la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie est un livre plein d'intuitions parfois très fortes, mais dont la cohé- rence interne pas toujours assurée. D'autre part, l'ou- vrage se caractérise, dans l'ensemble, par une absence de formalisation qui se prête à la multiplication des interprétations. Certaines de ses interprétations sont assurément très brillantes et l'on peut développer rapi- dement, à titre d'exemple, celle de Edmund Phe lps Selon ce dernier, le chômage involontaire ne tiendrait pas tant à la rigidité des salaires nominaux qu'à l'inca- pacité des salariés à saisir ce qu'implique, en termes d'évolution des salaires nominaux, un choc négatif sur la productivité marginale du capital. On retrouve là, précisément, une des idées fortes de la NMK, mais c'est solliciter excessivement la Théorie générale que de l'at- tribuer à Keynes. Cette profusion des interprétations suscite périodiquement, en retour, des tentatives pour restituer le message originel de Keynes et, parmi celles- ci, on peut retenir celle, pénétrante, d'Axel Leijonhuf- v u d De façon plus modeste, on tente de présenter ici trois des principales percées macroéconomiques de Keynes.

1. La faible élasticité de substitution entre monnaie et biens et services. — Dans le cadre des modèles néo- classiques comme ceux de Marshall, Walras et Pigou, l'équilibre macroéconomique est garanti, en cas d'offre excédentaire sur le marché des biens ou d'excès de demande de monnaie, par l'ajustement des prix relatifs

1. Edmund S. Phelps (1990), Seven Schools of Macroeconomic Thought, Oxford, Clarendon Press.

2. Axel Leijonhufvud (1968), On Keynesian Economies and the Econo- mics of Keynes, London, Oxford University Press.

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et, en l'espèce, par la baisse du prix relatif des biens en termes de monnaie. Dans l'analyse néo-classique, en effet, la monnaie est un bien comme les autres, elle leur est substituable et ceci permet à l'ajustement des prix relatifs de prévenir la perpétuation d'éventuels désé- quilibres sur l'un ou l'autre des marchés.

Dans la Théorie générale, Keynes s'inscrit en totale opposition par rapport à cette analyse. Se fondant sur la notion de préférence pour la liquidité, il postule une très faible élasticité de substitution entre la monnaie et les biens et services et présente une nouvelle vision de la relation entre marché de la monnaie et marché des biens et services. Selon Keynes, si l'élasticité de substitution entre encaisses réelles et biens et services est très faible, elle est au contraire très forte entre les encaisses réelles et les autres actifs financiers. Par conséquent, la détention d'encaisses réelles dépend d'un choix de portefeuille où le taux d'intérêt nominal mesure le coût d'opportunité de la détention des encaisses. Quant au lien entre le mar- ché de la monnaie et le marché des biens, il n'est pas assuré par le prix des biens et services en termes de mon- naie, mais par l'élasticité de l'investissement au taux d'intérêt. C'est à ce stade que Keynes fait intervenir ce qu'il appelle les animal spirits, c'est-à-dire les anticipa- tions des agents économiques. Il peut alors se produire des situations où les agents ont des anticipations telle- ment pessimistes sur leur environnement économique que l'élasticité de la demande de monnaie au taux d'inté- rêt devient infinie, tandis que l'élasticité de l'investisse- ment au taux d'intérêt devient, elle, nulle. L'économie se trouve à la fois dans une situation de trappe à monnaie et de trappe à investissement. Cette situation très parti- culière est représentée sur le graphique ci-après que nous reprenons au remarquable ouvrage de Benassi, Chirco et Co lombo

1. Corrado Benassi, Alessandra Chirco et Caterina Colombo (1994), The New Keynesian Economies, Basil Blackwell.

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Si l'économie se trouve dans une situation de trappe à monnaie et de trappe à investissement, les variables nominales n'exercent plus aucune influence sur le sec- teur réel. En particulier, la demande agrégée est indé- pendante du niveau des prix, dans la mesure où, contrai- rement à ce que prévoit l'analyse néo-classique, les encaisses réelles ne pèsent pas sur les choix de consom- mation et d'investissement. Par conséquent, la demande agrégée (DA) est inférieure à l'offre agrégée (OA) et l'ex- cès d'offre ne peut pas être résorbé. En effet, si le niveau des prix baissait, l'augmentation des encaisses réelles serait intégralement thésaurisée. Ce graphique illustre donc un élément important de l'analyse de Keynes : dans la mesure où l'élasticité de substitution entre mon- naie et biens est très faible, la production est déterminée par la demande et les prix n'exercent aucun effet sur l'équilibre du secteur réel. Il s'agit là d'une rupture totale par rapport au paradigme néo-classique.

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2. La relation entre monnaie, salaire réel et emploi. — Dans la Théorie générale, Keynes avance une proposi- tion qui, une fois encore, est en rupture totale avec l'analyse néo-classique. Il écrit en effet : « La variation des salaires réels et la variation des salaires nominaux sont presque toujours de sens opposé. Quand les salaires nominaux augmentent, les salaires réels ont tendance à baisser ; et quand les salaires nominaux baissent, les salaires réels ont tendance à augmenter » (Keynes, op. cit., p. 10). Cette proposition mérite quel- ques développements, car elle est a priori relativement paradoxale. Dans la théorie néo-classique, l'équilibre sur le marché du travail est assuré par les variations du salaire réel (w/p) et cet équilibre assure l'égalité entre la demande de travail, soit L = L d(w/p), et l'offre de travail, soit L = L(w/p). Cet équilibre est représenté sur le graphique :

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Les salaires nominaux et l'emploi sont déterminés par l'intersection de l'offre et de la demande de tra- vail, ce qui correspond bien à ce que l'on constate effectivement sur le marché du travail. Cependant, ceci repose sur l'hypothèse que le niveau général des prix est donné. Par conséquent, la relation entre la monnaie et les salaires réels dépend des changements du niveau général des prix et des variations de L et L qui en résultent. Dans le cadre d'analyse néo-clas- sique, il est facile de déterminer la direction de ces variations. Ainsi, ceteris paribus, une hausse du niveau général des prix entraîne une baisse du salaire réel. Concrètement, la courbe d'offre de travail se déplace vers le haut et vers la gauche quand le niveau des prix augmente et la courbe de demande de travail se déplace vers le haut et vers la droite. Ceci est représenté sur le graphique suivant :

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L'analyse précédente a le mérite de souligner qu'il n'est pas possible de déterminer un lien univoque entre emploi et salaire nominal en se cantonnant à la seule observation du marché du travail. Pour déterminer ce lien, il faut également faire une hypothèse sur la rela- tion entre monnaie et salaire nominal. Or, si l'on en croit la proposition de Keynes mentionnée au début de ce paragraphe sur la relation entre salaire nominal et salaire réel (ces deux variables évoluent en sens opposé), une hausse des salaires nominaux entraînera une hausse de l'emploi. Ceci est représenté sur le gra- phique suivant :

On se trouvait initialement au point d'équilibre A. La hausse du salaire nominal entraîne, selon Keynes, une baisse du salaire réel, de sorte que la demande de travail, L , augmente fortement et que l'offre de travail,