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Cet article 1 examine l’adoption obligatoire en France des normes IFRS relatives aux incorporels. Une typologie des pratiques comptables liées aux incorporels à la période de transition aux normes IFRS est recherchée. Les résultats font ressortir trois classes d’entreprises affectées différemment par le passage aux normes internationales. La première classe est caractérisée par un changement important avec une forte augmentation du goodwill liée au retraitement d’immobilisations incorporelles comme les parts de marché. Les deuxième et troisième classes se caractérisent par une stabilité. Le phénomène d’inertie (Nobes, 2006) selon lequel les traitements comptables pré-IFRS pourraient perdurer sous normes IFRS est vérifié. CORINNE BESSIEUX OLLIER Groupe Sup de Co Montpellier MARIE CHAVENT VANESSA KUENTZ Université Bordeaux 1 ÉLISABETH WALLISER Université Montpellier 1 L’adoption en France des normes IFRS relatives aux incorporels Bouleversement des pratiques ou inertie ? DOI:10.3166/RFG.207.93-110 © 2010 Lavoisier, Paris DOSSIER 1. Des versions antérieures de cet article ont été présentées au congrès de l’Association francophone de comptabi- lité à Strasbourg (AFC, mai 2009), de l’European Accounting Association à Tampere (EAA, mai 2009) et de l’Ame- rican Accounting Association à New York (AAA, août 2009). Nous remercions les participants et discutants à ces congrès pour leurs remarques constructives et tout particulièrement Hervé Stolowy. Nous remercions également Alain Schatt et Franck Missonier-Piera pour leurs conseils. Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-rfg.revuesonline.com

L’adoption en France desnormes IFRS relatives aux incorporels

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Page 1: L’adoption en France desnormes IFRS relatives aux incorporels

Cet article1 examine l’adoption obligatoire en France des normesIFRS relatives aux incorporels. Une typologie des pratiquescomptables liées aux incorporels à la période de transition auxnormes IFRS est recherchée. Les résultats font ressortir troisclasses d’entreprises affectées différemment par le passage auxnormes internationales. La première classe est caractérisée parun changement important avec une forte augmentation dugoodwill liée au retraitement d’immobilisations incorporellescomme les parts de marché. Les deuxième et troisième classesse caractérisent par une stabilité. Le phénomène d’inertie(Nobes, 2006) selon lequel les traitements comptables pré-IFRSpourraient perdurer sous normes IFRS est vérifié.

CORINNE BESSIEUX OLLIERGroupe Sup de Co Montpellier

MARIE CHAVENTVANESSA KUENTZUniversité Bordeaux 1

ÉLISABETH WALLISERUniversité Montpellier 1

L’adoption en Francedes normes IFRSrelatives aux incorporelsBouleversement des pratiques ou inertie?

DOI:10.3166/RFG.207.93-110 © 2010 Lavoisier, Paris

D O S S I E R

1. Des versions antérieures de cet article ont été présentées au congrès de l’Association francophone de comptabi-lité à Strasbourg (AFC, mai 2009), de l’European Accounting Association à Tampere (EAA, mai 2009) et de l’Ame-rican Accounting Association à New York (AAA, août 2009). Nous remercions les participants et discutants à cescongrès pour leurs remarques constructives et tout particulièrement Hervé Stolowy. Nous remercions égalementAlain Schatt et Franck Missonier-Piera pour leurs conseils.

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Depuis l’adoption obligatoire au 1er janvier 2005 des normes IFRS(International Financial and

Reporting Standards) par les entrepriseseuropéennes cotées, les comptes consolidéssont établis selon des normes internatio-nales fournissant un langage comptablecommun censé assurer une plus grandehomogénéité dans la présentation de l’in-formation comptable face à l’internationali-sation croissante des marchés financiers(Whittington, 2005). Dans certains payseuropéens comme l’Allemagne, l’Autricheou la Suisse, la mise en place des normesinternationales a pu être réalisée volontaire-ment avant le 1er janvier 2005 (Ashbaugh etPincus, 2001). Cela n’a pas été le cas pourles entreprises françaises. La possibilité depréparer leurs comptes selon d’autres règlesque les normes nationales n’étant pas ins-crite dans la loi ; elles n’ont donc pas pudévelopper de manière anticipée une« expérience des normes internationales »(Delvaille et al., 2005) avant leur mise enplace obligatoire. Il nous a alors semblépertinent d’étudier les conséquences de lamise en place des IFRS sur les comptes desentreprises françaises étant donné que laFrance, d’influence continentale (Choi etMueller, 1992 ; Nobes, 1998), a une visiona priori opposée à la vision anglo-saxonneprivilégiée par les fondateurs de l’IASB(International Accounting Standards Board).Ceci laisse présager une répercussion visibledes IFRS sur les comptes des entreprisesfrançaises cotées.Notre objectif est de mettre en évidence lesconséquences de ce changement obligatoirede référentiel comptable pour une catégoried’actif spécifique : les incorporels. En effet,la controverse sur les actifs incorporels estprésente dans le débat comptable depuis

plusieurs dizaines d’années (Powell, 2003).Elle a porté aussi bien sur la comptabilisa-tion du goodwill (Brunovs et Kirsch, 1991 ;Colley et Volkan, 1988 ; Ma et Hopkins,1988 ; Henning et al., 2000) que sur cer-tains actifs spécifiques comme le capitalhumain (Lev et Schwartz, 1971), lesmarques, les logiciels ou encore les frais derecherche et développement (Mather etPeasnell, 1991 ; Power, 1992 ; Aboody etLev, 1998 ; Lev et Sougiannis, 1996, 1999).Alors même que ces éléments n’ont cesséde croître et contribuent à la création devaleur dans l’entreprise, des réticences onttoujours subsisté quant à leur prise encompte à l’actif du bilan. Des études ontmontré, qu’au sein de l’Union européenne,les réglementations et les pratiques sontrestées diversifiées entre les pays, selon lestypes d’actifs incorporels concernés, maisaussi à l’intérieur d’un même pays (Stolowyet Jeny-Cazavan, 2001). En France, en par-ticulier, des différences existaient entre lesnormes nationales françaises édictées par leComité de réglementation comptable(CRC) et les normes internationales(IFRS), promulguées par l’IASB dans ledomaine des incorporels (Bessieux-Ollieret Walliser, 2007) ce qui laisse penser quel’application obligatoire du référentielcomptable international pouvait conduire àun véritable bouleversement des pratiquesdes entreprises au regard des incorporels.Afin de déterminer si le bouleversementattendu a eu lieu, nous avons voulu établirune typologie des pratiques comptables desentreprises françaises liées aux incorporelslors du passage aux normes comptablesinternationales. À l’instar des nombreuxtravaux en comptabilité internationale quise sont attachés à classer des entreprises (oupays) en groupes aux caractéristiques simi-

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laires ou distinctives à partir des pratiquesconstatées (Nobes, 1981, 1983 ; Gray,1988 ; Doupnik et Salter, 1993, 1995 ;d’Arcy, 2001), notre objectif est de mettreen évidence des profils d’entreprises affec-tés différemment par le passage obligatoireau nouveau référentiel comptable. Uneméthode de classification novatrice : « laméthode DIV (Divisive Clustering

Method) » permettant d’opérer une classifi-cation hiérarchique descendante des entre-prises a été privilégiée. Elle a pour intérêtmajeur de pouvoir décrire un phénomène,associé à un nombre important de variables,et d’expliquer l’origine des groupes endéterminant quelle variable sépare lesentreprises. Il est alors possible de présenterune typologie d’entreprises affectées diffé-remment par le changement.Nous observons, dans une première partie,que la nature de l’impact du changement denormes comptables n’est pas si évident àprévoir malgré des divergences importantesdans les deux référentiels comptables. Ladeuxième partie présente la méthodologieemployée pour mettre en évidence destypologies d’entreprises affectées différem-ment par le changement. Enfin, nous analy-sons dans une troisième partie les résultatsobtenus.

I – DES CONCLUSIONSDISCORDANTES SUR LA NATUREDE L’IMPACT DU CHANGEMENT

DE NORME COMPTABLE

Dans le domaine des incorporels, des diver-gences importantes subsistaient, avant lepassage obligatoire aux normes internatio-

nales, entre les normes françaises tellesqu’édictées par le Comité de réglementa-tion comptable (CRC) et les normes del’IASB (cf. tableau 1). Ces différences s’ap-pliquaient aussi bien aux goodwill2 qu’auxéléments incorporels identifiables : immo-bilisations incorporelles acquises ou déve-loppées en interne.Celles-ci s’expliquent, d’une part, par le faitque les règles comptables françaises reflè-tent « naturellement » des différences cultu-relles et institutionnelles (influence du sys-tème juridique, mode de financement desentreprises, rôle de la fiscalité) qui s’oppo-sent à celles véhiculées par les normes IFRS(Joos et Lang, 1994 ; Biondi, 2004 ; Ding et

al., 2007). Les normes françaises sontd’ailleurs considérées comme parmi les plusdivergentes des IFRS (Ding et al., 2007).Ces divergences s’expliquent, d’autre part,par la nature très spécifique des incorporels.Alors même que leur importance stratégiquepour les entreprises est largement reconnue,des débats subsistent quand à l’arbitrage quel’on peut faire entre la pertinence d’uneidentification distincte des incorporels aubilan et la fiabilité de leur mesure comptable(Hoegh-Grohn et Knivsfla, 2000). La normeIAS 38 relative aux immobilisations incor-porelles, sous sa forme actuelle, estd’ailleurs le fruit de nombreuses années deréflexions. Plus de dix ans se sont écoulésentre la version initiale du projet publiée en1995 et la version homologuée par l’Unioneuropéenne en 2004. Cette réalité avaitconduit un certain nombre d’observateurs àqualifier le futur passage aux normes inter-nationales de « grand chamboulement »pour la France (Le Monde, 4 novembre

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2. Le goodwill, appelé également survaleur ou écart d’acquisition, correspond à l’excédent du coût d’acquisition surla part d’intérêt de l’acquéreur dans la juste valeur des actifs et passifs identifiables.

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Tableau 1 – Méthodes comptables relatives aux incorporels sous référentiel comptable français (CRC) et international (IFRS)

Référentiel comptable applicable

Goodwill acquis

Immobilisationsincorporellesidentifiablesacquises

Immobilisationsincorporellesidentifiablescréées

Recherche etdéveloppement

Référentiel français :PCG et règlement 99-02

du CRC3

Regroupements : méthode del’acquisition ou du pooling.Possibilité de porter legoodwill à l’actif. Dans ce cas,durée d’amortissement sur ladurée de vie économique.Avant 2000, possibilitéd’imputer le goodwill sur lescapitaux propres.Badwill comptabilisé enprovisions au bilan et reprisannuellement au compte derésultat.

Immobilisations incorporellescomptabilisées à leur coût.Reconnues à leur juste valeursi acquises lors d’unregroupement.Fonds de commerce : avant1999, pas d’amortissementobligatoire. Après 1999 :amortissement systématique.Concessions, brevets,licences, procédés, logiciels,droits et valeurs similaires :amortissement sur leur duréede vie.Actifs à durée de vie infinie(ex : les marques) : pasd’amortissement.

Dépenses de création delogiciels : obligatoirement àl’actif (sous conditions).Activation des marquescréées : interdite.Frais d’établissement : activéset amortis sur 5 ans.Dépenses de formation et depublicité : charges

Dépenses liées à la phase derecherche fondamentale :charges.Dépenses de rechercheappliquée et dedéveloppement : possibilitéde les porter à l’actif, avec unamortissement systématiquesur 5 ans (critèresd’activation).

IFRS : IAS 384, IAS 365,IFRS 36

Regroupements : méthode del’acquisition.Goodwill : obligatoirement àl’actifTest de dépréciation annueldes unités génératrices detrésorerie (UGT) ou plussouvent si nécessaire.Badwill décomptabilisé endébut de période

Immobilisations incorporellesévaluées à leur coût ou à leurjuste valeur.Immobilisations à durée devie finie : amorties sur leurdurée d’utilité. Tests dedépréciation si indices depertes de valeur.Immobilisations à durée devie indéterminée : pasamorties. Test de dépréciationannuel, ou plus fréquemmentsi nécessaire.

Marques, notices, titres dejournaux et de magazines,listes de clients créés eninterne : activationimpossible.Frais d’établissement,dépenses de formation et depublicité : charges.

Frais de R&D :– passage en charges pour laphase de recherche.– activation pour la phase dedéveloppement.

Période de transition :IFRS 17

Reclassement éventuel du goodwill enimmobilisations incorporellesidentifiables.Inversement, reclassementéventuel en goodwill d’actifsincorporels non reconnus enIFRS.Badwill décomptabilisé endébut de période.

Certains incorporelsrépondant aux définitions etcritères de reconnaissancepeuvent sortir du goodwill :reclassement éventuel dugoodwill en immobilisationsincorporelles identifiables.Inversement, reclassementéventuel en goodwill d’actifsincorporels non reconnus enIFRS.

Incorporels créés considéréscomme des actifs dans lesystème comptable utiliséantérieurement : nonreconnus en IFRS(imputation sur les capitauxpropres du biland’ouverture).Éléments précédemmentconstatés en charges (tels lesfrais de développement) :possibilité de les reconnaîtreen immobilisationsincorporelles (s’ils répondentaux définitions et critères dereconnaissance).

3. Le PCG et le Règlement 99-02 relatif aux comptes consolidés s’appliquent aux sociétés françaises cotées avantle passage aux IFRS.4. IAS 38 : norme internationale relative aux immobilisations incorporelles5. IAS 36 : norme internationale relative aux dépréciations d’actifs.6. IFRS 3 : norme internationale relative aux regroupements d’entreprises.7. IFRS 1 : norme spécifique qui précise les dispositions à respecter lors de la première application des IFRS.

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2004) voire de « révolution dans sa culturecomptable » (Hoarau, 2003, p. 5).La norme IAS 38 (Intangible Assets)énonce des conditions restrictives d’activa-tion des éléments incorporels obligeant lesentreprises françaises à une réflexion au caspar cas sur la nature de leurs élémentsincorporels. Ainsi, certaines immobilisa-tions incorporelles reconnues en tant qu’ac-tif dans le référentiel français ne satisfontpas aux dispositions de l’IAS 38 et doiventêtre réintégrées dans l’écart d’acquisition.A contrario, le référentiel IFRS apporte unecertaine souplesse des critères de recon-naissance des immobilisations incorpo-relles acquises lors de regroupements d’en-treprises : l’existence de droits contractuelsou légaux attachés à l’immobilisationincorporelle est considérée comme unecondition suffisante mais non indispensableà son identification et pour prouver lecontrôle des avantages économiques futurs,ce qui permet aux entreprises de porter dis-tinctement à l’actif certaines catégoriesd’immobilisations incorporelles non proté-gées juridiquement (PricewaterhouseCoo-pers, 2004, § 3580). Cette double« lecture » peut donc avoir un impactinverse sur les comptes consolidés desentreprises : l’interprétation restrictiveconduisant à réduire la part des immobilisa-tions incorporelles et à augmenter celle dugoodwill ; l’interprétation plus large centréesur la notion de contrôle sans protectionjuridique favorisant au contraire leur recon-naissance distinctement du goodwill.Par ailleurs, Nobes (2006) considère qu’unphénomène d’inertie pourrait contribuer à

maintenir les pratiques comptables pre-IFRS dans les états financiers établis ennormes IFRS. Ainsi, les traitements comp-tables liés aux incorporels qui existaientdans les pratiques nationales avant la miseen place des IFRS pourraient perdurer sousIFRS. Il souligne que maintenir les pra-tiques des années antérieures permet alorsd’assurer une plus grande cohérence dansl’établissement des états financiers. Recon-duire les choix précédents permet de sim-plifier les traitements.La question reste donc ouverte : le change-ment de normes comptables relatif auxincorporels a-t-il donné lieu au bouleverse-ment annoncé dans les comptes des entre-prises françaises ou a-t-on plutôt assisté àun phénomène d’inertie de la part d’entre-prises désireuses de modifier leurs étatsfinanciers a minima?

II – UNE CLASSIFICATIONHIÉRARCHIQUE DESCENDANTE

DES ENTREPRISES COTÉES SUR LE SBF 120

Pour dégager une typologie d’entreprisesfrançaises affectées par le passage obliga-toire aux normes internationales, nousavons utilisé un échantillon d’entreprisesfrançaises cotées au SBF 1208. Le choix dece référentiel permet d’avoir un échantillonsuffisamment large, couvrant les secteursmajeurs de l’économie française (Chaventet al., 2006). L’échantillon final, une foisexclues les entreprises du secteur financieret les données non exploitables, est consti-tué de 83 entreprises françaises. 9

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8. SBF 120 : indice constitué des 120 plus grosses capitalisations boursières en France.9. Les auteurs tiennent à disposition de leurs lecteurs les informations relatives à la constitution de l’échantillon etau détail des 78 variables retenues.

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1. Collecte des données

L’année de transition est définie comme l’an-née comptable pour laquelle les entrepriseseuropéennes ont été contraintes de présenter,pour la première fois, leurs comptes en utili-sant les normes internationales. Comme ladate d’application obligatoire des normesIFRS est le 1er janvier 2005, l’année de tran-sition est donc l’année 2004 en raison del’obligation faite aux entreprises de présenterun exercice comparatif à l’année de réfé-rence. Pour être en mesure d’appréhenderl’impact du changement de référentiel sur lesdonnées comptables, les mêmes données ontdonc été collectées pour cette même année2004 sous référentiel français (CRC) et sousréférentiel international (IFRS). Les donnéesexprimées sous règles françaises ont étérécoltées dans les rapports annuels 2004 etles données, de cette même année, retraitéessous normes IFRS ont été recueillies dans lesrapports annuels 2005. Il s’agit donc desdonnées 2004 CRC/2004 IFRS.Dans un souci d’exhaustivité, ont ensuiteété recueillies manuellement, dans les rap-ports annuels, l’ensemble des variables per-mettant de caractériser les pratiques desentreprises dans le domaine des incorpo-rels. Ces variables peuvent être classées entrois familles : celles spécifiques aux incor-porels, celles propres aux entreprises etcelles qui découlent de la période étudiée.Pour pouvoir effectuer des comparaisons etainsi mesurer l’ampleur du changement, cesvariables ont été recueillies sous normesfrançaises (CRC) et sous normes internatio-nales (IFRS) (tableau 2).

2. Variables spécifiques aux incorporels

Les variables relatives aux incorporels peu-vent être décrites par les montants et la

structure même des actifs incorporels dansles comptes des entreprises, de la naturedes immobilisations incorporelles identi-fiées et du traitement comptable qui leur estassocié.En comptabilité, les actifs incorporelsdans une entreprise correspondent à la foisau goodwill (considéré comme non identi-fiable) et à des immobilisations incorpo-relles bien identifiées (tels les marques, lesbrevets, les logiciels, etc.). On obtientdonc la relation suivante : immobilisationsincorporelles + goodwill = actifs incorpo-rels. La structure des actifs incorporels estdonc recherchée en distinguant la part dugoodwill de celle des immobilisationsincorporelles dans le total des actifs incor-porels. L’intensité de l’investissement desentreprises en incorporels a également étémesurée en calculant la part des actifsincorporels dans l’actif immobilisé(appelé actif non courant par les normesinternationales). Ont ensuite été recenséesles principales catégories d’immobilisa-tions incorporelles identifiées dans lescomptes des entreprises. Les trois pre-mières catégories sont classées par ordredécroissant de leur pourcentage dans letotal des immobilisations incorporelles.On suppose en effet que l’entreprise nesera pas affectée de la même façon par lepassage aux nouvelles normes comptablesselon la nature des immobilisations incor-porelles identifiées par l’entreprise et leurpoids. L’existence d’immobilisationsincorporelles à durée de vie indéterminéea également été recherchée. En effet, puis-qu’elles ne sont pas amorties, on peut pen-ser qu’elles garantissent une certaine sta-bilité du montant des immobilisationsincorporelles.

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3. Variables spécifiques aux entreprises

Les pratiques relatives aux incorporels peu-vent également être différenciées selon lescaractéristiques financières et sectoriellespropres aux entreprises. À l’inverse, il estaussi possible de considérer un phénomènede mimétisme dans les pratiques comp-tables d’entreprises présentant descaractéristiques financières et sectoriellessimilaires. La seconde famille de caractéris-tiques est donc constituée de variables decoûts politiques (taille, rentabilité, etc.), de

variables d’agence (endettement). Unevariable considérant le niveau d’internatio-nalisation des entreprises ainsi qu’unevariable sectorielle ont été ajoutées.

4. Retraitements et changementscomptables réalisés à la transition surles incorporels

Enfin, les typologies relatives aux incor-porels, lors du passage au nouveau réfé-rentiel comptable (que l’on a dénommé« transition »), peuvent être décrites par

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Tableau 2 – Variables recueillies

Variables spécifiques

aux incorporels

– Ratio d’intensité : actifs incorporels/actif non courant

– Poids du goodwill :Goodwill/actifs incorporels

– Poids des immobilisationsincorporelles :

immobilisationsincorporelles/actifs incorporels

– Montant du goodwill

– Montant des immobilisationsincorporelles

– Catégories d’immobilisationsincorporelles identifiées

– Immobilisations incorporelles àdurée de vie indéterminée

Variablesspécifiques

aux entreprises

– Taille

– Rentabilité

– Cotation àl’international

– Endettement

– Secteur

Retraitements et changementsspécifiques à la période

de transition

– Nouvelles immobilisationsincorporelles– Immobilisations incorporellessupprimées– Reclassement de goodwill enimmobilisations incorporelles– Reclassement de frais de R&D enimmobilisations incorporelles pour lesentreprises qui ne portaient pas à l’actifla R&D– Reclassement complémentaire desfrais de R&D en immobilisationsincorporelles pour les entreprises quiportaient déjà à l’actif la R&D– Reclassement en goodwill

d’immobilisations incorporelles nonreconnues en IFRS– Déduction (des immobilisationsincorporelles) des fonds propres– Reclassement des intérêts minoritairesen goodwill

– Exemption 1 : non retraitement desregroupements d’entreprises– Exemption 2 : évaluation desimmobilisations incorporelles à la justevaleur

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les retraitements comptables réalisés parles entreprises à cette date. Pour certainesentreprises, des immobilisations incorpo-relles ont été portées à l’actif, pourd’autres, elles ont été supprimées. Cer-taines immobilisations incorporelles ontété reclassées en goodwill et inversement.Ces éléments sont listés et la nature desimmobilisations incorporelles concernéespar ce changement est précisée. Les effetsde l’adoption obligatoire des IFRS sur lesincorporels dépendent notamment desoptions explicites (« overt » selon l’ex-pression de Nobes, 2006) issues de l’IFRS110 qui permettent à l’entreprise d’opter,par exemple, pour l’évaluation des actifsincorporels à la juste valeur ou au coût his-torique. D’autres retraitements peuventrésulter des différences entre la réglemen-tation française et la réglementation inter-nationale. Si dans certains cas, ces retrai-tements semblent inévitables (parexemple, le retraitement d’immobilisa-tions incorporelles citées explicitementpar la norme IAS 38 comme ne répondantpas aux critères d’activation), d’autres

retraitements relèvent plutôt d’optionsimplicites (« covert ») lorsque les critèresd’activation fournis par la norme IFRSsont définis de manière trop vague (Nobes,2006) comme dans le cas des frais derecherche et développement.Notre première démarche a été la suivante :pour chaque entreprise, nous avons exa-miné des ratios représentatifs du poids desactifs incorporels et de leur structure, avantet après le passage au nouveau référentielcomptable, ratios auxquels nous avonsappliqué des tests de différence demoyennes. Un premier résultat en ressort(tableau 3). Alors que la part des actifsincorporels dans l’actif non courant n’estpas modifiée significativement à la transi-tion, la répartition entre goodwill et immo-bilisations incorporelles l’est de manièresignificative. Autrement dit, ce n’est pas lepoids des actifs incorporels qui a été modi-fié par le changement de référentiel comp-table mais leur structure. Ceci justifie, parconséquent, que l’on s’interroge plus endétail sur le type d’actifs incorporels affectépar le passage aux normes internationales.

100 Revue française de gestion – N° 207/2010

Tableau 3 – Poids et structure des actifs incorporelsRésultats des t-tests et tests de Mann-Whitney

t-test Test de Mann-Whitney

Actifs incorporels/Actif non courant 0,731 NS – 0,901 NS

Goodwill/Actifs incorporels – 2,477** – 2,372**

Immobilisations incorporelles/Actifs incorporels 2,528** – 2,372**

Niveau de signification : *** p<0,01 ; ** p<0,05 ; * p<0,10 ; NS : non significatif (test bilatéral).

10. IFRS 1 : « Première adoption des IFRS ».

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III – TROIS CLASSESD’ENTREPRISES AFFECTÉES

DIFFÉREMMENT PAR LE PASSAGEAUX NORMES INTERNATIONALES

C’est la partition en trois classes qui a étéretenue, car permettant une interprétationoptimale12. Le dendrogramme de décisionDIV obtenu après quatre itérations est pré-senté en figure 1. Il se présente comme unarbre de décision. À chaque nœud del’arbre, une variable produit la constructionde deux sous-classes. La partition en 3, 4 ou5 classes se lit à partir des lignes horizon-

tales qui coupent l’arbre. Pour une partitionen trois classes, on s’intéressera donc auxclasses C1/3, C2/3 et C3/3. On constatealors que la première classe est inchangéepar les partitions successives en 3, 4 et 5classes.Autrement dit, la classe C1/3 regroupe lesclasses C1/4 et C1/5. Elle est constituée parles entreprises Fimalac à PPR. L’ordre danslequel sont présentées les entreprises n’estpas anodin puisqu’il indique leur représenta-tivité au sein du groupe, de la plus représen-tative à la moins représentative. La deuxième

L’adoption des normes IFRS relatives aux incorporels 101

MÉTHODE STATISTIQUE APPLIQUÉELa méthode de traitement des données, qui devait permettre de traiter un nombre importantde variables, a été développée de façon à faire ressortir des typologies relatives aux incor-porels lors du passage aux nouvelles normes internationales. N’ayant pas d’a priori sur laclassification et ne connaissant pas la variable binaire qui permet de diviser les groupes, uneméthode de classification hiérarchique a été utilisée pour constituer mécaniquement desgroupes homogènes. La plupart du temps, c’est une méthode de classification hiérarchiqueascendante qui est privilégiée, utilisant le critère de Ward (Stolowy et Tenenhauss, 1998 ;Sucher et al., 1999). Elle permet, à partir de chaque individu considéré isolément, de consti-tuer des groupes de plus en plus gros. Adoptant une approche plus novatrice, Chavent et al.(2006) proposent une analyse descendante (DIV) qui permet, à la différence des étudesascendantes, d’expliquer l’origine des groupes en déterminant quelle variable sépare lesentreprises ce qui permet de les classer dans des groupes différents. C’est cette dernièreméthode qui a été retenue. Selon cette approche, les entreprises sont divisées en deux sous-classes aussi différentes que possible, chacune de ces classes est ensuite redivisée et ainsi desuite. On qualifie la méthode de descendante puisqu’on part de l’ensemble des entreprisesconsidérées dans une seule classe (Chavent, 1998). Cette classe est divisée au fur et à mesure,jusqu’à obtenir le nombre de classes optimal. L’interprétation des classes de partitions estobtenue par la méthode DEMOD de SPAD, en mettant en évidence les variables caractéris-tiques des classes ainsi que leurs modalités11. Une typologie des pratiques comptables liéesaux incorporels à la période de transition est alors proposée.

11. Les variables caractéristiques des classes sont les variables quantitatives continues. Leurs modalités sont lesvariables nominales qualitatives.12. Les résultats des partitions en 2, 4 et 5 classes n’ont pas été reproduits dans cet article. Nous les tenons à la dis-position des lecteurs.

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207/2010Figure 1 – Dendrogramme complet obtenu avec DIV

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-rfg.revuesonline.com

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classe est constituée des groupes C2/5 etC5/5 d’Areva à Pages jaunes. La troisièmeclasse est constituée des groupes C3/5 etC4/5 d’Air France jusqu’à Thomson.Le premier critère qui différencie les entre-prises de la classe C2/3 (à droite du dendro-gramme), de celles appartenant aux classesC1/3 et C3/3, est le poids du goodwill dansles actifs incorporels sous normes fran-çaises (GW/IA CRC <=62.8 pour lesclasses C1/3 et C3/3). Les entreprises dugroupe C 2/3 sont donc des entreprises dontle poids du goodwill est prédominant sousnormes françaises. On rappelle que lesactifs incorporels sont constitués par legoodwill et les immobilisations incorpo-relles identifiables. Le deuxième critère quidifférencie ensuite les entreprises apparte-nant aux deux autres classes, C1/3 (aucentre) et C3/3 (à gauche), correspond à lavariation du goodwill sur les actifs incorpo-rels (Var (GW/IA) <=25). Le passage auxnormes internationales se traduit donc parune forte variation du goodwill en structurepour les entreprises de la classe C1/3, autre-ment dit par un changement visible, ce quin’est pas le cas des entreprises de la classeC3/3.Une étude plus approfondie des variablescaractéristiques de ces trois classes aensuite été effectuée pour dégager les pro-fils de ces entreprises.

Classe 1. Changement important etvisible à la transition : éliminationd’immobilisations incorporelles(essentiellement parts de marché)retraitées en goodwill

Les entreprises de la classe 1 sont fortementaffectées par le passage aux IFRS. Cetteclasse illustre parfaitement la spécificité dela position française pour laquelle une part

non négligeable d’entreprises comportaitdes immobilisations incorporelles particu-lières (fonds de commerce et parts de mar-ché) dont les montants et le poids étaientimportants en normes françaises. Celles-cin’étant plus reconnues sous référentielinternational, les entreprises de cette classeont dû procéder à des reclassements à latransition qui ont profondément modifiés lastructure des actifs incorporels (la réparti-tion entre immobilisations incorporelles etgoodwill). Cela a entraîné une variationimportante du goodwill. Alors que, sousréférentiel français, la part du goodwill dansle total des actifs incorporels était très infé-rieure à la moyenne des entreprises del’échantillon, à la transition, il est constatéune très forte augmentation du goodwill à lafois en structure et en valeur. Le montantdes immobilisations incorporelles baissepar rapport à la moyenne des entreprises del’échantillon.

Classe 2. Prédominance du goodwill

avant et après transition: stabilité despratiques

Les entreprises de la classe 2 semblent nepas avoir été affectées par le passage auxnormes internationales. Cela s’explique parl’importance du goodwill dans les actifsincorporels des entreprises et par le peu depoids des immobilisations incorporelles. Ennormes françaises, le goodwill est prépon-dérant dans les actifs incorporels des entre-prises en poids mais aussi en valeur puis-qu’il représente plus de 85 % des actifsincorporels. Le montant des immobilisa-tions incorporelles est quant à lui plusfaible que la moyenne.À la période de transition, la variation dugoodwill, en montant ou rapportée au totaldes actifs incorporels, est très inférieure à

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104 Revue française de gestion – N° 207/2010

Tableau 4 – Classe 1/3 (17 entreprises : environ 20 % des entreprises de l’échantillon)

MoyennesMoyenne

Écart type ÉcartValeur-

Variables caractéristiques dans la dans la typemodalité13 générale

modalité généraltest14

Variation du poids du goodwill

dans les actifs incorporels59,871 11,822 16,986 27,260 8,10

Variation du montant du goodwill 0,129 0,033 0,056 0,060 7,34

Montant des immobilisations incorporelles en normes françaises 0,196 0,081 0,076 0,092 5,71

Variation des ventes (mesure de taille) –0,159 –0,047 0,315 0,179 –2,87

Poids du goodwill dans les actifs incorporels en normes françaises

24,941 58,965 14,971 32,219 –4,85

Variation du montant des immobilisations incorporelles –0,150 –0,029 0,059 0,069 –8,00

% de la % de la % de lamodalité modalité classe Valeur

Modalités caractéristiquesdans dans dans la test

Poids

la classe l’échantillon modalité

Reclassement d’immobilisations incorporelles en goodwill

100,00 48,19 42,50 4,92 40

Reclassement de parts de marché en goodwill

70,59 21,69 66,67 4,80 18

Suppression des parts de marché 70,59 21,69 66,67 4,80 18

Catégorie principale d’immobilisations incorporelles en 35,29 7,23 100,00 3,99 6normes françaises = parts de marché

Parts de marché à durée de vie indéterminée en normes françaises

47,06 18,07 53,33 2,92 15

Immobilisations incorporelles à durée de vie indéterminée

82,35 53,01 31,82 2,51 44

Catégorie principale d’immobilisations incorporelles en normes françaises =

35,29 13,25 54,55 2,42 11

fonds de commerce

13. Le terme « Moyennes dans la modalité » désigne les moyennes de chaque variable caractéristique dans la classe.Pour ce tableau, dans la classe 1/3.14. La valeur-test permet de sélectionner les variables continues ou les modalités des variables nominales les pluscaractéristiques de chaque classe. Les variables qui n’apparaissent pas ne permettent pas de caractériser les classes.Elles ne sont donc pas retenues par la méthode comme étant significatives.

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la moyenne des entreprises de l’échan-tillon. En normes internationales, le mon-tant des immobilisations incorporellesreste plus faible pour les entreprises decette classe et le poids du goodwill restemajoritaire et supérieur à la moyenne desentreprises.

Classe 3. Prédominance desimmobilisations incorporelles avant etaprès transition (essentiellementmarques) : stabilité des pratiques

Les entreprises de la classe 3 avaient desmontants et poids de goodwill en normesfrançaises et IFRS plus faibles que lamoyenne. Elles avaient pour principales

immobilisations incorporelles en normesfrançaises des marques, enseignes, logos,etc. D’une manière générale, ces élémentsn’ont pas été reclassés en goodwill. Cesentreprises se retrouvent donc avec desmontants d’immobilisations incorporellesen IFRS supérieurs à la moyenne, et en aug-mentation. L’interprétation de la classe 3doit être complétée par une partition enquatre classes dont les enseignements sontles suivants : les entreprises qui présententen normes internationales des immobilisa-tions incorporelles aux montants supérieursà ceux de la moyenne des entreprises del’échantillon présentaient cette mêmecaractéristique en normes françaises. Cela

L’adoption des normes IFRS relatives aux incorporels 105

Tableau 5 – Classe 2/3 (44 entreprises : environ 53 % des entreprises de l’échantillon)15

MoyennesMoyenne

Écart type ÉcartValeur

Variables caractéristiques dans la dans la typemodalité

généralemodalité général

test

Poids du goodwill dans les actifs incorporels en normes françaises

85,984 58,965 10,160 32,219 8,07

Poids du goodwill dans les actifs incorporels en normes IFRS

85,080 70,787 13,023 28,818 4,77

Montant du goodwill en normes françaises

0,174 0,126 0,109 0,106 4,33

Variation du montant des immobilisations incorporelles

0,001 –0,029 0,019 0,069 4,24

Montant des immobilisations incorporelles en normes IFRS

0,028 0,052 0,024 0,069 –3,40

Variation du montant du goodwill 0,009 0,033 0,029 0,060 –3,82

Variation du poids du goodwill

dans les actifs incorporels–0,905 11,822 11,079 27,260 –4,49

Montant des immobilisations incorporelles en normes françaises

0,026 0,081 0,028 0,092 –5,74

15. Pour cette classe, aucune modalité (variable qualitative) ne ressort comme étant caractéristique.

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106 Revue française de gestion – N° 207/2010

Tableau 6 – Classe 3/3 (22 entreprises : environ 27 % des entreprises de l’échantillon)

MoyennesMoyenne

Écart type ÉcartValeur

Variables caractéristiques dans la dans la typemodalité

généralemodalité général

test

Montant des immobilisations incorporelles en normes IFRS

0,106 0,052 0,101 0,069 4,22

Variation du montant des immobilisations incorporelles

0,003 –0,029 0,024 0,069 2,51

Variation du poids du goodwill

dans les actifs incorporels0,145 11,822 9,530 27,260 –2,33

Variation du montant du goodwill 0,007 0,033 0,024 0,060 –2,40

Poids des actifs incorporels dansl’actif non courant en normes IFRS

34,541 46,258 27,515 26,490 –2,41

Poids des actifs incorporels dans l’actif non courant 36,059 49,415 29,823 28,825 –2,52en normes françaises

Montant du goodwill

en normes françaises0,067 0,126 0,077 0,106 –3,07

Montant du goodwill en normes IFRS 0,073 0,159 0,084 0,114 –4,09

Poids du goodwill dans les actifs incorporels en normes françaises

31,218 58,965 20,301 32,219 –4,68

Poids du goodwill dans les actifs incorporels en normes IFRS

31,364 70,787 23,106 28,818 –7,44

% de la % de la % de lamodalité modalité classe Valeur

Modalités caractéristiquesdans la dans dans la test

Poids

classe l’échantillon modalité

Pas de reclassement d’immobilisations incorporelles 77,27 51,81 39,53 2,58 43en goodwill

Catégorie principale d’immobilisations incorporelles en normes françaises = marques,

27,27 10,84 66,67 2,36 9

enseignes, logos, titres de publication

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s’explique par le fait que les entreprisesdétiennent davantage de marques,enseignes, logos et titres de publication quela moyenne des entreprises de l’échantillon.Les marques dans les comptes des sociétésfrançaises répondaient généralement auxcritères d’immobilisations incorporelles del’IAS 38 et n’ont pas eu besoin d’être retrai-tées à la transition. On peut donc conclure àune certaine stabilité pour les entreprises dela classe 3.

CONCLUSION

L’objectif de cet article était d’opérer uneclassification des entreprises dans le casd’un changement obligatoire illustré par lepassage aux nouvelles règles internatio-nales comptables au 1er janvier 2005. Cettetypologie a été réalisée sur les entreprisesfrançaises n’ayant pu adopter volontaire-ment le nouveau référentiel comptableavant l’heure, et dans un domaine, celui desincorporels, où d’importantes différencessubsistaient entre les règles françaises et lesrègles IFRS.Trois classes bien distinctes ont été identi-fiées. La première classe, caractérisée parun changement important, se détache desautres par une forte augmentation dugoodwill lié au retraitement d’immobilisa-tions incorporelles comme les parts demarché. La classe 2 et la classe 3 se carac-térisent par une stabilité des pratiques liée,pour la classe 2, au poids prédominant dugoodwill sous référentiel français et, pourla classe 3, à la présence de marques ennormes françaises.Parmi les variables permettant de caractéri-ser les profils obtenus, seules ressortent cer-taines variables spécifiques aux incorpo-rels ainsi que certaines variables de

retraitement propres à la transition. Aucunevariable n’est liée aux caractéristiquespropres des entreprises (taille, dette, sec-teur, rentabilité, statut de cotation).Les classes 2 et 3, représentant 80 % del’échantillon étudié, viennent illustrer lephénomène d’inertie mis en avant parNobes (2006) puisque les pratiques pre-IFRS (autrement dit sous normes fran-çaises) sont maintenues sous référentielinternational.Prenant appui sur notre étude, deux étudesrécentes viennent confirmer nos résultats.Celle d’Astolfi (2010), menée sur unepériode plus étendue, 2005-2008, confirmel’effet d’inertie. Elle permet de conclureque l’absence de changement observé dansnotre étude n’est pas simplement unevolonté des dirigeants de modifier graduel-lement l’image de l’entreprise. Celle deBoulerne et Sahut (2010), menée sur unéchantillon plus large (SBF 250) met égale-ment en évidence que « la stabilité desactifs incorporels cache en fait de fortseffets de substitution des autres immobilisa-tions incorporelles vers le goodwill ». Cetteconclusion confirme notre résultat selonlequel c’est la structure des actifs incorpo-rels qui a été affectée, lorsqu’un change-ment a été visible.Ce résultat va finalement à l’encontre dudiscours général véhiculé avant le passageaux normes comptables internationalespuisque le changement était perçu commemajeur voire révolutionnaire pour les entre-prises. Elle corrobore également les résul-tats d’études récentes qui ont conclu à unimpact limité du basculement des IFRS surles agrégats financiers qui peut s’expliquerpar des choix de politique comptable oppor-tunistes (Cazavan-Jeny et Jeanjean, 2009).

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On peut, en effet, regretter de ne pas pou-voir mettre à jour les raisons réelles desreclassements d’incorporels : s’agit-il d’uneapplication stricte de l’IAS 38 ou de gestioncomptable ?

Il s’agira néanmoins de vérifier si ces résul-tats, spécifiques à la France, peuvent êtreétendus aux entreprises d’autres paysn’ayant pas pu appliquer les normes IFRSpar anticipation.

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