La Religion et l'impôt

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    Sommaire INTRODUCTION Ludovic AYRAULT, Professeur de droit public Universit de Rennes 1 (IDPSP) Florent GARNIER, Professeur dhistoire du droit, Universit dAuvergne, Clermont Universit, Universit dAuvergne, EA 4232, Centre Michel de lHospital, CS 60032, F-63001 CLERMONT-FERRAND Cedex 1 RENDEZ A CESAR ET AUTRES LEMMES BIBLIQUES A CONNOTATION FISCALE UTILISES DANS LE DISCOURS POLITIQUE DES XIIIe ET XIVe SIECLES Lydwine SCORDIA, Matre de confrences en histoire mdivale lUniversit de Rouen LA DIME SALADINE Christophe DE LA MARDIERE et Emmanuelle CHEVREAU, Professeurs de droit public lUniversit de Bourgogne et luniversit de Paris II (Panthon-Assas) LGLISE ET LIMPT AU BAS MOYEN GE CASTILLAN Agustn BERMUDEZ, Professeur de droit lUniversit dAlicante LIMPOT JUSTE SELON LA SECONDE SCOLASTIQUE ESPAGNOLE Fabrice BIN, Matre de confrences lUniversit de Paris 1 Panthon-Sorbonne LIMPOSITION DES ECCLESIASTIQUES DAPRES LES TRAITES DES TAILLES DE JEAN COMBES ET DANTOINE DESPEISSES Florent GARNIER, Professeur dhistoire du droit, Universit dAuvergne, Clermont Universit, Universit dAuvergne, EA 4232, Centre Michel de lHospital, CS 60032, F-63001 CLERMONT-FERRAND Cedex 1

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    LE NEOTHOMISME ET LE DROIT FISCAL Emmanuel DE CROUY-CHANEL, Professeur de droit public lUniversit de Picardie LA COMPASSION ET LE DROIT FISCAL Olivier NEGRIN, Professeur de droit public lUniversit Lumire Lyon 2 Professeur de droit public lUniversit Paul Czanne-Aix-Marseille LACITE DE LETAT ET NEUTRALITE FISCALE Nicolas GUILLET, Matre de confrences de droit public lUniversit du Havre GREDFIC (Le Havre), CER-FDP (Cergy-Pontoise) IMPOSITION ET RELIGION EN FRANCE : ESSAI SUR LA POLITIQUE FISCALE DEPUIS LA REVOLUTION Ludovic AYRAULT Professeur de droit public lUniversit de Rennes 1 (IDPSP) IMPOSITION ET RELIGION AUX ETATS-UNIS DAMERIQUE Martin ROGOFF, Professeur de droit lUniversit du Maine (University of Maine School of law) IMPOSITION ET RELIGION AU CANADA Andr LAREAU, Doyen de la Facult de droit de lUniversit Laval (Qubec) IMPOSITION ET RELIGION EN ISLAM Oualid GADHOUM, Matre-assistant la Facult de Droit de Sfax RAPPORT DE SYNTHESE Pierre BELTRAME, Doyen honoraire de la Facult des sciences juridiques dAvignon Professeur de droit public luniversit Paul Czanne-Aix-Marseille

    Table des matires

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    INTRODUCTION

    a religion et limpt ou comment la puissance publique saisit lobjet cultuel. Un sicle aprs le vote de la loi du 9 dcembre 1905 de sparation des Eglises et de lEtat, le sujet mritait dtre de nouveau tudi. Les raisons sont multiples et tiennent, outre au centenaire voqu,

    limmixtion des autorits publiques dans le fait religieux. La loi de sparation qui, il faut le rappeler, concerne les Eglises et lEtat et non pas la religion et lEtat na en effet nullement mis fin ces relations. Lattachement des pouvoirs publics voir le culte musulman sorganiser en est une illustration avec la cration du Conseil franais du culte musulman. La volont de lutter contre les mouvements sectaires est galement lorigine de la cration dune mission interministrielle de vigilance et de lutte contre les drives sectaires qui a remplac la mission de lutte contre les sectes. Les difficults juridiques lies la construction des difices religieux expliquent encore la cration en 2005, linitiative de Nicolas SARKOZY alors ministre dEtat en charge de lintrieur et de lamnagement du territoire, dune commission prside par le professeur Jean-Pierre Machelon sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics et dont un des volets devait porter sur le rgime fiscal des cultes. Ce contexte a favoris lmergence du thme de la manifestation scientifique organise lUniversit dAuvergne les 6 et 7 avril 2006. Runissant des enseignants-chercheurs franais et trangers et des praticiens, ce colloque a permis de rflchir au lien qui unit la contribution publique la religion en alliant, selon la dmarche galement retenue loccasion dun premier colloque consacr la famille et limpt1, lapproche historique et lapproche contemporaine. Cette double manire dapprhender la fiscalit en particulier sous langle juridique va continuer tre promue en lien notamment avec le rseau Arca Comunis - Thematic Network for Cooperative Research on the History of the Hispanic Fiscal Systems (13th 18th centuries) : promotion of research, dissemination and teaching about the Taxation and Public Finances in Medieval and Modern times, in the frame of Comparative History of Europe. La rencontre dont les actes sont ici publis sinscrit en effet dans un ensemble de trois colloques organiss de 2005 2007 et consacrs respectivement la famille et limpt, la religion et limpt et au pass et prsent du discours fiscal en Europe. Sauf indication contraire, les communications rassembles sont jour de la date du colloque. Nous remercions pour leur soutien financier la Mairie de Clermont-Ferrand, Clermont Communaut, le Conseil gnral du Puy-de-Dme, le Conseil rgional dAuvergne, lO.M.E.E. et le C.E.R.A. Nous tenons galement exprimer notre gratitude lensemble des intervenants et M. le Professeur Denis Menjot et M. le Professeur Jacques Grosclaude davoir bien voulu accepter de prsider les sances de travail de ce colloque.

    Ludovic AYRAULT

    Professeur de droit public Universit de Rennes 1 Florent GARNIER

    Professeur dhistoire du droit Universit dAuvergne

    1 La famille et l'impt, L. Ayrault et F. Garnier (dir.), Collection L'univers des normes , Presses Universitaires de Rennes,

    Rennes, 2009, 134 p.

    L

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    RENDEZ A CESAR ET AUTRES LEMMES BIBLIQUES A CONNOTATION FISCALE

    UTILISES DANS LE DISCOURS POLITIQUE DES XIIIe ET XIVe SIECLES2

    Lydwine SCORDIA,

    Matre de confrences en histoire mdivale lUniversit de Rouen

    exgse biblique des derniers sicles du Moyen ge a contribu la dfinition du prlvement royal, permanent et rgulier, autrement dit limpt moderne, celui qui a suscit

    questionnements et ractions. A cet gard, les annes 1250-1350 constituent un tournant fiscal dans le royaume de France. Le roi ne peut plus vivre du sien . Linadquation entre les revenus du domaine, qui baissent, et les dpenses, qui augmentent, est croissante. Le roi doit trouver dautres recettes. Limpt est une des solutions elle nest pas la seule (emprunt, vente de charges). Face cette novellet , les gens de savoir apportent une rflexion nourrie de leurs connaissances thoriques et de leur inscription dans le temps prsent. Ils sappliquent rpondre un certain nombre de questions poses par le pouvoir et par les sujets : Quest-ce que limpt ? Est-il lgitime ? Est-il moral ? Dans quelles conditions ? Lurgence de la ncessit les malheurs du temps frappent le royaume amne les matres solliciter toutes sortes de sources, parmi lesquelles la Bible est prminente car elle est la source de tout savoir et rfrence de toute activit (Jacques Le Goff). Le texte saint comprend lAncien et le Nouveau Testament, traduits de lhbreu et du grec par saint Jrme (v. 347-420) : ils forment la version latine quon nomme la Vulgate. La Bible ne constitue pas la seule source, mais elle jouit dune autorit sans gale3. Une autorit qui nest pas fige : chaque gnration cherche en rvler la profondeur grce aux gloses et aux commentaires. Et les commentaires patristiques deviennent leur tour des auctoritates pour les savants. Elles leur servent de tremplin pour de nouveaux dveloppements, elles augmentent (de augere) la comprhension des choses et donnent du poids une dmonstration4.

    2 Ludovic Ayrault et Florent Garnier mritent toute notre reconnaissance pour linitiative et lorganisation de ces journes qui

    font se rencontrer juristes, historiens et professionnels du droit. 3 Sur la notion dautorit, lire Emile Benveniste, Vocabulaire des institutions indo-europennes, Paris, d. de Minuit, 1969, 2 vol.,

    1. Economie, parent, socit ; 2. Pouvoir, droit, religion, t. 2, p. 149-150 ; et les articles de Marie-Dominique Chenu, Matre Thomas est-il une autorit ? Notes sur deux lieux thologiques au XII

    e sicle : les auctoritates et les magistralia , Revue

    thomiste, 30 (1925), p. 187-194 ; Id., Auctor, actor, autor , Bulletin Du Cange. Archivium Latinitatis Medii Aevium, 3 (1927), p. 81-86 ; Id., La thologie au XII

    e sicle, (tudes de Philosophie mdivale, 45), Paris, Vrin, 1957, ch. XVI : Authentica et

    magistralia , p. 351-365 ; Id., Introduction ltude de saint Thomas dAquin, Paris, Vrin, 1950, 5me

    d., 1993, Lautorit au Moyen ge , p. 106-109 ; Joseph Geenen, Lusage des auctoritates dans la doctrine du baptme chez S. Thomas dAquin , Ephemerides Theologicae Lovanienses, 15 (1938), p. 279-330 ; Marie-Madelein Davy, Les auctoritates et les procds de citation dans la prdication mdivale , Revue dhistoire franciscaine, 8 (1931), p. 344-354 ; Alastair J. Minnis, Medieval theory of autorship : scholastic literary attitudes in the Later Middle Ages, Londres, Scolar Press, 1984 ; Auctor et Auctoritas. Invention et conformisme dans lcriture mdivale, Actes du colloque de Saint-Quentin-en Yvelines, 4-16 juin 1999, Michel Zimmermann (d.), Paris, cole des Chartes, 2001 ; et la thse rcente de Caroline Boucher, Les traductions dauctoritates en langue vulgaire aux XIII

    e-XIV

    e sicles. Auteur, traducteur, lecteur : la mise en scne savante de la vulgarisation, thse de doctorat, dir. Gilbert

    Dahan, EPHE, Vme section, Paris, 2005. 4 Pour lanalyse dun cas concret, lire Lydwine Scordia, Les autorits cites lors des dbats sur limpt par les thologiens la

    L

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    Lautorit biblique nest pas sans risque. En effet, les versets sont parfois ambigus, voire contradictoires. Alain de Lille (v. 1128-1203) a une jolie formule pour le dire : lautorit a un nez en cire, cest--dire quon peut la plier en divers sens 5. Plusieurs ouvrages classiques ont analys les apports philosophiques et politiques de lexgse mdivale. On retiendra principalement pour notre tude les travaux du pre jsuite Raymond Deniel (1968)6 et ceux de Werner Affeldt (1969)7 sur le chapitre 13 de lptre aux Romains, plus rcemment le beau livre de Philippe Buc (1994)8, et ma thse sur la thorie de limpt (2005)9. La liste des lemmes bibliques et la mthode des exgtes (I) est le pralable ltude de leurs commentaires (II) et lemploi qui en est fait dans le discours fiscal de la littrature politique des XIIIe-XIVe sicles (III).

    I. LEXEGESE DES LEMMES A CONNOTATION FISCALE

    A lexemple des mdivaux, nous allons commencer par nous constituer un instrument de travail, qui va prendre la forme dune anthologie, apparente aux rpertoires thmatiques confectionns par les matres pour faciliter leurs commentaires ultrieurs10.

    1. Anthologie des versets

    La Bible regorge de rfrences et de mtaphores financires mme sil est bien vident que lobjet du texte saint nest pas fiscal. On retiendra une quinzaine de passages, qui constituent le fondement de la rflexion fiscale11 : - Gn 41 correspond au rve de Pharaon des sept vaches grasses et des sept vaches maigres ; Joseph interprte le rve et lui conseille de prlever le cinquime de la rcolte (quintam partem) en prvision de la famine.

    fin du XIII

    e sicle , Monnaie, fiscalit et finances au temps de Philippe le Bel, Journe dtudes de Bercy, 14 mai 2004, Philippe

    Contamine, Albert Rigaudire et Jean Kerherv (d.), Paris, CHEFF, 2007, p. 19-50. 5 Alain de Lille, De fide catholica, I, 30, PL 210, 333. Sur la mallabilit des autorits, comme une des conditions de leur

    rception, lire M.-D. Chenu, La thologie au XIIe sicle, p. 361, 365.

    6 Raymond Deniel, Omnis potestas a Deo. Lorigine du pouvoir civil et sa relation lglise , Recherches de Sciences

    religieuses, 56 (1968), p. 43-85. Larticle portait sur les commentaires du IIe au XIII

    e sicles ; laccent tant mis sur la date

    charnire de la conversion de lempereur. 7 Werner Affeldt, Die weltliche Gewalt in der Paulus-Exegese. Rm 13, 1-7 in den Rmerbriefkommmentarem der lateinischen

    Kirche bis zum Ende des 13. Jahrhunderts, Gottingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1969 ; et son article prparatoire, Verzeichnis der Rmerbriefkommentare der lateinischer Kirche bis zu Nikolaus von Lyra , Traditio, 13 (1957), p. 369-406. 8 Philippe Buc, Lambigut du Livre. Prince, pouvoir et peuple dans les commentaires de la Bible au Moyen ge, Paris,

    Beauchesne, 1994. 9 L. Scordia, Le roi doit vivre du sien. La thorie de limpt en France (XIII

    e-XV

    e sicles), Paris, Institut dtudes Augustiniennes,

    2005. 10

    Culture et travail intellectuel dans lOccident mdival, Genevive Hasenohr et Jean Longre (d.), Paris, CNRS, 1981. 11

    Les citations latines du texte biblique proviennent de la Vulgate (Biblia sacra iuxta vulgatam versionem, d. Robert Weber, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, [1969], 1994), et pour le franais de la Bible de Jrusalem (BJ), traduite par lEcole de Jrusalem. Rappelons que la numrotation des versets napparat quau XVI

    e sicle. Auparavant, les chapitres taient

    structurs par les sept premires lettres de lalphabet ( a g ) qui signalaient la position approximative dun mot. Cest le dominicain Hugues de Saint-Cher qui a t lartisan de ce progrs au XIII

    e sicle

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    - Dt 17 traite de linstauration de la royaut sur le peuple lu et de lnumration de risques possibles : quil[le roi] naille pas multiplier ses chevaux [] ses femmes [] son argent et son or (Non multiplicabit sibi equos [] non habebit [] neque argenti et auri immensa pondera). - 1 Sm 8 reprend le mme thme : les hommes ont rejet le gouvernement des juges (Samuel) et demand un roi (Sal) ; Voici le droit du roi (ius regis) qui va rgner sur vous. Il prendra vos fils[] vos champs [] prlvera la dme - 1 R 12, 1-24 raconte lhistoire de Roboam, fils de Salomon, qui aggrave le prlvement fiscal (autem addam iugo vestro) et perd les 10/12me de son royaume (mme sujet en 2 Ch 10, 1-9). - Ez 22, 27 dnonce les crimes des rois dIsral : Ses chefs, au milieu de la ville, sont comme des loups (quasi lupi rapientes) qui dchirent leur proie, qui rpandent le sang, faisant prir les gens pour voler leurs biens. - Ez 34, 2-3 dveloppe le mme thme : Malheur aux pasteurs dIsral qui se paissent eux-mmes. Les pasteurs ne doivent-ils pas patre le troupeau ? (vae pastoribus Israhel qui pascebant semt ipsos, nonne greges pascuntur a pastoribus). - Ez 45, 7-8 relate la rpartition des territoires dans le royaume : Au prince reviendra une part [] Ainsi mes princes nopprimeront plus mon peuple (et non depopulabuntur ultra principes). - Ez 48, 21-22 rpte la mme ide : Et ce qui reste sera pour le prince (quod autem relinquum fuerit principes). - Mt 10, 8 est le verset o le Christ dit aux aptres : Vous avez reu gratuitement, donnez gratuitement (gratis acceppistis gratis date). - M 17, 23-26 relate lhistoire du paiement du didrachme par le Christ et Pierre. Capharnam, les collecteurs du didrachme demandent Pierre si le Christ acquitte le didrachme. Pierre rpond : oui . Le Christ demande alors Pierre : de qui les rois de la terre reoivent-ils le tributum et le census ? De leurs fils ou des trangers ? Pierre rpond : des trangers . Le Christ conclut : les fils sont donc exempts (ergo liberi sunt filii). Cependant pour ne pas scandaliser ces gens-l, le Christ acquitte le statre quivalent deux didrachmes, monnaie que Pierre a trouve par miracle dans la bouche dun poisson. On reviendra sur lambigit du passage (II, 2). - Mt 22, 21 correspond au clbre Reddite quae sunt Caesaris Caesari. Jsus est Jrusalem. Il vient de chasser les marchands du Temple. Il dispute avec les grands prtres. Les Pharisiens lui posent alors une question pige (capere) : Est-il permis oui ou non de payer l'impt Csar ? (Mt 22, 17 ). Il leur rpond : Hypocrites !, puis leur demande de lui montrer l'argent de l'impt (numisma census), c'est--dire le denarium qu'ils ont en main. De qui est l'effigie que voici ? Et la lgende ? De Csar, rpondent-ils. Alors il leur dit : Rendez donc Csar ce qui est Csar, et Dieu ce qui est Dieu (Mt 22,18-21 ). Ce passage capital a quantit dinterprtations (III, 2). - Lc 3, 14 correspond la rponse de Jean-Baptiste aux publicains venus lui demander ce quil faut faire pour tre baptis ; il leur rpond : Nexigez rien au-del de ce qui vous est fix (nihil amplius) ; des soldats arrivent et lui posent la mme question, il leur dit : Contentez-vous de votre solde (contenti estote stipendiis vestris). - Rm 13, 1-7 expose les origines du pouvoir et les consquences en tirer : Que chacun se soumette aux autorits en charge. Car il ny a point dautorit qui ne vienne de Dieu (Non est potestas nisi a Deo). Rendez chacun ce qui lui est d (Reddite omnibus debita) : qui l'impt (tributum), limpt ; qui les taxes (vectigal), les taxes ; qui la crainte, la crainte, qui l'honneur, lhonneur. - 1 Co 9, 7 est une question de lAptre : Qui fait jamais campagne ses propres frais ? (Quis militat suis stipendiis)

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    - Eph 6, 5 est une injonction lobissance aux pouvoirs : Esclaves, obissez vos matres ici-bas avec crainte et respect, en simplicit de cur comme au Christ (Servi obedite dominis carnalibus cum timore et tremore in simplicitate cordis vestris sicut Christo). - 1 P 2, 13 et 18 reprennent le mme thme : Soyez soumis cause du Seigneur toute institution humaine : soit au roi, comme souverain (Subiecti estote omni humanae creaturae propter Dominum sive regi quasi praecellenti) ; Vous les domestiques, soyez soumis vos matres, avec une profonde crainte, non seulement aux bons et aux bienveillants, mais aussi aux difficiles (Servi subditi in omni timore dominis non tantum bonis et modestis sed etiam discolis). On peut regrouper la quinzaine de rfrences autour des thmes suivants : - les liens entre pouvoir politique et prlvement financier (Gn 41 ; Dt 17 ; 1 Sm 8) - le lien pouvoir-acquittement financier (Mt 17 ; Mt 22 ; Rm 13) - lobissance au pouvoir (Eph 6, 5 ; 1 P 2) - la justification du paiement (1 Co 9, 7) - les limites du paiement (Lc 3, 14) - les risques de la dmesure fiscale (1 Sm 8 ; 1 R 12 et 2 Ch 10) - le domaine du roi (Ez 45 et 48) On notera une diffrence entre lAncien et le Nouveau Testament. Dans lAncien Testament, un rapport ngatif est tabli entre impt et dfaite, entre impt et servitude, impt et abus Dans le Nouveau, il y a unanimit pour prner lacquittement de limpt aux pouvoirs en place. Un certain nombre de formulations cls extraites de cette anthologie vont revenir en permanence dans le discours des matres : Reddite ; Quis militat ; Nihil amplius Seuls un mot ou deux suffisent rappeler le verset tout entier. La Bible est un rservoir de mots dans lequel les gens de savoir puisent pour sexprimer et traiter toutes sortes de sujets. Le procd nest pas sans consquences. On remarquera enfin que les termes de limpt exposs ci-dessus (la dme-decima, le cens-census, le tribut-tributum) sont souvent employs les uns pour les autres. Certains dentre eux sont polysmiques, telle la dme qui dsigne soit l'impt religieux, soit un impt civil d'un pourcentage de 10 % collect sur des biens ; mais pour dautres, il y a des confusions ou des quiproquos (Mt 17). Le travail des commentateurs savre dlicat.

    2. Lexgte au travail

    Le commentaire biblique est le travail de base du thologien. Lexercice fait partie du programme de la facult de thologie. Rappelons quau XIIIe sicle, cest la facult de thologie qui accueille les candidats les plus brillants. Les tudiants y suivent deux cours : le premier sur la Bible, il est dispens par un bachelier biblique (cursorie), et le second sur le livre des Sentences de Pierre Lombard (v. 1100-1160), qui est donn par un bachelier sententiaire. Ces deux cours sont des lectiones, cest--dire quils correspondent des lectures commentes.

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    Le commentaire de la Bible suppose une mthode dont lobjet est de mettre jour les diffrentes strates de comprhension du texte saint. On distingue plusieurs sens de lEcriture : le sens littral et le sens spirituel ; le second peut se subdiviser en trois, do la formule historique et historiographique bien connue des quatre sens de lEcriture 12. Un mme commentateur exposera successivement les diffrents sens, ou seulement un, deux ou trois dentre eux13. Nous allons surtout nous intresser au sens littral. Les thologiens les plus savants conseillent de commencer par une explication ad litteram comme pralable tout autre commentaire14. Hugues de Saint Victor ( 1141) en a dtaill les composantes : le commentaire littral comprend dabord une analyse textuelle grammaticale et tymologique (littera), puis une tude des contextes historique et archologique (sensus) et enfin une approche philosophique et thologique (sententia)15. Cest la partie mise en contexte qui favorise les allusions et les comparaisons avec des situations contemporaines, fort prcieuses pour lhistorien. On constate en effet qu partir du XIIIe sicle les commentaires bibliques deviennent de plus en plus politiques et actualisants. Ceci est d la fois au choix mthodologique de faire primer lexplication littrale et au contexte des mutations politiques de ce sicle qui appellent des claircissements. Les mthodes du commentaire ont volu au cours du Moyen ge ; Gilbert Dahan en a expos les caractres formels et les a ordonns en trois genres : exgse monastique, exgse des coles, exgse universitaire16. - Lexgse monastique du haut Moyen ge est un commentaire suivi, rdig partir dun mot ou dun phrase ; il comprend parfois un excursus ; il est toujours anthologique : chacun cite ou fait rfrence aux prdcesseurs qui ont contribu lucider le message divin. Laccent est mis sur lexgse morale17. - Puis vint le temps de lexgse des coles, celles de Reims, Laon ou Saint-Victor. Le commentaire consiste maintenant baucher un questionnement thologique partir dun ou plusieurs mots dfinis18. Les explications brves sont places entre les lignes (interlinearis), les explications plus longues sont mises dans les marges autour du texte (marginalis)19. Les exgtes ont recours lexgse juive des XIe-XIIe sicles, le plus souvent Rashi (Salomon ben Isaac, 1040-1106) qui privilgie le commentaire littral. Lensemble des gloses compiles ds le deuxime quart du XIIe sicle prend le nom de Glose

    12

    Le sens spirituel comprend : la typologie, au sens de la prfiguration ; la tropologie, qui est le sens moral ; et lanagogie, qui concerne les fins dernires. Si lon prend lexemple du commentaire du mot T/temple . Au sens littral, il dsigne un btiment ; au sens spirituel typologique, il est une prfiguration de la rsurrection ; au sens tropologique, il est une image de lme o habite Dieu ; et au sens anagogique, le temple est la dsignation du Ciel. Les quatre sens de lEcriture se mettent en place progressivement ( partir du XIII

    e sicle). Henri de Lubac, Exgse mdivale. Les quatre sens de l'criture, Paris, Aubier,

    1959-1964, 4 vol. 13

    Lire le livre magistral de Gilbert Dahan, Lexgse chrtienne de la Bible en Occident mdival, Paris, Cerf, 1999, p. 435-440. 14

    Thomas dAquin, Somme thologique, I, I, q. 1, a. 10. 15

    Hugues de Saint-Victor, Didascalicon, L'Art de lire, d. Michel Lemoine, Paris, Cerf, 1991, VI, 8, p. 225. 16

    G. Dahan, Lexgse chrtienne, p. 75-120. 17

    Ibid., p. 76-91. 18

    Guy Lobrichon, Une nouveaut : les gloses de la Bible , Le Moyen ge et la Bible, Pierre Rich et Guy Lobrichon (d.), Paris, Beauchesne, 1984, p. 95-114. 19

    G. Dahan, Lexgse chrtienne, p. 123-129.

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    ordinaire. En 1179, le pape Alexandre III interdit au concile de Latran III tout enseignement de la Bible sans la Glose ordinaire (Glosa ordinaria)20. - Lexgse du XIIIe sicle est dsigne sous le nom d exgse universitaire , car elle sinspire des techniques mises en pratique lUniversit. Le commentaire est plus labor. Le texte est dabord divis en grandes units. Chaque unit suscite une expositio, qui est un commentaire plus ou moins rapide, laquelle sont ajouts des quaestiones ou dubia qui relvent les problmes suscits par le texte et qui les traitent la manire scolastique (arguments pro, contra, rponses)21. Lensemble manifeste une volont nouvelle, propre lexgse universitaire, denvisager tous les registres formels et thmatiques du texte saint22. Le dominicain Hugues de Saint-Cher ( 1263) et le franciscain Nicolas de Lyre ( 1349) en sont dillustres reprsentants. Il ne faut pas opposer les trois genres de lexgse ou penser quils se succdent les uns aux autres. Selon le mode de pense des hommes du temps, les nouveaux commentaires s'ajoutent aux anciens plus qu'ils ne les remplacent. On constate cependant qu partir du XIIIe sicle, lintrt port aux problmes dactualit fait son entre dans lexgse biblique : limpt en fait partie. Parmi tous les commentaires, nous avons fait le choix de textes qui ont connu une grande diffusion23. Trois principales sources ont t retenues : - La premire est la Glosa ordinaria, voque plus haut. Le texte a t compil dans le 2me quart du XIIe sicle par Anselme et Raoul de Laon (cole de Laon) ; cest un commentaire anthologique, au sens o les auteurs ont rassembl nommment les exgses des Pres, signals par les abrviations Aug. pour Augustin, Bed. pour Bde, Greg. pour Grgoire le Grand. La Glosa est le commentaire standard de la Bible. - La deuxime source est le commentaire littral dHugues de Saint-Cher24. Entr au couvent dominicain de Saint-Jacques Paris le 22 fvrier 1225, Hugues est diplm de droit canon et de thologie ; il assume des fonctions lintrieur de lordre (Provincial de France en 1226, puis de 1236 1244), il exerce aussi des fonctions denseignement de 1226 1244 (lecteur sententiaire et matre en thologie). En 1244, il est nomm cardinal en titre de Saint-Sabine ; le pape Innocent IV lappelle ds lors une carrire politique. Hugues de Saint-Cher a renouvel les tudes Saint-Jacques en laborant des concordances, rpertoires alphabtiques de tous les mots de la Bible avec indication du passage : Hugues est le premier auteur de concordance de la Bible. Un commentaire biblique a t compil sous sa direction vers 1236-1239, on lui a donn le nom de postille dominicaine 25 ; il en existe deux versions26. Hugues de Saint-Cher intgre les travaux antrieurs des coles parisiennes du XIIIe sicle, il ajoute une tude textuelle et une approche thologique. Son commentaire a du succs, il est imprim trs tt et sera rimprim jusquau XVIIIe sicle. Cest un outil plus moderne que la Glose, mais ce nest pas un commentaire standard et il ne remplace pas la Glose ordinaire27.

    20

    Reprise de linterdiction faite par Alexandre II (1061-1073) de la lecture de la Vulgate sine glosa. 21

    Ibid., p. 111-116. 22

    Ibid., p. 81-120. 23

    Lire Frdric Duval, Lectures franaises de la fin du Moyen ge : petite anthologie commente de succs littraires, Genve, Droz, 2007, p. 40-43. 24

    Jean Longre, Hugues de Saint-Cher , Dictionnaire des Lettres Franaises (DLF). Le Moyen ge, Genevive Hasenohr et Michel Zink (d.), Paris, Le Livre de Poche, 1994. p. 695-697. 25

    Postille , de post illa verba. 26

    Hugues de Saint -Cher, Opera omnia in universum vetus et novum testamentum, Lyon, 1645. Lire Hugues de Saint-Cher (1263), bibliste et thologien, Louis-Jacques Bataillon, Gilbert Dahan et Pierre-Marie Gy (d.), Turnhout, Brepols, 2004. 27

    Thomas dAquin ne cite jamais Hugues de Saint-Cher.

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    - La troisime source est la Postille du franciscain Nicolas de Lyre (v. 1270-1349), seul commentateur avec Hugues de Saint-Cher, avoir expliqu tout le texte sacr ad litteram28. N en Normandie et mort Paris, ce matre en thologie a assum plusieurs reprises les responsabilits de Provincial de lordre en France et en Bourgogne29. Nicolas de Lyre a vcu dans le contexte troubl des heurts entre Philippe IV et Boniface VIII. Il est un des acteurs de la querelle de la pauvret qui secoue alors lordre franciscain. Proche des milieux royaux franais, Nicolas de Lyre est lexcuteur testamentaire de la reine Jeanne de Bourgogne, veuve de Philippe V, il assiste aux problmes de succession des annes 1328 (des Captiens directs aux Captiens-Valois)30 . La rdaction des commentaires du franciscain schelonne de 1322/3 1339. C'est une exgse selon la lettre (litteraliter), elle est parfois suivie dune exgse morale (moraliter). Les postilles sont places aprs certains passages, certains mots. La diffusion de lexgse de Nicolas de Lyre est trs large : sa Postille est recopie plus ou moins compltement dans des centaines de manuscrits. Le succs se confirme au XVe sicle : la Postille est le premier commentaire biblique dit (1471/2)31. Sa double exgse, littrale et morale, remplace celle d'Hugues de Saint-Cher, et s'impose dans les ditions imprimes avec la Glosa ordinaria jusqu'au XVIIe sicle32. La Postille de Nicolas de Lyre eut de nombreux lecteurs : elle a contribu former thologiens, princes et juristes des XVIe et XVIIe sicles33.

    II. LA DEFINITION DE LIMPOT DAPRES LEXEGESE DES XIII-XIV SIECLES

    Confronts des innovations politiques, les scolastiques ont transpos les quatre causes d'Aristote34 sur ces nouveaux sujets et ils ont puis leur vocabulaire dans lautorit biblique. Limpt sera juste ou injuste selon les rponses apportes aux quatre questions suivantes : quelle est la puissance imposante ? (causa efficiens), quels sont les buts de limpt ? (causa finalis), sur qui et sur quoi psera limpt ? (causa materialis) et quelle est la mesure de limpt ? (causa formalis).

    28

    Nicolas de Lyre, Biblia sacra cum Glossa ordinaria, Anvers, 1617, 6 vol. 29

    Nicholas of Lyra. The Senses of Scripture, d. Philip. D. Krey et Lesley Smith, Leyde-Boston-Cologne, Brill, 2000, p. 1-18. En attendant le colloque organis par Gilbert Dahan, prvu en 2009. 30

    Sur lapport pour lhistoire politique de la Postille de Nicolas de Lyre, lire P. Buc, Lambigut du Livre ; Id., Exgse et pense politique : Radulphus Niger (vers 1190) et Nicolas de Lyre (vers 1330) , Reprsentation, pouvoir et royaut la fin du Moyen ge, Actes du colloque de lUniversit du Maine, 25-26 mars 1994, Jol Blanchard (d.), Paris, Picard, 1995, p. 145-164 ; Id., The Book of Kings : Nicholas of Lyras Mirror of Princes , Nicholas of Lyra. The Senses of Scripture, p. 83-109 ; L. Scordia, Lexgse au service de limpt royal : la Postille du franciscain Nicolas de Lyre , Revue dHistoire de lglise de France, 89/2 (2003), p. 309-323 ; Ead., Le roi doit vivre du sien..., passim. 31

    Nicolas de Lyre, Glosa in universa Biblia, Rome, 1472, 5 vol. 32

    Ldition dAnvers, 1617 prsente le texte biblique au centre de la page en gros module, entrecoup de gloses interlinaires et entour de gloses marginales ; la Postille de Nicolas de Lyre est en bas de page, litteraliter puis moraliter. Son commentaire est suivi par les additiones du clbre juif converti, Paul de Burgos (1429), et par les replicae du franciscain Mathias de Dring (1441). 33

    Paul de Burgos, Additiones ad Postillam magistri Nicolai de Lira super Biblia, PL 113, 46. Lire Philip D. Krey, Many Readers but Few Followers : The Fate of Nicholas of Lyras Apocalypse Commentary in the Hands of his Late-Medieval Admirers , Church History, 64 (1995), p. 185-201; L. Scordia, Paul de Burgos et largent du prince. La rflexion dun converti sur les finances dans son commentaire de la Postille de Nicolas de Lyre , La convivialit de communauts culturelles opposes en Europe. Juifs et convertis dans les cits de lespace transpyrnen mdival, Claude Denjean et Flocel Sabate (d.), Actes du colloque international de Grone, 20-24 janvier 2004, paratre. 34

    Aristote, Les seconds analytiques (Analytica posteriora), II, 11, 94a 20, d. Jules Tricot, Paris, Vrin, 1987, p. 197-198.

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    1. La lgitimit du pouvoir : causa efficiens et causa finalis

    Causa efficiens

    Le franciscain Nicolas de Lyre justifie le pouvoir monarchique royal alors que les deux chapitres Dt 17 et 1 Sm 8 mettent laccent sur les abus conscutifs linstauration dun roi. Depuis lAlliance noue sur le Mont Sina, les Hbreux se trouvaient sous le gouvernement immdiat de Dieu qui leur avait donn des juges, mais pas de roi. Lorsque le peuple lu rclama un roi, pour tre comme les autres nations (Dt 17, 14 ; 1 Sm 8, 5), Yahv y vit un nouveau signe de leur infidlit, mais il leur donna un roi. Cependant, il les avertit des risques de ltendue du ius regis (1 Sm 8, 10-18) : le roi prendra vos fils pour le travail de la terre et pour la guerre, vos filles, vos champs ; il prlvera la dme sur vos troupeaux Cela signifiait-il quil existait un lien originel entre royaut et abus de pouvoir ? Lexgse traditionnelle interprtait le rejet de Yahv comme la prfiguration du rejet du Christ par les juifs (sens typologique). La Postille du trs monarchique Nicolas de Lyre sattache ddouaner la royaut de cette gense peccamineuse. Le franciscain pose une quaestio : le peuple dIsral a-t-il pch en demandant un roi ?35 Comme tout esprit scolastique, il distingue dun ct lorigine du pouvoir et de lautre la forme quil prendra. Nicolas admet, la suite dAugustin, que la Chute a bless les hommes et les a fait tomber dans la servitude du pch. Cette blessure a entran la ncessit dun pouvoir dont lobjet est de donner un ordre un monde troubl. Puis, le franciscain dcouple pch et systme monarchique . Le pch ne rside pas, dit-il, dans la demande dun roi, car Dieu ne saurait tre hostile la monarchie puisquil exerce lui-mme un gouvernement de ce type sur les hommes. Le pch, explique Nicolas de Lyre, se trouve dans la malice du peuple lu qui, jouissant du gouvernement immdiat de Dieu, a demand un roi mortel36. Pour Nicolas de Lyre, nul doute, le roi incarne la puissance efficiente et il uvre pour le bien du royaume. Ds lors quil est lgitime, le pouvoir royal exerce un gouvernement sur les hommes. La Glose ordinaire et la postille de Nicolas de Lyre exposent les devoirs des sujets envers les pouvoirs temporels. Rm 13 forme la base de leur expos, car les sept premiers versets de lptre aux Romains sont un vritable trait du pouvoir temporel. Les populations y sont dabord invites se soumettre un pouvoir dont lorigine est divine (verset 1). Ce pouvoir est le glaive de Dieu, son instrument, il est craint par les mchants (verset 4). Les versets 6 et 7 justifient clairement le paiement de limpt. La Glose expose que le pouvoir vient de Dieu, cest--dire quil est ordonn quil a une fin ; ceux qui rsistent au pouvoir de Dieu, rsistent lordre, il en rsulte mille maux37. Dans sa postille de Omnis anima (Rm 13, 1), Nicolas de Lyre distingue deux niveaux dans la population : les minores et les superiores, et il dsigne chacun son rle. Les minores doivent aux superiores soumission (subiectionem), aide (subventionem) et amour (dilectionem)38. Le franciscain justifie la soumission par linjonction divine (Obedite, Eph 6, 5) ; laide par le verset dj cit Nul ne sert ses propres frais (1 Co 9, 7) ; et lamour par un renvoi la mtaphore organiciste bien connue, o chaque membre est distinct mais solidaire du tout, et par une allusion thologique o Nicolas expose quau temps de la crainte a succd le temps de lamour.

    35

    Nicolas de Lyre, Biblia sacra, Dt 17, t. I, 1569 ; 1 Sm 8, t. II, 361-364. 36

    Ibid., 1 Sm 8, t. II, 361-362. 37

    Glosa ordinaria, PL 114, Rm 13, 1, col. 512. 38

    Nicolas de Lyre, Biblia sacra, Rm 13,1, t. VI, 163. Mon travail dhabilitation a pour sujet : Amour et dsamour du roi (XIIIe-

    XVIe sicles) .

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    Causa finalis

    La Glose et Nicolas de Lyre numrent les principaux buts de la puissance efficiente. Ils consistent dans la dfense du royaume, le maintien de ltat du prince et plus largement tout ce qui entre dans le cadre de lutilit publique39. Cette dernire notion englobe la ncessit, qui peut tre la guerre comme lapprovisionnement des populations en temps de famine. Le pouvoir du roi est longtemps rest ngatif et conservatoire. Le roi tait le minister : il tait linstrument dun pouvoir qui ne lui appartenait pas, car tout pouvoir vient de Dieu (Rm 13, 4). Le roi gardait la paix et maintenait l'ordre (pax et ordo), pro securitate et quiete dit la Glosa dans le commentaire de Mt 2240. Le gouvernant protge le peuple, le nourrit, tel le Bon Pasteur qui pat ses brebis (Jn 21, 17). Il inspire la crainte aux mchants, et si celle-ci ne suffit pas, il punit ceux qui font le mal. Dans un tel regimen, le pouvoir tait limit, et ses dpenses tait par consquent modres : le prince pouvait vivre de ses revenus ordinaires. Mais partir du XIIIe sicle, la fonction royale se transforme et saccrot, aussi les besoins financiers augmentent et supposent de nouvelles recettes. La postille franciscaine de Gn 41 met laccent sur une notion qui va considrablement enrichir la causa finalis, il sagit de la prvoyance41. Les rois, explique Nicolas de Lyre, ont t placs la tte de la communaut, et ce titre, ils sont responsables de la chose publique. Dieu les aide en les entourant de conseillers aptes dvelopper leur vertu de prudence et dvoiler pour eux des songes droutants, tels Joseph pour Pharaon ou Daniel pour Nabuchodonosor42. Ainsi, les princes parviennent-ils connatre les choses caches et anticiper sur les choses venir43. Depuis Isidore de Sville, on sait que lhomme prudent est celui qui voit loin (porro videns) et qui pourvoit aux choses incertaines 44. La proximit orthographique et euphonique entre prudence (prudentia) et providence (providentia) ne pouvait laisser les contemporains indiffrents45. Dans la Somme thologique, Thomas dAquin dcrit lhomme prudent comme celui qui a la mmoire du pass (q. 49, a. 1) ; lintelligence du prsent (q. 49, a. 2) et laction sur lavenir par la prvoyance (q. 49, a. 6)46. Prudent et prvoyant, le prince uvre pour l utilit commune et le bien commun , et pour l honneur de Dieu . Qui cherche lun trouve lautre, affirme Nicolas de Lyre dans son commentaire du rgne de Salomon. Dieu avait demand au roi dIsral ce quil souhaitait et Salomon avait rpondu : la sagesse. Et Dieu lui donna la sagesse et la richesse, mais aussi les autres choses, qui aident ltat dcent (decentem statum) de ceux qui demandent 47.

    39

    Sur les notions dutilitas publica de la res publica, lire Jean Gaudemet, Utilitas publica , RHDFE, 1951, p. 465-499 ; sur les influences mles dAugustin et dAristote au XIII

    e sicle, voir Matthew S. Kempshall, The Common Good in the Late Medieval

    Political Thought, Oxford, Clarendon Press, 1999. 40

    Glosa ordinaria, Mt 22, 16, col. 156. 41

    L. Scordia, L'exgse de Gense 41, les sept vaches grasses et les sept vaches maigres : providence royale et taxation vertueuse (XIII

    e-XIV

    e sicles) , Revue des tudes Augustiniennes, 46 (2000), p. 93-119.

    42 Nicolas de Lyre, Biblia sacra, Gn 41, 25, t. I, 409 ; Dn 2, 1, et Dn 2, 28, t. IV, 1504 et 1512.

    43 Id., Gn 41, 47, t. I, 407.

    44 Isidore de Seville, Etymologiae, X, lettre P , PL 82, col. 388. Isidore recherche lessence du mot (etymologia) plus que son

    tymologie (derivatio). 45

    Sur la spcificit de ltymologie chez Isidore de Sville et au Moyen ge, lire Ernst R. Curtius, Ltymologie considre comme une forme de la pense , La littrature europenne et le Moyen ge latin, Paris, PUF, 1956, [1947], p. 783-792. 46

    Thomas dAquin, Somme thologique, IIa, IIae, q. 47-56 (dix questions sur la prudence). 47

    Nicolas de Lyre, Biblia sacra, Moraliter, 1 R 3, 5, t. II, 693-694.

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    Lutilit commune consiste aussi dans les fortifications, car le roi, dit Nicolas de Lyre, doit pouvoir rsister aux assauts imprvus des ennemis (incursum subitum hostium) en faisant des rserves matrielles48. Linquitude du lendemain surprend de la part du membre dun ordre plus que sensible au thme de la pauvret49. Nicolas pose la question : comment le prince peut-il concilier labandon vanglique la providence exprim par linjonction Nolite thesaurizare (Mt 6, 19) et la constitution de rserves indispensables pour dfendre le royaume ? Tout dpend dit-il, des intentions de celui qui thsaurise ; et de la dfinition de ce qui est dans la ncessit (in necessitate) , et hors de la ncessit (extra necessitatem) 50. La dfense du royaume appartient la ncessit. Nicolas de Lyre lui adjoint l'tat du roi (status regis), cest--dire lentretien du prince, qui doit tre somptueux, ce qui fera crotre lamour des sujets pour lui51. Mis en place par le roi en vue du bien commun (bonum commune), limpt nest pas dans la Postille de Nicolas de Lyre un prlvement (exactio), plus ou moins synonyme pour les contemporains de vol, mais un signe visible de lexercice bienfaisant du pouvoir.

    2. Les limites du prlvement : causa materialis et causa formalis

    Causa materialis

    Deux aspects de la causa materialis sont abords dans les commentaires de nos exgtes : quelles sont les populations imposes ? (Mt 22) ; les clercs en font-ils partie ? (Mt 17). Concernant le premier aspect, la postille de Nicolas de Lyre sur Mt 22 (Reddite) revient sur un point dhistoire. Il relate en effet que les juifs de Jude taient diviss quant la reconnaissance du pouvoir romain. Selon Flavius Josphe, Judas le Galilen refusait daccepter le pouvoir romain, car il ne reconnaissait pas de seigneur sur la terre, mais un seul Dieu dans le ciel (Ac 5, 37), mais dautres juifs affirmaient quil tait licite de payer les Romains, car ils dfendaient le pays des ennemis, ils conservaient la paix et la justice entre les hommes ; il tait donc juste dacquitter ce quon pouvait considrer comme un d, et ils rappelaient dailleurs que les juifs payaient limpt au temps de Pompe, car la Jude tait tributaire. Nicolas de Lyre reprend largement la Glosa qui voquait dj la Jude tributaire, la scurit et la paix, et rejetait largument des pharisiens selon lequel que le peuple de Dieu na pas payer comme une confusion de deux ordres spirituel et temporel. Nicolas de Lyre essaye de concilier les deux positions en disant quil faut distinguer la sujtion spirituelle envers Dieu et la sujtion temporelle envers les hommes52.

    48

    Id., Ps 143, 14, t. III, 1553-1554 ; Ps 28, 8-9, t. III, 632. 49

    Sur la querelle de la pauvret, lire David Burr, Olovi and the Franciscan Poverty. The Origins of Usus Pauper Controversy, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1984 ; Giacomo Todeschini, Il prezzo della salvezza. Lessici medievali del pensiero economico, Rome, Carocci, 1994 ; Pierre de Jean Olivi (1248-1298). Pense scolastique, dissidence spirituelle et socit, Alain Boureau et Sylvain Piron (d.), Paris, Vrin, 1999 ; Giacomo Todeschini, I mercanti e il Tempio. La societa cristiana e il circolo virtuoso della ricchezza fra Medioevo ed Eta Mderna, Bologne, Il Mulino, 2002. 50

    Nicolas de Lyre, Biblia sacra, 1 Sm 8, 9, t. II, 363. 51

    Id., Est 1, 3, t. II, 1616. 52

    Id., Mt 22, 17-21, Anvers, 1634, t. V, 369.

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    Le deuxime aspect correspond une des questions les plus discutes des XIIIe-XIVe sicles : les clercs font-ils partie des populations imposes ? Le recours au chapitre 17 de lvangile de Matthieu tait invitable, mais le passage tait trs compliqu. On a dj signal que les collecteurs et le Christ ne parlent pas du mme prlvement : les collecteurs font rfrence un impt religieux (capitation d'un didrachme aux versets 24-25, 27) ; le Christ parle dun impt civil (tribut ou cens, aux versets 25-26). Le chapitre est donc ambivalent ; il pourra tre utilis pour justifier ou pour combattre limpt civil pesant sur les clercs du XIIIe sicle. Que faut-il entendre de lhistoire de la redevance du Temple acquitte par Jsus et Pierre (Mt 17, 24-27) ? Le Christ lacquitte pour ne pas scandaliser ces gens-l alors que les fils sont exempts. La Glosa en dduit lexemption des clercs car le Christ a dit : Ergo liberi sunt filii, plus forte raison, ajoute la Glose, pour les fils du royaume qui est au-dessus de tout royaume, cest--dire les clercs, qui ne sont donc pas tenus dobir aux seigneurs temporels53. Le commentaire ne rglait pas toutes les ambigits. On comprenait en effet que le Christ tait exempt, mais quil avait pay, et que pour ne pas puiser dans la bourse tenue par Judas, il avait fallu un miracle pour trouver largent. Faudra-t-il, comme le suggre ironiquement ( ?) le matre en thologie Berthaud de Saint-Denis ( 1307), un miracle chaque fois quune redevance sera rclame aux clercs par le pouvoir54 ? Nicolas de Lyre justifie pour sa part la confusion faite par le Christ entre impt religieux et impt civil (Mt 17, 25-26). Il explique que Jsus est exempt la fois comme fils de Dieu de par sa nature divine (impt religieux) et comme fils de David de par sa nature humaine (impt civil). Le franciscain ne perd pas loccasion de clbrer la pauvret exemplaire du Christ. Car, si le Christ a demand Pierre de pcher un poisson, cest quil tait pauvre et quil navait pas de quoi payer le collecteur55. On comprend bien la conclusion que Nicolas de Lyre veut en tirer : les clercs fidles il faut comprendre ceux qui sont pauvres nont pas payer limpt, les clercs qui ont des biens devront payer. Le commentaire du franciscain est en fait une dnonciation des clercs qui ne respectent pas le vu de pauvret. La Postille de Nicolas de Lyre apporte au pouvoir royal une argumentation pour faire payer les clercs dfaillants. Causa formalis

    Que dit la Bible sur la quantit ou le pourcentage prlever ? Les rponses sont varies. Gn 41 envisage quintam partem ; Dt 17 dit quil ne faut pas multiplier les chevaux ; 1 R 10 26 donne le nombre prcis des chevaux (1200) et des chars (1400) de Salomon ; Lc 3, 14 ne donne quun conseil de modration (nihil amplius) et conseille den tre content (contente ostenti). Cest le chapitre 17 du Deutronome qui a le plus suscit de commentaires56. Nicolas de Lyre prend le contre-pied smantique du verset biblique qui invitait se mfier des biens matriels. Sa postille nnonce aucune limite quand la ncessit est en jeu. Elle est toute entire tourne vers la justification de lquipement royal en chevaux et en argent. Le prince ne multipliera pas les chevaux ni les quantits dor et dargent, sauf ajoute Nicolas de Lyre, pour ce qui regarde la ncessit de son tat et la dfense du royaume ( ad decentiam sui status et regni defensionem )57. Le seul risque envisag par le franciscain est lorgueil que le prince pourrait avoir de ses richesses. Nicolas de Lyre ne fait aucun

    53

    Glosa ordinaria, Mt 17, 25, col. 145. 54

    Berthaud de Saint-Denis, Quodlibeta (I, 1-2), d. Jean Leclercq, Deux questions de Berthaud de Saint-Denys sur lexemption fiscale du clerg , tudes dhistoire du droit canonique ddies Gabriel Le Bras, Paris, Sirey, 1965, 2 vol., t. 1, Quodlibeta I, 1, p. 611-614. p. 613. 55

    Nicolas de Lyre, Biblia sacra, Mt 17, 25-26, Anvers, 1634, t. V, 297. 56

    Dt 17 a mme servi de trame certains traits politiques : le Policraticus (1159) de Jean de Salisbury est lexemple le plus connu (Dt 17, 14-20). 57

    Nicolas de Lyre, Biblia sacra, Dt 17, 16-17, t. I, 1569-1570.

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    commentaire du nombre des chevaux et des chars de Salomon (1 R 10, 26). Sa postille littrale se borne rappeler la rputation des chevaux dEgypte et donner la dfinition du quadrige58... Salomon a raison, dit-il, de se proccuper de la scurit du royaume et de ses habitants, mme sil sait quil peut compter sur laide de Dieu, car ne rien faire serait une manire de tenter Dieu59. La postille dominicaine est-elle plus nuance concernant le pouvoir royal ? Dans son commentaire de Ez 45, 7, Hugues de Saint-Cher dfinit les limites territoriales de chacun. Le domaine du prince est part. Il faut sparer les biens, dit-il, les loigner les uns des autres pour quils ne se nuisent pas. Il conclut par le verset bien connu : Estote contenti (Lc 3, 14)60. Son commentaire littral de Lc 3, 14 napporte pas de prcision concernant les limites ; il faut, dit le matre dominicain, se contenter de ce que donne lempereur, ne pas dpasser les anciens usages. Les soldats sont au service du pays, il est normal quils en reoivent un salaire61. Hugues de Saint-Cher reviendra sur la solde dans le commentaire de Quis militat (1 Co 9) : chacun vit de son office ( quilibet vivat de officio suo ), Socrate disait que les soldats ne devaient pas avoir de biens propres, afin dtre plus libres ( liberius ) pour aller la guerre ; il en est de mme pour les clercs On le voit, Hugues de Saint-Cher pas plus que Nicolas de Lyre nopposent de limites, autres que morales, au pouvoir des princes temporels. En revanche, leur proccupation commune les amne tous deux stigmatiser les clercs pourvus de biens. Les commentaires ad litteram des versets fiscaux contribuent la dfinition, il faut comprendre la lgitimit, de limpt moderne. Forms aux mthodes de la facult, les tudiants devenus des matres reviendront sur ces sujets financiers, plus que jamais dactualit au XIVe sicle.

    III. LA DIFFUSION DES LEMMES ET DE LEURS COMMENTAIRES DANS LA LITTERATURE POLITIQUE

    Le reprage de la circulation des commentaires est une tche difficile. Non parce quils sont introuvables, car oublis, mais plutt parce quils sont omniprsents. Les contemporains ont une manire spcifique, souvent elliptique, dintgrer tout ou partie des crits antrieurs pour illustrer et pondrer leurs discours62. Le choix sest port dans cette dernire partie sur des textes (commentaires des Sentences et questions quodlibtiques) de thologiens, de philosophes ou de juristes plus ou moins proches du pouvoir politique (traits).

    58

    Id., 1 R 10, t. II, 779-780. 59

    Id., Biblia sacra, Mt 6, 25, Anvers, 1634, t. V, 138. 60

    Hugues de Saint-Cher, Opera omnia, Ez 45, t. 5, f. 139 va. 61

    Id., Lc 3, 14, t. 6, f. 150va. 62

    Identifier sources et citations, Jacques Berlioz (d.), Turnhout, Brepols, 1994.

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    1. Les thologiens Le Livre des Sentences

    On a dit plus haut (I, 2) que les tudiants en thologie commenaient par lire, cest--dire commenter, la Bible et quils sattaquaient ensuite aux Sentences. Le mot sentences dsigne ds 1120 des recueils de textes thologiques, comprenant citations des Pres et explications des matres sur la Bible. On compte sept recueils de ce genre entre 1120 et 1150. Puis, partir de 1155-1157, le terme finit par dsigner le Liber Sententiarum de Pierre Lombard (v. 1100-1160)63. Le matre y a regroup les sentences en quatre livres, chacun deux tant subdivis en distinctions, puis en questions. Les quatre livres traitaient de la Trinit (I), de la Cration (II), de lIncarnation et de la Rdemption (III) et des sacrements et fins dernires (IV). Le Livre des Sentences de Pierre Lombard entre trs vite, ds 1223-1227, au programme de la facult de thologie. Ce sera le manuel de thologie de la chrtient jusquau XVIe sicle. Chaque tudiant en thologie est amen commenter le recueil du Lombard en tablissant son propre dcoupage64. Lune des questions du deuxime livre, distinction 44 (II, di. 44) nous intresse particulirement : Doit-on quelquefois rsister au pouvoir ? (An aliquando resistendum sit potestati) . Pierre Lombard rpond : On doit savoir que l'Aptre parle dans ce cas du pouvoir sculier, c'est--dire du roi et du prince et dautre semblable, auxquels on ne doit pas rsister dans ce que Dieu ordonne de leur fournir (exhiberi), c'est--dire pour les tributs (tributis) et autres65. On le voit, quand il est question de pouvoir politique, Pierre Lombard voque immdiatement limpt par une allusion elliptique Rm 13, 1. A sa suite, les thologiens commentateurs des Sentences rpondront la mme question en insistant sur la tyrannie, lorigine du pouvoir ou la fiscalit (Pierre de Tarentaise, Richard de Mediavilla )66. Le dominicain Pierre de Tarentaise (v. 1225-1276), futur pape sous le nom dInnocent V, reprend le mme dcoupage que Pierre Lombard (II, di. 44), et pose la question : An christiani teneantur obedire saecularius dominis et tyrannis ? (II, di. 44, q. 3, a. 1). L encore, pouvoir, impt et obissance sont traits ensemble, mme si la question ne fait pas explicitement rfrence la fiscalit. Le matre dominicain intgre les rfrences Mt 17 et Mt 22, 21 dans sa rponse. Les clercs imitateurs du Christ, dit-il, il faut comprendre les clercs qui nont pas de biens nont pas acquitter les tributs (Mt 17). Il leur oppose ceux qui, linstar des juifs de Mt 22 possdent des pices leffigie de Csar, ce qui prouve leur compromission dans le monde , et justifie par consquent le paiement de limpt. Le commentaire des sentences du franciscain Richard de Mediavilla (vers 1249-1300) date de 1284. On

    63

    Pierre Lombard, Sententiae in IV libris distinctae, Rome, d. Collegii S. Bonaventurae Ad Claras Aquas Grottaferrata, 1971, p. 31. 64

    Pour la liste des commentaires des Sentences, cf Friedrich Stegmller, Repertorium commentariorum in Sententias Petri Lombardi, Wrzburg, 1947, 2 vol. Lire Gillian R. Evans, Mediaeval Commentaries of the Sentences of Peter Lombard, t. 1, Current Research, Leyde, Brill, 2002, et en particulier Russell L. Friedman, The Sentences Commentaries 1250-1320 General Trends. The Impact of the Religious Orders and the Test Case of Predestination , p. 41-128. On attend la thse de Claire Angotti sur Etude de manuscrits du collge de Sorbonne : la formation des tudiants en thologie de Paris aux XIII

    e et XIV

    e sicles, partir

    des annotations et des commentaires sur le Livre des Sentences de Pierre Lombard , sous la direction de Jacques Verger. 65

    Pierre Lombard, Sententiae in IV libris distinctae, II, di. 44, q. 2, p. 579-580. 66

    Pierre de Tarentaise ( 1276), In IV libros Sententiarum commentaria, Toulouse, 1652, t. 1, II, 44, 3, 1, f. 353 A ; Richard de Mediavilla ( 1300), Commentaria in libros Sententiarum, Venise, 1507-1509, II, 44, a. 3, q. 1, f. 175b-175d.

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    en dnombre 31 manuscrits. Il reprend le mme passage des Sentences sur la lgitimit de l'impt et pose la question : Utrum subditi teneantur obedire dominis temporalibus in soluendo tallias de nouo impositas que etiam non vergunt in utilitatem dominorum ? 67. Le matre franciscain alterne les arguments en faveur de lobissance (Pro) en citant Rm 13, 1 ; 1 P 2, 18 ; Eph 6, 5 ; et les arguments Contra en sappuyant sur Mt 17, 25 (Ergo liberi sunt filii) quil cite avec la Glose : donc les fils sont libres dans tout royaume, plus forte raison les fils du royaume qui est au-dessus de tout royaume, cest--dire les chrtiens qui ne sont donc pas tenus dobir aux seigneurs temporels . Questions quodlibtiques

    Les jeunes thologiens accdent la matrise puis dispensent leurs cours la facult de Paris. Quelques-uns eurent participer des sances solennelles ouvertes tous publics, o le matre se prtait au feu de questions portant sur nimporte quel sujet (de quolibet), do leur nom de sances quodlibtiques68. Lextrme majorit des questions poses tait dordre mtaphysique et thologique, mais on peut retenir sept questions quodlibtiques traitant de fiscalit poses aux matres sculiers et mendiants69. Les rponses des matres en thologie comptent au total 22 rfrences bibliques. On peut les regrouper en trois thmes principaux : les pouvoirs temporels perscuteurs de lAncien Testament (Gn 47 ; Nb 3 ; Ps 2 ; Ps 118, 161 ; Lm 1, 1) ; les injonctions lobissance aux pouvoirs en place (Rm 13, 1 ; Eph 6, 5 ; 1 P 2, 10, 13) et les trois grandes occurrences fiscales du Nouveau Testament qui engagent toutes payer limpt (Mt 17, 23-26) ; Mt 22, 21 ; Rm 13, 7). Nous retrouvons en partie notre anthologie fiscale biblique. Ces quodlibets appellent un certain nombre de remarques. La premire concerne la place de lautorit biblique dans les rponses des matres. Stricto sensu, il y en a 22, soit environ 10 % du total des rfrences. Le pourcentage est faible. Les matres ont surtout recours aux autorits juridiques (70 %), avec une nette prdominance pour le droit canonique. En ralit, les versets sont plus prsents quil ny parat, car les matres font aussi appel lexgse (5 %), et que le droit canon est imprgn de lemmes bibliques. Les sources sembotent les unes dans les autres. Ces remarques ne font que nuancer la place primordiale qua prise la culture juridique chez les matres en thologie de la facult de Paris70. La deuxime remarque porte sur lutilisation de lautorit biblique. A la question de la lgitimit du paiement de limpt, le matre utilise les arguments bibliques pour la partie Pro, mais il abandonne la Bible dans la dtermination pour envisager tous les cas et les conditions ncessaires lacquittement fiscal. On peut lillustrer par la question pose en 1287 Richard de Mediavilla : Les sujets sont-ils tenus de payer leurs seigneurs temporels des tailles nouvelles qui tournent seulement l'utilit de leurs seigneurs ? 71. Le matre franciscain rpond OUI (Pro) et justifie sa rponse par une grappe de

    67

    Richard de Mediavilla, Commentaria in libros Sententiarum, II, di. 44, a. 3, q. 1, Venise, 1507-1509, f. 175b-175d. 68

    La question quodlibtique apparat vers 1230, cest une sance extraordinaire qui a lieu deux fois par an. Il faut la distinguer de la quaestio, pose propos dun texte, et la disputatio, propos dune discussion, qui sont intgres dans lenseignement ordinaire. Lire Les questions disputes et les questions quodlibtiques dans les facults de thologie, de droit et de mdecine, Bernardo C. Bazan, John W. Wippel, Grard Fransen, Danielle Jacquart (d.), Turnhout, Brepols, Typologie des sources du Moyen ge occidental , 44-45, 1985. 69

    Liste des sept intituls des questions quodlibtiques dans L. Scordia, Les autorits cites lors des dbats sur limpt , p. 45-46. 70

    Sur les raisons de limportance du droit dans les rponses des matres, L. Scordia, Les autorits cites lors des dbats sur limpt , p. 31-34, 37-43. 71

    Richard de Mediavilla, Quodlibeta, III, 27, Paris, BnF, ms. lat. 14305, f. 194vb-195rb : Utrum subditi teneantur dominis temporalibus in solvendo tallias de novo impositas que vergunt solum in utilitatem dominorum suorum ? . Question dite et traduite dans L. Scordia, Le roi doit vivre du sien, p. 457-464.

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    lemmes bibliques : 1 P 2, 18 ; Eph 6, 5 qui prnent lobissance envers les seigneurs temporels, y compris les mauvais, sauf pour ce qui va contre Dieu. Les citations sont clairement identifies, mais non commentes. De plus lensemble de la partie Pro ne reprsente que 6 % du total de la rponse. On aura remarqu que cette question quodlibtique est quasi identique la question du commentaire des sentences que Richard avait traite trois ans auparavant. Que faut-il en dduire ? Le matre sest-il fait poser une question quil matrisait bien lors de la sance quodlibtique ? Est-ce Richard qui a rapproch les deux questions dans la synthse quil a faite aprs la sance ? Cest cette question unique en son genre qui a t recopie par Evrart de Trmaugon dans le trait politique que le roi Charles V lui avait command et qui prendra le nom de Somnium viridarii (Songe du Vergier)72.

    2. Les traits politiques

    Les traits politiques des XIIIe-XIVe sicles rdigs par des auteurs frus de thologie et de droit sollicitent leur tour les versets bibliques connotation fiscale. Nous en prendrons trois exemples. Le premier appartient la littrature de conseil quon appelle miroir au prince 73. Les deux autres sont des traits politiques inscrits dans le contexte des rgnes de Jean II et Charles V, lpoque des troubles parisiens et des problmes financiers dus la formidable ranon demande par les Anglais pour le roi prisonnier. Le De regimine judaeorum (cf Annexe) En 1271, Thomas dAquin ( 1274) rdige un trait en rponse une srie de huit questions poses par Marguerite de Constantinople, comtesse de Flandre de 1245 1278, d'o le titre donn dans l'dition Frett : De regimine judaeorum ad ducissam Brabantiae74. La sixime question commenait ainsi : Siximement, vous demandez si il vous est permis de faire des prlvements sur vos sujets chrtiens ( Sexto quaerebatis, si liceat vobis exactiones facere in vestros subditos christianos )75. La rponse de Thomas est un centon de lemmes bibliques cits et allusifs, o lon reconnat bon nombre des versets de notre anthologie. Thomas dAquin commence par lgitimer les princes terrestres institus par Dieu (rminiscence de Rm 13, 1). Les princes sont appels servir lutilit commune du peuple et non leur propre gain. Suivent trois passages des livres prophtiques : Ez 22, 27 ; 34, 2-3 ; 45, 8. Malheur aux pasteurs-princes transforms en loups ravisseurs (Ez 22), qui oublient leur fonction de patre leurs brebis-sujets (Ez 34). Pour viter cette mutation du pasteur en loup, cest--dire du roi en tyran, le prince doit avoir un domaine pour ne pas opprimer et imposer les populations (Ez 45). Mais si les revenus domaniaux ne sont pas suffisants pour dfendre les terres et faire ce qui est attendu raisonnablement des princes, il est juste que les sujets payent pour lutilit commune du peuple. Limpt sera dautant plus lgitime quil est ancien et non excessif, car nul ne sert ses propres frais (1 Co 9). Et si un cas survient qui ncessite de largent pour lutilit commune et pour conserver un tat honnte, comme par exemple

    72

    L. Scordia, Les sources du chapitre sur limpt dans le Somnium Viridarii , Romania, 117 (1999), p. 115-142. 73

    Les versets bibliques structurent parfois les miroirs au prince : Jean de Salisbury, Policraticus ; Guibert de Tournai, Eruditio regum et principum (1259) ; le Liber de informatione principum (vers 1315)... Pour une dfinition et une bibliographie rcente sur le genre des miroirs, lire Frdrique Lachaud et Lydwine Scordia, Introduction , Le prince au miroir de la littrature politique de lAntiquit lpoque moderne, Actes du colloque de Rouen et Paris IV-Sorbonne, Rouen, 9-10 mars 2005, F. Lachaud et L. Scordia (d.), Rouen, PURH, 2007, p. 11-17 et 425-428. 74

    Thomas dAquin, De regimine judaeorum ad ducissam Brabantiae, dans Opera omnia, d. Stanislas E. Frett, Opuscula varia, t. 27, Paris, L. Vivs, 1875, p. 413-416. On trouvera cet extrait en Annexe. 75

    Ibid., p. 415.

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    linvasion par les ennemis, les princes peuvent exiger des prlvements ordinaires (rguliers). Mais sils veulent plus pour leur seule libido habendi ou pour des dpenses dsordonnes, leur demande nest pas licite, car Jean-Baptiste a dit : contentez-vous de votre solde (Lc 3, 14). Les princes ont des revenus dont ils doivent se contenter. Ainsi, le roi idal vit des revenus de son domaine. La rponse de Thomas dAquin correspond au discours canonique sur limpt. Le roi nimpose pas ses sujets sauf en cas de ncessit. Il soppose en tous points au tyran qui cherche son propre bien. Le passage pose nanmoins quelques difficults dduites des deux types de lgitimit fiscale admis : 1. le prince ne doit imposer quen cas de ncessit ; 2. le prlvement doit tre ancien. Comment la causa finalis peut-elle tre la fois soudaine et ancienne ?76 Le De Moneta Profondment inscrit dans le contexte des troubles parisiens (financiers et politiques) des annes 1355-1357, le De Moneta (DM) date de 135577. Louvrage nest pas une commande royale, Nicolas Oresme (v. 1322-1382) tait alors proche des milieux rformateurs et du roi de Navarre, Charles le Mauvais. Oresme expose en 26 chapitres une thorie montaire et une conception politique. Le point de dpart est une question : la monnaie est-elle la chose du prince ? Le philosophe rpond que la monnaie est un instrument d'changes, elle est la proprit de ceux qui appartiennent les richesses, c'est--dire de la communaut. La monnaie n'est donc pas la chose du prince ; il ne peut la modifier et en tirer profit s'il veut garder le nom de roi et viter celui de tyran. Il semble que le propos dOresme ait t entendu car le franc fut cr par Jean II le 5 dcembre 1360. Ralli en 1361-1362, Oresme traduisit en franais, la demande de Charles V, les quatre uvres d'Aristote, entre 1370 et 137778. Il reoit l'vch de Lisieux en 1377 et meurt le 11 juillet 1382, deux ans aprs le sage roi. Parmi les sources dOresme, on trouve trois belles occurrences bibliques librement commentes par le philosophe : - Dans sa rponse la question 6 : qui appartient la monnaie ? Oresme fait rfrence Mt 22, 21 (DM, 6-7 6-11). Il prcise que le fait que leffigie de Csar soit sur la pice ne signifie pas que la pice appartienne Csar. Oresme fait appel un autre lemme que nous connaissons bien : si le Christ montre leffigie cest pour indiquer que le tribut est d Csar, comme le dit Rm 13, 7 qui le tribut, le tribut. - Dans la question 10 intitule Du changement de la proportion des monnaies , Oresme compare la fraude du changement de valeur de la monnaie lhistoire de Joseph en Gn 41 et Gn 47. Joseph achte le bl bas prix en Gn 41 et le revend plus cher en Gn 47. Celui qui fait de mme, dit-il, est plus tyrannique que ce que fit Pharaon en gypte (DM, 10-7 ; 10-9). Son commentaire est une libre interpolation des lemmes bibliques qui a pour objet dincriminer le Pharaon, prfiguration du roi79 - Les questions 19 et 25 traitent des inconvnients des changements montaires, le principal tant que le tyran ne peut se maintenir longtemps. Oresme exploite lhistoire de lpre Roboam, fils de Salomon, qui perd une grande partie du royaume par ses excs fiscaux (1 R 12, 4 et 14). Par contraste, Oresme raconte lhistoire de Thopompe, roi des Lacdmoniens, quil tire de la Politique dAristote (Pol. V, 11). Il compare la succession exemplaire de Thopompe et la mauvaise succession de Salomon. Et lon voit

    76

    L. Scordia, Le roi doit vivre du sien, p. 153-164. 77

    On compte peu de manuscrits du De moneta. Le texte a t tardivement dcouvert par lAllemand G. Roscher en 1860 ; la premire dition date de 1864. On conseillera la consultation de ldition suivante : Nicole Oresme, De Moneta, dition trilingue Jacqueline A. Fau, Paris, Cujas, 1990. 78

    La Politique, lthique, l'conomique et le Livre du ciel et du monde. 79

    L. Scordia, Le roi doit vivre du sien, p. 225-228.

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    bien que dans cette comparaison, le bon exemple est antique et le contre-exemple biblique80. En effet, si Roboam, dont j'ai fait mention plus haut, avait reu de son pre Salomon une royaut prpare de cette faon, jamais il n'aurait perdu dix des douze tribus d'Isral et on ne lui aurait pas reproch (DM, 25-25). Contre un tyran qui divise le royaume et provoque son effondrement, Oresme plaide pour un prince responsable envers son successeur. Faut-il y voir une allusion aux relations complexes entre Jean II et son fils Charles ? La comparaison entre Salomon et Thopompe tourne en dfaveur du roi biblique qui n'a pas su prparer sa succession. Oresme incrimine d'ailleurs davantage le pre (Salomon) qui n'a pas su prparer sa succession plus que le fils (Roboam), mme si c'est Roboam qui a perdu le royaume par sa violence (1 R 12, 1-24 et 2 Ch 10, 1-19). Le roi Thopompe prpare sa succession, il abolit les taxes de ses prdcesseurs pour assurer la prennit du royaume. Et il transmet son fils un bien plus durable que toutes les taxes. Ce bien est la royaut modre (DM, 25-16). Le Songe du Vergier

    Clbre trait politique, le Songe du Vergier a t command par le roi Charles V en 1374 au matre des requtes vrart de Trmaugon, docteur in utroque iure . Le texte latin est termin en 1376. Il est traduit en franais en 137881. Lauteur a choisi lartifice du dialogue entre un clerc de profonde science et un chevalier merveilleusement dou pour dfinir les pouvoirs spirituel et temporel et leurs relations. Mais compte tenu du contexte politique, financier et militaire, de nombreux sujets contemporains sont abords. Carl Mller a dmontr en 1877 que le Songe tait une compilation82. Les sources de la moiti des chapitres ont ce jour t identifies. Jai dmontr dans un article de la Romania que les sources du chapitre sur limpt taient Raymond de Penyafort et Richard de Mediavilla par Astesanus dAsti interpos83. Or, il ny a pas une seule citation biblique dans ce chapitre, alors que les sources compiles en comportaient. Revenons sur les termes du dbat. Le clerc du Somnium viridarii demande au chevalier de quel droit le roi lve l'impt ? N'est-ce pas un acte de tyrannie ?84 Le chevalier rpond longuement, pse le pour et le contre, et dfinit les conditions de la lgitimit de l'impt85. Evrart de Trmaugon a mis dans la bouche du chevalier, qui est lhomme du roi, la partie Contra de largumentation du franciscain Richard de Mediavilla qui lgitime limpt sous certaines conditions. On trouve en revanche de nombreux versets bibliques dans dautres parties du trait (voir les index de Marion Schnerb). Parmi les lemmes fiscaux rpertoris, deux thmes principaux. Le premier sur la question lancinante du paiement de limpt par les clercs. Le clerc du Somnium est videmment pour lexemption : il cite Mt 17, le chevalier aussi, condition que les clercs vivent vraiment comme des clercs, sans biens ni commerces...86, et quils soient pauvres comme le Christ. On reconnat le commentaire de la Glose. Le mme sujet revient au chapitre suivant, lautorit biblique cite est cette

    80

    Pour plus de dtails sur Thopompe, L. Scordia, Thopompe est-il un roi tutlaire de la royaut franaise ? , dans Royauts imaginaires, Actes du colloque de Paris X-Nanterre, 26 et 27 septembre 2003, Anne-Hlne Allirot, Gilles Lecuppre et Lydwine Scordia (d.), Turnhout, Brepols, 2005, p. 33-51. 81

    Le Songe du Vergier, d. Marion Schnerb-Livre, Paris, CNRS, 1982, 2 vol. ; Somnium Viridarii, d. Marion Schnerb-Livre, Paris, CNRS, 1995, 2 vol. 82

    Carl Mller, Ueber das Somnium Viridarii, Beitrag zur Geschichte der Literatur ber Kirche und Staat in 14. Jahrhundert , Zeitschrift fr Kirchenrecht... hrsbg, von R. Dowe, 14 (1877), p. 134-205. 83

    Les chapitres I, CXL du Somnium viridarii ; et I, CXXXVI du Songe du Vergier, lire L. Scordia, Les sources du chapitre sur limpt , p. 115-142. 84

    Somnium viridarii, I, CXXXIX, p. 180. 85

    Ibid., I, CXL, p. 180-185. 86

    Somnium viridarii, I, XXIX, 2, p. 31 ; Songe du Vergier, I, XXIX, p. 42. Dont la source est la Disputatio inter militum et clericum (1297).

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    fois Rm 13, 787. Quoique les fils soient libres selon Mt 17, les clercs doivent payer comme la fait le Christ pour la paix des glises. On imagine bien que Mt 22 est souvent sollicit dans ce trait sur les rapports entre les deux pouvoirs. Tout pouvoir vient de Dieu (Rm 13, 1), y compris les seigneuries paennes88. Donc le chevalier considre que les clercs doivent payer les charges relles aux princes, car Reddite (Mt 22, 21)89. Le Somnium viridarii revient sur lambigut des versets bibliques. Alors que le chevalier ne cesse dutiliser les versets bibliques contre le clerc, cest--dire de retourner les armes de lennemi contre lui, le clerc finit par ragir car la dispute entre les deux parties nest pas joue davance, mme si lon comprend bien que cest le chevalier qui aura le dernier mot, mais quelle serait la victoire du chevalier si le clerc tait inexistant ? lhomme dEglise revient sur le contre-sens sur Mt 22, ou plutt sur lunicit dexplication de ce passage. Le clerc rpond au chevalier : vous avez souvent allgu ce verset, mais que veut-il dire ? Il ne signifie pas la distinction des pouvoirs, comme vous le croyez, mais cest la rponse faite par le Christ la question perverse des juifs qui, croyant quils taient le peuple de Dieu, refusaient de payer limpt au roi paen. Et Jsus distingue limpt (cens et tribut) d Csar et les sacrifices dus selon la Loi90. Dcidment, lautorit biblique a un nez de cire . La Bible est une autorit utilise pro et contra dans cette joute entre le chevalier et le clerc. Les commentaires politiques et actualisants dun texte, la Bible, qui nest ni politique ni actualisant, font leur apparition la fin du XIIIe sicle. Ils refltent le dveloppement du commentaire biblique ad litteram et les interrogations dues au contexte. Le texte saint et lu, tudi et entendu. Il inspire les discours religieux (offices liturgiques et sermons) 91. Omniprsents dans lexgse et un moindre titre dans les traits politiques, les versets bibliques noccupent pas une place importante dans les ordonnances royales92. Lesprit a-t-il rendu inutile le recours la lettre ?

    87

    Somnium viridarii, I, XXX, p. 31-32; Songe du Vergier, I, XXX, p. 43. 88

    Somnium viridarii, I, CXLVIII, 13, p. 197 ; I, CLXII, 13, p. 225 ; Songe de Vergier, I, CII, 13, p. 176-177 ; I, CXXVIII, 13, p. 212-213. Dont la source est Guillaume dOccam, Octo quaestiones de potestate Papae (1326). 89

    Somnium viridarii, II, CXIV, p. 68 ; Songe du vergier, II, CVI, p. 87. 90

    Somnium viridarii, II, CXXXIV, p. 77-78 ; Songe du vergier, II, CXII p. 98-99. 91

    Nicole Briou, Lavnement de la Parole. La prdication Paris au XIIIe sicle, Paris, Institut dEtudes augustiniennes,1998, 2

    vol. Lire aussi les sermons politiques dits par Jean Leclercq, Franco Morenzoni, Jean-Paul Boyer 92

    Lire Sophie Petit-Renaud, Faire loy au royaume de France de Philippe VI Charles V (1328-1380), Paris, De Boccard, 2003, p. 106-108.

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    Annexe Thomas dAquin, De regimine judaeorum ad ducissam Brabantiae, in Opera omnia, d. Stanislas E. Frett, Opuscula varia, t. 27, Paris, d. L. Vivs, 1875, p. 415-416 (extrait)93. [] Sexto quaerebatis, si liceat vobis exactiones facere in vestros subditos christianos. In quo considerare debetis quod principes terrarum sunt a Deo instituti non quidem ut propria lucra querant, sed ut communem populi utilitatem procruent. In reprehensione enim quorumdam principum dicitur in Ezech. 22, 27 : Principes eius in medio eius quasi lupi rapientes praedam positi ad effundendum sanguinem et ad perddendas animas et avaritiae lucra sectanda : et alibi dicitur per quemdam Prophetam Ezech. 34, 2 : Vae pastoribus Israel qui pascebant semetipsos. Nonne greges pascuntur et pastoribus ? Lac comedabatis et lanis cooperiebamini ; quod crassum erat occidebatis ; gregem autem meum non pascabitis. Unde constituti sunt reditus terrarum principibus, ut ex illis viventes a spoliatione subditorum abstineant. Unde in eodem Propheta, cap. 45, 8, Domino mandante dicitur quod principi erit possessio in Israel et non depopulabuntur ultra principes populum meum. Contingit tamen aliquando quod principes non habeant sufficientes reditus ad custodiam terrae, et ad ea quae imminent rationabiliter principibus expendenda. Et in tali casu justum est ut subditi exhibeant unde possit communis eorum utilitas procurari. Et inde est quod in aliquibus terris ex antiqua consuetudine domini suis subditis tallias certas imponunt, quae si non sunt immoderatae, absque peccato exigi possunt : quia secundum Apostolum [1 Co 9, 7], nullus militat stipendiis suis. Unde princeps, qui militat utilitati communi, potest de communibus vivere et communia negotia procurare vel per reditus deputatos, vel si hujusmodi desint, aut sufficientes non fuerint, per ea quae a singulis colliguntur. Et similis ratio esse videtur, si aliquis casus emergat de novo, in quo opportet plura expendere pro utilitate communi, vel pro hoonesto statu principis conservando, ad quae non sufficiunt reditus proprii, vel exactiones consuetae, puta, si hostes terram invadant, vel aliquis similis casus emergat. Tuns enim et praeter solitas exactiones possent licite terrarum principes a suis subditis aliqua exigere pro utilitate communi. Si vero velint exigere ultra id quod est institutum, pro sola libidine habendi, aut propter inordinatas et immoderatas expensas : hoc eis omnino non licet. Une Joannes Baptista militibus ad se venientibus dixit Luc. 3, 14 : Neminem concutiatis, nec calumniam faciatis ; et contenti estote stipendiis vestris. Sunt enim quasi stipendia principus eorum reditus ; quibus debent esse contenti, ut ultra non exigant, nisi secundum rationem praedictam, et si utilitas est communis. []

    93

    Les lemmes bibliques sont mis en italiques ; leur identification en caractres gras.

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    LA DIME SALADINE

    Christophe DE LA MARDIERE et Emmanuelle CHEVREAU, Professeurs luniversit de Bourgogne et luniversit de Paris II (Panthon-Assas)

    an du Seigneur 1188, au mois de mars, vers le milieu du carme, le roi Philippe convoqua Paris une assemble gnrale : tous les archevques, vques, abbs et barons du royaume y furent appels, et on y revtit du signe sacr de la croix un

    nombre infini de chevaliers et de gens de pied. Pour subvenir aux besoins pressants o il se trouvait (car il se disposait au voyage de Jrusalem), le roi dcrta, avec lassentiment du peuple et du clerg, une dme gnrale pour cette anne seulement. On nomma cet impt la dme de Saladin 94. La dme saladine fut donc un impt lev par Philippe-Auguste pour financer la 3e croisade, entreprise afin de reprendre Jrusalem Saladin, sultan dgypte. Saladin avait en effet russi lexploit dunifier les musulmans pour reconqurir la ville sainte. Il tait lexemple mme de la temprance orientale. Sage Orient qui ne mritait srement pas de subir ces expditions dsastreuses que furent les croisades, successions de massacres et de pillages. Pendant des sicles en effet, les chrtiens dOrient et leur culte furent tolrs par les arabes, la condition de payer limpt. Le tombeau du Christ Jrusalem, le Saint-Spulcre, tait le plus souvent respect par les musulmans et les chrtiens navaient jamais cess dy venir en plerinage. Au XIe sicle, o la pit devint plus ardente, les plerinages furent plus frquents, Saint-Jacques de Compostelle, Rome et surtout Jrusalem. Un tel priple permettait dexpier jusquaux pchs les plus graves. Ces plerins trouvaient donc le Saint-Spulcre sous lemprise des musulmans, et alors mme que ceux-ci les laissaient gnralement faire leurs dvotions, il leur a sembl quil serait agrable au Seigneur de dlivrer son tombeau des infidles95. Le pape, reconnu au XIe sicle comme chef de la chrtient, exhorta les chevaliers ne plus se battre entre eux mais contre les ennemis du Christ. En 1095, au concile de Clermont, il lana la premire croisade. Aprs trois ans dexpdition, auxquels bien peu de croiss avaient survcu, les Francs prirent Jrusalem et massacrrent tous ses habitants. Les nouvelles possessions chrtiennes en Orient furent bien difficiles tenir car la plupart des croiss, ayant ralis leur vu de librer le tombeau du Christ, repartaient pour lEurope. Ne restaient que quelques chevaliers avides de fiefs et des marchands italiens qui cherchaient fortune. La position des Francs tait fragile. Trop peu nombreux, ils navaient que la matrise des ctes, tandis que les Sarrasins tenaient lintrieur des terres. La chute ddesse, en haute Msopotamie, enleve par les Turcs, consterna les chrtiens, qui dcidrent dune deuxime croisade.

    94

    RIGORD, Vie de Philippe-Auguste , in F. GUIZOT (dir.), Collection de mmoires relatifs lhistoire de France, Brire, 1825, t. XI, p. 73. 95

    Ch. SEIGNOBOS, Les croisades , in E. Lavisse et A. Rambaud (dir.), Histoire gnrale du IVe sicle nos jours, A. Colin, 1893, t. 2, p. 299.

    L

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    Ce fut un dsastre pouvantable, les Francs trouvrent le moyen de se quereller, tandis que les musulmans sunissaient sous la bannire de Saladin. Le sultan tait pieux et regardait comme un devoir dexpulser les chrtiens dOrient. Il prit Jrusalem et laissa la vie aux Francs moyennant une ranon. Entr dans la ville, il fit abattre les croix, briser les cloches, purifier les mosques avec de lencens ou de lessence de rose 96. La consternation fut encore plus grande en Europe, do on lana la troisime croisade. On se doute que ces expditions cotaient fort cher, do la ncessit de lever un impt. La dme saladine eut la singularit de constituer la fois un impt gnral et religieux. Gnral car il fut rclam tous ceux qui ne partirent pas pour la croisade, y compris les nobles et les clercs. Religieux parce quil avait pour objet de financer une guerre sainte et fut donc sanctionn par des peines ecclsiastiques. Le terme de dme avait donc galement une connotation religieuse bien quil ne sagt pas du dixime d au clerg. En effet son produit ne revenait pas seulement lglise et de plus tait payable en argent alors que la dme se payait en nature, par la remise dune partie des rcoltes. Limpt prenait donc une nature pcuniaire pour remplacer le sacrifice reprsent par le service militaire. Tous ceux qui ne voulaient ou ne pouvaient prendre les armes en taient redevables et ainsi finanaient ceux qui se croisaient. Nul doute que le roi se servt de la dme saladine pour tenter de convaincre les esprits de la ncessit dun impt royal, de manire entretenir une arme et payer des fonctionnaires. Tentative que Philippe le Bel reproduira plusieurs reprises. Ce sera un combat de longue haleine, qui mettra des sicles aboutir. Car il tait entendu que le roi ne devait vivre que des revenus de son domaine. lpoque captienne, on a dailleurs des raisons de croire quil en vivait fort bien ; ainsi, la fin du rgne de Louis VII, pre de Philippe-Auguste, le domaine produisait un revenu de 228 000 livres parisis, ce qui faisait du roi le seigneur le plus riche de France97. On distinguait donc entre les finances ordinaires du roi, soit le produit de son domaine, et les finances extraordinaires, pour les besoins desquelles, titre exceptionnel, il pouvait en appeler ses sujets. On ne peut douter, ce propos, que la dme saladine appartint la seconde catgorie, pour constituer une aide, secours d par les vassaux au suzerain, ds lors quelle peut se dfinir comme un impt gnral embrassant luniversalit des personnes et des biens 98. Les aides ntaient lgitimes que dans trois situations : quand le seigneur armait chevalier son fils an, quand il mariait sa premire fille et lorsque fait prisonnier, il fallait verser une ranon pour obtenir sa libration. Ce fut prcisment Louis VII qui ajouta le cas de croisade, en 1147, pour financer la deuxime expdition. On sait peu de chose sur cet pisode financier, sinon que le roi exigea, sans solliciter semble-t-il le consentement limpt, un vingtime des revenus et que personne ne fut exempt99, pas mme les clercs. Seuls les croiss bien sr en furent dispenss. On ne peut dire que cet impt fut un succs puisque Louis VII dut emprunter au Temple. Ce fut prcisment compter de cette poque que les Templiers devinrent les banquiers de la couronne100. Par ailleurs limposition fut bien mal accueillie et souleva de nombreuses protestations101, surtout dans lglise, signe que limpt royal, mme extraordinaire, nallait pas de soi.

    96

    Ibid., p. 326. 97

    F. LOT, R. FAWTIER, Histoire des institutions franaises au Moyen-ge, t. 2 : Institutions royales, les droits du Roi exercs par le Roi, PUF, 1957, p. 159. 98

    J.-J. CLAMAGERAN, Histoire de limpt en France, livre 1, Guillaumin, 1867, p. 278. 99

    Ibid., p. 279. 100

    A. NEURISSE, Deux mille ans dimpts, d. Sides, 1995, p. 61. 101

    G. HUGOT, Le rle de la dclaration en matire dimpt direct, th. Paris, Giard et Brire, 1910, p. 28.

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    Philippe-Auguste se souviendra des difficults rencontres par son pre. Il fera de la dme saladine un impt tonnamment moderne, prfigurant ce que reprsente une imposition juste et efficace. Hlas le rsultat ne fut pas la hauteur des esprances, il fallut bien reconnatre lchec de la dme saladine.

    I. UN IMPOT DAVANT-GARDE Pour dire limpulsion religieuse que reut la dme saladine, la chute de Jrusalem, le pape Grgoire VIII prend le deuil de la chrtient. Avec la perte de la ville sainte, un effort presque centenaire est ananti, la route du plerinage est coupe, les lieux saints deviennent inaccessibles. Le pape fait le reproche chaque chrtien des fautes commises, dcrit le drame comme un jugement de Dieu, invite la croisade en rmission des pchs, la prsente comme la source du rachat et du salut. Pour marquer le malheur qui atteint toute la chrtient, Grgoire VIII change les couleurs du sceau pontifical, interdit le luxe des vtements et les dpenses somptuaires, ordonne tous les fidles un jene extraordinaire de cinq ans. Les cardinaux dcident de parcourir le monde en prchant et en mendiant, ils sinterdisent de monter cheval et de recevoir tout cadeau de leurs justiciables, jusqu la dlivrance de Jrusalem102. Des lgats du pape se mettent en route, convainquent Philippe-Auguste et Henri II dAngleterre, qui se combattent, de cesser les hostilits pour prendre la croix. Lempereur germanique, Frdric Barberousse, part avec une troupe de cent mille hommes. La propagande est considrable. Le clerg promne sur les marchs des images pour mouvoir la foule illettre. Lune delles reprsente le Christ ensanglant, flagell par les Sarrasins, avec cette lgende : Voil le Christ, que Mahomet, prophte des musulmans, a frapp, bless et tu 103. On comprend ainsi que lOrient dut recevoir lassaut fanatique de croiss haineux et sanguinaires. Cest tout juste si Renaud de Chtillon ne fut pas sanctifi, ce seigneur brigand qui rompit la trve conclue avec Saladin en attaquant une caravane. Le sultan jura de le tuer de sa main et proclama la guerre sainte fatale aux chrtiens. Parce que Renaud aurait montr quelque fiert courageuse avant de tomber sous les coups de Saladin, on en fit un martyr104. La dme saladine fut ainsi leve dans cette poque bruissant de remord et de vengeance. En mars 1188, Philippe Auguste runit donc Paris le clerg et la noblesse de manire recueillir leur consentement limpt. Cest la premire vertu que lon pourra reconnatre la dme saladine, le respect de lassentiment du peuple et du clerg, par peuple il ne faut entendre que les nobles. Consentement que prcisment nombre de rois de France, par la suite, se sont efforcs de mconnatre pour asseoir leur autorit. Le roi prend deux ordonnances dont le texte nous est parvenu notamment grce Rigord, dans sa Vie de Philippe-Auguste. La premire est relative aux dettes des croiss, qui profitent dune sorte de moratoire. En effet, celui qui se croise devient un plerin, personnage ecclsiastique qui, en son absence, ne peut, sous peine dexcommunication, tre poursuivi par ses cranciers. La mme pratique fut retenue ds la premire croisade105. Une garantie peut nanmoins tre constitue106.

    102

    R. FOREVILLE, J. ROUSSET de PINA, Histoire de lglise depuis les origines jusqu nos jours, t. 9 : Du premier concile de Latran lavnement dInnocent III (1123-1198), 2

    e partie, Bloud et Gay, 1953, p. 201.

    103 Ibid., p. 206.

    104 Cf. Pierre de BLOIS, Passion de Renaud de Chtillon, prince dAntioche.

    105 Ch. SEIGNOBOS, op. cit., p. 301.

    106 A. CARTELLIERI, Philipp II August, Knig von Frankreich, Leipzig, 1899-1922, t. 2, p. 56.

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    La seconde ordonnance se rapporte la dme. Le tarif de limpt est proportionnel, gal au dixime des revenus fonciers et de la valeur des biens meubles. Limposition est directe comme gnrale en ce sens quelle atteint tout le monde, lexception des croiss bien sr, sur lensemble des biens ou des fruits quils produisent. Elle frappe donc tant le revenu que le capital. Luniversalit de limpt, pour npargner ni les clercs, ni les nobles, est chose extraordinaire et lglise sen plaindra beaucoup. Mme si la dme nest pas toujours paye au roi, elle reprsente cependant une marque dallgeance faite au suzerain. Les collecteurs de limpt sont les seigneurs sagissant des communes, les archevques, vques et chapitres sagissant des clercs, les seigneurs ayant haute justice pour les nobles. Le roi ne peut donc percevoir limpt que sur son domaine, en tant que seigneur haut justicier, celui qui peut punir de mort ou condamner des chtiments corporels. Plus quun impt royal il sagit donc dun impt seigneurial, tout emprunt de fodalit107. Il est bien entendu que celui qui ne prend pas la croix doit