langage metaphorique en langue des signes

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  • 7/23/2019 langage metaphorique en langue des signes

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    Trs vite lenfant entendant estconfront la polysmie desmots : une ampoule, une poupe,la mine, une glace, le pied la mta-phore: une montagne de jouets, avoir lecur gros, un nuage de lait, pleurer chaudes larmes, ne pas avoir de tte... lexpression de ses premires motions,

    ses premiers jugements.

    Puis au fur et mesure de llaborationde la langue, lenfant joue avec les motset formule des images qui font le dlicedes parents : je poche mon mouchoir.Pourquoi il fait nuit, le soleil est malade?Le ciel pleure Cette dimension mta-phorique est difficile pour un sourd percevoir sil na pas t habitu joueravec les mots de la langue. Ctait unecertaine poque peru comme du tempsperdu, et non important pour vivre. Lap-

    proche de la langue est rductrice vi-demment mais ne fait que souligner lab-sence dune langue premire danslaquelle lenfant a pu faire ses premiersessais de jeux linguistiques.

    Par une prise en charge de plus en plusprcoce, un enseignement devenu plussoucieux des programmes scolaires, etpar le suivi du cursus dans les collges etlyces, les lves sourds se sont confron-ts des crits o fleurissent tous leseffets de style : polysmie, connotations,

    implicite, mtaphores, figures potiques,registres de langue.

    Si ces modalits linguistiques sont deve-nues plus familires certains, tous nerussissent pas dominer le sens desnoncs dont le vouloir dire ne se dduitpas de la signification premire des motsqui les composent. Do des incompr-hensions, des mprises qui crent unemise distance de la langue franaise.

    Ce comportement linguistique des jeunessourds mavait paru en son temps para-doxal. La langue des signes est riche enmtaphores et leur emploi est frquentdans les propos des usagers. Do moninterrogation. Pourquoi les jeunes sourdssensibiliss ce procd de formulationimage prsent dans une langue dessignes ne russissaient-ils pas le per-cevoir dans la langue franaise et surtoutpourquoi prenaient-ils tous les noncsau pied de la lettre ?

    Un dbut de rponse ma t donn pardeux situations de classe.

    Je vais partir dune anecdote survenue enclasse de 6me, point de dpart dunerflexion et de recherche mene sur laL.S.F

    Lors dune tude de texte extrait du jour-nal dAnne Frank, dans une phrase taitcrit je me creusais les mninges. Vou-lant massurer que les lves avaient

    compris, je leur demande la significationde cette expression et le signe corres-pondant. Quelle ne fut pas ma surprise

    en constatant une moue de dgot sur lesvisages. Un lve me faisant remarquerquen langue des signes on ne parle pasde choses aussi rpugnantes.

    Bien sr chaque mot avait gard son senspremier et le sens se dduisait par las-sociation des deux significations pre-

    mires: creuser - verbe daction simple- mninge (mningite) faisant partie duvocabulaire de beaucoup de sourds, ladduction tait simple. Je leur fais com-prendre que ces mots renvoient uneimage quils peuvent traduire par unterme trs connu et que le signe qui lac-compagne leur est trs familier. Partouches successives ils sont arrivs partrouver dabord le signe par traductionlittrale puis enfin le verbe rflchir.

    Une squence pdagogique ma conduit

    un peu plus tard sonder les comp-tences linguistiques, concernant les mta-phores, de jeunes adultes sourds.

    Je proposais des ouvrages comme Mamatresse a dit quil fallait bien possder lalangue franaise1 avec des illustrationsreprsentant le sens premier des expres-sions: se meubler lesprit, tre tir quatre pingles, en avoir plein le dos, cas-ser les pieds

    La raction des stagiaires fut surprenante.

    Rejet de ces livres dont ils napprciaientpas lhumour et de surcrot ces illustra-tions leur paraissaient enfantines voire

    Le langage mtaphorique de la langue des

    signesPAR CHRISTIANE FOURNIER

    Pendant des dcennies, dans la majorit des situations de classe, le franais a t prsentaux lves sourds comme un moyen utilitaire de communication afin de comprendre et trecompris de ses semblables. Pour ne pas perturber les premiers apprentissages laborieux, lespdagogues restaient sur des voies bien traces dune langue centre sur la dnotation et lalittralit. Sous le prtexte daller lessentiel, lutilitaire on crait des comportementsinadquats par rapport au fonctionnement de la langue.

    Langue des Signes

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    Langue des Signes

    stupides. Evidemment lhumour impli-quait de comprendre le jeu de la mta-phore, se dgager du sens premier desmots, pour saisir le vouloir dire.

    Ces situations pdagogiques gravitantsur cet aspect du langage mont conduite soulever le paradoxe suivant. Pourquoiles sourds sont-ils aussi hermtiques auxmtaphores de la langue franaise alorsquils jouent sans cesse avec celles for-mules en langue des signes? CommeMonsieur Jourdain ils le font sans lesavoir.

    Cest ce cheminement qui ma permisdanalyser le langage mtaphorique de lalangue des signes et tenter de com-prendre ce paradoxe.

    Nous laissons sciemment tout laspect deliconicit et du symbolisme dans lalangue des signes ainsi que la synec-doque2,figure de style largement utilisedans les discours oraux pour aborder lesaspects purement mtaphoriques enlangue des signes et voir sil existe un lien

    ou non de dpendance partir des mta-phores de la langue franaise.

    Mtaphores de comparaison

    Tout dabord les usagers de la langue dessignes utilisent frquemment des mta-phores de comparaison, comme cellesque nous connaissons, et le monde ani-mal y est largement reprsent : douxcomme un agneau, fort comme un buf,marcher comme une tortue, agile commeun singe, grand comme une girafe,

    hypocrite comme un chat, fier comme unpaon (lnonc se rduit au dploiementdes plumes en ventail, la dsignation dupaon tant implicite) rouge comme unetomate, dur comme une pierre, croiretre un roi, tre comme un enfant, ellespeuvent tre le fruit dune crationdune personne dans un contexte donnmais sont phmres.

    A ct de ces mtaphores classiques, exis-tent de nombreuses expressions images

    signes qui sont considres commerelevant du mime, alors que leur perti-nence rejoint des expressions quiva-

    lentes ou proches en franais. Mais lesusagers sont en situation de communi-cation ils utilisent leur langue sans se pr-occuper de cet aspect du bilinguisme.Lessentiel est de comprendre et trecompris.

    Ces nombreuses expressions images,sont largement exploites dans leschanges en L.S.F, mais elles ne font paslobjet dun enseignement adapt enclasse. Seul un enseignant rellementbilingue saura en saisir toute la richesseou la subtilit et pourra lexploiter par des

    quivalences linguistiques.Trs souvent la figure de style donne enL.S.F. est perue comme du mime, si ellenest pas gomme par souci de fidlit ausens; elle est rarement reprise en franaispar une figure correspondante :une mon-tagne de fruits (de papier), un flot devisiteurs, une pluie (ou torrent) delarmes, une larme de lait, une explosionde joie, la chute du moral, un froid decanard, une flambe des prix

    Les mtaphores dorientationLes mtaphores dorientation donnentune orientation spatiale auxconcepts : haut-bas, devant-derrire,droite-gauche, dessus-dessous tre ausommet de la gloire tre au bas delchelle - tre sur le devant de la scne -faire face - tre mis sur la touche - tre lebras droit de quelquun - se lever du piedgauche... Ces orientations ne sont pasarbitraires. Elles trouvent leur fondementdans notre exprience physique et cul-

    turelle ; elles peuvent ainsi varier duneculture une autre. Concernant la pairede langues: franais et langue des signes,nous retrouvons sensiblement les mmesmtaphores dorientation mais sous desaspects diffrents. Ainsi en franais ellesse traduisent par des signifiants : la chutedu moral - gravir des chelons - monterdans les sondages - se croire au-dessusdes autres - tre sous les ordres de quel-quun En langue des signes la mta-phore dorientation est inclue dans lesignifiant renvoyant au concept. Elle cor-

    respond un des cinq paramtres dusigne : la kinsie [mouvement de la mainrectrice]. Le signe reprsente une unit

    smantique, les locuteurs ne dissquentvidemment pas les signifiants au coursde leurs changes. Si ventuellement lakinsie tait fautive leur attention seraitattire ; ce qui souligne bien la valeursmantique de chaque paramtre et durespect des structures formelles.

    Si un nonc mis par un locuteur sourdadulte est compris par son interlocuteur,la communication est bien passe mmesi la correspondance en franais estinconnue. Par contre en classe bilingue ilest impratif que le passage dune langue

    lautre soit lobjet dtude contrastivepour souligner quun mme vouloir-direutilise dans des langues diffrentes desstratgies linguistiques spcifiques. Leslves enrichissent ainsi simultanmentleurs deux langues.

    Quelques exemples

    Mouvements vers le haut: la chance -lintelligence - la vie - lambition - la cl-brit - un raisonnementVers le bas : le destin (il tombe du ciel)

    la dpression - battre quelquun - la chutedes prix - la soumission - la punition -perdre quelque choseVers lavant : le courage - conqurir -poursuivreVers larrire: faire marche arrire -remonter le tempsDessus : tre au-dessus des autres - fon-der (poser la premire pierre)Dessous : espionner - clandestinsLigne droite : honntet - fidlitDroite ou gauche : mensonge - adultre- un marginal

    Sur soi : se concentrer - autisme -gosme - accueillirSur lextrieur: souvrir quelque chose- la gnrosit - proposer - licencier

    A ct de ces mtaphores de comparaisonet dorientation, il existe une autre cat-gorie de mtaphores qui sont lillustrationdexpressions mtaphoriques du franaispar transcodage vers la langue des signes.Le principe mme dune mtaphore estde transmettre une ide abstraite par letruchement de mots concrets dtourns

    de leur signification premire : avoir lesdoigts crochus, avoir les yeux plus grosque le ventre

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    La Mtaphore

    Construit avec des termes reprsentantdes ralits concrtes, le procd lin-guistique de la L.S.F vise transmettreune ide abstraite, donc le principe de lamtaphore est respect.

    Ces signes trs anciens pour la plupartpuisquon les retrouve dans des diction-naires du XIXme sicle, prouvent le soucides enseignants de lpoque de favoriserlacquisition des concepts abstraits parlinteraction des deux langues.

    Mais il sest pass un raccourci fcheux

    entre lexpression mtaphorique et leterme abstrait correspondant en languefranaise. Peut-tre par crainte dalourdirlapprentissage du franais. Au fur et mesure du temps, les enseignants ont peu peu abandonn ces expressions ima-ges, qui avaient une connotation popu-laire, pour aller lessentiel en se consa-crant au franais fondamental sans entrerdans les jeux de la langue. Ainsi ces mta-phores devenaient peu peu des nigmespour les lves. Si celles-ci apparaissaientau hasard dun texte, ils les prenaient le

    plus souvent au pied de la lettre, ven-tuellement les plus intelligents se dou-taient dun jeu de mots sans pour autanten trouver la signification.

    Situation linguistique incroyable puisquela langue des signes possde ces mta-phores dans leur essence mme. Leslves les utilisaient frquemment. Per-sonne ne les a aids tablir ces quiva-lences entre les deux langues : ils matri-saient le concept abstrait en franais et lamtaphore en L.S.F. La langue franaise

    telle quelle tait enseigne alors, taitaseptise. On comprend dautant mieuxcette remarque dune personne sourdedisant:la langue franaise est triste.

    Si les expressions mtaphoriques de lalangue des signes sont la traduction quasilittrale des actes signifiants exprims enfranais, on peut se demander pourquoiles lves ne les comprenaient pas? De parlusage, lacte signifiant descriptif sest lexi-calis et devient aujourdhui totalementarbitraire pour son utilisateur. Liconicit

    disparat totalement pour nvoquer quele concept auquel il fait rfrence. Ce sontdes mtaphores lexicalises.

    Il est illusoire de croire que toutes lesmtaphores sont transmises dune langue lautre par simple transcodage. Chaquelangue a sa propre vision du monde et ledcoupe selon ses propres ralits lin-guistiques.

    Les mtaphores lexicalises

    Il est intressant de constater que, parmila longue liste des mtaphores lexicali-ses de la L.S.F., la plupart dentre ellesfont intervenir une partie du corps.Mais cette liste ninclut pas toutes les

    mtaphores propres la langue franaise.Pour le lecteur non initi la langue dessignes la production du signe est rela-tivement simple se reprsenter, il suf-fit de se laisser guider par les mots fran-ais et utiliser les figures symboliquesvoques dans les numros prcdentssur les configurations de la main.3

    Nous ne tenons pas tablir une listeexhaustive qui serait fastidieuse pour lelecteur, mais plutt proposer quelquesexemples mettant en jeu les diffrentes

    parties du corps.

    Tte et visage

    Avoir la tte dans les nuages - Avoir latte qui tourne - Avoir une ide derrirela tteOpiner du bonnet - Foncer tte baisse- Etre en tte--tteAvoir la tte vide - Avoir la grosse tte- Sortir de la tte - En avoir par-dessus latte - Partir bille en tteAvoir les cheveux qui se dressent sur la

    tte - Se mettre en ttePlus familirement, enfoncer dans lecrne, qui donne par drivation :apprendre, leon...Se creuser les mninges - Faire dresserles cheveux sur la tte - Etre comme unegirouetteAvoir une figure qui sallonge - Cracher la figure (insulter) - En prendre plein lafigureSe voiler la face..

    Yeux oreilles bouche -nez

    Suivre quelquun des yeux - il pouril, dent pour dent (le signe se fait hau-teur de la joue englobant les deux dsi-gnations du visage) - Avoir une dentcontre quelquunAvoir des illres - se rincer lil - Sau-ter aux yeux - sortir par les yeux Obirau doigt et lil (le signe sest un peumodifi, le doigt a cd la place la main)- Avoir lil sur quelquun - Tourner delil Avoir les paupires lourdes

    Avoir les oreilles basses - Se faire tirerloreille - Rougir jusquaux oreillesEtre suspendu aux lvres (ce qui adonn par drivation : dicte)Manger du bout des lvresAvoir la langue bien pendue Avoirune langue de vipreFaire un pied de nez - Se faire menerpar le bout du nez - Avoir un verre dansle nez Fourrer son nez partout (ce signeeffectu au niveau du nez se traduit parcurieux et a bien sr une connotationngative ; le mme signe effectu au

    niveau de lil se traduit par curieuxmais avec une connotation positive) - Secasser le nez - Filer sous le nez...

    Le cur

    Apprendre par cur - Avoir bon cur- avoir un cur de pierre - Avoir le cursur la main - Avoir mal au cur - Avoirle cur au bord des lvres - Soulever lecur Avoir le cur serr Avoir lecur qui bat - Parler cur ouvert - cettemtaphore a donn par drivation une

    mtaphore propre la langue des signesqui pourrait se traduire par ouvrir sonesprit la connaissance mme signeport sur le front au lieu du cur.

    Mains et bras

    Les bras men tombent - Reprendre enmain - Sen laver les mains En un tourde main [comptent] - Se frotter les mains- Faire main basse Etre pris les mainsdans le sac [flagrant dlit] (malheureu-sement la mtaphore nest pas plus

    connue que le terme juridique) - Allermain dans la main (par drivation adonn: association - complicit- amiti) -

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    Langue des Signes

    Donner un coup de main [tre serviable]- Passer la main Balayer dun revers demain -Dessiner main leveAvoir un poil dans la main Avoir lesmains palmes - tre pris la main dans lesac - En sous mainAvoir de la poigne - Avoir poings etmains lisEtre comme les deux doigts de la main- Sen lcher les doigts et le pouceAvoir les doigts qui dmangent Senmordre les doigts - Se rouler les pouces [ce signe dsignait initialement les ren-tiers puis loisivet, mais par sosie labial

    ou par confusion de sens certains usagersvoquent aujourdhui le loisir] - Avoir lesdoigts crochus

    Pieds et jam bes

    Avoir les jambes qui flageolent4 - Sau-ter pieds joints - Prendre les jambes son couTaper des pieds (trpigner, capricieux)- Perdre pied - Marcher sur la pointe despiedsEtre sur les rotules

    Dautres parties du corps peuvent trevoques dans ce foisonnement de mta-phores:

    Avoir la corde au cou - Avoir un far-deau sur les paules - Avoir lestomacnou - Avoir la peur au ventre - Montrerles dents - Avoir une dent contre quel-quun - Jouer des coudes - Tourner le cou-teau dans la plaie...

    Ou tre indpendantes du corps :

    Etre mouill tordre - Mettre la pre-mire pierre - Avoir les poches vides -

    Jeter largent (en lair) - Faire volte face -Mener la baguette (mtaphore qui aperdu son caractre de svrit poursignifier simplement ducation sansaucune connotation).Croiser le fer (image trs prsente pourtoutes les situations conflictuelles ouguerrires avec des variantes signespour apporter des nuances smantiques).Tout comme en franais la discussion cest

    la guerre. Se dfendre Prendre position Convaincre Attaquer les pointsfaibles

    Les mtaphores propres la L.S.F.

    Toutes ces mtaphores nes du langagepopulaire, certaines fort anciennes, sontconstamment prsentes dans notre viequotidienne car elles refltent la relationqui existe entre lexprience corporelle et la

    perception de soi-mme et du monde5. Ellesne sont pas de simples faons de par-ler : elles sont constitutives de notre pen-se, de notre exprience du monde, selonnotre perception de la ralit.

    Cest ainsi que chaque culture a sespropres mtaphores, car chaque com-munaut linguistique traduit par sonvcu sa propre vision du monde.

    Aussi il est tout fait normal que lesexpressions mtaphoriques de la languedes signes ne se limitent pas rcuprerdes mtaphores nes du franais. Lacapacit de cration de ses usagers, leurperception du monde dans lequel ils vo-luent se traduisent par des conceptsmtaphoriques spcifiques la L.S.F.

    Ce procd mtaphorique est moinsperceptible en langue des signes que dansles langues orales. Les signes en tant quesignifiants sont par nature iconiques etrenvoient souvent des figures symbo-liques comme : la rpublique (le bonnetphrygien) un bienfait (un don venant ducur) limpolitesse (une tape sur lesdoigts).

    De plus, non imprgns de lusage de cesfigures mtaphoriques, les usagers

    sourds se limitaient des mtaphores decomparaison comme nous le mention-nions prcdemment. De plus les jeux designes, les images potiques, les expres-sions images avaient un caractre ph-mre, manque de support, manque dediffusion, et restaient lapanage duneminorit dindividus.

    Le retour en grce de la langue des signessaccompagne dune vritable explosionlexicale favorise par un niveau linguis-tique et culturel croissant des utilisa-

    teurs: les registres de langue se dmar-quent les uns des autres, les nologismesles jeux de signes, les images potiques

    se multiplient. Ces faits de langue ne peu-vent tre perus et apprcis que par desusagers de la langue, sourds ou enten-dants. Une connaissance insuffisante decelle-ci engendre une mauvaise inter-prtation, sans parler de contresens ; ellepeut gommer la pertinence du propos,son aspect motionnel, le trait dhumourou dironie, la beaut de limage ou sonct pittoresque. A noter que lorsquonparle dusagers de la langue il importe dedistinguer les sourds gestuels de lapetite enfance qui ont la totale matrise dela langue, la faonnent leur gr et jon-

    glent avec les signes pour devenir cra-tifs, des usagers sourds plus tardifs oudducation oraliste qui peuvent certestrs bien utiliser la langue des signes maisplus comme un outil de communicationstandard.

    Il importe de prendre en compte lex-pression faciale comme complmentsmantique lexpression mtaphoriquesigne, au mme titre que la prosodie faitpartie dun nonc oral.

    Je me souviens entre autre dune expres-sion image signe que jai vu utiliserdans mon enfance, amusante repro-duire, quasiment disparue aujourdhui,dont le sens serait intermdiaire entrecause toujours, tu mintresses et leschiens aboient et la caravane passe. Nonseulement lexpression faciale accompa-gnant ces signes souligne un ct iro-nique, de plus le rythme dexcution enquatre squences peut traduire soit unesimple plaisanterie soit une plaisanterieplutt vexatoire.

    Malheureusement la restitution par ladescription nest pas la ralit. Avec uneffort dimagination pour les lecteurs noninitis la L.S.F. voici quelques expres-sions images relativement faciles transcrire et reproduire. Certaines sontproches de mtaphores du franaisdautres sont des crations singulires.

    Sens proche de celui desmtaphores du franais :

    Passer lponge - Retourner sa veste (unprtexte) Avoir les paupires lourdes -Flatter quelquun

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    La Mtaphore

    Rouler dans la farine - Bcler son travail- Lire travers quelquun - Engranger desconnaissances

    Spcifiques la L.S.F.,explicites par traductionlittrale:

    Foncer tout droit [RHINOCEROS -FONCER - VENTRE A TERRE]Ne pas fermer lil de la nuit [COU-CHER - SUR DOS - SUR VENTRE - SURDOS - SUR VENTRE]Etre maudit [FAIRE- LES CORNES]

    Etre rveur [TTE - VOLER -PAPILLON]Une anne sabbatique [ANNEE - BAIS-SER - LE RIDEAU]Sen tirer bon compte [VISAGE -AIR]Se taire, mettre les mains dans lespoches Mdire [ partir de labouche : REPANDRE - POISON]Pleurer chaudes larmes [ partir desyeux et avec tous les doigts : FAIRE JAILLIRDES RUISSEAUX DE LARMES] Emouvant [ACCROCHER - UNE

    LARME - AU BORD DES PAUPIERES] Avoir le coup de foudre [DEUXCURS BATTRE A LUNISSON]Ne pas avoir ses yeux dans sa poche[REGARDER COMME CAMELEON]Se graver en mmoire [MARQUERSUR LE FRONT (image des marques au ferrouge)] Se regarder en chien de faence[REGARDER FACE A FACE + air dedfiance]Ne rien voir [TIRER RIDEAUX]Etre lheure [HEURE MILITAIRE]

    Reprsentation de la vache folle lorsde la crise bovine [Les deux cornes repr-sentes par le pouce et lauriculaire sont orien-tes en sens oppos de chaque ct de la tte,lune vers le haut lautre vers le bas].

    Mme si les signifiants de la L.S.F sontpour la plupart des signes motivs, il nendemeure pas moins quils sont dcompo-sables en paramtres. La permutation decertains de ces paramtres partir dunoyau smique permet des drivationslexicales source denrichissement lexical.

    Il est donc frquent de trouver partir demtaphores lexicalises dautres signifiantsappartenant la mme famille smique.

    A titre dexemple

    Avoir le cur serr [chagrin, treangoiss, avoir de la peine, tre dsol,avoir des remords, condolances]Avoir le cur sur la main [gnrosit,un bienfait]Avoir des illres [fanatique, trecatgorique, dcider, strict, tre absorb]

    Ce jeu de mtaphores reste propre unelangue et une culture. Si parfois cer-taines mtaphores peuvent se croiserdautres seront quasi intraduisibles au

    mot mot comme en anglais:it rains catsand dogs. La notion de mtaphore littralena pas des sens6. Il importe de trouverune expression image la plus prochedans le cas prsent:il pleut des halle-bardes ou de procder une exgsepour faire passer le sens. Comme cesdeux mtaphores releves dans la presse,elles impliquent non seulement de lesreplacer dans leur contexte mais gale-ment dtre habitu un certain style delangage:Le bricolage, les hommes en sontmarteau, De leau dans la loi Evin.

    Au-del du travail scolaire sur les mta-phores il nous parat fondamental de lesexploiter trs naturellement, pour fami-liariser les lves cette forme dexpres-sion qui reposent justement sur nos sens.Mais elles ne peuvent contribuer lacomprhension dun nonc quen fai-sant percevoir des similitudes fondessur des proprits inhrentes aux objets.

    La fonction langagire mtaphorique estune les modes dexpression lies aux

    langues reprsentent la diversit, do lancessit dune approche en parallle surles deux langues.

    Christiane Fournier

    Anciennement Professeur formateur au

    CNEFEI

    Inter prte exper t auprs des trib unaux ,

    Charge d e cours l ESIT, Par is II I

    1. DAlain Le Saux Ed. Rivages. Ouvrage o lesmtaphores les plus classiques font lobjet dillus-trations lies une traduction littrale et attirelattention sur le ridicule de la situation (voirpage 32).

    2. Figure de style o la partie vaut pour le toutcomme : nos jeunes ttes blondes, ne pas avoir detoit, les bouches nourrir, les blouses blanchesEn son temps les critiques les plus acerbes contrela langue des signes portaient entre autres sur lefait que les signes renvoyaient un lment duntout et que le signe dsignant le tout nexistaitpas. Cet argument ne pouvait tre retenu que parles nophytes de la langue, car il existe bien sr

    des stratgies pour dsigner aussi bien le chat queles moustaches dont il est dot et quun atelier nese limite pas aux bleus des employs. Les usagersne font pas la confusion, pas plus que les enten-dants lorsquils voient : interdit aux deux-roues.

    3. Voir les numros Connaissances Surditsn 4, 5 et 6.

    4. Pour toutes les expressions traduisant la peurcomme : avoir le cur qui bat - les jambes qui fla-geolent - avoir la peur au ventre avoir les cho-cottes - avoir une peur bleue - il existe autant devariantes signes. Les apprenants majoritairement

    entendants sont tonns de cette diversit pourdsigner la peur. Ils mettent cette diversit surles diffrents signes rgionaux sans prendreconscience que cette diversit existe en franais etquelle parat naturelle. A ct de nos mtaphoresnous pouvons disposer de termes qui distinguentla nature de nos peurs et leur intensit allant dela crainte, de la frayeur leffroi ou la panique.

    5. Les mtaphores dans la vie quotidienne,George Lakoff/Mark Johson.

    6. Les mtaphores dans la vie quotidienneGeorge Lakoff/Mark Johson, Editions de Minuit,1985, 25,61