Là où j'irai

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  • RSUM

    Ebook ralis par Issa

    Adam se glisse dans la salle. Il a 21ans, c'est une rock star adule etl'ancien amoureux de Mia...

    Trois ans plus tt, Mia tait partiesans un au revoir, sans une explica-tion. Leurs retrouvailles est un choc :les souvenirs, bons et mauvais, resur-gissent, les sentiments encore vif lessubmergent, leur amour qu'il pensaitindestructible quelques annes plus ttse heurte la ralit de leur vieprsente. De nouveau, Mia est con-fronte un choix : Doit-elle reveniren arrire pour donner une chance son premier amour ? Peut-on revivre la

  • mme passion si longtemps aprs,malgr les souffrances endures ? Ilsont une soire pour dcider. Plus forteque les mots, la musique les emportedans un tourbillon d'motions. Maisest-ce suffisant pour les runir denouveau ?

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  • UN

    Chaque matin en mveillant, je medis : Ce nest quune journe, vingt-quatre heures passer. Je ne sais plusni quand ni pourquoi jai pris lhabitudede cet encouragement quotidien. Ondirait lune des douze tapes de cesgroupes dAnonymes, dont je ne faispourtant pas partie. Encore qu lire lesneries quon crit sur moi, on pourraitpenser que je devrais. Je mne legenre de vie devant lequel beaucoupbavent denvie. Et malgr tout,jprouve le besoin de me rappeler ladure dune journe pour me per-suader que si jai russi passer laveille, jirai au bout de la prochaine.

  • Aprs mon petit mantra, je jette uncoup doeil la pendulette minimalistepose sur la table de nuit de lhtel.Elle indique 11 h 47, autrement ditlaube, pour moi. La rception ma djtlphon deux fois pour me rveilleret notre manager, Aldous, a pris le re-lais, poliment, mais fermement. Lajourne qui mattend na peut-tre quevingt-quatre heures, mais elle san-nonce bien remplie.

    Je dois aller au studio enregistrer lesdernires pistes de guitare de la ver-sion vendue sur Internet du premiersingle de notre album qui vient desortir. Un gadget. Mme chanson, nou-velle piste de guitare, quelques effetsvocaux, mais un dollar plus cher.Comme nous le serinent les pontes dulabel : De nos jours, il ne faut paslaisser passer les bonnes occasions.

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  • Ensuite, je djeune avec une journal-iste du magazine Shuffle. Lenregis-trement et le djeuner symbolisent lesples de ce quest devenue ma vie :faire de la musique, ce que jadore, etparler de ma musique, ce que je d-teste. Mais lun ne va pas sans lautre.Lorsque Aldous rappelle, je sors enfindu lit. Au passage, jattrape le flaconde tranquillisants que je suis censprendre chaque fois que jai les nerfsen boule.

    Les nerfs en boule, cest mon tatnormal. Jai fini par my faire. Maisdepuis que nous avons dmarr latourne par trois concerts au MadisonSquare Garden, je ressens autrechose. Limpression dtre au bord dunpuissant tourbillon prt maspirer.Une sensation maelstrmienne.

    a existe, a, maelstrmienne ?

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  • Quelle importance, puisque tu teparles toi-mme, me dis-je en ava-lant deux comprims. Je passe uncaleon et je vais ouvrir la porte de machambre. Un pot de caf mattenddevant, dpos l par un employ delhtel qui a sans doute pour instruc-tion de ne me dranger sous aucunprtexte.

    Mon caf bu, je mhabille, puis jeprends lascenseur de service et sorspar la porte latrale. La direction magentiment fourni des cls spcialespour me permettre dviter lesgroupies hystros dans le hall. Unebouffe brlante dair new-yorkaismaccueille sur le trottoir. Limpressiondentrer dans un bain de vapeur. Cesttouffant, mais japprcie le ct hu-mide. a me rappelle lOregon, o ilpleut sans cesse. Mme au coeur delt, des cumulus blancs parsment le

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  • ciel, pour nous rappeler que la chaleurestivale est phmre et que la pluienest jamais bien loin.

    Los Angeles o je vis maintenant, ilne pleut presque jamais. Et il fait toutle temps chaud. Mais cest une chaleursche, au contraire de New York. Leshabitants le rptent tout le temps,comme pour la rendre plussupportable.

    Lorsque jarrive au studio, un bonkilomtre plus loin, mes cheveux, quejai cachs sous une casquette, sont tr-emps. Je tire une cigarette de mapoche et lallume dune main tremb-lante. Depuis un an peu prs, jai latremblote. Aprs je ne sais combiendexamens, les mdecins ont dcrtque ctait juste de la nervosit etmont dit dessayer le yoga.

    Aldous mattend lextrieur. Il mejette un coup doeil, regarde ma

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  • cigarette. son air, je sais quil est entrain de se demander sil va jouer auflic gentil ou au flic mchant avec moi.Je dois avoir une tte pouvantable,parce que cest le flic gentil qui sortgagnant de la comptition.

    Bonjour, astre du matin, me lance-t-il, jovial.

    Je ne brille pas terriblement cetteheure-ci.

    Jessaie de mettre de lhumour dansma voix.

    Techniquement, cest dj laprs-midi. On va tre en retard.

    Jcrase ma cigarette. Aldous pose sabonne grosse patte sur mon paule.

    Il nous faut juste une piste de gui-tare pour Mon coeur, histoire de luidonner ce petit supplment qui va fairese prcipiter les fans, dclare-t-il.

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  • L-dessus, il clate de rire et secouela tte lide de ce que le businessest devenu.

    Ensuite, tu as ton djeuner avecShuffle, et vers dix-sept heures unshooting du Times avec le reste dugroupe pour la soire Fashion Rocks.Puis un verre avec des financiers dansles locaux du label et moi je file laroport. Demain, tu vois rapidementles gens de la pub et du merchand-ising. Tu nas pas besoin de beaucoupparler. Contente-toi de sourire. En-suite, tu seras en compagnie de toi-mme jusqu Londres.

    En compagnie de moi-mme ? Parcontraste avec le chaud cocon familialquand nous sommes tous ensemble ?me dis-je. Je me parle de plus en plussouvent. Et dailleurs, ce nest pas plusmal, tant donn la tournure queprennent gnralement mes penses.

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  • Ce soir, pourtant, je vais trevraiment seul. Aldous et le reste dugroupe partent pour lAngleterre. Jedevais prendre le mme avion, et puisje me suis rendu compte quon seraitvendredi 13. Alors l, pas question !Japprhende dj suffisamment cettetourne, je ne vais pas en plus tenterle sort en voyageant le jour de la mal-chance par excellence. Jai donc de-mand Aldous de me prendre un bil-let pour le lendemain. Londres, ondoit tourner une vido et rencontrer lapresse avant dentreprendre la partieeuropenne de notre tourne. Je nemanque donc pas un concert, justeune rencontre prliminaire avec leralisateur. Mais je nai pas besoin quilmexplique sa vision artistique. Quandle tournage commencera, je ferai cequil me dira, tout simplement.

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  • Je suis Aldous dans le studio et jepntre dans une cabine insonoriseo se trouve une range de guitares.De lautre ct de la vitre, il y a notreproducteur, Stim, et les ingnieurs duson. Aldous les rejoint.

    OK, Adam, dit Stim, juste une pistede plus sur le bridge et le chorus. His-toire de rendre ce hook un peu plusstricky. On jouera sur les vocals aumoment du mix.

    Pig. Hooky. Sticky.Je place les couteurs sur mes or-

    eilles et je prends ma guitare pour lac-corder et me rchauffer un peu. Malgrce qu dit Aldous il y a quelquesminutes, je sens dj la solitude. Lasolitude dune cabine insonorise.

    Ny pense pas trop. Cest comme aquon enregistre dans un studio tech-nologiquement avanc. Le problme,cest que jai eu la mme impression

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  • rcemment au Madison SquareGarden. Ce soir-l, jtais sur scne,face dix-huit mille fans, entour pardes gens qui, par le pass, avaient faitpartie de ma famille, et pourtant,jprouvais le mme sentiment desolitude quen cet instant, dans cettecabine.

    Ce pourrait tre pire, nanmoins. Jecommence jouer et bientt mesdoigts se dgourdissent, je quitte montabouret et me mets marteler maguitare jusqu ce quelle hurle etgmisse comme je le souhaite. Ou pr-esque. Il y a pour une fortune en gui-tares dans cette pice, mais aucunena le mme son que ma bonne vieilleLes Paul Junior, celle avec laquellejavais enregistr nos premiers albumset que, dans un accs de stupidit oudorgueil dmesur, jai laiss mettreaux enchres lors dun gala de charit.

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  • Les autres ne lont jamais vraiment re-mplace. Pourtant, en poussant celle-ci fond, jarrive tout donner pendantquelques instants.

    Mais cest dj termin. Stim et lesingnieurs du son viennent me serrerla main en me souhaitant une bonnetourne. Aldous me conduit lex-trieur o une voiture nous attend.Nous filons bientt le long de la 9e Av-enue en direction de SoHo, o setrouve le restaurant dhtel que les at-tachs de presse du label ont choisipour linterview. Franchement, est-cequils croient que je risque moins defulminer ou de sortir un truc antipath-ique dans un endroit cher ? Je mesouviens de lpoque de nos dbuts,quand nous tions interviews par desauteurs de webzines ou de blogs, devrais fans qui voulaient avant tout dis-cuter de rock et de musique. Ils

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  • tenaient rencontrer lensemble dugroupe. La plupart du temps, celatournait la conversation banale,chacun sefforant dimposer son pointde vue. Mais aujourdhui, les journal-istes nous interrogent sparment, legroupe et moi, comme des flics quitentent dobtenir des auteurs dunmauvais coup quils mouillent leurscomplices.

    Avant le djeuner, jai envie dune ci-garette. Je reste donc avec Aldousdevant lentre de lhtel dans la lu-mire aveuglante de la mi-journe,tandis que des passants mobserventsans en avoir lair. Cest ce quidiffrencie New York du reste dumonde. On y est tout aussi intressquailleurs par les clbrits, mais lesgens, du moins les snobs qui flnent lecoin de SoHo o je me trouve actuelle-ment, font semblant dtre indiffrents,

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  • mme sils ne se gnent pas pour vousdvisager, dissimuls derrire leurslunettes noires trois cents dollars. Ilsconsidrent avec mpris les ploucs deprovince qui ne respectent pas le codeet se prcipitent pour demander unautographe, comme viennent de lefaire deux jeunes filles vtues dunsweat-shirt dune universit duMichigan, sous le regard outr dun triode prtentieux qui madressent ensuiteun coup doeil de sympathie. Comme sictait elles le problme.

    Il va falloir te trouver un meilleurdguisement, Wilde Man, me lance Al-dous quand les filles sloignent, toutexcites.

    Mon manager est le seul qui a encorele droit de mappeler ainsi. Avant,ctait un surnom quon me donnait, enjouant sur mon nom de famille, Wilde,et Wild Man, le Sauvage. Mais depuis

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  • que jai quelque peu saccag unechambre dhtel, les tablods sen sontempars et le ressortentsystmatiquement.

    Voil maintenant un photographe quifait son apparition. Impossible de rest-er plus de trois minutes devant unhtel chic sans que cela se produise.

    Adam ! Bryn est lintrieur ?Une photo de Bryn et moi vaut

    quatre fois plus quun clich de moiseul. Mais ds le premier flash, Aldousplace une main sur lobjectif du type etlautre devant mon visage. Tout en mepoussant lintrieur, il me briefe surle djeuner.

    La journaliste sappelle VanessaLeGrande. Tu vas voir, ce nest pas legenre de bonne femme grisonnanteque tu dtestes. Elle est jeune. Unepetite vingtaine dannes. Elle crivait

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  • pour un blog lorsquelle a t engagepar Shuffle.

    Je le coupe. Quel blog ?Aldous me donne rarement des d-

    tails sur les journalistes sil na pas unebonne raison pour cela.

    Gabber, je crois, mais je nen suispas certain.

    Mais cest un site de potins mer-diques, Al !

    Shuffle nest pas un site de potins.Et tu fais la couverture en exclusivit.

    Daccord. De toute manire, jemen fiche.

    Je pousse la porte du restaurant. Ladcoration est la mme que partout oje suis all : banquettes de cuir ettables de verre et dacier. Des endroitsprtentieux qui ne sont en fait que des

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  • versions design et hors de prix duMcDo.

    Cest la blonde mche qui attendl-bas, la table dangle, me glisse Al-dous. Craquante, non ? Quoique tu nesois pas en manque de fillescraquantes. Merde ! ne rpte pas Bryn ce que je viens de dire ! Je tat-tends au bar.

    Aldous va rester le temps de linter-view ? Mais cest le boulot dun attachde presse, a ! Sauf que jai refusdtre chaperonn par des attachs depresse.

    Je dois vraiment avoir lair dcal. Tu fais du baby-sitting, Aldous ? Non. Simplement, jai pens que tu

    pouvais avoir besoin de renfort.Effectivement, Vanessa LeGrande est

    mignonne. Hot serait plus exact.Quimporte, dailleurs. On voit bien

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  • quelle le sait, sa faon deshumecter les lvres et de rejeter sescheveux en arrire, et a fiche tout parterre. Elle a un serpent tatou sur sonpoignet et je parierais notre album deplatine quun autre tatouage orne sachute de reins. Bingo, quand elle sepenche pour prendre son magntonumrique dans son sac, japerois ledessin dune flche qui pointe vers lebas, au-dessus de la ceinture de sonjean taille basse. Classieux.

    Salut, Adam ! lance Vanessa en meregardant dun air complice, comme sinous tions de vieux copains. Je peuxte dire que je suis une fan incondition-nelle ? Dommage collatral ma aide tenir le coup la fac dans des mo-ments noirs. Alors, merci !

    Elle me sourit. Euh de rien.

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  • Je tiens te renvoyer lascenseuren brossant un portrait de ShootingStar tellement denfer quil va les laiss-er tous sur le cul. Allez, on prend letruc bras-le-corps ?

    Est-ce que les gens comme elle sen-tendent parler, quelquefois ? CetteVanessa peut toujours essayer demavoir au culot, au charme ou toutce quelle veut, a ne marche pas.

    Daccord, dis-je. ce moment-l, la serveuse arrive.

    Vanessa commande une salade, moiune bire. Vanessa feuillette un carnet la couverture de moleskine.

    Je sais quon est censs parler deSoleil Vampires, commence-t-elle.

    Je fronce immdiatement les sour-cils. On est ici exactement pour a. Paspour jouer aux amis. Pas pourchanger des secrets. Mais parce que

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  • a fait partie de mon boulot dassurerla promo des albums de Shooting Star.

    La voil qui entame son couplet. Je lcoute en boucle depuis des

    semaines, et pourtant je peux dire queje ne suis pas facile satisfaire.

    Elle clate de rire. Jentends Aldousqui se racle la gorge, un peu plus loin,et je lui jette un coup doeil. Il lve lepouce en arborant un sourire de faux-jeton. a lui donne lair idiot. Je metourne vers Vanessa et me force sourire.

    Mais, poursuit-elle, maintenant quevotre second album avec une majorsort et que vous avez install un sonplus hard, disons, je veux tablir unpanorama dfinitif. Montrer commentle groupe mocore que vous tiez estdevenu lhritier de lagita rock.

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  • Hritier de lagita rock ? Ce jargondconstructionniste de merde dont cer-tains avaient plein la bouche me d-concertait au dbut. Moi, jcrivais deschansons : cordes, beats, textes,rimes, bridges, hooks. Et puis, au furet mesure quon a pris de limport-ance, les gens se sont mis dissquerces titres comme une grenouille encours de biologie, jusqu ce quil nenreste plus rien, juste quelques ent-railles parses.

    Je lve les yeux au ciel, maisVanessa ne sen aperoit pas. Elle estconcentre sur ses notes.

    Jai cout des bootlegs de vostitres du dbut, reprend-elle. ct,cest incroyablement pop, presquesuave. Jai lu tout ce qui a t crit surle groupe, les articles de webzines, lesmessages sur les blogs. Il ny en a pasun qui ne parle pas de ce trou noir

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  • de Shooting Star, mais ils sarrtent l.Je veux dire : vous sortez chez votrepetit label indie, a marche bien, voustes en piste pour jouer dans la courdes grands, et puis plus rien. Desbruits de rupture ont couru. Etsoudain, Dommage collatral. Et l,boum !

    Vanessa mime une explosion avecses mains.

    La description est outre, mais ellena pas tort. Dommage collatral estsorti il y a deux ans, et en un mois, lesingle, Anim , tait dans les chartset connaissait un succs instantan.Impossible dcouter la radio uneheure sans lentendre. son tour, Pont a t catapult dans lescharts et bientt tout lalbum taitnumro 1 sur iTunes, ce qui a boostles ventes, avant de dloger Lady Gagade la premire place du Billboard.

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  • Pendant un moment, on a eu limpres-sion que la totalit des jeunes dedouze vingt-quatre ans letlchargeaient sur leur iPod. Et enquelques mois, notre groupe de lOre-gon moiti tomb dans loubli faisaitla couverture de Time Magazine, qui lebombardait le Nirvana dumillnaire .

    Cela na rien de nouveau. On en aparl en long et en large, jusqu lanause, y compris dans Shuffle. Je medemande o Vanessa veut en venir.

    En fait, continue-t-elle, on attribuegnralement votre son plus hard aufait que Gus Allen a produit Dommagecollatral.

    Exact, dis-je. Gus aime que arock.

    Vanessa boit une gorge deau et sonpiercing sur la langue tinte.

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  • Mais Gus na pas crit le texte, etcest au texte quon doit tout ce peps.Les paroles sont de toi. Une injectionde force et dmotion pure. Je diraisque Dommage collatral est lalbum leplus furieux de la dcennie.

    Quand je pense quon visait lalbumle plus heureux

    Vanessa me dvisage, les yeuxplisss.

    Je lentendais comme un compli-ment. Ctait une catharsis pour beau-coup de gens, moi la premire. Et voilo je veux en venir. On sait tous quequelque chose sest pass pendantvotre trou noir. a va sortir un jourou lautre, alors pourquoi ne pas con-trler le message ? Qui est le dom-mage collatral auquel la chanson faitallusion ? Quest-ce qui vous est arriv? Quest-ce qui test arriv ?

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  • La serveuse apporte sa salade et jecommande une autre bire sans rpon-dre. Car Vanessa a raison sur un point.Nous contrlons le message, effective-ment. Au dbut, face aux questions in-cessantes sur le sujet, on se contentaitde phrases vagues, disant quon avaitpris un peu de recul pour trouver notreson, pour crire nos textes. Mais au-jourdhui, le groupe est suffisammentconnu pour que les attachs de pressetransmettent aux journalistes la listedes sujets proscrits : la relation entreLiz et Sarah, celle entre Bryn et moi,les anciens problmes de drogue deMike, et le trou noir de ShootingStar. Vanessa na pourtant pas lairdavoir reu le mmo. Dsempar, jecherche croiser le regard dAldous,mais il est en grande conversationavec le barman. Merci pour le renfort.

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  • Le titre fait rfrence la guerre,dis-je. On la dj expliqu.

    Exact. Tes textes sont terriblementpolitiques.

    Elle se tait et fixe sur moi ses grandsyeux bleus. Cest une technique dejournaliste : crer un silence pnible etattendre que linterview le remplisse.Dsol, a ne fonctionne pas avec moi.Je suis capable de battre nimporte qui ce jeu.

    Brutalement, le regard de Vanessa sedurcit. Elle remise au garage sa per-sonnalit flirt et lgret etmoffre une expression dambition pureet dure. Elle a lair avide, mais cestmieux, car au moins elle est elle-mme.

    Quest-ce qui sest pass, Adam ?Je sais quil y a une histoire derriretout a, lhistoire de Shooting Staravec un grand H. Et cest moi qui

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  • vais la raconter. Alors, quest-ce qui atransform un groupe indie-pop enphnomne de rock primitif ?

    Jai soudain lestomac nou. Entretemps, il y a eu la vie. Et il

    nous a fallu un bon moment pour cri-re les nouvelles chansons

    Il ta fallu un bon moment, corrigeVanessa. Cest toi qui as crit les deuxdisques rcents.

    Je me contente dun haussementdpaules.

    Adam, Dommage collatral est tondisque. Un chef-doeuvre. Tu devraisen tre fier. Et je sais que lhistoire quiest derrire ce disque et derrire legroupe est aussi la tienne. Cest toiquon doit ce bond gigantesque entreune quartette de label indie collaboratifet un groupe mopunk survitamin pi-lot par une star. Je veux dire : cest

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  • toi le seul qui tais l pour recevoir leprix de la meilleure chanson auxGrammys. Quelle impression a ta fait?

    Ctait chier. Au cas o tu laurais oubli, le prix

    du meilleur nouvel artiste a t d-cern tout le groupe. Et ctait il y aplus dun an.

    Elle approuve dun signe de tte. Bon, je nessaie pas de rabaisser

    qui que ce soit, ni de rouvrir de vieillesblessures. Jessaie simplement de com-prendre ce grand changement. Dans leson. Dans les textes. Dans la dy-namique du groupe.

    Elle me jette un regard sagace avantde reprendre :

    Tout dmontre que tu as t lecatalyseur.

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  • Il ny a pas de catalyseur. On ajuste bricol notre son. a arrive toutle temps. Comme quand Dylan estpass llectrique ou Liz Phair aucommercial. Mais les gens ont tend-ance flipper quand on ne correspondpas leurs attentes.

    Moi, je sais quil y a autre chose,sobstine Vanessa en se penchant versmoi avec une telle violence que la tableme rentre dans le ventre et que je doisla repousser.

    Visiblement, tu as ta thorie, dis-je. Donc pas la peine de sembarrasserde la vrit.

    Ses yeux lancent des clairs et jecrois lui avoir riv son clou, mais ellelve les mains en lair. Je remarquequelle se ronge les ongles.

    Tu veux connatre ma thorie ?articule-t-elle dune voix tranante.

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  • Non, pas particulirement. Je tcoute. Jai parl certains de tes anciens

    camarades de lyce.Je sens mon corps se figer, se

    changer en plomb. Il me faut unenorme dose de concentration pourporter le verre mes lvres et fairesemblant davaler une gorge.

    Jignorais que tu avais frquent lemme lyce que Mia Hall, poursuit-elle. Tu la connais ? La violoncelliste ?Un buzz commence se crer autourdelle. Ou ce qui est lquivalent dubuzz en musique classique. Un mur-mure, on va dire.

    Le verre tremble dans ma main et jedois maider de lautre main pour le re-poser sur la table sans renverser soncontenu sur moi.

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  • Tous ceux qui savent ce qui sestvraiment pass ce moment-l neparlent pas. Les rumeurs, mme justi-fies, sont comme les flammes :prives doxygne, elles steignentdelles-mmes.

    Notre lyce dispensait un excellentenseignement artistique, dis-je. Ctaitune vraie ppinire de musiciens.

    Vanessa hoche la tte. Il y a une vague rumeur selon

    laquelle Mia et toi sortiez ensemble aulyce. Bizarrement, je ne lai jamais lunulle part alors que a vaut la peinedtre not.

    Limage de Mia passe devant mesyeux. Dix-sept ans, des yeux sombrespleins damour, dintensit, de crainte,de sexualit, de magie, de chagrin. Sesmains glaces.

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  • a vaudrait la peine dtre not sictait vrai, dis-je en mefforant degarder un ton uni.

    Je fais signe la serveuse de map-porter une autre bire. Cest latroisime, le dessert de mon djeunerliquide.

    Et a ne vaut pas la peine ? inter-roge Vanessa, apparemmentsceptique.

    Ben non. On a frquent la mmecole, cest tout.

    Effectivement, je nai trouv per-sonne pour confirmer. Mais jai mis lamain sur un vieil album de classe avecune mignonne photo delle et toi. Vousavez lair de deux tourtereaux, jetrouve. videmment, comme il ny aaucune lgende, si on ne sait pas quoi ressemble Mia, on passe ct dutruc.

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  • Merci Kim Schein : meilleure amiede Mia, reine de lalbum de fin danneet paparazzo. On avait refus que ceclich soit utilis, mais Kim avait d-tourn le problme en ne mettant pasnos noms, juste nos stupides surnoms.

    Geek et Groovy ? demandeVanessa. Vous aviez mme un titre denoblesse !

    Parce que tu prends tes sourcesdans les albums de lyce ?

    Tu nes pas vraiment une sourcefiable, Adam. Tu viens de me dire quevous frquentiez la mme cole sansplus.

    Jaccompagne cette dclaration demon sourire playboy le plusblouissant.

    Donc, tu ne las pas revue depuis ? Non, pas depuis quelle est alle

    la fac.

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  • a, au moins, cest vrai. Alors comment se fait-il que lor-

    sque jai interview les autresmembres de Shooting Star son sujet,tous ont entonn en choeur le refrainno comment ? demande-t-elle en mescrutant du regard.

    Parce que mme sil y a un problmeentre nous, nous sommes toujours loy-aux. ce sujet. Je me force rpondredun ton vif :

    Parce quil ny a rien raconter.Les gens comme toi adorent le ctfeuilleton tl dune histoire damourentre deux musiciens clbres, ancienscamarades de lyce.

    Les gens comme moi ?Les charognards. Les vampires. Les

    voleurs dmes. Les journalistes, dis-je. Vous aimez

    bien les contes de fes.

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  • Comme tout le monde, non ? Saufque la vie de cette jeune femme na ri-en eu dun conte de fes. Elle a perdutoute sa famille dans un accident devoiture. Brrr !

    Vanessa simule une srie de frissons,comme font les gens en voquant unmalheur qui ne les touche pas directe-ment. Je nai jamais frapp unefemme, mais pendant un instant, jaienvie de la gifler pour quelle ait aumoins une petite ide de la douleurquelle voque avec une telle dsinvol-ture. Je me retiens, bien sr, et sansse rendre compte de rien, ellepoursuit :

    propos de contes de fes, est-ceque Bryn Shraeder et toi allez avoir unbb ? Elle est toujours dans la rub-rique rumeurs de grossesse destablods.

    Non, pas que je sache.

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  • Je suis sr et certain que Vanessasait que ce sujet est off limits, mais sila grossesse suppose de Bryn peut ladistraire, je veux bien my coller.

    Pas que tu saches ? Vous tespourtant toujours ensemble, non ?

    Quelle avidit dans les yeux ! Malgrses talents denquteuse et son bla-blasur sa volont de rdiger un panoramadfinitif, elle nest pas diffrente desautres pisse-copies et chasseurs dim-ages qui donneraient nimporte quoipour un scoop, que ce soit proposdune naissance : Des jumeaux pourAdam et Bryn ? ou dune disparition :Bryn et son Wilde Man : cest fini !Aucun de ces deux titres nest le refletde la vrit, mais il marrive de les voirla mme semaine en couverture desdiffrents tablods.

    Je pense la maison que Bryn et moipartageons Los Angeles. Ou plutt

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  • celle o nous cohabitons, car je ne saismme plus quand nous y sommesrests ensemble plus dune semaine.Elle tourne deux ou trois films par an,et elle vient juste de monter sa botede production. Autant dire quentre sontravail de productrice, le tournage et lapromotion de ses films, et mestournes et mes enregistrements, nousne faisons que nous croiser.

    Oui, nous sommes toujoursensemble, dis-je Vanessa, et ellenest pas enceinte. Simplement, elleporte ces tops amples qui peuvent lais-ser penser quelle dissimule un ventrearrondi. Mais non.

    vrai dire, je me demande parfois siBryn ne porte pas ces tuniques exprs,comme une faon de dfier le sort encontinuant susciter le doute dans lesmagazines people. Car elle a trs enviedun enfant. Mme si publiquement,

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  • elle avoue avoir vingt-quatre ans, elleen a en ralit vingt-huit, et elle meparle de son horloge biologique quitourne et tout et tout. Mais jai vingt etun ans, et nous sommes ensembledepuis un an seulement. Et jen ai rien faire quelle me dise que je suisbeaucoup plus g, que psychique-ment, cest comme si javais dj vcuune vie entire, cela ne change rien.Mme si jen avais quarante et un etque nous venions de clbrer nos vingtans de mariage, je ne voudrais pasdenfant avec elle.

    Elle va te rejoindre pendant latourne, Adam ?

    la seule pense de la tourne, magorge se serre. Soixante-sept soires.Mentalement, je tends la main versmon flacon de comprims, mais je megarde bien den avaler un sous le nezde Vanessa.

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  • Quoi ? dis-je. Est-ce que Bryn va te rejoindre

    un moment ou un autre ?Jimagine Bryn pendant la tourne,

    avec ses stylistes, ses profs de Pilates,son dernier rgime crudivore.

    Peut-tre. La vie Los Angeles te plat ? de-

    mande Vanessa. Tu nas pas trop leprofil sud-californien.

    Cest une chaleur sche. Quoi ? Rien. Une blague. Ah !Elle me regarde dun air sceptique. Il

    y a longtemps que je ne lis plus lesarticles me concernant mais lpoque, les journalistes utilisaientsouvent mon propos des motscomme impntrable. Arrogant, aussi.

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  • Cest vraiment ainsi que les gens mevoient ?

    Heureusement, nous sommes la finde lheure accorde pour linterview.Vanessa referme son carnet et de-mande laddition, tandis que je cherchele regard dAldous pour lui indiquer quenous levons le camp.

    Jai t trs heureuse de te ren-contrer, Adam, dit-elle.

    Moi aussi.Mensonge. Je dois dire que tu restes une

    nigme.Elle me dcoche un nouveau sourire

    plus blanc que blanc. Mais jadore les nigmes. Comme

    tes textes, toutes les images en demi-teinte de Dommage collatral. Les pa-roles du nouveau disque sont aussitrs difficiles interprter. Tu sais que

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  • certains critiques se demandent siSoleil Vampire russit atteindre lin-tensit de Dommage collatral

    Je sais surtout ce qui va venir. Jaidj entendu a. Ce truc de journal-istes pour qui se rfrer lopiniondautres critiques est une faon d-tourn de soutenir la leur. Et je saisaussi la question quil y a derrire sespropos : a fait quoi, quand la seulechose valable que tu as cre est issuede la plus terrible des pertes ?

    Soudain, cen est trop. Bryn et larubrique rumeurs de grossesse.Vanessa qui a lalbum de fin dannedu lyce. Lide que rien nest sacr.Que tout est de la bouillie pour leschats. Que ma vie appartient toussauf moi. Les soixante-sept soires.Soixante-sept. Je repousse la table sibrutalement que les verres dgrin-golent sur les genoux de Vanessa.

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  • Quest-ce qui ? Linterview est termine, dis-je

    dun ton rogue. Je sais, mais pourquoi passes-tu ta

    mauvaise humeur sur moi ? Parce que tu nes quune espce de

    vautour. Toutes ces conneries nontaucun rapport avec la musique. Tu vi-ens nourrir ta curiosit malsaine.

    Le regard de Vanessa vacille tandisquelle cherche fbrilement son enre-gistreur. Avant quelle puisse le re-mettre en marche, je le fracassecontre la table. Puis, pour faire bonnemesure, je le jette dans un verredeau. Jai la main qui tremble, le coeurqui bat tout rompre et jai peur dtreau bord dune crise dangoisse, legenre qui me rend certain que je vaismourir.

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  • Mais quest-ce que tu as fait ?hurle-t-elle. Je nai pas de sauvegarde!

    Tant mieux. Et comment est-ce que je vais

    rdiger mon article, maintenant ? Tu appelles a un article ? Ouais. Il y a des gens qui doivent

    travailler pour gagner leur vie, espcede caractriel bgueule !

    Adam !Aldous est soudain mon ct et

    pose trois billets de cent dollars sur latable.

    Pour que tu en achtes un neuf,lance-t-il Vanessa avant de men-traner lextrieur dur restaurant.

    Une fois que nous sommes dans untaxi, il donne un autre billet de centdollars au chauffeur qui proteste parceque jallume une cigarette, fourre sa

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  • main dans ma poche, en extrait le flac-on de mdicaments et laisse tomber uncomprim dans ma main.

    Ouvre ! mordonne-t-il comme unebrave maman.

    Il attend que nous approchions demon htel et que jaie aval un autrecomprim et fum deux cigarettes lachane pour demander :

    Quest-ce qui sest pass, nom dunchien ?

    Je lui rapporte les questions de lajournaliste sur le trou noir. Sur Bryn.Et Mia.

    Tinquite, Adam. On peut appelerShuffle. Menacer de faire sauter leurexclusivit sils ne mettent pas uneautre journaliste sur le coup. Et si asort dans les tablods ou sur les blogs,on sen fiche. Le souffl retombera aubout de quelques jours.

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  • Aldous parle sur un ton calme,comme pour dire : H ! ce nest que durocknroll, mais je lis linquitude dansses yeux.

    Je ne peux pas, Aldous. Ne tinquite pas. Tu nes pas ob-

    lig. Ce nest quun article. On grera. Je ne parle pas que de a, mais de

    tout le reste. Je ne peux pas. Je nepeux plus.

    Aldous, qui mon avis na pas faitune seule nuit complte depuis sestournes avec Aerosmith, sautorise avoir brivement lair puis. Puis il re-passe en mode manager.

    Cest juste le burn-out davanttourne, massure-t-il. a arrive auxmeilleurs dentre vous. Une fois que tuseras sur la route et face ton public,que tu sentiras lamour, ladrnaline, lamusique, tu seras recharg en nergie.

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  • Calcin, bien sr, mais heureux. Et ennovembre, quand tout sera termin, tupourras aller vgter sur une le para-disiaque o personne ne sait qui tu eset o tout le monde se fout de Shoot-ing Star. Ou du sauvage Adam Wilde.

    En novembre ? Mais on nest quenaot ! a veut dire dans trois mois. Etla tourne compte soixante-septsoires. Soixante-sept. Je me le rptementalement comme un mantra, ceciprs que cela a leffet inverse. Cestlinverse. Jai envie de marracher lescheveux par poignes.

    Et comment dire Aldous et auxautres que la musique, ladrnaline,lamour, tout ce qui aide tenir lecoup, dsormais disparu ? quil nereste que la spirale infernale ? et queje suis tout au bord ?

    Je tremble comme une feuille. Je suisen train de perdre les pdales. Mme si

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  • une journe na que vingt-quatreheures, il semble parfois plus difficiledarriver au bout que descaladerlEverest.

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  • DEUX

    Aiguille et fil, la chair et les osSalive et tendons, coeur en

    lambeauxTes cicatrices brillent comme des

    diamantsDes toiles clairant mon

    confinement SUTURE

    DOMMAGE COLLATRAL, PLAGE 7

    Aldous me raccompagne monhtel.

    coute, man, je crois que tu assimplement besoin de prendre unbreak. Je vais changer le programmede la journe et annuler tes rendez-vous de demain. Ton avion pour

  • Londres nest qu dix-sept heures; tunas pas besoin dtre laroportavant dix-sept heures. a te laisse plusde vingt-quatre heures de libert. Tuvas te sentir beaucoup mieux, promis,jur.

    Il me dvisage avec une certaine in-quitude, rflchit quelques instants.Cest mon ami, mais il est aussi re-sponsable de moi.

    Finalement, annonce-t-il, je vaisprendre le mme avion que toi demain.

    Je lui suis infiniment reconnaissant,mme si jai un peu honte. Voyager enpremire classe avec le groupe na riende fascinant, car nous avons tendance rester chacun dans sa bulle luxueuse,mais au moins, avec eux, jchappe la solitude. Quand je voyage seul, jene sais jamais ct de qui je vaistre assis. Une fois, jai eu commevoisin un homme daffaires japonais

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  • qui na pas cess de me parler pendantles dix heures qu dur le vol. Jtaistent de demander changer de place,mais jaurais eu lair de la rock star quifait son capricieux. Donc, je suis restl, hocher la tte de temps en temps,sans comprendre la moiti de ce quilme racontait. Mais quand je suis seul,vraiment seul, pendant un vol longuedistance, cest pire encore.

    Je sais quAldous a beaucoup faire Londres. Surtout, manquer lerendez-vous de demain avec le restedu groupe et le ralisateur de la vidova tre un mini-tremblement de terrede plus. Mais quimporte. Si je devaiscompter tous les faux pas, jen auraispour un moment. En plus, ce nest pasAldous quon blme, mais moi.

    Jaccepte donc sa gnreuse proposi-tion, malgr ses consquences, en me

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  • contentant dun bref OK pour nepas en faire trop.

    Bon, maintenant, tu te remets lesides en place, Adam, dclare Aldous.Je te laisse tranquille. Mme pas uncoup de fil. Je viens te chercher ici outu prfres quon se retrouve laroport ?

    Le reste du groupe est dans un autrehtel en ville. Depuis la derniretourne, nous avons pris lhabitudedtre dans des htels spars et Al-dous descend diplomatiquement unefois dans le leur, une fois dans le mien.Cette fois, il est avec eux.

    laroport, dis-je. Dans la salledattente.

    Trs bien. Je tenverrai une voiture seize heures. Dici l, relax.

    Il me tape sur lpaule, remonte dansle taxi et file vers son prochain rendez-

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  • vous, en essayant sans doute dj derparer les dgts que je viens defaire.

    Je passe par lentre de service etgagne ma chambre. L je prends unedouche, puis jhsite me recoucher.Mais ces temps-ci, jai du mal dormir,mme avec laide de mdicaments. Parles fentres du dix-huitime tage, jevois la ville baigne par le chaud soleilde laprs-midi, ce qui donne NewYork un petit air douillet, mais ne faitquaccentuer limpression de chaleur etdenfermement de ma suite. Jenfile unjean noir propre et mon T-shirt noirporte-bonheur. Je voulais le rserverpour demain quand je prendrai lavion,mais ce ne serait pas plus mal quil meporte chance aujourdhui aussi. Donc leT-shirt fera double usage.

    Jallume mon iPhone. Jai cinquante-neuf nouveaux e-mails et dix-sept

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  • nouveaux messages vocaux, dontplusieurs de lattach de presse du la-bel, certainement furieux, et je ne saiscombien de Bryn, qui demande com-ment se sont passes linterview et lasance au studio denregistrement. Jepourrais lappeler, mais quoi bon ? Sije lui parle de Vanessa LeGrande, elleva faire toute une histoire parce quejai perdu publiquement la face. Elle sebat contre cette fcheuse habitude quejai. Daprs elle, chaque fois que je meconduis ainsi devant les journalistes,cela ne sert qu aiguiser leur apptit. Montre-leur un visage tristounet,Adam, me rpte-t-elle, et ilscesseront den crire des tonnes surtoi. Daccord, mais mon petit doigtme dit que si je rvlais Bryn quellequestion ma mis en colre, cela luiferait perdre publiquement la face, elle aussi.

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  • Je me souviens quAldous ma con-seill de prendre de la distance avectout a et jteins mon tlphone, queje balance sur la table de nuit. Puisjattrape ma casquette, mes lunettesnoires, mes mdicaments et monportefeuille, et je sors. Je remonte Co-lombus Avenue et gagne Central Park.Un camion de pompiers passe, toutessirnes hurlantes. Gratte-toi la tte outu es mort. Je ne me souviens mmeplus o jai appris cette comptine ou cedicton selon lequel, chaque fois quonentend une sirne, il faut se gratter latte, sinon la prochaine sirne est pourtoi. Mais je nai pas oubli quand jaicommenc le faire et cest devenuune seconde nature. videmment,dans un endroit comme Manhattan, oles sirnes hurlent tout le temps, on adu mal suivre le rythme.

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  • Cest le dbut de la soire et lachaleur commence retomber. Lesgens lont compris et ils se prparent pique-niquer sur le gazon, promnentles bbs, font du cano sur le laccouvert de nnuphars.

    Jaime bien les voir vaquer leursoccupations, mais je me sens expos.Je ne sais comment font les autresclbrits. Parfois, je vois des clichsde Brad Pitt accompagn de sa petitemarmaille devant les balanoires deCentral Park, lair parfaitement naturel,alors que les paparazzi sont visible-ment ses trousses. Il ne semble passen proccuper. Peut-tre que si,quand mme. On ne sait jamais, avecles photos.

    Plong dans mes penses, parmi cesgens heureux qui profitent dune agr-able soire dt, je me sens commeune cible mouvante, malgr mes

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  • lunettes noires et ma casquette sur lesyeux, et mme si Bryn nest pas avecmoi. Car lorsque nous sommes tous lesdeux, il est presque impossible depasser inaperus. Pourtant, la mmeparanoa me saisit, moins lidedtre pris en photo ou pourchass parune meute de chasseursdautographes, que dtre montr dudoigt parce que je serais le seul mebalader non accompagn dans le parc,mme si ce nest bien sr pas le cas.

    Je me demande comment jai pu enarriver l. Est-ce cela que je suisdevenu, une contradiction ambulante ?Je suis entour de gens et pourtant jeme sens seul. Je prtends avoir enviedtre comme tout le monde, maismaintenant que cela marrive, on diraitque je ne sais comment me comporter,que jai oubli quoi cela ressembledtre une personne normale.

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  • Je me dirige vers le Ramble, un coinplus isol du parc o les quelques per-sonnes que je risque de croiser sont dugenre ne pas avoir envie dtre d-couvertes. Jachte un hot-dog quejavale en quelques bouches. Je merends compte alors que je nai rienmang de la journe, ce qui me rap-pelle le fcheux djeuner avec VanessaLeGrande.

    Quest-ce qui sest pass cemoment-l ? Tu as la rputation demettre les journalistes lpreuve,mais l, ctait vraiment un trucdamateur.

    Je me cherche une excuse : En fait,je suis fatigu. Lessiv. Et puis jepense la tourne venir et jai lim-pression que le sol recouvert demousse sur lequel je suis assis vamengloutir.

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  • Soixante-sept soires. Jessaie de ra-tionaliser. Ce nest pas la fin dumonde. Je cherche un moyen de r-duire ce chiffre en le divisant, mais ane tombe pas juste. Alors je le dcom-pose : quatorze pays, trente-neufvilles, quelques centaines dheures enautobus. Mais cette arithmtique metourne encore plus la tte. Je mappuiecontre un tronc darbre et caresse soncorce. Cela me rappelle lOregon et levide qui souvrait sous moi se refermepour le moment.

    Je ne peux mempcher de songerquautrefois javais lu pas mal de trucssur les innombrables artistes qui ontlittralement implos : Jim Morrison,Janis Joplin, Kurt Cobain, Jimi Hendrix.Ils me dgoutaient.

    Ils ont eu ce quils voulaient etquest-ce quils ont fait ? Ils ont som-br dans la dope pour oublier. Ou ils se

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  • sont fait sauter la cervelle. Quellebande de tars !

    OK, regarde-toi, maintenant. Tu nespas un drogu, mais tu ne vaux guremieux.

    Jaimerais pouvoir changer. Pourtant,jai beau essayer de me dire de profiterde la vie, le rsultat nest pas terrible.Si les gens qui mentourent savaient ceque je ressens, ils riraient bien de moi.Non, pas Bryn. Bryn serait atterre parmon incapacit jouir de ce que jaigagn la sueur de mon front.

    Mais ai-je travaill si dur que a ?Mon entourage pense, ou pensait, en

    ce qui concerne Shooting Star, que jaibien mrit le succs et largent, quecest un juste retour des choses. Pasmoi. Le karma na rien voir avec unebanque. On ne fait pas un dpt, puisun retrait. Pourtant, je commence croire quavec tout cela, je suis

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  • effectivement pay en retour. Mais ausens o je reois la monnaie de mapice.

    Je tends la main vers mon paquet decigarettes. Vide. Je me lve, pous-sette mon jean et gagne la sortie duparc. louest, le soleil commence descendre vers lHudson, laissant destranes roses et pourpres dans le ciel.Cest un beau spectacle et pour unefois, je me force ladmirer.

    Dans la 7e Rue, jachte des cigar-ettes et je me dis que je vais rentrer lhtel, manger quelque chose dans machambre et essayer de me coucher tt,pour une fois. Devant le Carnegie Hall,des taxis sarrtent pour laisser des-cendre des gens qui vont assister auconcert de ce soir. Il y a notammentune vieille dame avec un collier deperles, juche sur des talons hauts,son compagnon tout vot, vtu dun

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  • smoking, accroch son bras. En lesvoyant savancer dun pas mal assurvers la salle, jai un pincement aucoeur.

    Regarde ce coucher de soleil, me dis-je. Tourne-toi vers un peu de beaut.

    Mais lorsque je lve les yeux vers leciel, les tranes rougeoyantes ont prisla couleur violace dun hmatome.

    Caractriel bgueule.Cest ainsi que ma appel la journal-

    iste. Ctait une chieuse, mais sur cepoint prcis, elle navait pas tort.

    Quand je cesse de regarder le ciel, jeles vois. Ses yeux elle. Je les ai tou-jours vus partout, chaque coin derue, sous mes paupires closes tousles jours avant de me lever, dans le re-gard des filles qui jtais en train defaire lamour. Mais cette fois, ce sontvraiment les siens. Elle est en photo

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  • sur une affiche, vtue de noir, un viol-oncelle pos contre ses paules commeun enfant fatigu. Ses cheveux sontrelevs en lun de ces chignons quisemblent de rigueur chez les inter-prtes de musique classique. Avant,elle les portait ainsi pour les rcitals etles concerts de musique de chambre,mais laustrit de cette coiffure taitadoucie par de petites mches folles.Ce qui nest pas le cas sur cette photo.Je regarde laffiche de plus prs. LESYOUNG CONCERT SERIESPRSENTENT MIA HALL.

    Il y a quelques mois, Liz a rompulembargo concernant tout ce quitouche Mia et ma envoy par e-mailune coupure de presse prise dans lemagazine All About Us, accompagnedune note : Tu devrais lire a. Larticle, intitul Vingt moins de vingtans , tait consacr aux jeunes

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  • prodiges. Il y avait une page sur Mia,illustre par une photo que je nai pasos regarder. Jai respir un bon coup,et jai parcouru le texte. Mia y taitdsigne comme la probablehritire de Yo-Yo Ma . Jai souri mal-gr moi. Elle disait toujours que lesgens qui ne connaissent rien au violon-celle voient partout le futur Yo-Yo Ma,parce que cet artiste est leur uniquepoint de rfrence. Et Jacqueline duPr, alors ? demandait-elle en par-lant de sa propre idole, une fougueuseet talentueuse violoncelliste touchepar la sclrose en plaques lge devingt-huit ans et disparue une quin-zaine dannes plus tard.

    Larticle qualifiait le jeu de Mia de surnaturel , puis dcrivait laccidentde voiture dans lequel ses parents etson petit frre avaient t tus plus detrois ans auparavant. Cela mavait

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  • tonn. Ce ntait pas le genre de Miadvoquer cet pisode et de chercher susciter la compassion. Javais alors lula coupure dans le dtail et je mtaisaperu quil ne sagissait pas de dclar-ations en direct de Mia, mais dunmontage partir danciens articles dejournaux.

    Javais gard la coupure de pressependant quelques jours. De temps autres, je la sortais de mon portefeuillepour y jeter un coup doeil. Javais lim-pression de promener un bloc deplutonium. Et il ne faisait aucun douteque si Bryn me surprenait en train deme balader avec un article sur Mia, il yaurait de lexplosion nuclaire danslair. Donc, au bout de quelques jours,je lai jet, puis je me suis efforc dene plus y penser.

    Jessaie maintenant de me souvenirsi larticle mentionnait un dpart de

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  • Mia de la Juilliard School, la presti-gieuse institution artistique, ou des r-citals au Carnegie Hall.

    Je lve de nouveau les yeux. Les si-ens sont toujours l, fixs sur moi. Etje suis certain quelle joue ici ce soir.Je ne suis donc pas surpris en consult-ant la date marque sur laffiche : le13 aot.

    Sans rflchir, je me dirige vers lacaisse. Je ne veux pas la voir, me dis-je. Je ne vais pas la voir. Je veux justelcouter. la caisse, un panneau in-dique que ce soir, tout est complet. Jepourrais me faire connatre ou passerun coup de fil au concierge de lhtelou encore Aldous, qui sedbrouilleraient pour me procurer unbillet, mais je prfre men remettre auhasard. Je me prsente au guichetcomme un jeune homme anonyme etmme plutt mal habill pour

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  • loccasion, et je demande si par hasardil y aurait des places de dernireminute.

    Jai une mezzanine au fond, sur lect, mannonce la jeune fille. On voitmal, mais cest tout ce quil me reste.

    Ce nest pas grave, je ne viens paspour voir.

    Elle clate de rire. Je suis comme vous, rpond-elle,

    mais en gnral les gens tiennent cegenre de dtail. Ce sera vingt-cinqdollars.

    Je paie avec ma carte de crdit etpntre dans la salle frache, plongedans la pnombre. Je minstalle surmon sige et ferme les yeux. Ladernire fois que jai assist un rcit-al de violoncelle dans un endroit de cegenre, ctait il y a cinq ans. Monpremier rendez-vous avec Mia. Et

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  • comme ce soir-l, jprouve une folleimpatience, mme si je saisquaujourdhui ce sera diffrent. Je nela verrai mme pas de prs.

    Ce soir, je vais lcouter. Et ce serasuffisant.

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  • TROIS

    Mia sest rveille au bout de quatrejours, mais on ne lui a rien dit avant lesixime. Cela navait pas dimportance,parce quelle semblait dj savoir. Ontait autour de son lit dhpital, danslunit des soins intensifs. Sontaciturne grand-pre avait la pnibletche de lui annoncer que ses parents,Kat et Denny, avaient t tus sur lecoup dans laccident de voiture quiavait provoqu son hospitalisation. Etque son petit frre, Teddy, tait mortaux urgences de lhpital local o onles avait transports, lui et Mia, dansun premier temps, avant quelle soitvacue vers Portland. Personne neconnaissait la cause de la collision. Miasen souvenait-elle ?

  • Elle gisait l, clignant des paupireset serrant ma main comme si ellevoulait me retenir jamais, les onglesenfoncs dans ma paume. Elle secouaitla tte et rptait non, non, non ,sans pleurer pour autant, et je me de-mandais si elle rpondait simplement la question de son grand-pre ou sielle refusait dadmettre la situation.Non !

    Et puis lassistance sociale est entreet a pris les choses en main. Avec ral-isme, elle a expliqu Mia les inter-ventions quelle avait subies :

    On a fait ce quon appelle un triagechirurgical, juste pour te stabiliser, ettu ten sors remarquablement bien.

    Elle a ensuite voqu les oprationsqui lattendaient au cours desprochains mois. Dabord une pose debroches mtalliques dans sa jambegauche, puis, quelques jours plus tard,

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  • un prlvement de peau sur la cuissedroite, intacte. Une autre interventionserait ncessaire pour greffer ce lam-beau de peau sur sa jambe abme, etcomme le prlvement, elle laisseraitmalheureusement quelques vilainescicatrices . En revanche, celles du vis-age pourraient compltement dis-paratre au bout dun an grce lachirurgie esthtique.

    Une fois que tu en auras terminavec les oprations durgence, a pour-suivi lassistante sociale, et sil ny apas de complications, comme une in-fection conscutive lablation de larate ou des problmes pulmonaires, tupourras quitter lhpital et aller dansun centre de rducation. L, tu aurastous les soins ncessaires; er-gothrapie, rducation, orthophonieet autres. On fera un bilan mdical dici quelques jours.

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  • Sa litanie mpuisait, mais Mia buvaitapparemment chacune de ses paroleset semblait sintresser plus au dtailde ses oprations quaux nouvelles desa famille.

    Un peu plus tard, dans laprs-midi,lassistante sociale nous a pris part.Nous, c'est--dire les grands-parentset moi. La raction de Mia, ou pluttson absence de raction, nous proc-cupait. Nous nous tions attendus ceque, face lhorreur de la nouvelle,elle crie, pleure, sarrache les cheveux,bref que son chagrin gale le ntre. Etdevant son calme anormal, nous pen-sions tous la mme chose : le cerveautait atteint.

    Lassistante sociale nous a rassurstout de suite.

    Non, ce nest pas le cas. Lecerveau est un organe fragile et ilfaudra attendre quelques semaines

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  • pour savoir quelles rgions ont pu tretouches, mais les jeunes sont incroy-ablement rsistants et pour Mia, lesneurologues sont optimistes. Le con-trle moteur est bon dans lensemble,La facult de langage ne devrait pastre affecte. La partie droite de soncorps prsente une faiblesse et elle naplus dquilibre. Si cest l toute lten-due des dommages crbraux, elle ade la chance.

    En entendant le mot chance, nousavons tous fronc les sourcils et las-sistante sociale la vu.

    Oui, beaucoup de chance parce quetout cela est rversible, a-t-elledclar. Quant la raction quelle aeue tout lheure, elle est cara-ctristique face un traumatisme psy-chologique si lourd. Le cerveau ne peutabsorber la totalit dun tel choc,seulement une petite quantit la fois,

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  • quil digre lentement. Elle assimilera,mais elle aura besoin daide.

    Elle nous a ensuite mis entre lesmains des brochures sur les troublespost-traumatiques et parl des tapesdu deuil, en nous recommandant unepsychologue de lhpital pour Mia.

    Et pour vous tous galement, a-t-elle conclu. Ce ne serait pas unemauvaise ide.

    Nous navons pas cout son conseil.Les grands-parents de Mia ntaientpas du genre suivre une psy-chothrapie. Quant moi, cest la con-valescence de Mia qui me proccupait,pas mon sort.

    Elle tait dans ce centre, dents ser-res, depuis moins dune semaine, unesemaine terrifiante, quand lenveloppeest arrive.

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  • La Juilliard School. La clbre colede musique new-yorkaise reprsentaittant de choses pour moi auparavant.Un vnement prvisible. Une sourcedorgueil. Une rivale. Et puis, javaiscess dy penser. Comme nous tous,sans doute. Mais la vie continuait lextrieur l o lautre Mia existait tou-jours, celle qui avait un pre, unemre, un frre et un corps en tat demarche. Dans cet autre monde,quelques mois plus tt, un jury de Juil-liard avait fait passer une audition Mia, dont la candidature avait ensuitefranchi les diffrentes tapes. La noti-fication de la dcision finale, admissionou refus, tait maintenant devantnous. La grand-mre de Mia, tropnerveuse pour en prendre seule con-naissance, avait attendu que son mariet moi soyons prsents pour ouvrir

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  • lenveloppe avec un coupe-papier denacre.

    Mia tait admise. En avait-on jamaisdout ?

    Nous tions tous certains que ceserait une bonne chose pour elle, unelumire sur un horizon bien sombre.

    Jai parl au doyen des admissionset je lui ai expos ta situation, lui a ex-pliqu sa grand-mre. Il ma dit que tupourrais repousser dun an ou deux tonentre lcole.

    Elle venait de lui annoncer la nou-velle et le montant de la gnreusebourse qui laccompagnait. En fait,cest lcole qui avait propos de re-porter lentre de Mia, afin quellepuisse rpondre sans difficult auxcritres exigeants de cette institution,si elle dcidait de lintgrer.

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  • Non, a rpondu Mia dans ladprimante salle commune du centre.

    Elle parlait sur le ton monocorde quitait le sien depuis laccident. Personnene savait si ctait d au choc motion-nel ou des squelles. Mme si las-sistante sociale nous rassurait en per-manence et si les soignants affirmaientquelle faisait de grands progrs, noustions inquiets.

    Prends le temps de rflchir, adclar sa grand-mre. Peut-tre queplus tard tu considreras lexistencesous un autre angle et que tu aurasenvie dentrer Juilliard.

    La grand-mre simaginait que Miarefusait daller dans cette cole. Maisje connaissais Mia. Ce quelle refusait,ctait lajournement.

    Septembre, le mois de la rentre,tait dans cinq mois. Trop tt aux yeuxde la grand-mre, dont les arguments

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  • ne manquaient pas de pertinence. Miaavait encore la jambe dans une attelleet elle commenait tout juste march-er de nouveau. Elle tait incapabledouvrir un bocal parce que sa maindroite tait trop faible. Souvent, elle nerussissait pas trouver les mots pourdsigner des objets simples, commeune paire de ciseaux. Rien danormal,disaient ses thrapeutes. Tout ren-trerait dans lordre en son temps. Maiscinq mois, ctait bref.

    Cet aprs-midi-l, Mia a rclam sonvioloncelle. Sa grand-mre a fronc lessourcils, craignant que cette lubie necompromette sa gurison, mais jaibondi de ma chaise et saut dans mavoiture. Au coucher du soleil, jtais deretour avec linstrument.

    Par la suite, le violoncelle est devenupour Mia une thrapie sur le plan tantphysique qumotionnel et mental. Les

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  • mdecins taient stupfis par la forcedu haut de son corps ce que son an-cien professeur de musique, Christie,avait appel son corps de violon-celle , paules larges et bras muscls et par la faon dont elle rcupraitde la vigueur en jouant, ce qui faisaitdisparatre la faiblesse de son brasdroit et renforait sa jambe abme.Limpression de vertige sattnuait.Comme dans ces moments-l, elle fer-mait les yeux et ancrait ses pieds dansle sol, elle prtendait que cette attitudelaidait trouver son quilibre. tra-vers le violoncelle, Mia rvlait lesfailles quelle sefforait de dissimulerdans la conversation courante. Si elledsirait un Coke mais narrivait plus retrouver le mot, elle demandait un jusdorange la place. En revanche, ellene cachait pas quelle se souvenaitdune suite de Bach, tudie quelques

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  • mois auparavant, mais pas dunesimple tude apprise dans son en-fance, quelle a joue malgr tout par-faitement lorsque Christie, qui venait lafaire travailler toutes les semaines, lalui a montre. Tout cela renseignait lesorthophonistes et les neurologues surla faon dont son cerveau avait ttouch et ils ajustaient leur traitementen fonction de ces lments.

    Mais surtout, le violoncelle amlioraitson humeur. Grce lui, elle avaitquelque chose faire tous les jours.Peu peu, elle a cess de parler dunevoix monocorde et a recouvr ses in-tonations davant, du moins lorsquelleparlait de musique. Ses thrapeutesont modifi son plan de rducationpour lui permettre de passer plus detemps jouer.

    vrai dire, nous ne savons pastrs bien comment la musique peut

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  • rparer le cerveau, ma confi lun desneurologues un aprs-midi enlcoutant jouer devant un groupe depatients dans la salle commune. Maisnous savons quelle le fait. Il suffit deregarder Mia.

    Elle a quitt le centre au bout dequatre semaines, quinze jours plus ttque prvu. Elle tait capable de march-er avec une canne, douvrir un bocalde beurre darachides et de jouer duBeethoven avec une pche denfer.

    ***Je me souviens dun dtail de larticle

    sur les vingt jeunes talents paru dansAll About Us que mavait montr Liz. Lelien qui tait fait, avec une certaine in-sistance, entre la tragdie de Miaet son jeu surnaturel .Ce quimavait mis en rage. Parce quil y avaitl quelque chose dinsultant. Comme sila seule faon dexpliquer son talent

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  • tait de lattribuer un quelconquepouvoir surnaturel. Quest-ce quilscroyaient, que sa famille disparuehabitait son corps et interprtait unchoeur cleste par lintermdiaire deses doigts ?

    Malgr tout, quelque chose desurnaturel est vraiment arriv. Et je lesais parce que jen ai t tmoin. Jaivu comment Mia est passe du statutde talentueuse interprte un tatcompltement diffrent. En lespace decinq mois, quelque chose de magiqueet dtrange la transforme. Alors, oui,ctait li sa tragdie , mais Miane le devait qu elle-mme. Commetoujours.

    ***Elle est partie pour la Juilliard School

    au dbut septembre. Je lai accompag-ne en voiture laroport. Elle ma ditau revoir, ma embrass. Et elle a

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  • dclar quelle maimait plus que la viemme. Puis elle sest avanc vers leportique de scurit.

    Elle nest jamais revenue.

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  • QUATRE

    Larchet est bien vieux et le crinabm

    Comme toi, comme moi parti latelier

    Pourquoi ont-ils sursis tonexcution ?

    Le public rugit sa standing ovation POUSSIRE

    DOMMAGE COLLATRAL, PLAGE 9

    Quand les lumires se rallument, leconcert termin, je me sens lugubre etvid, comme si mon sang avait t re-mplac par du goudron. Les applau-dissements se sont tus et les gens au-tour de moi se lvent. Ils parlent duconcert, de la beaut de Bach et de la

  • tristesse de lElgar, du risque que re-prsentait la programmation deloeuvre dun contemporain, John Cage pari gagn. Mais cest le morceau deDvork qui fait lessentiel des conver-sations, et je comprends pourquoi.

    Lorsque Mia jouait du violoncelle, soncorps exprimait toujours une intenseconcentration. Une ride creusait sonfront, ses lvres blanchissaient,comme si son sang se concentrait dansses mains.

    Et il y a eu de a ce soir, lors de soninterprtation des premires oeuvres.Mais quand elle a entam celle deDvork, la dernire du rcital, il sestvraiment pass quelque chose. Je nesais si elle a trouv son groove ou sictait son oeuvre de prdilection, maisau lieu de se pencher sur le violoncelle,son corps a sembl littralementspanouir et la musique sest dploye

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  • tout autour, elle une plante grimpanteen fleur. Ses coups darchet taientamples, pleins de joie et daudace, etle son transmettait cette motion pure lauditorium, comme si les intentionsmmes du compositeur formaient unespirale qui remplissait lespace. Difficilede dcrire lexpression de Mia, yeux auciel, un lger sourire jouant sur seslvres, sans tomber dans les clichsdes magazines, mais elle avait lair dene faire quune avec la musique. Oudtre heureuse, tout simplement. Jaitoujours su, je crois, quelle tait cap-able datteindre un tel niveauartistique, mais l, jai t littrale-ment souffl. Et lensemble du publicaussi, en juger par le tonnerre dap-plaudissements quelle a obtenu.

    ***La salle, avec ses siges en bois

    blond et ses panneaux muraux

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  • gomtriques, est maintenant vive-ment claire et a me fait tourner latte. Je me rassois dans le sige leplus proche en essayant de ne pluspenser loeuvre de Dvork ni aureste : la faon qu Mia dessuyer samain sur sa jupe entre les morceaux,ou de hocher la tte en rythme,comme si elle jouait avec un orchestreinvisible, autant de gestes qui me sontplus que familiers.

    Je maccroche au sige de devant etparviens me relever. Je massure quemes jambes fonctionnent et que je nesuis pas pris de vertige, puis je mob-lige mettre un pied devant lautre et me diriger vers la sortie. Je suis briset compltement puis. Tout ce queje veux, cest retourner maintenant lhtel, prendre quelques cachets deAmbien, de Lunesta ou de Xanax, oupeu importe ce quil y a dans ma

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  • pharmacie, dormir, et me rveiller de-main matin. Pour que tout cela soittermin.

    Excusez-moi, monsieur Wilde.En temps normal, je me mfie des

    lieux clos, mais sil y a un endroit New York o je ne mattends pas tre reconnu, cest bien le CarnegieHall lors dun concert de musiqueclassique. Pendant toute la dure duconcert, entracte y compris, personnene ma remarqu, sauf une paire dedouairires qui devaient tre tout sim-plement choques par mon jean. Maiscelui qui madresse ainsi la parole a peu prs mon ge. Cest un placeur, laseule personne cent mtres laronde avoir moins de trente-cinq anset tre susceptible de possder unalbum de Shooting Star.

    Je fouille dans ma poche, la recher-che dun stylo absent, mais le placeur

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  • fait un geste de dngation, lairembarrass.

    Non, non, monsieur Wilde, je nevous demande pas un autographe.

    Il baisse la voix et poursuit : En fait, cest interdit par le rgle-

    ment. Cela pourrait me coter maplace.

    Oh !Jai du mal comprendre. Pendant

    un instant, je me demande mme si jene vais pas recevoir un sermon sur matenue peu conforme aux circonstances.

    Mais le jeune homme poursuit : Mlle Hall aimerait que vous la ret-

    rouviez en coulisses.Comme il y a encore beaucoup de

    bruit dans la salle, je ne suis pas srdavoir bien entendu. Je crois com-prendre quelle veut me voir. Mais cest

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  • impossible. Il doit parler du hall, pasde Mia Hall.

    Avant que jaie eu le temps de lin-terroger, il me prend par le coude etme ramne vers lescalier. Nousgagnons le hall principal et franchis-sons une petite porte prs de la scne,puis nous empruntons un ddale decouloirs aux murs couverts de parti-tions encadres. Je me laisse faire,comme lorsque javais dix ans et que,plein dapprhension, jtais conduitchez le principal pour avoir jet un bal-lon dans une classe. Jai la mme im-pression qualors. Limpression que jaides problmes, quAldous ne ma pasvraiment donn ma soire et que jevais me faire passer un savon pouravoir manqu une sance photo ou en-voy balader une journaliste, bref,pour tre le loup solitaire dont la

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  • conduite antisociale menace lunit dugroupe.

    Je prfre ne pas mattarder l-des-sus tandis que le placeur mintroduitdans une petite pice et sort en refer-mant la porte. Et soudain, elle est l.Vraiment l. Un tre de chair et desang. Pas un spectre.

    Mon premier mouvement nest pasde me prcipiter pour lembrasser oului faire des reproches. Jai simplementenvie de toucher sa joue, encore rosieaprs sa performance. Envie de fran-chir la distance qui nous spare, nonpas des kilomtres, des continents oudes annes, mais quelques mtres, etde caresser son visage avec mes doigtscalleux. Je veux me rendre compte parmoi-mme que cest bien elle et nonpas lun de ces innombrables rves oelle me paraissait toute proche, jusqu

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  • ce que je me rveille et prenne con-science de la ralit.

    Mais je ne peux pas la toucher. Cestun privilge qui ma t retir. Contrema volont. Parlant de volont, je doisfaire appel toute la mienne pour em-pcher mon bras de trembler commeun marteau-piqueur.

    La loge tourne, je suis au bord dumaelstrm et je meurs denvie davalerlun de mes comprims. Ce nest pour-tant pas le moment. Jinspire profond-ment pour viter la crise dangoisse.Jouvre la bouche, mais aucun son nensort. Cest un peu comme si jtais seulen scne, sans le groupe, sans quipe-ment, en ayant oubli toutes nos chan-sons, sous les yeux dun million despectateurs. Il me semble que cela faitune heure que je suis devant Mia Hall,muet comme une carpe.

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  • Lors de notre premire rencontre aulyce, cest moi qui ai pris linitiative delui parler. Je lui ai demand quel mor-ceau elle venait de jouer au violon-celle. Une simple question, qui a toutdclench.

    Cette fois, cest elle qui interroge. Cest vraiment toi ?Et sa voix est exactement la mme.

    Je ne sais pas pourquoi je mimaginaisquelle serait diffrente. Pourtant, toutest diffrent maintenant.

    Ses paroles me ramnent la ralit.Celle des trois dernires annes. Jaitant dire. O es-tu alle ? Penses-tu moi, quelquefois ? Tu mas dtruit.Tu vas bien ? Mais je ne peux pronon-cer ces mots.

    Mon coeur bat tout rompre, mesoreilles sifflent. Je vais perdre pied.Curieusement, pourtant, au moment

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  • o ma panique est son maximum,une sorte dinstinct de survie sedclenche, celui qui me permet den-trer en scne devant des milliersdtrangers. Un calme descend sur moiet cet autre aspect de moi-mmeprend le relais.

    En chair et en os, dis-je Mia.Comme si ma prsence son concert

    et son dsir de me voir dans son sanc-tuaire taient les choses les plusnaturelles du monde. Et parce que celame parat aller de soi, jajoute :

    Beau concert.En plus, cest vrai. Merci, rpond-elle. Je Je narrive

    pas croire que tu sois ici.Je pense cette interdiction de lap-

    procher quelle ma impose pendanttrois ans et que jai transgresse cesoir. Mais tu mas convoqu, ai-je

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  • envie de dire. Au lieu de quoi, je lancesur un ton que je veux moqueur :

    Tu vois, on laisse entrer nimportequi au Carnegie Hall !

    Il y a malgr tout une certaine amer-tume dans ma voix.

    Elle caresse le tissu de sa jupe. Ellesest change et a abandonn sa robenoire classique pour une longue jupeample et un chemisier sans manches.Avec un air conspirateur, elle secoue latte et approche son visage du mien.

    Pas vraiment. Lentre est interditeaux punks. Tu nas pas vu lavertisse-ment lextrieur ? a mtonne quetu aies pu mettre le pied dans le hallsans tre arrt.

    Je sais quelle tente de rpondre ma pauvre plaisanterie sur le mmeton, et une partie de moi-mme lui enest reconnaissante. Mais lautre partie,

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  • la partie hargneuse, a envie de lui re-mettre en mmoire tous les concertsde musique de chambre et autres r-citals auxquels jai assist. causedelle. Avec elle.

    Comment as-tu su que jtais ici,Mia ? dis-je.

    Tu me le demandes ? Adam Wildedans un endroit comme la salle Zankeldu Carnegie Hall ! lentracte, le per-sonnel ne parlait que de a. Visible-ment, beaucoup de fans de ShootingStar sont employs ici.

    Et moi qui croyais tre venu incog-nito ! dis-je, les yeux baisss.

    La seule faon de survivre cetteconversation est de madresser sespieds chausss de sandales, qui lais-sent voir ses ongles recouverts dunvernis rose ple.

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  • Toi ? Impossible, rplique-t-elle.Alors, comment vas-tu ?

    Comment je vais ? Es-tu relle ?Je me force lever les yeux et re-

    garder Mia pour la premire fois. Elleest toujours belle. Pas la faon spec-taculaire de Vanessa LeGrande ou deBryn Shraeder, mais dune autre man-ire, discrte, qui ma toujours bou-levers. Elle a lch ses longs cheveuxsombres sur ses paules nues lapeau laiteuse et constelle de tachesde rousseur que jaimais tant embrass-er. La cicatrice sur son paule gauche,autrefois dun rouge agressif, estdsormais dun rose nacr. Pour unpeu, on dirait lun de ces tatouages la mode. Cest presque joli.

    Le regard de Mia est sur le point decroiser le mien et pendant une fractionde seconde, je crains que ma faadene seffrite. Je dtourne les yeux.

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  • Je vais bien, dis-je. Pas mal detravail.

    Je men doute. Tu es en tourne ? Yep. Je pars demain pour Londres. Oh ! Moi, je pars demain pour le

    Japon.Dans des directions opposes, je

    pense. Et je suis surpris en entendantMia le dire tout haut.

    Dans des directions opposes.Les mots restent suspendus en lair,

    lourds de sens. Soudain, je sens lemaelstrm se remettre en branle. Si jene men vais pas, il va nous frapper.

    Eh bien, il ne me reste plus qu tedire au revoir.

    La voix de lAdam Wilde calmesemble venir de trs loin.

    Je crois voir une ombre passer surson visage, mais je nen suis pas cer-tain, car jai limpression que chaque

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  • partie de son corps se met onduler etque je vais sortir de moi-mme. Pour-tant, lautre Adam fonctionne toujours.Il tend la main Mia, alors que rien nemattriste plus que lide de lui serrerla main.

    Elle ouvre la bouche pour direquelque chose, mais se contente desoupirer. Son expression se durcit,devient un masque et elle tend sontour sa propre main.

    Jai tellement lhabitude que lesmiennes tremblent en permanence queje ny prte plus attention. Mais dsque mes doigts enlacent ceux de Mia,je remarque que le tremblementsapaise, comme celle du larsen quandon coupe un ampli. Et je pourrais rest-er ainsi indfiniment.

    Sauf que je ne le fais pas. Je retirema main. Jai eu brivement limpres-sion que la sienne tremblait aussi,

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  • comme par contagion. Mais je nen suispas sr, parce quun courant violentest en train de mentraner.

    Et puis jentends la porte de sa logese refermer derrire moi, me laissant la drive sur les rapides, tandis queMia reste sur le rivage.

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  • CINQ

    Je sais que cest nul, et mmegrossier, de comparer le fait davoir tplaqu laccident qui a cot la vie la famille de Mia, mais je ne peux menempcher. Car pour moi, en tout cas,les suites ont t les mmes. Au coursdes premires semaines, je me suis r-veill dans le brouillard, incrdule. Paspossible, ce nest pas vraiment arriv ?Merde, oui. Le choc en plein fouet.Comme un coup de poing dans leventre. Mais aprs laccident, javais dtre prsent, me rendre utile, tre ce-lui sur qui lon peut compter, tandisquaprs le dpart de Mia, je me suisretrouv seul. Sans personne aider.Et tout sest arrt.

    Je suis retourn chez mes parents.Jai juste pris quelques affaires dans

  • ma chambre la Maison du rock et jaifil. Jai tout quitt. Lcole. Le groupe.La vie que javais. Dun seul coup, sansla moindre explication. Je me suisroul en boule dans mon lit de petitgaron. Javais peur que quelquun neforce ma porte et me pose des ques-tions mais quand on est comme mort,la nouvelle se rpand vite. Personnena pris la peine de venir voir mon ca-davre. Sauf linfatigable Liz. Une foispar semaine, elle ma rendu visite,avec sous le bras un CD contenant unmix de ses dernires dcouvertes mu-sicales, quelle dposait allgrementsur celui de la semaine prcdenteauquel je navais pas touch.

    Mon retour laissait visiblement mesparents perplexes. Mais sagissant demoi, la perplexit tait chez eux unevieille habitude. Autrefois, mon pretait bcheron et lorsque lindustrie du

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  • bois avait commenc pricliter, ilavait trouv un poste dans une usinede composants lectroniques. Ma mretravaillait lconomat de la fac. Pourtous les deux, il sagissait dun re-mariage aprs une premire expri-ence conjugale dsastreuse, dont ils neparlaient jamais. Javais appris lexist-ence de ces unions antrieures par unetante quand javais dix ans. Ilsmavaient eu tardivement et mon ar-rive avait t une surprise, apparem-ment. En fait, ma mre rptait tou-jours quen ce qui me concernait, touttait surprenant, de mon existence ma carrire de musicien, en passantpar mon amour pour une jeune filletelle que Mia, mon entre la fac, lapopularit que javais apporte Shooting Star, puis labandon de mestudes et celui de groupe. Ils nont paspos de questions en me voyant

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  • revenir. Maman mapportait du caf etde la nourriture sur un plateau, commesi jtais un prisonnier.

    Pendant trois mois, je suis rest dansce petit lit, en souhaitant sombrer dansle coma, comme lavait fait Mia. Ceserait sans doute moins dur que ce queje vivais. Et puis, finalement, jai euhonte de moi. Javais dix-neuf ans,javais laiss tomber mes tudes, jevivais chez papa-maman et je ne trav-aillais pas. Bref, la caricature du genre.Mes parents staient montrs com-prhensifs, mais je commenais neplus me supporter. Finalement, justeaprs le nouvel an, jai demand mon pre sil y avait du travail sonusine.

    Tu es sr que cest ce que tu veux? a-t-il interrog.

    Jai hauss les paules. Non, videm-ment. Mais ce que je voulais, je ne

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  • pouvais lavoir. Ma mre souhaitaitquil tente de me dissuader et je les aientendus se disputer ce sujet.

    Tu espres mieux que a pour lui,non ? criait-elle. Tu naimerais pas aumoins quil retourne la fac ?

    Il ne sagit pas de ce que jaimeraismoi, a-t-il rtorqu.

    Il sest donc renseign auprs desressources humaines, ma obtenu unentretien dembauche, et une semaineplus tard, je bossais dans le service desaisie de donnes. De six heures trente quinze heures trente, jtais enfermdans une pice sans fentres et jalig-nais des chiffres qui navaient aucunsens pour moi.

    Le premier jour, ma mre sest levede bonne heure pour me prparer uncaf et un norme petit djeuner quejai t incapable davaler. Elle estreste l, prs de moi, dans sa robe de

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  • chambre rose, lair proccupe, et aumoment o je quittais la maison, elle ahoch la tte.

    Quy a-t-il, maman ? Toi, travailler lusine ? Ben voy-

    ons, a ne mtonne pas. Cest ce dontje rvais pour mon fils.

    Elle me regardait dun air solennel etje naurais pu dire si lamertume que jepercevais dans sa voix sadressait moi ou elle-mme.

    Ctait un boulot merdique, mais jemen fichais. Je fonctionnais comme unautomate. Je rentrais la maison et jedormais tout laprs-midi. Puis je merveillais, je lisais et je somnolais devingt-deux heures cinq heures dumatin, lheure de me lever. Jtais endcalage avec les gens normaux, maisa me convenait.

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  • Quelques semaines plus tt, lap-proche de Nol, javais eu une lueurdespoir. Nol tait la priode laquelle Mia avait prvu de revenir ici.Son billet pour New York tait un aller-retour et la date de retour tait le 19dcembre. Envers et contre tout, jes-prais quelle viendrait me voir etquelle moffrirait une explication, oumieux, des excuses. Ou alors, onsapercevrait quil y avait eu un hor-rible malentendu. Elle maurait envoydes e-mails tous les jours, mais je neles aurais pas reus, et elle venait son-ner ma porte, furieuse de son si-lence, comme elle ltait dhabitudepour des broutilles, par exemple quandelle me reprochait de ne pas tre assezgentil avec ses amies.

    Mais dcembre sest coul dans lagrisaille. Les chants de nol sont

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  • monts assourdis jusqu ma chambre.Je suis rest au lit.

    Cest seulement en fvrier quequelquun qui arrivait de son universitde la cte Est a point le bout de sonnez.

    Adam, Adam, tu as de la visite ! alanc maman en grattant ma porte.

    Ctait lheure du dner, le milieu dela nuit pour moi. Jtais dans les vapes.Dans ma confusion, jai cru que ctaitMia. Je me suis redress brusquement,mais jai vu lexpression de ma mrequelle savait que je serais du.

    Cest Kim ! a-t-elle annonc avecune jovialit force.

    Kim ? Jtais sans nouvelle de lameilleure amie de Mia depuis le moisdaot et son dpart pour une uni-versit de Boston. Et soudain, jai prisconscience que son silence tait tout

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  • autant une trahison que celui de Mia. lpoque o je sortais avec Mia, Kim etmoi ntions pas trs copains. Dumoins avant laccident. Aprs, en re-vanche, on avait t souds, dune cer-taine manire. Je navais pas pris con-science quelle et Mia taient prendrecomme un tout, si je puis dire. Perdrelune, ctait perdre lautre. Mais com-ment en aurait-il t autrement ?

    Et maintenant, Kim tait l. tait-elleenvoye par Mia ? Les bras serrscontre elle pour se protger de lhu-midit nocturne, elle me souriaitmaladroitement.

    Eh bien, tu nes pas facile trouver, a-t-elle dit.

    Je suis l o jai toujours t.Jai repouss les couvertures. Voyant

    que jtais en caleon, Kim sest d-tourne, le temps que jenfile monjean. Jai tendu la main vers un paquet

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  • de cigarettes. Je mtais mis fumerquelques semaines plus tt. Ctait leseul motif pour faire une pause. Kim acarquill les yeux comme si javaissorti un revolver. Jai repos le paquetsans y toucher.

    Je pensais te trouver la Maisondu rock, alors jy suis alle, a-t-elledclar. Jai vu Liz et Sarah. Ellesmont invite dner. Ctait chouettede les retrouver.

    Elle sest interrompue pour observerma chambre. Les couvertures frois-ses, les volets clos. Puis elle a repris :

    Je tai rveill ? Jai des horaires bizarres. Ta mre me la dit. De la saisie de

    donnes ?Elle ne prenait pas la peine de dis-

    simuler sa surprise.

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  • Je ntais pas dhumeur bavarder,ni supporter la moindre marque decondescendance.

    Alors, quest-ce qui se passe, Kim ?Elle a hauss les paules. Rien. Je suis en vacances. Cest la

    premire fois que je reviens ici, parceque pour Hanoukka, toute la familleest alle voir mon grand-pre dans leNew Jersey. Je voulais simplement tedire bonjour.

    Elle semblait nerveuse. Inquite,aussi. Je reconnaissais cette expres-sion, qui signifiait que ctait moi le pa-tient, maintenant. Au loin, une sirne arsonn dans la nuit. Instinctivement,je me suis gratt la tte.

    Tu la vois toujours ? ai-jedemand.

    Comment ?Visiblement, elle tait stupfaite.

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  • Jai rpt la question. Lentement. Tu vois toujours Mia ? Euh oui. Enfin, pas beaucoup. On

    est lune et lautre trs prises par nostudes et Boston est quatre heuresde New York. Mais bien sr, on se voit.

    Bien sr. Cest cette faon de direque cela allait de soi qui a toutdclench. Qui a rveill chez moi uninstinct meurtrier. Heureusement queje navais aucun objet lourd portede main.

    Elle sait que tu es ici ? Non. Je suis venue en amie. En amie ? Mon amie ?Mon ton sarcastique la fait plir,

    mais elle tait plus dure quelle nenavait lair. Elle na pas battu enretraite.

    Oui, a-t-elle chuchot.

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  • Alors dis-moi, mon amie, est-ceque Mia, ton amie, ta meilleure amie,ta dit pourquoi elle ma largu ? sansun mot ? Est-ce quelle ten a parl ?Ou bien elle na pas mentionn le sujet?

    Adam, sil te plat Pas de a, Kim. Moi jen ai aucune

    ide.Elle a pris une profonde inspiration.

    Jai eu limpression de voir sa colonnevertbrale se redresser, vertbre aprsvertbre, dans une attitude loyale etrsolue.

    Je ne suis pas venue pour parler deMia, mais pour te voir. Dailleurs, je necrois pas que ce serait bien de parlerde Mia avec toi, et rciproquement.

    Elle avait adopt un ton dassistantesociale, de tierce personne impartiale.Jai explos.

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  • Alors quest-ce que tu fous ici,dans ce cas ? quoi tu sers, hein ? Tues qui pour moi ? Sans elle, tu es qui? Tu nes rien ! Rien de rien !

    Kim a recul, dsoriente, puis elle alev les yeux vers moi. Mais dans sonregard, au lieu de lire de la colre, jenai vu que de la tendresse. Ce qui aencore augment mon envie deltrangler.

    Adam, a-t-elle commenc. Fiche le camp ! Je ne veux plus te

    voir !Avec Kim, on navait jamais besoin

    de rpter deux fois la mme chose.Elle est partie sans rien ajouter.

    ***Cette nuit-l, au lieu de lire ou de

    dormir, jai fait les cent pas dans machambre pendant quatre heures. Touten arpentant la moquette bon march

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  • de mes parents, je sentais grandir enmoi une sorte de fbrilit. Quelquechose dirrpressible, telle une nauseun jour de biture. a montait petit petit, et soudain a a jailli avec unetelle force que jai donn un coup depoing dans le mur, puis comme cela nefaisait pas assez mal, dans la fentre.Soulag, jai senti la douleur des clatsde verre qui mentaillaient lesphalanges, avant que le froid glacialdune nuit de fvrier ne menveloppe.Le choc a paru rveiller quelque chosequi sommeillait, enfoui au plus profondde moi.

    Car cest cette nuit-l que jai reprisma guitare pour la premire fois depuisun an.

    Et cest cette nuit-l que je me suisremis crire des chansons.

    En lespace de quinze jours, jenavais crit plus de dix. En lespace dun

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  • mois, le groupe Shooting Star staitreform et les interprtait. En lespacede deux mois, nous signions avec unlabel majeur. En lespace de quatremois, nous enregistrions Dommagecollatral, qui comprenait quinze destitres que javais cres depuis labmede ma chambre denfant. Et en les-pace dun an, Dommage collatral taitdans les charts du Billboard et Shoot-ing Star faisait la couverture desmagazines nationaux.

    Depuis, il mest venu lide que jedevais soit des excuses, soit des re-merciements Kim. Ou les deux. Maisau moment o jen ai pris conscience,ctait trop tard. Et pour tre franc, jene sais toujours pas ce que je luidirais.

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  • SIX

    Si nous devions faire des dgtsCe serait toi chez moi, moi chez toiJai achet une tenue tanche pour

    nettoyerMasques gaz et gants pour la

    scuritEt me voil seul dans cette pice nueDevant le dsastre nickel de ce qui

    fut DGTS

    DOMMAGE COLLATRAL, PLAGE 2

    Une fois dans la rue, je maperoisque je tremble toujours et jai limpres-sion que mes entrailles vont me lcher.Je veux prendre mes comprims, maisle flacon est vide. Merde ! Aldous a d

  • me donner le dernier dans le taxi. Est-ce que jen ai encore lhtel ? Il fautabsolument que jen trouve avant deprendre lavion demain. Je cherchemon portable, mais je me souviens delavoir laiss dans ma chambre pourmieux me dconnecter.

    Il y a beaucoup de monde autour demoi et je trouve les regards un peutrop insistants. Je ne pourrais pas sup-porter quon me reconnaisse en ce mo-ment. Je ne pourrais rien supporter dutout.

    Je voudrais chapper ma vie. Jypense souvent, ces temps-ci. Ce nestpas que je souhaite tre mort ou mesuicider, ou une stupide connerie de cegenre. Non, cest plutt que je ne peuxmempcher de penser que si je ntaispas n, je naurais pas affronter lessoixante-sept soires qui mattendent.Je ne serais pas l, aprs avoir subi

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  • cette conversation avec elle. Cest tafaute si tu y es all ce soir, me dis-je.Tu aurais mieux fait de rester seul.

    Jallume une cigarette en esprantquelle va me calmer suffisammentpour que je retourne lhtel, o jap-pellerai Aldous. Je pourrai reprendremes esprits et peut-tre mme dormirquelques heures. Bref, laisser derriremoi cette journe catastrophique.

    Tu devrais laisser tomber !Sa voix me fait sursauter. En mme

    temps, elle mapaise. Je lve les yeux.Mia est devant moi, les joues rouges,mais curieusement, elle sourit. Ellehalte un peu, comme si elle avaitcouru. Peut-tre quelle est poursuiviepar les fans, elle aussi. Jimagine lecouple g en smoking et perlouzes ses trousses.

    Je nai mme pas le tempsdprouver la moindre gne. Mia est de

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  • nouveau ici, face moi, comme lor-sque nous partagions encore le mmetemps et le mme espace, et que lefait de se rencontrer par hasard navaitrien dextraordinaire. Un instant, jesonge cette phrase dHumphrey Bog-art dans Casablanca : Entre tous lesbars de toutes les villes du monde, il afallu quelle choisisse le mien . Saufque cest moi qui suis entr dans sonbar.

    Lentement, Mia franchit la distancequi nous spare encore. Elle a les yeuxbraqus sur la cigarette que je tiens.

    Depuis quand fumes-tu ?interroge-t-elle.

    Et cest comme si le temps avait taboli, comme si elle avait oubli que jenavais plus de comptes lui rendre.

    Mais mme dans ces circonstances,je mrite cette rflexion. une

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  • poque, jtais intraitable sur la ques-tion de la nicotine.

    Je sais, cest un clich, dis-je. Je peux en avoir une ?Je reste sans voix. Quand Mia avait

    six ou sept ans, elle avait lu lhistoiredune petite fille qui russissait con-vaincre son pre darrter de fumer.Elle avait alors entrepris de faire aban-donner dfinitivement la cigarette samre, qui chouait toujours dans sestentatives. Il lui avait fallu plusieursmois, mais elle y tait arrive. Au mo-ment o javais rencontr sa famille,Kat ne fumait plus du tout. Le pre deMia, Denny, tirait de temps en tempssur une pipe, mais ctait plutt pourse donner une contenance.

    Toi, tu fumes, maintenant ? dis-jeenfin.

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  • Non, mais je viens davoir une ex-prience particulirement intense etjai entendu dire que a calmait lesnerfs.

    Lintensit dun concert. Je connais.Les miens me laissent parfois les nerfs vif. Japprouve de la tte.

    Je sais ce que cest, a marriveaussi en sortant de scne.

    Je lui prsente le paquet et elleprend une cigarette. Sa main trembleencore, ce qui me gne pour lallumeravec mon briquet. Jenvisage un in-stant de lui saisir le poignet pour lestabiliser, mais jy renonce. Je poursuismes efforts jusqu ce que la flammeillumine ses yeux et enflamme le boutde la cigarette. Elle aspire une bouffe,souffle la fume, toussote.

    Je ne parlais pas du concert, Adam,mais de toi.

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  • Un courant lectrique me parcourt.Calme-toi. Cest normal que tu laies

    rendue nerveuse en dbarquantcomme a. Nempche que je suis flat-t de lui avoir fait cet effet, mme si jelai simplement un peu effraye.

    Nous fumons en silence pendant unmoment. Et puis jentends un gargouil-lis. Mia hoche la tte dun air navr etcontemple son estomac.

    Tu te souviens comment jtais av-ant les concerts ?

    Par le pass, Mia tait trop nervepour avaler quoi que ce soit cesmoments-l. Du coup, aprs, ellemourrait de faim. On allait gnrale-ment dans notre restaurant mexicainprfr ou bien manger des frites etune tarte dans un diner au bord de laroute.

    Je hoche affirmativement la tte.

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  • De quand date ton dernier repas ?Elle me dvisage, crase sa cigarette

    moiti intacte. Une ternit. Mon estomac a

    gargouill tout le temps o jai jou. Jesuis sre quon la entendu jusquaubalcon.

    Non. Seulement le violoncelle. Ouf, je suis soulage.Nous nous taisons, puis son estomac

    se manifeste de nouveau. Des frites et une tarte sont tou-

    jours ton repas favori ? dis-je.Je la revois assise en face de moi

    dans lOregon, la fourchette brandie,en train de commenter sa propreperformance.

    Pas la tarte. Ici, New York, dansles diners, ils les font avec des fruitsen bote. Et ils ne connaissent pas lesmres. Comment est-il possible quun

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  • fruit cesse dexister dune cte lautre?

    Et comment est-il possible quunamoureux cesse dexister dun jour lautre ?

    Je nen sais rien. Mais les frites sont excellentes.Elle madresse un petit sourire

    encourageant. Jadore les frites, dis-je.Jadore les frites ? On dirait un en-

    fant dans un feuilleton tl.Son regard vacille, se plante dans le

    mien. Tu as faim ? demande-t-elle.Je nen sais rien.

    ***Nous traversons la 57e Rue et des-

    cendons la 9e Avenue. Mia marchedun pas dcid, la new-yorkaise,

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  • sans la moindre trace de la claudica-tion quelle avait au moment o elleest partie. Elle me montre ici et l desendroits intressants, comme un guideprofessionnel. Je me rends compte quejignore si elle habite toujours ici ou sielle est juste de passage pour le con-cert de ce soir.

    Tu pourrais le lui demande, me dis-je. Cest une question normale, aprstout.

    Oui, mais elle est tellement normaleque je ne devrais pas avoir la poser.

    Quoi quil en soit, trouve quelquechose lui dire.

    Au moment o jouvre enfin labouche pour parler, des notes de laNeuvime Symphonie de Beethovenslvent du sac de Mia. Elle interromptson monologue sur New York, saisitson tlphone portable, jette un coupdoeil lcran et fronce les sourcils.

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  • Mauvaise nouvelle ? Non, mais je dois prendre lappel.Elle ouvre le clapet, lair navr. All ? Oui, je sais. Calme-toi. Bien

    sr. Un instant.Elle se tourne vers moi. Cest insupportablement grossier,

    je sais, mais est-ce que je peux te de-mander cinq minutes ?

    Elle a maintenant un ton calme etprofessionnel.

    Bon, elle vient de donner un magni-fique concert. Et des gens lappellent.Malgr tout, et mme si elle fait minedtre dsole, je me sens comme unfan pri dattendre au fond du bus quela rock star soit prte. Pourtant, jac-quiesce. Comment faire autrement ?La rock star, cest Mia.

    Merci, me dit-elle.

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  • Par discrtion, je la laisse marcherquelques pas devant moi, mais desbrides de conversation me parviennentquand mme. Je sais que ctait im-