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A M FILLE D:ÉPOT L:ÉGAL Ire édition I  trimestre 196O TOUS DROITS de traduction, de reproductionet d'adaptation réservés pour tous pays © 1960, Presses Universitaires de France INTRODU fION Méthode, Méthode, que me veux tu? Tu ssis bien que j'ai mangé du fruit de l'inconscient. Jules LAFORGUE, 1\ 1oralilés légendaires Mercure de France, p. 24. Dans un livre récent complétant des livres antérieurs consa crés a l'imagination poétique, nous avons essayé de montrer l'intéret que présente, pour de telles enquetes, la méthode phé noménologique. Suivant les principes de la Phénoménologie, il s'agissait de mettre en pleine lumiere la prise de conscience d'un sujet émerveillé par les images poétiques. Cett e prise de conscience, que la Phénoménologie moderne veut adjoindre a tous les phé nomenes de la Psyché, nous semblait donner un prix subjectif durable a des images qui n'ont souvent qu'une objectivité dou teuse, qu'une objectivité fugitive. En nous obligeant a un retour systématique sur nous-meme, a un effort de clarté dans la prise de conscience, a propos d'une image donnée par un poete, la méthode phénoménologique nous amene a tenter la communi cation avec la conscience créante du poete. L'image poétique nouvelle - une simp le i mage ! - devient ains i, bie n simplement, une origine absolue, une origine de conscience. Dans les heures de grandes trouvailles, une image poétique peut etre le germe d'un monde, l germe d'un univers imaginé devant la reverie d'un poete. La conscience d'émerveillement devant ce monde créé par l poete s'ouvre en toute nai'veté. Sans doute, la conscience est promise a de plus grands exploits. Elle se consti tue d'autant plus fortement qu'elle s donne a des ffiuvres de mieux en mieux coordonnées. En particulier, « la conscience de rational ité a une vertu de permanence qui pose un difficile probleme au phénoménologue : l s'agit pour lui de dire comment la conscience s'enchaine dans une chaine de vérités. Au contraire,

La Poétique de La Rêverie

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    A M FILLE

    D:POT L:GALIre dition I r trimestre 196OTOUS DROITS

    de traduction, de reproductionet d'adaptationrservs pour tous pays 1960, Presses Universitaires de France

    INTRODU fION

    Mthode, Mthode, que me veuxtu? Tu ssis bien que j'ai mang dufruit de l'inconscient.Jules LAFORGUE,1\ 1oralils lgendairesMercure de France, p. 24.

    Dans un livre rcent compltant des livres antrieurs consacrs a l'imagination potique, nous avons essay de montrerl'intret que prsente, pour de telles enquetes, la mthode phnomnologique. Suivant les principes de la Phnomnologie, ils'agissait de mettre en pleine lumiere la prise de conscience d'unsujet merveill par les images potiques. Cett e prise de conscience,que la Phnomnologie moderne veut adjoindre a tous les phnomenes de la Psych, nous semblait donner un prix subjectifdurable a des images qui n'ont souvent qu'une objectivit douteuse, qu'une objectivit fugitive. En nous obligeant a un retoursystmatique sur nous-meme, a un effort de clart dans la prisede conscience, a propos d'une image donne par un poete, lamthode phnomnologique nous amene a tenter la communication avec la conscience crante du poete. L'image potiquenouvelle - une simple image ! - devient ainsi, bien simplement,une origine absolue, une origine de conscience. Dans les heuresde grandes trouvailles, une image potique peut etre le germed'un monde, l germe d'un univers imagin devant la reveried'un poete. La conscience d'merveillement devant ce mondecr par l poete s'ouvre en toute nai'vet. Sans doute, laconscience est promise a de plus grands exploits. Elle se constitue d'autant plus fortement qu'elle s donne a des ffiuvres demieux en mieux coordonnes. En particulier, la consciencede rational it a une vertu de permanence qui pose un difficileprobleme au phnomnologue : l s'agit pour lui de dire commentla conscience s'enchaine dans une chaine de vrits. Au contraire,

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    2 LA POET QUE DE LA REVER Een s'ouvrant sur une image isole, la conscience imaginante a- du moins a premiere vue - de moindres responsabilits. Laconscience imaginante considre vis-a-vis des images sparespourrait alora apporter des ~ m s a une pdagogie lmentairedes doctrines phnomnologlques.Mais nous voici devant un double paradoxe. Pourquoi,demandera le lecteur non averti, surchargez-vous un Iivre sur larverie avec le lourd appareil philosophique qu'est la mthodephnomnologique ?Pourquoi, dira, de son cot, le phnomnologue de mtier,choisir une matiere aussi fluante que les images pour exposer desprincipes phnomnologiques ?

    Tout serait plus simple, semble-t-il, si nous suivions lesbonnes mthodes du psychologue qui dcrit ce qu'il observe,qui mesure des niveaux, qui classe des types - qui voit naitrel'imagination chez les enfants, sans jamais, a vrai dire, examinercomment elle meurt chez le commun des hommes ?Mais un philosophe peut-il devenir psychologue? Peut-ilplier son orgueil jusqu'ase contenter de la constatation des faitsalors qu 'il est entr, avec toutes les passions requises, dans leregne des valeurs ? Un philosophe reste, comme on dit aujourd'hui, en situation philosophique , il a parfois la prtentionde tout commencer ; mais, hlas! l continue... a lu tant delivres de philosophie Sous prtexte de les tudier, de les enseigner, il a dform tant de systemes Quand le soir est venu,quand l n'enseigne plus, il croit avoir le droit de s'enfermer dansle systeme de son choix.

    Et c'est ainsi que j'ai choisi la phnomnologie dans l'espoirde rexaminer d'un regard neuf les images fidelement aimes, sisolidement fixes dans ma mmoire que je ne sais plus si je mesouviens ou si j'imagine quand je les retrouve en mes reveries.

    L'exigence phnomnologique a l'gard des images potiquesest d'ailleurs simple: elle revient a mettre l'accent sur leur vertud'origine, a saisir I'etre meme de leur originalit et a bnficierainsi de l'insgne productivit psychique qu est celle de I'imagination.Cette exigence, pour une image potique, d'etre une originepsychique, aurait cependant une duret excessive si nous nepouvions trouver une vertu d'originalit aux variations memesqui jouent sur les archl ypcs les plus fortement enracins. Puisque

    1I

    3NTRODUCTIONnous voulions approfondir, en phnomnologue, la psychologiede l'merveillement, la moindre variation d'une image merveilleuse devait nous servir a affiner nos enquetes. La finesse d'unenouveaut ranime des origines, renouvelle et redouble la joie des'merveiller.A I'merveillement s'ajoute en posie la joie de parler.faut la prendre, cette joie, dans son absolue positivit. L'imagepotique, apparaissant comme un nouvel etre du langage, n'esten rien comparable, suivant le mode d'une mtaphore commune,aune soupape qui s'ouvrirait pour dgager des inst incts refouls.L'image potique claire d'une telle lumiere la conscience, qu'iIest bien vain de lui chercher des antcdents inconscients. Dumoins, la phnomnologie est fonde a prendre I'image potiquedans son etre propre, en rupture avec un etre antcdent, commeune conquete positive de la parole. Si l'on coutait le psychanalyste, on en viendrait a dfinir la posie comme un majestueuxLapsus de la Parole. Mais l'homme ne se trompe pas en s'exaltant.La posie est un des destins de la parole. En essayant d'affinerla prise de conscience du langage au niveau des poemes, nousgagnons I'impression que nous touchons l'homme de la parolenouvelle, d'une parole qui ne se borne pas a exprimer des idesou des sensations, mais qui tente d'avoir un avenir. On diraitque l'image potique, dans sa nouveaut, ouvre un avenir dulangage.Corrlativement, en employant la mthode phnomnologique a l'examen des images potiques, il nous apparaissait quenous tions automatiquement psychanalys, que nous pouvions,avec une conscience claire, refouler nos anciennes proccupationsde culture psychanalytique. Nous nous sentions, en phnomnologue, dbarrass de nos prfrences - ces prfrences qui transforment le gout littraire en habitudes. Nous tions, du fait dupriviJege donn a l'actualit par la phnomnologie, tout a l'accueil des images nouvelles que nous offre le poete. L'image taitprsente, prsente en nous, carte de tout le pass qui pouvaitl'avoir prpare dans I'ame du poete. Sans nous soucier des complexes ) du poete, sans fouiller dans I'histoire de sa vie,nous tions libre, systmatiquement libre, de passer d'un poetea un autre, d'un grand poete a un poete mineur, a l'occasiond'une simple image qui rvlait sa valeur potique par la richessememe de ses variations.Ainsi la mthode phnomnologique nous enjoign ait de mettreen vidence toute la conscience a l'origine de la moindre variationde I'image. On ne lit pas de la posie en pensant a autre chose.

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    LA PO TIQUE DE LA R v RDes qu une image potique se renouvelle, en un seul de ses traits,elle'manifeste une naivet premiere.C'est cette naivet, systmatiquemen t rveille, qui doit nousdonner le pur accueil des poemes. Dans nos tudes sur l'imagination active, nous suivrons donc la Phnomnologie comme unecole de naivet.

    JIIDevant les images que nous apportent les poetes, devant desimages que nous n'aurions jamais pu imaginer nous-mmes, cettenaivet d'merveillement est toute naturelle. Mais a vivre passi

    vement un tel merveillement, on ne participe pas assez profondment a l'imagination crante. La phnomnologie de l'imagenous demande d'activer la participation a l'imagination crante.Puisque le but de toute phnomnologie est de mettre au prsent, en un temps d'extreme tension, la prise de conscience, ilfaut conclure qu'il n'y a pas, en ce qui concerne les caracteresde l'imagination, de phnomnologie de la passivit. Au deladu .contresens souve nt fait, rappelons que la phnomnologien'est pas une description empirique des phnom':mes. Dcrireempiriquement serait une servitude a l'objet, en se faisant uneloi de maintenir le sujet dans la passivit. La description despsychologues peut sans doute apporter des documents, mais lephnomnologue doit intervenir pour mettre ces documents surl'axe de l'intentionnalit. Ah que cette image qui vient dem'etre donne soit mienne, vraiment mienne, qu'elle devienne- sommet d'un orgueil de lecteur - mon ceuvre Et quel1egloire de lecture si je pouvais, aid par le poete, vivre l'inlen-lionnalil polique C'est par l'intentionnalit de l'imaginationpotique que l'ame du poete trouve l'ouverture conscienciellede toute vraie posie.

    Devant une ambition si dmesure, jointe au fait que toutnotre livre doit sortir de nos reveries, notre entreprise de phnomnologue doit faire face a un paradoxe radical. Il est commun,en effet, d'inscrire la reverie parmi les phnomenes de la dtentepsychique. On la vit dans un temps dtendu, temps sans forceliante. Comme elle est sans attention, elle est souvent sansmmoire. Elle est une fuite hors du rel, sans toujours trouverun monde irrel consistant. En suivant la pente de la rverie- une pente qui toujours descend - la conscienee se dtendet se disperse et par consquent s'obscurcil. e n'est donc jamais'heure, quand on reve, de 1 faire de la phnomnologie .En prsence d'un tel paradoxe, quel1e va etre notre attitude ?

    NTRODUCTIONLoin de tenter de rapprocher les termes de l'antithese videnteentre une tude simplement psychologique de la reverie et unetude proprement phnomnologique, noUS en augmenteronsencore le contraste en mettant nos recherches sous la dpendanced'une these philosophique que nous voudrions d'abord dfendre ;Pour nous, toute prise de conscience est un accroissement deconscience, une augmentation de lumiere, un renforcement dela cohrence psychique. Sa rapidit ou son instantanit peuventnous masquer la croissance. Mais l y a croissance d'etre danstoute prise de conscience. La conscience est contemporaine d'undevenir psychique vigoureux, un devenir qui propage sa vigueurdans tout le psychisme. La conscience, a elle seule, cst un acte,l'acte humain. C'est un acte vif, un acte plein. Meme si l'aetionqui suit, qui devait suivre, qui aurait dii suivre reste suspendue,I'acte conscienciel a sa pleine positivit. Cet acte, nous ne l'tu-dierons, dans le prsent essai, que dans le domaine du langage,plus prcisment encore, dans le langage potique, quand laconscience imaginante cre et vit l'image potique. Augmenterle langage, crer du langage, valoriser le langage, aimer le langage,voila autant d'activits U s'augmente la conscience de parleroDans ce domaine si troitement dlimit, nous sommes assurde trouver de nombreux exemples qui prouveront notre thesephilosophique plus gnrale sur le devenir essentiellement augmentatif de toute prise de conscience.Mais alors, devant cette accentuation de la clart et de lavigueur de la prise de conscience potique, sous quel angledevons-nous tudier la reverie si nous voulons nous servir des~ o n s de la Phnomnologie? Car, enfin notre propre thesephilosophique accroit les' difficults de notre probleme. Cettethese a en effet un corollaire : une conscience qui diminue, uneconscience qui s'endort, une conscience qui revasse n'est djaplus une conscience. La reverie nous met sur la mauvaise pente,sur la pente qui descend.Un adjectif va tout sauver et nous permettre de passer outreaux objections d'une psychologie de premier examen. La reverieque nouS voulons tudier est la reverie polique, une reverie quela posie met sur la bonne pente, celle que peut suivre uneconscience qui croit. Cette reverie est une reverie qui s'crit, ouqui, du moins, se promet d'crire. Elle est dja devant ce grandunivers qu'est la page blanche. Alors les images se composent ets'ordonnent. Dja le reveur entend les sons de la parole crite.Un auteur, que je ne retrouve plus, disait que le bec de la plumetait un organe du cerveau. J'en suis convaincu : quand roa plume

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    LA PO"&TIQUE DE LA R VERIEDes qu'une image potique se renouvelle, en un seul de ses traits,ll manifeste une naivet premiere.C'est cette naivet, systmatiquement rveille, qui doit nOUdonner le pur accueil des poemes. Dans nos tudes sur l'imagination active, nous suivrons donc la Phnomnologie comme unecole de naivet.

    JIIDevant les images que nous apportent les poetes, devant desimages que nous n'aurions jamais pu imaginer nous-memes, cettenaivet d'merveillement est toute naturelle. Mais a vivre passi

    vement un tel merveillement, on ne participe pas assez profondment a l'imagination crante. La phnomnologie de l'imagenous demande d'activer la participation a l'imagination crante.Puisque le but de toute phnomnologie est de mettre au prsent, en un temps d'extreme tension, la prise de conscience, ilfaut conc1ure qu'il n'y a pas, en ce qui concerne les caracteresde l'imagination, de phnomnologie de la passivit. Au deladu contresens souvent fait, rappelons que la phnomnologien'est pas une description empirique des phnomenes. Dcrireempiriquement serait une servitude a l'objet, en se faisant uneloi de maintenir le sujet dans la passivit. La description despsychologues peut sans doute apporter des documents, mais lephnomnologue doit intervenir pour mettre ces documents surl'axe de l'intentionnalit. Ah que cette image qui vient dem'etre donne soit mienne, vraiment mienne, qu'elle devienne- sommet d'un orgueil de lecteur - mon reuvre Et quellegloire de lecture si je pouvais, aid par le poete, vivre l'inlen-lionnalil polique C'est par l'intentionnalit de l'imaginationpotique que l'ame du poete trouve l'ouverture conscienciellede toute vraie posie.

    Devant une ambition si dmesure, jointe au fait que toutnotre livre doit sortir de nos reveries, notre entreprise de phnomnologue doit faire face a un paradoxe radical. n est commun,en effet, d'inscrire la reverie parmi les phnomenes de la dtentepsychique. On la vit dans un temps dtendu, temps sans forceliante. Comme elle est sans attention, elle est souvent sansmmoire. Elle est une fuite hors du rel, sans toujours trouverun monde irrel consistant. En suivant la pente de la reverie - une pente qui toujours descend - la conscience se dtendet se disperse et par consquent s'obscurcil. Ce n'est donc jamaisl'heure, quand on reve, de faire de la phnomnologie l.

    En prsence d'un tel paradoxe, quelle va etre notre attitude ?

    INTRODUCTIONLoin de tenter de rapprocher les termes de l'antithese videnteentre une tude simplement psychologique de la reverie et unetude proprement phnomnologique, nouS en augmenteronsencore le contraste en mettant nos recherches sous la dpendanced'une these philosophique que nous voudrions d'abord dfendre :pour nous, toute prise de conscience est un accroissement deconscience, une augmentation de lumiere, un renforcement dela cohrence psychique. Sa rapidit ou son instantanit peuventnouS masquer la croissance. Mais il y a croissance d'etre danstoute prise de conscience. La conscience est contemporaine d'undevenir psychique vigoureux, un devenir qui propage sa vigueurdans tout le psychisme. La conscience, a elle seule, est un acte,l'acte humain. C'est un acte vif, un acte plein. Meme si l'actionqui suit, qui devait suivre, qui aurait do suivre reste suspendue,l'acte conscienciel a sa pleine positivit. Cet acte, nous ne l'tu-dierons, dans le prsent essai, que dans le domaine du langage,plus prcisment encore, dans le langage potique, quand laconscience imaginante cre et vit l'image potique. Augmenterle langage, crer du langage, valoriser le langage, aimer le langage,voila autant d'activits 00 s'augmente la conscience de parleroDans ce domaine si troitement dlimit, nous sommes assurde trouver de nombreux exemples qui prouveront notre thesephilosophique plus gnrale sur le devenir essentiellement augmentatif de toute prise de conscience.Mais alors, devant cette accentuation de la c1art et de lavigueur de la prise de conscience potique, sous quel angledevons-nous tudier la reverie si nous voulons nous servir desleCions de la Phnomnologie? Car, enfin notre propre thesephilosophique accroit les' difficults de notre probleme. Cettethese a en effet un corollaire : une conscience qui diminue, uneconscience qui s'endort, une conscience qui revasse n'est djaplus une conscience. La reverie nous met sur la mauvaise pente,sur la pente qui descend.Un adjectif va tout sauver et nous permettre de passer outreaux objections d'une psychologie de premier examen. La reverieque nousvoulons tudier est la reverie polique, une reverie quela posie met sur la bonne pente, celle que peut suivre uneconscience qui croit. Cette reverie est une reverie qui s'crit, ouqui, du moins, se promet d'crire. Elle est dja devant ce grandunivers qu'est la page blanche. Alors les images se composent ets'ordonnent. Dja le reveur entend les sons de la parole crite.Un auteur, que je ne retrouve plus, disait que le bec de la plumetait un organe u Cerveau. J'en suis convaincu : quand ma plume

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    6 L POBTIQUE DE L RtVERIEcrache je pense de travera. Qui me rendra ausei l bonna encrede ma vie d'colier ?

    Tous les sens s'veiIJenJ et s'harmonisent dans la reveriepotique. C'est cette polyphonie des sens que la reverie potiquecoute et que la conscience potique doit enregistrer. A l'imagepotique convient ce que Frdric Schlegel disait du langage :c'est une cration d'un seul jet (1). Ce sont ces lans d'imagination que le phnomnologue de l'imagination doit essayer derevivre.

    Certes, un psychologue trouverait plus direct d'tudier lepoete inspir. Il ferait, sur des gnies particuliers, des tudesconcretes de l'inspiration. Mais vivrait-il pour autant les phnomenes de l'inspiration (2)? Ses documents humains sur lespoetes inspirs ne pourraient guere etre relats que dans un idald'observations objectives, extrieurement. La comparaison entrepoetes inspirs ferait bientot perdre l'essence de l'inspiration.Toute comparaison diminue les valeurs d'expression des termescompars. Le mot inspiration est trop gnral pour dire l'originalit des paroles inspires. En fait, la psychologie de l'inspiration,meme lorsqu'on s'aide des rcits sur les paradis artificiels, estd'une vidente pauvret. Les documents sur lesquels peut tra-vailler le psychologue sont, dans de telles tudes, trop peu nombreux et surtout ils ne sont pas vraiment assums par lepsychologue.

    La notion de Muse, notion qui devrait nous aider a donnerde [ lre a l'inspiration, a nous faire croire qu'il y a un sujettranscendant pour le verbe inspirer, ne peut naturellement entrerdans le vocabulaire d'un phnomnologue. Dja tout jeune adolescent, je ne comprenais pas qu'un poete que j'aimais tant ptltuser de luths et de muses. Comment dire avec conviction, comm entrciter en retenant un fou-rire, ce premier vers d'un grand poeme :Poete, prends ton luth et me donne un baiser

    C'tait plus que ne pouvait supporter un enfant champenois.Non! Muse, Lyre d'Orphe, fantomes du haschich ou del'opium ne peuvent que nous masquer l'lre de l'inspiralion. Lareverie potique crite, conduite jusqu'a donner la page littraire,

    (1) Eine Hervorbringung im Ganzen. C'est Ernest RENAN qui donne labeIle traduction que nous utilisons. ce De I'origine du langage, 30 d., 1859,p. 100.(2) La posie est quelque chose de plus que les poetes " George SANDQuestionB d'arl el de tittralure, p. 283.

    ~ ~ o r" :.. _''

    ;

    INTRODUCTION 7va au contraire ~ t r pour noua une r ~ v r transmiesible, unereverie inspirante, c'est-a-dire une inspiration a la mesure denos talents de lecteurs.

    Alors les documents abondent pour un phnomnologuesolitaire, systmatiquement solitaire. Le phnomnologue peutrveiller sa conscience potique a l'occasion de mille images quidorment dans les livres. Il relenlil a l'image potique dans le sensmeme du retentissement phnomnologique si bien caractris par Eugene Minkowski (1).Notons d'ailleurs qu'une reverie, a la difTrence du reve, nese raconte paso Pour la communiquer, il faut l'scrire, l'crireavec motion, avec gotlt, en la revivant d'autant mieux qu'onla rcrit. Nous touchons la au domaine de l'amour cril. La modes'en perd. Mais le bienfait demeure. n est encore des ames pourlesquelles l'amour est le contact de deux posies, la fusion dedeux reveries. Le roman par leUres exprime l'amour dans unebelle mulation des images et des mtaphores. Pour dire unamour, il faut crire. On n'crit jamais tropo Que d'amants quirentrs des plus tendres rendez-vous ouvrent l'critoire 1L'amour

    n'a jamais fini de s'exprimer et il s'exprime d'autant mieux qu'ilest plus potiquement rev. Les reveries de deux Ames solitairesprparent la douceur d'aimer. Un raliste de la passion ne yerrala que formules vanescentes. Mais il n'en reste pas moins queles grandes passions se prparent en de grandes reveries. Onmutile la ralit de l'amour en la dtachant de tout e son irralit.

    Dans ces conditions, on comprend tout de suite combien lesdbats vont etre complexes et mouvants entre une psychologiede la reverie appuye par des observations sur des reveurs et unephnomnologie des images crantes, phnomnologie tendanta restituer, meme chez un modeste lecteur, l'action novatrice dulangage potique. D'une maniere plus gnrale, on comprendaussi tout l'intret qu'il y a, croyons-nous, a dterminer unephnomnologie de l'imaginaire OU l'imagination est mise a saplace, a la premiere place, comme principe d'excitation directedu devenir psychique. L'imagination tente un avenir. Elle estd'abord un facteur d'imprudence qui nous dtache des lourdesstabilits. Nous verrons que certaines reveries potiques sont deshypotheses de vies qui largissent notre vie en nous mettant enconfiance dans l'univers. Nous donnerons, dans le cours de notreouvrage, de nombreuses preuves de cette mise en confiance dans

    (1) er La pottique de l'espart, P.U.F., p. 2.

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    8 LA POTIQUE DE LA RltVERIEI'univers par la reverie Un monde se forme dans notre reverie,un monde qui est notre monde. Et ce monde rev nous enseignedes possibilits d'agrandissement de notre etre dans cet universqui est le ntre. Il y a du fidurisme dans tout univers rev. JoBousquet a crit :

    Dans un monde qui nait de lui, l'homme peut tout devenir (1).Des lors si I'on prend la posie dans sa fougue de devenirhumain, au sommet d une inspiration qui nous livre la parolenouvelle, a quoi peut bien servir une biographie qui nous ditle pass, le lourd pass du poete? Si nous avions la moindreinclination pour la polmique, quel dossier nous pourrions amasser

    touchant les exces de biographie. N'en donnons qu un chantillon.Il y a un demi-siecle, un prince de la critique littraire sedonnait pour tache d'expliqu er la posie de Verlaine, posie qu'il

    aimait peu. Car comment aimer la posie d un poete qui vit enmarge des lettrs :Nul ne l'a jamais vu ni sur le boulevard, ni au thMtre, ni dans unsalon. Il est quelque part, a un bout de Paris, dans l'arrire-boutiqued'un marchand OU l boit du vin bleu.Du vin bleu Quelle injure pour le beaujolais qu on buvaitalors dans les petits cafs de la montagne Sainte-GeneviveLe meme critique littraire acheve de dterminer le caracteredu poete par le chapeau. Il crit : Son chapeau mou semblaitlui-meme se conformer a sa triste pense, inclinant ses bordsvagues tout autour de sa tete, espece d'aurole noire a ce frontsoucieux. Son chapeau Pourtant joyeux a ses heures, lui aussi,et capricieux comme une femme tres brune, tantt rond, naIf,comme celui d un enfant de l'Auvergne et de la Savoie, tantten cane fendu a la tyrolienne et pench, crane, sur I'oreille, une

    autre fois factieusement terrible: on croirait voir la coiffure dequelque banditto, sens dessus dessous, une aile en bas, une aileen haut, le devant en visiere, le derriere en couvre -nuque (2). Est-il un seul poeme, dans toute l'c:euvre du poete, qui puisseetre expliqu par ces contorsions littraires du chapeau ?

    Il est si difficile de joindre la vie et l'ceuvre Le biographe(1) Cit sans rfrence par Gastan PUEL dans un article de la revue : Lelemps l l s hommes mars 1958, p. 62.(2) Cit par ANTIlEAUl 4E et DROMARD, Pollie el/olie Paris, 1908, p. 351.

    INTRODUCTION 9peut-il nous aider en nous disant que tel po eme a t crit aloraque Verlaine tait a la prison de Mons :

    Le ciel est par dessus l toitSi bleu si calme.En prison 1qui n est pas en prison aux heures de mlancolie ?Dans ma chambre parisienne, loin de mon pays natal, je mene

    la reverie verlainienne. Un ciel d'autrefois s tend sur la ville depierre. Et dans ma mmoire chantent les stances musicales queReynaldo Hahn a crites sur les poemes de Verlaine. Toute unepaisseur d'motions, de reveries, de souvenirs croit pour moiau-dessus de ce poeme. Au-dessus non pas au-dessous, nonpas dans une vie que je n ai pas vcue non pas dans la vie malvcue du malheureux poete. En lui-meme, pour lui-meme,l'ceuvre n'a-t-elle pas domin la vie, I'c:euvre n'est-elle pas unpardon pour celui qui a mal vcu ?En tout cas, c est dans ce sens que le poeme peut amasserdes reveries, assembler des songes et des souvenirs.La critique littraire psychologique nous dirige vers d autresintrets. D un poete elle fait un homme. Mais dans les grandesrussites de la posie, le probleme reste entier : comment un

    homme peut-il, malgr la vie, devenir poete ?Mais revenons a notre simple tache d indiquer le caractereconstructif de la reverie potique et, pour prparer cette tache,demandons-nous si la reverie est, en toute circonstance, unphnomene de dtente et d abandon comme le suggere la psychologie c1assique.IV

    La psychologie a plus a perdre qu a gagner si elle forme sesnotions de base sous I'inspiration des drivations tymologiques.C'est ainsi que I'tymologie amortit les diffrences les plus nettesqui sparent le reve et la reverie. D autre part, COmme les psychologues courent au plus caractristique, ils tudient d abordle reve, I tonnant reve nocturne, et ils donnent peu d attentionaux reveries, a des reveries qui ne sont pour eux que des reyesconfus, sans structure, sans histoire, sans nigmes. La reverieest alors un peu de matiere nocturne oublie dans la clart dujour. Si la matiere onirique se condense un peu en I'ame dureveur, la reverie tombe au reve, les bouffes de reverie ,notes par les psychiatres, asphyxient le psychisme, la reveriedevient somnolence, le reveur s'endort. Une sorte de destin dechute marque ainsi une continuit de la reverie au reve. Pauvre

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    10 LA PO E:TIQUE DE LA R ~ V Rr ~ v r que celle qui invite a la sieste. faut meme se demandersi dans cet endormissement I'inconscient lui-meme ne subitpas un dclin d'etre. L'inconscient reprendra son action dans lesreyeS du vrai sommeil. Et la psychologie travaille vers les deuxpoles de la pense claire et du reve nocturne, sure ainsi d avoir50US son examen tout le domaine de la psych humaine.Mais il est d autres reveries qui n appartiennent pas a cettat crpusculaire OU se mlangent vie diurne et vie nocturne.Et la reverie diurne mrite, par bien des cts, une tude directe.La reverie est un phnomene spirituel trop naturel - trop utileaussi a I'quilibre psychique - pour qu on en traite comme unedrivation du reve, pour qu on la mette, sans discussion, dansI'ordre des phnomfmes oniriques. Bref, il convient pour dterminer I'essence de la reverie de revenir a la reverie elle-meme.Et c'est prcisment par la phnomnologie que la distinctionentre le reve et la reverie peut etre tire au clair, puisque I'intervention possible de la conscience dans la reverie apporte unsigne dcisif.On a pu se demander s'i y avait vraiment une consciencedu reve. L'tranget d un reve peut etre telle qu'iI semble qu unautre sujet vienne rever en nous. Un reve me visita. Voilabien la formule qui signe la passivit des grands reyeS nocturnes.Ces reyeS, iI faut que nous les rhabitions pour nous convaincrequ'ils furent les ntres. Apres coup, on en fait des rcits, deshistoires d un autre temps, des aventures d un autre monde.A beau mentir qui revient de loin. Nous ajoutons souvent,innocemment, inconsciemment, un trait qui augmente le pitto-resque de notre aventure dans le royaume de la nuit. Avez-vousremarqu la physionomie de I'homme qui raconte son reve?sourit de Son drame, de ses efTrois. s en amuse. 11 voudraitque vous vous en amusassiez 1). Le conteur de reyeS jouitparfois de son reve comme d'un e reuvre originale. y vit uneoriginalit dlgue, aussi est-il tres surpris quand un psychanalyste lui dit qu un autre reveur a connu la meme originalit.La conviction d un reveur de reyes d'avoir v u le reve qu'ilraconte ne doit pas nous faire ilIusion. C'est une convictionrapporte qui se renforce chaque fois qu on le raconte. n y a

    (1) Bien souvent, je le confesse, le raconteur de rl ves m'ennuie. Son rl vepourralt peut-l tre m'intresser s i1 tait franchement OJuvr. Mals entendreun rcit glorieux de son insalt 1 Je n'ai pas encore tir au clair, psychanaIytiquement, cet ennui durant le rcit des rl ves des autres. J ai peut-l treconserv des raideurs de rationaliste. Je ne suis pas docilement un rcit d uneincohrence revendique. Je s o u p ~ o toujours qu'une part des sottises rapportes soient des sottises inventes.

    1tlNTRODUCTIONcertainement pas identit entr e le sujet qui raconte el le sujel qui arev. Une lucidation proprement phnomnologique du reve nocturne est, de ce fait, un difficile probleme. On aurail sans doutedes lments pour rsoudre ce probleme si I'on dveloppaildavantage une psychologie et conscutivement une phnomnologie de la reverie.Au Heu de chercher du reve dans la reverie, on chercheraitde la reverie dans le reve. y a des plages de tranquil lit aumilieu des cauchemars. Robert Desnos a not ces interfrencesdu reve et de la reverie : Bien qu'endormi et revant sans pouvoir faire la part exacte du reve et de la reverie, je garde lanotion de dcor (1). Autant dire que le reveur, dans la nuit dusommeil, retrouve les splendeurs du jour. est alors conscientde la beaut du monde. La beaut du monde rev lui rend uninstant sa conscience.Et c'est ainsi que la reverie iIIustre un repos de I'etre, que lareverie iIIustre un bien-etre. Le reveur et sa rever'e entrent corpset ame dans la substance du bonheur. Dans une visite a Nemoursen 1844, Victor Hugo tait sorti au crpuscule pour aller voirquelques gres bizarres ). La nuit vient, la ville se tait, ou estla ville ?Tout cela n'tait ni une ville, ni une glise, ni une rivire, ni de lacouleur, ni de la lumire, ni de 1 0mbre ; c'tait de la reverie.Je suis rest longtemps immobile, me laissant doucement pntrerpar cet ensemble inexprimable, par la srnit du ciel, par la mlancolede I'heure. Je ne sais ce qui se passait dans mon esprit et je ne pourraisle dire, c'tait un de ces moments inelTables OU 1 0n sent en soi quelquechose qui s'endort et quelque chose qui s'veille (2).

    Ainsi, c est tout un univers qui vient contribuer a notrebonheur quand la reverie vient accentuer notre reposo A quiveut rever bien, il faut dire : commencez par etre heureux. Alorsla reverie parcourt son vritable destin : elle devient reveriepotique : tout par elle, en elle, devient beau. Si le reveur avait du mtier n, avec sa reverie il ferait une reuvre. Et cette reuvreserait grandiose puisque le monde rev est automatiquementgrandiose.Les mtaphysiciens parlent souvent d'une ouverture aumonde n. Mais ales entendre, iI semble qu'i1s n aient qu un rideaua tirer pour se trouver d un coup, en une seule iIlumination, en

    (1) Robert DIi:Sl (OS, DQmaine pllblic, Mlt. Gallimard, 1953, p. 348.(2) Victor HUGo, En lJoyage. France el Be/gique. Dans L homme 91/1 ,.i : t l.p. 148) Victor HVG crit : " La mer observe est une rl verie

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    12 LA POTIQUE DE LA R VERIEface du Monde. Que d'expriences de mtaphysique concretenous aurions si nous donnions plus d attention a la reveriepotique. S ouvrir au Monde objectif, entrer dans le Mondeobjectif, constituer un Monde que nous tenons pour objectif,longues dmarches qui ne peuvent etre dcrites que par la psychologie positive. Mais ces dmarches pour constituer a traversmille rectifications un monde stable nous font oublier l clatdes ouvertures premieres. La reverie potique nous donne lemonde des mondes. La reverie potique est une reverie cosmique.Elle est une ouverture a un monde beau, a des mondes beaux.Elle donne au moi un non-moi qui est le bien du moi ; le non-moimien. C'est ce non-moi mien qui enchante le moi du reveur etque les poetes savent nous faire partager. Pour mon moi reveur,c est ce non-moi mien qui me permet de vivre ma confianced etre au monde. En face d un monde rel, on peut dcouvriren soi-meme l'etre du souci. Alors on est jet dans le monde,livr a l'inhumanit du monde, a la ngativit du monde, lemonde est alors le nant de l'humain. Les exigences de notrefonclion du rel nous obligent a nous adapter a la ralit, a nousconstituer comme une ralit, a fabriquer des ceuvres qui sontdes ralits. Mais la reverie, dans son essence meme, ne nouslibere-t-elle pas de la fonction du rel ? Des qu on la considereen sa simplicit, on voit bien qu'elle est le tmoignage d unefonclion e l irrel, fonction normale, fonction utile, qui gardele psychisme humain, en marge de toutes les brutalits d unnon-moi hostile, d un non-moi trange r. JI est des heures dans la vie d un poete ou la reverie assimilele rel lui-meme. Ce qu'il per

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    4 LA P02TIQVE DE LA RVEIUEqyi passent pour plus importantes que les valeurs potiques.Mais les gr andes expriences d Ame gagnent-elles a t r proclumes ? Ne peut-on se confier a la profondeur de tout retentissement D pour que chacun, lisant des pages sensibles, participea sa maniere a l'invitation d'une r ~ v r potique ? Nous croyonsquant a nous - nous l expliquerons dans un chapitre de celivre - que l enfance anonyme rvele plus de chose sur l Amehumaine que l enfance singuliere, prise dans le contexte d'unehistoire familiale. L essentiel, c'est qu'une image touche juste.On peut esprer alors qu elle prendra le chemin de l ame, qu ellene s embar rasser a pas d ans les objections de l'esprit critique,qu elle ne sera pas arrete par la lourde mcanique des refoulements. Comme c'est simple de retrouver son ame a fond dereverie La reverie nous met en tat d'ame naissante.Ainsi, dans notre tude modeste des plus simples images,notre ambition philosophique est grande. C est de prouver quela reverie nous donne le monde d'une ame, qu'une image potiqueporte tmoignage d'une ame qui dcouvre son monde, le mondeoil elle voudrait vivre, oil elle est digne de vivre.

    vAvant d'indiquer plus prcisment les questions particulieresqui sont traites dans cet essai, je voudrais en justifier le titre.En parlant d'une Polique e la reuerie alors que le titre toutsimple: La reverie potique II m'a longtemps tent, j'ai voulu

    marquer la force de cohrence que r ~ o t un reveur quand ilest vraiment fidele a ses songes et que ses songes prennent prcisment une cohrence du fait de leurs valeurs potiques. Laposie constitue a la fois le reveur et son monde. Alors que lereve nocturne peut dsorganiser une ame, propager, dans lejour meme, les folies essayes dans la nuit, la bonne reverie aidevraiment l'ame a jouir de son repos, a jouir d'une unit facHeoLes psychologues, dans leur ivresse de ralisme, insistent tropsur le caractere d vasion de nos reveries. lIs ne reeonnai ssentpas toujours que la reverie tisse autour du reveur des liena doux,qu elle est du liant ll bref que, dans toute la force du terme,la reverie potise II le reveur.Du cot du reveur, constituant le reveur, on doit donereconnaltre une puissance de potisation qu'on peut bien dsignercomme une potique psychologique ; une potique de la Psychou toutes les forces psychiques trouvent une harmonie.Nous voudrions done faire glisser la puissance de coordina-

    INTRODUCTION 6tion et d harmonie depuis l'adjectif jusqu'au substantif et tablirune potique de la reverie potique, marquant ainsi, en rptantle meme mot, que le substantif vient de gagner la tonalit del etre. Une potique de la reverie potique Grande ambition,trop grande ambition puisqu elle reviendrait a donner a toutleeteur de poemes une conscience de poete.Sans doute, nous ne russirons jamais pleinement ce renversement qui nous fe rait passer de l expression po tique a uneeonseienee de erateur. Du moins, si nous pouvions amorcer untel renversement qui redonnerait bonne conscience a un etrereveur, notre Poetique de la reverie aurait atteint son but.

    VIDisons donc maintenant brievement dans quel esprit nousavons crit les diffrents chapitres de cet essaLA, ant de nous engager dans les recherches de Potique positive, recherehes appuyes, suivant notre coutume de philosopheprudent, sur des documents prcis, nous avons voulu crire unchapitre plus fragile, sans doute trop personnel, sur lequel nousdevons, des cette Introduction, nous expliquer. Nous avons pris

    pour titre de ee chapitre : Reueries sur la reuerie et nous l avonsdivis en deux parties, la premiere parte ayant pour titre :Le reueur e mols et la seconde : Animus el Anima Nous avonsdvelopp, au cours de ce double chapitre, des ides aventureuses,faciles a contredire, bien propres, nous le craignons, a arreterle lecteur qui n'aime pas trouver des oasis d oisivet dans unouvrage oil l'on promet d organis er des ides. Mais, puisqu ils agissait pour nous de vivre dans la brume du psychisme revant,ce nous tait un devoir de sincrit de dire toutes les reveriesqui nous tentent, les reveries singulieres qui drangent souventnos reveries raisonnables, un devoir de suivre jusqu'au bout leslgnes d'aberration qui nous sont familieres.Je suis, en effet, un reveur de mots, un reveur de mota crits.Je crois lire. Un mot m'arrete. Je quitte la page. Les syllabesdu mot se mettent a s agiter. Des aeeents toniq ues se mettenta s inverser. Le mot abandonne son sens comme une surchargetrop lourde qui empeehe de rever. Les mots prennent alorsd'autres significations comme s ils avaient le droit d'etre jeunes.Et les mots s en vont cherchant, dans les fourrs du vocabulaire,de nouvelles compagnies, de mauvaises compagnies. Que deconflits mineurs ne faut-il pas rsoudre quand, de la r ~ v rvagabonde, on revient au vocabulaire raisonnable.

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    6 L POTIQUE DE L RltVERIEEt c est pis lorsqu au lieu de lire je me met s a crire. Sousla plume, l anatomie des syllabes se droule lentement. Le motvit syllabe par syllabe, en danger de reveries internes. Commentle maintenir en bloc en l astreignant a ses habituelles servitudesdans la phrase bauche, une phrase qu on va peut-etre rayerdu manuscrit ? La reverie ne ramifie-t-elle pas la phrase commence ? Le mot est un bourgeon qui tente une ramille. Comment

    ne pas rever en crivant. C est la plume qu i reve. C est la pageblanche qui donne le droit de rever. Si seulement on pouvaitcrire pour soi seul. Qu il est dur le destin d un faiseur de livresIl faut tailler et recoudre pour avoir de la suite dans les ides.Mais, crivant un livre sur la reverie, le jour n est-il pas venude laisser courir la plume, de laisser parler la reverie et mieuxencore de rever la reverie dans le temps meme oiJ l on croit latranscrire ?Je suis - ai-je besoin de le dire ? - un ignorant en linguistique. Les mots, dans leur lointain pass, ont le pass de mesreveries. Ils sont, pour un reveur, pour un reveur de mots, toutgonfls de vsanies. D ailleurs, que chacun y songe, qu il ( couve

    un peu un mot familier entre tous. Alors, l closion la plus inattendue, la plus rare, sort du mot qui dormait dans sa signification- inerte comme un fossile de significations (1).Oui, vraiment, les mots revent.Mais je ne veux dire qu une des vsanies de mes reveries demots : pour chaque mot masculin je reve un fminin bien associ,maritalement associ. J aime a rever deux fois les beaux motsde la langue frangaise. Bien entendu, une simple dsinence grammaticale ne me suffit paso Elle donnerait a croire que le fmininest un genre subalterne. Je ne suis heureux qu apres avoir trouvun fminin q uasi a sa racine, dans l extreme profondeur, autantdire dans la profondeur du fminin.Le genre des mots, quelle bifurcation. Mais est-on jamaissur de bien faire le partage ? Quelle exprience ou quelle lumierea guid les premiers choix? Le vocabulaire, semble-t-il, est

    (1) L opinion de Ferenczi sur la recher che de l origine des mots ne peutmanquer de recevoir I opprobre des savants linguistes. Pour Ferenczi, un desplus flns psychanalystes, la recherche des tymologies est un substitut desquestions enfan tines sur 1origine des enfants. FERENCZI voque un articlede SPERBER (Imago, 1914, 1. Jahrgang), sur la thorie sexuelle du langage.On rconcilierait peut-iltre les savants linguistes et les flns psychanalystes sil on posait le probleme psychologique de la linguistique de la langue maternelleetlective, cette langue qu on apprend dans le giron des meres. Alors l etre estau moment oil la langue se drouille, oil elle baigne encore dans les bonheursliquides, oil elle est comme disait un auteur du XVI siecle .le mercure du petitmonde l

    17NTRODUCTIONpartial, il privilgie le masculin en traitant bien souvent lefminin comme un genre driv, subalterne.Rouvrir, dans les mots eux-memes, des profondeurs fminines,voila donc un de mes songes sur les vertus linguistiques.Si noUl> nous sommes perm1s de faire confidence de tous cesvains songes, c est qu ils nous ont prpar a accepter une destheses principales que nous voulons dfendre dans le prsentouvrage. La reverie, si difTrente du reve, qui, lui, est si souventmarqu des durs accents du masculin, nous est en efTet apparue_ au dela des mots cette fois - d essence fminine. La reveriemene dans la tranquillit de la journe, dans la paix du repos_ la reverie vraiment naturelle - est la puissance meme del etre au reposo Elle est vraiment, pour tout etre humain, hommeou femme, un des tats fminins de l ame. Nous essayons dansle deuxieme chapitre d apporter des preuves moins personnellesa cette these. Mais, pour gagner quelques ides, il faut aimerbeaucoup les chimeres. Nous avons avou nos chimeres. Quiacceptera de suivre ces chimriques indices, qui groupera sespropres reveries en reveries de reveries trouvera peut-etre,a fond de songe, la grande tranquillit de l etre fminin intime.Il retournera a ce gynce des souvenances qu est toute mmoire,tres ancienne mmoire.

    Notre second chapitre, plus positif que le premier, doit cependant etre mis encore sous la mention gnrale des Reveries deReveries. Nous nous servons de notre mieux des documentsfournis par les psychologues, mais comme nous melons cesdocuments a nos propres ides-songes, il convient que le philosophe qui utilise le savoir des psychologues garde la responsabilit de ses propres aberrations.La situation de la femme dans le monde moderne a faitl objet de nombreuses recherches. Des livres comme ceux deSimone de Beauvoir et de F. J. J. Buytendijk sont des analysesqui touchent le fond des problemes (1). Nous ne bornons nosobservations qu a des situations oniriques en essayant delprciser un peu comment le masculin et le fminin - le fmininsurtout - travaillent nos reveries.Nous emprunterons alors la plupart de nos arguments a laPsychologie des profondeurs. Dans de nombreuses ceuvres,C. G. Jung a montr l existence d une dualit profonde de la

    (1) Simone de BEAUY01R, Le deuxilJmesexe, Gallimard; F. J. J. BUYTENDIJK,La femme. Ses modes d ~ l r e de par aUre, d exller, Descle de Brouwer, 1954.2G. BACHEL.Ul.D

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    18 L POTIQUE DE L RVERIEPsych humaine. Il a mis cette dualit sous le double signe d unanimus et d une anima. Pour lui, et pour ses disciples, en toutpsychisme, que ce soit celui d un homme ou celui d une femme,on trouve, tantt cooprant, tantt se heurtant, un animus etune anima. Nous ne suivrons pas tous les dveloppements quela psychologie des profondeurs a donns a ce theme d une dualitintime. Nous voulons simplement montrer que la reverie dansson tat le plus simple, le plus pur, appartient a l anima. Certes,toute schmatisation risque de mutiler la ralit ; mais elle aidea fixer des perspectives. Disons donc que pour nous, en gros,le reve releve de l animus et la reverie de l anima. La reveriesans drame, sans vnement, sans histoire nous donne le vritablerepos, le repos du fminin. Nous y gagnons la douceur de vivre.Douceur, lenteur, paix, telle est la devise de la reverie en anima.C est da ns la reverie qu on peut trouver les lments fondamentaux pour une philosophie du reposo

    Vers ce pole de l anima vont nos reveries qui nous ramenenta notre enfance. Ces reveries vers l enfance feront l objet denotre troisieme chapitre. Mais, des maintenant, il nous fautindiquer sous quel angle nous examinons les souvenirs d enfance.Au cours de travaux antrieurs, nous avons souvent ditqu on ne pouvait guere faire une psychologie de l imagi natio ncratrice si l on ne parvenait pas a distinguer neUement l imagination et la mmoire. S l y a un domaine 11 la distinction soitdifficile entre toutes, c est le domaine des souvenirs d enfance,le domaine des images aimes, gardes, depuis l enfance, dans lammoire. Ces souvenirs qui vivent par l image, dans la vertud image, de viennent , a certaines heures de no tre vie, en parti.culier dans le temps de l age apais, l origine et la matiere d unereverie complexe : la mmoire reve, la reverie se souvient. Quandcette reverie du souvenir devient le germe d une ceuvre potique,le complexe de mmoire et d imagination se resserre, il a desactions multiples et rciproques qui trompent la sincrit dupoete. Pl us exact ement , les souvenirs de l enfance heureusesont dits avec une sincril de poele. Sans cesse l imagi nationranime la mmoire, illustre la mmoire.Nous essaierons de prsenter, sous une forme condense, unephilosophie ontologique de l enfance qu i dgage le ca racter edurable de l enfance. Par certains de ses traits, l enfance dureloule l vie. Elle revient animer de larges secteurs de la vie adulte.D abord, l enfance ne quitte jamais ses gites nocturnes. En nous,un enfant vient parfois veiller dans notre sommeil. Mais, dans

    19NTRODUCTlONla vie veille elle-meme, quand la reverie travaille sur notrehistoire, l enfance qui est en nous nous apporte son bienfait.Il faut vivre, il est parfois tres bon de vivre avec l enfant qu ona t. On en regoit une conscience de racine. Tout l arbre del etre s en rconforte. Les poetes nous aideront a retrouveren nous ceUe enfance vivante, cette enfance permanente, durable,immobile.Des notre Introduction, il nous faut souligner que dans cechapitre sur La reverie vers l enfance , nous ne dvelopponspas un e psychologie de l enfant. Nous n envisageons l enfanceque comme un theme de reverie. Theme retrouv dans tous lesages de la vie. Nous nous maintenons dans une reverie et dansune mditation d anima. Bien d autres recherches seraient ncessaires pour clairer les drames de l enfance, pour montrer surtoutque ces drames ne s efTacent pas, qu ils peuvent renaitre, qu ilsveulent renaitre. La colere dure, les coleres primitives rveillentdes enfances endormies. Parois dans la solitude, ces coleresrefoules nourrissent des projets de vengeance, des plans decrime. Ce sont la des constructions d animus. Ce ne sont pas desreveries d anima. Il faudrait un autre plan d enquete que lenotre pour les examiner. Mais tout psychologue tudiant l imagination du drame doit se rfrer aux coleres d enfant, auxrvoltes d adolescence. Un psychologue des profondeurs commeest le poete Pierre-Jean Jouve n y manque paso Ayant a meUreune prface a des contes auxquels il a donn le titre : H isloiressanglanles, le poete, dans une condensation de culture psychanalytique, dit qu a la base de ses histoires, il y a des tatsd enfance (1). Les drames inaccomplis donnent des ceuvres,des ceuvres 11 l animus est aetif, clairvoyant, prudent et audacieux, complexe. Tout a notre tache d analyser des reveries,nous laissons de cot les projels d animus. Notre chapitre sur lesreveries vers l enfance n est donc qu une contribution a lamtaphysique du temps lgiaque. Apres tout, ce temps del lgie intime, ce temps du regret qui dure est une ralit psychologique. C est lui qui est la dure qui dure. Notre chapitrese prsente donc comme une bauche d une mtaphysique del inoubliable.

    Mais il est difficile a un philosophe de se distraire de seslongues habitudes de pense. Meme en crivant un livre deloisir, les mols, les anciens mots, veulent rentrer en service.1) Pierre-Jeao JOUVE, Hi toiru anglantu, dit. GalJimard, p. 16.

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    20 L POTIQUE DE L RVERIEEt c est ainsi que nous avons cru devoir crire un chapitre sousun titre bien pdant : Le cogilo du reveur . Dans les quaranteans de ma vie de philosophe, j ai entendu dire que la philosophiereprenait un nouveau dpart avec le cogilo rgo sum de Descartes.J ai d aussi noncer moi-meme cette l e ~ o n initiale. Dans l'ordredes penses, c est une devise si claire 1 Mais n en drangerait-onpas le dogmatisme si l on demandait au reveur s'il est bien surd etre l etre qui reve son reve ? Une telle question ne troublaitguere un Descartes. Pour lui, penser, vouloir, aimer, rever, c esttoujours une activit de son esprit. Il tait sur, l heureux homme,que c tait lui, bien lui, lui seul qui avait passions et sagesse.Mais un reveur, un vrai reveur qui traverse les folies de la nuit,est-il si sur d etre lui-meme ? Quant a nous, nous en doutons.Nous avons toujours recul devant l'analyse des reyes de la nuit.Et c est ainsi que nous sommes arriv a cette distinction unpeu sommaire qui cependant devait clairer nos enquetes. Lereveur de la nuit ne peut noncer un cogilo. Le reve de la nuitest un reve sans reveur. Au contraire, le reveur de reverie gardeassez de conscience pour dire : c est moi qui reve la reverie, c estmoi qui suis heureux de rever ma reverie, c est moi qui suisheureux du loisir oil je n ai plus la tache de penser. Voila ce quenous avons essay de montrer, en nous aidant des reveries despoetes, dans le chapitre qui a pour titre : Le cogilo du reveur .Mais le reveur de reveries ne s abstrait pas dans la solituded un cogilo. Son cogilo qui reve a tout de suite, comme disentles philosophes, son cogilalum. Tout de suite, la reverie a unobjet, un simple objet, ami et compagnon du reveur. C'est natu-rellement aux poetes que nous avons demand nos exemplesd objets potiss par la reverie. En vivant de tous les reflets deposie que lui apportent les poetes, le je qui reve la reverie sedcouvre non pas poete, mais je potiseur.

    Apres cet acces de philosophie indure, nous sommes revenu,dans un dernier chapitre, a un examen des images extremes dela reverie sans cesse tente par la dialectique du sujet excit etdu monde excessif; j ai voulu suivre les images qui ouvrent lemonde, qui agrandissent le monde. Les images cosmiques sontquelquefois si majestueuses que les philosophes les prennent pourdes penses. Nous avons essay, en les revivant a notre mesure,de montrer qu'elles taient pour nous des dtentes de reverie.La reverie nous aide a habiter le monde, a habiter le bonheurdu monde. Nous avons donc pris pour titre de ce chapitre : Reverie et Cosmos . On comprendra que ce n est pas dans un

    INTRODTJCTJON 2court chapitre qu on peut traiter d un si vaste probleme. Nousl'avons abord bien des fois au cours de nos recherches prcdentes sur l'imagination, sans jamais le traiter a fondo Nousserions heureux aujourd hui si nous pouvions du moins poser leprobleme un peu plus nettement. Les mondes imagins dterminent de profondes communions de reveries. C'en est au pointqu on peut interroger un eceur en lui demandant de confesserses enthousiasmes devant la grandeur du monde contempl,du monde imagin en de profondes contemplations. Comme lespsychanalystes, ces maltres de l'interrogation indirecte, trouve-raient de nouvelles cI s pour aller a fond d ame s'ils pratiquaientun peu la cosmo-ana lyse De cette cosmo-analyse, voici unexemple emprunt a une page de Fromentin 1). Dominique,dans les instants dcisifs de sa passion, conduit Madeleine en dessites qu'il a longuement choisis : J aimais surtout a essayersur Madeleine l'efIet de certaines influences plutat physiquesque morales auxquelles j tais moi-meme si continuellementassujetti. Je la mettais en face de certains tableaux de la campagne, choisis parmi ceux qui, invariablement composs d unpeu de verdure, de beaucoup de soleil et d une immense tenduede mer, avaient le don infaillible de m'mouvoir. J observaisdans quel sens elle en serait frappe, par quels cats d'indigenceou de grandeur ce triste et grave horizon toujours nu pourraitlui plaire. Autant que cela m tait permis, je l'interrogeais surces dtails de sensibilit tout extrieure. Ainsi, devant une immensit, il semble que l etre interrogsoit naturellement sincere. Le site domine les pauvres et fluentes situations sociales. Quel prix alors aurait un album de sitespour interroger notre etre solitaire, pour nous rvler le mondeoil il nous faudrait vivre pour etre nous-memes Cet album desites, nous le recevons de la reverie avee une prodigalit que nousne trouverions pas dans de multiples voyages. Nous imaginonsdes mondes oil notre vie aurait tout son clat, toute sa chaleur,toute son expansiono Les poetes nous entrainent dans des cosmossans cesse renouvels. Durant le romantisme, le paysage a tun outil de sentimentalit. Nous avons done essay dans le dernier chapitre de notre livre, d tudier l'expansion d etre que nousrecevons des reveries cosmiques. Avec des reveries de cosmos,le reveur connait la reverie sans r e s p o n ~ b i l i t la reverie qui nesollicite pas de preuve. Finalement imaginer un cosmos c est ledestin le plus naturel de la reverie.

    1) E. FROMENTIN, Dominique p. 179.

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    L POETIQUE DE L REvERIEVII

    Au terme de cette Introduction, disons en quelques mots ou,dans notre solitude, sans possibilit de recours a des enquetespsychologiques, nous devons chercher nos documents. lIs viennent des livres, toute notre vie est lecture.La lecture est une dimension du psychisme moderne, unedimension qui transpose les phnomenes psychiques dja transposs par l'criture. II faut prendre le langage crit comme uneralit psychique particuliere. Le livre est permanent, il est sousvos yeux comme un objeto II vous parle avec une autorit mono

    tone que n'aurait pas son auteur meme. II faut bien lire ce quiest crit. Pour crire, d'ailleurs, l'auteur a dja opr une transposition. II ne dirail pas ce qu'il crit. II est entr - qu'il s'endfende ne change rien a l'affaire - dans le regne du psychismecrit.Le psychisme enseign prend la sa permanence. Qu'elle valoin cette page OU Edgar Quinet dit la force de transmission du

    Ramayana (1). Valmiki dit a ses disciples : Apprenez le poemervl ; il donne la vertu et la richesse : plein de douceur lorsqu'ilest adapt aux trois mesures du temps, plus doux s'il est mari auson des instruments, ou s'il est chant sur les sept cordes de lavoix. L'oreille ravie excite l'amour, le courage, l'angoisse, laterreur... O le grand poeme, l'image fidele de la vrit. La muettelecture, la lente lecture donne a l'oreille tous ces concerts.Mais la meilleure preuve de la spcificit du livre, c'est qu'ilest a la fois une ralit du virtuel et une virtualit du rel. Noussommes placs, lisant un roman, dans une autre vie qui nous faitsouffrir, esprer, compatir, mais tout de meme avec l'impressioncomplexe que notre angoisse reste sous la domination de notrelibert, que notre angoisse n'est pas radicale. Tout livre angoissant peut alors donner une technique de rduction de l'angoisse.Un livre angoissant offre aux angoisss une homopathie de l'angoisse. Mais cette homopathie agit surtout dans une lecturemdite, dans la lecture valorise par l'intret littraire. Alorsdeux plans du psychisme se scindent, le lecteur participe a cesdeux plans et quand l devient bien conscient de l eslhlique el angoisse, il est bien pres d'en dcouvrir la facticit. Car l'angoisseest factice : nous sommes faits pour bien respirer.Et c'est en cela que la posie - sommet de toute joie esthtique - est bienfaisante.

    1) Edgar QUINET, Le gnie del religlons. L pope Indienne, p 143.

    INTRODUCTION 3Sans l'aide des poetes, que pourrait faire un philosophecharg d'ans, qui s'obstine a parler de l'imagination? II n'apersonne a testero II se perdrait tout de suite dans le labyrinthedes tests et contre-tests ou se dmme le sujet examin par lepsychologue. D'ailleurs existe-t-il vraiment dans l'arsenal dupsychologue des tests d'imagination ? Y a-t-il des psychologuesassez exalts pour sans cesse renouveler les moyens objeclifs

    d'une tude de l'imagination exalte ? Les poetes toujours imagineront plus vite que ceux qui les regardent imagineroComment entrer dans la potico-sphere de notre temps ? Unere d'imagination libre vient de s'ouvrir. De toute part, les imagesenvahissent les airs, vont d'un monde a l'autre, appellent etl'oreille et les yeux a des reyeS agrandis. Les poetes abondent,les grands et les petits, les clbres et les obscurs, ceux qu'onaime et ceux qui blouissent. Qui vit pour la posie doit toutlire. Que de fois, d'une simple brochure, a jailli pour moi la lumired'une image neuve Quand on accepte d'etre anim par desimages nouvelles, on dcouvre des irisations dans les imagesdes vieux livres. Les ages potiques s'unissent dans une mmoirevivante. Le nouvel age rveille l'ancien. L'ancien age vient revivredans le nouveau. Jamais la posie n'est aussi une que lorsqu'ellese diversifie.Quels bienfaits nous apportent les nouveaux livres Je voudrais que chaque jour me tombent du ciel a pleine corbeille leslivres qui disent la jeunesse des images. Ce vceu est naturel.Ce prodige est facile. Car, la-haut, au ciel, le paradis n'est-ilpas une immense bibliothque ?

    Mais il ne suffit pas de recevoir, il faut accueillir. II faut,disent d'une meme voix, le pdagogue et la ditticienne assimiler Pour cela, on nous conseille de ne pas lire trop vite et deprendre garde d'avaler de trop gros morceaux. Divisez, nousdit-on, chacune des difficults en autant de parcelles qu'il sepeut pour les mieux rsoudre. Oui, machez bien, buvez apetitesgorges, savourez vers par vers les pomes. Tous ces prceptessont beaux et bons. Mais un principe les commande. II fautd'abord un bon dsir de manger, de boire et de lire. II faut dsirerlire beaucoup, lire encore, lire toujours.Aussi, des le matin, devant les livres accumuls sur ma table,au dieu de la lecture je fais ma prire de lecteur dvorant : Donnez-nous aujourd'hui notre faim quotidienne...

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    CHAPITRE PREMIER

    REVERIES SUR L REVERIE

    e reveur de motsAu fond de chaque motassiste a ma naissance.Alain BosQuET,Premier poeme.J ai mes amulettes : les mots.Henri Bosco,Si/es el paysages p. 57.

    Les reyeS et les reveries, les songes et les songeries, les souvenirs et la souvenance, autant d indices d un besoin de mettreau fminin tout e qu il y a d enveloppant et de doux par-delales dsignations trop simplement masculines de nos tats d ame.C est la, sans doute, une bien petite remarque aux yeux desphilosophes qui parlent le langage de l universel, bien pe titeremarque aux yeux des penseurs qui tiennent le langage pourun simple instrument qu on doit forcer a exprimer avec prcisiontoutes les finesses de la pense. Mais un philosophe songeur,un philosophe qui cesse de rflchir quand il imagine et qui aainsi prononc pour lui-meme le divorce de l intellect et del imagination, un tel philosophe, quand il reve au langage, quandles mots sortent pour lui du fond meme des songes, comment neserait-il pas sensible a la rivalit du masculin et du fminin qu ildcouvre a l origine de la parole ? Dja, par le genre des motsqui les dsignent, reve et reverie s annoncent comme diffrents.On perd des nuances quand on prend reve et reverie comme deuxespeces d un meme onirisme. Gardons plutot les ciarts du gniede notre langue. Allons a fond de nuance et essayons de raliserla fminit de la reverie.

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    26 LA POETIQUE DE LA Rl vERIEEn gros - j essaierai de le suggrer a un lecteur bienveillant - le reve est masculin, la reverie est fminine. En nous

    servant, par la suite, de la division de la psych en animus etanima, telle que cette division a t tablie par la psychologiedes profondeurs, nous montrerons que la reverie est, aussi bienchez l homme q ue chez la femme, une manifestation de l anima.Mais auparavant, il faut que nous prparions, par une reveriesur les mots eux-memes, les convictions intimes qui assurent,dans toute psych humaine, la permanence de la fminit.

    JIPour investir le noyau de la reverie fminine, nous nousconfierons au fminin des mots.

    Orbes des mots, murmurante mmoiredit le poete (1).

    En revant a notre langue maternel1e, dans notre languematernelle - peut-on vivre des reveries dans une autre langueque cette langue confie a la murmurante mmoire ? - nouscroyons reconnaitre un priviIege de reverie aux mots fminins.Dja les dsinences fminines ont de la douceur. Mais l'antp-nultieme est aussi pntre par cette douceur. Il est des motsdans lesquels le fminin impregne toutes les syllabes. De telsmots sont des mols reverie. Ils appartiennentau langage d' anima.Mais, puisqu'au seuil d'un livre OU la sincrit de phnomnologue est une mthode, je dois dire que, croyant penser, j'aibien souvent revass sur le genre masculin ou fminin des qua-lits morales, tels l orgueil et la vanit, le courage et la passion.Il me semblait que le masculin et le fminin dans les motsaccentuaient les contraires, dramatisaient la vie morale. Puis,des ides OU je divaguais, je passais aux noms de choses ou j'taissur de bien rever. J'aimais savoir qu'en frangais les noms desfleuves sont gnralem ent au fminin. C est si naturel L'Aubeet la Seine, la Moselle et la Loire sont mes seules rivieres. LeRhone et le Rhin sont, pour moi, des monstres linguistiques. Ilscharrient l eau des glaciers. Ne faut-il pas des noms fminins pourrespecter la fminit de l eau vritable ?

    Ce n'est la qu'un premier exemple de mes reveries de mots.Car, des heures et des heures, des que j'ai eu le bonheur d'avoir1) Henrl CAPIEN, Signes, Seghers, 1955.

    Rl VERIES SUR LA Rl VERIE 27un dictionnaire, je me laissais sduire par le fminin des mots.Ma reverie suivait les inf1exions de la douceur. Le fminin danaun mot accentue le bonheur de parlero Mais il y faut quelqueamour des sonorits lentes.

    Ce n'est pas tou jours aussi facile qu'on croit. Il y a des ehosessi solides en leur ralit qu'on oublie de rever sur leur nomoIl n'y a pas bien longtemps que j'ai dcouvert que la eheminetait un chemin, le chemin de la douce fume qui chemine lentement vers le ciel.

    Parfois l'acte grammatical qui donne un fminin a un etremagnifi dans le masculin est une pure maladresse. Le centaureest, certes, l idal p restigieux d'un cavalier qui sait bien quejamais il ne sera dsargonn. Mais que peut bien etre la centau-resse ? Qui peut rever a la centauresse ? C est bien tardivementque ma reverie de mots a trouv son quilibre. Lisant en revantdans ce dictionnaire des plantes qu'est la Bolanique chrliennede l'abb Migne, j'ai dcouvert que le fminin songeur du motcenlaure tait la cenlaure. Petite f1eur, sans doute, mais sa vertuest grande, digne vraiment du savoir mdical de Chiron, le surhu-main centaure. Pline ne nous dit-il pas que la centaure guritles chairs disjointes? Faites bouillir de la centaure avee desmorceaux de viande et ils se restitueront dans leur unit premiere. Les beaux mots sont dja des remdes (1).

    Quand j hsite a confier de telles reveries qui pourtant mereviennent souvent a l esprit, je reprends courage en lisantNodier. Nodier a si souvent rev entre mots et choses, tout aubonheu r de nommer. Il y a quelque chose de merveilleusementdoux dans cette tude de la nature, qui attache un nom a tousles etres, une pense a tous les noms, une affection et des souvenirs a toutes les penses (2). Une subtilit de plus en unissantle nom et la chose et cette affection pour les choses bien nommes,provoque en nous des ondes de fminit. Aimer les choses pourleur usage releve du masculino Elles sont les pieces de nos actions,de nos vives actions. Mais les aimer intimement, pour elles-memes,avec les lenteurs du fminin, voila qui nous engage dans le labyrinthe de la Nature intime des choses. Ainsi j' acheve en reveries fminines le texte si attachant ou Nodier runit son double

    1) faut pardonner au mot eentauresse paree que RIMBAUD a pu volr les hauteurs ou les eentauresses sraphiques voluent parmi les avalanehes (Les illuminations, Villes). L essentiel est de s interdire de les imaginer galopantdans la plaine.2) Charles NODlER, Souvenirs e jeunesse, p. 18.

    f

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    28 LA POTIQUE DE LA REvERIEamour des mots et des choses, son double amour de grammairienet de botaniste.

    Bien entendu, une simple dsinence grammaticale, quelque emuet ajout a un nom qui fait carriere dans le masculin ne m ajamais suill, d ans la mditation de mon dictionnaire, a me donnerles grands songes de la fminit. II falIait que je sente le motfminis de part en part, dou d un fminin irrvocable.

    Quel trouble alors quand, passant d une langue a une autre,on a I'exprience d une fminit perdue ou d une fminit masque par des sons masculins C. G. Jung fait remarquer qu enlatin les noms d arbre ont une terminaison masculine et sontcependant fminins (1). Ce dsaccord des sons et des genresexplique en quelque maniere les nombreuses images androgynesassocies a la substance des arbres. La substance y contredit lesubstantif. Hermaphroditisme et Amphibologie se tissent. lIsfinissent par se soutenir I'un l autre dans les reveries d un reveurde mots. On commence a se tromper en parlant et on finit enjouissant de I'union des contraires. Proudhon qui ne reve guereet qui est vite savant, trouve tout de suite une cause de fminitpour le nom latin des arbres : C'est sans doute, dit-il, a causede la fructification (2). Mais Proudhon ne nous donne pas assezde reveries pour nous aider a passer de la pomme au pommier,a faire refluer le fminin de la pomme jusqu a I'arbre.

    D une langue a une autre, que de scandales il faut parfoistraverser pour accepter des fminits invraisemblables, des fminits qui troublent les reveries les plus naturelIes De nombreuxtextes cosmiques OU interviennent en alIemand le soleil et la lune,me semblent personnelIement impossibles a rever en raison deI extraordinaire inversion qui donne au soleil le genre fmininet a la lune le genre masculino Quand la discipline grammaticaleoblige des adjectifs a se masculiniser pour s'associer a la lune,un reveur frangais a l'impression que sa reverie lunaire se pervertit.

    En revanche, d une langue a une autre, quelIe belIe heure delecture quand on conquiert un fminin Un fminin conquispeut approfondir tout un poeme. Ainsi, dans une posie d HenriHeine, le poete dit le reve d un sapin isol qui sommeille sous laglace et la neige, perdu de solitude en une plaine aride du Nord : Le sapin reve d un palmier qui, la-bas, dans l Orient lointainse dsole solitaire et taciturne sur la pente d un rocher brO(1) C. G. JUNG, M/amorphoses de l me, trad., p. 371.(2) PROUDHON, Un essai de grammaire gnrale. En appendice au llvrede BERGIER, Les lmenis primitils des langues, Besangon et Paris, 1850, p. 266.

    R VERIES SUR LA R VERIE 29lant (1). Sapin du Nord, palmier du Sud, solitude glace, solitude brulante, c est sur ces antitheses qu un lecteur frangaisdoit rever. Combien d autres reveries sont offertes au lecteuralIemand puisqu en alIemand, si le mot sapin est masculin, lemot palmier est fminin Chez I'arbre droit et vigoureux sous laglace, que de reyes alors vers I'arbre fminin, ouvert en toutesses palmes, attentif a toutes les brises Quant a moi, en mettantau fminin cet etre de la palmeraie, ai des reyes infinis. Voyanttant de verdure, une telIe exubrance de palmes vertes sortirdu corset cailleux d un tronc rude, je prends ce bel etre du Sudpour la sirene vgtale, la sirene des sables.Ainsi qu en peinture le vert fait chanter le rouge, en posieun mot fminin peut apporter une grace a I'etre masculino Dansle jardin de Rene Mauperin, un horticulteur, comme on n enrencontre que dans la vie imagine, a fait monter des rosiers toutau long d un sapino Le vieil arbre peut ainsi dans ses bras vertsremuer des roses (2). Qui nous dira jamais le mariage de la roseet du sapin ? Je suis reconnaissant aux romanciers si aigus despassions humaines d avoir eu la bont de mettre des roses dansles bras de I'arbre froid.

    Quand les inversions, d une langue a un autre, touchent desetres d un onirisme qui nous est congnital, nous sentons nosaspirations potiques dans une grande division. On voudraitrever deux fois un grand objet de reveries qui s'offre sous un genre nouveau.A Nuremberg, devant la vnrable Fontaine des Vertus Johannes Joergensen (3) s'crie : Ton nom me paraIt si beauLe mot de fontaine contient en soi une posie qui m a toujoursmu tres profondment, surtout sous la forme alIemande de Brun-nen, dont il me semble que la consonnance prolonge en moi unedouce impression de repos. Pour apprcier les jouissances deparoles vcues par I'crivain danois, il serait bon de savoir dequel genre est le mot fontaine dans sa langue maternelIe. Maisdja pour nous, lecteur frangais, la page de Joergensen drange,inquiete des reveries radicales. Se peut-il qu'il y ait des languesqui mettent la {ontaine au masculin ? Subitement le Brunnenme donne des reveries diaboliques comme si le monde venait dechanger de nature. En revant un peu plus, en revant autrement,le Brunnen finit par me parlero J entends bien que le Brunnen

    (1) Cit par Albert BGUIN, L'me romantique e/ le rue l re M., t. 11, p. 313.(2) Edmond et Jules de GONCOURT, Rene Mauprin, d. 1879, p. 101.(3) Johannes JOEnGE:-ISEN, Le liure de roa/e, traduit par Teodor de XYZEWA,1916, p. 12.

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    30 LA PO 2TIQUE DE LA R 2VERIEbruit plus profondmen t que la fontaine. Il s tale moins doucement que les fontaines de mon pays. Brunnen-Fontaine sont deuxsons originaux pour une eau pure, pour une eau fraiche. Etcependant pour qui aime parler en revant ses mots, ce n est pasla meme eau qui sort de la fontaine et du Brunnen. La difTrencedes genres renverse toute s mes reveries. C est vraiment toutela reverie qui change de genre. Mais c est sans doute une tentationdu diable que d aller rever dans une langue qui n est pas la languematernelle. Je dois etre fidele t ma fontaine.Touchant les renversements, d une langue t une autre, desvaleurs du fminin et du masculin, les linguistes apporteraientsans doute bien des explications t de telles anomalies. J auraisstirement gagn t m instruire aupres des grammairiens. Disonscependant notre tonnement de voir tant de linguistes se dbarrasser u probleme en disant que le masculin ou le fminin desnoms relevent du hasard. videmment, on ne trouve t celaaucune raison si prcisment on se borne t des raisons raisonnables. Il y faudrait peut-etre un examen onirique. Simone deBeauvoir semble dgue de ce manque de curiosit de la philologierudite. Elle crit 1) : La philologie est sur cette question dugenre des mots plutot mystrieuse ; tous les linguistes s accordenta reconnaitre que la distribution des mots concrets en genresest purement accidentelle. Cependant en frangais la plupart desentits sont du fminin : beaut, loyaut, etc. L etc. courteun peu la preuve. Mais un theme important de la fminit desmots est indiqu dans le texte. La femme est 1 idal de la naturehumaine et l idal que 1 homme pose en face de soi comme l Autreessentiel, il le fminise parce que la femme est la figure sensiblede l altrit ; c est pourquoi presque toutes les allgories, dans lelangage comme dans l iconographie, sont des femmes .Les mots, en nos cultures savantes, ont t si souvent dfiniset redfinis, ils ont t cass avec tant de prcision dans nosdictionnaires, qu ils sont vraiment devenus des instruments dela pense. Ils ont perdu le ur puissance d onirisme interne. Pourrevenir a cet onirisme qui tient aux noms, il faudrait pousserune enquete sur des noms qui revent encore, des noms qui sontdes enfants de la nuit ll. Prcisment, quand ClmenceRamnoux tudie la philosophie hraclitenne, elle mene sonenquete comme l indique le sous-titre de Sil livre : En eherehanl homme entre les h oses l les mols (2). Et les mots des grandes

    1) S. de BEAuvoIR, Le deuxieme sexe, GaIlimard, t. 1, p. 286, texte et note.2) Clmence RAMNOUX, Hraclite ou l homme entre les choses t l s mots,Pars, d. Les Belles Lettres, 1959.

    RgVERIES SUR LA R 2VERIE 31choses comme la nuit et le jour, comme le sommeil et la mort,comme le ciel et la terre, ne prennent leur sens qu en se dsignantcomme des couples . Un couple domine un autre couple, ucouple engendre un autre couple. Toute cosmologie est unecosmologie parle. En en faisant des dieux, on brusque la signification. Mais vu de plus pres comme le font les historiens,modernes, comme le fait Clmence Ramnoux, le probleme nese simplifie pas aussi rapide ment. En fait des qu un etre du mondea une puissance, il est bien pres de se spcifier soit comme puissance masculine, soit comme puissance fminine. Toute puissance est sexue. Elle peut meme etre bisexue. Jamais elle nesera neutre, jamais au moins elle ne restera longtemps neutre.Quand une trinit cosmologique est retenue, il faut la dsigner, comme 1 + 2, tel le chaos d ou sortent l Erbos etla Nyx.Avec des significations qui voluent de l humain au divin,des faits tangibles t des songes, les mots regoivent une certainepaisseur de signification.Mais des qu on a compris que toute puissance s accompagned une harmonique de sexualit, il devient naturel d ausculterles mots valoriss, les mots qui ont une puissance. Dans notre viede civilis t 1 poque industrielle, nous sommes envahis par lesobjets. Chaque objet est le reprsentant d une foule d objets :Comment un objet aurait-il une puissance puisqu il n a plusd individualit? Mais allons un peu vers le lointain pass desobjets. Restituons nos reveries devant un objet familier. Puisrevons plus lo in encore, si loin meme que nous allons nousperdre en nos reveries quand nous voudrons savoir commentun objet a pu trouver son nomo En revant entre chose et nomdans la modestie des etres familiers, comme Clmence Ramnoux le fait dans les tnebres hraclitennes pour les grandeurs de la destine humaine, l objet, le modeste objet, s envient a jouer son role dans le monde, dans un monde quireve dans le petit comme dans le grand. La reverie sacralise sonobjeto Du familier aim au sacr personnel il n y a qu un pasoBientot l objet est une amulette, il nous aide et nous protege dansla vie. Son aide est maternelle ou paternelle. Toute amulette estsexue. Le nom d une amulette n a pas le droit de se tromperde genre.De toute fagon, faute d etre instruit dans les problemes dela linguistique, nous n avons pas la prtention, dans ce livre deloisir, d instruire le lecteur. Ce n est pas a partir d un sauoirqu on peut vraiment rever, rever sans retenue, rever en une reve

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    32 LA POTIQUE DE LA R"&VERIErie sans censure. Je n ai pas d autre but, dans le prsent chapitre,que de prsenter un cas - mon cas personnel - le cas d unreveur de mots.

    Mais des explications linguistiques approfondiraient-ellesvraiment notre reverie ? Notre reverie sera toujou rs plutt excitepar une hypothese singuliere - voire aventureuse - que par unedmonstration savante. Comment ne pas etre amus par le doubleimprialisme que Bernardin de Saint-Pierre accorde a la dnomination? Ce grand reveur ne disait-il pas : 11 serait assez curieuxde rechercher si les noms masculins ont t donns par les femmeset les noms fminins par les hommes aux choses qui servent plusparticulierement aux usages de chaque sexe, et si les premiersont t faits du genre masculin parce qu ils prsentaient descaracteres de force et de puissance et les seconds de genre fmininparce qu ils ofIrent des caracte res de g race et d agrments.Bescherelle qui, dans son dictionnaire a l article genre, citeBernardin de Saint-Pierre, sans rfrence, est, sur ce probleme,un lexicographe tranquille. 11 se dbarrasse du probleme, commetant d autres, en disant que pour les etres inanims, la dsigna tionen masculin et en fminin est arbitraire. Mais est-il si simple,pour peu qu on reve, de dire OU s arrete le regne de l anim ?Et, si c est l anim qui commande, ne faut-il pas mettre enpremiere ligne les plus anims de tous les etres, l homm e et lafemme, qui l un et l autre vont etre des principes de personnalisation ? Pour Schelling, toutes les oppositions ont t traduitesquasi naturellement dans une opposition du masculin et dufminin. ce Toute dnomination n est-elle pas dja un e personnification ? Et tant donn que toutes les langues dsignent pardes difIrences de genre les objets comportant une opposilion,tant donn que nous disons par exemple le ciel et la terre ... nesommes-nous pas singulierement tout pres d exprimer ainsi desnotions spirituelles par des divinits masculines et fminines ? Ce texte apparait dans l'Inlroduclion tI la philosophie de la mylho-logie (1). 11 nous indique le long destin de l opposition des genresqui va, en passant par l homme , des choses aux divinits. Etc est ainsi que Schelling peut ajouter : ce On est presque tentde dire que la langue elle-meme est une mythologie prive desa vitalit, une mythologie pour ainsi dire exsangue, et qu elle a

    1) F. \V. SCHELLINr;, lnlrrdllc/ion a a philosophie de la mylhologie, trad.S. JANKLVITCH, Aubier, 1945, t. 1, p. 62.

    R &VERIES SUR LA R ~ V R 33conserv seulement a l tat abstrait et formel ce que la mytho-logie contient a l tat vivant et concret. Qu un si grand philosophe aille si loin, cela justifie peut-etre un reveur de mots quiredonne dans sa reverie un peu de ce vitalit aux oppositionsefIaces.Pour Proudhon (1), ce dans toutes les especes d animaux, lafemelle est ordinairement l etre le plus petit, le plus faible, leplus dlicat : il tait naturel de dsigner ce sexe par l attributqui le caractrise ; et pour cet efIet le nom s allonge d une terminaison particuliere, image des ides de mollesse, de faiblesse,de petitesse. C tait une peinture llar analogie, et le fmininconstitua d abord dans les noms ce Lue nous nommons diminulif.Dans toutes les langues la terminaison fminine fut donc plusdouce, plus tendre, si l on peut dire, que celle du masculin .Cette rfrence au diminulif laisse en suspens bien des songes.11 semble que Proudhon n ait pas rev a la beaut de ce quidevient petit. Mais la mention qu il fait d une vocalit tendreattache aux mots fminins ne peut manquer d avoir un chodans les reveries d un reveur de mots (2).Mais, tout n est pas dit avec l emploi de syllabes bien codifies. Parfois, pour exprimer toutes les finesses psychologiques,un grand crivain sait crer ou susciter des doublets sur letheme des genres et mettre en bonne place un masculin et unfminin bien associs. Par exemple, quand des feux follets - etresd une sexualit bien indcise - doivent sduire des hommes oudes femmes, ils deviennent justement, selon l etre a garer flambettes ou ce flamboires (3).

    Gare aux flamboires, fillette IGare aux flambettes, nigaud IComme cet avis sonne bien pour qui sait aimer, avec lespassions requises, les mots.Et, dans le mode sinistre, pour efTrayer davantage, soit unefemme soit un homme, les noirs corbeaux deviennent de ce grossescoares)) (4).Tout ce qui est conflit ou attraction, dans le psychismehumain, est prcis, est accentu quand on ajoute a la plus tnuedes contradictions, a la plus confuse des communions les nuances

    (1) Loe. cil., p. 265.2) Mais quel drame dans une famille de mots quand le masculin est pluspetit que le fminin, quand la cruche est plus grande que le cruchon 13) el. George SAND Lgendes rlls/iqlles, p. 133.4) George SAND loe. cit., p. 147.G, BACHE;L.\I\O 3

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    34 LA POTIQUE DE LA REvERIEqui font les mots masculins ou fminins. Aussi quelle mutilation doivent recevoir les langues qui ont perdu, par un vieillissement de leur grammaire, les vrits premieres du genre Etquel bienfait on reoit du franais - langue passionne qui n'apas voulu conserver un genre neutre , ce genre qui ne choisitpas alors qu'il est si agrable de multiplier les occasions dechoisirMais donnons un exemple de ce plaisir de choisir, de ceplaisir d'associer le masculin et le fminin. Une reverie de motsvient donner je ne sais quel piment a la reverie potique. Ilnous semble que la stylistique aurait intret a adjoindre a sesdiffrentes mthod es d'examen une enquete un peu systmatiquesur l'abondance relative des masculins et des fminins. Mais,dans ce domaine, une statistique ne serait pas suffisante. fautdterminer des poids , mesurer la tonalit des prfrences.Pour se prparer a ces mesures sentimentales du vocabulaired'un auteur, peut-etre faudrait-il - je suis tout confus de donnerce conseil - accepter de devenir, en quelques bonnes heuresde repos, un reveur de mots.Mais si j'hsite sur la mthode, j'ai plus confiance dans lesexemples vcus par les poetes.

    IVVoici d'abord entre le masculin d'un mot et le fminin unmodele d'union.Le bon cur Jean Perrin reve, parce qu'il est poete,

    De marier l aurore a>ec le clair de lune 1)C'est bien la, un souhait qui ne viendra jamais sur les levresd'un pasteur anglican condamn a rever dans une langue sansgenres. Pour ce mariage des mots clbr par le poete, qu'elles

    pendent a la haie ou qu'elles pendent au buisson, toutes lescloches des liserons, en la paroisse de Faremoutiers, sonnenttoute vole.Un deuxieme exemple sera bien diffrent. Il dira, dans lesobjets, la royaut du fminin. Nous l'emprunterons a un contede Rachilde. C'est un conte de jeunesse. Elle a du l'crire dans le

    temps ou elle crivait Monsieur Vnus. Rachilde y veut dire larue des fleurs qui vont gurir la plaine de Toscane ravage par1) Jean PERRIN, La colline d ivoire, p. 28.

    REVERIES SUR LA REvERIE 35la peste (1). La rose est alors le fminin nergique, conqurant,dominateur : Les roses, bouche s de braise, flammes de chair(lchaient) l'incorruptibi lit des marbres. ) D'autres roses d' uneespece raccrocheuse envahissent le clocher. Lanant, par uneogive, la foret de leurs pines froces elle s'agrippa - cetteespece accrocheuse - le long d'une corde, la fit onduler sous lepoids de ses jeunes tetes ll Et quand elles sont a cent a tirer surla corde, on entend le tocsin. ( Les roses sonnaient le tocsin.A l'incendie du ciel amoureux s'ajoute la fournaise de leur odeurpassionne. Alors l'arme des fleurs rpond aux appels de{ sa reine pour que la vie florale triomphe de la vie maudite.Les plantes aux noms males suivent, en une cadence moinsardente, l'lan gnral : ( Des chwrefeuilles, aux pistils digits,avariaient comme sur des mains griffues Les chien dents, leslycopodes, les rsdas, plebe verte et grise se multipliaient end'immenses tapis par-dessus lesquels courait l'avant-garde desliserons fous, porteurs de coupes d'ou ruisselait une ivressebleue (2).Ainsi, dans un tel texte, les noms masculins et fminins sontbien tris, nettement confronts. On en trouverait aismentd'autres preuves si l'on poursuivait, tout le long du conte deRachilde, l'analyse par le genre que nous esquissons.D'une rose qui leche un marbre, les psychanalystes feraientaisment une histoire. Mais en donnant des responsabilits psychologiques trop lointaines a la page potique, ils nous priveraient de la joie de parlero Ils nous retireraient les mots de labouche. L'analyse d'une page littraire par le genre des mots- la gnosanalyse - court sur des valeurs qui paraitrontsuperficielles aux psychologues, aux psychanalystes et aux penseurs. Mais elle nous parait une ligne d'examen - il Y en a biend'autres - pour ordonner les simples joies de la parole.De toute faon, versons la page de Rachilde au dossier dusur-fminin. Et pour viter toute confusion, rappelons queRachilde a publi, en 1927, un livre sous le titre : Pourquoi je nesuis pas fminisle.

    Ajoutons enfin, en nous appuyant sur des exemples commeceux que nous citons, que des pages fortement marques par ungenre grammatical privilgi, ou soigneusement quilibres sur1) RACHILDE, Cantes et nOllvelles. Suivls de ThM.tre, Mercure de France,1900, pp. 54-55. La nouvelle a pour litre: Le Mortis. Elle est ddle a AlfredJarry que Raehilde appellera le surmUe de ettres [ef. Jarry 011 l Sl rmdlede IcUres, d. Grasset, 1928].2) RACHILDE, loe. cit., p. 56.

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    37~ V R I S SUR LA R VERIE36 LA POTIQUR DR LA int des bouquets de mots, voire des bouquets de syllabes. Unles deux gemes masculin et fminin perdent une partie de leur:j 'osanalyste les entend dans le juste quilibre des mots fminins charme )) si on les traduit dans un langage asexu. Nous rp--:: masculins. Voici les roses du Bengale clairsemes parmi lestons cette remarque a l occasion d'un texte bien caractristique.:i Ues dentelles du daucus, les plumes de la linaigrette, les maraMais elle ne quitte pas notre pense. Ce sera toujours un argument; uts de la reine des prs, les ombellules du cerfeuil sauvage,polmique pour nous donner confiance en nos songes de l e t u r e ~ mignons sautoirs de la croisette au blanc de lait, les corymbesLisons donc en gourmand des textes qui nourrissent notre :: e'4es mille-feuilles... (1). Les ornements masculins viennent auxmanie. fleurs fminines et rciproquement. On ne peut carter l ideSans retentir au fminin des noms de la prairie et de l'aube} que l crivain a voulu ces quilibres. De tel s bouquets lillraires,comment bien vivre ce souvenir d'un adolescent qui attend un botaniste des champs les voil peut-etre, mais un lecteur sensiqu'on l aime : Apparue dans la blonde prairie, l'aube courtisait; bilis comme Balzac aux mots masculins et fminins, les enlend.de gros coquelicols pudibonds (1). )) Des pages entieres s empl isscn t de fleurs vocales : Autour duCoquelicot, rare f1eur au masculin qui tient mal ses ptales,i, col vas de la porcelaine, supposez une forte marge uniquementqu'un rien efTeuille, qui dfend sans vigueur le rouge masculin' compose des toufTes blanches particulieres au sdum des vignesde son nom. en Touraine, vague image des formes souhaites, roules commeMais les mots, les mots, avec leur temprament propre, dja celles d'une esclave soumise. De cette assise sortent les spiralesse courtisent )) et c'est ainsi que par la voix du poete, la blonde des liserons a cloches blanches, les brindilles de la bugrane rose,aurore taquine le rouge coquelicot. meles de quelques fougeres, de quelques jeunes pousses de cheneEn d'autres textes de Saint-Georges-de-Bouhlier les amours aux feuilles magnifiquement colores et lustres ; toutes s'avande l'aube et du coquelicot sont moins douces et, si l on ose dire, cent prosternes humblement comme des saules pleureurs,moins pralables : L'aurore gronde dans le tonnerre des coque timides et suppliantes comme des prieres. )) Un psychologue quilicots (2). )) Quant a l'amante du poete, la douce Clarisse, de croirait aux mots pntrerait peut-etre la composition sentimentrop grands coquelicots lui inspirent de l efTroi )) (3). Un jour ' tale de tels bouquets. Chaque f1eur y est un aveu, discret ou clavient, oiJ. passant de l enfance a un age plus viril, le poete peut tant, mdit ou involontaire. Parfois une f1eur dit une rvolte,crire : Je cueillis d normes coquelicots sans m enf1ammer . parfois une soumission, un chagrin, un espoir. Et quelle partia leur contaet 4). Les feux masculins des coquelicots ont cess cipation a l'amour crit si nous-memes, simple lecteur, nous nousd'etre pudibonds >J. Il Ya ainsi des f1eurs qui nous accompagnent, imaginions a la table de travail du romancier. Balzac lui-memetoute la vie, changeant un peu leur etre quand changent les n a-t-il pas dit que toutes les parures f10rales de ses pages taientpoemes. OiJ. sont les vertus champetres des coquelicots d'antan ? des f1eurs de I critoire 2) ? Balzac, en ces pages oiJ. le romanPour un reveur de mots, le mot coquelicot prete a rire. Il sonne s'arrete tandis que s'assemblent les bouquets, est un reveur detrop bruyamment. Un tel mot est difficilement le germe d'une mots. Les bouquets de f1eurs sont des bouquets de noms de f1eurs.reverie agrablement poursuivie. Bien habile serait le reveur de Quand les mots fminins viennent a manquer dans une page,mots qui trouverait a coquelicot une contrepartie fminine qui le style prend un caraetere massif, inclinant a l'abstrait. L oreillemettrait en mouvement la reverie. La marguerite - autre mot d'un poete ne s'y trompe paso Claudel dnonce ainsi chez Flauapotique - n'y pourrait rien. Il faut plus de gnie pour faire des bert la monotonie d'une harmonie clibataire : Les terminaisonsbo uquets littraires. masculines dominent, terminant chaque mouvement par unNous aurons plus d'agrment a rever les bouquets que Flix coup mat et dur sans lasticit et sans cho. Le dfaut du franprpare pour Mme de Mortsauf dans Le lys dans la valle. Tels c;ais qui est de venir d'un mouvement acclr se prcipiter laqu ils sont crits par Balzac, outre des bouquets de f1eurs, ce tete en avant sur la derniere syllabe n'est ici palli par aucunartifice. L'auteur semble ignorer le ballon des fminines, la(1) SAINT-GEORGES-DE-BoUHLlER, L'hivpr en mditation, Mercure deFranc