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la porte des étoiles le journal des astronomes amateurs du nord de la France 40 Numéro 40 - printemps 2018

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la porte des étoilesle journal des astronomes amateurs du nord de la France

40Numéro 40 - printemps 2018

Edition numérique sous Licence Creative Commons

À la une

Édito

La galaxie d’Andromède

Auteur : Simon LericqueDate : 16/08/2017Lieu : Vadrôme (26)Matériel : Canon EOS 450D et astrographe Boren-Simon 200 F/2.8

GROUPEMENT D’ASTRONOMESAMATEURS COURRIEROIS

Adresse postale

GAAC - Simon Lericque12 lotissement des Flandres62128 WANCOURT

Internet

Site : http://www.astrogaac.frFacebook : https://www.facebook.com/GAAC62E-mail : [email protected]

Les auteurs de ce numéro

Simon Lericque - membre du GAACE-mail : [email protected] : http://lericque.simon.free.fr

Alain Vienne - Observatoire de Lille - LALE-mail : [email protected]

Nicolas Biver - Observatoire de Paris - LESIAE-mail : [email protected] : http://www.lesia.obspm.fr/perso/nicolas-biver

Pierre Thomas - ENS de LyonE-mail : [email protected] : http://planet-terre.ens-lyon.fr

L’équipe de conception

Simon Lericque : rédac’ chef tyranniqueArnaud Agache : relecture et diffusionCatherine Ulicska : relecture et bonnes idéesFabienne Clauss : relecture et bonnes idéesÉmeline Taubert : relecture et bonnes idéesSerge Vasseur : relecture et bonnes idéesOlivier Moreau : conseiller scientifique

Nous avons beau être des amateurs, nous n’en perdons pas pour autant le contact avec l’astronomie professionnelle... Dans des bibliothèques fournies, sur Internet, au cours de conférences ou de séminaires, les amateurs que nous sommes sont de plus en plus éclairés et les contacts sont parfois étroits entre le monde de l’astronomie amateur et le milieu des professionnels. En témoigne ce numéro anniversaire de la porte des étoiles, quarantième du nom, où, pour la première fois, nous avons ouvert nos colonnes à des astronomes professionnels, amis du GAAC, mais surtout des pointures dans leurs domaines respectifs. Merci à eux d’avoir accepté de prendre un peu de leur précieux temps pour nous rédiger et nous transmettre leur prose de qualité ! Le résultat est un épais numéro de 66 pages, riche et scientifiquement pointu... Comme d’habitude, mais un petit peu plus... Bonne lecture !

Sommaire5............................................................................10 ans déjà !

par Simon Lericque

8.........................................Saturne, ses satellites, ses anneauxpar Alain Vienne

13............................Où le Système solaire serait-il habitable ?par Pierre Thomas

20...........................................................................Les comètespar Nicolas Biver

40.............................................................................. La galerie

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Où le Système solaire serait-il habitable ?Par Pierre Thomas - Géologue à l’ENS de Lyon

La vie extraterrestre a toujours préoccupé les penseurs, les écrivains, les scientifiques, maintenant les journalistes, les médiateurs… Giordano Bruno a été brûlé en 1600, entre autres pour avoir prétendu qu’il y avait d’autres terres habitées dans l’Univers. En 1686, Fontenelle écrivait ‘‘La pluralité des Mondes’’ et concluait que la Lune et les planètes étaient habitées, et que chaque étoile possédait des planètes, vraisemblablement habitées… Et 332 ans plus tard, à chaque fois que l’on trouve une planète extrasolaire (on en a déjà trouvé et confirmé 3728 le 16 janvier 2018), la grande question que posent journalistes et autres médiateurs c’est : ‘‘cette planète est-elle habitable ?’’, à défaut de pouvoir répondre à la question : ‘‘cette planète est-elle habitée ?’’ Nous n’avons en ce début de 2018 aucun moyen fiable permettant de répondre à cette deuxième question. Mais on peut facilement répondre à la première, et même en restant dans le seul Système solaire : oui, il existe des corps habitables aujourd’hui (et ayant été habitables dans un passé plus ou moins lointain) dans le Système solaire.

On ne va parler ici que de vie ‘‘pas trop différente’’ de la vie terrestre ; on ne parlera pas de vie ‘‘exotique’’, du genre vie utilisant le méthane ou l’ammoniac liquide à la place d’eau liquide, vie au silicium, nuages ectoplasmiques intra voir intergalactiques interconnectés… Vies exotiques dont se régalent les auteurs de science-fiction mais dont le scientifique n’a pas le début du commencement d’un indice. On parlera de ‘‘vie à la mode de chez nous’’, ce qui ne veut pas dire identique à la vie terrestre mais basée sur les mêmes principes de fonctionnement. La vie terrestre ce sont, en quantité et en variété, surtout des microbes (bactérie, archées). Les êtres complexes (animaux, champignons, végétaux) sont très largement minoritaires, même si c’est à eux que, narcissiquement et pratiquement, s’intéresse le grand public. On ne cherchera donc ni homme (Homo sapiens), ni mouche (Musca domestica), ni épicéa (Picea abies), ni truffe (Tuber melanosporum), ni bactérie comme Escherichia coli et des millions d’autres. On cherchera donc des ‘‘choses’’ de même ‘‘nature’’ que les cinq exemples cités ci-dessus, ‘‘choses’’ qui seront forcément différentes car ‘‘l’Évolution ne repasse pas les plats’’, mais ‘‘choses’’ qui pourraient vivre ailleurs que sur Terre. Mais où ?

Par narcissisme, quand on pense vie, on pense à l’homme ou aux animaux... Mais rien que dans cette simple biche, il y a plus de cellules bactériennes (le microbiote) que de cellules de biche. Et si on ajoute les bactéries du sol, on s’aperçoit que la vie terrestre est d’abord et avant tout une histoire de bactéries, aussi bien en quantité qu’en biodiversité. © DR

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Comment caractériser les exigences de la vie à la mode de chez nous ? La vie terrestre a quatre exigences absolument nécessaires, à défaut d’être suffisantes : il lui faut du carbone disponible, de l’eau liquide, de l’énergie utilisable et des molécules carbonées (et azotées) complexes pré-biotiques pour avoir pu démarrer au début de son histoire.

Le carbone, un élément chimique nécessaire à la vie ‘‘à la mode de chez nous’’

La vie, c’est un nombre incroyablement élevé de réactions chimiques entre des macromolécules complexes, macromolécules contenant carbone, azote, oxygène, hydrogène et quelques autres éléments. Sur Terre, ces macromolécules biologiques ont pour nom acides aminés, bases azotées, acide désoxyribonucléique, sucres, cellulose… Et les chimistes nous disent que parmi les 92 éléments de la table de

Mendeleïev, seul le carbone est capable de produire cette immense variété moléculaire et réactionnelle.

Où y a t-il du carbone dans le Système solaire ? La réponse est ‘‘presque partout’’. Les atmosphères de Vénus, de la Terre et de Mars sont riches en dioxyde de carbone (CO2). L’atmosphère du satellite de Saturne Titan et les glaces des satellites des planètes géantes (Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune) contiennent du méthane (CH4). La haute atmosphère des planètes géantes est riche en méthane, les comètes sont riches en dioxyde de carbone, méthane… Le carbone n’est pas un facteur limitant à la possibilité de vie dans le Système solaire.

L’eau liquide, un solvant nécessaire à la vie ‘‘à la mode de chez nous’’

Les chimistes et les biochimistes nous disent que l’eau (H2O) liquide est, et de loin, le meilleur solvant des molécules carbonées, solvant nécessaire pour que puissent se faire toutes les réactions chimiques complexes. Il faut prendre le mot solvant dans son sens le plus large, c’est-à-dire capable de dissoudre des molécules (comme le sucre) ou capable de faire des suspensions et/ou des émulsions avec des molécules complexes peu ou pas solubles. Où y a-t-il (et où y a-t-il eu dans le passé) de l’eau liquide dans le Système solaire ?

Si on parle d’eau liquide en surface aujourd’hui ; la réponse est simple : il n’y a que la Terre où cette eau liquide superficielle est présente (on reviendra un peu plus loin sur les éventuels micro-écoulements actifs sur Mars). Mais dans le passé, les évidences d’eau liquide sur Mars abondent. Évidences morphologiques vues par satellite, avec des traces d’écoulements anciens (âge supérieur à 3 milliards d’années) et asséchés comme des traces d’anciennes rivières dans le Sahara datant du temps où le Sahara était vert. Évidences morphologiques vues par les robots au sol avec présence de strates sédimentaires, de dépôts formés de galets roulés, de cristaux de sels (des sulfates) ayant précipité à la suite d’une évaporation… Évidences minéralogiques avec identification de minéraux ne se formant

qu’en présence d’eau liquide comme les argiles. De l’eau liquide a coulé, a formé des lacs et des mers dans un passé lointain sur Mars.

Mais l’eau, dans le Système solaire actuel, est majoritairement sous forme de glace. Les pôles nord et sud de Mars sont recouverts de calottes de glace. Chaque nuit, en particulier les nuits d’hiver, les sols se recouvrent de givre qui se sublime dès le lever du Soleil et le sol est gelé en permanence, même à l’équateur. En faisant des petites tranchées, la sonde Phoenix a

Exemple de ‘‘petite’’ macromolécule. La molécule de saccharose. Le carbone est figuré en gris, l’oxygène en rouge et l’hydrogne en blanc. © DR

L’eau : un solvant nécessaire à la vie. © DR

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Avant -3 milliards d’années, il pleuvait sur Mars et des rivières coulaient et se jetaient dans des lacs et des mers. La perte progressive de l’atmosphère et la baisse de l’effet de serre a transformé Mars en un désert glacé. © NASA

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trouvé de la glace à quelques centimètres de profondeur. Les petits impacts actuels qui perforent la surface mettent à jours des niveaux de glace à quelques mètres de profondeur, glace qui se sublime en quelques semaines. Les études spectrales par la sonde en orbite Mars Reconnaissance Orbiter de certains escarpements révèlent des sols riches en glace sur plus de 100 mètres d’épaisseur. Et les éjectas des cratères atteignant quelques kilomètres de profondeur montrent que cette glace est présente sur toute cette tranche de terrain. Toutes les fractures et les porosités du sous-sol martien semblent donc pleines de glace d’eau dans les premiers kilomètres du sous-sol. Or la température augmente

avec la profondeur. Si on suppose que cette température augmente de 10°C tous les kilomètres (sur Terre, c’est 30°C par kilomètre mais Mars est plus petite donc moins chaude), et comme la température moyenne est de -50°C à l’équateur et de -100°C aux pôles, alors cette eau interstitielle martienne doit être liquide en dessous de 5 kilomètres de profondeur à l’équateur, en dessous de 10 kilomètres sous les pôles.

Remarque : on a noté à la surface de Mars des traces d’écoulements intermittents actuels et récents qui peuvent être interprétés, soit comme des écoulements de sable, soit comme des écoulements d’eau liquide. Le problème n’est pas encore tranché. Dans le cas où ce seraient des écoulements d’eau, ce serait la fusion superficielle de cette glace peu profonde, glace qui pourrait fondre si elle est très salée (la glace salée fond à -21°C) et dans des situations topographiques particulières (pentes sombres en plein Soleil).

Les planètes géantes possèdent 17 satellites majeurs. À part Io, satellite de Jupiter qui est dépourvu d’eau, et d’Europe, autre satellite de Jupiter qui n’en contient que quelques pourcents, les 15 autres satellites sont approximativement faits de 1 à 3 volumes d’eau pour 1 volume de roche (silicate + fer). On parle de satellite de glace. Quatre de ces satellites (Ganymède, Callisto – satellites de Jupiter –, Titan – satellite de Saturne – et Triton – satellite de Neptune) ainsi que la planète naine Pluton qui a la même composition, sont ‘‘théoriquement’’ assez gros pour que la température interne dépasse 0°C et que l’eau soit liquide en profondeur. La situation est plus complexe. L’eau, peu dense, que ce soit de l’eau liquide ou de la glace, forme approximativement entre le quart et la moitié supérieure du rayon du satellite ; roches et fer, composés beaucoup plus denses, forment un noyau profond qui occupe entre la moitié et les trois quarts inférieurs du rayon. En surface, la température, voisine de -150 à -200°C, fait que l’eau de surface est glacée. D’après les modèles et les calculs, sur ces cinq corps, cette couche de glace superficielle, de 100 à 200 kilomètres d’épaisseur, surmonterait un océan d’eau liquide de 150 à 350 kilomètres d’épaisseur. Mais en dessous de 300 à 500 kilomètres de profondeur, la pression est si élevée que l’eau regèle malgré une température supérieure à 0°C. Il y a sous cet océan d’eau liquide environ 200 à 300 kilomètres de glace de haute pression. Il y a donc, théoriquement, cinq océans d’eau liquide ‘‘épais’’ de plus de 150 kilomètres pris en sandwich entre deux couches de glace d’eau. Et des mesures ultra-précises de la nutation et de la rotation de Titan par la sonde Cassini montrent que la surface glacée est complètement désolidarisée du gros de la masse du satellite. La couche d’eau liquide est donc continue tout autour du noyau de roche et de glace de haute pression.

Deux autres satellites sont également remarquables quant à l’eau liquide sous glaciaire. Encelade, satellite de Saturne n’a que 250 kilomètres de rayon. Il devrait être trop froid pour contenir une couche

Ces traces sombres dont l’origine est discutée mesurent quelques centaines de mètres de long tout au plus. Écoulement de saumures ou de sable ? © NASA

Ce dessin montre bien l’océan sous-glaciaire, plus épais au pôle sud, maintenu liquide par du volcanisme et des sources chaudes ‘‘sous-marines’’. © NASA

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d’eau liquide en profondeur mais la surface glacée montre d’évidents signes de mouvements sous-glaciaires. En effet, Encelade est réchauffé par les marées dues à la proximité de Saturne et l’eau n’est gelée que sur une petite centaine de kilomètres d’épaisseur. La glace superficielle surmonte un océan d’eau liquide de quelques dizaines de kilomètres d’épaisseur. L’eau liquide ressort par des fractures localisées près du pôle sud ce qui engendre de spectaculaires geysers permanents, mélange de vapeur d’eau et de givre, qui jaillissent à plus

de 200 kilomètres au-dessus de la surface. La petite taille et la faible gravité d’Encelade empêchent la présence de glace de haute pression, et l’eau liquide est en contact avec le noyau rocheux. Des études précises de la nature et de la taille des grains silicatés éjectés par les geysers suggèrent même qu’il y a des sources chaudes à la base de l’océan, avec une température supérieure à 90°C.

Europe est un satellite de Jupiter, de 1560 kilomètres de rayon et de masse volumique 3013 Kg/m3. Ce serait donc un satellite assez semblable à la Lune si ce n’est qu’il est recouvert

d’une centaine de kilomètres d’eau ; eau bien visible en surface sous la forme d’une ‘‘plaine’’ de glace crevassée. Les observations de surface, les modèles théoriques et la découverte récente (par le télescope spatial Hubble) de dégagements intermittents de vapeur d’eau, indiquent que cette surface glacée n’est qu’une banquise (d’épaisseur 10 à 30 kilomètres) surmontant un océan liquide de 70 à 90 kilomètres d’épaisseur. L’épaisseur de cette couche d’eau est trop faible pour qu’il existe à sa base une couche de glace de haute pression. Eau liquide et roche sont donc en contact. Cet océan est maintenu liquide par du volcanisme sous-marin comme sur Encelade ; volcanisme actif que l’on voit à la surface rocheuse de Io, satellite de Jupiter. Comme pour Io et Encelade, ce sont les marées qui réchauffent l’intérieur d’Europe.

De l’énergie utilisable, une nécessité pour la vie ‘‘à la mode terrestre’’

Tous les êtres vivants ‘‘à la mode terrestre’’ ont besoin d’énergie pour leur métabolisme, pour croître et se multiplier… Cette énergie est obtenue en dégradant des macromolécules carbonées qui constituent les êtres vivants, dégradation par la respiration, les fermentations… Tous les êtres vivants doivent donc se procurer des macromolécules pour leur ressource énergétique (et aussi pour leur croissance et leur multiplication). Il y a ‘‘intellectuellement’’ deux sortes d’êtres vivants possibles.

Premièrement, ceux qui se procurent ces macromolécules carbonées en consommant d’autres êtres vivants. C’est le cas, sur Terre, des animaux, des champignons, ou de beaucoup de bactéries. Tous ces êtres ‘‘consommateurs’’ sont appelés hétérotrophes. Deuxièmement, ceux qui fabriquent ces macromolécules carbonées à partir des petites molécules présentes dans leur environnement (CO2, CH4, H2O, NH3…). Mais pour synthétiser des macromolécules, riches en énergie, à partir de molécules plus petites, il faut un apport d’énergie. C’est le cas des plantes ou de certaines bactéries. Ces êtres ‘‘producteurs’’ de macromolécules sont appelés autotrophes. Et

Coupe du satellite de Jupiter, Europe. © DR

La vie abonde au niveau des sources chaudes du fond des océans, en particulier des dorsales. L’énergie qui ‘‘fait marcher cette vie’’ est principalement due à des réactions chimiques d’oxydation par l’O2 dissout dans l’eau. Une faible partie de cette vie utilise la réaction H2 + CO2. Ce deuxième type de vie serait tout à fait possible sur Encelade et Europe, dépourvus d’O2. © DR

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ce n’est pas n’importe quel type d’énergie qui permet ces synthèses : il faut de l’énergie ‘‘noble’’ et non ‘‘dégradée’’ (thermodynamiquement parlant). Par exemple, vous aurez beau chauffer de l’eau riche en CO2, vous ne ferez jamais de l’eau sucrée. Mais dans cette eau riche en CO2, si vous mettez des algues et que vous les éclairez, ces algues vont synthétiser des sucres et d’autres macromolécules.

Sur Terre, il y a deux sources d’énergie utilisées par les êtres vivants autotrophes. Il y a bien sûr la lumière, utilisée par les plantes et certaines bactéries. C’est la photosynthèse qui fabrique ces macromolécules avec un sous-produit, ‘‘déchet’’ de la photosynthèse, le dioxygène (O2). Il y a aussi des réactions chimiques qui produisent de l’énergie, utilisée par de très nombreuses bactéries et autres microbes : c’est la chimiosynthèse. Et il y a deux types de chimiosynthèse. Celles qui utilisent le dioxygène (ou des produits oxygénés) qui dérive de la photosynthèse et qui donc dépendent indirectement de la lumière. C’est le cas de la vie des sources chaudes du fond des océans terrestres où le dioxygène dissout dans l’eau de mer (et produit 3000 mètres plus haut par le phytoplancton et la lumière) oxyde les composés soufrés recrachés par les sources volcaniques. Cette oxydation libère de l’énergie qu’utilisent des bactéries pour transformer CO2 + H2O en macromolécules carbonées, à la base de tous ces chaînes alimentaires et écosystèmes profonds. Mais d’autres bactéries utilisent des réactions chimiques totalement indépendantes des sous-produits de la photosynthèse. Par exemple, la réaction entre le dihydrogène et le dioxyde de carbone qui produit du méthane, de l’eau et de l’énergie : CO2 + 4 H2 → CH4 +2 H2O + énergie.

Cette réaction se fait mieux en présence de catalyseurs, par exemple en présence d’oxyde de fer. Cette réaction peut être abiotique mais peut se faire biologiquement à l’intérieur des cellules. De très nombreuses bactéries et archées terrestres la réalisent ‘‘en routine’’ comme principale source d’énergie, par exemple des bactéries dans l’estomac des vaches qui utilisent du dihydrogène dégagé par des fermentations et du dioxyde de carbone (et qui éructent donc du méthane).

Sur et dans la Terre et les autres planètes et satellites rocheux ou glacés, si le CO2 est omniprésent, ce n’est pas le cas du dihydrogène (sauf dans l’estomac des ruminants). Le dihydrogène est trop léger pour avoir été retenu par la gravité relativement faible de ces corps solides (seule la très forte gravité de Jupiter et des autres planètes géantes a pu retenir le dihydrogène). Mais du dihydrogène est produit quand de l’eau liquide est en contact avec des silicates contenant du fer, par exemple avec une réaction du type : 3 Fe2SiO4 (olivine ferreuse) + 2 H2O → 2 Fe3O4 (oxyde de fer) + 3 SiO2 (silice) + 2 H2.

Sur Terre, de nombreuses bactéries et archées vivant en profondeur dans le sous-sol utilisent de l’hydrogène produit par ce type de réaction et produisent du méthane comme ‘‘déchet’’. C’est pour cela que la recherche de dégagements de méthane est un des buts scientifiques du robot Curiosity qui explore Mars.

Pour avoir de l’énergie utilisable par la vie, il faut donc, d’après le simple exemple terrestre, soit eau liquide + CO2 + lumière, soit eau liquide + CO2 + silicates contenant du fer. Où, dans le Système solaire, a-t-on (ou a-t-on eu dans le passé) une de ces deux exigences ?- Lumière + eau liquide + CO2 : à la surface de la Terre et à la surface de Mars dans un passé lointain (avant 3 milliards d’années).- Silicates contenant du fer + eau liquide + CO2 : en profondeur dans la Terre et les océans terrestres, en profondeur dans le sous-sol martien, à la base des océans d’Europe et d’Encelade.

Les macromolécules carbonées pré-biotiques, une nécessité pour qu’apparaisse la vie ‘‘à la mode de chez nous’’

Pour ‘‘fonctionner’’, la vie actuelle et ses macromolécules n’ont besoin que de petites molécules (CO2, H2O…) et d’énergie noble capable de synthétiser ces macromolécules carbonées à partir des petites molécules organiques. Mais ‘‘au début’’, quand la vie est apparue, pour commencer à fonctionner et avant d’être capable de synthétiser elle-même ces macromolécules, il a bien fallu que la première forme de vie utilise des macromolécules déjà présentes mais non synthétisées par une vie antérieure. Quelles peuvent être les origines de ces macromolécules carbonées qui ont précédé la vie ? On connaît aujourd’hui deux origines pour ces macromolécules, origines toutes deux possibles et non incompatibles.

Un fragment de la météorite d’Allende, exemple de chondrite carbonée. Certaines chondrites carbonées sont très riches en macromolécules. © Photo P. Thomas

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Les radiotélescopes ont identifié des dizaines de molécules carbonées dans les nébuleuses ; or notre Système solaire est né il y a 4,5 milliards d’années à partir d’une de ces nébuleuses. Certaines météorites, nommées chondrites carbonées, contiennent jusqu’à 5 % de carbone (en masse). Ce carbone est souvent compris dans des macromolécules comme des acides aminés (constituant des protéines) et des bases azotées (un des constituants de l’ADN). L’analyse des poussières cométaires (par la sonde américaine Stardust) et l’analyse in situ de la comète ‘‘Chury’’ par la sonde européenne Rosetta ont aussi révélé la présence de macromolécules dont la glycine, le plus simple des acides aminés.

D’où viennent ces molécules carbonées qu’on trouve dans les nébuleuses, les météorites, les comètes ? Les petites molécules comme CO, CO2, CH4, NH3, H2O, sont présentes partout dans l’univers, sous forme de gaz et aussi de glace à la surface des grains interstellaires, des comètes... Dans le vide ou le quasi vide de l’espace et soumises à des rayonnements énergétiques (Ultraviolet, rayons cosmiques) ces petites molécules réagissent entre elles et forment des macromolécules carbonées parfois fort complexes. Or, tous les corps solides du Système solaire sont nés de l’agglomération de poussières, comètes et météorites, et ont encore reçu après leur formation un important bombardement de météorites et de comètes,

bombardement qui existe encore aujourd’hui avec une intensité bien moindre. Chaque corps solide du Système solaire a donc reçu ‘‘en dotation’’ un important stock de macromolécules carbonées.

Nous avons vu qu’en présence de catalyseur comme l’oxyde de fer, CO2 et H2 réagissent entre eux, ce qui synthétise du méthane (le plus simple des hydrocarbures) et produit de l’énergie. Ce genre de réaction se fait spontanément là où de l’eau liquide et du CO2 sont en contact avec des minéraux silicatés contenant du fer, comme l’olivine, ce qui fournit le dihydrogène nécessaire. Mais, en plus du méthane largement dominant, il peut se produire aussi des hydrocarbures plus complexes. Et en présence de composés azotés (acide cyanhydrique, ammoniac…) des macromolécules carbonées et azotées (comme les acides aminés et les bases azotées) peuvent être ainsi synthétisées de façon totalement abiotique. Or, eau liquide, dioxyde de carbone et silicates contenant du fer semblent être (et avoir été) en contact en de nombreux endroits du Système solaire, au moins dans les profondeurs de la Terre, de Mars, d’Europe et d’Encelade.

En guise de conclusionPour que la vie ‘‘à la mode terrestre’’ soit (ait été) possible, il faut donc à la fois la présence de carbone, la présence d’eau liquide, la présence de lumière et/ou d’un contact avec la roche contenant du fer/eau liquide, la présence de macromolécules pré-biotiques au moment du début de cette vie.

Le carbone et les macromolécules pré-biotiques semblent présents sur tous les corps du Système solaire. L’eau liquide est présente à la surface de la Terre et l’a été à la surface de Mars dans un passé lointain. L’eau liquide

Malgré l’échec partiel de l’atterrissage du robot Philae, la mission Rosetta a pu analyser les gaz et les poussières qui s’échappaient de la comète Chury et qui se sont révélés riches en matière carbonée, dont la glycine, le plus simple des acides aminés. © ESA

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En haut, photographie réelle des geysers d’Encelade. En bas, résultat de l’analyse des molécules contenues dans ces geysers. La présence de molécules organiques et de H2 suggère fortement que des réactions chimiques synthétisant des molécules organiques (et produisant de l’énergie) se déroule à la base de l’océan profond. Il y a dans ces océans tout ce qu’il faut pour qu’une vie apparaisse. Est-elle apparue ? © NASA

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est également présente dans les interstices des profondeurs de la Terre et de Mars et sous forme d’océan profond compris entre deux couches de glace dans Pluton et les quatre plus gros satellites de glace du Système solaire (Ganymède, Callisto, Titan et Triton). Enfin, l’eau liquide est présente sur Europe et Encelade, sous forme d’un océan liquide surmontant une banquise de glace de quelques dizaines de kilomètres d’épaisseur.

Eau liquide et roches contenant du fer sont en contact sur ou dans les profondeurs de la Terre, de Mars, d’Europe et d’Encelade (mais pas dans les profondeurs de Pluton, de Ganymède, de Callisto, de Titan ou de Triton). Dans le Système solaire, il semble donc qu’il existe au moins quatre corps potentiellement habitables : la Terre, Mars, Europe et Encelade. Il ne reste plus qu’à bien explorer la surface de Mars pour savoir si une vie ancienne s’y est développée et à explorer les profondeurs de Mars, d’Europe et d’Encelade pour y dénicher une éventuelle vie actuelle ‘‘à la mode de chez nous’’.

Tout cela permet de relativiser la notion très populaire mais très mal nommée de ‘‘planètes situées dans la zone habitable’’. Quand on découvre une nouvelle planète extrasolaire, la première réflexion que l’on entend ou lit dans les médias, c’est de se demander si cette planète est une planète ‘‘solide’’ (vie a priori possible) ou une géante gazeuse (vie a priori impossible). C’est oublier que les planètes géantes gazeuses peuvent avoir des satellites solides. Ces satellites autour des planètes gazeuses semblent même le cas général d’après le seul exemple du Système solaire. Les commentateurs scientifiques des grands médias semblent l’avoir oublié, ce qui n’est pas le cas, par exemple, de James Cameron, le réalisateur d’Avatar (2009) qui a placé une vie très évoluée sur Pandora, satellite de la planète gazeuse Polyphème.

Ce qu’on appelle classiquement et très maladroitement la zone habitable, c’est la zone, ni trop très ni trop loin du Soleil (ou de l’étoile centrale dans le cas des planètes extra-solaires) où la température de surface, ni trop chaude ni trop froide, permet l’existence d’eau liquide sur cette surface. Mais cette définition limite la vie à la surface, aux petites fleurs et aux petits oiseaux, en ignorant les millions d’espèces de micro-organismes (terrestres) qui vivent sous les calottes de glace antarctique, à plusieurs kilomètres de profondeur dans le sous-sol terrestre et

pourtant découvert il y a des dizaines d’années… Par rapport à son étoile centrale, la zone vraiment habitable a une limite ‘‘intérieure’’. Près de l’étoile centrale, s’il fait trop chaud à la surface d’une planète ou d’un satellite pour que ce soit habitable, il fera encore plus chaud si on s’enfonce en profondeur. Mais la zone vraiment habitable n’a pas de limite extérieure. Même si, très loin de l’étoile centrale, il fait très (trop) froid en surface, il suffit de s’enfoncer suffisamment en profondeur pour que la température permette l’existence de l’eau liquide. Europe et Encelade sont bien en dehors de la zone habitable (au sens classique du terme) et pourtant ils sont habitables même par de la vie ‘‘à la mode de chez nous’’, vie profonde certes, mais vie tout de même. Cependant, habitable ne veut pas dire habité. Il ne reste plus qu’à y envoyer des missions spatiales pour savoir si ces mondes habitables sont habités.

En haut, représentation classique et très maladroite de la zone dite d’habitabilité. Cette représentation ‘‘oublie’’ les satellites et la vie profonde. En bas, représentation qui tient compte de l’existence possible de satellites et d’une vie profonde même si la température superficielle est très basse. © Schémas Pierre Thomas.

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