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• Semaine du 3 au 9 février 2011 • LE FRANCO 9 Je suis l’heureuse héritière, depuis 45 ans, de l’alliance de mon arrière-grand-mère. C’est bel et bien le même anneau qu’Émilie Clément a reçu de son fiancé Henri Chamberland lors de leur mariage le 18 septembre 1882 à Alfred en Ontario. Ce précieux souvenir a piqué mon intérêt donc, à ma retraite, j’ai dressé mon arbre généalogique. Impressionné par ce tableau qui compte 15 générations, mon fils aîné m’a posé cette question: «Lequel de mes ancêtres a eu la vision et surtout le courage de venir s’établir dans l’Ouest?» La grande décision fut prise par mes arrière- grands-parents, car ils avaient intérêt à établir leurs cinq fils sur des terres. La solution : prendre des homesteads dans l’Ouest canadien. Quelle aventure! Imaginez le branle-bas pour préparer le départ de tout ce monde: Henri et Émilie avec leurs sept enfants adultes, quatre parmi eux étant déjà mariés. Il y avait aussi des petits-enfants : l’aîné de la famille, Joseph, mon grand-père, et sa femme Bernadette Léger, avaient déjà quatre enfants. Le voyage par train d’Ottawa à Edmonton en mars 1913 a duré cinq jours. J’imagine les soucis qu’a eus ma grand-mère Bernadette à s’occuper de ses quatre enfants pendant ce long trajet. L’aîné, Arthur, mon père, avait 6 ans, René, 4 ans, Irène, 2 ans, et Marie-Jeanne, seulement un mois! Une fois arrivés en Alberta, ils se sont tous établis à Legal. Comme pour tous les colonisateurs, les années se passent à défricher, semer, récolter et à faire tous les autres travaux que demande un homestead. Malheureusement, les tragédies ne manquaient pas! En 1918, Henri, mon arrière- grand-père, et deux de ses fils, Victor et Bruno, sont décédés de la grippe espagnole. La même année, Irène, fille de mes grands- parents Joseph et Bernadette, est décédée suite d’une crise d’appendicite. En 1926, Ernest, un autre fils d’Henri, est décédé. Après le décès de son mari, l’arrière-grand- mère, Émilie, a choisi de demeurer avec l’un ou l’autre de ses enfants. Elle préférait rester chez sa fille, Imelda, à Edmonton plutôt que chez son fils Joseph sur le homestead parce qu’Edmonton avait de l’eau courante! Elle passa aussi plusieurs hivers chez son fils, Louis, qui avait quitté son homestead pour s’établir en Californie. Vagues sont mes souvenirs d’Emilie… j’étais encore fillette lorsqu’elle est décédée à Legal en 1939. Il paraît que Grand-mère Bernadette s’ennuyait beaucoup de sa famille. Ses parents et ses douze frères et sœurs lui manquaient beaucoup. Elle y est retournée en visite trois fois mais aucun d’entre eux ne s’est rendu en Alberta… grande déception pour elle. Grand-père, par contre, avait tous ses frères et sœurs avec lui! En ces temps-là, les femmes ne sortaient pas beaucoup… il fallait garder la maison et les enfants. Cependant, une fois les enfants plus grands, Grand-mère se permettait une belle visite de quelques jours chez sa belle-sœur à Edmonton. Quelle joie pour elle de faire les boutiques au printemps (avant les semences bien sûr) pour acheter son chapeau de dernière mode pour la messe de Pâques! Après 48 ans sur la ferme, mes grands-parents ont pris leur retraite au village. Cette vie un peu plus facile n’a pas duré longtemps… ma grand- mère est décédée deux ans plus tard et mon grand-père, neuf ans après elle. Nous devons beaucoup de reconnaissance à ces braves pionniers pour tous les sacrifices qu’ils ont faits afin de nous donner une meilleure vie. C’est donc avec fierté que je porte jour et nuit l’anneau que mon arrière-grand-mère a reçu il y a 129 ans. Par Colette (Chamberland) Beauchamp L’anneau Volume 3, numéro 2 - Février 2011 Pour l’édition de février, le mois de l’amour, nous vous présentons un texte mettant en valeur un anneau de mariage qui a surmonté les époques. Éloi nous raconte l’histoire du premier vendeur de voitures à Edmonton. Nous en connaîtrons davantage sur un immigrant du Togo. Puis, Mario conclut sa série Quand les bisons couraient les plaines… Un grand merci à notre collaborateur de la dernière année! Famille de mes grands-parents Joseph et Bernadette en 1941. Dans l’ordre habituel, debout : Arthur (mon père), René, Marie-Jeanne, Jean-Marie et Bruno. Assis : Irène, Joseph, Bernadette et Gemma. Émilie Chamberland entourée de mon grand-père Joseph à gauche et de Victor en 1885. Sur sa main droite, son alliance que je porte toujours depuis 45 ans. En 1913, dès leur arrivée à Legal : à gauche, Henri Chamberland, à droite, son fils Joseph et au centre, Arthur, fils de Joseph.

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• Semaine du 3 au 9 février 2011 • LE FRANCO 9

Je suis l’heureuse héritière, depuis 45 ans, de l’alliance de mon arrière-grand-mère.

C’est bel et bien le même anneau qu’Émilie Clément a reçu de son fiancé Henri Chamberland lors de leur mariage le 18 septembre 1882 à Alfred en Ontario.

Ce précieux souvenir a piqué mon intérêt donc, à ma retraite, j’ai dressé mon arbre généalogique. Impressionné par ce tableau qui compte 15 générations, mon fils aîné m’a posé cette question: «Lequel de mes ancêtres a eu la vision et surtout le courage de venir s’établir dans l’Ouest?»

La grande décision fut prise par mes arrière-grands-parents, car ils avaient intérêt à établir leurs cinq fils sur des terres. La solution : prendre des homesteads dans l’Ouest canadien. Quelle aventure!

Imaginez le branle-bas pour préparer le départ de tout ce monde: Henri et Émilie avec leurs sept enfants adultes, quatre parmi eux étant déjà mariés. Il y avait aussi des petits-enfants : l’aîné de la famille, Joseph, mon grand-père, et sa femme Bernadette Léger, avaient déjà quatre enfants.

Le voyage par train d’Ottawa à Edmonton en mars 1913 a duré cinq jours. J’imagine les soucis qu’a eus ma grand-mère Bernadette à s’occuper de ses quatre enfants pendant ce long trajet. L’aîné, Arthur, mon père, avait 6 ans, René, 4 ans, Irène, 2 ans, et Marie-Jeanne, seulement un mois!

Une fois arrivés en Alberta, ils se sont tous établis à Legal. Comme pour tous les colonisateurs, les années se passent à défricher, semer, récolter et

à faire tous les autres travaux que demande un homestead.

Malheureusement, les tragédies ne manquaient pas! En 1918, Henri, mon arrière-grand-père, et deux de ses fils, Victor et Bruno, sont décédés de la grippe espagnole.

La même année, Irène, fille de mes grands-parents Joseph et Bernadette, est décédée suite d’une crise d’appendicite. En 1926, Ernest, un autre fils d’Henri, est décédé.

Après le décès de son mari, l’arrière-grand-mère, Émilie, a choisi de demeurer avec l’un ou l’autre de ses enfants. Elle préférait rester chez sa fille, Imelda, à Edmonton plutôt que chez son fils Joseph sur le homestead parce qu’Edmonton avait de l’eau courante!

Elle passa aussi plusieurs hivers chez son fils, Louis, qui avait quitté son homestead pour s’établir en Californie. Vagues sont mes souvenirs d’Emilie… j’étais encore fillette lorsqu’elle est décédée à Legal en 1939.

Il paraît que Grand-mère Bernadette s’ennuyait beaucoup de sa famille. Ses parents et ses douze frères et sœurs lui manquaient beaucoup.

Elle y est retournée en visite trois fois mais aucun d’entre eux ne s’est rendu en Alberta… grande déception pour elle. Grand-père, par contre,

avait tous ses frères et sœurs avec lui!

En ces temps-là, les femmes ne sortaient pas beaucoup… il fallait garder la maison et les enfants. Cependant, une fois les enfants plus grands, Grand-mère se permettait une belle

visite de quelques jours chez sa belle-sœur à Edmonton. Quelle joie pour elle de faire les boutiques au printemps (avant les semences bien sûr) pour acheter son chapeau de dernière mode pour la messe de Pâques!

Après 48 ans sur la ferme, mes grands-parents ont pris leur retraite au village. Cette vie un peu plus facile n’a pas duré longtemps… ma grand-mère est décédée deux ans plus tard et mon grand-père, neuf ans après elle.

Nous devons beaucoup de reconnaissance à ces braves pionniers pour tous les sacrifices qu’ils ont faits afin de nous donner une meilleure vie.

C’est donc avec fierté que je porte jour et nuit l’anneau que mon arrière-grand-mère a reçu il y a 129 ans.

Par Colette (Chamberland) Beauchamp

L’anneau

Volume 3, numéro 2 - Février 2011

Pour l’édition de février, le mois de l’amour, nous vous présentons un texte mettant en valeur un anneau de mariage qui a surmonté les époques. Éloi nous raconte l’histoire du premier vendeur de voitures à Edmonton. Nous en connaîtrons davantage sur un immigrant du Togo. Puis, Mario conclut sa série Quand les bisons couraient les plaines… Un grand merci à notre collaborateur de la dernière année!

Famille de mes grands-parents Joseph et Bernadette en 1941. Dans l’ordre habituel, debout : Arthur (mon père), René, Marie-Jeanne, Jean-Marie et Bruno. Assis : Irène, Joseph, Bernadette et Gemma.

Émilie Chamberland entourée de mon grand-père Joseph à gauche et de Victor en 1885. Sur sa main

droite, son alliance que je porte toujours depuis 45 ans.

En 1913, dès leur arrivée à Legal : à gauche, Henri Chamberland, à droite, son fils Joseph et au centre, Arthur, fils de Joseph.

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LE FRANCO • Semaine du 3 au 9 février 2011 •

Février 2011, page 2

Dans mon article du mois passé, je discutais du fait que certains Amérindiens des Plaines croyaient que les missionnaires possédaient des pouvoirs spirituels. Je démontrais comment les Amérindiens voulaient profiter des pouvoirs du missionnaire en lui demandant de les accompagner pendant leurs chasses. De plus, certains partageaient avec le missionnaire un message pacifique qu’ils voulaient répandre parmi leurs ennemis et leurs alliés sur les Plaines.

La proximité du missionnaire n’était pas le seul moyen d’acquérir les pouvoirs spirituels des Robes noires. Les Amérindiens pouvaient hériter les pouvoirs du missionnaire par le toucher. Prenez pour exemple ce rite d’adieu, tel qu’il est décrit par le père Hippolyte Leduc vers la fin des années 1860 :

Pendant que j’étais seul à Saint-Albert, je reçus la visite de plusieurs sauvages de la nation des Pieds-Noirs, venus en traite au fort Edmonton. Un jour, l’un d’eux vient me faire visite à la cathédrale, où j’étais occupé à réciter mon bréviaire. Après avoir fait à haute voix un assez long discours au Maître de la vie [Dieu], il s’en vint gravement me déposer trois ou quatre gros baisers sur les lèvres, me passa les mains sur les épaules et le long des bras, faisant ensuite les mêmes attouchements sur lui-même. Enfin il me donna la main et partit content, espérant bien avoir tiré de ma pauvre personne une vertu qui serait pour lui le gage d’un bon voyage ou d’une bonne chasse.1

Les pères Jean-Baptiste Thibault et Albert Lacombe ont vécu ce même rite lors de leurs rencontres avec les Pieds-Noirs. Thibault se sentait bouleversé :

Quand ils ont été sur le point de me laisser, chacun s’est empressé de me faire un adieu solennel, en me passant les mains sur la tête, sur les épaules, sur la poitrine et sur les bras. […] Je ne pouvais m’empêcher d’éprouver de la confusion en voyant les témoignages de respect dont ils m’entouraient.2

Ce genre de confusion souligne un choc culturel. D’une part, il était difficile pour les missionnaires de comprendre comment les Amérindiens concevaient leur rôle dans leurs sociétés. Il était probable que les Amérindiens catégorisaient les prêtres européens selon leurs propres rôles traditionnels, qui sont à la fois différents et comparables à ceux des Occidentaux.

Prenons l’exemple des rôles des sexes et, particulièrement, des deux-esprits (on les nommait antérieurement des berdaches). D’une perspective autochtone, les missionnaires, comme les deux-esprits, combinaient les rôles des hommes et des femmes. Selon l’anthropologue Will Roscoe, quatre traits fondamentaux les définissaient : des rôles de travail spécialisés, la différence du genre, la sanction spirituelle et l’homosexualité. Est-ce que le missionnaire peut être perçu comme un deux-esprit? Il est difficile de le savoir, mais d’une perspective autochtone, un chapelain de chasse satisfait à une partie de ces

critères.

Les missionnaires mélangeaient des rôles de travail masculins et féminins. Au lieu de chasser pendant la journée avec les hommes, le chapelain restait au campement avec les femmes. Cependant, il n’entreprenait pas les tâches ménagères, préférant ainsi sa routine de paroisse (voir mon article du mois de mai 2010).

Autres que les rôles de travail, les différences de genre se remarquaient par le tempérament, le style vestimentaire et le style de vie. Le repère le plus visible fut les vêtements.

Même si la soutane du missionnaire fut bien distincte des vêtements portés par les hommes et femmes amérindiens, elle ressemblait aux longues robes portées par les femmes qui descendaient jusqu’aux chevilles et qui couvraient la majorité du corps. Certains deux-esprits pratiquaient aussi

ce genre de travestisme, dont les femmes qui s’habillaient en homme pour faire la guerre (un rôle masculin).3

Les missionnaires, en respectant leurs vœux de chasteté, demeuraient célibataires. Mais leur abstinence les catégorisait, malgré tout, dans la marge de normes sexuelles. Cela confirmait leur identité sexuelle alternative, tout comme les homosexuels, et cela n’empêcha pas les missionnaires de développer de profondes amitiés avec d’autres hommes. Prenez l’exemple de Lacombe et son « grand ami » Sotai-na (Chef de la Pluie, Rainy Chief). Selon l’historien Hugh Dempsey, ce dernier croyait hériter les pouvoirs spirituels de Lacombe grâce à leur amitié. Cela peut représenter une extension du transfert de pouvoir telle qu’elle était décrite dans les citations des pères Thibault et Leduc.

Ces différences de genre, jumelées à la sanction spirituelle, démontrent une vraisemblance entre missionnaires et deux-esprits. Si les deux-esprits comblaient les visions amérindiennes des mondes masculin et féminin, il est probable que les missionnaires pouvaient le faire, eux, entre les Amérindiens et les hommes blancs. Cela expliquerait, en sorte, comment certains chefs amérindiens ont demandé aux missionnaires pour les représenter auprès des autorités occidentales. Ce fut bien le cas lors de la signature de traités avec la Couronne britannique vers la fin des années 1870.

Si les missionnaires Oblats ne se définissaient pas comme de véritables deux-esprits, ce fut sûrement le cas pour Jean l’Heureux, le prétendu missionnaire chez les Pieds-Noirs. Selon l’historien Raymond Huel, il a été expulsé du Grand Séminaire de Saint-Hyacinthe, Québec, après avoir été exposé comme un sodomite ou un voleur. Après s’être rendu au Montana en 1859, il a convaincu les Jésuites à la rivière Soleil (Sun River, près de Great Falls) qu’il était ordonné prêtre et il reçu, par la suite, une soutane pour aider avec leurs missions chez les Pieds-Noirs. Lorsque les Jésuites ont découvert ses relations homosexuelles avec des Pieds-Noirs, ils l’ont renoncé de leurs missions. L’Heureux s’est alors assimilé chez les Pieds-Noirs : « il n’eut aucune difficulté à se faire admettre dans leurs camps et

Albert Lacombe, Léon Doucet et Jean l’Heureux au Foyer Lacombe à Midnapore.(Photo OB1335 - Archives provinciales de l’Alberta)

Jean l’Heureux accompagné des chefs One Spot (le porteur du calumet à Isapo-Muxica), Mekaisto (Red Crow) et North Axe (le fils de Sotai-na).

(Photo : Archives Glenbow NA-2968)

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• Semaine du 3 au 9 février 2011 • LE FRANCO

Au début du siècle dernier, nous retrouvons Godefroi Corriveau dans le commerce à Saint-Albert et à Edmonton. Ce qu’il y a d’intéressant à son sujet, c’est qu’il a été le premier vendeur de voitures à Edmonton.

À la fin de 1905, il s’était associé à George M. Manuel, un vendeur de voitures tirées par des chevaux. En décembre, Godefroi partit pour Montréal acheter des automobiles. L’Edmonton Bulletin du 20 décembre écrivait que c’est « à Corriveau & Manuel que reviendra l’honneur d’avoir établi le premier garage d’automobiles entre Winnipeg et la côte du Pacifique » (ma traduction).

Dès le début de 1906, Manuel & Corriveau placèrent une annonce dans Le Courrier de l’Ouest pour la vente de voitures. Leur « salle de vente » était située au centre-ville, sur l’avenue Howard (le Rice Howard Way d’aujourd’hui).

À la fin du mois de mars, la compagnie recevait déjà son troisième envoi d’automobiles, ce qui fit écrire au Edmonton Bulletin « Edmonton now

has more automobiles to the population than any other city in America ». Le succès de ce commerce était assuré.

Ce qui a attiré l’attention des journaux de l’époque, c’est que Godefroi est allé livrer une automobile à Calgary à la fin de février 1906. Il avait fait le trajet de 200 milles en onze heures et demie : un record!

Le Calgary Daily Herald du 3 mars raconte que Godefroi et son fils étaient partis d’Edmonton à 10 heures le samedi matin, avaient couché à Red

Deer, et s’étaient rendus à Calgary à 7 heures le dimanche soir. On ne parlait pas encore de route entre Edmonton et Calgary, mais bien d’une « trail » en bien mauvais état. La section entre Lacombe et Red Deer était en meilleure condition et nos voyageurs avaient parcouru cette distance en 34 minutes en atteignant la vitesse de 40 milles à l’heure!

Pour ce long parcours, il avait fallu 20 gallons de gazoline et un gallon d’huile à moteur. Le Herald nota qu’à son arrivée à Calgary la voiture était encore

en bon état et qu’il ne lui manquait pas un seul morceau.

À la fin de septembre 1906, Le Courrier de L’Ouest informa ses lecteurs que Godefroi Corriveau avait laissé définitivement Edmonton pour se lancer dans le commerce des voitures à Vancouver.

D’ailleurs, il s’était déjà rendu à Chicago afin d’acheter des autos pour son nouveau garage à Vancouver.

Février 2011, page 3

Godefroi Corriveau, le premier vendeur de voitures dans la capitale

à les accompagner dans leurs pérégrinations à travers la prairie ».4 Cette société, paraît-il, ne condamnait pas son orientation sexuelle.

L’Heureux était plus enclin à partager son pouvoir spirituel (par le sexe) que ses homologues oblats. Roscoe raconte que certains hommes Ojibwa initiaient des relations sexuelles avec Ozaw-wen-dib (Yellowhead), un deux-esprit et un guerrier accompli, afin de gagner son courage et ses talents de combat.

De plus, aux États-Unis, un chef omaha était réputé d’avoir changé le temps grâce à ses relations sexuelles avec un deux-esprit mâle.5

L’Heureux, lui, pouvait protéger contre la maladie et la disette. Il fut aussi un bon diplomate qui pouvait comprendre les visions du monde autochtone et occidental.

En bout de ligne, l’Heureux a mérité « la confiance des Autochtones et s’était fait accepter par eux comme catéchiste », ce qui piquait une certaine jalousie chez les Oblats.6 Selon Huel, les Oblats le méprisaient parce que « ses activités dans les champs aurifères et ses rapports sodomitiques transgressaient le rigoureux code moral de l’époque », mais c’était surtout « son usurpation du titre de prêtre-missionnaire qui lui valut le mépris du clergé ».7

Tout comme les prophètes Alexis Cardinal et Louis Riel, ce catholique renégat contestait l’autorité des Oblats en tant que représentants de l’Église légitime. De plus, son travail apostolique semblait être mieux reçu chez les Pieds-Noirs, car l’Heureux « ne chercha pas à les convertir à la religion catholique, mais à leur montrer que le Grand Esprit qu’ils adoraient était le même Dieu que lui-même vénérait » (voir mon article du mois de décembre 2010).8

Malgré leurs critiques sévères, les Oblats reconnaissaient certains atouts chez l’Heureux.

Le père Léon Doucet « pouvait pardonner les nombreuses excentricités de L’Heureux parce qu’il avait rendu de réels services aux premiers missionnaires ».9

Son travail de catéchiste semblait faciliter la tâche aux missionnaires : « Il se fit interprète des missionnaires […] et même, s’étant arrogé les fonctions de catéchiste, il enseigna certains rudiments de la foi aux sauvages ».10 De plus, Doucet a noté dans son journal que l’Heureux a parrainé la majorité des 368 Pieds-Noirs qui ont été baptisés en 1864-1865, en plus des 45 qui ont été baptisés par l’évêque Vital Grandin en 1872.11

Doucet écrit aussi que l’Heureux fut un médiateur talentueux. « L’Heureux qui fit l’office d’avocat avec un grand à plomb et surtout avec une loquacité intarissable ». À la suite du Massacre des Pieds-Noirs par l’Armée américaine à Marias, Montana, le 23 janvier 1870, les Pieds-Noirs ont choisi l’Heureux comme émissaire de paix afin d’améliorer leurs relations avec les colons. Au mois de septembre 1877, et au chagrin du père Constantine Scollen, l’Heureux fut choisi par Isapo-Muxica (Pied de Corbeau, Crowfoot) comme son interprète officiel pour les négociations du Traité 7 à la Traverse des Pieds-Noirs (Blackfoot Crossing, Alberta).12

Ce fut bien l’Heureux qui a soigné Lacombe lorsque ce dernier est tombé gravement malade dans le camp de Natos-api (Natous, Old Sun) pendant l’hiver de 1864-1865. Même si l’Heureux fut curieusement absent des récits dans les publications religieuses, Lacombe lui a été reconnaissant.

Sous la protection de Lacombe, l’Heureux, qui portait sa soutane jusqu’à sa mort le 19 mars 1919, a vécu ses dernières années au Foyer Lacombe à Midnapore, Alberta (aujourd’hui en banlieue de Calgary).

Le monseigneur Grandin choisit d’excommunier l’Heureux bien avant sa mort. Selon un parent collatéral de l’Heureux, ses mémoires, inscrits sur un grand rouleau de papier, auraient été détruits par les Oblats « pour la tache qu’il aurait pu faire à l’église naissante de l’Ouest » ainsi que « pour ne pas porter ombrage à la gloire du Père Lacombe ».13

Peu importe notre perspective, il est vrai que bien peu de gens, avec l’exception des Pieds-Noirs, évoquent la mémoire de ce personnage aussi fascinant que controversé.

1 Hippolyte Leduc, « Lettre du R. P. Leduc au R. P. Marti-net, Secrétaire Général », Missions 12 (1874), 511.

2 Archives Deschâtelets, Monographies et Manuscrits, BP 2513 .P45 1937, Aristide Philippot, « Les origines des missions piednoires », 23.

3 Will Roscoe, Changing Ones: Third and Fourth Gen-ders in Native North America (New York: St. Martin’s Press, 1998), 8.

4 Raymond Huel, « Jean l’Heureux: Canadien errant et prétendu missionnaire auprès des Pieds-Noirs », Après dix ans… bilan et prospective: Actes du 11e colloque du CEFCO (Edmonton: Institut de recherche de la Fa-culté Saint-Jean, 1991), 208.

5 Roscoe, op. cit., 9.6 Huel, op. cit., 210.7 Ibid., 224-225.8 Ibid., 211.9 Ibid., 210.10 Paul-Émile Breton, Le grand chef des prairies : Albert

Lacombe, O.M.I., 1827-1916 (Edmonton : Éditions de l’ermitage, 1954), 70.

11 Archives provinciales de l’Alberta, OMI, 71.220, Item 6382, Boîte 151, Papiers Personnels à Léon Doucet, « Journal 1868-90 », 78 ; Huel, op. cit., 212.

12 Constantine Scollen, « Au Révérend Père Aubert, Ass. Gén. Saint-Albert, le 24 juin 1878 », Missions de la congrégation des Oblats de Marie Immaculée, 16 (1878), 472.

13 Huel, op. cit., 221-222 ; Archives Deschâtelets, HEC A33K 14, L’Heureux à Savoie, 25 mars 1972.

Annonce publiée dans Le Courrier de L’Ouest, le 15 mars 1906.

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LE FRANCO • Semaine du 3 au 9 février 2011 •

Février 2011, page 4

Le rêve de venir au Canada a toujours été très fort dans mon cœur et Dieu merci m’y voilà aujourd’hui. Je suis arrivé au Canada en février 2009 par voie terrestre, via le Montana, après un séjour de dix ans aux États-Unis.

Le Canada a toujours été mon pays de prédilection et c’est pour cela que j’ai entamé des démarches pour m’y installer depuis le pays de l’oncle Sam. C’est ici le lieu de remercier les autorités canadiennes de nous avoir accordé la résidence permanente, à moi et à ma famille, qui m’a finalement rejoint après dix années de séparation.

Dès mon arrivée ici, je me suis jeté à l’eau et j’ai eu la chance de rencontrer des amis ainsi que connaître des organismes comme accès·emploi et le Centre d’accueil et d’établissement (CAÉ) qui m’ont aidé à chercher du travail et fourni des conseils utiles dans l’orientation et l’intégration. Ils le font d’ailleurs pour de nombreux nouveaux arrivants.

Je profite également de l’occasion pour exprimer tous mes remerciements et ma sincère gratitude à tout le personnel de ces deux organismes, singulièrement à mon agent, pour leur disponibilité et leur sollicitude à mon égard. C’est grâce à leurs conseils que j’ai pu me rendre à La Cité francophone pour bénéficier des services du CAÉ.

Je suis né et j’ai grandi au Togo où, après mes études en linguistique à l’université, j’ai enseigné pendant 12 ans. Ce n’est qu’après que j’ai rejoint les États-Unis pour une formation en hôtellerie pendant trois ans au YMCA de Rockies Hotels Resorts Management.

À mon arrivée au Canada, j’ai tenté de renouer avec ma profession d’enseignant, mais les choses ne sont pas aussi faciles : le département de l’éducation exige un baccalauréat en sciences de l’éducation ainsi qu’un permis d’enseignement délivré par l’ordre des enseignants.

Certes, le mal du pays nous étreint encore parce qu’on a une partie de la famille, des amis et des proches qui vivent là-bas. Sans oublier tous les bons souvenirs qu’on garde pour toujours et

qui nous accompagnent partout. Cela dit, je ne regrette absolument rien. Au contraire, je me réjouis d’avoir tenté cette aventure. La situation socio-économique et politique actuelle de mon pays me donne raison.

L’intégration professionnelle est loin d’être terminéeMon séjour aux États-Unis et au Canada m’a beaucoup édifié tant les opportunités sont prometteuses. Je trouve les Canadiens beaucoup plus sociables que je ne l’imaginais et la diversité culturelle dans le respect réciproque est tout simplement formidable. Comme j’ai résidé aux États-Unis, mon adaptation n’a pas du tout été difficile et j’ai pu m’adapter rapidement, même si, comme tout nouveau venu, j’ai fait face à certaines difficultés. Surtout en termes d’information et d’intégration professionnelle,tant les réalités sont tout autres.

Mais quelques ateliers organisés par le CAÉ — dont le séminaire d’orientation des nouveaux arrivants et l’atelier sur le système éducatif en Alberta et la culture canadienne animé par Henri Lemire — m’ont facilité les choses.

Cependant, l’intégration professionnelle est loin d’être terminée, en raison des conditions que je dois remplir si je veux exercer la profession dans laquelle j’ai évoluée auparavant. Lentement mais sûrement, cela va se réaliser. En tout cas, je l’appelle de tous mes vœux.

Présentement, je suis agent de sécurité à l’hôtel Matrix situé au centre-ville d’Edmonton. En plus de ce boulot, j’ai obtenu un contrat de trois mois à Edmonton Menonite Center For Newcomers comme formateur du programme Accountant’s Bridging où je m’occupe du Public Speaking, Reading, Listening, Conversation and Grammar.

Quant à mes perspectives, elles restent pour l’instant de pouvoir intégrer rapidement mon domaine professionnel afin de faire profiter aux gens qui en ont besoin de mes années d’expérience en la matière. Je reste aussi prêt à saisir toutes les occasions qui se présenteront et j’ai pour cela un avantage majeur qui est le bilinguisme.

Bien que les changements aient été radicaux pour les membres de ma famille depuis nos retrouvailles, le climat de confiance et le respect mutuel qui règnent entre nous nous gardent soudés et nous permettent d’affronter ensemble les difficultés inhérentes à notre nouvel environnement, dont le climat rigoureux de l’hiver.

Chaque membre de ma famille prend de plus en plus ses marques et, tous, nous avons foi en l’avenir. C’est ce qui compte.

Le Canada a toujours été mon pays de rêve!

Orou Kodjovi

TogoPopulation : 6 600 000

Capitale : Lomé

Langue officielle : Français

Fête nationale : 27 avril

Au Togo, trois langues sont couramment employées : l’éwé, le kabiyé et le français. Le français qui est la langue officielle est également la langue des affaires. Le tiers de la population totale du pays est francophone. Le Togo est un état membre de la Francophonie depuis 1970.

Produit de l’université togolaise, diplômé en linguistique, Orou Kodjovi a été enseignant au Togo. Avant de réaliser son rêve de vivre au Canada, il a aussi vécu dix années aux États-Unis, où il a suivi une formation en hôtellerie et appris la langue de Shakespeare. Il partage aujourd’hui avec beaucoup de plaisir son installation au Canada et sa réunion avec toute son adorable famille.

1911- Le Canada « «Le Fédéral reconnaît le droit des

provinces de l’Ouest à leurs ressources

naturelles, c’est-à-dire les mines, les mi-

néraux, le bois et les terres à bois. »Source : D’année en année : de 1659 à 2000 : une présentation

synchronique des événements historiques franco-albertains / France Levasseur-Ouimet Ph.D, page 140

À quel endroit Jean l’Heureux a vécu ses dernières années avant de mourir?

Faites-nous parvenir votre réponse, par la poste ou par courriel, avant le 31 mars 2011 et courez la chance de gagner le livre Les francophones de l’Alberta.

Par courriel : [email protected]

Par la poste :ACFA - A/s Concours - Avant que j’oublie8627, rue Marie-Anne-Gaboury (91e Rue) Bureau 303Edmonton (AB) T6C 3N1