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L'ART DU CONTREPETexcerpts.numilog.com/books/9782876970212.pdf · analogue à. celui du Contrepoint, nous avons forgé le nom de Contrepet. ... prendre à pratiquer l'Art du Contre-

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L'ART DU

CONTREPET

t Luc Etienne ,

L'ART DU CONTREPET

ÉDITION AUGMENTÉE

P e t i t T r a i t é

à l 'usage d e s A m a t e u r s p o u r r é s o u d r e les C o n t r e p è t e r i e s p r o p o s é e s

e t e n i n v e n t e r de nouve l les .

Précédé d'une Introduction et agrémenté d 'un grand nombre

de Contrepèteries inédites.

Suivi d 'un Commentaire d'André Thérive.

HAR P o

C Jean-Jacques Pauvert 1957 et 1971 @ Compagnie Jean-Jacques Pauvert, 1987.

ISBÎH*#7697-021-X

Les vignettes reproduites dans cet ouvrage

sont extraites du catalogue de la Fonderie Deberny.

au Docteur Faustroll au Sapeur Camember

à Monsieur Théodore Dubois, de l'Institut.

I N T R O D U C T I O N

Les meilleures plaisanteries sont déplacées.

JULIEN TORMA (Euphorismes)

On ne lit pas assez les gros dictionnaires. Dans le vénérable Larousse du XIX* siècle,

à l 'article Chemin de fer, chapitre des Crimes en chemin de fer, on trouve le récit suivant : (Tome III, page 1158)

« Au mois de mars 1861, le Père Archange, ancien Supérieur des Capucins de France, fut surpris en conversation criminelle avec une dame de Marseille, et condamné à deux mois de prison par le Tribunal d'Aix. Le scandale causé par cette affaire fut d'autant plus grand que, quelques mois avant son escapade amou- reuse, le capucin s'était distingué par son zèle dans une mission à Grasse; il avait fait brûler en place publique tous les ouvrages libertins qu'il avait pu se procurer dans la ville. »

C'est en vain que le zélé père aurait poussé ses recherches dans l'austère Traité que voici. Il n'y aurait pu trouver nul mot cru, nul propos gaillard. Il y aurait vu fleurir au contraire une pudique réserve, et cette exquise modestie qui, nous aimons à le croire, était la parure de toutes les jeunes filles en l'an 1861. Gageons pourtant que notre petit livre n'aurait pas échappé à ses ardeurs sacrées!

Nos lecteurs ne sont pas assez novices pour s'en étonner. Ils savent que les contrepèteries sont de petites phrases anodines qui suscitent de désastreux lapsus. Pour mettre au fait les moins avertis, il nous suffira de rappeler quelques contrepèteries que nous serions bien étonné qu'ils ignorassent. Qui ne connaît le vieux marchand qui vend de la serge, ou le jeune homme qui a une mine piteuse? la jouvencelle qui glisse dans la piscine, ou les Anglaises qui aiment le tennis en pension. ou encore cette petite Rachel qui s'amuse sur la berge du ravin?

Mais on aurait tort d'assimiler la Contrepè- terie au Calembour de commis voyageur et (Ii: lui supposer des aspects peu variés. On croit trop souvent qu'il en existe peu d'exemples. on n'imagine pas qu'il soit possible d'en aug-

monter la collection. La vérité est tout autre : le nombre des contrepèteries est illimité. Le regretté Louis Perceau en a publié une excel- lente anthologie, La Redoute des Contrepéte- ries où se trouve accumulé le Trésor de quatre siècles : trois cents contrepèteries de types et de styles très divers. Il y en a de simples, il y en a de savantes; il y en a de médicales, il y en a d'ecclésiastiques, beaucoup d'ecclésiastiques; des militaires, et des culi- naires; des sérieuses, et des poétiques; des agricoles, des patriotiques, des hygiéniques, des religieuses. Il y en a pour la Marquise et pour sa bonne, pour le Marquis et pour son cheval, pour l 'actrice et pour la femme de bien. Il y en a pour tous les goûts.

Mieux encore : chacun, selon les ressources de son imagination et de son vocabulaire. peut, en opérant avec méthode, non seulement retrouver par lui-même des contrepèteries appartenant au patrimoine commun, mais en inventer de nouvelles. C'est un excellent exer- cice intellectuel, qui tient à la fois des mots croisés et du problème d'échecs, du rébus et de la satire, des bouts-rimés et du canular, des hautes mathématiques et de la création poé- tique ou musicale. Bref, la contrepèterie est bien autre chose qu'une frivole amusette. Elle est objet de science, mieux, elle est œuvre d'art. Pour cette science ou pour cet art, assez analogue à. celui du Contrepoint, nous avons forgé le nom de Contrepet.

1. Collection Le Coffret (Ill Bibliophile. G. Brlffaut, ri i i tcur, Par is 1934.

Il n'existait jusqu'à présent, à notre connais- sance, aucun traité de l'Art du Contrepet. Et l'on entendait des gens intelligents, cultivés, d'ailleurs grands amateurs de contrepèteries, se plaindra. faute de méthode, de ne. pouvoir en inventer une seule.

C'est à ce regrettable état de choses que nous avons voulu mettre fin.

Parmi les multiples et furieuses activités de nos contemporains, le Contrepet semble ne mériter qu'une place minuscule, tant ils parais- sent occupés de choses sérieuses et utiles : gagner de l'argent pour faire vivre leur famille, s'amuser selon les usages établis, contribuer à la grandeur de leur pays, pousser à la roue de la Science ou de la Civilisation. S'agitant sans relâche ils font penser à ces cultivateurs de la Grande Beuverie « qui font pousser des pommes de terre afin de se nourrir pour avoir les forces nécessaires à la culture des pommes de terre » Mais quel est le résultat de tant d'efforts louables ? A notre délicieuse époque il n'est hélas que d'ouvrir les yeux . massacres, esclavage, abrutissement !

Laissons donc à d'autres les bonnes inten-

1. René Daumal . La Grande' Rfuf ' f jff . Par is N.R.F.. 1938.

lions et les illusions candides! Et tandis qu'ils bêchent leur potager utilitaire, cultivons sans remords notre jardin, le jardin aux fleurs inu- tiles et charmantes du Contrepet !

Mais qu'on ne s'y trompe pas : le Contrepet, comme l'histoire de Zadig, en dit plus qu'il ne semble dire!

Devant le spectacle universel de la niaiserie triomphante, l'ascète des temps nouveaux. guidé par l 'exemple d'Alfred Jarry, adopte l 'attitude pataphysique. Il conspire avec cet ordre imbécile, il parle le langage de tous ces insuffisants, il renchéri t sur leurs évidences. La Contrepèterie est l 'arme secrète qui convient à ses desseins vengeurs. Affectant le respect et le conformisme, il la lance comme on lance un bouquet, cependant qu'au cœur de cet hommage trop pieux, mû par une mécanique infaillible, le scandale éclate comme une bombe flatulente.

Si Monsieur Prudhomme en est blessé, les hommes éclairés qui pénètrent les arcanes du Contrepet se réjouissent dans leur cœur. Ils savourent, au sein même de la foule profane, les joies occultes d'une invisible complicité. Le

pouvoir créateur du Verbe suscite entre ces initiés, par la seule conjuration tacite des lettres et des syllabes, une Franc-Maçonnerie mystérieuse.

Malgré ce caractère ésotérique de la Contre- pèterie, il est peu probable que le Père Archange se fût risqué à nous adresser le reproche d'hypocrisie. Sans doute le Contrepet eût-il pu donner des leçons de duplicité au vertueux capucin lui-même; mais son hypo- crisie n'est pas celle de Tartufe, c'est celle de Dorine contrefaisant de Tartufe l'affreuse gri- mace dévote. Forcés bien malgré eux de choisir entre deux reproches contradictoires, les bons apôtres n'accuseront pas notre ouvrage de dissimulation, mais d'obscénité.

Ce n'est pas (lue le reproche nous touche personnellement le moins du monde : s'il nous fallait absolument choisir, nous aimerions mieux être un pornographe bien disant qu'un cacographe bien pensant. Mais le souci de Jn vérité nous oblige à défendre notre Art contre une accusation malveillante. Si l'on s'en tient à la définition de l'Académie, si l'obscène est ce qui offense ouvertement la pudeur, on ne peut sérieusement reprocher à une contre- pèterie d'être obscène.

Aussi bien, ouvertement ou non, de qui

offenserait-elle la pudeur? De la pure jeune fille qui l 'aurait lue sans y entendre malice, ou de celle qui, s'étant donné la peine de la tra- duire, aurait le mauvais goût de s'en offusquer ? A celle-ci nous donnerions le conseil de pru- dence que Bèroalde de Verville enseigne « aux sages filles de la cour ,,> : « Ma mie, si vous oyez parler de ceci ou cela, dites que vous n'y entendez rien, et n'en faites aucun semblant, d'autant que si vous vous fâchez quand on dira des paroles de fouaillerie, on dira que vous les entendez, ce qui seroit honteux! >.

Et pourtant, ces horreurs (lue le Contrepet ne dit pas, il est bien vrai qu'il les dit tout de même. C'est justement par là qu'il part icipe à la vertu purificatrice de l'Obscène.

La divine Providence, soucieuse d'assurer la propagation de l'espèce, nous a dotés à cet effet d'organes appropriés. Elle a voulu, dans sa profonde sagesse, qu'un usage judicieux de ces organes nous procure une gamme étendue de satisfactions délicates. Elle a voulu aussi qu'à ces plaisirs l 'intimité donne tout leur prix. C'est dire que nous ne pensons pas que leur description doive occuper dans la conversa- tion ou la littérature une place démesurée.

Mais de là à jeter l 'opprobre sur l 'exercice

de fonctions essentielles, il y a un pas — que les fils spirituels du Père Archange n'hésitent malheureusement pas à franchir. Un purita- nisme envahissant ose frapper d'interdit les actes ou les propos les plus naturels. Dès lors ces mêmes instincts d'Amour, qu'on trouverait à la source de ce que l'humanité a produit de meilleur, engendrent, par l'etfet du refoule- ment, l'obsession sexuelle, la lubricité per- verse, fruits corrompus de l 'hypocrisie sociale.

L'Obscénité est la réaction normale de tout être sain contre cette hypocrisie. C'est une réaction bienfaisante. De même que, selon Aristote, la représentation des actions meur- trières sur la scène tragique purge les specta- teurs de leurs passions homicides, de même l'évocation verbale des choses interdites fait perdre aux instincts opprimés leur dangereuse virulence, et purifie en soulageant.

Or la Contrepèterie l 'emporte en vertu cathartique, et sur la Tragédie classique, et sur l'Obscénité vulgaire. Par un paradoxe admirable, elle réussit à confondre l'imposture puritaine en sauvegardant les pudeurs respec- tables : elle exprime décemment l'Obscénité. Son hypocrite franchise en fait un incompa- rable instrument de liberté.

Mais peut-être est-ce l 'esprit de liberté, plus encore que l 'indécence, qui fait rougir les innombrables rejetons du Père Archange. Ne vont-ils pas en elli't, dans leur aveugle fureur. jusqu'à taxer d'anarchismc le Contrepet, ce domaine de l'Ordre et de l 'Harmonie?

Et il est vrai qu'il est une école d'irrespect. Les choses réputées vénérables sont accouplées par lui aux choses réputées basses ou infâmes. Mais est-ce donc un mal? Si ces belles choses ne peuvent supporter un tel voisinage, c'est peut-être qu'elles ne sont pas si belles. Et si les mauvaises fréquentations les encanaillent, n'est-ce pas parce qu'elles y ont des disposi- tions inavouables?

Grâces donc soient rendues au Contrepet qui nous exerce humblement ruais efficacement à nous poser de telles questions; et si c'est être anarchiste que de se les poser, tant pis : notre pauvre monde manque cruellement de ces anarchistes-là !

Pénétré de l'excellence de notre cause, nous nous sommes laissé entraîner à faire du Contre- pet le refuge des suprêmes valeurs. Nous permettra-t-on maintenant de sourire, et de souhaiter au mépris de toute logique que ce jeu reste un jeu, assez riche d'ailleurs pour meubler sagement quelques heures de loisir?

C'est pendant une période de vacances que nous nous sommes amusé à écrire ce petit Traité. Puissent nos lecteurs, en de futures vacances, prendre à pratiquer l'Art du Contre-

pet autant d'agrément que nous en avons eu nous-même à en dégager les méthodes et les lois !

Et que s'accomplisse enfin l'antique souhait de Noël, adapté par le poète Julien Torma aux besoins profonds de notre temps :

Contrepet sur terre aux hommes de bonne volonté !

PETIT TRAITÉ DE CONTREPET

PLAN

Première Partie Généralités — Définitions — Classification

Deuxième Partie Résolution des Contrepèteries

Troisième Partie Invention des Contrepèteries

Quatrième Partie Compléments et applications

Appendice Le Contrepet et les Lettres

x. b. — Dans les deux premières parties, en parti- culier dans les exercices de traduction, nous avons emprunté nombre de nos exemples — parfois en en modifiant sensiblement la forme — au trésor publie s: consciencieusement recueilli par Louis Perceau. Xous n'avons naturellement pas choisi les plus mauvais échantillons. C'est donc une petite anthologie, incom- plète mais quintessenciée, des meilleures contrepèteries cle tous les temps que le lecteur aura à sa disposition dans ces deux premières parties et dans l'Appendice littéraire. S'il désire compléter la collection, il se repor- tera à la Redoute des Cotitrel)élei-i.es.

Dans les 3* et 4e parties, en revanche, les exemples sont originaux, sauf avis contraire.

Nous n 'avons t r adu i t explicitement aucune contrepè- terie. Mais les éléments mobiles des premiers exemples du traité sont indiqués en caractères romains, ce qui er. fourni t les solutions figurées.

Quant aux autres contrepèteries, le lecteur pourra en t rouver les solutions figurées à la fin de l 'ouvrage (page 193)

Première Partie

G É N É R A L I T É S — C L A S S I F I C A T I O N

CONTREPET

Le Contrepet est la Science qui a pour objet : 10 de résoudre les contrepèteries proposées, 20 d'en inventer de nouvelles.

CONTREPÈTERIE

Une contrepèterie est une phrase d'appa- rence anodine qu'un lapsus convenablement choisi peut rendre agréablement déplacée.

Soit à prononcer la phrase :

Mon oncle perd courage devant les amas de patentes.

Si, comme on dit, la langue fourche, on obtient ce malencontreux résultat :

Mon oncle perd courage devant les appas de ma tante

Ce sont de ces catastrophes accidentelles que le Contrepet reconstitue par le moyen de l'Art 1.

1. L e s c o n t r e p è t e r i e s s o n t s o u v e n t p r é s e n t é e s à l ' i m i - t a t i o n d e s N e d i t e s p a s . m a i s d i t e s , e t a u t r e s g u i d e - &nes : Il f a u t d i r e :

M o n o n c l e p e r d c o u r a g e ( l e v a n t l e s a m a s d e p a t e n t e s et n o n p a s : M o n o n c l e p e r d c o u r a g e d e v a n t l e s c ippà3 d e m a t a n t e .

SL'JET RÉPONSE

Chaque contrepèterie comporte donc deux faces : la première, que nous appellerons sujet, d'aspect benoit et inoffensif; et la deuxième, ou réponse, qui doit offrir à l 'amateur perspi- cace, à titre de récompense, une formule aussi savoureuse que possible et dont une tradition plusieurs fois séculaire requiert communément l'obscénité 1.

COUPLES

Dans l'exemple précédent il suffit, pour passer du sujet à la réponse, de permuter le m de amas et le p de patentes.

Les couples de mots : amas-appas, patentes- ma tante, qui servent en quelque sorte de pivot ou de plaque tournante, sont appelés couples de la contrepèterie.

Les deux termes de chaque couple sont dits homologues l'un de l'autre.

Une lettre (ou un groupe de lettres) qui change de place quand on passe du sujet à la réponse est appelée élément mobile : le m de amas et le p de patentes sont les éléments mobiles de la contrepèterie précédente.

REMARQUE Les contrepèteries sont en principe des

erreurs de langue et non des erreurs de plume,

1. Nous avons emprunté les mots sujet et réponse « la terminologie de la Fugue, art abstra i t que ses règles sévères et sa haute valeur spir i tuel le rapprochent du Contrepet ; en Fugue comme en Contrepet la réponse est la reproduction du sujet à certaines mutat ions près.

des lapsus linguae et non des lapsus calami. Elles sont faites pour être prononcées. D'où la règle :

En Contrepet c'est le son qui compte et non l 'orthographe.

Il s'ensuit que quand on passe du sujet à la réponse c'est le son des éléments mobiles, et non jeur orthographe, qui reste invariable.

Exemple : Sujet : La violoniste force les censeurs

à admirer son joli don

Réponse : La violoniste force les danseurs à admirer son joli son

Nous désavouons d'avance toute autre réponse que pourrai t suggérer au lecteur la méconnaissance de la règle précédente et une hâtive fidélité à l 'esprit traditionnel du genre.

AVERTISSEMENT SÉVÈRE MAIS IMPORTANT

Pour simplifier la classification des contre- pèteries, nous appellerons consonne non seu- lement toute consonne simple, mais encore tout groupe de lettres : qu, ch, br, phr, jouant phonétiquement le rôle d'une consonne (con- sonne composée).

Exemple : Le général aurait voulu

arriver à pied par la Chine

De même nous appellerons voyelle non seu- lement toute voyelle simple, mais encore tout groupe de lettres : ou, an, oi, ui, etc..., jouant le rôle d'une voyelle, ou à peu près. Ce groupe pourra même être suivi d'une consonne : el, eur, eurre, seront considérés comme des voyelles composées.

Exemples : Jules César fit brûler le camp

Ce voyou a tàté mon beurre!

C L A S S I F I C A T I O N

DES C O N T R E P È T E R I E S

I. Contrepèteries de consonnes.

II. Contrepèteries de voyelles.

III. Contrepèteries de syllabes, de fractions de mots, ou de mots.

IV. Contrepèteries irrégulières.

V. Phrases à deux contrepèteries.

VI. Contrepèterie dans l'Espace.

Les con t r epè t e r i e dt- consonnes sont qualifiées par i 'erceau de classique*. 1rs au t res étant t rai tées non sans raison de décadente*.

E R R A T U M

P. 74, lire :

L'érection de l'Obélisque a eu lieu tous Louis-Philippe.