Langage Et Personnes Autistes

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  • 7/30/2019 Langage Et Personnes Autistes

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    LANGAGE ET PERSONNES AUTISTES

    Par Serge GOFFARDLIREST/ENS, Cachan

    Comit de rdaction de la revue La Forteresse clate

    (association Pro Aid Autisme1)

    Il me parait trop hypocrite de rpondre la question de lapprentissage dulangage par les autistes par une description technicienne des procduresmises en uvre. La situation des personnes diagnostiques autistes, commecelle de leurs familles, est telle quun pralable est ncessaire pour contex-tualiser les problmes et tenter den prsenter les donnes.1

    Premire vidence, ny a-t-il pas un paradoxe affirmer quil existe unerelation entre le langage et les autismes, puisque, pour le plus grandnombre dentre-eux, les autistes ne se servent pas du langage ? Pourtant, lepremier paradoxe serait plutt de parler de lautisme. Ce terme est utilisen bien des cas, avec une lgre valeur pjorative, au mieux, pour dsignerun univers mystrieux et peut-tre inaccessible, en tout cas, autre. Or, sily a un mot qui devrait donner lieu enqute, cest bien celui-l.

    La mre coupable

    Autismeest une sorte de mot-bouchon, aveuglant, hypnotisant. Parce

    que lon ne sait trop quel sens lui accorder. Dans le langage de la viecourante, un journaliste parle du comportement autistedune organisationparce que celle-ci ne tient pas compte des ractions de ses partenaires, nides obstacles rencontrs dans la ralit . Se comporter en autiste, ceserait nen faire qu sa tte, en ayant une tte point trop bien faite.Comportement sens unique, comportement de mauvaise tte, refus de lacommunication, refus de la ralit. quoi il semble difficile de porterremde, autrement quen sopposant fermement, en ramenant celui qui sy

    refuse, la ralit (celle de ceux qui pensent normalement, bien sr).Les spcialistes, ceux dont les noms de mtier commencent parpsy-, nesavent pas non plus quoi dire, ni quoi faire. Bien sr, les livres de rfrencedes psychiatres accordent une place lautisme. E. Bleuler, ds 1911, adcrit lautisme, la caractris par ce mot, comme tant un symptmefondamental de la schizophrnie. Le travail sest poursuivi et lon estparvenu produire des tableaux de symptmes. Si un enfant prsente cessymptmes, runis, il est diagnostiqu comme tant autiste, au moinsdepuis quen 1942, Leo Kanner a forg lexpression dautisme infantile.Auparavant, on tiquetait le (jeune) patient comme tant arrir, dbile, au

    1. Lauteur ne parle ici quen son nom, sans engager cette association dans son propos.

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    mieux schizophrne et le pronostic tait trs pessimiste : en phase termi-nale, la dsagrgation est si profonde que lasile tait le seul lieu daccueilenvisag, surtout lorsque des pisodes violents se produisaient, sur un fonddinertie et de dlires. La schizophrnie ayant t progressivement consi-dre comme une maladie pouvant donner lieu traitement, amliora-tion, la faon de considrer lautisme infantile a t modifie. Lestableaux de symptmes ont t affins, des tests ont t mis au point pourpermettre un diagnostic prcoce et des traitements envisags. Lditionfranaise du DSM IV labor par lassociation psychiatrique amricaine(Diagnostic and statistical manual of mental disorders), aux ditions Masson partir de 1996, fournit tous les renseignements utiles aux praticiens. Cela

    dit, une fois reconnu ce tableau de symptmes, est-on plus avanc ? Cestableaux cachent un embarras profond, une forme dincomprhension.Personne ne sait ni pourquoi, ni comment un enfant devient autiste.Causes insaisissables, ici aussi lautiste tait son malaise. Ce qui a ouvert lesportes tous les dlires interprtatifs.

    Franoise Dolto, psychiatre psychanalyste, pensait quil sagissait dursultat dun trouble grave de la relation affective entre mre et enfant etsouhaitait que lon parlt de faux dbile . Donc, puisquil y a du faux ,

    il y a possibilits de cure. Maud Mannoni, galement psychiatre psychana-lyste, tait plus dubitative et disait que lenfant dbile souffrait, plusquun autre, de carences affectives. Cette variation dans la dnominationmarquait le doute de vritable cure, au sens o on lentend en psychana-lyse. Bruno Bettelheim est all la limite de ce type de diagnostic en sous-trayant des enfants en difficult la maltraitance inconsciente des parentset en les duquant sa manire, avec des rsultats divers et souventcontests, mais aussi des russites. Toutes ces propositions sont encore

    objets de louange ou de haine profonde, selon les points de vue.

    La dficience

    Lautre grande tendance tiologique est celle qui carte la carence affec-tive pour poser que lautisme est le rsultat de problmes somatiques. Laresponsabilit est alors porte au dbit des gnes, des enzymes, des carencesen ceci ou cela, des neurones asphyxis, etc. En ce moment, le rouleaucompresseur cognitiviste fonctionne bien dans ce domaine, il aplanit lesdifficults en dsignant telle ou telle routine, tel ou tel lment neurolo-gique. Lon montre mme des images qui permettraient dindividualiserles lments endommags ou dficients.

    Et lon nest pas plus avanc pour autant.

    Impuissance ?

    La situation, en France, aujourdhui, dans le domaine de ce que lon

    nomme autismeest peu engageante. Les diagnostics peuvent tre poss tt,ds que les familles dtectent des comportements tranges refus deregarder, absence de sourire, de prcurseurs du langage, comportementsstrotyps, etc. la consultation de pdopsychiatrie peut clarifier le

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    problme. Mais non le rsoudre. Il nexiste pas de traitement et les famillesdoivent se dbrouiller, seules. Les hpitaux ne peuvent traiter les autistesque pour une priode brve, il nexiste plus de services pour les sjours delongue dure. Quant la scolarisation, elle est rarissime car, si la loi faitobligation de recevoir tous les enfants, la ralit est autre. Puisque lespersonnels ne sont pas forms, puisque les locaux ne sont pas adapts,puisque ces enfants ont des comportements qui sont jugs comme tantdangereux, lentre lcole na pas lieu. Cette situation nest pas spcifiqueaux autistes, tous les handicaps, quelques exceptions prs, connaissentles mmes refus.

    Ce qui ouvre dautres portes, pour dautres drives. Au pire, les parents

    dsempars par le comportement incohrent, de plus en plus violent, deleur enfant, vivant un enfer en vase clos, sont les proies faciles de maisons prives qui, en des lieux retirs et abrits des regards, enfer-ment les enfants, les mettent sous la camisole chimique et les laissentcroupir, dans des conditions parfois rpugnantes, mais ne refusent pas lessubventionnements. Les visites des parents sespacent, on oublie, mais quefaire dautre puisquil nexiste pas de solution ? Si les asiles de fous ont tferms, il en existe dautres, tout aussi effrayants. Si quelquun ose briser

    lomerta concernant le traitement que ces maisons rservent ceux quileur sont confis, il le paie trs cher. Aussi, dans bien des cas, ces enfantsrestent-ils dans leur famille. La vie peut devenir impossible, au point de seconclure, trs rarement, par un infanticide. En gnral, elle continue, avecdes hauts et des bas, beaucoup despoirs, beaucoup de souffrances.

    La question dite de lautisme est dautant plus complexe que les personnesqui sont classes dans cette catgorie ne forment pas un ensemble statistique-ment homogne. Pourtant, on y introduit aussi bien les personnes qui ne

    communiquent jamais, ne se montrent capables daucune autonomie,daucun apprentissage, prsentent des accs de violence contre soi et contrece et ceux qui lenvironnent, que la personne qui parle, crit et sintgre dansles groupes sociaux parfois les plus priss. On connait, par exemple, telleamricaine, auteure de livres et agrge la vie universitaire de son pays.Limage de lautiste est kalidoscopique, elle prsente laspect le plusinquitant et le plus trange, comme le plus gratifiant. Le film Rain mana sans doute beaucoup contribu modifier les perceptions que lespersonnes qui se disent normales ont des autistes, en introduisant la partdes rves.

    Cela dit, les causes des comportements des autistes demeurent inconnues ce jour, les critres de diagnostic restent purement descriptifs et sontprsents, pour la plupart, en termes de dficience, les traitements au sensmdical du terme ne sont pas probants, les thrapies psy peuvent tota-lement chouer (voire tre nocives) comme donner des espoirs limits maisstimulants. Peut-on continuer dutiliser le terme dautisme au singulier ?La prudence conseille de choisir le pluriel, de ne pas enfermer ceux qui sont

    atteints par ce handicap dans un moule contraignant. Bref, de laisser laporte ouverte toutes les hypothses explicatives. Et de faire en sorte quelenfant autiste soit dabord regard comme un enfant, un tre humain envolution.

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    Une personne

    Le changement, fondamental, de point de vue a eu lieu ds la fin des

    annes 1950, en mme temps que se transformait le regard des psychiatressur leurs patients. Dans leManuel de psychiatrie, ralis par Henri Ey et sescollaborateurs2, on pouvait dj lire :

    On sefforce ds lors de considrer larrir moins en termes descriptifscomme un objet, en estimant son dficit et son handicap par rapport aunormal, que de lui redonner un statut de sujet, par rapport aux normaux,en le considrant comme unepersonnestructurant un lien original avec sonmilieu.

    En quoi cela a-t-il pu influer sur le traitement des personnes autistes ?On la dit plus haut, il y avait eu cette proposition paradoxale de mettre enanalyse des autistes. Victimes de mauvais traitements inconscients de lapart des parents, il semblait possible de remettre dans le droit chemin de lavie (linstitut dirig par Bruno Bettelheim, Chicago, ne se voulait-il pas orthognique ?) ces malades qui ne parlaient pas ou peu. Culpabilisa-tion assure des parents, effroi des patients qui recevaient le flot des parolesdites soignantes sans pouvoir les comprendre. Rsultats dsastreux, dans la

    plupart des cas. Lorsque le professeur Freud a commenc inventer ce quila appel la psychanalyse, une de ses premires patientes a trouv lexpres-sion pertinente pour cette forme dinteraction, elle a parl de talking cure.Lexpression est, au moins, double sens : lanalysant est-il soign parcequil parle ou par les paroles quil reoit en rponse aux siennes ? Selon lescoles, une des versions est privilgie. Visiblement, Freud a refus dechoisir et a mis en uvre les deux processus de cure. Et il avait souhait quela psychanalyse ne ft pas exerce par des mdecins, mais ceci est une autre

    histoire.Pourtant, parce que les autistes sont divers, il est arriv que tel autisterencontre tel praticien et que la communication ait t cre, pour tretransforme en processus de formation et dapprentissage. Mais avec unautre autiste, le mme praticien nobtient aucun rsultat. Toujours cemystrieux comportement des autistes parfaitement dconcertant, parceque lautisme nexiste pas, quil ny a que des personnes autistes. Alors,comment faire, si lon ne veut pas se rsigner ?

    Ne pas se rsigner

    Ce qui a chang la vie des personnes autistes, cest lexistence dassocia-tions parentales. En effet, las de se voir livrs eux-mmes et de constaterle lent dprissement de leurs enfants, labandon social auquel ils devaientfaire face, des parents ont constitu des groupes dchanges, de coopra-tion, ont cr des associations, ont fond des centres pour accueillir parentset enfants. Au lieu dattendre la fin dun calvaire, ces associations tentent

    de mettre en pratique des procdures diverses dintgration des autistesdans la socit. Ce qui ne va pas sans drives, ici aussi, car, lorsquune

    2. Paris, ditions Masson, 1978, p. 636.

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    famille ne trouve aucune solution aux problmes que rencontre son enfant,elle peut tre la merci du premier charlatan venu qui prtend que sa nouvelle solution est la bonne, mme si elle na jamais t valide.

    Les procdures mises en uvre par les associations et institutions recon-nues relvent dapproches diverses, toutes les ressources sont sollicites,puisquune seule ne peut faire face tous les cas. Il nest donc pas questionde prtendre quune faon de travailler avec les enfants autistes lemportesur les autres. Nous en prsentons une qui nest pas une mthode de trai-tement mais un programme dun tat amricain, labor par luniversit deChapel Hill (Caroline du Nord), pour venir en aide aux enfants autistes et leurs familles. Des parents franais qui sont alls apprendre travailler

    dans ce programme, ont contribu la formation dintervenants et ouvertsdes centres (trop peu, hlas) pour accueillir des enfants autistes (en parti-culier lassociation Pro Aid Autisme).

    Ce programme a t nomm, symboliquement, TEACCH (presque leverbe enseigner en anglais), cest--dire Traitment and education of autistic and communication handicapped children (traitement et ducationdes enfants handicaps par des symptmes autistiques et communication-nels). Au dbut des annes 1960, ric Schopler, enseignant dans cette

    universit, participait un programme thrapeutique sadressant auxenfants et leurs familles, dinspiration vaguement psychanalytique etgroupale, de libre expression, qui laissait entendre que les parents pouvaientbien tre cause des difficults de leurs enfants. E. Schopler et quelques coll-gues ont remis en cause cette approche, aprs avoir montr quelle neproduisait pas les rsultats attendus, au contraire, puisquelle ne favorisaitpas lintgration sociale et laissait les enfants prisonniers de leurs comporte-ments anormaux. Les chercheurs ont alors pris une position de principe

    consistant reconnaitre que lautisme na pas de cause identifiable, quil estun handicap grave, apparemment irrversible et quil faut donc chercher comprendre ces personnes dans la spcificit de leurs dysfonctionnements,pour mettre en place des environnements qui peuvent aider les enfants dvelopper, en particulier, leurs capacits cognitives. Dans ce cadre, le rledes parents est profondment transform ; il consiste recueillir des infor-mations sur leur propre enfant, les partager avec les chercheurs, avecdautres parents et des intervenants, participer lducation de leursenfants en cooprant avec les quipes du programme TEACCH (voir lesinformations, en anglais, donnes sur le site www.teacch.com/).

    Le travail de recherche et de mise au point de procdures dintgrationsociale a dur plusieurs annes et se poursuit. Une premire conclusion apermis de dvelopper des actions cohrentes : on a constat que lescomportements des enfants autistes ne sont pas alatoires mais quilspeuvent tre prvisibles, en tant que ractions des situations identi-fiables. Ils affectent tous les aspects du comportement et peuvent donctre dcrits et analyss comme peuvent le faire les ethnologues lorsquils

    tudient une population. Gary Mesibov, qui a t longtemps responsabledu programme, a pu ainsi caractriser une culture de lautisme ouvrant desperspectives une approche ducative, en particulier pour ce qui concernele langage.

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    Culture des personnes autistes

    Les enfants autistes ne parlent pas ou trs peu. Ils peroivent lenviron-

    nement de faon surprenante, ne comprennent pas ce qui est attendudeux, ragissent par de forts comportements affectifs, domins parlanxit et les rituels. Les apprentissages du langage permettent, dans lesconditions ordinaires, de comprendre et contrler lenvironnement mat-riel et humain, dagir et de ragir de faons diversifies, dexprimer senti-ments et penses, de sabstraire du prsent, danticiper comme de rappelerle pass. Les enfants autistes, eux, vivent dans l ici et maintenant le plusconcret, attachent leur attention des dtails qui paraissent insignifiants,

    mais ne prennent pas garde ce que les autres leur proposent, ne construi-sent pas de chaines causales, se montrent incapables de gnraliser et detransfrer.

    Leurs apprentissages varient selon les cas, il nexiste pas de dveloppe-ment type. Certains enfants ne parlent jamais, dautres deviennent auto-nomes, mais tous prsentent des rapports particuliers au langage.

    Le sens peut ne pas tre prsent, une phrase, une expression nest alorsquune suite de mots mmoriss et reproduits en cho (cela se passe gale-

    ment avec les gestes que lon cherche enseigner, reproduction simple,chopraxie) ou sans quapparaisse une raison prcise. Ces rituels personnelsont parfois t compars ceux prsents dans les nvroses obsessionnelles,mais, alors quils sont chargs dun sens ( dcouvrir) dans la nvrose, pourlenfant autiste ce ne sont que des strotypes que les tmoins ne peuventinterprter. De plus, il est hors de question de demander lenfant derendre raison de lemploi de ce strotype ! Lorsquils font usage dulangage verbal, leur comprhension est singulire, lie tel objet connu etnon un autre, telle situation. Lexpression se mettre le doigt danslil est interprte littralement : ce nest pas convenable de se mettrele doigt dans lil ; aujourdhui, tu ne te dshabilles pas dans cette piceparce quil y a du monde entraine un dshabillage dans en autre endroit,mais public, pas dans cette pice vaut pour nimporte o ailleurs .Dans une rencontre, tel enfant ne pose que des questions sur les oiseauxparce quil a dvelopp un intrt personnel pour ces animaux. Il est alorspresque impossible de changer de sujet de conversation, lenfant reposetoujours sa question, revient au sujet des oiseaux, sans trve.

    Les exemples peuvent tre multiplis linfini, tant la communicationavec les enfants autistes, ses rats et ses checs, est source dinterrogationspour ceux qui travaillent avec eux. Inlassablement, la question est seposer, pourquoi, tel moment, cet enfant-l a-t-il dit ou fait ceci pluttque ce qui tait attendu de lui ? Cest cet enfant quil faut comprendre,pour lui proposer des apprentissages qui laideront vivre humainementdans lunivers commun.

    Enseigner communiquer

    Cest pourquoi, bien que le langage soit le mode ordinaire de communi-cation, lapprentissage du sens ne passe pas ncessairement et prioritairement

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    par la verbalisation des situations et des interactions. Le travail avec le langageverbal est, le plus souvent, second. Le premier objectif est denseigner lenfant que la communication a du bon, est bonne pour lui et pour sonentourage.

    Paradoxalement, enseigner communiquer, alors que notre monde estsatur de communications, est une tche difficile, longue et souvent peugratifiante, mais elle donne des rsultats. Au point de dpart, il y a lesbesoins de lenfant. Un petit enfant autiste qui a soif peut ne rien mani-fester jusqu ce quon lui donne boire parce quon se dit que ou biense dchainer, ou bien faire nimporte quoi. Pour remdier de tels checsde la communication, on commence par observer lenfant et ses modes de

    ragir, reprer ses rythmes, prciser ce qui lintresse, bref, en jargonenseignant, ce qui le motive. Cet enfant, comme tout enfant, a des moti-vations, de fortes envies, auxquelles les intervenants vont donner sens etforme par des apprentissages gestuels. Enseigner un geste qui soit undialogue muet, certes, mais charg de sens. Pour rpondre la question quoi ? pose (par un mouvement, par une expression du visage, par desmots, que lenfant a appris comprendre) par un intervenant un momentpropice, lenfant doit conqurir le pouvoir de rendre son dsir manifeste,

    au lieu dattendre passivement quon lui donne quelque chose. Enseigner-apprendre communiquer, construire une relation dchange est un trslong travail, parce quil nest pas question de dresser, de dompter, deconditionner mais denseigner un jeu de langage gestuel qui puisse voluer,cest--dire qui puisse donner lenfant les moyens dexprimer dautresbesoins, dautres dsirs que celui qui a donn lieu lapprentissage premier.Le premier apprentissage doit tre suffisamment plastique pour conduirealors lapprentissage dautres gestes, tout aussi prcis et lis une situa-

    tion, et qui vont voluer par croisement. Lenfant apprend dire, par telgeste quil veut manger tel fruit particulier, par un autre geste il a appris diffrencier les couleurs, il peut devenir capable de demander un fruit detelle couleur.

    En mme temps, lenfant entend le langage verbal, oralis par linterve-nant et, si la patience et la pertinence sont associes, il apprendra ragir,aussi, aux mots qui dsignent des nombres ou qui actualisent (comme le,la, les ), puis dautres mots, expressions, phrases. Pour lenfant autiste,comme pour nimporte quel enfant, la langue ne doit pas devenir unenomenclature, une collection dtiquettes, mais un processus dinterac-tions sociales.

    Ce processus dapprentissage par communication alternative au langagea t et reste discut. Le risque tant que lenfant ne dveloppe jamais decomptences dans le langage verbal. Lobjection mrite dtre tudie,pour chaque enfant. Un enfant svrement handicap doit-il ntre duquque dans le langage verbal ou peut-il apprendre communiquer au moyendes gestes (ou des images, autre systme smiotique utilis pour enseigner

    aux enfants autistes) ? On saperoit que le principal est lapprentissage dela communication, que les gestes enseigns donnent, parce quils sont effi-caces, le gout, lenvie de communiquer, dentrer en relation. Le langageverbal, lenfant lentend, comme une basse continue en musique, et ce

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    langage ponctue les changes, il peut les lancer, les stimuler, les interdire.Lenfant entend et il peut avoir envie darticuler son tour, avoir envie decommencer mettre des sons approximatifs proches des mots quilvoudrait prononcer. Les mots commencent lui tre utiles, et, progressi-vement, ils prennent le dessus, deviennent le meilleur moyen de commu-niquer. Cest l une forme magnifique de rsultat dapprentissages lents,longs, dcevants, splendides, gnreux. Un parcours qui mrite que lonprenne la peine de lentreprendre. Tous les enfants ne parviennent pas aumme point, tous les enfants ne parlent pas, ne ragissent pas galementaux tentatives dinteractions verbales. Mais ils peuvent apprendre communiquer, sortir du monde clos qui caractrise lautisme, ne pas

    sombrer dans la dmence.En prenant comme titre Langage et personnes autistes , lenjeu tait

    de montrer que lenseignement du langage verbal, sil est souhaitable etparfois possible, ne peut tre lunique but de ceux qui veulent aider lesenfants autistes sintgrer aux groupes humains qui les entourent de lafaon la moins conflictuelle possible. Le fondement du travail est lappren-tissage de la communication. De fait, lapprentissage de la communicationse fait par association de plusieurs systmes smiotiques (gestes, images,

    sons, couleurs, formes, langages). Cela signifie que lenseignement estsystmatique, organis et quil sappuie sur une valuation technique etune comprhension intime des processus cognitifs et affectifs de lenfantautiste. Donc que lon considre, dune part, que cet enseignement nesimprovise pas et relve dune professionnalisation et, dautre part, que lesenfants autistes auxquels les enseignants et les ducateurs vont sadresser defaon cohrente et organise sont des personnes. Ce sont l des considra-tions qui devraient tre au fondement de tout enseignement.

    Serge GOFFARD

    Rfrences

    MESIBOVG. (1995),Autisme : le dfi du programmeTEACCH, Paris, Pro AidAutisme. Pro Aid Autisme : .