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L’ARGUMENTATION 1.L’APOLOGUE a. la fable b. la parabole c. le conte (traditionnel c/1/ philosophique c/2) d. l’utopie d/1 / la dystopie d/2 2.L’ESSAI 3.LE DISCOURS 4.LA DELIBERATION (dialogue 4/1 ou débat intérieur 4/2) 5.L’ELOGE ET LE BLAME annexes

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L’ARGUMENTATION

1.L’APOLOGUE a. la fable

b. la parabole c. le conte (traditionnel c/1/

philosophique c/2)

d. l’utopie d/1 / la dystopie d/2

2.L’ESSAI

3.LE DISCOURS

4.LA DELIBERATION (dialogue 4/1 ou débat intérieur 4/2)

5.L’ELOGE ET LE BLAME

annexes

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Il y a différents GENRES argumentatifs. Nous en distinguerons 5 principaux : L’apologue et ses sous-genres (cf plus loin) L’essai Le discours (proche de l’essai, il essaie surtout d’interpeller

son auditoire : apostrophes, exemples frappants, registre polémique…). Cf l’annexe 3

La délibération ou dialogue qui fait débat (que nous n’étudierons que peu ici : voir l’OE théâtre)

L’éloge et le blâme (simple rappel, car étudié lors des registres).

L’argumentation peut faire appel à la conviction (convaincre = utiliser la raison, la logique par

des arguments ou des connecteurs logiques ) à la persuasion (persuader = faire appel aux émotions, par des

registres ou des ex frappants ou encore d’autres procédés littéraires). Il faudra donc toujours chercher la stratégie argumentative d’un texte et voir si elle relève de la conviction ou de la persuasion – en général des deux, sauf l’apologue qui persuade par un récit agréable – ce qui n’empêche pas l’argumentation dans le dialogue des personnages).

>>revoir tous les registres et bien les maîtriser.

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1.L’APOLOGUE DEFINITION : récit bref et agréable comportant une

morale implicite ou explicite. Il existe 4 formes d’apologue : la fable, le conte (traditionnel ou philosophique), l’utopie (ou son contraire, la

dystopie), la parabole.

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a.LA FABLE

DEFINITION : petit récit souvent en vers fondé sur une anecdote, ou un événement singulier, qui cache une moralité sous la forme d’une fiction. Cette morale peut être explicite (dite en clair) ou implicite (sous-entendue). Elle peut se situer en début ou en fin de récit (ou dans le déroulement du récit, si elle est implicite). Elle a donc un but didactique (= d’enseignement, on utilise donc le ton didactique), et une valeur universelle, puisqu’elle s’adresse à l’Humanité en général.

CARACTERISTIQUES La brièveté du récit qui comprend en général une narration, un

dialogue et une morale

Le recours fréquent à l’allégorie : Allégorie (nom féminin) vient du grec αλλος (allos), « autre », et αγορευειν (agoreuein), « parler en public ». Une allégorie est une image qui permet de rendre concrète une notion abstraite (càd quelque chose qui échappe à nos 5 sens : un sentiment ou idée). Ainsi la paix devient une colombe, la justice une balance, la femme jalouse une tigresse… N.B : Il existe deux formes d’allégorie : la figure de style (qui peut se transformer en métaphore filée, par exemple la mort décrite sous la forme d’une faucheuse), et l’allégorie qui devient le personnage d’une histoire : c’est le cas des fables. La première appartient à la rhétorique (art de bien parler, cf figure de style appelée aussi figure de rhétorique), la seconde à l’invention, au récit.

Dans la fable, l’allégorie se caractérise par l’utilisation d’une symbolique animale qui incarne

- Soit des traits de caractère - Soit des classes sociales ou des comportements

sociaux –représentatifs d’une époque, ou à valeur universelle

Cf la dédicace du premier livre des Fables par LA FONTAINE "Ce qu'ils disent s'adresse A tous tant que nous sommes ; Je me sers d'animaux Pour instruire les hommes." A retenir par cœur pour les courageux….

L’usage de la fable sert aussi à contourner la censure : LA FONTAINE s’en sert pour critiquer les travers sociaux et politiques sous le gouvernement de Louis XIV.

Un art du récit à mettre en relief dans un commentaire : il joue sur - l’insertion de dialogues vifs : observer

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les marques d’énonciation le temps des verbes la longueur de la prise de parole de chaque

personnage (celui qui parle le plus – ou qui a le dernier mot – a le « pouvoir »)

la distribution en style direct / indirect : le personnage le plus important parle en style direct

le portrait du personnage qui se dessine à travers ses paroles

la valeur dramatique (càd pour l’action du récit : drama = action) du dialogue

la valeur argumentative : étudier les arguments, la progression, le recours à la conviction (logique : connecteurs logiques, etc) ou à la persuasion (émotion : registres, rythme des vers…)

- des ressorts comiques - le suspense, l’accélération ou le ralentissement du récit,

temps et modes verbaux (verbes d’action, de description, ordres…)

- - la structure du récit : observer

le schéma actantiel (rappel : 6 personnages « actants » càd « agissants » dans l’histoire : le héros, ses aides (les adjuvants), ses ennemis (les opposants), sa quête (l’objet – au sens large – de la quête), celui qui envoie le héros en mission (le destinateur – ce peut être le héros lui-même qui se charge d’une mission), celui pour qui le héros ramène l’objet de la quête (le destinataire – ce peut encore être le héros lui-même)

la structure – celle d’un récit simple (rappel : situation initiale, élément perturbateur, péripéties, élément de résolution, situation finale)

vérifier si comme souvent la fable comporte un renversement final des positions tenues par les personnages principaux

- l’hétérométrie (changement de mètre, càd de la longueur des vers qui s’adapte au récit (accélération, ralentissement…)

En ce qui concerne la morale : - Soit elle est implicite - Soit elle est explicite : dans ce cas, elle se trouve souvent à

la fin, parfois au début ; parfois encore elle est formulée par

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le fabuliste et se retrouve une seconde fois dans la bouche des personnages

- Elle confère au texte une valeur universelle qui se traduit souvent par le présent de vérité générale.

PS : il y a 3 valeurs de présent que l’on peut trouver dans une fable : Le présent de l’énonciation (dialogue) Le présent de narration (dans le récit) Le présent de vérité générale (dans la morale)

LES FONCTIONS DE LA FABLE (visée, enjeu, message)

Une fonction ludique (il s’agit de « plaire »)

Une fonction didactique (il s’agit « d’instruire ») Or « instruire et plaire » (« docere et placere » en latin) sont les maîtres mots de la littérature classique du XVII e s, époque où les fables ont un grand succès en France. Il s’agit de former « l’honnête homme », càd un homme qui cumule qualités morales et qualités sociales (par ex : cultivé, mais modeste…).

HISTOIRE DE LA FABLE ANTIQUITE : On considère que la création de la fable remonte à l'écrivain grec Esope (VIème siècle avant J.-C). Au 1er siècle avant J.-C, l’écrivain romain Phèdre reprend en latin la même inspiration et rédige de petites fables. MOYEN-AGE : Dans la littérature médiévale, l'écriture allégorique était un genre très développé : on écrivait des « fabliaux ». Voir par ex Le Roman de Renart, collection de petits récits mettant en scène des animaux dus à des clercs anonymes du XII e s. Dans ces histoires, la lutte du renard contre le loup sert de prétexte à une vigoureuse satire de la société féodale et de ses injustices, mais aussi à un regard lucide sur les travers humains. Plus longue qu’une fable, il s’agit d’une comédie animale à multiples épisodes. En voici un extrait :

Le roman de Renart [avec un « t » : orthographe du M-A] – Moyen-Age Seigneurs, c’était à la saison où le doux temps d’été décline, où l’hiver à son tour revient. Renart était en sa maison, mais, ses provisions épuisées, il avait beaucoup de souci. La disette le pousse à se mettre en campagne. Tout doucement, afin que nul ne l’aperçoive, il s’avance parmi les joncs, entre le bois et la rivière. Si longtemps il chemine, qu’il atteint un chemin battu ; il s’accroupit et tend le cou de tous côtés. Il ne

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sait où chercher pitance et la faim lui mène âpre guerre. Ne sachant que faire il s’afflige, et se couche près d’une haie afin d’y attendre aventure. Voici venir à grande allure des marchands de poisson arrivant de la mer, transportant force hareng frais, car toute la semaine avait soufflé la bise. Ils avaient d’autres bons poissons, grands et petits, à pleins paniers, et leur charrette était remplie de lamproies et d’anguilles achetées en passant par les villages Renart, qui trompe tout le monde, était encore éloigné d’eux d’une portée de flèche, quand il aperçut la charrette pleine d’anguilles et de lamproies ; à la dérobée il file et prend les devants, pour berner les marchands sans qu’ils s’en aperçoivent. Au beau milieu du chemin, il s’allonge. Écoutez comme il les trompa ! Après qu’il se fut bien vautré dans le gazon, il fait le mort. Renart, qui dupe tout le monde, ferme les yeux, retrousse les babines, et retient son haleine : vous conta-t-on jamais pareille trahison ? Sur place il demeurait, gisant de tout son long. Et voici les marchands, ne se doutant de rien. Le premier qui le vit regarde, puis appelle son compagnon : — Voici un goupil ou un gaignon ! — C’est un goupil ! répondit l’autre. Va vite l’attraper, fais attention qu’il ne t’échappe ! Il sera bien malin, Renart, s’il n’y laisse sa peau. Le marchand se dépêche, son compagnon le suit ; ils arrivent près de Renart, trouvent le goupil allongé. De tous les côtés ils le retournent, tâtent son échine et sa gorge, sans se soucier qu’il ne les morde. — Il vaut quatre sous, dit l’un d’eux. L’autre répond : — Dieu me sauve, il en vaut bien cinq, et à ce prix ce n’est pas cher. Nous ne sommes pas trop chargés ; jetons-le dans notre charrette. Vois donc comme la gorge est blanche et nette ! Et à ces mots ils le lancèrent sur la charrette et repartirent. Ils mènent grande joie entre eux et ils se disent : — Pour le moment ce sera tout : mais dès ce soir, chez nous, nous lui retrousserons la robe ! Ce conte leur plaisait beaucoup, mais Renart ne fait qu’en sourire : de dire à faire, la route est longue ! Couché sur les paniers, il en ouvrit un de ses dents et en tira, sachez-le bien, plus de trente harengs. Le panier fut presque vidé, car il mangea de très bon cœur, sans réclamer ni sel ni sauge. Mais avant de partir, une seconde fois il jettera son hameçon : il s’attaque à l’autre panier, y fourre le museau, et ne manque pas d’en tirer trois beaux colliers d’anguilles. Renart, qui connaît tant de tours, met la tête et le cou dedans, et sur son dos le tout arrange. maintenant l’ouvrage est fini, mais il faut trouver un moyen de redescendre à terre :

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pas de marchepied ni de planche ! À genoux Renart étudie comment il pourra bien sauter, puis il avance un petit peu et des deux pattes de devant se lance hors de la charrette, au milieu du chemin, la proie autour du cou. Après avoir sauté, il s’adresse aux marchands : — Dieu vous assiste ! À nous cette charge d’anguilles, et que le reste soit pour vous !

Quel est le travers humain qu’incarne Renart ? A quel registre appartient ce texte ? La ruse et la tromperie, qui met en valeur les défauts des victimes : leur naïveté. Le registre est comique. Y a-t-il une morale ? Les fabliaux du Moyen-Age ne comportent en général pas d’autre morale que : « c’est bien fait pour les naïfs », il ne fallait pas se laisser avoir ! Les trompeurs sont immoraux et gagnent toujours : c’est la source du comique au moyen-âge.

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AU XVII e S CLASSIQUE : LA FONTAINE comme tous les écrivains classiques, s’inspire de l’antiquité, donc d’Esope et de Phèdre : il reprend souvent leurs sujets, mais renouvelle entièrement le récit, qu’il travaille tout particulièrement pour le rendre plaisant. A la même époque, Charles PERRAULT, sans écrire de fables, introduit des morales dans ses Contes, où les animaux parlent également (par ex Le petit chaperon rouge).

POUR MONTRER LA TRANSFORMATION PAR LA FONTAINE D’UNE FABLE ANTIQUE (et voir comment l’art du récit a de l’importance avec lui), COMPARONS le même sujet chez Phèdre et chez La Fontaine

PHEDRE : « La grenouille et le bœuf » Dans un pré, jadis, une grenouille vit un bœuf ; et, jalouse d’une si grande taille, elle gonfla sa peau rugueuse. Alors elle interrogea ses petits pour savoir si elle était plus large que le bœuf. Ils lui dirent que non. De nouveau elle tendit sa peau par un plus grand effort et demanda de même qui était le plus grand. Ils lui dirent : « Le bœuf ». Enfin, dépitée, elle voulut s’enfler plus fort et resta étendue, le corps crevé.

LA FONTAINE, Fables : « La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf »

Une grenouille vit un bœuf

Qui lui sembla de belle taille. Elle, qui n’était pas grosse en tout comme un

œuf, Envieuse, s’étend, et s’enfle, et se travaille,

Pour égaler l’animal en grosseur, Disant : « Regardez bien, ma sœur,

Est-ce assez ? dites-moi ; n’y suis-je point encore ?

-Nenni. –M’y voici donc ? –Point du tout. –M’y voilà ?

-Vous n’en approchez point. » La chétive pécore S’enfla si bien qu’elle creva.

Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus

sages ; Tout bourgeois veut bâtir comme les grands

seigneurs, Tout prince a des ambassadeurs,

Tout marquis veut avoir des pages.

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Lisez les deux fables : quels sont les points communs et les différences ? Rajout des dialogues et d’une morale chez La Fontaine, ainsi que de petits détails rendant le récit plus vivant et le personnage plus présent. La grande différence de La Fontaine par rapport à ses modèles antiques (Phèdre, fabuliste latin – un homme, à la différence de la pièce de Racine ! – ou Esope, fabuliste grec), c’est que l’art du récit prend le pas sur la morale. Comment peut-on exploiter un dialogue dans un commentaire ? Le dialogue rend le récit vivant, mais présente aussi le portrait moral de celui qui parle, et le rapport entre les personnages : qui parle le plus ? qui termine le dialogue ?

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Pourquoi utiliser la poésie pour écrire des fables ? La poésie permet de créer des effets stylistiques qui mettent en valeur certains éléments du récit. Ces procédés poétiques portent le nom de « versification » ou de « prosodie » : ce sont des synonymes. Il faudra relever ces procédés dans un commentaire. Etudiez à ce sujet le vers « Envieuse, s’étend, et s’enfle, et se travaille ». Non seulement on reconnaît des procédés traditionnels : accumulation, rythme binaire (« et, et »), qui soulignent les efforts de la grenouille et leur durée pour grossir, mais « Envieuse » est en plus un rejet (= enjambement court suivi d’une ponctuation souvent forte). Ce rejet met l’adj en valeur et insiste sur le défaut principal de la grenouille, souligné encore par la diérèse (« envi/euse ») qui rend le mot plus long et plus sonore. Le choix du mètre (alexandrin, le vers le plus long de la langue française) permet encore de démultiplier les efforts de la grenouille.

Plus en détail /Lecture analytique comparative : " La grenouille et le bœuf " Phèdre

" La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf "

Dans un pré, jadis, une grenouille vit un bœuf ; et, jalouse d'une si grande taille, elle gonfla sa peau rugueuse. Alors elle interrogea ses petits pour savoir si elle était plus large que le bœuf. Ils lui dirent que non. De nouveau elle tendit sa peau par un plus grand effort et demanda de même qui était le plus grand. Ils lui dirent : " le bœuf ". Enfin, dépitée, elle voulut s'enfler plus fort et resta étendue, le corps crevé.

Phèdre

La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf

Une grenouille vit un bœuf Qui lui sembla de belle taille.

Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un œuf, Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille,

Pour égaler l'animal en grosseur, Disant : " Regardez bien, ma sœur;

Est-ce assez ? dites-moi ; n'y suis-je point encore ? -Nenni. -M'y voici donc ? -Point du tout. -M'y voilà ?

-Vous n'en approchez point. " La chétive pécore S'enfla si bien qu'elle creva.

Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages ; Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,

Tout prince a des ambassadeurs, Tout marquis veut avoir des pages.

La Fontaine

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1) Qui ? > Schéma

actantiel : -sujet : la grenouille.

-objet : devenir aussi grosse que le bœuf.

-opposant : " peau rugueuse ", petite taille.

2) Quoi ? >Schéma

narratif : -SI : le manque.

-EM : " vit un bœuf " (passé simple).

-Péripéties : verbes

-EM : " elle creva "

-SF : " resta étendue, le corps crevé "

I. Une même histoire, mais effet produit différent. Pourquoi ?

II. Ecriture et réécriture :

1) La fable de Phèdre

- situation spatio-temporelle

indéfinie.

- histoire complète ;

évolution marquée par : . - des connecteurs temporels.

- des questions (" interrogea ", " demanda ") suivies de

réponses (" ils lui dirent… " ; " ils lui dirent… ").

- mise en scène du sujet : - sentiments, émotions : " jalouse ", " dépitée ".

- comportement : moral : " un plus grand effort ", "

voulut…plus fort ".

- comportement physique : " gonfla ", " tendit ".

L'essentiel est raconté.

2) La fable de La Fontaine Effets produits différents de ceux de la fable de Phèdre :

- scène en direct :

- énumération de 3 verbes d'action pronominaux, au présent de

narration, en un seul vers, enchaînés par " et " > efforts faits par la

grenouille sur son corps (sens réfléchi des verbes).

- enchaînement des questions et des réponses, sans indication de

locuteur, sans verbe de déclaration, ni présentation habituelle du

dialogue > action en cours, sans interruption.

- questions de plus en plus courtes de la grenouille, en // avec les

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réponses de plus en plus longues et négatives de sa soeur >

essoufflement, asphyxie progressive et inutile de la grenouille.

Scène visuelle et auditive

- chute inattendue : - enjambement > " arrêt sur image " du sujet " La chétive pécore ",

séparé de son verbe > effet d'attente.

- aspect positif de la locution " si bien que ", en opposition avec le

verbe final.

- rapidité et brutalité du dénouement rendue par la polysémie du

verbe " crever " : 1 : éclater. 2 : mourir en parlant d'un animal, sens

introduit par le nom " pécore ".

Histoire édifiante

Une fable enrichie pour rendre l'histoire plus attrayante et plus édifiante : visée ludique

et didactique de la fable de La Fontaine.

III Renforcement de la visée didactique de la fable de La Fontaine: la moralité

- Une première phrase énonçant une vérité générale (" le monde ", " gens ", verbes au

présent).

- Progression linéaire à thèmes dérivés : " tout bourgeois ", " tout prince ", " tout marquis " >

généralisation dans chaque catégorie.

Condamnation implicite de la vanité.

1 Reformulation de la moralité.

2 Relecture et entraînement pour l'oral : fable à mémoriser et à interpréter.

3 Recherche de situation mettant en scène un autre animal, pour illustrer la morale

4 Prolongement : exercice d'écriture.

POUR LE COMMENTAIRE D’UN APOLOGUE : Toujours commencer par l’art du récit (construction du récit : différentes étapes, schéma actantiel des personnages et ce qu’ils représentent, place des dialogues et leur intérêt, sans oublier les procédés poétiques à étudier en « gros plan ») puis terminer par la morale, sa place, sa mise en valeur, son caractère implicite ou explicite et sa ou ses interprétations possibles (critique d’un caractère, d’un aspect social, des défauts humains…°, sa valeur particulière (représentative d’une époque) ou universelle.

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Pour vous exercer au commentaire d’une fable, voici un autre ex de La Fontaine :

LA FONTAINE, Fables, Vi ,10 : « Le lièvre et la tortue » Rien ne sert de courir ; il faut partir à point :

Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage. « Gageons, dit celle-ci, que vous n’atteindrez point

Sitôt que moi ce but. – Sitôt ? Etes-vous sage ? Repartit l’animal léger :

Ma commère, il vous faut purger Avec quatre grains d’ellébore.

-Sage ou non, je parie encore. » Ainsi fut fait ; et de tous deux

On mit près du but les enjeux : Savoir quoi, ce n’est pas l’affaire,

Ni de quel juge l’on convint. Notre Lièvre n’avait que quatre pas à faire,

J’entends de ceux qu’il fait lorsque, prêt d’être atteint, Il s’éloigne des chiens, les renvoie aux calendes,

Et leur fait arpenter les landes. Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,

Pour dormir et pour écouter D’où vient le vent, il laisse la Tortue

Aller son train de sénateur. Elle part, elle s’évertue,

Elle se hâte avec lenteur. Lui cependant méprise une telle victoire,

Tient la gageure à peu de gloire, Croit qu’il y va de son honneur

De partir tard. Il broute, il se repose, Il s’amuse à toute autre chose

Qu’à la gageure. A la fin, quand il vit Que l’autre touchait presque au bout de la carrière,

Il partit comme un trait ; mais les élans qu’il fit Furent vains : la Tortue arriva la première.

« Eh bien ! lui cria-t-elle, avais-je pas raison ? De quoi vous sert votre vitesse ? Moi l’emporter ! et que serait-ce Si vous portiez une maison ? »

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Donnez les caractéristiques générales d’une fable. Récit bref, souvent en vers, dont les personnages sont la plupart du temps des animaux représentant des types sociaux ou des types comportementaux. La fable comporte une morale, implicite (sous-entendue) ou explicite (donnée en clair). Quels comportements incarnent les deux animaux de la fable ? La tortue raisonne, réfléchit (elle a prévu le comportement du lièvre avant de s’engager), elle est prévoyante : elle incarne la sagesse (attribut légendaire de la tortue, outre sa lenteur) Le lièvre incarne la précipitation (physique et morale), l’impulsivité ; il est irréfléchi et vit dans l’instant. Quelle est la morale de cette fable ? Dans toute action, la réflexion, la projection raisonnée dans l’avenir, doit l’emporter. A ce compte, les tortues pourront défier les lièvres, càd que malgré son handicap, on peut réussir. La fin rétablit la justice, l’égalité entre les différences humaines : ce n’est pas celui qui a de la facilité pour quelque chose qui réussit, mais celui qui montre de la ténacité et fait tout pour réussir. Ici il n’y a pas de critique sociale, mais une vision de l’humanité, et une critique de l’imprudence humaine : le lièvre est « léger », càd superficiel, irréfléchi par orgueil, ici (« croit qu’il y va de son honneur »).

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Quelles sont les techniques du récit et de la prosodie (versification A NE JAMAIS OUBLIER) qui rendent ce récit agréable pour le

lecteur ? Construction du récit :

o Morale au début : présent gnomique (de vérité générale) : c’est la règle, dont nous verrons l’illustration. Ici la morale sert d’accroche, d’autant plus qu’elle est rédigée de manière concrète (« courir, partir à point »), et que le lecteur peut jouer sur le sens premier (illustré par la suite), comme sur le sens second (la vraie morale).

o Puis nous sommes projetés in medias res : au centre de l’action, immédiatement, par l’ouverture d’un dialogue au style direct qui expose la situation. Suit une narration étudiant les comportements respectifs du lièvre et de la tortue face à ce concours de vitesse. La fin de la narration (échec du lièvre) est amplifiée par un nouveau discours direct de la tortue, qui refait une morale à sa façon, destinée au lièvre – alors que la morale du début était générale) >> vivacité des discours directs, qui allègent la narration

Mais aussi registre humoristique o grâce à l’insolence du lièvre (ironie et projection de gag

comique avec l’idée de « purger » la tortue : quand on a la diarrhée, on court vite…)

o grâce aux commentaires du narrateur, qui s’introduit régulièrement dans l’histoire :

- jugements : « l’animal léger » « lui cependant méprise » qui s’oppose à la valorisation de la tortue : « train de sénateur » = périphrase pour la lenteur : le Sénat romain était une assemblée de vieillards, mais il était très glorieux d’être sénateur : le narrateur joue donc sur la polysémie du terme qui connote à la fois la majesté et la lenteur ; il joue aussi sur les échos sémantiques des rimes : « lenteur » rime avec « sénateur », comme « victoire » rime avec « gloire »

- « notre lièvre » : familiarité ironique et dépréciative o les moqueries de la tortue (exclamative qui marque un

paradoxe ; rappel de son double handicap : blâme du lièvre

Et surtout un grand choix de rythmes de vers qui imitent les déplacements des deux personnages :

- rejet de « D’où vient le vent », qui imite le mouvement de tête rapide que l’on fait pour tester sa direction (4/6 : décasyllabe)

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- enjambement de « Aller son train de sénateur » qui prend tout le vers : lenteur de la tortue (octosyllabe)

- mimétisme de la démarche lente et appliquée, persévérante de la tortue : de « Elle part >>lenteur » : 3 / 4, 4/4 : accélération progressive, puis rythme de croisière

- rejet de « Partir tard » pour montrer la vitesse avec laquelle il faudra partir

- contre-rejet de « Il broute, il se repose » qui ralentit le rythme du vers comme de l’action, grâce également aux anaphores de « il » qui démultiplient les actions. Ce décasyllabe est tronçonné pour montrer l’éclatement des préoccupations du lièvre : 4//2/4. Dans le vers suivant, à peine coupé (3/5), on sent que le lièvre traîne

- rejet de « Qu’à la gageure » (= le défi) : brutalité du rappel à l’ordre - nouveau contre-rejet dans le même vers (« A la fin .. »), qui ralentit

encore - la course du lièvre est racontée dans un alexandrin, qui évoque la

longueur de la distance parcourue ; l’alexandrin commence par un enjambement « Il partit comme un trait » qui montre la puissance des bonds du lièvre

- nouveau rejet, brutal, qui marque l’échec : « Furent vains ». Opposition de ces 3 syllabes avec la lenteur de la tortue, à laquelle on consacre 5 syllabes, en mettant le mot « première » en fin de vers, pour insister sur sa victoire

FAITES LE PLAN DU CC DE CE TEXTE I. L’ART DU CONTEUR : UN RECIT ALERTE ET

HUMORISTIQUE (l’utilisation des dialogues ; la narration progressant à la fois dans le fond et la forme : rythme des vers ; l’humour)

UNE MORALE A VALEUR UNIVERSELLE (mise en valeur de la morale en la répétant deux fois : début : générale, fin : individuelle ; caractères et personnalités des deux protagonistes ; le sens de la morale)

LA FABLE SUIVANTE SERAIT UN BON EXERCICE DE BAC BLANC EN AUTONOMIE :

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LA FONTAINE, Fables, (livre VII, 1), 1668 : « Les animaux malades de la peste »

Un mal qui répand la terreur, Mal que le Ciel en sa fureur Inventa pour punir les crimes de la terre, La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom), Capable d’enrichir en un jour l’Achéron, Faisait aux Animaux la guerre. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés : On n’en voyait point d’occupés A chercher le soutien d’une mourante vie ; Nul mets n’excitait leur envie ; Ni loups ni renards n’épiaient La douce et l’innocente proie ; Les tourterelles se fuyaient : Plus d’amour, partant plus de joie. Le Lion tint conseil, et dit : « Mes chers amis, Je crois que le Ciel a permis Pour nos péchés cette infortune. Que le plus coupable de nous Se sacrifie aux traits du céleste courroux ; Peut-être il obtiendra la guérison commune. L’histoire nous apprend qu’en de tels accidents, On fait de pareils dévouements. Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence L’état de notre conscience. Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons, J’ai dévoré force moutons. Que m’avaient-ils fait ? Nulle offense ; Même il m’est arrivé quelquefois de manger Le berger. Je me dévouerai donc, s’il le faut ; mais je pense Qu’il est bon que chacun s’accuse ainsi que moi : Car on doit souhaiter, selon toute justice, Que le plus coupable périsse. -Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon roi ; Vos scrupules font voir trop de délicatesse. Eh bien ! manger moutons, canaille, sotte espèce, Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes, Seigneur, En les croquant, beaucoup d’honneur ; Et quant au berger, l’on peut dire Qu’il était digne de tous maux Etant de ces gens-là qui sur les animaux

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Se font un chimérique empire. » Ainsi dit le Renard ; et flatteurs d’applaudir. On n’osa trop approfondir Du Tigre, ni de l’Ours, ni des autres puissances, Les moins pardonnables offenses. Tous les gens querelleurs, jusqu’aux simples mâtins, Au dire de chacun, étaient de petits saints. L’Ane vint à son tour, et dit : « J’ai souvenance Qu’en un pré de moines passant, La faim, l’occasion, l’herbe tendre, et, je pense, Quelque diable aussi me poussant, Je tondis de ce pré la largeur de ma langue. Je n’en avais nul droit puisqu’il faut parler net. » A ces mots, on cria haro sur le Baudet. Un Loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue Qu’il fallait dévouer ce maudit animal, Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal. Sa peccadille fut jugée un cas pendable. Manger l’herbe d’autrui ! quel crime abominable ! Rien que la mort n’était capable D’expier son forfait : on le lui fit bien voir. Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

NOTES Achéron : (mythologie : l’un des fleuves des Enfers, séjour des morts) Occupés à chercher le soutien : occupés à chercher de la nourriture pour subsister Mets : plat (repas) Partant : donc Infortune : malheur Céleste courroux : colère divine En de tels accidents : lors de tels événements Dévouement : sacrifice Force moutons : beaucoup de moutons Je me dévouerai : je me sacrifierai Scrupule : inquiétude, hésitation de la conscience Délicatesse : finesse, grande sensibilité Sur les animaux se font un chimérique empire : se croient supérieurs aux animaux (une chimère est un animal fabuleux, et par conséquent, une illusion) Les autres puissances : les autres animaux puissants (féroces, redoutables) ; « puissance » est aussi une personne disposant d’un pouvoir politique Offense : péché, faute Mâtin : chien de garde (simples, càd au bas de la hiérarchie des puissants) J’ai souvenance : je me souviens On cria haro sur le Baudet : « haro » est un cri destiné à exciter les chiens de chasse ; au figuré, « haro sur » exprime l’indignation contre qn ; un baudet est le mot familier pour « âne » Clerc : homme d’église (cf clergé) ; au figuré : savant Harangue : discours prononcé en public Dévouer : sacrifier Pelé, galeux : qui a la gale, qui pèle (maladies de peau) ; ici : injures Peccadille : faute minime Un cas pendable : un crime digne de pendaison Forfait : crime

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CORRIGE DU COMMENTAIRE de la fable de LA FONTAINE « Les animaux

malades de la peste »

Pb : montrer que l’art du récit est au service de la morale >>apologue I.LA PROGRESSION DRAMATIQUE DU RECIT cache II. UNE HABILE STRATEGIE ARGUMENTATIVE I.LA PROGRESSION DRAMATIQUE DU RECIT 1)la longueur de la fable et le sujet abordé pourrait en faire une petite tragédie : -situation initiale qui introduit dès l’abord l’élément perturbateur : la peste frappe les animaux, ce qui dans l’antiquité est considéré comme un châtiment divin. Cette situation initiale rappelle le début d’Œdipe Roi de Sophocle, tragédie antique qui s’ouvre sur des suppliants venant trouver le roi Œdipe et lui demander de trouver la cause de la peste qui les frappe (v 1-14) -l’intervention du Lion (v 15-33) : le roi doit trouver une solution, càd trouver le coupable pour lequel la communauté est châtiée, et le mettre à mort. Il s’agit du rite du bouc émissaire pratiqué par beaucoup de sociétés antiques. Dans Œdipe Roi, ce dernier lance une enquête pour trouver qui a tué l’ancien roi (sans savoir que c’est lui-même)… Ici également, le roi Lion propose de se sacrifier, s’il s’agit de lui (« je me dévouerai donc, s’il le faut »). Cependant, à partir de là, la pièce antique et la fable divergent : -la réaction des courtisans (v34-48) : protégeant le roi pour se protéger à leur tour, les courtisans disculpent le roi d’office, et se « blanchissent

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les uns les autres ». Il se crée donc un suspense : le coupable n’est pas encore trouvé… -la confession de l’âne : le seul à faire réellement « mea culpa », par une honnêteté qui confine à la bêtise, dans un tel contexte – c’est un âne…(v 49-54) -condamnation de l’âne et mise à mort (v 55-62) : résolution de la crise avec rétablissement de l’équilibre -morale explicite : deux derniers vers >>on remarque donc que le récit est divisé (en-dehors des deux vers de morale) en cinq parties, qui pourraient rappeler les 5 actes d’une tragédie classique, d’autant plus que la progression est la même : la situation initiale énonce dès l’abord la crise, elle culmine dans l’acte 4 qui correspond ici à la touchante confession de l’âne et se résout dans l’acte 5, toujours sanglant (mort, châtiment…) >>un autre point commun avec la tragédie est la condamnation de l’innocent qui déclenche terreur et pitié chez le lecteur et témoigne d’une injuste fatalité. Cependant, ici il s’agit d’une fatalité sociale, et l’injustice est d’autant plus révoltante qu’elle ne vient pas de l’arbitraire de dieux insensibles à la souffrance humaine (comme dans Œdipe Roi), mais du jeu des forces sociales que l’innocente victime connaissait mal, vu qu’elle était au bas de l’échelle (l’âne représente le peuple peu instruit), il fait partie des « misérables » (pauvres) de la morale. 2)L’émotion du lecteur est donc tenue en haleine par divers procédés, qui varient en fonction de « l’acte » de cette petite tragédie : a)l’ « acte » 1 ou la situation initiale repose sur les registres épique, pathétique et tragiques : registre épique : la Peste (transformée en allégorie par les

personnifications –citer- et la majuscule) est présentée comme un guerrier divin, un ange de la mort venu combattre les terriens (« mal que le Ciel en sa fureur – encore des personnifications- / Inventa pour punir les crimes de la terre ». Les personnifications, le pluriel des « crimes » mais aussi du châtiment (morts innombrables : « enrichir en un jour l’Achéron », « tous étaient frappés »), le réseau lex de la guerre contre une collectivité (« tous, animaux, guerre, frappés, mouraient, fureur ») sont des procédés épiques. Car l’épopée décrit, en l’amplifiant, la lutte contre un ennemi collectif. Pour cela, elle fait appel au registre merveilleux, qui permet d’impressionner le lecteur par l’intrusion du surnaturel (ici le « Ciel » et la mythologie : « Achéron », ainsi que l’allégorie de la Peste). Le rythme des vers concourt également à l’amplification : répétition de « mal » en début de vers qui crée une

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gradation imitant la montée de la colère céleste, le retardement du mot-clé qui fait peur (d’où la parenthèse : « puisqu’il faut l’appeler… ») : « la Peste », qui n’apparaît qu’au 4e vers, sous forme de rejet brutal coupant l’alexandrin de manière à le déstabiliser, comme un coup de foudre (3/9), et enfin la longueur de la première phrase étalée sur 6 vers donne une majesté terrible au fléau qui progresse inéluctablement. Cette avancée mortelle est encore orchestrée par de nombreuses allitérations en [r] (surtout en fin de vers, avec des rimes riches et sonores car masculines souvent, cf v1-2) ; mais on retrouve d’autres consonnes dures ou inquiétantes (les « s » du v 2, les « t, p » du v 3, les « c » du v5..). On pourrait imaginer les roulements de tambour qui accompagnent la guerre. Les coups de faux de la mort qui balaie avec régularité autour d’elle sont suggérés par le chiasme du v 7 : « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ».

Le réseau lexical de la mort et du destin inéluctable (« tous, tous » : parallélisme montrant l’impasse tragique) se rattachent au registre tragique.

Après cette « mise en bouche » sonore et terrible, suit un passage plus doux, car pathétique (v 8-14) : le regard quitte progressivement la vision d’ensemble, collective, pour s’attarder sur des cas particuliers choisis pour frapper le lecteur et éveiller sa pitié (registre pathétique) :

D’abord la conséquence encore collective sur le comportement : l’abattement physique et moral : la négation « on n’en voyait point » = chacun, tous ; cet abattement est si extrême que les animaux ne cherchent plus à se nourrir, ce qui à priori ne se produit jamais dans leur monde ; leur affaiblissement est suggéré par l’inversion de l’adj du v 9 qui forme également un oxymore : « mourante vie » met en relief l’état extrême de leur agonie ; l’insistance de la forme négative (« nul mets, ni loups ni renards », « plus, plus = ne plus ») donne une vision de monde à l’envers : les prédateurs sont aussi faibles que leurs victimes. La Fontaine choisit deux gros plans particulièrement symboliques illustrant un changement de comportement radical : les prédateurs qui n’en sont plus, et les « tourterelles » (ou colombes) qui ne s’aiment plus, puisque cet animal est toujours associé à la paix et à l’amour (on dit que leurs couples sont très fidèles) : « les tourterelles, se fuyaient ; plus d’amour ».

>>noter l’habileté de la mise en scène initiale : vision collective terrifiante, puis plans rapprochés sur les deux extrêmes du monde animal : les féroces prédateurs, et les douces colombes (gardées pour la fin, car les plus sympathiques, les plus proches de

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l’humain) enfermés dans la même négation de ce qui faisait leur centre vital (manger, aimer). La pitié née de ce renversement de situation est soutenue par une accumulation de rythmes binaires ou de parallélismes qui scandent le texte comme autant de gestes d’adieu : anaphores en « n » : « nul, ni, ni » ; « plus, plus » ; « douce et innocente ». On observe un radoucissement de la musique des vers (assonances douces en « ou » : v12, 13, 14 et coupes des vers à peine marquée) qui traduit la faiblesse des victimes mais aussi la mort des innocents. Le vers 14, par contre, marque brutalement la coupe, en la décalant de façon à déstabiliser le vers (3/5 : octosyllabe) et utilise des sonorités plus fortes (allit en « p »), suggérant la violence des coups portés par la maladie.

b)l’ « acte 2 » quitte la narration en tant que telle pour passer au style direct, qui remplit toute la partie (v 15-33) et équilibre par sa longueur la première partie. L’utilisation du discours direct dans un récit permet de raviver l’intérêt du lecteur, mais aussi de caractériser le personnage qui parle, d’en faire le portrait. Trois discours directs vont se succéder (le roi Lion, le Renard, l’Ane). Le dernier discours long (le Loup) sera indirect, et les paroles de divers personnages secondaires sont rapportées brièvement de la même manière dans les v43-48, ainsi que la sentence finale. La réaction de la foule qui conduit au lynchage final est, elle, rapportée au discours indirecte libre . Le récit mime la personnalité de chacun des intervenants par ses procédés d’écriture :

la position sociale du Lion se remarque dès l’abord par le ton paternaliste de son apostrophe : « mes chers amis », et son implication bienveillante dans la collectivité (pronom et adf de la 1e pers du plur : « nos péchés, de nous », son intérêt pour elle : « la guérison commune ». La première partie du discours est générale, et implique toute la communauté (v 15-24) : elle explique la décision prise par le chef (qui est un ordre, cf les injonctifs : « que le plus coupable, ne nous flattons point, voyons »), et ses raisons (historiques, notamment : « l’histoire nous apprend qu’en de tels accidents »). Il use de fermeté, de sévérité dans une situation de crise (« sans indulgence »). Puis, en bon leader, il prend les devants et s’expose le premier : « pour moi » … Le langage du roi est soutenu, comme il convient au chef de la noblesse : « le Ciel a permis (périphrase pour Dieu), infortune, céleste courroux ». Il use fréquemment du vers le plus majestueux, l’alexandrin (v19,20,21,23,2528,30,31,32), et use d’effets oratoires (insistance sur les mots-clés par diérèse : cf « consci/ence », question rhétorique : « Que

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m’avaient-ils fait ? », gradation « même », et introduction grandiloquente faisant référence à l’autorité suprême (« Ciel ») et chute finale présentant l’image d’un roi idéal (notion de justice, de neutralité objective : « selon toute justice ») et son pouvoir exécutif : « que le plus coupable périsse ». Le choix de l’octosyllabe mime la rapidité de la sentence à venir et la rend impressionnante. Son discours met en valeur la raison qui, à la place de l’émotion réservée au peuple paniqué, doit guider le chef d’Etat : nombreux connecteurs logiques : (2X donc, mais, car)

son premier interlocuteur est le Renard : on observe immédiatement un changement de ton :

-sa place de courtisan, déjà sensible par l’apostrophe « Sire », se décèle dans les hyperboles laudatives (répétition de l’intensif « trop ») -son argumentation quitte le domaine de la logique (conviction) et fait place à l’émotion (persuasion) : l’indignation feinte contre les moutons qui permet de disculper le roi se traduit par une accumulation de mots très péjoratifs (en fait des insultes : « canailles, sotte espèce ») et de phrases exclamatives et interrogatives rompant le rythme ample des alexandrins ((v36 : 2/4//2/4 ; v 37 : 4/1/1//4/2), introduisant interjection (« eh bien ») ou question rhétorique (« est-ce un péché ? »). -Il va même jusqu’à imiter la brutalité de la prédation en utilisant un rejet (v 38 : « En les croquant ») mais en le contre-balançant par un autre rejet au vers précédent : Est-ce un péché ? », question rhétorique à laquelle il répond de manière insistante, absolvant ainsi le lion : « Non, non. » Le renard joue ainsi à l’avocat de la défense pour le Lion, manière implicite de faire la sienne, puisqu’il se met à l’abri du côté du puissant

le discours du Renard est suivi du résumé d’autres discours de courtisans ou de grands de l’Etat (« puissances ») sous forme indirecte (« d’applaudir » : bruitage ; « on n’osa trop approfondir », « au dire de chacun étaient de petits saints »). Ces brèves allusions caractérisent à la fois la servilité des courtisans dans leur ensemble (les « flatteurs »), mais aussi leur solidarité de groupe qui fonctionne ici sur la loi du silence et la couverture réciproque : hyperbole de «saints » qui s’oppose paradoxalement au profil traditionnel des animaux que l’on traite ainsi (tigre, ours, autres prédateurs, querelleurs, mâtins)

le ton change encore une fois avec l’arrivée de l’âne : -contrairement au renard, qui ne parle que du roi pour le disculper, et évite ainsi son propre examen de conscience, l’âne utilise le pronom « je » dès le début, et le répète de nombreuses fois. Il s’isole ainsi dans

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son authenticité du groupe des courtisans qui vivent en « meute » et luttent en groupe pour survivre (cf « au dire de chacun »). L’extrême sincérité de son examen de conscience se remarque par la finesse de son analyse (4 « mobiles » avancés dans les v 51-52). La progression lente du vers 51 semble imiter l’introspection de l’âne (il fait traîner « occasi/on » en jouant sur la diérèse) ou sa parole hésitante rappelant qu’il est issu du peuple et n’a pas l’habitude de prendre la parole. D’ailleurs sa modestie, son humilité se retrouvent dans le forfait lui-même : l’étendue des dégâts est minime, et il y a bien des circonstances atténuantes (« faim, largeur de la langue »). Le contenu de son discours montre son respect sincère de la religion (respect de la propriété de l’Eglise, puisque l’auto-accusation est liée au propriétaire : « moines »), qui n’est pas pour lui un prétexte derrière lequel on peut s’abriter pour déclencher une « chasse aux sorcières » (cf le début du discours royal), mais un vécu personnel qui lui confère des devoirs (« je n’en avais nul droit »,) et lui donne une conscience morale capable de distinguer le bien du mal (« quelque diable aussi me poussant »). On note un effort pour se mettre à la hauteur de l’assemblée (début soutenu : « j’ai souvenance »), mais l’ensemble du discours est très court par rapport aux précédents discours directs (19 vers pour le roi, 9 pour le renard, 5 seulement pour l’âne), et va droit au but, sans effets rhétoriques, ce qu’il souligne lui-même (« puisqu’il faut parler net »)

le dernier discours rapporté en détail, de manière indirecte cette fois, est celui du Loup, qui joue le rôle d’accusateur public : après l’analyse logique et progressive des différents mobiles par l’âne lui-même, discours relevant de la raison analytique et non de l’émotion, le discours du loup est à nouveau uniquement fondé sur la persuasion et donne libre cours à la violence de l’émotion. Les injures pleuvent (« pelé, galeux, maudit ») sur un rythme ternaire qui fait deviner les gestes répétés de l’orateur ; tout n’est qu’hyperbole (« d’où venait tout leur mal »). La désignation du bouc émissaire (cf citation précédente) correspond au ch lex du divin (« maudit ») et comporte des connotations de maladie contagieuse (« pelé, galeux », d’où venait leur mal »). Le loup donne donc l’image d’un fanatique exalté et hystérique jouant à l’inquisiteur (le mot « clerc » peut signifier savant, puisqu’il joue le rôle du procureur de la république dans un tribunal moderne, celui qui accuse au nom de la société, mais il peut aussi indiquer qu’il s’agit d’un religieux ; sa violence fait songer aux pratiques de l’Inquisition)

la sentence prononcée est rapportée au style indirect également (« fut jugée un cas pendable »)

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enfin les derniers discours rapportés sont collectifs, et présentés en style indirect libre, sans verbe introducteur : « Manger l’herbe d’autrui ! …Rien que la mort n’était capable ». Le lecteur pénètre toujours davantage dans le fonctionnement de la collectivité sociale jusqu’à se trouver dans la tête même du public excité contre l’âne par les discours enflammés de manipulateurs fanatiques. Il n’y a même plus de discours, que des exclamations montrant que l’émotion (indignation) est à son comble, sans plus aucune justification argumentative : on ne songe qu’à exécuter immédiatement la sentence. La rapidité foudroyante avec laquelle on se jette sur l’âne, ce qui revient à un lynchage, est suggérée par l’ellipse narrative : « on le lui fit bien voir ». En fait, l’exécution n’est pas rapportée, il n’y a qu’une périphrase, beaucoup plus évocatrice, au niveau de l’imagination, pour le lecteur.

>>on remarque donc l’extrême richesse du récit, qui non seulement introduit suspense et tension tragique par sa progression, mais varie à l’infini des discours directs qui visualisent les personnages chacun dans leur personnalité, comme sur une scène de théâtre. Mais l’art du récit cache en fait II.UNE HABILE STRATEGIE ARGUMENTATIVE 1)il y a d’abord une argumentation implicite qui découle naturellement du récit lui-même, dans sa progression : le renversement final, avec la condamnation de l’âne, porte toute l’argumentation morale. Car elle est en fait une anti-morale : le châtiment est inversement proportionnel à la faute (paradoxe souligné par l’opposition des mots « querelleurs/petits saint », « peccadille/cas pendable », créant même un chiasme auditif montrant le monde à l’envers : pécca- cas pen-). Ainsi le jugement final révolte le lecteur, car il va contre la logique, et souligne l’injustice du fonctionnement social. 2) La morale explicite qui suit ce retournement fait presque redondance, mais le ton didactique qui joue sur les parallélismes (« puissant ou misérable, blanc ou noir ») amplifie le dénouement du récit et l’universalise par l’utilisation du futur de l’indicatif (« serez, rendront ») : on a l’impression d’une fatalité sociale, d’une injustice intrinsèque à l’ordre social. La critique n’est pas voilée (« jugement de cour »), et le passage par les animaux dans le récit n’était pas un masque, mais plutôt un topos du genre de la fable et une façon d’universaliser la critique. C’est d’ailleurs par son caractère universel (toute société semble fonctionner ainsi) que la fable n’a pas besoin de se protéger derrière la fiction. La critique sociale est celle de l’honnête

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homme qui vise un équilibre moral, et du classique qui vise l’universalité. 3)cependant, l’argumentation présente dans la fable est construite en abyme : non seulement le récit, sous forme d’apologue, comprend une argumentation implicite, et se termine par une morale explicite, mais à l’intérieur du récit lui-même les différents discours font appel à diverses stratégies de conviction ou de persuasion permettant d’étudier la manipulation des foules :

on a déjà vu que le roi place en avant le bien de la collectivité en se couvrant de l’autorité divine (« se sacrifie aux traits du céleste courroux, guérison commune »), puis fait mine de s’offrir en première victime (« pour moi »), connaissant sa puissance et la servilité de ses courtisans. Son discours comporte des référents religieux indirects (« sans indulgence, état de notre conscience ») : il endosse le rôle de l’exemplum, du modèle moral que la foule doit suivre. Sa fausse confession se fonde sur une seule accusation (le péché de gourmandise : « appétits gloutons »), et il fait mine de ne rien cacher en utilisant hyperbole (« force moutons ») et gradation (« même /Le berger » : rejet brutal imitant la brutalité du geste prédateur, seul vers très court, exceptionnellement réduit à 3 syllabes : nous voyons le berger disparaître en direct…). Après cette mise à nu, il s’arrange pourtant pour ne pas rester vulnérable : il revient à une vision collective, et relativise par avance ses fautes en rappelant qu’il peut y avoir pire : « que le plus coupable périsse ». Le roi maîtrise donc avec brio l’art de la manipulation de ses sujets : il fait semblant d’être un roi dévoué et juste (il fait officielement appel à cette valeur : « selon toute justice »), prêt à se sacrifier pour ses « amis », son peuple. De fait, il ne risque rien, et sa confession n’a aucune valeur (il ne regrette pas ce qu’il a fait, si ce n’est l’excès de gourmandise…). Toute son argumentation est calculée pour servir ses intérêts : montrer une image royale positive, et n’accepter de s’accuser que pour susciter la réaction contraire chez son public, vu sa position de force

le renard le vaut bien dans la manipulation, cette fois du roi lui-même, pour son propre intérêt également : son argumentation est basé sur des raisonnements non valables, faux, que l’on appelle sophismes. En effet, pour excuser le « meurtre » des moutons, il les dévalorise et suggèrent qu’ils l’avaient mérité pour leur infériorité (« canaille, sotte espèce »). Il n’y aurait donc pas de « péché » si les victimes n’étaient pas à la bonne hauteur sociale… Quant au meurtre du berger, il était tout autant mérité : il s’agit d’un cas de légitime défense et de punition de l’hybris (démesure) : l’orgueil du berger l’a perdu (« chimérique

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empire » qu’il croit avoir sur les animaux : il se croit donc tout permis). Excuser des crimes pour des mobiles soit-disant valables est une pratique courante dans le milieu religieux fréquenté par les grands du royaume : il s’agit de la casuistique, littéralement l’étude des cas de conscience, inventée par le mouvement religieux jésuite qui comprenait la plupart des aumôniers et confesseurs des nobles et de la cour, y compris du roi. Ne pouvant contrer leurs appétits de puissance ou leur désir de conquêtes féminines hors mariage, ils avaient inventé un moyen de les disculper par des raisonnements spécieux de ce type. La critique la plus dangereuse de La Fontaine se cache peut-être dans ce discours du Renard, d’autant plus que les Jésuites de l’époque étaient montrés du doigt par les Jansénistes, justement pour leur pratique de la casuistique (cf les Provinciales de Blaise Pascal).

On retrouve peut-être cette critique religieuse dans le fait de transformer le Loup en « clerc », homme d’église, et de le présenter sous la forme d’un fanatique prêt à exterminer sans raison valable, incapable même de raisonner, mais éructant seulement des injures plus hyperboliques les unes que les autres

le public de ces différents discours est montré de deux manières : d’abord terrorisé et obéissant à la loi du silence et de la servilité (« querelleurs, petits saints »), puis galvanisé et fanatisé, prêt à se jeter sur le bouc émissaire désigné pour échapper à leur propre châtiment : « quel crime abominable ! ». Eux aussi ne savent pas raisonner, mais seulement cracher des injures irraisonnées.

>>l’étude subtile du comportement argumentatif des différents personnages nous donne donc une sorte de radiographie du comportement social :

il n’y a que deux types de personnages qui argumentent : le roi (chef) qui veut se montrer sous son meilleur jour, au nom de la collectivité, et qui peut même se permettre de jouer le jeu qu’il impose aux autres, ne risquant rien pour son propre compte ; le renard, qui représente les courtisans, dont tous les arguments sont spécieux (= faux) et serviles

en dehors de la fausse sincérité et du sophisme, il ne reste que l’irrationalité de comportements fondés sur la haine irraisonnée ou la passion fanatique (clerc, foule qui lynche le bouc émissaire) : vision inquiétante de la société, qui rappelle des manipulation de foule par des sophismes ou par l’émotion (persuasion) dans l’histoire récente (2e guerre mondiale), et la chasse aux boucs émissaires

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(juifs…). Cette capacité à prendre feu de la foule est montrée par un hiatus (normalement évité dans un poème, mais volontaire, ici) : « cria haro » : la rencontre inhabituelle des deux « a » crée une dissonance amplifiée par les fortes voyelles de la suite (« u, o,é : sur le baudet »). Cette cacophonie singe les hurlements d’une foule galvanisée et perdant tout contrôle rationnel.

C’EST DONC A UNE SORTE DE RADIOGRAPHIE DU CORPS SOCIAL ET DE SON FONCTIONNEMENT QUE SE LIVRE LA FONTAINE DANS CETTE FABLE. SA CONCLUSION EST A LA FOIS MANICHEENNE ET PESSIMISTE (IL N’Y A QUE LES FORTS ET LES FAIBLES ; LES FORTS GAGNENT TOUJOURS, LES FAIBLES PAIENT POUR LES FORTS). CETTE VISION DESABUSEE DU JEU SOCIAL EST RENDUE AVEC UNE GRANDE FINESSE DANS LES DISCOURS ET LA NARRATION, MULTIPLIANT LES REGISTRES ET LA STRATEGIE ARGUMENTATIVE DES PERSONNAGES COMME DE L’APOLOGUE. LA FONTAINE, EN BON CLASSIQUE, NE FUSTIGE PAS SEULEMENT SON SIECLE, MAIS DEGAGE UNE LOI GENERALE DE LA SOCIETE HUMAINE : LA JUSTICE EST ET RESTERA (CF LES FUTURS QUI FERMENT LA FABLE COMME L’AVENIR) AU SERVICE DES PUISSANTS. LE COURAGE DE LA CRITIQUE DANS UN SIECLE DE MONARCHIE ABSOLUE DE DROIT DIVIN S’EXPLIQUE DONC PAR L’ASPECT SOCIOLOGIQUE ET UNIVERSEL DE SON ENTREPRISE, CONFORME A LA VISION CLASSIQUE DU MONDE.

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POUR EN FINIR AVEC LE GENRE DE LA FABLE, au XX e s l’écrivain ANOUILH aime revisiter/détourner/réécrire les fables de La Fontaine (vous vous souvenez sans doute de la fable de La Fontaine, « Le loup et l’agneau » dont voici un rapide rappel) :

Le Loup et l'Agneau

Jean de la Fontaine (1621-1695)

La raison du plus fort est toujours la meilleure

:

Nous l'allons montrer tout à l'heure.

Un Agneau se désaltérait

Dans le courant d'une onde pure.

Un Loup survient à jeun qui cherchait

aventure,

Et que la faim en ces lieux attirait.

Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage

?

Dit cet animal plein de rage :

Tu seras châtié de ta témérité.

- Sire, répond l'Agneau, que votre Majesté

Ne se mette pas en colère ;

Mais plutôt qu'elle considère

Que je me vas désaltérant

Dans le courant,

Plus de vingt pas au-dessous

d'Elle,

Et que par conséquent, en

aucune façon,

Je ne puis troubler sa boisson.

- Tu la troubles, reprit cette

bête cruelle,

Et je sais que de moi tu médis

l'an passé.

- Comment l'aurais-je fait si je

n'étais pas né ?

Reprit l'Agneau, je tette encor

ma mère.

- Si ce n'est toi, c'est donc ton

frère.

- Je n'en ai point.

- C'est donc quelqu'un des tiens

:

Car vous ne m'épargnez guère,

Vous, vos bergers, et vos

chiens.

On me l'a dit : il faut que je me

venge.

Là-dessus, au fond des forêts

Le Loup l'emporte, et puis le

mange,

Sans autre forme de procès.

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ANOUILH Fables – XX e s Le loup, l’horrible loup qui fait peur aux enfants, Le loup maigre et cruel qui guette, Assassin précis, l’innocent Et l’emporte poissé de sang, Rentre au foyer le soir où les siens lui font fête Et s’écrie : " Vilains garnements, J’espère qu’aujourd’hui vous avez été sages ? Quand les petits loups sont méchants Jésus pleure dans les nuages. Votre maman n’a pas à se plaindre de vous ? " " Non, non, s’écrient les petits loups, Dis-lui, maman, de vraies images. On s’est même laissé lécher Sans pleurer ! Que nous apportez-vous, papa, pour récompense ? " " Un beau petit agneau tout frais. Vous voyez, il palpite encore... " " Quelle chance ! Crient les mignons. Papa, laissez-nous l’achever. " " Ils se portent bien, ils dévorent ", Dit la louve, l’oeil attendri. Et le couple, comblé, regarde Le joyeux carnage de ses chers petits. " Je n’ai jamais vu de loup plus dur, dit le garde. Pissant le sang partout, dix balles dans le corps, Sur ses pattes brisées il se dressait encor. La louve près de lui était déjà tuée, Les louveteaux aussi. Il ne défendait plus Que des cadavres. A la fin pourtant on l’a eu, Et savez-vous, en rentrant de cette curée, Ce que m’a dit la plus petite de mes filles ? Pour un mot d’enfant, ce n’est pas banal... " Le garde aussi aime bien sa famille... Un monde d’innocents se tue et se torture. Ce grouillement géant de meurtres et de mal, Sous le regard froid de la lune, C’est ce que l’homme appelle une nuit pure... Pour Monsieur Lazareff, rien à mettre à la une Dans son journal.

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Repérez les différentes parties de cette fable. Le loup et sa famille ; le garde et sa famille ; la morale. Comment est présenté le loup ? Dans la première partie : comme un humain (cf discours aux enfants et leurs réponses, introduction de la référence religieuse : « Jésus »). Il ressemble à un bon chef de famille humain. Dans la seconde partie, il se transforme en héros épique et tragique : sa lutte à la fois héroïque et désespérée pour arracher sa famille au garde, même dans la mort, est bouleversante. Remarquez l’originalité de la fable : on ne nous rapporte pas les paroles de la fille du garde. Pourquoi ? Que peut-on deviner de son discours ? On ne le rapporte pas, parce que le lecteur doit réfléchir au comportement mis en parallèle du loup et du garde : tous les deux bons chefs de famille, mais tuant pour survivre (le loup pour manger, le garde pour protéger sa famille). Si donc les petits loups se réjouissent de la mort de l’agneau, les petits humains se réjouissent de celle du loup (cf premier vers) : c’est le contenu du discours de la fillette. Autre parallélisme : si le loup tue « l’innocent » (v 3), le garde alors, en tuant le loup et sa famille, s’attaque aussi à des innocents (cf la grandeur du loup quand il meurt, et les parallélismes avec le monde des humains : « lécher /laver, sages, vraies images »). La barbarie du loup (cf registre réaliste : « l’emporte poissé de sang, il palpite encore » : pathétique ) est donc aussi celle des humains (le garde tue des « enfants » loups). Quelle est donc la morale de cette fable ? Cf la fin : dans la nature indifférente (« regard froid »), « un monde d’innocents se tue et se torture » - remarquez les sonorités puissantes et dures : « u, o, u, t, s, r ». La vie est une jungle, où l’un est le prédateur de l’autre, et l’Homme ne veut pas le reconnaître (« c’est ce que l’homme appelle une nuit pure »). C’est la tragédie de notre monde.

>> les fables modernes jouent souvent sur le paradoxe : elles essaient d’étonner et de jeter un regard neuf sur nos habitudes de pensée.