La Seconde Guerre mondiale a été une période très difficile mais aussi très riche en initiatives, et c’est une époque où le scoutisme, à travers les épreuves, a pu témoigner de la pertinence de son système éducatif soit à titre personnel soit à titre collectif… Création du Scoutisme Français, maintien du Scoutisme en zone occupée sous des formes diverses, implication dans la résistance, participation à la vie publique (accueil des réfugiés, moissons, aides aux victimes des bombardements, implication dans les mouvements et les associations de jeunesse ainsi qu’au secrétariat d’Etat à la Jeunesse…), création d’unités dans les camps de prisonniers ou dans les usines avec les jeunes français du STO en Allemagne. Quelques documents retrouvés récemment permettent de sortir de l’ombre un de ces clans créés en Allemagne :

Le Clan des Pairs de France

LE MOT DU CHEF (n°1 de La Chaîne, OCT 45)

« Octobre 1945 : Nous avons repris le rythme de notre vie, repris nos activités. Et c’est là que nous guette le danger. Rentrant d’Allemagne, nous avons été écoeurés de ce que nous avons trouvé. Et dans cette foi qui nous animait, nous étions décidés à balayer cette mentalité, ces mœurs qui nous révoltaient. Et maintenant ? Ne nous mettons nous pas à l’unisson ? N’acceptons nous pas petit à petit, tout ce contre quoi notre âme se révoltait, alors qu’elle était encore purifiée par la souffrance de l’exil ? Eh bien ! Non ! Frères routiers, il ne sera pas dit que les Pairs de France après avoir, malgré les risques courus, rendu témoignage au christ et à la Route en Allemagne, ont renoncé au combat en retrouvant le Pays. Car la lutte n’est pas finie. Loin de là ! Mais nous sommes magnifiquement armés ; et nous sommes conscients de notre force car nous sommes les témoins de la Vérité.

Pourtant ne nous faisons pas d’illusions, l’obscur combat quotidien sera plus dur que notre Route clandestine. C’est pourquoi je vous propose de mener notre combat en équipe, comme là-bas. Notre amitié fraternelle a fait notre force, gardons-là intacte. Maintenons notre unité spirituelle d’abord, par notre dizaine de Chapelet quotidienne, en union avec tous les frères du Clan, prière que je vous demande de dire plus particulièrement pour Luc. Unité matérielle ensuite ; et c’est la raison d’être de La Chaîne. Elle sera le vivant symbole de notre union. C’est nous tous qui la ferons. Pierre a bien voulu se charger de la Rédaction et de l’impression, envoyez lui des articles. Signalez les livres qui vous ont plu, un article qui vous a frappé etc. … ainsi La Chaîne sera vraiment le reflet de l’âme du Clan.

Bon courage à tous, frères routiers. Et bonne route, tous coude à coude dans la Joie du Christ »

Amédée C.C.

LE CLAN DES PAIRS DE FRANCE 1943 - 1946

Insignes et documentation JH CARDONA

LA CREATION

Les 7 n° du bulletin La Chaîne ne comportent pas un seul mot sur les activités professionnelles des routiers en Allemagne ni sur les conditions de leur arrivée. Seule une allusion évoque la présence d’un routier (Denis) à l’Auto Union Werk DKW, ainsi que d’autres à la MAFRASA qui est l’abréviation de « Marschal Frank Sachs Textil Werk AG » une société d’industrie textile implantée à CHEMNITZ et à ZSCHOPAU. Nous savons seulement que les premiers travailleurs français, dans le cadre du Service du Travail Obligatoire, sont arrivés en Allemagne en juin 1942. C’est à ZSCHOPAU dans la SAXE, qu’Amédée, Henri, Pierre et Marcel se réunirent clandestinement en pleine nature quelque part au milieu des prairies de WITZSCHDORF. Au départ, 11 membres (Amédée, Antoine, Pierre, Henri, Luc, Louis, Marcel, Claudius, Perrin, Albert et Yves) se répartirent sous la coupe du Chef de Clan (Amédée) en 2 équipes : - Equipe Duplessis comprenant le STIFT et HOHNDORF avec Amédée, Henri, Louis, B. Claudius et Yves - Equipe Bayard à WITZSCHDORF avec Pierre (CE), Luc, Marcel, Perrin, + BUATOIS et BRUN qui ne sont restés qu’une semaine. A ces premiers noms, d’autres routiers se raccrochèrent au Clan au fil du temps. Certains ne pouvant quitter leur camp de prisonniers ou le camp de concentration étaient membres par la pensée, la prière et une correspondance transmise par les Aumôniers des camps (Jacques et Pierre du camp de concentration de FLOHA ; Georges du camp de DITTERSDORF). Ce Clan prit le nom du Clan des Pairs de France par souci d’égalité entre tous et du fait de l’amitié qui devait régner dans l’adversité où il se trouvait. Point particulier, les photos du camp de Lourdes en 1945 montre la présence d’un Eclaireur de France au sein du Clan.

Un emblème fut créé que l’on retrouve sous forme d’insigne et de dessin sur la couverture du bulletin. A quel moment a-t-il été créé ? Certainement au retour. Dans le compte rendu du pèlerinage de Lourdes, on retrouve la description suivante : « … l’illustre foulard ocre et or, si longtemps médité et désiré, timbré aux armes du Clan des Pairs de France : le glaive brisant la chaîne, d’or sur fond de sable… » Devise du Clan : « A force d’Honneur »

LES ACTIVITES EN ALLEMAGNE

Les équipes avaient leurs activités propres et ne se retrouvaient qu’une fois par mois à l’occasion des sorties. Jacques du camp de concentration de FLOHA partageait ses réflexions via des lettres qui étaient transmises par l’Aumônier des prisonniers du Kreis de FLOHA. Ces lettres étaient lues, commentées en équipe et faisaient l’objet d’une réponse accompagnée de colis. Impromptu de « Barbe bleue » présenté à HOHNDORF et DRESDE. Pèlerinage 15 août 1943. Fêtes de Noël en 1943 : messe de minuit clandestine et réjouissances collectives. 14 mai 1944 départ routier au Bois de la Wartburg de Pierre et Amédée. Sept 44 rencontre avec le clan Saint Vincent de Paul de CHEMNITZ.

Décembre 1944, exécution par les Allemands de Joël. Les renseignements sur ses derniers moments parvinrent aux routiers après la guerre par un prêtre qui l’avait assisté. Fêtes de Noël 1944 : messe de minuit clandestine et réjouissances collectives. Pratique en union de prière entre tous les membres du Clan du chapelet quotidien. Participation à une rencontre de mouvements de jeunesse, rencontre qui fut l’occasion d’une prise de contact intéressante avec les autres jeunes de ZSCHOPAU. Sorties, recollections, et études (le royaume de Dieu avait été pris comme sujet de travail religieux) se succédèrent. Le programme des différents chapitres de réflexion avait été programmé jusqu’en septembre 1945. Suite aux bombardements, le regroupement des travailleurs du HOHNDORF sur MAFRASA facilita l’organisation des réunions. Quand ils étaient de travail de nuit, une fois par semaine, ils se réunissaient l’après-midi à l’ARTZIMMER. Denis prononça sa promesse dans un bois dominant le STIFT.

La semaine sainte de 1945 fut l’objet d’une nuit d’adoration avec les militants de l’Action catholique, et d’un chemin de croix le Vendredi Saint dans les greniers. Cette nouvelle période permit au clan de se retrouver tous les jours pour prier autour du chapelet. Puis des départs commencèrent pour participer à la construction de fortifications sur le front russe dans la région de BAUTZEN. Luc, Bruno et Pierre furent les premiers à partir (conséquence certainement de l’échec de leur tentative d’évasion). Ces départs désorganisèrent les réunions mais la libération survenue début mai 1945 hâta le retour en France...sauf pour ceux partis sur le front russe… Luc ne retournera jamais en France, trop affaibli, il tomba gravement malade (pleurésie, tuberculose).

LE RETOUR

Le pèlerinage à Lourdes du 27 au 31 juillet 1945. Ce projet avait été décidé bien avant le retour en France. Et 3 raisons ont prévalu pour sa réalisation : remercier la Vierge d’être rentré sain et sauf, La prier pour les frères de route rentrés à la maison du Père, et enfin La prier pour le retour d’un des leurs dont l’état de santé n’a permis son rapatriement. Ce camp fut également l’occasion de méditer et d’échanger autour de plusieurs chapitres (l’expérience vécue en Allemagne dans leur vie, l’avenir…). Rencontre fortuite avec le général LAFONT. Départ Routier d’Henri. Totemisation (NDR : eh oui !). Service pour le camp permanent des Foulards blancs. Le pèlerinage du retour du 7 au 10 septembre 1945. Certains membres du Clan se sont à nouveau retrouvés au pèlerinage du Puy (Amédée, Pierre, Louis, Raymond, Claudius et François).

Service religieux pour le décès de Luc. Le 6 décembre un service religieux fut célébré en l’église Sainte Croix de Lyon. Luc est décédé en Allemagne le 6 octobre 1945 à NEUSTADT du fait de son état de santé. Son rapatriement n’avait jamais pu être possible. Le bulletin. Le bulletin fut alors le lien qui permit à ce clan de vivre en union de prière. Seulement 7 numéros entre octobre 1945 et octobre 1946 ont été retrouvés.

Le dernier camp à CHASTERLLARD-LAPTE fin août début septembre 1946. Retrouvailles, veillées, et réflexions autours de chapitres axés sur le retour en France et l’avenir. C’est à ce moment que fût décidée la suppression de La Chaîne. Un chemin de croix permit d’en planter une pour commémorer ceux qui n’étaient pas rentrés.

LA FIN DE « LA CHAINE »

Extrait du dernier n° de La Chaîne de septembre ou octobre 1946 : « ... VERS L’AVENIR. Voici donc le dernier numéro de notre journal. Comme le savent déjà ceux qui ont participé au camp du CHASTELLARD, nous estimons nécessaire la disparition de La Chaîne. Un an a passé, la réadaptation a été dure. La chaîne nous y a puissamment aidés. Mais maintenant il s’agit de se tourner sans arrière pensée vers l’Avenir, de jouer le jeu à fond, chacun à notre place. Et pour cela il est nécessaire qu’individuellement nous reprenions notre totale indépendance, que nous perdions même, jusqu’à un certain point et quoiqu’il nous en coûte, notre mentalité Pair de France.

N’oubliez jamais ce que nous disions ensemble au camp. Tous nous avons beaucoup reçu, il nous faut maintenant rayonner, tout en continuant à monter. Notre responsabilité est lourde à l’heure où il s’agit de savoir quelle place nous saurons conquérir dans le monde de demain.

Ayez des âmes d’apôtres, des âmes de feu. Conservez la foi qui vous a animés jusqu’à maintenant. Vous êtes sur la bonne voie. Allez-y hardiment.

Sachez que malgré toutes les Routes qui divergent, malgré toute la distance notre communauté vit et vivra plus forte que jamais par la communion des Saints gardez jalousement la récitation de notre dizaine de Chapelet. C’est à travers elle que nous nous retrouverons chaque jour.

Enfin, avant de nous séparer, je veux vous redire une dernière fois toute l’immense joie que j’ai eue de cette Route commune, Route tour à tour patiente, douloureuse, joyeuse. Mon amitié fraternelle ne vous manquera jamais. Partout et toujours, je vous le promets, vous me trouverez à votre service.

Ensemble, filles et garçons, rassemblés, sous l’égide des PAIRS DE FRANCE, nous avons prié, cherché, souffert, chanté, aimé.

Ensemble nous avons marché à Dieu. C’est ensemble, toujours que nous continuerons jusqu’au camp du repos et de la joie où nous nous retrouverons tous à jamais.

A toutes et à tous ; Bonne route. Joyeusement.

AMEDEE

Le Conservatoire scout JH CARDONA est particulièrement heureux d’avoir pu vous faire partager ce témoignage pour que le souvenir et l’exemple de ces routiers puissent maintenant traverser les âges. Longue vie au Clan des Pairs de France !

Après la participation du Conservatoire à une exposition au

Musée de la Poste, sur la thématique des vacances, celui-ci va collaborer à une série d’articles publiés dans la revue UNIFORMES à partir du n° 265 (juillet - août 2009).

Affiche de la journée des Absents de Mars 1944