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L a tradition des Gigantones et Cabeçudos qui anime toujours les fêtes du nord du Portugal et dont l’origine se perd dans la nuit des temps, vient d’être ranimée par le travail de recherche et de représentation plastique d’une peintre française, attachée depuis des décennies à cette région de l’extrême occident européen. Liée aux immigrés portugais depuis leur première arrivée en France dans les années 60, Eliane Meunier a depuis 1963 commencé à fréquenter la côte minhota des alen- tours d’Afife. Elle avait recréé ces paysages parsemés des gens du Nord, du Minho, dans ses dessins à la craie d’art, dans ses gouaches et huiles, de même que les immigrés portugais, ses voisins à Paris. Ensuite, la peintre a été invitée à représenter ces figures dans l’illus- tration du poème que les Portugais égarés à la gare d’Austerlitz de Paris avaient inspiré à Manuel Alegre, poète exilé (immigré). Retournée au contact des images captées à Afife et Viana, Eliane Meunier fait la redé- 65 n° 15 - septembre 2002 LATITUDES ENTREVISTAS/ENTRETIENS La tradition des “Gingantones” et “Cabeçudos” de Viana do Castelo revigorée par la représentation plastique et les études d’Eliane Meunier couverte des Gigantones, oubliés auparavant dans l’atmosphère diffu- se des images multiples; elle s’inté- resse à la plastique de ces figures fabuleuses, intrigantes, sans objet apparent, et se met à la recherche de leur origine, de leur signification. C’était en 1995 et, depuis lors, la peintre n’a plus abandonné sa quête, tellement la trace de cette coutume se perd dans les plis de l’histoire, ne laissant que de très rares signes. Dernièrement, elle a pu présenter à Bruxelles, centre européen de la tra- dition des Géants, les résultats obte- nus ainsi qu’une exposition de ces impressionnantes représentations plastiques. Eliane Meunier a bien voulu reconstituer pour nous sa démarche, qui témoigne tout particulièrement de son attachement envers le Portugal, qu’elle a pu transcender par ses dons d’artiste plastique et par son persistant esprit de recherche. Environ 50 tableaux représentant cette iconographie ont été exposés au Museu do Trajo de Viana du 6 avril au 12 mai dernier.

La tradition des “Gingantones” et “Cabeçudos” de Viana do ... · mon évolution de peintre. En 1991, j’ai retrouvé Afife. Depuis j’y suis allée chaque année. L. —

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Page 1: La tradition des “Gingantones” et “Cabeçudos” de Viana do ... · mon évolution de peintre. En 1991, j’ai retrouvé Afife. Depuis j’y suis allée chaque année. L. —

L a tradition des Gigantoneset Cabeçudos qui animetoujours les fêtes du nord

du Portugal et dont l’origine seperd dans la nuit des temps, vientd’être ranimée par le travail derecherche et de représentationplastique d’une peintre française,attachée depuis des décennies àcette région de l’extrême occidenteuropéen.

Liée aux immigrés portugaisdepuis leur première arrivée enFrance dans les années 60, ElianeMeunier a depuis 1963 commencé àfréquenter la côte minhota des alen-tours d’Afife. Elle avait recréé cespaysages parsemés des gens duNord, du Minho, dans ses dessins àla craie d’art, dans ses gouaches ethuiles, de même que les immigrésportugais, ses voisins à Paris.Ensuite, la peintre a été invitée àreprésenter ces figures dans l’illus-tration du poème que les Portugaiségarés à la gare d’Austerlitz de Parisavaient inspiré à Manuel Alegre,poète exilé (immigré). Retournée aucontact des images captées à Afifeet Viana, Eliane Meunier fait la redé-

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et “Cabeçudos” de Viana doCastelo revigorée par la

représentation plastique et les études d’Eliane Meunier

couverte des Gigantones, oubliésauparavant dans l’atmosphère diffu-se des images multiples; elle s’inté-resse à la plastique de ces figuresfabuleuses, intrigantes, sans objetapparent, et se met à la recherchede leur origine, de leur signification.C’était en 1995 et, depuis lors, lapeintre n’a plus abandonné sa quête,tellement la trace de cette coutumese perd dans les plis de l’histoire,ne laissant que de très rares signes.Dernièrement, elle a pu présenter àBruxelles, centre européen de la tra-dition des Géants, les résultats obte-nus ainsi qu’une exposition de cesimpressionnantes représentationsplastiques.

Eliane Meunier a bien voulureconstituer pour nous sa démarche,qui témoigne tout particulièrementde son attachement envers lePortugal, qu’elle a pu transcenderpar ses dons d’artiste plastique etpar son persistant esprit derecherche.

Environ 50 tableaux représentantcette iconographie ont été exposésau Museu do Trajo de Viana du 6avril au 12 mai dernier.

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Latitudes — Vous connaissez depuislongtemps les Portugais et lePortugal. Ce long contact a récem-ment fructifié en diverses réalisa-tions artistiques, qui concrétisentavec éclat une grandeur intérieureassociée à vos dons plastiques.Pouvez-vous raconter à nos lecteursà quelle occasion vous avez décou-vert le peuple portugais auquel vousêtes attachée ?Eliane Meunier — Grâce à desamis parisiens qui connaissaient déjàle Minho. Ils avaient de très jeunesenfants. Et Linda, une Afifense, estvenue s’occuper d’eux et vivre àParis. Les vacances venues, tout lemonde repartait àAfife. C’était en 1963.Par la suite, Linda a pufaire venir à Paris sesnièces, des amis;c’était une époque dif-ficile: les jeunes genss’exilaient pour ne paspartir en Afrique.Chez mes amis pari-siens, ils trouvaient unabri, le temps de leurprocurer du travail. Etc’était table ouverte ;on se réunissait sou-vent le vendredi soir ;on faisait la fête, ondansait le vira(pauvres voisins !). Puis, je me suis éloi-gnée du Minho pen-dant des années. Pouraller voir ailleurs.C’était nécessaire àmon évolution depeintre. En 1991, j’airetrouvé Afife. Depuis j’y suis alléechaque année.

L. — En 1996 vous avez illustré lepoème de Manuel Alegre qui parleadmirablement du désarroi desPortugais contraints à l’immigra-tion et que le poète décrit avec réalis-me et nostalgie. Comment, avec quelrecul, avez-vous envisagé ce travailplastique ?E. M. — J’avais pour moi, déjà, le

recul du temps. Et l’éditeur m’aconfié ce travail parce qu’elle savaitque je connaissais le Portugal desannées 60 ; que j’avais vu le trainavec les émigrés ployant sous leurspaniers et leurs lourds bagages. Elleavait été très touchée par le poème.Le jour où elle a pu, enfin, l’éditer,elle m’en a confié les illustrations.

L.— Et vous connaissiez le mondeouvrier qui est évoqué dans le poème?E. M. — Le monde ouvrier duPortugal, non, mes amis portugais,très jeunes vivaient dans des vil-lages. Ils ne faisaient pas partie du

monde des villes, des usines. ManuelAlegre évoque les Portugais tra-vailleurs de Paris. Ceux-là, oui, jeles connaissais. Certains avaient eula chance, si je peux dire, d’avoirune recommandation à Paris. Maisd’autres, que j’ai connus plus tard,m’ont raconté leur détresse, leur iso-lement. Ceux qui se sont regroupésen grande banlieue. Et pour qui cefurent les années de boue, commeils le disent encore aujourd’hui.

Années si difficiles! années de grandcourage.

L. — En regardant ces images, noussommes frappés par les visages rajeu-nis que vous reproduisez dans vosportraits de ces immigrés, car nousles imaginions plutôt avachis par letrouble d’un déplacement si inégalvers l’inconnu.E. M. — Je vous l’ai dit. Ceux qui jeconnaissais, ceux qui sont venus àParis, étaient jeunes. Il le fallait pours’expatrier comme ça. Tout quitter.Tenter sa chance.S’assumer. Assumerleurs familles au pays. C’est bienceux-là, comme je les ai vus, que

j’ai peints. Ceux quijouaient leur jeunes-se au “quitte oudouble”, au pied dela lettre. Pour dix,vingt ans. En gar-dant l’espoir derevenir, de rentrerau pays, s’y marier,y avoir leurs enfants,leur foyer.De plus, cet albumest destiné auxgrands-parents qu’ilsvont devenir. C’estl’album de leurssouvenirs. Et jen’avais pas à y ajou-ter plus d’amertume,de réalisme queManuel Alegre n’enavait chargé sesmots. J’ai vouluexprimer le gris deParis. Souvent, lasolitude, la détresse,

et le courage et la dignité. Le restene me regarde pas. C’est du domai-ne intime, des souvenirs personnelsque voudront ou ne voudront pasraconter les familles.

La découverte des “Cabeçudos”et “Gigantones”

L. — Plus récemment, depuis 1995,vos séjours sur la côte du Minho et à

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Entretien avec le peintre Éliane MeunierPropos recueillis par Daniel Lacerda et Manuel Madeira

L’artiste avec le directeur du musée, João Alpuim Botelho.

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Viana, vous ont amenée à vous inté-resser de plus près aux “gigantones“et “cabeçudos”. Vous les avez beau-coup dessinés et peints. Vous avezassisté aux grandes fêtes de Vianado Castelo. Est-ce là que vous les avezdécouverts ? Racontez-nous com-ment cet attachement a “germé” envous ? E. M. — Oui, car je n’ai pas connuen France, dans ma région natale, leForez, ce genre de grande kermesseet ces personnages géants. Parcontre, ils figurent abondammentdans le Nord de la France, au PaysBasque, pendant les Carnavals(Nice, etc.). À ce propos ont peutsans doute parler de germination.Mon intérêt s’est manifesté, bien sûr,dès 1963 quand je les ai vus pour lapremière fois aux fêtes de Viana.J’ai été d’abord impressionnée parle son sourd, violent des tambours.Je suis allée en courant vers lui,comme attirée. Et j’ai découvert deshauts personnages à l’allure com-passée entourés de grosses têtesjoyeuses, grimaçantes. J’ai assistéaux fêtes. J’y ai découvert tant dechoses: les impressionnants cos-tumes brodés du Minho, les groupesfolkloriques; les ranchos, les charsdu défilé. Et je suis revenue à Paris.Et j’ai repris le fil de ma peinture ettourné la page. Je peignais alors leséléments: l’eau, le vent, le ciel. Du

Portugal, j’ai rapporté le grondementdes vagues, la fuite des nuages,l’éclat des murs blancs, une lumièrepresque blessante. Et la vie, partout,dansante, ou courbée dans leschamps de maïs, mais joyeuse auson des accordéons et des chantsaigus. À Afife j’ai eu la chance d’ha-biter une vraie petite maison portu-gaise, au toit à quatre pentes, avecson jardin, au bord du rio et sonaire. J’avais vraiment été invitée dansle cœur du Minho et des minhotos.Plus tard, quand j’ai repris mes car-nets de croquis pour illustrer l’al-bum de Manuel Alegre, j’ai retrouvémes premiers croquis des géants. Etj’ai voulu revoir les fêtes de Viana.Et, cette fois-là, pour vraiment regar-der les géants. J’ai posé des ques-tions sur leur symbolique, leurancienneté; j’ai rencontré des histo-riens; lu des auteurs portugais; j’aifait des recherches en bibliothèque,comme il se doit. C’est du reste, àParis, à la bibliothèque du Muséedes Arts et Traditions populaires,que j’ai trouvé des réponses, despistes, dans les Actes des colloquesd’ethnologues spécialistes desgéants, dragons et d’autres figures.J’ai commencé mon enquête. Je lapoursuis depuis sept ans.

L. — Avez-vous constaté des diffé-rences entre ces personnages du

début du XIXe siècle, de la carte pos-tale, et ceux d’aujourd’hui ?E. M. — Bien sûr. Les couples sontde deux ou trois. Les nains sontdevenus des grosses-têtes ; ils sontdouze, quinze. Les musiciens, enplus des tambours, comprennentdes accordéonistes, guitaristes. Lamode des vêtements portés par lesgéants évolue avec la mode dutemps. C’est observable sur les pho-tographies et cartes, qui abondentaprès 1900. Cependant les acces-soires changent peu. Le couplebourgeois est toujours présent. Onl’appelle le docteur et sa dame. Àcôté de lui, un second couple,Manuel et Maria, en costume pluspopulaire. Depuis peu, un troisièmecouple, que certains appellent le ZéPovinho et Maria.

L. — Il y a une différence entre les“Cabeçudos” et les “Gigantones” ?E. M. — Les cabeçudos ont d’abordfiguré des nains, c’est-à-dire qu’ilsportaient de gros masques et queleurs corps aussi étaient déguisés,déformés. Puis, on les voit se modi-fier, pour n’être que des porteurs degrosses-têtes, habillés, costumés, biensûr, mais dont les corps ont des pro-portions normales. Du classementde nains (vers 1900) ils passent dansla catégorie des grosses-têtes.Différences qu’on retrouve dans

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toute l’Europe, soit nains soit grands.Avec le temps, ils deviennent plusnombreux autour des géants, qu’ilsprécèdent en dansant d’une façongrotesque. On les appelle les enfantsdes géants. Ils portent aujourd’huiun costume composé d’un corsageet d’un pantalon bouffants, mais decouleurs différentes.

D’où viennent-elles, ses figuresfabuleuses ?

L. — On peut parler d’un caractèrepopulaire et d’une modification versune plus grande influence de l’exté-rieur ? Est-ce qu’il y a trace d’uneorigine païenne ?E. M. — Les géants, dans le monde,ont toujours représenté, figuré, laforce, la puissance. Ils peuvent êtredes protecteurs, des héros. Ils peu-vent être craints. Ils remontent àl’Antiquité.Mais, ici, nous parlons des gigan-tones de Viana, du XIXe siècle et duXXe et XXIe siècles. Comme je l’ai ditprécédemment, ils représentent descatégories sociales, sympathiques,même si on s’en moque légèrement:le bourgeois et les gens du peuple.

Les grosses têtes vont plus loin dansla caricature franche et rigolarde.On dit même que certains y recon-naissent des officiels et des voisins.Beaucoup de figures ont disparu,comme les cartes postales anciennesm’ont permis de le vérifier; ellesétaient plus diversifiées, franche-ment explicites: prêtres, militaires,

maures, chinois, diables et mêmedes animaux. Les grosses têtes d’au-jourd’hui sont plus psychologiques...

L. — À Viana do Castelo aussi bienles “Cabeçudos” que les“Gigantones” sont actuellement pré-parés par la Commission des Fêtes ?E. M. — Le défilé, organisé par laVille, a pris de très grandes propor-tions. Les fêtes sont fréquentées parde plus en plus de touristes, sansparler des Portugais qui ne les rate-raient pour rien au monde. Il fautdire qu’elles sont étonnantes, diver-sifiées et très belles. Tous les vil-lages du Minho descendent chacundans son costume aux broderies etaux couleurs différentes. Chacunavec son interprétation du vira, etavec leurs chants, leurs ranchos. Lesgéants conservent leur valeur forte ;ils ouvrent et précèdent chaquemanifestation.

Créativité populaire et récupéra-tion des traditions par l’Église

L. — Qu’elle est l’attitude de l’Égliseface à ces manifestations populaires ?E. M. — Dans tous les pays et dèsle Moyen-âge, les églises décidenttrès vite de prendre en main lesmanifestations populaires. Elle vales organiser dedans et, plus tard,

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hors des églises. Ce sont les grandesfêtes religieuses avec processionsordonnées : prêtes, seigneurs, cor-porations... Tout le monde est solli-cité et participe. Les fêtes se multi-plient et les célébrations : CorpusDei, fête des Saints, patrons ou lecarnaval.Pour en revenir au Minho, et àl’époque moderne, la procession desfêtes de N.S. da Agonia incluait lesgigantones et cabeçudos, et leursmusiciens, au XIXe siècle. Au débutdu XXe siècle - je n’ai pas de dateni de raison précise - vont être orga-nisés, pendant cette même semained’août, d’une part la procession reli-gieuse, d’autre part le défilé organi-sé par la Ville où figurent les géants.

L. — Que sait-on vraiment sur lesorigines des géants aux Portugal ?E. M. — Les géants portugaisauraient bien pu être apparus lespremiers en Europe ! Deux ethno-logues, citant des sources que je n’aipas pu encore vérifier, indiquentleur présence vers 1265 à Évora, aucours de la procession de CorpusChristi. Cela reste à démontrer. Parcontre on atteste la présence de troisimmenses géants lors d’une fêtedonnée à la Cour de João II, à Évoravers 1481. Et le règlement de la pro-cession de Corpus Christi, en 1482,indique la présence d’une “serpe,dragon et Saint Christophe monu-mental”. Ils sont donc très anciens.On peut suivre leur présence (SaintChristophe, Saint Georges, géantsnon identifiés, Saint Michel ...) pen-dant les XVe, XVIe et XVIIe siècles.J’ai pour le XVIIe siècle une certitu-de, grâce au poète brésilienGregório de Matos. Il assiste à uneprocession à Viana qu’il raconte enintroduction à un de ces poèmes.Le XVIIIe siècle reste une énigme.Je n’ai trouvé aucun texte attestantl’existence des géants, religieux ounon. Mais, au Portugal, comme par-tout en Europe, les guerres, lesfamines, les épidémies, de nouvellesdispositions au déroulement desfêtes et processions, ont pu faire dis-paraître cette tradition ! Viennent alors, au XIXe siècle, cesnouveaux “géants, imités de ceuxde Galice”. Ils vont, un temps, figu-rer à Viana, à la grande procession

d’aôut. Puis, un jour, en être sépa-rés, ils ne sont ni saints, ni héros, nirois.Ils traduisent une sympathique saty-re sociale, et, je pense, qu’éloignésde l’église, ils ont été re-baptisés,recréés par la société. Ils paradent,impressionnent les enfants, et sonttout à fait indispensables aux fêtesde Viana.Ils sont des gens de lasociété civile.

L. — Comment a été accueillie auColloque de Ath votre intervention àpropos de l’historique des“Gigantones” et “Cabeçudos” duPortugal ?E. M. — Pour faire mes recherchessur les géants portugais, ailleurs qu’à

Viana, c’est à la bibliothèque duMusée des Arts et TraditionsPopulaires de Paris que je me suisadressée. Elle est si complète quej’y ai trouvé les meilleures sourcespossibles. Et pour faire court, les tra-vaux de René Meurant. Cet ethno-logue belge a consacré sa vie et sestravaux aux géants d’Europe. Il a étéen rapport avec les ethnologues por-tugais (Veiga de Oliveira, M. E. deVasconcelos, de Mariz Rozeira...)René Meurant habitait Ath. J’ai déci-dé d’aller en Belgique, travailler auxArchives de la ville. J’y ai rencontréson directeur, J.-P. Ducastelle. Je luiai fait part de mes recherches. C’étaiten février 2000. J.-P. Ducastelle pré-parait l’ouverture du musée d’Ath,

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et ce fameux Colloque. Il a désiréque je vienne exposer et que je par-ticipe au Colloque. Je l’ai mis en rap-port avec Viana. Et voilà commentmes amis portugais et moi, nousnous sommes rejoints à Ath.René Meurant est décédé depuis unevingtaine d’années. Et curieusement,si tous les ethnologues ont continuéleurs travaux, ont publié, se sontretrouvés en colloques, le lien avecle Portugal s’est rompu. J’apprenaisdonc à J.-P. Ducastelle que la tradi-tion du défilé des géants, dans leMinho, était plus vivante que jamais.Mon intervention intriguait donc.D’autant qu’annoncé par mon expo-sition de peintures, on pensait quej’allais donner un avis plastique surles géants portugais.Je crois que mon étude a intéressé.Elle a été jugée sérieuse. Et puis, cesgéants portugais, qui pouvaientavoir été les premiers d’Europe ? !Cela reste à démontrer, bien sûr.Mais leur passé est authentifiédepuis le XVe siècle. J’ai, au mieux,permis de remettre en mémoire eten bonne place, leur existence, leurimportance. L. — Vous avez déjà exposé vos

œuvres à Viana. C’était en 1996, jecrois ?E. M. — En 1996, après la parutionde mon album sur le texte deManuel Alegre, j’ai présenté lesplanches originales de mes illustra-tions, au Centre Culturel CalousteGulbenkian, avenue d’Iéna, à Paris.

Je devais ensuite faire cette présen-tation à Viana do Castelo. LaMunicipalité souhaitait présenter l’al-bum Portugal à Paris, bilingue. EtManuel Alegre devait venir, lui aussi.Malheureusement, gravement mala-de, il n’a pu être présent. Quant àmoi, j’ai présenté les planches origi-nales de l’album, l’album lui-mêmeet une exposition de peintures, dansla très belle sale de l’ancien Palaisdu Conseil. C’était une retrospectivede mes années portugaises. Elle s’in-titulait Souvenirs du Minho.

L. — Comment est venue l’invitationpour que vous veniez à nouveauexposer à Viana, maintenant ?E. M. — Cette exposition, ParadeMasquée, j’avais été en effet invitéeà la présenter à Viana en 2001. Jesouhaitais l’inaugurer à Viana,puisque elle est inspiré para lesGigantones. Un changement de lapart de la Mairie, dans les dates pro-posées, m’en a empêchée. Je m’étaisdéjà engagée à l’accorder sur lescimaises de la Maison des géantsd’Ath, en Belgique, fin septembre, àl’occasion du Colloque.À ce Colloque, comme je l’ai dit, jeprésentais aussi mon étude sur lesgéants. D’autre part, par mon inter-médiaire, les contacts entre Ath etViana avaient abouti à la présencepermanente d’un couple de géantsde Viana, au Musée lui-même, à l’in-

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“Gigantones” plus anciens

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tégration de l’histoire dans la pré-sentation audiovisuelle - remar-quable - des géants européens duMusée ; à l’invitation d’un groupede Viana (géants et leurs porteurs;grosses têtes et leurs porteurs; musi-ciens et quelques membres respon-sables de la Comissão des Fêtes) quidéfilaient le 1er octobre 2001 avec105 géants, animaux fabuleux,grosses-têtes..., venus de toutel’Europe. Ce fut un défilé mémo-rable. Et pour moi un souvenir fort,et une grande satisfaction, vousl’imaginez, que cette présence por-tugaise, la tradition des géants duPortugal, renouait avec le passé. Elleallait, en retrouvant ses sources,retrouver sa famille, l’Europe. Cesmanifestations pourraient ne paraîtreque festives, coutumières; leur his-toire en dit un peu plus. Et nousavons toutes les raisons de ne pasl’oublier.La Mairie de Viana, la Comissão deFestas, le Museu do Trajo ont ététouchés, je le sais, par mon attache-ment portugais. D’où cette invita-tion à Viana. L’exposition vient dese terminer. J’ai souhaité la complé-ter, en accord avec le Museu do

Trajo, qui a magnifiquement montél’ensemble par des animations, unhistorique des géants, une vidéotournée par le Musée, une démons-tration de la fabrication des géants(étapes successives) et la présenceremarquable de professeurs d’artsappliqués, qui ont reçu les enfantsdes écoles, qu’ils initiaient à l’art dela fabrication des marionnettes(marottes) en papier mâché. Je sou-haitais toucher le plus grand nombrepossible de visiteurs. Je savais quele thème pouvait le faire. J’auraisaimé être sur place pendant toutel’exposition, recueillir des témoi-gnages et, qui sait ... des documentsinédits.Sans doute faudra-t-il renouveler cesappels. Les vianenses sont très atta-chés à leur tradition. Les géants ontune longue histoire. Il reste bien desblancs à combler. Mais nous allonscontinuer nos recherches.En tant que peintre, mes recherchesplastiques personnelles évoluent,elles aussi. C’est la part du caché,du déguisé, de l’autre, que je veuxdévoiler. Les grands-masques-géantset les grosses-têtes cachent-ils autrechose que leur symbolique appa-

rente ? “Les yeux brillent derrière lesmasques” �

Mars-mai 2002

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L’exposition au musée du Traje et les “gigantones” en vrai.