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La communion · rer et à contempler qu’à comprendre et à expliquer. Et 3 ... et dans cet état de silence, ... Dieu est le mendiant de notre amour et nous donne le sien

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La communion

dans la prière

Circulaire du supérieur général

Fr. José Ignacio Carmona

Un pèlerinage d’espérance

2 Frères du Sacré-Coeur

Les questions qui fusent dans ma tête sont nom-breuses au moment de commencer cette circulaire. Jeme retrouve comme ce jeune qui, le premier jour dela retraite, s’adressait à nous, animateurs et compa-gnons, et résumait sa situation en ces mots : « J’aibeaucoup de questions mais aucune réponse ». Troisjours plus tard, au moment de nous séparer, il cla-mait, plein de joie : « J’ai trouvé : Jésus Christ estl’unique réponse ».

Mes frères et amis, quand j’ai écrit la première cir-culaire, en septembre de l’année dernière, je me suisengagé à vous en adresser une deuxième pour le moisde mai 2008 sur le thème de la prière ; je nourrissaisle désir de nous aider à vivre plus profondément notrecommunion avec Dieu. Maintenant que le moment detenir ma promesse est arrivé, je me retrouve commele jeune de la retraite : plein de questions. Qu’est-ceque la prière ? Comment apprendre à prier ?Comment nous stimuler à prier ? Comment arriver àdevenir véritablement des hommes de prière ? … Jedois même avouer qu’au moment de commencer àécrire, je suis envahi par la peur, celle-là même quioppresse certains artistes avant d’entrer en scène.Oui, j’ai peur de ne pas arriver à dire quelque chosede profitable. Parce qu’il ne s’agit pas seulementd’écrire ; il importe que ce que l’on écrit soit utile.

Il y a des expériences qui sont plus faciles à admi-rer et à contempler qu’à comprendre et à expliquer. Et

3Circulaire du supérieur général

I N T R O D U C T I O N

L’amour de Dieu et la Providenceles (les frères) attachent avant tout

aux Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie.C’est leur bannière, ils ne doivent jamais la quitter.

(André Coindre, Écrits et documents, 1,Lettres, 1821-1826, Lettre VIII, p. 89)

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cela se vérifie même dans les sciences profanes. Parexemple, quelle est la cause de l’attraction réciproqueentre la terre et la lune ? L’un invoquera les forcesgravitationnelles. Mais un autre prétendra que nul nepeut agir là où il n’est pas présent ; comment alorsexpliquer qu’entre la terre et la lune, il existe uneforce réciproque d’attraction si aucune des deux ne setrouve dans l’autre ? Aujourd’hui, nous savons queles sciences profanes sont bien loin de répondre à tou-tes les questions qui peuvent se poser à propos desthèmes qui leur sont propres. Et nous savons égale-ment qu’à mesure que le temps passe, ces réponsespeuvent se rapprocher de la vérité mais jamais ellesn’arriveront à exprimer toute la vérité.

Si ce qui précède ne fait l’objet d’aucun doute pource qu’on peut voir et toucher, il l’est bien davantagepour tout ce qui regarde Dieu et l’expérience de Dieu.Antoine de Saint-Exupéry disait qu’on « ne voit bienqu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux ».Comme Moïse, nous ne pouvons voir Dieu que de dos(cf. Ex 33, 20). Cela veut dire que même si nous fai-sons des progrès dans sa connaissance, ce que nousignorons de lui l’emportera toujours sur ce que nousen savons. Le mystère est comparable à une atmos-phère inépuisable ; plus nous y entrons, plus nous yrespirons un air pur et sain.

Dieu dépasse la capacité d’entendement de l’êtrehumain ; il est beaucoup plus que ce que nous pou-vons en dire ou penser, comme l’exprimait saintAugustin. Voilà pourquoi « il invite plus au silencequ’à la parole, plus à la foi et à l’adoration person-nelle qu’au raisonnement et à la réflexion sur lui-même 1 ». Dieu est avant tout objet de foi et d’expé-rience religieuse. Ainsi en est-il parfois de la nature,

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I N T R O D U C T I O N

1 Traduit de MARTÍNEZ DÍEZ, Felicísimo, Avivar la esperanza, Madrid, Ed.San Pablo, 2002, p. 94.

des personnes et des chefs-d’œuvre car ils fontdavantage appel à l’admiration et à la contemplationqu’au raisonnement.

Malgré ce qui est dit plus haut, nous présentons leplus souvent Dieu avec des explications rationnellesthéoriques plutôt que comme cet être personnel quenous contemplons ébloui et qui transforme toute notreexistence. Il est plus facile de spéculer sur Dieu quede communiquer l’expérience que nous avons de lui.Ceux-là seuls qui ont atteint une maturité dans la foiou qui, en d’autres termes, vivent réellement de Dieu,peuvent balbutier leur expérience intérieure.

L’intériorité n’est donc pas quelque chose de sim-plement intellectuel. La prière ne consiste pas àcomprendre Dieu, à l’imaginer, à le voir mais à l’ai-mer dans la contemplation et dans l’action. Laconnaissance de Dieu est don de Dieu et s’approfon-dit dans les dialogues avec lui. C’est pourquoi Moïsedit à Yahvé : « Fais-moi de grâce voir ta gloire »(Ex 33,18).

La véritable intériorité chrétienne n’est pas, « dansson fondement et dans son essence, une activité del’esprit mais plutôt de la volonté. C’est une attitude,un état, une disposition durable et immuable d’amourpour Dieu, de confiance en lui, de dévotion totale àses ordres, à ses désirs, à ses préceptes et à savolonté, une attention permanente et délicate à lavoix de Dieu qui parle dans notre cœur sous formed’inspirations, d’appels et de prises de conscience 2 ».Prier, c’est ouvrir notre intelligence et notre cœur aumystère de Dieu.

Dans cette circulaire, pour ne pas tomber dans latentation de parler de la prière de manière abstraite

5Circulaire du supérieur général

2 Traduit de BAUER, Benito, En la intimidad con Dios, Barcelona, Herder,1997, 13ª edición, p. 203.

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ou théorique, je présente l’expérience de rencontreintime avec Dieu d’Abraham, de Moïse, de David, deJésus, de la Vierge Marie 3. Je veux les prendre parsurprise aux moments clés de leur dialogue avec Dieu.Je souhaite décrire leur sentiment de peur, de stupeur,d’humilité, tout comme le feu d’amour qui consumeleur cœur. En même temps, je veux présenter leur dis-ponibilité à servir Dieu qui vient à leur rencontre etleur empressement à se dévouer inconditionnellementpour lui. Dans la dernière partie, je souligne la néces-sité de prier la Parole en Église.

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3 Je m’inspire ici de Jacques Loew dans son livre La prière à l’école desgrands priants, Paris, Éd. Fayard, 1975.

I N T R O D U C T I O N

À l’âge de 75 ans, Abraham entend la voix de Dieuqui lui demande de quitter son pays d’origine et lamaison de son père. Yahvé l’a choisi pour être l’élu dela promesse et lui dit : « Je ferai de toi un grand peu-ple… » (Gn 12, 2). L’homme rassemble sa famille, sesserviteurs et ses troupeaux, et se met en route versune terre inconnue. Alors commence sa vie denomade qui durera nombre d’années, jusqu’à ce quela mort le rattrape à un âge très avancé. Quand ilarrive à Sichem, dans la nouvelle terre de Canaan,Yahvé lui apparaît et le rassure : « C’est à ta posté-rité que je donnerai ce pays » (Gn 12, 7). Abraham,reconnaissant, élève en cet endroit même un autel àYahvé et invoque son Nom.

La prière de la vie

7Circulaire du supérieur général

C H A P I T R E I

Nous prionsavec les amis de Dieu

Abraham

Dieu est au cœur de notre existence concrète.(R 128)

Non, il n’est pas besoin que vous alliezle (Dieu) chercher loin ;

vous le trouverez autour de vous, au milieu de vous ; et dans cet état de silence, d’union avec le bon Dieu,

quelles méditations ferventes et toutes de feune pouvez-vous pas faire !

(Lettre du frère Polycarpe au frère Ambroise,USA, 21 juin 1854, in Positio, p. 164)

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Dans la rencontre de la prière, c’est toujours Dieuqui prend l’initiative et commence à prier. Il nousapparaît d’abord et s’adresse à nous à travers saParole, à travers les événements et les expériencesque nous vivons, et à travers les personnes. C’est luiqui nous demande à boire, c’est lui qui a soif de nous(cf. Jn 19, 28). Dieu est le mendiant de notre amouret nous donne le sien. Notre prière commence dès lorsque nous percevons que Dieu veut nous donner quel-que chose de très grand.

Abraham est en contact permanent avec Dieu danssa pérégrination quotidienne. Il le découvre sur sonchemin de nomade, dans sa vie ordinaire. Pour lui, lemonde entier est une cathédrale, un temple, un lieude rencontre avec Dieu. Il ne se contente pas seule-ment de poser des actes de prière, mais il demeureégalement dans un état permanent de prière car iltrouve Dieu en tout. Cela est très important pour nousqui sommes appelés à être des hommes de prière.Celle-ci ne se réduit pas seulement à certaines prati-ques de piété que nous réalisons à des moments pré-cis. Le priant a toujours l’esprit et le cœur tournésvers Dieu qu’il aime et avec qui il reste uni à tous lesmoments de son existence. Sainte Thérèse d’Aviladisait que « le Seigneur se trouve même dans lesmarmites ».

Si nous mourons continuellement à notre égoïsmeet nous nous éveillons à l’amour, « alors c’est toute lavie quotidienne qui devient respiration de l’amour,respiration du désir, de la fidélité, de la foi, de la dis-ponibilité, du don à Dieu… Si par la vie quotidiennenous nous laissons élever à la bonté, à la patience, àla paix, à la compréhension, à la longanimité, à ladouceur, au pardon, au don de la fidélité, alors la viequotidienne n’est plus la vie quotidienne, alors elle estelle-même prière 4 ».

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4 RAHNER, Karl, Prière de notre temps, Paris, Éditions de l’Épi, 1966, p. 70.

Dans notre relation avec Dieu, nous parlons de savie et de notre vie concrète de tous les jours. Notreprière s’appuie sur la prière de l’Église, mais elle estaussi prière personnelle. C’est ainsi que Benoît XVInous fait cette recommandation : « Cette prière (laprière active) peut et doit monter surtout de notrecœur, de nos misères, de nos espérances, de nosjoies, de nos souffrances, de notre honte face aupéché comme de notre gratitude pour le bien reçu 5 ».

Abraham entre en contact avec Dieu dans son lentcheminement de chaque jour. Pour vivre « en état deprière », il faut aller lentement, comme Abraham aupas de ses moutons, de ses chameaux et de son clan.Ce n’est pas facile de prier dans notre société devitesse. Aujourd’hui plus que jamais, nous avonsbesoin d’un espace adéquat pour favoriser l’entrée ennous-mêmes et l’intimité nécessaires pour plongerdans la prière.

Ceux parmi nous qui vivent depuis longtemps dansla vie religieuse ont été formés à commencer touteactivité avec une brève prière ou une invocation.C’était une manière de vivre dans une attitude perma-nente de prière et de rester unis à Dieu en classe, àl’étude, au travail ou pendant la récréation.Récemment, un jeune disait à un frère, professeur demathématiques, qui commençait toujours le coursavec une prière spontanée : « J’aime votre manièred’enseigner les mathématiques, mais ce que j’aime leplus, c’est la prière avec laquelle vous commencezchaque cours ».

La prière dans la lumière et dans les ténèbres

Dieu renouvelle sa promesse de prospérité àAbraham à plusieurs moments de sa vie. Au début,

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Nous prions avec les amis de Dieu

5 RATZINGER, Joseph (Benoît XVI), Jésus de Nazareth, Paris, Éd.Flammarion, 2007, p. 153.

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celui-ci ne répond pas ; il exprime sa foi, son amouret son espérance dans le silence. Au bout d’un certaintemps et après avoir entendu plusieurs fois la pro-messe de Yahvé, il s’adresse à lui sur un ton de douteet de reproche : « Voici que tu ne m’as pas donné dedescendance et qu’un des gens de ma maison hériterade moi » (Gn 15, 3). Et face à la promesse d’un pays,Abraham est assailli par l’incertitude et demande unepreuve : « Mon Seigneur Yahvé, à quoi saurai-je queje le posséderai ? » (Gn 15, 8).

Yahvé lui réitère sa promesse et scelle avec lui lepacte qui trouve son sens dans le sacrifice des ani-maux. Abraham les divise en deux et place chaquemoitié en face l’une de l’autre. Mais les rapaces selancent sur les cadavres et Abraham doit lutter pourles en écarter. Au coucher du soleil, fatigué, il tombedans une profonde torpeur. Et la nuit tombée, « voiciqu’un four fumant et un brandon de feu passèrententre les animaux partagés » (Gn 15, 17).

La personne qui vit l’expérience de la rencontreavec Dieu passe d’abord par des moments delumière, d’enthousiasme et de joie. La vie lui sourit,les gens lui apparaissent gentils, le soleil semble àportée de main, le futur s’annonce prometteur. Parailleurs, elle s’abandonne totalement à Dieu, elle estsûre que celui « qui a Dieu ne manque de rien »,selon les mots de sainte Thérèse d’Avila. Elle sait queDieu est fidèle et tient ses promesses. Ce fut, sansdoute, la première expérience d’Abraham.

Mais les années passent et les épreuves de la viefont naître des interrogations. Le doute, la fatigue, ladésolation envahissent de plus en plus le croyant. Lafoi s’accompagne d’obscurité. Qui va à la rencontre deDieu entre dans la nuit, celle du contemplatif, celledont parle saint Jean de la Croix. C’est la fatigue, l’an-goisse et le découragement de l’homme de Dieu et de

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l’apôtre. Il a travaillé tous les jours et à la fin, fati-gué, il doit continuer à lutter. Arrive un moment oùcelui qui aime et espère a besoin de signes. Le vérita-ble amour pose souvent cette question : « M’aimes-tu vraiment ? » parce que l’amour n’est jamais tota-lement évident. Et parfois même, la foi faiblit.

Dans l’aridité, il importe de continuer à prier ; ledésert, dans la Bible, est le lieu de la rencontre avecDieu. « Prier, c’est accepter la nuit de la foi 6 ». C’estlà que nous réalisons plus que jamais que nous prionsnon pour savourer le goût de la prière mais plutôtpour plaire à Dieu, à la manière de celui qui se rend àl’hôpital pour visiter un ami gravement malade.Comme Abraham, nous entrons dans la nuit mais enmême temps nous trouvons appui dans la foi. Demême que les occupants de la maison éteignent leslumières pour mieux admirer les merveilles de la nuit,ainsi la nuit demeure nécessaire pour avancer dans ladécouverte des merveilles de Dieu.

Abraham parle avec Dieu et lui dit sa perplexité :« M’aimes-tu encore ? Puis-je encore être sûr de tapromesse ? » Et il expérimente de nouveau l’im-mense amour de Dieu, représenté par le feu qui passeentre les animaux offerts en sacrifice. Une nouvellesituation, un événement particulier, une retraite, unesession spirituelle, un temps de prière dans la cha-pelle, un moment spécial d’intimité nous aident biendes fois à rétablir dans notre vie chrétienne et reli-gieuse la relation d’amour, c’est-à-dire, l’alliance avecDieu. L’amour sort fortifié de l’épreuve. La crise serésout dans une rencontre avec Dieu plus intime etplus forte que jamais, profondément gravée dans lamémoire et dans le cœur. L’homme de Dieu, animépar un enthousiasme renouvelé, revit l’amour premier.L’amour renaît à chaque lever du jour et la vie rede-vient belle.

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6 Traduit de BAUER, Benito, op. cit., p. 22.

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Mais au fil des ans, la promesse faite à Abrahamretarde à s’accomplir et le doute s’insinue dans sonesprit. Aucun signe à l’horizon n’annonce des joursmeilleurs. La tentation du désespoir ressurgit. Yahvévient de nouveau à la rencontre d’Abraham. Une foisde plus, il réitère la promesse et Abraham rit (cf. Gn17,17). C’est le sourire moqueur de celui qui ne croitpas vraiment ce qu’il entend. Mais Dieu se présenteencore une fois sous une forme spéciale et scelle denouveau le pacte d’amour avec le signe de la circonci-sion qui identifie ceux qui font partie du peuple aiméde Dieu. La vie spirituelle est un éternel recommence-ment. Pour la vivre, la constance est aussi indispensa-ble que la persévérance dans la prière.

Tous les hommes de Dieu passent par des joursamers et des nuits obscures. Souvenons-nous, parexemple, de Moïse. Après avoir demandé au Pharaonde laisser partir son peuple et devant le refus et larépression du souverain, il doit maintenant supporterles plaintes des siens : « Tu nous as rendus odieuxaux yeux de Pharaon » (Ex 5, 21). Moïse reçoit alorsde Dieu l’ordre d’aller trouver Pharaon, ce à quoi ilréplique : « Les israélites ne m’ont pas écouté, com-ment le Pharaon m’écoutera-t-il ? » (Ex 6,12). Mais,comme dans le cas d’Abraham, la foi et l’espérancefont que l’amour sort fortifié de l’épreuve.

Dans d’autres cas, les difficultés que nous rencon-trons pour prier ne peuvent pas être interprétéescomme l’obscurité qui accompagne notre dispositionpermanente de profond amour pour Dieu mais plutôtcomme un signe de notre manque de foi, de notre tié-deur et d’une certaine négligence dans la vie spiri-tuelle. Comment discerner ce qui en est ? Par la per-sévérance. L’homme de Dieu dure dans la prière mal-gré les difficultés ; le tiède, bien souvent, tourne ledos à la prière avant même d’y avoir rencontré de

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véritables obstacles. Devant les difficultés, deman-dons avec insistance au Seigneur le don de la prière,cherchons les lieux les plus propices pour la faire etaugmentons-en le temps.

La prière d’intercession Yahvé est l’ami qui protège Abraham et les siens ;

il le conseille et n’a pas de secrets pour lui. Avant ladestruction de Sodome, Dieu se dit : « Vais-je cacherà Abraham ce que je vais faire ? » (Gn 18, 17).Informé des intentions de Yahvé, Abraham intercèdepour la ville en usant de tous les arguments, de l’as-tuce et de la grande capacité de négociation des com-merçants nomades. L’acceptation de sa petitesse luidonne le courage de négocier avec le Dieu miséricor-dieux.

À un autre moment de sa vie, Abraham, qui setrouve en terre étrangère, a peur que quelqu’unattente à sa vie avec l’intention de prendre Sarah pourépouse. Pour cela, il la présente comme sa sœur.Abimelek, qui ignore la vérité, la prend chez lui etYahvé, pour l’avertir, rend stériles toutes les femmesde sa maison. Alors, Abraham intercède pourAbimelek, sa femme et ses serviteurs.

Abraham, « espérant contre toute espérance »(Rm 4, 18), s’adresse à Dieu dans une prière pleine deconviction et de ferme certitude où il intercède surtoutpour le bien des autres. Il a toujours le nom de Dieuau bout des lèvres et il l’invoque fréquemment.Invoquer le nom de Dieu, c’est provoquer la présencede Dieu dans l’ici et l’aujourd’hui de notre vie, c’estfaire en sorte que le Dieu amour y intervienne tou-jours.

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En parcourant les pages de l’Écriture Sainte, nousvoyons que les grands amis de Dieu se font prochesdes autres, qu’ils se soucient de soulager leurs souf-frances, les aident dans leurs besoins et prient Dieupour eux. Si Abraham a été un grand intercesseurpour les siens, nous pouvons en dire autant de Moïse.La prière d’adoration l’amène à intercéder pour sonpeuple ; il se tient à la place des siens devant Dieu etil introduit lui-même leurs causes auprès de Dieu (cf.Ex 18, 19). Moïse prie au sommet de la montagne, lesbras étendus, pendant que Josué combat Amaleq dansla plaine. « Lorsque Moïse tenait ses mains levées,Israël l’emportait, et quand il les laissait retomber,Amaleq l’emportait » (Ex 17, 11).

En une autre circonstance, après avoir suppliéYahvé de lui montrer sa gloire et de lui donner la grâcede le connaître, Moïse se met à intercéder pour sonpeuple : « Pardonne nos fautes et nos péchés et faisde nous ton héritage » (Ex 34, 9). La reconnaissancede la grandeur de Dieu amène Moïse à se convertir enserviteur de ses frères. Dans l’épisode du veau d’or, ilsupplie Dieu : « Reviens de ta colère ardente etrenonce au mal que tu voulais faire à ton peuple » (Ex32, 12). Moïse est véritablement le fils bien-aimé quia totalement confiance en son Père et qui intercèdepour son peuple.

En ces derniers temps, l’on souligne l’importance dela prière d’action de grâces et de louange. Certains ontinterprété l’accent mis sur ces formes de prièrecomme un appel à abandonner la prière de demande.Il faut affirmer cependant que celle-ci continue d’avoirune grande valeur.

Nous ne voulons pas, avec la prière de demande,faire changer Dieu d’avis. Ce n’est pas ce que nousdemandons à Dieu ou le fait d’obtenir ce que nous sol-licitons qui est important mais plutôt la disposition

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dans laquelle nous nous tenons devant lui. La prièrede demande raffermit notre foi en un Dieu amour etnous rend plus conscients de sa bonté, de sa ten-dresse, de sa miséricorde, de son pouvoir et de sagrandeur. Elle nous amène, en même temps, à recon-naître plus profondément notre fragilité et notre pau-vreté, et à nous sentir davantage fils de notre Père.L’important, c’est que cette prière raffermisse notrerelation avec Dieu.

Par ailleurs, Dieu n’a pas besoin que nous le suppli-ions. Il est le Père de toute bonté qui connaît nosbesoins. C’est nous qui avons besoin de demanderpour nous rendre compte qu’il est notre Sauveur,notre Seigneur, celui qui donne sens à notre vie. C’estnous qui, pleins de joie en faisant l’expérience del’amour de Dieu, lui demandons d’être toujours avecnous. C’est nous qui avons besoin de demander pourréaliser que nous ne sommes pas Dieu et que nous nepouvons pas l’être, que le but de notre vie n’est pasnous-mêmes mais que notre vocation est d’existerpour Dieu et pour les autres.

L’Évangile nous confirme la valeur et la nécessité dela prière d’intercession, et nous exhorte à la pratiquer:« Demandez, et l’on vous donnera ; cherchez et voustrouverez ; frappez et l’on vous ouvrira. Car quicon-que demande reçoit ; qui cherche trouve ; et à quifrappe on ouvrira » (Mt 7,7-8). En même temps, ilnous apprend que nous devons persévérer dans nosdemandes même si, apparemment, la réponse n’ar-rive pas (cf. Lc 11, 5-12 ; R 133).

En parlant de prière d’intercession, on a l’habitudeen plusieurs endroits de l’institut de prier quotidienne-ment en communauté pour les vocations dans l’Égliseet dans l’institut. Je vous encourage, mes frères, àpoursuivre cette pratique et à continuer, comme nous

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le demande la Règle de vie, de collaborer à l’éveilvocationnel « par la prière, la transparence et ledynamisme de nos vies et par l’invitation personnellelancée aux jeunes » (R 175).

Le 28 avril de l’année dernière, en réponse à l’invi-tation du frère Yvan Turgeon, provincial du Canada,j’ai pris part à la rencontre pour les vocations tenue àSherbrooke. Celle-ci m’est apparue comme un appeldu Seigneur à maintenir et à raffermir, dans la mesuredu possible, l’engagement de tous et de chacun desfrères de l’institut dans ce domaine. J’ai égalementrecueilli le témoignage de l’intérêt et du travail debeaucoup de frères vivant et œuvrant dans un milieuoù les fruits ne sont pas très abondants. Leur attitudeest un exemple pour tous : espérer même s’il y a peude signes qui motivent notre espérance, prier Dieuavec persévérance et prendre tous les moyens à notredisposition pour obtenir ce que nous demandons.

Tout à Dieu et tout aux autres

Yahvé s’adresse de nouveau à Abraham qui répond :« Me voici » (Gn 22, 1), et il lui demande de sacrifierson fils. Abraham, obéissant et docile, se met en routedans une attitude silencieuse. Son fils lui demande oùest l’agneau pour le sacrifice. « C’est Dieu qui pour-voira à l’agneau » (Gn 22, 8), répond-il.

Abraham est un homme tout à Dieu, capable de luioffrir ce qu’il aime le plus : son fils unique, tant désiréet tant attendu, ce fils promis qui lui permettra decontinuer à marquer l’histoire. À la fin de cet épisodedramatique, Abraham redit son amour pour Dieu et luioffre le sacrifice du bélier qu’il trouve tout près. Et unefois de plus, Yahvé lui réitère sa promesse et toutrecommence.

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Abraham, l’homme qui parle avec Dieu, qui a scelléune alliance d’amour avec lui, aime profondément lesautres. Il est solidaire de Lot et organise un importantgroupe de guerriers pour le tirer de sa séquestration.Il est généreux avec le roi de Sodome et refuse lesterres qui lui sont offertes. Il est compréhensif avecSarah, offensée par l’arrogance de son esclave Agar. Ilaccueille les visiteurs au chêne de Mambré qui nesont, en définitive, que Dieu lui-même et, après s’êtremagnifiquement occupé d’eux sous sa tente, il lesaccompagne sur le chemin qui mène à Sodome. Ilpleure son épouse Sarah morte à l’âge de 127 ans etlui offre une digne sépulture dans la grotte de Macpéla,à Hébron. Il dialogue avec ses voisins afin de dépasserles différends et d’échanger des faveurs. Il respecte lesbiens d’autrui et paie le prix juste pour les acquérir,même quand ils lui sont offerts (cf. Gn 23, 7-16).

Cette attitude chez Abraham d’être tourné vers lesautres est la disposition des vrais amis de Dieu. Nousla retrouvons chez Moïse. Dans sa relation d’intimitéavec Yahvé, Moïse perçoit l’appel à servir le peupleopprimé : « J’ai vu la misère de mon peuple enÉgypte… Maintenant, va, je t’envoie… Je serai avec toi »(Ex 3, 7.10.12). Dans cette relation, il n’y a plus seu-lement un « je » et un « tu » : il y a un « nous »,le peuple. L’homme de Dieu prie ainsi : « J’aime ceque tu aimes, Seigneur, ta volonté est ma volonté, tessentiments sont mes sentiments, ton peuple est monpeuple et c’est à lui que je veux consacrer ma vieentière ». Ainsi, Moïse en arrive à s’identifier pleine-ment avec la volonté de Dieu et à faire toujours ce queDieu veut : servir ses enfants, rien d’autre.

Lors de mes visites en Afrique francophone, j’aicroisé des frères de tous les âges qui mènent unevie de prière intense, donnent un témoignage devie religieuse et fraternelle, et réalisent une mission

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extraordinaire. Mais je voudrais surtout mentionnerl’exemple des vieux missionnaires à qui je veux ren-dre un hommage juste et mérité. Je suis convaincuqu’il est important de maintenir et de raffermir, àl’heure actuelle, l’esprit missionnaire dans l’institut.Dans une large mesure, notre avenir, comme pourAbraham, se trouve hors de chez nous. Répondons àl’appel de Dieu avec générosité : « Quitte ta terre ».

Eh bien, au Cameroun Nord, j’ai rencontré les frè-res Rosaire Bergeron et Gilbert Allard. Qu’ils me par-donnent de porter atteinte à leur humilité. Je suis sûrque bien d’autres frères me pardonneront aussi de nepas parler d’eux bien qu’ils mériteraient tout autantune profonde reconnaissance. Que Dieu leur rendedès ici-bas le centuple pour le don de leurs vies sigénéreusement offertes.

Le frère Rosaire a 78 ans et le frère Gilbert, 72.Tous les mardis matins, ils quittent Mokolo, leur vil-lage de résidence, et ils se rendent à Maroua, à quel-que 80 km de distance, pour donner des cours auGrand Séminaire interdiocésain.

Je les ai accompagnés un mardi matin. À 8 h 30, lescours commençaient et j’en ai profité pour entrer dansla classe de chacun et saluer les étudiants. L’estimesincère qu’ils ont pour leurs vieux maîtres m’a touché.Dans la classe du frère Rosaire, un séminariste ademandé la parole pour dire plus ou moins ceci : « Jeveux vous dire, frère José Ignacio, que nous sommestrès heureux avec le frère Rosaire ; c’est quelqu’und’extraordinaire et un maître exceptionnel et noussouhaitons qu’il continue, longtemps encore, à êtrenotre professeur ». Pour le taquiner, je lui ai répondu :« Je vois que tu fais l’impossible pour couronner tonannée avec bonne note en philosophie». Mais je mesuis hâté d’ajouter : «Merci pour ton petit mot. Jesuis convaincu que c’est en toute sincérité que tu l’as

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dit ». Et pour vous surprendre un peu plus, je vousdirai que le frère Rosaire, malgré son âge, donnait cejour-là sept heures de cours.

Où trouver la source de tant de bonté et de dévoue-ment ? Il n’y a pas de doute : dans la relation étroiteavec Dieu qui se tisse par une vie de prière intense ets’exprime dans la prière quotidienne.

Au regard de ces exemples, les frères anciens etmalades qui ne peuvent s’impliquer avec autant deforce dans l’apostolat peuvent ressentir une certainetristesse et en arriver à penser qu’ils sont très peu uti-les au service de Dieu, de l’Église et de l’institut, etqu’ils représentent une charge pour les autres. LaRègle de vie affirme tout le contraire : « En vivantleur épreuve dans l’abandon et l’union au Cœur souf-frant de Jésus, les frères malades accomplissent unemission de grand soutien dans l’institut. Par leur séré-nité et leur courage devant la maladie ainsi que parleur prière, ils deviennent occasion de grâce pour lesfrères engagés dans l’apostolat actif » (R 161). Et jene peux continuer sans citer une autre phrase que jetrouve belle : « Nous avons besoin d’anciens quiprient, qui sourient, qui aiment d’un amour désinté-ressé, qui savent s’émerveiller ; ils peuvent montreraux plus jeunes que la vie vaut la peine d’être vécue,que le néant n’a pas le dernier mot 7 ».

En écrivant ce qui précède, me vient à l’espritl’émouvant souvenir de certains frères aînés qui mesont très proches. Cette fois, je ne heurterai l’humilitéd’aucun d’eux. Durant toute leur vie, ils ont donné untémoignage d’hommes de Dieu au service des autreset aujourd’hui ils ajoutent à leur vie sainte le témoi-gnage de leur joie et de leur amour arrivé à maturité,et le grand service de leur prière.

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7 Traduit de CLÉMENT, Olivier e SERR, Jacques, La preghiera del cuore,Milano, Ed. Ancora, 5a ed., p. 69.

Nous prions avec les amis de Dieu

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Jusqu’à la pleine confiance et l’union totale

Abraham demande à son serviteur le plus ancien, àson homme de confiance, de se rendre au pays de sespères pour chercher dans sa famille une femme pourson fils Isaac. Le serviteur propose d’amener le jeunehomme avec lui de peur que la femme ne veuille pasle suivre sans connaître préalablement son futurépoux. Abraham lui refuse cette proposition et luidéclare : « Yahvé enverra son Ange devant toi, pourque tu prennes une femme de là-bas pour mon fils »(Gn 24, 7). La foi d’Abraham est comme certainesespèces ligneuses qui, plus elles durent dans l’eau,plus elles durcissent ; ou comme les bons vins quis’améliorent avec le temps. La confiance d’Abrahamen Yahvé grandit à mesure que le temps passe,jusqu’à sa mort, à l’âge de 175 ans, où il rejoint lalignée de ses ancêtres après avoir connu unevieillesse heureuse (cf. Gn 25, 8).

L’adoration de l’ami de Dieu

En parlant de Moïse, nous évoquons le grand leaderqui, à travers le désert, a conduit son peuple sur lechemin de la liberté jusqu’aux portes de la terre pro-mise. C’est un homme fougueux et persévérant. Illutte avec ténacité contre la dureté du Pharaon, contreles obstacles naturels et contre l’entêtement et l’aveu-glement de son peuple. D’où lui viennent tant de cou-rage et de dynamisme ?

Cette question trouve sa réponse au début du livrede l’Exode. En effet, Moïse fait paître le troupeau deJéthro, son beau-père, et arrive ainsi à l’Horeb, lamontagne de Dieu où « l’Ange de Yahvé lui apparaîtdans une flamme de feu, du milieu d’un buisson »

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Moïse

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(Ex 3, 2) qui brûle sans se consumer. Moïse décidealors de faire un détour pour « voir cet étrange spec-tacle, et pourquoi le buisson ne se consume pas » (Ex3, 3). Yahvé lui dit : « N’approche pas d’ici, retire tessandales de tes pieds car le lieu où tu te tiens est uneterre sainte » (Ex 3, 5).

Moïse se trouve devant Dieu, l’Éternel qui ne passepas, qui « ne change pas », comme disait sainteThérèse d’Avila, qui vit par lui-même, qui a tout créé,qui donne vie et mouvement à tout. C’est le Dieu quipeut tout, qui sait tout. C’est le Dieu magnifique, plusgrand que les ancêtres les plus grands et les plusaimés du peuple. C’est le Dieu des pères, « le Dieud’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob » (Ex 3, 6).C’est le Dieu ami de son peuple. C’est « JE SUIS ».

Moïse reste fasciné et entre dans la prière d’adora-tion, c’est-à-dire, de dialogue entre le Dieu merveil-leux qui dévoile son visage pour se montrer pleine-ment et le croyant qui reste interdit devant l’éclat desa majesté. Le cœur ne parvient pas à supporterl’émotion et la joie de la rencontre ; l’ami de Dieu doitcacher son visage pour ne pas mourir d’amour.

Tout le livre de l’Exode est un dialogue ininterrompuentre Dieu et Moïse. Sous la Tente du Rendez-vousdressée un peu à l’écart du campement, « Yahvé par-lait à Moïse face à face, comme un homme parle à sonami » (Ex 33, 11).

Tout au long de l’Exode, une phrase ne cesse derevenir : « Yahvé dit à Moïse ». C’est le signe queMoïse est continuellement à l’écoute de Dieu. En plu-sieurs occasions, il ne parle pas mais il répond par sonsilence d’adoration et d’acceptation. Il pratique alorsla forme de prière que Jésus recommandera à ses dis-ciples : « Dans vos prières, ne rabâchez pas commeles païens : ils s’imaginent qu’en parlant beaucoup ils

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Nous prions avec les amis de Dieu

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se feront mieux écouter. N’allez pas faire comme eux ;car votre Père sait bien ce qu’il vous faut, avant quevous le lui demandiez » (Mt 6, 7-8).

Pour Moïse, la prière consiste à écouter Dieu qui luiparle comme un ami parle à son ami. C’est là lemoment clé de l’adoration : Dieu se présente alorsvéritablement et directement comme le Dieu deMoïse. Il n’y a plus ni barrière ni intermédiaire. C’estle moment de l’union la plus intime, de la pleine unité,de l’adoration totale. C’est le sommet de l’échangeamoureux réciproque entre le cœur de Dieu et le cœurdu croyant.

Dans la vie de Moïse, le renouvellement de l’Allianceconstitue un autre moment de grande intimité avecYahvé (cf. Ex 34). Quand il descend de la montagne,Moïse ne sait pas « que la peau de son visage rayonneparce qu’il a parlé avec Dieu » (Ex 34, 29). Moïse estentré dans l’orbite de Dieu jusqu’à arriver à unegrande harmonie de sentiment et d’esprit avec lui ;cela se reflète sur son visage transfiguré. C’est lasérénité, la paix, la bonté et l’allégresse propres àl’homme ami de Dieu.

La rencontre avec Dieu fait que nous changeonsnotre regard sur les gens, que nous les voyons commedes frères. Et les gens nous perçoivent différemmentet pressentent que nous vivons intérieurement l’expé-rience d’une rencontre inoubliable. En 1981, la pre-mière fois que j’ai vu le Pape Jean-Paul II, j’ai étéimpressionné par la sérénité et la paix qui se déga-geaient de son visage. C’est qu’en vertu de l’unité pro-fonde entre le corps et l’esprit, la santé et le bien-êtrede l’esprit se reflètent dans le miroir corporel.

La grandeur de Moïse ne réside pas d’abord dansson engagement pour la libération de son peuple carcet engagement naît de sa profonde intimité avec le

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Seigneur. Ce qui fait vraiment sa grandeur, c’estd’avoir un cœur qui aime Dieu.

La prière apostolique

Le dialogue entre Dieu et Moïse tire sa source desvicissitudes par lesquelles passe le peuple et de cequ’il faut faire pour transcender chaque difficulté.Dans sa prière, Moïse demande comment résoudre lesproblèmes qu’il rencontre dans l’accomplissement desa mission. En d’autres occasions, il lui fait part de seslimites : « Je ne suis pas doué pour la parole » (Ex 4,10). Fréquemment, il lui présente les récriminations etles exigences de son peuple fatigué de marcher etprompt à se plaindre (cf. Ex 5, 22-23; 14, 11-12; 15,24; 16, 2; 17, 3). Par ailleurs, il faut souligner queMoïse écoute plus qu’il ne parle ; il écoute et fait ceque Dieu dit.

Nous, Frères du Sacré-Cœur, nous sommes despersonnes de vie active. Notre prière ne peut êtreimpersonnelle ni atemporelle, éloignée de la réalité.Comme pour Moïse, notre prière part souvent dessituations que nous vivons dans notre activité quoti-dienne : les parents qui ne sont pas en mesure depayer les frais de scolarité de leurs enfants, les bonsrésultats de nos élèves aux examens officiels, l’élèvegravement malade, l’enseignante qui va bientôt semarier, les difficultés des enfants et des jeunes quisubissent les conséquences de la détérioration de lafamille, la fin d’une période de formation ou d’étude,la fatigue d’un collègue enseignant, la célébration del’anniversaire d’un ami, d’un membre de la famille oude la communauté, la tristesse de celui qui a perdu unproche, le manque d’intérêt pour notre vocation etpour notre mission, la paix intérieure et la joie, fruitsde la rencontre avec Dieu. Comme Moïse, nous nous

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Nous prions avec les amis de Dieu

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entretenons avec Dieu de toutes ces situations etnous écoutons sa parole. Comme lui, nous transmet-tons ensuite aux autres le message divin perçu.

Dans son dialogue franc et continuel, Moïse arrive àun tel point d’intimité et d’identification avec Yahvéque ce qu’il dit ne vient plus de lui. Ainsi, quand ils’adresse au Pharaon, il lui transmet les parolesmêmes de Yahvé (cf. Ex 5, 1). Il en est de mêmequand il parle à ses compatriotes : « Moïse vint rap-porter au peuple toutes les paroles de Yahvé et toutesles lois, et tout le peuple répondit d’une seule voix :“Toutes les paroles que Yahvé a prononcées, nous lesmettrons en pratique.” » (Ex 24, 3).

Comme chrétiens et religieux consacrés, ne som-mes-nous pas appelés à être attentifs à la voix deDieu, à ses projets, à ses désirs et à ses sentimentspour les transmettre à ceux qui nous entourent ? Encela, gardons l’humilité du Baptiste qui disait : « Vientderrière moi celui qui est plus fort que moi, dont je nesuis pas digne, en me courbant, de délier la courroiede ses sandales » (Mc 1, 7). Et comme lui, montronsJésus : «Voici l’agneau de Dieu » (Jn 1, 36).

La tendance au pouvoir – i.e. au fait de chercher àdominer les autres – à la popularité, au prestige, àparaître et à être le centre de notre milieu nous pour-suit tout au long de notre vie. C’est ce que les maîtresde l’ascétisme appelaient « l’orgueil de la vie ». Surcette voie, nous en arrivons à un point où nous nenous prêchons plus qu’à nous mêmes. Cependant, lechrétien pense « nous » même quand il dit « moi ».Le prophète proclame toujours la parole de l’autre.

L’accomplissement de notre mission prophétiqueexige de longs et intenses moments de prière pournous mettre en harmonie avec Dieu, pour faire nôtresa parole et la transmettre ensuite par notre vie.

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Moïse reçoit la loi de Yahvé dans ses rencontres d’in-timité avec lui sur la montagne. Nous serons des gui-des avertis pour les enfants et les jeunes qui noussont confiés et pour les personnes qui nous entourentdans la mesure où nous garderons une relation intimeavec Dieu.

La prière de contrition

Saül, roi d’Israël, ne remplit pas bien sa mission.Dieu envoie Samuel chez Jessé, le Bethléemite, pourchoisir un de ses fils et l’oindre comme roi. Yahvé, quine se fie pas aux apparences mais sonde plutôt lecœur (cf. 1 S 16, 7), inspire le prophète pour qu’ilchoisisse David, le benjamin. Qu’est-ce que Dieu a vudans le cœur de David ? Sans doute les nombreusesqualités dont il fera montre au long de sa vie : cou-rage, noblesse, loyauté, humilité, contrition sincère,bonne disposition à servir le peuple, confiance en Dieu(cf. 1 S 17, 37) et prière incessante.

Dans le second livre de Samuel, l’auteur surprendDavid en train d’adresser une prière à Yahvé (cf. 2 S7, 18-29). Il reconnaît alors que Yahvé a été généreuxenvers lui car il a béni sa maison et la maison de sesserviteurs : « Il n’y a personne comme toi et il n’y apas d’autre Dieu que toi seul » (2 S 7, 22). Davidreconnaît que Yahvé a voulu être le Dieu d’Israël pour

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David

Nous révisons devant le Seigneurnos vies d’homme d’action.

(R 134)

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qu’Israël soit son peuple à jamais (cf. 2 S 7, 24) ; illui demande donc : « Consens à bénir la maison deton serviteur pour qu’elle demeure toujours en ta pré-sence » (2 S, 7 29).

Plus loin, David fait l’aveu du meurtre d’Urie, leHittite, pour prendre son épouse, Bethsabée. Ilconfesse : « J’ai péché contre Yahvé » (2 S 12, 13).Selon la loi de son peuple, il mérite la mort. Mais il estle roi, l’autorité suprême et, naturellement, personned’autre ne peut le juger. Comment lavera-t-il sonpéché s’il ne peut faire l’objet d’une condamnationlégale ? David est convaincu que seul Dieu peut luipardonner.

Fort de cette conviction, David avance sur le chemindu vrai repentir et nous laisse en héritage sa prière decontrition. Celle-ci part non pas du regard sur luimême, sur sa propre fragilité et son péché, maisessentiellement du regard vers Yahvé, son protecteuret ami : « Ils (ses adversaires) m’attendaient au jourde mon malheur, mais Yahvé fut pour moi un appui ;il m’a dégagé, mis au large, il m’a sauvé, car il m’aime »(2 S 22, 19-20).

La contrition n’est pas le remords. Ce dernier naîtdu sentiment d’abattement et de frustration que lapersonne ressent après son péché, car elle a été inca-pable de tenir une conduite digne ; elle se reproched’avoir déshonoré sa propre vie. C’est un sentimentcentré sur la personne elle-même et sur sa faute ;c’est la déception orgueilleuse pour sa faiblesse.

L’orgueilleux s’en veut d’avoir péché. L’humble, aucontraire, ressent une profonde peine d’avoir offenséDieu, de n’avoir pas répondu à l’amour par l’amour.Dans la contrition, la personne regarde d’abord Dieudont elle se sent profondément aimée et ensuite, seregardant elle-même, elle prend conscience que son

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péché constitue une véritable ingratitude ; naît alorsen son cœur un repentir sincère. Avoir de la contrition,c’est partager les sentiments du psalmiste qui com-mence par élever les yeux vers le Dieu de bonté et decompassion : « Pitié pour moi, Dieu, dans ta bonté,en ta grande tendresse efface mon péché » (Ps 51(50), 3). Ensuite, vient la demande de celui qui sereconnaît pécheur : « Lave-moi tout entier de monmal et de ma faute purifie-moi » (Ps 51 (50), 4).

Le chemin d’expiation est celui de l’offrande inté-rieure : « D’un cœur brisé, broyé, Dieu, tu n’as pointmépris » (Ps 51 (50), 19). Le sacrifice qui plaît àDieu, c’est la contrition du cœur accompagnée de l’hu-milité et de la confession. La véritable oblation se réa-lise quand l’homme se donne lui-même entièrement,quand il offre sa misère et met en Dieu toute sonespérance ; voilà l’héritage que nous laisse David.

En résumé, la vraie contrition ne trouve pas sonfondement dans la comptabilité de nos fautes maisplutôt dans la douleur d’avoir rejeté l’amour. Elle nousdispose à faire de toute notre vie une offrande delumière et d’amour.

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Nous prions avec les amis de Dieu

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Dans ce chapitre, je présenterai Jésus comme legrand priant qui intercède pour l’humanité et commele grand maître de prière. De plus, j’appuierai l’invita-tion du chapitre général à vivre la rencontre avec Dieudans l’intimité avec Jésus-Frère. Enfin, je présenteraila prière de Marie.

La prière du Fils

À Conakry, la capitale de la Guinée, les frères diri-gent le Collège Sainte-Marie. Cette propriété, qui cou-vre une superficie d’environ cinq hectares, est entou-rée presque entièrement par la mer. Le climat est tro-pical, chaud et humide. Lors de mon bref passage, j’aigoûté par moments aux délices de m’asseoir à l’om-bre, au bord de l’océan, pour savourer la douce etrafraîchissante brise qui, au mois de février, souffle dunord.

En regardant la mer, je pense au caractère infini deDieu et à notre relation avec lui. Les hommes et lesfemmes de prière de tous les temps me viennentcontinuellement à l’Esprit. J’imagine que leurs prièressont des fleuves qui se jettent dans cette mer qui estJésus-Christ, le Fils de Dieu, en qui Dieu et l’hommesont réconciliés. En levant les yeux, je vois au loin

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Jésus

Que la prière, soutenue par une grande confiance,soit pour vous une arme

qui vous accompagne toujours, disait-il…Sachez-le bien, elle est indispensable

à ceux qui travaillent au salut des âmes…(Circulaire du frère Polycarpe,

8 janvier 1843, in Positio, p. 390)

l’horizon où la terre et le ciel se rejoignent. Auxconfins de ce grandiose temple naturel, Jésus pré-sente au Père l’immense richesse des prières de tousles temps qui lui arrivent des quatre points cardinaux.Jésus est le priant, le maître de prière qui transmetfidèlement au Père la prière de ses frères.

Qu’est-ce qu’il y a de plus inédit dans la prière deJésus ? La nouveauté réside dans le fait que Jésusprie le Père comme un vrai fils. Personne n’a jamaiseu et n’aura jamais une conscience aussi élevée d’êtreaimé de Dieu. Il est pleinement conscient d’être leBien-Aimé du Père, avec qui il entretient une relationfaite de beaucoup de familiarité et d’intimité.

La prière n’est pas seulement connaissance intellec-tuelle, émotion ou sentiment de dévotion. Ces réali-tés, bien qu’importantes, n’en constituent pas l’es-sence ; elles disposent à la prière et l’accompagnent.« Prier est, dans son sens le plus profond, un acted’amour ; et plus l’amour se reflète dans la prière,plus celui qui prie s’élève de l’amour imparfait àl’amour parfait, plus la prière est parfaite 8. »

La prière de Jésus est parfaite parce que son amourpour le Père est entier. En effet, « Jésus s’est faithomme ; il en résulte que, pour la première fois, uncœur humain et le cœur de Dieu battent à l’unisson ;pour la première fois, un amour parfait pour le Père faitbattre un cœur humain ; pour la première fois un cœurhumain bat d’un amour parfait pour les hommes 9. »

L’évangéliste Luc surprend Jésus en prière aprèsson baptême. Soudain, le ciel s’ouvre et l’Esprit des-cend en forme de colombe. Du haut du ciel, une voixdit : « Tu es mon Fils ; moi, aujourd’hui je t’ai engen-dré » (Lc 3, 22). Quand Jésus prie, il expérimente ladouce sensation d’être regardé par le Père comme sonvrai fils. En Mathieu et Marc, la phrase qu’on entend

29Circulaire du supérieur général

Nous prions avec Jésus et Marie

8 Traduit de ALONSO, Severino María, Proyecto personal de vida espiritual.Ejercicios espirituales o ejercitación en el Espíritu, Fuenlabrada, Madrid, Ed.Publicaciones Claretianas, 1993, p. 170.9 Traduit de CLÉMENT, Olivier e SERR, Jacques, op. cit., p. 32.

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est la suivante : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé,qui a toute ma faveur » (Mt 3, 17; Mc 1, 11). Jésusn’est pas seulement le Fils mais également le Filsbien-aimé que le Père regarde avec des yeux pleinsd’une infinie tendresse. Le Père l’aime d’un amourincomparable et Jésus lui répond par un amour qui estdon total. C’est pourquoi, Jésus est la plus grandegloire du Père, sa joie la plus pure.

Jésus est absolument convaincu de l’amour et de lasollicitude du Père ; il s’abandonne entièrement à luiet il invite ses disciples à manifester la mêmeconfiance. Le Père nourrit avec prodigalité les oiseauxdu ciel et habille magnifiquement les fleurs deschamps. Alors pourquoi vous préoccuper de ce quevous allez manger, leur dit-il, de ce que vous allezboire ou de ce dont vous allez vous revêtir, commefont les païens ? Ne vous inquiétez pas, « votre Pèrecéleste sait que vous avez besoin de tout cela » (Mt6, 32). C’est ainsi que Jésus prie avec la certitude quele Père est le meilleur de tous les pères et qu’il donnetoujours ce qu’il y a de mieux à ses enfants : « Sidonc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner debonnes choses à vos enfants, combien plus votre Pèrequi est dans les cieux en donnera-t-il de bonnes àceux qui l’en prient ! » (Mt 7, 11).

Jésus ne juge ni ne condamne les autres. Tout aucontraire, il les aime tous, il les aide dans le besoin, ilest compréhensif et il pardonne. Il est comme le Pèreet il demande à ses disciples d’avoir la même disposi-tion : « Montrez-vous compatissants comme votrePère est compatissant » (Lc 6, 36).

Jésus garde toujours à l’esprit et dans son cœurl’image du Père. C’est vers lui qu’il porte son regardet c’est de lui qu’il parle dans ses moments d’intenseactivité. Et parce qu’il aime le Père, il a besoin d’inti-mité avec lui. En plusieurs occasions, les Évangiles

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nous disent que Jésus se retire à la montagne, audésert ou à l’écart pour prier ; par exemple avant dechoisir ses disciples, il passe la nuit à prier (cf. Lc 6,12). La montagne symbolise le lieu de la rencontreentre Dieu et l’homme, et le désert est l’image du lieudésolé mais rempli de la présence de Dieu. On ren-contre Dieu surtout dans le silence des lieux situés àl’écart : « Retire-toi dans ta chambre, ferme sur toila porte, et prie ton Père qui est là, dans le secret ;et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra »(Mt, 6, 6).

Il y a quelques années, en invitant mes élèves àobserver un moment de réflexion et d’examen deconscience, je leur disais que dans ce monde de bruitet de précipitation, le meilleur cadeau qu’on puisse sefaire est le silence et le calme. Nous, Frères du Sacré-Cœur, nous nous faisons un tel cadeau quand nousrépondons à l’invitation de Jésus, « Venez vous-mêmes à l’écart » (Mc 6, 31), en nous retirant quoti-diennement dans la solitude de la chapelle, de lachambre ou de l’oratoire.

La Transfiguration sur le Tabor constitue pour Jésusune expérience sublime de prière (cf. Mt 17, 1-8; Mc9, 2-8; Lc 9, 28-36). À cette occasion, il n’est pas seulcar il a invité Pierre, Jacques et Jean, et il les a emme-nés au sommet de la montagne. Le cadre est surpre-nant : Jésus, le nouveau Moïse et le Messie de Dieu,est au centre, accompagné de Moïse et d’Élie.

Lors de cette rencontre avec le Père et l’Esprit,Jésus est merveilleusement transfiguré au point queson visage brille comme le soleil et ses vêtementsdeviennent blancs comme la neige. Le cœur de Jésusdéborde de joie en entendant les paroles du Père :« Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute mafaveur; écoutez-le » (Mt 17, 5; cf. Mc 9, 7; Lc 9, 35).La splendeur du visage de Moïse descendant de la

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montagne n’est qu’un pâle reflet de l’éclat incompa-rable du visage éblouissant de Jésus. Son identifica-tion avec le Père de la lumière est parfaite. Son amourpour le Père est si grand qu’il ne s’appartient plus. LePère est tout pour lui et il est tout pour le Père.

Nous disons que la prière de Jésus naît de saconscience profonde d’être aimé de Dieu. Il s’agitd’une conscience totale, entièrement confiante, capa-ble de dépasser tous les doutes, même dans lesmoments les plus difficiles de sa vie, comme pendantla nuit de Gethsémani et le jour de sa mort sur lacroix.

La nuit de Gethsémani (cf. Mt 26, 36-46; Mc 14,32-42; Lc 22, 39-46) est la nuit de la peur, de l’an-goisse, de la tristesse mais aussi de l’abandon confiantentre les mains du Père. Jésus sait que ses ennemis lecherchent pour le tuer. Il aime la vie mais il entrevoitl’horreur de la souffrance ainsi que la mort imminenteet inconnue. Comment tout cela finira t-il ? Sa soif devivre se perdra-t-elle pour toujours dans une mortsans retour ? Un sentiment de peur l’habite de plusen plus à mesure que le temps passe ; par moments,son anxiété s’intensifie. Mais plus il est terrifié, plus ils’en remet à son Père.

L’image du Père le réconforte mais, en mêmetemps, elle engendre sa tristesse car Jésus sait com-bien sa propre souffrance est douloureuse pour lePère. Évidemment, le Père ne souhaite ni sa douleurni sa mort, tout comme il ne les souhaite à aucun deses enfants, hommes et femmes de ce monde. À cemoment, le Père et l’Esprit portent avec lui l’océan desouffrance de l’humanité tout entière et de toutes lesépoques. Ils souffrent avec les affamés et les assoif-fés de toujours, avec les pauvres, les abandonnés etles malades, avec les persécutés et les victimes de laguerre, avec les jeunes asservis à des dépendances

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destructrices et les enfants qui n’ont été ni désirés niaimés.

Par ailleurs, Dieu souffre pour tous les hommes ettoutes les femmes qui ne répondent pas à son amour.Le Dieu d’amour souffre parce qu’il n’est pas aimé ; ilsouffre non pas tant pour lui que pour ses enfantsbien-aimés qui ne l’aiment pas, les pécheurs, parcequ’ils se refusent au bonheur que Dieu réserve à ceuxqui l’aiment en vérité.

De plus, croire que Dieu souffre avec nous peutnous rendre plus forts devant l’adversité et la douleur,et nous conduire à faire l’expérience de l’infinie ten-dresse du Père.

Jésus est déchiré par un âpre combat intérieurdevant l’imminence de la condamnation et de la mort.Doit-il attendre qu’elles surviennent sans rien faire ?Ou est-ce le moment de poser un geste d’éclat pourconjurer le sort ? C’est l’heure de la tentation. En pre-mier lieu, c’est probablement la tentation du pouvoir :pourquoi ne pas utiliser le pouvoir que le Père lui adonné pour écraser ses ennemis ? C’est peut-êtreaussi la tentation de l’avoir : pourquoi, par exemple,ne pas changer les pierres en or pour payer ses enne-mis et calmer ainsi leur colère ? C’est peut être latentation du plaisir : pourquoi ne pas faire marchearrière et se livrer à une vie oisive, facile et sans com-plication en reniant les enseignements qui ont puexaspérer ses ennemis ?

La souffrance s’intensifie jusqu’à devenir insuppor-table. Ce n’est plus une douleur de vie mais une dou-leur et une angoisse de mort. Le cœur bat follement,une sueur froide de même que des gouttes de sangcoulent sur son corps et tombent par terre (cf. Lc 22,44). Un cœur d’homme ne peut pas supporter la dou-leur du Cœur de Dieu.

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Plus sa douleur est aiguë, plus il s’en remet à sonPère. Et il l’appelle par le mot que les enfants utilisentpour parler tendrement à leur père : « Abba, Père!tout t’est possible ; éloigne de moi cette coupe ;pourtant, pas ce que je veux, mais ce que tu veux »(Mc 14, 36). Même au paroxysme de sa souffrance, ilne renonce pas à sa condition d’être totalementhomme et à son désir d’être entièrement semblable ànous à l’exception du péché, à son choix de se sou-mettre à toutes les vicissitudes humaines, allantjusqu’à la douleur et à la mort même.

La tentation perdure. À deux reprises, il se lèvepour aller voir ce que font ses disciples et il les trouveendormis. Encore une fois, il supplie le Père en répé-tant les mêmes mots : « Abba, Papa !... » Jésusaime le Père d’un amour infini, et son amour pour lesenfants du Père, ses frères et sœurs, est égalementinfini. Mu par sa foi indéfectible dans le Père, par saconfiance absolue en son amour et par son amourpassionné pour tous ses frères et soeurs, Jésuschoisit de rester jusqu’à la fin fidèle à lui-même et àsa mission, même s’il doit connaître comme tous leshumains le difficile passage de la mort. C’est sadécision et tout le reste est entre les mains du Père ;il s’abandonne entièrement à lui. C’est la fin de latentation.

Dans son agonie au jardin des Oliviers et dans sapassion et sa mort, Jésus nous révèle un Dieu qui aune vocation-passion pour l’humanité. Jésus meurtparce que sa vocation est d’être Dieu-avec-nousjusqu’à la fin, à la fois totalement Fils de Dieu ethomme. Et être entièrement homme signifie assumerla condition humaine avec toutes ses conséquences ycompris la souffrance et la mort, sans faire appel à despouvoirs supérieurs. Dans son choix de partager savie avec nous, de nous accompagner toujours, bon an

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mal an, et de rester semblable à nous, comme n’im-porte quel homme (cf. Ph 2, 6-11), Jésus nous mon-tre qu’il est vraiment notre frère et notre ami. Ainsi laforce du Dieu libérateur se manifeste dans la fai-blesse.

La prière de Jésus : « Que tous soient uns. » (Jn 17)

La prière de Jésus à l’heure du sacrifice montre lelien intime qui l’unit à son Père. Jésus commence pars’adresser à lui en ces mots : « Père, l’heure estvenue ; glorifie ton Fils afin que ton Fils te glorifie, Toi »(Jn 17, 1).

À l’inverse de ce que l’on pourrait penser, Jésus necommence pas par intercéder pour lui-même. Il estvrai qu’il dit : « Père… glorifie ton Fils », c’est-à-dire,glorifie-moi, remplis-moi de gloire, de joie, de satis-faction, de bonheur. Toutefois, sa gloire et celle duPère constituent pour Jésus une même réalité en rai-son justement de la profondeur de son intimité avec lePère. Et la gloire du Père, c’est que ses enfants aientla vie éternelle, c’est-à-dire la connaissance du seulDieu véritable. C’est pourquoi Jésus demande au Pèrela grâce d’être capable de leur donner cette vie enaccomplissement de la mission reçue.

Dans sa prière, Jésus intercède pour ses disciples,pour les hommes et les femmes de tous les temps.Mais comme tout bon intercesseur, il commence par

35Circulaire du supérieur général

Prions sans cesse ; prions les uns pour les autresen nous donnant souvent rendez-vousdans les SS. CC. de Jésus et de Marie,

notre refuge habituel dans tous nos besoins.(Lettre du frère Polycarpe après le chapitre,

5 septembre 1856, in Positio, p. 345)

Nous prions avec Jésus et Marie

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justifier sa demande en l’appuyant d’abord sur sonattitude envers le Père, comme s’il lui disait :« Écoute, je me suis bien comporté avec toi parce queje t’ai glorifié, j’ai rempli la mission que tu m’asconfiée car j’ai fait connaître ton amour aux hommesque tu m’as donnés comme frères » (cf. Jn 17, 4.6).

En second lieu, Jésus appuie sa supplique sur labonté des disciples parce qu’ils ont cru que Jésus estla Parole du Père, son Fils envoyé dans le monde (cf.Jn 17, 7-8). De plus, le Père doit se rappeler que lesdisciples sont ses enfants (cf. Jn 17, 9). Et s’ils sontau Père, ils sont également au Fils, en vertu dugrand amour qui existe entre les deux : « Tout cequi est à moi est à toi et tout ce qui est à toi est àmoi » (Jn 17, 10).

Enfin, Jésus appuie son intercession sur sa pro-fonde union avec les disciples qui sont ses intimes, sesamis, comme s’il disait : « Père, si tu m’aimes, moi,tu dois aussi les aimer, eux. Leur bien est mon bien ;ils sont ma gloire (cf. Jn 17, 10), leur joie est ma joie. »

Une fois que Jésus a bien justifié sa demande, il laprésente au Père : « Garde-les dans ton nom que tum’as donné, pour qu’ils soient un comme nous » (Jn17, 11 ; cf. Jn 17, 21-23). Jésus est venu en cemonde pour sceller l’alliance de Dieu avec les hommesdans l’amour et pour raffermir l’unité des hommesentre eux. Voilà qui résume sa mission : “Que toussoient un”, qu’ils demeurent dans l’amour en faisant lajoyeuse expérience de savoir qu’ils sont les enfantsbien-aimés du Père (cf. Jn 17, 24.26).

Lors de mes visites aux communautés des différen-tes provinces, j’ai pu constater que les relations fra-ternelles, l’accueil et la simplicité sont le plus souventremarquables. Mais j’ai également observé des divi-sions et des antipathies qui font naître déceptions et

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tristesses. C’est pourquoi, à l’exemple de Jésus,prions pour qu’en tout lieu et devant toute personne,nous donnions un témoignage de profonde unité. Lefrère Polycarpe disait à ce sujet : « Mes bons Frères,je crois que le seul moyen que vous avez pour êtreheureux, c’est de vivre dans une étroite et parfaiteunion. Tous, n’ayez donc qu’un cœur et qu’une âme »(Lettre du 27 novembre 1851 aux frères des États-Unis, in Positio, p. 313).

Jésus, maître de prière

Comme nous l’avons vu, l’une des particularités dela prière de Jésus naît de son immense amour pour lePère, un amour inégalé qui s’exprime dans une rela-tion très familière avec lui. Par ailleurs, Jésus ne limitepas sa prière à poser des actes déterminés de piété ;il vit dans un état permanent de prière, toujours uniau Père, même au plus fort de son activité mission-naire. Plus encore, il se retire souvent dans desendroits isolés pour entretenir une relation exclusiveet plus intime avec son Père ; il passe nombre denuits à prier et cela nourrit si bien et vitalise si forte-ment sa relation filiale que, le lendemain, on leretrouve plein d’ardeur.

Pendant sa vie publique, Jésus établit une relationtrès étroite avec ses disciples. Ceux-ci ont l’occasionde coudoyer leur maître et de voir comment il s’entre-tient avec le Père des cieux et comment il parle de lui ;ils sont également témoins de son service constant àl’endroit de tous ceux qui viennent lui demander son

L’exemple de Jésus sans cesse tourné vers son Pèrenous montre la nécessité de la prière continuelle.

(R 129)

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aide. Ils voient bien leur Maître participer aux prièreshabituelles de tout bon Juif mais ils constatent qu’ilprie le Père d’une manière unique, avec un immenseamour et une indéfectible confiance. Aussi, le sup-plient-ils : « Seigneur, apprends-nous à prier » (Lc11, 1). La réponse de Jésus ne se fait pas attendre :« Priez ainsi : Notre Père qui es dans les cieux… »(Mt 6, 9-13).

Jésus enseigne à ses disciples à prier comme il prie.La première réalité qui lui vient en tête quand il seprépare à prier, c’est l’image du Père. Voici ce que lepape Benoît XVI dit à ce sujet : « L’enseignement deJésus ne vient pas d’un apprentissage humain… Il pro-vient du contact direct avec le Père, du dialogue “faceà face” – de la vision de celui qui est dans “ le sein duPère” (Jn 1, 18) 10 ». Dans ce dialogue, le Père mon-tre à Jésus son grand amour et Jésus fait de même. Ilvit son amour-agapè dans son oblation totale et gra-tuite au Père et à ses frères, les enfants du Père.

Dans sa prière, Jésus pense plus au Père et à sesenfants qu’à lui-même. C’est pourquoi la prière qu’ilrecommande à ses disciples commence par ces deuxmots : « Notre Père ». Prier, ce n’est pas tant dire àDieu « mon Père » que « notre Père », dans laconscience que Dieu est le Père de tous et que, parconséquent, nous sommes tous frères.

Au moment de nous adresser au Père, notre pre-mière impression est faite d’étonnement devant songrand amour. Nous restons émerveillés et notre pen-sée se fixe en lui. Nous ne pensons plus qu’à lui etnous n’intercédons plus que pour lui. C’est là la pre-mière partie du Notre Père : « Que ton Nom soitsanctifié, que ton Règne vienne, que ta Volonté soitfaite sur la terre comme au ciel » (Mt 6, 9-10). Qui

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10 RATZINGER, Joseph, op. cit., p. 27.

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aime vraiment cherche avant tout le bien de sonbien-aimé.

Le Notre Père commence avec Dieu et nous mèneensuite sur les chemins de l’être humain. Dans laseconde partie, nous prions pour « nous ». Le chré-tien est toujours un « je » qui s’ouvre au « tu »divin pour former la communauté du « nous ».Comme chrétiens, en même temps que nous prionspour nous-mêmes, nous prions pour les autres, pourla satisfaction de tous nos besoins résumés dans lademande du pain quotidien ; en outre, nous prionspour obtenir le pardon de Dieu afin de vivre dans sonamour dont l’une des exigences est la disposition àpardonner à ceux qui nous offensent.

L’Esprit, notre entraîneur dans l’exercice de la prière

La prière de Jésus réside dans le dialogue qu’ilentretien avec son Père dont il se sent infiniment aiméet qu’il aime de tout son cœur et de toutes ses forces.Cette prière est la manifestation d’un amour si intenseque ni l’un ni l’autre ne peuvent le garder pour euxseuls. Le Père aime tellement le Fils qu’il ne peuts’empêcher de lui dire qu’il l’aime. Il en est de mêmepour le Fils face au Père. Cet échange d’amour est siparfait qu’il possède toutes les qualités, même celled’exister. Cet échange existe et se nomme l’Espritd’Amour.

Tout comme la prière de Jésus, notre prière naîtégalement de la conscience d’être les enfants bien-aimés du Père et les frères de Jésus. Et c’est

L’Esprit … nous transforme et traduit devant Dieula prière exprimée de nos cœurs.

(R 130)

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l’Esprit qui nous donne cette conscience, commenous l’affirme saint Paul : « Vous avez reçu unesprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier :Abba ! Père ! L’Esprit en personne se joint à notreesprit pour attester que nous sommes enfants deDieu » (Rm 8, 15-16).

Dans la prière, tout commence avec la reconnais-sance que Dieu est pour nous un Père-Mère plusaimant que le meilleur des pères-mères de ce monde.C’est l’Esprit qui nous aide à connaître l’amour de Dieuet à le prier en esprit et en vérité. Grâce à l’Esprit,nous pouvons adresser au Père la prière de notreamour qui se résume en une phrase : « Tu m’aimes ».Et grâce à l’Esprit, nous pouvons aussi demander auPère : « Fais que je me laisse envahir par ton amour ».Ce sont là les deux expressions fondamentales detoute prière. La Règle de vie confirme que l’Espritappuie notre prière en attestant qu’il « nous pousse àla confiance parce que Dieu est bon et fidèle, à la sup-plication parce qu’il est le maître de nos vies. Il noustransforme et traduit devant Dieu la prière inexpriméede nos cœurs » (R 130). Grâce à l’Esprit, notre prièreest une partie de la mélodie du ciel, le parfum de l’en-cens qui monte jusqu’à l’autel de la Trinité.

Rencontrer Dieu requiert une attitude de conver-sion. « Retire tes sandales » (Ex 3, 5), disait Yahvé àMoïse. L’Esprit nous aide à avancer dans ce processuspar lequel nous faisons davantage place à Dieu dansnos vies par la lutte contre l’égoïsme et l’autosuffi-sance, contre la tendance à la vie facile et à l’incons-tance, contre l’individualisme et la superficialité,contre la distraction et le désir de tout savoir et de semêler de tout, contre les commentaires sur les fauteset les faiblesses du prochain, contre le manque desilence tant extérieur qu’intérieur, contre l’activisme etcontre, en général, nos imperfections et nos péchés.

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Nous savons que nous ne pouvons pas nous libé-rer par nous-mêmes de tous nos esclavages et c’estpourquoi « nous plaçons notre fragile espérance dansla grâce de l’Esprit Saint toujours à l’œuvre pour uni-fier notre vie et nous libérer des contraintes qui nousempêchent de mettre du temps pour communier cœurà cœur avec Jésus en prière. » (Un pèlerinage d’espé-rance, p. 20).

Le chemin de l’ascèse passe par la mort (mortifica-tion) du vieil homme pour que le nouvel hommenaisse progressivement en nous. C’est avec une cer-taine crainte que j’ai inséré entre parenthèses le motmortification car il évoque des pratiques anciennes quine sont plus acceptables aujourd’hui. Mais la mortifi-cation, bien comprise, reste toujours nécessaire : direoui à tout ce qui plaît à Dieu même si cela nous coûte ;et dire non à ce qui ne lui plaît pas et même à beau-coup d’autres choses, bonnes en elles-mêmes, maisqui ne sont pas nécessaires. La mortification nous aideà nous détacher de nous-mêmes pour nous abandon-ner en toute confiance entre les mains du Père.

Rencontrer Jésus – « Venez à moi. » (Mt 11, 28)

Mes frères, au début de ma première circulaire, jevous disais que je voulais « souligner le besoin et l’ur-gence de retourner à l’essentiel de nos vies». Tout aulong de cette même circulaire, je m’évertuais àdémontrer comment notre relation avec Dieu est quel-que chose de fondamental dans notre vie chrétienne

Joignez vos prières aux miennes, et demandez au bon Sauveurde vous donner une place dans son Cœur sacré,

afin que vous puissiez y établir votre demeure pour toujours,et qu’il soit surtout votre lieu de refuge

dans le temps du combat et de la désolation…(Lettres du frère Polycarpe à plusieurs frères, in Positio, p. 442)

Nous prions avec Jésus et Marie

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et religieuse. Cette relation, nous la vivons dans larencontre intime avec Jésus-Frère qui veut partageravec nous l’expérience sublime de l’amour du Père et« nous transformer pour une communion avec lesautres » (Un pèlerinage d’espérance, p. 20).

Ramener la vie chrétienne à l’essentiel, c’est raviverla foi en Jésus et centrer notre vie sur lui. La foi estune expérience personnelle de confiance en Dieu quise révèle à nous par Jésus. Dès lors que Jésus ne vitque pour le Père, de même nous ne vivons pleinementla foi que si nous vivons seulement pour Dieu, l’uniqueSeigneur (cf. Ex 20, 3).

La vocation du chrétien et du religieux se vit dansla croissante identification à Jésus (cf. Rm 8, 29; Jn14, 5-6). Il s’agit d’adopter son mode de penser etd’aimer. Cela est facile à dire, mais c’est le travail detoute une vie. Nous entrons dans la vie religieuse, parexemple, pour des raisons précises. Il se peut queparmi celles-ci, l’on retrouve la recherche de Dieu, ledésir de perfection ou l’aspiration à rendre service auxautres. Mais il y a aussi habituellement des motiva-tions humaines bonnes mais insuffisantes en elles-mêmes pour assurer la persévérance ; ainsi en est-ildu désir d’être plus ou d’avoir plus, de dépasser lesautres, d’assurer notre vie, de recevoir une formation,etc.

Vivre la foi demande une attitude de conversion. Lemot conversion signifie changer la direction ou l’orien-tation de notre vie. Comme je viens de l’écrire, nouspouvons, initialement, entrer dans la vie religieuseafin d’obtenir certains avantages pour nous-mêmes.Eh bien, dans la vie, il n’y a que deux options : ounous vivons pour Dieu et les autres, ou nous vivonspour nous-mêmes. La conversion consiste à réorientercontinuellement notre vie vers Dieu et vers les autres.

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En d’autres mots, vivre la foi exige la transfigurationpermanente de notre amour (cf. R 74) : passer del’amour avec ses relents d’égoïsme (éros) à un amourchaque fois plus altruiste jusqu’à en arriver au puramour qui s’exprime dans le don total et désintéresséde nous-mêmes (agapè). Saint Paul, qui vivait com-plètement tourné vers le mystère du Christ, exprimaitainsi cette réalité: « Ce n’est plus moi qui vis, mais leChrist qui vit en moi » (Ga 2, 20).

Le chemin de conversion dont nous parlons est unchemin de perfection. « Vous donc, vous serez par-faits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5,48), a dit Jésus. Être parfait, c’est rechercher en toutla volonté de Dieu, prier et aimer parfaitement, met-tre en pratique les vertus humaines et chrétiennes. Ils’agit d’être des hommes et des femmes de Dieu,c’est-à-dire des saints. La sainteté est le plus beaucadeau que nous puissions faire au monde d’au-jourd’hui ; elle consiste à aimer Dieu et le prochain(cf. 1 Jn 4, 20-21). Ainsi donc, toute la vie chrétienneet spirituelle se résume à deux attitudes vitales : lafiliation et la fraternité. Il s’agit de vivre comme desenfants de Dieu et comme des frères les uns desautres, cherchant à plaire à Dieu en tout : « Soit quevous mangiez, que vous buviez, et quoi que vous fas-siez, faites tout pour la gloire de Dieu » (1 Co 10, 31).

Nous qui nous disons disciples de Jésus, nous imitonssa manière d’être. Comme lui, si nous savons être avecles autres, nous nous mettons à leur propre niveau etnous ne cherchons pas à être au-dessus d’eux pour lesdominer. Si Dieu est un Dieu proche et ami, nos rela-tions fraternelles ne peuvent s’établir ni à partir du pou-voir - « je suis plus que toi » - ni à partir de l’avoir -« j’en ai plus que toi » - ni à partir du plaisir égoïste -« tu ne comptes que si tu m’appartiens » - .

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Dans mes visites aux communautés, je répète fré-quemment que nous sommes frères, à l’exemple deJésus-Frère, pour être avec les autres, non pour êtreau-dessus d’eux. Et ce principe vaut tant pour l’exer-cice de l’autorité que pour l’obéissance et pour nosrelations avec les gens. Cette phrase est lourde desens parce qu’elle puise dans la théologie et la spiri-tualité la plus authentique de la communion et de l’in-carnation. Ceux qui vivent en conformité avec ce prin-cipe sont des personnes animées d’une vie spirituelleprofonde, fraternelle et apostolique.

Se croire supérieur, surestimer ses qualités et nierses défauts, rechercher l’admiration des autres, êtreambitieux aux dépens des autres et vouloir constam-ment s’imposer, voilà des attitudes propres à l’or-gueilleux. L’humble, par contre, est simple et recon-naissant ; il se met au service des autres et recon-naît ses qualités, sans nier ses défauts. L’humilité estla vérité. De fait, tout ce qui est bon en nous nous étédonné : « Qu’as tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’asreçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne l’avais pasreçu ? » (1 Co 4, 7).

L’humble reconnaît que tout ce qu’il y a de bon en luiest don de Dieu : « Dieu est là qui opère en nous à lafois le vouloir et l’opération même » (Ph 2, 13). « Horsmoi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5). « Je puistout en Celui qui me rend fort » (Ph 4, 13). L’humbleregarde Dieu plus que lui-même, il s’ouvre à l’action deDieu et s’abandonne à lui. L’humilité est la conditionindispensable de toute vertu et de toute perfection. Elleest surtout la vertu de Jésus : « Mettez-vous à monécole car je suis doux et humble de cœur, et vous trou-verez soulagement pour vos âmes » (Mt 11, 29).

La rencontre intime avec Jésus fera que nous nousidentifierons chaque fois plus avec lui, avec ses senti-ments, ses attitudes, ses paroles, ses actions, ses ver-tus, spécialement la douceur et l’humilité. Pour arriver

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à une telle rencontre, le chapitre général de 2006nous a invités à oser « risquer la transformation durythme trépidant de notre vie en prenant la “voienécessaire” de l’ascèse pour “prier en esprit et envérité” (R 131; cf. R 133, 139) » (Un pèlerinage d’es-pérance, p. 200.

La prière des pauvres de Yahvé

Le courant spirituel des pauvres de Yahvé qui acommencé à voir le jour au VIe siècle avant J.-C., pen-dant l’exil, donne le ton à la prière de Marie; on yreconnaît la servante du Seigneur, la femme humbleet reconnaissante. Sa prière est faite d’écoute de laParole, de disponibilité totale, de générosité mater-nelle, de compassion qui réconforte, d’union avecl’Église, de pleine confiance en Dieu, en sa bonté, enson pouvoir et en sa miséricorde.

Pour entrer en prière, il faut être pauvre en esprit.Cela suppose qu’on reconnaisse son indigence et sa

Marie

L’amour pour Jésus et l’amour pour sa mèresont toujours liés dans la dévotion chrétienne.

(R 138)

Daignez du moins m’obtenir, ô Marie,la grâce de le (l’Enfant Jésus) garder toujours présent

au milieu de mon cœur, ainsi qu’un germe d’amour.Vous m’obtiendrez de plus que ce germe d’amour

devienne un grand arbre dont les fruits soient pour l’éternité…(Sentiments et résolutions du frère Polycarpe,

in Positio, p. 443)

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fragilité, qu’on soit doux et humble. Est doux celui quiest docile, qui se laisse guider par Dieu, qui met saconfiance en lui et s’abandonne à lui.

Il n’est pas facile de devenir pauvre en esprit. Lepeuple d’Israël, qui misait sur la protection de Yahvé,rêvait d’être une grande nation, nombreuse et forte,capable de dominer les peuples voisins. Mais les siè-cles se succèdent et c’est tout le contraire qui se passe :des nations plus puissantes soumettent le paysjusqu’à le dominer entièrement. En l’an 587 avant J.-C., Nabuchodonosor s’empare de Jérusalem, passe aufil de l’épée nombre de ses habitants, vole ses trésors,incendie ses palais, détruit ses murailles et emmèneen captivité à Babylone ceux qui ont échappé à lamort.

Plusieurs des Juifs de l’exil, le petit reste, en arri-vent à la conclusion que la raison de leur disgrâce estleur propre péché et ils demandent pardon à Dieu : «Nous avons péché, nous avons été impies, nous avonsété injustes, Seigneur, notre Dieu, pour tous tes pré-ceptes. Que ta colère se détourne de nous, puisquenous ne sommes plus qu’un petit reste parmi lesnations où tu nous dispersas » (Ba 2, 12-13). Lesdéportés sont restés sans prince ni chef ni prêtre etsans même un temple où offrir leur sacrifice pour l’ex-piation des péchés (cf. Dn 3, 38). Mais ils en arriventà la conviction que Dieu accueille toujours ceux quis’approchent de lui avec « une âme angoissée, unesprit ébranlé » (Ba 3, 1).

Les pauvres de Yahvé, dépossédés de tout, s’appro-chent humblement de Dieu. Il est l’unique richesse quileur reste dans la vie. Au milieu de leur misère, ilsreconnaissent la miséricorde, la bonté et la protectionde Dieu qui veut les délivrer de la mort. Yahvé les sou-tient parce qu’ils espèrent contre toute espérance ;

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sans protection, persécutés dans un pays étranger, ilscherchent l’appui de leur communauté et c’est là qu’ilsdécouvrent peu à peu le cœur de Dieu qui aime leshumbles et les petits.

Dans la Bible, nous trouvons beaucoup d’exemplesde la prière des pauvres de Yahvé. Le Benedictus etle Magnificat en font partie. Nous en repérons égale-ment dans les suppliques de ceux qui s’adressent àJésus en implorant sa miséricorde : les lépreux, lesaveugles, les mutilés, les boiteux, le centurion,Zachée, le publicain…

Quand elle proclame le Magnificat, Marie tourned’abord son regard vers Dieu. Dans sa prière, ellereconnaît et magnifie la grandeur de Dieu : il est sonSeigneur, le Tout-Puissant, le Saint, le Miséricordieux,le Dieu fidèle à ses promesses, le Dieu bon qui aimespécialement les pauvres.

Le deuxième regard de Marie est tourné vers lesamis que Dieu protège de génération en génération :ceux qui le craignent, c’est-à-dire, ceux qui,conscients de leur faiblesse, ont peur de cesser d’ai-mer Dieu ; les affamés aussi de même que les pau-vres, c’est-à-dire ceux qui, dépouillés de tout, mettentleur trésor et leur espérance en Dieu qui les comble debiens.

En entonnant le Magnificat, nos chants s’unissent àla mélodie de nos frères et sœurs, les pauvres de laterre avec lesquels nous partageons la seule chose quinous appartienne vraiment : la richesse de Dieu quinous est offerte en abondance, à nous ses enfantsbien-aimés.

En même temps que les pauvres, Marie voit aussiles orgueilleux, les puissants, les riches, tous ces genssi pleins d’eux-mêmes qu’ils n’ont aucune place pour

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Dieu. Ils choisissent eux-mêmes leur maigre récom-pense et se refusent aux richesses des promessesdivines.

Enfin, Marie tourne son regard vers elle-même, lafemme humble pour laquelle le Seigneur a fait desmerveilles. Elle reconnaît sa valeur et sait que toutesles générations la diront bienheureuse. Mais elle saitque cela ne vient pas de son propre mérite mais plu-tôt du Seigneur. Le Magnificat exprime la prière de lafemme pauvre qui, mettant toute sa confiance dans leSeigneur, a été généreusement comblée de sa bontéet de sa miséricorde.

« Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur estavec toi » (Lc 1, 28). C’est la première parole queDieu adresse à Marie quand, par l’intermédiaire del’ange, il entre en communication avec elle aumoment de l’Annonciation. La grande joie de Marie,c’est de se savoir aimée de Dieu et c’est pourquoi, elles’exclame dans le Magnificat : « Mon esprit tressaillede joie en Dieu mon Sauveur » (Lc 1, 47). C’est samanière de reconnaître toutes les merveilles que leSeigneur a faites en elle, l’humble servante.

La grande leçon de Marie et de tous les pauvres deYahvé est que seule la personne humble et dépouilléed’elle-même est capable d’accueillir le Dieu qui vient àsa rencontre et de prier en esprit et en vérité.

Marie, dans sa prière, intercède toujours auprès deson fils en faveur des autres. Dans l’épisode des nocesde Cana, elle lui fait remarquer : « Ils n’ont pas devin » (Jn 2, 3), et sa supplique déclenche l’abondancedu don de Dieu signifié par le vin de la fête.

Marie vit sa prière avec la disposition de faire entout la volonté du Père. Sa prière est celle du « Fiat »(cf. Lc 1, 38). Elle appartient à la nouvelle famille de

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Dieu formée de ceux qui « écoutent la Parole de Dieuet la mettent en pratique » (Lc 8, 21). Son engage-ment à vivre comme Dieu le veut naît de sa relationintime avec lui car elle « gardait toutes ces choses,les méditant dans son cœur » (Lc 2, 19).

Toute la vie de Marie est un acte continu de foi. Maisarrive un moment sublime et difficile : celui de saprière au pied de la croix. Le fils soutient la prière dela mère et celle-ci anime la prière du fils. La prière deMarie surgit de son cœur déchiré, de sa douleur et desa compassion: la Passion du Fils est aussi la Passionde la Mère. Seule la compassion peut guérir la dou-leur. La souffrance maternelle de Dieu reste bien visi-ble en Marie. C’est en elle seule que l’image de laCroix est achevée, parce qu’elle est la Croix assumée.

Enfin, Marie est la mère qui continue à prier,aujourd’hui encore, avec nous, ses enfants, toutcomme aux premiers temps de l’Église : « Tous d’unmême cœur étaient assidus à la prière avec quelquesfemmes, dont Marie mère de Jésus » (Ac 1, 14).

Nous prions avec Jésus et Marie

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Unis à Jésus et Marie

Dans les pages précédentes, nous avons tournénotre regard vers Jésus. En lui nous avons reconnu legrand priant dont l’esprit de prière tient à son intimeconviction d’être le Bien-Aimé du Père. Nous avonségalement présenté Marie accompagnant la vie et laprière de Jésus.

Jésus est au centre de l’histoire de notre salut. Ilest le Fils du Père et le Dieu fait homme. En lui, Dieuet l’homme se réconcilient parfaitement. C’est pour-quoi il est le seul pont de communication entre le cielet la terre : Dieu ne parle à l’homme que par Jésus etc’est seulement par lui que l’homme parle à Dieu.Ainsi donc, c’est Jésus qui transmet fidèlement auPère la prière de ses fils.

Jésus n’est pas une personne solitaire. Tout d’abordil vit en parfaite unité avec le Père et l’Esprit. En plus,il est la tête du Corps mystique dont nous sommes lesmembres. Il a fondé l’Église pour perpétuer sa missionroyale, prophétique et sacerdotale. Baptisés, nousparticipons tous de la fonction sacerdotale : le clergé,pour le sacerdoce ministériel, et les séculiers, pour lesacerdoce commun. L’Église continue d’exercer lafonction sacerdotale du Christ par la célébrationeucharistique, la liturgie et la prière. Le livre des Actesnous présente une communauté chrétienne assidue àla prière (cf. Ac 2, 42).

Jésus est la tête du Corps mystique de l’Église et leporte-parole de notre prière vers le Père ; cela impli-que que notre prière, jusqu’à la plus personnelle et laplus intime, n’arrive pas chez le Père de manière iso-lée ; elle s’insère plutôt dans l’immense fleuve deslouanges qui montent vers lui et qui sont faites de laprière incessante de son Fils, de celle de Marie, samère et notre mère, et de celles de tous les amis de

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Dieu. Nous prions en Église et comme Église, unis auChrist et à l’humanité entière. Et Jésus lui-même, leFils bien-aimé et notre frère, présente nos suppliquesau Père en même temps qu’il intercède pour nous ;cela nous remplit de confiance.

Nous prions, provoqués par la Parole

Quand je dois voyager en avion, par prudence, j’ar-rive habituellement à l’aéroport en avance. Une foisles bagages enregistrés et la carte d’accès à bord enpoche, j’ai du temps pour prier, réfléchir, lire et même,quand l’attente se prolonge, étudier l’anglais. Parfoisj’entre dans une librairie. Sur les étagères, je trouveun grand nombre de livres qui tentent d’expliquercomment on peut trouver le bien-être physique, men-tal et spirituel. Il y en a de toutes les dimensions etcatégories.

Je crois que si l’on trouve sur le marché des livresaussi nombreux que divers traitant du bien-être, c’estparce qu’ils se vendent bien. Et s’il en est ainsi, c’estsans doute parce qu’ils répondent à certains besoins.Qu’est-ce que les gens cherchent dans ces livres ? Àrépondre à leurs besoins matériels ? Certes pas, toutau moins dans les pays riches où ceux qui lisent cettelittérature ne manquent d’à peu près rien. N’est-cepas plutôt qu’ils ont d’autres désirs profonds qu’ilsn’arrivent pas à satisfaire comme trouver un sens à

Nous prions en Église

L’Écriture Sainte inspire notre vie de prière.La méditation, la lecture spirituelle, le partage d’Évangile

et la lecture assidue de la Bibleouvrent notre esprit et notre cœur

à une connaissance intime de Jésus.(R 132; cf. R 24)

52

leur vie, assurer leur bien-être face à un avenirconstamment instable, trouver la paix et l’amour, etc. ?Ces aspirations et tant d’autres traduisent la profondesoif spirituelle de l’homme d’aujourd’hui.

Le marché, dans son essence, vise à créer desbesoins puis à offrir des réponses qui ne sont, le plussouvent, que des semblants de réponses. C’est la nou-velle religion du bien-être, de l’équilibre entre lecorps, l’âme et l’esprit, de la manière de trouver lebonheur… Il y a des recettes pour toutes les situations.Mais hélas ! On paye en vain ces recettes soi-disantmiraculeuses. Au bout du compte, on se retrouve avecles mêmes difficultés, l’argent en moins. Ces recettesrestent sans effet parce qu’elles offrent une pseudo-spiritualité qu’on peut qualifier d’égocentrique, d’indi-vidualiste, d’impersonnelle et de panthéiste ; celacontredit l’essence même de l’être humain et de sesaspirations les plus profondes.

Il y a plus de quarante ans, le Concile Vatican IInous invitait à centrer notre vie sur Dieu qui, par sonFils Jésus Christ, nous offre l’unique salut possible.« Il n’est pas sous le ciel d’autre nom donné auxhommes par lequel ils doivent être sauvés », peut-onlire dans Gaudium et Spes » (GS 10).

Le salut de l’homme, c’est de connaître l’amour duPère qui se révèle en Jésus, d’accueillir cet amour et,aidé par la grâce de son Esprit, de répondre à sesdons par un véritable amour filial. Mais commentconnaître Jésus ? La réponse est bien simple : à tra-vers l’Écriture Sainte où resplendit la Parole de Dieu.Saint Ambroise disait que quand nous lisons les Écri-tures, nous écoutons le Christ.

Saint Jean écrit : « Au commencement était leVerbe, et le Verbe était avec Dieu et le Verbe étaitDieu. Il était au commencement avec Dieu. Tout a été

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créé par lui et sans lui rien ne fut » (Jn 1, 1). Tout aété créé par le Verbe, c’est-à-dire, par le Fils, l’imageparfaite du Père, et c’est pourquoi toute la création,spécialement l’homme, est à l’image de Dieu.

Quand Dieu parle, il crée les choses. En effet, laParole, c’est-à-dire le Verbe, en nommant les êtres,les appelle à l’existence. C’est pourquoi, on dit que laParole est efficace parce qu’elle ne revient pas versDieu « sans effet, … sans avoir réalisé l’objet de samission » (Is 55, 10-11; cf. Gn 1, 1-31).

Le Christ, hier, aujourd’hui et toujours ; tel était lethème proposé pour le grand Jubilé de l’an 2000. C’estdire que le Christ est « l’Alpha et l’Oméga, le Premieret le Dernier, le Principe et la Fin » (Ap 22, 13), il estle centre de l’Histoire dans le sens que tout convergevers lui et qu’il récapitule tout en lui. Voilà pourquoi,insérés dans ce mystère incommensurable, il importeque nous fassions du Christ le centre de nos vies ou,comme l’exprime la Règle de vie, qu’il soit « au centrede nos motivations et de nos références » (R 112).

Nous recevons le Christ non seulement dansl’Eucharistie mais aussi dans l’Écriture, car le Christest l’accomplissement de l’Écriture, le Verbe fait chair.Toute l’Écriture est espérance de salut et c’est enChrist que se réalise cette espérance. Saint Jérômedisait : « Je considère l’Évangile comme le Corps duChrist ».

Etant donné que l’Écriture nous fait connaître lapersonne du Christ, il en découle qu’elle est le Livredes livres, le livre de choix pour étancher notre soifspirituelle et celle de nos élèves, de nos partenaireset, en général, celle de toutes les personnes que nousservons. Dans le courant actuel du marché de la spi-ritualité, on trouve un grand nombre de livres propo-sant d’attrayantes histoires au ton moralisateur. Ces

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récits sont intéressants mais en eux-mêmes, ils necalment pas la faim spirituelle de l’homme d’au-jourd’hui. Bien sûr, ce n’est pas mal de raconter unebelle histoire et d’en faire un enseignement pour lavie. Mais le centre de notre réflexion doit toujours êtreune phrase ou un texte de l’Écriture Sainte. Pas plusque les apôtres, nous ne pouvons négliger ni abandon-ner la Parole de Dieu (cf. Ac 6, 2).

La lectio divina

Permettez que je vous propose une forme de prièredont vous avez tous entendu parler et que beaucoupconnaissent et pratiquent. Il s’agit de la lectio divina.

Je précise tout d’abord qu’elle n’est pas exclusive-ment réservée aux moines mais qu’elle appartient àtoute l’Église. Je la recommande très spécialementparce qu’elle repose sur la Parole de Dieu, est prati-quée depuis les premiers temps de l’Église, est si sim-ple qu’elle reste à la portée de tous et peut devenir unmoyen privilégié pour revenir à l’essentiel de notre viereligieuse, c’est-à-dire à son fondement christologique,à la recherche de Dieu et à un commerce toujours plusfamilier et plus intime avec lui, dans une relationamoureuse de cœur à cœur. Saint Augustin disait : « Cene sont pas tes mots que Dieu attend de toi mais toncœur ».

De nature, j’ai tendance à être un éducateur minu-tieux et paternel ; je suis tenté de vous expliquer danstous les détails cette manière de prier. Je résisterai à latentation et me contenterai de vous en présenter unebrève description. Je préfère vous laisser le soin del’étudier à fond pour mieux la connaître et mieux lapratiquer. En ce moment, je m’adresse spécialement àceux qui oeuvrent dans le service de l’animation ou de

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la formation des frères. Je vous prie de l’approfondirpour en découvrir toute la richesse, de la proposer àvos confrères et de les encourager à en faire l’exercice.

La lectio divina comprend trois parties principales.Elle commence avec une introduction où la personnese met en présence de Dieu, le remercie pour ses donset demande à l’Esprit Saint sa lumière et son amour.Le corps de la lectio divina consiste à lire et à ruminerl’Écriture pour méditer, prier et contempler. Enfin lepriant continue la prière dans sa vie quotidienne où ilincarne la Parole de vie. Voyons d’un peu plus près enempruntant la première personne du singulier.

La lecture : je lis lentement le texte plusieurs foispour qu’il habite mon cœur et passe dans mamémoire, et j’y découvre les merveilles de Dieu et sonaction dans le passé.

La méditation : j’écoute l’appel de Dieu qui pénè-tre au plus profond de mon être et j’essaie de décou-vrir son message pour moi aujourd’hui.

La prière : je réponds à Dieu qui m’a parlé en dia-loguant avec lui. - Elle est ce colloque avec Dieu quisuit la lecture et la méditation de la Parole.

La contemplation : je regarde Dieu avec les yeuxdu cœur, je savoure sa présence, et je me laisse fas-ciner par la grandeur de son amour. - L’émerveil-lement peut monter au point de rester interdit, deperdre la conscience de soi-même et la conscience dela prière, dans l’abandon total à Dieu. C’est la phasedes gémissements ineffables de l’Esprit, prélude à labéatitude éternelle. La contemplation peut reposerégalement sur la Vierge Marie, les amis de Dieu etleurs oeuvres.

L’actualisation de la Parole dans la vie : jetémoigne, je sers le prochain, je multiplie les bonnes

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œuvres. - La lectio divina est non seulement uneécole de prière mais une école de vie. Sa pratique faitque peu à peu nos pensées et nos sentiments devien-nent ceux de Jésus et que notre vie est toujours plusconforme aux Béatitudes. Elle nous aide à vivre lavraie sagesse qui n’est pas la science mais quiconsiste à savoir vivre comme Dieu le veut.

La lectio divina demande de bonnes dispositions :la simplicité et le sentiment de petitesse, la persévé-rance, le silence extérieur et intérieur, la solitude, lecalme, l’attention à la Parole et à ce que Dieu veut demoi, la disponibilité pour me donner entièrement auSeigneur, la capacité de m’émerveiller et de savoirregarder avec amour, la confiance, le choix de ne paschercher l’érudition mais la ferveur et de ne lire quece qui est indispensable. - Sur ce dernier point, saintIgnace disait que « ce n’est pas seulement le fait desavoir beaucoup qui donne satisfaction et restaurel’âme mais plutôt le fait de sentir et de goûter les cho-ses intérieurement. » (cf. Note 2 des Exercices).

Pour conclure, je voudrais souligner que le Rosaireest la lectio divina des humbles (cf. R 138). Nous yparcourons les grands mystères de Dieu révélés dansla Parole. Nous suivons cet itinéraire avec Marie, Mèrede Jésus Christ, notre Mère et Mère de l’Eglise priante,la Mère contemplative qui tourne et retourne en soncœur les merveilles de Dieu et s’adresse à lui, unie àtous ses fils.

La lectio divina et l’examen de conscience

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L’examen particulier sera l’exerciceauquel ils s’appliqueront le pluset dont ils ne s’en dispenseront

que lorsqu’ils ne pourront en faire aucun. (Règle du Fr. Polycarpe, Cap. XXII, 5 11)

11 Cette directive était encore textuellement présente dans Constitutions etRègles des Frères du Sacré-Coeur, Paradis-Près-Le-Puy, Haute-Loire, 1948,chap. XI, article 352, p. 242.

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La lectio divina est intimement unie à l’examen deconscience. En effet, les temps de lecture et d’écoutede la Parole sont des moments d’intimité avec Dieu.Après, dans les occupations quotidiennes, nous conti-nuons à vivre la rencontre avec le Seigneur de la vie.Finalement, à l’examen de conscience, nous lisons lavie comme parole que Dieu nous a adressée tout aulong de la journée.

Le premier but de l’examen de conscience ce n’estpas de faire la révision de nos fautes mais de décou-vrir l’amour de Dieu. Les premières questions del’examen pourraient être : Comment Dieu m’a-t-ilmontré son amour tout au long de la journée? Enquels moments ai-je éprouvé cet amour? Que m’a-t-ildemandé? En essayant de répondre à ces interroga-tions ou à d’autres, « nous découvrons ses miséricor-dieuses bontés, percevons ce qu’il attend de nous »(R 134). Après nous remercions le Seigneur pour tousses dons. Finalement, nous « examinons notre fidélitéà ses volontés et regrettons devant lui nos péchés »(R 134).

Frères, suivons le conseil du Fr. Polycarpe en pre-nant soin de l’examen de conscience. Sa pratique adé-quate peut être une clé fondamentale pour le renou-veau de notre vie religieuse.

Notre charisme propre pour la prièreLe chapitre général nous propose quelques moyens

concrets pour vivre la dimension de la communionavec Dieu. En donnant mandat au conseil général derééditer le Guide de formation de l’Institut, il demandeque cette révision utilise « la Règle de Vie et lesécrits d’André Coindre et du Frère Polycarpe au sujet

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de la prière dans l’espoir de pouvoir présenter dansun langage nouveau notre charisme propre pour laprière » (Un pèlerinage d’espérance, p. 21).

J’avoue qu’au début, l’expression « notre charismepour la prière » me surprenait. Aujourd’hui, aprèsl’avoir entendue maintes fois, je la trouve plus fami-lière. Mais je me pose toujours les mêmes questionsqu’au début : avons-nous, Frères du Sacré-Coeur, uncharisme propre pour la prière ? Si oui, lequel ?

Dans ma première circulaire, j’ai parlé de notre spi-ritualité en essayant de présenter les traits qui la défi-nissent, c’est-à-dire une spiritualité chrétienne – cellede tout baptisé – avec les nuances spécifiques quinous différencient.

Si la spiritualité est la manière de vivre notre rela-tion avec Dieu dans les moments spécifiques de prièreet dans la prière de la vie quotidienne, on peut déduirequ’il y a une étroite relation entre la spiritualité et laprière. En vertu de cela et du fait que nous avons unespiritualité propre, nous pouvons énoncer l’hypothèseque nous avons aussi un charisme propre pour laprière. Dans les paragraphes suivants, je tenteraid’expliquer brièvement cette hypothèse.

Par analogie avec la spiritualité, notre charismepropre pour la prière reposerait sur les aspects decelle-ci que nous partageons avec les autres priantsde la communauté chrétienne et sur les nuances spé-cifiques qui nous caractérisent. Quand nous parlons denotre charisme, nous ne faisons pas seulement réfé-rence à ce qui nous est exclusif mais également à ceque nous partageons avec les autres. Notre identité seconfond avec notre vie chrétienne, notre vie frater-nelle, notre consécration spéciale, notre mission et cequi nous est propre comme Frères du Sacré-Cœur.

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Voici, selon moi, quelques caractéristiques detoute prière chrétienne : elle est centrée sur le Christet réalisée en compagnie de Marie, elle trouve son ins-piration dans le pain de la Parole et le pain del’Eucharistie, et elle est vécue en union avec toutel’Église. N’est-ce pas ainsi que notre prière doit pren-dre forme ?

Aux caractéristiques précédentes s’ajoutent deséléments spécifiques de notre charisme propre pour laprière. On pourrait en citer quelques-uns : trouverson inspiration dans la contemplation du côté ouvertde Jésus, cette porte ouverte qui nous conduit à soncœur transpercé, être l’expression d’un amour total,partager la compassion de Dieu et celle du cœur deMarie pour ses fils, être solidaire de tous les souffrantsde la terre, particulièrement des enfants et des jeunesnécessiteux, exprimer la relation fraternelle avec nosconfrères et nos partenaires.

Je vous invite tous à approfondir et à vérifier cettehypothèse. Et vous, membres du CIAC et de l’équipede révision du Guide de formation, je vous demandeplus instamment de scruter cette hypothèse et de voirquels fruits il est possible d’en tirer. Que ces effortsnous aident tous à « prier en esprit et en vérité »pour vivre notre rencontre quotidienne avec leSeigneur, dans l’intimité avec Jésus-Frère, commenous y invite le chapitre général.

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En introduction, je vous faisais part de mon sou-hait que cette circulaire soit utile. Elle m’a coûté del’effort et du temps; elle m’a demandé de l’étude, dela réflexion et de bons moments de prière pour memettre en syntonie avec la prière de Jésus et celle detant d’hommes et femmes de Dieu. Mais tout cela m’aété profitable. D’une part, je suis arrivé à une meil-leure compréhension de ce que sainte Thérèse d’Aviladisait au sujet de la prière : « Elle n’est rien d’autrequ’un échange d’amitié en se retrouvant fréquemmentseul avec celui dont nous nous savons aimés ».D’autre part, je suis encore plus convaincu de lanécessité de la prière et plus prompt à avancer sur lechemin du « prier en esprit et en vérité », poursui-vant de cette façon mon pèlerinage d’espérance.

J’espère, frères, que la lecture de cette circulaire demême que la réflexion et la prière qu’elle fera naîtrevous auront été profitables et continueront de l’être.Elle n’a pas été conçue pour être lue une seule fois oud’un seul trait mais bien plutôt pour être priée etsavourée par tranches. Je vous invite à continuer àcontempler les priants de tous les temps, ceux quecette circulaire présente ou d’autres, et à intérioriserchacune des situations de leur vie, en faisant réelle-ment une lecture priante, parfois personnelle, d’autresfois communautaire. De cette manière nous devien-drons peu à peu des hommes de Dieu. Karl Rahnerdisait : « Ou le chrétien de demain sera un mystique,ou il ne sera rien ». Comme cela a été écrit il y a déjàplusieurs années, nous sommes aujourd’hui « leschrétiens de demain » dont il parlait.

Il y a quelque temps, un jeune qui désirait êtrefrère me disait : « Cela fait deux semaines que jesuis aspirant et je n’ai pas encore rencontré Dieu faceà face. » Je lui ai répondu : « Moi non plus ; celafait déjà plusieurs années et je n’ai pas vu son visage

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directement mais je sens tous les jours – parfoisplus, parfois moins – qu’il passe à côté de moi et qu’ilme laisse le parfum de son amour ».

Nous aussi, nous voudrions obtenir des résultatsimmédiats en avançant sur le chemin de la prière.Mais parfois, notre prière est purement mécanique etn’est qu’un acte de routine : nous prions, mais notrecœur est loin de Dieu. D’autres fois, nous manquonsde discipline en négligeant d’adopter un horaire et d’yrester fidèle. D’autres fois encore, c’est le manque defoi, l’inconstance…

Le perfectionnement de la prière est un travail detous les jours. Ici également, reste valable l’adage quidit que « c’est en forgeant qu’on devient forgeron » ;on apprend à prier en priant. Je vous invite, frères, àvous joindre à moi pour demander continuellement àJésus de nous enseigner à prier. Prenons les moyensnécessaires pour que notre prière soit toujours plusvraie et faisons de nos communautés des écoles deprière ouvertes à ceux qui nous entourent. Tout celanous permettra de poursuivre résolument notre pèle-rinage d’espérance sur le chemin de la communion.

Que Marie, maîtresse de prière et notre mère, nousaide, nous illumine et nous guide tout au long de notrepèlerinage qu’elle et son Fils font avec nous.

F. José Ignacio Carmona, S.C.

Rome, 30 mai 2008,en la Fête du Sacré Coeur de Jésus

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Questionnaire

(Pour le discernement personnel et communau-taire. Vous pouvez allonger la liste si vous le jugezopportun.)

1. Comment se porte ma vie de prière?

2. Quelles sont les difficultés que je rencontre dansma prière personnelle ? Dans ma prière communau-taire ? Que faire pour les résoudre ?

3. Dans mon projet personnel, ai-je prévu de consa-crer suffisamment de temps à la prière personnelle,d’écouter la Parole et de me retirer dans la solitude ?

4. Suis-je quotidiennement fidèle à la méditation, à lalecture spirituelle et à l’examen de conscience ?

5. Est-ce que je consacre assez de temps à l’étudereligieuse ?

6. Quel(les) sont les idées ou les messages de la cir-culaire qui me semblent les plus pertinent(e)s ?

7. …

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