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© Matthieu Gaignard, 2020
La place de l'éthique dans le droit des brevets, analyse éthique du rôle des brevets
Mémoire
Matthieu Gaignard
Maîtrise en droit - avec mémoire
Maître en droit (LL. M.)
Québec, Canada
La place de l’éthique dans le droit des brevets, analyse éthique du rôle des brevets
Mémoire
Matthieu Gaignard
Sous la direction de :
Sophie Verville
ii
Résumé
Au travers de certaines affaires, comme celle de l’oncosouris de Harvard, la
question de la place de l’éthique dans le droit des brevets s’est vue posée aux
tribunaux. Quand certains soutiennent que le droit des brevets doit rester
neutre d’encadrement éthique d’autres soutiennent le contraire. Dans ce travail
nous verrons que depuis ses origines les plus anciennes jusqu’à aujourd’hui,
le droit des brevets a toujours reposé sur une réflexion éthique principalement
utilitariste. Cet utilitarisme a également été national dans le sens où ce qui était
recherché était la satisfaction du pays délivrant le brevet. Avec cet utilitarisme
nous avons également pu voir une recherche de la récompense de l’invention
utile et bonne pour la société, cependant, cette volonté semble avoir perdu en
importance. Avec la mondialisation, le droit des brevets et sa conception
utilitariste nationale se voient remis en question, notamment par les pays en
développement et moins développés. De ce fait, nous avons vu récemment des
évolutions allant dans l’adoucissement de la dimension nationale de
l’utilitarisme.
iii
Abstract
Through some cases, such as Harvard's Oncosouris, the question of the place
of ethics in patent law has been raised in the courts. When some argue that
patent law must remain free from ethical control, others argue the opposite. In
this work we will see that from its earliest origins to the present day, patent law
has always been based on primarily utilitarian ethical thinking. This
utilitarianism was also national in the sense that what was sought was the
satisfaction of the country issuing the patent. With this utilitarianism we have
also been able to see the will to reward the invention that can be useful and
good for the society, however, it seems that this will have lost in importance
lately. With globalization, patent law and its national utilitarian conception are
being challenged, especially by developing and less developed countries. As a
result, we have recently seen developments in softening the national dimension
of utilitarianism.
iv
Table des matières
Résumé ............................................................................................................................................................... ii
Abstract ............................................................................................................................................................... iii
Table des matières ............................................................................................................................................. iv
Liste des abréviations, sigles, acronymes .......................................................................................................... vi
Introduction ....................................................................................................................................................... 1
Chapitre préliminaire : Présentation de l’éthique et de certaines de ses mises en application
concrète ............................................................................................................................................ 10
Première Partie : Les théories éthique majeure ...................................................................................... 11
I / Le relativisme, l’absence de critère éthique absolu .............................................................................. 11
II / L’égoïsme, la mise en avant problématique des besoins personnels ................................................. 13
III / L’hédonisme, l’objectif de la maximisation du plaisir .......................................................................... 14
IV / L’utilitarisme, la prééminence de la conséquence de l’action ............................................................ 15
V / L’éthique kantienne, la priorisation de la moralité directe de l’action et l’application des règles ......... 19
VI / L’éthique des vertus, comment être bon suivant une liste de vertus ................................................. 21
Deuxième Partie : La mise en pratique de l’éthique avec les domaines de l’éthique appliquée
concernés ................................................................................................................................................... 22
I / Étude de la bioéthique et de ses valeurs ............................................................................................. 23
II / L’éthique des affaires, le développement de la notion d’intérêt général et de la responsabilité sociétale
................................................................................................................................................................. 30
Chapitre 1 : L’éthique partie intégrante du droit des brevets depuis sa création ...................... 34
Première Partie : La propriété intellectuelle, un outil au service de l’innovation dès ses débuts .. 34
I / De l’antiquité au Moyen-Âge, la quasi-inexistence de la propriété intellectuelle .................................. 35
II / L’apparition progressive de la propriété intellectuelle du XIVème siècle au XVIIIème siècle, l’importance
de l’utilitarisme nationaliste dans la délivrance du brevet ........................................................................ 37
v
Deuxième Partie : Le droit des brevets de sa création à la Première moitié du 20ème siècle ............... 46
I / Les textes de base des droits de brevets canadien, français et états-uniens ...................................... 46
II / La pratique et la jurisprudence du droit des brevets, l’illustration de l’utilitarisme ............................... 58
Chapitre 2 : L’affaiblissement de l’éthique utilitariste et la diversification des raisonnements
éthique autour du droit des brevets ............................................................................................... 74
Première Partie : La délivrance et le contrôle du brevet, une remontée de l’intérêt du breveté face à
l’intérêt général ........................................................................................................................................... 74
I / Le recul évident du raisonnement utilitariste au profit d’un brevet plus neutre vis-à-vis notamment de la
morale ...................................................................................................................................................... 75
II / Une plus grande liberté accordée au breveté par la disparition des déchéances de brevet ............... 86
III / Une évolution marquant une volonté de neutralité ou bien dénotant un glissement vers une éthique
égoïste. .................................................................................................................................................... 94
Deuxième Partie : La remise en cause éthique du système des brevets, la critique d’un utilitarisme
centré sur les intérêts des pays occidentaux .......................................................................................... 97
I / Le développement de dispositions spéciales pour les pays en voie de développement, vers un
utilitarisme globalisé ................................................................................................................................. 97
II / L’injustice du système des brevets pour les pays en voie de développement .................................. 101
III / Le maintien de la philosophie utilitariste nationaliste ....................................................................... 102
Conclusion .................................................................................................................................................... 107
Bibliographie ................................................................................................................................................... 109
vi
Liste des abréviations, sigles, acronymes
C-R OEB : Chambre des recours de l’Office Européen des Brevets
Cah PI : Les Cahiers de la Propriété Intellectuelle
RFAS : Revue Française des Affaires Sociales
CER : Comité d’éthique de la recherche
CCCB : Comité consultatif canadien de la biotechnologie
CDBI : Comité directeur pour la bioéthique
DUBDH : Déclaration Universelle sur la Bioéthique et les Droits de l’Homme
RSE : Responsabilité Sociale des Entreprises
ADPIC : Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce
ALENA : Accord de Libre Échange Nord-Américain
ACEUM : Accord Canada-Etats-Unis-Mexique
OEB : Office Européen des Brevets
CBE : Convention sur le Brevet Européen
RECDBE : Règlement d’Exécution de la Convention sur la Délivrance de Brevets Européens
CPI : Code de la Propriété Intellectuelle
OMC : Organisation Mondiale du Commerce
OMS : Organisation Mondiale de la Santé
INPI : Institut National de la Propriété Intellectuelle
vii
Ne pas prendre position, en termes de valeurs, sur un
droit qui s’écarte de ce qu’il devrait être ne peut être le
rôle de la doctrine juridique. Quand ce droit devient
principalement orienté vers la réalisation du progrès
scientifique et que, pour ce faire, il méconnait
l’éminente dignité attachée à la personne humaine, il
doit être critiqué. La neutralité de l’homme de science
que veulent parfois adopter les juristes peut être
constitutive d’un véritable danger. Tel a déjà été le cas,
dans l’histoire, pour un droit fondé sur des
considérations uniquement scientifiques : le droit positif
nazi. Par rapport au droit français de l’époque, qui en
résultait, la doctrine professa un impératif de neutralité
dicté par un souci de scientificité.
Jean René Binet
1
Introduction
« Qu’on le veuille ou non, la pratique […] du droit […] implique
inévitablement des choix éthiques, des choix de valeurs morales »1. Cette
affirmation est d’autant plus vraie dans certains domaines du droit. En effet, là
où dans le droit routier l’éthique n’aura qu’une place restreinte dans certains
droits particuliers, tel le droit médical, une place importante lui sera accordée.
Ces domaines du droit se trouveront bien souvent face à des dilemmes, des
problèmes qui nécessiteront une réflexion éthique pour être résolus. Bien que
la question fasse débat2, le droit des brevets est l’un des domaines du droit qui
pourrait avoir recours l’éthique. En effet, par sa nature, il sera en contact avec
des nouvelles technologies telles que les biotechnologies qui soulèvent nombre
de questions éthiques3.
Afin de déterminer clairement de quoi il sera question dans ce mémoire,
nous allons dès maintenant poser plusieurs définitions et préciser certains
termes clés. En premier lieu, dans ce mémoire, nous retiendrons une définition
large du brevet. En effet, afin de mieux appréhender la place de l’éthique dans
le droit des brevets, il conviendra de ne pas se limiter à la définition et au
système moderne des brevets. Ainsi, par brevet, nous entendrons un système
normatif permettant de protéger une invention, un procédé, ou toute création
de l’esprit pouvant avoir des applications concrètes ou une utilité économique.
1 Guy Durand, Coordonnées de base de l’éthique, dans, Laval théologique et
philosophique, Volume 50, numéro 3, Québec, Faculté de philosophie, Université Laval et
Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval, 1994, 467 à la p 467. 2 Voir Gaëlle Beauregard, L’éthique et le régime des brevets, une question d’actualité,
2006, 18:1, Cah PI, 13. 3 Voir Vandana Shiva, La vie n’est pas une marchandises Les dérives des droits de la
propriété intellectuelle, Montréal, Enjeux Planète, 2004 ; Pierre Sartor, Hold-up sur le
vivant Ethique et manipulations, Mercuès, Sang de la Terre, 2012.
2
La deuxième notion centrale dans ce travail sera l’éthique, aussi il est
important de bien la définir. Michel Métayer l’a définie ainsi :
L’éthique est une réflexion portant sur un aspect fondamental de l’action humaine que nous désignons habituellement par le terme « morale ». La morale concerne notre souci de faire la « bonne » action, de prendre la « bonne » décision. Elle fait appel à cette distinction essentielle que font les humains entre le bien et le mal4.
L’éthique est donc l’étude de la morale. Elle consiste à s’interroger sur ce
qui est moral. Elle va faire appel à un ensemble de règles, de raisonnements
qui permettront de donner un sens à la morale. Cependant, bien souvent
morale et éthique sont des termes qui sont utilisés sans distinction5. Cet état
de fait devra être gardé en mémoire au cours de ce travail. Parfois, certains
auteurs ou certaines décisions ou textes useront du terme « moral » quand il
s’agira en réalité d’éthique. Il est également nécessaire de préciser que, en
dehors de l’éthique comme réflexion philosophique sur la morale, il existe
également l’éthique appliquée. Ce domaine d’étude est quelque peu différent,
Michela Marzano l’a définie de la manière suivante :
Plutôt que de se tourner vers la seule recherche fondamentale (théories philosophiques et politiques) ou la seule recherche appliquée (outils d’intervention), l’éthique appliquée emprunte la voix de la transdisciplinarité pour structurer une recherche qui soit à la fois fondamentale et pratique6.
Ainsi, là où l’éthique est une démarche plus théorique, une réflexion
philosophique sur la morale, l’éthique appliquée est la mise en application des
diverses théories éthiques dans des domaines concrets de la vie. C’est une donc
une discipline qui va faire appel à la transdisciplinarité, en d’autres termes, elle
va faire appel à plusieurs domaines de réflexions. Elle va confronter des
réflexions éthiques à des problématiques réelles, va mettre en relation pensées
éthiques et réflexions sur les besoins de la recherche, sur le bien être humain
4 Michel Métayer, La Philosophie Ethique enjeux et débats actuels, 3ème édition, Québec,
Editions du renouveaux pédagogique, 2008, page 2 . 5 Ibid à la p 4. 6 Michela Marzano, L’éthique appliquée, 3ème édition, Paris, Que sais-je, 2008, page 5.
3
dans les soins médicaux, sur les besoins environnementaux et bien d’autres
encore.
La place de l’éthique dans le droit des brevets, et dans le droit de la
propriété intellectuelle de manière générale, est une interrogation qui ne cesse
de prendre de l’importance7. L’éthique est ainsi un terme que l’on peut dire "à
la mode" et qui est souvent mis en avant dans de nombreux domaines. Dans le
domaine des sciences tout particulièrement, il est régulièrement fait appel à
l’éthique et à la morale face aux progrès techniques et scientifiques tels que les
biotechnologies et les manipulations du vivant, l’intelligence artificielle, les
augmentations de l’humain ou bien encore les nanotechnologies8.
Le droit des brevets, du fait de sa proximité avec le progrès technique et
scientifique, n’est pas épargné par le questionnement éthique. En effet,
plusieurs affaires ont questionné les juges sur le positionnement éthique du
droit des brevets. Au Canada par exemple, l’affaire la plus emblématique sur la
question est la décision Harvard Collège contre Canada (Commissaire aux
brevets) qui concernait l’oncosouris9. Dans cette affaire, les juges de
l’opposition, dont le juge en chef McLachlin, estimaient que l’éthique n’avait pas
sa place dans le droit des brevets en l’état actuel des choses.
Le législateur lui-même a clairement indiqué sa conception limitée du rôle de la Loi sur les brevets. En 1993, il a supprimé l’interdiction, dans l’ancien par. 27(3) de la Loi sur les brevets, de breveter « une invention
7 Voir Christopher May et Susan K. Sell, Intellectual Property Rights a Critical History,
Boulder, Lynne Rienner Publishers, 2006 ; Mireille Buydens, La propriété intellectuelle
Evolution histoire et philosophique, Bruxelles, Groupe De Boeck, 2012 ; Peter Drahos, A
philosophy of intellectual property, Aldershot, Dartmouth Publishing Company Limited,
1996 ; Pierre Sartor, Hold-up sur le vivant Ethique et manipulations, Mercuès, Sang de la
Terre, 2012 ; E. Richard Gold et Bartha Maria Knoppers, Biotechnology IP & Ethics,
Markham, LexisNexis, 2009. 8 Voir Jacques Quintin, « La menace des biotechnologies : un choix entre la vie et
l’existence », Vertigo, 2:1, 2001, 1, en ligne :
<https://journals.openedition.org/vertigo/4076>. 9 Harvard Collège contre Canada (Commissaire aux brevets), 2002 4 RCS 45, 2002 CSC
76.
4
dont l’objet est illicite ». Ce faisant, il a établi clairement que la délivrance d’un brevet ne traduit ni une approbation ni une désapprobation. À l’époque, le législateur n’a pas ajouté une disposition, présente dans la Convention sur le brevet européen ainsi que dans maints régimes de droit civil et accords internationaux, qui interdirait la délivrance d’un brevet pour une invention dont l’utilisation ou l’exploitation serait incompatible avec l’ordre public, la moralité publique ou la protection de l’environnement ou de la santé. Ce genre de disposition ouvrirait la voie aux jugements de valeur dans l’appréciation de la brevetabilité. Le législateur n’a pas adopté une telle approche, même si les modifications de 1993 visaient à harmoniser le droit canadien des brevets avec divers accords internationaux. Il a ainsi indiqué, quoique d’une manière passive, que ces facettes importantes de
l’intérêt public demeureraient régies par d’autres régimes de réglementation que la Loi sur les brevets.10
Ainsi, ils ne semblent pas s’opposer fondamentalement à ce que le droit des
brevets intègre des éléments d’éthique, ils considèrent simplement qu’en l’état
actuel des choses, il n’y a pas de place donnée à l’éthique dans le droit des
brevets canadien. Cependant, d’autres personnes soutiennent clairement que
l’éthique ne devrait pas avoir sa place dans le droit des brevets et qu’il devrait
rester un droit neutre et purement technique.11
Dans cette décision, les juges de l’opposition soulignent que les textes
internationaux, eux aussi sont indécis face à la question12. Ainsi, que ce soit
l’ALENA, ou bien l’ACEUM s’il est ratifié, dans le contexte canadien ou bien les
ADPIC dans un contexte plus mondial, ces deux textes ne tranchent pas
clairement sur la question de la place de l’éthique dans le droit des brevets.
Ainsi, en ce qui concerne les ADPIC, à l’article 27, points 2 et 3, le texte prévoit
la possibilité pour les États de mettre en place des exceptions à la brevetabilité
pour des considérations éthiques13. Ainsi, il n’y aucune obligation qui est
10 Ibid au paragraphe 14. 11 Maurice Cassier, « Brevets et éthique : Les controverses sur la brevetabilité des gènes
humains », RFAS, 3, 2002, 235 (« Après avoir justifié la légitimité et la justesse de
l'application des critères de brevetabilité aux séquences génétiques - nouveauté de
I'invention, activité inventive, application industrielle - et écarté les conclusions du CCNE,
le cabinet en propriété industrielle réaffirmait une nette séparation entre le droit des
brevets et les questions éthiques » à la page 236). 12 Harvard Collège contre Canada, supra, note 9, aux paragraphes 12 et 90. 13 Accord sur les Aspects de Droit de Propriété Intellectuelle qui Touchent au Commerce, 15
avril 1994, article 27, points 2 et 3.
5
imposée aux États. Ils peuvent décider d’inclure des considérations éthiques
dans leur droit des brevets, tout comme ils peuvent s’en abstenir. Les autres
textes internationaux donnent eux aussi la possibilité d’inclure de telles
dispositions ou bien n’évoquent tout simplement pas cette possibilité. Aucune
obligation ou interdiction n’existe donc concernant l’encadrement éthique dans
les textes internationaux14.
De ce fait, il en résulte des divergences de position suivant les États.
Ainsi, pour le Canada, là où auparavant dans la Loi sur les brevets, il existait
une disposition interdisant la brevetabilité des inventions dont l’objet est illicite,
désormais, il n’y a plus rien. L’ancien texte disposait que « Il ne peut être délivré
de brevet pour une invention dont l’objet est illicite, non plus que pour de
simples principes scientifiques ou conceptions théoriques »15. Désormais, la loi
sur les brevets dispose simplement qu’il « ne peut être octroyé de brevet pour
de simples principes scientifiques ou conceptions théoriques »16.
Aux Etats-Unis également, la place de l’éthique dans le droit des brevets
a bougé. En effet, là où auparavant des éléments autres que purement
techniques étaient pris en compte, désormais, il n’y a que les critères
techniques classiques qui sont pris en compte17, la nouveauté, l’utilité et la
non-évidence18.
Dans le cas de l’Europe, en revanche, on remarque qu’une grande place
est accordée à la notion de morale et d’ordre public19. De plus, les juges de la
chambre des recours de l’office européen des brevets, ont élargi la portée du
14 Nous faisons ici référence à la Convention d’Union de Paris du 20 mars 1883 pour la
Protection de la Propriété Industrielle, au Traité de coopération en matière de brevets du
19 juin 1970 ainsi qu’au Traité sur le droit des brevets du 1er juin 2000. 15 Robert H. Barrigar, Canadian Patent Act Annotated, Canada Law Book Inc., 1989, art
27 (3). 16 Loi sur les brevets, LRC 1985, ch. P-4, art 27 (8). 17 David Vaver, Intellectual Property Law, Seconde édition, Toronto, Irwin Law , 2011,
page 338 et 339. 18 Patent Act USA, 35 USC § 101 (1952). 19 La convention sur le brevet européen, 1973, art 53.
6
texte, en statuant que la protection de l’environnement faisait partie de l’ordre
public20.
La difficulté à déterminer qu’elle est la place ou devrait être la place de
l’éthique dans le droit des brevets n’est pas la seule difficulté face à ce sujet. En
effet, l’autre grande difficulté est de réussir à déterminer de qu’elle éthique il
est question. Dans la littérature juridique, il est ainsi rare, voire impossible de
trouver une analyse, une définition ou bien une réflexion suffisante sur ce
qu’est l’éthique et comment elle s’applique en pratique à la question du droit
des brevets21. Soit seule la partie philosophie, éthique ou morale est étudiée
mais sans qu’il y ait d’analyse par rapport à la réalité du droit des brevets, soit
il n’y a que le droit pur qui est étudié. De ce fait, bien souvent quand il est traité
de l’éthique dans les brevets, il n’est abordé que la question de la moralité des
inventions, la question éthique de surface. Nous pourrions ainsi citer en
exemple le questionnement sur la brevetabilité des éléments de l’être humain
comme les gênes. Cependant, la question de l’éthique dans les brevets va bien
au-delà de cela. L’éthique dans les brevets peut aussi être étudiée en cherchant
à comprendre pourquoi ce droit existe, et c’est là, bien souvent, une question
qui n’est pas posée. En nous interrogeant sur les théories éthiques et leur mise
en application, nous pourrons mieux comprendre et appréhender le droit des
brevets.
Notre analyse sera limitée tant dans le temps et dans l’espace. Ainsi, nous
nous interrogerons sur la place accordée à l’éthique dans trois modèles de droit
des brevets, les Etats-Unis, le Canada et la France. Cependant, nous verrons
brièvement d’autres modèles plus anciens afin de remonter aux sources, aux
fondements des brevets. De la même manière, nous nous concentrerons
20 Cellules de plantes, C-R OEB, T 0356/93, 1995 . 21 Voir, Christopher May et Susan K. Sell ; Mireille Buydens ; Peter Drahos ; Pierre
Sartor ; E. Richard Gold et Barta Maria Knoppers, supra note 7.
7
principalement sur le droit des brevets modernes, soit le droit des brevets
depuis la deuxième moitié du 19ème siècle jusqu’à nos jours. Malgré cela, nous
remonterons brièvement aux origines du droit des brevets mais sans nous y
attarder, le but sera surtout d’identifier les premiers cas de propriété
intellectuelle et leur philosophie. Enfin, quand nous serons amenés à traiter de
la théorie utilitariste en éthique, nous prendrons le présupposé que l’innovation
et le progrès technique en général permettent le bonheur, le bien être. En effet,
l’innovation et le progrès technique, en amenant de nouvelles méthodes
facilitant la vie, en amenant la création de richesses ou bien en permettant le
développement de méthodes médicales, traitements et autres permettent de
satisfaire nos besoins et de nous rendre plus heureux.
Dans ce travail nous chercherons à identifier les grandes tendances éthiques
qui se dégagent de la pratique des brevets au cours de l’histoire. Nous verrons
comment le brevet a été utilisé pour servir les intérêts économiques de
développement des États et comment, au cours de l’histoire, il a été confronté
à de nouvelles problématiques avec l’avancée des sciences et la mondialisation.
Nous ne pourrons pas nous intéresser à tout le droit des brevets, aussi, nous
ne nous focaliserons que sur deux éléments de ce droit, la délivrance du brevet
et le contrôle de son exploitation.
L’objet de ce mémoire sera donc de déterminer quelle a été la place de l’éthique
dans le droit des brevets depuis ses origines jusqu’à nos jours, mais surtout,
nous chercherons à savoir sur quelle éthique a reposé et repose le droit des
brevets et quelle est l’importance qui lui est accordée.
Pour ce faire, il conviendra en premier lieu de nous attarder sur l’éthique
(Chapitre Préliminaire). Nous passerons ainsi en revue les différentes théories
éthiques majeures afin d’avoir les bases pour, par la suite, déterminer si
l’éthique est présente dans le droit des brevets et sous quelle forme. Par la suite,
nous nous attarderons également sur l’éthique appliquée, à savoir, comment
est-ce que l’éthique peut être mise en application dans des cas concrets, des
matières concrètes telles que le droit ou bien les biotechnologies. Ces bases
8
nous permettront par la suite d’analyser le droit des brevets selon l’éthique,
tant théorique qu’appliquée.
La deuxième sous question à laquelle nous devrons répondre sera de
savoir qu’elle a été la place de l’éthique dans le droit des brevets depuis la
deuxième moitié du 18ème siècle jusqu’à aujourd’hui (Premier Chapitre). Nous
verrons alors que plusieurs visions et théories s’affrontent pour déterminer
quelle est la raison, et l’éthique, qui fonde le droit des brevets. Ainsi, selon
Christopher May et Susan K. Sell, il existe deux approches pour justifier le droit
des brevets, la justification du travail, « The first set of justifications argues for
labor’s desert: the effort that is put into the improvement of nature should be
rewarded »22 et la justification reliée au contrat social entre l’Etat et la société
civile, « the state legislates for property as part of its bargain with civil society »23.
Ils parlent également d’une troisième justification qui reposerait sur l’utilité de
ce droit pour la société et l’économie moderne24. D’autres justifications au droit
des brevets sont possibles, en effet Mireille Buydens en ajoute trois. Selon elle,
il pourrait y avoir une justification naturelle par l’occupation25, une justification
par la théorie personnaliste26 ou bien par la théorie utilitariste27. Nous verrons
également à cette occasion quelques exemples de droit de propriété
intellectuelle anciens pouvant s’apparenter au brevet et nous chercherons à
déterminer si ces droits répondaient à une éthique particulière. Nous verrons
par la suite, comment, au travers de diverses affaires, décisions judiciaires, et
normes juridiques, il est possible de relever une présence de l’éthique
utilitariste dans le droit des brevets et comment cet utilitarisme se révèle être
22 May et Sell, Supra note 7 à la p 20. 23 Ibid à la p 21. 24 Ibid. 25 Buydens, Supra note 7 aux pages 340 à 345. 26 Ibid aux pages 315 à 320 (cette théorie s’applique plus au droit d’auteur qu’au droit des
brevets étant donné « qu’elle voit dans l’œuvre une émanation du génie individuel »,
l’auteur n’y fait ainsi référence qu’à des artistes). 27 Ibid aux pages 352 à 386 (bien que May et Sell évoquent également une théorie
utilitariste (cf 24), la théorie utilitariste de Buydens est présentée de manière plus claire).
9
nationaliste. Notre étude se limitera temporellement aux années 50, la suite
sera étudiée plus tardivement.
Enfin, la troisième sous question à laquelle il conviendra de répondre
sera de déterminer si l’éthique a changé dans le droit des brevets (Second
Chapitre). Nous verrons alors que depuis le dernier quart du 20ème siècle,
l’éthique n’est plus vraiment la même dans le droit des brevets. En effet, bien
qu’elle garde une dimension utilitariste nationaliste, l’utilitarisme recule vis-à-
vis des biotechnologies.
10
Chapitre préliminaire : Présentation de l’éthique et
de certaines de ses mises en application concrète
Bien que les notions de morale ou bien d’éthique puissent être évoquées
tant en doctrine qu’en jurisprudence, force est de constater que,
malheureusement, ces dernières ne sont que trop rarement pour ne pas dire
jamais définies. Le problème est que si nous ne définissons ou ne comprenons
pas ce qu’est l’éthique, alors il devient compliqué d’apprécier sa place dans le
droit des brevets ou même de l’identifier dans le droit des brevets. De ce fait, ce
premier chapitre introductif va nous permettre de poser des bases de
compréhension de l’éthique qui nous permettront par la suite de voir et
comprendre l’éthique dans le droit des brevets.
L’éthique peut être étudiée de deux manières. Il y a tout d’abord l’étude
purement théorique de l’éthique (Première Partie). Dans ce cadre, l’éthique est
vue comme une réflexion intellectuelle, philosophique sur la morale. C’est dans
ce cadre d’étude qu’existent de grandes théories éthiques telles que le
relativisme, l’égoïsme, l’éthique des valeurs, l’utilitarisme et bien d’autres
encore. Soulignons dès maintenant que la vision de ce qui est “éthique“ peut
fortement changer en fonction de la théorie éthique prise en référence. Ainsi
l’éthique est non seulement une notion complexe à appréhender et à définir,
mais est aussi une notion ayant une signification pouvant fortement varier
suivant la théorie de référence.
L’éthique peut cependant avoir un autre visage, être étudiée d’une autre
manière, plus pratique, dans le cadre de l’éthique appliquée (Seconde Partie).
Dans ce cadre, l’éthique ne sera pas étudiée comme un champ de réflexion
théorique sur la morale mais comme un ensemble de règles, un cadre,
permettant d’encadrer un domaine particulier de la vie courante. C’est dans ce
cadre que s’inscrivent les bioéthiques, l’éthique médicale, la déontologie,
l’éthique des affaires ou bien encore l’éthique juridique.
11
Première Partie : Les théories éthiques majeures
Nous passerons ici en revue les théories éthiques majeures. Nous nous
attarderons plus particulièrement sur les théories qui présentent un grand
intérêt dans le cadre de notre questionnement sur la place de l’éthique dans le
droit des brevets. Nous verrons ainsi tout d’abord le relativisme (I), soit le fait
qu’il n’y a pas de théorie éthique unifiée, puis l’égoïsme (II), la mise en avant
des besoins personnels avant tout. Nous analyserons ensuite l’hédonisme de
Bentham (III) pour ensuite voir sa continuité plus intéressante pour nous,
l’utilitarisme (IV), théorie qui présente la particularité de mettre l’accent sur les
conséquences de l’action et à laquelle nous ferons régulièrement appel. Nous
enchainerons alors sur l’éthique kantienne (V) qui nous sera moins utile dans
la suite du travail mais qui donne des clés de compréhension nécessaires et
vient compléter l’utilitarisme. Enfin, en dernier lieu, nous verrons l’éthique des
vertus (VI), qui se caractérise par une liste de vertus à respecter.
I / Le relativisme, l’absence de critère éthique absolu
Le relativisme, comme son nom l’indique, présente comme principale
caractéristique de ne pas proposer de réponse unifiée sur l’éthique. Autrement
dit « Ethical relativism is the notion that there are no universally valid moral
principles, but that all moral principles are valid relative to cultural or
individual choice »28.
Cette approche de l’éthique est très actuelle dans notre contexte de
mondialisation et de métissage culturel29. En effet, une action pouvant sembler
28 Louis P. Pojman, Ethical Theory Classical and Contemporary Readings, Belmont,
Wadsworth Publishing Company, 1989, page 15. 29 Steven Lukes, Le relativisme moral, Genève, éditions markus haller, 2015, aux pages 14
et 15.
12
morale selon certaines normes sociales, culturelles, religieuses ou autres
encore peut sembler immorale dans un autre lieu où ces normes diffèrent. Louis
Paul Pojman distinguait deux formes de relativisme. Tout d’abord le
subjectivisme30. Selon cette vision, la moralité d’une action devait être
interprétée selon la vision de la personne ayant réalisé cette action. Le problème
de cette vision, comme le souligne très bien Louis Paul Pojman est que cela rend
inutile le concept de morale, car, en suivant ce raisonnement, il est possible de
rendre éthique n’importe quelle action31. La seconde forme de relativisme qu’il
met en avant est en revanche bien plus intéressante, le conventionnalisme32.
Le conventionnalisme est en fait le relativisme comme il est en général défini, à
savoir une « doctrine qui, niant l’existence d’une vérité absolue ou de règles
universellement valables, admet qu’il y a autant de vérités ou de normes
d’action que de points de vue »33 Cependant, là aussi, il n’hésite pas à souligner
quelques aspects dérangeants de cette approche de l’éthique. En effet, selon
celle-ci, des pratiques telles que l’esclavage ou bien les sacrifices pourraient être
considérés comme morales si la société, ou bien la culture dans laquelle elles
s’inscrivent considèrent ces pratiques comme morales. Une telle affirmation est
bien évidemment dérangeante.
Face à cette approche de l’éthique, deux solutions se distinguent chez les
philosophes et éthiciens pour apporter un jugement moral sur des actions qui
seraient contraires à notre conception de la morale. Ces solutions n’ayant pas
de nom nous les nommerons solution de la tolérance, dans le cas où deux
conceptions de la morale viennent à s’opposer sur une action, on considère les
deux valables, aucune ne doit primer sur l’autre34 et solution de la nuance qui
consiste tout simplement à nuancer le raisonnement de départ selon lequel
30 Louis P. Pojman, « A Critique of Ethical Relativism » dans Louis P. Pojman, dir, Ethical
Theory Classical and Contemporary Readings, Belmont, Wadsworth Publishing Company,
1989, 24 à la p 26. 31 Ibid. 32 Ibid aux pages 27 à 29. 33 Denis Huisman et Serge Le Strat, Lexique de philosophie, Paris, Editions Nathan, 2002,
sub verbo « relativisme ». 34 Louis P. Pojman, Supra note 30 à la p 252.
13
aucune morale n’est supérieure à l’autre. On considère alors qu’il y a une
échelle dans les normes morales et que certaines sont supérieures aux autres35.
II / L’égoïsme, la mise en avant problématique des besoins personnels
L’égoïsme, contrairement à ce que ce mot pourrait faire penser, n’est pas
forcément une approche de l’éthique mauvaise. Le présupposé de base de cette
éthique vient du fait que l’humain est naturellement égoïste et va chercher à
satisfaire ses propres intérêts au détriment de ceux des autres36. Cet état de
fait est très problématique car, dans cet état de nature, tout le monde serait en
danger face aux autres humains qui chercheraient à satisfaire leurs propres
intérêts.
Hobbes, en partant de cette idée a théorisé le concept du Léviathan, cette
autorité suprême à laquelle les humains se soumettraient afin d’être en
sécurité. Cette dernière, en mettant en place des règles et des sanctions si
celles-ci sont transgressées permettrait de réguler l’anarchie qui résulterait de
l’état de nature37. De ce fait, c’est notre égoïsme qui nous pousse à nous
restreindre et à ne pas assouvir tous nos désirs. Ainsi, les individus ne se
soumettent au Léviathan que s’ils estiment qu’ils gagnent plus. S’ils venaient à
considérer que cette autorité suprême ne leur garantissait pas une meilleure
condition que dans l’état de nature, alors ils cesseraient de lui obéir. De ce fait,
selon cette conception, nous devons agir de manière équilibrée entre notre
intérêt personnel et l’intérêt général, tout en gardant en tête que s’il devenait
plus intéressant pour nous d’agir pour notre seul intérêt, alors nous n’aurions
plus aucune raison de prendre en considération les besoins des autres.
35 Ibid aux pages 252 et 253. 36 Thomas Hobbes, « The Leviathan » dans Louis P. Pojman, dir, Ethical Theory Classical
and Contemporary Readings, Belmont, Wadsworth Publishing Company, 1989, 61 aux
pages 61 à 65. 37 Ibid à la p 69.
14
Ainsi, là où dans l’utilitarisme, la théorie se concentre sur le bonheur du
plus grand nombre possible, l’égoïsme va se concentrer sur les besoins d’une
personne. Cette accentuation mise sur l’intérêt d’une personne, sur l’intérêt
personnel, ce qui ne serait pas une mauvaise chose étant donné que les intérêts
collectifs ne sont pas nécessairement antagonistes et qu’en satisfaisant nos
besoins, nous pouvons également satisfaire ceux des autres38. Cette distinction
entre les deux sera très importante à garder en tête dans la suite de ce travail.
L’égoïsme ne se limite bien évidemment pas à cela, cependant, pour ce
travail, nous nous limiterons à cette conception39. L’égoïsme se traduira par
une recherche de la satisfaction d’une personne et par la mise en place de règles
minimales afin de s’assurer de l’adhésion au système.
III / L’hédonisme, l’objectif de la maximisation du plaisir
L’hédonisme est une théorie éthique très ancienne, elle remonte en effet
aux grecs anciens tels Socrate, Aristote, Platon ou encore Épicure et est
associée aux cyrénaïques40. L’éthique hédoniste se résume simplement par le
fait qu’elle « pose le plaisir comme le bien moral suprême »41. Jeremy Bentham,
l’une des grandes personnes de ce courant avait ainsi écrit que « Nature has
placed mankind under the governance of two sovereign masters, pain and
pleasure. It is for them alone to point out what we ought to do, as well as
38 Ayn Rand, The Virtue of Selfishness : A New Concept of Egoism, 1964, New American
Library. 39 Voir Lester Hunt « Flourishing Egoism » dans Russ Chafer-Landau, dir, Ethical Theory,
Malden, Blackwell Publishing, 2007, 197 ; Jame Rachels « Ethical Egoism » dans Russ
Chafer-Landau, dir, Ethical Theory, Malden, Blackwell Publishing, 2007, 213 ; Ayn Rand,
La Vertu d’égoïsme, Paris, Les belles lettres, 2008 (ces différents ouvrages et articles
permettront de détailler plus en détail cette vision éthique pour ceux qui le souhaitent,
notamment les critiques et faiblesses de celle-ci). 40 Henri Wetzel, « Hédonisme » (9 novembre 2018), en ligne : Universalis
<https://www.universalis.fr/encyclopedie/hedonisme/>. 41 Michel Métayer, Supra note 4 à la p 114.
15
determine what we shall do »42. C’est ainsi une vision de l’éthique qui se
rapproche de l’égoïsme car elle est centrée sur la personne et la recherche de
son plaisir, bien qu’il y ait de subtiles différences entre les deux43.
Ainsi, selon cette philosophie, il convient de chercher à trouver le plus
grand plaisir possible, en faisant un calcul mettant en balance la peine et le
plaisir que nous procurera notre action.
L’élément central de l’hédonisme est donc le plaisir, et c’est pourquoi les
hédonistes ont passé beaucoup de temps à le définir. Ainsi, contrairement à la
douleur, telle une douleur physique au bras, le plaisir est plus difficilement
identifiable. C’est pourquoi le plaisir n’est pas réellement délimité, défini. Par
plaisir il est entendu toutes les sensations agréables, tout ce qui est positif. De
la même manière, les différents plaisirs peuvent difficilement être hiérarchisés
et c’est pourquoi l’hédonisme vise à rechercher tout type de plaisir, quel qu’il
soit44.
IV / L’utilitarisme, la prééminence de la conséquence de l’action
L’utilitarisme est une théorie éthique qui prend comme base l’hédonisme,
mais en le rendant plus global. Nous ferons souvent appel à cette vision de
l’éthique au court de ce travail, aussi, nous détaillerons plus en détail cette
théorie.
L’éthique utilitariste est l’une des plus présentes et répandue dans le
monde45. Ce succès est probablement dû au fait que, en comparaison d’autres
42 Jeremy Bentham, « Classical Hedonism » dans Louis P. Pojman, dir, Ethical Theory
Classical and Contemporary Readings, Belmont, Wadsworth Publishing Company, 1989,
111 à la p 111. 43 Gordon Graham, Theories of Ethics: An Introduction to Moral Philosophy with a selection
of Classic Readings, New York, Taylor & Francis, 2010 aux pages 37 et 38. 44 Ibid aux pages 44 à 46. 45 Michel Métayer, Supra note 4 à la p 113.
16
théories, celle-ci peut être plus aisément applicable, elle est en effet plus
réaliste. Comme l’hédonisme, l’utilitarisme, du moins dans sa forme la plus
répandue, va viser le bonheur comme objectif. Cependant, là où l’hédonisme ne
vise que le bonheur personnel, l’utilitarisme vise le bonheur collectif46. Ainsi,
en agissant selon la pensée utilitariste, contrairement aux autres théories vues
précédemment, la vision est plus globale. Ce qui est recherché c’est le bien-être
collectif, autrement dit, le plus grand bonheur possible pour le plus grand
nombre.
Cependant, bien qu’elle soit hédoniste, dans sa vision la plus courante,
l’éthique utilitariste n’est pas pour autant altruiste. C’est-à-dire que les besoins
des autres ne sont pas supérieurs aux miens, simplement égaux47. Pour
l’expliquer simplement, chaque individu est considéré comme une unité, et ce
qui est visé par l’utilitarisme hédoniste, c’est la somme du plus grand nombre
possible d’unités satisfaites48. Cependant, ce n’est pas pour autant que le bien
être personnel doit être mis de côté. Le bien être personnel n’est simplement
pas supérieur au bien-être de son prochain, il est au même niveau.
Pareillement, le bien-être des autres ne surpasse pas mon bien être.
Autre élément important concernant cette théorie éthique et qui la
distingue des autres, elle est finaliste, conséquentialiste. Par là il faut
comprendre que pour déterminer si une action est bonne ou mauvaise d’un
point de vue moral, il ne faut pas analyser l’action en elle-même mais ses
conséquences49. Ainsi, selon cette vision, si elle était appliquée à la lettre, une
action pourrait être immorale, mais avoir des conséquences qui elles seraient
morales car permettraient de maximiser le bonheur du plus grand nombre. De
46 Gordon Graham, Supra note 43 à la p 99. 47 Ibid à la p 101. 48 John Stuart Mill, L’utilitarisme, traduit par George Tanesse, Paris, Flammarion, 1988 à
la p 57. 49 J.J.C. Smart et Bernard Williams, Utilitarisme le pour et le contre, traduit par Hugues
Poltier, Genève, Labor et Fides, 1997 à la p 75.
17
ce fait, cette action serait considérée comme conforme à la morale selon une
perspective utilitariste.
Un autre élément tout particulièrement intéressant concernant l’éthique
utilitariste est tout simplement qu’elle n’est pas destinée à guider uniquement
des individus. Avant d’être destinée à guider les individus, elle est destinée à
guider les décisions politiques, économiques, sociales50. Mills écrivait ainsi que :
l’utilitarisme demande que les lois et l’organisation sociale mettent le bonheur ou (comme on peut l’appeler dans la pratique) l’intérêt de chaque individu autant que possible en harmonie avec l’intérêt du tout ; et, deuxièmement, que l’éducation et l’opinion, qui ont un pouvoir si important sur le caractère humain, usent de ce pouvoir pour établir dans l’esprit de chaque individu un lien indissoluble entre son bonheur personnel et le bien du tout ; surtout entre son bonheur personnel et les modes négatifs et positifs de conduite qui sont en rapport avec ce que prescrit le bonheur universel ; de sorte que, non seulement il ne puisse concevoir que son bonheur personnel est compatible avec une conduite opposée au bien général, mais aussi qu’une impulsion directe à favoriser le bien général puisse être en chaque individu l’un des motifs habituels d’action et que les sentiments liés à cette impulsion puissent prendre une large et dominante place dans l’existence sentante de tout être humain.51
C’est donc l’un des autres points forts de cette vision, approche de
l’éthique. Elle est tout autant destinée à guider les politiques publiques et
grandes décisions que guider les actions des individus.
Comme nous l’avions évoqué plus tôt, bien que jusqu’ici nous n’ayons
parlé d’utilitarisme à visée hédoniste, il est également possible que l’utilitarisme
ne vise pas seulement le bonheur du plus grand nombre, mais prenne
également en compte des valeurs, par exemple les valeurs et objectifs cités dans
la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme52. Cette vision de l’utilitarisme
50 Tim Mulgan, Understanding utilitarianism, Stocksfield, Acumen, 2007, à la p 1. 51 John Stuart Mill, L’utilitarisme, traduit par Philippe Folliot, Paris, Les classiques des
sciences sociales, 2008 à la p 26. 52 Louis P. Pojman, Supra note 28 à la p 159 (l’auteur ne fait pas le lien avec les valeurs
présentes dans la DUDH, il cite plutôt des valeurs telles que « la connaissance, la liberté,
la justice et d’autres ». Ces valeurs se retrouvent bien dans la DUDH. Dans le cas de
liberté à l’article 3, la justice aux articles 7 à 12, la connaissance aux articles 26 et 27.
18
se rapproche alors de la vision kantienne de l’éthique, également appelée le
système déontologique que nous allons étudier dans la prochaine partie. Selon
cette approche, bien qu’il soit reconnu que la recherche de la maximisation du
plaisir doit être centrale, il est également développé que ce ne peut être la seule
balise à suivre pour agir juste. D’autres règles doivent être suivies, par exemple
tenir une promesse ou bien même s’améliorer53.
Pour finir sur la théorie utilitariste, nous devons nous attarder sur une
distinction entre deux approches de la théorie, l’utilitarisme de la règle et
l’utilitarisme de l’acte. Cette distinction a été développée par Mill en réponse
aux objections qui avaient été faites à l’utilitarisme et à ses conséquences qui,
si on l’appliquait strictement, pouvait amener à des situations qui nous
sembleraient immorales54. Une excellente définition de l’utilitarisme de la règle,
l’adoucissement de l’utilitarisme développé par Mill se trouve dans l’ouvrage de
Louis P. Pojman « Rule utilitarians, on the other hand, state that an act is right
if it conforms to a valid rule within a system of rules that, if followed, will result
in the best possible state of affairs (or the least-bas state of affairs, if it is a
question of all the alternatives being bad). »55 Ainsi, avec cette approche de
l’utilitarisme, on évite les situations délicates dans lesquelles, si on suivait cette
éthique, on se retrouverait à devoir tuer un individu pour en sauver plusieurs
autres au nom du plus grand bien.
53 W. D. Ross, « What Makes Right Acts Right? », dans Louis P. Pojman, dir, Ethical Theory
Classical and Contemporary Readings, Belmont, Wadsworth Publishing Company, 1989,
253 aux pages 253 à 260. 54 Michel Métayer, Supra note 4 à la p 127. 55 Louis P. Pojman, Supra note 28 à la p 159.
19
V / L’éthique kantienne, la priorisation de la moralité directe de l’action et
l’application des règles
Contrairement aux modèles éthiques précédemment vus, l’éthique
kantienne est déontologique et non téléologique56. En d’autres termes, là où
l’utilitarisme place comme critère moral de référence le bonheur produit par
une action, bonheur qui n’est pas une valeur morale en soi, le modèle
déontologique va considérer qu’une action a des valeurs innées. Ainsi, selon le
modèle kantien, une action, quelles que soient ses conséquences pourra être
morale. Le modèle kantien n’est pas conséquentialiste, la moralité d’une action
se détermine sur l’action elle-même, pas sur ses conséquences.
Kant avait pour ambition de poser un modèle éthique universel. Ainsi, il
estimait qu’il était trop incertain de fonder la moralité sur les conséquences
d’une action et sur la bonne volonté. Quand bien même l’individu cherchait à
faire le bien, à être bon, il estimait nos sentiments et notre perception trop
partiale et changeante pour être pris en référence57.
Les sentiments n’étant pas assez fiables, Kant a développé un modèle
éthique qui reposerait sur la raison. Les humains sont doués de raison et cette
dernière est bien plus fiable que les sentiments58. En effet, en ayant recours à
la raison, nous pouvons nous assurer de la moralité de l’action elle-même, et
non sur des résultats hypothétiques.
Kant va donc fonder la moralité d’une action sur trois propositions. La
première proposition est qu’une action doit être fondée sur un devoir et non un
sentiment. La deuxième est que la moralité se juge sur l’action elle-même, non
ses conséquences. Enfin, la troisième proposition est la résultante des deux
56 Ibid à la p 226. 57 Michel Métayer, Supra note 4 à la p 88. 58 Immanuel Kant, « The Foundations of the Metaphysic of Morals », dans Louis P.
Pojman, dir, Ethical Theory Classical and Contemporary Readings, Belmont, Wadsworth
Publishing Company, 1989, 229 aux pages 230 à 232.
20
précédentes « Duty is the necessity of acting from respect for the law »59.
Cependant, quand Kant fait ici référence à la loi, il ne fait pas référence à la loi
créée par le législateur mais à ce qu’il décrit comme “la loi universelle“. Cette
loi universelle, il la résume très bien : « I am never to act otherwise that so that
I could also will that my maxim should become a universal law »60. Nous
passerons sur beaucoup de détails de sa pensée car ce n’est pas l’objet de ce
travail, nous retiendrons simplement que la position de Kant est relativement
extrême étant donné que, si nous prenons l’exemple du mensonge, selon lui, le
mensonge est immoral quelle que soit la situation.
Cette position a amené plusieurs des héritiers de sa pensée à chercher à
assouplir sa théorie. Cet assouplissement de sa pensée va notamment se faire
grâce aux intuitionnistes61. Selon cette vision, il y a des devoirs, les « prima
facie duty » qui seront plus importants que les autres devoirs. Ainsi, le devoir
de préserver la vie humaine est plus important que celui de ne pas mentir. Si
une personne se retrouve dans la situation où elle doit mentir pour préserver
une vie humaine, alors le mensonge est moral.
Tout comme l’utilitarisme, le déontologisme qu’il soit kantien ou non,
peut également aider à guider des décisions politiques. En effet, Kant, dans sa
réflexion sur le déontologisme « a conçu l’idéal d’une société de type
démocratique où chaque être humain libre et autonome obéit à des lois
auxquelles il peut consentir parce qu’elles sont fondées sur l’impératif
catégorique et ses principes d’universalisation et de respect des personnes. »62
Kant rejoint alors Hobbes sur le fait que l’humain a besoin d’une organisation
au-dessus de lui posant des lois. Cependant, cette organisation ne doit pas être
despotique afin de préserver la liberté de l’individu et sa capacité à exercer sa
raison63. Nous pouvons également remarquer que la théorie kantienne est très
59 Ibid aux pages 232 à 234. 60 Ibid à la p 234. 61 Louis P. Pojman, Supra note 28 à la p 227. 62 Michel Métayer, Supra note 4, à la p 104. 63 Golan Moshe Lahat, The Political Implications of Kant’s Theory of Knowledge, Londres,
Palgrave MacMillan, 2013, aux pages 173 à 180.
21
utile pour justifier le devoir des Etats de protéger leurs citoyens ou bien pour
organiser les relations internationales64.
VI / L’éthique des vertus, comment être bon suivant une liste de vertus
L’éthique des vertus remonte également aux grecs avec notamment
Aristote et Platon65. Cette théorie se distingue des autres par le fait que l’accent
n’est pas mis sur l’action ou sur les conséquences de l’action mais sur une liste
des vertus auxquelles se conformer afin de vivre une vie vertueuse et juste.
Ainsi, parmi les vertus nous pourrons trouver le courage ou la bonté et nous
devrons ainsi agir selon ces vertus. Un des éléments de cette éthique qui est
intéressant, est que ces vertus, bien qu’elles soient absolues, ne deviennent
pratiques qu’avec l’expérience, elles s’apprennent en en faisant l’expérience66.
Bien que ces vertus puissent varier d’une société à une autre, il n’en
demeure pas moins que certaines vertus sont essentielles au bon
fonctionnement d’une société, comme par exemple la justice67.
Cette théorie éthique fait partie des théories majeures et, de ce fait, il
n’était pas envisageable de ne pas en parler. Cependant, elle ne présente que
relativement peu d’intérêt car elle est surtout destinée à guider les individus68.
64 Heater M. Roff, Global Justice, Kant and the Responsibility to Protect a provisional duty,
Abigdon, Routledge, 2013 (l’auteur dans cet ouvrage choisi l’éthique déontologique
kantienne et le sens du devoir pour analyser deux conflits majeurs menés au nom de la
protection, le conflit Syrien et le conflit Libyen. De cette analyse il en ressort qu’il est
nécessaire d’avoir une organisation supranationale ayant les moyens suffisant et la
coordination nécessaire pour assurer cette responsabilité de protéger). 65 Louis P. Pojman, Supra note 28 à la p 289. 66 Russ Shafer-Landau, Ethical Theory, Malden, Blackwell Publishing, 2007, à la p 663. 67 Alasdait Macintyre, « The Nature Of the Virtues », dans Louis P. Pojman, dir, Ethical
Theory Classical and Contemporary Readings, Belmont, Wadsworth Publishing Company,
1989, 320 aux pages 321 à 324. 68 John Mizzoni, Ethics the basics, Chichester, Wiley-Blackwell, 2010, à la p 32.
22
Nous venons donc de voir, dans leurs grandes lignes, les théories
éthiques majeures. Nous avons pu constater que, même si elles tentent d’être
aussi applicables que possible, elles ne resteront toujours que des théories et
que, de ce fait, elles doivent être vues plus comme des guides que comme des
vérités absolues. C’est pour cette raison qu’un autre domaine de l’éthique s’est
créé, l’éthique appliquée.
Deuxième Partie : La mise en pratique de l’éthique avec les
domaines de l’éthique appliquée concernés
Les théories éthiques que l’on vient de voir, également appelée la méta-
éthique, sont faites pour être des guides généraux. Pour ce qui est de confronter
éthique et réalité, il peut être plus judicieux de se tourner vers le domaine des
éthiques appliquées, expression relativement récente mais dont les
préoccupations sont anciennes69. Comme le souligne bien Michela Marzano,
l’éthique appliquée « ne saurait se réduire à une simple application des théories
morales préétablies à des objets différents »70. Autrement dit, l’éthique
appliquée ne se limite pas à confronter à la réalité les théories éthiques que
nous avons étudiées dans la partie précédente. C’est une discipline qui va
plutôt, comme nous l’avions évoqué dans l’introduction, relever de la
transdisciplinarité. Elle ne va pas hésiter à aller puiser des ressources dans
plusieurs domaines, théories éthiques et autres afin de venir apporter une
réponse à un problème spécifique dans un domaine bien spécifique, comme la
justice ou bien les affaires.
De ce fait, il n’existe pas seulement un domaine de l’éthique appliquée
mais bien une pluralité de domaines. L’un des plus connus est l’éthique
69 Michela Marzano, Supra note 6 aux pages 3 et 4. 70 Ibid à la p 4.
23
médicale. Les avocats sont confrontés également à leur domaine d’éthique
appliquée via les codes déontologiques professionnels notamment. Dans ce
travail, il sera également bien souvent question de bioéthique qui se trouve être
encore un autre domaine d’éthique appliquée et qui cherche à répondre aux
questions soulevées par les techniques de manipulation génétique et du vivant
en général.
Ici, nous ne verrons bien évidemment pas tous les domaines de l’éthique
appliquée, seulement ceux que nous estimerons utiles, ceux en lien avec notre
sujet. Notre objectif sera là de voir quelles sont les grandes valeurs et directions
qui se dégagent de ces différents domaines et d’observer s’il y a des valeurs
communes. De ce fait, nous verrons dans un premier temps les valeurs
soutenues dans la bioéthique (I) pour ensuite voir celles portées par l’éthique
des affaires (II).
I / Étude de la bioéthique et de ses valeurs
La bioéthique étant un sujet vaste, nous procéderons en deux temps. Tout
d’abord, nous identifierons ce qu’est la bioéthique et les sujets qu’elle recouvre
(1.), puis nous irons chercher les valeurs et normes de la bioéthique présentes
dans les systèmes que nous étudierons, le Canada, les Etats-Unis et l’Europe
(2.).
1. Définition et délimitation du champ de la bioéthique
La bioéthique est le domaine de l’éthique appliquée le plus intéressant
pour nous. En effet, beaucoup des affaires qui ont soulevé des questions
24
éthiques devant les tribunaux concernent les manipulations génétiques71. De
la même manière, en droit européen, les exclusions à la brevetabilité sont très
orientées vers les biotechnologies72. Ainsi, quand il est question de la place de
l’éthique dans le droit des brevets, le domaine en question se trouve bien
souvent être les biotechnologies, très probablement car elle interroge plus
aisément notre rapport au bien, notre morale étant donné qu’il s’agit de
manipuler le vivant.
La bioéthique recouvre plusieurs choses, l’éthique médicale73, mais
également, ce qui nous intéresse plus l’expérimentation, la manipulation
génétique, les brevets sur le vivant74. Ainsi, Guy Durand nous donne une liste
de thèmes inclus dans la bioéthique. Nous trouvons des thèmes qui sont
largement admis tels que l’expérimentation sur l’être humain, le génie génétique
mais aussi des thèmes plus connexes mais que des auteurs intègrent dans la
bioéthique comme les politiques de santé voire même « la recherche et le
développement des armements biologiques et chimiques, la guerre »75 ou bien
encore l’environnement. L’inclusion large de sujets nombreux semble
judicieuse étant donné que le terme “bioéthique“ est composé de deux parties,
bios signifiant vie et éthique qui est la réflexion philosophique sur la morale76.
Ainsi, tous les sujets qui vont toucher au vivant sont susceptibles d’être inclus
dans la bioéthique.
2. Identification des valeurs et normes de la bioéthique
71 Voir notamment Harvard Collège contre Canada, 2002 4 RCS 45, 2002 CSC 76 ;
Cellules de plantes, C-R OEB, T 0356/93, 1995. 72 La convention sur le brevet européen, 1973, art 53. 73 Michela Marzano, Supra note 6 aux pages 20 et 21. 74 Larousse, sub verbo <bioéthique>, en ligne <
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/bio%C3%A9thique/9412>. 75 Guy Durand, La Bioéthique, nature, principes, enjeux, Québec, Cerf.Fides, 1997 aux
pages 34 et 35. 76 Ibid à la p 11.
25
Plusieurs valeurs et objectifs sont portés par la bioéthique, notamment d’un
point de vue institutionnel. Notre étude portant sur le Canada (2.1.), les Etats-
Unis (2.2.) et l’Europe (2.3.), ce sera dans ces trois institutions que nous irons
identifier les valeurs de la bioéthique.
2.1. La bioéthique au Canada
Au Canada, plusieurs organismes traitant des questions bioéthiques
peuvent être identifiés. Le principal acteur est le ministère Santé Canada qui a
produit en 1997 des directives consolidées qui mettent en place des éléments
d’ordre éthique pour la recherche77 et qui désormais supervisent le Comité
d’éthique de la recherche (CER). Ce comité a produit un document “Énoncé de
politique des trois Conseils : Éthique de la recherche avec des êtres humains“.
On peut ainsi lire dans celui-ci que les lignes directrices sont le respect des
personnes, la préoccupation pour le bien-être et la justice78. Le respect des
personnes s’articulera grandement autour de la notion de l’autonomie des êtres
humains étant sujet de recherches. Le respect du principe de justice, de
manière classique, reviendra à traiter les personnes de manière juste et
équitable. Leur approche du bien-être est très globale, en effet, beaucoup de
facteurs sont pris en compte, non seulement la santé physique, mentale et
spirituelle, mais aussi beaucoup d’autres considérations. Nous pouvons ainsi
citer les conditions matérielles, l’emploi, la vie privée ou la sécurité de la
personne concernée et des personnes qui lui sont importantes. Cependant, là
où les objectifs de respect des personnes et de justice sont absolus, c’est-à-dire,
qu’ils ne doivent pas être transgressés, le bien être est une préoccupation. En
77 Guy Durand, Introduction générale à la bioéthique Histoire, Concepts et outils, Québec,
Fides.Cerf, 1999 à la p 483. 78 Canada, Groupe consultatif interorganisme en éthique de la recherche, Énoncé de
politique des trois Conseils : Éthique de la recherche avec des êtres humains, 2014,
Chapitre 1 B, en ligne < http://www.ger.ethique.gc.ca/fra/policy-
politique/initiatives/tcps2-eptc2/chapter1-chapitre1/#toc01-1>.
26
d’autres termes, ils doivent chercher le bien être, mais ce dernier sera
également mis en rapport avec les bénéfices potentiels de la recherche.
Un autre organisme intéressant est le Comité consultatif canadien de la
biotechnologie dont le rôle est de fournir « au gouvernement du Canada des
conseils et des avis détaillés sur les enjeux stratégiques associés aux aspects
suivants de la biotechnologie et de ses applications : la santé, l’éthique, la
société, la réglementation, l’économie, la science et l’environnement »79. Dans
son rapport adressé au comité de coordination ministériel de la biotechnologie,
le CCCB avait énoncé plusieurs principes et valeurs qui guidaient son travail,
ces valeurs sont la justice, l’imputabilité, l’autonomie, la bienfaisance, le
respect de la diversité, la connaissance et la prudence80.
Enfin, la dernière source de valeurs qu’il semble intéressant de citer n’est
pas d’origine gouvernementale, mais d’origine privée. En effet, BIOTECanada,
une association de plusieurs entreprises du domaine des biotechnologies s’est
dotée d’une déclaration de principes pour l’industrie de la biotechnologie. Ainsi,
parmi les principes il est possible de citer la recherche du profit de l’humanité,
la protection de la santé, de la sécurité et de l’environnement ou bien encore la
préservation de la diversité biologique81.
2.2. La bioéthique aux Etats-Unis
79 Canada, Comité consultatif canadien de la biotechnologie, Rapport annuel 2006, 2006,
à la p 3, en ligne < http://publications.gc.ca/collections/collection_2007/cbac-
cccb/Iu195-2006F.pdf>. 80 Canada, Comité consultatif canadien de la biotechnologie, BREVETABILITÉ DES
FORMES DE VIE SUPÉRIEURES ET ENJEUX CONNEXES Rapport adressé au Comité de
coordination ministériel de la biotechnologie Gouvernement du Canada, 2002, à la p 48, en
ligne < http://publications.gc.ca/collections/Collection/C2-598-2001-2F.pdf>. 81 « Déclaration de principes de l’industrie de la biotechnologie », 15 novembre 2018, en
ligne < http://www.biotech.ca/fr/a-propos/normes/declaration-de-principes-de-
lindustrie-de-la-biotechnologie/>.
27
Les sources de bioéthique aux Etats-Unis sont très nombreuses, aussi, nous
ne pourrons toutes les citer. Malgré cela, bien que les sources soient multiples,
les valeurs qui se dégagent de ses sources sont sensiblement les mêmes82. On
retrouve ainsi dans le domaine médical les principes d’autonomie, de
bienfaisance et de justice83.
Malgré la profusion de sources aux Etats-Unis sur la bioéthique, les
principes éthiques dégagés par ses sources sont finalement redondants et
majoritairement centrés sur la manière de traiter l’humain dans
l’expérimentation ou bien dans les soins et se limitent donc aux principes
d’autonomie, de bienfaisance et de justice84. Ainsi, dans son article sur le
malaise de la bioéthique aux États Unis, Warren T. Reich analyse comment la
bioéthique a énormément perdu en intérêt en se restreignant au seul domaine
de l’éthique médicale. Il y déplore également une perte de réflexion dans le
domaine face à toutes les avancées de la technologie qui éclipsent la réflexion
bioéthique85.
2.3. La bioéthique en France
En France, en 1994, sont adoptées les premières lois bioéthiques. La toute
première loi adoptée, la loi du 1er juillet 1994 n’est que peu intéressante pour
nous car étant destinée au traitement des « données nominatives ayant pour
82 Guy Durand, Supra note 77 aux pages à 482. 83 Ibid à la p 479. 84 Jeremy R. Garrett, Fabrice Jotterand et D. Christophe Raltson, The development of
Bioethics in the United States, New York, Springer, 2013, à la p 6. 85 Warren T. Reich « A Corrective for Bioethical Malaise : Revisiting the Cultural
Influences that Shaped the Identity of Bioethics », dans Jeremy R. Garrett, Fabrice
Jotterand et D. Christophe Raltson, The development of Bioethics in the United States, New
York, Springer, 2013,aux pages 79 à 82.
28
fin la recherche dans le domaine de la santé »86. En revanche les deux lois du
29 juillet 1994 viennent apporter des éléments intéressants. Ainsi, nous
pouvons retrouver dans ces deux lois des valeurs telles que le respect de l’être
humain et de son corps soit notamment son inviolabilité et l’impossibilité de le
monnayer87. D’autres valeurs sont mises en avant comme le consentement de
la personne, mais celles-ci nous intéressent moins dans le cadre de ce travail.
Les diverses modifications des lois bioéthiques intervenant en 2004, 2011, 2013
et 2014 vont continuer à porter les mêmes valeurs. La future loi bioéthique qui
devrait arriver dans l’année 2019 pourrait amener des développements
intéressants, notamment sur la question de l’intelligence artificielle dans le
traitement des données médicales. En effet, en lisant le rapport … on peut y
voir une hésitation entre deux valeurs. D’une part la vie privée par la protection
des données et d’autre part l’innovation permettant une meilleure santé pour
les citoyens : « Ces développements ne doivent pas masquer l’intérêt que
représentant la collecte et le traitement des données de santé dans l’accès à
l’innovation. A trop vouloir protéger, nous nous empêcherions de découvrir des
applications très utiles à la santé de nos concitoyens. »88. Nous pourrions donc
assister à un débat intéressant mettant en opposition deux valeurs dans le
cadre de cette future loi.
La France faisant partie du Conseil de l’Europe, il est également intéressant
de se tourner vers ce dernier. Il convient tout de suite de noter l’existence du
Comité directeur pour la bioéthique qui fut créé en 1985. Ce comité a
notamment élaboré la Convention pour la protection des droits de l'homme et
de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la
86 Loi n° 94-548 du 1er juillet 1994 relative au traitement de données nominatives ayant
pour fin la rechercher dans le domaine de la santé et modifiant la loi n0 78-17 du 6 janvier
1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, 1994, art 40-1. 87 Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, 1994, art 16-1 et
Loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du
corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, 1994, art
L. 665-13. 88 Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du Règlements par la
mission d’information sur la révision de la loi relative à la bioéthique, 15 janvier 2019,
Assemblée Nationale, à la p 151, en ligne < http://k6.re/lwnjT >.
29
médecine. De cette convention nous pouvons tirer plusieurs enseignements,
notamment que « les progrès de la biologie et de la médecine doivent être utilisés
pour le bénéfice des générations présentes et futures »89. On peut également
noter l’objectif de « garantir la dignité de l'être humain et les droits et libertés
fondamentaux de la personne »90. Fait intéressant, nous noterons également
l’intérêt supérieur de l’humain par rapport à la société91. Nous y retrouvons
également les notions classiques de l’éthique médicale telles que le
consentement et l’égalité.
Cependant, comme pour les Etats-Unis, les sources de bioéthique
institutionnalisée sont principalement limitées à l’éthique médicale92.
Cependant, malgré cela, les principes que nous venons de voir peuvent
s’appliquer assez largement.
2.4. Les sources de bioéthique internationale
C’est en droit international que l’on trouve probablement la source de
bioéthique la plus intéressante avec la Déclaration Universelle sur la Bioéthique
et les Droits de l’Homme qui a été adoptée par l’UNESCO et développée par le
Comité international de bioéthique. Cette déclaration fut adoptée en 2005.
Ce qui rend cette déclaration tout particulièrement intéressante est le fait
qu’elle ne se limite pas à la l’éthique médicale, elle a une approche de la
bioéthique bien plus complète et globale. Ainsi, dans le préambule de la
déclaration il est reconnu qu’il n’est pas question que de l’humain dans le
89 Conseil de l’Europe, CDBI, Convention pour la protection des droits de l'homme et de la
dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, 1996, à
la p 2. 90 Ibid. 91 Ibid article 2. 92 Brigitte Feuillet-Le-Mintier, Normes nationales et internationales en bioéthique, revue
française des affaires sociales, en ligne < https://www.cairn.info/revue-francaise-des-
affaires-sociales-2002-3-page-15.htm>.
30
domaine de la bioéthique mais de la biosphère dans sa globalité et que nous
avons un rôle dans sa protection93.
Bien évidemment, encore une fois, les principes d’autonomie, de
consentement, de recherche du bien et de justice sont mis en avant. Nous
noterons également à l’article 12 la mention du respect de la diversité culturelle
et du pluralisme94. Les articles 15, 16 et 17 sont également très intéressants
car ils mettent en avant respectivement la nécessité du partage des bienfaits de
la recherche, de la protection des générations futures et de la protection de
l’environnement, de la biosphère et de la biodiversité.
Il existe bien évidemment d’autres sources de bioéthique en droit
international, cependant, du fait de la visée large de la DUBDH, nous ne
retiendrons que celle-ci.
II / L’éthique des affaires, le développement de la notion d’intérêt général et de la
responsabilité sociétale
Dans ce travail nous cherchons à déterminer quelle est la place de
l’éthique dans le droit des brevets. Cependant, comme nous l’avons déjà
souligné dans l’introduction, l’éthique est une notion floue, nous avons
d’ailleurs déjà pu observer qu’elle pouvait avoir plusieurs significations.
Notre objectif dans cette partie est donc de chercher à identifier les
normes éthiques en lien avec le droit des brevets. Or, les brevets sont
majoritairement détenus par des entreprises, en effet, en 2016, 71,8% des
brevets octroyés au Québec ont été octroyés à une entreprise95. De ce fait, il
93 Déclaration Universelle sur la Bioéthique et les Droits de l’Homme, 19 octobre 2005. 94 Ibid article 12. 95 Québec, Institut de la statistique du Québec, Les brevets d’invention en 2016, par
Geneviève Renaud, mai 2018, en ligne <
http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/science-technologie-innovation/bulletins/sti-
bref-201805-2.pdf>.
31
semble judicieux de s’intéresser aux normes et réflexions éthiques entourant
l’entreprise et le monde des affaires.
L’éthique des affaires est une réflexion qui est apparue sensiblement à la
même période que les bioéthiques96. Ce domaine d’étude va, entre autres, viser
à répondre aux questions de gestion courante de l’entreprise telles que le
licenciement, les alliances, la stratégie de l’entreprise. Cependant, chose plus
intéressante pour nous, elle va aussi viser à s’interroger sur le rôle social que
peut jouer l’entreprise avec notamment les réflexions autour de la
responsabilité sociale des entreprises.
La responsabilité sociale des entreprises peut être définie comme :
l’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes. Être socialement responsable signifie non seulement satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables, mais aussi aller au-delà et investir “davantage“ dans le capital humain, l’environnement et les relations avec les parties prenantes97
Parmi les valeurs portées par la RSE nous pouvons ainsi citer le développement
durable et la préservation de l’environnement.
Les approches de la RSE varient cependant suivant les endroits, bien que
l’idée soit toujours la même, les entreprises ont une responsabilité vis-à-vis de
la société du fait de leur impact. Ainsi, d’un point de vue international il peut
être intéressant de se pencher sur les Principes Directeurs Relatifs aux
Entreprises et aux Droits de l’Homme des Nations Unies98. Dans ce dernier on
peut voir en effet que l’accent est mis sur l’implication des entreprises pour le
96 George G. Brenkert et Tom L. Beauchamp, The Oxford Handbook of Business Ethics,
Oxford, Oxford University Press, 2010 à la p 3. 97 Commission Européenne, 3ème Communication sur la RSE, [2011], en ligne
<https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:52001DC0366>. 98 Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme-Mise en œuvre du
cadre de référence « protéger, respecter et réparer » des Nations Unies, 2011, en ligne <
https://www.ohchr.org/documents/publications/guidingprinciplesbusinesshr_fr.pdf>.
32
respect des Droits de l’Homme. Les entreprises doivent s’assurer de ne pas
contrevenir aux droits de la personne par leurs activités, et si cela devait arriver,
il est de leur responsabilité de corriger leurs erreurs.
La RSE peut aussi s’adresser à la question des nouvelles technologies et
de leurs potentiels dangers99. En effet, les entreprises de nouvelles
technologiques développent des innovations qui peuvent présenter des risques,
que ce soit les intelligences artificielles, les nanotechnologies, les interfaces
humains-machines… Ces technologies présentent des risques non seulement
pour la vie privée mais aussi d’autres Droits de l’Homme comme la sécurité.
L’entreprise doit alors savoir prendre du recul et ne pas mener une course à
l’invention et à la découverte au détriment des préoccupations sociétales.
Dans cette partie nous avons pu voir ce qu’est l’éthique, tant d’un point
de vue théorique que d’un point de vue plus pratique. Ainsi, la notion d’éthique
est une notion changeante qui peut amener à prendre des décisions différentes
pour une même situation suivant la doctrine éthique que l’on choisit de suivre.
De plus, la méta éthique, soit l’approche théorique de l’éthique doit plutôt être
prise comme un guide général que comme un véritable code de conduite du fait
de sa difficulté à s’adapter aux situations spécifiques. C’est à ce moment
qu’entrent en jeux les domaines de l’éthique appliquée qui sont plutôt destinés
à apporter des réponses à des questions dans des domaines précis. Cependant,
même dans le cas de l’éthique appliquée, nous pouvons constater que ce sont
surtout des déclarations et des préceptes généraux qui se dégagent et non pas
des normes spécifiques.
Désormais, en ayant posé ces bases sur l’éthique et ce qu’elle est, nous
allons étudier le droit des brevets et voir comment il intègre ou n’intègre pas
ces réflexions éthiques.
99 William C. Frederick, Corporation, Be Good! The Story of Corporate Social Responsibility,
Indianapolis, Dogear Publishing, 2006, aux pages 281 à 293.
33
34
Chapitre 1 : L’éthique partie intégrante du droit des
brevets depuis sa création
Dans ce chapitre nous verrons les origines du droit des brevets et
surtout, la place qui était accordée à l’éthique dans ce droit des brevets. Nous
chercherons également à déterminer à quelle théorie éthique le droit des brevets
se rattachait le plus, et à quelles valeurs il répondait.
Pour ce faire, nous procéderons en deux parties. Dans un premier temps,
nous chercherons tout d’abord à réaliser une rapide exploration des origines
profondes du droit des brevets en nous intéressant aux origines de la propriété
intellectuelle, de ses premières occurrences à son évolution plus moderne
(Première Partie). Dans une deuxième partie nous verrons la place qui était
accordée à l’éthique lors de la création du système moderne des brevets tel que
nous le connaissons aujourd’hui (Deuxième Partie). Nous nous situerons alors
dans une période allant du 18ème siècle à la première moitié du 20ème siècle.
Première Partie : La propriété intellectuelle, un outil au service de l’innovation dès
ses débuts
Dans cette partie, nous ne chercherons pas à retracer précisément les
premières apparitions de la propriété intellectuelle. Nous verrons ici l’évolution
de la dimension éthique dans la propriété intellectuelle depuis les premières
apparitions assimilables à la propriété intellectuelle aux premières
institutionnalisations qui ont posés les bases de nos brevets modernes. Le but,
en faisant cela, sera de déterminer la place qui était accordée à l’éthique lors de
la création du concept de propriété intellectuelle mais surtout de voir les
évolutions qu’il y a eu dans ces périodes.
35
I / De l’antiquité au Moyen-Âge, la quasi-inexistence de la propriété intellectuelle
1. La Grèce et son refus de quasiment tout droit sur les créations de l’esprit
1.1. Le refus de tout droit de propriété sur les créations en Grèce
Dans l’antiquité, et notamment dans la Grèce antique, la notion de
propriété intellectuelle n’existait pas. En effet, si une personne créait une
œuvre, un objet ou quoi que ce soit en échange d’un paiement ou simplement
pour l’offrir à quelqu’un, alors il n’était pas vu comme un humain libre mais
comme se mettant au service de la personne qui le payait ou bien à qui il offrait
la prestation100. Ainsi, une personne souhaitant tirer profit de son activité
créatrice en offrant ses services à une autre était vue comme inférieure, ce qui
a empêché l’essor de l’idée d’une propriété sur une création immatérielle. Une
autre raison expliquant l’absence de propriété intellectuelle est le fait que
l’origine de l’œuvre n’est pas attribuée à un être humain. Ainsi, que ce soit dans
le cas du poète ou bien du philosophe qui ne se contente que de déclamer la
vérité101 ou bien l’origine divine des créations102, l’humain n’invente rien.
Cependant, en plus de ne rien inventer, Aristote précise bien que dans le cas
où une innovation surviendrait, ce dont il reconnait la possibilité, il n’est malgré
tout pas souhaitable d’attribuer une récompense pour celle-ci103. Pour lui,
accorder un tel droit amènerait à une « commotion politique »104. Ainsi, s’il
défend l’absence de propriété intellectuelle c’est pour la paix de la cité. De ce
fait, bien qu’en l’espèce il n’y ait pas de propriété intellectuelle, l’éthique qui
pourrait justifier son raisonnement pourrait être l’éthique utilitariste. En effet,
ce qui est recherché, c’est le bien tiré de la conséquence de son action et
100 Buydens, supra note 7 aux pages 10 à 28. 101 Ibid à la p 21. 102 Ibid aux pages 28 à 35. 103 Ibid aux pages 27 et 28. 104 Ibid à la p 28.
36
l’objectif final de cette action est la stabilité, éviter le chaos, soit, en un sens,
privilégier le bien être.
1.2. L’exception en Grèce avec Sybaris, l’incitation à l’inventivité par la protection
de l’invention
Cependant, malgré ce que nous venons de voir, il existe une exception
isolée. En effet, il a été trouvé un exemple de propriété intellectuelle dans
l’antiquité. Dans la cité de Sybaris, au VIIème ou VIème siècle avant Jésus-Christ,
il a été trouvé l’existence d’une protection, d’un monopole d’un an, accordé aux
inventeurs d’une recette originale. La fin du texte établissant ce droit de
propriété intellectuelle est très intéressante, en effet le droit est accordé « dans
le but que les autres s’appliquent eux aussi, se distinguent par des inventions
de ce genre »105. Ainsi, si ici, un droit de propriété intellectuelle est accordé à
l’inventeur, la première raison n’est pas de récompenser l’inventeur, de
rechercher son profit, mais plutôt d’inciter les autres personnes à faire de
même. Là encore, nous avons un raisonnement qui se rapproche de
l’utilitarisme dans le sens où ce qui est cherché c’est la finalité, la conséquence
de la décision, de la mesure. Malheureusement, il n’est pas possible de
déterminer avec certitude pourquoi ce but était recherché, même s’il est
raisonnable de penser que ce qui était recherché était la multiplication des
plaisirs culinaires afin de maximiser le bien-être des citoyens.
105 Frédéric Pollaud-Dullian, Propriété Intellectuelle la Propriété Industrielle, Paris,
Economica, aux pages 89 et 90.
37
1.3. Rome et la légère évolution de la pensée
La période de Rome sera similaire à la Grèce. Les romains en effet auront
cette même vision rabaissée de l’artisan et de ses créations. Les créateurs des
inventions ne se verront attribuer aucun droit, et ce sera au contraire l’acheteur
qui sera propriétaire106. En plus de cela, les romains auront une position très
en retrait vis-à-vis de l’innovation107. De ce fait, là non plus, la propriété
intellectuelle sera absente.
Seule la propriété littéraire fera exception à la règle, cependant, nous ne
nous intéresserons pas à cela ici108.
Le moyen-âge se caractérisant avant tout par une régression de la
propriété intellectuelle, nous ne nous attarderons pas dessus et passerons
directement à la Renaissance109.
II / L’apparition progressive de la propriété intellectuelle du XIVème siècle au
XVIIIème siècle, l’importance de l’utilitarisme nationaliste dans la délivrance du
brevet
La propriété intellectuelle industrielle va commencer à apparaitre
réellement pendant le XIVème siècle avec l’apparition des privilèges. Ces derniers
seront plus intéressants à étudier car nous disposons de plus d’informations
sur eux. Les privilèges qui étaient accordés étaient finalement assez rares et ce
106 Buydens, supra note 7 à la p 40. 107 Ibid aux pages 42 à 44. 108 Ibid aux pages 44 à 55 (pour les personnes souhaitant s’intéresser à la question de
l’apparition de la propriété littéraire). 109 Voir notamment Salvatore Di Palma, L’émergence de la propriété intellectuelle, Paris,
Société des écrivains, aux pages 77 à 79
38
pour une bonne raison, les privilèges n’étaient accordés que si le souverain y
trouvait un intérêt, c’est-à-dire si l’invention avait un intérêt suffisant pour la
société110.
Cette accentuation mise sur l’intérêt de la société est très intéressante
car, là encore, nous pouvons remarquer que cette décision d’attribuer des
privilèges répond sensiblement à l’utilitarisme. En effet, l’accent n’est pas
réellement mis sur l’inventeur, preuve en est que pour recevoir un privilège il
n’était pas nécessaire d’être l’inventeur. L’objectif est d’amener des inventions
qui soient nouvelles ou bien qui soient issues de pays étrangers afin de servir
la société. Ainsi, nous pouvons citer l’exemple du Duc de Saxe qui en 1390
délivra une sorte de brevet pour fabriquer des moulins à eau servant à faire du
papier. Cette technique de fabrication du papier n’était pas nouvelle, mais,
conférer une protection dessus, permettait d’importer l’idée et de faire bénéficier
la société111.
A partir de maintenant, nous allons pouvoir chercher à déterminer quel
raisonnement éthique se retrouve dans les brevets. De ce fait, nous devons
préciser un détail concernant l’utilitarisme. En effet, nous l’avons vu dans notre
Chapitre introductif, l’utilitarisme a une composante hédoniste, il vise le
bonheur, et plus particulièrement la plus grande quantité de bonheur possible.
Ainsi, dans l’intérêt de notre analyse, nous allons considérer que l’innovation
et l’invention de nouvelles techniques contribuent au bonheur. En inventant de
nouvelles méthodes de fabrication ou de nouvelles machines, on réduit la
pénibilité du travail par exemple, ce qui contribue au bonheur des individus.
110 Ibid aux pages 122 à 127. 111 May et Sell, supra note 7 à la p 53.
39
1. La première institutionnalisation d’un système similaire aux brevets avec la Parte
Veneziana
Ce sera cependant en Italie, à Venise que vont vraiment naitre le brevet et
son institutionnalisation. Cette naissance sera permise par l’évolution de la
pensée vis-à-vis de l’innovation et du travail intellectuel porté par Calvin. Le
calvinisme va en effet permettre d’opérer un revirement profond sur la vision
portée sur le travail de l’artisan et l’activité inventive. En effet, cette pensée va
voir cela de manière positive car, l’innovation permet de servir les intérêts de la
société112. En parallèle, le puritanisme va aussi permettre d’apporter un
meilleur regard sur la question de la propriété intellectuelle en affirmant qu’il
est pleinement normal de retirer les fruits de son travail113.
Ainsi, en 1474 à Venise va naitre la Parte Veneziana. Pour la première
fois, un système similaire aux brevets modernes est officialisé et réglementé par
une loi. Avec ce décret, pour obtenir un brevet, trois conditions devaient être
remplies. En premier lieu, la nouveauté qui n’était pas entendue au même sens
que notre système moderne. Ainsi, pour qu’une invention soit nouvelle, il fallait
qu’elle soit inconnue du territoire de Venise. Peu importait qu’elle ait déjà été
développée ailleurs, tant qu’elle était nouvelle pour Venise, elle était susceptible
d’être protégée114. L’objectif était là encore d’attirer les inventions et le progrès
sur le territoire de Venise afin de lui permettre de se développer et que cela
serve les intérêts de la cité. Encore une fois, nous sommes là face à une éthique
utilitariste pour justifier la mesure. Cette protection est réservée aux seules
inventions techniques, c’est là la deuxième condition. Enfin, pour être protégée
cette invention technique doit être mise en pratique dans le sens où elle doit
être sous forme physique et non sous une simple forme théorique. En d’autres
termes, elle doit pouvoir être directement utilisable. Il y avait également une
112 Buydens, Supra note 7 aux pages 148 à 153. 113 Ibid aux pages 153 à 156. 114 May et Sell, supra note 7 à la p 58.
40
notion d’utilité de l’invention pour l’État dans cette mesure ce qui vient, là
aussi, renforcer l’origine utilitariste du brevet115.
2. L’équivalent anglais avec le Statute of Monopolies
L’Angleterre suivra elle aussi cette évolution et créera un système officiel de
brevet avec le Statute of Monopolies en 1624. Le processus qui va amener à la
création de ce texte, et le texte en lui-même, sont très intéressants et vont
permettre, encore une fois, de faire ressortir la justification utilitariste des
brevets. Les premiers monopoles techniques remonteraient aux environs des
années 1560, sous le règne d’Elisabeth I et la nomination de William Cecil
comme conseiller politique économique116. Les monopoles étaient accordés
pour attirer des inventions sur le territoire anglais afin que ces derniers servent
le royaume. Cependant, au cours de son règne Elisabeth I se mit à accorder des
monopoles en perdant de vue l’idée de l’intérêt commun117. Cet usage léger et
inapproprié de sa prérogative royale souleva des critiques et oppositions. Son
successeur Jacques Ier accède au trône en 1603 et adopte la même pratique
légère pour l’octroi de monopoles. Cette pratique porte atteinte à l’économie,
l’opposition gagne en importance, et ainsi, en 1624, lors de la convocation du
nouveau Parlement, sera adoptée le Statue of Monopolies. Dans ce texte, l’idée
de l’intérêt général s’est quelque peu diluée mais reste toujours présente. En
effet, dans son commentaire sur le Statue of Monopolies publié cinq ans après
ce dernier, Edward Coke identifie six conditions pour obtenir un brevet, parmi
celle-ci, citons que l’invention ne doit pas être contraire à la loi, que le brevet
ne doit pas être utilisé de manière malintentionnée afin d’augmenter les prix,
115 World Intellectual Property Organization, Introduction to Intellectual Property Theory
and Practice, Kluwer Law International, London, 1997. 116 Buydens, Supra note 7 à la p 228. 117 Ibid à la p 229.
41
qu’il ne doit pas porter préjudice au commerce et enfin, que de manière générale
son usage ne doit pas générer de gêne118.
Ainsi, bien que l’accent ne soit pas directement mis sur l’intérêt général,
comme cela était le cas à l’origine de l’attribution des monopoles en Angleterre,
il est malgré tout nécessaire que le brevet accordé soit utilisé d’une manière que
nous pourrions caractériser de juste. Il est compliqué d’affirmer ici que c’est
une justification utilitariste qui est derrière la création de ce texte. En effet,
contrairement aux autres exemples qui ont été étudiés jusqu’ici, il n’y a pas ici
de référence directe à l’intérêt général dans le texte119. Il semble plutôt que la
seule chose qui soit recherchée ici soit la récompense de l’inventeur, son profit.
Ainsi, ce ne serait peut-être pas une éthique utilitariste qui justifierait le brevet
mais plutôt une éthique égoïste. En revanche, l’utilitarisme n’a pas non plus
totalement disparu étant donné que l’exploitation du brevet par l’inventeur ne
doit pas nuire à la société.
3. L’apparition progressive d’une institutionnalisation des privilèges en France
3.1. La place prédominante de l’intérêt du Royaume dans la pratique des
privilèges
La France va également utiliser la concession de monopoles afin de servir
les intérêts du royaume. Ainsi, au XVIème siècle un monopole fut accordé à
Theses Mutio pour une technique de verre vénitien qu’il n’avait pas inventée
mais simplement importé en France120. Il est intéressant de remarquer que la
pratique de la délivrance des monopoles diffère de celle de l’Angleterre dans le
sens ou très rapidement, le seul critère pour accorder ces monopoles était
118 May et Sell, supra note 7 à la p 83. 119 Voir May et Sell, supra note 7 à la page 83 (la section 6 du Statue of Monopolies qui
dispose des conditions pour obtenir un brevet se trouve ici). 120 Buydens, Supra note 7 à la p 243.
42
l’intérêt du royaume. Si’l était intéressant pour le royaume d’accorder un
monopole, alors celui-ci était accordé que l’invention ait demandé un lourd
investissement ou pas, que le demandeur soit l’inventeur original ou non121. Si
nous reprenons l’exemple de Theses Mutio et de son verre vénitien, si nous
nous référons au texte qui lui délivre son privilège122, il est en effet évident que
la raison principale fondant la délivrance du privilège est l’intérêt pour la nation
d’une telle mesure :
Sçavoir faisons que nous très-bien advertis des causes qui auroient meu
ledit Mution se transporter en nostredit royaume pour y œuvrer et faire lesdits verres, myrouers, canons et autres espèces de verrerie à ladite façon de Venise, et l’honneste et utile commodité qu’en advient à nostre république. Voulons à cette cause, lui bailler moyen de se rembourser et
récompenser desdits frais et mises.123
Dans ce texte, nous trouvons également une autre raison, qui fonde la
délivrance du privilège. En effet, dans la première partie, nous pouvons voir
qu’il est fait état des frais et investissements que Monsieur Mutio a dû mettre
en œuvre pour créer ces œuvres. En venant en France, il a perdu tous ses
outils, fourneaux et autres éléments essentiels à la création de ses œuvres.
Cependant, bien qu’il soit pris acte de ces faits, à eux seuls, ils ne suffisent pas
à justifier la délivrance du privilège. C’est aussi parce que cela sert les intérêts
de la nation, de la république dans le texte, que le brevet lui est délivré.
Nous avions ainsi, encore une fois, une mesure qui était réalisée non pas
dans la rechercher de l’intérêt du breveté mais dans l’intérêt de la nation. De
ce fait, là aussi, il est possible d’affirmer que c’est un fondement utilitariste qui
se trouve à la base de ces monopoles.
121 Ibid aux pages 243 à 245. 122 Isambert, Decrusy et Armet, Recueil Général des Anciennes Lois Françaises, Depuis
l’an 420, jusqu’à la révolution de 1789, 1828, t 13, Paris, Belin-Leprieur et Verdière, aux
pages 184 à 185. 123 Ibid à la p 185.
43
Ce fondement utilitariste est tout particulièrement visible dans le cas du
privilège accordé à Blaise Pascal pour sa machine à calculer124. Ce privilège est
tout particulièrement intéressant à étudier car il met en avant trois raisons
utilitaristes pour justifier la délivrance du privilège et ce sont avant tout ces
trois raisons qui justifient la délivrance du privilège. La première raison que
nous pouvons qualifier d’utilitariste est classique, le privilège est délivré car il
est reconnu que l’invention présente un intérêt fort pour la société125. La
deuxième raison est d’inciter M. Pascal à diffuser son invention, son
fonctionnement ainsi que toutes ses futures innovations « pour l’exciter d’en
communiquer de plus en plus les fruits à nos sujets »126, l’idée derrière est de
l’encourager à inventer de nouveau et surtout de communiquer les futures
améliorations sur son invention, en effet, il avait été souligné dans cette
décision que son invention coutait cher du fait de sa complexité et que sa
simplification amènerait une baisse du prix. Enfin, la troisième raison qui
amène à la délivrance de ce privilège est d’empêcher l’apparition de contrefaçon
de piètre qualité sur le marché. Cette calculatrice est très élaborée, avec des
rouages extrêmement précis. Le risque serait alors que des personnes
cherchent à l’imiter mais soient incapables d’en reproduire la très grande
précision et produisent ainsi des calculatrices qui produiraient des résultats
faux. Ainsi, en délivrant ce privilège, là encore, ce qui est recherché c’est l’intérêt
supérieur de la population. En effet, si des calculatrices faillible, imparfaites,
produisant des résultats erronés étaient en circulation, ce serait la société qui
pourrait en pâtir.
124 « Privilège pour la machine arithmétique de M. Pascal », en ligne : Wikisource
<https://fr.wikisource.org/wiki/Privil%C3%A8ge_pour_la_machine_arithm%C3%A9tique_
de_M._Pascal>. 125 Ibid « construction d’un modele achevé qui a été reconnu infaillible par les plus doctes
mathematiciens de ce temps, qui l’ont universellement honoré de leur approbation et
estimé tres-utile au public » et « egard au notable soulagement que cette machine doit
apporter à ceux qui ont de grands calculs à faire, et à raison de l’excellence de cette
invention ». 126 Ibid.
44
3.2. La naissance de l’institutionnalisation des privilèges en France, la
persistance de l’intérêt supérieur de la nation
C’est en 1762 que la France va se doter d’un texte officiel qui viendra
encadrer et règlementer le système des privilèges, brevets et autres titres
similaires. La Déclaration concernant les privilèges en fait de commerce adoptée
le 24 décembre 1762 a été adoptée afin de répondre aux critiques adressées
aux privilèges face au principe de libre concurrence et de l’idéologie libérale qui
gagne en importance127. Ce texte se concentrera ainsi en majorité sur la période
de délivrance de la protection et s’efforce à établir un équilibre entre la
protection de l’invention et le libéralisme. Malgré cela, l’utilitarisme est toujours
présent. Ainsi, le préambule de cette déclaration met en avant l’intérêt
supérieur du public.
Le défaut d’exercice de ces privilèges peut avoir aussi d’autant plus d’inconvénients qu’ils gènent la liberté sans fournir au public les ressources qu’il doit en attendre; enfin le défaut de publicité des titres du privilège donne souvent lieu au privilégié de l’étendre et de gêner abusivement l’industrie et le travail de nos sujets128.
Le pouvoir royal prend ainsi acte des faiblesses des privilèges qu’ils
accordent et agit en conséquence en gardant toujours comme objectif premier
que le système doit viser à servir l’intérêt public en premier lieu. L’article de la
déclaration est d’ailleurs très révélateur de cette philosophie. « Tous les
privilèges dont les concessionnaires ont inutilement tenté le succès, ou dont ils
auront négligé l’usage et l’exercice pendant le cours d’une année, ainsi que les
arrêts et lettres patentes, brevets et autres titres constitutifs privilèges, seront
et demeureront nuls et révoqués »129. Par cet article, il est ainsi disposé que si
le titulaire de la protection ne fait pas usage de celle-ci ou bien n’arrive pas en
127 Alain Beltran, Sophie Chauveau et Gabriel Galvez-Behar, Des brevets et des marques
Une histoire de la propriété industrielle, Paris, Fayard, 2001, à la p 26. 128 Isambert, Decrusy et Taillandier, Recueil Général des Anciennes Lois Françaises,
Depuis l’an 420, jusqu’à la révolution de 1789, 1828, t 22, Paris, Belin-Leprieur et
Verdière, à la p 387. 129 Ibid à la p 388.
45
tirer des bénéfices, il est possible de lui retirer son bénéfice. Bien que cette
disposition puisse sembler très dure pour le titulaire du brevet, surtout si on
prend en compte qu’il suffit d’une seule année sans en tirer des bénéfices ou
sans l’exploiter pour se faire retirer son privilège, elle reflète l’importance
primordiale de la pensée utilitariste. Cet article est en effet l’illustration parfaite
du fait que ce n’est pas l’intérêt de l’inventeur qui est recherché mais celui de
la société. Si l’inventeur est incapable d’utiliser son privilège pour apporter un
bénéfice à la société, alors ce privilège lui est retiré. C’est une mesure finaliste,
qui va chercher à produire un résultat, l’intérêt du plus grand nombre au
détriment de l’intérêt de l’inventeur. Dans cette mesure l’utilitarisme est très
présent. Si on s’arrête à la mesure en elle-même, elle est très critiquable d’un
point de vue éthique, mais si on se penche sur les effets recherchés, alors elle
prend tout son sens.
Tout au long de cette partie, il y a un autre élément qui a dénoté de la
présence de l’utilitarisme dans le droit des brevets, la limitation dans le temps
de la propriété. En effet, si on s’en tenait à une pure réflexion de la propriété
naturelle, il n’y aurait aucune raison que le droit de propriété soit limité dans
le temps. C’est pour une raison utilitariste que cette propriété est limitée dans
le temps, que ce soit pour cinq, dix ou quinze ans. Le but est que l’invention
tombe dans le domaine public et que tout le monde puisse en user. Ce
raisonnement prendra encore plus d’importance par la suite avec la disparition
des privilèges royaux et l’institutionnalisation des brevets.
Après avoir vu les origines du système des brevets tant dans le droit
anglais que dans le droit français, nous allons voir comment ce système s’est
réellement institutionnalisé et transformé en ce que nous connaissons
aujourd’hui.
46
Deuxième Partie : Le droit des brevets de sa création à la
Première moitié du 20ème siècle
I / Les textes de base des droits de brevets canadien, français et états-uniens
Le Canada n’étant devenu un État que relativement tardivement par
rapport à la France et les États-Unis, dans un premier temps, nous
n’étudierons que ces deux pays.
1. Système américain et système français, opposition sur l’origine du droit de
propriété intellectuelle sur l’invention
Avec la Révolution française, le raisonnement sur le droit de propriété
intellectuelle sur un brevet va évoluer dans le sens de la Déclaration des Droits
de l’Homme et du Citoyen. Désormais la protection sur l’invention ne sera plus
dénommée un privilège car ce mot rappelle trop fortement l’ancien régime. La
modification n’est pas limitée seulement au mot mais aussi à l’idée qui est
derrière. Là où auparavant la protection était une concession du roi, de l’État à
l’inventeur, désormais et dans le respect de la ligne de pensée de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen, c’est une propriété naturelle que l’inventeur
a sur son invention
L’assemblée nationale, considérant que toute idée nouvelle dont la manifestation ou le développement peut devenir utile à la société, appartient primitivement à celui qui l’a conçue et que ce serait attaquer les droits de l’homme dans leur essence, que de ne pas regarder une découverte industrielle comme la propriété de son auteur…130
130 M. Lepec et al, Recueil Général des Lois, Décrets, Ordonnances, etc. Depuis le mois de
Juin 1789 jusqu’au mois d’Août 1830, 1839, Tome Premier, Paris, Administration du
Journal des Notaires, à la p 472.
47
Cette modification qui peut sembler sans importance marque pourtant un
changement important sur la manière d’appréhender le brevet. En effet,
désormais le brevet perd son statut de droit conféré par l’État, c’est un droit de
propriété naturel que l’inventeur possède sur son invention et l’État n’a que
pour rôle d’acter cette propriété et de la protéger.
Pour ce qui est des États-Unis en revanche, et bien que cela puisse
paraitre surprenant en raison de leur position vis-à-vis de la propriété, la
propriété intellectuelle et le brevet ne seront pas vus comme un droit naturel,
mais comme un droit concédé par la société à l’inventeur. C’est par le premier
Patent Act de 1790 que les États-Unis, à la suite de leur déclaration
d’indépendance, vont se doter d’un système de brevet unifié. Cependant, cette
différence d’approche par rapport à la France, ne se trouve pas dans le texte.
Pour la trouver, il faut se tourner vers Thomas Jefferson, l’une des trois
personnes qui examinaient les demandes de brevet qui avait ainsi écrit
les inventions ne peuvent être par nature un objet de propriété. La société peut concéder un droit exclusif sur les fruits qui en résultent, pour encourager les hommes dans la recherche d’idées pouvant être de quelque utilité, mais que la société concède ou non un tel droit dépend de son bon vouloir, sans que quiconque puisse revendiquer ou s’en plaindre […] celui qui reçoit de moi une idée, reçoit un savoir sans affaiblir le mien ; comme celui qui allume sa chandelle à la mienne reçoit la lumière sans atténuer la mienne131.
131 Alain Beltran, Sophie Chauveau et Gabriel Galvez-Behar, Supra note 126 aux p 49 et
50.
48
2. La place de l’utilitarisme dans la loi Française et États-Unienne
2.1. Dans les textes d’origine de 1790 et 1791
Malgré la modification vue précédemment en droit français avec le
changement de vision sur le droit de propriété intellectuelle qui est vu comme
un droit naturel, l’éthique utilitariste reste bien présente dans le droit des
brevets. En effet, dès le préambule du Décret relatif aux auteurs de découvertes
utiles, il est rappelé qu’il est aussi de l’intérêt de l’État et de la société de délivrer
un brevet.
Considérant en même temps combien le défaut d’une déclaration positive et authentique de cette vérité peut avoir contribué jusqu’à présent à décourager l’industrie française, en occasionnant l’émigration de plusieurs artistes distingués, et en faisant passer à l’étranger un grand nombre d’inventions nouvelles, dont cet empire aurait dû tirer les premiers avantages132
Il n’y a pas un simple rappel de l’utilitarisme dans le préambule. En effet,
parmi les articles on en retrouve également plusieurs qui répondent à une
éthique utilitariste. Ainsi, l’article 3, en disposant que l’importateur d’une
invention étrangère pourra bénéficier de la même protection que s’il en était
l’inventeur, « Quiconque apportera le premier en France une découverte
étrangère jouira des mêmes avantages que s’il en était l’inventeur »133, réalise
clairement une entorse aux principes de propriété des droits de la personne
énoncé dans le préambule, au nom de l’intérêt national, on peut donc dire ici
que nous sommes face à un utilitarisme national, ce qui est recherché c’est
l’intérêt de l’État français. Le raisonnement utilitariste se limite aux frontières
françaises.
132 Ibid. 133 Décret relatif aux auteurs de découvertes utiles, dans Recueil général des lois, décrets,
ordonnances, etc, Depuis le mois de juin 1789 jusqu’au mois d’août 1830, à la p 473, en
ligne <https://cutt.ly/CtRAV3>.
49
C’est cependant l’article 16 qui est le plus révélateur de la place toujours
importante accordée à l’utilitarisme dans la délivrance du brevet. Cet article
dispose de plusieurs exceptions qui privent un inventeur de son droit de
propriété sur son brevet.
1° Tout inventeur convaincu d’avoir, en donnant sa description, recélé ses moyens d’exécution, sera déchu de sa patente. – 2° Tout inventeur convaincu de s’être servi, dans sa fabrication, de moyens secrets qui n’auraient point été détaillés dans sa description, ou dont il n’aurait pas donné sa déclaration pour les faire ajouter à ceux énoncés dans sa description, sera déchu de sa patente. – 3° Tout inventeur ou se disant tel, qui sera convaincu d’avoir obtenu une patente pour des découvertes déjà consignées et décrites dans des ouvrages imprimés et publiés, sera déchu de sa patente. – 4° Tout inventeur qui, dans l’espace de deux à compter de sa patente, n’aura point mis sa découverte en activité, et qui n’aura point justifié les raisons de son inaction, sera déchu de sa patente. – 5° Tout inventeur qui, après avoir obtenu une patente en France, sera convaincu d’en avoir pris une pour le même objet en pays étranger, sera déchu de sa patente. – 6° Enfin, tout acquéreur du droit d’exercer une découverte énoncée dans une patente, sera soumis aux mêmes obligations que l’inventeur ; et s’il y contrevient, la patente sera révoquée, la découverte publiée, et l’usage en deviendra libre dans tout le royaume134.
Ainsi, pour citer les dispositions les plus marquées par l’utilitarisme, si un
inventeur venait à garder cacher des éléments de son invention, s’il ne mettait
pas à exécution son invention sous une durée de deux ans ou bien s’il allait,
après avoir protégé son invention en France, la protéger à l’étranger se voyait
retirer sa protection conférée par le brevet.
Ces dispositions sont la mise en pratique de l’utilitarisme, en effet, dans
le cas des éléments gardés cachés dans le brevet, si l’inventeur agi ainsi, alors
il ne permet pas de remplir l’effet qui est attendu du brevet, à savoir, la
transmission et la diffusion de la connaissance et du progrès de manière à
profiter à la société. Cela est d’ailleurs précisé dans le texte états-uniens135,
nous verrons cela un peu plus en détail dans la partie sur la jurisprudence et
la doctrine. En ce qui concerne l’absence de mise en application de l’invention,
134 Ibid à la p 476. 135 Voir note 135.
50
l’objectif par cette disposition est tout simplement de ne pas laisser une
invention, une revendication de propriété acceptée par l’État ne pas produire
de bénéfice à ce dernier. Bien que dans le préambule il soit précisé que cette
propriété intellectuelle soit un droit naturel, l’État doit malgré tout trouver un
intérêt à certifier cette propriété, « la loi veut une exploitation réelle et non un
simulacre d'exploitation; elle ne permet pas que le privilège accordé à
l'inventeur soit, entre ses mains, une concession stérile pour l'industrie, une
valeur perdue pour la société »136. Enfin, pour le dernier cas de déchéance du
brevet, l’objectif est tout simplement que l’invention ne s’échappe pas du pays
en étant brevetée ailleurs. En empêchant l’invention d’être brevetée ailleurs
qu’en France, et en limitant de ce fait le droit de propriété, l’objectif est d’inciter,
voire de forcer l’inventeur à mettre en application son invention en France.
Le premier Patent Act des États-Unis n’est pas non plus en reste vis-à-
vis de la place de l’utilitarisme. On retrouve d’ailleurs des éléments similaires
au texte français. Ainsi, même si le texte ne précise pas directement que le
système des brevets est là dans l’intérêt de la société et de l’État, on peut voir à
l’article 6 que s’il est démontré que le détenteur du brevet cache des
informations sur l’invention ou bien en rajoute de manière à tromper le public
afin de garder une partie de son invention secrète, il est possible de lui retirer
le brevet137, en effet, l’objectif est que le public ait « l’entier bénéfice [de
l’invention ndlr] après l’expiration du brevet »138.
Le texte américain cependant diffère de la vision française sur la question
de l’importation d’une invention étrangère. En effet, là où la France permettait
de faire breveter une invention issue de l’étranger, même si on n’en était pas
l’inventeur, et ce dans une optique utilitariste, les États-Unis ont choisi de ne
pas accorder cette possibilité. Par l’article 5, il est en effet possible de faire
136 Etienne Blanc, L’inventeur breveté Code des inventions et des perfectionnements, 1845
Paris, Cosse et Delamotte et Joubert, Libraire, à la p 39. 137 The Patent Act of 1790, en ligne : <https://fraser.stlouisfed.org/title/5734>. 138 Ibid.
51
supprimer un brevet s’il est démontré que le détenteur du brevet n’est pas le
premier inventeur. De la même manière ils n’avaient pas mis en place
d’interdiction de breveter l’invention à l’étranger après l’avoir fait brevetée aux
États-Unis. Ce choix de ne pas offrir de protection pour les inventions importées
depuis l’étranger ne peut être expliqué avec certitude, et de ce fait, il n’est pas
évident d’identifier le raisonnement éthique qui y est associé. Nous pouvons
cependant essayer, ainsi, cette décision pourrait s’expliquer du fait de
l’opposition des artisans et fabricants. Ces derniers se seraient opposés à cette
possibilité car elle les aurait forcés à faire breveter des inventions qui,
autrement, seraient gratuites139. Ainsi, ici, le fondement ne serait peut-être plus
trop utilitariste mais probablement plutôt égoïste. En effet, l’accent aurait
plutôt été mis sur les besoins des fabricants en opposition à celui de la société
qui aurait pu bénéficier d’une telle disposition en attirant des technologies et
procédés de fabrication étrangers140.
2.2. Dans les nouveaux textes de 1844 et 1836
En 1844, la France va moderniser sa loi sur les brevets. La première
différence à noter avec le décret de 1791 est qu’il n’y a désormais plus de
préambule au début du texte permettant d’énoncer l’esprit de la loi.
En matière éthique, il n’y a que peu de modifications à noter. La première
des modifications à souligner concerne le brevetage à l’étranger. La disposition
qui interdisait au détenteur d’un brevet français d’aller déposer un brevet à
l’étranger n’existe plus. En revanche, par l’article 32 3° « Le breveté qui aura
introduit en France des objets fabriqués en pays étranger et semblables à ceux
139 Craig Allen Nard, The Law of Patents, 2016, New-York, Wolters Kluwer, à la p 41. 140 Ibid (les défenseurs de la possibilité de breveté des inventions importées de l’étranger,
tels que Georges Washington ou bien Alexander Hamilton, soutenaient l’idée qu’une telle
mesure encouragerait l’importation d’invention étrangères).
52
qui sont garantis par son brevet » se verra supprimé son brevet141. Suite aux
revendications concernant cette disposition de sa loi, la France a modifié sa
disposition, mais cherche tout de même à s’assurer que le brevet produise bien
des effets bénéfiques dans son territoire. En effet, par cette disposition, elle veut
s’assurer que les créations issues du brevet soient bien réalisées en France et
non à l’étranger et que, de ce fait, cela profite à un autre État. Ainsi, la France
reste dans une optique utilitariste nationale, mais qui est cependant plus
modérée et qui prend en compte la globalisation et la mondialisation de la
propriété intellectuelle. Les idées doivent circuler, et avoir une disposition trop
stricte viendrait à être contreproductif. En effet, limiter l’inventeur à un seul
pays ou breveter son invention pourrait désinciter ces derniers à déposer un
brevet en France.
La deuxième modification à noter est l’apparition à l’article 30 4° de
l’impossibilité de breveter une invention si elle est « reconnue contraire à l'ordre
ou à la sûreté publique, aux bonnes mœurs ou aux lois du royaume, sans
préjudice, dans ce cas et dans celui du paragraphe précédent, des peines qui
pourraient être encourues pour la fabrication ou le débit d'objets prohibés »142.
Cette disposition est relativement explicite vis-à-vis de la place accordée à
l’éthique. Cependant, il faut noter ici que nous ne sommes plus uniquement
face à de l’éthique utilitariste, ou du moins une éthique utilitariste un peu plus
avancée. Comme nous le verrons plus tard dans ce travail, avec cette
disposition, nous commençons à diversifier les éléments éthiques dans le droit
des brevets en y incorporant ce qui pourrait se rapprocher à de l’éthique des
valeurs. En insérant la possibilité de refuser de breveter une invention sur le
motif de sa contrariété aux bonnes mœurs on vient en effet faire appel à des
valeurs et non plus simplement à un impératif d’intérêt national. Cette
disposition, comme nous le verrons par la suite, est difficilement applicable du
141 Etienne Blanc, Supra note 135 à la p 237. 142 Etienne Blanc, Supra note 135 à la p 235.
53
fait de la difficulté à identifier les éléments moraux à respecter. En effet, quand
il est fait appel à des valeurs, il peut arriver que plusieurs valeurs s’opposent,
et dans ce cas, il peut être ardu de décider quelle valeur doit prévaloir. Cet
arbitrage peut être encore plus compliqué quand on se positionne dans un
cadre d’éthique relativiste, comme nous l’avions vu dans le chapitre
préliminaire.
En ce qui concerne les États-Unis, le Patent Act de 1836 est surtout venu
moderniser le texte original de 1790 en le complétant d’un point de vue
technique. Sur l’aspect éthique, bien que les modifications soient légères elles
nous semblent malgré tout importantes, notamment sur la formulation. En
effet, les dispositions du texte de 1790 énonçant les possibilités d’une
abrogation d’un brevet dans le cas où celui-ci aurait été obtenu par des
informations frauduleuses ou bien si le détenteur du brevet, dans la description
de son brevet avait rajouté ou bien caché des informations dans le but
d’empêcher la réalisation de son invention se voient modifiées. Tout est
regroupé dans un seul article, l’article 13143. Désormais, il n’est plus spécifié
directement qu’il est possible d’abroger un brevet. En effet, le texte dispose
simplement que désormais, dans le cas où le détenteur du brevet a omis des
informations sur la description de son invention, sans avoir d’intention
frauduleuse ou trompeuse144, alors il lui est possible de corriger son brevet pour
que celui reste valide :
whenever any patent which has heretofore been granted, shall be inoperative, or invalid, by reason of a defective or insufficient description or specification, or by reason of the patentee claiming in his specification as his own invention, more than he had or shall have a right to claim as new; if the error has, or shall have arisen by inadvertency, accident, or mistake, and without any fraudulent or deceptive intention, it shall be lawful for the Commissioner, upon the surrender to him of such patent, and the payment of the further duty of fifteen dollars, to cause a new
143 The Patent Act of 1836, en ligne : <
https://patentlyo.com/media/docs/2008/03/Patent_Act_of_1836.pdf>. 144 Ibid Sec 13.
54
patent to be issued to the said inventor, for the same invention, for the residue of the period then unexpired for which the original patent was granted, in accordance with the patentee's corrected description and specification145
Selon cette disposition, d’un point de vue technique il est implicitement
prévu l’annulation du brevet, cependant, il est tout à fait possible au détenteur
du brevet, s’il est de bonne foi, d’obtenir un nouveau brevet pour la durée
restante du brevet initial. Cependant, l’article n’évoque pas le cas du détenteur
de brevet qui serait de mauvaise foi. Si nous suivons la logique du texte, alors
ce dernier ne devrait pas avoir la possibilité de déposer un nouveau brevet pour
la durée restante du brevet initial146.
Le Canada de son côté n’acquiert son indépendance et sa stabilité qu’à
partir de 1867 et c’est en 1869 que nait le premier Patent Act canadien. Bien
que celui-ci soit plus tardif que les textes français et états-uniens, il est
intéressant d’en parler dès maintenant car il est très fortement inspiré du
Patent Act de 1836 des États-Unis. De la même manière, le tout premier texte
canadien ayant trait aux brevets remonte à 1824, avant l’unification. C’était un
texte du bas Canada intitulé “Un acte pour promouvoir le progrès des arts utiles
dans la province”147. Tout comme le texte de 1869, celui-ci aussi était basé sur
le texte de son voisin du Sud, les États-Unis148.
Bien que pour la majeure partie des dispositions mises en place par le
Patent Act de 1869, nommé Acte concernant les Brevets d’Inventions, on
retrouve les dispositions du Patent Act des États-Unis de 1836, pour ce qui est
de l’éthique, force est de reconnaitre que le texte canadien va plutôt chercher
son inspiration du côté de la France que sur son voisin du Sud. En effet, la
seule disposition que le texte canadien a en commun avec le texte états-uniens
145 Ibid. 146 (N’ayant pu trouver de jurisprudence se prononçant sur la question nous ne pouvons
que supposer). 147 Acte pour encourager le progress des arts utiles, 4 Geo. 4, ch. 25, 1824 148 Margaret Coleman, « The Canadian Patent Office from Its Beginnings to 1900 » dans
Bulletin of the Association for Preservation Technology, Vol. 8, No. 3, 1976, Association for
Preservation Technology International, à la p 56.
55
se trouve à l’article 27 qui dispose qu’un brevet sera nul si le demandeur a
rajouté des informations ou bien en a omis dans son brevet et ce, dans le but
de tromper149. Cependant, et à la différence du texte des États-Unis, il n’est pas
spécifié dans l’article que cette disposition a pour but de préserver l’intérêt
utilitariste du brevet.
Le brevet sera nul, si la requête ou la déclaration de l’impétrant contient
quelque allégation importante qui soit fausse, ou si la spécification et les
dessins contiennent plus ou moins qu’il ne sera nécessaire pour atteindre le
but dans lequel on les fera, cette addition ou cette omission étant faite
volontairement dans l’intention d’induire en erreur150
En revanche, on retrouve trois éléments qui s’inspirent du texte français.
La première inspiration se trouve à l’article 6 du texte canadien qui dispose qu’il
ne pourra être délivré de brevet pour une invention qui a pour objet des choses
illicites151. Cette disposition se rapproche d’une version édulcorée de l’article 30
4° du texte français de 1844.
Les deux autres inspirations du texte français, qui sont bien plus nette
se trouvent à l’article 28. Ainsi, cet article dispose de deux cas de nullité du
brevet. En premier lieu, le brevet est nul si l’invention n’a pas été mise en
application dans un délai de trois ans152. Le deuxième cas de nullité est
l’éventualité où le breveté « au bout de dix-huit mois après qu’il aura été
concédé, le breveté ou son cessionnaire pour la totalité ou partie de son intérêt
dans le brevet, importe ou fait importer au Canada l’invention ou découverte
breveté »153. Ainsi, force est de constater que, en matière éthique, le texte
canadien est plus marqué par un utilitarisme français que par la version états-
unienne qui est moins marquée par l’utilitarisme.
149 Acte concernant les Brevets d’Invention, C., 1869, C-11, art 27. 150 Ibid. 151 Ibid art 6. 152 Ibid art 28. 153 Ibid.
56
Le texte canadien va très régulièrement être modifié. Il va non seulement
devenir plus précis sur ses dispositions mais aussi assouplir la rigueur de ses
règles.
Ainsi, la première disposition qui s’est trouvée assouplie et précisée, en
1872, était la disposition de l’article 28. Le principe reste le même, si l’invention
n’est pas mise en application dans un délai de deux ans, alors le brevet encourt
une annulation, sauf si l’absence de mise en application est justifiée. Le
nouveau texte vient rajouter un élément en laissant une chance au breveté,
rendant de ce fait la disposition moins sévère. En effet, il dispose que
Lorsqu’un breveté aura été incapable de mettre en exploitation son invention dans le délai des deux ans ci-dessus mentionné, le Commissaire pourra accorder un délai de surcroît au breveté, sur preuve produite par celui-ci, à la satisfaction du Commissaire, qu’il a été, par des causes indépendantes de sn contrôle, empêché de se conformer à la condition susdite, mais un tel délai de surcroît ne sera accordé, en aucun cas, avant l’expiration du temps ci-dessus prescrit.154
La nouvelle version du texte de 1923 ira encore plus en faveur du breveté.
En effet, la disposition permettant d’annuler un brevet dans le cas où les
spécifications du brevet sont incomplètes ou incorrectes s’est vue fortement
améliorée. Elle s’est notamment inspirée du texte états-unien de 1836. En effet,
là où dans le texte de 1872, s’il était reconnu que le breveté était de bonne foi,
il lui était simplement possible de conserver son brevet pour la partie non
concernée par le manque de description, le texte de 1923 vient lui donner une
nouvelle possibilité. Tout comme le texte états-unien donc, il est désormais
possible au breveté, en corrigeant son erreur, d’obtenir un nouveau brevet qui
couvrira la durée restante de son brevet initial et qui protégera également la
partie qu'il avait auparavant mal décrite155.
Enfin, en 1935, ce seront de nouveau les dispositions sur l’absence de
mise en application du brevet qui seront complétées. La première chose à noter
est que tous les cas pouvant amener à une annulation sont regroupés dans le
154 Acte concernant les Brevets d’Invention, C., 1872, C-11, art 28 2. 155 Acte concernant les Brevets d’Invention, C., 1823, C-11, art 27.
57
même article, avec également les situations pouvant amener à d’autres mesures
limitatives du droit de propriété, et désignés sous le terme d’abus. Deux
nouvelles situations pouvant mener à une annulation du brevet font désormais
partie des abus. En premier lieu nous avons le c) de l’article 65 qui dispose qu’il
est possible de réaliser un recours pour abus dans le cas où « il n’est pas
satisfait à la demande, au Canada, de l’article breveté, dans une mesure
adéquate et à des conditions raisonnables ». Ainsi, avec ce rajout, non
seulement le breveté doit mettre en œuvre son invention, mais il doit le faire
d’une manière suffisante pour le marché canadien et sans abuser de son
monopole, c’est-à-dire, en mettant des conditions d’accès à son invention qui
soient raisonnable. Nous avons ainsi, par cette disposition un renforcement de
l’éthique utilitariste dans le texte, le législateur accentue l’accent mis sur la
satisfaction des besoins collectifs.
L’alinéa e) de cet article vient compléter cette disposition, notamment la
partie des conditions raisonnables. En effet, il dispose que le brevet peut être
remis en question
Si les conditions que le breveté, soit avant, soit après l’adoption de la présente Loi, fixe à l’achat, à la location où à l’utilisation de l’article breveté, ou à la licence qu’il pourrait accorder à l’égard de cet article breveté, ou à l’exploitation ou à la mise en œuvre du procédé breveté, portent injustement préjudice à quelque commerce ou industrie au Canada, ou à quelque personne ou classe de personne engagées dans un tel commerce ou une telle industrie
Par cette disposition, le législateur met une obligation de bonne foi à la
charge du détenteur du brevet. Le législateur est toujours dans ce
raisonnement utilitariste. Le brevet doit servir l’intérêt général. Aussi, étant
donné que la société concède un droit exclusif sur l’invention, le détenteur du
brevet doit exploiter cette invention de bonne foi de manière que la société
puisse profiter des fruits de cette innovation.
Enfin, le d) de cet article vient également créer un recours intéressant. En
effet un recours est également possible
58
Si, par défaut, de la part du breveté, d’accorder une licence ou des licences à des conditions équitables, le commerce ou l’industrie du Canada, ou le négoce d’une personne ou d’une classe de personnes exerçant un négoce au Canada, ou si l’établissement d’un nouveau commerce ou d’une industrie au Canada subit quelque préjudice, et s’il est d’intérêt public qu’une licence ou des licences soient accordées
Nous noterons là encore le large éventail de situations que le législateur
souhaite englober et que, de nouveau, ce qui est recherché ici, ce n’est pas
l’intérêt du breveté mais bien l’intérêt public. Encore une fois, la propriété peut
être limitée au nom de l’intérêt général.
Après cette analyse des dispositions des modèles états-uniens, canadiens
et français, plusieurs éléments doivent être retenus. En premier lieu, le texte
états-uniens, reste très en retrait vis-à-vis des dispositions répondant à un
utilitarisme éthique ou à une autre forme d’éthique. Les textes canadien et
français en revanche reposent sur une éthique utilitariste marquée et qui
transparait dans plusieurs articles qui viennent donner des obligations aux
détenteurs du brevet. Ces dispositions se sont d’ailleurs fortement précisées au
fil du temps. Cependant, comme nous allons le voir par la suite, pour certaines,
il est très ardu de les mettre en application.
II / La pratique et la jurisprudence du droit des brevets, l’illustration de l’utilitarisme
L’esprit utilitariste de la loi ne se limite pas simplement au texte mais
bien aussi à la jurisprudence. En effet, comme nous allons le voir dans cette
partie, ce sera surtout la jurisprudence qui viendra le mieux illustrer la forte
présence de cette éthique dans le droit des brevets. Nous verrons ainsi dans un
premier temps les cas d’omission ou d’ajout frauduleux d’information pour
ensuite nous attarder sur les cas d’inventions contraires à la morale ou à l’ordre
public et la notion de l’utilité sociale aux États-Unis. Dans un troisième temps,
59
nous verrons la nécessité de la mise en application de l’invention pour ensuite
voir les larges cas de possibilité de révocation du brevet au Canada. Nous
finirons enfin avec la brève disposition en droit français permettant
l’importation d’inventions étrangères.
1. Le cas commun aux Etats-Unis au Canada et à la France : l’omission ou l’ajout
frauduleux d’information dans le brevet
Une disposition est commune aux trois modèles que nous étudions, le cas
où le demandeur ou bien le détenteur du brevet, a, dans son brevet, et plus
spécifiquement dans la description de l’invention, ajouté ou omis des
informations, des descriptions, des détails et ce, dans le but de tromper la
personne qui viendrait à consulter le brevet.
Dans le cas des États-Unis, rappelons rapidement que, très tôt, soit dès le
texte de 1836, cette possibilité de déchéance du brevet n’est plus clairement
spécifiée. Il revient dès lors à la jurisprudence le rôle de valider ou non cette
possibilité, renforçant encore son rôle vis-à-vis de la place de l’éthique dans le
droit des brevets aux États-Unis. En revanche, dans le cas tant du Canada que
de la France, cette disposition va perdurer plus longtemps et subsistera sous
forme jurisprudentielle.
Sur cette disposition, bien qu’elle ait perduré et évolué dans les textes
jusqu’à aujourd’hui, force est de constater que la jurisprudence n’a pas été très
prolifique sur cette possibilité d’annulation d’un brevet. Malgré cela, la France
et le Canada ont appliqué la même pratique sur la question de la bonne ou de
la mauvaise foi dans le manque de description de l’invention. En effet, dans les
deux cas, il n’est pas nécessaire que l’inventeur soit de mauvaise foi pour qu’un
brevet soit annulable. Il suffit que la description soit incomplète, et que, de ce
fait, elle ne permette pas à une personne versée dans l’art, dans le domaine de
l’invention, de la reproduire.
60
A cet effet, la décision du 26 mars 1843 du tribunal civil de Paris dans
l’affaire Caron contre Pinzoldt est très instructive. Il était question d’un
ventilateur que Pinzoldt avait fait breveter. Après l’expiration du brevet, Caron
son mécanicien, construit un ventilateur d’après ce modèle breveté, mais en y
apportant des améliorations. Pinzoldt le poursuit alors en contrefaçon en
fondant son action sur un deuxième brevet d’amélioration qu’il avait déposé sur
ce ventilateur, soutenant que, de ce fait, cette invention était toujours protégée.
Caron a obtenu gain de cause sur le motif que la description de l’invention
n’était pas complète, et plus précisément sur « un tampon élastique dont le but
serait d’empêcher le déplacement du centre de masse du tambour »156. Ce qu’il
est intéressant de constater, c’est que le juge ne cherche pas à savoir si Pinzoldt
était de bonne foi ou non. Le simple
défaut de description suffisante entraine la déchéance aux termes de la loi ; que celui qui omet la description prive la société du moyen d’exécution qu’elle aura le droit de livrer au domaine public après l’expiration du brevet et viole ainsi une condition du contrat qui intervient entre lui et la société alors que le gouvernement lui délivre un brevet ; que la sanction de cette violation se trouve dans la déchéance.157
Cependant, il faut noter que ce n’est pas la totalité du brevet qui se trouvait
frappé de nullité, simplement la partie qui n’est pas suffisamment décrite, le
reste du brevet et de ses revendications restaient valides. Ainsi, le juge déclarait
« Pinzoldt déchu dudit brevet en ce qui concerne le tampon élastique »158, la
partie insuffisamment décrite.
La jurisprudence applique ainsi la règle dans un pur esprit utilitariste,
l’accent est mis sur le bien collectif et ce qui est visé, d’un point de vue éthique,
ce sont les retombées positives de la décision, pas la décision en elle-même.
Comme le dit l’auteur de l’ouvrage, Etienne Blanc,
Ces découvertes incomplètes et avortées seraient même les plus dangereuses pour l’industrie, si les brevets qui les protègent n’étaient pas annulés. En effet, ils ne donnent rien d’utile à la société, et
156 Etienne Blanc, Supra note 135 à la p 550. 157 Ibid. 158 Ibid.
61
cependant le monopole qu’ils engendrent, s’il était maintenu, priverait l’industrie des conséquences que l’on peut tirer du principe mieux compris et mieux appliqué.159
Précisons également que pour que la condition de la description suffisante
soit remplie, il n’est pas nécessaire que celle-ci soit accessible à tous. Ainsi,
toujours dans le même ouvrage il est dit qu’il était nécessaire qu’elle soit
Complète, claire, précise et loyale, c’est-à-dire telle que, à l’expiration du brevet, on puisse se servir de la découverte, aussi bien que l’inventeur. Toutefois, pour qu’une description soit considérée comme claire et complète, il n’est pas nécessaire qu’elle soit à la portée de toutes les intelligences. S’il en était ainsi, il faudrait renoncer à obéir au vœu de la loi dans certaines matières qui ne sont accessibles qu’aux esprits exercés. La description est suffisamment claire lorsqu’elle peut être comprise et appliquée par les individus ayant les connaissances spéciales, c’est-à-dire par les mécaniciens, s’il s’agit de mécanique, par les chimistes, s’il s’agit de chimie, etc.160
L’auteur rajoute par la suite que, en cas de doute, le juge tranchera en
défaveur du breveté161. Cette application stricte de la norme par la
jurisprudence est stable. En effet, en 1954, la jurisprudence admet toujours
qu’il n’est pas nécessaire que soit prouvée la mauvaise foi du détenteur du
brevet, la simple description insuffisante suffit à déchoir le breveté de son
brevet162.
Selon la doctrine canadienne, bien que la bonne foi soit nécessaire,
comme dans toute relation contractuelle, il semble que, tout comme pour la
France, il suffit que la description soit erronée pour que le brevet encoure la
nullité163. Cependant, nous noterons le fait que dans cet ouvrage, comme dans
d’autres ouvrages de doctrine canadienne, les affaires citées pour appuyer cette
159 Ibid aux p 550 et 551. 160 Ibid aux p 553 et 554. 161 Ibid à la p 554. 162 Paul Roubier, Le droit de la propriété industrielle, 1954, Paris, Éditions du Recueil
Sirey à la p 225. 163 Fred. B. Fetherstonhaugh et Harold G. Fox, The Law and Practice of Letters Patent of
Invention In Canada, 1926, Toronto, The Carswell Company, à la p 379.
62
affirmation sont anglaises et non canadiennes. La jurisprudence canadienne
semble donc ne pas s’être retrouvée à devoir trancher ce cas.
2. La nullité du brevet pour une invention contraire à la morale ou illicite et le
rapprochement avec la notion de l’utilité sociale aux Etats-Unis
En France et au Canada, il existe une disposition poursuivant le même but,
empêcher la brevetabilité d’inventions qui porteraient préjudice à la société.
Ainsi, la France, interdisait la délivrance d’un brevet dont l’invention serait
contraire à la morale et le Canada, interdisait la délivrance d’un brevet pour
une invention illicite. Pour le Canada, la jurisprudence semble
malheureusement ne jamais s’être prononcée sur cette disposition164. Aussi, il
ne nous sera pas possible de préciser plus cette disposition, qui, nous le
verrons, disparaît de la loi sur les brevets à partir de 1993.
Pour la France, la disposition semble ne pas avoir rencontré beaucoup plus
de succès auprès des tribunaux. En effet très rare sont les affaires traitant de
cette disposition délicate. Ainsi, il avait été porté devant la Cour d’appel de
Paris, le cas d’un brevet pour un perfectionnement sur un préservatif. Celle-ci
avait rendu sa décision en 1914 et avait annulé le brevet en raison de sa
contrariété avec la morale165. Le tribunal avait en effet considéré que l’invention
était « de nature à nuire à la repopulation, en empêchant la procréation, et
qu’elle doit être, à ce point de vue, considérée comme étant en opposition avec
nos principes de morales, qui tendent à conjurer le péril que faire courir à la
nation la diminution toujours croissante de la natalité »166. Cependant, il
164 Gaëlle Beauregard, L’éthique et le régime des brevets, une question d’actualité, 2005,
Les cahiers de la propriété intellectuelle, Vol. 18, n°1, à la p 18, en ligne : <
https://cpi.openum.ca/files/sites/66/L%E2%80%99%C3%A9thique-et-le-
r%C3%A9gime-des-brevets-une-question-d%E2%80%99actualit%C3%A9.pdf>. 165 Jean-Louis Goutal, Bioéthique et droit des brevets, 2004, à la p 7, en ligne <
https://www.wipo.int/mdocsarchives/WIPO_IP_UNI_THR_04/WIPO_IP_UNI_THR_04_7_F.
pdf?fbclid=IwAR0ZHm-tQxPeJ-ADqya-uKkjtHkC85R5HHD7ic2JAkltXrYtNgDaXMZB2Gk>. 166 Ibid.
63
semble que, contrairement à ce que le juge affirme ici, il n’est pas tant question
de morale que d’ordre public ou d’intérêt public. En effet, et cela est d’autant
plus vrai quand on se penche sur le détail apporté par Jean-Louis Goutal qui
relève que l’objectif de la France était de se préparer à la 1ère Guerre Mondiale167.
Ici, ce qui est recherché par cette décision, c’est l’encouragement à la
procréation afin d’assurer la natalité et la croissance de la population au travers
de temps de guerre. Nous avons donc une décision qui est prise dans une
optique finaliste et afin d’assurer la pérennité de la nation. De ce fait, la décision
ne répond pas tant à une valeur morale mais plutôt à une éthique utilitariste.
Une autre décision peut être citée, mais malheureusement sur laquelle nous
n’avons que peu d’éléments. Il s’agissait de l’annulation d’un brevet pour un
« appareil destiné à l’exploitation d’un jeu de hasard »168. Cependant, cette
décision étant introuvable, il est impossible d’en tirer plus d’éléments
d’interprétation. En revanche, il est possible et très intéressant de faire un
parallèle avec la jurisprudence Etats-Unienne et la notion de l’utilité sociale
d’une invention.
La jurisprudence états-unienne a développé, en plus de la notion d’utilité
technique telle que nous l’entendons aujourd’hui, une notion d’utilité sociale.
Inventions that where “injurious to the morals, the health, or the good order of society” or had a “noxious or mischievous tendency” – such as “a new invention to poison people, or to promote debauchery, or to facilitate private assassination” – were stigmatized by nineteenth-century U.S. courts as not “useful” and so unpatentable.169
Ainsi, dans l’affaire National Automatic Device Co. v. Lloyd, la justice états-
unienne fut amenée à se prononcer sur la légalité d’un brevet pour une
invention qui était destinée à être utilisée dans le cadre de jeux et de paris. Il
était question d’un jouet, des petits chevaux de course. Le brevet pour cette
167 Ibid. 168 Ibid. 169 David Vaver, Supra note 16, aux pages 338 et 339.
64
dernière fut refusé au motif que ces jouets n’étaient utilisés que dans des
salons, bars et autres lieux de consommation d’alcool où les clients faisaient
des paris sur ces jouets170.
Deux affaires du début du XIXème siècle viennent expliquer cette notion
d’utilité sociale que doit remplir un brevet. Dans l’affaire Bedford v. Hunt qui
concernait un brevet délivré pour une technique de fabrication de botte,
domaine qui ne semble pourtant pas amener des questions de morale, le juge
était pourtant venu poser des bases sur cette notion de l’utilité sociale.
No person is entitled to a patent under the act of congress unless he has invented some new and useful art, machine, manufacture, or composition of matter, not known or used before. By useful invention, in the statute, is meant such a one as may be applied to some beneficial use in society, in contradistinction to an invention, which is injurious to the morals, the health, or the good order of society.171
Cependant, et le juge le précise, il n’y a pas de niveau d’utilité minimal
requis, il suffit que l’invention fonctionne. La même année, dans la décision
Lowell v. Lewis, le juge avait amené une autre précision intéressante sur cette
notion.
All that the law requires is, that the invention should not be frivolous or injurious to the well-being, good policy, or sound morals of society. The word "useful," therefore, is incorporated into the act in contradistinction to mischievous or immoral. For instance, a new invention to poison people, or to promote debauchery, or to facilitate private assassination, is not a patentable invention.172
A la lecture de ces deux décisions, il y a plusieurs éléments qu’il est
intéressant de relever. Le premier élément qui ressort de ces décisions est que,
bien évidemment, une invention qui serait nocive pour la société ne pouvait pas
se voir délivrée de brevet. Cependant, il est encore plus intéressant de voir que
ces jurisprudences173 vont encore plus loin en requérant que l’invention soit en
170 National Automatic Device Co. v. Lloyd, 40 F. 89, Circuit Court, N.D. Illinois, 23
septembre 1889. 171 Bedford v. Hunt, 3 F. Cas. 37 (C.C. Mass. 1817). 172 Lowell v. Lewis, 14 F. Cas. 1018 (C.C. Mass. 1817). 173 Les décisions Bedford v. Hunt et Lowell v. Lewis.
65
mesure d’apporter quelque chose de positif pour la société. En effet, dans la
première décision citée ici, il est bien précisé qu’il est requis que l’invention soit
appliquée de manière à apporter un effet bénéfique, positif à la société, au-delà
du simple bénéfice industriel qu’apporterait une invention. Cela est d’autant
plus flagrant dans la deuxième décision citée avec l’usage du mot « frivolous »,
qui peut être traduit par futile. Une invention futile ne mériterait pas de se voir
protégée par un brevet car elle n’apporterait rien d’utile, socialement parlant, à
la société.
3. La mise en application de l’invention sur le territoire, l’obligation du breveté
d’apporter une contrepartie en échange du monopole conféré
Cette mise en application de l’invention se décompose en deux parties. Tout
d’abord il y a l’obligation d’exploitation réelle du brevet (3.1.) et il y a l’obligation
d’exploitation locale du brevet (3.2.).
3.1. L’obligation d’exploiter le brevet
Comme nous avons vu précédemment, tant dans le droit canadien que
dans le droit français, les dispositions légales prévoient la possibilité d’une
déchéance du brevet conféré dans le cas où le breveté ne mettrait pas en
application son invention.
Tant la jurisprudence canadienne que française sont venues, à plusieurs
occasions, se prononcer sur cette disposition. L’un des éléments sur lequel
s’étaient interrogés les tribunaux était de savoir, de définir ce qu’était une
exploitation suffisante. Il est ainsi nécessaire qu’il y ait une
mise en activité régulière, et non un simulacre d'exploitation sans profit pour le public et le pays, et qui n'aurait pour but que d'éviter la déchéance en obéissant judaïquement à la loi. Les devoirs, comme les
66
droits du breveté, doivent être pris au sérieux, et ce serait se jouer des prescriptions de la loi que de simuler un commencement d'exploitation, ou de se livrer à une exploitation qui ne profiterait qu'à l'industrie étrangère. C'est dans l'intérêt seul de l'industrie nationale que la loi a stipulé.174
Ainsi, dans l’affaire Griollet C. Collier, la justice française avait dû
déterminer s’il y avait eu une réelle exploitation de l’invention ou bien s’il n’y
avait qu’un simulacre d’exploitation. En l’espèce, il s’agissait d’une machine
pour peigner la laine et d’autres matières. Le juge de cassation avait finalement
reconnu qu’il y avait bien eu exploitation de l’invention, et son raisonnement
nous apporte des éléments intéressants pour comprendre l’esprit de la loi.
Le juge ayant bien conscience que cette disposition existe dans un but,
faire en sorte que l’industrie française bénéficie des résultats de l’exploitation
de l’invention brevetée, il n’exige pas que l’exploitation de l’invention soit
directe. En effet, en l’espèce, le juge a bien pris note que le détenteur du brevet
avait exploité lui-même son invention mais il a également pris en compte que
celui-ci avait cédé des exemplaires de sa machine à diverses personnes, et que,
de ce fait, même si ce n’était pas par lui, son invention était bien mise en
application afin de profiter à l’industrie française. Un autre enseignement qui
peut être tiré de cette décision est qu’il n’est pas nécessaire que l’exploitation
se fasse à grande échelle. En effet, il a suffi d’une seule exploitation à domicile,
d’une exposition du résultat de sa machine et de deux ventes de cette machine
pour remplir la condition de l’exploitation réelle175. Ainsi, bien que le juge ait
parfaitement compris la dimension utilitariste de cette disposition, il considère
qu’une exploitation à petite échelle est tout à fait à même d’apporter un bénéfice
suffisant à la société française. Bien que, de par la visée utilitariste du texte, ce
soit le bien global qui soit recherché, même si les effets positifs ne sont que
locaux, le juge estime cela suffisant, d’autant qu’il ne faut pas que, dans la
transaction entre la société et le breveté, ce dernier soit lésé en lui imposant
des contraintes, des obligations trop importantes.
174 Etienne Blanc, Supra note 132 à la p 575. 175 Ibid aux pages 576 à 578.
67
Le Canada, de son côté va développer une jurisprudence qui non
seulement résonnera avec celle de la France, mais qui ira également plus loin.
Ainsi, tout comme la France, la jurisprudence a été amenée à s’interroger si le
breveté avait l’obligation de subvenir au besoin de tout le pays une fois son
brevet déposé. Bien évidemment, tout comme pour la France, cela n’est pas
nécessaire176. Une telle obligation serait bien évidemment irraisonnable et
irréaliste. Comme nous l’avons vu précédemment, le texte canadien, sur la
question de la déchéance des brevets va bien plus loin que le texte français et
est bien plus précis. De ce fait, cela va amener une jurisprudence plus riche.
Ainsi, parmi les questions qu’a été amenée à se poser la jurisprudence et
qui sont particulièrement intéressantes du point de vue de notre réflexion, nous
pouvons citer, le moment sur lequel le juge doit se fixer pour déterminer s’il y
a ou non exploitation de l’invention. Nous apprenons ainsi que le juge ne
souhaitait pas se limiter seulement à la date à laquelle le recours contre le
brevet a été réalisé. En effet, s’il se limitait à cette seule date, alors il serait trop
aisé pour le breveté de se contenter de mettre en œuvre une fausse exploitation
afin de défendre son brevet177. L’objectif du juge est donc bien de faire respecter
l’esprit utilitariste de la loi en s’assurant que le breveté n’abuse pas du privilège
qui lui a été conféré.
La jurisprudence a aussi été amenée à se questionner sur l’impossibilité
pour le breveté de mettre en application son invention au Canada. Ainsi, dans
le cas où le breveté exploiterait son invention à l’étranger, puis, importerait les
fruits de son exploitation au Canada afin de les vendre, le juge a accepté de ne
pas sanctionner le brevet, mais uniquement si c’était dans l’intérêt du public.
Si le breveté soutient qu’il est plus rentable d’exploiter l’invention à l’étranger
puis de vendre les résultats au Canada, il ne doit pas se contenter de prouver
que c’est plus rentable uniquement pour lui, il doit surtout prouver que cela
176 Harold G. Fox, The Canadian Law and Practice relating to Letters Patent for Inventions,
1969, Toronto, The Carswell Company Limited, à la p 546. 177 Ibid à la p 543.
68
bénéficiera aux Canadiens178. Il est possible de voir le raisonnement très
utilitariste du juge sur cette citation
It can never,… be sufficient for a patentee, defending himself under the section, to prove that he cannot now start an industry with any chance of profit. The question really is: could he have done so if he had used his monopoly fairly as between home and foreign trade, or if he had devoted the time and money which he has expended in developing a foreign industry to developing a home industry? It may well be that having developed the industry abroad and given foreigners several years start, he may find it difficult, if not impossible to develop an industry on the same line here, and yet such an industry might well have arisen but for
the preference he has given to foreign countries.179
Il est ainsi ici très intéressant de voir que le raisonnement du juge est très
poussé. Il cherche à déterminer en profondeur si le breveté n’avait pas d’autre
choix que de faire usage de son invention à l’étranger. Son objectif est de
s’assurer que sauf dans le cas d’une impossibilité totale, l’exploitation de
l’invention se fasse au Canada et au profit de ce dernier. Cette recherche du
profit national avant tout va encore plus loin étant donné que, dans le cas où il
n’y aurait pas de demande pour l’invention au Canada, mais que le breveté
répondrait à une demande à l’étranger, il serait dans l’obligation de faire en
sorte de créer une demande au Canada, notamment en fabriquant l’invention
en question au Canada180.
Pour que le brevet soit valide il faut que l’exploitation soit également locale.
En effet, ce qui est recherché, c’est le bénéfice de la société délivrant le brevet.
178 Ibid à la p 548. 179 Ibid. 180 Ibid à la p 550.
69
3.2. L’obligation d’exploitation de l’invention dans le pays délivrant le brevet,
l’assurance de la contrepartie de la délivrance d’un monopole
Là encore, cette disposition n’existait que dans le droit canadien et français,
les États-Unis étaient étrangers à cette disposition.
Dans le cas du Canada, nous venons de voir une situation qui fait quelque
peu écho à cette situation. La jurisprudence n’est pas venue préciser beaucoup
plus cette disposition. La jurisprudence se contente de considérer que si
l’exploitation de l’invention à échelle commerciale au Canada est empêchée par
l’importation de l’invention en question, que ce soit par le breveté, ou une
personne liée au breveté, par exemple une personne disposant d’une licence,
alors le brevet est susceptible d’être abrogé181.
La jurisprudence française a eu, elle aussi, l’occasion de se prononcer sur
cette disposition. Ainsi, nous pouvons apprendre que
Tous les objets fabriqués que le breveté introduit en France, causent un préjudice à l'industrie française, alors même qu'ils ne seraient qu'une partie du mécanisme breveté. Cette introduction partielle suffit donc pour entraîner la déchéance. Toutefois la loi excepte, à bon droit, de ses rigueurs, les modèles des machines que l'inventeur a fait breveter antérieurement en pays étranger, cas prévu par l'art. 29. Il était juste, en effet, que le breveté pût introduire en France l'objet qu'il veut y faire breveter. Toutefois, cette introduction pourrait préjudicier à l'industrie française, si elle n'était pas limitée à de simples modèles nécessaires à la prise du brevet. Aussi le législateur a voulu que celte introduction fût toujours autorisée par le ministre, qui pourra la permettre quand il la jugera indispensable à l'exercice du droit consacré par l'art. 29.182
L’interprétation de la disposition est donc très stricte. En effet, seule une
partie de l’invention importée suffit à faire tomber en déchéance le brevet, de ce
fait, encore une fois, l’accent est fortement porté sur le bénéfice de la nation, ce
qui donne un fort utilitarisme nationaliste. Cependant, il est possible que
l’invention ait déjà été brevetée auparavant à l’étranger et dans ce cas, il peut y
181 Ibid à la p 552. 182 Etienne Blanc, Supra note 135 à la p 608.
70
avoir une exception. Il est important d’insister sur le fait que ce n’est qu’une
possibilité d’exception, car celle-ci est en effet soumise à l’autorisation du
ministre du commerce qui peut tout à fait refuser de l’accorder comme le
suggère l’usage du mot pouvoir et non devoir.
Une décision rendue en 1846 vient également nous apporter des clés
d’interprétation sur cette disposition qui cette fois-ci, vient principalement
assouplir la disposition. Ainsi, si les éléments importés et posant problème ne
sont que de simples échantillons non destinés à la commercialisation ou bien
si ce ne sont que de simples matières premières permettant par la suite la
construction de l’invention brevetée, il n’y aura pas de déchéance du brevet183.
4. Les larges possibilités de révocation du brevet au Canada avec la création de
préjudices
Le Canada, contrairement à la France, a prévu beaucoup de cas dans ces
textes pouvant mener à la déchéance du brevet, et ces possibilités ne sont pas
restés simplement textuelles, la jurisprudence a été amenée à les préciser.
L’une de ces dispositions, notamment, comme nous l’avons vu
précédemment, consiste à sanctionner le détenteur de brevet qui abuserait de
son monopole en refusant d’accorder des licences ou en en accordant à des
conditions déraisonnables184. Il avait notamment été noté que les termes
utilisés dans la loi étaient vagues dans le but de laisser à la justice le soin
d’analyser chaque situation individuellement en prenant en compte les divers
éléments et implications en jeu185. L’un des termes utilisés dans la loi a
d’ailleurs reçu une interprétation très intéressante du juge, le terme « intérêt
183 C. royale de Douai, Warlick C. Pecquet de Beaurepaire, 11 juillet 1846. 184 Acte concernant les Brevets d’Invention, C., 1872, C-11, art 65 c). 185 Harold G. Fox, Supra note 168 à la p 553.
71
public ». En effet, le juge a estimé que cette expression devait être interprétée
de la manière la plus large possible.
In Brownie Wireless Co. Ltd.’s Applications it was held that the expression “the public interest”, was to be construed in its widest meaning, that is to say, the interest of the community including every class that goes to constitute that body, namely, the purchasing public, traders, manufacturers, the patentee and his licensees, and inventors generally, and is not to be construed simply with regard to the purchasing public.186
Nous voyons ainsi, encore une fois, la portée utilitariste du
raisonnement, ce qui est recherché ici c’est le bien collectif, la prise en compte
des besoins du plus grand nombre. On voit également que le raisonnement est
utilitariste, du fait que ce soit un raisonnement éthique finaliste quand le juge
refuse de donner des licences à une personne en raison du risque pour l’intérêt
public. En effet, s’il donnait trop de licences, alors il y aurait un risque que
l’offre soit trop forte et cela cause des répercussions négatives187.
Toujours sur la question des licences, dans le cas où celles-ci seraient
accordées à des termes déraisonnables, il est également prévu que le juge
puisse intervenir. Ici, il est intéressant de voir que, pour l’interprétation de cette
norme, le juge décide de se tourner vers le public, soit les consommateurs. Si
le détenteur d’un brevet est parfaitement en mesure de répondre à la demande,
et sans abus, alors, il n’y a pas de raison de déchoir le brevet ou de forcer la
délivrance de licences aux bénéfices de compétiteurs188. Encore une fois, la clé
d’interprétation de la norme est l’intérêt public.
186 Ibid à la p 555. 187 Ibid. 188 Ibid à la p 556.
72
5. La limitation de la brève disposition en droit français permettant l’importation
d’inventions étrangères
Le droit français a connu une disposition très brève, dans le texte de 1791,
qui permettait, comme nous l’avions vu précédemment, à une personne de faire
breveter une invention issue de l’étranger, comme si elle en était l’inventeur.
Cette disposition était bien évidemment contraire au principe de propriété qui
était énoncé dans la Déclaration des droits de l’homme ainsi que dans le
préambule de cette première loi sur les brevets.
Naturellement, le juge est venu limiter la portée de cette norme. Ainsi, par
une décision de 1829, le juge est venu préciser qu’il ne serait pas possible de
délivrer de brevet dans le cas où l’invention était déjà brevetée dans le pays
étranger. La deuxième condition est qu’il était nécessaire que le l’importateur
de l’invention ait eu connaissance de l’invention par des moyens lui
appartenant189.
Nous avons donc pu voir tout au long de cette partie la naissance du droit
des brevets puis son évolution jusqu’à la première moitié du XXème siècle. Bien
que nous ayons beaucoup voyagé au travers de cette partie, tant dans le temps
que dans l’espace, un élément est très régulièrement ressorti en matière
d’éthique et a lié les systèmes qui ont été étudiés, la présence de l’éthique
utilitariste. Là où au début, dans les balbutiements du droit des brevets, cette
éthique, bien que présente, ne disposait que de peux d’exemples de mise en
application concrète, au fur et à mesure du temps, de la complexification de ce
droit et de la précision de ce droit, les dispositions et interprétations
jurisprudentielles faisant ressortir le fondement utilitariste du droit des brevets
se sont faites plus nombreuses. Notre étude cependant s’est arrêtée à la
189 M. Lepec, Supra note 126 à la p 473.
73
première moitié du XXème siècle. En effet, comme nous allons désormais le voir,
dans la deuxième moitié du XXème siècle, le net fondement utilitariste
nationaliste que nous avons pu observer jusqu’ici va perdre en importance.
74
Chapitre 2 : L’affaiblissement de l’éthique
utilitariste et la diversification des raisonnements
éthique autour du droit des brevets
Bien que, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, l’éthique
utilitariste ait, depuis le début du droit des brevets été présente et ai servie à
guider celui-ci, force est de reconnaitre que la question de la place de l’éthique
a connue de nombreux débats depuis la seconde moitié du XXème siècle.
L’utilitarisme dans le droit des brevets est régulièrement remis en question.
Que ce soit par le refus d’accorder une place dans le droit des brevets, par les
débats sur les biotechnologies, ou bien encore par la remise en question éthique
du système des brevets par les pays en voie de développement, la question de
l’éthique dans le droit des brevets est souvent présente.
Ainsi, dans ce Chapitre, nous verrons dans une première partie si et
comment l’application des normes et jurisprudence marquées par l’éthique que
nous avons vu dans le précédent Chapitre ont évoluées (Première Partie) puis
nous verrons et analyserons les questionnements sur la place de l’éthique dans
le droit des brevets aux vues de tous les éléments et analyses rassemblés dans
ce travail (Deuxième Partie)
Première Partie : La délivrance et le contrôle du brevet, une
remontée de l’intérêt du breveté face à l’intérêt général
Au travers de cette partie nous allons voir comment, progressivement, les
droits de la propriété du breveté ont repris le pas sur la visée utilitariste du
brevet que nous avions vue dans le Premier Chapitre. Nous verrons ainsi
comment la notion de l’utilité sociale de l’invention et de non-contrariété à
l’ordre public a perdu en importance, voire, a complètement disparu (I) puis
75
nous verrons que les cas de déchéance d’un brevet ou de limitation du droit de
propriété dans les cas où le breveté abuserait de son titre se sont également
vus limités (II).
I / Le recul évident du raisonnement utilitariste au profit d’un brevet plus neutre vis-
à-vis notamment de la morale
Bien que ce constat puisse être réalisé dans les trois modèles que nous
étudions, c’est avant tout en Amérique du Nord que cette évolution est la plus
marquée, aux Etats-Unis encore plus fortement qu’au Canada (1.). La France
de son côté tente de garder des éléments d’utilitarisme ou bien de relativisme
éthique dans son système de brevet et notamment dans la délivrance de celui-
ci.
1. Une tendance plus nettement marquée en Amérique du Nord
Dans un premier temps nous verrons la disparition de la notion de l’utilité
sociale aux Etats-Unis (1.1.), puis dans un second temps nous constaterons le
doute sur la place de la norme morale dans la jurisprudence canadienne (1.2.).
1.1. La disparition de la notion d’utilité sociale aux Etats-Unis et la possible
présence d’égoïsme éthique
Nous l’avons vu dans le précédent Chapitre, les Etats-Unis avaient
développé une jurisprudence très intéressante donnant une place non
négligeable à l’éthique utilitariste grâce à la notion d’utilité sociale d’une
invention, venant de ce fait compenser la relative neutralité du texte sur la
76
question éthique. En plus du critère d’utilité technique, l’invention devait avoir
également une utilité sociale, celle-ci, non seulement signifiait que l’invention
ne pouvait être contraire à la morale, être illicite ou bien dangereuse pour la
société, mais également qu’elle devait être en mesure d’apporter quelque chose
de positif à la société.
Dans la deuxième moitié du XXème siècle, un changement va donc s’opérer.
Deux affaires vont illustrer ce changement, et d’autres viendront confirmer ce
revirement de jurisprudence.
La première affaire qu’il est intéressant de citer, notamment en raison de sa
résonnance avec l’affaire National Automatic Device est la décision rendue en
1977 Re Murphy. En l’espèce, il était là aussi question d’une machine destinée
aux jeux d’argent, dans ce cas-là, c’était une machine à sous190. Si nous
suivions le raisonnement de l’ancienne jurisprudence, alors le brevet devrait
être refusé. Cependant, le juge l’a validé. Son raisonnement pour le valider est
d’ailleurs particulièrement intéressant. En effet, il ne va pas se positionner vis-
à-vis de la question de l’utilité sociale d’une invention mais il va plutôt se référer
au raisonnement qui avait été adopté dans une autre affaire de 1903, la
décision Fuller v. Berger. L’invention en question était alors un dispositif qui
permettait de détecter les pièces utilisées dans des machines comme des
distributeurs. Ce dispositif avait notamment été utilisé dans des machines
destinées aux jeux d’argent. La validité du brevet avait été attaquée par une
personne se défendant de contrefaçon. Cette personne s’était défendue en
soulignant que, du fait que l’invention était utilisée dans des jeux d’argent, alors
le brevet n’était pas valide. Le juge avait refusé cet argument en soutenant que
l’inventeur n’était pas responsable du mauvais usage de son invention, dans ce
cas son usage dans un jeu d’argent et que, de ce fait, le brevet était bien
valide191. Ce raisonnement a donc été appliqué à cette machine à sous.
Cependant, le raisonnement du juge pose un problème car le cas n’était pas
190 Re Murphy 200 U.S.P.Q. 801 (PTO Bd. App. 1977). 191 Ibid.
77
similaire. En effet, ici il était question d’une machine à sous dont la seule
utilisation était les jeux d’argent et non pas un dispositif neutre qui n’avait pas
comme vocation première de servir aux jeux d’argent mais qui avait été utilisé
dans une machine destinée aux jeux d’argent.
De ce fait, par ce raisonnement que nous estimons incorrect, le juge a choisi
d’opter pour une application neutre du droit des brevets. Quelle que soit
l’invention et son objet, elle peut être brevetée. Il n’est plus recherché l’apport
à la société.
C’est en 1988, dans l’affaire Whistler Corp. v. Autotronics, Inc. que nous
pouvons constater sans conteste la disparition de la notion d’utilité sociale. En
l’espèce, il était question d’un brevet sur un système destiné à détecter les
radars routiers. Cette invention a donc clairement pour seul et unique but de
contrevenir à la loi en permettant aux automobilistes de contourner les
limitations de vitesse. Ainsi, si nous nous placions dans le raisonnement qui
avait été établi par les jurisprudences telles que Bedford v. Hunt ou bien
National Automatic Device Co. v. Lloyd, cette invention n’aurait pas pu être
brevetée car illégale. Cependant, ici, le juge va estimer le brevet valide. Bien
qu’il reconnaisse que l’objet premier de cette invention soit de contourner la loi
« the courts remains of the view that the primary and almost exclusive purpose
for the radar detectors in question is to circumvent law enforcement attempts
to detect and apprehend those who violate the law »192, il va valider le brevet.
Pour ce faire, ils vont simplement estimer que ce n’est pas le rôle de la
jurisprudence et du droit des brevets de déterminer si une telle invention peut
ou non être brevetée. Ils constatent également que seulement deux Etats ont
interdit ce type de dispositif, aussi, ils en déduisent que le brevet est valable
jusqu’à ce que le congrès en décide autrement.
192 Whistler Corp. v. Autotronics, Inc., United States District Court, N.D. Texas, 1988 WL
212501, 28 juillet 1988.
78
Enfin, nous remarquerons également que désormais une innovation très
superficielle est apte à être brevetée. Là ou auparavant, une invention
considérée comme « frivolous » soit dans la langue de Molière une invention
futile, superficielle, désormais, il semble qu’une simple modification de
l’apparence puisse être considérée comme brevetable193. Ainsi, dans la décision
Juicy Whip, le juge avait été amené à se prononcer sur la validité d’un brevet
protégeant un mixeur. Ce dernier ne présentait aucune innovation technique,
il lui avait simplement été donné une apparence autre que celle d’un mixeur.
Le juge avait estimé que cette modification remplissait le critère d’utilité, « The
fact that one product can be altered to make it look like another is in itself a
specific benefit sufficient to satisfy the statutory requirement of utility, for the
purpose of patentability »194.
Nous voyons donc très nettement au travers de ces décisions que désormais,
le juge ne va plus chercher à s’interroger sur la portée utilitariste de la
délivrance d’un brevet. Toute invention, qu’elle apporte ou non quelque chose
de bénéfique à la société, qu’elle soit morale ou non se verra délivrer un brevet
pour peu que les conditions techniques soient remplies. Cette nouvelle
approche se voit d’ailleurs parfaitement dans le manuel des procédures
d’examen des brevets de l’office des brevets et marques des Etats-Unis. Dans le
Chapitre 2100 du manuel traitant de la brevetabilité se trouve détaillée la
notion de l’utilité et plus précisément au point 2107. Nous pouvons ainsi
constater qu’il n’est pas fait mention d’une quelconque utilité sociale. Pour que
le critère soit rempli, il est nécessaire qu’il y ait une utilité substantielle, c’est-
à-dire que l’invention soit immédiatement utilisable et efficace. Son utilité ne
peut être hypothétique, l’invention ne doit pas non plus nécessiter des
recherches ou des perfectionnements pour être utile195. L’utilité doit être
également spécifique, c’est-à-dire qu’elle doit être décrite précisément et non
vaguement. Ainsi, pour reprendre l’exemple du manuel, simplement spécifier
193 Juicy Whip, Inc. v. Orange Bang, Inc., 185 F.3d 1364 (Fed. Cir. 1999). 194 Ibid. 195 Manual of Patent Examining Procedure, Ninth Edition, The United States Patent and
Trademark Office, Chapitre 2100, aux p 2100-84 et 2100-85.
79
qu’un élément peut être utile dans le traitement de problème n’est pas
suffisant196.
Bien que le Canada ne connaisse pas réellement de questionnement sur
l’utilité sociale d’une invention, il y a un débat sur la place de la morale dans la
délivrance du brevet.
1.2. La jurisprudence canadienne et le doute sur la place de l’éthique dans la
délivrance du brevet
La place de l’éthique au sein du droit des brevets canadien est un sujet à
débat qui perdure. Que ce soit dans le cadre de décisions de justice197 ou bien
dans la doctrine198, la place de l’éthique dans le droit des brevets amène des
avis très partagés.
Ce doute est ainsi parfaitement illustré au travers de la célèbre affaire
Harvard Collège contre Canada. Nous rappellerons brièvement les faits ici. Il
s’agissait d’un brevet déposé par la célèbre institution Harvard sur une souris
qui avait été génétiquement modifiée afin d’être prédisposée à développer des
cancers et ceci, dans le but de pouvoir l’utiliser dans le cadre de recherches sur
le cancer199. La décision finale était très serrée étant donné que cinq des neuf
juges se sont prononcés contre la brevetabilité de la souris. Les quatre juges
restants, dont le juge en chef McLachlin, étaient pour la brevetabilité de la
souris. Cependant, tous les juges s’accordaient sur le fait que s’il devait y avoir
une intégration de considérations éthique dans la délivrance de brevets, il
revenait au législateur la responsabilité de mettre en place des règles.
196 Ibid à la p 2100-84. 197 Voir notamment Harvard Collège contre Canada, Supra note 9. 198 Voir notamment Gaëlle Beauregard, Supra note 2 et Maxence Rivoire et E. Richard
Gold, Propriété intellectuelle, Cour suprême du Canada et droit civil, 2015, Revue de droit
de McGill, à la p 414. 199 Harvard Collège contre Canada, Supra note 9.
80
Les juges dissidents ont d’ailleurs estimé que, par le retrait de l’interdiction
de breveter des inventions dont l’objet est illicite, le législateur avait marqué sa
volonté d’avoir une délivrance de brevet neutre de toute question morale. Cette
modification de la loi sur les brevets survenue en 1994 avait été réalisée dans
le but d’adapter la loi aux dispositions des ADPIC200. Plus précisément, la
disposition canadienne devait s’adapter du fait de l’article 27 1. des ADPIC. Ce
dernier disposant que l’exclusion de la brevetabilité d’une invention ne peut pas
tenir du simple fait que « l’exploitation est interdite par leur législation »201 vient
rendre caduque la disposition canadienne qui disposait qu’il ne pouvait être
délivré de brevet « pour une invention dont l’objet est illicite »202. Cependant, il
est difficile d’être certain que c’était réellement là le but de la modification étant
donné que cette modification a été réalisée sans qu’il y ait eu de discussion
dessus203.
Le brevet sur la souris sera refusé car elle sera reconnue comme un être
vivant supérieur, au même titre que les plantes et animaux. Les juges ont en
effet estimé que le législateur n’avait pas souhaité que les formes de vie
supérieure puissent être brevetées. La totalité de l’être vivant et du processus
de création de la vie ne pouvant être maitrisée, il n’était pas possible qu’une
souris, tout comme les autres animaux ou les plantes, entre dans la notion de
composition de matière. Malgré cela, bien que l’être vivant en lui-même ne
puisse être breveté, le processus permettant de créer l’être vivant modifié est en
revanche, lui brevetable204. Les gènes et les cellules modifiées avaient été
200 Maxence Rivoire et E. Richard Gold, Supra note187 à la p 416. 201 ADPIC, Marrakech, 15 avril 1994. 202 Robert H. Barrigar, Supra note 15, art 27 (3). 203 Gaëlle Beauregard, Supra note 2 aux p 19 et 20 (l’auteur dans son ouvrage cite
cependant plutôt l’ALENA que l’ADPIC pour expliquer la modification de la disposition
Canadienne. Il est en effet vrai que, l’ALENA dispose d’une disposition similaire.
Cependant, comme elle le souligne, étant donné le silence des parlementaires sur cette
modification, il est ardu de déterminer la raison de la modification). 204 Voir notamment Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34 (au point 115
notamment, il est relevé le fait que dans la décision Harvard le juge, bien qu’il avait
estimé qu’une souris génétiquement modifiée ne pouvait faire l’objet d’un brevet, le
processus permettant de créer cette souris était lui, brevetable.).
81
brevetés et, de ce fait, l’exploitation sans licence de plantes contenant ces gènes
et cellules était de la contrefaçon. Cet état de fait est quelque peu problématique
car, au final, même si l’être vivant modifié ne peut faire l’objet d’un brevet, le
processus permettant de le créer est lui brevetable, autrement dit,
l’impossibilité de breveter l’être vivant n’est qu’une interdiction d’apparence. De
ce fait, il semble bien que, contrairement à ce que cette décision pourrait laisser
supposer, il y ait bien une neutralité dans la délivrance du brevet.
Cependant, malgré tout ce que nous venons de voir, l’argumentation des
juges voulant que le droit des brevets soit neutre, il est nécessaire de nuancer
cette affirmation. En effet, s’il n’existe, il est vrai, plus de dispositions
interdisant la délivrance de brevet pour des inventions dont l’objet est illicite,
en revanche, il y a l’interdiction de breveter des traitements médicaux. Or,
comment expliquer autrement que par l’éthique utilitariste une telle
disposition205 ? En effet, cette disposition est là pour empêcher que des
chirurgiens et autres personnels de la santé soient forcés d’obtenir des licences
d’exploitation afin de prodiguer les meilleurs soins possible à leurs patients.
Nous allons désormais voir que dans le droit français et européen, la position
de la morale dans la délivrance du brevet est plus nuancée.
205 Voir John R. Rudolph, A study of issues relating to the patentability of biotechnological
subject matter, 1996, Industry Canada, aux p 37 et 38 (l’auteur souligne le fait qu’une
telle disposition ne serait pas logique si, comme le soutient certains, l’éthique n’a pas sa
place dans le droit des brevets).
82
2. Un droit français et européen laissant en apparence une place importante à la
moralité de l’invention
Le droit français, comme le droit européen, prévoient tous deux une
disposition encadrant la délivrance des brevets pour des inventions dont
l’exploitation commerciale serait contraire à l’ordre public, aux bonnes mœurs
ou bien encore à la dignité de la personne humaine206. Du fait de cette grande
proximité, et comme bien souvent dans le cadre de la jurisprudence française
et européenne, ces deux dernières n’hésitent pas à s’inspirer de leurs
jurisprudences respectives, c’est pourquoi nous traiterons ici les deux en même
temps.
La disposition européenne semble être avant tout destinée au cas des
biotechnologies car, non seulement le seul règlement d’application la
concernant porte sur les biotechnologies207 mais également car, pour le
moment, ce n’est que dans le cadre de biotechnologies que l’application de cet
article s’est vue discutée devant la justice.
C’est d’ailleurs dans une de ces affaires que nous pouvons en apprendre
plus sur l’application de cet article. C’est ainsi dans la décision Plant Genetics
Systems de l’OEB que cette disposition s’est vu être fortement précisée. Le
premier élément à relever est l’interprétation très large que le juge fait de cette
206 Voir Article L611-17 Code de la propriété intellectuelle et Article 53 Convention sur le
Brevet Européen (ces deux articles sont très similaires, pour la version française « Ne sont
pas brevetables les inventions dont l'exploitation commerciale serait contraire à la dignité
de la personne humaine, à l'ordre public ou aux bonnes moeurs, cette contrariété ne
pouvant résulter du seul fait que cette exploitation est interdite par une disposition
législative ou réglementaire » et pour la version Européenne « les inventions dont
l'exploitation commerciale serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs, une
telle contradiction ne pouvant être déduite du seul fait que l'exploitation est interdite,
dans tous les Etats contractants ou dans plusieurs d'entre eux, par une disposition légale
ou réglementaire ». 207 Franck Macrez, L’invention brevetable dans la pratique de l’office européen des brevets,
2013, LexisNexis, en ligne <http://franck.macrez.net/?p=286>.
83
disposition, et notamment de la notion d’ordre public. Dans cette notion est
incluse
la protection de l'intérêt public et l'intégrité physique des individus en tant que membres de la société. Cette notion englobe également la protection de l'environnement. Par conséquent, conformément à l'article 53a) CBE, les inventions dont la mise en oeuvre risque de troubler la paix publique ou l'ordre social (par ex. par des actes terroristes), ou de nuire gravement à l'environnement, doivent être exclues de la brevetabilité, car elles sont contraires à l'ordre public.208
Ainsi, à la lecture de cette interprétation très large, nous pourrions en
déduire que désormais, l’application de l’éthique utilitariste va plus loin que ce
qui se faisait jusqu’à présent. En effet, là où auparavant, ce qui était recherché
c’était avant tout la recherche du progrès technique, ou bien le bénéfice apporté
à la société par l’exploitation de l’invention, avec cette interprétation, de
nouveaux éléments entrent en ligne de compte, le bien être, la santé et la
sécurité. Ces nouveaux éléments sont très intéressants car ils viennent
renforcer la dimension hédoniste de l’utilitarisme209. Il ne faut pas oublier en
effet que la finalité de l’utilitarisme est d’obtenir le plus grand bonheur possible
pour le plus grand nombre. Or, en prenant en compte le fait qu’une invention
par son exploitation puisse poser des problèmes de sécurité, de santé ou pour
l’environnement, venant affecter de ce fait le bonheur des gens, le juge vient
renforcer l’esprit utilitariste du droit des brevets.
En plus de venir préciser la notion d’ordre public, cette décision vient
également clarifier ce qui doit être entendu par la notion de bonnes mœurs.
La notion de bonnes moeurs est fondée sur la conviction selon laquelle certains comportements sont conformes à la morale et acceptables,
tandis que d'autres ne le sont pas, eu égard à l'ensemble des normes acceptées et profondément ancrées dans une culture donnée. Aux fins de la CBE, la culture en question est la culture inhérente à la société et à la civilisation européennes. En conséquence, les inventions dont la mise en oeuvre n'est pas conforme aux normes de conduite conventionnelles adoptées dans cette culture doivent être exclues de la
208 Cellules de Plantes, Chambres de recours OEB, 1995. 209 Voir Chapitre préliminaire, Première Partie, IV.
84
brevetabilité, conformément à l'article 53a) CBE, car elles sont contraires aux bonnes mœurs.210
Par cette précision, nous comprenons aisément que cette disposition
s’inscrit dans une optique de relativisme éthique211. Or, bien que dans la
décision le juge précise qu’il est question de la culture européenne, pour
interpréter la moralité ou non d’une invention, cette précision n’a qu’un intérêt
limité. Le problème du relativisme éthique, comme nous l’avions évoqué est sa
difficulté à aider la prise de décision étant donné qu’il met sur un pied d’égalité
les diverses morales. Ainsi, le juge, en précisant que c’est la culture, et donc
par extension la morale européenne qui doit être prise en considération, est très
optimiste. Il aurait été en effet plus judicieux de parler des cultures
européennes car il n’y pas une mais de très nombreuses cultures en Europe212,
ce qui, naturellement, entraine des concepts moraux différents. Pour illustrer
cette différence, nous allons sortir quelque peu du domaine des brevets. Le
traité de Lisbonne qui est entré en vigueur en 2009 comportait une Charte des
droits fondamentaux. Parmi ceux-là, à l’article 21 était prohibée toute
discrimination, notamment portée sur l’orientation sexuelle. Or aujourd’hui
encore, concernant le mariage ou l’union homosexuelle il existe des différences
entre les différents pays de l’Union. Certains acceptent le mariage homosexuel,
d’autres prévoient d’autres types d’union, et d’autres encore ne prévoient
rien213.
Le juge a donc cherché à donner une interprétation large à cette disposition.
Cependant, celle-ci ne semble être que de façade. En effet, comme nous venons
de le voir, le volet sur les bonnes mœurs se retrouve au final très limité. De ce
fait, il n’y a qu’un seul cas dans lequel cette disposition ait été appliquée, celui
concernant des cultures de souches embryonnaires humaines qui ne pouvait
210 Ibid. 211 Voir Chapitre préliminaire, Première Partie, I pour rappel du relativisme éthique. 212 Voir notamment Geneviève Prosche, L’Union Européenne face au multiculturalisme :
histoire d’une intégration mal définie sur le plan juridique, 2012, en ligne < http://base.d-
p-h.info/fr/fiches/dph/fiche-dph-9100.html>. 213 Le mariage homosexuel en Europe, en ligne <
https://www.touteleurope.eu/actualite/le-mariage-homosexuel-en-europe.html>.
85
être obtenu autrement que par la destruction d’embryons humains214. Cette
décision avait pu être rendue grâce au règlement d’exécution de la CBE. En
effet, ce dernier, dans sa Deuxième Partie et au Chapitre V, vient préciser
l’article 53 a) de la CBE. Il vient notamment interdire l’utilisation d’embryons
humains à des fins industrielles ou commerciales215. Ainsi, en l’espèce il
s’agissait de cultures de cellules souches qui, à la date de la demande du brevet,
ne pouvaient être obtenues que par l’utilisation, et donc la destruction
d’embryons humains. De ce fait, même si la méthode d’obtention des cellules
souches par l’utilisation d’embryons humains ne faisait pas partie des
revendications du brevet, l’invention ne pouvait être brevetée au titre des
articles 53 a) CBE et de l’article 28 c) RECDBE. Il est d’ailleurs intéressant de
noter que cette décision a potentiellement élargi le champ d’application de
l’article 53 a) de la CBE. En effet, comme le souligne la Grande Chambre de
recours à son paragraphe 29, « il importe de souligner que ce n'est pas la
délivrance du brevet qui est jugée contraire à l'ordre public ou aux bonnes
mœurs, mais bien la réalisation de l'invention, qui comporte une étape contraire
à ces principes en tant qu'elle suppose la destruction d'un embryon
humain. »216. L’article 53 a) de la CBE vient de son côté, ne sanctionner que les
inventions dont « l’exploitation commerciale serait contraire à l’ordre public ou
aux bonnes mœurs »217. Cependant, étant donné qu’aucune décision n’est
venue confirmer ce potentiel élargissement du champ d’application de l’art 53
a), il ne reste que théorique.
En dehors des quelques cas cités dans l’article 28 du RECDBE218, c’est au
juge et aux examinateurs de l’OEB qu’incombe la responsabilité de déterminer
214 Décision G 0002/06, Utilisation d’embryons/WARF, 2008. 215 Règlement d’exécution de la CBE, Deuxième Partie, Chapitre V, Règle 28. 216 Utilisations d’embryons/WARF, supra note 213, paragraphe 29 des motifs. 217 Convention sur le brevet européen, Deuxième Partie, Chapitre 1, art 53 a). 218 Sont ainsi cités les procédés « de clonage des êtres humains », « de modification de
l'identité génétique germinale de l'être humain », « de modification de l'identité génétique
des animaux de nature à provoquer chez eux des souffrances sans utilité médicale
substantielle pour l'homme ou l'animal, ainsi que les animaux issus de tels procédés » et
les « utilisations d'embryons humains à des fins industrielles ou commerciales ».
86
ce qui est ou non brevetable. L’instruction donnée aux examinateurs de l’OEB
est très restrictive car pour savoir si l’invention est contraire à la morale, ils
doivent se demander si l’invention « apparaîtrait au public comme si répugnante
qu’il serait inconcevable de la breveter »219.
Le peu de décision refusant un brevet en se fondant sur cette disposition
amène certains à dire que cette disposition est superficielle et de simple
apparence220.
Les dispositions destinées à encadrer la délivrance des brevets ne sont pas
les seules à se voir restreindre leur portée, voire à disparaitre, le contrôle de
l’exploitation du brevet se voit lui aussi restreint.
II / Une plus grande liberté accordée au breveté par la disparition des déchéances
de brevet
Ces dispositions permettant de déchoir un breveté de sa propriété sur son
brevet étaient des dispositions que l’on retrouvait tant dans le droit canadien
que français jusqu’à la première moitié du XXème siècle. La plupart de ces
dispositions sont actuellement toujours présentes dans le droit canadien et
français. En raison de la mondialisation et de la globalisation du commerce,
une des dispositions que nous avions vues a naturellement disparu, la
déchéance d’un brevet dans le cas d’importation de l’élément breveté depuis
l’étranger. Pour ce qui est des autres dispositions, elles sont toujours présentes
219 Franck Macrez, Supra note 196. 220 Voir notamment Jean-Louis Goutal, Préc note 158 à la p 5 (l’auteur parle de cette
disposition comme n’étant « à peine plus qu’une clause de style », si elle est présente c’est
tout simplement car elle est « une clause de sauvegarde, rendue necessaire par Ie fait
qu'en matiere de brevet, I'Etat delivre un titre », autrement dit, l’autorité publique.
87
dans les textes, mais comme nous pourrons le voir par la suite, ces dispositions
ne rencontrent pas le même succès dans la pratique.
1. La déchéance du brevet pour description non conforme
Cette disposition est donc toujours présente dans les deux systèmes. Pour
la France, elle se trouve codifiée à l’article L612-5 du Code de la Propriété
Intellectuelle, « L'invention doit être exposée dans la demande de brevet de façon
suffisamment claire et complète pour qu'une personne du métier puisse
l'exécuter »221 On notera cependant que la disposition n’évoque désormais plus
la possibilité d’une perte du brevet. Cependant, cela n’empêche pas la
jurisprudence de continuer de prononcer la nullité au nom de cette disposition.
Parmi les annulations de brevet pour description incomplète sur la base de l’art
L612-5 nous pouvons citer l’annulation d’un brevet en raison d’une description
incomplète d’une partie de l’invention ne permettant pas à la personne du
métier de réaliser l’invention222. De la même manière, quand il est nécessaire
de reposer sur des évènements aléatoires pour reproduire une invention, le
brevet sera annulé223. Enfin, la description ne sera pas suffisante si elle ne
donne pas d’indications sur certaines conditions techniques indispensables à
la réalisation de l’invention224.
Cette disposition, et notamment pourquoi elle est utilitariste, a déjà été
analysée précédemment, aussi nous ne reviendrons pas dessus. Ce que nous
pouvons voir en revanche c’est qu’elle est toujours bien appliquée et que, de ce
fait, l’utilitarisme, par le biais de cette disposition notamment, est toujours bien
présent dans le droit des brevets français.
221 Code de la Propriété Intellectuelle, art L612-5. 222 Paris, 22 février 1995 : PIBD 1995. III. 263. 223 OEB ch. rec. tech. , 21 mai 1999, T. 727/95: JO OEB, janv. 2001, p. 1. 224 Paris, 20 mai 2005:Propr. intell. 2005, no 17, p. 462, obs. Warusfel.
88
En revanche, au Canada, cette disposition ne rencontre pas le même succès.
Il est très rare que cette disposition soit appliquée225, « the courts have been
reluctant to invalidate patents under this section ».226 Malgré cela, il y a une
décision qui vient discuter de cette disposition et qui peut nous guider sur le
sens à donner à la disposition. L’article 53 (1) de la Loi sur les brevets dispose
ainsi que
Le brevet est nul si la pétition du demandeur, relative à ce brevet, contient quelque allégation importante qui n’est pas conforme à la vérité, ou si le mémoire descriptif et les dessins contiennent plus ou moins qu’il
n’est nécessaire pour démontrer ce qu’ils sont censés démontrer, et si l’omission ou l’addition est volontairement faite pour induire en erreur227
La décision Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. va venir préciser
notamment ce qu’il faut entendre par une « allégation importante ». En effet,
dans l’affaire, l’un des arguments pour faire tomber le brevet était le fait qu’il
avait été omis de désigner deux personnes comme les inventeurs du brevet, et
que, de ce fait, le brevet ne respectait pas l’article 53 (1)228. La Cour suprême
avait validé la décision de la Cour d’appel fédérale en estiment que les deux
personnes ne devaient pas être considérés comme co-inventeurs , mais il avait
également jugé que, même si ils avaient jugés en sens inverse, l’omission de
personnes comme co-inventeur dans le brevet n’était pas une erreur à même
d’annuler brevet. Ce qui est intéressant ici c’est de se pencher sur la raison qui
a amené le juge à estimer qu’une erreur sur la paternité de l’invention n’était
pas susceptible d’annuler un brevet sur le fondement de l’article 53 (1).
Cette disposition reposant sur une éthique utilitariste, ce qui est recherché
par celle-ci, c’est le bien collectif. Aussi, le juge ne regarde pas si une omission
225 Je n’ai personnellement trouvé aucune décision qui faisait état de l’application de cette
disposition. 226 Robert H. Barrigar, Supra, note 14, à la p 135. 227 Loi sur les Brevets, art 53 (1). 228 Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002, 4 R.C.S. 153.
89
cause un préjudice à l’inventeur, mais si elle cause un préjudice à la société qui
délivre le brevet229.
De ce fait, même s’il n’y a pas eu d’annulation d’un brevet sur le fondement
de cette disposition, nous pouvons constater que l’esprit utilitariste de la
disposition est toujours là, et que le juge a toujours conscience de son esprit
utilitariste.
2. L’absence d’exploitation et les abus menant à la déchéance
Contrairement à la disposition précédente, ici, c’est surtout au Canada que
nous pouvons voir des mises en applications de cette disposition. Il est
également important de noter de suite que, dans le cas de la France, depuis la
loi de 1869, la déchéance du brevet n’est plus possible. Désormais, dans le cas
d’une insuffisance ou d’une absence d’exploitation il est uniquement possible
de prononcer une licence d’exploitation230. Désormais, cette disposition se
trouve codifiée à l’article L613-11 du CPI et à l’article L613-16 pour le cas
spécifique des médicaments. Au Canada, cette disposition se trouve à l’article
65 de la Loi sur les Brevets avec tous les autres cas d’abus.
Dans le cas français, les deux dispositions sont surtout des dispositions
incitatives qui sont là pour s’assurer que le breveté, dans le cas où il ne peut
répondre à la demande, cède de lui-même une licence d’exploitation pour son
brevet231. De ce fait, les cas de jurisprudence ayant mis en application ces
dispositions sont rares mais sont malgré tout intéressants à étudier car ils se
229 Ibid au point 107 (est repris à ce point le raisonnement du juge Addy dans une
précédente affaire « le fait que le demandeur soit l’inventeur ou l’un des deux
coïnventeurs est sans conséquence pour le public, puisque ce fait ne touche ni la durée ni
le fond du brevet ni même le fait d’y avoir droit »). 230 Loi n° 68-1 du 2 janvier 1968 tendant à valoriser l’activité inventive et à modifier le
régime des brevets d’invention. 231 Pierre Sirinelli, Sylviane Durrande et Nathalie Maximin, Code de la Propriété
Intellectuelle, 2019, Dalloz.
90
rapprochent de la pratique canadienne. Dans le cas de l’article L613-16 en
revanche il n’existe aucune mise en pratique de la disposition ni même
précision jurisprudentielle. Dans le cas canadien c’est la disposition 65 de la
Loi sur les Brevets qui dispose des cas d’abus de brevet pouvant mener à la
déchéance du brevet ou à la délivrance de licences d’exploitation forcées tels
que précisés dans l’article 66.
Parmi les précisions intéressantes contenues dans la disposition
canadienne, nous pouvons citer le fait que la demande à laquelle doit répondre
le breveté doit être réelle, existante et immédiate et non pas hypothétique,
potentielle ou anticipée232. L’esprit de cette règle est de s’assurer que l’invention
soit exploitée de manière à répondre aux besoins canadiens, que ce soit par le
breveté ou bien par d’autres personnes via l’octroi de licence. L’objectif n’est
pas de faire de cette disposition un passe-droit pour toute personne qui
voudrait obtenir une licence sur un brevet. Nous voyons ce souci de bien
appliquer cet esprit de la loi dans cette décision en ce que le commissaire aux
brevets, pour refuser de délivrer une licence d’exploitation, s’était interrogé sur
la réalité de la demande. Il était apparu que la demande avait été créée
artificiellement, justement pour profiter de cette disposition et obtenir une
licence233. C’est pour cela que la demande doit bien être réelle, pour ne pas que
cette disposition soit utilisée dans une fin autre que celle pour laquelle elle est
prévue, à savoir, le bien-être général. La jurisprudence française va dans le
même sens, le breveté doit exploiter ou au minimum avoir réalisé des
préparatifs sérieux dans le but d’exploiter l’invention234. Dans le cas de la
France, il est intéressant de noter qu’en raison de la présence de l’Union
Européenne, si l’exploitation se fait dans un pays de l’Union, l’exploitation est
considérée valable235.
232 Brantford Chemicals Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets), [2007] 4 RCF 547. 233 Ibid. 234 Frédéric Pollaud-Dulian, Supra note 102 à la p 338. 235 Ibid.
91
La décision Bristol-Myers de 2005 rappelle d’ailleurs très bien cette
dimension utilitariste de ces dispositions que nous venons de voir.
Cela étant dit, il faut se rappeler que, sous le régime de la Loi sur les brevets, le breveté ne jouit pas d’un droit absolu et exclusif de faire tout ce qui lui plaît avec son brevet. La Loi sur les brevets et le Règlement ADC représentent une limite délibérée à la concurrence. Dans le cadre du contrat social tripartite évoqué au début de mon analyse, le législateur a établi diverses restrictions et exceptions au monopole conféré aux brevetés.236
La jurisprudence a ainsi délimité, défini une ligne entre l’abus et
l’exploitation loyale et juste de l’invention. Certes, l’objectif utilitariste veut que
l’exploitation de l’invention soit réelle, mais pour autant, il ne faut pas trop en
exiger de la part du breveté au risque de rendre le brevet moins intéressant.
Ainsi, nous pouvons citer le fait que l’exploitation de l’invention doit être réalisée
par le breveté ou bien par une personne disposant d’une licence d’exploitation,
une exploitation issue d’une contrefaçon ne sera pas une excuse valable pour
se dédouaner de l’obligation d’exploitation237. Bien que l’interdiction de
l’importation d’éléments brevetés n’existe désormais plus dans les dispositions
actuelles, le juge a été amené à se prononcer sur celles-ci de nombreuses fois
avant sa disparition. Le juge a notamment dû délimiter une démarcation à
partir de laquelle il était considéré que l’exploitation au Canada de l’invention
était suffisante. En effet, avec la globalisation, un produit n’est pas forcément
construit à un seul endroit mais peut être réalisé dans plusieurs endroits avant
d’être un produit fini. Ainsi, un produit dont seules la ou les dernières étapes
sans importance sont réalisées au Canada et que c’est donc à l’étranger que le
produit final a été réalisé ne remplira pas la condition de l’exploitation au
Canada238. En revanche, si un produit est assemblé au Canada, bien que les
différentes parties soient réalisées à l’étranger, alors la condition d’exploitation
au Canada sera remplie239. Cependant, avant que cette décision ne soit rendue,
la jurisprudence était plus stricte et ne considérait pas qu’un assemblage au
236 Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 RCS 533. 237 DeFrees v. Dominion Auto Accessories Ltd., 1967, 1 Ex. C.R. 46. 238 MacKay Specialties Inc. v. Procter & Gamble Co., 1982, 69 C.P.R. (2d) 90. 239 Ltd. V. Windsurfing International Inc., 1981, 59 C.P.R. (2d).
92
Canada soit suffisant240. Cet assouplissement de la jurisprudence n’était que le
premier pas vers la disparition de cette disposition en raison de l’évolution du
monde vers un marché de plus en plus globalisé. En effet, avec l’adoption de
l’accord ADPIC il n’était plus possible de considérer que l’importation d’une
invention brevetée ne constituait pas une exploitation de l’invention241. Du côté
français, il n’est désormais également plus nécessaire d’exploiter l’invention en
France, cependant, avant les accords ADPIC, tout comme au Canada,
l’importation de l’invention brevetée n’était pas considérée comme une
exploitation suffisante242.
Un autre assouplissement que nous pouvons noter sur cette disposition est
que si le breveté réalise des démarches et recherche des personnes pour délivrer
des licences d’exploitation ou des moyens d’exploiter son invention au Canada,
alors le breveté peut être excusé de la non-exploitation au Canada243.
Il est cependant un cas de non-exploitation de brevet qui soulève des
questions en droit canadien et qui ne s’est pas encore vu apportée de réponse
par la jurisprudence. Le cas de la non-exploitation d’une invention car le
breveté a amélioré sa première invention et que, désormais, cette dernière est
dépassée et moins rentable que la nouvelle invention brevetée. Dans ce cas, il
est désormais normal que le breveté exploite sa nouvelle invention, mais il peut
être aussi intéressant pour lui de garder son brevet sur son invention originale
afin d’empêcher la concurrence de l’exploiter. Il semblerait que la non-
exploitation d’un brevet qui s’est vu amélioré ne soit pas à même d’entrainer sa
nullité244. Bien que cette réflexion ne se base pas sur une jurisprudence
240 Voir notamment Metalliflex Ltd. V. Rodi & Wienenberger A.G., 1963 40 C.P.R. 52. 241 Supra note 189, Partie II Section 5 art 27 1. 242 Voir notamment TGI Toulouse, 15 octobre 1979. 243 Harvey’s Skindiving Suits of Canada v. Poseidon Industries A.B., 1984, 5 C.P.R. (3d)
154. 244 Voir, Jeffrey S. Graham et Paul Y. Fortin, Life Sciences Legal Trends in Canada, 2016,
Borden Ladner Gervais, en ligne
<https://unik.caij.qc.ca/recherche#t=unik&sort=relevancy&m=detailed&unikid=PC-
93
canadienne elle ne semble pas illogique car elle est dans l’esprit de la loi. Elle
semble d’autant plus logique qu’un cas similaire s’est présenté en France. C’est
ainsi en 2000 que la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation avait dû
déterminer si la non-exploitation d’une invention du fait d’une nouvelle
invention plus performante était une excuse valable245. Bien qu’en l’espèce le
juge n’ait pas jugé qu’il y avait excuse légitime justifiant l’absence d’exploitation
du brevet, le juge a bien précisé que l’exploitation d’une invention brevetée plus
performante était une excuse valable à la non-exploitation d’un brevet. Statuer
dans le sens inverse reviendrait à « imposer au titulaire de ce brevet une
exploitation industrielle et commerciale moins efficace que celle à laquelle il a
par ailleurs accédé »246. Si le juge n’a pas considéré que l’excuse était valable
en l’espèce, c’est uniquement car il n’a pas estimé qu’il était prouvé que la
nouvelle invention était supérieure247. De la même manière, tout obstacle
« sérieux et indépendant de la volonté du titulaire du brevet, ayant empêché
effectivement l’exploitation, obstacle économique ou financier, administratif,
juridique ou technique, obstacle tenant aux agissements de contrefacteurs »
sera à même d’être une excuse valable à l’absence d’exploitation en droit
français. Nous voyons ainsi ici, que l’absence d’exploitation est plus aisément
excusée en droit français qu’en droit canadien.
Nous avons donc vu ici qu’il y a deux tendances qui se dégagent. D’un côté
il y a un recul de l’utilitarisme dans la délivrance du brevet et ce qui pourrait
a94921> et Davit Akman, Denes A. Rotschild, Zirjan Derwa, Questionable Policy: New
Canadian IP Enforcement Guidelines Miss the Mark on Pharma, 2016, Borden Ladner
Gervais, en ligne <
https://unik.caij.qc.ca/recherche#t=unik&sort=relevancy&m=detailed&unikid=PC-
a93353>. 245 Cass com, 11 janvier 2000, n° 97-20.822. 246 Ibid. 247 Ibid « Mais attendu que la cour d'appel, qui a souverainement retenu que la prétendue
supériorité de la technique, mise en oeuvre dans les machines fabriquées par la société
Emsens sur celle protégée par le brevet n° 82-11 596, ne peut être tenue pour pertinente
et constituer une excuse légitime, a pu statuer comme elle l'a fait ; d'où il suit que le
moyen n'est pas fondé ».
94
être une recherche d’une délivrance de brevet plus neutre, et de l’autre nous
avons la continuité de l’utilitarisme dans le contrôle de la bonne exploitation
du brevet. Force est de constater que c’est surtout la première évolution qui est
sujette à débat, cependant, faut-il vraiment parler de neutralité ?
III / Une évolution marquant une volonté de neutralité ou bien dénotant un
glissement vers une éthique égoïste.
Nous l’avons vu plus tôt dans ce travail, l’une des théories éthiques se
nomme l’égoïsme éthique. Contrairement à l’utilitarisme qui met l’accent sur le
bonheur du plus grand nombre, l’égoïsme va viser à satisfaire les besoins d’une
personne. En effet, selon cette pensée, toute personne doit avant tout
rechercher la satisfaction de ses besoins, et ne se soumettra à une autorité
supérieure que si elle y trouve intérêt. De ce fait, en matière de brevets, une
éthique égoïste se traduirait par un accent mis non pas sur l’intérêt collectif
mais sur la satisfaction du breveté.
Ce rappel étant fait, il convient de s’interroger sur la « neutralité » du droit
des brevets que certains évoquent248. Il est vrai qu’en observant la pratique
états-unienne, il est possible de se demander si le droit des brevets n’est pas
neutre. Après tout, hormis la disposition présente dans le Patent Act qui interdit
le dépôt de brevet sur le corps humain249, il n’y a pas, à première vue de
disposition ou de jurisprudence qui mettrait des encadrements éthiques.
Cependant, il ne faut pas faire l’erreur de croire que l’éthique dans le droit ou
dans la vie se limite à rechercher le bien. L’éthique égoïste, bien que selon
248 Maurice Cassier, Brevets et éthique : les controverses sur la brevetabilité des gènes
humains, 2002, Revue française des affaires sociales, en ligne <
https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2002-3-page-
235.htm?fbclid=IwAR3Qh-
byiPp9QOFTn7sBaKdVHhhQwAKzRp4fsFfElxZE1UwXbMS47h9kZoM>. 249 Patent Act USA, 35 USC § 101, article 101.
95
certains, elle aboutisse à la satisfaction générale, vise avant tout à satisfaire les
besoins personnels.
De ce fait, en opérant un revirement de jurisprudence sur la notion de
l’utilité sociale d’une invention, permettant ainsi une délivrance plus simple du
brevet, c’est ici l’intérêt de l’inventeur qui est recherché. Rappelons d’ailleurs
que selon la jurisprudence états-unienne, et, sauf si une décision venait à
statuer en sens inverse, une simple modification d’aspect est de nature à être
considérée comme une innovation suffisante pour obtenir un brevet250.
Désormais il n’est plus nécessaire que l’invention apporte un bénéfice à la
société. Là où il est vrai, il est possible de voir une recherche de neutralité, il
est tout autant possible d’y voir la recherche de la satisfaction des besoins du
breveté. En lui donnant la possibilité de breveter plus d’éléments, sans
rechercher un intérêt à la société, on favorise là son intérêt à celui de la société.
Cette dernière lui concède un monopole, mais sans s’assurer de bénéfice en
retour. Analyser cette approche comme résultant d’un changement d’éthique
vers une éthique égoïste fait sens.
Là où l’éthique utilitariste est centrée sur la recherche du bien du plus grand
nombre, l’éthique égoïste cherche la satisfaction d’une seule personne, soi-
même. Pour réguler cet ensemble de personnes cherchant toutes la satisfaction
de leurs besoins personnels, nous l’avons vu également, il y a cette idée d’un
ensemble de règles permettant de faire en sorte que chacun ait son intérêt de
satisfait sans pour autant que l’ensemble soit chaotique, c’est l’idée du
Léviathan de Hobbes251. De ce fait, il serait plus judicieux de parler d’une visée
égoïste, au sens éthique, du brevet, plutôt que de sa neutralité, ce dernier étant
surtout désormais destiné à satisfaire les besoins d’exploitation du breveté.
Bien qu’ici nous ayons pris l’exemple des Etats-Unis, le même raisonnement
peut s’appliquer au cas du Canada, avec notamment la disparition de
l’interdiction de la délivrance de brevets pour des inventions ayant un objet
250 Voir Juicy Whip, Inc. v. Orange Bang, Inc., supra note 191. 251 Voir Thomas Hobbes, supra note 36.
96
illicite, ou bien à la France. Dès que la recherche de bienfaits par le système
des brevets s’efface pour donner une place plus importante aux droits du
breveté, il est nécessaire de s’interroger sur la raison du changement. Est-ce
une recherche de neutralité ou bien plutôt un changement vers une éthique
égoïste ?
Pour répondre à cette interrogation, il est nécessaire de prendre en compte
l’argument selon lequel le droit des brevets ne serait en définitive pas le meilleur
outil pour traiter les questions de moralité sur les inventions252. Dans cette
optique, la prise en compte des considérations éthiques serait ainsi simplement
déplacée vers une autre instance, par exemple les instances d’autorisation de
mise sur le marché dans le cas des médicaments ou bien encore la FDA au
Etats-Unis (Food and Drug administration). De ce fait, les considérations
d’éthique appliquée que nous avions vue dans les valeurs de la bioéthique ne
seraient pas simplement des déclarations sans réelle mise en application. Ces
valeurs seraient mises en application dans d’autres normes et droit plus à
même d’encadrer les biotechnologies.
Nous venons donc de voir ici quelle a été l’évolution du droit des brevets et
de sa pratique, d’un point de vue éthique, depuis la deuxième moitié du XXème
siècle. Nous allons désormais voir dans une dernière partie, que de nouveaux
défis sont venus se poser au système des brevets, et notamment en relation à
la question éthique.
252 Maurice Cassier, Supra note 234.
97
Deuxième Partie : La remise en cause éthique du système des
brevets, la critique d’un utilitarisme centré sur les intérêts des
pays occidentaux
Nous avons pu voir jusqu’ici que le droit des brevets a pendant longtemps,
et encore aujourd’hui mais dans une mesure plus restreinte, répondu à une
éthique utilitariste qui pendent longtemps était « nationaliste ». Nous allons voir
dans cette dernière partie que désormais, le droit des brevets a dû s’adapter ou
bien est appelé à s’adapter pour répondre à de nouvelles considérations
utilitaristes. En effet, désormais, ce système prend en compte les besoins des
pays moins développés (I) et, derrière cette prise en compte, se trouve une
remise en cause du système des brevets (II).
I / Le développement de dispositions spéciales pour les pays en voie de
développement, vers un utilitarisme globalisé
Tant au Canada qu’en Europe, des dispositions ont été mises en place pour
permettre l’octroi de licence d’exploitation pour la production et l’exportation de
médicaments à destination des pays en développement et les moins développés
qui font face à des menaces de santé publique qu’ils ne peuvent gérer. Ces
dispositions ont été mises en place pour répondre à la Déclaration de Doha qui,
à la demande des pays en voie de développement et des pays les moins avancés,
a précisé l’art 31 de l’accord sur les ADPIC concernant l’octroi de licence
obligatoire253. Ainsi, la Déclaration de Doha stipule que les Etats parties à
l’OMC peuvent mettre en place des dispositions pour délivrer des licences
253 Supra note 190, art 31.
98
obligatoires pour venir en aide aux pays en développement et les moins avancés
dans le cas de menaces importantes pour la santé publique254.
Cette disposition s’est ainsi vue adaptée et incluse tant le droit canadien
avec les articles 21.02 à 21.2 de la Loi sur les brevets que dans le droit européen
avec le Règlement communautaire n° 816-2006. Le CPI français a d’ailleurs
précisé l’application de cette disposition dans le droit français à son article L
613-17-1 Dans les deux cas, cette possibilité est accompagnée d’un grand
nombre de règles venant encadrer cette possibilité.
Ainsi, sans être exhaustif sur ces dispositions nous pouvons citer, dans le
cas du Canada, l’obligation de créer un site internet par la personne qui
exploitera la licence délivrée255. Dans ce site internet devront notamment
apparaitre des éléments tels que « les caractères distinctifs du produit et de son
étiquetage et emballage » ou bien « le nom de tous les intervenants connus qui
manutentionneront le produit dans le cadre de son transit entre le Canada et
le pays ou le membre » de l’OMC a qui sont destinés les exportations256. Dans
le cas européen, il y a une disposition similaire257. Nous pouvons aussi citer la
nécessité de justifier plusieurs éléments tels que la tentative d’obtenir une
licence par négociation directe avec le breveté258 ou bien encore la nécessité de
démontrer le besoin de l’État moins avancé ou en développement259.
254 Déclaration sur l’accord sur les ADPIC et la santé publique (Déclaration de Doha), 20
novembre 2001, Doha. 255 Loi sur les brevets, LRC 1985, ch. P-4, art 21.06. 256 Ibid. 257 Règlement (CE) n° 816-2006, 17 mai 2006, Règlement concernant l'octroi de licences
obligatoires pour des brevets visant la fabrication de produits pharmaceutiques destinés à
l'exportation vers des pays connaissant des problèmes de santé publique, art 10. 258 Ibid, art 9 (dans le cas de l’Europe) et Supra note 241, Loi sur les brevets, art 21.04 (3)
(c) (dans le cas du Canada). 259 Supra note 243, art 8 (dans le cas de l’Europe) et Supra note 241, Loi sur les brevets,
art 21.04 (3) (d) (dans le Canada).
99
A ce point, il semble important de se questionner sur la portée éthique de
cette disposition de la Déclaration de Doha, du raisonnement éthique qui se
cache derrière ce texte et ses applications européennes et canadienne. Jusqu’ici
nous avons pu voir que les dispositions répondaient en général à une éthique
utilitariste nationaliste. La raison de ces dispositions était d’amener la
satisfaction d’une seule population, celle de l’Etat dans lequel l’invention est
brevetée. Cependant, dans le cas que nous voyons désormais, la situation est
différente. En effet, par l’application de cette disposition, il est recherché le bien
être d’autres personnes. A partir de ce moment, il y a deux raisonnements qui
peuvent être tenus. Soit ce changement indique que d’une éthique utilitariste
nationaliste, une évolution a été fait vers une éthique utilitariste plus globale
qui prendra en compte le bien de tous et pas seulement celui d’un pays isolé,
soit il indique l’incorporation d’une éthique altruiste dans le système des
brevets. De ces deux lectures possibles, c’est l’évolution vers une éthique
utilitariste plus globale qui semble plus judicieuse. En effet, l’incorporation
d’altruisme dans le droit des brevets semble peu réaliste à la vue de ce que nous
avons jusqu’ici. Les brevets sont avant tout là pour servir l’intérêt général, mais
sans pour autant desservir l’intérêt du breveté.
Les dispositions de Doha ont semble-t-il été appliquée à plusieurs reprises,
mais principalement dans les pays en voie de développement ou les moins
avancés260. Parmi les exemples d’application de ces dispositions de Doha nous
avons la Malaisie, qui, assez récemment, a autorisé l’importation d’un
médicament permettant de traiter l’hépatite C261. La Déclaration de Doha avait
en effet permis, à la demande des pays les moins avancés et en développement,
la mise en place de licences obligatoires pour ces pays, afin qu’il puisse faire
face aux épidémies sans subir les prix trop importants des médicaments
260 Ellen FM‘ t Hoen, Jacqueline Veraldi, Brigit Toebes et Hans V Hogerzeil, Medicine
procurement and the use of flexibilities in the Agreement on Trade-Related Aspects of
Intellectual Property Rights, 2001–2016, 2018, Organisation mondiale de la santé, <
https://www.who.int/bulletin/volumes/96/3/17-199364.pdf>. 261 Malaisie : décision historique pour l’accès aux médicaments contre l’hépatite C, 20
septembre 2017, Coalition Plus, en ligne < http://www.coalitionplus.org/malaisie-
decision-historique-lacces-aux-medicaments-contre-lhepatite-c/>.
100
brevetés262. Au Canada, ces dispositions ont également été mises en
application. Il était en effet question d’un médicament destiné à traiter le VIH.
Une licence obligatoire a été délivrée pour ce médicament pour subvenir à la
demande du Rwanda263.
Cependant, bien qu’un précédent rapport dont nous avons fait mention qui
provenait de l’OMS semblait indiquer qu’il y avait eu de nombreux cas de mises
en application des possibilités offertes par la Déclaration de Doha, il semblerait
également que ces dispositions ne soient pas utilisées à leur plein potentiel264.
Cette exploitation pauvre des dispositions de Doha pourrait, entre autres,
s’expliquer par la complexité des dispositions qui doivent être remplies pour
obtenir des licences obligatoires ou bien d’autres accommodations265. Cette
complexité serait d’autant plus problématique que, les pays qui ont intérêt à
avoir recours à ces dispositions n’ont bien souvent que peu de moyens, et sont,
de ce fait, peu en position de monter des dossiers complexes pour avoir recours
audites dispositions266. Nous pouvons alors nous interroger sur le sens de ces
dispositions, est-ce que ces dispositions ont au final un rôle avant tout incitatif,
autrement dit sont-elles avant destinées à encourager la cession de licences
d’exploitation négociées à l’amiable267 ?
262 Ibid. 263 Industrie Canada, Rapport sur l’examen législatif des articles 21.01 à 21.19 de la loi sur
les brevets, 2007, Gouvernement du Canada, en ligne <
http://publications.gc.ca/collections/collection_2012/ic/Iu4-118-2007-fra.pdf>. 264 Carlos M Correa, Flexibilities provided by the Agreement on Trade-Related Aspects of
Intellectual Property Rights, 2018, OMS, en ligne <
https://www.who.int/bulletin/volumes/96/3/17-206896.pdf>. 265 Bruno Boidin et Lucie Lesaffre, L’accès des pays pauvres aux médicaments et la
propriété intellectuelle : quel apport des partenariats multiacteurs ?, 2010, dans Revue
Internationale de droit économique t. XXIV n°3, en ligne < https://www.cairn.info/revue-
internationale-de-droit-economique-2010-3-page-325.htm#re9no270>. 266 Ibid. 267 Pierre Sirinelli, Sylviane Durrande et Nathalie Maximin, Supra note 218 (Ici le
raisonnement serait similaire à celui que nous avions eu précédemment concernant la
cession de licences obligatoires en droit français).
101
Cette évolution illustre bien un changement, ou bien une tentative de
changement vers un modèle utilitariste prenant en compte plus largement le
bien-être général. Cependant, nous l’avons vu, l’efficacité de ce changement
peut être questionnée.
II / L’injustice du système des brevets pour les pays en voie de développement
Bien que des dispositions aient émergé dans le droit des brevets
international pour aller dans le sens d’une vision utilitariste plus globalisée, le
droit des brevets n’est pas à l’abri des critiques de la part des pays les moins
développés.
L’une de ces critiques est le fait que le système des brevets serait un système
créé pour les pays développés268. Cette critique n’est pas à prendre à la légère.
En effet, comme nous l’avons vu, le brevet pendant très longtemps répondait à
une éthique utilitariste nationaliste. Ce n’est que récemment qu’il a évolué vers
une prise en compte des besoins autres que nationaux, et de manière très
limitée, car seuls les médicaments sont concernés. Cette évolution, de plus, ne
s’est pas faite sans difficulté. En effet, lors de l’adoption des ADPIC, cette
adaptation pour les pays les moins développés n’existait pas. Par ailleurs,
l’accord sur les ADPIC leur avait été partiellement imposé269. Cet accord n’avait
été accepté par ces derniers qu’en échange d’assouplissements de la part des
pays développés sur leur politique de brevets dans des domaines clés pour le
268 Voir notamment Vandana Shiva, Protect or Plunder? Understanding Intellectual Property
Rights, 2001, Halifax, Fernwood Publishing Ltd . 269 Marc-André Gagnon, Piétinement des négociations sur les ADPIC et l'accès aux
médicaments essentiels à l'approche de la Conférence ministérielle de Cancun, 2003,
Observatoire des Amériques, en ligne < http://www.ieim.uqam.ca/IMG/pdf/Chro_03-
III_Marc-AndreGagnon.pdf> (l’adoption des accords ADPIC par les pays en voie de
développement et les moins développés avait été forcé dans le sens où les États-Unis
menaçaient de recourir à des sanctions commerciales).
102
développement des pays dans le besoin270. Ces domaines entre autres étaient
l’agriculture et le textile.
Cependant, aujourd’hui, force est de reconnaitre que, non seulement seuls
les médicaments sont concernés, mais que, en plus de cela, malgré les
exploitations que nous avons vues des possibilités de la Déclaration de Doha et
de celles qui ont été relevées par d’autres271, cette ouverture vers une éthique
utilitariste plus globalisée n’est pas acceptée et pratiquée par tous. Les Etats-
Unis en particulier, par la réalisation d’accords bilatéraux de libre-échange vont
chercher à empêcher l’application efficace des dispositions issues de la
Déclaration de Doha, notamment par des dispositions prévoyant la protection
des données sur les médicaments pendant une durée de 10 ans, empêchant de
ce fait la création de génériques272.
III / Le maintien de la philosophie utilitariste nationaliste
Plus tôt dans ce travail, nous avions relevé la disparition des dispositions
utilitaristes nationalistes destinées à empêcher les inventions, après avoir été
brevetées dans un pays, d’être exportées vers d’autres pays pour quelles leur
profitent.273 Nous avions également vu qu’au tout début de la pratique des
brevets, avec les lettres patentes, il y avait une volonté d’attirer les inventions
étrangères en promettant de protéger une invention étrangère importée par un
brevet, cette pratique a encore survécu dans les premiers textes français274.
Cette pratique destinée à amener des inventions étrangères existe toujours,
bien qu’elle soit moins évidente dans les textes. Aujourd’hui, cette possibilité
270 Ibid. 271 Voir Ellen FM‘ t Hoen, Jacqueline Veraldi, Brigit Toebes et Hans V Hogerzeil, Supra
note 258. 272 Bruno Boidin et Lucie Lesaffre, Supra note 251. 273 Voir Chapitre 2, Première Partie, II. 274 Voir Chapitre 1, Première Partie.
103
offerte par une rédaction des textes clairement orientée vers une pratique
utilitariste nationaliste du droit des brevets concerne principalement le
brevetage de techniques et remèdes traditionnels et est désigné sous le nom de
biopiraterie275.
Si nous regardons le Patent Act états-uniens, la condition de nouveauté est
remplie sauf si « the invention was known or used by others in this country, or
patented or described in a printed publication in this or a foreign country,
before the invention thereof by the applicant for patent »276. Autrement dit, il
est fait une distinction entre deux situations, si l’invention était connue aux
Etats-Unis ou bien si elle était connue à l’étranger. Si elle est connue aux Etats-
Unis, alors pour que la condition de nouveauté ne soit pas remplie, il suffit que
l’invention ait été connue ou bien utilisée dans le pays. En revanche, si
l’invention provient d’un pays étranger, alors, pour que la condition ne soit pas
remplie il est nécessaire que l’invention ait fait l’objet d’une publication écrite
ou bien d’un brevet. Ainsi, par cette rédaction astucieuse de la condition de
nouveauté, il est tout à fait possible de breveter une pratique, une invention,
ou bien un médicament qui était connu dans un autre pays mais qui n’avait
jamais fait l’objet de publication ou de divulgation publique autre que par la
transmission orale du savoir277.
Cette rédaction n’est pas exclusive aux Etats-Unis. En effet, le Canada ouvre
cette possibilité également par la rédaction de ses dispositions. C’est en effet à
l’article 28.2 du texte canadien que l’on retrouve les exigences sur le caractère
nouveau de l’invention. Il y est ainsi disposé que l’invention pour être brevetable
ne doit pas « avant la date de la revendication, avoir fait, de la part d’une autre
personne, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au
275 Vandana Shiva, Supra note 3 aux p 63 à 83. 276 U.S.A. Patent Act, 35 USCS, Section 102. 277 Manual of Patent Examining Procedure, Supra note 194, (Le Manuel de procédure
d’examen en matière de brevets le confirme bien. En effet, il rappelle bien que la simple
utilisation ou connaissance de l’invention ne peut se s’opposer à la brevetabilité que si
celle-ci était connue aux États-Unis.).
104
Canada ou ailleurs »278. La question est alors de savoir ce qui est entendu par
« objet d’une communication rendue accessible au public ». Est-ce que, la
transmission de savoirs oraux propres aux cultures et sociétés non versées
dans la culture du brevet ou peu versée dans sa pratique peut être considérée
comme une communication rendue accessible au public ? Nous avons
malheureusement très peu d’éléments pour déterminer la décision que
prendrait le juge pour répondre à cette question. Nous pouvons malgré tout, en
nous basant sur des décisions interprétant l’article 28.2, tenter de voir quelle
serait une décision rendue sur cette question. Ce qui ressort de la
jurisprudence279 c’est que pour qu’un brevet soit invalide en raison d’une
utilisation antérieure du procédé, du produit ou de la machine, il faut que les
éléments divulgués de l’invention puissent permettre la réalisation de celle-ci.
Dans le cas de produits chimiques, donc cas qui peut être en lien avec la bio
piraterie, la condition de nouveauté ne sera pas remplie si, par une analyse du
produit antérieur, et sans qu’il y ait besoin de génie inventif, il est possible de
recréer le produit utilisé antérieurement. Autrement dit, dans le cas d’un
remède traditionnel, si par le biais d’une simple analyse il est possible de recréer
le remède traditionnel, sans qu’il soit nécessaire d’ajouter des éléments pour le
rendre fonctionnel, alors la condition de nouveauté ne sera pas remplie.
Cependant, rappelons que ce n’est là qu’une spéculation sur la décision qui
pourrait être rendue sur un cas comme celui-ci. Le recueil des pratiques du
Bureau des brevets adoptant ce raisonnement280, il est probable que si un
brevet reposant sur un savoir traditionnel venait à être soumis à l’appréciation
du juge ou du commissaire aux brevets, ces derniers pourraient refuser le
brevet si il ne fait preuve d’aucune activité inventive.
278 Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4. 279 Voir notamment Baker Petrolite Corp. C. Canwell Enviro-Industries Ltd., 2003, 1 CF
49, Cour d’Appel Fédérale du Canada et Abbot Laboratories c. Canada (Santé), 2006, CAF
187, Cour d’Appel Fédérale. 280 Recueil des Pratiques du Bureau des brevets, Chapitre 15, 15.01.03.
105
Dans le cas de la France, les dispositions semblent s’opposer directement à
l’éventualité de la bio piraterie. C’est ainsi à l’article L611-11 du CPI français
que l’on retrouve la disposition qui énonce que
Une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique. L'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen281
Ainsi, par cette disposition, il semble qu’une transmission orale d’une
technique ou d’un remède puisse être considérée comme une divulgation de
l’invention capable de s’opposer à la brevetabilité. Il n’est pas nécessaire que la
pratique, l’objet, ou la substance ait fait l’objet d’une publication écrite
quelconque. Une simple mise en pratique de celle-ci suffit. Cependant, la
jurisprudence n’ayant jamais eu à se prononcer sur le cas de brevet déposé sur
un savoir traditionnel, il est là encore, difficile de se prononcer sur la réponse
qui serait donnée par le juge. Là encore, nous essayerons de déterminer une
réponse probable suivant la jurisprudence dont nous disposons. Si on se réfère
à une décision rendue par l’OEB en 1992, il serait probable que la décision soit
la même qu’au Canada. En effet, « la composition chimique d’un produit fait
partie de l’état de la technique dès lors que ce produit en tant que tel est
accessible au public et qu’il peut être analysé et reproduit par l’homme du
métier […]. C’est le fait qu’il est possible d’accéder directement et clairement à
une information donnée qui rend celle-ci accessible ».282 En revanche, la
décision de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 6 juin 2001
vient potentiellement limiter l’application de l’article. En effet, selon cette
décision, seules les inventions qui sont déjà connues et qui se présentent sous
la même forme, avec les mêmes éléments, le même fonctionnement et destinées
à produire le même résultat ne remplissent pas la condition de nouveauté283.
De ce fait, il est légitime de se demander si de légères modifications dans un
procédé suffisent à remplir le critère de la nouveauté. Il semble en effet que le
281 Code de la Propriété Intellectuelle Français, art L611-11. 282 Pierre Sirinelli, Sylviane Durrande et Nathalie Maximin, Supra note 230. 283 Chambre commerciale Cour de cassation, 6 juin 2001, n° 98-17.194.
106
simple fait de proposer des moyens ou des résultats légèrement différents
puisse être considéré comme une invention nouvelle284.
Le brevet déposé par Greentech sur la préparation de cosmétiques à base de
sacha inchi, plante utilisée traditionnellement par les populations péruviennes
pour ses vertus cosmétiques semble être un bon exemple. La société Greentech
a déposé une demande de brevet qui lui a été délivré en 2007285. Suite aux
revendications et contestations réalisées par plusieurs associations et
organisations, la société Greentech avait, semble-t-il, décidé de retirer son
brevet286. Dans la base de données de l’INPI, il semble effectivement qu’il y ait
eu une renonciation totale au brevet. Cependant, on peut également voir que la
dernière annuité payée remonte en 2016, ce qui laisse remettre en question la
réalité de cette renonciation.
Ainsi, malgré la mise en place de dispositions internationales, parfois
transposées dans les droits nationaux, destinées à se diriger vers une éthique
utilitariste plus globalisée, force est de constater que la pratique nationaliste de
l’utilitarisme perdure encore.
284 Pierre Sirinelli, Sylviane Durrande et Nathalie Maximin, Supra note 230. 285 Utilisation d'huile et de proteines extraites de graines de plukenetia volubilis linneo
dans des preparations cosmetiques, dermatologiques et nutraceutiques, FR2880278 -
2006-07-07, en ligne <https://bases-
brevets.inpi.fr/fr/document/FR2880278.html?s=1552366057459&p=5&cHash=b6bc46e6
cc20133507014b10d05d36bb>. 286 Greentech retire son brevet sur la graine de sacha inchi : première grande victoire contre
la biopiraterie en France, 2009, Fondation Danielle Mitterrand, en ligne
<https://www.france-libertes.org/fr/greentech-retire-son-brevet-sur-la-graine-de-sacha-
inchi-premiere-grande-victoire-contre-la-biopiraterie-en-france/>.
107
Conclusion
Bien que très souvent, pour ne pas dire trop souvent, le débat sur la place
de l’éthique dans le droit des brevets se limite à la question de la prise en compte
de valeurs morales dans la délivrance du brevet, nous avons pu constater ici,
que l’éthique dans les brevets va au-delà de cette question. Bien que certaines
personnes soutiennent que les brevets doivent rester neutres de toute
implication éthique, nous avons vu que ce souhait est difficilement applicable,
notamment car l’éthique ne se limite pas à la question de la conformité d’une
invention à des normes morales.
Ainsi, sur la question de la place de l’éthique dans les brevets, il est
nécessaire d’opérer une distinction entre deux questionnements, deux rôles que
l’éthique joue dans ce domaine. Nous avons d’un côté un rôle relativement
récent que l’éthique a été amenée à jouer dans les brevets avec des réflexions
d’éthique des valeurs. Avec le progrès technique et scientifique et les inventions
qui peuvent parfois être sensibles vis-à-vis de nos normes morales sociétales,
le droit a parfois recours à l’éthique pour encadrer, ou du moins tenter
d’encadrer, certains domaines scientifiques. D’un autre côté, nous avons le rôle
plus traditionnel que l’éthique a joué dans les brevets avec l’utilitarisme. Cet
utilitarisme, que nous avons qualifié de national, est toujours présent dans le
droit des brevets actuels et a toujours une place importante. Bien que la
dimension nationale de l’utilitarisme soit toujours prépondérante, nous avons
pu constater qu’il y a désormais aussi une prise en compte plus globale de
l’utilitarisme, bien qu’elle soit encore limitée.
Cependant, nous avons également pu voir qu’une autre tendance éthique
opposée à l’utilitarisme s’est développée, notamment aux Etats-Unis, l’égoïsme
éthique. En effet, il semblerait que désormais, le brevet ne serve plus avant tout
l’objectif de promouvoir le progrès et le développement. Désormais, il est aussi
utilisé dans la recherche de l’enrichissement du breveté.
108
Nous l’avons donc vu, l’éthique fait partie intégrante du brevet. De ce fait,
plutôt que de se questionner sur la nécessité de lui accorder une place ou non
dans le droit des brevets, il serait plus judicieux de se questionner sur d’autres
sujets, par exemple l’adaptation du droit des brevets et de son éthique aux
nouveaux défis qui se présentent à nous. Avec l’intégration des normes morales,
des lois bioéthiques, nous avons pu constater que cela est en cours, bien que
de manière imparfaite. Le droit des brevets tente d’appréhender les nouvelles
technologies. Nous pourrions aller plus loin en nous questionnant sur la
nécessité d’inclure d’autres domaines que les biotechnologies à l’encadrement
éthique au sens moral et valeurs. Ne serait-il pas judicieux en effet d’étendre le
raisonnement à des technologies comme les nanotechnologies ?
Les brevets ayant répondu et répondant encore à une éthique utilitariste
nationale, il pourrait être intéressant également de se questionner sur la
réadaptation de la mise en œuvre concrète de cette éthique à nos nouveaux
défis. En effet, là où elle se manifestait par la recherche d’attirer les inventeurs
et les nouvelles technologies, il pourrait être judicieux de chercher à donner un
sens à l’innovation pour répondre à nos besoins actuels, comme par exemple la
transition écologique.
109
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C. royale de Douai, Warlick C. Pecquet de Beaurepaire, 11 juillet 1846
Paris, 22 février 1995 : PIBD 1995. III. 263.
Paris, 20 mai 2005:Propr. intell. 2005, no 17, p. 462, obs. Warusfel.
TGI Toulouse, 15 octobre 1979
Cass com, 11 janvier 2000, n° 97-20.822
Cass com, 6 juin 2001, n° 98-17.194
116
B- Canadienne
Harvard Collège contre Canada (Commissaire aux brevets), 2002 4 RCS 45,
2002 CSC 76
Cellules de plantes, C-R OEB, T 0356/93, 1995
Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34
Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002, 4 R.C.S. 153
Brantford Chemicals Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets), [2007] 4 RCF
547
Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 RCS 533
DeFrees v. Dominion Auto Accessories Ltd., 1967, 1 Ex. C.R. 46
MacKay Specialties Inc. v. Procter & Gamble Co., 1982, 69 C.P.R. (2d) 90
Ltd. V. Windsurfing International Inc., 1981, 59 C.P.R. (2d)
Metalliflex Ltd. V. Rodi & Wienenberger A.G., 1963 40 C.P.R. 52
Harvey’s Skindiving Suits of Canada v. Poseidon Industries A.B., 1984, 5 C.P.R.
(3d) 154
Baker Petrolite Corp. C. Canwell Enviro-Industries Ltd., 2003, 1 CF 49, Cour
d’Appel Fédérale du Canada
Abbot Laboratories c. Canada (Santé), 2006, CAF 187, Cour d’Appel Fédérale
C- Etats-unienne
National Automatic Device Co. v. Lloyd, 40 F. 89, Circuit Court, N.D. Illinois, 23 septembre 1889
Bedford v. Hunt, 3 F. Cas. 37 (C.C. Mass. 1817)
Lowell v. Lewis, 14 F. Cas. 1018 (C.C. Mass. 1817)
Re Murphy 200 U.S.P.Q. 801 (PTO Bd. App. 1977)
Whistler Corp. v. Autotronics, Inc., United States District Court, N.D. Texas,
1988 WL 212501, 28 juillet 1988
Juicy Whip, Inc. v. Orange Bang, Inc., 185 F.3d 1364 (Fed. Cir. 1999)
117
D- Européenne
Cellules de Plantes, Chambres de recours OEB, 1995
Décision G 0002/06, Utilisation d’embryons/WARF, 2008
OEB ch. rec. tech. , 21 mai 1999, T. 727/95: JO OEB, janv. 2001
VI – Brevet
Cellules de plantes, C-R OEB, T 0356/93, 1995
Utilisation d'huile et de proteines extraites de graines de plukenetia volubilis linneo dans des preparations cosmetiques, dermatologiques et nutraceutiques,
FR2880278 - 2006-07-07, en ligne <https://bases-brevets.inpi.fr/fr/document/FR2880278.html?s=1552366057459&p=5&cHas
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VII – Autres sources
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Ethical Theory Classical and Contemporary Readings, Belmont, Wadsworth Publishing Company, 1989
W. D. Ross, « What Makes Right Acts Right? », dans Louis P. Pojman, dir, Ethical Theory Classical and Contemporary Readings, Belmont, Wadsworth Publishing
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Ethical Theory Classical and Contemporary Readings, Belmont, Wadsworth
Publishing Company, 1989
Immanuel Kant, « The Foundations of the Metaphysic of Morals », dans Louis
P. Pojman, dir, Ethical Theory Classical and Contemporary Readings, Belmont, Wadsworth Publishing Company, 1989
118
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Company, 1989
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Greentech retire son brevet sur la graine de sacha inchi : première grande victoire contre la biopiraterie en France, 2009, Fondation Danielle Mitterrand, en ligne
<https://www.france-libertes.org/fr/greentech-retire-son-brevet-sur-la-graine-de-sacha-inchi-premiere-grande-victoire-contre-la-biopiraterie-en-
france/>