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e e a UlnZalne 2 F 50 littéraire Numéro 31 1er au 15 juillet 1967 pour cr les Dans les caDlps de Staline. LeRoi Jones ,', René Char. Le socialisDle difficile. Les DléDloires de Vercors. L'édition aux USA ete ......... ·sme?

La Quinzaine littéraire n°31

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La Quinzaine littéraire n°31

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Page 1: La Quinzaine littéraire n°31

e e a UlnZalne

2 F 50 littéraire Numéro 31 1er au 15 juillet 1967

pour cr les

Dans les caDlps de Staline. LeRoi Jones ,',

~1 René Char. Le socialisDle difficile. Les

DléDloires de Vercors. L'édition aux USA

ete ......... ·sme?

Page 2: La Quinzaine littéraire n°31

SOMMAIRE

1 L. LIV •• D. LA QUla.Ala:

1 .OMANS •• A_OAIr

• 7 LITTaRATU •• a T.ANOe ••

• to

S. BI8TOI •• LITTe.AI ••

SI POUR L •• V AOANe ••

10 BI8TOI ••

It

Il RI8TOI •• eoaT •• PORAIN.

Il .OCIOLGOI.

•• IIATRaIlATIQU.'

1. OA.N

l' POLIOI •••

It QUI Z • .JOU ••

La Quinzaine littéraire

2

Evguénia Guinzbourg

U. Esposito-Torrigiani André Dhôtel Jean-Pierre Chabrol

LeRoi Jones Frank Elli Max Aub

Andrzejewski Tibor Déry

F. Lopez et R. Marrast Guillevic

René Char

Charles-Olivier Carbonell

Fernand Braudel

Vercors

Pierre Gascar

André Gorz

Bertrand Goldschmitt

James Hadley Chase Jean-Pierre Alem

Direction: François Erval, Maurice Nadeau

Conseiller: Joseph Breitbach

Direction artistique Pierre Bernard

Administration: Jacques Lory

Comité de rédaction: Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Michel Foucault, Bernard Pingaud, Gilbert Walusinski.

Secrétariat de la rédaction: Anne Sarraute

informations : Marc Saporta Assistante : Adelaïde Blasquez

Documentation: Gi.lles Nadean

Rédaction. admit.isl,ration : 43, rue du Tempit' !' a r j" 4 Télépho;lI. : ml7 .4 ~.5R .

Le vertige,

Environs de L. Lumineux rentre chez lui L'illustre fauteuil

Le Métro fantôme La mutinerie Dernières nouvelles de la guerre d'Espagne Cendres et diamant

, 'L'Excommunicateur

La poésie ibérique de combat Euclidiennes

Trois coups sous les arbres

Georges Duhamel

Les meilleurs livres de l'année

Où en est le structuralisme?

Le grand Octobre russe 1917: la révolution inimitable Civilisation matérielle et capitalisme

La bataille du silence, Souvenirs de minuit Histoire de la captivité des Français en Allemagne

Le socialisme difficile

Les œuvres d'Euclide

Colloque sur le théâtre ({ Frankenstein »

Les Rivalités atomiques

Eh bien, ma jolie Un crocodile dans l'escalier

M'sieur Topor

Publicité littéraire: La Publicité Littéraire 22, rue de Grenelle, Paris 7. Téléphone: 222.94.03

Publicité générale: au journal.

Abonnements: Un an : 42 F, vingt-trois numérOll. Six mois: 24 F, douze numéros. Etudiants: six mois 20 F. Etranger: Un an: 50 F. Six mois: 30 F. Tarif d'envoi par avion: au journal

Règlement pbI' mandat, chèque bancaire, chèque postal C.C.P. Paris 15.551.53

Directeur de la publication : François Emanuel.

Imprimerie: Coty S.A. 11, rue l?-Gambon, Paris 20.

Copy,.ight: La Qujnzaine litté:,·ajre.

par Claude Ligny

par Bernard Pingaud par Jacques Brenner par Maurice Chavardès

par Jean Wagner par Serge Fauchereau par Claude Couffon

par Victor Fay par Georges Gera

par Albert Ben Soussan par Pierre Meyronne

par Raymond Jean

par Samuel S. de Sacy

par François Châtelet

par Jacques Nantet

par Marc Ferro

par Edith Thomas

par Guy Rohou

par Nicolas Boulte

par Gilbert Walusinski

par Dominique Nores par Jean-Jacques Lebel

par Guy Bocquet

par Noëlle Loriot

par Pierre Bourgeade

Crédits photographiques:

p. 3 p. 5 p. 7 p. 9 p. 10 p. 11 p. 12 p. 13 p. 14 p. 16 p. 17 p. 19 p. 20 p. 21 p. 22 p. 23 p. 25 p. 26 p. 27

Roger Viollet Mercure éd. Daniel Berger Snark internat. Lüfti Ozkok Pic Gallimard éd. Gallimard éd. Roger Viollet Dessins: Desclozeaux Dessins: Desclozeaux Dessins: Maurice Henry Snark internat. Roger Viollet Roger Viollet E. Erwiu, magnum Coll. particulière Gianfranco Mantegna Gillofranco Mantegna

Page 3: La Quinzaine littéraire n°31

LE LIVRE DE LA QUINZAINE

Poissons bouillis et spectres

Evguénia Guinzbourg Le vertige traduit par Bernard Ahbots Le Seuil éd., 424 p.

Après Une journée d'Ivan De­nissovitch de Sol jénitsyne, après les souvenirs d'Andrée Sentaurens et Volontaires pour l'échafaud de Savarius, sans compter de nom­breuses œuvres littéraires où le thème est évoqué - de Tiorkine dans l'Autre Monde de Tvardovski à Juillet 41 de Baklanov -, on croyait avoir lu l'essentiel, en fait de témoignages directs, sur la ter­reur stalinienne. Le livre d'Evgué­nia Guinzhourg montre que l'essen­tiel manquait encore.

Le Vertige, c'est le récit, à la première personne, dans l'ordre chronologique, sans effets ni re­cherche littéraires, des quatre pre­mières années d'un calvaire de dix­huit ans. Mais, si c'est faire œuvre d'écrivain que de plonger le lec­teur, pendant trois ou quatre heures, dans un enfer dont il ne peut sortir et dont les visions, long­temps après, viendront troubler son sommeil, Evguénia Guinzhourg est l'un des plus grands écrivains d'au­jourd'hui.

Pour Evguénia, tout commence - mais elle l'ignore encore - en 1934, le jour où Staline a fait assassiner Kirov.

Elle vit, à 700 km à l'est de Moscou, à Kazan, capitale de la R.S.S.A. de Tatarie, qui fait partie de la République fédérative russe. Elle est professeur de lettres, direc­trice de la page culturelle du jour­nal Tatane rouge, et son mari est secrétaire d' « Obkom » (Comité régional du Parti). Ils ont un bel appartement avec téléphone, une bonne pour s'occuper des enfants, ils fréquentent le théâtre, les res­taurants, les réceptions officielles. Quand ils vont à Moscou, ils voya­gent en l'e classe, et des voitures - des Ford, les Lincoln et les Buick étant réservées aux diri­geants de plus haut rang - vien­nent les chercher à la gare pour les conduire au luxueux hôtel Moskva. Bref, ils mènent la vie douillette .et paisible des privilégiés du régime, comme cette Zina Ahramova, fem­me du président du Conseil de Tatarie, « première dame de Ta­tarie », élégante « Pompadour de province » qui, deux ans plus tard, sera jetée, tas de viande meurtrie et pitoyable, sur le sol nauséabond d'une cellule de la prison de Kazan.

En 1934, Staline est au pouvoir depuis dix ans. Deux années plus tôt, les dernières révoltes paysannes contre la collectivisation forcée ont été noyées dans le sang. Trotsky exilé, l'opposition est déjà pratique­ment réduite au silence. Au 1" Congrès des écrivains, des voix libre~ se font encore entendre -Boukharine, Mandelstamm, Pas­ternak - mais la troupe nulle et ronronnante des écrivains du « réa-

lisme socialiste » grossit sans cesse. Cependant, en même temps que le régime crée ses privilégiés, le Parti secrète ses « poissons bouillis » qui déjà prolifèrent. C'est entre leurs mains qu'Evguénia passera d'abord, avant de franchir la deuxième por­te de l'enfer.

En apparence, ce sont des hom-, mes comme les autres. Seulement,

Camp de concentration soviétique.

ainsi que l'enseigne le dogme, « nous autres communistes, nous sommes des hommes d'une facture à part ». Le Parti est l' « élite de la classe ouvrière ». Cela, déjà, donne à ses militants l'impression d'appartenir à une caste - une « grande famille » - puissante et infaillible. Le Parti a raison, donc n 0 us · a von s toujours raison. « Ennemi du peuple » celui qui refuse de penser comme nous. Mais Evguénia n'a pas affaire à de sim-

. pIes membres du Parti, même « responsables ». Elle a affaire aux enquêteurs, a u x age n t s d u N.K.V.D., à ceux qui sont chargés de veiller sur la sécurité du Parti et de l'Etat. Et ceux-là, ainsi que le notait déjà Savarius, sont · l' « élite de l'élite ». En tant que membres d'une police secrète, d'un appareil policier qui ne fera que s'accroître et se compliquer de jour en jour, ils sont tout-puissants. Donc arrogants, cruels, et d'autant plus arrogants et cruels qu'ils ,sont plus médiocres. Mais aussi serviles. Et tenaillés par la peur. Car leurs armes - la délation, le mensonge, les accusations rocambolesques, la

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 juillet 1967.

torture - peuvent du jour au len­demain se retourner contre eux. Ils le savent, ou le pressentent. D'où ce regard mort qui fait qu'Evguénia les compare à des poissons bouillis.

Tout ce que je dis là, Evguénia Guinzhourg, avec un art étonnant du portrait - en deWF lignes, elle fait vivre un personnage qu'on ne peut plus oublier -, ne fait que

le suggérer, par petitee touches, aux détou:rs de son récit. Et l'on voit ainsi défiler une hallucinante ga­lerie de tortionnaires : Vevers, Elchine, BikchetaÏev, Tsarevski.

E:q. face de ces hommes, qui sont communistes comme elle, Evgué­nia ne ressent d'abord que de la stupeur «( Mais que se passe-t-il dans notre Parti ? »). Mais quand les tenailles, définitivement, se sont refermées sur elle, il lui faut bien se rendre à l'évidence : l'absurde triomphe, la « grande folie » a commencé, dont elle sera, comme des millions d'autres, victime sans savoir pourquoi. A ce moment -et c'est peut-être là la plus grande leçon de ce livre -, elle agira, quoi qu'il arrive, « selon sa cons­cience ». En elle, l'éducation com­muniste, cet héroïsme extérieur, .ce « moi » fabriqué qui a pu, à l'oc­casion, transformer des êtres ordi­naires en héros, tombent comme un masque, et c'est un être humain, une femme, qui naît, qui renaît. Si elle refuse de signer toute déclara­tion, ce n'est pas par « esprit de parti », ni par une force surnatu-

relIe que lui aurait donnée le Parti «( Comme tout aurait été plus simple et plus facile, si je m'étais trouvée dans une prison de la Gestapo ! »), mais simplement par honnêteté - il lui est impos­sible d'avouer une chose qu'elle n'a pas faite, puisqu'elle ne l'a pas faite - et par humanité - il lui est impossible de dénoncer des ca-

marades comme coupables. puis­qu'elle sait qu'ils sont innocents, ou ignore en quoi ils ont pu être coupables.

Ce parti-pris de vérité, d'honnê­teté, lui permet de comprendre, d'aider ses compagnes de misère avec un tact, une délicatesse extra­ordinaires, et aussi - et surtout -de déceler la petite étincelle de vie humaine qui demeure chez ces spectres qui hantent en cohortes informes, noires, asexuées, les fo­rêts glacées de la Kolyma, et de faire de cette étincelle une flamme éblouissante de chaleur et de beauté.

Il reste à ajouter que ce livre, d'une justesse de ton, d'une pudeur rarement égalées, est aussi cons­tamment empreint de cet humour qui ne peut naître que de l'extrême tragique. Un seul exemple : le wagon de marchandises qui, durant

- plus d'un mois, transportera de Moscou à la Sibérie 76 femmes enfermées au secret, porte sur ses flancs, afin d'écarter les curieux, une grande inscription : « Outillage spécial ».

Claude Ligny

Page 4: La Quinzaine littéraire n°31

Collection "LES NEUF MUSES" Histoire générale des Arts

Vient de paraître:

Pierre Charpentrat

L'ART BAROQUE Déjà paru:

François-Georges Pariset

20 F

,L'ART CLASSIQUE 18 F

Dans la même collection

L'ART PREHISTORIQUE - LES ARTS DU MOYEN-ORIENT ANCIEN - ['ART EGYP TIEN - L'ART GREC - L'ART RO­MAIN - L'ART BYZANTIN - L'ART RO­MAN - L'ART GOTHIQUE - L'ART MU­SULMAN L'ART ESPAGNOL - L'ART FLAMAND ~ LES ARTS DE L'ITALIE -L'ART DES JARDINS

chaque volume 20 F

• • AUTEURS • • • • • • •

1 :

• • • • Aragon a remis le manuscrit de • Blanche ou l'Oubli qui paraîtra à la • rentrée. Moins volumineux que La Se-• malne Sainte, plus épais cependant • que La mise à mort, il formera un • livre de quelque 500 pages. Aragon • s'est immédiatement remis au tra-• vail. Il entreprend d'écrire un ouvrage • sur Matisse qu'il admire profondé-• ment. Il s'attaque ainsi à un projet • dont il parle depuis longtemps et • qu'il n'a jamais eu l'occasion de • réaliser.

• • • • •

Malraux

Les « antimémolres • de Malraux • vont peut-être enfin voir le jour. • Comme le nom ne l'indique pas forcé-• ment, il s'agit de mémoires non chro-• nologiques: les événements passés • sont décrits en flash-back et en désor-• dre à partir d'événements contempo-• rains qui les évoquent. L'œuvre, entre-• prise depuis longtemps et remaniée à • plusieurs reprises, devrait replacer • dans une perspective historique des • circonstances de la vie de l'auteur. • La méthode de travail adoptée par • l'auteur a ceci d'original: pour avoir • une vue plus claire de son propre • ouvrage, il a demandé à son éditeur

de faire composer le manuscrit afin • de se livrer aux mises au point sur • un texte imprimé. Les épreuves lui • ayant été livrées, il aurait l'intention • de consacrer l'été à cette tâche. • • • C[aud. O~er • •

LIVRES D'ART PHOTOGRAPHIQUE i . Connu d'un petit nombre de spécia­: • listes, encore qu'il ait été le premier

l, • lauréat du Prix Médicis, très estimé

• pourtant par les meilleurs connais-

beaumont newhall

L'HISTOIRE DE LA PHOTOGRAPHIE

1 • saurs du nouveau roman, Claude allier • va peut-être obtenir à la rentrée le • succès qu'il a longtemps attendu. • Après La mise en scène qui lui avait • valu son prix, après Le maintien de

, • l'ordre, qui constituait un remarqua­ble effort pour traiter à la manière

• du nouveau roman un thème déjà • esquissé par Hemingway (celui de

Traduction d'André Jammes. 216 pages comprenant 190 illustrations • l'homme enfermé dans un chambre depuis Niepce, Talbot, Nadar jusqu'à Bill Brandt, Man Ray, Bob Capa, etc... ! .. tandis que « les tueurs • le guettent

Format 21 x 28,5. dans la ville), et l'échec immérité • de L'été indien, Claude allier s'était • consacré presque exclusivement à

'1 • écrire des pièces radiophoniques _ ! • notamment pour la radiodiffusion al-

• lemande où il remporte un vif succès • (Nathalie Sarraute avait écrit, dans

bill brandt

OMBRES D'UNE , ILE par l'auteur de PERSPECTIVES SUR LE NU '

(épuisé)

• les mêmes conditions, Le silence et • Le mensonge). allier publiera à la

rentrée deux ouvrages qui paraîtront • simultanément : un roman : L'échec • de Nolan, et un recueil de nouvelles, Préface de Michel Butor 152 pages comprenant 127 illustrations

imprimées en héliogravure, dont 8 en couleurs. Format 24 x 27,5.

sam haskins

COWBOY KATE Prix Nadar 1966. Préface de Louis Pauwels. 160 pages comprenant

110 illustrations imprimées en héliogravure. Format 27,5 x 35.

manray

PORTRAITS 65 portraits exécutés entre 1920 et 1930. 138 pages.

Format 22 x 27,5.

~DITIONS LE BELIER~PRISMA

i · Navettes. Ce dernier livre sortira • dans la collection « Le Chemin • de • Gallimard. Il travaille déjà à un nou-• vel ouvrage : Voyage sur Epsilon. • 1 , . • • •

Montherlant

• Après la parution de La rose de • sable en édition de luxe tirée à 200 • exemplaires, avec des illustrations • pour lesquelles la galerie Pétridès a • organisé une exposition, ori pense que

1 • l'ouvrage pourra être publié à la fin • de l'année en édition courante. Cette

œuvre de jeunesse, longtemps conser­vée par l'auteur qui n'en avait livré qu'une partie sous le titre L'histoire

1

: . 1 • 1

• d'amour de la rose de sable, sera • accompagnée, à la rentrée, par une • autre grande « première • de Mon-• th~rlant; le texte définitif, pour la

1 • scene de La Ville dont le Prince est • un enfant sera présenté à la Comédie • française en octobre, tandis qu'il pa-• raÎtra simultanément en librairie.

On n'a pas fini d'épuiser les œuvres complètes d'Hemingway. A vrai dire, By Une, qui vient de paraître aux Etats-Unis, chez Scribners, est, comme le titre l'indique, un recueil d'articles : 77 textes rassemblés, mis en fonne et présentés par William White, pro­fesseur à l'école de journalisme de Wayne University. Bien que le livre !lit surtout de l'intérêt pour les bio­graphes et exégètes d'Hemingway, il n'en contient pas moins de fort beaux morceaux de littérature.

' On y trouve des «papiers. écrits par le jeune journaliste de vingt ans qui faisait ses débuts au « Toronto Star ., des témoignages et des repor­tages sur les affaires internationales des années vingt; puis viennent des récits du romancier à la mode des années trente: les descriptions de la guerre d'Espagne aussi bien que les récits de chasse et de pêche rap­pellent le style des romans que l'au­teur écrit à la même époque. Enfin, on voit Hemingway se figer dans sa propre légende avec ses correspon­dances de guerre, et se parodier lui­même dans les textes que se dis­putent les magazines après la seconde guerre mondiale.

Commentaire sévère du critique de lime qui ne cache cependant pas son ' admiration pour Hemingway « qui s'est fait la commère d'une rubrique de potins au sujet d'une seule célé­brité : lui-même •.

L'auteur de Léon Morin prêtre (prix Femina 1952), ancienne collaboratrice de Gide et , qui travaille actuellement à la Revue de Paris, n'avait rien publié depuis Le Muet en 1963. Elle est en train d'achever un court roman qui est pratiquement terminé et surprendra sans doute ses lecteurs. Sous le titre Cou coupé court toujours, il est écrit dans un style dont cette phrase limi­naire donne déjà l'idée. L'œuvre pro­gresse en partie par un jeu d'allité­rations et de déraisons.

Prix

Le prix Paul Vaillant-Couturier a été décerné à Raymond Jean pour son roman le Village. Le jury de ce prix - attribué pour la première fois -est préSidé par Aragon.

RTF

Émi •• ion. littéraire.

Parmi les émissions programmées par France-Culture (348 m), pour la chaine quinzaine :

Dimanche 2 jUillet, 21 h: « Une volx de stentor • (correspondance de Bar­bey d'Aurevilly) ; 22 h 15 : Pierre Albert-Birot,

Lundi 3 juillet, 9 h 5 - 11 h 15 : Balzac, ses personnages, son u système ». Mardi 4 juillet, 22 h 35: « Roses de Minuit • (Seghers, Eluard, Reverdy, etc.)

Jeudi 6 juillet, 14 h: u Bajazet .. de Racine ; 21 h 40 : Le signe de feu de Diego Fabri, adapté par Thierry Maul­nier.

Mercredi 12 juillet, 8 h (heure de la culture française) : La pensée et l'œu­vre de Gaston Bachelard ; 8 h 30 : Soren Kierkegaard.

Jeudi 13 juillet, 12 h 42 : La nuit véni­tienne d'après Alfred de Musset. Le lundi à 18 h 15: le magazine des essais.

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ROMANS FRANÇAIS

Environs de la littérature

U. Esposito-Torrigiani Environs de L. Mercure de France éd., 216 p.

Il y a des livres qu'on ouvre par hasard, et aussitôt on a l'im­pression qu'on les attendait. J'allais dire : dès les premières mesures. Car ce n'est pas le sens qui compte, c'est une certaine tonalité, quelque chose qui vient avec les mots et qui n'est pas dans les mots. Comme si le discours suscitait à mesure le sol sur lequel il s'avance, l'air dans lequel il résonne. Plus simple­ment : une voix.

U. Esposito-Torrigiani est ita­lien et il écrit directement en français. Il a publié voici quelques mois un premier roman, Madame B., dont personne, à ma connais­sance, n'a parlé. Son deuxième livre s'appelle Environs de L. L'auteur, qui a décidément le goût des initia­les, le présente ainsi : « Bien sûr, je comprends la difficulté de défi­nir en quelques lignes un livre auquel l'intrigue classique fait dé­faut ... En vérité, il n'y a ni monts ni merveilles dans mon livre, sim­plement des mots plus ou moins ordonnés en phrases qui veulent dire seulement ce qu'ils parvien­nent à dire et qui ne renvoient à rien d'extérieur au livre ... La lec­ture de ces pages doit bien finir par laisser une sorte de dépôt, je suppose. »

Ces propos modestes situent l'entreprise d'Esposito dans une tradition aujourd'hui bien établie - si bien établie qu'elle finit par devenir un poncif - qui veut que tout roman soit le roman du ro­man, et la littérature une réflexion su~ la littérature. Mais au lieu de partir de cette idée théorique pour l'illustrer pai- de savantes varia­tions verbales, comme le font trop de jeunes auteurs qui confondent le sérieux avec la solennité, c'est à elle que le romancier aboutit, -ou plus précisément c'est à elle qu'il se heurte, c'est l'évidence qu'il découvre en cours de route, qui dévie son récit, qui le rend impossible. Le roman du roman cesse alors d'être un exercice cri­tique ou théorique pour se faire l'image d'une recherche, d'une aventure, entièrement constituée cette fois par les égarements du discours, dont le but final ne peut être que sa propre destruction. Discours qu'on serait tenté de qua­lifier de vital, et qui, comme chez Beckett, tire sa profonde résonance du fait qu'il met en cause le nar­rateur lui-même: toute la question étant de savoir, non pas comment on parle, comment s'articulent les figures narratives, mais - chose bien plus importante - qui parle et pourquoi.

Dès les premiers mots, pronon­cés abruptement, comme si l'auteur voulait nous jeter dans un mono­logue commencé depuis longtemps, la question est posée: « Or il se

peut que cette voix existe. » Suite, sans doute, à quelque contestation angoissante qui porte sur la réalité même de l'expérience vécue par le narrateur. « Cette voix » à laquelle il s'accroche n'est pas la sienne. C'est celle d'un homme qu'il a connu autrefois, L. - nous appren­drons plus loin qu'il s'appelait Luigi - et dont le fantôme va hanter son récit. Mais L. a dis­paru, il ne reste de lui que quel­ques images jaunies, sa voix ne résonne plus nulle part, il se peut même qu'il n'ait jamais existé. « Cette voix », insistante, sourde, à la fois précise et bavarde, qui épouse avec une souplesse sans dé­faut tous les méandres de la parole

U. Esposito-Torrigiuni

intérieure, « cette voix» qui s'im­pose d'emblée à notre oreille et ne nous lâchera plus, ce sera donc, finalement, la sienne. Du moins la voix de quelqu'un qui, dans ce livre, par ce livre, va faire un effort désespéré pour naître. Quel­qu'un qui, passant alternativement du « je » au « il », de la confidence à la fable, du monologue incohé­rent au discours soutenu, ébauchera des fragments d'histoires, - mar­quées, en général, d'une forte colo­ration érotiqué, - sombrera dans des rêveries obsédantes où revient comme un leitmotiv le thème de la « fêlure », du fragment, de la miette, essaiera obstinément tous les registres, toutes les pistes, et, après avoir tenté une dernière fois de rejoindre L. en prenant sa place auprès d'une femme, se disloquera sans amertume dans un silence dont

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 juilld 1961.

on ne peut dire s'il signifie mort ou victoire.

Le « dépôt » que laissent ces pages n'est guère plus facile à dé­finir que le livre lui-même. Il est permis de prel!-dre le roman d'Espo­sito au pied de la lettre : un hom­me voudrait fixer par écrit certains épisodes de son existence ; il s'aperçoit qu'elle est insaisissable, que les mots, aussi près qu'ils s'ap­prochent, restent toujours distincts - et par conséquent indépendants - de la réalité. Luigi serait alors le symbole de la vanité de cette pour­suite : évident mais absent, telles que sont les choses par rapport aux noms qui les désignent. On peut également lire Environs de L.

comme le monologue d'un névro­pathe qui ne cesse de fabuler, bran­dissant quelques figures fantasma­tiques: l'ami masculin, la femme mère, l'enfant, pour soutenir une personnalité qui défaille. Luigi n'aurait alors pas plus de consis­tance que les autres personnages du livre ; il indiquerait seulement que la clef de cet effondrement doit être recherchée du côté de Sodome.

L'écrivain, enfin, sera tenté d'y voir la représentation de son pro­pre travail. L., c'est la première lettre de littérature. L'impossibilité de rejoindre L. traduit cette autre impossibilité, vécue concrètement par le narrateur, d'atteindre le point à partir duquel le discours, fixant lui-même ses propres limi­tes, se constituant en œuvre, a droit traditionnellement au titre de

« littérature ». Consécration que rien, en vérité, ne justifie sinon la décision arbitraire de celui qui parle. « Je suis bon, largement ouvert à toute possibilité et je laisse dire. » Quiconque a quelque expé­rience de l'écriture sait bien que si, d'une certaine manière, nous -la dirigeons, d'une autre elle nous traverse. Il n'y a aucune raison décisive d'écrire ceci plutôt que cela, le propre de la narration étant précisément que tout lui est per­mis, qu'elle peut tout dire, et son mystère, l'organisation secrète de ses choix. « Cette voix » serait alors celle qui s'élève quand j'écris et dont je ne saurais affirmer sans excès d'orgueil ou sans aveugle-

ment que je la maîtrise, qu'elle est. la mienne. A moins que l'orgueil ne consiste au contraire à vouloir dénoncer le piège et écrire en toute lucidité.

A aucun moment du beau récit d'Esposito la question n'est posée. Mais on peut dire que tout le roman, dans son mouvement dou­loureux, la pose. Peu importe fina­lement que nous n'arrivions pas jusqu'à L., que nous piétinions devant la porte de la littérature. « Il y a un but, mais pas 'de che­min », disait Kafka. Je propose une libre traduction de cet apho­risme : celui qui écrit - qui yise à être un écrivain - reste toujours « aux environs » de la littérature ; mais ces environs, c'est la littéra­ture même.

Bernard Pingaud

Page 6: La Quinzaine littéraire n°31

6

MIGUEL ANGEL ASTURIAS

Le miroir de

Lida Sai traduit de /' espagnol par Claude Couffon

~DITIONS ALBIN MICHEL

Les Lettres Nouvelles

Mai- Juin 1!J07

Jorge Luis Borges et A. Bioy Casares--Les douze signes du Zodiaque Dionys Mascolo Nietzscbe et l'Antécbrist Pierre Bourgeade Ombre des ombres Norman O. Brown Les frères contre le Père Jean Todrani La noire Monique Fong Marcel Ducbamp M. Khair-Eddine Histoire d'un Bon Dieu Victor Segalen Lettres de Chine Léon Trotsky Le parti et les artistes

"-Serge Faucbereau : La poésie objectiviste américaine---P. Matvejevic : La littérature serbo-croate d'après guerre Geneviève Bonnefoi: Les travaux et les jours de Jean Dubuffèt . Dominique N ores : Don Juan à la Comédie Franfaise Mario Vargas Llosa:

1 Marelle, de Julio Cortazar Lucette Finas: : le Boileau de Pierre Clarac ----------

Diffusion Denoël ÜJ2 p., 6 F

• • • • • • ., • • • • • • • • • •

André Dhôtel Lumineux rentre chez lui Gallimard éd., 288 p.

• André Dhôtel est, à lui tout • seul, Blanche Neige et les sept • nains. • On voit bien comment Blanche • • Neige apparaît dans ses livres : • c'est la jeune fille aimable et idéa-• le, multiple et unique, comme tou-• tes les jeunes filles. Multiple heu­• reusement : car il faut satisfaire • • tout le monde. Unique : parce que • chacun ne doit avbir - et n'a -• qu'un amour. Ce qu'on voit à mer-• veille dans Lumineux où le héros • passe de fille en fille, chacune • • n'étant qu'une « approximation » • de celle qui lui est destinée. • Dhôtel est également chacun des • sept nains : le malin, le moqueur, • le naïf et les autres, dont celui qu'on : appelle « Atchoum » (parce qu'il • éternue aux moments pathétiques). • Dans Lumineux, on trouvera un • libraire qui s'exprime par phrases • proverbiales, et un ferblantier qui • note tout ce que les autres disent, • d l'· - d • ans espOIr peut-etre e trouver • la vérité, comme le faisait dans • sa jeunesse notre ami Adamov. • Enfin, Dhôtel est le prince char-• mant, et c'est son déguisement le • plus réussi. Doublement réussi, • • car comment reconnaître de prime • abord des princes dans ces vaga-• bonds, ces inadaptés, ces personna-• ges « en marge » comme ce Ber-• trand Lumin, dit Lumineux par : antiphrase et qui est une variation

• • • • • • • • Jean·Pierre Chabrol • L'ülustre fauteuil • et autres récits • Gallimard éd. 320 p.

• • • Entre deux épopées cévenoles, Jean·

: !!:r:~esC:!;~! o~ro;:vl:is:nall~;l:::~:~ gination. Le romancier populiste ne s'em·

• barrasse plus alors de vérité documen· • taire; il picore dans ses souvenirs; il • brosse de petites scènes amusantes, campe • des personnages aux noms amoureuse· • ment fignolés, comme Pic de Verguelort, • Ulysse Clapas, EnjoIras Viel... Des Cé· • venoIs, pour la plupart, mais que l'au· • teur dépayse et met en situation de se • frotter au monde pour en tirer malicieu· • sement des effets drôles, parfois tragi. • ques, comme dans Le voleur de noces,

plus souvent picaresques, comme dans • L'ülustre fauteuil, la plus longue de ces • six histoires, celle qui donne son titre au • recueil. • . Pour une représentation du Malade

' . imaginaire à Tokyo, par la troupe de la • Comédie française, le fauteuil où mourut • Molière doit traverser les mers. Le Japon • l'attend comme une relique. Quand, par • suite d'une erreur de transbordement, le • fauteuil disparaît, il ne reste qu'à en • commander une réplique à un menuis: ~l • Le meilleur de ce récit n'est pas dans .• les mésaventures du vénérable meuble

(on apprend, pour finir, que le fauteuil de • Molière, envoyé et perdu au Japon, n'était • qu'une copie), mais dans celles des deux • personnages chargés de l'escorter: le petit • et assez plat marquis de Verguelort et le • Cévenol EnjoIras, fonctionnaire subal-• terne qu'on verra, peu à peu, au contact

Un voyage beaucoup plus long de « l'homme disponible » dont parlait ce Gide que Dhôtel ne doit pas aimer beaucoup et qu'il sera sur­pris de voir apparaître dans cette note de lecture.

Quelle lecture du reste : dans les pires conditions d'indisponibilité justement (celles que nous connais­sons tous - la survie d'Israël et du monde libre - et les conditions pri­vées dont je n'ai pas à entretenir le lecteur). Mais je pense que Ca­mus avait raison dans son homma­ge à Gide « gardien du jardin où nous aimerions vivre ». Si la vie mérite d'être vécue (comme on dit) c'est pour la part d'enchante­ment qu'elle nous propose au-delà des horreurs de la politique, des na­tionalismes, du racisme et du reste. Loué soit Dhôtel de nous rappe­ler que l'enfer où nous vivons pour­rait être un paradis.

L'asocial Bertrand hésite à pro­noncer le mot qui pourrait le quali­fier : « Artiste, aventurier, assas­sin ... » C'est « aventurier» qui le tente (à juste titre) et il songe à aller « jusqu'en Egypte ». Mais « son voyage tourne court la troi­sième nuit, pendant laquelle il fit en vérité un voyage beaucoup plus long qu'il n'eût jamais imaginé.»

Si Bertrand manque d'imagina­tion, André Dhôtel en déborde. Et Lumineux rentre chez lui est un rêve qui permet, non pas de ren­trer chez soi, mais de vivre une vie extravagante et belle, non moins vraie, mais plus irréelle (hélas) que' la nôtre.

Jacques Brenner

Des Cévennes au Japon

de la civilisation orientale, prendre une dimension qui en fait le véritable héros de l'histoire.

Au Japon, Enjolras apprend l'amour. la lenteur de vivre, la ~entillesse, la puis­sance du rêve et du souvenir. Cette mé­tamorphose est une des réussites de Jean­Pierre Chabrol, qui a trouvé en lui·même, parmi les observations rapportées d'un séjour japonais (dont quelques.unes o~t été consignées dans un récit publié il y a trois ans sous le titre: Mille millions de Nippons), les éléments d'une symbiose entre la rudesse des Cévennes et la délica· tesse extrême·orientale. L'Occident a sans doute oublié ce quc l'Asie tient pour une vérité première, et qui vaut pour tous les temps, pour tous les hommes, à savoir que « toute richesse vient des sens, de leur finesse à ne rien perdre des émo­tions du plus simple contact, de leur part d'accords dans l'harmonie des choses, des gens et de l'instant. »

Pour préserver les chances d'un assen· timent universel, ne faudrait·il pas que le mont Lozère - comme c'est le cas dans l'esprit d'Enjolras - voisinât avec le Fuji.Yama? Ne faudrait·il pas aussi que les hommes prissent conscience de la stupidité de guerres comme celle du Viêt· nam dans laquelle nous replonge Un lâche, et que les sots ne trouvent pas dans la sottise leur satisfaction, ainsi qu'on le voit faire, à travers la confession de L'imbécüe heureux, aux auteurs du « ma· nifeste de l'imbécilité » dont un des arti· cles énonce: fi. La part du jugement hu· main doit être ramenée à un minimum irréductible »? Irréalisme? Peut-être ... Jean·Pierre Chabrol frôle l'utopie pour donner plus de violence à la satire.

Maurice Chavardès

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LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE

LeRoi Jones Le Métro fantôme suivi de l'Esclave trad. de l'américain par Eric Kahane Gallimard éd. 149 p.

A une exception près (Daniel Lindenberg dans les Temps moder­nes), la critique française a été unanime dans ses réactions devant les deux pièces de LeRoi Jones, montées par Antoine Bourseiller il y a deux ans. C'est au point que cette communauté de pensée, de l'extrême-droite à l'extrême-gau­che a quelque chose de suspect : « Cris de haine », « racisme noir », « provocation», telles furent les expressions qui revinrent le plus souvent sous les plumes. En même temps, chacun reconnaissait le ta­lent de l'auteur, sa puissance dra­m~tique, l'efficacité de son langa­ge'. Personne n'a osé parler de théâ­tre de patronage à rebours. Autre­ment dit, chacun se sentait plus ou moins navré qu'un bel écrivain n'ait rien de mieux à faire que d'in­sulter ses meilleurs amis (nous qui ne sommes pas racistes, qui, au con­traire, acceptons les Noirs comme des hommes, etc.). C'est dire qu'im­plicitement, tous les critiques ont reconnu la valeur littéraire de ces pièces mais en avouant leur gêne. Ils auraie~t dû tenter d'analyser cette gêne : peut-être auraient-ils découvert qu'ils avaient applaudi (car ils ont applaudi ... ) deux pièces exemplaires, deux tragédies, d'un caractère précis qu'il faut bien ap­peler politique, et uniques dans le cadre où elles s'insèrent, celui du théâtre américain contemporain.

Si, en effet, l'on admet avec Lu­cien Goldmann qu'une tragédie est « une pièce dans laquelle les conflits sont nécessairement inso­lubles », le Métro fantôme comme l'Esclave sont incontestablement deux tragédies. Le moteur même de l'action, l'affrontement racial, bien qu'indépendant des deux héros, sous-tend leurs rapports. Et il est insoluble. Comme dans toute tra­gédie, les héros se dénudent à me­sure de la progression dramatique. Lorsque tous les oripeaux sont ôtés, lorsque le conflit est à son point culminant, c'est la mort qui dénoue ce conflit. Dans le Métro fantôme, les deux héros jouent, au départ, un jeu conventionnel, celui de la séduction. Lula est la Blanche pri­vée d'amour mais à qui sa situation raciale permet de prendre l'initia­tive. Clay est le petit-bourgeois noir qui reste à sa place, c'est-à-dire qui joue le jeu des Blancs. Mais Lula refuse le simulacre : elle veut un Clay authentique. Elle tente de se rapprocher de lui en jouant le jeu des Noirs. Ces deux jeux étant (com­me dans toute tragédie) incompati­bles, devant ce simulacre, Clay re­devient noir à part entière. Pendant quelques secondes, elle et lui sont entièrement eux-mêmes l'un devant l'autre. C'est insoutenable et seule la mort peut résoudre le conflit. Et

Théâtre c'est Lula qui tue : Clay, par la force de l'habitude était prêt à revê­tir son ancienne défroque. Une ana­lyse de l'Esclave révélerait le même schéma : la fin de cette pièce est, en ce sens, parfaitement claire : Walker, après avoir tué la blanche Grace peut enfin la bercer et l'ai­mer tout à son aise. Par la mort, Grace a perdu son essence sociale et blanche : Walker peut enfin l'ai­mer.

Tragédie donc, mais qui se noue autour d'un conflit à caractère es­sentiellement politique. L'affron­tement racial s'inscrit et ne peut s'inscrire qu'en termes politiques. La fatalité qui accompagne toute tragédie est, dans ces deux pièces, historique : la couleur des peaux n'intervient dans le conflit que parce que les héros vivent dans une société « ségréguée », celle des Etats-Unis d'aujourd'hui. De même, lorsque Clay décide d'as­sumer sa négritude, il ne peut le faire qu'en termes de contes­tation et de combat: c'est non seulement une véritable déclara­tion de guerre, mais une invi­tation au meurtre - au meur­tre rationnel et non rituel. Et W al­ker, dans l'Esclave, (Walker est un Noir cultivé, professeur d'université devenu général d'une armée noire en révolte) répond à l'un de ses anciens collègues blancs qui lui demande: « En me tuant, qu'espé­rez-vous éliminer ? » : « C'est peut­être affreux... mais je ne puis res­ter neutre devant le mal. Surtout quand ce mal s'est attaqué à moi et à mes semblables depuis toujours. » (p. 131). Sans compter que cette révolte a éclaté pour « démontrer au gouvernement que tous les in­tellectuels blancs étaient de notre côté» (p. 134). Et s'il n'y a ni vainqueur ni vaincu, c'est parce que la fatalité raciste accable aussi bien le Noir que le Blanc. Seule la mort gagne la partie. Et faudrait-il croire que nos aristarques se sont soudain sentis l'épiderme singu­lièrement pâle pour n'avoir pas vu que la perspective de Jones était désespérée pour l'un comme pour l'autre camp ? S'il ne s'agit pas là d'un théâtre didactique à la Brecht, il ,n'empêche qu'à partir d'une si­tuation sociale donnée, 1'"uteur tire une conclusion ..../ même si cette conclusion est négative, même si cette conclusion n'est pas, comme chez Brecht, la résultante d'un apo­logue mais d'un climat. Et s'il fal­lait trouver un ancêtre à Jones, c'est plutôt du côté d'Artaud qu'il nous faudrait chercher. LeRoi Jones se sépare ainsi de toute tr~dition théâ­trale américaine noire pour s'ins­crire au cœur du théâtre américain tout court. Le théâtre noir est jus­qu'à présent surtout représenté par des pièces d'inspiration folklori­que; : nous en avons eu un exemple il y a quelques années avec Black Nativity de Langston Hughes et, ces derniers jours au Théâtre des Nations, avec les Trombones de Dieu de James Weldon Johnson.

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 juület 1967.

• nOir

LeRoi Jones

LeRoi Jones rompt radicalement avec cette tradition. Ses mythes, au lieu de les chercher du côté de la Bible ou de l'Afrique, c'est chez Richard Wagner qu'il les prend. Jones est trop cultivé et trop lucide pour que cette option ne soit pas délibérée. Il n 'a pas épousé gratui­tement cette sorte de naturalisme fantastique ou lyrique qu'on retrou­ve également chez Edward Albee (lequel, du reste, a aussi évoqué la ségrégation dans la Mort de Bessie Smith). N'est-ce pas lui qui a écrit: « Jusqu'à maintenant, il n'y a eu que deux auteurs dramatiques amé­ricains, O'Neill et Tennesse Wil­liams qui, dans le domaine des idées, ont la profondeur et l'im­portance d'individus tels que Louis Armstrong, Bessie Smith, Duke EL­lington, Charlie Parker et Omette Coleman. »

Comme chez O'Neill, comme chez Williams, comme chez Albee - et à l'image de la société amé­ricaine - le sexe est au premier plan. Le Métro fantôme se présen­te comme un véritable psychodrame fondé sur l'aspect sexuel de la sé­grégation et pourrait servir d'illus­tration au livre assez schématique de Calvin Hernton : Sexe et ra­cisme aux Etats-Unis (Stock). De même, l'Esclave est centré sur les mariages interraciaux et c'est l'ar­rière-plan sexuel qui donne sa véri­table couleur à la pièce. Cette vo­lonté de contact direct, organique presque, avec le public se traduit dans une langue d'une violence ra­re, volontiers ordurière. Nous som­mes loin des ' bergeries folkloriques.

Ainsi donc, LeRoi Jones tente d'enraciner, au cœur même du théâ­tre américain, un théâtre noir qui ne se distingue que par ses thèmes. Mais nos critiques qui ont écouté sans sourciller Qui a peur de Virgi­nia Woolf ? ont été profondément choqués par les insultes de Jones.

L'accusation de racisme noir est tombée comme un couperet. Nous avons vu tout à l'heure que Jones tendait à montrer que la ségré­gation raciale ne pouvait conduire qu'à la solitude et plonger les anta­gonistes dans le désespoir et le meurtre. Mais, en fait, seul un Blanc au racisme plus ou moins conscient peut accuser LeRoi Jones de racisme noir (dans ces deux piè­ces tout au moins. Dans certains manifestes, il a proposé la « des­truction de tous les chefs politiques de la race blanche»).

En effet, aussi bien dans le M é­tro fantôme que dans l'Esclave, les Noirs peints par LeRoi Jones sont en état de libération, libération , psychologique pour Clay, libération sociale pour Walker. Mais qui dit libération dit servitude. TI n'y a, dans les faits, racisme que lors­qu'une majorité en impose à une minorité. Parler de racisme noir, c'est mettre la charrue avant les bœufs. C'est d'autant plus vrai qu'avec le temps, le problème est très complexe. Dans l'état ' actuel de la situation, il, est même deve­nu insoluble. LeRoi Jones en est très conscient qui, dans le Métro fantôme a montré que l'esclavagis­te devient tôt ou tard un esclave.

Et c'est vraisemblablement pour dépasser la compleXité du problè­me que LeRoi Jones a opté pour une position extreme et qui est terro­riste. Car il' n'ignore pas qu'une solution existe. Cette solution, il l'a confiée à Pierre Dommergues (cf. Les U.S.A. à la recherche de leur identité, Grasset ~.) : c'est « une tentative honnête de recons­truction socio-économique de la so­ciété américaine ». Sinon, la vision du monde futur que donne LeRoi Jones dans l'Esclave pourrait bien se trouver vérifiée par les fàÏts un jour prochain.

Jean Wagner

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Walla Walla Frank Elli La M utinene traduit de l'américain par J. Hall et J. Lagrange Flammarion éd., 284 p.

Le:; personnages de la Mutinerie sont d'un romanesque particulier; ils ne jouent pas aux durs par pose ou désœuvrement, ils le sont par nécessité ou sont en passe de le devenir. Le roman prend place, en effet, dans l'enceinte d'une prison pendant les quarante-huit heures que dure une mutinerie.

Le livre s'ouvre sur un « plan» détaillé de l'ensemble des bâti­ments du pénitencier; le lecteur s'y reporte souvent pour suivre les nombreuses péripéties et les projets d'évasion des prisonniers. Le héros, Cully Briston, un costaud bagar­reur mais « régulier » est expédié à la section disciplinaire pour une faute qu'il n'a pas commise. Dans cette partie de la prison se trou­vent enfermés les prisonniers récal­citrants qui ne voient presque ja­mais le jour. Une rébellion éclate et Cully, arrivé par hasard à ce moment-là, devient l'un des princi­paux mutins. Dirigés par Fletcher le Rouquin et son bras droit Mat­thews le Dingue, les mutins se saisissent de huit « matons », dont le directeur de la prison, et se trou­vent bientôt maîtres de la place.

Grâce à leurs otages ils vont tenir tête pendant quarante-huit heures aux policiers et gardiens qui les encerclent sur les murs de la pri­son, empêchant toute tentative d'évasion rapide. Pour les uns, la mutinerie est le moyen d'imposer leurs revendications, pour quelques autres, une façon de gagner du temps pour creuser un tunnel qui débouchera à l'extérieur de l'en­ceinte, et pour la plupart, ce n'est qu'une sorte de fête, « n'importe quoi pour échapper à l'atroce gri­gnotement de la monotonie». La prison va se transformer en un extraordinaire pandémonium où chacun en profite pour s'enivrer avec tout ce qu'il peut trouver et où bagarres et règlements de comp­tes vont bon train. Pour les me­neurs, la situation est renversée : ils doivent faire face au troupeau déchaîné de leurs congénères, se transformer en donneurs d'ordres et en gendarmes pour essayer d'ob­tenir un peu d'organisation et pro­téger les otages de la colère géné­rale et du couteau du terrible et opiniâtre Pied-Agile. En fait, c'est le désordre total, et les mutins sont très divisés. Les palabres avec la police traînent avant d'aboutir à de vagues promesse/!. L'ordre ne commence à régner que lorsque les meneurs ont installé leur propre service d'ordre. C'est alors que la police véritable et les gardiens re­prennent place dans la prison. La vie - la mort lente - de la pri-·, son va recommencer.

Aucun changement de la situa­tion : au début, on a vu Cully bru­talement mené au cachot par le ser­gent Grossman ; quarante-huit heu-

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res plus tard (pendant lesquelles il a sauvé la vie de Grossman au risque de passer pour un traître), à la fin du roman donc, il réin­tègre son cachot sous la conduite du même sergent. Si la situation n'a pas changé, lui, Cully, a chan­gé: la première fois, il était un « ordinaire », dur mais honnête selon le code de l'honneur des pri­sons, près de finir son temps et peu désireux de s'attirer des en­nuis; la seconde fois, il est devenu une « forte tête » pour les gardiens, un « lèche-cul » pour les autres et c'est ainsi qu'à la dernière phrase du roman, « tête haute et les yeux brillants de haine, il pénétra dans le quartier disciplinaire ».

Le livre de Frank Elli se lit comme un roman (peut-être un ro­man policier, peut-être un roman de mœurs, mais un livre palpitant à coup sûr) or c'est moins un ro­man qu'un document. Il est diffi­cile de contester sa valeur sur ce plan après avoir lu la biographie de l'auteur qui a lui-même passé des . années en prison et déclare n'avoir mis en scène que des per­sonnages authentiques, connus lors d'une mutinerie semblable, alors qu'il purgeait une peine au péni­tencier de Walla Walla. Ici, la pri­son n'est pas transfigurée par le geste et l'écriture d'un Jean Genet: l'écriture est de style oral, argoti­que souvent ; les répliques des prisonniers sont savoureuses mais il n'y faut point chercher de poé­sie.

La prison de Frank Elli est un monde clos sans grandeur. Il règne parmi les prisonniers un terrible système de castes : au sommet se trouvent les caïds habitués du « mi­tard » (section disciplinaire) par opposition aux « ordinaires » par­mi lesquels on distingue encore les « durs », les « grandes gueu­les », etc. ; au bas de l'échelle : les différents « moutons ». D'étranges principes sont en vigueur, mettant à part les « tantes » et les « pé­doques », honnissant les coupables d'incestes. Ce n'est pas tant la du­rée de la peine que le motif de la condamnation qui détermine le rang social : Secot Burns qui a tué sa femme infidèle est un « type bien » et Kelly, cambrioleur invé­téré, est un « type de confiance », tandis qu'un faussaire ou un proxé­nète ne jouissent d'aucune consi­dération. La plupart sont de pau­vres diables exploités et terrorisés par les meneurs. La prison n'est, même pour les forts, qu'une lente déchéance. Parmi leurs revendica­tions, les mutins demandent à exer­cer ou apprendre un métier, non tant pour tromper l'ennui que dans la quasi-certitude où ils sont qu'ils ne pourront pas refaire leur vie à la sortie. C'est ce que pense aussi le « sous-mac » (directeur de la prison). C'est dire que l'auteur condamne non des personnes mais un système. Réquisitoire intelligent et complexe, ce livre est, de toutes manières, impressionnant.

Serge Fauchereau

Guerre civile

Max Aub Dernières nouvelles de la guerre d'Espagne traduit de l'espagnol par Robert Marrast Gallimard éd., 320 p.

« Je reçois tous les matins l'Ex­celsior et le nouveau livre de Max Aub. » Cette boutade d'un humo­riste espagnol vivant au Mexique illustre à merveille la fécondité de Max Aub. Quand il quitta l'Espa­gne en 1939, à trente-six ans, cet écrivain mi-français mi-allemand de langue espagnole ne laissait derrière lui qu'une œuvre mineure. Vingt-cinq années d'exil au Mexi­que ont fait de lui le plus prolifi­que des Espagnols contemporains, avec une quarantaine de livres de tous les genres : romans, nouvelles, essais, poèmes, théâtre.

Pourtant, en France, Max Aub est mal connu. Deux de ses livres seulement ont été traduits. L'un relève du canular mais est d'une d r ô 1 e rie irrésistible: c'est la luxueuse biographie de Jusep Tor­res Campalans1, peintre catalan d'avant-garde, génial « ami » de Picasso... et de Max Aub, ignoré des critiques d'art et non sans rai­son puisqu'il n'existe que dans l'imagination du romancier. L'au­tre, intitulé les Bonnes intentionsl, est un roman burlesque sur la vie de la petite bourgeoisie espagnole entre 1910 et 1936. La part la plus importante de l'œuvre de Max Aub reste donc, pour le public français, inaccessible. Ce qui est regrettable si l'on songe que des romans comme Campo cerrado, Campo abierto, Campo de sangre et Campo francés contiennent le témoignage sans fard d'un homme qui a vécu l'époque troublée de l'avant-guerre civile espagnole, celle, héroïque, de la guerre, puis celle, désastreuse, des camps de concentration fran­çais, à Djelfa, dans le Sud algé­rien, ou au Vernet, dans l'Ariège.

Avec les dix-sept Dernières nou­velles de la guerre d'Espagne qui viennent de paraître dans une très bonne traduction de Robert Mar­rast, il semble bien que Max Aub ait voulu réagir contre cette mé­connaissance et présenter d'un coup sa vision de la guerre civile. Il a choisi lui-même les récits dans trois de ses recueils : No son cuen­tos, Cuentos ciertos et Historias de mal.a muerte. Son choix peut être discuté en ce qui concerne la qua­lité de certaines nouvelles; il est indéniablement efficace par sa ri­gueur chronologique et la vérité de son raccourci synthétique.

La première histoire est celle du « Boiteux », paysan résigné qui cultive en Andalousie la vigne, l'olivier et la canne à sucre pour le compte d'un grand propriétaire, bénéficie involontairement du par­tage des terres sous la République, s'éprend ~e son petit domaine et,

à l'heure de la révolte franquiste, le défend farouchement à coups de fusil. Le deuxième récit, « Côte 414 », raconte le sacrifice des hommes de la République, des paysans aux visages tannés par le vent, aux rides burinées par le soleil, avec « la faim plaquée des­sus », qui attaquent, sûrs de la victoire, les Maures et les Italiens de l'Alcarria, la terre du miel au parfum de romarin. De nouvelle en nouvelle, la guerre d'Espagne se précise en tableaux cruels ou ten­dres, héroïques ou cocasses, reflets fidèles de la vie des combattants improvisés qui luttent sur tous les fronts: aux Asturies, à Bilbao, à Santander et à Gijon, en Catalogne. Puis voici « Janvier sans nom » - janvier 39 - et la débâcle: A Figueras, un arbre quinquagénaire assiste, impuissant, au passage d'une horde d'enfants, de femmes, de vieillards, de blessés, de soldats qui, sous les bombes, s'acheminent vers la frontière française; créé par Elena Quiroga dans la Sève et le sang3, le procédé n'est pas nou­veau mais Max Aub l'utilise habi­lement pour brosser une fresque hallucinante sur le thème de l'exode. Enfin, c'est la vie d'épaves des Espagnols dans les camps fran­çais qui est évoquée à travers deux nouvelles, les plus remarquables de l'ouvrage: « Manuscrit corbeau », carnet de notes satiriques écrit au camp du Vernet par J acobo, un corbeau apprivoisé qui a tout l'hu­mour de Max Aub, et « Le cireur de souliers du Père Eternel », poé­tique épopée d'un adolescent au cœur pur plongé dans l'enfer concentrationnaire.

Une nouvelle au titre révélateur, « Liquidation », clôt avec amer­tume le livre de Max Aub. Vingt ans après la guerre civile, que sont devenus les Républicains espa­gnols? se demande Moralès, le narrateur. La plupart, comme lui, se sont installés tant bien que mal dans leur exil, en France ou au Mexique, où ils se sont réadaptés; quelques autres, tel Remigio, l'ami de Moralès, ont cherché à revoir l'Espagne, leurs familles, les en­fants que parfois ils ont laissés là­bas ... Hélas! ils doivent s'incliner devant la réalité: dans cette Espa­gne de Franco, même si l'on est antifranquiste, on ne les reconnaît pas et d'une génération à l'autre un abîme d'incompréhension s'est creusé, profond, infranchissable. A ceux-là, à ces Espagnols qui veu­lent « à tout prix faire revivre quelque chose » que leurs descen­dants désirent ignorer, il ne reste qu'une issue, le suicide !

C'est la moralité atroce de ce beau livre plein de lucidité.

Claude Coufton

1. Adapté de l'espagnol par Alice et Pierre Gascar, Gallimard éd. 1961. 2. Traduit par Robert Marrast, Stock éd. 1962. 3. Roman traduit par Laure Guille, « Feux croisés », Plon éd. 1957.

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Résistants • et artistes 1 erzy Andrzejewski Cendres et diamant trad. du polonais par Georges Lisowski Gallimard éd., 364 p.

Sautant sur les montagnes Gallimard éd., 228 p. -

Jerzy Andrzejewski a cinquante­huit ans. Catholique et résistant, il s'est rallié très tôt au régime communiste. Cendres et diamant, publié en 1947, exprime cette évolution, mais aussi les doutes et les déchirements qu'elle entraîne. Car l'auteur ne cache rien de la complexité de la vie nationale, il ne simplifie pas les problèmes. Pour lui, tous les communistes ne sont pas des héros, tous les anti­communistes des canailles. Dans les deux camps qui s'affrontent (le récit couvre trois jours, du 5 au 8 mai 1945), il y a des bons et des mauvais. Entre les deux, se situent toutes les variantes d'opportu­nisme, d'arrivisme et de rapacité. Car « la guerre transforme les uns en héros, les autres en criminels ». Ces derniers sont de loin les plus nombreux. Ils ont survécu parce qu'ils voulaient rester en vie à tout prix. « Au prix du mal et au prix du bien.» C'est ainsi qu'un ancien juge intègre est devenu au

toutes les idéologies d'ici-bas», s'écrie un jeune médecin, « je veux passer agréablement à travers la vie. Ils n'ont tous qu'une idée en tête: s'emparer du pouvoir. »

Le secrétaire régional du parti communiste, l'ingénieur Szczuka «( brochet », en russe), vieux com­muniste rescapé d'un camp d'ex­termination nazi, se rend à une réunion. Il est en retard. Il évite ainsi de tomber dans une embus­cade, qui coûte la vie à deux mili­tants ouvriers. Szczuka est sans amertume et sans illusions. Il sait que la société polonaise lui est in­différente ou hostile. Mais il croit à ce qu'il fait. Il croit que le parti peut se tromper dans le détail, mais que sa politique est juste. Et puis, sa femme est morte au camp, sa vie privée est finie.

Ce communiste d'une trempe exceptionnelle méprise les arri­vistes qui lui font la cour, mais il s'en accommode. « On en a be­soin», dit-il à un vieux camarade socialiste, « on s'en débarrassera plus tard.» En revanche, il ac­cueille mal les doutes de son ami socialiste qui craint « l'impéria­lisme russe » et lui dit: « Vous êtes en train de perdre la Polo­gne. » Certes, pour l'auteur, ce socialiste « appartenait à un passé irrémédiablement révolu ». Il n'en reste pas moins qu'il a osé expri-

Ul!l: ",~;loto du film d'Andrzej Wajda: Cendres et diamant.

camp un kapo. Démasqué il se défend: « La guerre impose ,ses critères, la paix les siens... Ce qui comptait pendant la guerre ne peut plus avoir la moindre importance en temps de paix.» Il croit pou­voir redevenir un citoyen respec­table; il plaide non coupable ...

Unité de temps: trois jours. Unité de lieu: une petite ville de province. La lutte est engagée entre la nouvelle autorité, installée grâce à l'avance de l'armée soviétique, et les résistants anti-communistes. La majorité de la population re­fuse de prendre parti, n'aspire qu'à la paix. « le me contrefiche de

mer l'opposition de nombreux so­cialistes, favorables aux réformes sociales mais hostiles à la Russie. Parmi les terroristes qui guettent Szczuka, il y a des ennemis irré­ductibles du nouveau régime. Il y a, parmi les débris des classes dominantes, les hommes et les fem­mes qui espèrent encore que les alliés occidentaux leur viendront en aide. D'autres se préparent à émigrer. D'autres enfin se rallient au régime et occupent déjà des places en vue.

Tous ces figurants, et ils sont nombreux, servent de toile de fond à deux jeunes t~rroristes, chargés

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 juillet 1967.

d'abattre Szczuka. L'un d'eux Ma­ciek (Mathieu), tombe amoureux d'une fille. Il voudrait tout lâcher, avoir une vie tranquille. Il se de­mande au nom de quoi il tue. Son ami André le rappelle au devoir: « Tu es fidèle à toi-même, en res­tant fidèle à la solidarité qui nous lie. » Toutefois, à la question « Tu crois que tu as raison? », il ré­pond: « Non. Mais cela n'entre pas en ligne de compte. »

Finalement, la fidélité, la soli­darité de combat l'emportent sur l'amour. Maciek tue Szczuka. Il s'apprête à rejoindre son amie, à tout abandonner. Interpellé par une patrouille, il s'affole, s'enfuit et est abattu par un soldat. Dans le film de Wajda, Maciek n'est pas tombé dans la rue, mais dans un immense et symbolique dépôt d'or­dures. « De tous ces nobles buts, écrit l'auteur, il n'était resté qu'un tas de fumier lamentable, le fumier de l'histoire ... »

Les symboles sont partout: cha­que geste, chaque mot est lourd de signification, de référence histori­que. Ainsi, dans un hôtel-restau­rant, après une nuit de beuverie, dignitaires communistes locaux et anciens privilégiés fraternisent en dansant une polonaise de Chopin. Cette page, d'une ironie féroce, est inspirée par une scène de la Noce, de Wyspianski, où les représentants

de toutes les classes de la société polonaise asservie tournent sans fin, ensorcelés et à demi endormis, au son d'une musique envoûtante.

Avant de tuer Szczuka, Maciek assiste, au cimetière, à l'enterre­ment des deux ouvriers tombés dans l'embuscade qu'il avait dres­sée trois jours plus tôt. Sur une tombe, il lit cette épitaphe, citation du poète Norwid (1821-1883), mort de faim à Paris et devenu poète célèbre en Pologne: « Sais­tu au moins... S'Ü restera de Toi plus qu'une poignée de cendres ... Ou si l'on trouvera au plus profond des cendres un diamant étoüé ? ... »

Message d'un poète catholique. repris, après tant d'années, par un autre écrivain catholique qui, mal­gré toutes les souffrances de la guerre, malgré tous les déchire­ments, permet d'espérer, à celui qui survivra, de trouver un dia­mant au milieu des cendres re­froidies.

L'autre roman d'Andrzejewski, Sautant sur les montagnes, a été écrit en 1963. L'action se déroule sur la Côte d'Azur et à Paris_ Comme dans les Portes du Paradis, déjà publié en français, l'ancienne forme de récit a été abandonnée. Une technique nouvelle, qui s'ap­parente, par certains côtés, au « nouveau roman » français, per­met à l'auteur de fondre dans une seule coulée les différents éléments, d'utiliser le monologue intérieur, le retour en arrière, la superposi­tion d'actions simultanées.

Il y est question d'un vieux peintre, Antonio Ortiz, qui res­semble étrangement à Picasso, et qui, après trois ans de retraite et d'inaction, se remet à peindre, grâce à une jeune femme qui en­tre subitement dans sa vie. Il peint vingt-deux portraits de sa maîtres­se, les expose à Paris, se livre, au cours du vernissage - de cette « béatification artistique » - à la curiosité et à l'admiration d'un public trié sur le volet.

Il s'aperçoit subitement que sa compagne l'aime d'une manière désintéressée et, qu'en même temps, il s'en détache. Il compte la peindre mieux encore parce qu'il est plus inspiré par l'amour de cette femme que par son amour pour elle. Il veut la ramener d,ans sa retraite, mais elle est tuée, à la sortie de l'exposition, dans un ac­cident de voiture.

Sur cette trame, l'auteur greffe la satire du milieu des artistes parisiens. Il n'a un peu de ten­dresse que pour quelques femmes, amoureuses délaissées ou servantes passives de convoitises et d'ambi­tions.

Contrairement au nouveau ro­man français, les objets, l'environ­nement matériel, ne jouent qu'un rôle subalterne. Tout en brisant le ~adre du récit traditionnel, l'auteur s'attache à l'homme. C'est autour de l'homme, de ce qu'il fait, dit, sent et pense, qu'il regroupe tout un milieu, les comparses ne ser­vant, par leurs réflexions et leur bavardage, qu'à mettre en valeur les impératifs de la création, les exigences du génie, car « l'artiste n'est qu'un homme plus avide que les autres ».

Le vieux maître sait pertinem­ment que « même le fleuve le plus fatigué aboutit à la mer ». Il em­porte dans ses bras le corps brisé de sa compagne qui, si elle avait survécu, aurait pu jeter, à la face de la ville et du monde, ce verset du Cantique des Cantiques: « Il vient, sautant sur les montagnes, bondissant par-dessus les collines. »

Victor Fay

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Tibor Déry L'Excommunicateur traduit du hongrois par A. Apperce et G. Kassaï Albin Michel, éd. 320 p.

Personnage principal de l'Ex­communicateur, saint Ambroise, ex-gouverneur impérial, évêque de Milan, est amené par les circons­tances, c'était au Iv" siècle, à pren­dre la tête du combat de l'Eglise contre l'arianisme. Cette hérésie, particulièrement dangereuse pour l'unité de l'Eglise, bénéficie de l'appui de puissants protecteurs à la cour ,impériale. L'acharnement, la ruse, le fanatisme du «, frêle petit évêque » finissent par le faire triompher de seS adversaires : l'impératrice Justine, comme l'em­pereur Théodose s'inclinent : c'est la défaite du temporel devant le spirituel.

,Malgré son physique déficient, Ambroise possède une étonnante capacité de travail. Ses sermons déchaînent des passions, il a l'âme pure d'un bourreau. Instrument d'une puissance supérieure, il de­mande au Seigneur le pouvoir, et lorsqu'il est suffisamment puissant pour tenir tête à l'empereur, il adresse au sage Théodose les admo­nestations que voici : « Le Verbe est la seule chose au monde qui soit toujours identique à elle­même... La parole, c'est autre chose. La parole peut s'opposer au Verbe ; tu peux alors la renier sans hésitation, puisqu'elle est d'un

ETRANGER

Le département de la Justice des Etats-Unis s'inquiète des nombreuses prises de participation des grosses sociétés dans les maisons d'édition américaines. En vertu de la loi anti­trusts, il enquête actuellement dans dix-huit firmes soupçonnées d'avoir conclu des ententes pour maintenir le prix des livres à un niveau plus élevé que ne le justifie le marché.

Bien que cette enquête ne vise pas forcément les éditeurs qui ont passé des accords avec l'industrie, il n'en demeure pas moins que le dévelop­pement des moyens audio-visuels a déterminé l'entrée de la puissante Radio Corporation of America (R .C.A.) dans le domaine du livre, de même que celle de la Xerox Corporation , (connue notamment pour ses machines de bureau -permettant la reproduction de documents), ou la Raytheon Com­pany.

Une autre chaîne de radiotélévision: la C.B.S. (Columbia Broadcasting Sys­tem) a annoncé récemment qu'elle avait offert 275 millions de dollars (près de un milliard et demi de nou­veaux francs) pour racheter le groupe Holt Reinhart et Winston formé il y a sept ans par la vénérable maison d'édition Henry Holt (101 ans d'exis­tence) et deux autres éditeurs de livres scolaires.

1\ semble en effet que le mouve­ment touche surtout l'édition de ma­nuels et livres de classe (encore que la R.C.A. ait racheté le groupe Ran­dom House - éditeur, entre autres, de Faulkner - qui avait lui-même

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,

Tibor Déry

ordre inférieur. Si tu as promis une chose sous l'empire magique de la parole, même si c'est sous la foi du serment, tu n'es pas obligé de tenir ton engagement, s'il s'op­pose au Verbe... » ,

Conciles organisés avec astuce, hérétiques excommuniés, synago­gues brûlées, tractations diploma­tiques, vérités figées en formules - tout cela au service d'un dogme proclamé infaillible, en fait vulné­rable et sujet à tous les jugements.

Est-ce au IVe siècle que se joue ce drame bouffon ? A Milan, en Gaule, en Illyrie ? A l'époque du déclin de l'Empire et de la montée triomphale de la sainte Eglise, à peine troublée par l'héré-

• • # • Une IrOn1e superieure

SIe arienne ? Ces empereurs ont­ils vraiment pour nom Valens, Théodose ou Gratien ? Dans le cercle magique tracé par l'auteur, l'exactitude historique et l'anachro­nisme, la chronique et le traves­tissement, la falsification des textes avec le maintien d'un sem­blant d'authenticité sont parfaite­ment conciliables. Ce qui, pour Déry, constitue l'historicité du ro­man, ce n'est pas le sujet histori­que proprement dit, mais une sorte de dimension supérieure qui, miroir déformant, permet, à travers la complexité des transpositions, d'aboutir à des vues générales.

L'Excommunicateur suppose une complicité entre l'auteur et le lec-

teur. Derrière le dos des person­nages aux airs importants, ils échangent des coups d'œil mali­cieux. Quant aux personnages eux­mêmes, ils ne voient pas plus le ridicule de leur situation que l'ina­nité de leurs efforts ou que l'utili­sation de leurs arguments scolasti­ques pour justifier certains men­songes. Dans l'opposition entre leurs fins et leurs moyens, ces der­niers l'emportent nettement et les réduisent à l'état d'automates asser­vis à leurs passions.

L'un des avantages du roman historique est la froideur de l'objec­tivité : connaissant (( la suite », le ,lecteur considère ces convulsions avec une indulgente supériorité. Des efforts surhumains apparais­sent sous un jour pitoyable, une victoire que l'on croit retentissante se réduit à un épisode. Ainsi le petit évêque de Milan à la vie exem­plaire, écrasé par l'immensité de sa tâche et plein d'attendrissement pour lui-même, voit la merveilleuse unité de sa conduite enlaidie par des notes dissonantes, sa sagesse se muer en sophismes, son ambition et sa vanité percer à tout propos sous l'enveloppe d'une onctueuse ma­jesté.

Il est inexorablement surveillé et dévoilé par Déry. Il peut se men­tir à lui-même, duper les empe­reurs, tromper jusqu'à Dieu lui­même - toujours avare de paroles et de révélations - son biographe, lui, ne sera jamais victime des apparences. Déry sait que - sub specie aeternitatis - les agisse­ments, le fanatisme, le dévouement de son héros ne sont qu'un leurre, un (( truc » pour berner la posté­rité.

Transformations de l'édition américaine C'est pourquoi respect et solen­

nité sont absents de ce roman placé sous le signe de l'ironie, mesure de toute chose, de tout événement pré­sent et futur. Ni pointilleuse ni indulgente, elle rappelle Thomas Mann. Elle prend sa source dans l'analyse même des faits et se nour­rit en quelque sorte par induction. L'ingéniosité de l'auteur ne connaît pas de limites dans le maniement de cette ironie qui remplace le prin­cipe d'identité par des équivalences et des approximations, préfère les allusions aux effets directs et bru­taux. Elle suggère plus qu'elle ne décrit, de sorte que le lecteur est amené à se dire : voilà donc la raison de tant de manœuvres, d'ac­tions tumultueuses, l'objet de tant de constance et d'un si grand dé­vouement : une vérité dont la fra­gilité éclate dès le premier instant, une rédemption qui se révèle aussi­tôt être une damnation ?

absorbé auparavant la maison Knopf connue pour son copieux catalogue de traductions françaises).

A l'origine de cette évolution, il faut noter aussi la loi sur l'enseigne­ment élémentaire et secondaire, de 1965, qui autorise le gouvernement fédéral à subventionner la publication d'ouvrages scolaires et la constitution de bibliothèques dans toutes les éco­les publiques ou privées - ce qui comprend, outre les livres de classe proprement dits , tous les classiques ou même les auteurs modernes sus­ceptibles de figurer dans ces biblio­thèques .

C'est dans cette optique que les firmes électroniques et assimilées sont intéressées par l'édition, en rai­son de l'usage de plus en plus répan­du de machines à enseigner automa­tiques, « machines à écrire parlan­tes ", etc. qui font un grand usage des textes pédagogiques. Les fabri­cants de ces machines ne pourraient alimenter longtemps leur production sur une vaste échelle sans disposer des droits d'auteur sur les textes mêmes des cours et des manuels, voire des ouvrages cités .

Certains éditeurs ont manifesté quelques inqUiétudes devant la situa­tion qui est ainsi en train de se créer. David 1. Segal, directeur littéraire de la puissante Harper and Row craint notamment que les nouveaux maîtres des maisons d'édition ne fassent por­ter tout leur effort sur les ouvrages pédagogiques au détriment de la lit-

térature générale. Cet avis n'est par­tagé ni par la direction de Random ' House qui déclare tenir fermement en main les rênes de l'établissement, ni par Kyrill Shabert, l'un des direc­teurs du syndicat américain des édi­teurs (Book Publishers Council) le­quel affirme que les grosses sociétés laissent les anciens éditeurs en place dans les maisons rachetées, cons­cients de la nécessité d'un secteur important de recherche littéraire pour maintenir en vie l'édition américaine.

Actuellement, les statistiques sem­blent donner raison aux optimistes. Même la poésie, qui n'est pourtant pas susceptible de donner lieu à des opérations commerciales intéressan­tes, est en nette progression - quant aux statistiques tout au moins - avec plus d'un millier de nouveaux titres parus en 1966. Le total des nouveaux ouvrages publiés a franchi un cap en dépassant le chiffre de 30.000 pour l'année écoulée - soit une augmen­tation de 5 % sur l'année antérieure. Le chiffre d'affaires de l'édition est passé, en douze ans, de 700 millions de dollars à 2.200 millions de dollars (11 milliards de nouveaux francs).

Le seul secteur qui commence à connaître quelques difficultés est ce­lui des ouvrages au format de poche: malgré ses 120.000 points de vente dans tout le pays (drugstores, super­marchés; etc.) le marché des livres de poche s 'est tellement étendu que le manque d'espace se fait sentir pour abriter une production en crise infla­tionniste permanente.

Pour sa part, Déry ne pose au­cune question, ne se livre à aucune interprétation. Il ne fait qu'évoquer un (( déjà vu » historique et con­temple d'un regard serein les contorsions grotesques auxquelles se livrent présent et passé au nom d'un lendemain inéluctablement heureux.

Georges Gera

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POÉSIB

La poésie ibérique de cODlbat F. Lopez et R. Marrast La poésie ibérique de combat Pierre Jean Oswald éd., 190 p.

Depuis quelques années, d'au-de­là des Pyrénées, maintes voix nous parviennent, voix castillanes, por­tugaises ou catalanes, voix différen­tes et semblables qui disent la mê­me chose: l'oppression et la liber­té, l'ombre des cachots et la palme par-dessus le toit, le silence et le cri, l'obsession et l'ou}:lli. Et nous avons vu côte à côte", tranche à tranche, sur la table du libraire, le Parler clair, de BIas de Otero, les Episodes Nationaux, de Gabriel Ce­laya, ou La peau de taureau, de Sal­vador Espriu. Conscients de l'iden­tité de ces voix multiples, et con­vaincus de la beauté émouvante de ee florilège, François Lopez et Ro­bert Marrast ont eu l'heureuse idée de nous faire entendre sous le titre La poésie ibérique de combat un écho important de la protestation castillane, portugaise, catalane, pro­testation contre une même oppres­sion et combat pour un même af­franchissement.

Le catalan, en particulier, dont certains ne soupçonnent peut-être pas toute l'importance en tant que véhicule de culture, ne pouvait être

Picasso: Guernica.

oublié dans cette entreprise. Cette langue - celle d'Ausias March et de Jacint Verdaguer -, longtemps interdite par un régime étroite­ment nationaliste, devint par la for­ee des choses la voix même de la ré­sistance. Un cinquième des poètes présentés dans cette anthologie sont catalans. Etonnante proportion si l'on compare sur une carte les dimensions des diverses provinces de l'Espagne! Depuis que Madrid ferme un œil sur les activités cul­turelles de Barcelone, on a assisté à un véritable raz de marée de l'édi­tion catalane. Les voix d'Arenys de Mar, de Sabadell ou de Felanix se sont unies à celle de Bilbao, Porto

ou Hernani par la grâce de ce petit livre, et toutes ensemble crient leur révolte, leur rage, chantent leurs espoirs, leur victoire.

« 40 poètes, 120 poèmes : une voix », proclame cet ouvrage. Dans leur avant-propos, les anthologues prétendent réunir deux pays : l'Es­pagne et le Portugal. Or, ce sont trois terres différentes qu'ils rap­prochent si l'on ajoute - et il le faut bien - l'irréductible Catalo­gne. Mais sans doute leur vision dualiste s'attache-t-elle moins à la triple variété de langage qu'à l'en­tité bicéphale - ou bifide - qui maintient toute la péninsule ibé­rique sous la botte. Et voilà que par le miracle de la traduction françai­se - qui est tout à l'honneur des deux plumes universitaires humble­ment appliquées à dire bien - la frontière des Pyrénées tombe à son tour et que nous percevons des phrases, pour nous lointaines déjà, qui semblent issues . des Yeux d'Elsa ou de Capitale de la douleur, et fleurent la rose et le réséda : poè­mes de ' la Résistance, poèmes des maquis, écrits dans l'ombre des ré­duits ou des cachots, ou dans le si­lence de la ferveur, poèmes parfois inédits, souvent interdits, et c'est de cette chair meurtrie qu'est faite La poésie ibérique de combat.

Ces poètes n'ont pas reçu des

dieux le don du premier vers, mais la faim, la peur et la loi du silen­ce: En Espagne, le sol est amer comme la faim s'écrie Car]os Alva­rez Cruz, et Jaime Gil de Biedma note: La peur survient en marée immobile, tandis que le Portugais Egito Gonsalves fouille les « Archi­ves du silence» et y découvre ses frères « tra,nspercés de silence». Mais il appartient justement aux poètes d'éclairer la nuit, de dénouer les liens, de i-eçhercher :

Ce mot qui fasse sauter les rudes gonds, ouvre un passage au flot, force l'ombre.

La Quimaine littéraire, 1" au 15 juilleJ 1967.

Leur parole éveille à nos oreil­les l'écho bien connu de cette « li­berté », échappée ,des cahiers d'éco­lier et des chiffons d'azur. BIas de Otero, disciple pieux et tourmenté de saint Jean de la Croix à ses dé­buts, part à la découverte de cette terre, rongée par la guerre », de ce pays du « sombre rideau de silen­ce », selon l'expression de J.-A. Goytisolo, et choisit désormais Eluard pour maître :

Et je me remis à recommencer ma v~e grâce au pouvoir d'un mot éCl it dans le silence Liberté.

Paraphrase signtficative qui si­tue la poésie ibérique de combat dans le sillage de nos poètes de la Résistance. Comme leurs prédé­cesseurs français, ces Espagnols, ces Catalans, ces Portugais chante­ront le défi à la peur, au silence.

Ce que « lèvres et dents sont em­pêchées de dire », Julian Andugar le « dénonce par écrit », et la cou­rageuse Angela Figuera A ymerich, que sa profession d'archiviste à la Bibliothèque nationale de Madrid semblerait destiner plutôt au chu­chotement des cabinets de lecture, « lance un terrible non », NON à l'Espagne pourrissante qu'elle qua-

lifie de « sacro-saint tas de fu­mier » ; sa poésie devient tout en­tière un refus :

le ne veux pas qu'on me ferme la bouche lorsque je dis le ne veux pas.

Ce refus est le contrepoint poéti­que des accents rageurs de l'étu­diant catalan Raimon, qui a fait entendre à toute la France com­ment son pays savait dire NON «c diguem NO» : disons non).

Cette révolte des poètes n'est pas sans danger : nombreux ont été in­quiétés par la police, plusieurs ont

été traduits en justice pour ré­bellion et tentative de subversion (quelle définition pour la poésie de combat!) Ainsi Carlos Alvarez Cruz, les frères Agustin et José­Maria Millares SalI, J oaquim Marco Revilla, Isidro Molas Batllori, etc. C'est que cette poésie met en circu­lation, de façon déguisée, sous la parure des métaphores, des idées politiques et des idées que les gou­vernements ne partagent pas. La dé­nonciation et le refus du régime débouchent, chez la plupart de ces poètes, sur une profession de foi d'hommes de gauche; tandis que Jesus Lopez Pacheco traduit Ev­touchenko, Daniel Filipe prend à son compte la définition de Maïa­kovski : cc Le poète est un ou­vrier »; de ce fait, la poésie n'est plus un exercice de style, un tra­vail d'émaux et camées ; on re­jette Garcilaso comme modèle, et on propose une nouvel art poétique, p!lr la bouche de José Gomes Ferreira

le ne veux pas chanter. ] e veux crier.

C'est pourquoi il est juste de dis­tinguer « poésie » et « poésie de combat ». L'une tire sa beauté de la seule alchimie du verbe, l'autre refuse toute parure et c'est dans l 'horreur même et le cri qu'elle se crée poésie. Comme il y a une poé­sie de la paix - Arcadie et regrets éternels - il y a une poésie de la guerre; l'une berce, l'autre blesse, l'une endort, l'autre électrise, la première chante, la seconde hurle. En vérité, on en voudrait aux Espa­gnols, aux Portugais, de jouer du luth, de la harpe ou de la flûte de Pan, en ce laps de « vingt et quel­ques coups de fouet » (Julian An­dugar). L'Espagne, le Portugal, la Catalogne, c'est cette « terre sans ciel » (Joan Oliver), c'est cette cc Pa­trie aux cheveux blancs maintenue à genoux» (José Augusto Seabra), c'est cette « Terre, faible plainte dans la nuit redoutable » (Daniel Filipe).

On ne peut lire ce livre sans passion, on ne peut entendre ces voix sans frémir et s'émouvoir. La poésie ibérique de combat est un petit livre fiévreux qui donne une autre idée de la brûlanté Espagne - soleil, plages, 17 millions de tou­ristes qui ont rapporté en 1966 1.245 millions de dollars à 'un pays où le quart de la population conti­nue de gagner moins de 200 francs par mois. C'est pourquoi, avec tous ses frères de la mêlée, Carlos Alvarez Cruz nous ramène à la réa­lité:

A l'étranger, peut-être, tout n'est que miel èt. roses, En Espa~ le sol est de fange : En Espagne le sol est amer comme la faim.

Remercions Pierre Jean Oswald, l'éditeur, François Lopez et Robert ,Marrast, les traducteurs, de noUs l'avoir rappelé.

Albert Ben SOWMJn

Il

Page 12: La Quinzaine littéraire n°31

PRESSE ET JOURNALISME SOUS ' LE SECOND EMPIRE

MAZARIN, LA FRONDE ET LA PRESSE 1647 -1649

L'ITALIE FASCISTE DEVANT L'OPINION FRANCAISE 1920-1940

32 titres parus - chaque volume illustré 8,50 f

du Tribunal de la Paix au tribunal de la Philosophie

LORD BERTRAND

RUSSELL par Philippe Devaux

une étude de l'œuvre, suivie d'un important choix de textes de Russell

COLLECTION PHILOSOPHES DE TOUS LES TEMPS DIRIGÉE PAR ANDRÉ ROBINET 8,40 F

MAUPASSANT

• • • • • • • • • • • • • • • • • •

Guillevic Euclidiennes Gallimard éd., 63 p.

• Nourrie de silence, la poesIe de • Guillevic impose le respect, celui­: là même qu'elle manifeste envers • le réel révélé par un langage d'une • nudité abrupte. Après Terraqué, • Exécutoire, Gagner, Carnac, Sphè-• Te, Avec, (les plus importants ou­: vrages de Guillevic) Euclidiennes • témoigne d'une rigueur égale, qui, • au·delà de la forme elliptique des • poèmes se veut l'expression de • cette concentration violente qu'im­• pose la capture d'une réalité prise • • • • • • • • • • • '. • • • • • • • • • • • • • '. • • • • • • • • • sur le vif. Les mots qui ont « ré-• sisté » restituent l'essentiel d 'une • pensée soucieuse de ne pas séparer • les mOlldes prétendus extérieur ou • intérieur. Cet amour éprouvé pour

ROMANCIER ET CONTEUR EN TROIS: la co~union de ces mondes, Guil­BEAUX VOLUMES SUR PAPIER BIBLE. levic le mesure, le retient comme

• un souffle. Chacun de ses poèmes • enferme entre des mots, solidement Il y a des écrivains modernes qu ' il faut avoir dans sa bibliothèque

parce qu'ils sont devenus classiques. Il y en a d'autres qu'on lit et • plantés dans le silence, la densité qu'on relit pour le plaisir. Maupassant est à la fois l'un et l'autre. • insoupçonnée de son prétext~. Les meilleurs juges: A. France, J. Lemaitre, Gide, Mallarmé, Zola,· G ill 'h' . , Roger Martin du Gard ont salué en lui un de nos grands écrivains , . u· evic n esIte pas a extraire un des maîtres du style par "la clarté, la simplicité, la mesure et • les objets de la réalité, à les célébrer la force ". Mais son extraordinaire habileté de conteur lui vaut aussi • pour eux-mêmes. Dans Sphère, auprès de génération~ successives de· lecteurs une audience qu'ac-croit encore le succès des innombrables films que ses œuvres ont • comme dans Avec, le bol, le clou, inspiré: Bel-Ami, Boule de Suif, Ce Cochon de Morin. Une partie • la bouteille, la statue ne peuplent de campagne, Le Rosier de Madame Husson, Le Plaisir, etc. etc. • Voici toute son œuvre romanesque: 7 grands romans et 310 contes • plus le poème mais en deviennent et nouvelles (dont 24 inédits) réunie, grâce à l'emploi d' un magni- • la raison. Le poète tutoie les choses. fique papier bible, en 3 beaux volumes 14 x 20 présentés dans un Il d 1 d' . élégant emboîtage, totalisant 4164 pages, pages de titres en 2 cou- . ne se contente pas e es ecnre, leurs, reliure pleine peau fauve, fers spéciaux à l'or fin. Quelle lec- • il exprime leur vie cachée. Mais, ture idéale pour les vacances! Et quelle joie d'orner ensuite votre • autour de lui, ces choses sont in­bibliothèque de ces beaux livres qui vous auront distrait tout l'été! • Hâtez-vous donc de profiter de conditions offertes par la Librairie • nombrables. Il n'en finirait pas Pilote: examen gratuit, droit de retour dans les 5 jours, règlement de les « dire ». En s'attachant en 6 mensualités de 33 F ou en 3 mensualités de 63 F ou comptant, • (dans son avant-dernier recueil 185 Fies 3 volumes qui pourront vous être envoyés à votre adresse • de vacances (en ce cas, indiquez également votre adresse permanente). • Avec) aux métaux, il traduisait • ----------------1 BON il adrelser ~ la Librairie PIlOtl, 22, nae de 6renllle, Parll 7·

• déjà la matière première, l'expres-• sion première des choses. Avec

1 Veuillez m'envoyer votre Maupassant en 3 vol. Si je ne vous les renvoie dans les 5 iours 1 dans leur emballage d 'origine, je vous réglerai 1 0 comptant 185 F 0 la 1'· de 3 mln,uaUt', de 63 F 0 la 1'. de 6 menluaUt'l de 33 F 1 par 0 ch6qua 0 ch6que pOltal ~ v/C.C.P. Parll 13905-31 0 mandat

1 Nom ... . .. .. . ... . . .. .. . .. . ... . . .. .. . .. . ... . .. . .. .. Proleilion .... : . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 1 1 ::::: ::::u~~:~~I~:::: : ::::: :: : : :::: :: :::: : : : ::::::::::::: : : : :: : ::::::::::: : : : : :: : :: :::: : ~ 1 1 ~ 1 No C.C.P. ou bannlre ... . .. ... . .... •. . .. .... . . ..... Slgnlture : _

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• Euclidiennes, consacré entièrement : à la géométrie, Guillevic s'appro-• prie la traduction abstraite du réel • et en réchauffe les signes. Les • lignes, les surfaces, les volumes, • sont célébrés comme l'ont été les : choses, avec la même gravité bien­• veillante. Cela ne va pas quelque-

Dire l'espace

fois sans cet humour affectueux que permet une longue familiarité. L'auteur de Sphère transcrit les caractères, les sentiments, la psy­chologie des figures géométriques qui ne sont pas seulement utiles pour faciliter la démonstration d'un théorème: narCiSSIsme du triangle isocèle, velléité du cône tronqué, impartialité de la bissec­trice, misère de la ligne brisée, paresse du losange (un carré fati­gué / qui s'est laissé tirer), etc.

Euclidiennes est plus qu'un jeu de l'esprit. L'intérêt porté à ces figures masque parfois l'inquiétu­de, le malaise. Comme si la dé­couverte de certaines d'entre elles

Guillevic

dépassait son objet pour devenir soudain découverte de soi et n'avait de formes que par une identifica­tion du poète à son modèle:

Triangle équilatéral Je suis allé trop loin Avec mon souci d'ordre Rien ne peut plus vemr.

Parallélogramme

... Si mes angles veillaient Sur quelque chose d'autre En moi-même que moi.

Dans Eucl;.p,iennes, Guillevic n'a donc pas seulement recherché la marque d'un anthropomorphisme facile et ne s'est pas contenté d'ajouter des définitions poétiques à celles de la géométrie classique. Comme il avait dit les choses, il a voulu dire l'espace. L'espace qui n'abolit pas l'homme ni le réel mais qui les résume et les figure .

Nous, figures , nous n'avons Après tout qu'un vrai mérite, C'est de simplifier le monde D'être un rêve qu'il se donne.

Ce mérite n'est-il pas aussi celui de la poésie ?

Pierre Meyronne

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TBÉATRE

René Char Trois coups sous les arbres Gallimard éd., 251 p.

Ecoutons ces trois coups frappés sous les arbres. Ils n'annoncent ni le grand cérémonial du théâtre ni même celui de la poésie. Ils n'an­noncent aucune « littérature ». René Char le dit clairement: « Ici ne devront affleurer que des in­dices de littérature. On y parle la langue de la paresse et de l'action, la langue du pain quotidien, la langue sans valeur. » De quoi s'agit-il donc?

TI s'agit de pièces, pour la plu­part datées des années 1946, 47, 48, que René Char a réunies sous le beau titre de Théâtre saisonnier. Mais ces pièces ne ressemblent ni au théâtre moderne ni .au théâtre traditionnel. L'idée de saison laisse plutôt supposer que l'auteur n'a rien voulu d'autre que retrouver quelques rythmes simples de l'homme et de la nature qui sont aussi les rythmes d'une création libre et heureuse: le lent balance­ment des travaux et des jours, aussi juste et régulier qu'au temps d'Hésiode. Car ce théâtre est d'abord un théâtre de la nature vauclusienne. Tout le paysage de Char s'y résume (et prenons ce mot de paysage aussi bien dans son sens propre que dans celui que vient de lui donner Jean-Pierre Richard en disant Paysage de Cha­teaubriand : « le paysage d'un auteur, c'est aussi peut-être cet auteur lui-même tel qu'il s'offre totalement à nous comme sujet et comme objet de sa propre écritu­re... ») : la Sorgue (ou la Crillonne) au cours assagi, « aux reflets de nuées pulvérisées )J, les horizons du Comtat Venaissin, les pierres éboulées, les rochers, les arbres, l'herbe des rives, « le chant distant des oiseaux du jour )J, cc l'expressif monde nocturne : grillons, chouet­tes, crapauds ». Les indications de scène, les suggestions de décor qui d'ordinaire sont l'accessoire dans une pièce, deviennent ici l'essentiel ou presque, par la qualité de la notation poétique, la sobriété de la touche descriptive, la discrétion du détail. TI y a là une façon de poser un cadre, de dresser une toile (puis­que précisément la plus belle de ces pièces est un cc spectacle pour une toile dl ; pêcheurs »), de bâtir un site de quelques mots, qui est parfaitement conforme à l'art de l'ellipse et du raccourci tel que René Char l'a toujours pratiqué d'une manière ou d'une autre dans sa poésie.

Les peti:es phrases nominales que l'on ju.dapose pour donner les grandes lignes d'un décor échap­pent par définition à toute structure grammaticale et rhétorique. Elles ne sont que des mots, posés comme des pierres, pour délimiter un espa­ce imaginaire. Que Char dise : « Abois d't:n chien à la chaîne », Il Passade des brises », (C L'aube

Le théâtre saisonnier de René Char bientôt )J, C( Chant des grives )J,

et cet. espace existe. On voit qu'il s'agit moins de poésie, que de l'origine de la poésie, de l'instant où elle s'ébauche et sourd des mots les plus simples. Comme il en va de même du langage prêté aux per­sonnages, qui n'est ni naïf, ni gau­che, ni pauvre, ni plat, mais cc élé­mentaire » dans le sens le plus no­ble du terme, il est bien évident que ce propos de l'auteur se trouve pleinement illustré et justifié :

René Char

C( Je crois que la poésie, avant d'ac­quérir pour toujours, et grâce à un seul, sa dimension et ses pouvoirs, existe préliminairement en traits, en spectre et eri vàpeur dans le dialogue des 1 êtres qui vivent en intelligence patente avec les ébau­ches autant qu'avec les grands ouvrages vraim~nt accomplis de la Création. »

C'est dans un coinmentaire du · Soleil des eaux que Char dit cela. Les familiers de son œuvre con-

naissent « l'aventure significative et perdue » que raconte cette pièce. Mais la relisant ici et la replaçant dans l'ensemble de ce théâtre ils sentiront mieux quelle poésie, naissante et diffuse à la fois, en fait toute la matière.

Car le su jet, à tout prendre, pour­rait être le sujet d'un roman de Zola : la révolte et la colère d,es pêcheurs du . village de Saint­Laurent contre les fabriques qui sont venues déverser des déchets de

chlore, empoisonnant les poissons, dans les belles eaux de leur rivière. René Char, par sa famille même, par ses amis, a connu le drame des pêcheurs de la Sorgue dépossédés, par l'installation d'usines de pape­terie vers 1900, de droits et de res­sources dont ils bénéficiaient depuis le moyen âge. Il a réuni dans le Pourquoi du Soleil des eaux les pièces d'un véritable dossier qui éclairent les rapports de la fiction et du document dans son œuvre.

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 juillet 1967.

Mais précisément la réalité qui sous­tend les dialogues n'en empêche jamais la « sublimation »- poétique - ce térme devant prendre ici son sens précis de transformation d'un solide en vapeur.

Dans une autre pièce de très belle venue, comme Claire, où se retrouvent et le mythe de la rivière et l'opposition entre le monde des paysans, des chasseurs, des .ouvriers d'une part et celui des ingénieurs; des contremaîtres d'autre part, les paroles simples et nues prononcées par les personnages captent à tout instant les « chances » de poésie qu'il y a dans les situations les plus concrètes où sont engagés les hommes, leurs luttes, leur malheur, leur bonheur quotidiens. Cette dé­marche se rencontre d'ailleurs dans l'œuvre et la pensée de Char cha­que fois que s'impose à lui la né­cessité de descendre dans l'arène de l'histoire sans quitter la haute tour de la · poésie. On l'a vu pen­dant la période de la Résistance et il suffit de relire les Feuillets d'Hypnos pour se convaincre de la rigueur de cette attitude. On le voit aujourd'hui dans le style de la lutte que Char a engagée contre l'installation de bases de lancement de missiles nucléaires sur la terre de Haute-Provence, où jamais une action militante fondée sur le refus n'est séparée d'une certaine forme d'exigenœ poétique.

Tout cela ne doit pas faire oublier que ce théâtre saisonnier reste fon­damentalement simple et « naïf » dans son principe. Mais cette naïveté n'a rien à voir avec celle de la peinture. Elle ne consiste pas à cerficr d'un contour appuyé des formes bièn nettes~ elle consiste au contraire à écrire sans appuyer. A cet égard le sous-titre inscriptiorz passagère quï est celui de la pre­mière pièce du recueil Sur les hau­teurs est révélateur de cette volonté de se contenter de saisir au vol et comme par traces fugitives les pro­pos des jeunes gens qui vivent au hameau d'Aulan: elle implique un respect aussi absolu qu'ingénu de la parole humaine. A ce _ stade la naïveté atteint à une manière de féerie transparente. Féerie qu'on retrouve dans deux arguments de ballet, L'Abominable des neiges et La Conjuration, où les arabesques de la danse s'enroulent autour d'images et de présences simples (comme L'homme à la peau de miroir du second de ces ballets) et peut-être aussi, mais avec une ten­sion différente et une nuance plus dramatique, dans cet, étrange spec-­tacle-jugement que Char a appelé une « sédition » : l/hamme qui marchait dqns un raycm, de $oleil.

Figures, formes, _ paroies, im~, tout finalement n~l1.t de la poésie et y retourne · dans' ce théâtre qui n'est « rustique» qu'en apparence. Tout, en suspension dans un milieu limp!de : la langue parlée, chucho­tée sous les arbres.

Raymond Jean

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Page 14: La Quinzaine littéraire n°31

HISTOIRE LITTÉRAIRE

Georges Duhamel (1884-1966) Mercure de France éd., 184 p.

Maigrelet, cet « hommage » paru un an après la mort de Duhamel (13 avril 1966). Quelque cent cin­quante pages de textes originaux' (moins encore si on déduit les pages blanches); dont, au surplus, on a pris soin visiblement d'aérer la, typographie, pour les gonfler un peu. Quinze contribu­tions, excellentes d'ailleurs dans l'ensemble, dignes et mesurées; quelques réticences, pas trop de coups de griffe; mais quinze seu­lement. On devine dans les arrière­{tIans maintes dérobades. Cela se

Une certaine injustice ils ne le lui pardonnaient pas. Laissons : ces déterminations essen­tielles demeurent encore acces­soires, au prix du reste.

« Une certaine injustice », dit François Mauriac en songeant à la manière dont les lecteurs s'arran­gent aujourd'hui pour passer au large ,de l'œuvre de Duhamel. Le mot m'embarrasse. On pourrait le prendre en plusieurs sens; or il est évident que l'auteur du Bloc­notes n'a pas voulu, cette fois, exercer sa malice fameuse. Une injustice certaine, oui; et qui vient bien fâcheusement compenser un excès inverse. TI y a une vingtaine d'années, les livres de Duhamel se vendaient trop bien, par l'effet de

en amateur passionné; ses vins et ses fromages, dont la fine perfec­tion égalait à ses yeux celle d'un beau style »; et cette fière répli­que à un économiste étranger qui lui objectait le prix de revient ex­cessif des confitures faites à la maison: « lei, Monsieur, nous faisons des confitures uniquement pour le parfum. » Yves Florenne : « ... les repas d'une gourmandise religieuse où l'on communiait sous les espèces de vins admirables ».

J'épingle ces citations sans mali­gnité: d'un personnage elles nous ramènent à la nature d'un homme; et tout homme vraiment homme mérite respect. Une fois de plus, il s'agit de jalonner les chemine-

assagi et la dilection d'un lexico­graphe amoureux. « Le principal est de se demander si ce que l'on vient d'écrire exprime exactement ce que l'on pense. »

~uvre. Drlneures?

Ne me rétorquez pas que dl'.8 livres aussi joliment accomplis que Les plaisirs et les jeux (1922) ou Fables de mon jardin (1936) res­tent des œuvres mineures. Est-on en droit d'appeler « mineurs» des livres où l'auteur - dans la grâce, la bonhomie, la sûreté, la maîtrise - coïncide si bien avec lui-même? Les lecteurs ne se sont peu à peu

~~r th~ ~;a-u"r c~~ aJ~~'/ LuI ZA-'Hl~- dt ~~,

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..A/id!6 ~11ii: h~I'-4 ~, ("/'tll",,-' ~-tlN;·. 'l~ ~ YÛt~f ~~~ 1

Georges Duhamel et - écrit de sa mam - un poème de l'Oubli.

comprend; et cela n'est point juste. Ne gaspillons pas notre temps à

pointer les absents et les présents ; ce serait un petit jeu bête. Notons cependant que la médecine est re­présentée ici bien pauvrement, alors qu'elle tenait tant de place dans la pensée de Duhamel et dans son éthique; et alors que, de son vivant, la corporation ne répugnait pas tellement à exploiter l'effica­cité de son entregent. Et des allu­sions vraiment trop elliptiques au goût passionné qu'il avait pour la musique: comme si on continuait à lui tenir rigueur de l'étonnement gêné qu'il suscitait en fredonnant Mozart durant de pompeuses séan­ces, commissions ou conseils d'ad­ministration; les nécessités du formalisme l'ennuyaient, il s'en affranchissait selon son cœur - ce cœur qui lui tenait à cœur si. abu­sivement -, et puis il s'amusait à dissuader des gens sérieux de prendre leur sérieux au sérieux;

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je ne sais quelle équivoque; au­jourd'hui, trop mal, sans aucun doute. Encore que le succès des Pasquier en livres de poche atteste peut-être de la part de générations renouvelées un peu plus d'équité.

En dehors de tous papotages

En dehors de tous papotages et radotages - « papotage et rado­tage sont les Duhamel de la Fran­ce », disait jadis un humoriste méchant -, un Duhamel naturel et élémentairement vrai apparaît au courant des pages du recueil d'hommages du Mercure. De Fran­çois Mauriac encore: « ... autour de nourritures simples et délicieu­ses, reliées entre elles par des vins de toutes les provinces, Georges Duhamel ayant, si j'ose dire, la dégustation géographique ». André Maurois: « De la France il aimait tout: .. . sa cuisine dont il parlait

ments par lesquels la singularité devient un bien communicable et commun. Dans la nature de Duha­mel il y avait une sorte d'épicu­risme; une sensibilité affinée, at­tentive et subtile à toutes les saveurs et odeurs des choses; et, au sens le plus large, à leur musi­calité. « De cette sensualité fran­çaise, (André Maurois, derechef), il avait le respect parce qu'elle restait délicate et mesurée. » Je dirais même, descendant d'un de­gré, une sorte de gourmandise. (Les odeurs analysées dans Confes­sion de minuit ou dans k Notaire du Havre auraient rebuté un odo­rat moins voluptueux.) Une gour­mandise, aussi, du langage; et cette fois je veux oublier les com­plaisances et redondances pour re­lire, par exemple, la page du Désert de Bièvre (1937) où il distingue les variantes argotiques du mot « femme » avec l'acuité d'un cli­nicien, l'humour d'un carabin mal

détachés de Duhamel qu'à mesure que Duhamel s'écartait de soi. De­puis la guerre. Depuis les chroni­ques du Figaro; les tournées trop officielles de conférences; les ro­mans fabriqués à partir d'une idée préconçue et non plus formés selon une nécessité intérieure; tant de postes honorifiques d'influence, et, par suite, tant d'adulations inté­ressées; et surtout un certain et maladroit cynisme des pouvoirs publics en quête d'un représentant publicitaire ... Tout cela est vrai. Et il est vrai aussi que Duhamel se prêtait d'assez bonne grâce aux rôles qu'on se plaisait à lui faire jouer. Mais je crois qu'on se trompe sur ses mobiles. Sa vraie faiblesse était (je parle ici des re­lations d'un écrivain avec son œuvre) de manquer d'égoïsme; de se faire une idée trop rigide de ses devoirs.

Devoir envers la lignée; devoir de pousser aussi loin que possible

Page 15: La Quinzaine littéraire n°31

une expérience assez éclatante de « promotion sociale », comme on dit (vous vous rappelez la Chroni­que des Pasquier et Lumières sur ma vie). Et puis on lui disait: la langue française, un éciÏvain com­me vous, la diffusion du livre français, le rayonnement français, ambassadeur de la qualité française, et les messages - ah! ces mes­sages! - de la sagesse pacifica­trice, etc., ce sont de grands de­voirs auxquels vous ne pouvez pas vous dérober, etc. Et en effet il ne se dérobait pas: et il abandonnait aux vertiges de l'abnégation et de la solidarité quelque chose du meil­leur de lui-même. Comme si son devoir envers autrui n'était pas, d'abord et avant tout, de remplir son devoir envers les dons que lui avait faits la nature. Si pressé de se dévouer aux hommes qu'il en oubliait de suivre ses propres dieux.

Dévoué à l'homme

Aux hommes, non; mais à l'homme. Voilà le point, il me semble. On dirait que Duhamel a commencé à diverger lorsqu'il a voulu - ou lorsque l'engrenage des circonstances l'a conduit à -étendre à l'homme en général, à l'homme abstrait, à l'homme de la statistique, de l'économie et de la politique, la sollicitude de sa pitié, de sa sympathie, de sa géné­rosité, de sa chaleur cordiale, de sa fraternité. Sa vertu de participa­tion, forme sublimée de la gour­mandise dont nous parlions tout à l'heure, et sans doute forme origi­nelle de sa vocation médicale, n'avait tout son prix qu'à l'égard (I_e~ hom!!le~ p!!!'!i::uli"rs. Ce n'est pas par un apostolat morose et décharné qu'il a pu aider des hommes à vivre; c'est par Vie des martyrs (1917) et Civilisation (1918), par les Salavin (1920-1932) et par les Pasquier (1933-1945).

Alors, oui, il était « de gauche ». De la gauche sentimentale, soit; de la gauche bien pensante, comme on dit avec une ironie condescen­dante: de celle du moins qui en tout homme, si humble soit-il, et surtout s'il est humble et démuni, s'efforce de prendre l'homme pour fin et non pas pour moyen. Relisez dans Civilisation un très court récit intitulé Discipline: une merveille d'ironie douce, narquoise et, en réalité, implacable. Je ne crois pas qu'à l'époque des honneurs il se fût encore permis de rien écrire de comparable. Je crois aussi qu'alors il souffrait de se voir ainsi enfermé dans le personnage qu'il avait accepté d'être; qu'il tentait désespérément de rester fidèle à sa jeunesse; qu'il termina sa vie active dans l'inquiétude et le tour­ment d'une nature vouée à l'amitié qui ne se sent plus en confiance avec elle-même.

Samuel S. de Sacy

DI8QUB8 LITT.BAIRBS

• • • • • • • • • • • • •

La collection de disques littéraires • • Poètes d'Aujourd'hui. (disques· Adès) est réalisée paralllliement à la • collection du même nom, aux éditions • Seghers, sous la direction de Pierre • Seghers. Depuis sa création, en 1957, • elle CI ié~!isé l'édition sonore de quel- • que quarante disques - de Villon à • Eluard, de Ronsard à Aragon. Piceqtle • tous sont liés à un volume de la collection • Poètes d'Aujourd'hui.. (quelques-uns sont couplés avec des titres de la collection. Ecrivains d'hier • et d'aujourd'hui .). •

Viennent de paraître, André Breton, • dit par Roger Blin; Philippe Soupault, • dit par Michel Bouquet; Tristan Tzara, • dit par François Maistre; Pierre Se- • ghers, dit par Laurent Terzieff. •

Les best-sellers de la série sont. • sans conteste, Apollinaire, dit par • Jacques Duby, et Paul Eluard, dit par • Gérard Philipe. L'ensemble de la col- • lection a remporté le Grand Prix du • Disque de l'Académie Charles-Cros .•

Interprètes des poèmes: Jean Vilar, • Jean-Louis Barrault et Madeleine Re- , naud, Daniel Gélin, Robert Hossein, • Jean Mercure, Jean-Louis Trintignant. • Pierre Vanek, etc. •

A paraître prochainement: Raymond • Queneau, Aimé Césaire, Stéphane. Mallarmé, Jean Genet, Alfred Jarry . • Chaque disque (microsillon, 33 tours. • 17 cm, longue durée) est vendu soit • seul (10,79 F), soit accompagné du • livre correspondant, sous emboîtage • (20,05 F). •

Adès-théâtre • • • En coproduction avec l'Avant-scène, •

les disques Adès présentent une col- • lection théâtrale • l'Avant-scène 33 • tours • qui est censée donner une • image sonore de la saison théâtrale • à Paris. Parmi les œuvres qui existent • déjà sous cette forme, on trouve aussi • bien Le Neveu de Rameau de Diderot, • dans l'adaptation de Pierre Fresnay et • Jacques-Henri Duval, que Oh les. Beaux Jours de Samuel Beckett et • Un mois à la campagne de Tourgue- • niev, dans la version d'André Barsacq. comme la Phèdre de Racine par la • compagr.:G tv1arie BeiL Cette derllière -œuvre est en version intégrale. Les • autres sont parfOiS condensées. Le • disque est accompagné du texte • complet de l'ouvrage (l'ensemble: • 26,16 F). •

Vient de paraître, Tartufe interprété • - en version intégrale - par Fernand • Ledoux, dans le rôle principal. •

Parallèlement, les éditions de dis- • ques Adès collaborent avec d'autres • organismes pour éditer des textes • dramatiques. C'est ainsi que le T.N.P. • a enregistré L'alcade de Zalamea de • Calderon de la Barca ou Romulus le • Grand de Dürrenmatt; le Théâtre de • France a donné Le marchand de Venise de Shakespeare avec Jean • Desailly et Daniel Sorano, entre au- • tres; le Palais-Royal a fourni notam- • ment toute une série de pièces de • Molière; et jusqu'à des compagnies • comme celle de Jacques Fabbri, qui • a enregistré, en l'occurrence, Les • Joyeuses Commères de Windsor. •

Adès-littérature

C'est avec l'O.R.T.F. que la firme a collaboré pour présenter des textes d'Albert Camus, lus et commentés par lui-même. Les bandes ont été extraites des archives et forment trois disques de 30 cm. De la même façon, l'O.R.T.F. a prêté les bandes des célèbres entre­tiens de Paul Léautaud avec Robert Mallet qui occupent neuf disques de 30 cm (chaque disque 19,95 F). Enfin des textes purement littéraires sont donnés sous les auspices de l'Aca­démie du disque, comme par exemple, le Journal d'un Fou de Gogol.

• • •

La Quinzaine Littéraire, 1"' au 15 juillet 1967.

vos livres de vacances

HENRI TROYAT de l'Académie française

Les Eygletière

LA MALANDRE roman

FRANÇOIS PORCHÉ BAUDELAIRE

ANDRÉ KÉDROS MÊME UN TIGRE

roman

GUY DES CARS DE TOUTES

LES COULEURS roman

FRANK ELU LA MUTINERIE

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JEAN ORIEUX VOLTAIRE

ou la royauté de l'eaprH

JEAN DUCHÉ ROGER PEYREFITTE HISTOIRE DU MONDE NOTRE AMOUR

SAMMY DAVIS ROBERT ESCARPIT YES, 1 CAN HONORIUS PAPE

MICHAEL BLANKFORT HISTOIRE DE RACHEL

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MARC TOLEDANO LE FRANCISCAIN

DE BOURGES

RENE CONSTANT ROBERT CRICHTON MARCEAU LE SECRET

OU LE CHATEAU DE SANTA VITTORIA EN ARDENNES roman

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EJ~ flammarion

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Page 16: La Quinzaine littéraire n°31

POUR VOS VACANCES

Les :meilleurs ROMANS FRANÇAIS

Jean-Pierre Attal L'antagoniste Gallimard éd. Au-~Ià du • nouveau roman".

Réjean Ducharme l'avalée des avalés Gallimard éd. Une • Zazie ~ canadienne.

Marguerite Duras l'amante anglaise Gallimard éd. Version romanesque d~s « Viad\lcs de Seine-et-Oise - .

Jean Freustié Les collines de l'Est Grasset éd. Nouvelles où l'ironie fait bon ménage avec le pathétiqu~, par un excellent écrivain.

Jean-Claude Hémery Curriculum vitae coll. Les Lettres Nouvelles Denoël éd. Une adol~scence malaisée dans un monde troublé et absurde.

Michel Leiris Fibrilles Gallimard éd. Troisième et dernier tome de c La Règle du Jeu". Fin d'uM autobiographie exemplaire.

Georges Perec Un homme qui dort coll. Les Lettres NQuv~lIes Denoël éd. Par l'auwur des c Choses" qui, de nouveau, dénonce un mal contemporain.

Maurice Roche Compact Le Seuil éd. Une tentative originale et poignante d'adaptation au monde.

Clauoo Simon Histoire Minuit éd. Peut-être le meilleur Simon.

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ROMANS ÉTRANGERS

Isaac Babel Récits d'Odessa Gallimard éd. Par l'auteur de c Cavalerie rouge", l'un des plus grands écrivains soviétiques déporté, mort '3t réhabilité.

Hector Bianciotti Les déserts dorés coll. Les Lettres Nouvelles Denoël éd. Le premier roman d'un écrivain argentin qu'on a rapproché de Nathalie Sarraute.

P-9ter Bichsel Le laitier Gallimard éd. Une vingtaine de nouvelles brèves d'une précision et d'une densité extraordinaires.

Andréi Biély Petersbourg L'Ag-9 d'homme, Lausanne. Découverte d'un grand romancier russe à propos duquel on évoque Dostoïevsky.

Jorge Luis Borges L'Aleph Gallimard éd. Nouvelles que l'adjectif c borgésien " suffit aujourd'hui à définir.

Julio Cortazar Marelle Gallimard éd. A la recherche Lie la c sybiHe ", dans Paris et dans Buenos-Aires, par l'un des meilleurs jeunes romanciers argentins.

Tibor Déry L'excommunicateur Albin Michel éd. Un roman historique bouffon à la cour impérlôie au V' siècie.

Charles Fort Le livre des damnés Réédition Eric Losfeld éd. Un ouvrage fameux d'où est peut-être sortie la sci·ence-fiction.

William Golding La nef Gallimard éd. Le dernier roman Le grand romancier anglais contemporain.

Witold Gombrowicz Bakakaï coll. Les Lettres Nouvelles Denoël éd. Nouvelles par l'auteur de « F'3rdydurke" et de c Cosmos", prix international de littérature 1967.

Peter f:!artling Niembsch, ou l'immobilité Par un des représentants de la nouvelle littérature allemanoo. Prix du meilleur livre étranger 1966.

Uwe Johnson L'impossible biographie Gallimard éd. La vie d'un coureur cycliste et le drame des ooux Allemagnes.

John Cowper Powys Camp retranché Grasset éd. Par l'auteur de • Wolf Soient . et d'une c Autobiographie • fameuse.

Thomàs Pynchon V. Plon éd. Une œuvre touffue et passionnant:e d'un des jeunes romanciers américains dont on attend 'le plus.

Ann Quinn Berg Gallimard éd. Un c nouveau roman " qui vient d'Angleterre.

Juan Rulfo Le Llano en flammes coll. l'3s Lettres Nouvelles Denoël éd. Le monde pittoresque et tragique des grands plateaux mexicains.

Ernesto Sabato Alejandra Le Seuil éd. Myth-es et fictions d'un monde d'Amérique latine en train de se transformer.

POÉSIE

Jean Arp Jours effeuillés Gallimard éd. L'ensemble de l'œuvre paéti~u-s du poète, peintre et sculpteur.

Jean Grosjean Elégies Gallimard éd. Prix des Critiques 1967.

Henri Michaux Les grandes épreuves de l'esprit Gallimard éd. La drogu-e comme test et comme moyen d'exploration.

Raymond Queneau Courir les rues Gallimard éd. Queneau en flâneur parisien.

TBÉATRE

René Char Trois coups !;IJUS ies arbres Gallimard éd. L'ensemble du Théâtre de René Char.

Siavomir Mrozek Théâtre A!bin Michel éd. Où l'on retrouvera • Tango» et une certaine conC-9ption de l'absurde dans les pays de l'Est.

Nathalie Sarraute Le Silence et le Mensonge Gallimard éd. Au petit Théâtre de l 'Odéon

Romain We'ingarten L'été Bourgois éd. Le succès du Théâtre de Poche

ESSAIS LITTÉRAIRES

Hermann Broch Création littéraire et connaissance Gallimard éd. Une analyse de l'art mode··'1e .

J.-M.-G. l'3 Clézio L'ex~<lse matérielle Ga!limard éd. Essais philosophiques ei ucétiques.

Jacques Derrida L'écriture et la différence Le Seuil éd. Les limites du structuralisme.

.Julien Gracq Lettrines José Corti éd. Propos ,à bâtons rompus sur la vie, l'histoire, la création littéraire par un esprit libre et un grand écrivain.

George Painter Marcel Proust Mercure de France éd. Une biographie exemplaire.

Ezra Pound ABC de la lecture L'Herne éd. UM nouvelle manière de lire.

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Page 17: La Quinzaine littéraire n°31

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CORRES­PONDANCE

Joe Bousquet Lettres à cc Poisson d'or If Une correspundance poétique et amOlJreuse posthume.

Sigmund Fr·elld Correspondance Gallimard éd . Lettres entre 1873 et 1939.

MÉMOIRES

Michel Butor Portrait de l'artiste en jeune singe Gallimard éd. Des souvenirs romancés.

Nino Frank Mémoire brisée Cal mann-Lévy éd. Souvenirs, portraits, anecdotes par un homme qui a fréquenté beaucoup d'écrivains, de Joyce à Mal raux.

Evguenia Guinzbourg Le vertige Le Seuil éd. La mère du jeune romancier soviétique Axionov raconte ses prisons et ses camps sous Staline en un ouvrage qu'on peut rapprocher de C-9UX d'Alexandre Weisberg (. L'accusé . ) et de Soljenitzine.

Clara Malraux Nos vingt ans Grasset éd. Malraux en Indochine.

PHILOSOPHIE SOCIOLOGIE

Hannah Arendt Sur la Révolution Gallimard éd. Révolution française et américaine.

Raymond Aron Les étapes de :a pensee sociologique Gallimard éd. Les maîtres de la sociologie de Comte à Max Weber.

Roland Barthes Système de la mode Le Seuil éd. Le phénomène de culture qu'est la mode.

Lewis Carroll Logique sans peine Hermann éd.

Léon Ch-estov Œuvres Flammarion Un des maîtres de l'irrationalisme moderne.

Georges Dumézil La religion romaine archaïque Payot éd. L'héritage indo-européen de Rome.

Jacques Lacan Ecrits Le Seuil éd. Un maître de la psychanalyse.

Claude Levi-Strauss Du miel aux cendres Plon éd.

Wrinht Uilll': . _ .. ~ .......... -L'imagination SOCiologique Maspéro éd. Le dernier ouvrage du grand sociologue américain.

Novalis Encyclopédie Minuit éd. Fragments de Novalis.

Kostas Papaiannou L'idéologie froide Pauvert éd. Un-e critique du marxisme moderne.

J.-.B. Pontalis Vocabulaire de la psychanalyse P.U.F. éd.

Jean Servler Histoire de l'Utopie Gallimard éd. Une vue nouvelle sur l'utopie.

HISTOIRE

Fernand Braudel Civilisation matérielle et capitalisme Armand Colin éd. La vie matérielle du XV· au XVIIIe siècles.

~

Pierre Chaunu La civilisation de l'Europe classique Arthaud éd. Une nouvelle interprétation des XVII" et XVIII' siècles.

F. Furet et D. Richet La Révolution Le second tome du 9 thermidor au 18 brumaire.

Emmanuel Le Roy Ladurie Histoire du climat depuis l'an mil Flammarion éd. Une analyse historique importante.

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HISTOIRE CONTEMPO­RAINE

Raymond Aron, Merle Fainsod, Boris Souvarlne, etc. J)e Marx fi. Mao Cal mann-Lévy éd.

Merle Fainsod Smolensk à l'heure de Staline F-e)'ard éd. La vie politique quotidienne daros une région de l 'U.R.S.S., d'après des ai'chives saisies par les Allemands et détenues par les Américains.

Marc Ferro La Révolution de 1917 Aubier éd. De la chute du tsarisme aux origines de la révolution d'octobre.

Robert Lafont La révolution régionaliste Gailimard éd. Le régionalisme, la France et l 'Europe.

William Manchester Mort d'un Président Lattont éd. Une enquête minutieuse.

Henri Michel Vichy année 40 Lattont éd. Les débuts de Vichy.

Jacques Nantet Pierre Mendès-France Centurion éd.

Pierre Salinger Avec Kennedy Buchet-Chastel éd. Par un des intimes du président assassiné.

Leonard Shapiro De Lénine à Staline Gallimard éd. Histoire devenue classique, en d'autres pays, du Parti communiste de l'U.R.S.S.

Léon Trotsky Le mouvement communiste en France Minuit éd. Pierre Broué' a rassemblé les textes de Trotsky relatifs à la France entre les deux guerres.

ART

Hans Bellmer Dessins Denoël éd . Erotisme et r.1~'i':À·e.

Georges Dul:y Adolescence :1:. !a chrétienté o·~. ·: : il:1tale Skira éd. Le troisième tu'ne sur le moyen âge, par un des médiévistes les plus Gélèbres.

Wilhelm Fraenger Le royaume millénaire de Jérôme Bosch coll. Les Lettres Nouvelles Denoël éd. Un grand peintre, une grande œuvre, décryptés.

André Grabar Le premier art chrétien L'âge d'or de Justinien Gallimard éd. Deux volumes qui renouvellent nos conceptions sur l 'art des premiers siècles.

Michel Leiris Jacqueline Delange L'Afrique noire La création plastique Gallimard éd. Un livre somptueux, une synthèse magistrale.

Erwin Panofsky Architecture gothique et pensée scolastique Minuit éd. Essais d'Iconologie Gallimard éd. Deux ouvrages fondamentaux du grand historien d'art.

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Page 18: La Quinzaine littéraire n°31

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Editions Rencontre 4, rue Madame, Paris Vie

Tél. Lit. 19 - 70

• • PHILOSOPHIE • • • • • • • • • • « ... Dans le monde instantané • où les concepts se commercialisent, • l'éclectisme est de règle.» Cette • • phrase d'Alain Badiou caractérise • avec précision, la débauche idéolo-• gique dont cette pseudo-école qu'on • a nommée structuralisme a été • l'occasion. L'affaire continue : on : trouvera ci-contre' une liste non-• exhaustive des publications - inté-• ressantes ou signüicatives - consa-• crées à ce « problème » dans les • revues françaises. Mais on a quel­• que scrupule à la dresser, tant à • • la signaler on contribue, malgré • soi, à entretenir la confusion ; on • risque, à son tour, par souci d'in-• formation, de sombrer dans la pla­• titude éclectique. Permettons-nous • • donc de préciser des fils directeurs ; • notons que - dans ce domaine dü-• ficile de la recherche -, il ne suf-• fit pas d'avoir les mêmes adver-• saires ou les mêmes détracteurs : pour être, d'un seul coup et tout • simplement, d'accord théorique-• ment . L'unité du structuralisme est • artificiellement créée par ceux qui • croient trouver, dans un ennemi • arbitrairement fabriqué, un remède • à leur vacuité intellectuelle. Et la • • probité de ceux qu'on appelle • « structuralistes » est de continuer • à chercher, dans le domaine que • chacun s'est fixé, le moyen d'as-• surer, concernant les objets empi­: riques ou les productions théori-• ques qu'ils interrogent, l'intelligi­• bilité maximale. • • • • •

Une méthode

• Dans ce qu'on désigne comme • « structuralisme », aujourd'hui, en • France, il y a : : 1. les travaux scientüiques de = Claude Uvi.StrauSR ~t de s~rr g?ou= • pe. Il s'agit de travaux ethnologi-• ques dont le domaine et la méthode • ont été définis par des années d'en-• quêtes et d'élaboration conceptuel­: le. Comme l'a souligné Luc de • Heutsch, la méthode structurale a • ici une signification précise : elle • oppose à l' « ethnologie histori-• que » et à « l'ethnologie fonction­• naliste» un certain mode de traite­• • ment des sociétés dites primitives. • A son propos, la question est, d'une • part, de savoir si - comme cela • a lieu dans les sciences de la na-• ture - elle offre des hypothèses : explicatives plus riches et plus ri-• goureuses que celles qui avaient • été jusqu'ici proposées ; elle est, • d'autre part, de déterminer, au cas • où la réponse à cette question serait • positive, quels remaniements de­: vraient s'imposer les sciences de • l'homme, en raison même de la • nouvelle conception introduite. La • discussion passe ici par deux ni-• veaux. Le premier, dont dépend le • second, se situe au sein de la • • science ethnologique même et de • son statut et il serait comique -• il est comique - que la pensée • idéologique-spéculative ait l 'audace • d'instruire une affaire dont elle ne • • connaît pas les pièces ;

2. les travaux de Jacques Lacan et de son groupe. Il s'agit de tra­vaux ressortissant, simultanément à la compréhension de l'œuvre de Freud - qui a donné de l'homme une approche radicalement nou­velle - et à un domaine parti­culier de recherches, celui de la maladie mentale et de son articu­lation à la culture. Inutile de s'agi­ter, de clamer, à l'avance, au génie ou à un humanisme fabriqué ! Les pratiques théoriques et empiriques, ici aussi, ne manqueront pas d'in­troduire les légitimations ou les contestations sérieuses, dans une échéance qui sera plutôt brève que moyenne. Quant aux procès d'in­tention, ils sont, proprement, déri­soires. Ne parlons pas des polémi­ques concernant le style ou les pro­cédés d'exposition : ils renvoient à cette mentalité de « valet de cham­bre » qu'aimait évoquer Hegel;

3. des ouvrages fort divers, par­mi lesquels, pour ne citer que les plus célèbres et les plus pertinents, se trouvent ceux de Michel Fou­cault et de Roland Barthes. Parti­cipent-ils d'un esprit commun ? Ils ont, en tous cas, la commune volonté, d'une part, d'explorer des registres culturels jusque là aban­donnés à la contingence - la folie ou la mode - et, d'autre part, d'essayer d'obéir, aussi strictement qu'il est possible, à cet impératü de « probité philosophique » que s'était fixé Nietzsche. C'est dire qu'ils se tiennent au plus loin -et quelquefois jusqu'à l'outrance - des banalités édüiantes et ver­beuses dont s'est nourrie l'idéologie française depuis vingt ans, de l'existentialisme à Teilhard, en passant par le Hegel christiano­marxiste;

4. le:; travaux de Louis Aïthtiii~er et de son groupe (on remarquera que cette formule « et de son grou­pe » revient trois fois sur quatre).

li s'agit d'un type dé recherches qui, là encore, est t!iff~rent. Il faut remarquer, d'abord, qu'Althusser et ses amis se veulent engagés poli­tiquement : ils revendiquent haute­ment leur appartenance à une insti­tution politique, le P.C.F. Il im­porte de noter également que leurs travaux se réclament de l'œuvre de Marx, qu'ils considèrent comme fondatrice d'un nouveau statut de la science des sociétés. Il convient de signaler enfin que leur ambition - contrairement à celle déclarée par Lévi-Strauss - est philosophi­que, qu'elle vise à rien moins qu'à définir, sous le nom de matéria­lisme dialectique, une conception nouvelle de l'activité théorique et de ses normes (ou, comme le note A. Badiou, de (re) commencer, à la suite de Marx, celle-ci). A ce genre de recherches, il convient d'associer les travaux de Maurice Godelier qui - à mi-chemin de Lévi-Strauss et d 'Althusser cherçhe à définir et à explorer techniquement le champ d'une Anthropologie sociale qui, conju­guée à l'Histoire, constituerait l'un des secteurs théoriques du matéria­lisme historique ...

Il faut une lecture bien hâtive, on le voit, pour constituer un corps doctrinal nommé « structuralis­me ». A peine peut-on parler d'une méthode. Et, en ce cas, ce commun dénominateur méthodologique se définit plus aisément par ce qu'il refuse que par ce qu'il institue. Disons pour simplifier que ce qu'il refuse, c'est l'empirisme, qui dans tous les domaines de la pensée, s'est imposé, au nom des « faits », du vécu, du concret, de l'efficacité. Cet empirisme est omniprésent : dans les philosophies de l'histoire (chrétl,::üü"5 û'iJ. mar~ie~) (oui au­tant que qans la sociologie ou l'éco­nomie dites positives ; il ressortit à cette conception simpliste qui -

Revues à consulter, à propos du structuralisme :

Le numéro 246 des Temps modeme& (novembre 1966) entièrement consacré aux problèmes du structuralisme (articles de J . Pouillon, M. Barbut, A.-J. ,Greimas, M. Godelier, P . Bourdieu, P. Macherey, J . Ehrmann) ;

François Furet, « les Français et le structuralisme », Preuves, n° 192, février 1967, pp. 3-12;

Le numéro 2 de Raison pré3ente (fé­vrier 1967), articles d'O. Revault d'Allon­nes, " les Mots contre les Choses » et d'E. Bottigelli, " En lisant Althusser»;

André Glucksmann, « Un structura­lisme ventriloque », Les Temps modernes, n° 250 (mars 1967), pp. 1557-1598;

Aléthéia, nO 6 (avril 1967), trois tex­tes: B. Besnier, « Deux livres marxistes pour la théorie économique », M. Gode­lier, « Sciences de l'histoire et théorie des systèmes (réponse à B. Besnier) », S. Karsz, « Après Althusser (ou la fin des orthodoxies ) » ;

L. Althusser, " Sur le travail théori­que. Difficultés et ressources », La Pensée, n° 132 (avril 1967), pp. 3-22 ;

Le numéro de mai 1967 d'Esprit inti­tulé « Structuralisme, idéologie et mé­thode », avec des contributions de J .-H. Domenach, M. Dufrenne, P . Ricœur, J. Ladrière, J. Cuisenier, P. Burgelin, Y. Bertherat, J. Conilh;

E. Leach, « C. Lévi-Strauss, anthropo­logue et philosophe », Raison présente, nO 3 (mai 1967), pp. 91-106;

A. Badiou, « le (re )commencement du matérialisme dialectique », Critique, nO 240 (mai 1967), pp. 438-467;

La réédition (la seconde ) du remarqua­ble numéro 26 de l'Arc consacré à Lévi­Strauss avec des textes de B. Pingaud, L. de Heusch, C. Lévi-Strauss, G. Génette, C. Deliège, J . Pouillon, J . Guart, J .-C. Gardin, P. Clastres;

F. Wahl, « Littérature, Science, Idéo­logie », Critique. n° 241 (juin 1967), pp. 537-543.

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Où en e'st le structuralisme ? par crainte de la « métaphysique »), par souci de l'expérience - com­prend la vérité (d'une science) comme reflet (de ce dont elle est science) ; qui voit dans le concept une généralité abstraite grâce à la~ quelle on collectionne les faits ; qui juge d'un corps scientifique en fonction non de sa production théorique, mais de sa « capacité de prévisions » ... Quant à savoir ce qu'est un fait, quant à définir soi­gneusement le domaine d'une scien­ce au moment où on entreprend de la construire, quant à délimiter la nature des concepts qui sont alors en jeu, l'empirisme ne veut point s'en préoccuper! Il a trop à faire: ' il court après l'information, celle

succédé une pensée positive et libé­rale qui, elle, ne rêve pas sur les faits, mais les recueille et les orga­nise pour en tirer la bonne signi­fication ; « Pourquoi n'est-ce pas Raymond Aron qui règne, mais Lévi-Strauss ? »

Cette transformation ne relève pas d'une èxplication sociologique, suggère-t-il. Il ne s'agit pas de so­ciologie, en effet, au moins si on se place dans le dONaine de la pro­duction des œuvres. Il s'agit d'une transformation qui s'est produite au sein de la théorie même. Ce que Lévi-Strauss, Lacan - qui travail­laient, depuis longtemps, sur des domaines empiriques qu'ils avaient pris soin de circonscrire rigoureu-

Mich~l Foucault, Jacques Lacal~, Clauae Lévi-Strauss et Roland Barthes.

qui lui vient, de l'extérieur, sur les téléscripteurs des agences de presse ou, pis, de l'intérieur, des tréfonds du vécu et de l'expression concrète.

Aussi bien, François Furet, dans son article « Les Français et le structuralisme» a-t-il raison de no­ter que le succès du « structura­lisme » est lié à la fin de l'âge idéo­logique: « La déstalinisation, le schisme sino-soviétique, la crise du tiers-monde - et la prospérité française et européenne - ont atteint profondément le progres­sisme des années 1950 ... D'où une disponibilité de l'opinion intellec­tuelle, une sorte d'attente - un peu comme, il y a un siècle, l'échec sans gloire des quarante-huitards romantiques a précédé et facilité la formation de la génération réaliste et positiviste. » Il est bien vrai que l'idéologie des quinze dernières années, en France, a été occupée par des rêveries qui se croyaient fondées sur des faits que d'autres faits ont bientôt démentis. L'expé­rience stalinienne, « existentialis­te », « tiers-mondiste» s'est, à force d'expérience, détruite elle-même ... Mais, demande François Furet, comment se fait-iÎ '{Il 'à cette fail­lite des « romantismes » n'ait pas

sement -, ce que Louis Althusser ont établi, c'est que face à une telle crise, le seul remède était, non de substituer aux « gros faits » des philosopht<s de l'histoire (par exem­ple, le prolétariat mondial) les « petits faits » de la sociologie (par exemple, l'augmentation des « petits porteurs » d'actions aux U.S.A.), mais d'essayer de définir des méthodes exactes d'investiga­tion permettant de savoir ce qu'on peut effectivement recevoir comme fait.

Pour "y parvenir, Lévi-Strauss s'est inspiré de l'analyse mathéma­tique et des recherches linguisti­ques ; Lacan, lecteur intransigeant de .Freud, a adopté, lui aussi, cette dernière source. S'il fallait trouver des parents directs à Althusser (et, d'une manière différente, à Fou­cault), ce serait Koyré, Bachelard, Canguilhem ... et Lévi-Strauss. En vérité, il s'agit pour la pensée, en France, d'une mutation, d'un arra­chement, qui étaient déjit largement annoncés, mais qui maintenant se

. réalisent (et quel lecteur de Bache-lard se plaindra que ce soit en des directions diverses et des secteurs différents, alors qu'y préside ·un esprit commun!) Cette pensée

La Quinzaine Littéraire, 1" au 15 juillet 1967.

« française », ' si l'on excepte cer­tains textes de Comte, de Cournot, de Durkheim, n'était jamais vrai­ment sortie de l'empirisme psycho­logique que lui imposa Maine de Biran. La voici, peut-être, qui, en ordre disparate, retrouve la rigueur de la vocation théorique ..•

Fleurs et insectes

Pensée « hyperintellectualiste et systématique», déclare encore François Furet. L'imputation, èette fois, est tout à fait illégitime. Qui donc est plus près de la nature et la fait mieux vivre que Lévi­Strauss? Qui se préoccupe , aussi

étroitement de la « réalité politi­que » que Louis Althusser lorsqu'il tente de redonner le sens théorique à des organisations ouvrières qui, au gré des circonstances, ont flotté du fanatisme sectaire à l'œcumé­nisme ? Et, des « réalités univer­sitaires » que Michel Foucault lorsqu'il dénonce le vide fondamen­tal des disciplines qu'on enseigne sous les vocables sociologie et psy­chologie ?

Le refus du fait empirique n'est nullement le refus de la réalité et de ce qu'elle impose. Il signifie seulement - et cela est décisif - ' qu'un fait (c'est-à-dire, au fond, une information) ne prouve rien comme tel, que ce qui est probant, c'est le corps scientifique systéma­tique qui, explicitant les raisons et les moyens gtâce auxquels il a pro­duit, dans son domaine, des faits (produire, au sens cartésien, mettre à jour), les organise d'une manière intelligible.

« Hyperintellectualisme » ? Le risque existe. Au plus bas niveau, il apparaît dans la constitution de ces petites chapelles exclusives et agressives qui, serrées autour de la seule vérité (qu'elles détiennent), distribuent, à l'envi, excommunica-

tions et clins d'œil. Au plus haut niveau, il se dessine dans un article comme celui d'Alain Badiou. C'est là, sans doute, le meilleur texte qu'on ait écrit sur' les recherches d'Althusser et de son groupe (plus explicite que celui, excellent déjà, de Saul Karsz, encore à l'abri de la philosophie de l'histoire). Son mé­rite est de désigner très précisé­ment la place de ces recherches, de souligner leurs amhiguïtés, de poser la question de fond, que la recherche althussérienne a éludée jusqu'ici : celle du rapport théori­que entre la philosophie-idéologie et la philosophie-théorie (qui n'est autre que celle de la relation théo­rique entre théorie et pratique). On

doit se demander, pourtant, si en proposant cette « figure allégori­que » : « Althusser ou, pour penser Marx, Kant dans Spinoza », Alain Badiou, par son interprétation, ne fait pas régresser l'entreprise vers des origines dont elle ne tirera que des minces « profits » théoriques. Car il semble bien que Marx - qui n'ignorait pas le problème difficile du statut de la théorie - ne le posait pas en ces termes. Avait-il tort ? Ou était-il préoccupé par autre chose ?

Dans le dernier article d' Althus­ser, « Sur le travail théorique. Dif­ficultés et ressources », il y a une phrase qui, pour énigmatique qu'elle soit, déplace, peut-être, la question : « n'existent, au sens fort du terme, que des objets réels et concrets singuliers ». Voici, en tous cas, une formulation qui, tout autant que l'évocation par Lévi­Strauss des fleurs et des insectes, . l'analyse, naguère, par Koyré, des travaux de Galilée ou la révélation par Foucault des techniques pas­sées de la clinique médical~, nous met bien loin de cet idéalisme dont on fait grief à èeux que l'on nomme structuralistes.

François Châtelet

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HISTOIRE

Charles-Olivier Carbonell Le grand Octobre russe 1917 : La révolution inimitable Coll. « Un brûlant passé » Le Centurion éd., 288 p.

Ce récit vivant, circonstancié - apparemment objectif et bien informé - des célèbres événe­ments qui se déroulent à Pétro­grad du 7 octobre au 3 novembre 1917 (calendrier julien) entre dans la catégorie des ouvrages que le cinquantième anniversaire va sus­citer un peu partout.

On est séduit par le détail pitto­resque - par ~xemple la lanterne rouge que recherchent les assaillants du Palais d'Hiver pour déclencher l'attaque, et qu'ils trouvent tardi­vement seulement - et on est en­traîné d'un bout à l'autre par les éléments les plus spectaculaires. A peine se demande-t-on si le décou­page ainsi opéré dans le temps, au détriment de la révolution de fé­vrier, de la répression de juillet, et de ce qui suivra l'Octobre russe, n'est pas arbitraire et (pour ceux que cela pourrait préoccuper) con­traire à la méthode marxist~.

L'originalité de l'ouvrage appa­raît, cependant, lorsque l'auteur se livre à une série d'analyses sur les motivations sous-jacentes. Est­ee là l'aboutissement d'un complot allemand pour se débarrasser du front de l'Est, de l'armée russe ? Charles-Olivier Carbonell mène l'enquête. Il ouvre le dossier de l'aspirant Ermolenko (prisonnier des Allemands et libéré par eux, soi-disant, pour inciter l'agitation en faveur d'une paix séparée), re­prend l'argumentation du procu. reur général de Pétrograd, Kar­pinsky, à la suite de laquelle, fin juillet 1917, un mandat d'amener est lancé contre Lénine, et conclut, avec beaucoup de bon sens, que s'il y avait eu quelque chose de vrai dans tout cela, la propagande nazie n'aurait pas manqué d'utiliser contre le gouvernement soviétique toutes les pièces d'archives qui n'auraient pas fait défaut ! De mê­me, l'auteur rejette, preuve à l'appui, la fable du complot judéo­marxiste. L'intérêt s'accentue quand on aborde toute une série d'analy­ses doctrinales d'importance capi­tale. La révolution d'Octobre était­elle inutile ? Pouvait-on en faire l'économie en attendant que se réunisse le deuxième congrès pan­russe des soviets de députés ou­vriers et soldats, où se dégagerait, sans faute, une majorité révolution­naire ? La question est liée à celle de savoir si le risque d'une nou­velle réaction kornilovienne était réel ou non. Si oui, il fallait, de tou­te façon, déclencher un mouvement révolutionnaire préventif pour em­pêcher que ne se reproduise ce qui s'était passé au mois de juillet pré­cédent. Pour porter une juste appré­ciation en ces matières, entre alors en cause l'explication que l'on re­tient du' cours des événements de-

puis février 1917. Est-on en présen­ce d'une sorte de révolution inin­terrompue - ou, diront certains, permanente - qui porte inélucta­blement l'empire russe vers des bouleversements profonds et la pri­se du pouvoir par le prolétariat ? Auquel cas, Kerensky, son gouver­nement fantôme, doivent s'effon­drer aussi sûrement que le tsaris­me quelques mois plus tôt.

A ce propos, l'auteur - jusque-, là dans la coulisse - fait observer que la constituante élue et réunie après la révolution d'Octobre ne comprend que 185 députés bolche­viks, face à 344 socialistes révolu­tionnaires (représentsnt le parti non marxiste fondé à la fin du XIx" siècle), dont une aile seule­ment (dite des S.R. de gauche, qui ont 40 députés à la constituante) réclame « tout le pouvoir aux so­viets ». Le reste de l'assemblée est composé de 25 mencheviks (dont on connaît les mauvais rapports avec les maximalistes, bolcheviks), 75 so~ cialistes ukrainiens, qui seraient au­jourd'hui assez représentatifs de la

Moscou, 1917.

S.F.I.O. et 60 musulmans, dont la dénomination même montre les ré­ticences. Qu'en est-il, dans ces con­ditions, de la « révolution unani­me » ? Charles-Olivier Carbonell remarque que, poui- le moins, il faut distinguer une révolution ur­baine, centralisatrice, en effet bol­chevique, de la situation dans la paysannerie, où « à l'anarchie de

L'Octobre fait dans laquelle se trouvait plon­gée une grande partie de la cam­pagne russe, les bolcheviks ont subs­titué une anarchie de droit ».

Or sur tous ces points -:- et c'est à cela que nous nous arrêtons -l'auteur montre qu'il n'y a pas, en réalité, de divergences d'opinion, à l'époque, entre les trois sommets du triangle révolutionnaire : Trot­sky, Lénine, et celui qui se préten­dra longtemps son plus fidèle dis­ciple : Staline. Ce n'est que tardi­vement (à vrai dire, par sa lettre du 29 septembre) que Lénine prend ouvertement parti pour le coup de force sans attendre les décisions du deuxième congrès panrusse. Et dans les réunions antérieures du comité central, rien n'indique, se­lon les comptes rendus des votes qu'on détient. que Trotsky se soit montré attentiste. D'autre part, si Trotsky a en effei été l'organisa­teur du coup de main discret effec­tué dans la nuit du 24 au 25 octo­bre, sur les gares, les banques, les postes, et si Lénine est apparu au premier plan dans la manifestation de masse qui accompagne la prise

du Palais d'Hiver, il serait faux de prétendre pour autant que Trotsky était partisan d'un complot « à la Blanqui ». Pour Lénine comme pour Trotsky, « la mobilisation des masses est, tactiquement parlant, un luxe ; idéologiquement parlant, elle est une nécessité. » De même, la thèse de la révolution ininterrom­pue (Lénine) et celle de la révo-

russe lution permanente (Trotsky) se­raient, en 1917, interchangeables, Trotsky employant, indifférem­ment, l'une ou l'autre expression. La vérité est que la « révolution per­manente » ne se différenciera de la révolution ininterrompue que quand se dégagera, avec Staline, l'idée du bastion socialiste auquel Trotsky opposera, en U.R.S.S., puis en exil, celle de la révolution dans tous les pays.

Alors, ces divergences entre Lé­nine et Trotsky (elles se poursui­vent depuis 1905) ne sont-elles pas, en partie pour le moins, des que­relles de personne ? L'auteur nous incite à nous poser la question. D'autre part, s'il en est vraiment ainsi, qu'en est-il pour le fond ? On sait bien que Trotsky a écrit : « La Russie a accompli si tard sa révolution bourgeoise qu'elle s'est trouvée forcée de la transformer en ré!lolution prolétarienne», mais n'y a-t-il pas, cependant, une sorte de contradiction ?! la base du mar­xisme ? En octobre 1917, l'alterna­tive n'était-elle pas de réussir tiTIfl

révolution, les circonstances étant favorables, au risque qu'elle se dé­nature en stalinisme, ou d'attendre que la Russie soit prête, au risque qu'une économie plus évoluée ren­de la révolution impossible ? Voilà, en tout cas, de bons sujets de médi­tation à l'occasion d'un anniver­saire.

Jacques Nante'

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La • VIe et la lIlort au

Buteaux marchands da,/,S le port de Calcutta, au 19< siècle.

Fernand Braudel Civilisation matérielle et capitalisme Armand Colin, éd., 466 p.

Lorsque La Méditerranée de Fer­nand Braudel parut, voici vingt ans, il fut manifeste, d'emblée, que l'école historique française venait de produire son chef-d'œuvre. Le diagnostic était exact: jamais, de­puis Michelet, Marc Bloch ou Mommsen, aucun ouvrage d'his­toire n'a exercé une influence aussi considérable.

Artisan infatigable, Fernand Braudel a voulu intégrer à son livre aujourd'hui réédité en ùeux volumes la somme des connaissan­ces acquises durant ces deux dé­cennies : entreprise hasardeuse, car un livre appartient à son époque et ce rajeunissement risquait de lui faire perdre sa fraîcheur: il n'en est rien. On pouvait redouter également que cette mise à jour fût un signe de sclérose : mais voilà qu'au même moment, Fernand Braudel produit une nouvelle œu­vre révolutionnaire: Civilisation matérielle et capitalisme.

La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Phi­lippe II comprenait trois parties, chacune étant un essai d'explica­tion. La première mettait en scène une histoire quasi immobile, lente à couler, celle de l'homme dans ses rapports avec le milieu qui l'en­toure, montagnes, plaines, surfaces liquides, climats. La seconde pré­sentait destins collectifs et mouve­ments d'ensemble: économies, em­pires, sociétés, civilisations, formes de la guerre. La troisième était celle de l'histoire dite événemen­tielle, valorisée parce que les actes des individus étaient appréciés à leur exacte mesure, en coordination avec des courants moins visibles, quelquefois silencieux, dont le sens ne se révèle que si l'on embrasse

de plus grands espaces ou des périodes plus amples.

Unité de pensée: on retrouve dans Civilisation matérielle et capi­talisme, XVe-XVIUe siècles une pré­sentation de l'histoire en plans étagés. Dans La Méditerranée, l'homme était saisi dans l'encadre­ment de l'espace et du temps, il était décomposé en un cortège de personnages. Cette fois, ce sont ses travaux et ses jours qui apparais­sent sous des éclairages différenciés. D'abord, dans les zones obscures, ses activités aSSOClees aux con­traintes de la nature: ses efforts les plus élémentaires pour vivre, sinon pour exister, quand l'homme est aux prises avec le surpeuple­ment, la sécheresse, l'hostilité du monde végétal ou animal. C'est cette récolte du pain de chaque jour, l'acquisition du premier su­perflu dans le vêtement, la table ou l'habitat, la découverte et la diffusion des premières techniques que Fernand Braudel définit com­me l'étage inférieur, celui de la vie matérielle, « faite de routines, d'héritages, de réussites très ancien­nes avec leurs perfectionnements et leurs novations» (nouvelles plantes cultivées, rôle croissant de la monnaie, etc.)

Au-dessus de ces activités au ras du sol, significatives parce que pratiquées par le plus grand nom­bre, vient un étage de la vie des hommes où « le calcul, l'attention, le goût du profit animent l'exis­tence ». Il s'agit d'un champ mieux éclairé par les historiens : celui des échanges, des transports, des com­merces de toute nature. Colporteurs et ambulants en ont la pratique la plus élémentaire (nous sommes aux XVe-XVIUe siècles). Ces mêmes acti­vités s'organisent dans les marchés, les foires, les premières bourses. Elles triomphent, lorsque l'organi­sation de l'espace celle de la produc­tion sont saisies dans leur ensemble grâce à un type nouveau d'entre-

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 juület 1967.

telllps passé

preneurs, ou autres hommes d'af­faires: ces capitaines victorieux, industriels ou grands armateurs et banquiers qui appartiennent déjà au stade supérieur de la société pré­industrielle, celui d'un certain capitalisme dont le réseau, lâche à la fin du XVUIe siècle, va lentement enserrer l'univers de ses fils d'acier.

Un coup d'œil sur la table des matières de La Méditerranée aver­tissait le lecteur qu'il partait pour un long et merveilleux voyage: il découvrirait le passé des Méditer­ranéens, mais aussi leurs raisons actuelles de croire et d'exister. Il connaîtrait de la Méditerranée ses routes et ses oasis, le rythme de la vie des hommes, les aspects per­manents et changeants de l'écono­mie, des croyances, des rapports sociaux, des relations entre les peuples. Ainsi devenu lui-même citoyen de ses mille rivages, le lec­teur participerait entièrement aux heurs et malheurs de Philippe II, à la crise qui opposa le Turc et l'Espagnol pour la maîtrise de la mer intérieure, au tragique destin des Juifs.

Cette fois, dans ce premier volume consacré~ à la vie matériel­le, écrit, illustre et présenté avec la minutie d'un livre d'heures, le lecteur entreprend la visite d'un prodigieux « musée imaginaire » : celui de la vie et de la mort au temps passé. Ses salles nous font connaître la nourriture de l'Europe ou celle du Japon, les techniques de l'Amérique précolombienne et de la Chine ; l'Orient est considéré non plus comme un cousin exoti­que de la « grande » civilisation occidentale, mais comme une part de notre monde en voie de trans­formation: premier et merveilleux tableau non européo-centrique de l'univers des hommes entre le xv" et le X"IUe siècle.

Avec l'étude de la monnaie, on comprend que la visite a un sens. Cette technique de l'échange pro-

gresse d'âge en âge, nouant d'in­compréhensibles rapports « où l'homme ne se reconnaît plus, ni lui, ni ses habitudes, ni ses valeurs anciennes : son travail devient une marchandise, et lui-même une « chose ». Certains essayent d'y échapper, « condamnés en sur­sis » ... La vie frappe autour d'eux, « à droite, à gauche, sans qu'ils sachent toujours d'où vient le coup. ( ... ) De l'Etat, en premier lieu, puis du prêteur, du gros marchand dont le filet se tend partout ».

De ces premières monnaies, voici l'inventaire. Simples marchan­dises dans les économies les plus rudimentaIres: ainsi les cubes de sel en Abyssinie, les wampuns des Indiens, les manilles africains, etc. auxquels on eût pu joindre les clous, chers aux habitants des mers du Sud dès qu'apparurent les flot­tilles d'Espagne et d'Angleterre. Et voici les monnaies proprement dites, celles qui sont dans l'enfance comme en Extrême-Orient: la Chine est plus primitive que l'Inde, « monétairement parlant », mais son système a cohérence et unité, car elle n'a pas la monnaie de tout le monde. Puis vient l'économie métallique de l'Europe, encore adolescente, chaque métal jouant son rôle, comme si chaque groupe social avait le sien, d'où la néces­sité d'une monnaie de compte.

Nous voilà parvenu au terme de l'ouvrage, avec les balbutiements du crédit dont F. Braudel décrit avec précision les premières pra­tiques et les instruments : le second tome en analysera le langage.

A ce livre, où ce 'sont les objets qui sont traités comme des événe­ments, et où l'événement est situé dans sa profondeur, il faudra le complément d'un autre livre où sera interrogée la volonté des hommes, et éga\ement leurs aspi­rations, croyances, façons de penser et de juger.

Marc Ferro

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HISTOIRB CONTEMPORAINE

Vercors La bataille du silence, souvenirs de minuit Presses de la Cité éd., 349 p.

Le cas de Vercors est singulier. Un bref récit suffit à lui donner jadis une notoriété exceptionnelle, que la suite a un peu démentie. Peut-être doit-on en chercher la cause dans une certaine « platitude d'écriture », que lui-même repro­che à l'un des auteurs des éditions de Minuit, et dans de fâcheuses métaphores dont on peut relever dans ce dernier livre quelques exemples: « Les premières me­sures de la rhapsodie où allait :s'engager ma vie, ont doucement battu... » Ou encore: « Sous la douce aisselle de la France grouil­lait donc, tout ce temps, une telle vermine ... »

Mais qu'est-ce, au fond, qu'un grand écrivain? Est-ce celui qui apporte une vision nouvelle du monde? Dans ce cas, je ne vois guère que Proust qui, pour le xx' siècle, réponde, en France, à cette définition. Ou bien est­ce celui qui touche directement un vaste public, parce que les cœurs se trouvent, au même moment, battre au même rythme? Et ce peut êtr.e Hugo, ou bien Romain Rolland, encore que pour celui-là les délicats fassent aussi la fine bouche.

Le Silence de la Mer qui rendit immédiatement célèbre, pendant les années d'occupation, le pseudo­nyme de Vercors, correspond assez à cette seconde définition. Il faut donc se reporter à ce temps-là. Ce n'est pas toujours facile pour ceux qui l'ont vécu et c'est encore bien plus difficile pour ceux qui ne l'ont pas connu. Dans la lourdeur, la torpeur, l'effroi, le dégoût, la mi­sère physique, morale, intellectuel­le de ces années-là, le Silence de la Mer fut pour nous comme une fenêtre qui s'ouvrait brusquement sur le large.

Alors que les écrivains collabo­raient avec l'occupant nazi, ou se taisaient - encore que certains prétendissent que l'on pouvait à la fois résister intellectuellement et publier des livres assez anodins pour passer à travers la censure allemande -, ce petit livre bien édi­té prouvait que l'on pouvait faire de la littérature « engagée » qui ne rappelât en rien la veine patrio­tarde et cocardière d'un Barrès, d'un René Benjamin ou d'un Dé­roulède, pendant la guerre de 1914. Ce récit évoquait un « bon » Alle­mand, qui découvre, à la fin, à quel point il avait été lui-même trompé, et jetait une lumière écla­tante sur les ,mensonges de la col­laboration dont tant d'écrivains, de Drieu à Montherlant, se faisaient les thuriféraires.

Le petit jeu deS devinettes lit­téraires alla son train. Qui était Vercors? Marcel Arland? Jean Schlumherger? Roger Martin du

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Sous l'occupation

Vercors

Gard ? Paulhan, non sans malice, affirmait que c'était Maurice Bedel.

En fait, Vercors était le pseudo­nyme du dessinateur Jean Bruller, fondateur, avec le romancier Pier­re de Lescur~, de ces éditions de Minuit, qui, en pleine guerre, réus­sirent à publier des textes de Cas­sou, Mauriac, ' Guéhenno, Eluard, Aragon et bien d'autres. Contre la lâcheté du Syndicat des Editeurs, qui avait signé avec « les autorités d'occupation » une convention de censure « par respect des droits du vainqueur », Pierre de Lescure, dans un manifeste, précisait le but de ces éditions clandestines: « La propagande n'est 'pas notre domai­ne, disait-il. Nous entendons pré­server notre vie intérieure et servir librement notre art. » C'était facile à dire, beaucoup moins à exécuter et la réussite en paraît, encore aujourd'hui, étonnante.

Dans ces Souvenirs de Minuit, Vercors nous retrace son eXpérien­ce d'écrivain et d'éditeur clandes­tin. Comme toutes les actions de résistance, c'est là un extraordi­naire roman policier. Tout était problème, a priori insoluble.

Comment se procurer du papier? des fonds? Où trouver un impri­meur courageux? Comment faire brocher les livres clandestins? Comment les diffuser? Comment trouver des textes?

Voici Georges Oudeville, impri­meur de faire-part, installé juste en face de l'hôpital allemand de la Pitié, qui ne suffit plus bientôt à la besogne, puis Aulard, qui, avec deux hommes sûrs, imprime

. le dimanche les textes clandèstins, puis un artisan linotypiste, Maurice Roulois. Une amie de Jean Brui-1er, Yvonne Paraf, s'initie au métier de brocheuse. Le transfert des livres, quand on n'a guère à sa disposition que de vieilles bicy­clettes, dont les pneus crèvent, est, chaque fois, une nouvelle aven­ture: il suffit d'un rendez-vous imprudent pour se faire prendre.

Vercors applique rigoureuse­ment les principes de prudence que Pierre de Lescure lui a im-

posés. Personne ne sait qui est Vercors, pas même sa femme, pas même sa mère. Et comme éditeur des éditions de Minuit, Jean Brul-1er n'apparaît que sous le nom de M. Desvignes. (Ce qui me permit de lui dire un jour sans ambage que je préférais de beaucoup le premier récit de Vercors au se­cond: la Marche à l'Etoile. M. Desvignes n'était pas du tout de cet avis ... )

Paulhan, Eluard transmettent des textes. Des libraires, Corti, S'cheler, osent les vendre. Quant à moi, je m'amusais à en faire « le dépôt légal » à la Bibliothèque Nationale, sans que M. Desvignes le sût, pas plus que l'administra­teur général, M. B. Fay:

On voudrait ne garder que l'exaltation et l'entente de ces jours sombres. Malheureusement, on s'aperçoit, d'après ces mémoires, que même lorsqu'ils collaborent à une tâche comme celle-là, les hommes restent semblables à ce qu'ils ont toujours été. Vercors ne nous laisse rien ignorer de ses griefs contre Pierre de Lescure, qui n'est plus là pour lui répondre. Aragon et sa femme n'abandon­nent rien de leurs susceptibilités de gens de lettres. Et j'en passe.

Peu importe. Les petits livres sortent à une cadence qui s'accé­lère. Et il semble que la Gestapo n'ait jamais su à qui s'en prendre. Aussi les Allemands inventèrent­ils de lancer des contre-éditions de 'Minuit, qu'ils voulaient faire dif­fuser par les messageries Hachette. Mais on réclama un ordre écrit que les Allemands furent bien en peine de donner.

Ces mémoires de Vercors sont remplis d'anecdotes, et donnent des renseignements précieux, non seulement sur les éditions de Mi­nuit, mais aussi sur la vie sous l'occupation. Ce n'est pas de l'his­toire, mais un document capital pour l'histoire, que les historiens de la résistance ne pourront négli­ger.

Edith 1'homa:s

Une génération perdue

Pierre Gascar Histoire de la Captivité des Français en Allemagne, 1939-1945. Gallimard éd., 316 p.

Nous étions riches de livres sur Vichy et l'occupation allemande en France. Des prisonniers, fragmentairement, avaient raconté leurs souvenirs. On avait évoqué la vie des Français pendant ces années noires et précisé le rôle des maquis, mais c'est la première fois qu'un écrivain traite en son ensemble le sujet à la fois terrible et honteux de la captivité d'un million et demi d'ho=es valides, sur· pris, désarmés et e=enés de force, le plus souvent après l'armistice - pre­mière des multiples violations faites par les Allemands à la Convention de Genève.

Cette histoire de la captivité des Fran­çais en Allemagne, Pierre Gascar l'a écrite en historien, en témoin, en roman­cier. Le premier exode vers l'Est, la claustration des stalags, la constitution des co=andos agricoles, l'isolement, le travail pénible et dangereux puis la dé­bâcle finale qui, repoussant vers l'inté­rieur les marches de l'Allemagne, décima le plus lourdement les rangs rompus des prisonniers, tous ces faits, l'auteur les a reconstitués â partir de documents nom­breux, officiels ou privés, émanant d'ar­chives et de sources souvent inédites.

Sans cesser de suivre fidèlement une chronologie étayée de chiffres et de faits localisés, il a voulu montrer le poids que représentait dans l'énorme machine de guerre allemande cette main-d'œuvre (dont le Reich avait supputé l'apport avant même que la guerre ne débutât) physi­quement affaiblie, travaillée par la pro­pagande de Vichy et soumise à la pres­sion des Nazis, contrainte enfin de rem­placer par son travail les ouvriers et les paysans allemands que la guerre mainte­nait aux frontières. Ces ho=es souvent au.sai mal nourris que les déportés politi· ques sans toujours échapper aux sévices mais rattachés à leur famille par les let­tres, les colis et les nouvelles qui filtraient du monde, que leur restait-il d'autre qu'une implacable obstination ancrée dans cette marge mouvante de liberté où cha­cun essayait d'assurer ses prises? Avec courage et lucidité, sans forcer les traits et prenant ses exemples parmi les repré­sentants les plus divers de cette masse aliénée, parfois humiliée mais jamais foncièrement consentante, Pierre Gascar dégage en sa vivante diversité un portrait du prisonnier français que trop de nos contemporains ignorent encore.

Ecartelé entre le confort (relatif) d'une vie presque régulière, le mirage d'une libération arrachée par la trahison ou la « Relève » et les aléas d'une éva­sion dangereuse, le « K.G. » français exalté à distance par les paroles lénifian­tes du maréchal Pétain devint ainsi, aux yeux de ceux-là mêmes que leur absence livrait à une plus grave misère, la mau­vaise conscience de la France. Ne pou­vant prendre les armes dans les maquis ou en Angleterre, trop « noyautés » pour désorganiser gravement de l'intérieur la force militaire allemande, absents d'un conflit dont malgré eux ils retardaient l'issue sans cesser d'être les victimes des bombardements alliés, les prisonniers as­surèrent la culpabilité d'un pays qui ne les accueillit - tardivement - qu'avec gêne ou agacement.

Tout au long de cet ouvrage de réfé­rence écrit d'un seul tenant et dont la continuité rend aussi sensible l'évolu­tion des geôliers et des détenus que la lâcheté croissante de Laval et l'incerti­tude des civils, Pierre Gascar pouvait-il oublier qu'il fut lui-même un de ces prisonniers récalcitrants plusieurs fois évadé et repris et dont l'expérience, trans­figurée par sa vision romanesque, devait se révéler dans le Temps de& Morts et le Fugitif? Un trait, une image, révoca­tion tremblante d'un souvenir personnel prennent ici en maintes pages valeur d'exemple. Les pouvoirs du romancier, son intuition s'ajoutent au savoir de l'bis­torien pour nourrir la vérité. Ce n'est pas seulement sa dignité que l'auteur resti­tue à cette génération sacrifiée: il lui donne un visage. Guy ROM"

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SOCIOLOGIE

André Gorz Le socialisme difficile Le Seuil éd., 244 p.

Une tentative d'explication des moyens à mettre en œuvre pour parvenir à « un dépassement du règne de la nécessité vers le règne de la liberté », telle est grosso modo le fond de ' l'entreprise d'André Gorz. Le socialisme difficile n'est ni laborieux ni ardu. Il est chaleu­reux, dans la mesure où il nous parle de nous-même affronté à tous pour faire surgir ensemble les chances de l'humain. Mais André Gorz se garde bien de tomber dans la propagande. Le titre même de l'ouvrage indique la difficulté du projet socialiste, et par contrecoup la difficulté d'être socialiste.

Les analyses de Gorz ne sont pas pour plaire à tous les profession­nels des partis historiques issus de la social-démocratie européenne, ou même de la tradition bolchévique.

Sans polémique, Gorz entend poser les questions présentes sans en évi­ter aucune, fût-elle brûlante. Mais le retard théorique du mouvement ouvrier des pays européens est trop prononcé depuis bientôt quarante ans pour que celui qui , s'essaie à reprendre les questions laissées en suspens, ou celles nées de l'expé-

La difBculté d'être socialiste rience récente, ne fasse pas figure d'hérétique dans le grand chorus d'autosatisfaction qui s'élève le plus souvent, des oppositions « socia­listes » de nos pays. Gorz passe outre, et en économiste averti et en théoricien politique compétent. Sur ces deux plans, il se montre anti-dogmatique tout en maintenant la rigueur de l'analyse et la fidé­lité aux objectifs permanents du socialisme.

EllÏgeance8 vivante.

C'est ce qui fait sa profonde originalité. Et puisque j'en suis à « démarquer » André Gorz, il me faut encore signaler deux aspects très forts de sa pensée. D'une part: une connaissance expérimentale des sociétés modernes qui a su s'assi­miler les analyses sociologiques des Américains Marcuse, Galbraith, Vance Packard ou Paul Baran, sans pourtant s'aveugler sur les conclusions réformistes ou défai-

tistes qu'elles véhiculent. Connais­sance qui conduit Gorz à une forme de passion, de rage contenue dans un style comme on n'en trouve plus aujourd'hui que chez Jeanson et Sartre.

Certains ne manqueront pas de déclarer « humaniste» la perspec­tive qu'il développe, tandis que

d'autres l'ont déjà anathémisée au nom de son prétendu utopisme. Le débat n'est pas vain, car il riS­que bien de devenir central. Gorz le définit lui-même tout au long de l'ouvrage en des termes qui ne peuvent prêter à confusion: rem­placer « les exigences inertes du capital » par les « exigences vi­vantes des hommes qui lui sont assujettis »; « une société qui astreint les individus à travailler comme des robots peut difficile­ment reconnaître l'importance ou seulement la possibilité de leur épanouissement humain » ; « la violence est la vérité d'une civili­sation qui a coupé le consomma­teur du producteur, le producteur du produit; qui a déraciné l'in­dividu de tout milieu de vie humain et naturel; qui a quantifié, c'est­à-dire réduit à des rapports d'ex­tériorité, le rapport (dans le travail) de l'homme à ses outils et à la nature, le rapport (dans l'habitat) de l'homme à son environnement,

et le rapport de l'homme à l'hom­me » ; « le communisme, dans la perspective où se plaçait Marx, devait être une praxis commune maîtresse aussi bien de son dérou­lement que de son produit com­mun, ' réalisée librement par l'as­sociation volontaire des individus sociaux »; ou encore = « le sens

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 juület 1967.

que l'histoire avait pour Marx -et qui est son seul sens possible: la reconquête des individus sur toutes les forces inhumaines que leur praxis engendre dans le mt­lieu de la rareté... »

Il ne s'agit pas, on le voit, d'ob­tenir « 10 % d'augmentation des salaires ou 50000 logements so­ciaux de plus ». Non que Gorz méprise ces revendications, mais il les croit incapal>les à la fois de mobiliser la classe ouvrière et de garantir isolément une hypothéti­que progression vers 'le socialisme. Telle est la toile de fond de l'ana­lyse qu'il entreprend, en partant des données actuelles des sociétés industrialisées, du rôle de la bour­geoisie et des institutions parle­mentaires, de l'état du mouvement ouvrier et de ses luttes. Sans igno­rer le moins du monde le problème des pays non développés, auxquels il consacre un chapitre qui, pour n'être pas exhaustif, n'en est pas

, moins éclairant. Gorz montre en effet que l'exploitation des oppri­més ne commence pas hors des grandes métropoles de l'opulence, mais bien dans ce qu'il nomme « le colonialisme du dedans » : le type actuel de développement américain ou français conduit au dépérisse­ment de régions entières. « Tout s'est passé comme si les « provin­ces » étaient des colonies de la mé­tropole parisienne souvent vouées à la mono-production ( ... ) en fonc­tion des spéculations financières des banques parisiennes... »

La rareté

Il éclaire celte colonisation des couches les plus pauvres par ces biens « non-essentiels » que sont la télévision, la voiture particulière, ou le frigidaire. « ... ce n'est pas seule­ment dans les pays se mi-développés mais aussi dans les pays hautement développés que l'expansion mono­poliste, au lieu de supprimer la rareté, la déplace et la reproduit à d'autres niveaux: la priorité aux biens de consommation « opulen­te », c'est, objectivement, des éco­les, des hôpitaux, des équipements agricoles, industriels, culturels en moins ; c'est la perpétuation de la crise du logement et des taudis; c'est l'insuffisance des ressources publiques pour lutter contre la pol­lution de l'air et de l'eau, pour créer des équipements collectifs nécessairement non rentables; c'est la nécessité de construire des auto­routes, des parkings, des voies urbaines de circulation rapide avant de créer des transports pu­blics et ferroviaires modernes, avant d'aménager les villes afin de les rendre habitables. »

Ces citations me semblent éclai­rer le fond de la pensée d'André Gorz. Pour lui, le socialisme n'est pas instauré lorsque la rareté a disparu des horizons quotidiens, individuels et collectifs. Il montre

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• La düBoulté d·être socialiste

que, à ce critère, ne répondent toujours pas les sociétés occiden­tales industriellement développées. A la lutte socialiste contre la rareté elles répondent par la cession du « maximum », sous forme de gad­gets ou de biens de consommation « opulents » «( de la brosse à dents électrique jusqu'au couteau à dé­couper la viande électriquement, de la machine individuelle à cirer les chaussures jusqu'à la robinet­terie en or ») tout en maintenant les hommes dans leur solitude, en les « molécularisant ». Ce que Gorz nomme « l'optimum », c'est-à-dire la possibilité collective de faire un monde où la rencontre d'autres praxis rende possible « la reprise de la nécessité en liberté », est moins que jamais possible.

Dès lors, l'analyse que tente Gorz des conditions historiques dans lesquelles s'est réalisé le socia­lisme, les problèmes rencontrés et les solutions apportées en U.R.S.S. et ailleurs pour les résoudre, vient confirmer ces remarques sur le socialisme. En étudiant les diffi­cultés et les contradictions actuel­les du modèle soviétique, il montre que la classe ouvrière au pouvoir ne remplit ses buts qu ·au-delà de certains seuils de production, qu'au­delà de la pénurie. Et il explique ainsi ce qui lui paraît fatal dans la phase stalinienne telle que l'a connue l'U.R.S.S. Non pour justi­fier le stalinisme, mais pour éclai­rer le moment précis où, de néces­sité conjoncturelle, il est devenu incapacité d'intégrer positivement « le moment de la contestation ». Pourquoi cette déviation, et com­ment a-t-elle pu se produire? A cette question André Gorz ne re­pond pas et on le regrettera.

L'abondanoe

On pourra chicaner Gorz sur tel ou tel détail, solliciter ici ou là une précision ou de plus amples développements. Mais, pour l'es­sentiel, on ne pourra pas lui contester d'avoir posé les problè­mes les plus graves de notre pré­sent, rigoureusement. Sans cher­cher à rassurer notre raison, notre cœur ou nos bras - « la famine et le refus de la famine demeurent la vérité de ce siècle et probable­ment du siècle à venir. La victoire sur la rareté, l'abondance, reste pour nous encore inconcevable » -il cherche, après Sartre quoique différemment, mais sans rien re­nier de la filiation, à « poser la question de la suppressibilité de l'inhumain dans l'histoire ». Anti­ciper sur la réponse à cette ques­tion sous couvert de « science » marxiste, ou la refuser en décrétant qu'elle relève de la spéculation idéaliste, « révèle un singulier manque de confiance dans le marxisme: la crainte que les dé­couvertes que l'on pourrait faire n'ébranlent nos convictions et la force de notre engagement. »

Nicolas Boulle

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MATBÉMATIQUBS

Les œuvres d'Euclide traduites littéralement d'après un manuscrit grec très ancien, resté inconnu jusqu'à nos jours, par F . Peyrard. Nouveau tirage augmenté d'une importante introduction par Jean Itard, membre correspondant de l'Académie Internationale d'Histoire des Sciences. Albert Blanchard éd., 650 p.

Il y a quelques années, c'était en décembre 1959, un colloque réunis­sait à Royaumont des pédagogues et des mathématiciens de divers pays. Un mathématicien français renommé, l'un des formateurs de l'équipe qui, depuis plus de trente ans, élabore le grand traité de Bourbaki, commença son exposé « Pour une conception nouvelle de l'enseignement des mathémati­ques )) (dans Mathématiques nou­velles, rapport édité par l'O.C.D.E., mai 1961), par ce cri de guerre: A bas Euclide ! M . Dieudonné, devenu depuis doyen de la Faculté des Sciences de Nice, a le goût des formules à l'emporte-pièce qui ont le mérite et l'inconvénient de héris­ser les interlocuteurs et parfois de les faire réfléchir. Cet « A bas Euclide ! » de Royaumont a fait le tour du petit monde des mathé­maticiens et des professeurs de ma­thématiques et il a été diversement entendu. Il fallait s'y attendre.

Pour beaucoup, il y avait là plus qu'une invective, un blasphème.

A bas Euclide ! Euclide est une valeur sûre, comme tous les philosophes grecs de l'Anti­quité. C'est d'ailleurs une opinion reçue : pour présenter au grand public du dimanche soir quelques idées sur la vie actuelle des mathé­matiques. Une récente émission té­lévisée portait le titre accrocheur « Euclide? connais pas ... » qui pré­tendait résumer l'opinion de l'hom­me de la rue.

Interrogez maintenant quelque mathématicien ou professeur de mathématiques de vos connaissan­ces : « Avez-vous lu Euclide ? » Réponse la plus probable : « J'ai lu dans des traités quel étàit le plan de l'exposé géométrique d'Euclide, je sais qu'il existe des traductions, mais j'ai autre chose à faire qu'à trier dans ces éditions « modernes )) ce qui est bien d'Euclide de ce qui est de ses commentateurs innom­brables ; et puis, tout le mo~de sait depuis les travaux de Hilbert au début du siècle que la construction euclidienne n'est pas exempte de failles logiques .. . »

Euolide avant Arohimède

Sur l'homme, il y a vraiment peu à dire. Les premiers portraits sont dus à des peintres de la Re­naissance qui eurent l'idée de faire figurer dans leurs compositions des personnages armés de compas ; la fidélité à l'original n'est pas assu­rée... Les témoignages écrits ne

sont pas plus sûrs. On s'est long­temps satisfait d'un commentaire de Proclus, philosophe néo-plato­nicien du v' siècle de notre ère, assurant qu'Euclide était antérieur à Archimède puisque celui-ci le citait. Mais, depuis, on n'a pas re­trouvé trace de cette citation. La comparaison des œuvres d'Euclide avec les conceptions mathématiques de Platon, d'Eudoxe et d'Aristote permet de le situer après ceux-ci et avant Apollonius qui, lui, ' sans aucun doute, le cite. Autrement dit Euclide serait une gloire du Ille

siècle avant notre ère, le siècle d'Archimède.

Mais pourquoi les ouvrages attribués à Euclide ne seraient-ils pas, comme aujourd'hui les Elé­ments de Mathématique de Bour­baki, l'œuvre collective d'un en­semble de savants voulant fixer l'état des connaissances de leur temps? Rien ne permet d'affirmer qu'Euclide ait · réellement vécu ; cependant il est certain qu'il a écrit un livre et même plusieurs. C'est cela seul qui nous importe aujour­d'hui.

L'ouvrage de référence est l'édi­tion des œuvres complètes en grec et en latin, par Heiberg et Menge, en huit volumes parus de 1883 à 1916, à Leipzig. Bien des traduc­tions françaises avaient paru aupa­ravant mais ces éditions avaient le plus souvent pour but de servir à l'enseignement et, par souci péda­gogique, le traducteur aménageait à sa façon le texte d'Euclide. Peyrard,

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Vive Euclide! qui fut bibliothécaire à l'Ecole Po­lytechnique puis professeur au 1 y c é e Bonaparte (actuellement Condorcet), fut peut-être l'un des premiers à comparer les diverses sources, en particulier il eut accès à un certain manuscrit 190 qui semble bien dater du IXC siècle, qui appartient à la Bibliothèque Vati­cane, et que les vicissitudes de l'Histoire avaient amené, pour le profit de P eyrard et pour le nôtre par conséquent, dans la Bibliothè­que alors Impériale puis Royale. Les trois volumes de l'édition tri­lingue (grec, latin, français) réa­lisée à partir de ce texte parurent en 1814, 1816 et 1818. C'est la réédition du texte français seul, de 1819, que l'éditeur Albert Blan­chard nous donne aujourd'hui, en reproduction photographique et avec une préface de Jean Itard qui retrace l'historique de ces éditions.

Pédagogie active

Ce gros volume de 628 pages contient les treize livres des Elé­ments, les quatre-vingt-quinze pro­positions des Données et les deux livres dits d'Hypsicle qui sont des travaux de disciples, dans la lignée de l'œuvre euclidienne, mais posté­rieurs d'un ou même plusieurs siècles. Faute de pouvoir nous reporter au texte grec, nous avons donc là un guide sûr. De plus, pour trois des livres élémentaires, les VII, VIII et IX, nous disposons de la traduction nouvelle et des commentaires de Jean Itard, Les Livres arithmétiques d'Euclide (Hermann, 1961, collection Histoi­re de la Pensée).

Car Euclide n'est pas que géo­mètre, il n'est pas seulement l'au­teur d'un fameux postulat sur les parallèles. Ce qui a fait sa juste gloire, c'est son remarquable effort d'ordonnancement et de rédaction (effort toujours poursuivi par les mathématiciens de tous les temps et de tous les pays) pour présenter l'ensemble de la construction ma­thématique sous forme cohérente et le plus simplement possible. Le pre­mier livre commence par l'énoncé de trente-cinq définitions, six « de­mandes » (que nous traduisons au­jourd'hui « postulats », le cinquiè­me étant le « fameux» rédigé ainsi qu'il suit : Si une droite, tombant sur deux droites, fait des angles intérieurs du même côté plus petits que deux droits, ces deux droites, prolongées à l'infini, se rencontrent du côté où les angles sont plus petits que deux droits.) Et enfin neuf « notions communes » (que nous dirions axiomes). On sait d'ailleurs que, depuis Hilbert (Grundlagen des Geometrie, Leip­zig, 1899), on classe toutes ces dé­finitions ou propriétés posées a priori sous le nom général d'axio­mes. Hilbert en distingue sept pour l'association des éléments, points, droites ou plans, cinq pour la dis­tribution, un pour les parallèles, six pour la congruence (ou la rela-

LES QYINZE LIVRES

DES ELEMENS

trie écrivait: « l'ai pensé que cette science [la géométrie], comme toutes les autres, devait s'être for­mée par degrés, que c'était vraisem­blablement quelque besoin qui avait fait faire les premiers pas, et que ces premiers pas ne pouvaient pas être hors de la portée des Commen­çans, puisque c'étaient des Commen­çans qui les avaient faits. » Il est curieux de constater que cet appel nOJ:i déguisé à une pédagogie active, à une juste recherche de la moti­vation des études ait mis des années à être entendu, qu'il soit peut-être plus populaire en Italie que de ce côté des Alpes. Mais Je problème pédagogique n'est plus dans le choix : ou bien ~ ou bien Clairaut.

GEOMETRIQ....l}ES

D'EU C L 1 D E. Traduits & commentez par D. HENRION

Mathematicien.

DERN lERE EDITIO .N.

. R~veuë & dt#gmenlée de pl.fieurs figurts J

0- 4U Livre des DON NEZ du même Auteur.

Une caricature TOME PREMIER~

A PAR 1 S,

C'~t là qu'il faut revenir au cri du professeur Dieudonné, « A bas Euclide ! J) Au nom du respect des traditions, on a fait entrer dans les habitudes un enseignement de la géométrie qui caricature Eucli­de : encore moins de rigueur (au nom des exigences de la pédagogie, et on a vu que les mathématiciens sont au contraire de plus en plus exigeants du côté de la rigueur), et pas plus d'intuition ni de m0ti­vation. Oui, je dis bien carÏcabue, car en se reportant au texte, - et la réédition de la traduction Peyrud est, de ce point de vue, fort oppor­tune -, on retrouve cette ériden­ce : en tenant également eampIe des idées de Clairaut (une appro-

Chez JE AN . D'H 0 u 1\ y , au bout du Pont-neuf, fur le ~y des Auguftins, à l'Image S. Jean.

M. DC, L X X VII.

che intuitive est indispensable) et

Une édition colI,mentée d'Euclide. Paris 1667. des conceptions mathématiques de notre temps (en particulier la no­tion de structure telle qu'elle se

tion d'égalité), un pour la conti­nuité (dit postulat d'Archimède).

Après quoi, Euclide déduit. La théorie s'élabore, de proposition en proposition, par des chaînes de démonstrations au cours desquelles, chacune de ces définitions, chacun de ces axiomes, interviendra au moins une fois et sans qu'aucun résultat ne vienne contredire ni aucun de ces axiomes, ni aucun des résultats obtenus. Depuis Euclide, les mathématiciens considèrent que tel est le modèle d'une présentation de leur science, non pas modèle à imiter servilement mais à surpasser car la rigueur des raisonnements est une fonction croissante du temps. Selon Peyrard, Lagrange disait que, depuis Euclide, la géo­métrie était une langue morte ; autrement dit, on ne pouvait rien ajouter ni rien dire de mieux. Dès cette époque, c'était une erreur; à plus forte raison, vers 1840, lors­que Lobatchevski construisait le premier modèle de géométrie non­euclidienne : en suivant les prin. cipes d'organisation d'Euclide mais en modifiant certains axiomes (en refusant seulement le fameux p0s­

tulat), aboutir à une géométrie tout aussi cohérente que la classique,

trouve exploitée dans Bourbaki), celle qui est toujours dite l'eucli- on ne suit pas la lettre d'Euclide, dienne. Quel plus bel hommage à mais on est fidèle, mieux que le Euclide que rappeler l'importance sage antique aurait jamais pu l'es­des géométries non-euclidiennes et pérer, à son idéal de cohérence et pour l'évolution de nos idées sur de simplicité_ Belle occasion de les fondements des mathématiques remettre à leur place ces bateleurs et pour l'élaboration des notions qui voudraient faire croire à l'exis­qui, un demi-siècle plus tard, se- tenee d'une mathématique moderne, ront indispensables aux physiciens pure invention d'esprits forts à la de la Relativité et des Quanta ! seule destination d'esprits de même

Pour revenir à Euclide, il faut nature, alors que la magnifique reconnaître l'aspect austère de sa vitalité de la recherche mathémati­construction. Celle d'Hilbert qui que a cette insigne vertu de poI1a' la perfectionne ne l'est pas moins. autant sur l'étendue de son domai­On admire, même si on peut criti- ne que sur la profondeur de ses quer, et on reconnaît que l'abord fondements, la vertu plus insigne des mathématiques n'est pas faei- encore de faire apparaître la simi­lité par une présentation de cette litude des démarches du mathéma­sorte. Qui, aujourd'hui, apprend la tieien-chercheur qui dégage une géométrie dans Euclide ? On pré- notion nouvelle et celles du jeune tend qu'il n'y a pas si longtemps, enfant qui dégage, lui aussi, mais c'était encore en récitant Euclide pour son propre compte, les con­(in english, perhaps in latin) qu'on a cepts que la pédagogie tradition­apprenait la géométrie à Eton: nelle voulait, bien à tort, lui impo­les écoles de l'aristocratie anglaise ser tout faits. se devaient d'être pédagogiquement fi y a donc une actualité d'Eu­rétrogrades. Ces Messieurs de Port- c:lide, du vrai, du grand ~. Royal eux-mêmes, qui n'étaient ·n n'y a pas meilleuœ façon de pourtant pas des amuseurs, reeher- m.ettre son ŒlRft en ~ «pie chèrent une meilleure approche. d'adapter l'f'!I1W!Ïgnemeul des ma­Plus tard, en 1741, Clairaut, rami thématiques aux amcJitions de de la marquise du Châtelet, daas DOIre taDps_ la préface à ses Elémens de GéoJaé.-

La Quinzaine littéraire, 1" GU 15 juillet 1967. 25

Page 26: La Quinzaine littéraire n°31

une révolution technique

• au service de la réforme de l'enseignement

26

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: CAEN • • • • • • • • • • En accueillant pour une semaine la • Living Theatre Company qui fait de • l'agression du public une condition • de son art, Jo Tréhard a pris une • décision dangereuse. Ii appartenait au • colloque d'empêcher que ce choix • passât inaperçu et d'en expliCiter le • sens. • A cette double volonté correspon-• dent l'organisation du colloque qui,

sur de brefs exposés, ouvre largement • la discussion à un public venu de • tous les coins de France, et le sujet • qu'il s'est assigné. Pour Jo Tréhard • et pour tous les animateurs d'aujour-• d'hui qui ne veulent pas être des • remueurs de poussière, le moment est • venu de s'interroger. Le théâtre dans • sa forme actuelle est-il un art en voie • de disparition? Les expériences de • Jersy Grotowski, de Peter Brook, de • Jorge Lavelli, du Living Theatre ou du

happening, en faisant naître entre • spectacle et spectateurs une relation • violente, sont-elles de nature à faire • basculer dans l'inauthentique et l 'ac-• cessoire tout le théâtre qui est ac-• tuellement pratiqué sur nos scènes? • Pour André Gintzburger, elles ne fe-• raient que donner le coup de pouce • qui réduirait en cendres un squelette. • Si le théâtre de boulevard a vécu, • celui qui est né du mouvement de • . contestation des années 50 n'est pas, • selon lui, plus vivant. Ii parle de la • première tournée de En attendant

Godot, où le publiC répondait à • l'agression en sifflant ou en quittant • la salle. Actuellement, cette forme de • théâtre qui se prolonge jusqu'à nous • par ses enfants terribles (Gintzburger • cite Dubillard et Arrabal) ne propose • plus qu'un jeu où les bourgeois trou-• vent les satisfactions intellectuelles • qu'ils en attendent. Quant au théâtre • populaire (Gilles Sandier dira le théâ-• tre critique), loin de favoriser la prise • de conscience, il est devenu le théâ-• tre de la conscience assoupie. Ne prê-• chant que des convaincus, il est mi-

roir enjolivant où un prolétariat em-• bourgeoisé vient se voir dans les • actes et attitudes qu'il n'est plus • capable, par sa vie, de faire siens. • Antoine Vitez, qui dirige les débats • avec une fermeté souriante, voudrait • qu'on ne s'en tînt pas à un bilan • négatif. L'important, pour lui, c'est de • repérer ce qui est en train de naître • sous les ruines, le nouveau ne rem-• plaçant jamais exactement l'ancien, • mais se faisant jour à côté. A cette • demande répond l'exposé de Bernard

Dort. Pour lui, si tout un pan de la • littérature dramatique est aujourd'hui • en ruine, une dramaturgie reste pos-• sible, qui, renonçant au principe d'au-• torité, proposerait seulement une pro-• pédeutique. A côté du travail sur les • classiques et des adaptations de plè-• ces anciennes, des œuvres comme • celles de John Arden, mais plus en-• core du Peter Weiss de L'Instruction, • ou de Gatti, laissent au public une • marge réflexive assez grande pour • qu'il découvre le monde projeté de-

vant lui et garde vis-à-vis de lui sa • liberté. Dort rejoint Gilles Sandier en • plaçant très haut l'œuvre de Genet. • Non qu'il attache autant de prix à ce • qui, en Genet, est scandaleux à tra-• vers son homosexualité et a le pou-• voir de faire voler en éclats l'état • moral de la société (G. Sandier) : • Genet fait de - la découverte de la • fausseté de nos idéologies une re-• cherche en commun, et ceci, dans un • théâtre actuel, est inappréciable. • L'exposé de Dort rencontre dans le • public une certaine résistance. Parce • qu'il s'est fait, depuis des années, le • défenseur d'un art qui permet l'exer-

cice de la réflexion sur le temps • vécu, on se hâte de le dire fermé • à toute autre forme de théâtre. Or, • dit Robert Abirached, s'il est évident • que l'homme est raison, nous savons • tous depuiS Freud et le surréa-• lisme, qu'il déborde de loin son être • raisonnable. Le théâtre, dit Jean Du-• vignaud, est le moyen que l'homme • a inventé pour découvrir en lui des _ possibilités inconnues de lui-même et

Colloque sur le théâtre

établir une communication à un ni­veau que la conscience ne contrôle pas. A une époque où il en vient à ne plus participer à sa propre vie (J.-J. Lebel), le théâtre, qu'il soit de provocation ou la redécouverte d'une spontanéité créatrice, est le seul moyen qu'ait l'individu mécanisé de récupérer son être d'homme. Dans la société actuelle, l 'opposition ne serait plus entre ouvriers et bourgeois, mais entre Jeunes et vieux. Un monde a été construit où les jeunes n'ont pas de place. Or, cette contradiction, le théâtre actuel est incapable d'en ren­dre compte. Duvignaud l'explique par le vocapulaire même du théâtre, qui, poli et nuancé au XVIII' et au XIX' siè­cle pour exprimer des relations alors vivaces, est devenu une langue sans contenu. Faut-il donc en finir avec la dictature sur nos scènes de l'auteur dramatique et substituer à un théâtre fait de mots • un théâtre phYSique qui s'adresse au corps par le corps. ?

Quand Robert Abirached, tout en admettant que c'est là une voie ri­che, féconde en surprises, s'inquiète de la médiocrité des imitateurs qui, derrière les créateurs, encombreront

les salles, et quand Emile Copfermann refuse de se laisser entraîner jusqu'à ces formes extrêmes qui, par le Jeu, cherchent une libération à caractère sexuel (. On- est forcé d'introduire des simulacres, dit-II, si bien qu'on ne peut rien atteindre de profond .) ils ne parviennent pas à projeter dans le futur autre chose que ces struc­tures mêmes à l'intérieur desquelles, fossilisé, le théâtre serait en train de mourir.

La présence au colloque de Judith Malina et de ' Peter Brook, de Julian Beck et de Jorge Lave Il 1 prouve que la volonté de renouvellement est par­tout. Quand Julian Beck dit : • La réalité, je ne sais pas ce que c'est " il proteste contre les écrans qui n'ont pas cessé de se glisser entre l'inves­tigation créatrice et la vie. Apprendre la réalité, savoir la trouver aussi bien dans ùn univers magique que dans la contestation sociale, c'est le seul moyen pour que le théâtre, débar­rassé de ce qui l'étouffe, retrouve 888

, \traies raolnes. Dominique Nores

Page 27: La Quinzaine littéraire n°31

Frankenstein Sur scène, il y a seize acteurs

assis dans la position du lotus, par­faitement calmes et silencieux. En prenant place dans leurs fauteuils les spectateurs sont immédiatement confrontés par un non-spectacle pendant une vingtaine de minutes. Ils regardent méditer seize person­nes.Soudain, cell~ qui devait « léviter » se lève, est prise dans un filet, est brutalement enfermée dans un cercueil et la procession s'avance lentement dans la salle. Les arrestations commencent. La chasse à l'homme, la ratonnade, le quadrillage. On « nettoie » la salle et, un à un jusqu'au dernier, cha-

de mort, un monstre anthropomor­phe, le surhomme, le Maître du monde. Le monstre, en ouvrant les yeux, s'explique.

C'est le monologue tiré du livre de Mary Shelley, poème effarant et convulsif dénonçant à travers soit la monstruosité de l'ordre so­cial et la nature criminelle du pouvoir. Quelques mythes grecs réduits en vignettes sont joués en contrepoint de la « réalité » jour­nalistique : on nous dit que les blindés israéliens foncent vers Suez, on nous raconte le fameux coup de téléphone intercepté entre Hussein

Deux photos de Frankenstein, à Caen, par le Living Th"Oler.

que participant est supplicié qui sous une guillotine, qui sur un pal, qui par la hache, qui par pendai­son, qui par le garrot, qui par la chambre à gaz, qui par la chaise électrique. De chaque cadavre le docteur Victor Frankenstein, « qui est à la tête de cette entreprise gouvernementale », tire un élément à transplanter.

Le cerveau, la glande pinéale, l'œil, le sexe, l'impulsion électri­que ainsi recueillis entreront dans la composition de la créature qui, à la fin de la pièce, se dressera triomphalement. Ce n'est pas du savon qu'il fabrique mais un engin

et Nasser, on nomme le dernier vil­lage vietnamien détruit par les soldats du Christ. Résurrection du monstre. « Allo. Ici Contrôle Cen­tral. Nettoyez la zone B. Nettoyez la zone B. Brigade d'anéantissement 29 avancez vers le point R. Allo. Ici le Contrôle Central ». Frankens­tein domine le monde.

Quand le rideau tombe sur ce premier tiers de la pièce, un soupir de soulagement échappe de plus d'une poitrine. Applaudir ? Hur­ler ? Frapper ? Prendre les armes ? Rire ? Cet « hallucinodrame » écrit, mis en scène, transformé chaque soir collectivement par la troupe du Living Theatre dérange

La Quinzaine littéraire, rr au 15 juület 1967.

à tel point la relation théâtrale conventionnelle que le spectateur, à moins d'être irrémédiablement coinc~ dans des a priori négatifs, est obligé de se reconsidérer, de se mettre en jeu. Vidé, défait, atta­qué comme quelqu'un à qui l'on empêche de passer « une bonne soirée » et à qui on refuse les conforts du théâtre de boulevard de droite ou de gauche, le specta­teur devient non un acteur mais un témoin à charge, un enquêteur. On ne lui raconte pas une histoire - cette pièce ne comporte pas d'intrigue - mais une suite de réalités qui se télescopent et se

déchirent, tel un collage en train de se faire. Chacun y voit ce qu'il est capable de voir, chacun y pro­jette ses obsessions, ses gouffres, ses lâchetés, ses fragments de solu­tions. Frankenstein est sans doute la premlere œuvre dramatique importante issue du nouvel état d'esprit et de la subversion psycho­politique que l'usage rituel de substances hallucinogènes a fait inaître. Plusieurs spectateurs du Festival de Cassis, où Frankens­tein fut créé l'été dernier, m'ont dit y avoir vécu pour la première fois au théâtre l'effondrement, l'au­todestruction de cette civilisation. A Caen - le Living vient d'y

être invité par Jo Tréhard, dans la Maison de la Culture qu'il ani­me - il y avait de jeunes étudiants pour y percevoir le dévoilement de l'Etat : le principe d'autorité. Bien entendu, il y avait aussi quel­ques détracteurs professionnels pour n'y voir qu'un dérisoire spec­tacle animé par une horde margi- . nale, sans Raison, sans Réalité, sans Contenu... mais ne perdons pas de temps avec les fonctionnai­res au service de l'inintelligence. Partout où elle a été jouée, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie, cette pièce-holocauste a mis le feu aux poudres. Déjà, en France elle

est plagiée. On en retrouve des morceaux chez Béjart et dans ce triste Opéra Noir, anti-raciste mais nul, d'Aubervilliers. Alors ? Qu'at­tend-t-on pour inviter le Living à Paris dans un lieu où puisse se monter et Frankenstein et l'Anti­gone que Judith Malina a réinven­tée d'après Sophocle, Holderlin et Brecht ? Seule communauté fondée sur des principes libertaires, seule compagnie qui ait jusqu'ici su construire une œuvre collective, le Living Theatre est un des seuls

. espoirs que le théâtre ait de survivre à sa propre industrialisation, à sa propre mort.

Jean-Jacque!J Lebel

27

Page 28: La Quinzaine littéraire n°31

Bilan de Juin

LES LIB,RAIRES ONT VENDU

1. Joseph Kessel Les cavaliers 2 2. Lévy et Tillard 3. Gilles Perrault

La grande rafle du Vel'd'Hiv L'orchestre rouge

4. Lucien Bodard 5. Norman Mailer 6. André Chamson 7. E. Guinsbourg

L'aventure Un rêve américain La Superbe Le vertige

7 9

1 2

8. W. Manchester 9. Armand Lanoux

10. Dominique St Alban

Mort d'un président Maupassant, le • bel ami » Noële aux quatre vents

LES CRITIQUES ONT PARLÉ DE

1. Georges Perec Un homme qui dort* Denoël Grasset Mercure Grasset

2. François Mauriac Mémoires politiques 3. Eugène Ionesco Journal en miettes 4. Jean Freustié Les collines de ,l'Est 5. Nino Frank Mémoire brisée 6. Robert Sabatier Dictionnaire de la Mort

Cal mann-Lévy Albin Michel Gallimard Fayard Laffont Gallimard

7. Jorge-Luis Borges L'Aleph 8. Armand Lanoux Maupassant le • bel-ami .* 9. W. Manchester Mort d'un Président

10. P. de Mandiargues La Marge*

• Deuxième mols de présence sur la liste.

•••••••••••••••••••••••••••••••••••

ROGER BESUS

LA COULEUR DU GRIS

roman

" L'action est ramassée, comme dans la tragédie classique" P.H . SIMON (Le Monde). " C'est un roman qu i nous porte en avant, qui nous éléve" Ph ilippe SENART (Combat).

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ATOME

Bertrand Goldschmitt Les Rivalités atomiques 1939-1966 Fayard, éd. 340 p.

Bertrand Goldschmitt, chercheur et administrateur au CEA, a tra­vaillé pendant la guerre d'assez près avec les Anglo-Saxons pour avoir vu s'édifier le monopole amé­ricain sur l'atome. Jusqu'en mars 1939, la physique nucléaire n'était qu'objet de recherches fondamen­tales, mais la découverte de neu­trons secondaires dans la fission de l'atome d'uranium par l'équipe de J oliot au Collège de France mar­quait le début de la mutation du théorique au technique.

Prévenu par Einstein des possi­bilités d'applications militaires à la veille de la guerre en Europe, Roosevelt s'y engagea à fond aux côtés des Anglais en octobre 1941. La puissance effective et virtuelle de l'équipement américain, bien servi par les chercheurs nationaux et réfugiés, déséquilibrait la parité initiale entre Anglo-Saxons : Roose­velt décidait fin 1942 de mettre fin aux échanges d'information « étant donné que le gouvernement anglais n'était pas en mesure de produire plutonium ou uranium 235 ». Si Churchill, appuyé par Hopkins, put le faire revenir sur sa décision au bout de six mois, Niels Bohr ne réussit qu'à se rendre suspect en proposant en 1944 de mettre les Russes au courant. De Gaulle ne fut prévenu qu'à l'insu des Anglo­Saxons, par un des chercheurs fran­çais de l'équipe anglo-canadienne, lors de son voyage à Ottawa en juil­let 1944. Bertrand Goldschmitt re­grette que Joliot ait laissé à Halhan et Kowarski le soin d'apporter à Londres le stock mondial d'eau lourde en juin 1940, mais on peut douter que son prestige, mis au ser­vice de la France lihre,ait suffi

L'atome ne se partage pas

à balancer l'antigaullisme de Roo­sevelt et à faire participer la Fran­ce -aux accords entre Anglo-Saxons.

Faute de chercheurs, en partie émigrés, d'accélérateurs de parti­cules assez puissants pour les re­cherches théoriques et d'un bon choix parmi les approches possibles de l'arme, l'Allemagne était loin de la réalisation d'une bombe. . Les chercheurs alliés l'ignoraient et la crainte d'être devancés annihilait leurs scrupules devant l'emploi d'une arme assez terrifiante pour hâter la fin de la guerre, mais pas plus meurtrière qu'un bombarde­ment massif au phosphore, comme à Dresde ou à Tokyo.

La fin de la guerre aboutit para­doxalement à un renforcement du secret américain, étendu même aux Anglais, pour les nouvelles recher­ches, mais la bombe russe mettant fin au monopolè militaire améri­cain enlevait à cette politique du secret sa raison d'être : le CEA, perturbé assez vite par le climat de guerre froide et les passions qui évincèrent J oliot et menacèrent Francis Perrin, devait, en publiant devant l'agence internationale de l'Energie atomique son procédé d'extraction du plutonium dès les premières séances de 1955, contri­buer à faire adopter par les Etats­Unis une politique d'aide contrô­lée, qui plaçait en fait les nouveaux venus à l'atome pacifique sous le contrôle des puissances militaires .

Les questions atomiques jouent un rôle croissant dans la politique générale : les ajustements deman­dés par Pierre Mendès-France aux clauses nucléaires du traité de CED, rejetés à Bruxelles, l'ont conduit à projeter l'étude secrète d'armes et de sous-marins atomiques. Guy Mollet, d'abord favorable à un Eu­ratom exclusivement pacifique, a pris, après Suez, la décision de cons­truire la bombe. L'accord de Nas­sau a rejeté une première fois la Grande-Bretagne du Marché com­mun. La crise de Cuba aboutit au traité de Moscou, plus psychologi­que que technique, puisque la faci­lité de réalisation de la bombe fran­çaise peut faire croire qu'un pays à haut niveau technologique, Allema­gne, Suède ou Japon, pourrait ne pas avoir besoin d'expérimenter ses armes éventuelles.

Construite en habile plaidoyer pour un armement atomique fran­çais, cette histoire de la politique atomique internationale ne néglige pas les rivalités commerciales, pour le contrôle des matières fissiles ou la vente des centrales nucléaires, et les grandes vues prospectives sur le dessalement nucléaire des mers pour résoudre le problème de l'eau douce. Quelle que soit la position du lecteur à l'égard de l'option de l'auteur, il est difficile de négliger ce livre dont la richesse de docu­mentation - plus faible toutefois pour l'URSS et la Chine - permet de comprendre un des conditionne­ments fondamentaux de la pOliti­que mondiale contemporaine.

Guy Bocque.

Page 29: La Quinzaine littéraire n°31

POLICIERS

. Crocodile, mon joli

James Hadley Chase Eh bien, ma jolie Plon édit. 253 p.

Jean-Pierre Alem Un crocodile dans l'escalier Presses de la Cité éd. 183 p.

Auteur d~ quelque soixante ro­mans dont l'inoubliable Eva, An­glais d'origine et fier de l'être, grand admirateur de la France où il passe d'une maison d'édition à une autrel avec la désinvolture d'une star à qui l'on ne peut rien refuser, voilà James Hadley Chase, le roi des techniciens du roman p0-licier.

Eh bien ma jolie est son dernier livre. N'y cherchez pas une intri­gue extraordinaire ou un héros fra-

1

lames Hadley Chase

cassant. Le principal héros, ICI,

c'est l'argent. Il faut dire qu'il s'agit d'une somme fabuleuse: deux Inil­lions et demi de dollars. Des hom­mes peuvent tuer pour beaucoup moins que cela. Et les cadavres ne manqueront pas dans ce roman noir où vous retrouverez les personnages les plus caractéristiques de la lît­térature « chasienne» : le chef de bande souffreteux dont « le regard de serpent» paralyse les plus auda­cieux, le tueur professionnel et sa­dique, le pauvre type épris d'hon­nêteté, mais envoûté par la gar­ce, « belle à vous couper le souffle » et aussi frigide que cupi­de : « Pendant qu'il haletait elle regarda le plafond, s'ennuyant à crier. Après son départ, elle resta un long moment à caresser l'ar­gent. »

Le décor joue ici un rôle impor­tant : il est lui aussi typiquement « chasien» : une station balnéai­re, en Floride, où le luxe extrava­gant côtoie la misère sordide. Pla­cez au centre de cette ville, appe­lée Paradise-City, un énorme casino où viennent jouer les hommes les plus riches du monde, et observez alors avec quelle habileté le grand chef Chase va se servir de ses per­sonnages et ·de son décor pour don­ner une dimension nouvelle au thè­me le plus éculé de la littérature policière : un hold-up.

Quatre hommes peuvent-ils réa­liser ce tour de force : cambrioler la chambre forte d'un casino muni de systèmes d'alarme à toute épreu­ve et surveillé par vingt-cinq gar­des armés ? Chase ne se contente pas de trouver à ce problème une solution astucieuse ; ce qui l'in­téresse c'est de nous faire assister à la genèse de l'entreprise criminel­le. Pas à pas, nous allons suivre les quatre gangsters dans leur pa­tiente préparation du hold-up. Au­cun de leurs gestes, aucun de leurs espoirs, aucun de leurs doutes ne nous sera épargné.

Nous voilà donc aux antipodes du traditionnel roman policier où seul l'auteur connaît parfaitement ses personnages et les données du problème. Dans le domaine du sus­pense, la technique de Chase est la même que celle du cinéaste Al­fred Hitchcock : il nous informe si minutieusement, · il nous met si généreusement « dans le bain» que nous avons peu à peu la sensation de participer réellement à la répé­tition d'un hold-up; d'être, en quel­que sorte, les complic~_ des quatre gangsters. Et quand enfin l'action se déclenche, nous sommes si par­faitement conditionnés que nous tremblons avec les criminels jus­qu'à la dernière page.

Avec Un crocodile dans l'escalier il nous serait diffieile de trembler, même lorsque l'auteur, Jean-Pierre Alem, nous présente le cadavre d'un homme horriblement déchiqueté. Il est vrai que son propos est bien dif­férent de celui de Chase. Négligeant toute performance technique, se laissant guider par sa seule fantai­sie et glissant joyeusement sur les invraisemblances de son récit, il cherche à ·reconstituer, dans un ca­dre français, le bon vieux roman anglo-saxon. Et sa réussite est d'au­tant plus surprenante que l'action du livre se déroule dans la ville la moins propice à cette sorte de ga­geure : Marseille.

C'est là qu'un ancien officier de marine va être tué et à demi dévo­ré, dans son lit, par un crocodile. Après être entré mystérieusement dans la chambre de la victime, cet insolite « tueur à gages » ira digé­rer celle-ci dans l'escalier de l'im­meuble. Jean-Pierre Alem, on le voit, ne recule devant aucune dif­ficulté. Un éminent professeur de Faculté et un jeune ingénieur agro­nome résoudront d'ailleurs sans sourciller l'énigme du Crocodile dans l'escalier.

En attribuant à ce livre farfelu et charmant le Grand Prix de Lit­térature Policière 1967, le jury a sans doute voulu récompenser deux qualités que l'on trouve de plus en plus rarement dans le roman poli­cier français : un style brillant et un humour dénué de toute vulgarité.

Noëlle Loriot

1. Après avoir été pendant plusieurs an· nées l'auteur vedette de la Série Noire, Chase s'est installé chez Plon, qu'il quit­tera· prochainement pour retourner chez Gallimard.

La Quinzaine littéraire, 1"' au 15 juillet 1967.

QUINZE JOURS

M'sieur Topor

M'sieur Topor, je savais qu'il dessine, pas qu'il écrit, or il écrit, et des histoires tout ce qu'il y a de noir. Les amateurs de ·réalisme abject, j'en suis, seront comblés. Il y a tin homme, dans la première de ses fables, qui a faim, qui est avec d'autres hommes, qui ont faim, qui ont envie de manger l'une de ses jambes, ça va de soi, or cet homme, s'il est bon (physi­quement) ne l'est pas (morale­ment), et tandis que, la nuit ve­nue, ses camarades-convives sont endormis, il se mange lui-même, en d?uce, histoire de ne pas se partager. On voit le genre (et qui surprend, sous la couverture can­dide et l'idéogramme supérieure­ment sophistiqué qui distinguent, entre toutes, les super-productions Christian Bourgoisl ). Moi, un tel homme, je l'aurais nommé tout de suite l'Antéchrist, car le Christ, quoique ipséophage, se partage. Mais lui, M'sieur Topor, il dévie jamais dans les symboles. Il s'en tient au fait nu, véridique, prouvé. Je dirai même que souvent, cette mariière séche, brutale, quelque peu primitive qu'il a de constater, em­pêche ses récits de stimuler en nous cette disposition obscure et palpitante, mais profondément en­fouie et que la poésie seule peut atteindre : le sentiment de l'Hor­reur.

Ce sentiment, auquel, au lapsus près, Calderon consacra une célèbre tragédie, Topor l'excite en nous, et violemment, par ses dessins. Je veux en décrire un. Imaginons un cabriolet décapotable, en forme de schprumm décapoté c'est évident, au volant duquel est une femme. C'est l'automne, ou l'hiver, ou les frimas. La campagne est froide et désertique. La nuit tombe. Des nuages lourds couvrent le ciel. Le cabriolet est arrêté. La femme est cramponnée au volant. Ses cheveux sont défaits. Ses yeux se fixent avec horreur sur quelque chose, qui bouge, à l'avant de la voiture. Sa

bouche n'a. pas crié, encore, mais, à la crispation de la lèvre supé­rieure, on sent qu'un cri tragique va partir. A l'avant du cabriolet se trouve en effet un demi-homme, nu de la taille aux pieds, que nous voyons de dos, et dont on pourrait dire, à sa pose, qu'il s'escrime à l'intérieur du capot ou de. la fem­me, . s'il ne se confondait précisé­ment, à partir de la taille, avec le cabriolet lui-même. Centaure mé­canique, il est assurément tendu vers la cliente ! Il produit son effort en direction des culbuteurs ! Des nervures saillantes, telles qu'on les vit, durant les années 30, sur le capot des Bugatti grand-sport, et telles qu'on les voit, depuis Adam, sur le torse de tout athlète en extension, traduisent son effort obstiné, fanatique et obscur. On comprend que la conductrice crève de frousse. Elle perd les pédales ! Elle va lâcher la direction ! Elle ne peut plus se fier aux apparences ! Les femmes ont horreur des gara­gistes.

L'horreur, c'est quand l'impos­sible est arrivé. L'arrivée de l'Ef­frayant possible produit la peur_ L'arrivée de l'Effrayant impossi­ble produit l'horreur. L'horreur suppose une rupture entre ce qui pouvait être imaginé et ce qui est arrIve réellement, qui dépasse l'imagination. Il n'est donc pas exagéré de dire que l'imagination de Topor dépasse l'inIagination. Et de Topor lui-même (que cer­tains, vainement, s'efforcent de confondre avec la masse médiocre de nos « dessinateurs humoristi­ques ») qu'il est l'honneur, sinon l'horreur, du dessin fantastique, en France. Ses dessins sont à voir abso­lumentl. Aux dernières nouvelles, l'univers inimaginable qu'il dépeint aurait d'ailleurs été identifié: c'est l'univers du rêve_

Pierre Bourgeade

1. Four TOSe!! for ~. !. A la Pochade, 157 bd St-Germain. Paris.

Page 30: La Quinzaine littéraire n°31

TOUS LES LIVRES

aO"AXS "RANÇAIS

Christine Arnothy Jouer à l'été Julliard, 224 p., 15 F L'appât du gain et la ~ntation du meurtre.

Jean-Louis Baudry Personnes Le Seuil, 191 p., 15 F Les fonctions imaginaires de tout sujet du langage.

Michel Bernard Brouage L'Age d'Homme Lausanne, 83 p. Brouage, vil!.e enlisée, telle qu'elle éte' au XVII' siècle.

Guy des Cars De toutes les couleurs Flammarion, 448 p., 16 F La jungle des fabricants de faux tableaux.

Claudine Cho~z Ils furent rois tout un matin A. Michel, 192 p., 9,60 F Les amours ingénues d'un marin et d'une petite fille.

Simone Conduché Mini·mère et

" mmd·mômes Denoël, 192 p., 12,35 F Age ingrat .gt parents désemparés.

Daniel Gray Le poids des chaines Casterman 264 p., 13,50 F Amour, violence et Jnvoûtement en Colombie.

R.gné Hardy La route des cygnes R. Laffont, 437 p., 20,10 F La découverte de l'Amérique par les Vikings.

Pierre Humbourg Adieu aux navires A fond de cale L'aventure est au bout du quai. Denoël, 248 p., 18,50 F La poésie des longs·courriers à voile ou à vapeur.

Annie Leclerc Le pont du Nord Gallimard, 244 p., 12 F Une jeune fille découvr09 la mort, le bonheur et l'amour.

Hubert Monteilhet Le cupidiable Denoël, 344 p., 14,40 F Un divertissement philosophique et moral.

30

J. Pelleti043r Doisy Le domaine de Hautefrâgne Julliard, 224 p., 15 F Les amours et les déceptions d'une chatelaine.

Olivier Perr-elet Les petites filles criminelles Préface d'A. Pieyre de Mandiargues Mercure de France, 184 p., 10,80 F Voir le n· 30 de la Quinzaine.

Michel Rachline Les mystes P.J. Oswald, 155 p., 15,90 F Mystère et " fascination de la mort.

Jean-Claude Riqueur La circonférence Mercure de France, 72 p., 5,40 F Le mythe poétique de l'inceste.

Daniel Zehnacker Les satisfactions intérieures D'Halluin & C· éd. 222 p., Rêve éveillé et magie.

ROMANS ÉTRANGERS

Noël Behn Une lettre pour le Kremlin trad. de l'anglais par M. Duhamel Gallimard, 328 p., 13 F Un roman d'espionnage insolite et démesuré.

Algernon Blackwood Migrations trad. de l'anglais par Jacques Parsons Denoël, 240 p., 6,15 F Nouvelles fantastiques ou insolites.

James Jones La mer à boire trad. de l'américain par F.M. Roucayrol Stock, 624 p., 32 F Retour aux souross de la vie terrestre.

Otto Heinrich Kühner Le mercredi des cendres trad. de l'allemand par Denise van Moppès A. Michel, 272 p., 15,42 F La jeunesse féminine dans l'Allemagne de l'après-guerre.

Gunnar Mattsson La princesse Adapté du suédois par K.E. Sjôden et F.J. Roy Julliard, 224 p., 15 F Une f-emme, atteinte du cancer, guérit grâce à l'amour de son mari.

Ouvrages publiés entre le 15 et le 20 juin

T. Lobsang Rampa La caverne des anciens trad. de l'anglais par C. Grégoire A. Michel, 256 p., 15.42 F Dans les grandes lamaseries du Tibet.

Alan Sillitœ La fille du chiffonnier trad. de l'anglais par Guy et Gérard Durand Seuil, 200 p., 15 F par l'auteur de " Samedi soir, dimanche matin. et de " La solitude du coureur de fond •.

Magda Szabo La ballade de la vierge trad. du hongrois par T. Tardos et H. Fougerousse Seuil, 267 p., 18 F Mythes légendaires et paysages actuels de la Hongrie.

E. Torrigiani Environs de ,L. Mercure de France 216 p., 13,35 F Voir notre numéro p. 5.

Ernst Wiechert Le capitaine de Capharnaüm trad. de l'allemand par Edwige Delcour. Calmann-Lévy , 360 p., 18 F Soif de justice, amour de la terM, forces maléfiques.

Atlantar Printemps quand même Regain, 31 p., 10 F

Jeanne Combet Au gré d'Eole D'Halluin & C· éd. 157 p., Nouvelles poétiques et poèmes .gn prose.

Vladimir Holan Douleur Pierre Jean Oswald 128 p., 12 F Le plus grand poète tchèque vivant, enfin traduit en France.

Charles Le Borgne La mer des marins Nlles Editions Debresse 294 p., 24 F.

Geneviève Mallarmé Ecorce détachée Préface d'Andrée Chédid Pierre Jean Oswald 112 p., 13,86 F.

.:DIOIR.S BIOGRAPHIES

Gérard Borg Les tétragonautes Calmann"Lévy , 288 p., 15,30 F Marionnettiste, biologiste, hypnotiseur, navigateur : un aventurier de notre temps.

Hilaire Cuny Jean-Henrl Fabre Seghers, 200 p., 8,40 F Un . entomologiste Illustre qui fut aussi un grand poète.

Camille Demange Bertolt Brecht Un inventaire thématique et stylistique et une analyse minutieuse.

Jean·Jacques Marie Staline 1879-1953 Seuil, 297 p., 18 F L'homme le plus divinisé ".lt le plus haï de notre temps.

Jacques Nantet Pierre Mendès France 8 p. d'illustrations 4 hors-texte Centurion, 272 p., 18,50 F A la fois un portrait une œuvre d'histoire et un essai politique.

CRITIQUE HISTOIRE l.ITTÉRAIRE

Paul Bénichou L'écrivain et ses travau,x José Corti, 357 p., 32 F La création et le salut, l'écriture -et ses ruses.

Frédéric Deloffre Une préciosité nouvelle Marivaux et le marivaudage A. Colin, 613 p., 68 F Seconde édition revue et corrigée.

Mortimer Guiney La poésie de Pierre Reverdy Buchet/Chast-el, 264 p., 24,30 F L'importance de Reverdy dans l'évolution de la poésie française actuelle.

Lilyan Kesteloot Anthologie négro­africaine Marabout Université Une littérature multinationale, polyglotte et engagée.

Gerda Zeltner La " grande aventure du roman français au XX' siècle Gonthier, 224 p., 17,50 F Les principales œndances du roman français actuel.

RÉÉDITIONS

Pierre Klossowski Sade, mon prochain précédé de La philosophie du scélérat Seuil, 189 p., 15 F De Sade et la théologie -li Sade et la raison.

Friedrich Nietzsche Le gai savoir, suivi de Fragments posthumes (1881-1882) Trad. de l'allemand par Pierre Klossowski Gallimard, 612 p., 35 F Premier volume publié en France de la réédition des œuvres complètes de Ni.gtzsche avec 300 p. d'inédits.

Nicolas Ostrovski Et l'acier fut trempé ... trad. du russe par V. Feldman et P. Kolodkine Préface de R. Rolland Ed. Français Réunis, 552 p., 18,60 F.

Pirandello Théâtre : Diane et la Tuda - Quand on est quelqu'un - Les géants de la montagne trad. de l'italien par F Marceau, G. Piroué, A. Barsacq Denoël, 344 p., 23,60 F Trois pièces, peu connu-es en France.

La Rochefoucauld Maximes Introduction, chronologie, notes, documents, glossaire, bibliographie et index par J. Truchet 26 reproductions Garnier, 788 p., 20 F Edition critique comprenant les Réfl09xions diverses, les lettres et jugements relatifs aux Maximes ainsi que le commentaire dû à Christin,e de Suède.

Victor Serge Les révolutionnaires Seuil, 959 p., 39 F Des origines de la Révolution au stalinisme, enfin réunis, les 5 romans de Victor Serge.

André Alste".lns La masturbation chez l'adolescent Desclée de Brouwer 232 p., 17,40 F Les données psychologiques.

René Bénezet Les Russes et nous Regain, Monte-Carlo, 58 p., 5 F Ce que nous sommes aux yeux des Russes et ce que nous pouvons attendre d'eux.

I.B. Bottomore Elites et société trad. de l'anglais Stock, 176 p., 15,45 F La notion d'élite dans la sociologie moderne.

Maurice Bouvet La rëlation d'objet Névrose obsessionnelle dépersonnalisation Payot, 440 p., 30 F Un très vaste panorama de" la ,vie mentale et des ' dernières découvertes de la psychanalyse.

Michel Gauquelin La santé et les conditions atmosphéri"ques Hachette, 218 p., 12,50 F Un inventaire des dernières découvertes de la biométéorologie.

Jean Grandmougin Lettre ouverte au Ministre de l'Information A. Michel, 160 p., 8,64 F Un commer: .ateur politique réduit au silence pose le problème de la liberté d'expression.

F. Heysch Eléments pour un art de vivre Nlles Editions Debresse, 126 p., 9,90 F Méditation sur l09s conditions de vie à travers le monde et sur le bonheur.

Maurice Jeannet La psychologie et la sélection des cadres Dessart, 360 p., 18 F Vers un dépassement de la psychotechnique.

J.-Y. Jolif Comprendre l'homme 1. Introduction à une anthropologie philosophique Cerf, 302 p., 21 F Réflexion sur l 'homme et son histoire par un homme d'Eglise.

Page 31: La Quinzaine littéraire n°31

Konrad Lorenz Evolution et modification du comportement L'inné et l'acquis Payot, 160 p., 12 F Un des maîtres actuels de la psychologi"il animale.

Jean Marablnl L'U.R.S.S. à la conquête du futur Denoël, 368 p., 19 F De la dictature du prolétariat à l'humanisme scientifique.

Marcel Moré Accords et dissonances 1932-1944 Gallimard, 252 p., 15 F Recueil d'articles sur kls sujets les plus divers.

J.-M. Pohler psychOlogie et théologie Cerf, 387 p., 28,50 F L'Impact des sciences humaines sur la pensée religieuse d'aujourd'huI.

J'ilan Vanderydt Psychologie militaire D'Halluin & C" éd., 183 p. Réflexions d'un ancien officier sur la guerre et le désir de paix.

Jules Vuillemln De la logique à la théologie Cinq études sur Arlstot"3 Flammarion, 240 p., 28 F L'Insertion des Idées fondamentales d'Aristote dans la pensée moderne.

HI8TOIR.

Geoffrey Barraclough Une Introduction à l'histoire contemporaine trad. de l'anglais Stock, 280 p., 18,40 F Les changements capitaux de la structure politique mondiale depuis la fin du XIX' siècle.

Fernand Braudel Civilisation matérielle et capitalisme 200 illustrations A. Colin, 464 p., 75 F. Voir notre numéro p. 21.

Roland Gaucher 1917 - Le roman vrai de ta révolution rossa A. Michel, 304 p., 16,97 F Les péripéties de la chute d'un empire et de la naissance d'un monde.

E. Le Roy Ladurie Histoire du climat depuis l'an mil 16 hors-texte Flammarion, 384 p., 28 F Les différentes phases du climat pendant le dernier millénaire.

Robert Leckle Duel dans le Pacifique trad. de l'américain La sanglante bataille de Guadalcanal vue par un ancien • marine-.

Michel Richard La vie quotidienne des protestants sous l'Ancien régime Hachette, 320 p., 15 F. Une minorité perSécutée qui joua un rôle Important dans la vie IntellectuelJ.e et économique de la France.

Dossier LSD Le Soleil noir 160 p., 8 photo., 9 F Poésie, médecine, religion, presse, sociologie et LSD.

Jean Brunei Souvenirs d'un éducateur Regain, Monte-Carlo, 93 p., 7,50 f L' • éducation - des jeunes délinquants "3t les difficultés qu'elle pose.

Guy Champagne J'étals un drogué Seuil, 221 p., 15 F Un journaliste s'embarque, . par amour, dans l'aventure de la drogue.

Michel Croce-Splnelli Les enfants dePoto-Poto Grasset, 368 p., 18 F L'Afrique et les Africains vus par un grand reporter.

Marc Defourneaux L'attrait du vide 16 pl. hors-texte Cal mann-Lévy, 256 p., 17,40 F Grande et petite histoire du parachutisme.

Joaqulm Joesten La vérité sur le cas Jack Ruby trad. de l'allemand par Madellne Cé 4 hors-texte Casterman, 176 p., 16,50 F Ruby, la mafia "3t le complot contre Kennedy.

lA Quin%6ine littéraire, 15 au 30 juin 1967.

Pierre Labracherie La vie quotidienne de la bohème littéraire au XIX' siècle Hachette, 250 p., 15 F De Nerval à Murger, de Jarry à Verlaine.

Jacques de Launay Le dossier de Vichy Julliard, 320 p., 6 F Dans la collection • Archives -. .

Georges Lubin Robert Thuillier George Sand en Berry 128 p. d'illustrations 200 pl., deux cartes Hachette, 48 p., 55 F La poéSie d'une province indissolublement liée à l'œuvre de G. Sand.

Jean Mabir-e La marée noire du • Torrey Canyon. A. Michel, 256 p., 15.42F Le dossier complet de l'affaire.

Hébert Roux Détresse et promessa de Vatican 1\ Seuil, 206 p., 15 F Bilan du Concile par un observateur protestant.

André Vial La fol d'un parsan L'Impasse de 1 A.CJ.F. Ed. de l'Epi, 184 p., 12,35 F Bilan des mouveffi"3nts d'action catholique par leur ancien président.

Tarzle Vittachl La chute de Sukarno trad. de l'anglais par Janine Hérisson Gallimard, 240 p., 12 F Le premier témoignage publié "3n France, sur les événements d'Indonésie qui firent 500.000 morts.

Gilette Ziegler Histoire secrète de Paris Stock, 216 P .. 15 F Dossier des sortilèg.'3s et faits divers curieux de Paris au Moyen Age.

POLITIQUE ÉCONOMIE

Jean.Jacques Bonnaud Le V' Plan Une stratégie de l'expansion Editions de l'Epargne, 314 p., 16,10 F Une description du V' Plan destinée au lecteur non spécialiste.

Jean-Yves Calvez Introduction à la vie politique Aubier-Montaigne, 222 p., 9,60 F La dynamique de cette victoire sur la violence qu'est la politique.

Gérard Chaliand . Lutte armée en Afrlqlie

163 p., 8,90 F tes maquis africains et leur rôle dans la stratégie politique de la guérilla.

Roger Garaudy Le problème chinois Seghers, 304 p., 19 F Les thèses du P.C.F. sur la Chine de Mao.

Ivone Kirkpatrlck Mussolini : portrait d'un démagogùe trad. de l'anglais par J . .J. Villard Préface d'A. François-Poncet 16 hors-texte Ed. de TréviS"3, 720 p., 46,27 F Une étude fort bien documentée sur le Duce et le fascisme Italien.

Les Québécois Ouvrage colJ.ectif Préface de J. Berque Maspéro, 300 p., 18,80 F Une analyse de la réalité québéCOise par . le groupe de la revue • Partis Pris -.

Dorothy Shlpley Whlt!:! Les origines de la discorde : de Gaulle, la France libre et les Alliés trad. de l'américain par Alexandre Ralli 12 hors-texte Ed. de Trévise, 464 p., 35 F Un passif qui éclaire peut-être la politique gaulliste actLl'llle.

Jean.Jacques Thierry Journal politique d'un cardinal Calmann-Lévy , 280 p., 14,40 F Les arcanes du gouvernement pontifical.

ARTS

Pierre Cabanne 1 000 trésors de France Denoël, 416 p., 15,40 F Ce que la · France a produit d'exceptionnel dans les domaines les plus variés.

Romain ROUSS"31 La cathédrale dans la cité 16 p. tle dessins André Bonne éd., 304 p., 36 F L'épopée des cathédrales et des abbayes depuis les catacombes de Roffi"3.

Jacqueline Delang-e Arts et peuples de l'Afrique noire Introduction à une analyse des créations plastiques Préface de Michel Leiris 136 hors-texte Gallimard éd., 304 p., 40 F Un inventaire sensible de l'univers esthétique de l'Afrique noire.

HUMOUR DIVERS

Pierre Dac Le jour le plus c •• Julliard, 320 p., 20 F Pierre Dac.

Roger Dai Qui suls-je ? Psycho-jeux et psycho-tests Denoël, 120 p., 11,30 F Manuel pratiqU9 de la connaissance de soi.

Peter Gillman et Dougal Haston La dlrectlsslme de l'Eiger trad. de .l'anglais par M.-F. Rivière Photo. de Ch. Bonington Seuil, 189 p., 18 F Le récit M l'ascension de la face nord de l'Ogre.

Jean-François Held Je roule pour vous Seuil, 238 p.; 15 F Dis-moi dans quoi tu roules et je te dirai qui tu es.

Harold Plnt"ilr La Collection suivi de l'Amant et de Le Gardien trad. de l'anglais par Eric Kahane Gallimard, 192 p., 12 F.

HeJ.ena Rubinstein Ma vie, mes secrets de beauté trad. de l'américain par S. Lecomte 287 p., 15 F Pour dev09nir sa propre esthéticienne.

POLICIERS

Jean 'Bommart Elle ou mol Denoêl/Crime Club Un roman poliCier psychologique.

Audrey et William Roos Rapt à Madrid Pion/Espionnage 250 p., 4,50 F.

Gérard de VIlli"ilrs S.A.S. broie du noir Pion/Espionnage 252 p.. 4,50 F.

POCHE

Essais

La médecine contemporaine Ouvrage collectif sous la direction de J. Dizan Gallimard/Idées L'état actuel de la science médicaJ.e et ses perspectives.

Platon Protagoras-Euthydème­Gorgias-Ménexène­Ménon-Cratyle Garnier-Flammarion.

Léon Trotsky Histoire de la révolution russe 1. Février 2. Octobre Seuil/Politique.

Littérature.

Balzac Pierrette Garnier-Flammarion.

Gautier Le Capitaine Fracassa Garnier-Flammarion.

Rousseau Julie ou la Nouvelle Héloïse Garnier-Flammarion.

Geoff Taylor Cour d'honneur trad. de l'anglais par Gérard Colson Marabout Une féroce accusation du régime hitlérien.

Inédits.

Ivan Chéret L'eau Seuil/Société Le problème de l '''ilau, ses causes, ses remèdes.

Emile Copfermann Problèmes de la Jeunessa Petite Collection Maspéro La famille, l'école, la profession, les loisirs, la vie politique.

Jérôme Grynpas La philosophie Marabout Université Réflexion philosophique et problèmes concr"3ts du monde actuel.

Pierre Halet La butte de Satory Seuil/Théâtre A propos de la Commune. Pièce créée le 12 juin au T.N.P.

~e(Îé Lavocat Histoire des mammIfères Seuil/Microcosme.

Page 32: La Quinzaine littéraire n°31

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UN AGENT DOUBLE

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LA MENDIGOTE

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Une jeune collection, dont le premier but est de vous distraire:

LE LIVRE DU JOUR qui a révolutionné le roman d'espionnage avec

1 JOHN LE CARRE

L'Espion qui venait du Froid 1 CHRISTIAN MEGRET

Un agent double qui a révélé

1 THERESE DE SAINT PHALLE

La mendigote qui a édité plus récemment

1 DAVID LYTTON

Ces salauds de blancs Un roman féroce sur l'apartheid

1 NICOLE VIDAL

La main droite Les infernales mésaventures de l'épouse d'un prêtre libanais

1 HENRI SLOTINE

Fugue dans un jardin Une bande d'adolescents vivent un rêve impossible

1 ABRAHAM ROTHBERG

Les mille portes Inspiré par les aventures de Djilas, l'ancien compagnon de Tito

1 JEAN RENOIR

Les cahiers du capitaine Georges Une histoire d'amour par le grand cinéaste de " La Règle du Jeu"

1 EDWARD GRIERSON

L'Affaire Massingham Un document plein de suspense sur la justice en perruque

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et publie aujourd'hui le roman d'espionnage qui a conquis l'Amérique

1 NOEL BEHN Une lettre pour le Kremlin traduction de Marcel Duhamel

LE LIVRE QUI VOUS SERA REMBOURSË SI ,CONTRE TOUTE ATTENTE. VOUS NE L'AIMEZ PAS

VIETNAM :

LE JOUR DE rESCALAOE

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/11 "u; ... ",,.. 1rl-o",1

La grande collection des documents qui reflètent l'actualité.

L'AIR DU TEMPS dirigée par Pierre Lazareff

1 MARCEL GIUGLARIS

Vietnam, le jour de l'escalade Un ouvrage prophétique

1 ILYA EHRENBOURG

La nuit tombe Le Front Populaire et la guerre d'Espagne

1 ROBERT DARGEANT

Les Suisses Un portrait et un pamphlet

1 FLORA LEWIS

Pion Rouge L'Américain paisible qui est devenu un pion de l'hi~toire

1 ERIC HODGINS

Mon cerveau ne fonctionne plus Une aventure médicale et humaine

1 ANNA WANG

J'ai combattu pour Mao Dans l'intimité des grands chefs chinois

1 MARIE SYRKIN

Golda Meir La femme qui a permis que l'état d'Israël voit le jour

1 GU~OULA COHEN

Souvenirs d'une jeune fille violente Les exploits d'une héroïne du groupe Stern

1 MILTON ROKEACH

Les trois christs Une expérience psychiatrique unique au monde

1 MYRON BRENTON

Les ennemis de votre vie privée Comment on vous espionne sans que vous le sachiez

1 LUCIEN BODARD

L'Aventure "De Lattre et les Viets·

L'ouvrage capital sur l'Indochine et sur l'épopée du Roi Jean

LA SERIE NOIRE dirigée par Marcel Duhamel

La collection qui vous propose des études de mœurs, le reflet d'un monde secret /' aventure et ses dangers.

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