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Béatrice JULIEN – Psychologue clinicienne LA SCHIZOPHRENIE : Une maladie Bio-Psycho-Sociale

LA SCHIZOPHRENIE Une Maladie Bio-Psycho-Sociale, par Béatrice JULIEN – Psychologue clinicienne

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Le phénomène de stigmatisation est présent partout dans le monde, dans toutes les sociétés, dans toutes les cultures et aucune n’a pu et ne peut l’éviter. Ce phénomène semble correspondre à un besoin et à une nécessité pour le public de catégoriser autrui.

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Béatrice JULIEN – Psychologue clinicienne

TABLES DES MATIERES

LA SCHIZOPHRENIE : Une maladie Bio-Psycho-Sociale

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QUELQUES REPERES HISTORIQUES ………………………………………………P.04

I – EPIDEMIOLOGIE …………………………………………………………………..P.07

II – ETIOLOGIE DE LA SCHIZOPHRENIE : les origines de la pathologie………...P.08

1 – Vulnérabilité neuropsychologique ……………………………………………………P.091.1. – Erreur génétique ……………………………………………………………..P.091.2. – Anomalies cérébrales………………………………………………………...P.10

1.2.1. – Anomalies de l’hippocampe………………………………………P.121.2.2. – Hypofrontalité…………………………………………………….P.14

1.3. – Dysfonction des neurotransmetteurs………………………………………....P.151.3.1. – La dopamine………………………………………………………P.161.3.2. – La sérotonine……………………………………………………...P.17

2. – Stresseurs socio-environnementaux…………………………………………………..P.172.1. – Alcool et drogues…………………………………………………………….P.172.2. – Emotion exprimée……………………………………………………………P.192.3. – Evènements de la vie quotidienne……………………………………………P.192.4. – Pressions de performance et soutien social insuffisant………………………P.20

III – DESCRIPTION CLINIQUE de la pathologie …………………………………….P.22

1. – Mode d’apparition de la psychose…………………………………………………….P.22

2. – Symptômes positifs…………………………………………………………………….P.232.1. – Hallucinations………………………………………………………………..P.232.2. – Délires………………………………………………………………………..P.242.3. – Association incohérente d’idées……………………………………………...P.252.4. – Comportements désorganisés………………………………………………...P.26

3. – Symptômes négatifs……………………………………………………………………P.263.1. – Affect aplati ou émoussé……………………………………………………..P.273.2. – Alogie………………………………………………………………………...P.273.3. – Avolition ou apathie………………………………………………………….P.283.4. – Anhédonie et retrait social…………………………………………………...P.283.5. – Déficit de l’attention…………………………………………………………P.28

4. – Symptômes avant-coureurs de rechute……………………………………………….P.28

IV – FORMES CLINIQUES de la schizophrénie……………………………………….P.30

V – LE TRAITEMENT AU LONG COURS DES SUJETS SOUFFRANT DE SCHIZOPHRENIE : Principes théoriques et recherches………………………………P.31

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1. – Le traitement pharmacologique………………………………………………………P.311.1. – Les médications neuroleptiques et antipsychotiques………………………...P.31

1.1.1. – Les neuroleptiques sont-ils efficaces ?……………………………P.321.1.2. – Faut-il prescrire des neuroleptiques à vie ?……………………...P.331.1.3. – Doit-on prescrire des neuroleptiques à doses élevées ?………….P.351.1.4. – Faut-il seulement prescrire des neuroleptiques ?………………...P.36

1.2. – Le problème de l’observance du traitement………………………………….P.361.3. – Les effets secondaires : les symptômes extrapyramidaux ?………………….P.371.4. – Incidence des neuroleptiques et de leurs effets secondaires sur le

fonctionnement social et la qualité de vie du patient………………………...P.39

2. – Le traitement psychosocial…………………………………………………………....P.412.1. – La psychothérapie individuelle dans le traitement de la schizophrénie……...P.422.2. – La place des différentes formes de psychothérapies dans le traitement de la schizophrénie …………………………………………………………...…P.432.3. – La réadaptation des sujets souffrant de schizophrénie……………………….P.44

2.3.1. – La réadaptation sociale du malade psychique chronique dans la psychiatrie française ………………………………………………P.47

2.3.2. – Les éléments d’un plan cognitivo-comportemental de réadaptation sociale………………………………………………………………P.48

VI – PRISE EN CHARGE DES SUJETS SOUFFRANT DE SCHIZOPHRENIE : la réalité est-elle le reflet de la théorie ?……………………………………………………P.50

1. – L’importance de déstigmatiser la schizophrénie……………………………………..P.50

2. – L’opinion du public : les mythes face à la réalité……………………………………P.52

3. – Quelques revendications de sujets schizophrènes……………………………………P.54

CONCLUSION……………………………………………………………………………P.57

GLOSSAIRE……………………………………………………………………………....P.59

BIBLIOGRAPHIE………………………………………………………………………..P.60

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«  Il faut une heure pour croire que l’on comprend la schizophrénie,

et vingt ans pour savoir qu’on y comprend peu de chose. »

Paul Claude RACAMIER

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QUELQUES REPERES HISTORIQUES.

La notion de schizophrénie n’est pas apparue immédiatement sous cette dénomination. C’est Esquirol qui, dans les années 1830, fournit la définition du concept de démence précoce, concept précurseur de celui de schizophrénie, correspondant au sens médical du mot : « la démence est une affection cérébrale, ordinairement sans fièvre et chronique, caractérisée par l’affaiblissement de la sensibilité, de l’intelligence et de la volonté : l’incohérence des idées, le défaut de spontanéité intellectuelle et morale sont le signe de cette affection. L’homme qui est dans la démence a perdu la capacité de percevoir les objets, d’en saisir les rapports, de les comparer, d’en conserver un souvenir complet, d’où résulte l’impossibilité de raisonner » (Garrabé, 1992).

C’est dans les années 1850 que Morel fit la première description clinique de la

démence précoce. Il décrit chez ces sujets des troubles des fonctions intellectuelles, ainsi qu’un début insidieux avec un accès aigu et des troubles qui n’ont pas l’air inquiétant au début. Il décrit aussi une évolution progressive qui amenait le sujet vers un état de torpeur ou d’agitation, jusqu’à une véritable dissolution psychique. Il décrit donc les symptômes suivants chez ces sujets :

- suggestibilité, - stéréotypie des gestes et des attitudes,- raideurs des membres,- grimaces, bizarrerie, tics bizarres,- souvent ces sujets restent sans rien faire (aujourd’hui, on parlerait de négativisme),- motricité particulière, c’est à dire que lorsqu’on regarde ces sujets, on a

l’impression qu’ils sont mus par un ressort.

En 1900, Kraepelin écrit ses traités. Pour ce dernier, c’est le caractère précoce d’apparition des troubles qui est important. Dans la 6ème édition de son traité qui paraît en 1899, il consacre un chapitre entier à la démence précoce qui est désormais considérée comme une maladie unique pouvant revêtir trois formes : l’hébéphrénie, la catatonie, la démence paranoïde.

En 1911, Bleuler va être l’instigateur du terme « schizophrénie », dont l’étymologie provient du grec « schize » et « phrenia » et signifie littéralement « esprit divisé ». En fait, Bleuler a surtout essayé de mettre en évidence la fragmentation de la personnalité. Mais comme le souligne Rigo Van Meer (1987), ceci a conduit à des erreurs dans l’assimilation de la schizophrénie avec une double personnalité, tel le Docteur Jekyll et Mister Hyde. En fait, il s’agit plutôt d’une discordance, d’une dissociation entre les idées énoncées par les patients et l’affect qui y est associé.

Il souligne trois caractéristiques de cette maladie :- La fragmentation (spaltung) des fonctions psychiques qui compromet l’unité de la

personnalité ;- Les troubles associatifs ;- Les troubles affectifs qui aboutissent à l’indifférence affective, à la discordance, à

l’ambivalence des sentiments.

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Il va distinguer quatre sous-groupes des schizophrénies :- la forme paranoïde qui comprend l’ancienne paranoïa de Kraepelin,- la catatonie,- l’hébéphrénie où il y a affaiblissement des fonctions intellectuelles, sans tenir

compte de l’âge d’apparition des troubles,- la schizophrénie simple où Bleuler nous dit que les malades ne présentent que les

signes fondamentaux. Cette forme est rare et reconnaissable à la marginalisation sociale.

Il va aussi distinguer les symptômes primaires et les symptômes secondaires. Ces symptômes primaires seraient directement provoqués par un processus. Alors que les symptômes secondaires seraient dus en partie aux modifications indirectes des fonctions psychiques, et en partie à des réactions ou même des tentatives d’adaptation aux troubles primaires. Cependant, Bleuler reconnaît son ignorance quant au processus schizophrénique même s’il semble retenir une double causalité, psychique et organique.

En s’inspirant du psychiatre français De Clérambault, Schneider, en 1950, établit une liste de symptômes qu’il considère comme pathognomonique de cette maladie :

- Délires, troubles de la pensée : Perception délirante ou idée de référence ; Délire de contrôle ; Sentiment délirant d’étrangeté ; Pensée imposée ou automatisme de la pensée ; Vol de la pensée ;

- Hallucinations : Divulgation de la pensée ; Echo de la pensée ; Hallucination auditive sous forme de conversation des voix entre elles, de

commentaires à propos des actes du patient ; Hallucination cénesthésique, expérience corporelle passive ;

- Perturbation des sentiments, des volontés, aboutissant à des actes impulsifs et bizarres.

Cet ensemble de symptômes a constitué les critères diagnostiques de la schizophrénie dans le DSM-III et le DSM-IV.

En 1972, Feighner, souhaitant apporter plus de précisions au diagnostic, présente trois groupes de critères diagnostiques de la schizophrénie :

A) – Durée d’au moins six mois de la maladie ;– Absence de symptômes de dépression ou de manie ;

B) – Délire ou hallucination chez un patient bien éveillé et non confus ;– Logique du discours difficile à comprendre et rendant la communication obscure ;

C) – Célibataire ;– Insertion sociale ou au travail déficitaire ;– Histoire familiale de schizophrénie ;– Début de la maladie avant l’âge de 40 ans.

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Le patient doit remplir les deux critères du groupe A, au moins un critère du groupe B et trois critères du groupe C pour que le diagnostic de schizophrénie soit retenu.

De nos jours, l’expression du trouble schizophrénique peut emprunter une autre sémiologie. La consommation croissante, dans nos sociétés, de cannabis, qui est un psychodysleptique, peut entraîner des troubles de type schizophrénique et aggraver les psychoses déjà déclarées. De même, la cocaïne, le crack et surtout l’ecstasy, dont la consommation semble aller grandissante, induisent des tableaux de type maniaque qui peuvent rapidement évoluer vers des troubles de type schizophrénique.

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I – EPIDEMIOLOGIE

Un grand nombre d’études ont mis en évidence que la pathologie affectait environ 1% de la population mondiale, dans les différents pays et cultures.

L’incidence annuelle de la schizophrénie, c’est à dire le nombre de nouveaux cas diagnostiqués chaque année, est d’environ 3 pour 10.000 habitants. Nous pouvons donc présumer que, sur une population de plus de 60 millions d’habitants en France, 18.000 nouveaux cas de schizophrénie apparaissent chaque année.

Les hommes sont plus précocement touchés par la maladie que les femmes : en moyenne, 18 à 25 ans chez les hommes et 24 à 35 ans chez les femmes.

Le début plus précoce chez les hommes peut, notamment, expliquer l’évolution plus morbide de la maladie, comparativement aux femmes. En effet, une différence de quelques années dans l’acquisition d’habiletés sociales, entre la fin de l’adolescence et le début de l’âge adulte, peut être cruciale en ce qui concerne la réinsertion sociale après un premier épisode psychotique.

La schizophrénie augmente le risque de suicide : 40% des personnes souffrant de schizophrénie font un geste suicidaire au cours de leur vie et, 10% en décède.

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II – ETIOLOGIE de la schizophrénie : les origines de la pathologie.

Les facteurs contribuant au développement et à l’évolution de la schizophrénie sont encore complexes. On sait au moins que la schizophrénie est une maladie du cerveau qui ne peut s’expliquer par une cause unique. C’est plutôt un ensemble d’éléments, d’importance variable, qui interagissent les uns avec les autres pour provoquer l’apparition et les rechutes de cette pathologie.

La compréhension contemporaine ayant pour but d’unifier ces éléments disparates est fondée sur le modèle Vulnérabilité-Stress qui permet de réunir les diverses facettes en cause en interaction dans la maladie.

Fig. 1 : Modèle vulnérabilité-stress de la schizophrénie.

La figure ci-dessus montre que, chez certains individus, il existe une vulnérabilité neuropsychologique, elle-même provenant d’une prédisposition génétique ou d’une

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Vulnérabilité neuro-psychologique

- Erreur génétique- Anomalie du cerveau

Hypofrontalité Anomalies limbiques

(hippocampe) Anomalies temporales

- Dysfonction des neurotransmetteurs Dopamine, Sérotonine

Stresseurs Socio-environnementaux

- Alcool et drogues- Emotion exprimée (EE)- Evènements de la vie quotidienne- Pression de performance (travail,

études)- Insuffisance du soutien social

Symptômes résiduels

- Symptômes négatifs- Détérioration du

fonctionnement- Troubles cognitifs

Troubles de l’attention Troubles d’anticipation Troubles de la mémoire

- Handicap, invalidité

Traitements (facteurs de protection)

- Antipsychotiques- Psychoéducation pour le

patient et sa famille- Entraînement aux habiletés

sociales et de communication- Programme de réadaptation

individualisé- Soutien social continu

Schizophrénie

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constitution mentale qui rend ces individus plus sensibles aux stresseurs socio-environnementaux.

Cette fragilité cérébrale, lorsqu’on l’associe à des facteurs de stress, risque donc de déclencher une schizophrénie.

Puis, selon une causalité circulaire, l’individu se trouve affaibli par la maladie et doit alors vivre avec des symptômes résiduels. Ces symptômes résiduels rendent alors l’individu encore plus sensible aux facteurs susceptibles de déclencher des rechutes.

En résumé, il faut une prédisposition héréditaire ou encore une configuration cérébrale particulière, découlant du dysfonctionnement d’un circuit fronto-temporo-limbique, ainsi que des neurotransmetteurs afférents pour que la schizophrénie s’installe chez certains individus.

Cependant, la seule et unique présence de ces facteurs physiologiques n’est pas suffisante pour provoquer l’apparition de la maladie ; il faut que s’y ajoutent certains types de stress, comme par exemple :

- un stress toxique comme les drogues,- un stress social comme l’expression d’émotions ou

des attitudes envahissantes de la part de l’entourage, ou encore des pressions de performance qui peuvent avoir un effet déclencheur lorsque le cerveau est déjà constitutionnellement fragile.

Certains individus subissent, de façon quotidienne, de tels stress, mais ne seront pas pour autant atteints de schizophrénie. La raison est qu’ils ne sont pas porteurs de facteurs biologiques les prédisposant à la maladie.

1 – Vulnérabilité neuropsychologique

1.1. – Erreur génétique

Des études familiales ont clairement montré que la pathologie est plus fréquente dans certaines familles. Cependant, la transmission de la maladie n’est sans doute pas liée simplement à un seul gène majeur.

Trois situations sont alors possibles :1) certaines personnes porteuses de gènes prédisposants souffriront de schizophrénie : ce

sont les phénotypes.2) Certaines personnes porteuses de gènes responsables de la pathologie ne manifesteront

pas les symptômes de la maladie à cause de ce qu’on appelle un phénomène de pénétrance incomplète : ce sont les génotypes.

3) Des personnes qui ne sont pas porteuses des gènes présentent, en réaction à des stresseurs socio-environnementaux, des symptômes de psychose s’apparentant à la schizophrénie : ce sont les phénocopies.

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Les conclusions relatives à une cause génétique sont basées sur trois types d’études : les études familiales, les études de jumeaux et les études d’adoption.

Les études familiales ont permis de conclure que plus le lien de parenté est proche, plus le nouveau-né risque de souffrir de schizophrénie.

Les études de jumeaux ont mis en évidence que, dans le cas de jumeaux dizygotes, la concordance quant à la schizophrénie n’est que de 10%, c’est à dire qu’elle n’est pas plus élevée que pour les frères et sœurs d’une même famille.

Par contre, dans le cas de jumeaux monozygotes, qui devraient donc être identiques en tous points, le risque qu’ils souffrent tous deux de schizophrénie n’est que de 50%. C’est donc la preuve la plus convaincante que le facteur génétique, qui intervient sans doute dans la schizophrénie, est insuffisant pour déterminer l’apparition de la maladie : il faut donc qu’il existe d’autres facteurs qui feront en sorte que l’un des jumeaux aura la maladie, tandis que l’autre sera protégé.

Les études d’adoption montrent que chez les enfants adoptés nés d’une mère schizophrène, le risque de souffrir de schizophrénie est de 10%, comparativement à 1% chez les enfants adoptés nés d’une mère non schizophrène. Le facteur d’adoption n’intervient donc pas, puisque dans les deux cas, il s’agit d’enfants adoptés à la naissance. C’est donc le bagage génétique qui fait la différence.

On a cependant remarqué une corrélation entre le développement de la schizophrénie chez un enfant et la perturbation du fonctionnement de la famille adoptive. Mais cette perturbation a été observée plusieurs années après l’adoption et elle survient surtout dans les familles qui ont adopté un enfant né d’une mère schizophrène.

On sait que la schizophrénie apparaît quand un individu génétiquement vulnérable entre en contact avec un environnement perturbé. Mais il est aussi possible qu’un « pré-schizophrène » puisse provoquer des perturbations dans le fonctionnement de la famille.

1.2. – Anomalies cérébrales

Trois zones interreliées du cerveau sont affectées dans la schizophrénie : 1) le cortex préfrontal, 2) le cortex temporal, 3) et le cortex limbique ; à ces zones pourraient même s’ajouter le cervelet.

Les variations des symptômes entre les patients peuvent s’expliquer par l’importance du dysfonctionnement dans l’une ou l’autre zone.

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Les figures suivantes situent dans le cerveau les différentes zones citées ci-dessus.

Fig.2 : le lobe frontal et préfrontal.

La capacité de retenir temporairement une information en vu de mener à bien une tâche est spécifiquement humaine. Elle rend très active certaines régions de notre cerveau, en particulier le lobe préfrontal.

Fig.3 : le lobe temporal.

Le lobe temporal permet de distinguer l’intensité et la tonalité des sons.C’est aussi grâce à la partie supérieure de ce lobe que l’on comprend le sens des mots.Les lobes temporaux sont aussi impliqués dans la formation et la remémoration des souvenirs.Le lobe temporal droit est davantage impliqué dans la mémoire visuelle, tandis que le lobe temporal gauche est plus impliqué dans la mémoire verbale.

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Fig.4 : le système limbique ou cortex limbique.

Le système limbique est notamment le siège des émotions, des désirs, des besoins, de la survie.

Le système limbique comprend : - le thalamus, - l'hypothalamus, - l'hippocampe qui permet la mémorisation à long terme- l'amygdale qui enregistre et génère la peur.

1.2.1. – Anomalies de l’hippocampe.

Fig. 5 : L’hippocampe

L’hippocampe sert de réservoir à la mémoire à moyen terme pendant plusieurs semaines avant de transférer graduellement l’information dans d’autres zones du cortex cérébral.

On peut donc localiser un des troubles de la mémoire particuliers à la schizophrénie, soit la difficulté à apprécier les évènements nouveaux, qui s’explique par le fait que les schizophrènes n’ont pas gardé en mémoire le contexte qui permet de situer ces évènements dans une perspective globale.

L’hippocampe sert aussi à moduler les réponses affectives. Un déficit hippocampique rend donc difficile l’expression d’émotions dans un registre approprié aux circonstances.

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Quant aux troubles de la pensée et aux hallucinations verbales, ils peuvent être reliés au trouble du fonctionnement dans le lobe temporal.

On a pu démontrer que les ventricules cérébraux des schizophrènes sont plus dilatés que les ventricules de leurs frères ou sœurs qui ne souffrent pas de schizophrénie.

Fig. 6 : les ventricules cérébraux

Plus précisément, les ventricules sont plus dilatés car certaines autres structures du cortex cérébral sont sous-développées : il s’agit de l’hippocampe, de l’amygdale et des autres régions du lobe temporal avoisinantes, surtout celles de gauche. Ainsi, les ventricules ne font qu’occuper l’espace vacant.

L’élargissement ventriculaire est présent avant l’apparition des symptômes de la maladie, et il ne progresse pas à mesure que la maladie se chronicise.

1.2.2. – Hypofrontalité.

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Les hallucinations auditives sont dues à une activation anormale de l’aire de Wernicke.

Fig. 7 : La boucle phonologique

L’aire de Wernicke est l’aire de perception du langage. Elle est située dans le lobe temporal

L’aire de Broca est l’aire de production du langage.Elle est située dans le lobe frontal.

Normalement, l’aire de Wernicke est activée seulement par des vocalisations venant de l’extérieur ; alors que dans la schizophrénie, elle est aussi activée par des vocalisations autogénérées provenant de l’aire de Broca.

Le cortex préfrontal, c’est à dire la partie antérieure des lobes frontaux, est hypofonctionnel dans la schizophrénie.

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Les fonctions mentales rattachées aux lobes frontaux sont : l’anticipation, la prise en considération du contexte, la flexibilité mentale, l’adaptation à l’environnement.

Etant donné que le cortex préfrontal est hypofonctionnel dans la schizophrénie, les fonctions suivantes seront déficientes :

L’organisation de la pensée ; La facilité d’expression verbale ; Les attachements affectifs ; Le jugement social ; L’attention ; La volition et la motivation ; L’établissement et la planification de buts ; L’agencement de séquences de comportement pour parvenir à un but ;

1.3. – Dysfonction des neurotransmetteurs

On connaît actuellement une soixantaine de neurotransmetteurs.

Tous les antipsychotiques n’ont pas le même mécanisme d’action sur les neurones du cerveau.

Fig. 8 : schéma d’un neurone

Ces neurones sont connectés entre eux par des synapses. C’est aux neurotransmetteurs, qui sont des substances, qu’est confié le rôle de transmettre l’information dans une synapse entre deux terminaisons nerveuses.

Cette information est véhiculée par un faible courant électrique.

Les neuroleptiques agissent notamment au niveau des synapses.

1.3.1. – La dopamine

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Les neuroleptiques utilisés classiquement pour stabiliser les symptômes de la schizophrénie ont tous pour effet de bloquer le passage de certains neurotransmetteurs, dont la dopamine.

Les neuroleptiques classiques agissent sur deux sortes de dopamine : les récepteurs D1

et D2.

Le blocage de la transmission de la dopamine se fait dans les quatre voies dopaminergiques reliant :

Le mésencéphale au cortex (voie méso-corticale). Un mauvais fonctionnement de cette voie pourrait être à l’origine des symptômes de la schizophrénie (hallucinations, désordre de la pensée…). Le blocage de ce faisceau réduit les délires, mais aussi le fonctionnement global des lobes frontaux.

Le mésencéphale au lobe limbique (voie méso-limbique). Cette voie est importante pour la mémoire et la motivation de nos comportements. En bloquant ce faisceau, les antipsychotiques réduisent les émotions intenses provoquées par l’expérience psychotique.

La substance noire au striatum (voie nigro-striée) ; c’est le blocage de ce faisceau qui provoque les tremblements parkinsoniens.

L’hypothalamus à l’hypophyse (voie tubéro-infundibulaire) ; le blocage de ce faisceau entraîne une galactorrhée par stimulation de la prolactine.

Fig. 9 : les différentes voies dopaminergiques

Jusqu’en 1985, on ne connaissait que les dopamines D1 et D2. Les neuroleptiques classiques agissaient alors sur ces deux sortes de dopamine ; et la recherche avait alors pour but de développer de nouveaux médicaments bloquant spécifiquement ces récepteurs.

Mais de nouveaux récepteurs ont été découverts, les récepteurs D3 et D4, avec l’arrivée des nouveaux antipsychotiques.

De nos jours, les chercheurs pensent qu’il faut arriver à moduler le système dopaminergique en interaction avec d’autres neurotransmetteurs, tels que la sérotonine, le glutamate, les récepteurs opiacés, etc.

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On connaît désormais sept variétés de dopamine que les différents médicaments antipsychotiques ne bloquent pas tous également. Cette découverte peut notamment expliquer pourquoi la réduction des symptômes psychotiques est variable d’un patient à l’autre.

A l’heure actuelle, le problème est qu’on n'a pas encore la preuve formelle d’un hyperdopaminergisme dans le cerveau des personnes souffrant de schizophrénie.

1.3.2. – La sérotonine

Il existe une interaction entre les neurones sérotoninergiques qui inhibent les neurones dopaminergiques dans les lobes frontaux, ainsi que dans le striatum et la substance noire.

Le blocage de la dopamine dans le faisceau méso-cortical (voir fig. 9) par les anciens neuroleptiques aggrave les symptômes négatifs de la schizophrénie.

Mais les nouveaux antipsychotiques bloquent les neurones sérotoninergiques, si bien que les neurones dopaminergiques des lobes frontaux ne sont plus inhibés, réduisant ainsi les symptômes négatifs de la schizophrénie (le Zyprexa en est un exemple).

Nous pouvons noter qu’un dysfonctionnement sérotoninergique est également mis en cause dans les comportements suicidaires et agressifs en général. Globalement, la sérotonine pourrait avoir un effet modulateur sur l’expression émotive.

2. – Stresseurs socio-environnementaux.

Dans la schizophrénie, le cerveau devient rapidement surchargé quand la personne atteinte est en contact avec une variété d’informations (stress), surtout si celles-ci sont contradictoires ou de nature affective.

2.1. – Alcool et drogues.

Parmi les facteurs de stress exogènes, il faut d’abord mentionner certaines agents biologiques qui altèrent le fonctionnement cérébral de n’importe quel individu mais, de façon plus intense et plus durable, des sujets présentant une vulnérabilité neuropsychologique.

L’alcool et toutes les drogues (incluant les drogues dites douces comme le cannabis) augmentent le risque d’apparition d’une schizophrénie ou de rechute.

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Les drogues activent les neurones à dopamine qui produisent une sensation de plaisir pouvant mener à la dépendance.

En effet, on sait que toutes les drogues qui créent une dépendance élèvent artificiellement la quantité de dopamine dans les circuits de la récompense. Il semble donc que la libération de dopamine informe l’organisme de la présence possible d’une récompense dans un environnement donné. D’où les efforts entrepris pour se procurer cette récompense, et les effets de renforcement au fil des prises.

Fig. 10 : le circuit de la récompense.

Le circuit de la récompense est au cœur de notre activité mentale et oriente nos comportements.

Ce circuit est complexe, mais il comporte un maillon central qui semble jouer un rôle fondamental.

Il s’agit des connections nerveuses qui relient deux petits groupes de neurones particuliers. L’un est situé dans l’aire tegmentale ventrale (ou ATV) et l’autre dans le noyau accumbens (voir fig. 10).

Le messager chimique qui assure la connexion entre ces neurones est la dopamine. C’est donc à cet endroit que la plupart des drogues agissent et produisent une dépendance.

2.2. – Emotion Exprimée.

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Les études sur l’émotion exprimée (EE) ont permis de comprendre comment certaines réactions exprimées par les membres de la famille ou par d’autres personnes de l’entourage du schizophrène peuvent provoquer des rechutes.

En fonction des interactions familiales, on peut établir deux grands types de familles :- les familles à faible expression émotive (fee) ;- les familles à forte expression émotive (FEE).

Plusieurs travaux ont montré qu’en présence de FEE, les taux de rechute augmentent, et ce particulièrement lorsque les contacts du patient avec sa famille dépassent 35 heures par semaine.

Dans leur étude, Vaughn et Leff (1976) ont souligné l’existence de deux facteurs prépondérants dans la prédiction des rechutes schizophréniques :

1) La prise ou non de neuroleptiques ; les schizophrènes vivant dans des familles à FEE sont protégés des rechutes dans deux circonstances : s’ils passent moins de temps en présence de leurs parents ; et s’ils prennent un neuroleptique

2) Le degré d’expression émotive chez les parents ou les proches : les schizophrènes qui vivent dans des familles à fee rechutes moins (13%) que ceux qui vivent dans des familles à FEE (51%).

On a ainsi pu démontrer que ces patients évoluent mieux dans des milieux faiblement émotif.

2.3. – Evènements de la vie quotidienne.

Il est arrivé à tout le monde de vivre, par moments, dans un contexte de grandes stimulations émotives, associées à une série de stress agréables ou désagréables trop rapides. Spontanément, nous avons alors tendance à nous isoler momentanément pour donner à notre organisme le temps de récupérer et à notre cerveau le temps d’absorber ces stimulations.

Ainsi, les évènements de la vie quotidienne provoquent des stress qui, s’ils s’accumulent, peuvent provoquer des décompensations chez les personnes souffrant de schizophrénie.

En effet, le dysfonctionnement du cerveau dans la schizophrénie empêche la personne atteinte de percevoir et d’analyser aussi efficacement les évènements de la vie courante.

Il a été montré que les réhospitalisations sont reliées à une succession d’évènements de la vie, comme les fêtes de Noël, un mariage, une naissance, etc.

En fait, c’est l’accumulation d’évènements rapprochés dans le temps, plus que la valeur symbolique qu’on peut leur accorder, qui compromet les capacités d’adaptation et entraîne des rechutes chez les patients.

Tout comme le degré d’expression émotive, les évènements stressants de la vie constituent des déclencheurs de rechutes, des facteurs précipitants de décompensation chez

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des personnes vulnérables. Toutefois, ils n’expliquent pas à eux seuls la survenue du premier épisode de schizophrénie.

D’autres hypothèses sont donc à envisager.

Ainsi, dans les années 50, avant l’avènement des neuroleptiques, un grand nombre de théories psychanalytiques et d’hypothèses relatives aux communications déviantes ont été élaborées pour expliquer l’étiologie de la maladie. Elles ont alors donné naissance aux concepts de mère schizophrénogène, de double lien, etc.

Cependant, aucune recherche n’a pu relier de manière significative ces hypothèses au développement d’une schizophrénie.

En revanche, de nombreuses observations tendent à démontrer que des problèmes d’attention, de perception, de mémoire et de traitement de l’information sont au cœur des manifestations de la pathologie.

Les personnes souffrant de schizophrénie ont en effet des difficultés à réagir aux stimuli appropriés, comme une conversation, et à inhiber ou filtrer des stimuli inappropriés, comme un bruit ambiant, qui viennent interférer avec le traitement de l’information et la production de réponses adéquates.

Ces personnes ont aussi beaucoup de difficulté à garder en mémoire un contexte, de sorte qu’un événement anodin revêt une signification démesurée, car ils le perçoivent isolément, sans tenir compte de l’ensemble.

Comme nous l’avons déjà dit, les difficultés de planification et d’anticipation ont été reliées à l’hypofrontalité. Mais les études sur la cognition ont aussi permis de mettre en évidence une série de fonctions qui jouent un rôle majeur dans la perception sociale et la production d’un comportement adapté à la situation :

- vigilance et capacité de performance continue,- capacité de centrer son attention sur une tâche, sur

une information pertinente,- orientation dans le temps et l’espace et adaptation

aux stimuli environnementaux,- formation et manipulation de concepts pour

organiser les perceptions,- capacité d’attribution logique, raisonnement juste.

C’est quand toutes ces activités s’agencent de façon harmonieuse que l’individu peut s’adapter de façon nuancée à un environnement complexe. Un déficit de ces fonctions cognitives amène des erreurs de jugement social.

2.4. – Pressions de performance et soutien social insuffisant.

Certaines idéologies ont privé les patients souffrant de schizophrénie du soutien social qui leur était nécessaire. Ainsi, les mouvements antipsychiatriques associés aux politiques en

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matière de psychiatrie communautaire ont abouti à une désinstitutionnalisation massive et aléatoire de ces patients.

Ce mouvement a été renforcé par certains thérapeutes qui, alléguant la nécessité de mettre un terme à la « dépendance » de leurs patients, ont adopté des attitudes de rejet en les justifiant par une incitation à l’autonomisation.

Cette baisse de soutien social a entraîné une augmentation de plus en plus visible de l’itinérance de ces patients.

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III – DESCRIPTION CLINIQUE de la pathologie

1. – Mode d’apparition de la psychose

Dans près de la moitié des cas de jeunes qui deviendront plus tard schizophrènes, les parents, les proches, les enseignants ont souvent fait les remarques suivantes au cours de l’enfance et surtout de l’adolescence du sujet : « il n’est pas comme les autres » ; « bohème » ; « original » ; « il a des comportements ou des idées bizarres » ; « il a des réactions excessives devant des situations banales ».

Les difficultés de socialisation ont habituellement été manifestes : soit que le patient ait été un enfant inhibé, timide, renfermé, négativiste, qui « restait dans son coin », soit qu’il ait été envahissant, accaparant, obstiné, nerveux, hyperactif.

Le travail scolaire est médiocre pour les deux tiers des futurs schizophrènes, ce à quoi se combinent des troubles du langage, de la motricité fine et du comportement, ainsi que des difficultés de concentration, de contrôle affectif.

Toutefois, ces troubles sont souvent discrets, ou peuvent passer pour une variante excentrique de la normale, et n’inciteront pas toujours les parents à consulter. De toute façon, même si on observe ces caractéristiques chez un jeune, on ne peut pas prédire qu’il évoluera forcément vers la schizophrénie.

La maladie commence par un sentiment de malaise, des plaintes somatiques vagues, de l’asthénie, des difficultés intellectuelles. L’angoisse s’intensifie à mesure que s’accroît la perception, par l’individu, de sa désorganisation mentale progressive.

Souvent, le patient et sa famille pensent qu’il s’agit d’une crise d’adolescence ou d’une « dépression ». Le jeune s’isole progressivement, aux prises avec des perceptions étranges sur son entourage ou sur son propre corps, qu’il interprète avec perplexité ; il néglige son hygiène, abandonne ses études.

La schizophrénie implique toujours une détérioration du niveau antérieur de fonctionnement. On constate que le patient est de plus en plus envahi par l’appréhension de perdre le contrôle de ses pensées et peut être de ses actes.

L’anxiété devient morcelante et inhibitrice, et peut se transformer en panique devant cet environnement ou ce monde intérieur de plus en plus menaçant.

La grande crainte du jeune est de perdre le contrôle de soi face à l’envahissement psychotique. A la recherche d’une solution, il essaie diverses stratégies, notamment :

- Le retrait. Le jeune s’éloigne de ses amis, s’isole. Il peut se sentir observé ou influencé par autrui. Il s’irrite ou répond évasivement si ses parents s’informent de ce qui ne va pas.

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- L’usage de drogues. Plusieurs trouvent dans les drogues une sorte d’effet apaisant. Sans le savoir cependant, ils précipitent ainsi le processus psychotique.

- Les activités compulsives. Le jeune classe plusieurs fois ses effets personnels, planifie un emploi du temps rigide prévoyant ses moindres gestes, élabore des rituels de lavage, d’habillage, d’exercices physiques. Il ritualise ses actions de manière à contrecarrer le désordre qui s’installe dans ses pensées.

- La découverte mystique. Il lit des livres ésotériques ou la Bible, s’applique intensément à une tâche intellectuelle ou à des réflexions religieuses ou philosophiques. Cependant, il approfondit ainsi une pensée de plus en plus autistique. Il peut parfois écrire un journal rempli d’idées obscures reliées selon une logique inconsistante.

Sur le point d’éclater, ou de décompenser, le jeune peut chercher à consulter. Mais il peut aussi faire une tentative de suicide qui est alors perçu comme un moyen de se sortir de ce tourment de désintégration psychique.

Pendant la phase aiguë, qu’il s’agisse d’un premier épisode ou d’une rechute, les symptômes psychotiques, dits positifs, sont toujours au premier plan : hallucinations, délires, incohérence du langage, désorganisation du comportement.

2. – Symptômes positifs.

Les symptômes positifs correspondent aux manifestations productives, aisément observables, de la phase aiguë, qu’on appelle parfois la décompensation psychotique. Il s’agit des délires, des hallucinations qui s’ajoutent aux pensées habituelles d’un individu. Ces symptômes sont reliés à un trouble de la transmission de la dopamine dans le cerveau.

Nous soulignons que ces symptômes positifs sont, la plupart du temps, transitoires et n’existent jamais tous ensemble chez un même patient.

2.1. – Hallucinations

Les hallucinations du schizophrène sont le plus souvent auditives.Il peut s’agit de sons confus, de mots ou de phrases prononcées par des voix que le

patient peut parfois identifier.Le patient peut aussi entendre des ordres, ou des insultes.

La particularité de l’hallucination schizophrénique est que le patient entend une ou plusieurs voix qui parlent de lui à la 3ème personne, ou une voix qui commente ses pensées, ses actions.

Parfois, il peut s’agir d’une véritable conversation au cours de laquelle le patient va répliquer.

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Les hallucinations auditives sont fréquentes et se produisent à plusieurs reprises. Certains patients mentionnent qu’ils entendent constamment des voix quand ils sont éveillés.

Les hallucinations visuelles se rapportent à la vision de personnages, distincts ou flous, réels ou mystiques (un oncle, le diable, un visage grimaçant, etc).

Les hallucinations olfactives touchent l’odorat : le patient peut avoir l’impression de dégager de mauvaises odeurs, ce qui l’incite à se laver à répétition.

Les hallucinations cénesthésiques ont trait au sens du toucher et sont ressenties comme des perceptions tactiles bizarres (brûlures, chocs électriques).

Certains patients ont la sensation que l’intérieur de leur corps est entrain de se transformer.

Contrairement à ce qui se produit dans les psychoses organiques, les hallucinations schizophréniques surviennent chez un patient bien éveillé, pas du tout confus.

2.2. – Délires

On peut définir le délire de la façon suivante : il s’agit d’une conviction erronée, irréductible par la logique. La personne est très angoissée par ce phénomène, du moins au début de la maladie.

Quand on questionne les patients sur leurs hallucinations ou leurs délires, il faut procéder avec tact, car la plupart d’entre eux sont conscients que « c’est de la folie » et ne révèleront leurs perceptions bizarres que dans un climat de confiance.

Les délires schizophréniques se caractérisent par la bizarrerie découlant d’élucubrations manifestement absurdes selon la compréhension normale.

Schneider a décrit une variété d’expériences délirantes :

Perception délirante ou idée de référence. Le patient acquiert la conviction qu’une parole, une image, un signe ont une signification majeure qui le vise personnellement.

Ex : « le présentateur des nouvelles de la télévision m’a envoyé le message que mon amie est en danger de mort ».

Délires de contrôle. Le patient n’a plus le contrôle de ses paroles, de ses désirs, puisqu’il est convaincu que ses sentiments, ses actes sont commandés par une force.

Ex : « le bonhomme qui pense dans ma tête décide toujours ce que je dois faire ; je ne peux pas vraiment y résister et je pense même qu’il vous contrôle aussi ».

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Sentiment délirant d’étrangeté. Le patient est très intrigué et mal à l’aise parce qu’il sent que quelque chose d’inhabituel se passe autour de lui et que cette activité le concerne.

Ex : « qu’est-ce que c’est que cette pièce de théâtre avec tous ces gens qui sont de faux patients ? Est-ce qu’ils sont là pour me faire devenir fou ? ».

Pensée imposée ou automatisme de la pensée. Les pensées qui surgissent dans l’esprit du patient ne proviennent pas de sa propre activité mentale, mais sont gouvernées par une source étrangère.

Ex : « c’est le diable qui met ses pensées dans ma tête ».

Divulgation de la pensée. Le patient sent que ses pensées quittent sa tête pour se diffuser, à la radio, par exemple. Il ne peut plus maîtriser ses pensées et a souvent l’impression que ses pensées, ses sentiments et ses gestes les plus intimes sont connus ou partagés par les autres.

Ex : « je n’ai pas besoin de répondre à cette question, vous avez entendu ma pensée ».

Echo de la pensée. Le patient entend sa pensée dite à voix haute dans sa tête, ou bien il entend sa pensée qui est répétée comme un écho.

Ex : « j’entends quelqu’un qui répète la ligne que je viens de lire dans mon livre ».

Vol de la pensée. Ce symptôme ressemble à un blocage du cours de la pensée : le flot du discours s’interrompt brutalement, le patient se sentant l’esprit vide et ayant l’impression qu’on lui a retiré les pensées de la tête.

Ex : « la nuit, quand je dors, on enlève les pensées de ma tête, alors le matin, j’ai la tête vide ».

2.3. – Association incohérente d’idées.

Ce trouble de l’organisation de la pensée fait perdre au langage sa valeur de communication en le rendant incompréhensible à l’interlocuteur.

Les associations d’idées sont incohérentes, obscures et vides de sens pour l’observateur.

Ce trouble de la forme de la pensée consiste en une incapacité d’utiliser les mots selon un sens approprié et de suivre les règles de la syntaxe. Il ne découle pas d’un manque d’instruction ou d’intelligence : comme dans le reste de la population, il existe des schizophrènes dont l’intelligence est supérieure et d’autres dont l’intelligence est moyenne ou faible. Pourtant, quelles que soient leurs aptitudes intellectuelles, leur communication livre un message embrouillé, incompréhensible.

Le trouble de l’organisation de la pensée peut prendre diverses formes :

Déraillement ou discours tangentiel. Le déraillement consiste en une association d’idées relâchées, en un glissement d’idées dans un discours spontané, en une réponse qui s’éloigne de plus en plus de la question qui vient d’être posée.

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Ex : à la question, « que pensez-vous du débat sur la constitution ? », un patient répond : « vous savez, je n’ai pas beaucoup suivi ça. Je me suis dit : pourquoi donc tout le monde se chicane à propos de ça ? Et je ne veux rien savoir de Bouchard, ni de Chrétien. Il ont juste à tirer la chaîne pour vider les toilettes ou quelque chose comme ça. Même s’il est blamé parce qu’il y a un dégât d’eau et que l’eau inonde le sous-sol, la cuisine, il faut seulement repeindre et restaurer… »

Illogisme. C’est une forme de discours où les conclusions émises ne suivent pas les règles de la logique.

Ex : « j’ai entendu dire à la télévision que « Hydro-Québec, c’est à tout le monde ». Eh bien je viens travailler ici ».

Emploi de néologismes. La création de nouveaux mots est un symptôme rare mais particulièrement typique de la schizophrénie.

Ex : « la charge de l’original épormyable ».

Jargonaphasie ou Schizophasie. L’incohérence peut devenir une « salade de mots », ce qui produit un discours incompréhensible, composé de sons ou d’onomatopées.

2.4. – Comportements désorganisés.

Chez le schizophrène, la capacité d’anticipation est faible à cause de l’hypofrontalité,

et le raisonnement est défectueux à cause du délire. Cela explique qu’il accomplisse une variété d’actions sans but, qui apparaissent bizarres à l’entourage, comme d’amasser des ordures, de porter plusieurs vêtements trop chauds en été ou trop légers en hiver

Il peut aussi arriver qu’il s’agite de façon imprévisible, crie des invectives, à moins qu’il ne s’enferme dans un retrait autistique pouvant aller jusqu’à une sorte de stupeur catatonique silencieuse.

3. – Symptômes négatifs.

Les symptômes négatifs sont plus difficiles à déceler car ils se caractérisent par une absence de comportements attendus. On peut les percevoir comme un déclin des aptitudes habituelles d’un individu.

Ce sont des symptômes précurseurs de la schizophrénie qui, s’ils apparaissent de façon insidieuse dès le début de la maladie, laissent présager une évolution plus morbide. Ils persistent aussi après la disparition des symptômes positifs. Ce sont donc des symptômes résiduels, déficitaires et permanents.

Les recherches contemporaines indiquent qu’ils sont fréquemment associés à une dilatation des ventricules, résultant d’un déficit de développement du cortex cérébral dans la région de l’hippocampe.

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La plupart du temps, les patients eux-mêmes ne remarquent pas leurs symptômes négatifs. Les thérapeutes doivent donc définir des stratégies de réadaptation pour sensibiliser les patients à ces symptômes qu’ils ignorent, mais qui sont pourtant bien évidents pour n’importe quel observateur.

3.1. – Affect aplati ou émoussé.

Pendant la phase symptomatique aiguë, une réponse émotive incongrue et excessive, par exemple une anxiété massive et morcelante, accompagne certains délires ou hallucinations.

C’est ainsi que des parents, parlant de leur enfant schizophrène, rapportent qu’ils le voient rire tout seul devant le téléviseur éteint ou bien rire de façon inappropriée en abordant des sujets macabres : c’est la discordance idéo-affective.

En tant que symptôme négatif, l’affect devient émoussé ou même aplati, surtout après quelques années d’évolution de la maladie. Dans ces cas, on remarque que la physionomie, le regard, l’intonation de la voix du patient n’expriment aucune nuance émotive.

Ce manque d’expressivité prend diverses formes : Fixité de l’expression faciale, visage inexpressif ; Rareté des mouvements spontanés des membres et du corps, perte de souplesse ; Rareté des gestes et des mouvements corporels expressifs des bras, des mains, de la

tête ; Pauvreté du contact visuel, regard terne ; Perte du sourire ; Manque d’intonation, voix monocorde sans accent sur les mots importants.

3.2. – Alogie

Il s’agit d’une difficulté à converser qui se manifeste par : Une pauvreté du discours, des réponses évasives et brèves ; Une pauvreté du contenu du discours ; même si les répliques sont longues, elles

donnent peu d’information ; Une interruption subite de la conversation ; Une augmentation du délai de réponse à une question.

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3.3. – Avolition ou apathie

Ce symptôme, qui est certainement l’un des plus pénibles à supporter par l’entourage et les thérapeutes, se caractérise par :

Un manque d’énergie et d’intérêt pour commencer et achever diverses tâches ; Un manque de persistance au travail ou dans les études, ce qui donne une impression

d’insouciance ou de négligence ; Une négligence dans l’hygiène et l’apparence personnelles ; Un manque d’énergie physique, le patient passant le plus clair de son temps assis à ne

rien faire.

3.4. – Anhédonie et retrait social

Ces symptômes correspondent à une perte de plaisir et à une perte d’intérêt social. Ils se traduisent par :

Une perte d’intérêt dans les activités de détente ; le patient n’éprouve pas de plaisir à participer à des activités habituellement considérées comme agréables ;

Une diminution de la qualité et de la quantité des activités récréatives, de loisir ; Une incapacité à entretenir des relations intimes avec les membres de la famille ; Un effritement des relations avec les amis et les pairs ; Une diminution de l’intérêt et des activités sexuels.

3.5. – Déficit de l’attention

Le déficit de l’attention se présente sous deux formes : Une inattention sociale, c’est à dire que le patient regarde ailleurs pendant une

conversation ou n’entretient pas la discussion ; Un manque d’attention dans des activités ou des travaux exigeant de la concentration.

4. – Symptômes avant-coureurs de rechute

Il peut arriver que le patient et ses proches observent, pendant quelques semaines, une série de symptômes non spécifiques susceptibles d’annoncer une rechute si des précautions ne sont pas prises.

Ces symptômes avant-coureurs sont de quatre ordres :

- changements affectifs : anxiété, perplexité ; tension, surexcitation ; perte d’intérêt envers l’entourage ; sentiment d’inutilité ; dépression.

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- Changements physiologiques : Perturbation du sommeil ; Perte d’appétit ; Sentiment de malaise sans raison apparente.

- Changements au chapitre de la pensée : Diminution de la concentration ; Pertes de mémoire ; Impression de persécution ; Impression d’être ridiculisé ; Impression que les autres parlent de soi ; Accroissement des préoccupations religieuses ; Apparition d’hallucinations fugaces.

- Changements au chapitre des comportements : Agitation, nervosité ; Diminution des contacts avec les amis ; Comportements bizarres.

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IV – FORMES CLINIQUES de la schizophrénie

Les grandes formes cliniques de schizophrénie sont :

Schizophrénie paranoïde. C’est la forme la plus fréquente. Les personnes qui en souffrent se remarquent souvent à leurs idées délirantes envahissantes à contenu de persécution, de référence ou de grandeur et à leurs hallucinations auditives menaçantes ou mandatoires.Ces patients croient avoir une mission spéciale ; ils sont interprétatifs ; ils perçoivent une variété de dangers.

Schizophrénie désorganisée (hébéphrénique). Dans cette forme, l’affect est très discordant (aplati ou inapproprié). Le discours est désorganisé, fragmenté, incohérent, stéréotypé.Le comportement imprévisible, sans but ni émotion, indique que le patient est très désocialisé, qu’il se livre à des bizarreries persistantes, des maniérismes, des grimaces, et est incapable de prendre des initiatives, d’échafauder des projets.

Schizophrénie catatonique. On remarque souvent des troubles du comportement qui se manifestent par des perturbations psychomotrices extrêmes : l’immobilité se caractérise par la catalepsie, des attitudes stuporeuses, le négativisme ou l’obéissance automatique, la rigidité musculaire ou la flexibilité cireuse, c’est à dire des postures bizarres évoquant de la cire molle.Par moments, le patient peut aussi manifester de l’agitation et de l’excitation. Le patient, le plus souvent enfermé dans le mutisme, peut parfois présenter de la persévération de mots ou de phrases, de l’écholalie ou de l’échopraxie et, au chapitre du comportement, des mouvements stéréotypés, des maniérismes, des grimaces.Cette forme de schizophrénie est devenue rare dans les pays industrialisés, mais reste fréquente ailleurs.

Schizophrénie résiduelle. Il s’agit d’une forme évolutive de la maladie ; elle se manifeste après que les symptômes aigus se sont résorbés et une fois que les symptômes négatifs dominent.Il persiste alors un affect émoussé, un ralentissement psychomoteur, un manque d’initiative, une pauvreté du discours, une pensée illogique ou bizarre, un comportement excentrique, des perceptions insolites, un retrait social et des performances sociales médiocres. Cependant, le délire et les hallucinations sont soit moins fréquents, soit moins chargés émotivement.

Schizophrénie simple. C’est une forme de schizophrénie dont l’apparition est insidieuse et qui limite les performances du patient et ses capacités de satisfaire aux exigences de la vie en société, mais qui est exempte de manifestations flamboyantes de délires et d’hallucinations. Il s’agit pour ainsi dire d’une schizophrénie résiduelle avec symptômes négatifs, mais qui n’aurait pas été précédée de phase aiguë de la maladie. Les patients se retrouvent fréquemment vagabonds, inactifs, sans projets.

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V – LE TRAITEMENT AU LONG COURS DES SUJETS SOUFFRANT DE SCHIZOPHRÉNIE : Principes

théoriques et recherches.

1 – Le traitement pharmacologique

1.1. – Les médications neuroleptiques et antipsychotiques

Aujourd’hui, lorsque l’on parle du traitement de la schizophrénie, nous ne pouvons nous dispenser d’évoquer le traitement pharmacologique.

Les patients souffrant de troubles schizophréniques ne purent être traités efficacement avant les années 1950. Avant cette période, de nombreux traitements étaient appliqués avec un succès relativement limité.

Depuis la découverte du Largactil® dans les années 1950, l’évolution des symptômes positifs de la schizophrénie a été considérablement modifiée grâce à ces médications antipsychotiques. Par exemple, ces médicaments réduisent la durée et l’intensité de la phase aiguë. En effet, le délire, les hallucinations, l’incohérence du langage résistent rarement aux antipsychotiques efficaces.

Il est d’ailleurs généralement admis que tous les neuroleptiques ont un effet similaire sur la réduction des symptômes psychotiques, à dosages équivalents.

Tous les antipsychotiques n’ont pas le même mécanisme d’action sur les neurones du cerveau (voir fig. 8). Ces neurones sont connectés entre eux par les synapses. C’est aux neurotransmetteurs, qui sont des substances, qu’est confié le rôle de transmettre l’information dans une synapse entre deux terminaisons nerveuses. Cette information est véhiculée par un faible courant électrique. Les neuroleptiques agissent notamment au niveau des synapses.

On sait désormais que tous les antipsychotiques ont pour effet de bloquer le passage de certains neurotransmetteurs, dont la dopamine. Les agents qui induisent ou réactivent la schizophrénie, selon le modèle dopaminergique de cette pathologie, augmentent précisément la quantité ou l’action de la dopamine.

De nombreuses recherches ont été effectuées, dans le passé, sur les neuroleptiques et leurs effets de prévention sur le risque de rechute.

Le débat semble s’articuler autour de quatre pôles :- les neuroleptiques sont-ils efficaces ? (études comparatives placebo/neuroleptiques) ;- faut-il prescrire des neuroleptiques à vie ? (études comparatives traitement

continu/traitement discontinu) ;- est-il utile et efficace de prescrire des neuroleptiques à doses élevées ? (études

comparatives traitement à doses élevées/ traitement à faibles doses) ;- faut-il seulement prescrire des neuroleptiques ? (études comparatives neuroleptiques

seuls/neuroleptiques associés à un traitement psychosocial).

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Ces questions pourraient sembler saugrenues aux professionnels du monde médical, et plus particulièrement à la psychiatrie. Pourtant, elles correspondent encore aux interrogations des patients et des familles qui sont amenés à rencontrer le monde de la psychiatrie.

1.1.1. – Les neuroleptiques sont-ils efficaces ?

Il est aisé de répondre à la question de savoir si les neuroleptiques ont réellement modifié l’évolution à long terme des psychoses schizophréniques.

Par contre, il est moins facile de répondre à la question : les neuroleptiques sont-ils efficaces ?

En effet, comme le disent (Kovess, Caroli, Durocher, Kipman, Pascal, Penochet, Zarifian, 1994), « seule une étude comparative simultanée de deux groupes de malades souffrant de troubles schizophréniques définis selon des critères diagnostiques identiques, le premier ne recevant aucun traitement, le second traité par cure neuroleptique seule, étude poursuivie pendant plusieurs décennies, permettrait de donner une réponse établie sur des bases sûres et non sur la simple intuition du clinicien. »

Mais il est bien évident qu’une telle étude ne pourra jamais être réalisée pour des raisons éthiques évidentes.

Les différents chercheurs ont tout de même tenté de démontrer l’efficacité des neuroleptiques en réalisant des études comparant des groupes sous placebo seulement et des groupes de sujets sous traitement neuroleptique seul.

L’étude de Hogarty, réalisée en 1974 (Lalonde, 1995), portait sur près de 400 sujets hospitalisés pour schizophrénie.

Au moment de leur sortie de l’hôpital, ces patients furent répartis au hasard en quatre groupes offrant différents types de traitement :

- un groupe recevant des capsules contenant de la farine : groupe "Placebo seulement" ;- un groupe recevant ces mêmes capsules inactives associées à des conseils pour faire

face à diverses situations de la vie quotidienne : groupe "Placebo plus thérapie de soutien" ;

- un groupe recevant une prescription de Largactil® : groupe "Neuroleptique seulement" ;

- un groupe recevant cette prescription de Largactil® associée à des conseils favorisant leur adaptation aux difficultés de la vie quotidienne : groupe "Neuroleptique plus thérapie de soutien".

Les résultats de cette étude sont les suivants :- 80% des sujets schizophrènes recevant seulement un placebo sont réhospitalisés, la

plupart dans la première année. Hogarty nous dit alors qu’il est possible de prévoir le même sort aux malades qui cessent de prendre leur traitement.

- Il est tout de même important de noter que 20% des patients ne recevant aucun médicament neuroleptique ne sont pas réhospitalisés. Nous pouvons nous demander si ces sujets sont des « cas heureux » ou si l’absorption de placebo a provoqué des troubles si faibles qu’une hospitalisation ne fut pas nécessaire.

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- Le groupe "Placebo plus thérapie de soutien" évolue de façon favorable dans 20% des cas, c'est-à-dire que la thérapie de soutien, offrant au patient l’occasion de s’exprimer sur ses difficultés de la vie quotidienne et recevant des conseils pour s’y adapter, n’est pas plus efficace que le placebo si elle est utilisée de manière isolée.

- L’absorption d’un neuroleptique seul évite une réhospitalisation aux sujets schizophrènes dans 50% des cas.

- Le groupe "Neuroleptique plus thérapie de soutien" évolue de façon favorable dans 64% des cas, c'est-à-dire que seulement 36% des sujets rechuteront.

Cette dernière constatation constitue « le fondement des approches modernes de la schizophrénie, qui préconisent la prise d’un antipsychotique et l’ajout d’interventions psychosociales. » (Lalonde, 1995). Le patient ne sera donc pas accessible au processus de réadaptation si la médication n’est pas adaptée.

Mais nous reviendrons un peu plus tard sur l’utilité d’associer un traitement neuroleptique à un traitement psychosocial.

1.1.2. – Faut-il prescrire des neuroleptiques à vie ?

Cette question peut sembler saugrenue car nous avons l’habitude d’apprendre qu’un sujet souffrant de troubles schizophréniques est voué à ingérer des médicaments toute sa vie.

Pourtant cette question trouve son importance lorsque l’on sait les conséquences, liées aux effets secondaires, que peuvent avoir la prise de neuroleptiques sur le fonctionnement social de l’individu.

En 1990, Carpenter (Kovess, Caroli, Durocher, Kipman, Pascal, Penochet, Zarifian, 1994) réalisa une étude portant sur 116 sujets schizophrènes suivis en ambulatoire. Les patients étaient inclus dans cette étude lorsque, après un épisode psychotique, ils entraient en période de stabilisation. Lorsque la stabilisation semblait bonne, le traitement neuroleptique était interrompu pendant 4 semaines durant lesquelles des évaluations étaient effectuées.

Le traitement neuroleptique n’était repris qu’en cas de décompensation durant cette période de 4 semaines.

Ensuite, les patients rentraient dans la phase expérimentale qui durait deux ans. Les sujets étaient alors répartis en deux groupes :

- Un groupe de patients traités en cure continue. Ces patients recevaient des doses librement ajustées par chaque prescripteur en fonction de la symptomatologie ;

- Un groupe de patients traités en cure discontinue. Les patients de ce groupe étaient maintenus sans neuroleptiques jusqu’à ce que des symptômes prodromiques d’un épisode psychotique apparaissent. Dans ce cas, le traitement neuroleptique était repris et dès que le patient était à nouveau stabilisé, le traitement était interrompu. Le processus se répétait ainsi en cas de rechute.

Les évaluations étaient effectuées à l’aide d’échelles de qualité de vie.

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Pendant la période de deux années, un certain nombre de sujets sortirent du plan expérimental. Ainsi, seulement 28 sujets en cure discontinue sur 57, soit 49% et 48 sujets en cure continue sur 59, soit 81% purent terminer l’étude de deux ans.

Les résultats de cette recherche sont les suivants :- le taux de décompensation fut en moyenne de 3.18 par an pour le groupe traité en cure

discontinue et de 1.60 par an pour le groupe traité en cure continue.- 53%, soit 30 patients traités en cure discontinue, contre 36%, soit 21 patients traités en

cure continue durent être réhospitalisés pendant la durée de l’étude. Les auteurs nous signalent que, bien que la différence ne soit pas significative, nous pouvons constater que le taux d’hospitalisation est tout de même plus faible dans le groupe de patients traités en cure continue.

- les résultats aux échelles de qualité de vie, ainsi que le niveau d’adaptation sociale, ne semblaient pas différents entre les deux groupes de sujets.Carpenter tira comme conclusion de cette étude que seul les patients répondant bien

aux traitements par neuroleptiques, et capables de reprendre leur traitement en cas de besoin pourraient être concernés par un traitement en cure discontinue.

L’auteur nous dit alors que « ceci peut être une alternative pour des patients particulièrement compliants et conscients de leur maladie mais qui ne veulent pas de traitement continu. » (Kovess, Caroli, Durocher, Kipman, Pascal, Penochet, Zarifian, 1994).

De nombreuses autres études furent réalisées sur ce sujet. Nous allons donc tenter de faire un résumé, non exhaustif, des différentes conclusions de ces recherches.

La cure discontinue ne semble pas plus avantageuse que la cure continue à doses faibles sur le plan des effets indésirables. Ceux-ci semblent plus dépendre de la dose de neuroleptiques.

Le traitement en cure discontinue ne peut être envisagé que si une intervention précoce, dès l’apparition de symptômes annonçant une éventuelle rechute, est possible.

Seuls les patients capables de supporter un arrêt des médicaments neuroleptiques peuvent prétendre à un traitement en cure discontinue. Il s’agit notamment de patients dont le traitement en continu est satisfaisant, dont les rechutes sont bénignes, progressives et peu fréquentes et dont l’entourage est suffisamment sensibilisé et attentif.

A contrario, les patients ayant des troubles sévères sont exclus de cette modalité de traitement en cure discontinue.

La cure discontinue pourrait augmenter les difficultés liées à la compliance du patient.

Il n’est donc pas possible de généraliser sur une application possible d’un traitement en cure discontinue. Elle doit être étudiée au cas par cas et laissée à l’appréciation du médecin et de son sens clinique.

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1.1.3. – Doit-on prescrire des neuroleptiques à doses élevées ?

De nombreuses études portent sur l’interaction d’un traitement neuroleptique à différents dosages (dose élevée, dose standard ou dose faible) avec un traitement non médicamenteux.

L’objectif principal de ces études est de tenter de démontrer si l’association d’un traitement d’entretien à un traitement psychosocial permet l’amélioration du bien-être subjectif du patient et de son fonctionnement psychosocial.

La recherche de Kane et al. réalisée en 1983 (De Clercq et Peuskens, 2000) a abouti à la conclusion qu’un traitement à faible dose est associé à une amélioration du bien-être, à une baisse des effets extrapyramidaux et à une amélioration de l’adaptation et du fonctionnement psychosocial du patient.

Il apparaîtrait donc que, pour certains patients, une réduction de la médication, avec une éventuelle réaugmentation en cas d’apparition de symptômes de rechute, soit possible.

La majorité des études va dans le sens d’une médication dite de maintenance pour tous les patients pouvant être stabilisés par les médicaments antipsychotiques.

De plus, de nombreuses études démontrent qu’un traitement centré sur l’épisode n’améliore pas particulièrement le bien-être du patient, ne diminue pas les effets extrapyramidaux, mais est associé à une augmentation du risque de rechute et de réhospitalisation.

Par contre, pour ce qui est du dosage du traitement, il semblerait qu’une médication à dose standard permette mieux d’éviter l’apparition de symptômes psychotiques et donc de rechute et de réhospitalisation.

Cependant, un traitement à faible dose pour des patients traités en ambulatoire pourrait apporter de bons résultats, à condition que le patient soit engagé dans une bonne relation thérapeutique avec son médecin, qu’il évolue dans un environnement relativement stable et que son prescripteur dispose d’un traitement de secours adéquat en cas d’exacerbation des symptômes.

La preuve des bons résultats que peut apporter un traitement à faible dose est que le pourcentage de rechute et de réhospitalisation est identique à celui pour les patients traités à dose standard.

Par contre, les traitements psychosociaux ne semblent pas pouvoir se substituer à un traitement sous neuroleptiques. Ils ne protègent pas le patient d’une rechute si le traitement médicamenteux n’est pas adéquat.

Mais nous allons maintenant étudier si ces traitements psychosociaux, s’ils sont associés à un traitement médicamenteux adéquat, favorisent l’évolution du patient et diminuent les risques de rechutes.

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1.1.4. – Faut-il seulement prescrire des neuroleptiques ?

De nombreuses études se sont intéressées à ce sujet à travers divers types de psychothérapies associées à un traitement sous neuroleptiques.

Nous ne relaterons pas d’étude faite sur ce sujet dans la mesure où chaque recherche se centre sur un type de psychothérapie, telle que celle de Goldstein et al. en 1978 qui a tenté d’évaluer les effets de la thérapie familiale. Ainsi, les conclusions des différentes études ne peuvent être comparables dans la mesure où chaque psychothérapie possède ses particularités.

Tous les résultats des études réalisées démontrent une nette supériorité d’un traitement médicamenteux sur le traitement psychothérapique, quoique certains traitements psychothérapiques semblent efficaces pour le traitement au long cours de la schizophrénie. Mais nous reviendrons sur ces traitements par la suite.

En effet, un traitement antipsychotique au long cours est nécessaire pour prévenir les rechutes chez les patients souffrant de troubles schizophréniques.

Et même si le traitement psychothérapique ne semble efficace qu’associé à un traitement médicamenteux, il améliore fortement le devenir des patients souffrant de schizophrénie.

D’ailleurs, il semblerait que la question en terme d’alternative entre un traitement médicamenteux ou un traitement psychothérapique ne se pose plus. La question serait plutôt de savoir quel est le meilleur traitement psychothérapique que nous puissions proposer au patient pour améliorer sa qualité de vie. Et il semble évident que cette question est à étudier au cas par cas, c'est-à-dire qu’un traitement psychothérapique approprié pour un patient ne le sera peut être pas pour un autre.

De plus, toutes ces études sont réalisées dans des conditions différentes, à des époques différentes, c'est-à-dire que beaucoup de paramètres entrant en ligne de compte, peuvent expliquer les divergences de résultats entre des études qui peuvent sembler similaires et mesurer la même chose. C’est ainsi que les quelques études que nous avons exposées ci-dessus ne sont données qu’à titre indicatif pour illustrer nos propos.

1.2. – Le problème de l’observance du traitement.

La mauvaise observance du traitement par le patient est une difficulté à laquelle les thérapeutes sont régulièrement confrontés.

Selon les auteurs, la littérature affirme que 25 à 60% des sujets schizophrènes suivis en ambulatoire prennent moins de médicaments que ce qui leur est prescrit.

Cependant, le fait que le patient arrête ou n’observe pas correctement son traitement peut constituer un terrain propice à d’éventuelles rechutes. En tout état de cause, on sait qu’un nombre élevé de rechutes et donc de réhospitalisations est, la plupart du temps, consécutif à un arrêt de traitement.

Mais il est aussi important que le médecin ne soit pas perçu comme un simple fournisseur de médicaments. En effet, s’il ne s’intéresse pas aux relations complexes existant entre les patients, la maladie, le médecin, l’entourage, le médicament, les autres traitements,

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les chances d’épanouissement et les perspectives d’avenir, le patient pourrait avoir le sentiment que nous ne sommes pas à ses côtés et nous courrons le risque qu’il rejette systématiquement nos conseils.

Si l’on s’intéresse aux raisons qui peuvent amener un patient à ne pas suivre son traitement, diverses motivations sont invoquées :

- les effets indésirables (tels que la prise de poids) ;- la complexité de la prescription ;- la situation sociale du patient : les sujets vivant seuls seraient les moins compliants ;- l’attitude du médecin ;- selon Klein et Davis (Kovess, Caroli, Durocher, Kipman, Pascal, Penochet, Zarifian,

1994), une cause importante du refus de certains sujets à suivre leur traitement serait la difficulté à se reconnaître malade, ainsi que la volonté de maîtriser leur existence propre. Cette volonté de maîtrise les conduit à refuser tout médicament perçu comme capable d’exercer une influence sur eux-mêmes et sur leur personnalité ;

- dans de nombreux cas, le refus de médicaments est lié à la survenue de symptômes extrapyramidaux.

1.3. – Les effets secondaires : les symptômes extrapyramidaux

Petitjean, Tabèze et Dubret (1987) nous disent que « si les neuroleptiques sont capables d’améliorer les syndromes délirants, ils sont aussi capables d’induire des effets secondaires ».

Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer les effets secondaires extrapyramidaux des antipsychotiques.

Selon Seeman (Kovess, Caroli, Durocher, Kipman, Pascal, Penochet, Zarifian, 1994), « les neuroleptiques se fixeraient de façon spécifique sur les récepteurs dopaminergiques D2

dans le système nerveux. ». Par la suite, le taux de décharge des neurones dopaminergiques serait augmenté.

Il est nécessaire de fournir des éléments de définition avant d’exposer ces effets secondaires.

En effet, la notion même d’effets secondaires implique qu’il existe des effets primaires. Ainsi, l’effet primaire est l’effet « thérapeutique » et l’effet secondaire est l’effet « toxique ».

Mais plus précisément, un effet primaire « thérapeutique » est un effet relativement fréquent et désiré. A contrario, un effet secondaire « toxique », iatrogénique, est un effet relativement fréquent mais non désiré.

Les effets secondaires les plus fréquemment rapportés sont la bouche sèche, la perte d’énergie sexuelle, l’agitation, le gain ou la perte de poids, la somnolence, la diarrhée ou la constipation, la dépression ou la léthargie, le vertige et la faiblesse physique générale.

Mais, il existe aussi des effets secondaires qui sont propres à chaque médicament.

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Les symptômes extrapyramidaux font partie des effets secondaires dits neurologiques, parmi lesquels on trouve : l'hyperkinésie précoce (tremblements), le parkinsonisme, l'akinésie, l'akathisie, les dystonies, les dyskinésies tardives.

Les symptômes d’un parkinsonisme secondaire à la prise de neuroleptiques sont identiques à ceux de la maladie de Parkinson : tremblements des muscles au repos, rigidité musculaire, akinésie, etc.

L’indifférence akinétique initiale, c'est-à-dire la spontanéité motrice et psychique réduite, serait presque impossible à distinguer des signes négatifs de la schizophrénie ou d’une dépression post-psychotique, et est donc difficilement reconnaissable. La dépression akinétique se distingue des autres types de dépressions par sa réponse aux antiparkinsoniens.

Les dystonies se caractérisent par des mouvements involontaires et bizarres, sans coordination. Ils sont produits par de longs spasmes musculaires et affectent la tête et le cou dans plus de 80% des cas. Parfois, elles peuvent se caractériser par un regard fixe et vide, suivi d’une rotation verticale et latérale des yeux.

Ces dystonies peuvent être assez rapidement contrôlées par la prescription d’un antiparkinsonien. Selon Cohen (Kovess, Caroli, Durocher, Kipman, Pascal, Penochet, Zarifian, 1994), elles pourraient être un facteur important impliqué dans la non compliance du sujet.

Il semblerait qu’il n’existe aucune définition universelle de l’akathisie et ce, même si elle est reconnue comme l’un des symptômes extrapyramidaux les plus fréquents, pouvant provoquer le plus de détresse chez le patient et risquant d’entraver la poursuite des activités quotidiennes, tout comme l’akinésie.

L’explication résiderait dans le fait que le patient décrit cet effet secondaire de manière subjective, comme par exemple, le fait de ne pas pouvoir rester assis, ne pas pouvoir rester tranquille, avoir des fourmis dans les jambes, etc. Ainsi, l’akathisie se réfère souvent au désir subjectif de rester en mouvement constamment plutôt qu’un ensemble particulier de mouvements. On pourrait en parler en terme « d’avoir la bougeotte ».

Le diagnostic d’akathisie serait très difficile à poser car elle est très souvent confondue avec de l’agitation psychotique. Il résulte alors de cette erreur de diagnostic une augmentation des neuroleptiques et, par voie de conséquence, une aggravation de l’akathisie.

Les dyskinésies tardives décrivent un désordre complexe du mouvement pouvant affecter n’importe quel muscle volontaire, incluant les paupières, la langue, les lèvres, le larynx, le cou, le diaphragme, les bras, les jambes, le torse.

Il semblerait que les patients les plus jeunes soient plus conscients et donc plus incommodés par ces mouvements anormaux. D’une façon générale, le taux de prévalence des dyskinésies tardives se situe entre 15 et 35%, les patients chroniques et hospitalisés se situant dans la moyenne supérieure. Par contre, ce taux se situe dans les 13% chez les patients les moins fréquemment hospitalisés.

Cette remarque est très importante car si ce taux est dépendant d’hospitalisations fréquentes et/ou prolongées, nous allons voir que cela prend toute son importance pour le fonctionnement social du sujet. En effet, les dyskinésies tardives seraient un des symptômes extrapyramidaux entraînant le plus de conséquences sur le plan de l’adaptation sociale du patient.

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1.4. – Incidence des neuroleptiques et de leurs effets secondaires sur le fonctionnement social et la qualité de vie du patient.

De nos jours, la qualité de vie est devenue une préoccupation de haute importance. Cependant, il semblerait qu’il existe peu d’études sur la relation entre les médicaments neuroleptiques et la qualité de vie des patients schizophrènes.

L’impact des neuroleptiques sur le fonctionnement social peut être exprimé en termes d’insertion ou de réinsertion socio-professionnelle, intégration ou réintégration socio-professionnelle, ajustement social.

Selon Diamond (Kovess, Caroli, Durocher, Kipman, Pascal, Penochet, Zarifian, 1994), les neuroleptiques sembleraient prévenir les récidives dans la schizophrénie, mais n’auraient pas d’effet direct sur le fonctionnement social du patient : « Sur médication active ou sur placebo, les patients qui ne récidivent pas manifestent un fonctionnement social très similaire. »

Nous voyons que seule une absence d’effets positifs est mentionnée, mais ce n’est pas pour autant que la prise de neuroleptique n’a aucun effet sur le fonctionnement social de l’individu.

En effet, Diamond poursuit en disant : « il y a même des suggestions dans la littérature que les antipsychotiques, du moins aux doses traditionnellement utilisées en psychiatrie, entraveraient le fonctionnement social » (Kovess, Caroli, Durocher, Kipman, Pascal, Penochet, Zarifian, 1994).

En 1978, Segal et Aviram et en 1980, Segal, Chandler et Aviram (Kovess, Caroli, Durocher, Kipman, Pascal, Penochet, Zarifian, 1994) se sont penchés sur la question d’une liaison entre le fonctionnement social des patients psychiatriques et la prise de neuroleptiques, à la suite du mouvement de désinstitutionnalisation massive des patients psychiatriques qui vit le jour en 1973 en Californie.

Ces chercheurs recueillirent des données sur le fonctionnement social de 393 patients chroniques, c'est-à-dire ayant passé plus d’une année continue en hospitalisation psychiatrique, dont 75% portaient un diagnostic de schizophrénie. Ces patients résidaient dans différentes formes de résidences supervisées dans la communauté.

Le niveau d’intégration sociale externe, défini comme le niveau de participation à l’extérieur de la résidence du sujet et indépendamment de cette résidence, était mesuré à l’aide de la Social Integration Scales, échelle de 68 items administrée aux sujets psychiatriques eux-mêmes.

Les dimensions mesurées par cette échelle sont :- Présence dans la communauté ;- Accès aux biens et services, aux lieux et aux contacts sociaux dans la communauté ;- Participation aux activités de cette communauté ;- Contribution à la communauté en y travaillant ou en y étudiant (versant productif) ;- Utilisation des biens et des services de cette communauté (versant consommateur).

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Les résultats de cette recherche suggèrent que la prise de neuroleptiques a des effets néfastes sur l’intégration sociale des patients dont le suivi médical est faible. Cependant, si ces neuroleptiques sont combinés avec un suivi médical régulier, ils semblent légèrement améliorer l’intégration sociale des patients.

Il est important de signaler qu’une dose élevée de neuroleptiques avait un effet franchement négatif sur l’intégration sociale des patients, surtout des résidents chroniques.

Douze ans plus tard, Segal et ses collègues entreprirent une étude longitudinale, en reprenant contact avec les 393 patients interrogés en 1973. Sur ces 393 patients, 92% seulement purent être localisés. Et sur ces 92%, seuls 75% des patients étaient encore vivants. Sur la totalité des patients vivants, 94% purent être réinterrogés, soit 243 patients.

Les outils mesurant l’intégration sociale des patients furent les mêmes qu’en 1973.

Les résultats montrent que 85% des sujets qui recevaient des neuroleptiques en 1973 les recevaient encore en 1985, soit 12 ans plus tard.

Mais le plus stupéfiant est qu’entre l’intervalle de 12 années, les doses moyennes de neuroleptiques reçues par les patients avaient doublé.

Les auteurs expliqueraient cette sur-augmentation de doses par la popularité croissante des médicaments neuroleptiques à cette époque. Mais, nous pouvons aussi expliquer cette sur-augmentattion de doses par une résistance progressive de la maladie aux neuroleptiques.

Ces résultats sont stupéfiants, surtout lorsqu’on sait, qu’en 1973, une dose élevée de neuroleptiques était associée à une mauvaise intégration sociale.

En 1986, Helmes et Fekken (Kovess, Caroli, Durocher, Kipman, Pascal, Penochet, Zarifian, 1994) réalisèrent une étude pour évaluer les effets des neuroleptiques sur les habiletés sociales et professionnelles de patients chroniques. Ils administrèrent à un échantillon de 324 patients hospitalisés le test d’aptitude et d’intérêt vocationnel (General Aptitude Test).

Ces auteurs observèrent que les scores des 210 patients sous médication neuroleptique étaient significativement plus bas que ceux des 114 patients ne recevant pas de médication neuroleptique.

Plus précisément, les scores les plus bas apparaissaient chez les patients recevant des neuroleptiques et des antiparkinsoniens. Même si la plupart des schizophrènes étaient sous neuroleptiques, ceux qui n’en recevaient pas avaient une performance nettement meilleure que ceux qui en recevaient.

Compte tenu de ces résultats, il ne s’agit pas de dire qu’il ne faut plus administrer de traitement neuroleptique aux sujets schizophrènes chroniques. En revanche, il semblerait que certains effets secondaires des neuroleptiques, tels la vision floue, les tremblements des mains et la fatigue, puissent expliquer les différences observées dans cette étude.

De tous les effets extrapyramidaux que nous avons déjà relatés, il semblerait que les plus handicapants d’un point de vue social soient les dyskinésies tardives. En effet, Cohen réalisa une étude en 1992 suggérant que les dyskinésies tardives soient une condition stigmatisante sur le plan social et que les sujets qui en sont atteints auront beaucoup plus de

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difficultés à être acceptés et à fonctionner socialement. Sur 12 sujets interrogés, 9 ont relaté des problèmes tels que : « honte [en rapport avec le regard des autres] de sortir dans la rue, isolation sociale, cessation de relations romantiques, incompréhension des proches, remarques négatives de ces derniers impliquant que le sujet devrait essayer de mieux contrôler ses mouvements involontaires, chutes fréquentes, sous-utilisation des services sociaux. Il y a de plus l’expression de frustration et de ressentiment de ne pas avoir été prévenu de la possibilité de survenue de dyskinésies tardives. » (Kovess, Caroli, Durocher, Kipman, Pascal, Penochet, Zarifian, 1994).

Les individus souffrant de dyskinésies tardives peuvent devenir rapidement conscients qu’ils sont perçus différemment par les autres. Les attitudes négatives d’autrui s’associent à un statut dévalorisé. Les sujets doivent alors mettre en place des stratégies pour compenser les effets de la stigmatisation, cette dernière pouvant même se produire à l’intérieur de relations familiales et intimes. S’ils ne réussissent pas dans cette tâche, les individus sont exclus ou s’excluent eux-mêmes de la société, ne pouvant y fonctionner de façon adéquate.

Ainsi, il semblerait que le traitement neuroleptique à long terme puisse entraver la réadaptation du malade. Les dyskinésies tardives peuvent constituer un handicap social important, qui s’ajoute aux déficits sociaux résultant du trouble psychiatrique original.

D’une façon générale, les effets secondaires des neuroleptiques constituent une variable clé dans leur relation au fonctionnement social. En 1992, l’étude de Sullivan et al. aboutit aux résultats que, pour 101 patients psychiatriques chroniques, « les rapports subjectifs d’une meilleure qualité de vie étaient associés de manière significative à moins de symptômes dépressifs et moins d’effets secondaires, en particulier moins d’effets extrapyramidaux » (Kovess, Caroli, Durocher, Kipman, Pascal, Penochet, Zarifian, 1994).

Toutefois, il est important de préciser que, même si un bon nombre de récits de patients ou de cliniciens et d’études identifient les effets secondaires des neuroleptiques comme cause importante d’une mauvaise qualité de vie, il n’est pas permis d’établir des relations causales entre ces deux paramètres. Tout au plus, nous pouvons dire qu’il serait possible que ces effets secondaires puissent entraver l’intégration sociale du patient, et donc, influer négativement sur la qualité de vie.

2 – Le traitement psychosocial

Nous commencerons cette partie par une citation du Docteur Cess Sloof, qui nous dit : « Nous devons attacher beaucoup d’importance à la psychoéducation et aux exercices pour mieux gérer la médication, les effets secondaires et la relation médecin – malade. […] Nous devons continuer à offrir la continuité des soins et, si nécessaire, les soins à domicile si le patient ne souhaite plus le traitement ambulatoire dans notre hôpital. […] Nous devons consacrer, et pas en dernier lieu, de l’attention à la conscience morbide du patient. Nous devons les assister à prendre conscience de cette terrible réalité et les aider à parvenir à leurs objectifs. » (De Clercq, Peuskens, 2000).

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2.1. – La psychothérapie individuelle dans le traitement de la schizophrénie.

Même s’il est parfois difficile de savoir à l’avance si un patient va répondre favorablement à un traitement par la psychothérapie individuelle, aucun patient ne doit être exclu et ce, même s’il s’agit de patients très atteints ou chroniques.

Dans tous les cas, il peut être nécessaire d’adapter une méthode psychothérapique au traitement des patients au long cours.

En adaptant une telle attitude, Thurin définit alors les objectifs d’une psychothérapie dans le traitement de ces patients : « Diminuer la souffrance de la personne, lui donner la possibilité d'exprimer une demande, l'aider à établir des relations avec son entourage et avec des secteurs exclus de soi, l'aider à s'individualiser, à exister par soi-même, à réduire l'écart qui peut exister entre compétence et performance. C'est-à-dire non seulement à gagner de l'autonomie et à s'inscrire dans la vie sociale, mais aussi à nouer des relations où peuvent s'exprimer des désirs propres. » (Kovess, Caroli, Durocher, Kipman, Pascal, Penochet, Zarifian, 1994).

Thurin définit aussi des buts partiels que le thérapeute peut tenter d’atteindre. Ceux-ci constituent des bases pouvant favoriser une évolution positive du patient.

Tout d’abord, nous pouvons aider le patient dans sa fragilité en constituant des repères. Il faut s'appuyer sur les points positifs et sur la capacité de responsabilité du sujet qui est variable et évolutive avec le temps.

Cependant, le thérapeute ne doit pas tomber dans des attitudes extrêmes, telles que tout gérer à la place du sujet ou inversement le considérer comme capable de se débrouiller seul. La meilleure attitude est alors celle d’un juste équilibre entre ces deux positions extrêmes.

Puis, il faut atténuer le défaut narcissique de base à travers les différents aspects d'un transfert relationnel. Cette attitude pourra favoriser une évolution de la personnalité hypernarcissique et mégalomaniaque qui est une défense contre une menace permanente d'anéantissement.

Les manifestations psychotiques constituent, de façon globale ou partielle, des défenses par rapport à une réalité insupportable. Ainsi, après l’amélioration de la phase psychotique, le thérapeute devra accueillir le vécu, les sentiments d’abandon, de désespoir et de solitude que le patient va exprimer.

Il faut aussi aider le patient à intégrer ses mouvements affectifs envers une personne et donc aussi envers soi (chagrin, culpabilité, colère, tendresse) ; son angoisse.

En effet, l'indifférence affective apparaît finalement comme une défense à la mesure de la détresse vécue ; souvent aussi comme une agressivité réprimée.

C'est aussi avec le thérapeute qu'il va pouvoir commencer à améliorer ses compétences sociales. Le patient devra pouvoir exprimer ses espoirs et ses difficultés avec l’aide du thérapeute, qui fonctionnera alors comme soutien permanent.

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Pour atteindre ces objectifs, ses buts partiels, le thérapeute doit se donner des moyens d’y parvenir.

Ainsi, le thérapeute doit établir une relation de confiance avec le patient et la respecter.

Il doit aussi donner au patient le temps d’évoluer tout en lui offrant les meilleures possibilités de fonctionnement.

Le cadre doit être stable, ce qui passe notamment par un lieu adapté et des horaires stables. Le thérapeute doit aussi instituer un cadre humain, susceptible de fonctionner comme repère et étayage pour le patient. L’identité et la singularité du patient doivent être reconnues et signifiées par le thérapeute (reconnaissance de la voix du patient au téléphone, par exemple).

2.2. – La place des différentes formes de psychothérapies dans le traitement de la schizophrénie.

Lorsqu’on parle de psychothérapie, nous ne pouvons nous empêcher, la plupart du temps, de penser à la psychanalyse.

Autrefois, on avait tendance à appliquer les conceptions psychanalytiques à tous les aspects du fonctionnement humain. De ce désir de généralisation de la théorie psychanalytique a découlé une tentative d’élaboration d’une thérapie psychanalytique des psychoses.

Il est évident que certaines notions psychanalytiques telles que le transfert, le contre-transfert ou les mécanismes de défense ont toutes leur importance dans l’approche de la psychose.

Cependant, dès qu’on a voulu valider de façon scientifique les résultats de psychothérapie psychanalytique appliquée à la schizophrénie, les résultats se sont avérés décevants.

Pourtant, Lalonde (1995) nous dit que certains thérapeutes peuvent encore se sentir mal à l’aise de ne pas offrir ce type de psychothérapie à leurs patients schizophrènes. Et il poursuit en disant qu’ « il est maintenant démontré que seule une combinaison de diverses méthodes thérapeutiques peut arriver à une efficacité optimale » (Lalonde, 1995).

Mais avant la combinaison de diverses méthodes thérapeutiques et si l’on veut offrir une psychothérapie psychanalytique à son patient, il est surtout important que le psychanalyste exerce en collaboration avec un psychiatre chimiothérapeute expérimenté, qui soit lui-même ouvert à la pratique de la psychanalyse et au travail en équipe.

En effet, dans le cas contraire, Letarte nous dit que « le psychanalyste qui s’isole dans son monde à part avec son malade favorise l’établissement d’une situation paradoxale et il encourt les reproches qu’on faisait jadis à la mère dite schizophrénogène » (De Clercq, Peuskens, 2000).

Les thérapies comportementales et cognitives ont aussi trouvé une application dans le traitement des patients au long cours.

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Par exemple, le programme d’entraînement aux habiletés sociales, initié par Liberman, se fonde sur le fait qu’il existe un déficit cognitif et une altération de la communication qui empêchent le schizophrène de mener une vie sociale et aboutit au retrait, et parfois à l’institutionnalisation. Cette méthode utilise des techniques comme le jeu de rôle ou l’apprentissage par imitation de modèle. Cette méthode utilise aussi des techniques visant à modifier les capacités du sujet de recevoir, de traiter et d’envoyer des messages.

Dans le champ des thérapies cognitives, certaines sont centrées sur la modification des croyances. Le but est alors de modifier graduellement les systèmes de croyances qui sont à la base de l’expérience délirante.

D’autres thérapies d’inspiration cognitive sont centrées sur la résolution de problèmes. Ces méthodes se basent sur le fait que de la difficulté de penser de façon organisée découle chez le schizophrène d’une altération de la capacité de résoudre des problèmes quotidiens.

Les thérapies familiales trouvent aussi une large application dans le traitement de ces patients. Bien qu’il existe des thérapies familiales psychanalytiques, on associe plus volontiers les thérapies familiales à l’approche systémique qui conçoit la famille comme un système dans lequel un équilibre dynamique se crée et à l’intérieur duquel chaque membre exerce son influence. A cause de la tendance à l’homéostasie, le but n’est pas de réajuster l’équilibre du système, mais de le modifier. Les thérapies familiales agissent donc au niveau des interactions et sur la communication entre les membres de la famille et avec le sujet schizophrène.

S’appuyant sur le modèle psychoéducationnel, les thérapies familiales conçoivent la famille du sujet schizophrène comme un allié important dans le traitement de la maladie, un allié pouvant influencer dans le sens positif les risques de rechutes. Les interventions sur la famille sont donc destinées à permettre aux proches d’assurer, au travers de ses interactions quotidiennes avec le patient, son rôle dans la réhabilitation.

2.3. – La réadaptation des sujets souffrant de schizophrénie.

Il est désormais admis que la schizophrénie entraîne une détérioration qualitative et quantitative du niveau de fonctionnement antérieur.

Par exemple, on peut observer que les relations amicales, les intérêts et les loisirs du sujet deviennent moins diversifiés et moins nombreux.

Contrairement à ce que les professionnels avaient autrefois prévu, l’évolution de la schizophrénie ne serait plus aussi morbide. Or ce pessimisme thérapeutique a ainsi transmis un sentiment défaitiste et même parfois du désespoir aux patients, et même à leur famille.

Des progrès ont été faits dans le domaine de la réadaptation. Ainsi, elle offre désormais une perspective plus satisfaisante aux sujets souffrant de schizophrénie.

Les différents thérapeutes planifient ainsi des méthodes de réadaptation pour redonner aux patients les capacités qu’ils ont perdues. Il faut tenter de réapprendre aux sujets à jouer des rôles appropriés dans diverses situations sociales, des plus simples aux plus complexes.

Mais comme chaque patient ne va pas forcément souffrir du même handicap, le thérapeute va devoir s’ajuster et ajuster ses méthodes de réadaptation pour chaque sujet. Par

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exemple, tous les sujets souffrant de schizophrénie ne vont pas avoir oublié ou perdu les rudiments de la politesse.

Il faut ainsi, dans un premier temps, évaluer la nature du handicap et corriger celui-ci par une méthode appropriée.

Le problème auquel se heurte souvent le thérapeute est l’absence de motivation du patient.

S’inspirant d’une perspective psychanalytique, certains thérapeutes ont postulé que nous ne devions rien entreprendre si le patient ne fait pas preuve de volonté, de détermination et de motivation. Or cette façon de penser ne semble applicable qu’à des patients névrotiques.

En effet, chez le sujet schizophrène, « l’apathie et le manque de volonté doivent plutôt être considérés comme des symptômes négatifs de la maladie » (Lalonde, 1995). Le thérapeute a alors la tâche de trouver des méthodes thérapeutiques susceptibles d’éveiller l’intérêt du patient. Il ne faut pas s’imaginer que le sujet schizophrène soit incapable de manifester le moindre intérêt ; certains d’entre eux font même preuve de talents avec lesquels bon nombre d’entre nous ne pourrions rivaliser.

Il s’agit alors d’utiliser ces centres intérêts ou ces talents pour accrocher le sujet schizophrène et éveiller son intérêt. Le processus de réadaptation est un processus complexe qui doit commencer par une évaluation des capacités et incapacités de la personne. La mise en place d’un projet de réadaptation doit ainsi tenir compte des valeurs, des besoins, des capacités du sujet et ne doit pas se baser sur les nôtres.

Cependant, il faut aussi veiller à ne pas confronter le patient à une surstimulation émotive qui déclencherait chez lui des réactions affectives trop intenses et risquerait d’aggraver les symptômes. Mais à l’opposé, l’apathie du sujet peut aussi s’aggraver si on le laisse dans l’isolement social.

Ainsi, comme le dit Lalonde (1995), « l’art de la réadaptation du schizophrène consiste donc à trouver un juste milieu entre la surstimulation intempestive et l’abandon négligent ».

Mais il est important de préciser que la réadaptation ne possède pas de propriétés curatives. Elle se contente, et c’est déjà beaucoup, d’agir sur les incapacités du sujet, permettant le développement de compétences personnelles. Elle vise à compenser les déficits résiduels, à stimuler l’utilisation des capacités, mais aussi à augmenter les capacités de la personne de façon à ce qu’elle puisse fonctionner de manière satisfaisante dans son environnement.

Il existe diverses méthodes de réadaptation. Le programme d’entraînement aux habiletés sociales fait partie d’un grand groupe appelé entraînement aux habiletés de vie.

L’objectif premier de ce programme d’entraînement aux habiletés de vie est d’améliorer les fonctions atteintes ou diminuées par la maladie. Ainsi, il ne s’agit pas seulement d’apprendre à vivre avec la maladie, mais plutôt de développer les potentialités de la personne pour qu’elle puisse satisfaire ses besoins et devenir plus autonome.

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Il est donc important de déterminer, pour chaque patient, les habiletés essentielles, prioritaires, qui lui permettront de fonctionner avec satisfaction et succès dans les environnements de son choix.

La réadaptation psychosociale apparaît comme une intervention essentielle et comme un complément au processus de traitement de la schizophrénie. Elle permet d’augmenter le niveau de fonctionnement du patient et d’améliorer sa qualité de vie et sa compétence sociale.

Nous n’insisterons jamais assez sur l’importance que le thérapeute s’adapte à son patient, accepte les rythmes de celui-ci. Les objectifs du travail de réadaptation doivent être réalistes, adaptés aux valeurs, aux besoins, et aux capacités de la personne. Ces objectifs doivent aussi tenir compte des limites et handicaps causés par la schizophrénie.

Il existe désormais des preuves qu’une association de soins médicaux et psychosociaux sont supérieurs aux seuls soins psychiatriques, même si ceux-ci sont d’excellente qualité.

En effet, depuis l’étude de Stein et Test, réalisée en 1980, de nombreuses autres études ont prouvé qu’une approche centrée sur les besoins du patient est d’autant plus nécessaire que celui-ci doit vivre et évoluer dans la société.

Ces auteurs ont montré qu’une équipe qui fonctionne avec un petit groupe de patients de 10 sujets peut travailler intensivement sur l’organisation de leur vie sociale, de leurs hobbies et conduire à une réduction de 80% des hospitalisations et réhospitalisations.

Les patients schizophrènes, non seulement restaient en dehors de l’hôpital plus longtemps, mais étaient surtout bien stabilisés d’un point de vue symptomatologique, et arrivaient à une satisfaction supérieure et à de meilleures compétences sociales.

Mais ces auteurs ont aussi mis en évidence qu’en cas d’arrêt de la prise en charge intensive, les bénéfices obtenus étaient perdus au bout de 14 mois.

La base de cette approche consiste à s’investir dans l’établissement de relations solides et durables avec les patients. Chaque intervenant accompagne le malade dans son milieu de vie et suit le patient dans ses activités quotidiennes. Outre les tâches professionnelles cliniques et le traitement médicamenteux, le professionnel soutient le patient afin de maintenir ou d’obtenir une adaptation optimale au milieu, une gestion adaptée du budget, une qualité relationnelle dans la recherche d’amis. Il aidera aussi le sujet à acquérir ou à retrouver des compétences sociales. Cette relation privilégiée améliore incontestablement la compliance au traitement, d’autant plus que le patient verra en son thérapeute un allié.

Le modèle que nous venons de décrire s’appelle le modèle PACT. Il a indéniablement montré sa supériorité aux Etats-Unis. Par contre, en Europe, son implantation ne fut pas si évidente. Selon De Clercq et Peuskens (2000), les raisons sont que « la plupart des éléments fondamentaux du modèle PACT sont déjà couramment utilisés dans quasi toute l’Europe, sous une forme cependant moins intensive. »

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2.3.1. La réadaptation sociale du malade psychique chronique dans la psychiatrie française

Réhabilitation, réinsertion, réadaptation sont des termes souvent employés lorsqu’il s’agit d’évoquer les objectifs de prise en charge des malades psychiatriques chroniques.

Ces trois termes ont des significations proches, mais traduisent pourtant des concepts différents.

« La réadaptation sociale du malade mental chronique consiste en l’ensemble des mesures de prise en charge du patient ayant pour objectif son retour dans la société (la réinsertion) avec des possibilités d’adaptation et d’autonomie ». (Chambon et Marie-Cardine, 1992).

La réadaptation correspond donc à « l’action de préparer à une vie autonome, dans les monde ordinaire de vie, qu’il soit professionnel ou social. La réinsertion est précisément l’objectif et souvent le résultat de cette action ». (Leguay, 1998).

Les lits restant à l’hôpital sont de plus en plus occupés par des malades mentaux chroniques qui ont de grandes difficultés d’adaptation sociale et pour lesquels l’hospitalisation reste la seule solution envisagée.

Un certain nombre de psychotiques vivant hors des murs de l’hôpital psychiatrique voient leur existence limitée à la fréquentation des différentes institutions du secteur, représentant là une nouvelle chronicité à l’intérieur de ce que l’on pourrait appeler des « cercles d’aliénation communautaire » (Horassius-Jarrie, 1991), quand ce n’est pas carrément l’abandon ou la réclusion à domicile, véritable « internement spontané ».

Les techniques de réadaptation sont issues du modèle comportemental et cognitif et se nomment « Entraînement aux Habiletés Sociales (EHS) (Social Skills Training) et « Thérapie Familiale Comportementale » (TFC) (Behavioral Family Management).

La réhabilitation sociale se réfère à un concept plus large et complexe que celui de réadaptation sociale. Dans son sens anglo-saxon, elle signifie « restaurer les habiletés » (Leguay, 1998), alors que, dans son sens français, elle renvoie à la notion de restauration de la dignité.

En effet, « l’utilisation du mot de réhabilitation ajoute à la notion de réadaptation sociale celles de défense du droit des malades, de rétablissement dans l’estime d’autrui, d’acceptation du malade comme une personne totale par son entourage social, et d’intégration psychique de son être social par le patient » (Chambon et Marie-Cardine, 1992).

La réhabilitation sociale implique donc que le patient puisse fonctionner de plus en plus réellement en tant que sujet dans son environnement social et que les bénéfices de la réadaptation ne soient pas seulement du côté de la société (rendre le patient plus acceptable pour l’environnement, réduire le coût des soins) mais aussi du côté du patient (meilleure qualité de vie).

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Ainsi, les techniques cognitivo-comportementales de réadaptation sociale peuvent être utilisées aussi bien dans une approche individuelle que groupale, soit à l’hôpital ou dans les structures intermédiaires ou au domicile du patient, et doivent se focaliser sur les déficits fonctionnels les plus handicapants pour son maintien dans la communauté, compte tenu de sa situation de vie actuelle et de ses enjeux.

2.3.2. Les éléments d’un plan cognitivo-comportemental de réadaptation sociale.

Dans la conceptualisation cognitivo-comportementale, la réadaptation sociale du psychotique nécessite l’utilisation de plusieurs moyens synergiques :

- Un traitement neuroleptique que le patient accepte et sache gérer, afin de diminuer la fréquence et l’intensité des rechutes et de limiter l’expression des symptômes positifs les plus bruyants, qui altèrent ses habiletés sociales et provoquent son rejet ;

- Un EHS (Entraînement aux Habiletés Sociales) pour que le patient puisse utiliser les ressources communautaires humaines et matérielles, et puisse faire face aux stress de la vie quotidienne sans avoir recours nécessairement à une aide extérieure et sans connaître une aggravation symptomatologique ;

- La création ou le renforcement d’un réseau de soutien social formé, au niveau matériel, par l’ensemble des services proposés par la communauté et, au niveau relationnel, par l’ensemble des personnes fournissant un soutien émotionnel, un sentiment d’appartenance, l’expérience d’être aimé, accepté, utile. Le soutien social diminue l’expression de la psychopathologie, à la fois par son action directe et par l’intermédiaire de son rôle protecteur et modérateur des facteurs de stress.

L’élément central du plan de réadaptation cognitivo-comportemental consiste en l’acquisition par le patient d’habiletés sociales, habiletés qu’il pourra utiliser aussi bien pour gérer son traitement psychotrope que pour améliorer ses relations familiales et, enfin, établir et maintenir des relations interpersonnelles gratifiantes et satisfaire ses besoins matériels essentiels.

« Dans une définition large, les habiletés sociales consistent en l’ensemble des comportements et activités cognitives qui permettent à un sujet de communiquer ses émotions et besoins de façon adéquate selon le contexte et d’atteindre les objectifs matériels et relationnels qu’il s’est fixé ». (Chambon et Marie-Cardine, 1992).

Les habiletés sociales peuvent être de deux types :Les habiletés sociales instrumentales permettent à la personne d’accroître son autonomie,

d’obtenir des bénéfices matériels (tels que l’argent, un logement, des possessions matérielles), et de savoir bénéficier des services communautaires.

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Les habiletés sociales relationnelles permettent à l’individu de se faire des amis, d’entretenir des relations intimes, d’obtenir un soutien émotionnel, de s’engager dans des échanges réciproques enrichissant avec ses proches.

« La notion de compétence sociale correspond à l’impact de l’individu sur son environnement, résultant de l’utilisation appropriée de ses habiletés sociales dans un environnement réceptif, lui permettant d’atteindre ses principaux objectifs. L’obtention d’une compétence sociale maximale est le but final des programmes d’Entraînement des Habiletés Sociales ». (Chambon et Marie-Cardine, 1992).

L’apprentissage des habiletés sociales est particulièrement crucial pour les psychotiques chroniques pour plusieurs raisons :

Les psychotiques chroniques présentent un déficit marqué en habiletés sociales aussi bien comportementales que cognitives : Sylph et coll. (Chambon et Marie-Cardine, 1992) ont montré l’existence de déficits majeurs en habiletés sociales dans plus de 50% des cas d’une population de patients psychotiques chroniques, et Platt et Spivack (Chambon et Marie-Cardine, 1992) ont mis en évidence la grande différence des déficits en habiletés cognitives de résolution de problèmes chez les malades mentaux chroniques ;

Les habiletés sociales peuvent faire défaut de plusieurs façons :- défaut d’apprentissage ;- perte par manque d’utilisation ;- acquisition d’habiletés dysfonctionnelles (milieu familial pathogène, hospitalisation

prolongée, mais surtout effets profondément déstructurant de maladies comme la schizophrénie) ;

Des expériences diverses ont montré que les déficits en habiletés sociales étaient souvent la cause principale de l’insertion d’un sujet dans le circuit psychiatrique parallèlement à sa désinsertion sociale ;

Chez de tels patients, certaines conséquences positives de l’acquisition d’habiletés sociales sont essentielles : ce sont le renforcement du réseau de soutien social, l’atténuation du stress ressenti dans la vie quotidienne, un sentiment plus grand d’efficacité personnelle et d’autonomie, une estime de soi meilleure, et l’amélioration de la qualité de la vie objective et subjective.

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VI – PRISE EN CHARGE DES SUJETS SOUFFRANT DE SCHIZOPHRÉNIE : la réalité est-elle le reflet de la

théorie ?

1 – L’importance de "déstigmatiser" la schizophrénie

Le phénomène de stigmatisation est présent partout dans le monde, dans toutes les sociétés, dans toutes les cultures et aucune n’a pu et ne peut l’éviter. Ce phénomène semble correspondre à un besoin et à une nécessité pour le public de catégoriser autrui.

Dans toutes les cultures et dans toutes les sociétés, il existe toujours une caractéristique qui va différencier certaines personnes des autres, créant ou augmentant ainsi la stigmatisation.

La stigmatisation en psychiatrie ne touche pas seulement le patient. Elle est aussi susceptible d’affecter la famille, le travail et l’environnement social du patient.

Par effet boule-de-neige, cette stigmatisation va aussi atteindre les intervenants qui s’occupent des patients et les institutions psychiatriques. En effet, même si celles-ci font beaucoup d’efforts pour améliorer la qualité de vie et des soins, ainsi que l’accueil, elles restent aux yeux du grand public une institution pour les malades mentaux.

Mais bien plus loin, il est encore fréquent de voir que la plupart des personnes dites « non consultantes » ont une conception des institutions psychiatriques, et en particulier de l’hôpital psychiatrique, correspondant à l’ancien asile avec toutes les images qu’il véhicule : camisole de force, malades mentaux sanglés à leur lit et soumis à l’autorité écrasante et omnipotente du personnel, etc.

Ainsi, le caractère d’institution totalitaire attribué à l’hôpital psychiatrique demeure toujours populaire.

Les maladies mentales, ainsi que les malades mentaux, sont victimes de nombreux stéréotypes véhiculés par ce phénomène de stigmatisation. En effet, nous avons tendance à attribuer aux malades mentaux tous les crimes et tous les dysfonctionnements de notre société et ce, malgré des preuves évidentes du contraire.

Par exemple, on prédit aux malades psychiatriques qu’ils auront des enfants anormaux ou même fous et qu’ils ne seront plus jamais en mesure de travailler ou de retravailler. Même si la plupart des études prouvent le contraire, ou tout au moins n’ont jamais pu établir de tels liens de causalité directe, ces idées sont particulièrement difficiles à déraciner dans l’esprit du grand public.

On s’imagine souvent que les personnes qui portent atteinte au fonctionnement social, à la communauté, à la collectivité sont des malades mentaux. Pourtant, la plupart du temps, ce ne sont pas ceux-ci qui causent du tort à la société.

Le ministère de la santé, associé à d’autres organismes, a réalisé une enquête en octobre 2004 portant sur les troubles mentaux et les représentations de la santé mentale en population générale.

Les résultats de cette enquête montrent que le terme « fou » est plus fréquemment associé à l’idée de meurtre que le terme « malade mental ». En effet, 45% des personnes

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interrogées pensent que commettre un meurtre est associé au fait d’être « fou », et 30% au fait d’être « malade mental ».

D’autres attitudes violentes comme le viol ou l’inceste sont par contre liées à l’image du « malade mental » plus qu’à celle du « fou » : pour 46% des personnes, quelqu’un qui commet un viol ou un inceste est « malade mental » et un peu moins de deux personnes sur cinq pensent que ces actes violents sont le fait de « fous ».

Ainsi, les attitudes les plus violentes (commettre un viol, un inceste, battre sa famille…) sont, selon les personnes interrogées, associées à la folie et à la maladie mentale.

Ainsi, la stigmatisation est nécessaire pour la discrimination et permet son exercice. D’une stigmatisation négative résulte donc une discrimination négative, qui va elle-même réduire les possibilités de trouver du travail et, tout simplement, de vivre normalement. En effet, si le sujet ne peut pas montrer qu’il possède des qualités, des talents et s’il présente des dysfonctionnements sociaux et relationnels, la stigmatisation va augmenter et un cercle vicieux va s’instaurer.

Mais quoiqu’il en soit, pour déstigmatiser la schizophrénie, le monde médical et paramédical doit aussi se sentir concerné. Ainsi, pour Sartorius (De Clercq et Peuskens, 2000), « nous devons développer des stratégies de traitement différentes qui permettent d’établir un équilibre entre, d’une part, la diminution des symptômes et, d’autre part, la diminution des effets secondaires dus à la prise de médicaments ». En effet, nous avons déjà vu que les effets secondaires dus à l’absorption de neuroleptiques pouvaient avoir des conséquences importantes sur le fonctionnement social des sujets schizophrènes. Ainsi, ces effets secondaires provoquent souvent plus la stigmatisation des individus que leur maladie.

Il existe déjà de nouveaux psychotropes, tel le Zyprexa, qui sont censés augmenter l’autonomie du patient et réduire les effets secondaires. Mais le monde médical doit continuer à développer de nouveaux médicaments permettant de diminuer ces effets secondaires et, par voie de conséquence, le phénomène de stigmatisation.

S’il peut paraître prétentieux de s’attaquer d’emblée à l’opinion du public sur les maladies mentales, Sartorius (De Clercq et Peuskens, 2000) nous dit que nous pouvons commencer par tenter de modifier l’image parfois négative et discriminante que les services d’urgence, de médecine et les médecins généralistes ont sur les malades mentaux. Nous pourrons ainsi intégrer le traitement des sujets schizophrènes dans le cadre des hôpitaux généraux et de la collectivité, et ne plus les garder dans les hôpitaux psychiatriques, éloignés des villes et, surtout, de la population.

La schizophrénie est une maladie comme une autre et doit être traitée comme telle. La comparaison que fait Sartorius entre les rechutes de schizophrénie et celles de pneumonie est très parlante. Il nous dit que « dès qu’un patient fait un épisode délirant, il est étiqueté « schizophrène » pour sa vie entière, alors qu’on dira pas de quelqu’un qu’il est « pneumonique » parce qu’il a fait trois fois une rechute de pneumonie. On ne va pas en faire un cas chronique tout de suite. ». Mais avec la schizophrénie, le danger est de la considérer comme une maladie chronique, qui ne peut que durer toute la vie.

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Nous devons ainsi aider les patients à vivre avec leur maladie et à la comprendre. Il est alors important d’expliquer cela aux patients, ainsi qu’à leurs proches et aux membres de leur famille. Nous devons redonner aux patients la maîtrise de leur affection, de leur vie.

Ensuite, les malades et leurs proches peuvent nous apprendre comment eux-mêmes gèrent leur maladie, nous devrions donc les écouter plus, et même en tirer des enseignements.

En 2000, Sartorius nous apprenait le développement d’un programme pour combattre la discrimination et la stigmatisation des malades mentaux par l’Association Mondiale de Psychiatrie.

Ce programme avait déjà commencé au Canada, en Espagne et en Autriche et devait s’implanter dans dix autres pays sur une durée de trois ans. Il visait à demander aux patients et à leur famille qu’elles étaient les situations qu’ils avaient ressenties comme véritablement discriminatoires.

Ce programme est-il déjà arrivé chez nous, ou dans le cas contraire, quand arrivera-t-il ?

Il est important de distinguer plusieurs pôles : le pôle "patient", le pôle "famille des patients" et le pôle "communauté". Or les besoins des patients, ceux des membres de leur famille et ceux de la communauté sont parfois différents, et même en opposition.

En premier lieu, il serait opportun de définir les besoins des patients, ceux de la famille et les besoins de la communauté et d’identifier en second lieu, ceux qui sont communs et spécifiques à ces trois pôles.

Le retour ou le maintien du sujet schizophrène chronique dans la communauté, « c’est aussi l’accueil de cette personne par la communauté » (Mercier, 1988). En effet, comme le disent Garrone, Samitca et Thévenoz (1968), « le schizophrène semble pouvoir espérer vivre dans le « monde des autres », faut-il encore que la société soit disposée à l’accueillir ».

Et comme le dit Sartorius (De Clercq et Peuskens, 2000), « parfois, il faudra dire non aux besoins d’une communauté car ils n’aident ni le patient, ni sa famille ».

2. – L’opinion du public : les mythes face à la réalité.

Comme nous l’avons vu, les personnes souffrant de schizophrénie sont face à un public qui croit qu’elles sont potentiellement violentes.

La vérité est que seul un très petit nombre de personnes souffrant de schizophrénie sont violentes. En effet, la plupart des schizophrènes sont plutôt timides, retirés, préférant qu’on les laisse seuls, que manifestant de grandes crises de violence.

La perception d’un lien avec la violence est un phénomène qui s’est accru au cours des 40 dernières années, même si le niveau de compréhension de la maladie s’est amélioré.

Toutefois, la vérité a beaucoup de difficultés à prévaloir sur le mythe envahissant et très publicisé qui relie la schizophrénie à la violence.

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En effet, les préjugés d’un grand nombre de personnes trouvent leur origine dans des films mettant en scène des personnes fictifs atteints de schizophrénie qui commettent des crimes violents, tout aussi fictifs : Psycho, Halloween, etc.

A côté de ce mythe de la violence associée à la schizophrénie, on retrouve un autre mythe, à savoir que la personne atteinte souffre de personnalités multiples.

Toutefois, comme c’est fréquent lorsqu’il est question de mythes, il y a une parcelle de vérité qui a été déformée pour devenir une fausse croyance de violence générale. Ainsi, lorsque des individus souffrant de schizophrénie deviennent violents, ils sont souvent eux-mêmes les victimes de leur violence. Et lorsqu’ils deviennent violents envers d’autres personnes, ce sont presque toujours des membres de la famille ou des amis qui sont les victimes, et l’attaque se produit souvent à la maison.

Bien heureusement, on voit apparaître depuis quelques années de représentations plus réalistes de la schizophrénie. Le modèle par excellence d’une représentation positive de la maladie est le film « Un homme d’exception », retraçant la vie de John Nash atteint de schizophrénie. Rappelons que ce film conserve tout son réalisme puisque le réalisateur a rencontré des médecins et surtout le « vrai » John Nash avant de mettre en scène son film.

L’institut Lilly, avec la collaboration d’Ipsos, a réalisé en 2001, une étude portant sur l’image de la schizophrénie et des patients porteurs d’une schizophrénie auprès du grand public.

Les résultats de cette étude montrent que le grand public pense que, si on peut soigner la maladie, on peut la guérir. La population n’a donc pas la notion d’amélioration de l’état de la personne, sans guérison.

Seulement 13% de la population pense la schizophrénie peut être soignée par un suivi psychologique et des médicaments. 64% pense qu’on soigne cette pathologie par un unique suivi psychologique. Ainsi, la population ne prend pas en compte les versants biologique et social de la maladie ; seul le versant psychologique est pris en considération. Nous pouvons même faire la déduction suivante de ces résultats : le public pense que si la schizophrénie est une maladie psychique, de l’esprit, elle ne peut être soignée que par un suivi psychologique car les médicaments soignent les maladies physiques.

L’opinion générale assimile en masse la gravité de cette pathologie (86%). La souffrance éprouvée par les personne souffrant de schizophrénie est aussi massivement reconnue (84%).

De même, les personnes interrogées pense que les personnes souffrant de schizophrénie sont plus dangereuses pour elles-mêmes (68%) que pour les autres ; mais on note quand même que 48% des personnes pensent que ces personnes sont dangereuses pour autrui.

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Dans cette étude, on retrouve aussi le mythe qui associe la schizophrénie au dédoublement de la personnalité, puisque 41% des personnes interrogées associe ces deux notions.

La population générale a quand même des représentations et attitudes, à l’égard de la schizophrénie et des schizophrènes, stigmatisantes, voire discriminantes :

- 10% pense qu’on peut reconnaître un schizophrène quand on le voit ;- 14% pense que, même en dehors des périodes de crises, les schizophrènes ne sont pas

des gens comme les autres ;- 12% pense qu’il faut isoler ces personnes du reste de la société ;- 11% vont même jusqu’à penser qu’ils sont responsables de ce qui leur arrive.

Les principaux résultats de cette étude montrent que, globalement, plus le niveau de connaissance de la pathologie est faible, plus le niveau de stigmatisation est élevé.

Cependant, on note quand même que :- 48% des personnes interrogées ayant un niveau élevé ou moyen de connaissance de la

maladie présente un haut degré de stigmatisation ;- 75% des personnes interrogées ayant un niveau élevé ou moyen de connaissance

présente un niveau moyen de stigmatisation.

3. – Quelques revendications de sujets schizophrènes.

Les sujets souffrant de schizophrénie sont des individus comme vous et moi. En conséquence, leurs revendications sont souvent simples et ordinaires. Elles méritent pourtant d’être évoquées, car nous avons parfois trop tendance à ne pas les entendre.

En effet, comme le disent Losson et Parratte (1988), en institution psychiatrique, le vécu quotidien du patient, « sa réalité subjective et psychique ainsi que le sens de ce qu’il vit sont tout simplement déniés et évacués ». Ceci peut être un des effets pervers de la fermeture des lits suite au mouvement de désinstitutionnalisation. Dans ce contexte, l’extinction des symptômes pour libérer les lits au plus vite et, par voie de conséquence, l’usage du médicament, prennent, en effet, le pas sur toute autre approche thérapeutique.

Ces sujets veulent ainsi être écoutés et traités comme des individus à part entière.Ainsi, une patiente raconte : « […] En 1987, on m'a refait faire des tests

psychologiques et de nouveau les résultats ont été : schizophrénie et il faut prendre de l'Haldol. J'ai refusé. Le psychiatre est resté sur son point de vue et ne m'a pas écoutée. Je ne voulais pas prendre ces médicaments et mes arguments ne comptaient pas. Il n'a jamais pris le temps de m'écouter non plus. Je me suis sentie stigmatisée, je portais une étiquette […]

Nous vivons dans une société axée exclusivement sur la concurrence et l'argent et il y a des périodes où cette pression est trop forte et je retourne dans mon petit monde à moi, que j'ai créé, où il fait bon vivre, où je me sens en sécurité, où je suis acceptée. Et je vous le demande : est-ce que ce sont là des symptômes de schizophrénie ?

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Je voudrais être acceptée comme je suis. Je demande du respect pour mon être, pour mon moi authentique, celui que je ressens au fond de moi. Je veux pouvoir conserver mon authenticité, je veux recevoir du respect pour mon être unique. » (De Clercq et Peuskens, 2000).

Un autre patient rejoint le premier témoignage : « Dans le traitement, le patient doit être considéré comme un individu dans tous les aspects de son être. Également dans sa structure relationnelle, sociale et culturelle.

[…] Les personnes qui travaillent dans les soins de santé doivent mieux pouvoir écouter les patients. Il faut tenir compte du contenu des hallucinations, des visions. Beaucoup disent que la pression de la société est peut-être l'effet catalyseur de ces symptômes que l'on définit comme schizophrénie. Nous demandons du respect pour notre authenticité. Notre monde à nous est également un monde. Nous ne demandons pas des faveurs mais nous voulons des droits. Nous voulons un droit de parole à tous les échelons des soins psychiatriques » (De Clercq et Peuskens, 2000).

Les patients souffrant de schizophrénie chronique ont des besoins parfois simples et ordinaires : ils veulent tout simplement qu’on s’intéresse à eux. Ils ont besoin d’être écoutés et accompagnés, encouragés et étayés. En revanche, ils n’ont aucun besoin d’une attitude pessimiste et fataliste à leur égard.

Mann, Balbure et Bourguignon ont réalisé une étude sur les besoins subjectifs et objectifs des malades mentaux un an après leur sortie de l’hôpital. Les résultats de cette étude font état, chez presque tous les patients, d’une demande de soutien « qui ne soit ni social ni médical, qui soit simplement un « accompagnement » dans la vie » (Mann, Balbure et Bourguignon, 1985). En effet, 82% des malades réclament prioritairement un soutien affectif, qui ne soit pas de nature médicale ou sociale. Puis, en seconde ligne, 48% des patients réclament une assistance psychiatrique.

Sur 50 patients, 27 se plaignent de leur solitude. Cette solitude serait associée à des difficultés relationnelles qui sont reconnues par les malades eux-mêmes. D’ailleurs, 26 patients sur 50 se plaignent de difficultés relationnelles. Ainsi, la solitude et les difficultés relationnelles sont les deux premières plaintes et besoins exprimés par les malades.

Ainsi, les auteurs nous disent que « le besoin d’un lien social fait passer au second plan tout ce qui est considéré habituellement comme un handicap majeur, les symptômes proprement dits ou le chômage par exemple, ou plus encore les difficultés financières » (Mann, Balbure et Bourguignon, 1985).

Mais plus encore, Spivack et ses collaborateurs, en s’intéressant au style de vie des patients psychiatriques chroniques dans la communauté, relatent le peu de place accordée dans la vie de ces sujets aux activités de production ou partagées avec d’autres, et l’importance dans leur journée consacrée aux activités passives. « L’inactivité caractérise l’existence des patients psychiatriques chroniques » (Mercier, 1988).

Ainsi, l’isolement et l’ennui semblent dominer la vie du malade mental chronique.

Mais à l’opposé, des travaux se sont intéressés à ce que ces personnes apprécient de leur vie dans la communauté. Ainsi, sont rapportés « le sentiment de liberté qui se traduit par

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la possibilité de décorer son environnement, d’agir à sa guise, de s’occuper de soi-même, de ne plus être traité en enfant » (Mercier, 1988).

Et enfin, le texte qui va suivre est extrait d’un groupe de travail consacré à la

schizophrénie. Le lecteur pourra constater que si les personnes qui ont contribué à son écriture ne souffrent pas nécessairement de schizophrénie, le contenu colle au plus près des différents témoignages de sujets souffrant de cette pathologie.

« Tout d'abord, les patients psychiatriques sont des personnes. Ils ont des collègues, des amis, des voisins, ... Les patients psychiatriques ont des droits comme n'importe qui. Ils n'ont besoin que de plus de soutien et d'accompagnement en raison de leur problématique psychiatrique. Accordons-leur leur authenticité et leur temps. Ne nous focalisons pas seulement sur leur maladie et leurs incapacités, mais aussi sur ce qui va chez eux et sur ce qu'ils sont capables de faire. Qui ose affirmer avec certitude qu'il n'aura pas affaire un jour avec la psychiatrie ? » (De Clercq et Peuskens, 2000).

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CONCLUSION

Nous devrions nous demander si c’est uniquement la pathologie qui entraîne chez ces sujets une façon de vivre marginale ou si c’est nous, sujets dits « sains » qui les enfermons dans un mode de vie marginal. De plus, si soigner ces personnes signifie les rendre comme nous, sujets plus acceptables aux yeux de la société, si la normalité signifie « comme nous », c’est que nous ne sommes pas en mesure de tolérer la diversité humaine. Avons-nous si peur d’eux pour que nous voulions absolument qu’ils se taisent si ce qu’ils ont à dire n’est pas socialement acceptable ?

En effet, « nous devons cesser de considérer le schizophrène comme quelqu’un qui ne peut rendre compte de son comportement de manière valable » (Cohen in Kovess, Caroli, Durocher, Kipman, Pascal, Penochet, Zarifian, 1994). Si nous les écoutions plus, nous pourrions nous rendre compte qu’ils sont capables de nous donner de grandes leçons d’humilité ; mais peut-être n’avons-nous pas envie d’entendre des vérités sur nous-mêmes ?

Nous devrions alors cesser de mettre le malade entre eux et nous. En effet, comme le disait Rouvière1, « il faudra bien qu’on accepte de vivre avec eux. Il faudra bien qu’on accepte de se regarder dans ce miroir qu’ils nous tendent et nous y reconnaître faute de quoi nous ne parlerons jamais à un être humain, mais à une définition de quelque chose puis à quelque chose qu’on pourra nommer : schizophrène, psychotique, etc. ».

Je pense que nous ne devons pas laisser ces patients s’entériner dans leur isolement et s’enfoncer toujours un peu plus dans la réduction de toutes aptitudes jusqu’à la disparition de toute autonomie. Chacun de ces patients mérite que nous nous intéressions à lui et que nous tentions de tout mettre en œuvre pour le réinsérer dans la société, si tel est son désir.

En effet, il me semble que si nous-mêmes ou un de nos proches souffrait de schizophrénie, nous aimerions que des professionnels déploient tous les efforts possibles et imaginables pour nous aider.

Ainsi, je souhaiterais conclure définitivement avec ses paroles de Nicole Horassius-Jarrie : « Si j’étais schizophrène, si chaque caillou du chemin m’était radioactif, si chaque regard me pénétrait, si chaque parole m’était danger, si mon monde intérieur n’était qu’angoisse morcelante et chaos éclaté, alors, oui je souhaiterais connaître un lieu précis où trouver, la nuit comme le jour, une présence humaine, ni trop loin, ni trop près, un endroit où l’on me nourrisse, même si je le refuse, où l’on me soulage, au besoin par des médicaments, au besoin par la contrainte, où l’on m’écoute, même si je hurle ou je ne parle plus. Un endroit solide, indestructible, où trouver ou retrouver des repères d’existence, où découvrir, à travers des espaces d’expérience modestes, avec le temps suffisant pour renouer des liens avec d’autres êtres, un sens à ma vie, un endroit enfin où l’on m’accepte comme pareil et différent, un lieu de soins où réapprendre à vivre » (Horassius-Jarrie, 1991).

1 J.L. Rouvière fit une intervention au congrès « le handicapé psychique et ses proches dans la ville » donné à Perpignan par l’UNAFAM des Pyrénées Orientales et le Groupement d’Intérêt Public du Contrat de Ville, les 19 et 20 septembre 2003.

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«  Le diagnostic de schizophrénie, il faut savoir le chercher jusque

dans vos propres affects. »

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GLOSSAIRE

Apathie : état, caractère d’une personne apathique, c’est à dire, qui fait preuve d’un manque de réaction, de volonté, d’énergie ; passif.

Catalepsie : perte momentanée de l’initiative motrice avec conservation des attitudes, le corps restant figé dans son attitude d’origine.

Echolalie : répétition machinale de mots ou de phrases prononcés par autrui.

Echopraxie : reproduction automatique des gestes exécutés par autrui.

Galactorrhée : écoulement de lait.

Négativisme : ensemble des conduites de refus et d’opposition qui traduisent une rupture du contact avec autrui.

Stuporeux : relatif à la stupeur. En psychiatrie : état d’immobilité et de mutisme d’origine psychique.

Volition : acte par lequel la volonté se détermine à quelque chose ; la volonté elle-même.

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BIBLIOGRAPHIE

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Kovess V., Caroli F., Durocher A., Kipman S.D., Pascal J.C., Penochet J.C., Zarifian E. (1994). 1ère conférence de consensus en psychiatrie (Texte des experts). Stratégies thérapeutiques à long terme dans les psychoses schizophréniques. Paris : Frison Roche (avec l’aide de la Fédération Française de Psychiatrie et de l’Unafam).

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