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1 LACAN L’identification 1961-1962

LACAN L’identification - valas.fr · LACAN L’identification 1961-1962. 2 Ce document de travail a pour sources principales : ... Leçon 3 29 novembre 1961 Leçon 4 06 décembre

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    LACAN

    Lidentification

    1961-1962

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    Ce document de travail a pour sources principales :

    - Lidentification sur le site Gaogoa (au format texte) - Lidentification sur le site E.L.P. (stnotypie au format image) - Lidentification, version critique de Michel Roussan Les rfrences bibliographiques privilgient les ditions les plus rcentes. Les schmas sont refaits. N.B. : - Ce qui sinscrit entre crochets droits [ ] nest pas de Jacques LACAN.

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    TABLE DES SANCES Leon 1 15 novembre 1961 Leon 2 22 novembre 1961 Leon 3 29 novembre 1961 Leon 4 06 dcembre 1961 Leon 5 13 dcembre 1961 Leon 6 20 dcembre 1961 Leon 7 10 janvier 1962 Leon 8 17 janvier 1962 Leon 9 24 janvier 1962 Leon 10 21 fvrier 1962 Leon 11 28 fvrier 1962

    Leon 12 07 mars 1962 Leon 13 14 mars 1962 Leon 14 21 mars 1962 Leon 15 28 mars 1962 Leon 16 04 avril 1962 Leon 17 11 avril 1962 Leon 18 02 mai 1962 Leon 19 09 mai 1962 Leon 20 16 mai 1962 Leon 21 23 mai 1962 Leon 22 30 mai 1962 Leon 23 06 juin 1962 Leon 24 13 juin 1962 Leon 25 20 juin 1962 Leon 26 27 juin 1962

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    15 Novembre 1961 Table des sances L'identification, tel est cette anne mon titre et mon sujet. C'est un bon titre, mais pas un sujet commode. Je ne pense pas que vous ayez l'ide que ce soit une opration ou un processus trs facile concevoir. S'il est facile constater, il serait peut-tre nanmoins prfrable - pour le bien constater que nous fassions un petit effort pour le concevoir. Il est sr que nous en avons rencontr assez d'effets pour nous en tenir au sommaire

    je veux dire des choses qui sont sensibles mme notre exprience interne

    pour que vous ayez un certain sentiment de ce que c'est. Cet effort de concevoir vous paratra

    du moins cette anne, c'est--dire une anne qui n'est pas la premire de notre enseignement

    sans aucun doute par les lieux, les problmes, auxquels cet effort nous conduira

    aprs coup justifi. Nous allons faire aujourd'hui un tout premier petit pas dans ce sens. Je vous demande pardon : cela va peut-tre nous mener faire ces efforts que l'on appelle proprement parler de pense. Cela ne nous arrivera pas souvent, nous pas plus qu'aux autres. L'identification, si nous la prenons pour titre, pour thme de notre propos, il convient que nous en parlions autrement que sous la forme, on peut dire mythique, sous laquelle je l'ai quitte l'anne dernire.[sance du 21-06]

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    Il y avait quelque chose de cet ordre de l'ordre de l'identification, minemment

    qui tait intress - vous vous souvenez - dans ce point o j'ai laiss mon propos l'anne dernire, savoir au niveau o si je puis dire, la nappe humide laquelle vous vous reprsentez les effets narcissiques qui cernent ce roc, ce qui restait merg dans mon schma :

    ce roc auto-rotique dont le phallus symbolise l'mergence : le en somme battue par l'cume d'Aphrodite, fausse le dailleurs puisque aussi bien, comme celle o figure le Prote de CLAUDEL, c'est une le sans amarre, une le qui s'en va la drive. Vous savez ce que c'est que le Prote de CLAUDEL : c'est la tentative de complter l'Orestie 1 par la farce bouffonne qui, dans la tragdie grecque obligatoirement la complte, et dont il ne nous reste dans toute la littrature que deux paves de SOPHOCLE, et un Hracls d'EURIPIDE, si mon souvenir est bon. Ce n'est pas sans intention que j'voque cette rfrence propos de cette faon dont - l'anne dernire - mon discours sur le transfert se terminait sur cette image de l'identification. J'ai eu beau faire, je ne pouvais que faire du beau pour marquer la barrire o le transfert trouve sa limite et son pivot. Sans aucun doute, ce n'tait pas l la beaut dont je vous ai appris qu'elle est la limite du tragique, qu'elle est le point o la Chose insaisissable nous verse son euthanasie. Je n'embellis rien, quoiqu'on imagine entendre quelquefois sur ce que j'enseigne quelques rumeurs : je ne vous fais pas la partie trop belle.

    1 Paul CLAUDEL, Prote, Gallimard, Pliade, 1956, p.307. Eschyle, L'Orestie : Agamemnon - Les Chophores - Les Eumnides.

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    Ils le savent, ceux qui ont autrefois cout mon sminaire sur l'thique [ 1959-60 ], celui o j'ai exactement abord la fonction de cette barrire de la beaut sous la forme de l'agonie qu'exige de nous la Chose pour qu'on la joigne. Voil donc o se terminait Le Transfert l'anne dernire. Je vous l'ai indiqu

    tous ceux qui assistaient aux Journes provinciales d'octobre [1961]

    je vous ai point, sans pouvoir vous dire plus, que c'tait l une rfrence cache dans un comique qui est le point au-del duquel je ne pouvais pousser plus loin ce que je visais dans une certaine exprience. Indication, si je puis dire, qui est retrouver dans le sens cach de ce qu'on pourrait appeler les cryptogrammes de ce sminaire

    et dont aprs tout je ne dsespre pas qu'un commentaire un jour le dgage et le mette en vidence, puisquaussi bien il m'est arriv d'avoir ce tmoignage, qui en cet endroit est bon espoir, c'est que le sminaire de l'anne avant dernire, celui sur L'thique, a t effectivement repris

    et aux dires de ceux qui ont pu en lire le travail, avec un plein succs

    par quelqu'un qui s'est donn la peine de le relire pour en rsumer les lments, nommment M. SAFOUAN2, et j'espre que peut-tre ces choses pourront tre mises assez vite votre porte pour que puisse s'y enchaner ce que je vais vous apporter cette anne

    d'une anne sautant sur la deuxime aprs elle. Ceci peut vous sembler poser question, voire tre regrettable comme retard : cela n'est pas tout fait fond pourtant, et vous verrez que si vous reprenez la suite de mes sminaires depuis l'anne 1953

    - le premier sur Les crits techniques, - celui qui a suivi sur Le Moi, la technique et

    la thorie, freudiennes et psychanalytiques, - le troisime sur Les Structures freudiennes de la psychose, - le quatrime sur La Relation d'objet, - le cinquime sur Les Formations de l'inconscient, - le sixime sur Le Dsir et son interprtation, - puis L'thique, - Le Transfert, - L'Identification auquel nous arrivons, en voici neuf

    vous pourrez facilement y retrouver une alternance, une pulsation.

    2 M. Safouan notes du sminaire Lthique Bulletin de la Convention Psychanalytique, n10 Dc.86 et n12 Mars 87. Cf. M. Safouan, Lacaniana, Fayard, 2001, t.1 p.139-156.

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    Vous verrez que de deux en deux, domine alternativement la thmatique du sujet et celle du signifiant, ce qui

    tant donn que c'est par le signifiant, par l'laboration de la fonction du symbolique que nous avons commenc

    nous fait retomber cette anne aussi sur le signifiant, puisque nous sommes en chiffre impair. Encore que ce dont il s'agit doive tre proprement dans l'identification le rapport du sujet au signifiant. Cette identification donc, dont nous proposons de tenter de donner cette anne une notion adquate, sans doute l'analyse l'a rendue pour nous assez triviale, comme quelqu'un, qui m'est assez proche et m'entend fort bien, m'a dit :

    Voici donc cette anne ce que tu prends, l'identification Et ceci avec une moue :

    l'explication tout faire! laissant percer du mme coup quelque dception concernant en somme le fait que - de moi - on s'attendait plutt autre chose. Que cette personne se dtrompe ! Son attente en effet

    de me voir chapper au thme, si je puis dire sera due, car j'espre bien le traiter, et j'espre aussi que sera dissoute la fatigue que ce thme lui suggre l'avance. Je parlerai bien de l'identification mme. Pour tout de suite prciser ce que j'entends par l, je dirai que quand on parle d'identification, ce quoi on pense d'abord, c'est l'autre qui on s'identifie, et que la porte m'est facilement ouverte pour mettre l'accent, pour insister sur cette diffrence de l'autre l'Autre, du petit autre au grand Autre, qui est un thme auquel je puis bien dire que vous tes d'ores et dj familiariss.

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    Ce n'est pas pourtant par ce biais que j'entends commencer. Je vais plutt mettre l'accent sur ce qui, dans l'identification, se pose tout de suite comme faire identique [ idem facere ], comme fond dans la notion du mme , et mme du mme au mme, avec tout ce que ceci soulve de difficults. Vous n'tes pas sans savoir, mme sans pouvoir assez vite reprer, quelles difficults depuis toujours pour la pense nous offre ceci : A est A. Si lA est tant A que a, quil y reste ! Pourquoi le sparer de lui-mme pour si vite le rassembler ? Ce n'est pas l pur et simple jeu d'esprit. Dites-vous bien par exemple, que dans la ligne d'un mouvement d'laboration conceptuelle qui s'appelle le logico-positivisme, o tel ou tel peut s'efforcer de viser un certain but, qui serait par exemple celui de ne poser de problme logique moins qu'il n'ait un sens reprable comme tel dans quelque exprience cruciale : il serait dcid rejeter quoi que ce soit du problme logique qui ne puisse, en quelque sorte, offrir ce garant dernier, en disant que c'est un problme dpourvu de sens comme tel. Il n'en reste pas moins que si RUSSELL peut donner en ses Principes Mathmatiques une valeur l'quation, la mise galit de A = A, tel autre WITTGENSTEIN s'y opposera en raison proprement d'impasses qui lui semblent en rsulter au nom des principes de dpart. Et ce refus sera mme appos algbriquement : une telle galit s'obligeant donc un dtour de notation pour trouver ce qui peut servir d'quivalent la reconnaissance de l'identit A est A. Pour nous, nous allons

    ceci tant pos : que ce n'est pas du tout la voie du logico-positivisme qui nous parat, en matire de logique, tre d'aucune faon celle qui est justifie

    nous interroger je veux dire au niveau d'une exprience de parole, celle laquelle nous faisons confiance travers ses quivoques, voire ses ambiguts

    sur ce que nous pouvons aborder sous ce terme d' identification .

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    Vous n'tes pas sans savoir qu'on observe dans l'ensemble des langues certains virages historiques assez gnraux, voire universels, pour qu'on puisse parler de syntaxes modernes en les opposant globalement aux syntaxes, non pas archaques, mais simplement anciennes, entendons des langues de ce qu'on appelle l'Antiquit. Ces sortes de virages gnraux, je vous l'ai dit, sont de syntaxe. Il n'en est pas de mme du lexique, o les choses sont beaucoup plus mouvantes. En quelque sorte, chaque langue apporte, par rapport l'histoire gnrale du langage, des vacillations propres son gnie et qui les rendent, telle ou telle, plus propice mettre en vidence l'histoire d'un sens. C'est ainsi que nous pourrons nous arrter ce qui est le terme

    ou substantifique notion du terme de l' identit : dans identit , identification , il y a le terme latin idem. Et ce sera pour vous montrer que quelque exprience significative est supporte dans le terme franais vulgaire, support de la mme fonction signifiante, celui du mme. Il semble en effet que ce soit le em , suffixe du id dans idem, ce en quoi nous trouvons oprer la fonction, je dirai, de radical dans l'volution de l'indo-europen au niveau d'un certain nombre de langues italiques. Cet em est ici dans mme , redoubl : consone antique [ consonantique ? ], qui se retrouve donc comme le rsidu, le reliquat, le retour une thmatique primitive, mais non sans avoir recueilli au passage la phase intermdiaire de l'tymologie, positivement de la naissance de ce mme , qui est un metipsum familier latin

    et mme un metipsissimum du bas latin expressif donc pousse reconnatre dans quelle direction ici l'exprience nous suggre de chercher le sens de toute identit, au cur de ce qui se dsigne par une sorte de redoublement de moi-mme . Ce moi-mme tant, vous le voyez, dj ce metipsissimum :

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    une sorte d'au jour d'aujourd'hui dont nous ne nous apercevons pas, et qui est bien l dans le moi-mme [Cf. Lthique, sance du 30-03]. C'est alors dans un met ipsissimum que s'engouffrent, aprs le moi, le toi, le lui, le elle, le eux, le nous, le vous, et jusqu'au soi qui se trouve donc en franais tre un soi-mme . Aussi nous voyons l en somme dans notre langue, une sorte d'indication d'un travail, d'une tendance significative spciale, que vous me permettrez de qualifier de mihilisme , pour autant qu' cet acte, cette exprience du moi se rfre. Bien sr, la chose n'aurait d'intrt qu'incidemment, si nous ne devons pas en retrouver d'autres traits o se rvle ce fait, cette diffrence nette et facile reprer, si nous pensons qu'en grec, le [autos] du soi est celui qui sert dsigner aussi le mme , de mme qu'en allemand et en anglais, le selbst ou le self qui viendront fonctionner pour dsigner l'identit. Donc, cette espce de mtaphore permanente dans la locution franaise c'est - je crois - pas pour rien que nous la relevons ici, et que nous nous interrogeons. Nous laisserons entrevoir qu'elle n'est peut-tre pas sans rapport avec le fait - d'un bien autre niveau - que ce soit en franais

    je veux dire dans DESCARTES qu'ait pu se penser l'tre comme inhrent au sujet, sous un mode en somme que nous dirons assez captivant pour que, depuis que la formule a t propose la pense, on puisse dire qu'une bonne part des efforts de la philosophie consiste chercher s'en dptrer, et de nos jours de faon de plus en plus ouverte, n'y ayant, si je puis dire, nulle thmatique de philosophie qui ne commence

    de rares exceptions par tenter de surmonter ce fameux Je pense, donc je suis . Je crois que ce n'est pas pour nous une mauvaise porte d'entre, que ce Je pense, donc je suis marque le premier pas de notre recherche. Il est entendu que ce Je pense, donc je suis est dans la dmarche de DESCARTES. Je pensais vous l'indiquer en passant,

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    mais je vous le dis tout de suite : ce n'est pas un commentaire de DESCARTES que je puis d'aucune faon aujourd'hui tenter d'aborder, et je n'ai pas l'intention de le faire. Le Je pense, donc je suis bien sr si vous vous reportez aux textes de DESCARTES est

    tant dans le Discours que dans les Mditations infiniment plus fluent, plus glissant, plus vacillant que sous cette espce lapidaire o il se marque, autant dans votre mmoire que dans l'ide passive ou srement inadquate que vous pouvez avoir du procs cartsien. Comment ne serait-elle pas inadquate, puisque aussi bien il n'est pas un commentateur qui s'accorde avec l'autre pour lui donner son exacte sinuosit ? C'est donc non sans quelque arbitraire et cependant avec suffisamment de raisons, que ce fait, que cette formule

    qui pour vous fait sens et est d'un poids qui dpasse srement l'attention que vous avez pu lui accorder jusqu'ici

    je vais aujourd'hui m'y arrter pour montrer une espce d'introduction que nous pouvons y retrouver. Il s'agit pour nous, au point de l'laboration o nous sommes parvenus, d'essayer d'articuler d'une faon plus prcise ceci que nous avons dj avanc plus d'une fois comme thse : que rien d'autre ne supporte l'ide traditionnelle philosophique d'un sujet, sinon l'existence du signifiant et de ses effets. Une telle thse qui, vous le verrez, sera essentielle pour toute incarnation que nous pourrons donner par la suite des effets de l'identification, exige que nous essayons d'articuler d'une faon plus prcise comment nous concevons effectivement cette dpendance de la formation du sujet par rapport l'existence d'effets du signifiant comme tel. Nous irons mme plus loin dire que si nous donnons au mot pense un sens technique

    la pense de ceux dont c'est le mtier de penser on peut, y regarder de prs, et en quelque sorte aprs coup, s'apercevoir que rien de ce qui s'appelle pense n'a jamais rien fait d'autre que de se loger quelque part l'intrieur de ce problme.

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    ce signe, nous constaterons que nous ne pouvons pas dire que - tout le moins - nous ne projetions de penser que d'une certaine faon

    que nous le voulions ou non, que vous l'ayez su ou non

    toute exprience de l'inconscient qui est la ntre ici, toute recherche sur ce qu'est cette exprience, est quelque chose qui se place ce niveau de pense o

    pour autant que nous y allons sans doute ensemble, mais non pas sans que je vous y conduise

    le rapport sensible le plus prsent, le plus immdiat, le plus incarn de cet effort, est la question que vous pouvez vous poser, dans cet effort, sur ce qui suis je ? . Ce n'est pas l un jeu abstrait de philosophe, car sur ce sujet du qui suis je ?

    ce quoi j'essaie de vous initier vous n'tes pas sans savoir

    au moins certains d'entre vous que j'en entends de toutes les couleurs. Ceux qui le savent, peuvent tre - bien entendu - ceux de qui je l'entends, et je ne mettrai personne dans la gne publier l-dessus ce que j'en entends. D'ailleurs pourquoi le ferai-je, puisque je vais vous accorder que la question est lgitime ? Je peux vous emmener trs loin sur cette piste, sans que vous soit un seul instant garantie la vrit de ce que je vous dis, encore que dans ce que je vous dis il ne s'agisse jamais que de la vrit. Et dans ce que j'en entends, pourquoi aprs tout ne pas dire que cela va jusque dans les rves de ceux qui s'adressent moi. Je me souviens d'un d'entre eux. On peut citer un rve :

    Pourquoi - rvait un de mes analyss - ne dit-il pas le vrai sur le vrai ? . C'tait de moi qu'il s'agissait dans ce rve. Ce rve n'en dbouchait pas moins, chez mon sujet tout veill, me faire grief de ce discours o, l'entendre, il manquerait toujours le dernier mot. Cela n'est pas rsoudre la question que de dire :

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    Les enfants que vous tes attendent toujours, pour croire, que je dise la vraie vrit. Car ce terme la vraie vrit a un sens, et je dirai plus, c'est sur ce sens qu'est difi tout le crdit de la psychanalyse. La psychanalyse s'est d'abord prsente au monde comme tant celle qui apportait la vraie vrit. Bien sr on retombe vite dans toutes sortes de mtaphores qui font fuir la chose. Cette vraie vrit , c'est le dessous des cartes [ Sic ]. Il y en aura toujours un, mme dans le discours philosophique le plus rigoureux. C'est l-dessus qu'est fond notre crdit dans le monde, et le stupfiant c'est que ce crdit dure toujours, quoique, depuis un bon bout de temps, on n'ait pas fait le moindre effort pour donner un petit bout de commencement de quelque chose qui y rponde. Ds lors, je me sens pas mal honor qu'on m'interroge sur ce thme : O est la vraie vrit de votre discours ? . Et je peux mme aprs tout trouver que c'est bien justement en tant qu'on ne me prend pas pour un philosophe, mais pour un psychanalyste, qu'on me pose cette question. Car une des choses les plus remarquables dans la littrature philosophique, c'est quel point entre philosophes

    j'entends : en tant que philosophant on ne pose en fin de compte jamais la mme question aux philosophes, sauf pour admettre avec une facilit dconcertante que les plus grands d'entre eux n'ont pas pens un mot de ce dont ils nous ont fait part, noir sur blanc, et se permettent de penser, propos de DESCARTES, par exemple qu'il n'avait en Dieu que la foi la plus incertaine parce que ceci convient tel ou tel de ses commentateurs, moins que ce ne soit le contraire qui l'arrange. Il y a une chose, en tout cas, qui n'a jamais sembl auprs de personne branler le crdit des philosophes, c'est qu'on ait pu parler propos de chacun d'eux

    et des plus grands d'une double vrit 3.

    3 Lacan reprendra cette thmatique de la double vrit dans le sminaire 1965-66 : LObjet, sance du 19-01-1966. Cf. Thomas DAquin : De ternitate mundi contra murmurantes .

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    Que donc pour moi qui, entrant dans la psychanalyse, mets en somme les pieds dans le plat en posant cette question sur la vrit, je sente soudain ledit plat s'chauffer sous la plante de mes pieds, ce n'est l aprs tout qu'une chose dont je puis me rjouir puisque, si vous y rflchissez, c'est quand mme moi qui ai rouvert le gaz. Mais laissons cela maintenant. Entrons dans ces rapports de l'identit du sujet, et entrons-y par la formule cartsienne dont vous allez voir comment j'entends aujourd'hui l'aborder. Il est bien clair qu'il n'est absolument pas question de prtendre dpasser DESCARTES, mais bien plutt de tirer le maximum d'effets de l'utilisation des impasses dont il nous connote le fond. Si l'on me suit donc dans une critique pas du tout commentaire de texte , qu'on veuille bien se rappeler ce que j'entends en tirer pour le bien de mon propre discours. Je pense donc je suis me parat sous cette forme concentrer les usages communs, au point de devenir cette monnaie use, sans figure, laquelle MALLARM fait allusion quelque part4. Si nous le retenons un instant et essayons d'en polir la fonction de signe, si nous essayons d'en ranimer la fonction notre usage, je voudrais remarquer ceci : c'est que cette formule

    dont je vous rpte que sous sa forme concentre nous ne la trouvons dans DESCARTES qu'en certain point du Discours de la Mthode 5

    ce n'est point ainsi, sous cette forme densifie, qu'elle est exprime. Ce Je pense, donc je suis se heurte cette objection, et je crois qu'elle n'a jamais t faite, c'est que Je pense n'est pas une pense. Bien entendu, DESCARTES nous propose cette formule au dbouch d'un long processus de pense, et il est bien certain que la pense dont il s'agit est une pense de penseur.

    4 Cf. crits p. 251 et p. 801 ; Mallarm use de la mtaphore de la pice de monnaie use pour dsigner le langage : Narrer, enseigner, mme dcrire, cela va et encore qu' chacun suffirait peut-tre pour changer la pense humaine, de prendre ou de mettre dans la main d'autrui en silence une pice de monnaie, l'emploi lmentaire du discours dessert l'universel reportage dont, la littrature excepte, participe tout entre les genres d'crits contemporains. Stpane Mallarm : Crise de vers , Divagations. 5 Ren Descartes, uvres et lettres, Paris, Gallimard, 1953, Discours de la Mthode, 4e partie, p.147Fondements de la mtaphysique.

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    Je dirai mme plus : cette caractristique c'est une pense de penseur , n'est pas exigible pour que nous parlions de pense. Une pense, pour tout dire, n'exige nullement qu'on pense la pense. Pour nous particulirement : la pense commence l'inconscient. On ne peut que s'tonner de la timidit qui nous fait recourir la formule des psychologues quand nous essayons de dire quelque chose sur la pense : la formule de dire que c'est : une action l'tat d'bauche, l'tat rduit, le petit modle conomique de l'action . Vous me direz qu'on trouve a dans FREUD quelque part ! Mais bien sr, on trouve tout dans FREUD ! Au dtour de quelque paragraphe, il a pu faire usage de cette dfinition psychologique de la pense. Mais enfin, il est totalement difficile d'liminer que c'est dans FREUD que nous trouvons aussi que la pense est un mode parfaitement efficace

    et en quelque sorte suffisant soi-mme de satisfaction masturbatoire. Ceci pour dire que, sur ce dont il s'agit concernant le sens de la pense , nous avons peut-tre un empan un peu plus long que les autres ouvriers. Nanmoins, ceci n'empche pas qu'interrogeant la formule dont il s'agit Je pense, donc je suis nous puissions dire que

    pour l'usage qui en est fait elle ne peut que nous poser un problme. Car il convient d'interroger cette parole : je pense

    si large que soit le champ que nous ayons rserv la pense

    pour voir si elle satisfait les caractristiques de la pense, pour voir si elle satisfait les caractristiques de ce que nous pouvons appeler une pense. Il se pourrait que ce ft une parole qui s'avrt tout fait insuffisante soutenir en rien quoi que ce soit que nous puissions la fin reprer de cette prsence : je suis . C'est justement ce que je prtends. Pour clairer mon propos, je pointerai ceci :

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    Que Je pense pris tout court sous cette forme n'est logiquement pas plus sustentable, pas plus supportable que le Je mens , qui a dj fait problme pour un certain nombre de logiciens. Ce Je mens qui ne se soutient que de la vacillation logique, vide sans doute mais soutenable, qui dploie ce semblant de sens, trs suffisant d'ailleurs pour trouver sa place en logique formelle. Je mens , si je le dis, c'est vrai, donc je ne mens pas, mais je mens bien pourtant, puisqu'en disant Je mens j'affirme le contraire. Il est trs facile de dmonter cette prtendue difficult logique et de montrer que la prtendue difficult o repose ce jugement tient en ceci : le jugement qu'il comporte ne peut porter sur son propre nonc, c'est un collapse. C'est de l'absence de la distinction de deux plans, du fait que le Je mens est cens porter sur larticulation du Je mens lui-mme sans qu'on l'en distingue, que nat cette fameuse difficult. Ceci pour vous dire que, faute de cette distinction, il ne s'agit pas d'une vritable proposition. Ces petits paradoxes

    dont les logiciens font grand cas d'ailleurs pour les ramener immdiatement leur juste mesure peuvent passer pour de simples amusements. Ils ont quand mme leur intrt : ils doivent tre retenus pour pingler en somme la vraie position de toute logique formelle, jusque et y compris ce fameux logico-positivisme dont je parlais tout l'heure. J'entends par l qu' notre avis, on n'a justement pas assez us de la fameuse aporie d'PIMNIDE, qui n'est qu'une forme plus dveloppe de ce que je viens de vous prsenter propos de Je mens , que :

    Tous les Crtois sont des menteurs, ainsi parle PIMNIDE le Crtois 6 . Et vous voyez aussitt le petit tourniquet qui s'engendre. 6 Alexandre Koyr, philosophe franais, a montr que la version crtoise du menteur se rsout facilement si on prend en compte conjointement le sens du jugement prononc par pimnide et le fait que cest lui qui le prononce. La conclusion sera toujours : pimnide a menti, car, si pimnide dit la vrit, tous les Crtois sont menteurs, et lui aussi, or, un menteur ne dit jamais la vrit, donc pimnide ne dit pas la vrit. Cf. A. Koyr, Epimnide le menteur, Paris, Herman , 1947, p.5.

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    On n'en a pas assez us pour dmontrer la vanit de la fameuse proposition dite affirmative universelle A 7. Car en effet, on le remarque ce propos, c'est bien l - nous le verrons - la forme la plus intressante de rsoudre la difficult. Car, observez bien ce qui se passe si l'on pose ceci - qui est posable - qui a t pos dans la critique de la fameuse affirmative universelle A , dont certains ont prtendu non sans fondement que sa substance n'a jamais t autre que celle d'une proposition existencielle ngative :

    Il n'y a pas de Crtois qui ne soit capable de mentir Ds lors il n'y a plus aucun problme. PIMNIDE peut le dire, pour la raison qu'exprim ainsi, il ne dit pas du tout qu'il y ait quelqu'un, mme crtois, qui puisse mentir jet continu, surtout quand on s'aperoit que mentir tenacement implique une mmoire soutenue, qui ferait qu'il finit par orienter le discours dans le sens de l'quivalent d'un aveu. De sorte que mme si Tous les Crtois sont des menteurs veut dire qu'il n'est pas un crtois qui ne veuille mentir jet continu, la vrit finira bien par lui chapper au tournant, et en mesure mme de la rigueur de cette volont. Ce qui est le sens le plus plausible de l'aveu par le Crtois PIMNIDE que Tous les Crtois sont des menteurs , ce sens ne peut tre que celui-ci, c'est que :

    - il s'en glorifie,

    - il veut par l vous drouter en vous prvenant vridiquement de sa mthode.

    Mais cela n'a pas d'autre volont, cela a le mme succs que cet autre procd qui consiste annoncer que, soi, on n'est pas poli, qu'on est d'une franchise absolue : cela, c'est le type qui vous suggre d'avaliser tous ses bluffs. 7 Aristote forme ainsi quatre familles de propositions : Les affirmatives universelles, notes A (tous les hommes sont mortels). Les ngatives universelles, notes E (aucun homme nest immortel ou tous les hommes ne sont pas mortels ou il nexiste pas dhomme non mortels). Les affirmatives particulires, notes I (quelques hommes sont peintres). Les ngatives particulires, notes O (quelques hommes ne sont pas peintres). Un moyen mnmotechnique pour se souvenir des lettres A, E, I, O : AffIrmo , nEgO ( j affirme et je nie) du carr logique mdival.

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    Ce que je veux dire c'est que toute affirmative universelle

    au sens formel de la catgorie a les mmes fins obliques, et il est fort joli qu'elles clatent, ces fins, dans les exemples classiques. Que ce soit ARISTOTE qui prenne soin de rvler que Socrate est mortel , doit tout de mme nous inspirer quelque intrt, ce qui veut dire offrir prise ce que nous pouvons appeler chez nous interprtation, au sens o ce terme prtend aller un peu plus loin que la fonction qui se trouve justement dans le titre mme d'un des livres de la Logique d'ARISTOTE8. Car si videmment c'est en tant qu'animal humain que celui qu'Athnes nomme SOCRATE est assur de la mort, c'est tout de mme bel et bien en tant que nomm SOCRATE qu'il y chappe, et videmment :

    - ceci non seulement parce que sa renomme dure encore pour aussi longtemps que vivra la fabuleuse opration du transfert opre par PLATON,

    - mais encore plus prcisment, parce que ce n'est qu'en tant qu'ayant russi se constituer, partir de son identit sociale

    cet tre d'atopie qui le caractrise que le nomm SOCRATE

    celui qu'on nomme ainsi Athnes, et c'est pourquoi il ne pouvait pas s'exiler

    a pu se sustenter dans le dsir de sa propre mort jusqu' en faire l'acting out de sa vie.

    Il y a ajout en plus cette fleur au fusil de s'acquitter du fameux coq ESCULAPE dont il se serait agi s'il avait fallu faire la recommandation de ne pas lser le marchand de marrons du coin. Il y a donc l, chez ARISTOTE, quelque chose que nous pouvons interprter comme quelque tentative justement d'exorciser un transfert qu'il croyait un obstacle au dveloppement du savoir. C'tait d'ailleurs de sa part une erreur puisque l'chec en est patent.

    8 Aristote, Organon II, De l'interprtation, Paris, Vrin, 2004.

  • 17

    Il fallait aller srement un peu plus loin que PLATON dans la dnaturation du dsir pour que les choses dbouchent autrement. La science moderne est ne dans un hyper-platonisme, et non pas dans le retour aristotlicien sur, en somme, la fonction du savoir selon le statut du concept . Il a fallu, en fait, quelque chose que nous pouvons appeler la seconde mort des dieux , savoir leur ressortie fantomatique au moment de la Renaissance, pour que le verbe nous montrt sa vraie vrit, celle qui dissipe, non pas les illusions, mais les tnbres du sens d'o surgit la science moderne. Donc, nous l'avons dit, cette phrase de Je pense a l'intrt de nous montrer

    c'est le minimum que nous puissions en dduire la dimension volontaire du jugement. Nous n'avons pas besoin d'en dire autant : les deux lignes que nous distinguons comme nonciation et nonc nous suffisent pour que nous puissions affirmer que c'est dans la mesure o ces deux lignes s'embrouillent et se confondent que nous pouvons nous trouver devant tel paradoxe qui aboutit cette impasse du je mens sur lequel je vous ai un instant arrts. Et la preuve que c'est bien cela dont il s'agit, savoir : que je peux la fois mentir et dire de la mme voix que je mens. Si je distingue ces voix, c'est tout fait admissible. Si je dis :

    Il dit que je mens cela va tout seul, cela ne fait pas d'objection, pas plus que si je disais :

    Il ment .

    Mais je peux mme dire :

    Je dis que je mens . Il y a tout de mme quelque chose ici qui doit nous retenir, c'est que si je dis :

    Je sais que je mens

  • 18

    Cela a encore quelque chose de tout fait convainquant qui doit nous retenir comme analystes puisque

    comme analystes justement nous savons que l'original, le vif et le passionnant de notre intervention est ceci que nous pouvons dire que nous sommes faits pour dire

    pour nous dplacer dans la dimension exactement oppose, mais strictement corrlative

    qui est de dire :

    Mais non, tu ne sais pas que tu dis la vrit ce qui va tout de suite plus loin. Bien plus :

    Tu ne la dis si bien que dans la mesure mme o tu crois mentir, et quand tu ne veux pas mentir, c'est pour mieux te garder de cette vrit.

    Cette vrit, il semble qu'on ne puisse l'treindre qu' travers ces lueurs, la vrit, fille en ceci - vous vous rappelez nos termes - qu'elle ne serait par essence, comme toute autre fille, qu'une gare. Eh bien, il en est de mme pour le Je pense : il semble bien que s'il a ce cours si facile pour ceux qui l'pellent ou en rediffusent le message

    les professeurs a ne peut tre qu' ne pas trop s'y arrter. Si nous avons pour le Je pense les mmes exigences que pour le Je mens :

    - ou bien ceci voudra dire :

    Je pense que je pense ce qui n'est alors absolument parler de rien d'autre que le Je pense d'opinion ou d'imagination, le Je pense comme vous dites quand vous dites : Je pense quelle maime qui veut dire que les embtements vont commencer. suivre DESCARTES, mme dans le texte des Mditations, on est surpris du nombre d'incidences sous lesquelles ce Je pense n'est rien d'autre que cette notation proprement imaginaire sur laquelle aucune vidence, soi-disant radicale ne peut mme tre fonde, s'arrter.

  • 19

    - Ou bien alors ceci veut dire :

    Je suis un tre pensant Ce qui est bien entendu alors bousculer l'avance tout le procs de ce qui vise justement faire sortir du Je pense un statut sans prjug comme sans infatuation mon existence. Si je commence dire :

    Je suis un tre , cela veut dire :

    Je suis un tre essentiel l'tre, sans doute. Il n'y a pas besoin d'en jeter plus, on peut garder sa pense pour son usage personnel.

    Ceci point, nous nous trouvons rencontrer ceci qui est important, nous nous trouvons rencontrer ce niveau, ce troisime terme que nous avons soulev propos du Je mens , savoir, qu'on puisse dire :

    Je sais que je pense Et ceci mrite tout fait de nous retenir. En effet, c'est bien l le support de tout ce qu'une certaine phnomnologie a dvelopp concernant le sujet. Et ici j'amne une formule qui est celle sur laquelle nous serons amens reprendre les prochaines fois, c'est celle-ci : ce quoi nous avons affaire

    et comment cela nous est donn, puisque nous sommes psychanalystes

    c'est radicalement subvertir, rendre impossible ce prjug le plus radical

    et dont c'est le prjug qui est le vrai support de tout ce dveloppement de la philosophie, dont on peut dire qu'il est la limite au-del de laquelle notre exprience est passe, la limite au-del de laquelle commence la possibilit de l'inconscient

    c'est qu'il n'a jamais t dans la ligne philosophique qui s'est dveloppe partir des investigations cartsiennes dites du cogito

    qu'il n'a jamais t qu'un seul sujet que j'pinglerai, pour terminer, sous cette forme : le sujet suppos savoir .

  • 20

    Il faut ici que vous pourvoyiez cette formule du retentissement spcial qui, en quelque sorte, porte avec lui son ironie, sa question, et remarquiez qu' la reporter sur la phnomnologie

    et nommment sur la phnomnologie hglienne la fonction de ce le sujet suppos savoir prend sa valeur d'tre apprcie quant la fonction synchronique qui se dploie en ce propos. Sa prsence toujours l, depuis le dbut de l'interrogation phnomnologique, un certain point, un certain nud de la structure nous permettra de nous dprendre du dploiement diachronique cens nous mener au savoir absolu . Ce savoir absolu lui-mme

    nous le verrons la lumire de cette question prend une valeur singulirement rfutable, mais seulement en ceci aujourd'hui : arrtons-nous poser cette motion de dfiance d'attribuer ce suppos savoir, comme savoir suppos, qui que ce soit, mais surtout de nous garder de supposer, subjicere, aucun sujet au savoir. Le savoir est intersubjectif, ce qui ne veut pas dire qu'il est le savoir de tous, mais qu'il est le savoir de l'Autre, avec un grand A. Et l'Autre

    nous l'avons pos, il est essentiel de le maintenir comme tel

    l'Autre n'est pas un sujet : c'est un lieu , auquel on s'efforce depuis ARISTOTE de transfrer les pouvoirs du sujet. Bien sr, de ces efforts, il reste ce que HEGEL a dploy comme l'histoire du sujet. Mais cela ne veut absolument pas dire que le sujet en sache un ppin de plus sur ce de quoi il retourne. Il n'a si je puis dire, d'moi qu'en fonction d'une supposition indue, savoir : que l'Autre sache, qu'il y ait un savoir absolu. Mais l'Autre en sait encore moins que lui, pour la bonne raison justement qu'il n'est pas un sujet. L'Autre est le dpotoir des reprsentants reprsentatifs de cette supposition de savoir, et c'est ceci que nous appelons l'inconscient pour autant que le sujet s'est perdu lui-mme dans cette supposition de savoir .

  • 21

    Il entrane a son insu, et a ce sont les dbris qui lui reviennent de ce que ptit sa ralit dans cette chose : dbris plus ou moins mconnaissables. Il les voit revenir, il peut dire, ou non dire : c'est bien a , ou bien ce n'est pas a du tout , c'est tout fait a tout de mme. La fonction du sujet dans DESCARTES : c'est ici que nous reprendrons la prochaine fois notre discours, avec les rsonances que nous lui trouvons dans l'analyse. Nous essaierons la prochaine fois, de reprer les rfrences la phnomnologie du nvros obsessionnel dans une scansion signifiante o le sujet se trouve immanent toute articulation.

  • 22

    22 Novembre 1961 Table des sances Vous avez pu constater, non sans satisfaction, que j'ai pu vous introduire la dernire fois notre propos de cette anne par une rflexion qui en apparence pourrait passer pour bien philosophante, puisqu'elle portait justement sur une rflexion philosophique - celle de DESCARTES - sans entraner de votre part, me semble-t-il, trop de ractions ngatives. Bien loin de l, il semble qu'on m'ait fait confiance pour la lgitimit de sa suite. Je me rjouis de ce sentiment de confiance que je voudrais pouvoir traduire, en ce qu'on a tout au moins ressenti o je voulais, par l, vous mener. Nanmoins pour que vous ne preniez pas

    en ceci que je vais continuer aujourd'hui sur le mme thme

    le sentiment que je m'attarde, j'aimerais poser que telle est bien notre fin dans ce mode que nous abordons, de nous engager sur ce chemin. Disons-le tout de suite, d'une formule que tout notre dveloppement par la suite clairera : ce que je veux dire, c'est que pour nous analystes, ce que nous entendons par identification

    parce que c'est ce que nous rencontrons dans l'identification, dans ce qu'il y a de concret dans notre exprience concernant l'identification

    c'est une identification de signifiant. Relisez dans le Cours de linguistique 9 un des nombreux passages o DE SAUSSURE s'efforce de serrer, comme il le fait sans cesse en la cernant, la fonction du signifiant, et vous verrez

    je le dis entre parenthses que tous mes efforts n'ont pas t finalement sans laisser la porte ouverte ce que j'appellerai moins des diffrences d'interprtation que de vritables divergences dans l'exploitation possible de ce qu'il a ouvert avec cette distinction si essentielle de signifiant et de signifi.

    9 Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique gnrale, Paris, Payot, 1972.

  • 23

    Peut-tre pourrais-je toucher incidemment pour vous, pour qu'au moins vous en repriez l'existence, la diffrence qu'il y a entre telle ou telle cole :

    - celle de Prague laquelle JAKOBSON, auquel je me rfre si souvent, appartient,

    - de celle de Copenhague laquelle HJELMSLEV10 a donn son orientation sous un titre que je n'ai jamais encore voqu devant vous de la glossmatique.

    Vous verrez, il est presque fatal que je sois amen y revenir puisque nous ne pourrons pas faire un pas sans tenter d'approfondir cette fonction du signifiant, et par consquent son rapport au signe. Vous devez tout de mme d'ores et dj savoir

    je pense que mme ceux d'entre vous qui ont pu croire, voire jusqu' me le reprocher, que je rptais JAKOBSON

    qu'en fait la position que je prends ici est en avance, en flche par rapport celle de JAKOBSON, concernant la primaut que je donne la fonction du signifiant dans toute ralisation, disons, du sujet. Le passage de DE SAUSSURE auquel je faisais allusion tout l'heure

    je ne le privilgie ici que pour sa valeur d'image

    c'est celui o il essaie de montrer quelle est la sorte d'identit qui est celle du signifiant en prenant l'exemple de l'express de 10 h 15 . L'express de 10 h 15, dit-il, est quelque chose de parfaitement dfini dans son identit, c'est l'express de 10 h 15, malgr que, manifestement, les diffrents express de 10 h 15 qui se succdent toujours identiques chaque jour, n'aient absolument, ni dans leur matriel, voire mme dans la composition de leur chane, que des lments voire une structure relle diffrente. Bien sr, ce qu'il y a de vrai dans une telle affirmation suppose prcisment, dans la constitution d'un tre comme celui de l'express de 10 h 15, un fabuleux enchanement d'organisations signifiantes entrer dans le rel par le truchement des tres parlants.

    10 Louis Hjelmslev, Prolgomnes une thorie du langage, Paris, Minuit, 2000.

  • 24

    Il reste que ceci a une valeur en quelque sorte exemplaire, pour bien dfinir ce que je veux dire quand je profre d'abord ce que je vais essayer pour vous d'articuler, ce sont les lois de l'identification en tant qu'identification de signifiant. Pointons mme, comme un rappel, que

    pour nous en tenir une opposition qui, pour vous, soit un suffisant support

    ce qui s'y oppose, ce de quoi elle se distingue, ce qui ncessite que nous laborions sa fonction c'est que l'identification de qui par l elle se distancie, c'est de l'identification imaginaire. Celle dont il y a bien longtemps j'essayais de vous montrer l'extrme

    l'arrire-plan du stade du miroir dans ce que j'appellerai l'effet organique de l'image du semblable, l'effet d'assimilation que nous saisissons en tel ou tel point de l'histoire naturelle, et l'exemple dont je me suis plu montrer in vitro sous la forme de cette petite bte qui s'appelle le criquet plerin et dont vous savez que l'volution, la croissance

    l'apparition de ce qu'on appelle l'ensemble des phanres, de ce comme quoi nous pouvons le voir dans sa forme

    dpend en quelque sorte d'une rencontre qui se produit tel moment de son dveloppement, des stades, des phases de la transformation larvaire, o selon que lui seront apparus - ou non - un certain nombre de traits de l'image de son semblable, il voluera - ou non - selon les cas, selon la forme que l'on appelle solitaire ou la forme que l'on appelle grgaire. Nous ne savons pas du tout, nous ne savons mme qu'assez peu de choses des chelons de ce circuit organique qui entranent de tels effets, ce que nous savons, c'est qu'il est exprimentalement assur. Rangeons-le dans la rubrique trs gnrale des effets d'image dont nous retrouverons toutes sortes de formes des niveaux trs diffrents de la physique et jusque dans le monde inanim, vous le savez, si nous dfinissons l'image comme tout arrangement physique qui a pour rsultat entre deux systmes de constituer une concordance bi-univoque, quelque niveau que ce soit.

  • 25

    C'est une formule fort convenable, et qui s'appliquera aussi bien l'effet que je viens de dire par exemple, qu' celui de la formation d'une image, mme virtuelle, dans la nature par l'intermdiaire d'une surface plane, que ce soit celle du miroir ou celle que j'ai longtemps voque, de la surface du lac qui reflte la montagne.11 Est-ce dire que comme c'est la tendance

    et tendance qui s'tale sous l'influence d'une espce, je dirais d'ivresse, qui saisit rcemment la pense scientifique, du fait de l'irruption de ce qui n'est en son fond que la dcouverte de la dimension de la chane signifiante comme telle mais qui, dans de toutes sortes de faons, va tre rduite par cette pense des termes plus simples, et trs prcisment c'est ce qui s'exprime dans les thories dites de l'information

    est-ce dire qu'il soit juste sans autre connotation

    de nous rsoudre caractriser la liaison entre les deux systmes

    dont l'un est par rapport l'autre l'image par cette ide de l'information, qui est trs gnrale, impliquant certains chemins parcourus par ce quelque chose qui vhicule la concordance biunivoque ? C'est bien l que gt une trs grande ambigut, je veux dire celle qui ne peut aboutir qu' nous faire oublier les niveaux propres de ce que doit comporter l'information si nous voulons lui donner une autre valeur que celle, vague, qui n'aboutirait en fin de compte qu' donner une sorte de rinterprtation, de fausse consistance ce qui jusque-l avait t subsum

    et ceci depuis l'Antiquit jusqu' nos jours sous la notion de la forme : quelque chose qui prend, enveloppe, commande les lments, leur donne un certain type de finalit qui est celui, dans l'ensemble, de l'ascension :

    - de l'lmentaire vers le complexe, - de l'inanim vers l'anim.

    C'est quelque chose qui a sans doute son nigme et sa valeur propre, son ordre de ralit, mais qui est distinct

    c'est ce que j'entends articuler ici avec toute sa force

    11 Cf. sminaire1953-54, Le moi, sance du 08-12-54.

  • 26

    de ce que nous apporte de nouveau dans la nouvelle perspective scientifique, la mise en valeur, le dgagement, de ce qui est apport par l'exprience du langage et de ce que le rapport au signifiant nous permet d'introduire comme dimension originale

    qu'il s'agit de distinguer radicalement du rel sous la forme de la dimension symbolique. Ce n'est pas, vous le voyez, par l que j'aborde le problme de ce qui va nous permettre de scinder cette ambigut. D'ores et dj tout de mme j'en ai dit assez pour que vous sachiez, que vous ayez dj senti, apprhend dans ces lments d'information signifiante, l'originalit qu'apporte le trait, disons, de srialit qu'il comporte. Trait aussi de discrtion , je veux dire de coupure, ceci que SAUSSURE n'a pas articul mieux, ni autrement, que de dire que ce qui les caractrise chacun, c'est d'tre ce que les autres ne sont pas. Diachronie et synchronie sont les termes auxquels je vous ai indiqu de vous rapporter. Encore tout ceci n'est-il pas pleinement articul : la distinction devant tre faite de cette diachronie de fait

    trop souvent elle est seulement ce qui est vis dans l'articulation des lois du signifiant

    la diachronie de droit par o nous rejoignons la structure. De mme la synchronie : a n'est point tout en dire

    loin de l que d'en impliquer la simultanit virtuelle dans quelque sujet suppos du code. Car c'est l retrouver ce dont la dernire fois je vous montrais que pour nous, il y a l une entit pour nous intenable. Je veux dire donc que nous ne pouvons nous contenter d'aucune faon d'y recourir, car ce n'est qu'une des formes de ce que je dnonais la fin de mon discours de la dernire fois sous le nom du sujet suppos savoir .

  • 27

    C'est l ce pourquoi je commence de cette faon cette anne mon introduction la question de l'identification, c'est qu'il s'agit :

    - de partir de la difficult mme, - de celle qui nous est propose du fait mme

    de notre exprience, - de ce d'o elle part, - de ce partir de quoi il nous faut

    l'articuler, la thoriser. C'est que nous ne pouvons

    mme l'tat de vise, promesse du futur d'aucune faon nous rfrer

    comme HEGEL le fait aucune terminaison possible

    justement parce que nous n'avons aucun droit la poser comme possible

    du sujet dans un quelconque savoir absolu. Ce sujet suppos savoir , il faut que nous apprenions nous en passer tous les moments. Nous ne pouvons y recourir aucun moment. Ceci est exclu par une exprience que nous avons dj

    depuis le sminaire sur Le dsir et son interprtation12, premier trimestre, qui a t publi

    c'est trs prcisment ce qui m'a sembl en tout cas ne pouvoir tre suspendu de cette publication, car c'est l le terme de toute une phase de cet enseignement que nous avons fait : c'est que ce sujet qui est le ntre, ce sujet que j'aimerais aujourd'hui interroger pour vous propos de la dmarche cartsienne, c'est le mme dont ce premier trimestre je vous ai dit que nous ne pouvions pas l'approcher plus loin qu'il n'est fait dans ce rve exemplaire qui l'articule tout entier autour de la phrase :

    Il ne savait pas qu'il tait mort. En toute rigueur, c'est bien l

    contrairement l'opinion de POLITZER13 le sujet de l'nonciation, mais en troisime personne, que nous pouvons le dsigner. 12 Sminaire Le dsir et son interprtation, 1958-59, rsum par J.B.Pontalis, Bulletin de Psychologie, 1960, vol. XIII, n5 et 6. 13 Politzer : Critique des fondements de la psychologie, Paris, PUF, 1967.

  • 28

    Ce n'est pas dire, bien sr, que nous ne puissions l'approcher en premire personne, mais cela sera prcisment savoir qu' le faire

    et dans l'exprience la plus pathtiquement accessible il se drobe, car le traduire dans cette premire personne, c'est cette phrase que nous aboutirons dire ce que nous pouvons dire justement, dans la mesure pratique o nous pouvons nous confronter avec ce chariot du temps, comme dit John DONNE hurrying near 14, il nous talonne, et dans ce moment d'arrt o nous pouvons prvoir le moment ultime, celui prcisment o tout dj nous lchera, nous dire : Je ne savais pas que je vivais d'tre mortel. Il est bien clair que c'est dans la mesure o nous pourrons nous dire l'avoir oubli presque tout instant que nous serons mis dans cette incertitude, pour laquelle il n'y a aucun nom, ni tragique, ni comique, de pouvoir nous dire, au moment de quitter notre vie, qu' notre propre vie nous aurons toujours t en quelque mesure tranger. C'est bien l ce qui est le fond de l'interrogation philosophique la plus moderne, ce par quoi

    mme pour ceux qui n'y entravent, si je puis dire, que fort peu, voire ceux-l mmes qui font tat de leur sentiment de cette obscurit

    tout de mme quelque chose passe - quoi qu'on en dise - quelque chose passe d'autre que la vague d'une mode dans la formule nous rappelant au fondement existentiel de l'tre pour la mort . Cela n'est pas l un phnomne contingent. quelles qu'en soient les causes, quelles qu'en soient les corrlations, voire mme la porte, on peut le dire que ce qu'on peut appeler la profanation des grands fantasmes forgs pour le dsir par le mode de pense religieuse, est l ce qui

    nous laissant dcouverts, voire inermes suscite quelque chose : ce creux, ce vide, quoi s'efforce de rpondre cette mditation philosophique moderne, et quoi notre exprience a quelque chose aussi apporter, puisque c'est l sa place l'instant que je vous dsigne suffisamment, la mme place o ce sujet se constitue comme ne pouvant savoir, prcisment ce dont pourquoi il s'agit l pour lui du Tout . 14 Plutt Andrew Marvell (1621-1678) : To His Coy Mistress : But at my back I always hear Time's wingd chariot hurrying near;

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    C'est l le prix de ce que nous apporte DESCARTES, et c'est pourquoi il tait bon d'en partir. C'est pourquoi j'y reviens aujourd'hui, car il convient de reparcourir pour remesurer ce dont il s'agit dans ce que vous avez pu entendre que je vous dsignais comme l'impasse, voire l'impossible du Je pense, donc je suis . C'est justement cet impossible qui fait son prix et sa valeur. Ce sujet que nous propose DESCARTES, si ce n'est l que le sujet autour de quoi la cogitation de toujours tournait avant, tourne depuis, il est clair que nos objections dans notre dernier discours prennent tout leur poids le poids mme impliqu dans l'tymologie du verbe franais penser qui ne veut dire rien d'autre que peser . Quoi fonder sur je pense , o nous savons, nous analystes, que ce quoi je pense que nous pouvons saisir, renvoie :

    - un de quoi, - et d'o, - partir de quoi je pense qui se drobe ncessairement ?

    Et c'est bien pourquoi la formule de DESCARTES nous interroge de savoir s'il n'y a pas du moins ce point privilgi du je pense pur, sur lequel nous puissions nous fonder. Et c'est pourquoi il tait tout au moins important que je vous arrte un instant. Cette formule semble impliquer qu'il faudrait que le sujet se soucie de penser tout instant pour s'assurer d'tre, condition dj bien trange, mais encore suffit-elle ? Suffit-il qu'il pense tre pour qu'il touche l'tre pensant ? Car c'est bien cela o DESCARTES, dans cette incroyable magie du discours des deux premires Mditations, nous suspend.

  • 30

    Il arrive faire tenir - je dis : dans son texte - et non pas une fois, que le professeur de philosophie en aura pch le signifiant, et trop facilement montrera l'artifice qui rsulte de formuler qu'ainsi pensant, je puis me dire une chose qui pense - c'est trop facilement rfutable, mais qui ne retire rien de la force de progrs du texte - ceci prs qu'il nous faut bien interroger cet tre pensant, nous demander si ce n'est pas le participe d'un trepenser , crire l'infinitif et en un seul mot : J'trepense , comme on dit j'outrecuide , comme nos habitudes d'analystes nous font dire je compense , voire je dcompense , je surcompense . C'est le mme terme, et aussi lgitime dans sa composition. Ds lors, le je penstre qu'on nous propose pour nous y introduire, peut paratre, dans cette perspective, un artifice mal tolrable puisque aussi bien, formuler les choses ainsi, l'tre dj dtermine le registre dans lequel s'inaugure toute ma dmarche : ce je penstre , je vous l'ai dit la dernire fois, ne peut

    mme dans le texte de DESCARTES se connoter que des traits du leurre et de l'apparence. Je penstre n'apporte avec lui aucune autre consistance plus grande que celle du rve o effectivement DESCARTES, plusieurs temps de sa dmarche, nous a laisss suspendus. Le je penstre peut lui aussi se conjuguer comme un verbe, mais il ne va pas loin, je penstre, tu penstres, avec l's si vous voulez la fin, cela peut aller encore, voire il penstre . Tout ce que nous pouvons dire c'est que si nous en faisons les temps du verbe d'une sorte d'infinitif penstrer , nous ne pourrons que le connoter de ceci qui s'crit dans les dictionnaires : que toutes les autres formes, passe la troisime personne du singulier du prsent, sont inusites en franais. Si nous voulons faire de l'humour nous ajouterons qu'elles sont supples ordinairement par les mmes formes du verbe complmentaire de penstrer , le verbe s'emptrer. Qu'est-ce dire ?

  • 31

    C'est que l'acte d' trepenser

    car c'est de cela qu'il s'agit ne dbouche pour qui pense qui ? , que sur un peut-tre ai-je ? , peut-tre je ? . Et aussi bien je ne suis pas le premier ni le seul depuis toujours avoir remarqu le trait de contrebande de l'introduction de ce je dans la conclusion :

    Je pense, donc je suis . Il est bien clair que ce je reste l'tat problmatique et que jusqu' la suivante dmarche de DESCARTES

    et nous allons voir laquelle il n'y a aucune raison qu'il soit prserv de la remise en question totale que fait DESCARTES de tout le procs, par la mise en profil, pour les fondements de ce procs, de la fonction du Dieu trompeur. Vous savez qu'il va plus loin

    le Dieu trompeur c'est encore un bon Dieu, pour tre l, pour me bercer d'illusions

    il va jusqu'au malin gnie, au menteur radical, celui qui m'gare pour m'garer, c'est ce qu'on a appel le doute hyperbolique . On ne voit aucunement comment ce doute a pargn ce je et le laisse donc proprement parler dans une vacillation fondamentale, ce sur quoi je veux attirer votre attention. Il y a deux faons - cette vacillation - de l'articuler : l'articulation classique :

    - celle qui se trouve dj - je l'ai retrouve avec plaisir - dans la Psychologie de BRENTANO 15.

    - Celle que BRENTANO rapporte trs juste titre Saint-THOMAS DAQUIN16 savoir que l'tre ne saurait se saisir comme pense que d'une faon alternante : c'est dans une succession de temps alternants qu'il pense, que sa mmoire s'approprie sa ralit pensante sans qu' aucun instant puisse se conjoindre cette pense dans sa propre certitude.

    15 F.C. Brentano, Psychologie du point de vue empirique, Paris, Aubier Montaigne, Coll. Titres Inactifs 2007. 16 Cf. Thomas DAquin, Somme thologique, I, Q.85, 86,87.

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    - L'autre mode, qui est celui qui nous mne plus proches de la dmarche cartsienne, c'est de nous apercevoir justement du caractre proprement parler vanouissant de ce je , de nous faire voir que le vritable sens de la premire dmarche cartsienne, c'est de s'articuler comme un :

    Je pense et je ne suis .

    Bien sr, on peut s'attarder aux approches de cette assomption et nous apercevoir que :

    Je dpense penser, tout ce que je peux avoir d'tre . Qu'il soit clair qu'en fin de compte c'est de cesser de penser que je peux entrevoir que je sois tout simplement. Ce ne sont l qu'abords. Le Je pense et je ne suis introduit pour nous toute une succession de remarques, justement de celles dont je vous parlais la dernire fois concernant la morphologie du franais, celle d'abord sur ce Je , tellement - dans notre langue - plus dpendant dans sa forme de premire personne que dans l'anglais ou l'allemand par exemple, ou le latin, o la question qui est-ce qui l'a fait ? vous pouvez rpondre : I, Ich, ego, mais non pas Je en franais, mais c'est moi ou pas moi . Mais Je est autre chose, ce Je dans le parler si facilement lid grce aux proprits dites muettes de sa vocalise, ce Je qui peut tre un J'sais pas c'est--dire que le e disparat. Mais J'sais pas est autre chose

    vous le sentez bien pour tre de ceux qui ont du franais une exprience originale

    que le je ne sais . Le je ne sais est un je sais sans savoir . Le ne du je ne sais porte non pas sur le sais , mais sur le je . C'est pour cela aussi que, contrairement ce qui se passe dans ces langues voisines auxquelles, pour ne pas aller plus loin je fais allusion l'instant, c'est avant le verbe que porte cette partie dcompose, appelons-la comme cela pour l'instant, de la ngation qu'est le ne en franais. Bien sr, le ne n'est-il pas propre au franais,

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    ni unique, le ne latin se prsente pour nous avec toute la mme problmatique, que je ne fais aussi bien ici que d'introduire et sur laquelle nous reviendrons. Vous le savez, j'ai dj fait allusion ce que PICHON17, propos de la ngation en franais, y a apport d'indications. Je ne pense pas

    et ce n'est pas non plus nouveau, je vous l'ai indiqu en ce mme temps18

    que les formulations de PICHON sur le forclusif et le discordantiel puissent rsoudre la question

    encore qu'elles l'introduisent admirablement mais le voisinage, le frayage naturel dans la phrase franaise du je avec la premire partie de la ngation, je ne sais est quelque chose qui rentre dans ce registre de toute une srie de faits concordants, autour de quoi je vous signalais l'intrt de l'mergence particulirement significative dans un certain usage linguistique des problmes qui se rapportent au sujet comme tel dans ses rapports au signifiant. Ce quoi donc je veux en venir c'est ceci : que si nous nous trouvons

    plus facilement que d'autres mis en garde lendroit de HEGEL contre ce mirage du savoir absolu , celui dont c'est dj suffisamment le rfuter que de le traduire dans le repos repu d'une sorte de septime jour colossal en ce Dimanche de la vie 19 o l'animal humain enfin pourra s'enfoncer le museau dans l'herbe, la grande machine tant dsormais rgle au dernier carat de ce nant matrialis qu'est la conception du savoir. Bien sr, l'tre aura enfin trouv sa part et sa rserve dans sa stupidit dsormais dfinitivement embercaille, et l'on suppose que du mme coup sera arrach, avec l'excroissance pensante, son pdoncule, savoir : le souci20. Mais ceci, du train o vont les choses, lesquelles sont faites, malgr son charme, pour voquer 17 E. Pichon & J. Damourette, Des mots la pense. Essai de grammaire de la langue franaise, Vrin (2000) Coll. VARIA. 18 Cf. sminaire Le dsir, sances des 10-12 et 17-12-1958. 19 Cf. R. Queneau, citant Hegel en exergue de Le dimanche de la vie , Gallimard, 1952, Folio n442, 1973 : "... c'est le dimanche de la vie, qui nivelle tout et loigne tout ce qui est mauvais ; des hommes dous d'une aussi bonne humeur ne peuvent tre foncirement mauvais ou vils." 20 Martin Heidegger, tre et temps (Sein und Zeit), nouvelle traduction intgrale par Emmanuel Martineau , hors commerce.

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    qu'il y a l quelque chose d'assez parent ce quoi nous nous exerons avec, je dois dire, beaucoup plus de fantaisie et d'humour : ce sont les diverses amusettes de ce qu'on appelle communment la science-fiction , lesquelles montrent sur ce thme que toutes sortes de variations sont possibles. ce titre, bien sr, DESCARTES ne parat pas en mauvaise posture. Si on peut peut-tre dplorer qu'il n'en ait pas su plus long sur ces perspectives du savoir, c'est ce seul titre que s'il en et su plus long, sa morale en eut t moins courte, mais

    mis part ce trait que nous laissons ici provisoirement de ct

    pour la valeur de sa dmarche initiale, bien loin de l, il en rsulte tout autre chose. Les professeurs, propos du doute cartsien, s'emploient beaucoup souligner qu'il est mthodique. Ils y tiennent normment. Mthodique, cela veut dire doute froid . Bien sr, mme dans un certain contexte, on consommait des plats refroidis, mais la vrit je ne crois pas que ce soit la juste faon de considrer les choses. Non pas que je veuille d'aucune faon vous inciter considrer le cas psychologique de DESCARTES, si passionnant que ceci puisse apparatre de retrouver, dans sa biographie, dans les conditions de sa parent, voire de sa descendance, quelques-uns de ces traits qui, rassembls, peuvent faire une figure au moyen de quoi nous retrouverons les caractristiques gnrales d'une psychasthnie, voire d'engouffrer dans cette dmonstration le clbre passage des porte-manteaux humains [ Cf. Mditation seconde ], ces sortes de marionnettes autour de quoi il semble possible de restituer une prsence que, grce tout le dtour de sa pense, on voit prcisment ce moment-l en train de se dployer, je n'en vois pas beaucoup l'intrt. Ce qui m'importe, c'est qu'aprs avoir tent de faire sentir que la thmatique cartsienne est injustifiable logiquement, je puisse raffirmer qu'elle n'est pas pour autant irrationnelle. Elle n'est pas plus irrationnelle que le dsir n'est irrationnel de ne pouvoir tre articulable, simplement parce qu'il est un fait articul, comme je crois que c'est tout le sens de ce que je vous dmontre depuis un an : de vous montrer comment il l'est. Le doute de DESCARTES, on l'a soulign

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    et je ne suis pas non plus le premier le faire est un doute bien diffrent du doute sceptique bien sr. Auprs du doute de DESCARTES, le doute sceptique se dploie tout entier au niveau de la question du rel. Contrairement ce qu'on croit, il est loin de le mettre en cause : il y rappelle, il y rassemble son monde. Et tel Sceptique dont tout le discours nous rduit ne plus tenir pour valable que la sensation, ne la fait pas du tout pour autant s'vanouir, il nous dit qu'elle a plus de poids, qu'elle est plus relle que tout ce que nous pouvons construire son propos. Ce doute sceptique a sa place, vous le savez, dans la Phnomnologie de l'Esprit de HEGEL21 : il est un temps de cette recherche, de cette qute quoi s'est engag par rapport lui-mme le savoir, ce savoir qui n'est qu'un savoir pas encore , donc qui de ce fait est un savoir dj . Ce n'est pas du tout ce quoi DESCARTES s'attaque. DESCARTES n'a nulle part sa place dans la Phnomnologie de l'Esprit : il met en question le sujet lui-mme et, malgr qu'il ne le sache pas, c'est du sujet suppos savoir qu'il s'agit. Ce n'est pas de se reconnatre dans ce dont l'esprit est capable qu'il s'agit pour nous, c'est du sujet lui-mme comme acte inaugural qu'il est question. C'est je crois :

    - ce qui fait le prestige, - ce qui fait la valeur de fascination, - ce qui fait l'effet de tournant qu'a eu

    effectivement dans l'histoire cette dmarche insense de DESCARTES,

    c'est qu'elle a tous les caractres de ce que nous appelons dans notre vocabulaire un passage l'acte . Le premier temps de la mditation cartsienne a le trait d'un passage l'acte : il se situe au niveau de ce qua de ncessairement insuffisant, et en mme temps ncessairement primordial, toute tentative ayant le rapport le plus radical, le plus originel au dsir. Et la preuve : c'est bien ce quoi il est conduit dans la dmarche qui succde immdiatement.

    21 G.W.F. Hegel, La phnomnologie de l'Esprit, Paris, Aubier, 1998, Coll. Philosophie de l'esprit.

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    Celle qui succde immdiatement, la dmarche du Dieu trompeur, qu'est-elle ? Elle est l'appel quelque chose que

    pour la mettre en contraste avec les preuves antrieures, bien entendu non annulables, de l'existence de Dieu

    je me permettrai d'opposer comme le verissimum l'entissimum : pour Saint ANSELME22, Dieu c'est le plus tre des tres . Le Dieu dont il s'agit ici, celui que fait entrer DESCARTES ce point de sa thmatique, est ce Dieu qui doit assurer la vrit de tout ce qui s'articule comme tel : c'est le vrai du vrai , le garant que la vrit existe. Et d'autant plus garant qu'elle pourrait tre autre, nous dit DESCARTES, cette vrit comme telle, qu'elle pourrait tre - si ce Dieu-l le voulait - qu'elle pourrait tre proprement parler l'erreur. Qu'est-ce dire ? Sinon que nous nous trouvons l dans tout ce qu'on peut appeler la batterie du signifiant, confronts ce trait unique, cet einziger Zug que nous connaissons dj, pour autant qu' la rigueur il pourrait tre substitu tous les lments de ce qui constitue la chane signifiante, la supporter cette chane lui seul, et simplement d'tre toujours le mme. Ce que nous trouvons la limite de l'exprience cartsienne comme telle du sujet vanouissant, c'est la ncessit de ce garant, du trait de structure le plus simple, du trait unique si j'ose dire, absolument dpersonnalis, non pas seulement de tout contenu subjectif, mais mme de toute variation qui dpasse cet unique trait, de ce trait qui est Un d'tre le trait unique. La fondation de l'UN que constitue ce trait n'est nulle part prise ailleurs que dans son unicit. Comme tel on ne peut dire de lui autre chose sinon qu'il est ce qu'a de commun tout signifiant : d'tre avant tout constitu comme trait, d'avoir ce trait pour support. Est-ce que nous allons pouvoir, autour de cela,

    22 Saint Anselme de Cantorbery (1033 - 21 avril 1109) Fides quaerens intellectum, d. Labor & Fides 1989.

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    nous rencontrer dans le concret de notre exprience ? Je veux dire ce que vous voyez dj pointer, savoir : la substitution

    dans une fonction qui a donn tellement de mal la pense philosophique, savoir cette pente presque ncessairement idaliste qu'a toute articulation du sujet dans la tradition classique

    lui substituer cette fonction d'idalisation :

    - en tant que sur elle repose cette ncessit structurale qui est la mme que j'ai dj devant vous articule sous la forme de l'idal du moi,

    - en tant que c'est partir de ce point, non pas mythique, mais parfaitement concret d'identification inaugurale du sujet au signifiant radical, non pas de l'UN plotinien, mais du trait unique comme tel, que toute la perspective du sujet comme ne sachant pas peut se dployer d'une faon rigoureuse.

    C'est ce que

    aprs vous avoir fait passer aujourd'hui sans doute par des chemins dont je vous rassure en vous disant que c'est srement le sommet le plus difficile de la difficult par laquelle j'ai vous faire passer qui est franchi aujourd'hui

    c'est ce que je pense pouvoir devant vous d'une faon plus satisfaisante, plus faite pour nous faire retrouver nos horizons pratiques

    commencer de formuler.

  • 38

    29 Novembre 1961 Table des sances Je vous ai donc amens la dernire fois ce signifiant qu'il faut que soit en quelque faon le sujet pour qu'il soit vrai que le sujet est signifiant. Il s'agit trs prcisment du Un en tant que trait unique :

    Nous pourrons raffiner sur le fait que l'instituteur crit le un comme cela : 1, avec une barre montante qui indique en quelque sorte d'o il merge. Ce ne sera pas un pur raffinement d'ailleurs parce qu'aprs tout c'est justement ce que nous aussi nous allons faire : essayer de voir d'o il sort. Mais nous n'en sommes pas l ! Alors, histoire d'accommoder votre vision mentale fortement embrouille par les effets d'un certain mode de culture, trs prcisment celui qui laisse bant l'intervalle entre l'enseignement primaire et l'autre dit secondaire, sachez que je ne suis pas en train de vous diriger vers l' Un de PARMNIDE 23, ni l' Un de PLOTIN 24, ni l'Un d'aucune totalit dans notre champ de travail, dont on fait depuis quelque temps si grand cas. Il s'agit bien du 1 que j'ai appel tout l'heure de l'instituteur , de l'1 du lve X vous me ferez cent lignes de 1 , c'est--dire des btons, lve Y, vous avez un 1 en franais . L'instituteur sur son carnet, trace l'einziger Zug, le trait unique du signe jamais suffisant de la notation minimale. C'est de ceci qu'il s'agit, c'est du rapport de ceci avec ce quoi nous avons affaire dans l'identification.

    23 Parmnide, Le pome, par Marcel Conche, Puf , 1996, Coll. pimthe. 24 Plotin, Ennades, trad. Brehier , Les Belles Lettres, 1995.

  • 39

    Si j'tablis un rapport, il doit peut-tre commencer apparatre votre esprit comme une aurore, que a n'est pas tout de suite collaps, l'identification, ce n'est pas tout simplement ce Un, en tout cas pas tel que nous l'envisageons. Tel que nous l'envisageons, il ne peut tre

    vous le voyez dj le chemin par o je vous conduis

    que l'instrument - la rigueur - de cette identification et vous allez voir, si nous y regardons de prs, que cela n'est pas si simple. Car si ce qui pense l'trepensant de notre dernier entretien reste au rang du rel en son opacit, il ne va pas tout seul qu'il sorte de ce quelqutre o il n'est pas identifi, j'entends : pas d'un quelqutremme o il est en somme jet sur le pav de quelque tendue 25 qu'il a fallu d'abord une pense pour balayer et rendre vide. Mme pas ! Nous n'en sommes pas l. Au niveau du rel, ce que nous pouvons entrevoir, c'est l'entrevoir parmi tantd'tre

    aussi en un seul mot tantd'tre d'un trtant o il est accroch quelque mamelle, bref tout au plus capable d'baucher cette sorte de palpitation de l'tre qui fait tant rire L'Enchanteur au fond de la tombe o l'a enferm la cautle de La Dame du lac. Rappelez-vous il y a quelques annes

    l'anne du sminaire sur le Prsident SCHREBER26 l'image que j'ai voque lors du dernier sminaire de cette anne, celle potique - du Monstre Chapalu aprs qu'il se soit repu du corps des sphinx meurtris par leur saut suicidaire, cette parole

    dont rira longtemps L'Enchanteur pourrissant du Monstre Chapalu disant :

    Celui qui mange n'est plus seul. .

    Bien sr, pour quil vienne au jour de l'tre, il y a la perspective de L'Enchanteur. C'est bien elle, au fond, qui rgle tout.

    25 Cf. le concept d tendue chez Descartes. 26 Sminaire Les psychoses, Paris, Seuil, 1981, sance du 04-07 qui se termine sur une citation de lEnchanteur pourrissant de Guillaume Apollinaire.

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    Bien sr, l'ambigut vritable de cette venue au jour de la vrit est ce qui fait l'horizon de toute notre pratique, mais il ne nous est point possible de partir de cette perspective dont le mythe vous indique assez qu'elle est au-del de la limite mortelle : L'Enchanteur pourrissant dans sa tombe. Aussi n'est-ce pas l un point de vue qui soit jamais compltement abstrait de notre pense, une poque o les doigts en haillons de l'arbre de Daphn, quand ils se profileront sur le champ calcin par le champignon gant de notre toute-puissance, toujours prsent l'heure actuelle l'horizon de notre imagination, sont l pour nous rappeler l'au-del d'o peut se peser le point de vue de la vrit. Mais ce n'est pas la contingence qui fait que j'ai ici parler devant vous des conditions du vritable, c'est un incident beaucoup plus minuscule : celui qui m'a mis en demeure de prendre soin de vous en tant que poigne de psychanalystes dont je vous rappelle que de la vrit, vous n'en avez certes pas revendre, mais que quand mme c'est a votre salade, c'est ce que vous vendez. Il est clair que, venir vers vous, c'est aprs du vrai qu'on court. Je l'ai dit l'avant dernire fois que c'est du vrai de vrai qu'on cherche. C'est justement pour cela qu'il est lgitime que, concernant l'identification, je sois parti d'un texte dont j'ai essay de vous faire sentir le caractre assez unique dans l'histoire de la philosophie pour ce que la question du vritable y tant pose de faon spcialement radicale, en tant qu'elle met en cause, non point ce qu'on trouve de vrai dans le rel, mais le statut du sujet en tant qu'il est charg de l'y amener, ce vrai, dans le rel. Je me suis trouv, au terme de mon dernier discours, celui de la fois dernire, aboutir ce que je vous ai indiqu comme reconnaissable dans la figure pour nous dj repre du trait unique, de l'einziger Zug pour autant que c'est sur lui que se concentre pour nous la fonction d'indiquer la place o est suspendue dans le signifiant, o est accroche concernant le signifiant, la question de sa garantie, de sa fonction, de ce quoi a sert ce signifiant, dans l'avnement de la vrit.

  • 41

    C'est pour cela que je ne sais pas jusqu'o aujourd'hui je pousserai mon discours, mais il va tre tout entier tournant autour de la fin d'assurer dans vos esprits cette fonction du trait unique, cette fonction du 1 . Bien sr, c'est l du mme coup mettre en cause, c'est l du mme coup faire avancer

    et je pense rencontrer, de ce fait, en vous une espce d'approbation, de cur au ventre

    notre connaissance de ce que c'est que ce signifiant. Je vais commencer

    parce que cela me chante par vous faire faire un peu d'cole buissonnire. J'ai fait allusion l'autre jour une remarque

    gentille, toute ironique qu'elle ft concernant le choix de mon sujet de cette anne comme s'il n'tait point absolument ncessaire. C'est une occasion de mettre au point ceci

    ceci qui est srement un peu connexe du reproche qu'elle impliquait

    que l'identification a serait la clef tout faire, si elle vitait de se rfrer un rapport imaginaire qui seul en supporte l'exprience, savoir : le rapport au corps. Tout ceci est cohrent du mme reproche qui peut m'tre adress dans les voies que je poursuis, de vous maintenir toujours trop au niveau de l'articulation langagire telle que prcisment je m'vertue la distinguer de toute autre. De l l'ide que je mconnais ce qu'on appelle le prverbal

    que je mconnais l'animal, que je crois que l'homme en tout ceci a je ne sais quel privilge

    il n'y a qu'un pas, d'autant plus vite franchi qu'on n'a pas le sentiment de le faire. C'est - y repenser - au moment o plus que jamais cette anne je vais faire virer autour de la structure du langage tout ce que je vais vous expliquer, que je me suis retourn vers une exprience proche, immdiate, courte, sensible et sympathisante, qui est la mienne, et qui peut-tre clairera ceci : que j'ai moi aussi ma notion du prverbal qui s'articule l'intrieur du rapport du sujet au verbe d'une faon qui ne vous est peut-tre point tous apparue.

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    Auprs de moi parmi l'entourage de Mitsein o je me tiens comme Dasein

    j'ai une chienne que j'ai nomme Justine en hommage SADE, sans que - croyez-le bien - je n'exerce sur elle aucun svice orient. Ma chienne

    mon sens et sans ambigut parle. Ma chienne a la parole sans aucun doute. Ceci est important, car cela ne veut pas dire qu'elle ait totalement le langage. La mesure dans laquelle elle a la parole sans avoir le rapport humain au langage est une question d'o il vaut la peine d'envisager le problme du prverbal . Qu'est-ce que fait ma chienne quand elle parle, mon sens ? Je dis qu'elle parle, pourquoi ? Elle ne parle pas tout le temps : elle parle

    contrairement beaucoup d'humains uniquement dans les moments o elle a besoin de parler. Elle a besoin de parler dans des moments d'intensit motionnelle et de rapports l'autre, moi-mme, et quelques autres personnes. La chose se manifeste par des sortes de petits couinements pharingaux. Cela ne se limite pas l. La chose est particulirement frappante et pathtique se manifester dans un quasi-humain qui fait que j'ai aujourd'hui l'ide de vous en parler : c'est une chienne boxer, et vous voyez sur ce facis quasi humain

    assez nandertalien en fin de compte apparatre un certain frmissement de la lvre, spcialement suprieure

    sous ce mufle, pour un humain un peu relev, mais enfin, il y a des types comme cela : j'ai eu une gardienne qui lui ressemblait normment

    et ce frmissement labial, quand il lui arrivait de communiquer - la gardienne - avec moi en tels sommets intentionnels, n'tait point sensiblement diffrent.

  • 43

    L'effet de souffle sur les joues de l'animal n'voque pas moins sensiblement tout un ensemble de mcanismes de type proprement phonatoire qui, par exemple, prterait tout fait aux expriences clbres qui furent celles de l'abb ROUSSELOT27, fondateur de la phontique. Vous savez qu'elles sont fondamentales et consistent essentiellement faire habiter les diverses cavits dans lesquelles se produisent les vibrations phonatoires par de petits tambours, poires, instruments vibratiles qui permettent de contrler quels niveaux et quels temps viennent se superposer les lments divers qui constituent l'mission d'une syllabe, et plus prcisment tout ce que nous appelons le phonme, car ces travaux phontiques sont les antcdents naturels de ce qui s'est ensuite dfini comme phonmatique. Ma chienne a la parole, c'est incontestable, indiscutable, non seulement de ce que les modulations qui rsultent de ses efforts proprement articuls, dcomposables, inscriptibles in loco, mais aussi des corrlations du temps o ce phnomne se produit, savoir la cohabitation dans une pice o l'exprience a dit l'animal :

    - que le groupe humain runi autour de la table doit rester longtemps,

    - que quelques reliefs de ce qui se passe ce moment-l, savoir les agapes, doivent lui revenir.

    Il ne faut pas croire que tout soit centr sur le besoin : il y a une certaine relation sans doute avec cet lment de consommation mais l'lment communionel du fait qu'elle consomme avec les autres y est aussi prsent. Qu'est-ce qui distingue cet usage

    en somme trs suffisamment russi pour les rsultats qu'il s'agit d'obtenir chez ma chienne

    de la parole, d'une parole humaine ? Je ne suis pas en train de vous donner des mots qui prtendent couvrir tous les rsultats de la question, je ne donne des rponses qu'orientes vers ce qui doit tre pour nous ce qu'il s'agit de reprer, savoir : le rapport l'identification.

    27 Abb J.P. Rousselot, Principes de phontique exprimentale, Didier, Paris,1923.

  • 44

    Ce qui distingue cet animal parlant de ce qui se passe du fait que l'homme parle, est ceci

    qui est tout fait frappant concernant ma chienne, une chienne qui pourrait tre la vtre, une chienne qui n'a rien d'extraordinaire

    c'est que contrairement ce qui se passe chez l'homme en tant qu'il parle

    elle ne me prend jamais pour un autre. Ceci est trs clair : cette chienne boxer de belle taille et qui

    en croire ceux qui l'observent a pour moi des sentiments d'amour, se laisse aller des excs de passion envers moi dans lesquels elle prend un aspect tout fait redoutable pour les mes plus timores telles qu'il en existe, par exemple, tel niveau de ma descendance : il semble qu'on y redoute que dans les moments o elle commence me sauter dessus en couchant les oreilles et gronder d'une certaine faon, le fait qu'elle prenne mes poignets entre ses dents puisse passer pour une menace. Il n'en est pourtant rien. Trs vite

    et c'est pour cela qu'on dit qu'elle m'aime quelques mots de moi font tout rentrer dans l'ordre, voire au bout de quelques ritrations, par l'arrt du jeu. C'est qu'elle sait trs bien que c'est moi qui suis l, elle ne me prend jamais pour un autre, contrairement ce que toute votre exprience est l pour tmoigner de ce qui se passe dans la mesure o, dans l'exprience analytique, vous vous mettez dans les conditions d'avoir un sujet pur parlant , si je puis m'exprimer ainsi, comme on dit un pt pur porc. Le sujet pur parlant comme tel

    c'est la naissance mme de notre exprience est amen, du fait de rester pur parlant vous prendre toujours pour un autre. S'il y a quelque lment de progrs dans les voies o j'essaie de vous mener, c'est de vous montrer qu' vous prendre pour un autre, le sujet vous met au niveau de l'Autre, avec un grand A.

  • 45

    C'est justement cela qui manque ma chienne : il n'y a pour elle que le petit autre. Pour le grand Autre, il ne semble pas que son rapport au langage lui en donne l'accs. Pourquoi, puisqu'elle parle, n'arriverait-elle point comme nous constituer ces articulations d'une faon telle que le lieu, pour elle comme pour nous, se dveloppe de cet Autre o se situe la chane signifiante ? Dbarrassons-nous du problme en disant que c'est son odorat qui l'en empche. Et nous ne ferons que retrouver l une indication classique, savoir que la rgression organique chez l'homme de l'odorat est pour beaucoup dans son accs cette dimension Autre. Je suis bien au regret d'avoir l'air, avec cette rfrence, de rtablir la coupure entre l'espce canine et l'espce humaine. Ceci pour vous signifier que vous auriez tout fait tort de croire que le privilge par moi donn au langage participe de quelque orgueil cacher cette sorte de prjug qui ferait de l'homme, justement, quelque sommet de l'tre. Je temprerai cette coupure en vous disant que s'il manque ma chienne cette sorte de possibilit

    non dgage comme autonome avant l'existence de l'analyse

    qui s'appelle la capacit de transfert , cela ne veut pas du tout dire que a rduise avec son partenaire

    je veux dire avec moi-mme le champ pathtique de ce qu'au sens courant du terme j'appelle justement les relations humaines. Il est manifeste, dans la conduite de ma chienne

    concernant prcisment le reflux sur son propre tre des effets de confort, des positions de prestige

    qu'une grande part disons-le, pour ne pas dire la totalit, du registre de ce qui fait le plaisir de ma propre relation, par exemple avec une femme du monde, est l tout fait au complet.

  • 46

    Je veux dire que quand elle occupe une place privilgie comme celle qui consiste tre grimpe sur ce que j'appelle ma couche

    autrement dit le lit matrimonial la sorte dil dont elle me fixe en cette occasion, suspendue entre la gloire d'occuper une place dont elle repre parfaitement la signification privilgie et la crainte du geste imminent qui va l'en faire dguerpir, n'est point une dimension diffrente de ce qui pointe dans l'il de ce que j'ai appel par pure dmagogie la femme du monde : car si elle n'a pas, en ce qui concerne ce qu'on appelle le plaisir de la conversation, un spcial privilge, c'est bien le mme oeil qu'elle a, quand aprs s'tre aventure dans un dithyrambe sur tel film qui lui parait le fin du fin de l'avnement technique, elle sent sur elle suspendue de ma part la dclaration que je m'y suis emmerd jusqu' la garde , ce qui du point de vue du nihil mirari28

    qui est la loi de la bonne socit fait dj surgir en elle cette suspicion qu'elle aurait mieux fait de me laisser parler le premier. Ceci pour temprer, ou plus exactement pour rtablir le sens de la question que je pose concernant les rapports de la parole au langage, est destin introduire ce que je vais essayer de dgager pour vous concernant ce qui spcifie un langage comme tel, la langue comme on dit, pour autant que si c'est le privilge de l'homme, a n'est pas tout de suite tout fait clair pourquoi cela y reste confin. Ceci vaut d'tre pel, c'est le cas de le dire. J'ai parl de la langue. Par exemple, il n'est pas indiffrent de noter, du moins pour ceux qui n'ont pas entendu parler de ROUSSELOT ici pour la premire fois, c'est tout de mme bien ncessaire que vous sachiez au moins comment c'est fait, les rflexes de ROUSSELOT, je me permets de voir tout de suite l'importance de ceci, qui a t absent dans mon explication de tout l'heure concernant ma chienne, c'est que jai parl de quelque chose de pharyngal, de glottal, et puis de quelque chose qui frmissait tout par-ci par-l, et donc qui est enregistrable en termes de pression, de tension, mais je n'ai point parl d'effets de langue. 28 Nihil mirari, nihil lacrimari, sed intelligere (Spinoza). La formule signifiait originellement, chez les Stociens, l'acquiescement la rationalit du monde et l'absence de passions.

  • 47

    Il n'y a rien qui fasse un claquement par exemple, et encore bien moins qui fasse une occlusion :

    - il y a flottement, frmissement, souffle, - il y a toutes sortes de choses qui s'en approchent, - mais il n'y a pas d'occlusion.

    je ne veux pas aujourd'hui trop m'tendre, cela va reculer les choses concernant l 1 Tant pis, il faut prendre le temps d'expliquer les choses. Si je le souligne au passage, dites-vous le bien que ce n'est pas pour le plaisir, c'est parce que nous en retrouverons

    et nous ne pourrons le faire que bien aprs coup le sens. Ce n'est peut-tre pas un pilier essentiel de notre explication, mais cela prendra en tout cas bien son sens un moment, ce temps de l'occlusion et les tracs de ROUSSELOT, que peut-tre vous aurez consults dans l'intervalle de votre ct

    ce qui me permettra d'abrger mon explication seront peut-tre l particulirement parlants. Pour bien imager ds maintenant pour vous ce que c'est que cette occlusion, je vais vous en donner un exemple. Le phonticien touche d'un seul pas

    et ce n'est pas sans raison vous allez le voir le phonme pa et le phonme ap , ce qui lui permet de poser les principes de l'opposition de l'implosion ap l'explosion pa , et de nous montrer que la consonance du p est

    comme dans le cas de votre fille d'tre muette. Le sens du p est entre cette implosion et cette explosion. Le p s'entend prcisment de ne point s'entendre, et