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Jean Cocteau La voix humaine Pièce en un acte Alliance Française Nimègue le 26 novembre Kandinsky college

La Voix Humaine Piece

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La pièce entière "La voix humaine", de Jean Cocteau

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Jean CocteauLa voix humainePice en un acte

Alliance Franaise Nimguele 26 novembreKandinsky college19h30

Non seulement le tlphone est parfois plus dangereux que le rvolver, mais aussi son fil mandreux pompe nos forces et ne nous donne rien en change. J'ai crit cet acte comme un solo de voix humaine pour une actrice (ou cantatrice)

Jean Cocteau, la Voix humaine, 1930

La Voix humaine

All, all, all Mais non, Madame, nous sommes plusieurs sur la ligne, raccrochez AllVous tes avec une abonne... Oh ! !... all !... Mais, Madame, raccrochez vous-mme... All, Mademoiselle, all... Laissez-nousMais non, ce nest pas le docteur Schmitt Zro huit, pas zro sept. all !... cest ridicule Om me demande: je ne sais pas.(Elle raccroche, la main sur le rcepteur. On sonne.)All !....Mais, Madame, que voulez-vous que jy fasse ?.... Vous tes trs dsagrable Comment, ma faute pas du tout pas du tout All ?... all, Mademoiselle On me sonne et je ne peux pas parler. Il y a du monde sur la ligne. Dites cette dame de se retirer.(Elle raccroche. On sonne.)RE PARTIE TABLEAU 1All, cest toi ?... cest toi ? Oui Jentends trs mal tu es trs, trs loin All ! cest affreux il y a plusieurs personnes sur la ligne Redemande. All ! Re-de-mande Je dis: redemande-moi Mais, Madame, retirez-vous. Je vous rpte que je ne suis pas le docteur Schmitt All !... (Elle raccroche. On sonne.)Ah ! enfin cest toi ouitrs bien all oui Ctait un vrai supplice de tentendre travers tout ce monde...oui... oui...... non... cest une chance... Je rentre il y a dix minutes Tu navais pas encore appel ? ah !... non, non... Jai dn dehors, chez Marthe. Il doit tre onze heures un quart.Tu es chez toi ? Alors regarde la pendule lectrique Cest ce que je pensais Oui, oui, mon chri Hier soir ? Hier soir je me suis couche tout de suite et comme je ne pouvais pas mendormir, jai pris un comprim. .. non... un seul... neuf heures... Javais un peu mal la tte, mais je me suis secoue. Marthe est venue. Elle a djeun avec moi. Jai fait des courses. Je suis rentre la maison. Jai mis toutes les lettres dans le sac jaune. Jai ... Quoi ?... Trs forte... Je te jure Jai beaucoup, beaucoup de courage... Aprs ? Aprs je me suis habille, Marthe est venue me prendre et voil Je rentre de chez elle.Elle a t parfaite Trs, trs bonne, parfaite Elle a cet air, mais elle ne lest pas. Tu avais raison, comme toujours Ma robe rose, avec la fourrure... Mon chapeau noir Oui, jai encore mon chapeau sur la tte non, non, je ne fume pas. Je nai fum que trois cigarettes Si, cest vrai Si, si tu es gentil Et toi, tu rentres ? Tu es rest la maison ? Quel procs ? Ah ! oui. Il ne faut pas te fatiguer All ! all ! ne coupez pas. All !... all ! chri... all ! Si on coupe, redemande-moi tout de suite naturelllement All ! Non je suis l... Le sac ?... Tes lettres et les miennes... Tu peux le faire prendre quand tu veux... Un peu dur... Je comprends Oh ! mon chri, ne texcuse pas, cest trs naturel et cest moi qui suis stupide Tu es gentil... Tu es gentil Moi non plus, je ne me croyais pas si forte. Il ne faut pas madmirer. Je bouge un peu comme un somnambule. Je mhabille, je sors, je rentre machinalement. Je serai peut-tre moins brave demain Toi ? mais non mais, mon chri, je nai pas lombre dun reproche te faire je je laisse Comment ?.... Trs naturel Au contraire Il il a toujours t convenu que nous agirions avec franchise et jaurais trouv criminel que tu me laisses sans rien savoir jusqu la dernire minute. Le coup aurait t trop brutal, tandis que l, jai eu le temps de mhabituer, de comprendre Quelle comdie ?... All !... Qui ? que je te joue la comdie, moi !... Tu me connais, je suis incapable de prendre sur moi... Pas du tout... Pas du tout. Trs calme. Tu lentendrais Je dis : tu lentendrais. Je nai pas la voix dune personne qui cache quelque chose Non. Jai dcid davoir du courage et jen aurai Permets ce ntait pas pareil cest possible, mais on a beau se douter, sattendre au malheur, on tombe toujours la renverse Nexagre pas jai tout de mme eu le temps de mhabituer. Tu avais pris le soin de me dorloter, de mendormir Notre amour marchait contre trop de choses. Il fallait rsister, refuser cinq ans de bonheur ou accepter les risques. Je nai jamais pens que la vie sarrangerait. Je paye cher une joie sans prix All sans prix et je ne regrette je ne je ne regrette rien rien rien Tu tu te trompes tu te tu te tu te trompes. Jai All !... jai ce que je mrite.Jai voulu tre folle et avoir un bonheur fou... chri coute... all !... chri... laisse... all laisse-moi parler. Ne taccuse pas. Tout est ma faute. Si, si.Souviens-toi du dimanche de Versailles et du pneumatique Ah !... Alors !... Cest moi qui ai voulu venir, cest moi qui tai ferm la bouche, cest moi qui tai dit que tout mtait gal... Non non non l tu es injuste Jai... jai tlphon la premire. Non, le mardi un mardi. Jen suis sre. Un mardi vingt-sept. Ta dpche tait arrive le lundi soir, le 26. Tu penses bien que je connais ces dates par coeur... ta mre ? Pourquoi Ce nest vraiment pas la peine Je ne sais pas encore Oui peut-tre Oh ! non, srement pas tout de suite, et toi ?... Demain ?... Je ne savais pas que ctait si rapide Alors, attends cest trs simple demain matin le sac sera chez le concierge. Joseph naura qu passer le prendreOh ! moi, tu sais, il est possible que je reste, comme il est possible que jaille passer quelques jours la campagne, chez Marthe Il est l. Il est comme une me en peine. Hier, il passait son temps entre le vestibule et la chambre. Il me regardait. Il dressait les oreilles. Il coutait. Il cherchait partout. Il avait lair de me reprocher de rester assise et de ne pas chercher avec lui Je trouve le mieux serait que tu le prennes Si cette bte doit tre malheureuse Oh ! moi ! . Ce nest pas un chien de femme. Je men occuperais mal. Je ne le sortirais pas. Il vaudrait bien mieux quil reste avec toi Il moublierait vite Nous verrons nous verrons Ce nest pas bien compliqu. Tu naurais qu dire que cest le chien dun ami. Il aime beaucoup Joseph. Joseph viendrait le prendre... Je lui mettrai le collier rouge. Il na pas de plaque Nous verrons oui oui oui, mon chri... entendu mais oui, mon chri. Quels gants ?... Tes gants fourrs, les gants que tu avais pour conduire la voiture ? Je ne sais pas. Je nai rien vu. Cest possible. Je vais voir Tu attends. Ne te laisse pas couper.(Elle ramasse sur la table, derrire la lampe, des gants crispin fourrs quelle embrasse passionnment. Elle parle avec les gants contre sa joue.)All allnon jai cherch sur la commode, sur le fauteuil, dans lantichambre, partout. Ils ny sont pas coute je vais voir encore, mais je suis certaine Si par hasard on les retrouve demain matin, je les ferai mettre en bas avec le sac Chri ?... Les lettres oui tu les brleras Je vais te demander une chose idiote Non, voil, je voulais te dire, si tu les brles, jaimerais que tu gardes la cendre dans la petite bote dcaille que je tavais donne pour les cigarettes, et que tu All ! non . Je suis stupide pardonne-moi. Jtais trs forte. (Elle pleure.)L, cest fini. Je me mouche. Enfin, je serais contente davoir cette cendre, voil Comme tu es bon !... Ah !(Lactrice dira le passage entre guillemets dans la langue trangre quelle connat le mieux.) Pour les papiers de ta soeur, jai tout brl dans le fourneau de la cuisine. Jai pens dabord ouvrir pour enlever le dessin dont tu mavais parl, mais puisque tu mavais dit de tout brler, jai tout brl Ah ! bon... bon oui (En franais)Cest vrai , tu es en robe de chambre Tu te couches ?... Il ne faut pas travailler si tard, il faut te coucher si tu te lves tt demain matin. All !... All! et comme a ?... Pourtant je parle trs fort Et l, tu mentends ?... Je dis : et l, tu mentends ?... cest drle parce que moi je tentends comme si tu tais dans la chambre All !... all ! all ! Allons, bon ! maintenant cest moi qui ne tentends plus Si, mais trs loin Toi, tu mentends. Cest chacun son tour Non, ne raccroche pas !... All !... Je parle, Mademoiselle, je parle !... Ah ! Je tentends. Je tentends trs bien. Oui, ctait dsagrable. On croit tre mort. On entend et on ne peut pas se faire entendre Non, trs bien. Cest mme inou quon nous laisse parler si longtemps. Dhabitude on coupe au bout de trois minutes et on redonne un faux numro Si, si jentends mme mieux que tout lheure, mais ton appareil rsonne. On dirait que ce nest pas ton appareil. Je te vois, tu sais. (Il lui fait deviner.) Quel foulard ?... Le foulard rouge. Ah !... penche gauche Tu as tes manches retrousses ta main gauche ? le rcepteur. Ta main droite ? ton stylographe. Tu dessines sur le buvard, des profils, des coeurs, des toiles. Tu ris ! Jai des yeux la place des oreilles (Avec un geste machinal de se cacher la figure. ) Oh ! non, mon chri, surtout ne me regarde pas Peur ?... Non, je naurai pas peur... cest pire Enfin je nai plus lhabitude de dormir seule. Oui oui oui oui, oui je te promets je, je je te promets je te promets tu es gentil Je ne sais pas. Jvite de me regarder. Je nose plus allumer dans le cabinet de toilette. Hier, je me suis trouve nez nez avec une vieille dame... Non, non ! une vieille dame maigre avec des cheveux blancs et une foule de petites rides... Tu es bien bon ! mais, mon chri, une figure admirable, cest pire que tout, cest pour les artistes. Jaimais mieux quand tu disais : Regardez-moi cette vilaine petite gueule !... Oui, cher Monsieur ! Je plaisantais... Tu es bte Heureusement que tu es maladroit et que tu maimes. Si tu ne maimes pas et si tu tais adroit, le tlphone deviendrait une arme effrayante. Une arme qui ne laisse pas de traces, qui ne fait pas de bruit Moi, mchante ? All ! all !, all !... all, chri... o es-tu ?... All, all, all, Mademoiselle (Elle sonne.) All, Mademoiselle, on coupe. (Elle raccroche. Silence. Elle dcroche.) All ! (Elle sonne.) All ! all ! (Elle sonne.) All, Mademoiselle. (Elle sonne. On sonne.) All, cest toi ?... Mais non, Mademoiselle. On ma coupe... Je ne sais pas... cest--dire... si attendez... Auteuil 04 virgule 7. All !... Pas libre ?... All, Mademoiselle, il me redemande... Bien. (Elle raccroche. On sonne.) All ! all ! 04 virgule 7 ? Non, pas 6, 7. Oh ! (Elle sonne.) All ! all, Mademoiselle. On se trompe. On me donne le virgule 6. Je demande le virgule 7. 04 virgule 7 Auteuil. (Elle attend.) All ! Auteuil 04 virgule 7 ? Ah ! oui. Cest vous, Joseph ?... Cest Madame. On nous a coups avec Monsieur Pas l ? oui oui, il ne rentre pas ce soir... cest vrai, je suis stupide ! Monsieur me tlphonait dun restaurant, on a coup et, je redemande son numro... Excusez-moi, Joseph. Merci merci bien... Bonsoir, Joseph(Elle raccroche et se trouve presque mal. On sonne.)All ! ah ! chri ! cest toi ? On avait coup Non, non. Jattendais. On sonnait, je dcrochais et il ny avait personne Sans doute... Bien sr...Tu as sommeil Tu es bon davoir tlphon trs bon. (Elle pleure.) (Silence) Non, je suis l Quoi ? Pardonne cest absurde Rien, rien Je nai rien... Je te jure que je nai rien. Cest pareil Rien du tout. Tu te trompes Le mme que tout lheure Seulement, tu comprends, on parle, on parle, on ne pense pas quil faudra se taire, raccrocher, retomber dans le vide, dans le noir alors (Elle pleure.) coute, mon amour. Je ne tai jamais menti Oui, je sais, je sais, je te crois, jen suis convaincue... non, ce nest pas a cest parce que je viens de te mentir Tout de suite l au tlphone, depuis un quart dheure, je mens. Je sais bien que je nai plus aucune chance attendre, mais mentir ne porte pas la chance et puis je naime pas te mentir, je ne peux pas, je ne veux pas te mentir, mme pour ton bien. Oh ! rien de grave, mon chri, ne teffraye pas Seulement je mentais en te dcrivant ma robe et en te disant que javais dn chez Marthe... Je nai pas dn, je nai pas ma robe rose. Jai un manteau sur ma chemise, parce qu force dattendre ton tlphone, force de regarder lappareil, de masseoir, de me lever, de marcher de long en large, je devenais folle, folle ! Alors jai mis un manteau et jallais sortir, prendre un taxi, me faire mener devant tes fentres, pour attendre... Eh bien ! attendre, je ne sais quoiTu as raison Si Si, je tcoute... Je serai sage je tcoute Je rpondrai tout, je te jure Ici... Je nai rien mang Je ne pouvais pas Jai t trs malade... Hier soir, jai voulu prendre un comprim pour dormir ; je me suis dit que si jen prenais plus, je dormirais mieux et que si je les prenais tous, je dormirais sans rve, sans rveil, je serais morte. (Elle pleure.) Jen ai aval douze dans de leau chaude Comme une masse. Et jai eu un rve. Jai rv ce qui est. Je me suis rveille en sursaut toute contente parce que ctait un rve, et quand jai su que ctait vrai, que jtais seule, que je navais pas la tte sur ton cou et sur ton paule, et mes jambes entre tes jambes, jai senti que je ne pouvais pas, que je ne pouvais pas vivre lgre, lgre et froide et je ne sentais plus mon coeur battre et la mort tait longue venir et comme javais une angoisse pouvantable, au bout dune heure jai tlphon Marthe. Je navais pas le courage de mourir seule. Chri... chri... Il tait quatre heures du matin. Elle est arrive avec le docteur qui habite son immeuble. Javais plus de quarante. Il parat que cest trs difficile de sempoisonner et quon se trompe toujours de dose. Le docteur a fait une ordonnance et Marthe est reste jusqu ce soir. Je lai supplie de partirparce que tu mavais dit que tu tlphonerais une dernire fois et javais peur quon mempche de parler Trs, trs bien. Plus du tout Si. Cest vrai Un peu de fivre.. 383 ctait nerveux ne tinquite pas Que je suis maladroite ! Je mtais jur de ne pas te donner dinquitude, de te laisser partir tranquille, de te dire au revoir comme si nous devions nous retrouver demain On est bte Si, si bte !... Ce qui est dur cest de raccrocher, de faire le noir (Elle pleure.) All !... Je croyais quon avait coup Tu es bon, mon chri Mon pauvre chri qui jai fait du mal. Oui, parle, parle, dis nimporte quoi Je souffrais me rouler par terre et il suffit que tu parles pour que je me sente bien, que je ferme les yeux. Tu sais, quelquefois quand nous tions couchs et que javais ma tte sa petite place contre ta poitrine, et que tu parlais, jentendais ta voix, exactement la mme que ce soir dans lappareil. Lche ?... cest moi qui sui lche. Je mtais jur je.. Par exemple ! Toi qui toi toi qui ne mas jamais donn que du bonheur Mais, mon chri, je le rpte, ce nest pas exact. Puisque je savais je savais jattendais ce qui est arriv. Alors que tant de femmes simaginent passer leur existence auprs de lhomme quelles aiment et apprennent la rupture sans prparatifs Je savais - Mme, je ne te lai jamais dit, mais, tiens, chez la modiste, dans un magazine, jai vu sa photographie Sur la table, grand ouvert la bonne page Cest humain ou plutt fminin Parce que je ne voulais pas gcher nos dernires semaines non. Tout naturel Ne me fais pas meilleure que je suis All ! Jentends de la musique... Je dis : Jentends de la musique. Eh bien, tu devrais cogner au mur et empcher ces voisins de jouer du gramophone des heures pareilles. Ils ont pris de mauvaises habitudes parce que tu nhabitais jamais chez toi Cest inutile. Du reste, le docteur de Marthe reviendra demain. Non, mon chri. Cest un trs bon docteur et il n y a aucune raison pour que je le blesse en faisant venir un autre Ne tinquite pas... Mais oui mais oui Elle te donnera des nouvelles Je comprends... je comprends Du reste, cette fois-ci, je suis brave, trs braveQuoi ? Oh ! si, mille fois mieux. Si tu navais pas appel, je serais morte Non attends attends Trouvons un moyen (Elle marche de long en large et sa souffrance lui tire des plaintes.) Pardonne-moi. Je sais que cette scne est intolrable et que tu as bien de la patience, mais comprends-moi, je souffre, je souffre. Ce fil, cest le dernier qui me rattache encore nous Avant-hier soir ? Jai dormi. Je mtais couche avec le tlphone... Non, non. Dans mon lit Oui. Je sais. Je suis trs ridicule, mais javais le tlphone dans mon lit parce que, malgr tout, on est reli par le tlphone. Il va chez toi et puis javais cette promesse de ton coup de tlphone. Alors, figure-toi que jai fait une foule de petits rves. Ce coup de tlphone devenait un vrai coup que tu me donnais et je tombais, ou bien un cou, un cou quon trangle, ou bien, jtais au fond dune mer qui ressemblait lappartement dAuteuil, et jtais relie toi par un tuyau de scaphandre et je te suppliais de ne pas couper le tuyau enfin des rves stupides si on les raconte, seulement, dans le sommeil ils vivaient et ctait terrible Parce que tu me parlesVoil cinq ans que je vis de toi, que tu es mon seul air respirable, que je passe mon temps tattendre, te croire mort si tu es en retard, mourir de te croire mort, revivre quand tu entres et quand tu es l, enfin, mourir de peur que tu partes. Maintenant, jai de lair parce que tu me parles. Mon rve nest pas si bte. Si tu coupes, tu coupes le tuyau Cest entendu, mon amour ; jai dormi. Jai dormi parce que ctait la premire fois. Le docteur la dit : cest une intoxication. Le premier soir, on dort. Et puis la souffrance distrait, elle est toute neuve, on la supporte. Ce quon ne supporte pas cest la seconde nuit, hier, et la troisime, ce soir, dans quelques minutes et demain et aprs-demain et des jours et des jours faire quoi, mon Dieu ? Je nai pas de fivre, pas la moindre fivre; je vois juste Cest parce que cest insoluble que jaurais mieux fait davoir du courage et te raconter des mensonges Et et en admettant que je dorme, aprs le sommeil il y a les rves et le rveil et manger et se lever, et se laver et sortir et aller o ?... Mais, mon pauvre chri, je nai jamais eu rien dautre faire que toi Pardon ! Jtais toujours prise, cest entendu. Prise pas toi, pour toi Marthe a sa vie organise... Cest comme si tu demandais un poisson comment il compte arranger sa vie sans eau Je te le rpte, je nai besoin de personne Des distractions ! Je vais tavouer une chose qui nest pas trs potique mais qui est vrai. Depuis ce fameux dimanche soir, je nai t distraite quune seule fois, chez le dentiste, quand il ma touch un nerf Seule Seule Voil deux jours quil ne quitte pas lantichambre Jai voulu lappeler, le caresser. Il refuse quon le touche. Un peu plus, il me mordrait Oui, moi, moi! Il retourne les lvres et il grogne. Cest un autre chien, je tassure. Il me fait peur Chez Marthe ? Je te rpte quon ne peut pas lapprocher. Marthe a eu toutes les peines du monde sortir. Il ne voulait pas laisser ouvrir la porte Cest mme plus prudent. Je te jure quil meffraye. Il ne mange plus. Il ne bouge plus. Et quand il me regarde il me donne la chair de poule... Comment veux-tu que je sache ? Il croit peut-tre que je tai fait du mal Pauvre bte !... Je nai aucune raison de lui en vouloir. Je ne le comprends que trop bien. Il taime. Il ne te voit plus rentrer. Il croit que cest ma faute Essaye denvoyer Joseph Je crois quil suivrait Joseph Oh ! moi Un peu plus, un peu moins Il ne m adorait pas du tout. La preuve ! Il en avait lair, cest possible, mais je te jure bien quil ne faudrait pas que je le touche Si tu ne veux pas le reprendre je le mettrai chez un garde. Cest inutile que ce chien tombe malade et devienne mchant Il ne mordra personne sil est chez toi. Il aimera ceux que tu aimes Enfin, je voulais dire: il aimera les gens avec lesquels tu vis Oui, mon chri. Cest entendu; mais cest un chien Malgr son intelligence, il ne peut pas le deviner Je ne me gnais pas devant lui. Alors Dieu sait ce quil a vu !... je veux dire quil ne me reconnat peut-tre pas, que je lui ai peut-tre fait peur On ne sait jamais Au contraire Regarde, tante Janne, le soir o je lui ai appris que son fils avait t tu. Elle est trs ple et trs petite Eh bien, elle est devenue toute rouge et gante Une gante rouge; elle cognait le plafond avec sa tte et elle avait des mains partout, et son ombre remplissait la chambre et elle faisait peur elle faisait peur !... Je te demande pardon. Justement sa chienne. Elle se cachait sous la commode et elle aboyait comme aprs une bteMais, je ne sais pas, mon chri ! Comment veux-tu que je sache ? On nest plus soi-mme. Jai d faire des choses effrayantes. Pense que jai dchir tout le paquet de mes photographies et lenveloppe du photographe dun seul coup, sans men apercevoir.Mme pour un homme ce serait un tour de force Celles pour le permis Quoi ?... Non, puisque je nai plus besoin de permis Ce nest pas une perte. Jtais affreuse Jamais ! Jai eu la chance de te rencontrer en voyageant. Maintenant, si je voyageais, je pourrais avoir la malchance de te rencontrer Ninsiste pas Laisse All ! All ! Madame, retirez-vous. Vous tes avec des abonns. All ! mais non, Madame Mais, Madame, nous ne cherchons pas tre intressants. Vous navez qu rester sur la ligne Si vous nous trouvez ridicules, pourquoi perdez-vous votre temps au lieu de raccrocher ?... Oh !.... Mon chri ! mon chri ! Ne te fche pas... Enfin !... non, non. Cette fois, cest moi. Je touchais le rcepteur. Elle a raccroch. Ellle a raccroch tout de suite aprs avoir dit cette chose ignoble. All !... Tu as lair frapp Si, tu es frapp cause de ce que tu viens dentendre, je connais ta voix Tu es frapp !... Je mais, mon chri, cette femme doit tre trs mal et elle ne te connat pas. Elle croit que tu es comme les autres hommes. Mais non, mon chri, ce nest pas du tout pareil Quel remords ?... All !.... laisse, laisse. Ne pense plus cette stupidit. Cest fini Que tu es naf !... Qui ? Nimporte qui. Avant-hier, jai rencontr la personne dont le nom commence par S Par la lettre S B.S. oui, Henri Martin Elle ma demand si tu avais un frre et si ctait lui dont on annonce le mariage Quest-ce que tu veux que a me fasse ?... La vrit Un air de condolances Je tavoue que je ne me suis pas ternise. Jai dit que javais du monde la maison Ne cherche pas midi quatorze heures, cest trs simple. Les gens dtestent quon les lche, et peu peu jai lch tout le monde Je ne voulais pas perdre une minute de nous Compltement gal. Ils peuvent dire ce quils veulent Il faut tre juste. Notre situation est inexplicable pour les gens Pour les gens. Pour les gens, on saime ou se dteste. Les ruptures sont des ruptures. Ils regardent vite. Tu ne leur feras jamais comprendre... Tu tu ne leur feras jamais comprendre certaines choses Le mieux est de faire comme moi et de sen moquer compltement.(Elle pousse un cri de douleur sourde.)Oh !... Rien. Je parle, je parle; je crois que nous parlons comme dhabitude et puis tout coup la vrit me revient (Larmes.) Pourqui se faire des illusions ?... Oui oui Non ! Dans le temps, on se voyait. On pouvait perdre la tte, oublier ses promesses, risquer limpossible, convaincre ceux quon adorait en les embrassant, en saccrochant eux. Un regard pouvait changer tout. Mais avec cet appareil, ce qui est fini est fini. Sois tranquille. On ne se suicide pas deux fois Peut-tre, pour essayer de dormir Je ne saurais pas acheter un revolver. Tu ne me vois pas achetant un revolver !... O trouverais-je la force de combiner un mensonge, mon pauvre ador ?... Aucune... Jaurais d avoir de la force. Il y a des circonstances o le mensonge est inutile. Toi, si tu me mentais pour rendre la sparation moins pnible Je ne dis pas que tu mentes. Je dis : si tu mentais et que je le sache. Si, par exemple, tu ntais pas chez toi, et que tu me dises... Non, non, mon chri ! coute... Je te crois je nai pas voulu dire que je ne te croyais pas Pouquoi te fches-tu ? ... Si, tu prends une voix mchante. Je disais simplement que si tu me trompais par bont dme et que je men aperoive, je nen aurais que plus de tendresse pour toiAll ! all !... All !(Elle raccroche en disant bas et trs vite.)Mon Dieu, faites quil redemande. Mon Dieu, faites quil redemande. Mon Dieu, faites quil redemande. Mon Dieu, faites quil redemande. Mon Dieu faites(On sonne. Elle dcroche.) On avait coup. Jtais en train de te dire que si tu me mentais par bont et que je men aperoive, je nen aurais que plus de tendresse pour toiBien sr... Tu es fou !... Mon amour mon cher amour.(Elle enroule le fil autour de son cou.)Je sais bien quil le faut, mais cest atroce. Jamais je naurai ce courage Oui. On a lillusion dtre lun contre lautre et brusquement on met des caves, des gouts, toute une ville entre soi. Tu te souviens dYvonne qui se demandait comment la voix peut passer travers les tortillons du fil. Jai le fil autour de mon cou. Jai ta voix autour de mon cou Il faudrait que le bureau nous coupe par hasard...Oh ! Mon chri ! Comment peux-tu imaginer que je pense une chose si laide ? Je sais bien que cette opration est encore plus cruelle faire de ton ct que du mien... non non, non... Marseille ?...coute, chri, puisque vous serez Marseille aprs-demain soir, je voudrais... enfin jaimerais...jaimerais que tu ne descendes pas lhtel o nous descendons dhabitude... Tu nes pas fch ?...Parce que les choses que je nimagine pas nexistent pas, ou bien, elles existent dans une espce de lieu trs vague et qui fait moins de mal... tu comprends ?... Merci... merci. Tu es bon. Je taime.(Elle se lve et se dirige vers le lit avec lappareil la main.)Alors, voil... voil Jallais dire machinalement : tout de suite Jen doute. On ne sait jamais Oh !... cest mieux. Beaucoup mieux...(Elle se couche sur le lit et serre lappareil dans ses bras.)Mon chri... mon beau chri. Je suis brave. Dpche-toi. Vas-y. Coupe ! Coupe vite ! Coupe !Je taime, je taime, je taime, je taime, je taime...(Le rcepteur tombe par terre.)

RIDEAU

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Jean COCTEAU Cinaste Chorgraphe Peintre Auteur dramatique PoteBiographieN Maisons-Laffitte, le 5 juillet 1889.Issu dune famille de la grande bourgeoisie parisienne, Jean Cocteau fit ses tudes au lyce Condorcet Paris. Il tait g de neuf ans lorsque son pre se suicida.Esprit artiste, esthte au temprament de dandy, il publia ses premiers pomes ds 1909 et devint une des figures la mode du Tout-Paris et des salons que frquentaient les Daudet, la comtesse de Noailles, Marcel Proust. En 1913, la cration par Diaghilev du Sacre du Printemps de Stravinski fut pour lui une vritable rvlation, qui devait influencer lensemble de son uvre protiforme.

Engag comme ambulancier pendant la Premire Guerre mondiale, il se lia damiti avec Apollinaire. Lentre-deux-guerres devait tre pour Jean Cocteau, au fate de sa gloire, une priode dintense crativit, place sous le signe de lavant-garde. Il collabora avec des musiciens tels rik Satie (Parade, 1917) et Darius Milhaud, comme avec des peintres clbres.

Il tmoigna dans son criture dune gale curiosit, sessayant la posie dinspiration futuriste, dadaste ou cubiste : Le Cap de Bonne Esprance (1919), au roman potique : Le Potomac (1919), Thomas limposteur (1923), Les Enfants terribles (1929).Il occupa galement une grand place dans le thtre, avec Les Maris de la tour Eiffel (1924), La Voix humaine (1930), La Machine infernale (1934), Les Parents terribles (1938), Les Monstres sacrs (1940), La Machine crire (1941), LAigle deux ttes (1946), Bacchus (1952).

Enfin, le cinma devait son tour attirer Jean Cocteau, qui donna au septime art des films et des scnarios marquants, parmi lesquels on citera Le Sang dun pote (1930), Lternel retour (1943), La Belle et la Bte (1945), Les Parents terribles (1949), Orphe (1950), Le Testament dOrphe (1960).

Il convient dajouter encore la palette varie de ses talents celui de dessinateur et de peintre. Gnial touche--tout , pass matre dans lart du sortilge, ce crateur que son originalit empche denfermer dans telle ou telle mouvance littraire ou artistique ne se voua qu un seul matre : ltonnement le sien comme celui des autres.

Jean Cocteau fut lu lAcadmie franaise le 3 mars 1955. Mort le 11 octobre 1963.

Daprs: http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/jean-cocteau

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