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Paris, 2 dĂ©cembre 2014 : Un grand pas pour la paix L a Commission europĂ©enne donne un ulti- matum Ă  la France, Ă  l'Italie et Ă  la Belgique : fournir de nouveaux efforts budgĂ©taires et accĂ©lĂ©rer le programme de rĂ©for- mes. Rien de dĂ©mocratique : seul le Conseil europĂ©en oĂč siĂšgent les chefs d’État a le pouvoir de dĂ©cision et le duo Hollande-Merkel en est le pilote. En octobre dĂ©jĂ , l’OCDE* reprochait Ă  la France d’affecter 32% de son PIB** au finance- ment des dĂ©penses sociales et incitait Manuel Valls Ă  rĂ©former « en profondeur des politiques de protection sociale et d'Ă©ducation » et Ă  « rĂ©Ă©quilibrer le financement du systĂšme de retraites et Ă  rationaliser la dĂ©pense publique ». « Il ne s'agit pas d'austĂ©ritĂ© mais de modernitĂ©. Il ne s'agit pas d'efforts mais d'investissements » prĂ©cise François Hollande cependant que Macron veut non pas « assouplir » les 35 heures mais « les faire respirer » ! Certains parlent crĂ»ment : « L’euthanasie est une bonne solution aux problĂšmes, pour les couches faibles de la sociĂ©tĂ©, n’ayant pas les moyens de se payer les soins mĂ©dicaux ». On rit devant la satire quand Swift dans son Humble proposition pour empĂȘcher les enfants des pauvres en Irlande d’ĂȘtre Ă  la charge de leurs parents
 pro- pose de les manger ! Venant de la consƓur litua- nienne de Marisol Touraine qui siĂšge avec elle au Conseil europĂ©en des Ministres de la santĂ©, la barbarie des mots fait frĂ©mir. L’objectif du patronat, c’est faire travailler plus et payer moins, en finir avec les Ă©lections prud’homales, rĂ©duire toujours plus les droits des chĂŽmeurs, geler le Smic et les retraites, niveler par le bas en supprimant les retraites spĂ©cifiques aux cadres. Pas d’autres augmen- tations que celles de l’électricitĂ©, du gaz, de l’eau, de la santĂ©, des impĂŽts. C’est un dĂ©man- tĂšlement du programme de la RĂ©sistance, une destruction sans prĂ©cĂ©dent de nos conquĂȘtes sociales. Cela provoque logiquement l'Ă©cƓu- rement ou la dĂ©sespĂ©rance, terreau de la droi- te extrĂȘme et du Front National. Le gouvernement, applaudi par le patronat, s’emploie Ă  nous convaincre que le travail a un coĂ»t afin de le rĂ©duire et d’augmenter celui du capital. C’est pourtant le travail qui produit les richesses et le capital qui le rançonne ! L’austĂ©ritĂ©, c’est faire la guerre aux pauvres, chose naturelle pour la classe dirigeante. La population doit se serrer la ceinture et tout le « modĂšle social », patiemment gagnĂ© de haute lutte, vole en Ă©clats. Une meilleure rĂ©partition des richesses est possible en prenant sur le capital et ses gigantesques profits, d’oĂč le nĂ©cessaire refus des plans d’austĂ©ritĂ© et de la mise en cause de la dĂ©mocratie. Contre l’austĂ©ritĂ©, des luttes d’ampleur et d’une radicalitĂ© encore inconnues Ă©mergent en Europe. En Belgique, s’est tenue la plus grande manifestation sociale jamais vue. Son onde de choc continue. En Allemagne, la grĂšve du rail a bloquĂ© le pays. En Espagne, les marches de la dignitĂ© mobilisent des millions de personnes. Mais l’indignation sans per- spectives ne suffit pas. Il faut travailler Ă  la feuille de route. En Espagne, le mouvement social andalou de SĂ©ville contre la propriĂ©tĂ© fonciĂšre et celui, historique, de Marinaleda tracent la voie. Le sol n’y est plus une mar- chandise. Il est devenu un droit pour celui qui veut le cultiver ou l’habiter. Il faut nous inspirer de ces expĂ©riences socia- les prĂ©cieuses qui posent la question de la rĂ©partition des richesses, du droit au travail, de la propriĂ©tĂ© fonciĂšre et de la dĂ©mocratie. La victoire des femmes espagnoles contre la remise en cause du droit Ă  l’avortement, celle, ici, Ă©clatante des femmes de mĂ©nage du Royal Monceau forçant leur patron Ă  cĂ©der sur tou- tes leurs revendications, prouvent que la lutte peut gagner. Alors ce que nous ferons en 2015 doit ressem- bler Ă  cela : c’est possible si nous prenons notre destin en main ! * OCDE Organisation de CoopĂ©ration et de DĂ©veloppement Économiques ** PIB Produit IntĂ©rieur Brut Prenons notre destin en main ! ISSN: 0757-2395 MENSUEL EDITE PAR L’U.J.R.E. PNM n° 321 - DĂ©cembre 2014 - 33 e annĂ©e Union des Juifs pour la RĂ©sistance et l’Entraide Le N° 5,50 € La PNM aborde de maniĂšre critique les problĂšmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse Ă  toute diabolisation et combat rĂ©solument toutes les manifestations d'antisĂ©mitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Moyen–Orient basĂ©e sur le droit de l'État d'IsraĂ«l Ă  la sĂ©curitĂ© et celui du peuple palestinien Ă  un État. À lire (en pages 6 et 7 les analyses de Dominique Vidal et Marius Schattner, et les arguments du camp de la paix...) Ce vote est un pas important vers la paix et la crĂ©ation d'un Etat palestinien. C'est un signe fort qui marque le rĂŽle que la France, et au-delĂ  de la France, l'Union EuropĂ©enne, se doivent de jouer pour parvenir Ă  une paix juste et durable et mettre fin au conflit israĂ©lo-palestinien qui n'a que trop durĂ© depuis 67 ans. JĂ©rusalem, 2 dĂ©cembre 2014 : Coup de barre Ă  droite L'AssemblĂ©e Nationale propose la reconnaissance par la France de l’État de Palestine. Netanyahou remercie deux ministres centristes et annonce des Ă©lections anticipĂ©es au 17 mars 2015. FRANCE / SOCIÉTÉ La dĂ©flation hante l’Europe J. Lewkowicz p. 4 Urgences mĂ©dicales NM p. 3 Interdiction de sortie du territoire NM p. 5 ISRAËL / PALESTINE Vers l’internationalisation du conflit ? D. Vidal p.6 Entretien avec ... M. Schattner p.6 La parole au camp de la paix (communiquĂ©s) p.7 HISTOIRE / MÉMOIRE CommĂ©morations (Fusillades du 15 dĂ©cembre 1941 et EntrĂ©e des troupes soviĂ©tiques Ă  Auschwitz) p.2 Le Prince de Ligne ... philosĂ©mite G-G. Lemaire p.9 Guelfo Zamboni, consul Ă  Salonique... L. Arrighi p.9 Le dernier survivant du CNR parle... H. Levart p.5 HOMMAGES Ă  Pierre DAIX et Ă  Alexandre Grothendieck en p.3 POINT DE VUE - Cycle ‘Être juif au XXI e siĂšcle’ Comment je me sens juif en 2014 M. Winnykamen p.8 Être juif ou ne pas ĂȘtre... S. Darracq p.8 CULTURE ‘Les inoubliables’ de Jean-Marc Parisis S.Endewelt p.10 L’oeil tĂ©moin de Roman Vishniac B. Frederick p.10 La chronique CinĂ©ma de ... L. Laufer p.11 La chronique ThĂ©Ăątre de ... S. Endewelt p.12 BILLET D’HUMEUR DĂ©fense de cracher par terre N. Mokobodzki p.4 LE CLIN D’ƒIL DE... N. Malviale p.2 Laura Laufer

Laura Laufer Prenons notre destin en main

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Page 1: Laura Laufer Prenons notre destin en main

Paris, 2 décembre 2014 : Un grand pas pour la paix

La Commission européenne donne un ulti-matum à la France, à l'Italie et à laBelgique : fournir de nouveaux efforts

budgĂ©taires et accĂ©lĂ©rer le programme de rĂ©for-mes. Rien de dĂ©mocratique : seul le ConseileuropĂ©en oĂč siĂšgent les chefs d’État a le pouvoirde dĂ©cision et le duo Hollande-Merkel en est lepilote. En octobre dĂ©jĂ , l’OCDE* reprochait Ă  laFrance d’affecter 32% de son PIB** au finance-ment des dĂ©penses sociales et incitait ManuelValls Ă  rĂ©former « en profondeur des politiquesde protection sociale et d'Ă©ducation » et à« rĂ©Ă©quilibrer le financement du systĂšme deretraites et Ă  rationaliser la dĂ©pense publique ».« Il ne s'agit pas d'austĂ©ritĂ© mais de modernitĂ©.Il ne s'agit pas d'efforts mais d'investissements »prĂ©cise François Hollande cependant queMacron veut non pas « assouplir » les 35 heuresmais « les faire respirer » ! Certains parlent crĂ»ment : « L’euthanasie est unebonne solution aux problĂšmes, pour les couchesfaibles de la sociĂ©tĂ©, n’ayant pas les moyens dese payer les soins mĂ©dicaux ». On rit devant lasatire quand Swift dans son Humble propositionpour empĂȘcher les enfants des pauvres enIrlande d’ĂȘtre Ă  la charge de leurs parents
 pro-pose de les manger ! Venant de la consƓur litua-nienne de Marisol Touraine qui siĂšge avec elleau Conseil europĂ©en des Ministres de la santĂ©, labarbarie des mots fait frĂ©mir.

L’objectif du patronat, c’est faire travaillerplus et payer moins, en finir avec les Ă©lectionsprud’homales, rĂ©duire toujours plus les droitsdes chĂŽmeurs, geler le Smic et les retraites,niveler par le bas en supprimant les retraitesspĂ©cifiques aux cadres. Pas d’autres augmen-tations que celles de l’électricitĂ©, du gaz, del’eau, de la santĂ©, des impĂŽts. C’est un dĂ©man-tĂšlement du programme de la RĂ©sistance, unedestruction sans prĂ©cĂ©dent de nos conquĂȘtessociales. Cela provoque logiquement l'Ă©cƓu-rement ou la dĂ©sespĂ©rance, terreau de la droi-te extrĂȘme et du Front National. Le gouvernement, applaudi par le patronat,s’emploie Ă  nous convaincre que le travail aun coĂ»t afin de le rĂ©duire et d’augmenter celuidu capital. C’est pourtant le travail qui produitles richesses et le capital qui le rançonne ! L’austĂ©ritĂ©, c’est faire la guerre aux pauvres,chose naturelle pour la classe dirigeante. Lapopulation doit se serrer la ceinture et tout le« modĂšle social », patiemment gagnĂ© de hautelutte, vole en Ă©clats. Une meilleure rĂ©partitiondes richesses est possible en prenant sur lecapital et ses gigantesques profits, d’oĂč lenĂ©cessaire refus des plans d’austĂ©ritĂ© et de lamise en cause de la dĂ©mocratie.Contre l’austĂ©ritĂ©, des luttes d’ampleur etd’une radicalitĂ© encore inconnues Ă©mergenten Europe. En Belgique, s’est tenue la plus

grande manifestation sociale jamais vue. Sononde de choc continue. En Allemagne, lagrĂšve du rail a bloquĂ© le pays. En Espagne, lesmarches de la dignitĂ© mobilisent des millionsde personnes. Mais l’indignation sans per-spectives ne suffit pas. Il faut travailler Ă  lafeuille de route. En Espagne, le mouvementsocial andalou de SĂ©ville contre la propriĂ©tĂ©fonciĂšre et celui, historique, de Marinaledatracent la voie. Le sol n’y est plus une mar-chandise. Il est devenu un droit pour celui quiveut le cultiver ou l’habiter. Il faut nous inspirer de ces expĂ©riences socia-les prĂ©cieuses qui posent la question de larĂ©partition des richesses, du droit au travail,de la propriĂ©tĂ© fonciĂšre et de la dĂ©mocratie. Lavictoire des femmes espagnoles contre laremise en cause du droit Ă  l’avortement, celle,ici, Ă©clatante des femmes de mĂ©nage du RoyalMonceau forçant leur patron Ă  cĂ©der sur tou-tes leurs revendications, prouvent que la luttepeut gagner. Alors ce que nous ferons en 2015 doit ressem-bler Ă  cela : c’est possible si nous prenonsnotre destin en main !

* OCDE Organisation de CoopĂ©ration et deDĂ©veloppement Économiques

** PIB Produit Intérieur Brut

Prenons notre destin en main !

ISSN: 0757-2395 MENSUEL EDITE PAR L’U.J.R.E.PNM n° 321 - DĂ©cembre 2014 - 33e annĂ©e Union des Juifs pour la RĂ©sistance et l’Entraide Le N° 5,50 €

La PNM aborde de maniĂšre critique les problĂšmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse Ă  toute diabolisation et combat rĂ©solument toutes les manifestations d'antisĂ©mitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Moyen–Orient basĂ©e sur le droit de l'État d'IsraĂ«l Ă  la sĂ©curitĂ© et celui du peuple palestinien Ă  un État.

À lire(en pages 6 et 7 les analyses de Dominique Vidal et Marius Schattner, et les arguments du camp de la paix...)

Ce vote est un pas important vers la paix et la création d'unEtat palestinien. C'est un signe fort qui marque le rÎle quela France, et au-delà de la France, l'Union Européenne, sedoivent de jouer pour parvenir à une paix juste et durable et

mettre fin au conflit israélo-palestinien qui n'a que trop duré depuis 67 ans.

Jérusalem, 2 décembre 2014 : Coup de barre à droite

L'AssemblĂ©e Nationale propose la reconnaissance par la France de l’État de Palestine.

Netanyahou remercie deux ministres centristes

et annonce des élections anticipées au 17 mars 2015.

FRANCE / SOCIÉTÉLa dĂ©flation hante l’Europe J. Lewkowicz p. 4Urgences mĂ©dicales NM p. 3Interdiction de sortie du territoire NM p. 5

ISRAËL / PALESTINEVers l’internationalisation du conflit ? D. Vidal p.6Entretien avec ... M. Schattner p.6La parole au camp de la paix (communiquĂ©s) p.7

HISTOIRE / MÉMOIRECommĂ©morations (Fusillades du 15 dĂ©cembre 1941 et EntrĂ©e des troupes soviĂ©tiques Ă  Auschwitz) p.2Le Prince de Ligne ... philosĂ©mite G-G. Lemaire p.9Guelfo Zamboni, consul Ă  Salonique... L. Arrighi p.9Le dernier survivant du CNR parle... H. Levart p.5

HOMMAGESĂ  Pierre DAIX et Ă  Alexandre Grothendieck en p.3

POINT DE VUE - Cycle ‘Être juif au XXIe siĂšcle’Comment je me sens juif en 2014 M. Winnykamen p.8Être juif ou ne pas ĂȘtre... S. Darracq p.8

CULTURE‘Les inoubliables’ de Jean-Marc Parisis S.Endewelt p.10L’oeil tĂ©moin de Roman Vishniac B. Frederick p.10La chronique CinĂ©ma de ... L. Laufer p.11La chronique ThĂ©Ăątre de ... S. Endewelt p.12

BILLET D’HUMEUR

DĂ©fense de cracher par terre N. Mokobodzki p.4LE CLIN D’ƒIL DE... N. Malviale p.2

Laura Laufer

Page 2: Laura Laufer Prenons notre destin en main

LA PRESSE NOUVELLE

Magazine Progressiste Juiffondé en 1934

Editions :1934-1993 : quotidienne en yiddish, NaĂŻe Presse

(clandestine de 1940 à 1944)1965-1982: hebdomadaire en français, PNHdepuis 1982 : mensuelle en français, PNM

éditées par l'U.J.R.EN° de commission paritaire 061 4 G 89897

Directeur de la publicationJacques LEWKOWICZ

CoordinationN. Mokobodzki, T. Alman

Conseil de rédactionClaudie Bassi-Lederman, Jacques Dimet,Jeannette Galili-Lafon, Patrick Kamenka,

Nicole Mokobodzki, Roland WlosAdministration - Abonnements

Secrétaire de rédactionTauba-Raymonde Alman

RĂ©daction – Administration14, rue de Paradis

75010 PARISTel : 01 47 70 62 1 6Fax : 01 45 23 00 96

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2 PNM n°321 - Décembre 2014

Aors que nous cĂ©lĂ©brions en 2014 le 80e anniversaire de la NaĂŻe Presse nous allons en 2015 commĂ©morer le 70e anniversairede la victoire et tout au long de l'annĂ©e, celui de la libĂ©ration des camps. “Il faudra raconter” disaient les dĂ©portĂ©s. C'est ce

Ă  quoi nous nous emploierons, avec leur aide. Sans oublier que le verbe rĂ©sister se conjugue au prĂ©sent et que commĂ©morer c’estaussi et d'abord agir pour que cela ne se rĂ©pĂšte pas. Ce Ă  quoi s'emploie notre magazine juif, laĂŻque et progressiste, qui abordetous les aspects de l'actualitĂ© politique, Ă©conomique, sociale et culturelle. Vous ĂȘtes nombreux Ă  nous en fĂ©liciter parce que l'ony trouve “quantitĂ© de choses qu'on ne trouve pas ailleurs”. Vous souhaitez comme nous que cela continue ? Alors, pourquoi nepas nous donner un coup de main sur le plan de la trĂ©sorerie ? En participant Ă  notre souscription permanente, vous nous permet-trez d’étoffer notre presse. Un grand merci d’avance !!! Jacques Lewkowicz PrĂ©sident de l’UJRE

SOUSCRIPTION PERMANENTE DE L’UJRE n° 65 (janvier à novembre 2014)

« À la vie »ou pourquoi et comment des dĂ©portĂ©es ont pu

parler de la déportation

Impossible d’en parler. NĂ©cessitĂ© de dire. C’est

de cette double contrainte que témoigne le

remarquable film de Zilbermann*. Il s’ouvre en

noir et blanc sur une interminable file de person-

nes qui cheminent le long d’une voix ferrĂ©e.

Auschwitz. Puis, dans un baraquement, des voix

comptent en russe. C’est la libĂ©ration du camp par

l’armĂ©e rouge. Fin du noir et blanc. Retour dans un

appartement vide, terriblement. Vite, la machine Ă 

coudre reprend ses droits.

À la vie, c’est l’histoire de trois copines qui se

retrouvent pour passer quelques jours au bord de la

plage. L’une est communiste, l’autre veut ĂȘtre rab-

bine, l’autre a divorcĂ© : c’est une femme libre.

Trois anciennes d’Auschwitz. Deux d’entre elles y

sont entrées ensemble. Ensemble, elles ont fait la

marche de la mort. Puis elles se sont séparées et

ont fait leur vie, une vie, l’une à Paris, l’autre en

Hollande, la troisiÚme à Montréal. Elles se sont

cherchĂ©es. L’une est passĂ©e Ă  l’UJRE, rue Vieille

du Temple, passer une annonce pour en retrouver

une autre : « la Naïe Presse est lue dans le mondeentier » lui dit-on. Elles se sont retrouvées. A

Berck-plage, on cause, on fait la trempette, on fait

la dĂźnette. On fait mĂȘme shabbat et on chante les

chansons yiddish d’avant. On essaye des costu-

mes de bain. Et tout à trac, ça sort, ça vous étouf-

fait. On en parle, entre rires et larmes. On peut en

parler parce que les autres savent. On se retrouve-

ra, une fois par an, pour en parler.

Alors que va s’ouvrir l’annĂ©e de commĂ©morationdu 70e anniversaire de la libĂ©ration des camps, peude films montreront avec autant de sobriĂ©tĂ© qu’ilest impossible d’en parler mais vital de dire. Onn’oublie pas. On vit avec ça, malgrĂ© ça et aussi Ă partir de ça. Est-ce un hasard si Pierre Durand ter-mine son dernier livre « La messe est dite » sur cevers du Chant de Buchenwald : « O Buchenwald,ich kann dich nicht vergessen » ?

* Jean-Jacques Zilbermann, À la vie, sortie le 26/11/2014, avec

Julie Depardieu, Johanna ter Steege, Suzanne Clément sans

oublier Wojciech Pszoniak, l’acteur « reprĂ©sentant » la NaĂŻePresse ni Hippolyte Girardot, « le mari » de Julie Depardieu.

CEREMONIES DU 73Úme ANNIVERSAIREDES FUSILLADES DU 15 DECEMBRE 1941v Mme Frédérique CALANDRA, maire du 20Ú

et la municipalité

v Les familles de fusillés : m Association Nationale des Familles de fusillés et Massacrés

de la Résistance Française et leurs ami(e)s (ANFFMRFA)m Familles des Fusillés du 15 décembre 1941 à Caen,

m Amicale de Chateaubriant-Voves-Rouillé-Aincourt,

m Association pour le Souvenir des Fusillés du Mont Valérien etde l'Ile de France,

v Union des Juifs pour la RĂ©sistance et l'Entraide (UJRE)

v MĂ©moire des RĂ©sistants Juifs de la M.O.I. (MRJ-MOI)

v Le Comité Mémoire Vive Mémoire commune du 20Ú

v Le Comité d'Entente des Anciens Combattants du 20Ú

vous invitent à la cérémonie du 73Úme anniversairedes fusillades du 15 décembre 1941Samedi 13 décembre 2014 à 10h.

au Monument aux morts de la Mairie du 20Ăš

Place Gambetta, métro Gambetta (ligne 3) ou bus 26,60,61, 64,69

L’UJRE et MRJ-MOI vous invitent Ă©galement Ă rendre hommage aux fusillĂ©s de la section juive dela MOI et Ă  la RĂ©sistance juive, accompagnĂ©s parles associations des familles de fusillĂ©s.

Samedi 13 décembre 2014 à 15h.au CimetiÚre du PÚre Lachaise

(RDV Ă  la porte d’entrĂ©e situĂ©e rue des Rondeaux)

Lancer un film par des avant-premiĂšres au bĂ©nĂ©fice d’associations, riche idĂ©e ! Nous avons ainsi puvoir « À la vie » lors de la soirĂ©e organisĂ©e au profit de la Maison de la Culture Yiddish (aprĂšs celledu Casip-Cojasor). C’est peu de dire que nous avons aimĂ©. Nous avons Ă©tĂ© bouleversĂ©s. Allez-le voir !

MĂ©moire

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Vie des associations

Page 3: Laura Laufer Prenons notre destin en main

PNM n°321 - Décembre 2014 3

DĂ©cĂ©dĂ© le 2 novembre Ă  l’ñge de92 ans, Pierre Daix laisse uneƓuvre profonde et multiforme

de romancier, d’essayiste, de critique lit-tĂ©raire et d’historien de l’art. Elle est toutentiĂšre marquĂ©e par son engagementtrĂšs jeune, sa dĂ©portation, son amitiĂ©avec Pablo Picasso et sa collaborationavec Aragon Ă  la tĂȘte de la rĂ©daction desLettres françaises entre 1948 et 1972.Pierre Daix a 17 ans quand il adhĂšre auParti communiste français, en 1939,alors que celui-ci vient d’ĂȘtre interditpar Édouard Daladier, prĂ©sident duConseil, radical et cosignataire desaccords de Munich qui livrent laTchĂ©coslovaquie Ă  Hitler. Le jeunehomme est alors Ă©tudiant en histoire.Mais en 1940, il quitte l’universitĂ©. Lafac’, mais pas l’histoire. L’histoire, il yentre au contraire de plain-pied.Paris est occupĂ©, la France est divisĂ©een deux, au Nord aux mains desAllemands, au Sud Ă  celles de PĂ©tain etde ses sbires. Le 11 novembre 1940,Pierre Daix est l’un des organisateursde la manifestation des Ă©tudiants Ă l’Arc de Triomphe de l’Étoile. Il estarrĂȘtĂ© et relĂąchĂ© en fĂ©vrier 1941. Pas

J e commence Ă  souffrir Ă  13h30,assez pour ne pas ĂȘtre en Ă©tat demarcher jusqu’à une borne de

taxi. Suis inscrite aux urgences Ă 14h30. PrĂ©voir deux heures d’attente.Je serai prise en charge Ă  21h30 etquitterai l’hĂŽpital vers 3h du matin. Aux urgences mĂ©dicales, la sociĂ©tĂ©vient se soigner de ces maladies chro-niques que sont la misĂšre, le chĂŽmage,le grand Ăąge, la solitude. Au fil des heu-res, je peux admirer la trĂšs hauteconception que les urgentistes ont deleur mission : haute par la qualitĂ© tech-nique des soins, haute par l’humanisme

pour longtemps : la police de Vichyl’apprĂ©hende Ă  nouveau en 1942. Il estremis aux Allemands qui le torturentavant de l’envoyer au camp de concen-tration de Mauthausen en Autriche. LĂ ,il rejoint les rĂ©sistants organisĂ©s dans lecamp. L’expĂ©rience de l’horreur le mar-quera pour la vie. Lui et son Ɠuvre lit-tĂ©raire. En 2008, il Ă©crit ainsi :

« La dĂ©dicace À mes amis morts Ă  vingtans de mon roman La DerniĂšreForteresse, en 1950, visait non seule-ment Ă  briser l’oubli, mais Ă  rendre jus-tice Ă  mes camarades. J’ai rĂ©cidivĂ© entĂ©moignant sur eux dans J’ai cru aumatin, en 1976, puis avec mesHĂ©rĂ©tiques du PCF, quatre ans plustard. Je me rends compte que les deuxderniĂšres Ă©ditions de ma biographied’Aragon, ainsi que Tout mon temps,puis les Jalons pour l’histoire d’unjournal et mon BrĂ©viaire pourMauthausen, enfin le prĂ©sent tĂ©moi-gnage [DĂ©nis de mĂ©moire*] participentd’une seule et mĂȘme entreprise de rĂ©vi-sion due aux rĂ©vĂ©lations de l’histoire.Je la considĂšre comme un devoirenvers ceux qui restent, Ă  jamais, lesmiens. »

qui y prĂ©side. Pas une seconde, ils necĂšdent Ă  la tentation de soulager par ungeste facile et d’évacuer le problĂšme.Chaque malade bĂ©nĂ©ficie d’un entre-tien sĂ©rieux, d’un bilan rigoureux, cha-cun repart avec sa feuille de route :prescription et conseils. Qui avec untaxi, qui avec le SAMU social.J’admire aussi la dignitĂ© de tous lespatients sans exception. Ils compren-nent manifestement que leur souffranceest prise en compte pour ce qu’elle est.

Les causes de l’inconfort sont ailleurs.Dans l’insuffisance scandaleuse descrĂ©dits allouĂ©s Ă  l’hĂŽpital public. Nous

Cela pourrait ĂȘtre un rĂ©sumĂ© de sa viemilitante. La RĂ©sistance ; la dĂ©portation; le passage, Ă  la LibĂ©ration, au cabinetde Charles Tillon au ministĂšre de l’Air; la rĂ©daction en chef de l’hebdomadai-re Les Lettres Françaises que dirigeLouis Aragon ; la collaboration au men-suel du PCF La Nouvelle Critique ; lavaste production littĂ©raire – seizeromans dont La DerniĂšre Forteresse,Classe 42, Les Chemins du printemps,L’Ombre de la Forteresse, Une maĂź-tresse pour l’éternitĂ©.Mais son principal hĂ©ritage demeureson Ɠuvre d’historien de l’art. C’est en1945 qu’il rencontre Picasso. NaĂźt alorsune amitiĂ© qui durera jusqu’à la mortdu peintre, en 1973. Pierre Daix estl’auteur, avec Georges Boudaille etJoan Rosselet, d’un ouvrage fondamen-tal : Picasso, 1900-1906 : catalogueraisonnĂ© de l'Ɠuvre peint.** Mais ilĂ©crit aussi sur Monet, Gauguin, lecubisme ou encore sur Soulages,Alechinsky ou Zao Wou-Ki. Il est l’au-teur, chez Gallimard, d’un essai sur l’artmoderne qui fait rĂ©fĂ©rence :L’Aveuglement devant la peinture(1971).

pouvons tous un jour nous retrouverdans un service d’urgence. Nous sou-haitons tous y trouver dans des dĂ©laisdĂ©cents lits, Ă©quipements et personnel.Ne devrions-nous pas tous voter cont-re les coupes budgĂ©taires, pour notredignitĂ©, pour celle de tous ?

En sortant, je vois quatre hommesqui dorment sur des bancs dans lasalle d’attente. Ce soir-lĂ , pour eux,l’urgence c’est de ne pas dormir aufroid. Personne ne les priera de sortir.Le chauffeur de taxi qui me ramĂšnechez moi peste contre ces Ă©trangersqui encombrent nos lits avec leurs

Pierre Daix, un engagement de jeunessepar Bernard Frederick

Urgences mĂ©dicalesmaladies. C’est l’explication facile eterronĂ©e qu’on lui a soufflĂ©e. Et il nemanque pas de souffleurs. Pourtant,ce n’est pas ce que j’ai vu. Ce que j’aivu, c’était des ĂȘtres humains: unĂ©chantillon reprĂ©sentatif de la sociĂ©tĂ©française. Ce que j’ai vu, c’est lerĂ©sultat dĂ©sespĂ©rant du vol des pauv-res par des politiques publiques dedroite et par les idĂ©ologues de l’extrĂȘ-me droite.

L’urgence, telle qu’elle m’apparaĂźt cesoir, c’est de rendre sa santĂ© au corpsĂ©lectoral. Ce soir-lĂ , j’ai aussi souf-fert Ă  mon corps social. NM

Gendre d’Artur etde Lise London,dont il a Ă©pousĂ© lafille en troisiĂšmesnoces en 1967,Pierre Daix estbouleversĂ© parl ’ intervent ionsoviĂ©tique contrele Printemps dePrague, en aoĂ»t 1968. Il rompt avec lePCF en 1971. Il prend alors une positionfarouchement anticommuniste qui lepoussera Ă  collaborer Ă  la rĂ©daction duQuotidien de Paris (1980-1985) et Ă d’autres publications de droite. Ilexplique cette brutale (r)Ă©volution idĂ©o-logique dans ses livres J’ai cru au matin(1976) et Tout mon temps (2001). Sansjamais renier, cependant, son engage-ment de jeunesse et ses camarades deRĂ©sistance et de dĂ©portation, « les miens». En tĂ©moigne, son dernier roman, Lesrevenantes***, consacrĂ© aux femmesrescapĂ©es des camps.

* Collection TĂ©moins, Gallimard. Paris 2008

** Ides et Calendes, Paris, 1966

*** Fayard, Paris 2008

Alexandre Grothendieck vient dequitter ce monde avec lequel ilétait depuis longtemps brouillé.

Il Ă©tait nĂ© avec le siĂšcle de parents juifs etanarchistes qui boudĂšrent la coutumebourgeoise du mariage. A dĂ©faut d’unnom, son pĂšre, Alexandre Shapiro, luidonna un prĂ©nom. Selon un itinĂ©raireclassique, le couple quitta en 1933 uneAllemagne nazifiĂ©e. Peu aprĂšs ils lais-saient leur fils en France pour se battreaux cĂŽtĂ©s de la RĂ©publique espagnole.Grothendieck a 11 ans quand il est inter-nĂ© avec sa mĂšre au camp de Rieucros, ilen a 14 quand son pĂšre est assassinĂ© Ă Auschwitz. Il trouvera refuge Ă  laMaison d’enfants du Secours Suisse au

Chambon sur Lignon, La Guespy. PrĂ©coce Ă  l’instar d’un Évariste Galois, ilfut l’un des gĂ©ants parmi les mathĂ©mati-ciens du XXe qui en compta beaucoup.Cela lui valut de se voir attribuer la pres-tigieuse mĂ©daille Fields qu’il refusa d’al-ler chercher Ă  Moscou. Aussi fĂ©rocementantimilitariste qu’Einstein*, il s’opposa Ă la bombe atomique et, dans la foulĂ©e, Ă l’énergie nuclĂ©aire, ce qui l’amena Ă  fon-der, en 1970, Ă  l’image de scientifiquesd’outre-Atlantique, un mouvement Ă©co-logiste et une revue : Survivre.D’aprĂšs RĂ©coltes et semailles, mĂ©moiresmis en ligne par des proches, oĂč il se livreĂ  une introspection qui confine Ă  l’auto-analyse, il estime avoir eu trois passions :

« La premiĂšre Ă  se manifester dans mavie a Ă©tĂ© ma passion pour les mathĂ©ma-tiques
 elle m’avait servi pendant tren-te ans Ă  me sĂ©parer d’une enfancereniĂ©e
la deuxiĂšme passion dans ma viea Ă©tĂ© la quĂȘte de la femme qui a Ă©tĂ© laseule grande force de maturation dansma vie (Ce solitaire, ce marginal, eut toutde mĂȘme cinq enfants). »La derniĂšre passion fut la quĂȘte de lavĂ©ritĂ©, qu’il oppose au savoir, trĂšs prochetelle qu’il la dĂ©crit, du mouvement desidĂ©es chez Platon. Dans sa pĂ©riodemathĂ©matique, il ne bouda pas le ban-quet, le festin des idĂ©es. Ensuite, il allaittourner le dos Ă  cette RĂ©publique queforme la communautĂ© des mathĂ©mati-

Alexandre Grothendieck, un enfant du siĂšcleciens. La passion de larecherche l’a toujoursanimĂ©. A 86 ans,Grothendieck, qui s’é-tait dĂ©jĂ  Ă©loignĂ© depuislongtemps, nous quitte de façon un peuplus dĂ©finitive, nous laissant des souve-nirs, une Ɠuvre et des questions. Il a eutout ce qu’un homme peut demander Ă  lavie : des passions, une Ɠuvre, la gloire,des enthousiasmes, des colĂšres, des cha-grins. Une vie, en somme ! NM

NDLR Einstein s’était exilĂ© en Suisse pourĂ©chapper au service militaire. Il avait en horreurtoute forme d’enrĂ©gimentement. S’il a contribuĂ©Ă  fabriquer « Little boy », la premiĂšre bombe ato-mique, c’est qu’il estimait nĂ©cessaire de prendreles nazis de vitesse.

Hommage

Société

Page 4: Laura Laufer Prenons notre destin en main

4 PNM n°321 - Décembre 2014

La plupart des Ă©conomistes lereconnaissent : l’Europe est au

bord de la dĂ©flation. La hausse desprix diminue depuis plusieurs trimestresau point d’atteindre 0,4 % au cours dutroisiĂšme trimestre 2014, bien en des-sous des 2 % qui pourraient Ă©carter laperspective dĂ©flationniste. Encore unpeu et elle deviendrait nĂ©gative. Il fautcomprendre que la dĂ©flation est le plusgrand danger qui menace une Ă©cono-mie. En effet, elle se traduit par unebaisse gĂ©nĂ©ralisĂ©e des prix et des salai-res. Sous l’effet de la baisse des prix, lesentreprises, qui cherchent Ă  garder leurmarge de profit, baissent les salaires cequi diminue la demande et entraĂźne Ă nouveau la baisse des prix. A ce phĂ©no-mĂšne autoentretenu s’ajoute le fait que,voyant les prix baisser, les acheteurspotentiels dĂ©cident de retarder leursachats, anticipant le bĂ©nĂ©fice de prixplus faibles Ă  l’avenir, ce qui vient Ă nouveau abaisser la demande et dĂ©mul-tiplier ainsi l’effet dĂ©flationniste. Maisla chiquenaude initiale de ce mĂ©canismerĂ©side dans le niveau Ă©levĂ© du chĂŽmagequi pĂšse sur les salaires et nourrit ainsil’insuffisance de la demande. Le Japon,qui a connu une vague dĂ©flationniste, ily a vingt ans, peine encore aujourd’huiĂ  en sortir.Toutefois, cette situation est encoreaggravĂ©e du fait que les Ă©normes crĂ©ditsaccordĂ©s par la BCE* aux banques, aulieu de servir Ă  des crĂ©ations d’emplois,ce qui aurait pu contrebalancer la ten-dance Ă  l’augmentation du chĂŽmage,ont Ă©tĂ© utilisĂ©s pour la spĂ©culation finan-ciĂšre, rĂ©crĂ©ant une bulle financiĂšre sus-ceptible d’éclater Ă  nouveau Ă  toutmoment.Certes, la pensĂ©e dominante prĂ©tendque l’insuffisance du niveau de l’emploiest due Ă  un coĂ»t du travail excessif et Ă une dette publique trop importante. Enfait, la baisse du coĂ»t du travail ne peutgĂ©nĂ©rer qu’une insuffisance de la

demande tandis que la dĂ©tĂ©rioration desservices publics ne peut aboutir qu’àune diminution de l’efficacitĂ© Ă©cono-mique. Ainsi, par exemple, de mauvaisservices Ă©ducatifs gĂ©nĂšrent des tra-vailleurs sous-qualifiĂ©s. En 2012, 30 %de la valeur crĂ©Ă©e par les entreprises a defait Ă©tĂ© distribuĂ©e en dividendes et intĂ©-rĂȘts. VoilĂ  un coĂ»t du capital que l’onpourrait largement rĂ©duire si l’on vou-lait vraiment accroĂźtre la compĂ©titivitĂ©de l’économie française.Si l’on veut Ă©viter de tomber dans le cer-cle vicieux dĂ©flationniste, il faut aug-menter les revenus des salariĂ©s et deleurs familles pour soutenir la demandeet relancer massivement les servicespublics, notamment Ă©ducatifs et derecherche, de façon Ă  dĂ©velopper la pro-ductivitĂ© et l’innovation. Le finance-ment nĂ©cessaire Ă  de telles mesures estpossible comme nous l’avons dĂ©jĂ  vudans la PNM. Il faut, Ă  cet effet, que laBCE* rachĂšte les titres de dettepublique Ă©mis par les pays europĂ©enspour le financement des servicespublics, grĂące Ă  sa propre crĂ©ationmonĂ©taire. Un « Fonds de dĂ©veloppe-ment europĂ©en » pourrait, alors,recueillir cette monnaie. Il permet-trait d’assurer le financement desĂ©conomies europĂ©ennes grĂące Ă  descrĂ©dits sĂ©lectifs dont le taux d’intĂ©rĂȘtserait inversement proportionnel aunombre d’emplois crĂ©Ă©s jusqu’à attein-dre le niveau zĂ©ro, voire nĂ©gatif, pourles cas de plus fortes crĂ©ations d’em-plois. Cette nouvelle politique du crĂ©ditnĂ©cessite, pour ĂȘtre correctement miseen Ɠuvre, sa mise en place par un pĂŽlepublic de financement rĂ©sultant de lafusion des actuels organismes publics,des banques mutualistes et nationali-sĂ©es.Telle est la politique q’un gouvernementvĂ©ritablement de gauche devrait mettreen Ɠuvre immĂ©diatement pour conjurerle spectre de la dĂ©flation. * BCE : Banque Centrale EuropĂ©enne

La dĂ©flation hante l’Europe !par Jacques Lewkowicz

Economie

Hannibal est aux portes de Rome, s’écriait-on Ă  Rome. Du moins Romerestait-elle romaine, ce qui permit Ă  l’empire romain d’en finir avec l’em-

pire carthaginois. En janvier 1939, quand Barcelone est tombĂ©e aux mains desfranquistes, quatre colonnes convergeaient vers Madrid : laquelle prendrait laville ? « La cinquiĂšme colonne », rĂ©pondit Franco. L’ennemi intĂ©rieur, qui estdĂ©jĂ  dans Rome, si l’on me passe le raccourci.Quel rapport avec l’actualitĂ©? Celui qui ne le perçoit pas serait-il dĂ©jĂ  tombĂ©aux mains de la cinquiĂšme colonne ? C’est vous et moi, un bon pĂšre defamille, pardon : un bon parent ! Il bosse, cherche Ă  assurer ses fins de mois,Ă  payer ses impĂŽts. Le petit va-t-il trouver un emploi ; enfin, un contrat parcequ’un emploi, faut pas rĂȘver. Lire et relire, Fahrenheit 451. Jusqu’à la derniĂšre page, jusqu’à la derniĂšreligne. Le roman se dĂ©roule Ă  une Ă©poque oĂč la lecture est interdite, les lecteurspersĂ©cutĂ©s. Certains gagnent une forĂȘt bibliothĂšque vivante, oĂč chacun rĂ©citel’Ɠuvre qu’il a mĂ©morisĂ©e pour la sauver de l’oubli. Et Bradbury d’apostro-pher ses hĂ©ros, ces « hommes livres », ces hommes libres en termes sĂ©vĂšres :« Ne pensez pas que vous soyez grand-chose, car quand vous aviez les livres,qu’est-ce que vous en avez fait ? »Donc, aux portes de Rome, la guerre. Celle qui fait peur. À ceux notammentqui ne la font pas, ne la dĂ©cident pas, mais payent des impĂŽts, sans le savoird’ailleurs, pour que d’autres la fassent. La situation en Ukraine ne risque-t-ellepas de provoquer une guerre totale ? Par guerre totale, entendez une guerre quinous atteigne aussi nous. Parce qu’ailleurs, on meurt pas dizaines de milliers,par centaines de milliers. DĂ©jĂ  au XXe siĂšcle, on ne comptait plus en mortsmais en mĂ©gamorts : « mĂ©ga » c’est un million. L’unitĂ© de compte avait chan-gĂ©. Mais enfin, tant qu’on a un chez soi
Tant qu’on a un chez soi, on y rentre et on ouvre la tĂ©lĂ©vision, pour oublier.On y trouve le meilleur et le pire. Pas dans les bonnes proportions, c’est tout.Et mĂȘme si on ne la regarde pas – les gens intelligents, c’est bien connu, laboudent – elle vous rattrape. Essayez d’ouvrir votre ordinateur sans ĂȘtre inter-pellĂ© par des questions brĂ»lantes : on vu la petite culotte de x, y a dit un grosmot, Bill Clinton a appelĂ©e sa chienne Monica
 Si encore il n’y avait que l’Ukraine ! Mais regardez vers le Proche Orient oule Moyen Orient. Gaza, c’est fini. On a changĂ© de feuilleton, de chaĂźne.Maintenant, c’est Daesh. La barbarie Ă  l’état pur. Merci au Monde diploma-tique d’avoir rĂ©sumĂ© bien des analyses et rĂ©pondu Ă  bien des questions par uneformule que l’ou voudrait avoir inventĂ©e : « Daesh, le monstre providentiel ».Que nous sommes prĂȘts, comme la Turquie, Ă  combattre jusqu’au dernierKurde.Pendant ce temps lĂ , dĂ©pĂ©rissement peu lĂ©niniste de l’État. LĂ©nine le voulait.Le nĂ©olibĂ©ralisme l’a fait. Plus d’industrie, plus de travail, plus de droit au tra-vail, plus de droit du travail. Fin programmĂ©e des conventions collectives :cela signifie des salaires Ă  la carte, Ă  la tĂȘte du client. Sans compter qu’il estplus avantageux d’embaucher des jeunes. Tant pis pour les avantages Ă  l’an-ciennetĂ©. L’une des bases de calcul des retraites.J’ai voulu vĂ©rifier la date des guerres puniques, Hannibal aux portes : monĂ©cran s’est saturĂ© d’informations sur un jeu vidĂ©o, pardon un game, un wargame : cela s’appelle Total war. Mumuse ! Heureusement nos idĂ©ologues sontlĂ  pour nous rappeler au sens du civisme. Ainsi le courageux maire de BĂ©ziersa-t-il pris une mesure forte et qui ne coĂ»tera rien Ă  ses administrĂ©s : il leurinterdit de cracher par terre. Le maire c’est un certain MĂ©nard, qui passe pourproche du Front National. Je n’irai pas vĂ©rifier. Ce qui est certain c’est qu’il adĂ» quitter la prĂ©sidence de Reporters Sans FrontiĂšres le jour oĂč c’est tombĂ©dans le domaine public, que MĂ©nard Ă©tait payĂ© par la CIA, par la NationalEndowment Foundation, enfin par plein de dĂ©mocrates d’outre-Atlantique,pour mener campagne contre Cuba. C’est bien qu’il soit devenu patriote etqu’il vienne dĂ©fendre « ma » France. C’est lui, notre cinquiĂšme colonne, luiet l’ami Zemmour, son invitĂ© d’honneur. Pas prendre au tragique. Mais pren-dre au sĂ©rieux. 24 novembre 2014

DĂ©fense de cracher par terre !par Nicole Mokobodzki

Billet d’humeur

MĂ©moire70e anniversaire de l’entrĂ©e

des troupes soviétiques à Auschwitz

Dans le cadre de la Journée mondiale decommémoration de l'Holocauste et de pré-

vention des crimes contre l'HumanitĂ©,l’Association Fonds MĂ©moire d’Auschwitz (AFMA) vous invite le

Mardi 27 janvier 2015 à 10h00 à l’ancienne gare de Bobigny

pour commĂ©morer la libĂ©ration d’Auschwitz dans cette Gare de la dĂ©portation d’oĂčsont partis 21 convois, soit 22 407 Juifs dont plus de 3 500 enfants internĂ©s Ă  Drancy.La cĂ©rĂ©monie sera ouverte par l’inauguration de la grande Halle aux marchandises,prĂšs des voies ferrĂ©es d’oĂč les internĂ©s Ă©taient embarquĂ©s dans des wagons Ă  bestiaux.Allocution du PrĂ©sident de l’AFMA.

Venez nombreux pour se souvenir et rendre hommage Ă  ces victimes de l'idĂ©ologienazie appliquĂ©e par l'armĂ©e allemande et par le gouvernement de Vichy. AccĂšs Gare de Bobigny : 69-151 avenue Henri Barbusse/ Parking assurĂ©. Bus 151depuis la porte de Pantin, arrĂȘt gare grande ceinture. Pour tout renseignement :AFMA 01 48 32 07 42, [email protected]

À vos agendasRĂ©servez votre vendredi 12 janvier, Ă  18 heures, pour uneprojection Ă  l’Auditorium de la Mairie de Paris du film « Les rĂ©sistants Juifs de la MOI » coproduit par MRJ-MOIet MĂ©tis Film.RĂ©servations au 06 08 86 77 10 ou par mĂšl Ă  [email protected]

Page 5: Laura Laufer Prenons notre destin en main

Les mots pour le direpar Maurice Cling

Monde

Un mois et demi aprùs l’attentat ter-roriste contre le World Trade

Center, alors que la population amĂ©ri-caine Ă©tait sous le choc, les États-Unisse sont dotĂ©s de lois liberticides dontcertains juristes n’ont pu s’empĂȘcher depenser qu’elles guettaient dans un tiroirune occasion propice de paraĂźtre augrand jour. Liberticides en ce sens aussiqu’il s’agit de lois d’exception qui por-tent atteinte au droit amĂ©ricain. Ellesconstituent en effet une violation del’habeas corpus qui garantit l’individucontre la dĂ©tention arbitraire, c’est-Ă -dire sans procĂšs Ă©quitable, et permettentla « dĂ©tention arbitraire ou cruelle ».Voir les conditions de dĂ©tention Ă Guantanamo. Cela rappelle curieuse-ment, par certains cĂŽtĂ©s, les mesuresd’exception prises dans les paysd’AmĂ©rique du Sud au temps des dicta-tures. Ces mesures ont Ă©tĂ© aggravĂ©es en2004 par le Patriot Act de Bush. S’agissait-il vraiment et uniquement delutter contre le terrorisme et cet appareiljuridique Ă©tait-il le moyen le plus effi-cace de le faire ? On sait aujourd’huique les États-Unis avaient Ă©tĂ© informĂ©sde la prĂ©paration d’un attentat et n’ontpas pris les mesures nĂ©cessaires pour

l’empĂȘcher. On a pu constater que lafamille Ben Laden n’avait pas subi, elle,la moindre restriction de ses libertĂ©s, parexemple, de circulation. Il est vrai queladite famille n’est pas Ă©trangĂšre Ă  lafortune de la famille Bush. On constateaussi que le terrorisme se porte bien.À son tour, et toujours sous prĂ©texte delutter contre le terrorisme, la Francevient de se doter d’une loi « antiterro-riste » instaurant le dĂ©lit d’intentionpuisqu’à la demande du seul ministĂšrede l’IntĂ©rieur, sans aucune dĂ©cision dejustice, il est possible d’interdire Ă  uncitoyen français « la sortie du territoirede personnes, majeures ou mineures,sur lesquelles pĂšse un soupçon devolontĂ© de rejoindre des zones de guer-re. » Le passeport est confisquĂ©, enĂ©change de quoi l’intĂ©ressĂ© se voitremettre un reçu ! D’autre part, la dĂ©ci-sion est signifiĂ©e Ă  tous les transpor-teurs de tous les pays de l’espaceSchengen. Certains mauvais esprits ont observĂ©que l’Ukraine n’est pas considĂ©rĂ©ecomme zone de guerre. Libre donc auxmercenaires d’aller prĂȘter main forte Ă ceux qui, sur place, Ă©difient la paix et ladĂ©mocratie en battle dress. NM

Interdiction de sortie du territoire

Lisez et faites lire les interviewsaccordées par Robert Cham-beiron, le dernier survivant du

CNR dont il fut le SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral,parues dans un livre dont le titre,« RĂ©sistant », flamboie et instruit*.L’auteur sera bientĂŽt centenaire.Nous le lui souhaitons. Sa mĂ©moire

est intacte. Lire et faire lire sonouvrage pour deux raisons. La premiĂšre : il nous plonge dansune narration scrupuleuse de la for-mation du CNR, des dangers encou-rus par ses membres pour se contac-ter, se rĂ©unir, analyser les situations,prendre les dĂ©cisions. Le courage n’apas fait obstacle aux hĂ©sitations, auxdisputes. La lĂąchetĂ© de certains n’estpas dissimulĂ©e. On croit connaĂźtremais on dĂ©couvre combien la tĂąchede Jean Moulin fut difficile, qu’il futsouvent en butte Ă  une hostilitĂ© inju-rieuse de la part d’un futur panthĂ©-onisĂ©. Le rĂ©cit n’est pas anecdotiqueĂ  la diffĂ©rence de trop nombreusesapprĂ©ciations littĂ©raires ou cinĂ©mato-graphiques qui dĂ©naturent laRĂ©sistance. L’évolution de l’opinionpublique, la vision stratĂ©gique ducombat, les conflits internes surmon-tĂ©s dans l’intĂ©rĂȘt patriotique, les rap-ports parfois conflictuels avec lesalliĂ©s ou les services londoniens de laFrance libre, le dĂ©bat interne concer-nant le dĂ©clenchement de l’insurrec-tion parisienne et la trĂȘve sont dĂ©critsavec prĂ©cision, s’inscrivant dans unmouvement ascendant dont laRĂ©sistance populaire fut le ferment.

La seconde raison de lire et faire lirece passionnant tĂ©moignage est qu’ilnous motive dans l’indispensable luttepour prĂ©server les acquis du CNR. LaFrance s’était relevĂ©e de la situationdĂ©sastreuse oĂč l’avait plongĂ©e la guer-re. Aujourd’hui, le Medef mĂšne uneattaque en rĂšgle contre tout ce quiavait Ă©tĂ© conquis de haute lutte. Lesouvenir de la victoire de 1945 serahonorĂ© l’an prochain.

Comment ne pas ĂȘtre rĂ©voltĂ© en cesjours commĂ©moratifs quand un prĂ©-tendu philosophe ose nous dire que lesjuifs se sont laissĂ©s conduire dans lescamps de la mort comme des mou-tons** ? Salir ainsi des milliersd’hommes, de femmes, d’enfants, defamilles, martyrisĂ©s, assassinĂ©s, oui,c’est rĂ©voltant. Comment ne pas ĂȘtreaussi rĂ©voltĂ© quand le philosophe offi-ciel BHL ose nous dire que les juifs nese laissent plus faire aujourd’huicomme ils le firent dans les annĂ©estrente. Bien piĂštre historien : les juifsde l’époque ont largement participĂ© aumouvement antifasciste. Olga Bancic,Marcel Rayman, MaĂŻa et GeorgesPolitzer ne sont pas entrĂ©s par hasarden RĂ©sistance. Elles et ils y ont Ă©tĂ© prĂ©-parĂ©s par leurs activitĂ©s dans de multi-ples associations civiques.

Oui, une telle allĂ©gation est rĂ©vol-tante. En mĂ©moire de toutes celles etde tous ceux, sublimĂ©s dans le livrede Robert Chambeiron, qui aux heu-res sombres, en sacrifiant leur vie, ontrĂȘvĂ© de jours heureux, nous avons Ă cƓur de croire, plus que jamais auxlendemains qui chantent. Ce livre estutile dans l’affron-tement politiqueactuel dont l’unedes caractĂ©ristiquesest le lavage de cer-veaux auquel se li-vrent les mĂ©dias sans parler des asser-tions pĂ©tainistes du Front National.Les entretiens de Robert Chambeironaident Ă  Ă©clairer trop de consciencesbrouillĂ©es par les mĂ©dias, par lesassertions pĂ©tainistes du FrontNational et plus gĂ©nĂ©ralement desidĂ©ologues de l’extrĂȘme droite.

La PNM s’y emploie de son cĂŽtĂ©.

* Robert Chambeiron,RÉSISTANT - Entretiens avecMarie-Françoise Bechtel, Éd.Fayard, 192 p., 15 €

** à (re)lire de LucienSteinberg, Pas comme desmoutons : Les Juifs contreHitler, Ed. La Balustre, 2012,192 p., 10 €

Le dernier survivant du Conseil National de la RĂ©sistance parle :Écoutons-le par Henri Levart

Une résolution sur la lutte contrela glorification du nazisme a été

adoptĂ©e par la TroisiĂšme Commis-sion de l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale desNations Unies, Ă  l’initiative de laRussie. Les membres des NationsUnies expriment leur « profonde prĂ©-occupation » devant « la glorificationde toute forme de mouvement nazi, denĂ©onazisme et des anciens membresde la Waffen SS, y compris par laconstruction de monuments commĂ©-

moratifs et la tenue de manifestationspubliques ». La Commission con-damne Ă©galement l’augmentation dunombre d’incidents ayant natureraciste dans le monde entier. Seulstrois États ont votĂ© contre* : les États-Unis, le Canada et
 l’Ukraine.

BF23/11/20114

* NDLR 55 pays se sont abstenus, dont ceuxde l'Union européenne, dont la France.

Les Nations Unies contre la glorification des nazis

C e « billet » inaugure une sĂ©rie portant sur ces termes qui nous trom-pent
 et qui sont utilisĂ©s pour nous tromper.

Ne soyons pas dupes, appelons un chat un chat.

On le sait, les mots ne sont pas innocents. Par exemple, Tsahal. Le gou-vernement israélien relayé par les grands médias occidentaux a populariséle nom hébreu de son armée. Quelle autre armée dans le monde bénéficiedans les médias d'une telle appellation particuliÚre ? Aucune, à ma connais-sance, ainsi classée à part, et dont la résonance biblique la sacralise et jus-tifie par conséquent tous les actes, y compris ceux qui sont criminels.Ne soyons pas dupes, et appelons un chat un chat.

PNM n°321 - Décembre 2014 5

La question kurde

La PNM signale le livre de Sylvie Janet Pascal Torre, La réponse kurde.

Les auteurs ont eu Ă  cƓur de faire com-prendre la question kurde Ă  ceux qui,comme l'immense majoritĂ© d'entre nous,ne la connaissent pas. Il suffit pour seprocurer ce livre de s'adresser Ă l’Association France-Kurdistan - 3, rueRibiĂšre - 75019 Paris, qui le fait parveniren Ă©change d'un chĂšque de 8 €.

RĂ©sistance

À lire

Page 6: Laura Laufer Prenons notre destin en main

6 PNM n°321 - Décembre 2014

Àune large majoritĂ©, le 2 dĂ©cemb-re, l’AssemblĂ©e nationale aadoptĂ© une rĂ©solution appelant

le gouvernement Ă  reconnaĂźtre l’État dePalestine. Il ne s’agit pas d’un cas isolĂ© :les parlements britannique, irlandais,espagnol et slovĂšne en ont fait autant. LaSuĂšde est allĂ©e plus loin : l’exĂ©cutif aeffectuĂ© ce geste. Et le vote françaispourrait inspirer d’autres pays del’Union europĂ©enne, Ă  commencer parle Danemark. Le Parlement deStrasbourg votera, lui, Ă  la mi-dĂ©cembre.Pourquoi cette vague sans prĂ©cĂ©dent ?Trois raisons l’expliquent. La premiĂšre, c’est l’horreur de l’agres-sion israĂ©lienne contre la bande deGaza cet Ă©tĂ©. Il y a six ans, l’interven-tion de l’armĂ©e entraĂźna la mort de 1 315 Palestiniens (et 13 IsraĂ©liens).Cette fois, ce « record » a Ă©tĂ© pulvĂ©risĂ© :selon le ministĂšre palestinien de laSantĂ©, 2 145 morts, dont 80 % de civils(et 70 IsraĂ©liens, dont 64 soldats). Ce terrible spectacle, qui dura prĂšs dedeux mois, avec son flot d’imagesinsupportables – dont celle, inoublia-

ble, des enfants tuĂ©s sur la plage –, sou-leva une grande colĂšre aux quatre coinsdu monde. Si bien que, malgrĂ© la pĂ©rio-de estivale, des manifestations massi-ves parcoururent les rues des villes,contrastant avec la complaisance desgouvernements vis-Ă -vis du « droit Ă  ladĂ©fense » d’IsraĂ«l.

La deuxiĂšme raison, ce sont les provoca-tions multipliĂ©es par BenyaminNetanyahou depuis le cessez-le-feu Ă Gaza, comme s’il voulait provoquer ledĂ©clenchement d’une troisiĂšme Intifada :Ă  dĂ©faut d’y parvenir, il a suscitĂ© uneescalade de violences de part et d’autre.Rappelons notamment l’annexion de400 hectares de terres cisjordaniennes(la plus vaste depuis 1967), l’annonce dela construction de milliers de logementsĂ  JĂ©rusalem-Est et la modification de laLoi fondamentale pour dĂ©finir IsraĂ«lcomme « État-nation du peuple juif ».Plus dangereux encore, le gouvernementa remis en cause le statu quo sur l’espla-nade des MosquĂ©es, oĂč des groupes deJuifs ultra-orthodoxes et ultra-nationalis-tes, dont des partisans de leur destruction

au profit de la reconstruction du Temple,ont Ă©tĂ© autorisĂ©s Ă  dĂ©filer. Bref, le dĂ©pu-tĂ© socialiste Alexis Bachelay n’a pas tortd’accuser le Premier ministre israĂ©liende « faire un bras d’honneur Ă  99 % dela planĂšte ».La troisiĂšme raison, et sans nul doute laprincipale, c’est l’échec des nĂ©gocia-tions de paix. Au-delĂ  du sabotage parla partie israĂ©lienne de l’ultime tentati-ve du secrĂ©taire d’État John Kerry, laprocĂ©dure mĂȘme des accords d’Oslos’avĂšre obsolĂšte : focalisĂ©e sur lesarrangements intĂ©rimaires, elle reportela discussion des principaux dossiers(frontiĂšres, capitale, sĂ©curitĂ©, colonieset rĂ©fugiĂ©s). Et, du mĂȘme coup, l’éta-blissement de l’État palestinien, prĂ©vudepuis le 29 novembre 1947, se voitrenvoyĂ© aux calendes
VoilĂ  ce Ă  quoi veut remĂ©dier le projetde rĂ©solution dĂ©posĂ© par les ministresdes Affaires Ă©trangĂšres de la Liguearabe, Ă  la demande de l’Organisationde libĂ©ration de la Palestine (OLP),devant le Conseil de sĂ©curitĂ© desNations unies. Ce texte prĂ©voit la crĂ©a-

tion de l’État palestinien d’ici Ă  novem-bre 2016, dans les frontiĂšres du 4 juin1967 et avec JĂ©rusalem-Est pour capita-le. Et Mahmoud Abbas de commenter :« La situation actuelle dans les territoi-res palestiniens ne peut plus durer. Iln’y a plus de partenaire pour nous enIsraĂ«l. Il n’y a plus rien d’autre Ă  faireque d’internationaliser la question. »Tout dĂ©pendra Ă©videmment de la dĂ©cisiondu Conseil de sĂ©curitĂ©, et notamment desgrandes puissances qui y disposent d’undroit de veto. L’OLP a d’ores et dĂ©jĂ  prĂ©-venu qu’en cas de blocage, elle adhĂ©reraitĂ  la Cour internationale de justice (CIJ) etĂ  la Cour pĂ©nale internationale (CPI), oĂčIsraĂ«l redoute de se retrouver sur le bandes accusĂ©s. Mais, en derniĂšre instance,les opinions seront dĂ©cisives. Lors d’unematinale de France Inter, le 25 novembre,le ministre des Affaires Ă©trangĂšres LaurentFabius n’a-t-il pas lui-mĂȘme invoquĂ© leurrĂŽle pour rendre compte du mouvementdiplomatique en cours ? 02/12/2014* Journaliste et historien, coordinateur dePalestine : le jeu des puissants (SindbadActes Sud, 2014)

IsraĂ«l-Palestine : vers l’internationalisation du conflit ?par Dominique Vidal *

PNM Face Ă  l’escalade actuelle de la violence, quelles sont les intentionsdu gouvernement israĂ©lien Ă  l’égard des revendications de la Palestine ?Marius Schattner Le gouvernement israĂ©lien a clairement l’intention demaintenir la colonisation, Ă  JĂ©rusalem et en Cisjordanie. En mĂȘme temps ilsouhaite Ă©viter une troisiĂšme Intifada. Or il est confrontĂ© au pourrissement dela situation, dĂ» Ă  une violence palestinienne plus ou moins spontanĂ©e doublĂ©e,cĂŽtĂ© israĂ©lien, de provocations de l’extrĂȘme droite. Il a donc intĂ©rĂȘt Ă  dĂ©sar-mer une opinion mĂ©contente par un processus de nĂ©gociations dont il veille-ra Ă  ce qu’il n’aboutisse pas.

PNM Quelle politique le gouvernement va-t-il mener ? Marius Schattner Sur le plan interne, le gouvernement, pour divisĂ© qu’il soitet il l’est, veut se maintenir au pouvoir. Cela contraint Nethanyahou Ă  faired’importantes concessions Ă  l’extrĂȘme droite. Ce qu’illustre, par exemple,son projet de loi visant Ă  affirmer davantage encore le caractĂšre juif de l’État.Ce projet est qualifiĂ© d’anticonstitutionnel par le propre conseiller juridiquedu gouvernement, c’est dire ! mais il tient Ă  cƓur Ă  Naftali Bennett, le minis-tre de l’Économie, leader du Foyer juif, le parti qui se situe le plus Ă  droitesur l’échiquier politique. Or ce parti recueille 18% des intentions de vote et

c’est sur les terres de la droite qu’il braconne. Il pourrait difficilement en ĂȘtreautrement d’ailleurs puisque la gauche est inexistante.

PNM Comment l’opinion israĂ©lienne rĂ©agit-elle ? Y a-t-il des forces quis’organisent pour contrer cette escalade ? Y a-t-il, inversement, une Ă©volu-tion des forces d’extrĂȘme droite ?Marius Schattner Face Ă  une spirale sans fin de la violence, l’opinion estprofondĂ©ment dĂ©moralisĂ©e, Ă  gauche comme au centre. Elle a repoussĂ© avechorreur l’assassinat d’un enfant palestinien et les rĂ©cents attentats commis Ă la synagogue, qui ont Ă©tĂ© faussement revendiquĂ©s par le FPLP. La gauche estdĂ©moralisĂ©e, dĂ©couragĂ©e, dĂ©motivĂ©e. Elle n’a pas de projet, ce qui n’est pasun garant d’efficacitĂ©. S’il y a des Ă©lections anticipĂ©es et il y en aura, tĂŽt outard, ce n’est pas Ă  elle qu’elles devraient profiter, selon les rĂ©cents sondages.C’est la droite qui va tirer les marrons du feu. Les deux partis centristes ris-quent de s’effondrer. Quand au parti travailliste, ces sondages rĂ©vĂšlent Ă  quelpoint il est inexistant. Reste, et ce n’est pas Ă  dĂ©daigner, une minoritĂ© trĂšs acti-ve dans les milieux intellectuels. Cette minoritĂ© n’est certes prĂ©sente pourl’heure que dans ces milieux et Ă  l’universitĂ©. Mais elle a le mĂ©rite d’existeret elle rĂ©flĂ©chit. Cela peut aboutir, un jour ou l’autre.

PNM Comment la situation Ă©conomique Ă©volue-t-elle et quelle influencecette Ă©volution a-t-elle sur la politique du gouvernement ?Marius Schattner Le taux de croissance de l’économie a diminuĂ© de 4% Ă 2%. Cette tendance nĂ©gative a conduit l’une des grandes agences de notationĂ  faire passer IsraĂ«l de la note A+ Ă  la note A. Les causes en sont multiples.Il ne faut pas sous-estimer l’effet des politiques de dĂ©sinvestissement quiprennent de l’importance.

PNM Quel rĂŽle joue, dĂšs lors, le mouvement en faveur de la reconnaissan-ce de la Palestine tel qu’on peut l’observer depuis quelques mois ?Marius Schattner La pression internationale est dĂ©terminante. La reconnais-sance par la SuĂšde, les positions du parlement britannique puis du parlementespagnol sont importantes, mais la position des États-Unis reste prĂ©pondĂ©ran-te, et de ce cĂŽtĂ©-lĂ  non plus les choses ne bougent pas.

Propos recueillis par Nicole Mokobodzki le 24 novembre 2014

NDLR Aux derniÚres nouvelles, des élections anticipées auront lieu le 17 mars.

Entretien avec Marius Schattner

Israël / Palestine

À lireLa PNM signale

Palestine : le jeu des puissants*.

Cet ouvrage, Ă©crit sous la direction de Dominique Vidal, rassemble les tex-tes d’éminents spĂ©cialistes (Bertrand Badie, Rosemary Hollis, Rashid

Khalidi, Henry Laurens, Farouk Mardam-Bey, Michel RĂ©al et DominiqueVidal) afin d’éclairer le grand public sur le conflit israĂ©lo-palestinien. Le livreanalyse la part prise dans ce dossier par les grands acteurs de lacommunautĂ© internationale, États-Unis, Grande-Bretagne,URSS puis Russie, et France, mais aussi le rĂŽle des puissancesrĂ©gionales. À ne pas manquer au moment oĂč l'AssemblĂ©e natio-nale vient de voter en faveur de la reconnaissance de laPalestine. PK* Une recension de l’ouvrage (Éd. Actes Sud, 184 p., 18 €) sera publiĂ©e dansla prochaine Ă©dition de la PNM

Page 7: Laura Laufer Prenons notre destin en main

L’UJRE* (Union des Juifs pour la RĂ©sistance et l’Entraide),consternĂ©e par les actes de violence qui s’enchaĂźnent depuis la

fin de l’opĂ©ration « Bordure protectrice », condamne avec force l’at-tentat commis contre des fidĂšles en priĂšre dans une synagogue deJĂ©rusalem, le 18 novembre. Ce dernier survient dans un contexte de tensions accrues, entretenupar l’intensification des implantations israĂ©liennes en Cisjordanie,particuliĂšrement Ă  JĂ©rusalem, la mansuĂ©tude du gouvernementvis-Ă -vis des extrĂ©mistes israĂ©liens, les provocations des religieux
 Il est condamnable de frapper au hasard, dans la rue, les synagogues,les mosquĂ©es... La violence, qui ne rĂ©sout rien, suscite un climat dehaine qui ne peut que s’aggraver si le Premier ministre israĂ©lien dĂ©ci-de, comme il l’a annoncĂ©, d’autoriser la population civile Ă  porter desarmes d’autodĂ©fense. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’y arien lĂ  de propice Ă  la paix qui doit ĂȘtre notre seul objectif. L’UJRE rĂ©affirme que seule une paix nĂ©gociĂ©e permettra de mettrefin Ă  un cycle infernal de violence inutile. L’UJRE demande que soit enfin appliquĂ©e la RĂ©solution desNations Unies qui, fin 1947, dĂ©cidait, au nom des peuples du monde,qu’il devait y avoir deux États dans l’ex-Palestine mandataire. Plusque jamais, en cette annĂ©e de solidaritĂ© avec la Palestine, il est tempsque cet État soit reconnu. Puissent les parlementaires français Ă  l’initiative des rĂ©solutionsdĂ©posĂ©es en ce sens, convaincre le gouvernement par leurs votes des28 novembre et 11 dĂ©cembre, de reconnaĂźtre l’État palestinien,comme cent trente-cinq pays l’ont dĂ©jĂ  fait. Puisse la France apporter une pierre prĂ©cieuse Ă  l’édification de lapaix, une paix pour tous. UJRE

Paris, le 19 novembre 2014

PNM n°321 - Décembre 2014 7

Le 14 octobre, le Parlement britan-nique reconnaissait l’État palestinien.Le 6 novembre, six cents personnali-tĂ©s israĂ©liennes appelaient leParlement espagnol Ă  en faire demĂȘme. Parmi eux, d’anciens ministres(ou Premier), d'anciens dĂ©putĂ©s dediffĂ©rents partis, des centaines d'uni-versitaires, de diplomates et de mili-tants pacifistes, dont plusieurs prixNobel. Ce ne fut pas en vain. Voici letexte de cet appel :

“Nous, citoyens d’IsraĂ«l, qui aspi-rons Ă  voir notre pays connaĂźtre la

sĂ©curitĂ© et la prospĂ©ritĂ©, nous sommesprĂ©occupĂ©s par la permanente paraly-sie politique, l’occupation, la crĂ©ationde nouvelles colonies qui conduisentĂ  de nouveaux affrontements avec lesPalestiniens et compromettent lespossibilitĂ©s de parvenir Ă  un accord. Ilest clair que la sĂ©curitĂ© d’IsraĂ«l et sonexistence mĂȘme dĂ©pendent de l’exis-tence d’un État palestinien aux cĂŽtĂ©sd’IsraĂ«l. Notre pays devrait reconnaĂź-tre l’existence d’un État palestinien etla Palestine devrait reconnaĂźtre IsraĂ«l,conformĂ©ment aux frontiĂšres dĂ©finiesle 4 juin 1967. Votre appui Ă  la recon-naissance de l’État palestinien reprĂ©-sentera un progrĂšs dans la voie de lapaix et encouragera IsraĂ©liens etPalestiniens Ă  mettre un terme Ă  leurconflit.”

“ Nous, anciens combattants del’UnitĂ© 8200, soldats rĂ©servistes

par le passĂ© et aujourd’hui, dĂ©cla-rons refuser de participer aux actionscontre les Palestiniens et refuser decontinuer Ă  servir comme outils dansl’affermissement du contrĂŽle militai-re sur les Territoires occupĂ©s. Il est gĂ©nĂ©ralement admis que laconscription dans les renseignementsmilitaires Ă©chappe aux problĂšmesmoraux et contribue uniquement Ă  larĂ©duction de la violence et des dom-mages envers des personnes innocen-tes. NĂ©anmoins, notre service militai-re nous a dĂ©montrĂ© que le renseigne-ment est une partie intĂ©grale de l’oc-cupation militaire israĂ©lienne sur lesterritoires.La population palestinienne sous rĂ©gi-me militaire est complĂštement expo-sĂ©e Ă  l’espionnage et Ă  la surveillancedes services de renseignement israĂ©-liens. Alors qu’il existe des limitationsdrastiques de la surveillance descitoyens israĂ©liens, les Palestiniens nebĂ©nĂ©ficient pas de cette protection. Iln’existe pas de distinction entre lesPalestiniens qui sont ou qui ne sontpas impliquĂ©s dans des violences.L’information qui est recueillie et

conservĂ©e fait du tort Ă  des personnesinnocentes. Elle est utilisĂ©e dans le butd’une persĂ©cution politique et pourcrĂ©er des divisions au sein de la sociĂ©-tĂ© palestinienne, en recrutant des colla-borateurs et en entraĂźnant des partiesde la sociĂ©tĂ© palestinienne contre elle-mĂȘme. Dans de nombreux cas, les ser-vices de renseignement empĂȘchent lesaccusĂ©s de recevoir un procĂšs Ă©quita-ble dans les tribunaux militaires, alorsque les preuves les concernant ne sontpas rĂ©vĂ©lĂ©es. Le renseignement autori-se un contrĂŽle continu sur des millionsd’individus Ă  travers une surveillanceapprofondie et intrusive et envahit laplupart des secteurs de la vie d’unindividu. Ce qui ne permet pas auxgens de mener des vies normales etincite Ă  plus de violence, nous distan-çant toujours davantage de la fin duconflit.Des millions de Palestiniens viventsous le rĂ©gime militaire israĂ©liendepuis plus de quarante-sept ans. CerĂ©gime nie leurs droits fondamentauxet exproprie de larges Ă©tendues deterre pour les colonies juives qui sontsoumises Ă  des systĂšmes lĂ©gaux sĂ©pa-rĂ©s et diffĂ©rents, et Ă  l’application delois diffĂ©rentes. Cette rĂ©alitĂ© n’est pas

un rĂ©sultat inĂ©vitable des efforts del’État pour se protĂ©ger, mais plutĂŽt lerĂ©sultat d’un choix. L’expansion descolonies n’a rien Ă  voir avec la sĂ©cu-ritĂ© nationale. De mĂȘme en va-t-il desrestrictions Ă  la construction et audĂ©veloppement, Ă  l’exploitation Ă©co-nomique de la Cisjordanie, Ă  la puni-tion collective des habitants de labande de Gaza, et du tracĂ© actuel dela barriĂšre de sĂ©paration. Au vu de tout cela, nous avons concluqu’en tant que personnes ayant servidans l’UnitĂ© 8200, nous devons assu-mer la responsabilitĂ© de notre partici-pation Ă  cette situation et qu’il est denotre devoir moral d’agir. Nous nepouvons pas continuer Ă  servir le sys-tĂšme en bonne conscience, en niantles droits de millions de personnes. Acet effet, ceux d’entre nous qui sontrĂ©servistes refusent de prendre partaux actions de l’État contre lesPalestiniens. Nous appelons tous lessoldats servant dans les unitĂ©s de ren-seignement, passĂ© et prĂ©sent, demĂȘme que tous les citoyens d’IsraĂ«l,Ă  dĂ©noncer ces injustices et Ă  prendrepart Ă  des actions pour y mettre fin.Nous croyons que l’avenir d’IsraĂ«len dĂ©pend.”

La parole au camp de la paix

UNE AUTRE VOIX JUIVE exprime saprofonde compassion vis-Ă -vis des proches

des victimes des tueries, dans une synagogue deJĂ©rusalem.UAVJ condamne totalement ces assassinats querien ne saurait justifier.UAVJ salue le courage de l’AutoritĂ©Palestinienne qui les a condamnĂ©s sur le champ.UAVJ s’élĂšve avec force contre les dĂ©clarationsscandaleuses de dirigeants du Hamas, du JihadIslamique et de ceux de Daesh, qui lĂ©gitimentde pareilles atrocitĂ©s.Ce climat de violence sanguinaire est le produitterrible des guerres menĂ©es par IsraĂ«l contre lepeuple palestinien, des annĂ©es d’occupation, dediscriminations, de provocations, en particulierrĂ©cemment Ă  JĂ©rusalem, et du sabotage systĂ©-matique, par le gouvernement israĂ©lien, de toutenĂ©gociation visant Ă  mettre un terme au conflitsur la base des Accords d’Oslo.La politique du gouvernement israĂ©lien et deson Premier Ministre est criminelle, mais lesactes visant indistinctement des civils israĂ©liensjuifs pour les assassiner de façon aveugle, nerelĂšvent d’aucune « rĂ©sistance », d’aucune sorted’ « idĂ©ologie de libĂ©ration ».Au contraire, de tels actes renforcent commejamais la propagande ultra israĂ©lienne quidepuis des annĂ©es piĂ©tine les droits du peuplepalestinien alors que celui-ci demande seule-ment de pouvoir vivre en paix dans le cadre deson État, aux cĂŽtĂ©s d'IsraĂ«l, dans la coopĂ©ration.Ces meurtres portent un coup sĂ©vĂšre Ă  l’actionde toutes les forces qui en IsraĂ«l, en Palestine,

comme dans le monde veulentvoir enfin une paix juste, nĂ©gociĂ©eet durable au Proche–Orient dansle respect des droits fondamentaux du peuplepalestinien et du droit Ă  la sĂ©curitĂ© des deux peu-ples. Ils donnent un prĂ©texte rĂȘvĂ© Ă  l’accentua-tion des aspects les plus rĂ©prĂ©hensibles de lapolitique israĂ©lienne.On ne saurait oublier cependant que le dĂ©but dela guerre menĂ©e par IsraĂ«l contre Gaza s’estaccompagnĂ© d’actes monstrueux de la part decolons israĂ©liens. Un adolescent palestinien aĂ©tĂ© brĂ»lĂ© vif ! Le gouvernement israĂ©lien nepeut ĂȘtre blanchi des atrocitĂ©s commises au nomde sa politique.Ces actes horribles doivent inciter toutes les for-ces progressistes en France Ă  peser commejamais sur le gouvernement français pour lareconnaissance de l’État de Palestine dans lesfrontiĂšres de 1967 avec JĂ©rusalem comme capi-tale partagĂ©e de deux peuples. C'est ce quedemandent six cents personnalitĂ©s israĂ©liennes.Toute tentative de diffĂ©rer une telle prise deposition serait une forme d’appui au dĂ©veloppe-ment du chaos, de la peur, de la rĂ©pression sau-vage, et ruinerait au final la sĂ©curitĂ© des citoyen-nes et citoyens juifs d'IsraĂ«l.Pour une paix juste durable et nĂ©gociĂ©e auProche-Orient, pour le respect des droits fonda-mentaux du peuple palestinien, la sĂ©curitĂ© desdeux peuples israĂ©lien et palestinien, UAVJ nemĂ©nagera aucun effort et appelle nos compa-triotes, juifs ou non, Ă  s’y joindre. UAVJ

Paris, le 23 novembre 2014

Israël / Palestine

La paix, l’avenir d’IsraĂ«l en dĂ©pend

CommuniquĂ© de l’UJREPuisse la France opter pour le camp de la Paix

Meurtres Ă  JĂ©rusalem Point de vue

OĂč l’on voit que des membres rĂ©servistes de l’UnitĂ© d’élite du renseignement militaire israĂ©lien dĂ©noncent ce qu’on leura fait faire qui, selon eux, vise non pas Ă  assurer la sĂ©curitĂ© d’IsraĂ«l mais Ă  accroĂźtre sa domination sur Gaza.

Page 8: Laura Laufer Prenons notre destin en main

Être ou ne pas ĂȘtre juif, se sentirjuif, ce n’est pas la mĂȘme chose.Gendre de rabbin, je suis ancien

enfant cachĂ© ; communiste, puis socia-liste je fus et ne suis plus. Aujourd’hui,je suis plutĂŽt universaliste. A Paris,aprĂšs la guerre, je ne frĂ©quentais de juifsque mes copains du YASC ; je militaisavec les militants antiracistes et jecroyais qu’aprĂšs la Shoah, l’antisĂ©mitis-me Ă©tait Ă©radiquĂ©, qu’il ne pourraitjamais refleurir au pays du pain et desroses. Je combattais ceux qui Ă©taientcommunautaristes, juifs ou pas ! Jecontinue. Le comportement de mesamis m’importe plus que leur revendi-cation ethnique. Je suis juif par la nais-sance, mais je ne me sens, avec les juifs,que dans une fraternitĂ© de destin.En 2000, en arrivant Ă  Nice j’ai crĂ©Ă©l’AMEJDAM* et j’ai adhĂ©rĂ© Ă l’Association des Amis du MusĂ©e de laRĂ©sistance, que j’ai quittĂ©e depuis. Puis,j’ai crĂ©Ă© l’antenne de La paix mainte-nant pour les Alpes maritimes et rejointl’Association pour l’amitiĂ© judĂ©o-musulmane plus quelques autres, dĂ©mo-cratiques et antiracistes. Je suis incontestablement juif, de la

Peut-on se considĂ©rer comme juiflorsque l’on n’a pas vĂ©cu dans sacommunautĂ© d’origine ni cĂŽtoyĂ©,

ou si peu, sa famille juive avec laquelleon n’a partagĂ© ni religion ni mode devie ? Être juif, n’est-ce pas grandir ets’épanouir au sein de sa « tribu », dansla sĂ©curitĂ© d’un groupe ressenti commeuni et solidaire ?Mais ĂȘtre juif c’est aussi assumer unehistoire commune et les souffrancesd’un peuple persĂ©cutĂ© depuis ses origi-nes. On ne peut rester Ă  l’écart de cettehistoire lorsqu’une partie de sa famille adisparu Ă  Auschwitz et qu’au seinmĂȘme de cette famille (mĂšre juive, pĂšregoy dont la mĂšre fut une autrichiennepronazie) s’est jouĂ©e l’histoire du gĂ©no-cide des juifs.Nul ne peut trouver son Ă©quilibre sansse construire une identitĂ© propre. Aussiest-ce un parcours difficile lorsque dansl’enfance et l’adolescence on a eu cesentiment de n’ĂȘtre nulle part et Ă©trangerĂ  sa propre famille. Dans le contexte de l’aprĂšs guerre oĂč jesuis nĂ©e et aprĂšs le traumatisme subi Ă l’adolescence lors de la dĂ©couverte desactivitĂ©s de mes grands parents pater-nels pendant l’Occupation (collabora-tion avec les nazis et dĂ©nonciations dejuifs Ă  la Gestapo), Ă©cartelĂ©e entre deux

mĂȘme façon que mon pĂšre et ma mĂšrequi ne le furent que devant les antisĂ©mi-tes (voir l’hommage qui leur fut rendudans la NaĂŻe Presse** n° 274 de mars2010) : ‱ Elle plus juive que juive, participa Ă  lacrĂ©ation du MNCR dont le R signifiaitRacisme quand l’époque Ă©tait principa-lement Ă  l’antisĂ©mitisme. Ces rĂ©sistantjuifs avaient donc hautement conscien-ce, en 1942, que le racisme commencequelque part mais n’a pas de limite.C’est ce qu’ils m’ont inculquĂ©, c’est cequi m’amena Ă  publier en 2007 «Grandeur et misĂšre de l’antiracisme, leMRAP est-il dĂ©passĂ© ? » ‱ Lui, officier de rĂ©serve, avait Ă©tĂ© pen-dant la guerre responsable des groupesde combat de l’UJJ (MOI) et instructeurmilitaire Ă  Lyon. En 1953, lors de l’af-faire des blouses blanches Ă  Moscou, ilpartit un jour – et nous l’arrĂȘtĂąmes Ă temps – « expliquer » ce que juif voulaitdire Ă  notre secrĂ©taire de section qui,comme d’autres avant lui, qu’il avaitcombattus les armes Ă  la main, avait osĂ©lui dire « Vous autres, les juifs » ?Toujours en 1953, venu me rĂ©cupĂ©rer aucommissariat oĂč j’avais Ă©tĂ© enfermĂ©

branches d’une famille mortifĂšre, je n’aipu amortir le choc et limiter les souf-frances qu’en me tenant Ă©loignĂ©e psy-chiquement de tous.Avec le recul, je pense qu’il aurait Ă©tĂ©plus structurant dans cette pĂ©riode cru-ciale d’élaboration de la personnalitĂ©qu’est l’adolescence et face au mal abso-lu (dĂ©nonciation de ma mĂšre par sabelle-mĂšre c’est-Ă -dire ma grand mĂšrepaternelle), de me rapprocher de mafamille maternelle. Il n’en fut rien carMaman Ă©tait elle-mĂȘme fort Ă©loignĂ©e dessiens pour lesquels elle ressentait un cer-tain mĂ©pris en raison de leur rang social(artisans et ouvriers fourreurs). Me rap-procher de ma famille alors que ma mĂšrene les frĂ©quentait pas (exceptĂ© ma grand-mĂšre et mon oncle qu’elle traitait de « ratĂ© ») Ă©tait mission impossible.Pourtant, lors des quelques fĂȘtes oĂčnous fĂ»mes conviĂ©s par ma famillematernelle (comme le retour au pays de« l’oncle d’AmĂ©rique » ! ), je les trou-vais tous fort sympathiques. J’admiraiset enviais la tendresse qu’ils manifes-taient les uns envers les autres, leurcomplicitĂ©, bref, la chaleur humaine quise dĂ©gageait de ces rĂ©unions, alors quede la famille paternelle n’émanait pourmoi que tristesse et rancƓur, sinonhaine. Les juifs formaient une « vraie

dans la cage Ă  poules pour avoir reven-diquĂ© sur la voie publique la libĂ©rationdes Rosenberg, il donna une leçon degĂ©ographie au commissaire en luisituant Brest-Litovsk sur la carte. ‱ J’ai incontestablement Ă©tĂ© un mauvaisjuif pendant la guerre – j’ai huit ans audĂ©but, j’en ai treize Ă  la fin. Ma maĂźtres-se m’ayant convaincu que je devaischanter plus fort que les autres MarĂ©chal, nous voilĂ , « je lançaischaque matin un ‘nous voilà’ clair ettriomphant, comme une offrande demoi-mĂȘme au brave MarĂ©chal qui avaitfait don de sa personne Ă  la France.Albert, furieux, me montrait un poingvengeur, sous l’Ɠil amusĂ© et complicedu maĂźtre : ‘Ça, t’as pas le droit. Tu n’esqu’un petit Juif ! Moi, je ne suis pas juif,rĂ©pondais-je – Si, au village, il y a deuxJuifs, toi et moi. Et en plus, tu es un traĂź-tre. Tu n’as pas le droit de servir lamesse le dimanche. Ni les vĂȘpres. Ni dechanter MarĂ©chal’ »*** C’est donc Ă Hitler et Ă  mon ami Albert que je dois deme savoir juif. Albert a disparu, moi jesuis vivant, Dieu ne rĂ©compense guĂšreles siens !SauvĂ© par une famille chrĂ©tienne, fils de

famille ». Je ne comprenais pas alorspourquoi Maman s’en Ă©tait Ă©cartĂ©e.Bien qu’ayant gardĂ© un lien tĂ©nu aveccette famille grĂące Ă  une petite cousinede mon Ăąge avec qui je militais auMRAP, quelques bar-mitsvas, mariageset... enterrements (!), je suis donc restĂ©edans ce no man’s land, dans cet entredeux. TantĂŽt je me reconnais juive, sur-tout dans un contexte antisĂ©mite (pro-pos antisĂ©mites lancĂ©s dans une conver-sation par exemple), tantĂŽt je me senstotalement Ă©trangĂšre Ă  ce milieu dont jene connais pas les codes ni les tradi-tions, mĂȘme pas le calendrier des fĂȘtesdont je suis incapable chaque annĂ©e deme souvenir !Cette impossibilitĂ© de me rattacher Ă  lacommunautĂ© juive, ou Ă  me dĂ©finircomme juive ou non juive est en outretrĂšs liĂ©e Ă  mes relations avec mesparents dans mon enfance, ces derniersayant divorcĂ© lorsque j’avais six ans.Car Ă  la question « suis-je juive ou nonjuive » ou plutĂŽt « est-ce que je me res-sens juive ou non juive » correspondimplicitement la question : « fais-je lechoix de ma mĂšre ou celui de monpĂšre ? » Ce choix impossible entraĂźnantune difficultĂ© Ă  me positionner dans lesmoments clĂ© de mon existence a Ă©tĂ© unhandicap Ă  plusieurs reprises, tant du

rĂ©sistants athĂ©es et petit-fils de juifs pra-tiquants, je suis trĂšs respectueux de lafoi des hommes, dont 50% sont desfemmes, sous condition que l’extrĂ©mis-me inhĂ©rent Ă  chaque religion ou cou-rant de pensĂ©e ne mĂšne pas Ă  occire sonprochain. Si je respecte les croyants etles philosophes, j’exige qu’ils merespectent en retour. Nous pouvonsdĂ©fendre des points de vue diffĂ©rents,nous devons demeurer fraternels carnous sommes tous des humains !C’est Ă  ce titre que, juif moderne, j’aicrĂ©Ă© Ă  Nice une entente qui regroupe lesquatre cultes monothĂ©istes : catholique,protestant, musulman et juif ainsi quedix-neuf associations culturelles toutestendances confondues : « Ensemble,Respectons-nous ». Nous y reprĂ©sen-tons, car je ne suis pas seul, le juif athĂ©e,l’homme laĂŻc garant du respect mutuel.Quand on me demanda d’intervenirdans un meeting de soutien Ă  notreministre de la Justice qui avait Ă©tĂ© atta-quĂ©e au motif qu’elle Ă©tait Noire, je pusdire : « CondamnĂ© Ă  mort Ă  l’ñge de6 ans parce que j’étais nĂ© juif, je me per-mets d’adresser un salut confraternel Ă Madame Christiane Taubira 
 ».

(Ă  suivre en page 10)

point de vue familial que professionnel,jusque dans mes choix politiques. Parexemple, je suis depuis longtemps dansl’action politique mais je suis incapablede rallier un parti (mĂȘme si dans ma jeu-nesse j’ai pendant plusieurs annĂ©es mili-tĂ© au PC). Concernant ce parti, je suis Ă la fois dedans et dehors ou ni dedans nidehors. Mais revenons Ă  ma judĂ©itĂ©.Je n’ai pas choisi mes origines, elless’imposent Ă  moi : mes grands parentsmaternels ont Ă©migrĂ© en France audĂ©but du XXe siĂšcle, fuyant les pogromsde Lituanie et de Pologne. Mon histoirefamiliale est omniprĂ©sente : le cauche-mar de la Shoah a hantĂ© toute monenfance et me hante encore. Cela est unfait, une rĂ©alitĂ©. Ai-je pour autant le sen-timent d’ĂȘtre juive ? Encore une fois ouiet non !Pour autant, l’appartenance Ă  une com-munautĂ© ou Ă  un groupe ressenticomme solide et protecteur est unbesoin fondamental lorsque l’on a gran-di dans une famille disloquĂ©e. Et si jen’ai pas fait le choix de me fondre dansla communautĂ© juive (mais pouvais-jevĂ©ritablement choisir ?), j’ai fait lechoix de rejoindre une autre commu-nautĂ©, la « grande famille communiste ».Est-ce un hasard si j’y ai retrouvĂ© denombreux juifs ?

Comment je me sens juif en 2014 ?par Maurice Winnykamen

Être juif ou ne pas ĂȘtre...par Sylvie DarracqConseillĂšre municipale de Cachan

8 PNM n°321 - Décembre 2014

« Être juif au XXI e siĂšcle »

Page 9: Laura Laufer Prenons notre destin en main

Histoire

Charles-Joseph Lamoral, septiĂšmeprince de Ligne (1735-1814), estsans doute la figure la moins

connue de la pĂ©riode des LumiĂšres. Est-ceparce qu’il a Ă©tĂ© dans l’armĂ©e autrichien-ne, qu’il a pris part Ă  la guerre de Sept Ans,qu’il a Ă©tĂ© fait chevalier de la Toison d’oret qu’il a fini sa carriĂšre marĂ©chal ? Est-ceparce qu’il Ă©tait wallon ? En tout cas, il asouffert pour la postĂ©ritĂ© de l’idĂ©e reçueselon laquelle la philosophie des LumiĂšresest d’abord une invention française, ce quiest en partie faux. De lui, on retient surtout l’Ɠuvre*,d’ailleurs considĂ©rable, du mĂ©morialiste.Ami de Casanova, il a publiĂ© des Frag-ments de l’histoire de ma vie, ainsi qu’unecorrespondance volumineuse avec tout cequi comptait en Europe. Une fois la guer-re finie, il alla visiter Voltaire Ă  Ferney.MalgrĂ© la grande admiration qu’il a pourlui, il l’attaque sur la question religieusecar il demeure un fervent dĂ©fenseur del’Église catholique : « La religion catho-lique doit plaire Ă  celui qu’inspire le goĂ»tdes beaux-arts ; nous lui devons le Stabatde PergolĂšse, le Miserere de Lalande, lesHymnes de Santeuil, tant de chefs-d’Ɠuv-re en musique, en peinture et en sculpture; l’église de Saint-Pierre, la Descente decroix d’Anvers, et une autre de ma galerie,par Van Dyck. La mythologie parlait auxpassions ; le catholicisme, enveloppĂ© demystĂšres, parle Ă  l’imagination. » Voltaire qui ne se dĂ©monte pas lui rĂ©torquequ’il le considĂšre comme le plus aimabledes hommes. En fait, sa pensĂ©e est pleine

de paradoxes. Tout croyant qu’il soit, il neveut pas d’une morale austĂšre et se reven-dique comme pur hĂ©doniste. Il fait du plai-sir le sommet de l’art de vivre del’ « homme aimable », qu’il considĂšrecomme la nouvelle version de l’honnĂȘtehomme. Le plaisir doit faire corps avecune foi tempĂ©rĂ©e d’humanitĂ© et sansmoralisme extrĂȘme.Il a voulu voler au secours de Rousseau,avec qui il a longuement discutĂ©, a frĂ©-quentĂ© le salon de Mme du Deffand etcelui de Mme Geoffrin, qu’il prĂ©fĂ©ra debeaucoup Ă  la cour de Versailles. Il avaitd’ailleurs une immense considĂ©ration pourles femmes d’esprit, au contraire du mi-santhrope de GenĂšve et de la plupart deses contemporains. Cet homme originalet d’une culture immense allait Ă  contre-courant de pas mal d’opinions reçues Ă l’époque. Ce n’est pas tant sa religiositĂ©que son attitude Ă©thique qui le distingue deses pairs. Grand voyageur, il connaĂźtPrague autant que Vienne, Varsovie Ă  l’é-gal de Saint-PĂ©tersbourg et Paris est sonsanctuaire de prĂ©dilection. Son dĂ©sir d’ĂȘt-re sans cesse en mouvement lui procureune large vision d’un monde en train dechanger. Il dialogue avec FrĂ©dĂ©ric II dePrusse, chez qui il rĂ©side, entretient desrapports Ă©troits avec l’impĂ©ratrice Marie-ThĂ©rĂšse et avec le pĂšre de celle-ci,François Ier d’Autriche. Et s’il considĂ©raitDiderot, HelvĂ©tius, Holbach, VoltairemĂȘme, comme de piĂštres conseillers pourles rois et de mauvais instituteurs pour lespeuples, il s’est servi de leurs rĂ©flexions

novatrices pour Ă©laborer ses propresconvictions.Il est Ă  son Ă©poque le seul Ă  adopter uneattitude franchement positive Ă  l’égard dumonde juif, Ă  l’inverse de Voltaire et faceĂ  l’indiffĂ©rence des philosophes les plusaudacieux, Ă  commencer par Diderot,restĂ© muet sur la question. Laquelle occu-pe une place importante dans le XIe tome,paru en 1801, de ses MĂ©langes militaires,littĂ©raires et sentimentaux (34 volumes,Dresde, 1795-1811). Son MĂ©moire sur lesJuifs** commence par un fĂ©roce traitd’esprit : « Ils n’ont jamais Ă©tĂ© Ă  la mode,depuis que Dieu les a abandonnĂ©s : c’estpour cela que les chrĂ©tiens ne sont jamaisoccupĂ©s d’eux ; et d’un autre cĂŽtĂ© les phi-losophes n’y ont pas pensĂ©, parce que leurfigure ne leur revenait pas. » Il souligneque le premier « brevet philosophique » aĂ©tĂ© de reconnaĂźtre qu’un NĂšgre est unhomme Ă  part entiĂšre. Face aux persĂ©cu-tions dont les Juifs sont victimes, il souhai-terait que l’Empire ottoman leur rende leterritoire de JudĂ©e, ce qui fait de lui le toutpremier prĂ©curseur de l’idĂ©e sioniste.C’est selon lui l’ostracisme dont ils sontvictimes qui explique leur allure dĂ©plora-ble et leur existence Ă©trange pour autrui. Ilfait l’éloge de ces populations dispersĂ©esdans toute l’Europe et sujettes Ă  toutes sor-tes de brimades, parfois pire. Il veut que lacolĂšre contre les Juifs, vieille de 1 800 ans,cesse. Il fait Ă©tat de tentatives avortĂ©es,comme celle de l’empereur Joseph Ierd’Autriche qui voulait les installer enGalicie. Dans un autre passage, il Ă©voque

le projet de Potemkine qui voulait crĂ©erun corps d’élite de cavaliers juifs, compa-rable aux cosaques, corps qui se seraitappelĂ© IsraĂ©lowsky. L’amant de CatherineII voulait s’emparer de la Terre Sainte etutiliser les Juifs pour la dĂ©fendre contre lesTurcs. Le prince français de Langallerie afait des projets de rassemblement de cettepopulation, et cela lui a valu un sĂ©jour enprison. Il voulait crĂ©er une « ThĂ©ocratie duverbe divin » rĂ©unissant les confessionscatholique, protestante et juive. (Mais ilest allĂ© en prison surtout pour avoir trahil’Autriche aprĂšs avoir trahi la France deLouis XIV, au bĂ©nĂ©fice des Ottomans !)Bien des utopies ont vu le jour et sont res-tĂ©es sans lendemain.Il fait aussi de longues digressions sur lesexe faible : il Ă©prouve un faible pour lesfilles de Sion !Le prince de Ligne a-t-il Ă©tĂ© un prĂ©curseurde Theodor Herzl et de son État des Juifs(1897) ? Certainement pas. Il a nĂ©anmoinssemĂ© une petite graine. Et son Ă©tonnantecompassion pour le peuple juif en exilĂ©ternel est un cas exceptionnel, Ă  uneĂ©poque oĂč M. ArouĂ«t ne cessait de vili-pender ces ĂȘtres infĂąmes, cause premiĂšre,Ă  l’en croire, de la foi Ă©piscopale reposantsur les aberrations bibliques ! * Charles Joseph, prince deLigne, ƒuvres III, Ă©dition Ă©ta-blie et prĂ©sentĂ©e par RomandMortier, Ed. Complexes** Prince de Ligne, MĂ©moiresur les Juifs, Ă©dition commentĂ©epar Jean-Pierre Pisetta, BernardGilson Ed., 2007

Le Prince de Ligne : un penseur des LumiÚres philosémitepar Gérard-Georges Lemaire

L’histoire propose parfois des Ă©piso-des inattendus, contraires Ă  touteattente. Ainsi du rĂŽle d’un Guelfo

Zamboni, protagoniste d’une affaire quijette un jour nouveau sur des faits tropsouvent oubliĂ©s.NĂ© en 1897, Ă  Santa Sofia (province deForlĂŹ en Émilie-Romagne), Zamboni arri-ve Ă  Salonique en fĂ©vrier 1942, en qualitĂ©de consul gĂ©nĂ©ral d’Italie. Il trouve surplace une situation compliquĂ©e, en raisonnotamment d’une importante commu-nautĂ© juive qui, forte de 56 0000 person-nes, est la cible privilĂ©giĂ©e des program-mes raciaux mis en pratique par les forcesnazies installĂ©es depuis le 9 avril 1941. Ilfait rapidement le point. Impossible decautionner ce qui se met en place.Inacceptable, le violent sentiment dehonte qui l’accable, un certain samedi dejuillet 1942, face au spectacle de 7 000Juifs regroupĂ©s sur la place Elefteria etcontraints par les Allemands Ă  exĂ©cuterdes exercices grotesques. Tous serontensuite condamnĂ©s aux travaux forcĂ©s. Huit mois seulement aprĂšs cette journĂ©etorride, c’est la mise en route du program-me d’élimination systĂ©matique qui fera43 000 morts. Zamboni est rĂ©solu Ă  le

contrecarrer avec la derniĂšre Ă©nergie. Ils’occupe en prioritĂ© des juifs italiens qui,aprĂšs son intervention, seront considĂ©rĂ©scomme italiens et non comme juifs, ce quiles soustrait aux persĂ©cutions. Il entrep-rend ensuite de s’occuper des juifs Ă©tran-gers. Il invente pour cela un stratagĂšmerisquĂ© mais efficace. Le consulat italiendĂ©livre des centaines de faux papiers, pro-curant une citoyennetĂ© provisoire Ă  desgens qui n’ont pas la moindre attache enItalie. ExaspĂ©rĂ©s par l’indiscipline de leuralliĂ©, les dirigeants nazis, n’en sont pasmoins paralysĂ©s par les dĂ©marchestatillonne auxquelles les soumet l’espritinventif de Zamboni. La Villa Olga, quiest le siĂšge du consulat, devient dĂšs lors unvĂ©ritable lieu de pĂšlerinage pour bon nom-bre de Juifs. Le consul trouve des arrange-ments avec le ministĂšre italien desAffaires Ă©trangĂšres qui, aprĂšs maints ater-moiements, finit par donner son aval. Ilobtient mĂȘme l’indispensable complicitĂ©de plusieurs personnalitĂ©s: Bastiani qui,sous-secrĂ©taire au ministĂšre des AffairesĂ©trangĂšres et partisan indĂ©fectible de sonaction, supervise la fabrication de la plu-part des faux papiers ; Merci, qui, officierde la Garde de Finance au consulat, y est

employĂ© en qualitĂ© d’interprĂšte en raisonde sa parfaite connaissance de l’alle-mand ; Ghigi qui, diplomate de plus hautrang Ă  AthĂšnes oĂč se trouve le quartiergĂ©nĂ©ral italien, se rĂ©vĂšle un alliĂ© prĂ©cieux;Castruccio qui, ami de Zamboni, sera sonsuccesseur. Au printemps 1943, AloĂŻsBrunner et Dieter Wisliceny arrivent deBerlin. Proches collaborateurs d’Eichmann,ils sont chargĂ©s de la mise en Ɠuvre de la« solution finale » Ă  Salonique. La quasi-totalitĂ© de la population juive sera dĂ©por-tĂ©e dans les camps de la mort. Zamboni quitte ses fonctions le 18 juin1943, mais il a prĂ©parĂ© le terrain pour sonsuccesseur et ami Castruccio. Il a notam-ment eu l’idĂ©e du « train du sauvetage »,ce convoi ferroviaire qui permettra d’éva-cuer, quelques mois plus tard, des centai-nes de juifs, dont 350 Ă©trangers munisd’un passeport italien obtenu Ă  AthĂšnes,en zone d’occupation italienne. À sonretour Ă  Rome, il doit se dĂ©fendre avecacharnement contre ses supĂ©rieurs hiĂ©rar-chiques qui entendent le mettre Ă  la retrai-te anticipĂ©e. Il obtient finalement gain decause parce que le rĂ©gime, dĂ©jĂ  moribond,souhaite mettre une sourdine sur tout cequi s’est fait pendant la guerre.

Lucillo Merci rĂ©digera ultĂ©rieurement lejournal des Ă©vĂ©nements survenus Ă Salonique, Ă©vĂ©nements dont les preuvesseront publiĂ©es dans le livre d’AntonioFerrari, Alessandro Coppola et JannisChrisafis, Ebrei di Salonicco 1943, i docu-menti dell’umanitĂ  italiana. (Les juifs deSalonique, 1943 : les documents qui attes-tent l’humanitĂ© italienne). En 1992, le courageux consul est fait « Juste entre les Nations ». À cette occa-sion, il consent enfin Ă  parler de cet Ă©piso-de de sa vie Ă  un journaliste. Il dĂ©crit alorsde maniĂšre circonstanciĂ©e les mois qu’il avĂ©cus Ă  Salonique. Ce qui ressort de sesdĂ©clarations c’est sa ferme conviction den’avoir fait que son devoir, un devoirmoral dictĂ© par l’amour authentique de sonprochain. Le destin de Zamboni permet deprendre conscience de la complexitĂ© desdynamiques souvent contradictoires qui sesont fait jour pendant la Seconde Guerremondiale : les appuis fournis par divershauts fonctionnaires italiens donnent Ă entendre que l’Italie condamne fermementles atrocitĂ©s racistes contre les Juifs, rĂ©vĂ©-lant ainsi, souvent, son visage de Juste.

Traduit de l’italien parG.-G. Lemaire

Guelfo Zamboni, consul à Salonique ou le visage d’une Italie Juste par Leonardo Arrighi

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Page 10: Laura Laufer Prenons notre destin en main

Ohr torah de Nice – qui avait invitĂ©pour l’occasion l’école catholiqueSainte ThĂ©rĂšse –, puis Ă  l’UniversitĂ©.Un ami rabbin, appuyĂ© par un autre amiprĂȘtre, m’a affirmĂ© que ces actionsavaient Ă©tĂ© inspirĂ©es Ă  un juif incroyantpar l’Eternel, ce qui est aussi difficile Ă dĂ©montrer que le contraire. Mais jem’en moque ! Est-ce que je me senscomplĂštement juif ou rien qu’un petitpeu ? La question ne se pose pas ! Tant

qu’il y aura des antisĂ©mites, tant qu’il yaura des racistes, des esclavagistes – caril y en a encore plus qu’on ne peut croi-re –, je m’opposerai. Hier en dĂ©filant,aujourd’hui en Ă©crivant. Avec mescamarades juifs comme avec ceux quine le sont pas, avec les croyants commeavec ceux qui ne le sont pas ! Ah ! lalaĂŻcitĂ© !

* AMEJDAM Association pour la Mémoiredes Enfants Juifs Déportés des Alpes-Maritimes

(Suite de la page 8) Et c’est conjointement que notreentente a reçu le 3 mars 2013, devantplus de trois cents personnes, Mme IbnZiaten, maman du premier des soldatsabattus par Merah et, par vidĂ©o-confĂ©-rence, M. Sandler, pĂšre et grand-pĂšre detrois des victimes du mĂȘme Ă  l’écolejuive de Toulouse. Le lendemain et sur-lendemain, nous sommes allĂ©s dans leslycĂ©es de la ville, puis Ă  l’école juive

** NDLR : Nous avons maintenu NaĂŻe Pressebien qu’il s’agisse, depuis 1982, de PresseNouvelle Magazine, Ă©mus que nous Ă©tions de larĂ©manence de ce titre pour l’auteur.

*** Cf. Enfant caché, Hommage et malentendu.

C’est Ă  Berlin qu’il dĂ©bute vraiment autemps de la RĂ©publique de Weimar,avant d’assister Ă  la prise de pouvoir parles nazis et d’ĂȘtre, lui-mĂȘme, victime desdiscriminations imposĂ©es aux Juifs.Les passants tranquilles dans les rues, etles passages de la capitale allemande desannĂ©es vingt-trente et les enfants insou-ciants et rieurs, laissent la place aux affi-ches et aux drapeaux Ă  croix gammĂ©es etĂ  ce petit garçon dans sa poussette bran-dissant un fanion Ă  l’effigie d’Hitler.Vishniac, comme tous les Juifs, n’a plusle droit de photographier dans les rues. Iltriche en baladant sa fille et en la faisantposer devant la vitrine d’un magasin oĂčl’on vend des ustensiles pour mesurer
le crĂąne des Juifs. Entre 1935 et 1939*, il parcourt laPologne, la Lituanie, la Hongrie, laTchĂ©coslovaquie, l’Ukraine et fixe sur lapellicule la vie quotidienne des popula-tions juives dans les grandes villes(Varsovie, Vilna, Lodz, Cracovie) et les

nal de son pĂšre. A partir de lĂ , le narra-teur revisite La Bachellerie en se lançantsur les traces de la mĂ©moire de cesfamilles juives disparues.Destins croisĂ©s et peinture d’undĂ©partement de la France profondedans cette pĂ©riode troublĂ©e.Plusieurs axes se croisent qui donnentune palpitation Ă  cet ouvrage. On y app-rend une foule de choses concernantl’Histoire et ce qui s’est passĂ© dans cedĂ©partement oĂč la vie Ă©tait rude et sansconfort, mais on y voit aussi la vie, lesmƓurs des villages de Dordogne decette Ă©poque, la vie des diffĂ©rentes com-munautĂ©s, leur travail. L’histoire se croi-se avec celle du narrateur et ses souve-nirs intacts, celle des natifs de la rĂ©giondurant l’Occupation et celle de cesfamilles juives et non juives venues deStrasbourg. Un village qui vivait un peuhors du temps, souffrait moins de la faimqu’ailleurs, Ă©tait humain et tolĂ©rant, jus-qu’aux premiers signes d’antisĂ©mismeen 1941. On y apprend comment lapopulation de l’est de la France(Alsace/Loraine) a Ă©tĂ© transplantĂ©enotamment en Dordogne, alors que le1er septembre 1939, l’état-major fran-çais avait ordonnĂ© l’évacuation desvilles entre le Rhin et la ligne Maginot.80 000 habitants de Strasbourg et des

shtĂštels des coins les plus reculĂ©s desCarpates. Il accumulera 16 000 nĂ©gatifsdont 2 000 seulement pourront ĂȘtre sau-vĂ©s. Vishniac rĂ©pond Ă  une commande :l’American Jewish Joint DistributionCommittee (JDC ou "Joint"), fondĂ© en1914 aux États-Unis, a besoin d’argent ;il veut Ă©mouvoir l’opinion juive la plusriche et propose au photographe de four-nir des images des Juifs de l’Est les pluspauvres, les plus dĂ©munis. Roman rĂ©ali-se lĂ  une Ɠuvre dont il ignore la portĂ©ehistorique. MĂȘme s’il affirmera plus tard,« Je sentais que le monde allait ĂȘtrehappĂ© par l’ombre dĂ©mente du nazismeet qu’il en rĂ©sulterait l’anĂ©antissementd’un peuple dont aucun porte-parole nerappellerait le tourment », mĂȘme s’ilavait lu Mein Kampf, nul et donc pas luiaussi, ne pouvait prĂ©voir la catastrophequ’allait ĂȘtre la Shoah. Mais il est dans lavĂ©ritĂ© lorsqu’il dĂ©clare, aprĂšs la guerre :« Je n’ai pas pu sauver mon peuple, j’ai

environs sont arrivĂ©s en Dordogne. Et avec la dĂ©bĂącle de 1940, le retour desstrasbourgeois non juifs Ă  Strasbourg,tandis que restaient Ă  La Bachellerie 15familles juives. On y parle des camps deGurs et de Rivesaltes oĂč l’on dĂ©portaitdes politiques de Paris, d’Aragon (et deBlanche et l’oubli) venus rendre visite Ă LĂ©on Moussinac, et des rĂ©sistants abattus.On y dĂ©crit le maquis et les horreurs de ladivision Brehmer qui arrive dans la rĂ©gionfin mars 1944 pour y traquer les juifs rĂ©fu-giĂ©s dans la rĂ©gion et les rĂ©sistants.Un trĂšs beau livre qui ne fait pas dansle pathos.Instructif, il nous fait dĂ©couvrir demaniĂšre trĂšs distanciĂ©e des histoiresdouloureuses dans une Histoire troublĂ©e.L’auteur remonte le temps, pour un ulti-me Ă©cho Ă  ce drame qui s’est produitdans le village de son grand-pĂšre. EnmĂȘme temps, c’est un retour sur le lieude cette enfance insouciante, une revisi-te de son village avec les yeux de celuiqui a appris et dĂ©couvert cette stĂšle Ă  lasortie du hameau de la GenĂšbre, avant lacĂŽte de la Madeleine, avec les noms desrĂ©sistants et juifs assassinĂ©s parles allemands. * Jean-Marc Parisis,Les Inoubliables,Éd. Flammarion, 2014, 240 p., 18 €

On connaissait les photographiesréalisées par Roman Vishniac aumilieu des populations juives

d’Europe centrale et orientale dans lesannĂ©es trente1 ; l’exposition prĂ©sentĂ©e auMusĂ©e d’Art et d’Histoire du JudaĂŻsme(MAHJ) nous rĂ©vĂ©le les talents multiplesd’un artiste autant que d’un savant2.TrĂšs jeune le petit Roman, nĂ© Pavlovskdans la banlieue de Saint-PĂ©tersbourg en1897, est passionnĂ© de biologie et dephotographie. Pour ses sept ans, sagrand-mĂšre lui offre un premier appareilphoto et un microscope. Le garçon adap-te l’un Ă  l’autre et se met Ă  photographierdes insectes minuscules. La microphoto-graphie est nĂ©e. Elle l’occupera jusqu’à lafin de sa vie dans l’aprĂšs-guerre.Mais avant, Roman Vishniac qui suit sesparents dans leur exil berlinois en 1920 sesera formĂ© Ă  l’art de la photo, mĂȘlant lesstyles et les influences des Ă©poques suc-cessives : le constructivisme et les avant-gardes Ă  la Rodtchenko, le rĂ©alisme.

Un livre de mémoire qui traverse laDordogne et des destins doulou-

reux sous l’occupation.Tout part d’une photo trouvĂ©e sur Internet,celle de la famille Schenkel, un coupleavec ses cinq enfants dĂ©portĂ©s et assassinĂ©sĂ  Auschwitz en 1944. Ce clichĂ©, trouvĂ©alors qu’il recherchait vainement desphotos du VĂ©l’ d’Hiv lors de la rafle dejuillet 1942, le ramĂšne dans le village deson enfance, lĂ  oĂč il a passĂ©, bien plus tardaprĂšs la guerre, toutes ses vacances Ă  LaBachellerie en Dordogne dans la maisonde ses grands-parents paternels. Uneenfance heureuse et insouciante dans cebeau village et cette belle Dordogne qui nelaissait rien poindre de ce qui s’était passĂ©des annĂ©es plus tĂŽt. Un thriller, une enquĂȘte vibrante pourretrouver la mĂ©moire dans les archivesdĂ©partementales et auprĂšs des der-niers tĂ©moins C’est dans l’édition 2001 du MĂ©morialdes enfants juifs dĂ©portĂ©s de France deSerge Klarsfeld que le narrateur retrouved’autres photos de familles juives ayantĂ©tĂ© transplantĂ©es de l’est de la France Ă La Bachellerie et environs. Des famillesentiĂšres dĂ©cimĂ©es, et quelques rescapĂ©s.Parmi ceux-ci, il retrouve BenjaminSchupack, le cadet survivant d’unefamille exterminĂ©e, qui lui prĂȘte le jour-

seulement sauvĂ© son souvenir ». Car ce « monde disparu » nous est effective-ment connu aujourd’hui de par sesphotos, ou par les tĂ©moignages picturauxd’Ilex Beller3 ou par ceux de TobyKnobel Fluek, nĂ©e Ă  Czernica, enPologne, survivante du ghetto de Brody4.Lorsque la guerre Ă©clate, RomanVishniac se rĂ©fugie en France avec safemme et sa fille ; ses parents sont en exilĂ  Nice sur laquelle il braque son objectifune fois de plus. Il est cependant internĂ©pendant trois mois dans le camp d’Annot(Basse-Alpes) avant de partir pour lesÉtats-Unis via Lisbonne. Il essaie alors desensibiliser les AmĂ©ricains aux massac-res des Juifs d’Europe, sans succĂšs. NiRoosevelt ni son Ă©pouse ne rĂ©pondront Ă ses lettres. Ce n’est qu’en 1947, qu’ilrĂ©ussit Ă  publier ses clichĂ©s dans un livretragiquement intitulĂ© The VanishedWorld : Jewish Cities, Jewish People. Ilfaudra attendre 37 ans pour qu’il paraisseen France oĂč rĂ©side la plus importantepopulation juive d’Europe.L’exposition du MAHJ est, aujourd’hui,un Ă©crin de vie, grĂące aux fabuleux cli-chĂ©s de Vishniac. Avant tout, par la pas-sion que ce dernier voue aux enfants,dont on se dit, avec horreur, que pas unn’a survĂ©cu et qui, cependant, plus desoixante-dix ans plus tard, ouvrent surnous leurs grands yeux noirs. De quoinous inspirer une infinie tendresse enmĂȘme temps qu’une une infinie tristesse.En noir et blanc. 1 Roman Vishniac, Un monde disparu, prĂ©f. ÉlieWiesel, Éd. Le Seuil, Paris, 1984.2 MAHJ, HĂŽtel de Saint-Aignan, 71 rue duTemple Paris 3e. Jusqu’au 25 janvier 2015 - lu. auve. 11 a 18h., Di. 10 a 18h., Me. nocturne jusqu’a21 h.3 Ilex Beller, Ils ont tuĂ© mon village: main shtetl,Cercle d'art, 1981 - La vie du shtetl: la bourgadejuive de Pologne en 80 tableaux, Éd. du Scribe,19864 Toby Knobel Fluek, Memories of My Life in aPolish Village 1930-1949, Hamish Hamilton,London 1990.* NDLR : Albert Londres dĂ©crivait dĂ©jĂ  la misĂšrenoire des juifs d’Europe de l’Est dans un roman-reportage Le juif errant est arrivĂ© paru en 1930aux Ă©ditions Albin Michel et accessible viaInternet grĂące aux archives de la BNF :http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206742b

« Être juif au XXI e siĂšcle »

Culture

Maurice Winnykamen est l’auteur deGrandeur et misĂšre de l’antiracisme - le MRAPest-il dĂ©passĂ© ? - Enfant cachĂ©, Hommage etmalentendu - La faute de Rachel, qu’est-ce queje fasse ? - Symphonie de la mĂ©moire, le Collineet villa Jacob 2 tomes - Arnold Racine, unhomme dans les tourmentes - Pour ne jamaisles oublier - Les superstitions des voileux.

L’Ɠil tĂ©moin de Roman Vishniacpar Bernard Frederick

10 PNM n°321 - Décembre 2014

« Les inoubliables » de Jean-Marc Parisislu par Simone Endewelt

Page 11: Laura Laufer Prenons notre destin en main

I. John FORD - Du rĂȘve amĂ©ricain Ă  l’écran noir

Cinéma La chronique de Laura Laufer

Mendjizky, de pĂšre en fils

Les livres Ă  offrir* CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE -Cycle John Ford du 3 dĂ©cembre au 23fĂ©vrier 2015 - Cliquer sur ce lien pour plusde dĂ©tails : http://www.cinematheque.fr/fr/dans-sal-les/hommages-retrospect ives/f iche-cycle/john-ford,609.html

En 1894, naüt Martin Sean Feeneydit aussi Sean Aloysius O’Feeney,cadet d’une famille pauvre d’im-

migrĂ©s irlandais qui compte onzeenfants. Son cinĂ©ma n’oubliera pas cetteorigine. Sous le nom de John Ford, entre1917 et 1966, il racontera le rĂȘve amĂ©ri-cain, puis en montrera les doutes, ledĂ©clin et la fin. Cet article non exhaustifrevient sur quelques traits de ce regardqui a saisi ainsi le mouvement del’Histoire.

Les films de Ford possĂšdent une gĂ©nialevitalitĂ© mĂȘlant tension et pause de l’ac-tion, intensitĂ© tragique et humour parune Ă©criture claire, sobre, rigoureuse liĂ©eĂ  un sens admirable de la compositionplastique. Que l’action ait une durĂ©ecourte (La patrouille perdue) ou sedĂ©ploie sur de nombreuses annĂ©es (LaprisonniĂšre du dĂ©sert), que sa formes’apparente Ă  la nouvelle (Inspecteur deservice), Ă  la pochade (PlanquĂ© malgrĂ©lui), Ă  la fresque (Ce n’est qu’un aurevoir), Ford s’intĂ©resse dans un espaceprĂ©cis au microcosme humain que faitvivre sa troupe fidĂšle d’acteurs dans unjeu naturel mĂȘlant hĂ©ros et personnagespittoresques. Citons quelques vedettes :Harry Carey dans le muet, Will Rogers,Henry Fonda, John Wayne, JamesStewart, Maureen O’Hara mais aussiWard Bond, Woody Strode, DonaldCrisp, Anna Lee, Mae Marsh 
 et JaneDarwel superbe mĂšre courage desRaisins de la colĂšre dont certainessĂ©quences prĂ©figurent le nĂ©orĂ©alisme.Ford crĂ©e une comĂ©die humaine qui a satendresse. Il tourne dans des genresvariĂ©s, mais reste cĂ©lĂšbre pour ses wes-terns. La majestueuse Monument Valleyy devient son dĂ©cor favori et sa signatu-re. Autre paysage inoubliable, l’Irlande :

tantĂŽt opprimĂ©e et en lutte (Le mouchard,Le jeune Cassidy), tantĂŽt lyrique(L’homme tranquille, Quand se lĂšve lalune, tournĂ©s en Irlande).

Pour Ford, la figure de Lincoln incarne lerĂȘve amĂ©ricain. Le cheval de fer, Ă©popĂ©edu premier chemin de fer transcontinen-tal lui est dĂ©diĂ©. Chef-d’Ɠuvre poĂ©tique,Vers sa destinĂ©e trace du jeune Lincoln(Henry Fonda) le portrait d’un hommesimple, tenace, issu et proche du peupledont les qualitĂ©s morales et physiquesemportent l’adhĂ©sion, mais une figureque Ford dĂ©tache et agrandit Ă  la dimen-sion du mythe national. Son aura rayon-ne encore dans Je n’ai pas tuĂ© Lincoln.

Autres thĂšmes rĂ©currents : famille, Ă©gli-se, armĂ©e, nation, des institutions dontFord montre le protocole, les codes et l’é-rosion. La famille se dĂ©lite jusqu’à la rup-ture sous la contrainte Ă©conomique etsociale (Qu’elle Ă©tait verte ma vallĂ©e, Lesraisins de la colĂšre, Rio Grande, L’aiglevole au soleil). La cuisiniĂšre et l’anciencommis de cuisine forment Ă  West Pointun couple irlandais stĂ©rile regardant,impuissant, dĂ©filer les soldats d’uneguerre Ă  l’autre (Ce n’est qu’un aurevoir). Le docteur de La chevauchĂ©efantastique heureux aide Ă  une naissance.Vingt ans plus tard, celui des Cavaliers

Culture

PNM n°321 - Décembre 2014 11

I l était une fois le cinéma* ou com-ment les hommes ont voulu garder

trace de leur prĂ©sence par des imagesdonnant l’illusion de la vie. Un rĂȘvedevenu rĂ©alitĂ©, le cinĂ©ma. Ce livre enĂ©crit l’histoire, concentrant l’essentieldans un style trĂšs accessible pour ses jeu-nes lecteurs. Sa qualitĂ© est de montrer lelien existant entre le monde et le cinĂ©ma,comment ce dernier s’est inscrit dansl’histoire et l’histoire en lui, Ă  travers seshommes, ses techniques, ses styles, sonĂ©conomie, ses institutions, ses pays, sesspectateurs. ConseillĂ© dĂšs 11 ans.

L’art du cinĂ©ma Ce beau livre d’artdeviendra une rĂ©fĂ©rence et de poids :4462 grammes ! SynthĂ©tique, il s’orga-nise en quatre grands chapitres LesdĂ©buts, Le rĂšgne du cinĂ©ma, Le bascule-ment moderne et La planĂšte cinĂ©machange de forme pour dire simultanĂ©-ment l’histoire du cinĂ©ma et le mouve-

ment de l’histoire qui s’y reflĂšte. De lasortie du XIXe siĂšcle Ă  la mondialisa-tion, de l’art de ses pionniers Ă  celui desauteurs de la modernitĂ©, plus d’un siĂšclede bouleversements traverse le cinĂ©ma,de l’Europe, aux AmĂ©riques, Ă  l’Afriqueet Ă  l’Asie. Par ses ressources encyclopĂ©-diques et par le plaisir qu’il offre auxyeux, un livre prĂ©cieux. LLJean-Michel Frodon : * Il Ă©tait une fois lecinĂ©ma, Éd. Gallimard Jeunesse, 2014, 216 p.,22,50 € ** L’art du cinĂ©ma, Éd. Citadelles etMazenod, 2014, coll. Art et GrandesCivilisations, 624 p. reliĂ©es toile sous jaquette etcoffret., 800 ill. couleur, 205,00 €

avoue Ă©prouver de l’effroi Ă  chacuned’elles. Le monde change, la dĂ©mocratiedĂ©cline : le juge Priest (nom messia-nique) lutte contre l’exclusion et le lyn-chage dans Le soleil brille pour tout lemonde et sera Ă©lu maire ; plus tard, dansLa derniĂšre fanfare, le candidat prochedu peuple appartient au passĂ© et perdcontre une potiche Ă  la solde des finan-ciers et lancĂ©e par les mĂ©dias.

À la fin de la Piste des Mohawks, le dra-peau exalte en 1776 l’hĂ©roĂŻsme despionniers et ses premiĂšres Ă©toiles saluentla diversitĂ© culturelle dans la naissancede la nation. Vingt ans plus tard, toute ladynamique du film Les cavaliers estconstruite sur la pĂ©nĂ©tration violente etcontinue des Yankees en terre sudiste. Lapolitique de la terre brĂ»lĂ©e ouvre uneplaie dans la nation. Sous le drapeau,l’ingĂ©nieur dĂ©truit les voies de cheminde fer qu’il construit dans le civil et lemĂ©decin rĂ©pare sans cesse la chair Ă canon pour la renvoyer Ă  la boucherie.La division du travail est le secret de l’ef-ficacitĂ© dans la machine de destruction.

Le western abandonne la figure messia-nique et salvatrice du hĂ©ros guidant lacommunautĂ© en Terre promise (Leconvoi des braves). Dans le premiervolet de la trilogie de la cavalerie, LeMassacre de Fort Apache, le colonelThursday avide de gloire et mĂ©prisantl’Indien, provoque une guerre absurde etle massacre de ses hommes. À la fin dufilm, l’officier survivant raconte Ă  lapresse une lĂ©gende contraire Ă  la rĂ©alitĂ©.Ce film inspirĂ© de la dĂ©faite de Custer Ă Little Big Horn dĂ©nonce la corruption del’administration. La prisonniĂšre du dĂ©sertconfirme le doute. Ce film tournĂ© Ă Monument Valley raconte la recherched’une enfant enlevĂ©e par les Comanchespar son oncle Ethan et son frĂšre adoptifMartin mĂ©tis de sang indien. La guerrecivile a dĂ©sƓuvrĂ©, et rendu amer et racis-te Ethan (John Wayne), mĂ» par la haineet la vengeance. Avec ce personnagepoignant et complexe, commence ladĂ©construction du mythe de l’Ouest et lacrise de son hĂ©ros.

Nous assisterons Ă  leursfunĂ©railles dans L’hommequi tua Liberty Valance. Il reste auGuthrie Mc Cabe des Deux cavaliers Ă monnayer l’illusion du droit du sang parun pari risquĂ© sur la libre entreprise pourcourir Ă  la faillite ! Le dernier western del’Ɠuvre revient au thĂšme de la Terre pro-mise, mais pour le droit au retour de lanation Cheyenne (Les Cheyennes) : unegeste noble et tragique.

Ford a superbement filmĂ© les femmes.Maureen O’Hara, la rousse irlandaise autempĂ©rament de feu, Ava Gardnerfemme libre et superbe dans Mogambo.Il a portĂ© dans Mary Stuart, un regardamoureux sur l’actrice KatharineHepburn, femme libre et de convictions,son amie durant toute sa vie.

En 1966, il livre un film sombre etmagnifique, Seven women. FrontiĂšre chi-noise en 1935 : la docteure Cartrwright(Anne Bancroft), femme athĂ©e qui fume,boit, a aimĂ© dans l’adultĂšre, arrive dansune mission pour l’accouchement dĂ©licatd’une femme en Ăąge de mĂ©nopause. Ladirectrice de la mission dĂ©nonce en ellel’image du pĂȘchĂ© et de la fornication.Une Ă©pidĂ©mie s’abat sur le lieu, puis unehorde qui pille et viole. Ni armĂ©e, nipatrie, ni Dieu pour sauver la commu-nautĂ©. Le seul salut viendra deCartwright armĂ©e par la vie pour fairefront. Ce sera au prix du sacrifice d’elle-mĂȘme dans un geste ultime et lançant cesderniers mots au bourreau « So long youbastard ! » suivi du fondu au noir d’unĂ©cran qui restera noir. Ces paroles du per-sonnage mais aussi du cinĂ©aste avantl’entrĂ©e dans les tĂ©nĂšbres, signent le nau-frage d’une civilisation et l’hĂ©ritage cinĂ©-matographique d’un gĂ©ant.

À suivre en janvier II. John Ford. 1939-1945 de Midway à Nuremberg

Juste au niveau du métro Vaugirard(279 rue de Vaugirard, au fond

d’une impasse nommĂ©e squareVergennes) se trouve un magnifiquepetit musĂ©e privĂ©, le musĂ©e :MENDJINSKY - Écoles de Paris.

Le fonds provient des Ɠuvres du pĂšre,Maurice, ami de Renoir, Picasso etd’autres artistes Ă©migrĂ©s, combattantFTP-MOI. Actuellement et jusqu’à lafin de l’annĂ©e, y sont exposĂ©es desƓuvres magistrales*, dĂ©diĂ©es auxcombattants du ghetto de Varsovie oĂčsa famille fut exterminĂ©e.

Le fils, Serge, Ă  l’origine de ce musĂ©e,ne dĂ©mĂ©rite pas du pĂšre en joignant Ă la poursuite des recherches de ce der-nier, son propre chemin d’expressiontout aussi impressionnant. Le tout Ă l’abri des bruits dans un bĂątiment artdĂ©co, Ă  l’abri aussi des bruits des fou-les qui se bousculent lĂ  oĂč les mĂ©diasles envoient. GisĂšle Jamet* Jusqu’au 31 dĂ©cembre 2014, l’expositionMaurice MENDJIZKY et la FIGUREHUMAINE, autour des dessins prĂ©paratoiressur le Ghetto (1947-1950) sera ouverte tous lesjours sauf le jeudi et jours fĂ©riĂ©s de 11 h Ă  18 h.(http://www.fmep.fr)

Page 12: Laura Laufer Prenons notre destin en main

acteurs et particuliĂšrement MilenaVlach qui incarne Eve, la fĂ©ministeproche de JaurĂšs au journall’HumanitĂ©, et Guillaume Van’tHoff, le merveilleux Le Gavrochevendeur du journal, qui nous plongesi habilement dans l’époque, Ă  cetteouverture vers la vie et les luttes. Le ThĂ©Ăątre de l’ÉpĂ©e de Bois, hautlieu d’une programmation d’extrĂȘmequalitĂ©, est un cadre qui se prĂȘte par-ticuliĂšrement Ă  « rallumer tous lessoleils ». Nous suivrons attentivement l’actua-litĂ© de cette compagnie trĂšs profes-sionnelle et talentueuse pour nos lec-teurs de la PNM. Peu subventionnĂ©e,la compagnie mĂ©rite le soutien desspectateurs (un appel aux dons estfait) afin qu’elle puisse continuer Ă monter des piĂšces de qualitĂ© dont laprochaine « Antigone 14-18 ou leprocĂšs d’HĂ©lĂšne Brion », prĂ©vuepour 2017, est particuliĂšrement allĂ©-chante.

* CrĂ©Ă© au ThĂ©Ăątre de l’ÉpĂ©e de Bois, ce specta-cle sera repris du 14 au 17 janvier 2015 auThĂ©Ăątre Berthelot (Montreuil) petit thĂ©Ăątre du style des Bouffes du

Nord. Bien implantĂ© depuis 1985 dansce quartier populaire, au 35 rue LĂ©ondans le XVIIIe arrondissement, il s’estsignalĂ© par une programmation auda-cieuse. Il est restĂ© ouvert aux associa-tions et aux mouvements sociaux. Sivous ĂȘtes amoureux de Paris et du thĂ©Ăą-tre, vous n’accepterez pas que soientdĂ©truits des lieux emblĂ©matiques d'unevraie culture et d'un vrai engagementpopulaires. BChttp://www.avaaz.org/fr/petition/Il_faut_sau-ver_le_lavoir_moderne_parisien/?tUhkdbb

plaintes, morts, rĂ©volte emplissent lewagon, le narrateur rapporte cetteconversation entre un pĂšre et son filsde 12 ans, ce pĂšre qui continue, commesi de rien n’était, Ă  enseigner Ă  son filsl’aĂ©rodynamisme, Dieu, Mozart, lesmathĂ©matiques, Spinoza, la gĂ©ogra-phie, l’amour et l’humour ; sept joursqui contiendront, en temps rĂ©duit, toutela vie normale qui aurait dĂ» advenirpour cet enfant, jusqu’à son mariage.Le pĂšre et le fils se prĂȘtent au jeu : « Mon fils, ces gens crient si fort parcequ’ils ne veulent pas que tu entendesmes explications et que tu devrais ĂȘtrecapable de trouver la rĂ©ponse tout seul !Dit-il en souriant. En souriant ! En cetemps- lĂ , l’amour Ă©tait de mentir auxenfants. »Le comĂ©dien crĂ©e un lien avec lesspectateurs, seulement une valise et unlivre comme accessoire, et il noustransmet en direct. Magnifique !

* Mr Schpill et Mr Tippeton de Gilles Segal(disparu le 11 juin 2014) a reçu deux « MoliÚre »en 1996 et le prix SACD en 1995. Gilles Segal aété comédien, mime, metteur en scÚne, auteurdramatique.

* Le spectacle n’est plus programmĂ© dans lessalles de spectacles mais le comĂ©dien peut lejouer Ă  la demande (contact : Bords de scĂšnes01 41 90 09 41)

Au dĂ©but, il y a la belle, l’étonnante JulieCloux, avec ses brĂšves contorsions, quiau fur et Ă  mesure qu’elle se met Ă conter, fait entrer la bĂȘte en elle pour finirpar se retrouver d’un seul coup toute nuesur scĂšne. Puis s’enchaĂźnent 14 tableauxhumoristiques et visuels au cƓur de lasavane africaine oĂč la musique, le cor-porel et le visuel, la fĂ©Ă©rie prennent alorsle pas sur la parole. Le spectacle plaĂźt oune plaĂźt pas. Toujours est-il que, mĂȘmes’il y a quelques clichĂ©s, il nous assĂšne

Une Ă©criture intelligente et un spec-tacle trĂšs vivifiant qui rĂ©sonne dansnotre actualitĂ©.« Rallumer tous les soleils » est unspectacle magnifique, engagĂ©, intelli-gent, qui nous incite Ă  penser. Il nousredonne la pĂȘche et montre que thĂ©Ăą-tre et politique sont bien rĂ©concilia-bles. Surtout quand il est servi pard’excellents comĂ©diens, une mise enscĂšne trĂšs Ă©tudiĂ©e et fine, et un textetrĂšs bien construit et documentĂ©, parun auteur, JĂ©rĂŽme Pellissier, quiconnaĂźt JaurĂšs et PĂ©guy sur le boutdes doigts. Il mĂȘle fiction et rĂ©alitĂ©,histoire et questions contemporaines. Ce spectacle nous rappelle combienles idĂ©es de JaurĂšs sont encore actuel-les et combien ses rĂ©flexions Ă©taientpertinentes jusqu’à ĂȘtre visionnaireslorsqu’il parle de l’islam, de la guer-re, du capitalisme, du colonialisme,de l’Europe, de la laĂŻcitĂ© qu’il ne vou-lait pas que l’on confonde avec l’a-thĂ©isme. Un spectacle qui rendrait Ă ceux qui l’auraient perdu le goĂ»t desutopies et la nĂ©cessitĂ© du combat : « Rallumer tous les soleils » sont lesparoles de JaurĂšs, de mĂȘme que desexpressions fortes telles « Si l’huma-nitĂ© a eu la force de concevoir la jus-tice, elle a la force de la rĂ©aliser
 ».L’ovation de la salle avec ses tonner-res d’applaudissements rend homma-ge Ă  cet homme clairvoyant qui fait sibien Ă©cho en notre siĂšcle, Ă  un specta-cle si bien menĂ©, si Ă©clairant, aux Le Lavoir Moderne Parisien est en dan-

ger. L'unique thĂ©Ăątre de la Goutte d'Orrisque de tomber entre les mains d'unpromoteur immobilier. C'est la politiquede la rentabilitĂ© Ă  tout prix. Pour scanda-leuse qu’elle soit, l’affaire est banale. LethĂ©Ăątre n’est pas rentable. D’une maniĂš-re gĂ©nĂ©rale, il est rare que l’on fasse desaffaires avec la crĂ©ation artistique. Restequ’il faut prĂ©server le patrimoine artis-tique de Paris. Reste que la France abesoin d’une authentique politiqueartistique. Un peuple vivant a besoind’une culture vivante. Le LavoirModerne Parisien est un magnifique

Un texte trĂšs Ă©mouvant menĂ© demain de maĂźtre par Pierre-YvesDesmonceaux, un hommage Ă  la vie,un humour et une distanciationpour rĂ©sister au malheur et conti-nuer Ă  se sentir homme.La mise en scĂšne et l’interprĂ©tationpudique et forte de Pierre-YvesDesmonceaux est Ă  la hauteur de ce trĂšsbeau texte profond et bouleversant qu’ilsert magnifiquement, lui donnant unrythme scĂ©nique, dĂ©pouillant la scĂšnede tout artifice, soulignant finement etpudiquement la force de vie et d’amour.Le dĂ©but du rĂ©cit donne le ton : « En cetemps lĂ , l’amour Ă©tait de chasser sesenfants ».DĂ©portĂ© Ă  Auschwitz via les convois dela mort, un homme juif Ă©crit ces septjours passĂ©s dans ces wagons, pour lapremiĂšre fois, et des annĂ©es plus tard,pour transmettre la mĂ©moire. C’est Ă son fils parti vivre aux U.S.A. qu’iladresse son livre afin que les gĂ©nĂ©ra-tions suivantes puissent en prendreconnaissance. Mais la transmissionpasse aussi par l’éducation et l’amourqui fait qu’on se sent homme mĂȘmedans les situations les plus tragiques,les plus avilissantes. Au cƓur de latourmente, alors que cris de douleur,

La performance de Marielle Pinsart“En quoi faisons-nous compagnieavec le Menhir dans les landes”scotche les spectateurs.Marielle Pinsart est une pince-sans-rire,une foldingue. Elle est capable de nousexpliquer dans une confĂ©rence sur lessinges capucins que les singes « bobo »de certains quartiers en Suisse ont euxaussi certaines caractĂ©ristiques. C’estqu’il existe des parallĂšles entre ces petitsprimates d’AmĂ©rique du Sud et cesgrands primates d’Europe occidentalecentrale nous affirme-t-elle. Et elle nousles dĂ©taille. Son spectacle « En quoi fai-sons-nous compagnie avec le Menhirdans les landes » ne dĂ©ment pas sa fan-taisie et son humour dĂ©capant. Qui dusinge ou de l’homme est la bĂȘte ? Lestouristes qui viennent dans la jungle afri-caine, ceux qui entament leur chant tyro-lien, les vaudous africains ?

ERRATA de la PNM n° 320(novembre 2014)

Page 4, sous le titre : Dans lasignature, il fallait lire « Jacques »et non « Pierre » CourtĂšs Page 6, bas de 3e colonne : Il fal-lait lire « dans ce nouvel ouvrage(constate l’auteure de la prĂ©face,qui s’en fĂ©licite), les institutionss’estompent au profit des hom-mes. ». Ainsi l’incise “(constatel’auteure de la prĂ©face, qui s’enfĂ©licite)” Ă©tait de Maurice Cling etnon de Michel Laffitte.

une espĂšce de claque qui nous rĂ©veille.On est surpris par la force des images,par ce montage inhabituel. Les comĂ©-diens qui ont beaucoup travaillĂ© parimprovisation se dĂ©brouillent bien etrĂ©veillent la bĂȘte en eux de maniĂšrecocasse et remarquable. En Suisse, cetype de thĂ©Ăątre explore des formes nou-velles dans des lieux diffĂ©rents du grandthĂ©Ăątre plus traditionnel. * Le TARMAC - La scĂšne internationalefrancophone, tel. 01 43 64 80 80

Théùtre La chronique de Simone Endewelt

© T

. Laf

aye

© Laurence Leblanc

Rallumer tous les soleils : JaurÚs ou la nécessité du combat

Il faut sauver le « Lavoir Moderne Parisien »

« En ce temps-lĂ  l’amour » de Gilles Segal*

PNM n°321 - Décembre 2014

Loufoque, dingo, fantaisiste

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