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Le Cycle de Formalow Tome 1

Le Cycle de Formalow - chups.jussieu.fr · (Écrit de 1975 à 1976.) ... pas besoin de respirer, qui personnifièrent les aides du ... fulgurantes à l’appel des Seigneurs de la

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Le Cycle de FormalowTome 1

Le serment de Salermnos

Guy RICHART

Le serment de Salermnos

BIBLIOGRAPHIE.

La Légende des Pacifistes. (Écrit de 1975 à 1976.)

A l'Occident de Menstragaleste. (Deux versions:De 1979 à 1980,De 1983 à 1990.)

Les forêts du Seigneur. (Écrit de 1991 à 2000.)

Parution d'extraits de "L'Occident de Menstragaleste" et "Des forêts du Seigneur" dans une Anthologie des écrivains des P.T.T., en 1995.

La route d'Éros. (Écrit de 1999 à 2000.)

Le Noeud Gordien libéral. (Écrit de 1997 à 2001.)

Les forêts du Seigneur 2; Les hordes des étoiles. (Écrit de 2000 à 2001.)

Les roses fleurissent aussi en décembre. (Écrit de 2001 à 2002.)

Les forêts du Seigneur 3; Jean Seyland et le fantôme de la Svastikas.(Écrit de 2002 à 2003.)

Reconstitution de la Légende des Pacifistes (Écrit en 2002.)

Les maîtres de l’image (Écrit de 2003 à 2004.)

La Bretagne fantastique du Passé et du Futur (Écrit en 2004.)

Les nouvelles de la colère (Écrit de 2004 à 2005.)

Les forêts du Seigneur 4; Les limbes de Daedale (Écrit de 2004 à 2005.)

Le Cycle de Formalow V et VI ; Les forges de Nabachton (Écrit en 2005.)

L’esclave de la tendresse (Écrit de 2005 à 2006.)

Le Cycle de Formalow I et II ; Le serment de Salermnos (Écrit en 2006.)

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Le serment de Salermnos

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Le serment de Salermnos

Nord

Sud

Carte dessinée par Fabien RICHART

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Le serment de Salermnos

Episode I

L’Âge d’Or des forêts

- I -

Il n’y a encore rien dans les ténèbres glacées des

limbes de la nuit éternelle. Le temps ne s’écoule pas et

la longue suite infinie des millénaires n’a pas encore

commencé son égrènement vertigineux vers l’expansion

sans limite du cosmos.

C’est ainsi que se traduit le sommeil de la création.

Celle-ci, engourdie sous la lourde chape apaisante du

repos, n’émet pas le Monde et ses habitants. Il n’y a

donc que le Néant. On ne peut pas alors, mesurer de

dimension, on ne compte pas de secondes. On n’évalue

pas de déplacements. On n’observe pas d’étoiles et

aucune planète n’abrite de cœurs battants pour l’animer.

L’infini est un point. L’éternité est un instant

fugitif. L’âme de l’espace, l’esprit de tout et de tous,

unique, inaltérable, omniprésent, source de la matière et

de la vie, attend dans cette absence insondable d’avoir

été et de devenir, son heure pour forger sa première

pensée et déclencher le processus de la Genèse.

Quand des éclats de lumière, origine de l’énergie

vitale de l’espace, illuminent partiellement la

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Le serment de Salermnos

houppelande ténébreuse du vide temporel et existentiel,

c’est que l’Être Absolu, le Créateur, s’ennuie. Il ne

souhaite plus la quiétude de la conscience sans

l’existence. Il se prend à rêver désormais.

Il peut choisir la nature des merveilles que sa

puissance va enfanter. Il peut aussi générer, sans laisser

aucune latitude au hasard. De la trajectoire des plus

petits grains de matière, jusqu’au grand mouvement des

galaxies, Il est capable d’imposer la forme, la durée

ainsi que les buts. Mais, Il a aussi l’alternative d’insérer

une volonté indépendante au sein des êtres vivants qui

peuplent sa création.

Accorder le libre-arbitre est divertissant. Ce don

est accompagné d’un cortège d’imprévus et de surprises.

C’est une offrande que fait alors le Créateur aux

habitants de l’Univers qu’Il invente. Il sait que de ce

présent, le plus beau de tous ceux qu’Il accorde, la

fracture inévitable du bien et du mal naîtra.

Les enfants de l’Être Absolu finissent, quand les

règles sont établies ainsi, par former deux camps. La

première tendance est celle des courageux qui tiennent à

jouir de la vie, mais, sans prendre le chemin le plus

facile pour y parvenir. Sur le long terme, ces derniers

ont raison. Ils pensent toujours aux générations qui les

suivront. La seconde manière d’aborder le progrès ainsi

que la construction de la Civilisation, est celle qui vise

la satisfaction immédiate du plaisir des plus forts, sans

souci d’un partage quel qu’il soit et surtout, sans aucune

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Le serment de Salermnos

gestion des richesses accordées par le Monde. Le chaos

et la misère succèdent irrémédiablement aux actes de

ceux qui se vouent à cet art de vivre. Bien souvent, la

ruine et la destruction finale concluent la destinée

furieuse des adeptes de cette existence.

Voilà plusieurs Cycles que le Créateur s’amuse à

laisser aux habitants de ses mondes, le libre-arbitre.

Jusque-là, les conclusions de ses tentatives sont fatales.

Cette fois, vers quel avenir court ce nouvel Univers ?

Aboutira-t-il à une organisation stable, durable qui

satisfera pleinement Le Maître du Destin ? Ce dernier

l’ignore et ne s’en préoccupe pas. Son rôle, au

commencement de chaque Univers, consiste à générer

les paramètres d’un Cycle de plus. Il en tire beaucoup

de joie malgré les échecs et pourtant, dans les premiers

instants de ce dernier recommencement, quelque

sensation indéfinissable, une promesse tacite avec les

éléments auxquels, déjà, sa pensée attribue une

préexistence, lui donne confiance dans ce prochain

départ. Alors, dans le plaisir et le bonheur, le Seigneur

du Cosmos se met à imaginer.

Le temps naquit aussitôt. L’écoulement des Âges

débuta, tandis que les ténèbres du Néant se déchiraient

de la lumière des astres qui apparaissaient sur toute la

trame du Monde. La fusion des atomes s’agrégeant, une

fois de plus dans l’immensité de l’Univers, enflammait

des soleils. Ces colossales boules de feu déversaient

leur flot de chaleur sur les planètes virevoltant dans leur

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Le serment de Salermnos

champ gravitationnel. Le Créateur décida alors que

l’époque était venue de fonder une zone vivante du

Cosmos. Il en ressentait la nécessité impérieuse.

Il choisit une planète harmonieuse dont la rotation

régulière assurait une succession de jours et de nuits

reposante. Cet astre possédait un magnifique océan qui

baignait deux grands Continents, quasiment identiques.

Depuis une de ces terres, on ne pouvait pas soupçonner

la présence de l’autre. Il généra la vie sur ce monde. Il

conçut, les animaux des forêts, des plaines, des

montagnes, des mers. Il pensa aux arbres, aux herbes,

aux algues, aux fleurs. Bientôt, en quelques millénaires,

une faune nombreuse ainsi qu’une riche flore se

répandit sur cette planète.

Le jour, cet astre recevait le doux rayonnement

d’une petite étoile vive et lumineuse. Le soir, deux

lunes sillonnaient son ciel atténuant les zones d’ombre.

Les nuits restaient un lointain écho inévitable du Néant

qui régnait avant la Création. Le cœur des créatures

vivantes devinait l’hostilité à l’existence qui se

nourrissait de l’absence de lumière. C’est pourquoi, un

tel monde était agréable pour ses futurs habitants, car

seules les racines des montagnes étaient réellement

sombres.

Le Créateur déclara alors, qu’un des Continents de

ce monde resterait sauvage, jusqu'à la stabilisation

d’une Civilisation durable. L’autre Contrée serait le

berceau des peuples pensant. Dans les landes et les bois

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Le serment de Salermnos

de ce pays, se jouerait le destin de ses habitants doués

de dons artistiques et industriels.

L’air, la terre, les forêts, les mers occupaient

désormais leur place dans ce nouvel Univers. Déjà, des

milliers d’années s’étaient écoulées depuis le début de

ce temps. Les animaux les plus beaux et les plus vifs

habitaient les contrées vierges de cette planète. Le

travail accompli était phénoménal. Des pays d’une

beauté sans pareille, étaient disponibles pour les peuples

à venir avec toutes leurs richesses, leur magie et leurs

climats généreux.

Une tâche encore plus ardue se dessinait pour le

Créateur. Il lui fallait peupler le Monde d’êtres

pensants. Certains seraient sous ses ordres directs. Ils

composeraient un groupe de jardiniers, chargés

d’entretenir et de faire fructifier les semis de l’être

suprême. Ces esprits auraient divers aspects et natures.

Ils rencontreraient rarement les autres enfants du Maître

du Destin, sauf si de graves menaces pesaient sur le

déroulement de ce Cycle.

Il étendit sa pensée, sa sagesse et sa puissance sur

toutes les forêts de ce nouveau monde, les eaux, les

montagnes et la terre. Dans les immenses futaies de

l’astre, un murmure passa comme un souffle d’air. Un

son vivant, inconnu, bien différent des arbres qui

bruissent sous le vent, des rivières qui coulent

harmonieusement dans leur lit, de l’océan ou des grands

lacs qui grondent sous la tempête et chantent avec la

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Le serment de Salermnos

brise estivale, se répandit sur le Monde. Des pas lents,

posés résonnèrent dans les sous-bois, des sentiers aux

ombrages bienfaisants se dessinèrent entre les grands

troncs millénaires peuplant les Continents de cet

Univers.

Les animaux sauvages surent qu’une puissance

magique, bénéfique, venait de se matérialiser sous la

forme d’esprits vivants. Elle naquît au Sud, au pied des

monts qui bordaient le midi des Continents. Lentement,

avec les années qui défilaient sur l’horloge de ce cycle,

Elle gagna le Nord.

Les sous-bois de la création devinrent beaucoup

moins crépusculaires. Les eaux semblèrent moins

tumultueuses, moins mystérieuses. Elles s’éclaircirent et

laissèrent apparaître leur fond au soleil de la mi-journée.

Les nuits se firent plus douces. Les cris et les

gémissements du Néant « d’avant le temps », qui se

révoltent de toute cette richesse vitale quand la lumière

du soleil diminuait, devinrent quasiment inaudibles. Les

aides du Créateur aidaient la grandeur de celui-ci à

repousser toujours plus loin les ténèbres mortelles,

ennemies jurées de la vie et du bien-être, dispensés par

l’Être suprême.

Les esprits envoyés par Lui dans les forêts du

Monde avaient adopté l’aspect de grands arbres. Cette

forme matérielle leur permettait d’accomplir plus

facilement les petits travaux de leur mission.

Contrairement aux plantes, ils se déplaçaient en

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Le serment de Salermnos

marchant. Ils allaient vite malgré leurs gestes mesurés.

Leurs pouvoirs magiques et leur sagesse étaient encore

plus immenses que leur force physique qui pourtant,

n’avait pas d’égal sur les Continents de la Création.

Dans les mers et les lacs, se furent de formidables

créatures ressemblant aux poissons mais soufflant

facétieusement de l’air en surface, bien qu’elles n’aient

pas besoin de respirer, qui personnifièrent les aides du

Grand Concepteur.

Le ciel, sillonné par de superbes et nombreux vols

d’oiseaux, fut aussi traversé par les messagers des

Esprits Jardiniers. Des pigeons, dotés d’une vitesse

hallucinante traçaient des éclairs d’or dans les nuées

nocturnes. Depuis le sommet des montagnes, les aigles

du Bout du Monde fondaient comme des flèches

fulgurantes à l’appel des Seigneurs de la forêt et des

eaux.

Formalow était née et elle vivait désormais. Cette

planète hébergeait la base de l’histoire future qui allait

commencer à s’écrire dans ses grandes forêts ainsi que

sur les rives de son océan. Au-delà du Néant, la gloire

d’une nouvelle création était revenue. Elle balayait tous

les efforts du vide pour renaître sous l’impulsion des

rêves du Penseur Éternel.

Un Âge d’Or devait commencer. Il serait long et

fertile pour les arbres, les animaux et les êtres pensants

dont il allait voir l’avènement. En effet, plus les débuts

de ce Cycle seraient merveilleux, plus les misères et les

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Le serment de Salermnos

conflits entre le bien et le mal qui viendraient ensuite, à

cause du libre-arbitre, tendraient à restaurer la sérénité

des premiers temps de l’Histoire. Plus les souvenirs de

cette époque seraient agréables, mais aussi forts, dans le

cœur des peuples de Formalow, plus les êtres

raisonnables, défenseurs d’une vision à long terme de

l’existence, seraient soudés entre eux par le ciment de la

ferveur.

Tout devait bien commencer pour les premiers

habitants de ce Monde, afin que tout puisse continuer

au-delà des ères les plus lointaines. Sinon, de nouveau,

le Créateur assisterait impuissant à l’échec de ses rêves

livrés à leur propre folie.

Comme toujours, les cœurs s’éveilleraient dans

l’innocence et dans la fraternité. Puis, la haine, la

jalousie, la cupidité, le mépris, attisés par les ténèbres,

rongeraient lentement la pureté des premiers nés. Et

dans les rangs de toutes les espèces pensantes de cette

Terre, il se dresserait des âmes maudites, esclaves de la

turpitude, pour fonder de noires armées aux sinistres

destinées. Cette fois, l’Être Suprême entendait bien

démontrer à toutes ses créatures que la raison et la

rigueur étaient de vraies sources de bonheur pour ceux

qui les pratiquaient sagement tout en profitant des fruits

de ces qualités.

Il commença alors à imaginer quelles formes de vie

pourraient bientôt recevoir les dons de la pensée, de la

création et du choix d’existence. Il rechercha aussi

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Le serment de Salermnos

quelle sorte de guides et d’esprits bienfaisants, pourrait-

Il leur envoyer ? Ceux-là ne devaient pas être cachés.

Au contraire, ils devaient vivre parmi les âmes dont ils

étaient sensés être les pasteurs.

Son esprit se plongea une fois de plus dans la

génération de Formalow et de ses merveilles.

Le serment de Salermnos : 14

Le serment de Salermnos

- II -

L’aube d’un nouveau jour se levait à l’Est du

Monde. La nuit étoilée avait été largement éclairée par

les deux Lunes de Formalow. Le jour de l’Éternel

revenait, remplaçant par sa chaleur et sa lumière la

douceur reposante des nuits qui s’écoulaient sous la

protection divine des esprits de la forêt et des eaux.

Voilà plus d’une centaine de millions d’années que

le Cycle était commencé, que les arbres couvraient la

Terre et abritaient la vie sauvage, que les rivages des

océans, des rivières et des grands lacs offraient leur

fraîcheur au repos des créatures de cet astre. Ce matin-

là, une nouvelle courait parmi les jardiniers du Monde.

Les esprits des sous-bois s’étaient levés, ils avaient

marché vers les hautes collines et les flancs des

montagnes tournés vers le Sud.

Du fond des rivières, des étangs, des mers, les

aides marins du Créateur étaient remontés. Leurs

regards observaient aussi le Midi de Formalow.

Les Elfes s’éveillaient dans les forêts d’altitude des

Monts du Bout du Monde. Le premier peuple pensant,

doté du libre-arbitre, était apparu sur les hauteurs du

Sud. Il se composait de deux types de créatures.

Le serment de Salermnos : 15

Le serment de Salermnos

Les premières étaient de petite taille. Elles

pouvaient ainsi explorer facilement les sous-bois

touffus du Monde. Ces petits êtres étaient très

industrieux. Ils concevaient des mécanismes qu’ils

construisaient à partir de troncs d’arbres malades ou

morts. Ils apprirent très vite à travailler le métal qu’ils

découvraient dans des grottes. Ils eurent besoin de

chaleur pour produire l’acier et pour réchauffer leurs

abris quand l’hiver tombait sur Formalow. Ils brûlèrent

d’abords du bois mort. Mais, ils ne voulaient pas perdre

stupidement une matière première aussi noble. Ils

découvrirent dans les mines de fer, des filons d’une

roche noirâtre qui, allumée par un feu de bois brûlait

ensuite en dégageant une forte température.

Cela ne satisfaisait pas les petits Elfes. Le bois

repoussait. Ils avaient donc compris que son utilisation

pour obtenir la chaleur et la lumière n’était pas néfaste.

La mort des arbres, qu’ils soient consumés ou bien

décomposés par le temps, faisait partie du Cycle normal

de la Nature. Mais, les réserves de roche noire

s’épuisaient. Elles ne se renouvelaient pas. Il était plus

sage de ne pas les gaspiller.

Les explorateurs Elfiques finirent par découvrir

des cristaux qui se formaient aux sommets de plusieurs

chaînes de montagnes. Ces gemmes translucides

naissaient sous certaines conditions climatiques et

saisonnières. Elles avaient la faculté d’accumuler et de

Le serment de Salermnos : 16

Le serment de Salermnos

restituer la chaleur ainsi que la lumière du Soleil, aussi

longtemps qu’elles ne se brisaient pas accidentellement.

Cette source d’énergie durerait autant que le Cycle

de la Création. Son exploitation ne nuisait pas à

l’équilibre de Formalow. La fréquence de

renouvellement des catalyseurs de cette puissance était

suffisante pour en permettre un emploi important.

Les petits Elfes s’adaptèrent rapidement à une vie

sylvestre. Ils vivaient plusieurs millénaires. Ils n’étaient

pas immortels comme les Esprits Jardiniers du Créateur.

Le petit peuple pensant ne vieillissait pas, mais, ses

membres achevaient leur très longue vie, épuisés par un

engourdissement indolore qui s’emparait de leurs âmes

après d’interminables siècles écoulés.

Nul ne savait ce que devenait leur être immatériel,

quand ils abandonnaient leur corps. C’était le secret du

Créateur. Cependant, une légende ancrée au cœur des

esprits et des créatures pensantes, prétendait qu’au-delà

des Monts du Bout du Monde, infranchissables pour les

habitants de Formalow, une porte s’ouvrait sur un

univers de félicité dans lequel, les défunts, libérés des

contraintes et des fatigues de la vie, se reposaient pour

toujours, sous le regard bienveillant du Concepteur de

l’Univers.

La seconde espèce d’Elfe était d’un aspect

identique à la première. Sauf, qu’ils étaient bien plus

grands et plus forts. D’humeur docile et protectrice, ils

possédaient une intelligence moins industrieuse que

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Le serment de Salermnos

celle de leurs petits frères. Leur rôle consistait à

déployer leur grande puissance physique pour participer

aux travaux de la Civilisation Elfique.

Ils ne pouvaient pas explorer les forêts aussi

minutieusement que leurs semblables, mais ils étaient

d’habiles voyageurs sylvestres. Ils mettaient de l’entrain

à effectuer les travaux pénibles de la mine. Conseillés

par la petite espèce, ils réalisaient avec beauté et

efficacité les grands projets de leur peuple comme la

construction des sentiers, des villages forestiers et des

forges.

Les Elfes n’accroissaient pas leur nombre

anarchiquement. Comme les deux genres de ce peuple

jouissaient d’une très longue existence, ils prenaient le

temps d’aimer leurs dames. Les familles avaient des

enfants sur de très longues périodes en nombre

raisonnable. Cela permettait aux Elfes de maintenir leur

population et même, au temps de l’Âge d’Or, de la faire

progresser. Cependant, ils ne souhaitaient pas envahir

Formalow en déferlant par hordes sur ses espaces

vierges. Ainsi, les êtres sylvestres jardinaient la forêt

pour en faire un parc mais, ils n’avaient pas besoin de

cultiver la terre pour se nourrir. La chasse, les fruits puis

les herbes des bois suffisaient à les alimenter richement.

L’eau des sources jaillissant dans les futaies de chênes,

mêlée aux arômes de plantes sauvages délicieuses, ainsi

que le lait des holaongs qu’ils avaient domestiqués, les

abreuvaient généreusement.

Le serment de Salermnos : 18

Le serment de Salermnos

Ils existaient dans la nature et par elle. Ils la

respectaient car elle leur donnait tout ce dont ils avaient

besoin. Une large majorité des Elfes, petits et grands

comprirent, en cette époque lointaine, que leur culture et

leur art de vivre étaient les meilleurs. Il en fut quelques-

uns cependant, qui pendant de longs millénaires se

posèrent des questions. Ils se contentèrent, durant de

nombreux siècles, de raisonner en pesant, dans leurs

réflexions et leurs écrits, les avantages de ce qui était

accompli en regard de ce qui ne l’était pas. Tant que les

doutes furent l’objet de recherches et de débats ouverts,

le Monde et la Civilisation furent beaux, sans malheur.

La maladie était inconnue alors, sur Formalow. La

mort accidentelle par blessure était très rare en raison de

la robustesse et de la prudence sage du peuple forestier.

Sa circonspection ne neutralisait pas sa créativité. Son

savoir et sa production ne stagnaient pas. En ce temps-

là, les Elfes produisirent de formidables mécanismes

pour faciliter leur travail. Ils aménagèrent d’immenses

grottes dans lesquelles ils taillèrent de belles demeures.

Ils dressèrent des manoirs somptueux aux hauts murs

blancs, percés de fenêtres à colonnades larges et claires.

Ces ouvertures donnaient sur les merveilleux paysages

du Monde. Ils écrivirent de longs poèmes épiques dont

les vers et les récits sonnaient avec la pureté des

cristaux de puissance. La musique et les instruments

furent créés pour accompagner la lecture de ces textes

qui devinrent de romantiques chansons. Les forestiers

Le serment de Salermnos : 19

Le serment de Salermnos

taillèrent d’abord la pierre des montagnes pour bâtir

leurs vastes demeures, ils apprirent à la sculpter pour

sublimer les décors de leur salle. Avec les couleurs

chatoyantes que leur offraient les terres et les plantes du

Monde, ils ornèrent les fresques de leurs murs et

bientôt, les toiles de leurs tableaux. Les arts naissaient

tandis que l’industrie utile et bien contrôlée apportait

une vie confortable et sereine au premier peuple pensant

de ce Cycle.

Dans le cœur du créateur, il fallait, pour que la

réussite de ses premiers-nés soit complète, qu’il les

confronte avec d’autres créatures, aimant également la

nature mais désirant la dompter plus étroitement, sans

toutefois la mettre en danger. Si le partage des

territoires et des ressources du Continent habité de

Formalow, se soldait par une entente parfaite entre les

deux races qui se côtoieraient bientôt sur ce Monde, la

viabilité du libre-arbitre serait prouvée.

L’Éternel projeta de nouveau sa pensée dans

l’avenir…

Le serment de Salermnos : 20

Le serment de Salermnos

- III -

Plusieurs dizaines de milliers d’années avaient

connu la présence unique des petits Elfes industrieux et

de leurs puissants frères.

Le Continent Civilisé de Formalow était toujours

couvert d’une vaste forêt. La partie tempérée en était

entretenue par le peuple sylvestre. Au Nord du

Continent et dans quelques régions désignées par les

aides du Créateur, pendant leurs rares entrevues avec les

mortels, les arbres furent conservés dans leur état

d’origine. Mais, il était décidé que les sylvains

pouvaient s’occuper à leur guise de la zone la plus

agréable à vivre. Ils le firent avec bonheur.

Une chaîne montagneuse se dressait au cœur des

régions tempérées du territoire habité de Formalow. Les

contreforts sud de cette haute muraille de granit, ornée

en ses sommets et ses cols d’un épais tapis de cristaux

de puissance, donnaient sur la vaste forêt et la mer

intérieure de Myrion. Les voyageurs qui franchissaient

les passes élevées de ces monts, en direction du Nord,

découvraient un paysage très rare dans ce Monde. Une

lande fertile, constituée de petites haies et de hautes

herbes, noyait dans sa verdure des chaos de roches

monumentales. De nombreux fleuves, lacs, rivières et

Le serment de Salermnos : 21

Le serment de Salermnos

ruisseaux sillonnaient cette clairière gracieuse qui

surgissait comme un mirage dans l’immense forêt de ce

Continent.

Les holaongs sauvages en avaient fait leur pays de

cocagne. Ils y paissaient par hordes formidables, de

l’été à l’automne et de l’hiver au printemps. Le climat y

était clément et si la pluie bienfaisante en irriguait

abondamment la terre, il n’y faisait jamais froid. Les

Elfes aimaient regarder ce pays depuis les montagnes

des cristaux de puissance. Même s’ils préféraient

l’ombre claire et apaisante des sous bois majestueux, ils

appréciaient la beauté de la Lande. Ils appelèrent cette

région « Sea’ Arhl’ Rias », ce qui, en Elfique de ces

Âges lointains, signifiait : « l’Océan d’Herbe Fleurie ».

Dans le langue commune de Formalow, les années

passant et les différentes races apportant leur

prononciation personnelle à chaque nom des premiers

temps, ce pays devint la « Silérie ».

La grande mer intérieure portait un nom très vieux

aussi. Il avait ses origines dans la « nuit des temps ».

Les premiers Elfes qui l’approchèrent, en descendant

des Monts du Bout du Monde, s’exclamèrent devant la

pureté de ces eaux calmes qui reflétaient paisiblement le

ciel légèrement gris d’un automne doux : « Athan

Mirai Ahr’ian ! ». « Quel miroir d’argent ! », avaient-

ils lancé avec émerveillement aux cieux de Formalow.

Ce cri du cœur devint, avec le temps qui s’écoulait,

« Myrion ».

Le serment de Salermnos : 22

Le serment de Salermnos

Une bonne partie de la topographie du Continent

Civilisé de ce Monde, avait été faite ainsi. Les sylvains

l’avaient entièrement écrite car ils étaient les premiers à

en avoir visité les merveilles. Parmi eux, un très grand

Seigneur des Monts du Bout du Monde, éveillé avec les

premiers Elfes Géants de jadis, connaissait toute la

genèse des désignations de cet Univers. Ce gigantesque

forestier à l’âge incroyablement vénérable, gardait sa

vigueur et sa majesté dans l’écoulement des millénaires.

Il avait pour nom : Haran Darhn Gurr, le vieux géant. Il

était le Roi de son peuple.

En cette matinée ensoleillée de l’Âge d’Or des

forêts, il voyageait avec sa suite sur les montagnes des

cristaux de puissance. Il avait eu trois épouses que

malheureusement, le temps lui avait retirées, l’une après

l’autre. Sa longévité lui amenait une sagesse infinie

mais aussi de grandes peines. Il lui restait, de ses siècles

de bonheur, ses enfants. Mohodir Gurr, était un vaillant

prince Elfique, digne de son père. Les dames Sylvania,

Céliasalphe et Floralosie étaient les plus superbes reines

des bois et des clairières de ce temps-là. La première

des trois, dépassait les autres en beauté, en intelligence

et en charme. Sylvania deviendrait, dans les Âges à

venir, la mère de la magie Elfique. Elle serait aussi,

malgré elle, à l’origine des malheurs du Monde. On la

convoiterait pour sa splendeur et ses pouvoirs. La

jalousie et la cupidité enfouies encore dans la douceur

de cette époque, s’enflammeraient au grand jour quand

Le serment de Salermnos : 23

Le serment de Salermnos

des seigneurs forestiers poseraient des regards avides,

sans sincérité, sur la magnificence divine de la

Princesse.

Haran franchissait donc le col, en compagnie de

son fils et de ses filles, suivi d’une formidable colonne

d’Elfes géants de haut lignage, tandis que le soleil se

levait à l’Ouest de Formalow. Le roi tourna

majestueusement son regard vers la Lande de Sea Arhl’

Rias. Dans l’infinie bleuté de l’horizon, il aperçut une

colonne de fumée qui montait vers le ciel. Ce n’était pas

un feu de bois ou bien de pierre noire qui brûle. C’était

une bonne et bienfaisante vapeur de cuisine. Elle était

trop éloignée pour apporter ses arômes de viande et de

légumes grillés jusqu’aux bons Elfes géants, mais, ceux-

ci imaginaient toutes les saveurs promises par la vision

de cette agréable nuée blanche.

Haran demanda au plus habile de ses forestiers ce

qu’il pensait de cette découverte. Ce dernier, Loghaarn

de Myrion, examina avec acuité la fumée qui s’élevait

au-dessus des haies de Silérie. Il déclara :

- Seigneur, mon Roi, cette manière de cuisiner est

caractéristique d’un peuple pensant. Or, si les Elfes

petits et grands voyagent sur les frontières et admirent

l’Océan d’Herbe Fleurie, ils ne s’y avancent jamais

aussi loin.

- Si ce ne sont pas des gens de notre peuple ou bien

des explorateurs appartenant à une famille de nos frères

ingénieux qui campent là-bas, dit le monarque Elfique,

Le serment de Salermnos : 24

Le serment de Salermnos

ce serait donc une nouvelle espèce de créatures

pensantes ?

- Certainement, Oh ! Haran. Depuis toujours, les

esprits des forêts et des eaux nous ont laissés entendre

que nous ne serions pas les seuls à vivre sur la Terre de

Formalow…

- Pensez-vous qu’ils pourraient nous être hostiles,

Maître Loghaarn ?

- Dans les écrits les plus anciens de notre royaume

Mon Seigneur, ceux qui rapportent les rares rencontres

de notre peuple et des aides du Penseur Eternel (vous en

avez rédigé certains), il est raconté que le mal menace

d’apparaître un jour dans notre monde, déclara le sage

forestier avec anxiété. Pourtant, ce ne sera pas le fait

d’une nouvelle espèce créatrice, ni le fait d’une seule de

celles existantes. La guerre, la peur et la destruction

seront semées dans notre Univers par des individus

dégradés, issus de toutes les races, qui s’adonneront

sans retenue à la satisfaction bestiale de tous leurs

désirs, même les plus vils. Nous sommes encore en

plein Âge d’Or Seigneur Haran, le temps de la méfiance

et de la haine n’a pas encore sonné aux horloges de la

création divine.

- Nous devrions aller à la rencontre des ces

nouveau-nés du Monde, fit Haran. La paix ne se portera

que mieux si nous avançons vers ceux qui vivront à nos

côtés, sur les Terres de Formalow.

Le serment de Salermnos : 25

Le serment de Salermnos

- Vous avez entièrement raison, reconnut

Loghaarn. Notre colonne doit se présenter dans toute sa

majesté mais, sans aucune agressivité. Notre démarche

est de souhaiter la bienvenue puis, d’offrir notre aide au

récent peuple de Sea’ Arhl’ Rias.

- Je vais demander à Sylvania de prendre la tête de

notre expédition, décida Haran. Sa splendeur rassurera

tout en inspirant la bonté à ceux qui l’apercevront pour

la première fois. Il n’est pas de plus belle enfant de

l’Être Absolu sur les Terres de Formalow.

L’escorte du Roi Haran descendit alors au nord des

montagnes en suivant une corniche naturelle qui

serpentait sur les contreforts de la chaîne. Bientôt, les

Elfes furent dans la plaine. Le campement qu’ils avaient

repéré émettait toujours de la fumée. Il était donc facile

de se diriger dessus. Les éclaireurs, de grands forestiers

partis au-devant du cortège, revinrent bientôt faire leur

rapport au Roi. Ils avaient vu les nouveaux habitants de

la Lande. C’était des créatures très semblables aux petits

Elfes. Elles étaient de même taille, mais plus robustes

physiquement. Aucune ne portait d’arme. Ils n’avaient,

avec eux, que des outils agricoles inconnus des

Sylvains.

Apparemment, les êtres de « L’Océan d’Herbe

Fleurie » festoyaient dans une prairie auprès d’un de

leur village.

Le Roi choisit de leur envoyer la Princesse

Sylvania, avec une escorte, pour se présenter aux

Le serment de Salermnos : 26

Le serment de Salermnos

convives de ce repas. Avec toute sa grâce et la lumière

de sa beauté Elfique des Âges lointains, cette dernière

arriva dans le village, suivit de quatre formidables

chevaliers sylvains. Elle resta sur sa monture, mais

s’inclina humblement pour saluer le petit agriculteur qui

s’approchait d’elle. Celui-ci était certainement le chef

de la communauté.

Ce dernier s’adressa à la Haute Dame dans une

langue commune aux deux espèces Elfiques de ce

temps. Il la salua en des termes élogieux et polis, puis, il

l’invita à partager le festin. Les habitants de Sea’ Arhl’

Rias connaissaient l’existence des forestiers. Ils avaient

eu des contacts avec les esprits des forêts qui leur

avaient appris le langage. Quand Sylvania leur expliqua

que son Roi la suivait avec des membres de sa cour, les

petits agriculteurs, sachant qu’ils n’avaient aucune

crainte à éprouver, la prièrent d’envoyer un messager et

de faire venir tous ses amis dans le village.

Les grands Elfes arrivèrent, chargés de victuailles

et s’assirent avec les nouveaux venus autour de la table

du festin. Une amitié à l’épreuve des Âges venait de

naître entre les sylvains géants et les paysans de la

Lande. Elle ne devait jamais se démentir. Si les petits

forestiers industrieux se sentirent toujours plus proches,

culturellement, des habitants de l’Océan d’Herbe

Fleurie que leurs grands frères, la rencontre entre le

seigneur Haran et Orloros le Magnifique de Silérie,

Le serment de Salermnos : 27

Le serment de Salermnos

scella une alliance éternelle, légendaire, dans le Monde

de Formalow.

Les gens de la maison d’Haran apprécièrent

rapidement les paysans de la Lande. Ces derniers

cultivaient leur terre. Ils jardinaient leurs champs

comme les sylvains travaillaient la forêt. Ils faisaient

pousser de bons légumes, du blé, des fruits. Ils élevaient

des holaongs qu’ils avaient apprivoisés. De plus, ils

maîtrisaient avec talent la puissance solaire des cristaux

de la montagne. Ils travaillaient bien l’acier et

forgeaient de remarquables outils.

Les deux espèces bénéficièrent des connaissances

de l’une et de l’autre. Bientôt leurs savoirs mis en

commun leur permirent d’améliorer grandement leur

existence.

Les petits paysans-forgerons alliés aux Elfes

industrieux créèrent de formidables instruments pour

faciliter le travail dans les bois, les champs ainsi que la

construction des maisons. Formalow changeait en bien.

Le Continent Civilisé gardait sa beauté sauvage, mais il

devenait aussi plus agréable et moins dangereux pour

ses habitants.

Sylvania, la princesse Elfique venait souvent dans

le pays de Silérie. Ses habitants, de petite taille, certes,

étaient beaux, agréables et cultivés en dépit de leur

simplicité. Curieux du Monde, ils exploraient leur Terre

et leurs frontières soigneusement. Ils avaient construit

de grandes bibliothèques et rédigé des traités de

Le serment de Salermnos : 28

Le serment de Salermnos

géographie et d’histoire, dignes des plus beaux textes

sylvains.

Elle les étudiait avec passion. Elle se gorgeait du

savoir des petits paysans-forgerons que ces derniers

communiquaient avec passion. La belle Dame forestière

appréciait également la compagnie du fils d’Orloros le

Magnifique. C’était un très solide Silérien dont la

beauté et la force devint légendaire dans les années qui

suivirent. Pourtant, cette belle histoire d’amour qui

naissait dans la splendeur de l’Âge d’Or, entre des

espèces différentes de Formalow, allait marquer à

jamais le destin de ce Monde.

Le serment de Salermnos : 29

Le serment de Salermnos

- IV -

Deux milles années avant cette rencontre porteuse

d’espoirs, dans la Lande de Silérie, des évènements,

apparemment insignifiants, mais, qui allaient changer à

jamais l’histoire de Formalow en ouvrant le chemin aux

forces du mal et du Néant, s’étaient produits dans les

forêts des Monts du Bout du Monde.

Des aides du Penseur Eternel étaient installés dans

les combes profondes de cette chaîne montagneuse. Ces

esprits, pour accomplir leur tâche de jardinier, avaient

revêtu des enveloppes physiques dont ils choisissaient

eux-mêmes l’aspect.

Pour évoluer dans les bois sauvages, nettoyer les

futaies, repousser par une force inexorable les créatures

tournées vers l’adoration du vide ténébreux, ces

assistants de l’Être Suprême avaient adopté l’apparence

de gigantesques arbres dotés du pouvoir de se déplacer,

résistants au feu et au fer. Parmi eux, l’amour de la vie

et le respect du Créateur était une seconde nature,

pourtant, ils avaient aussi reçu le don du libre-arbitre.

A travers les domaines sylvestres et marins des

deux Continents de Formalow, le plus grand nombre

d’esprits voués à la protection et à l’entretien du Monde,

ne faillirent pas à leurs devoirs ni au respect qu’ils

Le serment de Salermnos : 30

Le serment de Salermnos

devaient au Penseur Eternel. D’ailleurs, dans les textes

se référant à l’Âge d’Or des Forêts, il est bien dit que les

gardiens des Terres, y comprit ceux qui finirent par se

tourner vers le mal, ne le firent pas par défiance envers

le Seigneur du temps et de l’espace. Tout commença par

une convoitise que l’on pourrait désigner comme

légitime ainsi qu’une estime et une loyauté

exceptionnelles entre deux puissants jardiniers du Sud

des Terres civilisées.

Le désir qui déclencha les premiers tourments de

ce Cycle, n’était pas ténébreux, au tout début. Le plus

grand et le plus doué des aides du Créateur installés

dans les régions méridionales où naquirent les Elfes,

alla, un matin d’automne, à la rencontre de ce premier

peuple de Formalow. Il avait l’aspect d’un gigantesque

chêne à la ramure fournie, harmonieuse et généreuse.

Ses bras monumentaux possédaient une force terrifiante,

il pouvait, racontent les histoires de ce temps-là,

soulever puis déplacer des collines entières. Son visage

était noble. Son regard profond paraissait observer avec

acuité, les millénaires innombrables qu’il avait

traversés.

Son aspect bienveillant et majestueux devint

bientôt familier aux peuples des Elfes Géants dont les

groupes en promenade croisaient souvent le Seigneur

des Arbres. En ce temps-là, ce dernier, accompagné

d’un de ses semblables, moins puissant mais admiratif

pour le Maître de son Ordre, dispensait le savoir ainsi

Le serment de Salermnos : 31

Le serment de Salermnos

que les conseils aux jeunes créatures mortelles et

pensantes, des bois du Bout du Monde.

Infatigablement, il parcourrait les immenses bois.

Il expliquait aux Sylvains comment construire leurs

villes sans menacer l’équilibre de la nature sauvage. Ses

avis étaient bons. Les plus belles réalisations Elfiques

de ces temps furent accomplies sous ses auspices. Il

était le plus zélé mais également le plus méritant des

serviteurs de l’Être Suprême.

Sa majesté et sa justice vacillèrent lorsqu’il

rencontra le Roi Haran et surtout la Princesse Sylvania

qui venait de s’éveiller au monde. Celle-ci était

merveilleuse. Elle ressemblait à une fée. Sa chevelure

brune cascadait sur ses épaules d’albâtre aux reflets

cuivrés. Ses grands yeux en amande étaient infiniment

bleus, comme la Mer de Myrion sous le ciel des matins

estivaux. Sa bouche charnue et sensuelle s’entrouvrait

dans un éternel sourire sur des dents à la blancheur

éclatante. Elle était certainement la plus grande femme

de son espèce, aussi haute que son père Haran, aussi

sage que lui, mais si désirable, si ouverte à l’amour et à

la passion.

Malgré sa puissance et les nombreux Âges qu’il

avait traversés, le maître des esprits de la forêt, se sentit

d’abord jeune, irréfléchi et même un peu trop

« clinquant » en regard du vieux Roi des Elfes Géants.

Son impression était-elle justifiée ou bien fausse ? Ne

venait-elle pas d’un orgueil déplacé pour une Âme de

Le serment de Salermnos : 32

Le serment de Salermnos

son rang et ayant sa destinée ? Il enviait le Sylvain et

son infinie prestance de monarque au savoir insondable.

L’amour que portaient ses sujets à Haran n’avait pas de

limite. Ce dernier n’avait jamais besoin de la force et de

la coercition pour se faire entendre et obéir.

Il en était de même du Seigneur des Jardiniers de

l’Eternel. Mais, bien que celui-ci soit révéré par ses

semblables, il ne pouvait pas s’empêcher d’user de ses

pouvoirs pour affirmer sa grandeur. Il abusait parfois de

son charisme ainsi que de la crainte respectueuse

qu’inspirait son apparence et son rang, pour obtenir une

allégeance complète de ses subalternes. Il n’accordait sa

confiance et ses conseils désintéressés qu’aux plus

admiratifs, envers sa personne, des esprits, gardiens du

Monde. Il ressentit une incompréhension vertigineuse et

une ombre de haine pour l’aisance naturelle du Roi

Haran qui guidait le peuple des Elfes, sans avoir à

manifester ostensiblement sa Majesté.

De plus, la première fois qu’il vit la Princesse

Sylvania, Le Seigneur des esprits fut séduit. La

magnifique Dame forestière, lui inspira un violent désir

de domination. Il aurait pu ressentir un amour passionné

pour cette magnifique enfant de Formalow, mais, il

s’avéra que cette envie inexorable de la posséder, de la

retenir à ses côtés en la séquestrant dans une forteresse-

écrin, n’était qu’un terrible caprice. Le Seigneur des

esprits ne pouvait pas justifier son avidité pour Sylvania

par un impérieux sentiment amoureux. Il voulait

Le serment de Salermnos : 33

Le serment de Salermnos

seulement la posséder. Il ne tolérait pas la simple idée

qu’elle puisse se refuser à lui.

Ce puissant parmi les puissants dans ce Cycle du

Monde, aurait pu gagner la tendresse et le cœur de

Sylvania par la grandeur de son esprit et de ses actes. Il

voulut uniquement l’éblouir par son pouvoir de

domination, de persuasion, ainsi qu’une beauté qu’il

afficha prétentieusement, après avoir changé son aspect

physique. En effet, pour attirer la jeune femme elfique,

il adopta l’apparence d’un très grand chevalier blond, au

regard vert et aux épaules larges. Il était plus haut que le

plus athlétique des Elfes Géants. Son armure d’Or avait

la résistance des écailles d’un dragon mais elle brillait

comme un coucher de soleil sur la Mer. Il parcourait les

bois de Formalow sur un formidable cheval noir dont le

galop ébranlait les futaies comme un grondement de

tonnerre.

Un matin, sous cette forme avenante, il rencontra

la Princesse Sylvania qui voyageait en compagnie d’une

escorte. La Haute Dame Elfique fut éblouie par la

splendeur du cavalier. Même les soldats de sa

compagnie, sélectionnés parmi les plus forts et les plus

vaillants Elfes Géants, armés des plus belles créations

métallurgiques produites par les petits ingénieurs de

leur espèce, ne pouvaient rivaliser en prestance avec ce

cavalier sylvain.

Il se présenta à la souveraine Elfique sans

dissimuler sa vraie nature. Il lui révéla en délaissant

Le serment de Salermnos : 34

Le serment de Salermnos

toute malice, avec orgueil pourtant, qu’il était Serianos

Thanator, Maître des Esprits Jardiniers du Sud, et

qu’elle le connaissait bien sous son enveloppe

arbresque.

Sylvania, au début, aima beaucoup le rencontrer et

passer du temps en compagnie de cet être éblouissant. Il

lui montrait beaucoup d’attention. Il lui offrait tous les

secrets de sa sagesse et mettait au service de la belle

Elfe, ses immenses pouvoirs. Cependant, dissimulé par

la blondeur et l’éclat de la forme extérieure qu’arborait

le gardien des forêts, la dame sylvestre sentait poindre

le caractère instable de celui qui se voulait son ami.

Quand le regard de ce dernier s’appesantissait sur la

fille d’Haran, s’il pensait qu’elle ne le remarquait pas,

une lueur de folie remplaçait la tendresse et l’admiration

affichées généralement par Serianos en présence de la

Princesse.

Inquiète, mais soucieuse de ne pas indisposer un si

puissant aide du Créateur, la jolie Elfe, garda pour elle

les causes de son anxiété. Elle décida pourtant de

voyager plus souvent et plus loin vers le Nord, vers

« l’Océan d’Herbe Fleurie ». Elle évitait, ainsi, de voir

régulièrement le Maître des esprits sylvestres. C’est

ainsi que Sylvania finit par rencontrer Orloros le

magnifique et fit également la connaissance du fils de ce

Seigneur forgeron.

Moins formidable que Serianos et pourtant

combien plus doux et rassurant, Gémildan, le prince des

Le serment de Salermnos : 35

Le serment de Salermnos

Silériens, avait aussitôt attiré dans son sillage de bonté,

d’amour mais également d’enthousiasme, la

merveilleuse Sylvania. La petite taille du forgeron-

paysan, en regard de la haute stature des Elfes Géants,

n’empêchait pas ce dernier de rayonner par sa beauté

intérieure. La robustesse et la simplicité de ses traits

étaient magnifiées par la pureté de son cœur et de ses

sentiments.

Haran, le vieux Roi des Sylvains était sage. Il avait

compris que la passion, née entre sa plus belle fille et le

Seigneur Silérien était en fait une bénédiction. Leur

Union allait fatalement réduire la durée de vie de la

princesse tout en augmentant celle de son aimé.

Pourtant, les enfants qui viendraient de leur mariage

chevaucheraient dans les rangs des plus grands héros de

ces temps oubliés.

Le monarque avait le don de prescience et, il avait

déjà admis tout cela. Il était heureux de l’amour éprouvé

par sa fille tandis que son fils, Mohodir Gurr, estimait

qu’en s’abaissant à fréquenter les paysans-forgerons, sa

sœur perdait toute dignité… Il en conçut une grande

colère au fond de son cœur, mais elle n’était pas

réellement de lui. Il avait subit une noire influence,

quelques mois plus tôt….

Le serment de Salermnos : 36

Le serment de Salermnos

- V -

Ce jour-là, Mohodir coursait, dans un galop de

folie qui l’éloignait de son escorte à la vitesse d’une

tempête d’automne, un colossal cerf blanc de Myrion.

Il chassait, depuis quelque temps, pour le simple

plaisir. Son père lui avait pourtant déconseillé de

prélever dans la nature, un tribut d’animaux sans en

avoir le besoin impératif. Le jeune Prince Elfe était

fougueux et parfois incontrôlable. Quand il avait aperçu

le grand douze cors, dans la lumière adoucie des sous-

bois qui bordaient la mer de Myrion, il s’était lancé à la

poursuite du bel animal, avant même d’avoir prévenu

les hommes de sa garde.

Mohodir connaissait chaque clairière de cette forêt,

chaque sentier et chaque escarpement. Cependant, le

cervidé parvenait à tenir son adversaire à distance. Le

cheval du Seigneur Elfique contournait ainsi une grande

baie du sud de la Mer Intérieure. Les sous-bois se

faisaient touffus et ténébreux dans cette région arrosée

par des pluies bienfaisantes et, éclairée d’un soleil doux

tout au long des différentes saisons.

Tout à coup, une galopade tonnante ébranla le sol.

Les arbres frissonnèrent dans le vent comme s’ils

étaient terrifiés par la formidable charge dont ils

Le serment de Salermnos : 37

Le serment de Salermnos

entendaient le tumulte. Le fils d’Haran baissa la visière

de son heaume et ajusta sa lance. Quel que soit le

danger qu’il aurait devant lui, même si la plus

formidable créature malfaisante apparaissait à l’Orée

des futaies de Myrion, il ne faiblirait pas et l’attaquerait.

Enfin, le responsable de cette fureur surgit à

l’entrée d’une grève de la baie, entre deux chênes d’or

qu’il dominait de toute sa taille. Serianos Thanator était

là, sous sa forme de cavalier rutilant et formidable.

- Prince Gurr ! Tonna le Roi des Esprits Jardiniers.

Pourquoi chassez-vous avec tant de ferveur ce maître-

cerf de mes sous-bois ?

Les yeux du Seigneur divin brûlaient de colère et

son visage était marqué par le courroux qui l’animait. Il

semblait savoir que l’Elfe n’avait entrepris cette chasse

que par goût du défi. Thanator continua alors, furieux

du silence de Mohodir :

- N’écoutez-vous dont jamais les sages conseils de

votre père ? Voulez-vous essuyer une colère encore plus

grande que la mienne, celle du maître de l’Univers ?

- Mais, commença le chasseur, ce n’est pas un

crime de poursuivre cette simple bête.

- Si vous étiez affamé et accompagné de votre

garde qu’il vous faudrait nourrir, reprit le plus grand des

aides du Penseur Eternel, il serait légitime que vous

tuiez un si grand animal pour vos besoins. Là vous êtes

seul. L’escorte que vous avez abandonnée dans cette

folle chevauchée, porte assez de provisions sur le dos de

Le serment de Salermnos : 38

Le serment de Salermnos

ses bêtes de somme, pour de longs jours de voyage. Les

forêts sont vastes. Elles suffiront pour des temps infinis

aux besoins des Civilisations de Formalow si vous n’en

puisez les ressources qu’avec un grand discernement.

Chassez et tuez pour satisfaire votre orgueil ainsi que

votre goût du danger, n’est pas digne d’un si grand

Prince Forestier.

En prononçant ses paroles, Serianos avait pris un

aspect terrifiant. Son armure d’or semblait flamboyer au

soleil et son beau regard était devenu insupportable de

haine et de colère. Ses traits tendus avaient perdu toute

humanité. Il semblait un dragon prêt à frapper une proie.

Mohodir descendit de sa monture. Il s’agenouilla et

implora le pardon du colossal Seigneur des esprits :

- Seigneur ne vous courroucez pas plus, supplia-t-

il. Le fils d’Haran apprend vite à réparer ses erreurs.

Demandez, ordonnez, et j’obéirai !

- Tu peux m’apporter une aide indéniable, fit

Thanator en se radoucissant. Je suis bien désolé que ta

sœur, la merveilleuse Sylvania, se complaise en

compagnie des habitants de « l’Océan d’Herbe

Fleurie ». Ils lui sont bien inférieurs et leur

fréquentation, pour une Princesse de cette qualité, n’est

pas un exemple inspirant le respect.

- Les silériens sont pourtant braves et ingénieux,

affirma Mohodir. Ce sont de vaillants et respectueux

compagnons. Ils portent tous à la Princesse, une

admiration et une dévotion sans limite !

Le serment de Salermnos : 39

Le serment de Salermnos

- L’un d’eux, le fils d’Orloros, éprouve plus que

cela pour la Dame des forestiers, insinua Serianos.

Celui-ci croit l’aimer d’amour. Cela ne se peut pas ! Les

Silériens sont des créatures destinées à servir les Elfes,

pas à épouser leur Reine ! Mentit Thanator, pour la

première fois de sa longue existence. Il est inadmissible

de leur voir tant d’orgueil ! Ils ne peuvent poser ainsi

les yeux sur une souveraine de si haut rang. Cela m’est

très pénible, Prince Gurr ! Je souhaite que vous mettiez

bon ordre à cela. La nature a des lois ! Elles ne doivent

pas être détournées. Vous m’en répondrez, si Sylvania

la splendide, se fourvoie encore en compagnie

d’inférieurs.

Par jalousie et par désir, un des puissants de

Formalow venait de commettre le pire des mensonges et

de proférer une idée malencontreuse qui pouvait faire

son chemin dans l’esprit des Elfes ou bien des Silériens

attirés par l’obscurité et le Néant. Troubler ainsi

Mohodir, en jouant de l’amour fraternel qu’il ressentait

pour sa si flamboyante sœur, était ignoble et indigne

d’une puissance mentale comme celle de Serianos. De

plus, sa haine contre le fils d’Orloros lui était dictée par

son orgueil plus que par son amour déçu. Au fond, il

n’éprouvait pas de véritable passion pour la Belle Elfe.

Il n’était animé que de l’appétit de posséder une

compagne digne de sa grandeur. Et s’il ne pouvait la

conquérir par la pureté de son âme et de ses actes, il la

Le serment de Salermnos : 40

Le serment de Salermnos

ferait plier à sa volonté par la force. Dut-il déclencher

une guerre entre les Elfes et les Silériens !

Le Prince Mohodir retourna vers les siens, l’âme

assombrie par les paroles mensongères et odieuses de

Thanator. Ebranlé dans ses plus solides convictions, il

ne savait pas encore comment il allait réussir à satisfaire

le Seigneur des Esprits de la Forêt. Il souhaitait agir

plus par respect envers la divinité de Serianos que par

mépris des Silériens. Au fond de lui, il n’était pas

convaincu par le discours qu’il venait d’entendre.

Le serment de Salermnos : 41

Le serment de Salermnos

- VI -

Sylvania se tenait sur la terrasse d’un palais

Elfique, au Nord de la Silérie, à la croisée des chemins

du septentrion sauvage. Elle n’osait plus retourner dans

les chaleureuses forêts du Sud.

Sa dernière rencontre avec Thanator l’avait

épouvantée. Le puissant Esprit ne maîtrisait plus ses

désirs. La Princesse Elfique se sentait en danger en

présence du formidable gardien des forêts.

Elle était sincèrement attirée par Gémildan, le fils

du Seigneur des Silériens. Il se montrait si tendre, si

enthousiaste avec elle. Elle regarda vers l’extrême nord-

ouest du Continent. Là-bas, des monts s’élevaient au

bord de l’Océan extérieur. Plus haut, au-delà des terres

sauvages et des grandes forêts encore vierges, protégées

par des forces divines indépendantes de celles du Sud,

Une vallée douce et riche existait, disait-on. Personne

n’avait pu s’y rendre mais, des descriptions en avaient

été faites aux Elfes qui visitaient les limites boréales du

Monde civilisé.

Sylvania avait l’espoir d’aller vivre son amour

dans cette vallée, hors de portée de Serianos. Elle

voulait en parler avec son père. Si elle pouvait réunir

quelques compagnons Elfiques et Silériens, elle irait

Le serment de Salermnos : 42

Le serment de Salermnos

s’installer là-bas, avec Gémildan. Elle créerait un

royaume de sagesse. Elle en protégerait la frontière mais

pas par la guerre. Elle avait ressenti une nouvelle force

naturelle pendant ses voyages dans les marches du nord.

Elle domestiquerait cette puissance avec l’aide des

petits Elfes ingénieux et des habiles paysans-forgerons.

Ainsi, même si un esprit septentrional, aussi fort que

Serianos chutait comme ce dernier, elle pourrait le

repousser.

En passant dans certaines grandes clairières au

cours de ses longues promenades, elle avait eu de vastes

visions sur le futur et le passé de Formalow. Elle était

parvenue à projeter sa volonté sur des objets distants

qu’elle avait déplacés ou même modifiés. Bien sûr, ces

pouvoirs étonnants et inattendus, ne lui avait été

accordés qu’au cours d’un temps et dans un espace

limités. Pourtant, Le potentiel qu’elle avait décelé dans

ses expériences pouvait être accru. La force créatrice du

Monde sommeillait dans ces lieux magiques des Forêts.

Elle devait apprendre à la maîtriser pour protéger

l’avenir de Formalow, des Elfes, des Silériens et aussi

d’autres créatures pensantes qui n’étaient pas encore

apparues dans le Monde mais qui s’éveilleraient bientôt.

Elle l’avait vu.

Une grande légion d’Elfes géants, d’autres

ingénieux, mais aussi de Silériens se groupa à la

frontière septentrionale de « l’Océan d’Herbe Fleurie ».

Sylvania n’avait pourtant rien demandé. Cependant,

Le serment de Salermnos : 43

Le serment de Salermnos

parmi les deux peuples pensants de Formalow, la

rumeur courait qu’un danger inconnu était apparu dans

le Sud du Continent et qu’une dissension houleuse

embrouillait les relations entre les grands des royaumes.

Constatant la douceur et la sérénité de la Reine Elfique,

tous se rejoignaient autour de sa bannière.

Haran et les Maîtres des Elfes ingénieux se

réunirent alors. Personne ne se serait permis de remettre

en cause l’amour que portaient les habitants de

Formalow à Sylvania. Si certains voulaient rejoindre sa

maison et lui offrir leur allégeance, ils pouvaient le

faire. Orloros le Magnifique était même fier de voir sa

future belle-fille, adulée par les grands chevaliers de

toutes les nations du Monde. Et si les héros de ce temps-

là se mettaient à porter l’étendard de la Reine Elfique,

ils y avaient ajouté sous forme de fanions, les armes

d’Haran, des Elfes ingénieux et des Silériens.

Le grand et vénérable Seigneur des Sylvains,

expliqua alors à ses alliés, au cours d’un conseil

extraordinaire qui fut organisé sur une île de la Mer de

Myrion :

- Des mensonges et des phrases méprisantes ont été

clamés dans les ombrages des sous-bois du Sud. Les

plus courageux et les plus honnêtes d’entre nous y ont

cru car ce tissu de haine venait de la bouche de quelque

puissance des Forêts. En disant ces derniers mots, Le

Roi posa son regard noble et inquisiteur sur son fils.

Ensuite, il poursuivit. L’Âge d’Or n’est pas encore

Le serment de Salermnos : 44

Le serment de Salermnos

révolu. Il ne tient d’ailleurs qu’à nous de le faire

perdurer au-delà des tentatives menées afin de le

détruire.

- Père, lança Mohodir emporté par la haine que lui

soufflait Thanator. Comment pouvez-vous trouver juste

et tolérable que ma sœur parte dans le Nord-Ouest,

affaiblissant nos royaumes à qui feront défaut les braves

et les travailleurs qui l’ont rejoint, pour y fonder une

nation capable de défier, un jour, les nôtres ? De plus, il

me déplait de la voir s’unir au futur chef d’un petit

peuple sans lignage, alors que les grands démiurges du

Monde rêvaient d’en faire leur Reine.

Les Silériens présents au conseil avaient frémi de

colère en entendant les insultantes paroles de Gurr.

Haran s’était levé et pour la première fois de son

existence, ses traits se crispaient sous la plus terrible et

la plus froide des fureurs de cette époque-là :

- Comment oses-tu mépriser ainsi un autre peuple !

Tonna le Souverain. Il tendit son puissant bras vers les

Silériens pour les désigner au conseil. Les Elfes

n’avaient pas de lignage non-plus quand ils vinrent à la

lumière du Soleil de Formalow ! Et aujourd’hui, qu’en

est-il de nous messieurs ? De quelle grandeur pouvons-

nous nous prévaloir ? Nous avons bâti des villes

forestières et respecté les lois du Penseur Divin et de ses

aides… Mais avons-nous le droit, en vertu des longs

millénaires que nous avons vécus avant l’apparition de

nos amis, de les considérer comme inférieurs ? Non !!!

Le serment de Salermnos : 45

Le serment de Salermnos

Eux aussi se montrent courageux, respectueux de la

Terre et des créations de celui qui préside aux destinées

de ce Cycle. Ils construisent une Culture et une

Civilisation pour leurs enfants et pour leur laisser un

héritage digne de celui qui leur fut transmis. Tant qu’ils

travailleront, avec, dans leur cœur, ce but à atteindre, ils

garderont notre estime ou bien celui de tous ceux qui

ont foi dans l’avenir des peuples pensants et des Âges

de ce Monde. Tu n’as pas le droit, Mohodir, de

prononcer de telles paroles envers les habitants de

« L’Océan d’Herbe Fleurie ». Ta sœur ne se trompe

jamais quand elle donne son amour. Celui ou bien celle

qui en bénéficie est une créature des plus

exceptionnelles de ce Cycle. Si elle refuse les avances

de quelqu’un, fut-il un puissant parmi les puissants c’est

qu’il possède une âme ténébreuse en proie aux

tentations des limbes du Néant !

Gurr réalisa à quel point les paroles de Thanator

l’avaient induit en erreur. Il se jeta au pied de son père :

- Pardonne-moi, père ! L’esprit qui m’a guidé vers

ses pensées néfastes est un de ceux qui nous ont le plus

apporté au cours des derniers Âges. Comment pouvais-

je savoir ?

- Ton cœur te suffisait, mon fils, répliqua le Roi,

mais tu n’as pas su l’écouter. Maintenant, les temps sont

venus de prendre de graves décisions. Il nous faut

savoir qui, parmi les Esprits Jardiniers du Sud, est

encore fidèle au Créateur et lequel sombre dans les

Le serment de Salermnos : 46

Le serment de Salermnos

ténèbres. Il est certain que Serianos est tombé. Combien

l’ont suivi dans sa chute ? Il faut l’apprendre et établir

le contact avec les esprits qui restent fiables.

Parmi les jeunes Elfes géants, fougueux, quelques-

uns avaient apprécié les idées de Thanator. Ils étaient

prêts à s’opposer à Haran qu’ils jugeaient trop prudent.

Les doux Silériens les rendaient jaloux. Ces créatures,

malgré leur petite taille, leur vie simple et leur pays sans

grandes futaies, vivaient heureux, bâtissaient de beaux

villages, de jolies demeures et travaillaient avec talent.

De plus, les hommes silériens attiraient les jeunes filles

de toutes les espèces et de toutes les conditions par leur

bonhomie et leur gentillesse naturelle.

Certains des Seigneurs Sylvains nourrissaient

aussi, en secret, une inquiétude cachée, plus sombre et

plus néfaste que la jalousie. Ils avaient peur de la

puissance qu’ils soupçonnaient chez les paysans-

forgerons et qui pouvait se révéler supérieure à celle des

Elfes.

Heureusement, les gens d’Haran n’étaient pas très

nombreux à porter dans une âme vacillante de si

sombres desseins. Ceux qui avaient suivi Mohodir avec

passion quand il était revenu de son entrevue avec

Serianos, étaient bien heureux de s’allier à ce Seigneur

de Formalow. Mais voilà que ce dernier se retournait

contre leurs idées. Alors, leur porte-parole, Ampar se

révéla au Roi. Il se leva de son siège et déclara avec

véhémence :

Le serment de Salermnos : 47

Le serment de Salermnos

- Qui permet, même au plus grand des Elfes

méridionaux de juger un Esprit de la forêt ? Ces êtres

angéliques ne reçoivent d’ordres que du Maître des

Cycles. Les paroles qui ont été dites au Prince Mohodir,

ne pouvaient provenir que d’une seule source. Ceux qui

les contestent, contestent le Divin lui-même…

- Thanator est un serviteur du Créateur, expliqua

Haran, il n’est pas le Penseur Eternel. Jadis sa sagesse

nous apprenait à créer et à aimer, aujourd’hui, ce

malheureux prône la haine et le mépris. Ses mots

cachent la vérité de son cœur. Il aime Sylvania. Il avait

toutes les qualités pour la gagner. Il n’a pas su le faire

car il est devenu la proie des ténèbres.

- Si un Esprit Jardinier peut être soupçonné de

bassesse et de dissimulation, qui peut nous garantir que,

parmi les meneurs du peuple des Elfes, certains ne sont

pas aussi tombés et tentent de porter les soupçons à tort,

vers des puissances bénéfiques gênant leurs projets ?

Lança Ampar.

- Tu insinues donc, fit Haran, que ma loyauté

envers Orloros et ses amis est un signe de noirceur. Tu

essaies de montrer la Princesse Sylvania comme une

prêtresse du Néant. Pourquoi des pensées d’amitié, de

partage et d’amour seraient-elles néfastes et

marqueraient-elles celui qui les porte, du sceau de

l’ombre ?

Les Elfes Géants attachés à leur souverain et les

Silériens présents frémirent en comprenant où le

Le serment de Salermnos : 48

Le serment de Salermnos

raisonnement du contradicteur tentait de les mener.

Heureusement pour le Monde de Formalow, la sincérité

d’Haran rayonnait de ses phrases. Ses idées généreuses

et la clarté de ses arguments, sans faille, sans détour,

mettaient en exergue la mesquinerie et les mensonges

qui rongeaient l’âme d’Ampar. Celui-ci répliqua

pourtant :

- Le penseur aime l’ordre et n’admet pas les actes

dictés par la faiblesse. Le mariage d’une Reine Elfique

avec un paysan Silérien est une mésalliance que seule,

la peur d’un affrontement avec les paysans-forgerons

peut inspirer à un Roi comme toi. Tu as franchi trop

d’Âges, Seigneur ! Ton jugement se brouille et ta

clairvoyance n’est plus qu’une légende… Tu devrais

laisser la place à la jeunesse…

Sur ces mots, il tira son épée et ses compagnons

l’imitèrent. Mais il avait surestimé ses forces, la plus

grande partie des membres du Conseil, que ce soit des

Elfes sylvains, des ingénieux ou bien des Silériens, se

regroupèrent autour d’Haran et brandirent aussi leur

lame. Mohodir agit de même et rejoignit son père.

Il n’y eut pas d’affrontement. Les partisans de

Serianos et d’Ampar quittèrent l’île de Myrion sans que

le sang n’ait coulé. Pourtant, les épées qui, jusque-là

n’avaient été que de beaux outils pour ouvrir des

sentiers dans les sous-bois ou bien se défendre contre

des fauves de l’ombre, avaient failli servir à combattre

des frères et des compagnons.

Le serment de Salermnos : 49

Le serment de Salermnos

Les graines du mal semées par Thanator étaient en

train de germer dans les cœurs des habitants de

Formalow et malgré le courage et la fermeté des fidèles

du Seigneur de ce Cycle, la menace se concrétisait.

Mais, le Penseur Eternel gardait espoir. Il avait lu

dans l’esprit de ceux qui combattaient les ténèbres, une

fermeté qu’il trouvait pour la première fois depuis le

début des mondes et de leur vie.

Le serment de Salermnos : 50

Le serment de Salermnos

- VII -

La Légion de Sylvania marchait vers la vallée du

Nord-Ouest. Elle était constituée d’une incroyable

multitude, mais, en même temps, les soldats, les

paysans, les ouvriers, les femmes et les enfants qui

voyageaient dans cette masse étaient si disciplinés,

qu’une fois passés, ils ne laissaient aucune trace, aucune

branche cassée, aucun brun d’herbe meurtri.

Ils piquèrent tout droit vers le septentrion du

Continent. Ils espéraient traverser la Taïga sauvage des

régions boréales puis, découvrir le royaume abrité en

l’abordant par l’Est.

Les compagnons de Sylvania évitaient ainsi le

danger de franchir les montagnes qui bordaient l’Océan

Extérieur. Elles étaient hautes et escarpées. Un petit

groupe d’Elfes géants, bien entraînés, aurait pu en

traverser les hauts cols puis redescendre, après des jours

harassants à lutter dans le froid et l’air raréfié, vers le

but de leur voyage. Un peuple entier, courageux et

volontaire certes, ne pouvait pas accomplir un tel

exploit. Le plus long chemin, celui qui serpentait dans

la plaine boisée, au Nord du Continent, semblait le plus

adapté pour un tel mouvement de masse.

Le serment de Salermnos : 51

Le serment de Salermnos

Evidemment, au plus fort de la mauvaise saison,

les émigrants devraient faire halte puis organiser un

campement. Les Elfes se promenaient souvent, en hiver,

pour le plaisir. Les petits ingénieurs de ce peuple

avaient donc conçu des tentes chaudes, pratiques à

monter, à transporter et résistantes aux pires rafales de

vent. Ils en avaient emporté d’innombrables dans cette

expédition vers la vallée de Sylvania. Car, ils étaient

tous conscients qu’une fois sur place, ils ne bâtiraient

pas les cités et les palais en quelques jours, malgré le

savoir-faire des Silériens, des Elfes Ingénieux et la force

des Sylvains Géants. De plus, pour ne pas souffrir des

basses températures qui, pendant un mois ou deux,

risquaient de les surprendre au cours des longues nuits

boréales, Les compagnons de la Reine Sylvestre

transportaient de nombreux chariots de Gemmes de

puissance qu’ils exposaient soigneusement au soleil,

pendant la journée. Comme ils prenaient grand soin de

leur source d’énergie, ils la manœuvraient avec

beaucoup de prudence. Elle pourrait leur faire un très

long usage même si, sur place, il était difficile de s’en

procurer. Mais, il était peu probable que, sur ce

Continent, les cristaux solaires aient été absents d’une

région, quelle qu’elle fut. Durant toutes les explorations

effectuées dans le monde, par les Silériens ou bien les

Elfes, ceux-ci avaient toujours remarqué une hauteur sur

laquelle le processus de formation des gemmes de

puissance se produisait pendant la nuit. Les flancs

Le serment de Salermnos : 52

Le serment de Salermnos

montagneux de la contrée à la richesse légendaire, vers

lequel marchait avec enthousiasme, la vaste troupe de

Sylvania, ne feraient certainement pas exception dans ce

Monde.

Il existait aussi une autre raison en faveur de

l’itinéraire choisit par la fille d’Haran pour cet exode.

Elle avait entendu des Esprits Jardiniers du Nord

évoquer de magnifiques clairières rocheuses, au milieu

de la forêt qui couvrait cette région. Elle avait compris,

à leur manière d’évoquer ces sites naturels reposants et

bienfaisants, que ces lieux étaient de ceux qui

augmentaient les pouvoirs magiques sommeillant chez

certaines créatures pensantes. Comme elle souhaitait

apprendre à contrôler cette puissance, il lui fallait

séjourner dans ces lieux si propices à ses desseins.

La formidable colonne qui constituait le cortège de

la souveraine Elfique, partit donc vers le Nord, par un

matin de printemps. Elle s’étendait sur plusieurs lieux

de longueur. Des chariots transportant les femmes, les

enfants, les tentes, les outils et les cristaux de puissance,

avançaient entre les grands arbres clairsemés des forêts

du septentrion, encadrés par les soldats Elfiques Géants

ainsi que les Silériens en armes. Les ingénieux petits

Sylvains, suivaient aussi, sur des plates-formes à roues,

tirées par de grandes licornes.

Dans la douceur de cette matinée d’Avril, ils

allaient fonder, ni plus ni moins que l’avenir ainsi que la

destinée de Formalow. Pendant la lutte qui opposerait

Le serment de Salermnos : 53

Le serment de Salermnos

bientôt les forces du mal et les fidèles du Penseur

Eternel, la Nation que Sylvania et ses courageux

compagnons enracineraient un jour au Nord-Ouest du

Monde civilisé, constituerait une des plus puissantes

forteresses de la sagesse, dressées contre les esclaves

des ténèbres.

Le serment de Salermnos : 54

Le serment de Salermnos

- VIII -

Serianos était seul, debout dans l’aube, sur les

contreforts des Montagnes du Bout du Monde. Le

regard rougeoyant de fureur, les mains pressant ses

tempes qui battaient comme un cœur emballé, il hurlait

en se tordant avec la vigueur d’un fauve prisonnier d’un

filet.

Il avait perdu l’amour par orgueil. Il avait oublié

que, malgré sa puissance et les immenses pouvoirs qu’il

détenait, il ne pouvait pas conquérir la ferveur d’un être

pensant sans la mériter réellement. Sa peine était sincère

bien qu’elle fût entachée de colère. Il lui restait donc

une dernière chance de se racheter et de reconquérir,

non plus l’amour, mais l’amitié de Sylvania.

Il pouvait s’avancer vers Haran, s’incliner devant

le vénérable Seigneur Elfique et lui avouer ses fautes. Il

avait encore le choix de lui expliquer sa folie et la

passion qui le dévorait quand il avait glissé vers le mal.

Ce grand des grands aurait acquis, aux yeux des Elfes et

des Silériens, une noblesse infinie en admettant les

extrêmes vers lesquels son orgueil et son désir l’avaient

poussé. Par cet acte de contrition, il aurait pu se

reconstruire et recevoir l’amour d’une autre Princesse

Elfique.

Le serment de Salermnos : 55

Le serment de Salermnos

Cependant, alors qu’il était encore sur l’étroite

limite qui sépare la grandeur, la bienveillance, de la

folie ainsi que la tyrannie, sa souffrance morale et

physique était telle, qu’il ne pensait même pas à se

libérer momentanément de son enveloppe de chair pour

apaiser le feu qui le brûlait intérieurement.

Il gémissait et frappait de ses poings et de ses pieds

les flancs du plus haut pic de la chaîne montagneuse.

Ses cris déchiraient l’aube du midi de Formalow. Ses

coups faisaient tomber depuis les cimes, jusque dans les

vallées, d’énormes blocs de roches qui se fracassaient

au fond des combes en couchant les arbres et en

détournant les ruisseaux par l’accumulation de leurs

débris.

Les Elfes Géants qui vivaient dans cette région,

furent éveillés en sursaut par ce tumulte. Autour de

leurs villes sylvestres, la terre tremblait, le vent

mugissait sinistrement. L’armée des Seigneurs Elfiques,

séduits par les paroles mensongères de Thanator, puis,

ayant défié Haran, fut elle-même ébranlée par l’écho de

la peine du Seigneur des Esprits Jardiniers.

Ampar perdit de sa superbe, pendant cette fureur

inexpliquée des éléments. Lui-même douta sérieusement

de la voie qu’il avait prise, en suivant le puissant Esprit

des forêts. Il se réfugia avec sa troupe dans une enclave

de rochers qui paraissaient résister aux soubresauts du

sol de Formalow et à la pluie de pierres qui tombaient

furieusement du ciel. L’Elfe rebel faillit revenir dans le

Le serment de Salermnos : 56

Le serment de Salermnos

camp de la lumière, tant il était écrasé de douleur et

d’effroi par la colère de la planète.

Le formidable cataclysme déclenché par le

courroux de Serianos était tel que tous les habitants des

combes méridionales se réfugiaient dans les palais de

leurs Seigneurs. La terreur, pour la première fois de

l’Histoire de Formalow, étreignait les cœurs des Elfes.

Ampar et les grands de sa maison n’y tenaient plus.

Il leur fallait savoir les causes de cette folie du Monde.

Les courageux Sylvains regardèrent enfin vers les

hautes montagnes, malgré les chutes de roches qui

dévastaient les forêts et les torrents autour d’eux. Ils

découvrirent bientôt l’immense silhouette de Thanator

qui cognait, dans sa rage biblique, les versants des

sommets les plus élevés.

Ce fut la dernière fois que les Sylvestres de cette

armée firent preuve de chevalerie et de valeur. Ils se

mirent en colonne et décidèrent de progresser jusqu’au

Maître des Esprits Jardiniers, dans le chaos déclenché

par ce dernier.

Aussitôt, la forte phalange d’Ampar se mit en

marche. Elle emprunta les sentiers abrités qui

serpentaient dans les forêts d’altitude et les pâturages

des Monts du Bout du Monde. Le capitaine elfique

n’avait plus le choix. Il lui fallait savoir s’il avait eu

raison de défendre, devant son Seigneur Haran, le point

de vue de Serianos ou bien, s’il s’était livré, en agissant

Le serment de Salermnos : 57

Le serment de Salermnos

de la sorte, sans espoir de rédemption, aux ténèbres et

au Néant.

Dans l’épouvantable fracas des pierres brisées et

des coups furieux dont les échos ébranlaient les racines

même du Continent, Ampar encourageait ses vassaux.

- Allons, montons vers le haut de la montagne !

Nous devons arrêter ce désastre. Si nous avons fait

fausse route en suivant Thanator, nous paierons de notre

vie cette erreur ! Il nous faut sauver Formalow. J’ignore

si nous possédons les moyens d’arrêter cette puissance

du Monde, mais nous ne laisserons pas notre peuple

mourir ainsi !

Et la maison de l’Elfe redoubla de courage en

grimpant vers sa fin. Ils atteignirent bientôt des lieux et

des hauteurs auxquels aucun être pensant, depuis cette

époque immémoriale, n’a pu accéder. Quand ils ne

furent plus très éloignés de Serianos, ils assistèrent aux

effets de la métamorphose terrifiante que ce dernier

avait subit dans les affres de la folie. L’Esprit divin

n’était plus le merveilleux chevalier qu’ils avaient vu,

jadis, parcourir fièrement les forêts de l’Âge d’Or.

Thanator était maintenant un géant effrayant aux yeux

rougeoyant de haine et au visage déformé par le mépris

des créatures vivantes. Son armure de lumière avait

noirci sous la chaleur dégagée par son courroux. Ses

poings martyrisés par les coups qu’il avait donnés aux

falaises avaient l’aspect de masses sanguinolentes

desquelles dépassaient des doigts noueux et griffus.

Le serment de Salermnos : 58

Le serment de Salermnos

Serianos ne devait plus jamais retrouver son aspect

avenant d’arbre infiniment ancien, ni celui de cavalier

valeureux qu’il avait adopté pour séduire Sylvania.

Jusqu’à la fin des premiers âges de ce Cycle, il changea

de nom et ne fut plus connu que sous la dénomination

de Gaurtlung l’Effroyable.

Alors, la folie du monstre diminua pour devenir

une rage malveillante, il se tourna vers ses visiteurs qui,

malgré leur cœur vaillant, sentirent la force et la chaleur

de leur vie les quitter. Ils tombèrent à genoux le front

contre le sol. Un cri glacial fut émit par l’être maléfique

qui les dominait de toute sa gigantesque taille, puis, un

sort prononcé d’une voix tonitruante les figea dans les

douleurs infernales de la perdition. La bonté et la

miséricorde quittèrent à jamais les Elfes de la maison

d’Ampar.

Pour l’éternité, ils devinrent les Rois des

Korrigans. Leur destin odieux était, désormais, jusqu’à

la fin des temps, de commander les légions de démons

générés par la folie de Gaurtlung le Damné. De longs

millénaires de souffrance allaient commencer par la

malédiction qui venaient de balayer Ampar et ses

hommes. Leurs âmes avaient abandonné définitivement

les Elfes qui s’étaient dressés contre Haran. La paix

venait de fuir aussi, pour de très nombreux Âges, les

Terres de Formalow.

Le serment de Salermnos : 59

Le serment de Salermnos

- IX -

Quand Haran apprit la catastrophe qui dévastait les

Combes du Bout du Monde, il leva une vaste armée

d’Elfes et de Silériens qui chargèrent des milliers de

chariots avec des vivres, des matériaux de construction

et des outils afin de porter secours au peuple sylvestre

des régions méridionales.

Cette gigantesque légion amenait aussi, avec elle,

de grands médecins des deux peuples pensants de

Formalow. Ils avaient appris, par des oiseaux fuyant la

colère de Gaurtlung, les plaies et les blessures dont

souffraient les habitants des vallées du Sud. Les Elfes

qui s’étaient répandus, Jusqu’aux frontières de la

Silérie, se mobilisèrent donc pour aider leurs parents

plongés dans le malheur.

Haran, soupçonnait la cause des évènements

terrifiants dont il recevait des récits détaillés au fur et à

mesure de sa marche vers le Midi du Continent. Aucune

créature pensante appartenant aux forces du bien,

n’avait encore été témoin directement de l’origine des

tremblements de terre et des éboulements cyclopéens

qui avaient dévasté les cités elfiques, mais, la sagesse

du vieux Roi ainsi que ses dons de clairvoyance, lui

avaient appris toute la vérité.

Le serment de Salermnos : 60

Le serment de Salermnos

L’équilibre et l’harmonie de Formalow venaient

d’être rompus et les peuples civilisés de ce monde

allaient devoir prier, de toute leur âme, le Penseur

Eternel pour que ce dernier envoie l’aide morale dont

les multitudes de cette terre auraient besoin dans les

siècles à venir.

Ce qui blessait particulièrement le vieux souverain

sylvestre, ce n’était pas que le mal soit apparu. C’était

surtout que les ténèbres et le Néant étaient parvenus à

corrompre un grand esprit de la forêt ainsi que toute une

phalange de valeureux Elfes. Haran le sentait, bien que

ces détails ne soient pas encore révélés ouvertement aux

habitants du Monde. Le Roi prévoyait sombrement que

certains Silériens basculeraient également dans

l’obscurité. Et toutes les formes de vie intelligente qui

apparaîtraient au cours des prochains âges, offriraient

un lourd tribut de membres au Mal qui hanterait

Formalow, désormais.

La prescience du vénérable Basileus ne le trompait

pas sur ces éventualités. Le seul savoir qui lui restait

inaccessible était celui révélant l’issue de ce Cycle.

Mais finalement, même le Créateur en personne, s’en

remettait au Libre-Arbitre pour mener l’histoire de ce

Cosmos à terme. Il était clair que le maître du temps et

de l’espace ne savait pas exactement comment

évoluerait ce Monde en raison de la latitude de

raisonner qu’il avait accordée à ses enfants, bien que le

Le serment de Salermnos : 61

Le serment de Salermnos

bon sens de ceux-ci lui inspirent une grande confiance,

dans le cadre de cette Histoire-là.

Haran ne pouvait donc plus que se résigner à

l’avenir peu attirant qui se dessinait maintenant, tout en

apportant autant de soins qu’il le pourrait, à apaiser les

souffrances endurées par la vie de ce Continent. Il

combattrait les responsables des fléaux qui s’abattraient

durant les prochains jours sombres. Cependant, il savait

que les millénaires passeraient encore nombreux avant

de voir les fidèles du Penseur Eternel ou bien ceux du

Néant et des ténèbres triompher.

Le Seigneur des Sylvains songeait donc à tous les

tourments qui se préparaient dans l’ombre de la trahison

et du mépris, tandis que sa formidable armée allait au

secours des malheureuses victimes de la folie des

puissants. L’Orée des Forêts du Bout du Monde

dessinait ses frondaisons fantastiques sur l’Horizon

lorsque les éclaireurs revinrent au galop vers l’avant

garde Elfique.

Des milliers d’Esprits Jardiniers se tenaient en

guetteur à une lieue des sous-bois. Ils barraient la route,

comme des sentinelles sur le pied de guerre. Haran

gagna une petite colline et, de sa vue perçante il

examina la puissante troupe d’Aides du Seigneur du

Cosmos. Etaient-ils basculés dans les ténèbres ?

Voulaient-ils empêcher les secours d’atteindre les Elfes

des Combes sinistrées ou bien, étaient-ils venus porter

Le serment de Salermnos : 62

Le serment de Salermnos

leur aide aux enfants du Créateur douloureusement

frappés par la première manifestation du Mal ?

Ni le fer, ni le feu n’était en mesure de mordre la

vie de ses arbres marchant. Seule la cavalerie de la

troupe du Roi serait assez rapide et vive pour échapper à

la colère des Esprits forestiers, s’ils se tournaient contre

les Elfes. Avec de grandes cordes, les chevaliers

sauraient entraver de tels ennemis, puis, les faire tomber

sur le sol. Ensuite, les puissants arcs en acier des

Silériens, enverraient des flèches aux pointes taillées

dans des éclats de cristaux de puissance. Sous le choc,

en pénétrant l’épaisse écorce, ces gemmes libéreraient

leur chaleur et leur énergie dans le corps des Jardiniers

Divins. Cela ne les tuerait certainement pas, mais, ces

derniers seraient sans doute obliger d’abandonner leur

forme arbresque avant la fin du combat. Cette stratégie

sèmerait le deuil dans les rangs Elfiques, pourtant, il n’y

avait rien d’autre à espérer, si le mal dominait

maintenant toutes les forêts du midi de Formalow.

Le Roi fit déployer sa cavalerie. Elle occupait une

large bande de la plaine. Puis, il la fit marcher vers les

Esprits Jardiniers. Fidèles et dévoués à leur souverain,

les grands seigneurs de la maison d’Haran, se tenaient

prêts à charger si les arbres marchants les attaquaient.

Des Silériens montés sur de résistantes petites licornes

de « l’Océan d’herbe Fleurie » les appuyaient, sur les

flancs avec au fond de leur cœur, la même loyauté ainsi

qu’une détermination inébranlable. Le bonheur et

Le serment de Salermnos : 63

Le serment de Salermnos

l’espoir n’avaient pas encore quitté Formalow. Un des

Aides du Penseur Eternel, à la vue du grand Elfe et de

son armée s’avança paisiblement vers Haran et s’inclina

devant lui. Il accueillit amicalement le Seigneur

Sylvain. Les Esprits Jardiniers n’étaient heureusement

pas corrompus. Alors, les deux grands de ce monde

échangèrent leurs informations.

- Seigneur des Elfes, commença l’Arbre Marchant,

notre maître a failli. Serianos, consumé par la colère, la

haine et le mépris est tombé dans les ténèbres. Il a

utilisé ses vastes pouvoirs pour asservir les gens

d’Ampar et désormais, ils se préparent à descendre des

montagnes pour atteindre la Silérie, la détruire puis

enfin, partir vers le Nord du Monde et s’emparer de la

Reine Sylvania.

- Avons-nous une chance d’arrêter ce monstre et sa

légion ? Demanda simplement le vieux monarque.

- Ni vous, ni nous ne sommes encore susceptibles

d’affronter le pouvoir de Thanator, répondit l’Esprit

Forestier. Il dispose toujours de sa force et si sa

puissance de création a disparu quand il s’est voué au

mal ses capacités de destruction restent immenses.

Votre armée est belle Mon Seigneur, mais elle ne

pourrait s’opposer aux desseins de Serianos qu’en

utilisant les ressources magiques à la conquête

desquelles, Sylvania est partie dans le Septentrion de

Formalow.

Le serment de Salermnos : 64

Le serment de Salermnos

- Nous devons protéger « l’Océan d’Herbe

Fleurie » déclara fermement Haran. Dussé-je lancer

toutes mes forces contre Gaurtlung seul, je ne peux pas

abandonner la charmante contrée de mes amis forgerons

à la folie de ce tyran.

- Il nous reste un petit espoir, admit l’Esprit

Jardinier. Les forces du mal et leur chef ne disposent

que d’une voie pour atteindre directement la Silérie.

Celle-ci suit l’étroite Combe des Elfes Géants. Si nous

nous massons tous à l’endroit où cette vallée

enchanteresse débouche sur les forêts du Bout du

Monde, Messire, malgré toute sa force et celle de ses

esclaves, Thanator ne parviendra pas à déborder notre

armée. Nous ne le vaincrons peut-être pas, mais nous

l’immobiliserons longtemps dans les montagnes. Ainsi,

Dame Sylvania aura peut-être le temps d’acquérir la

sagesse magique qu’elle cherche dans la Taïga du Nord,

puis, de venir à notre secours avant que la troupe

maudite ne découvre un moyen de nous contourner par

un autre passage.

- C’est une bien maigre lueur dans l’ombre qui

nous menace, Maître, fit Haran. Pourtant nous devons la

tenter. Je fais mettre en marche mon armée, nous avons

dans nos chariots et dans nos rangs, les outils et surtout,

les fiers artisans nécessaires pour bâtir une forteresse

afin de fermer cette Combe, serez-vous à nos côtés avec

vos amis ?

Le serment de Salermnos : 65

Le serment de Salermnos

- C’est notre devoir de chasser le mal de Formalow

assura l’Aide du Penseur Eternel. Nous vous aiderons

de toute notre âme.

La grande légion des forces du bien se regroupa

bientôt à l’Orée de la Forêt. Les Arbres Marchants se

joignirent à l’immense phalange dont la puissance

semblait invincible. Mais grande est la capacité

d’aNéantir des ténèbres et toute cette bonne volonté ne

suffirait peut-être pas à contenir Gaurtlung et ses

esclaves.

Le serment de Salermnos : 66

Le serment de Salermnos

- X -

Sylvania et Gémildan se tenaient devant la tente

qu’ils avaient fait dresser au-dessus du camp de leur

peuple.

La multitude qui les avait suivis dans leur marche

vers le royaume du Nord-Ouest, s’était déployée autour

de la colline qu’ils avaient choisie pour s’installer

pendant cette escale. Dans la plaine, entre les grands

arbres de cette forêt septentrionale, le camp des

compagnons de la reine Elfique et du prince Silérien,

était soigneusement agencé. La nature était respectée

par le positionnement des abris et partout, des pâturages

avaient été prévus pour les licornes fourbues par le long

voyage qu’elles venaient d’accomplir.

Sur le plus haut piquet de la tente des souverains,

la bannière des forêts et de la lande des forgerons

réunies, flottaient dans le vent du soir. La saison était

encore belle et la soirée était douce. Gémildan regardait

sa bien-aimée de ses yeux verts, pétillants. Ils venaient

tous les deux de terminer leur repas et maintenant, ils

contemplaient, assis côte à côte sous l’auvent de leur

abri, le paysage splendide qui s’étendait sous leurs

yeux. Le Prince demanda d’abord l’autorisation à sa

promise, puis, il alluma sa pipe tout en déclarant :

Le serment de Salermnos : 67

Le serment de Salermnos

- Ma Dame, j’espère que nos éclaireurs rentreront

demain pour nous annoncer une bonne nouvelle. Il

lança vers le ciel un rond de fumée bleuté.

- S’ils ont trouvé les Esprits Jardiniers, mon doux

Seigneur, expliqua-t-elle en prenant la main de son

interlocuteur, ils auront appris où se trouvent les

clairières magiques.

- Toutes mes prières souhaitent que nous

parvenions à atteindre un de ses sites merveilleux Ma

Reine d’Amour, assura Gémildan.

Le Seigneur des Forgerons était très beau. Son

corps puissant, solidement charpenté et musclé faisait

honneur au peuple dont il était issu. Même lorsqu’il

pratiquait l’art de fumer, une habitude que les Silériens

avaient contractée durant les veillées d’été, dans les

villages de leur contrée, il avait une allure noble et

distinguée. La fermeté de sa main douce et pourtant

puissante, façonnée pour travailler l’acier, était

rassurante dans celle légère et caressante de Sylvania.

- Si je perçais les secrets des clairières de

puissance, déclara la jolie Elfe, nous serions pour

toujours hors de portée des ténèbres et du mal, mon

chéri. Je bâtirais alors un royaume solidement protégé

par des murs invisibles, infranchissables pour tous les

serviteurs de la nuit. Si par hasard, il existait une faille

dans cette aura magique, nous aurions alors la force et

l’endurance des Silériens alliées à celles des Elfes

Géants pour la combler. Puis, le savoir-faire de nos

Le serment de Salermnos : 68

Le serment de Salermnos

ingénieurs ainsi que l’habileté de tes forgerons

appuieraient sans faiblir le courage et la rigueur de nos

peuples réunis.

- En écoutant tes projets, j’ai peur de l’avenir,

admit Gémildan. Tu as sans doute reçu, en héritage, la

sagesse de ton père. Il se pourrait bien que tes craintes,

celles que tu essaies d’exorciser en échafaudant la

future défense de ton Royaume, ne soient que des

visions d’avenir, fruits de la prescience de ton espèce.

Que vois-tu pour nous ? Avons-nous un avenir à vivre ?

Notre amour aboutira-t-il ?

- Bien sûr mon Aimé, assura Sylvania. Mais la

création de notre Royaume nous coûtera de longues

années et de dures souffrances. C’est notre destin et

nous ne pouvons, en aucun cas, échapper à celui-ci.

Les trompettes des Elfes retentirent dans le Nord

du camp. Une cavalcade de puissants chevaliers des

deux peuples s’arrêta devant les sentinelles qui barraient

le passage. Les éclaireurs revenaient de leur exploration

de la forêt boréale. Ils avaient rencontré les Esprits

Jardiniers de la forêt. Après avoir longuement palabré

avec ces gardiens divins, les soldats souhaitaient

apprendre à leur prince ainsi qu’à leur princesse, les

nouvelles qu’ils avaient recueillies.

Il existait beaucoup d’espoir dans les récits qu’ils

rapportaient, mais, il y avait aussi une effrayante part de

ténèbres que le courage et la magie du peuple de

Sylvania et de Gémildan, pourraient, peut-être, chasser.

Le serment de Salermnos : 69

Le serment de Salermnos

Avant tout, c’est avec une joie et un soulagement

non dissimulés que les deux Seigneurs entendirent la

description des clairières catalysant les pouvoirs

mystérieux de la Reine Elfique. Dans le Nord du Monde

de Formalow ainsi qu’à la frontière de la Silérie, ces

endroits enchanteurs et enchantés, baignés d’une

lumière douce, rayonnant aussi d’une bienfaisance

indéfinissable, leur avaient été indiqués par les

Jardiniers du Penseur Eternel. La plus gigantesque

source de magie se situait dans le Royaume vierge que

recherchaient Sylvania et son Prince de cœur. D’autres

se trouvaient dans toutes les terres sauvages

septentrionales. Il fallait, pour maintenir et renforcer

l’aura protectrice de ces puits de magie, que les Elfes

ainsi que les Silériens, les atteignent puis les aménagent

avant les représentants du Néant et du Mal. Si ces

derniers s’emparaient d’une de ces oasis de puissance,

ils en fermeraient l’accès jusqu’à la perversion totale du

pouvoir qui y régnait. Ils en tireraient également une

indestructibilité quasiment infinie, à moins qu’ils ne

franchissent, dans leurs méfaits, les limites absolues

fixées par le Grand Concepteur, depuis le début des

temps, au libre-arbitre.

C’était les bonnes nouvelles, donc. Les clairières

merveilleuses ainsi que le Royaume Boréal existaient et

maintenant, Sylvania, Gémildan et leur peuple savaient

s’y rendre. Mais, une sinistre rumeur courait également

les vastes étendues du Nord de Formalow.

Le serment de Salermnos : 70

Le serment de Salermnos

Thanator avait sombré. Ses gigantesques pouvoirs

créateurs étaient désormais consacrés au Néant et aux

ténèbres. Il avait levé une légion d’esclaves. Il

s’apprêtait à déferler sur le Monde. S’il franchissait les

barrages dressés par Haran et les forgerons-paysans de

« l’Océan d’Herbe Fleurie », le mal atteindrait bien vite

les puits du pouvoir. Mais, les chevaliers Elfiques et les

Silériens étaient capables de retarder l’avance du

monstre accompagné de ses âmes damnées. Sylvania

aurait peut-être le temps d’atteindre les clairières, de les

abriter par de formidables enchantements, puis de

rejoindre la Vallée du Nord-Ouest, afin d’y construire

une forteresse contre le mal. Sinon, c’est pied à pied que

les défenseurs de la lumière protégeraient leur

indépendance ainsi que leur intégrité contre la volonté

destructrice des ténèbres.

Gémildan regarda Sylvania après avoir écouté les

récits des éclaireurs. Les deux jeunes souverains

devaient faire très vite pour construire les protections

magiques des clairières enchantées des terres sauvages

du Nord ainsi que celles de leur futur Royaume. Ils

décidèrent d’appeler ce sanctuaire, qu’ils trouveraient

bientôt : « Nabachton ». Ils en feraient la forteresse des

peuples libres, attachés au Seigneur de l’Univers.

Le serment de Salermnos : 71

Le serment de Salermnos

- XI -

Haran et les Seigneurs de sa maison regardaient la

cime embrumée de la Montagne de l’Ombre.

Avec une ingéniosité et une persévérance

extraordinaire, les petits Elfes et les Silériens avaient

monté de magnifiques et solides remparts qui barraient

la passe de Castel-Elfes au pied des pics sur le Bout du

Monde.

Ces hauts escarpements, autrefois ensoleillés par la

lumière du Midi de Formalow, avaient désormais un

aspect sinistre et froid. La plus élancée et élevée des

aiguilles immenses de cette chaîne, abritait Gaurtlung et

ses maudits. Depuis qu’ils étaient basculés dans la nuit

du cœur et des âmes, ces derniers avaient déployé leurs

maléfices pour construire là, une tour qui rivalisait en

taille et en effroi avec la montagne sur laquelle elle était

bâtie.

Cette demeure n’était jamais éclairée par le soleil

car un nuage noir et opaque la recouvrait en

permanence. Une industrie sinistre et polluante

permettait à Thanator de forger des glaives ainsi que des

armures. Il se livrait aussi à de coupables exercices de

magie pour créer une armée encore plus grande et plus

forte. Il donnait naissance à des hordes d’esclaves

Le serment de Salermnos : 72

Le serment de Salermnos

monstrueux qu’il générait depuis la boue des glaciers de

la montagne. Ces soldats, insensibles à la douleur,

peureux mais cruels, étaient fait à l’image des Elfes que

l’esprit des forêts, devenu maléfique, avait attirés dans

ses filets. Avili par les ténèbres qui habitaient leur

esprit, le corps même des esclaves du Mal, était marqué

par cette infamie. Mais leur nombre grandissait et si,

tels leurs glaives et leurs cuirasses, ils ne possédaient

pas de grandes qualités, il leur restait la haine et le

dégoût qu’ils inspiraient comme armes destructrices et

alliés infaillibles.

Haran, le vieux Roi sylvain, parcourrait les

remparts qu’il faisait bâtir, toute la journée. Il prodiguait

les conseils et les encouragements à ses ingénieurs et

ses maçons, tandis que des troupes détachées de son

armée voyageaient dans les forêts du Sud, afin de

distribuer des vivres et d’aider les Elfes de cette région

dévastée par la colère de Gaurtlung. Chaque fois, le

nombre de ses fidèles combattants grandissait. Les

jeunes Seigneurs Elfiques des Montagnes du Bout du

Monde, après avoir participé à la remise en état des cités

et des bourgades de leur peuple, rejoignaient la force

principale des nations refusant la domination du Néant

et des Ténèbres, puis, se dressaient aux côtés du Roi

dans la passe de Castel-Elfes.

Ils voulaient tous barrer la route aux maudits. S’ils

ne pouvaient pas le détruire, ils tenaient à l’empêcher de

répandre ses armées malfaisantes sur Formalow. L’épée

Le serment de Salermnos : 73

Le serment de Salermnos

à la main, la ferveur dans le cœur, ils se sentaient

déterminés comme jamais, depuis, aucune créature

pensante ne le fut.

Les Silériens eux-mêmes, descendaient de leurs

landes pour grossir les rangs du Roi Haran. Les

forgerons-paysans, emplis de sagesse et de bon sens,

n’ignoraient pas que le danger ne resterait pas localisé

dans le Sud du Monde, si personne ne l’y confinait.

En ce temps-là, la plus gigantesque armée jamais

réunie se regroupa dans les vallées des Monts du Bout

du Monde. Un million et demi d’Elfes et de Silériens

verrouillaient le passage principal que devait emprunter

Gaurtlung pour déferler sur Formalow. Mais le même

nombre de défenseurs s’étaient répartis le long des

contreforts et tenaient chaque petit accès aux sommets

épouvantables, devenus le Domaine des Maudits. Une

grande bataille de la guerre éternelle que se livrent le

bien et le mal à travers les Cycles des mondes, se

préparait gravement dans chaque camp.

L’ancien Esprit Jardinier avait détourné le savoir et

la puissance de la chaleur pour produire les outils

nécessaires à la domination des ombres et de la terreur.

Si les forgerons Elfiques et Silériens ne chauffaient

l’acier, pour le fondre et le façonner, qu’avec des

cristaux de puissance, Gaurtlung et ses esclaves avaient

creusé de profondes excavations dans les montagnes

pour en extraire une pierre noire, brûlant en dégageant

une forte température ainsi que des gaz nauséabonds.

Le serment de Salermnos : 74

Le serment de Salermnos

Les tours du repaire infernal des Maudits se

couronnait continuellement, depuis qu’ils étaient

installés dans les Monts du Bout du Monde, de vapeurs

sinistres, opaques et suffocantes. Ces nuées infectes,

occultaient les rayons du soleil de Formalow. La nuit,

pourtant, quand les deux lunes de cet univers brillaient

dans le ciel, une déchirure écartait le rideau d’infamie

flottant au-dessus de la forteresse de Gaurtlung. Le

rayonnement des astres nocturnes frappait alors avec

force les toits des innombrables forts, barbacanes

couvertes et bastions, élevés par les esclaves des

ténèbres.

Ceux-là restaient tous, autant qu’ils étaient, issus

de la création primitive. Leur puissant Maître avait

perverti et avili leur essence même, mais, il n’avait pas

pu créer la vie. Les soldats qu’il générait par la plus

effroyable des magies interdites, dans la boue, se

développaient d’abord, à partir du sang des Elfes de la

Maison que Thanator avait initiés à l’amour du Néant.

Pourtant, tous ces démons, aussi noirs qu’ils

pouvaient l’être, ne vivaient pas sans lumière, sans

chaleur et sans eau. Le faible halo des lunes leur était

vital, même s’ils le détestaient au point de ne pas

pouvoir le regarder directement. Les rivières

souterraines les plus profondes, les plus glacées, aux

ondes les plus noirâtres, coulant sournoisement au fond

des cavernes oubliées de la montagne, les abreuvaient,

leur évitant une mort certaine. Pourtant, les maudits et

Le serment de Salermnos : 75

Le serment de Salermnos

leurs légions, étaient prêts à souiller les grands fleuves

ensoleillés du Monde. Les vastes troupeaux de

mouflons et de chamois sauvages qu’abritaient les

contreforts boisés des monts méridionaux, fournissaient

aux serviteurs de Gaurtlung une partie de leur

nourriture. Ils complétaient cette manne par la chair de

créatures perverties élevées dans la nuit des galeries

dont ils ravageaient le sous-sol du Sud de Formalow.

Ceux qui se vendaient aux ténèbres et au Néant,

n’échappaient en aucun cas à leur condition. Ils avaient

été des enfants de la création et s’ils en avaient perdu la

bonté et la beauté, ils dépendaient toujours des bienfaits

du Monde.

Une colonne de Silériens, souples, vigoureux et

infatigables, s’avança un matin d’été jusqu’aux

frontières du Domaine de Gaurtlung. Les petits

forgerons-paysans possédaient une volonté d’une force

exceptionnelle. Ces derniers n’hésitaient pas à aller

jusque sous l’ombre des fumées industrielles du

Monstre pour surveiller celui-ci.

Les alliés d’Haran s’aventurèrent jusqu’à voir les

détails des allées et venues qui se produisaient aux

portes principales de la forteresse fondée par Gaurtlung.

Or, ils découvrirent que des patrouilles de Korrigans, les

soldats du Seigneur Maudit, revenaient des hautes cimes

alentours, en transportant avec soin, des caisses d’œufs.

Ils dérobaient ceux-ci dans les nids des grands aigles

qui vivaient sur les sommets du Bout du Monde, sans

Le serment de Salermnos : 76

Le serment de Salermnos

aucun doute. Mais, que voulaient donc faire ces

monstres avec la progéniture des Oiseaux Sacrés du

Penseur Eternel ? Quel était leur dessein maudit ? Il

était peu probable que les esclaves de Gaurtlung s’en

nourrissent. Ils ne les auraient pas transportés avec

autant de précautions et, de plus, il y avait bon nombre

d’autres oiseaux dans cette région, dont il était moins

dangereux d’attaquer les nids. Les aigles de ces

hauteurs étaient les messagers des Esprits Jardiniers et

les cruels combattants du Damné, si nombreux soient-ils

pour accomplir de tels larcins, devaient agir par ruse

pour ne pas être balayés par les puissants et rapides

coursiers aériens de Formalow.

Ils se tramaient, derrière cette malfaisance féroce

des Korrigans, quelques nouvelles tentatives ignobles

de Gaurtlung pour renforcer ses armées. Les éclaireurs

Silériens le ressentaient au fond de leur cœur. Ils leur

fallaient étudier encore l’activité des troupes de démons,

puis, rapidement redescendre à Castel-Elfes afin de

prévenir le Roi Haran des nouveaux dangers que

forgeaient les Maudits dans les ténèbres épouvantables

de leur antre. Malheureusement, ils ne parvinrent pas à

percer l’écran des murs de la forteresse de Gaurtlung.

Le mystère et la portée de ses implications périlleuses

resta une inquiétude abstraite pour les forces d’Haran.

Le destin des jours à venir se jouait pourtant dans

la curieuse activité des Korrigans et de leurs maîtres

effroyables. Thanator un jour sombre, encore plus

Le serment de Salermnos : 77

Le serment de Salermnos

ténébreux que les autres sur les sommets des Monts du

Bout du Monde dominés par le Mal, réunit son

monstrueux état-major et déclara :

- Ce matin, avant l’aube même, j’ai produit le plus

puissant de nos alliés. A partir des œufs d’aigles que ces

gorets de Korrigans nous ont ramenés, j’ai généré deux

des plus puissantes et des plus destructrices créatures

que nous pourrons envoyer balayer les Sylvains et les

ridicules petits ferrailleurs de Silérie. Malheureusement,

pour que les spécimens forgés par ma magie, s’animent,

couvent les autres œufs que j’ai pervertis et terrorisent

nos adversaires, je dois leur insuffler la vie. Nous nous

emparerons des clairières de puissance du Nord afin que

je puisse accomplir cette tâche. Nous dominerons ainsi

Formalow et j’offrirai à notre cause, l’âme de la

Princesse Sylvania, dès que nous aurons écrasé ses

misérables gardes du corps.

- Mais Seigneur, quel est notre nouvel allié ?

Demanda un des lieutenants de Gaurtlung, emplit de

déférence et d’inquiétude.

- Je me demande ce que cela peut bien te faire,

chien ! S’emporta l’orgueilleux monstre maudit. Mais je

vais te le dire. J’ai généré un être volant gigantesque qui

pourra porter de nombreux soldats, très loin, sur son

dos. Il a plusieurs têtes et peut imposer sa volonté, qui

n’est qu’un écho de la mienne, aux esprits faibles et

serviles. Bientôt, vermines rampantes ! Devant les

légions de vos innombrables serviteurs, des milliers de

Le serment de Salermnos : 78

Le serment de Salermnos

Léviathans survoleront les Elfes et les Silériens en les

faisant trembler d’effroi. Les fiers guerriers de Haran

fuiront à toutes jambes plutôt que d’affronter mes

hydres volantes.

- Gloire à vous Mon Seigneur ! Scandèrent tous les

monstres liés à jamais au destin de Gaurtlung.

- Avant de se réjouir et de vous livrer à vos

obscènes acclamations, sinistres lâches ! Il faut que

nous quittions cette forteresse et que nous marchions

vers le Nord. Les Sylvains et les forgerons ont fermé la

principale route accédant aux sommets du Bout du

Monde. Lâchez notre armée contre les remparts

ridicules de ces insectes ! Tuez et torturez nos

adversaires jusqu’au dernier. Brisez le barrage dans le

sang et la terreur ou bien c’est moi qui vous briserai.

Allez chien !!!

Le signal de la première guerre de ce Cycle venait

d’être donné. Des hordes de démons dirigés par les

anciens Elfes avilis, se ruèrent en colonnes

innombrables sur les sentiers de la Montagne. Ils

dévalèrent les hauteurs vers la passe de Castel-Elfes

dans une cohue indescriptible. Les créatures maléfiques

se comptaient par centaines de mille. Elles formaient un

bélier compact de chaire noire, frémissante, jetée contre

les fortifications d’Haran.

Dans les virages escarpés des sentes en lacets du

Bout du Monde, les Korrigans maladroits, bousculés par

leurs congénères tombaient dans les précipices en

Le serment de Salermnos : 79

Le serment de Salermnos

hurlant, à chaque mouvement désordonné de leur

multitude. Mais leur nombre semblait infini. Ils

paraissaient surgir des ténèbres au fur et à mesure qu’ils

se blessaient ou bien se tuaient dans cette fantasia

cauchemardesque.

Dans l’aube sinistre qui suivit la formidable

descente des monstres vers la vallée, un spectacle

effarant fut offert par les derniers promontoires rocheux,

dressés au-dessus des fortifications de Haran. Sur

plusieurs lieues de large, à quelques centaines de pieds

des défenses de Castel-Elfes, la crête des escarpements

étaient noires de soldats monstrueux. Devant eux, se

tenaient orgueilleusement, dans son armure noire de

haine : Gaurtlung le Maudit. Il était venu en personne

assister ses serviteurs dans leur vile besogne, à coups de

fouet et de pied, si le besoin s’en faisait sentir…

Le serment de Salermnos : 80

Le serment de Salermnos

- X -

Sylvania venait de s’effondrer dans les bras de

Gémildan. Elle avait déployé tant de force spirituelle en

analysant l’empreinte magique de cette clairière, au

nord de la Silérie, qu’elle n’avait plus d’énergie.

La Princesse forestière et son fiancé avaient visité

tous les puits de bienfaisance qui leur avaient été

indiqués par les Esprits Jardiniers du Septentrion. La

belle Elfe avait découvert chaque source de magie et

avait ordonné des constructions mégalithiques destinées

à canaliser ces ondes bénéfiques. Désormais, Sylvania

savait comment identifier celles-ci. Elle connaissait

également les moyens de rendre les actions de ces flux

de puissance pérennes tant que son peuple durerait.

Maintenant, il restait trois clairières que le peuple

de Gémildan et de la Reine Elfique n’avaient pas encore

visité et protégé par de puissants enchantements

défensifs. La principale, sans doute l’origine de toutes

les autres prairies merveilleuses, était en plein cœur de

Nabachton.

Comme Sylvania venait de tomber de fatigue, que

la Vallée merveilleuse dans laquelle voulait s’établir les

deux amoureux avec leurs fidèles, n’était facilement

accessible par la plaine boréale, et surtout, que les deux

Le serment de Salermnos : 81

Le serment de Salermnos

autres puits de pouvoir étaient mineurs et très distants

dans l’Est, Le Prince des paysans-forgerons constatant

que les sorts protecteurs avaient été mis en œuvre

autour de la dernière clairière visitée, mais aussi, que les

bâtisseurs étaient déjà au travail pour élever les

monuments mégalithiques d’amplification, il décida que

dès l’aube, sa future épouse et lui se rendraient à

Nabachton pour sécuriser la source d’énergie

bienfaisante de leur Royaume promis.

Le souverain Silérien lança à travers le Nord, des

pigeons de feu, les messagers de « l’Océan d’Herbe

Fleurie », pour qu’ils apportent aux bâtisseurs et aux

soldats qui les escortaient, éparpillés dans toute la forêt

septentrionale de « Formalow », les coordonnées de leur

prochain ralliement.

Gémildan n’ignorait pas qu’il prenait un certain

risque en délaissant les puits de bienfaisance de l’Est, si

faibles soient-ils, en attendant le rétablissement des

pouvoirs de sa Princesse. Mais il était impossible, pour

elle, de continuer la quête des ondes magiques sur des

surfaces aussi vastes, sans avoir repris des forces dans

une retraite douillette. Or, Nabachton possédait un

climat serein et surtout, une multitude de berges, de

champs, d’étangs, au bord desquels il ferait bon

s’installer. Le peuple vigoureux et ingénieux des deux

jeunes souverains, construirait rapidement les douces et

luxueuses demeures ainsi que les défenses de leur

nouveau pays.

Le serment de Salermnos : 82

Le serment de Salermnos

La nuit tombait et tandis que Sylvania se reposait

dans les bras du Silérien, ce dernier se demandait s’il

avait fait le bon choix, mais en avait-il d’autres ? Il

regardait le visage rayonnant mais creusé par

l’épuisement, de la beauté Elfique qui sommeillait en

respirant faiblement dans le creux de son coude. Non, il

n’avait pas le courage de lui en demander plus pour le

moment, mais, sachant exactement les lieux où se

trouvaient les clairières de l’Est, Gémildan était en

mesure d’y envoyer deux solides phalanges d’Elfes

Géants et de vigoureux Silériens pour défendre ses

endroits merveilleux, pendant que Sylvania récupérait

ses pouvoirs.

Le serment de Salermnos : 83

Le serment de Salermnos

- XI -

Les armées de Gaurtlung ressemblaient

certainement à un océan en fureur, Mais les remparts de

Castel-Elfes étaient aussi hauts et solides que les

falaises granitiques du Golf de Salermnos.

Les murs dressés par Haran et son armée

dominaient la vallée et se hérissaient d’archers

Silériens, d’Elfes Géants aux glaives interminables,

tranchants comme des rasoirs et de machines de guerre

à la colère destructrice.

Les hordes de Thanator étaient stupéfiées par le

spectacle qu’elles découvraient devant elles. Le Maudit

lui-même paraissait impressionné par l’efficacité des

Sylvains et des Silériens qui avaient si rapidement bâti

une telle forteresse.

Si la multitude des Korrigans allait peut-être bien

se briser contre ces fortifications comme les lames de la

mer sur les rochers du littoral, Gaurtlung par sa

puissance infinie, bien que sa condition soit diminuée

depuis sa trahison, était certainement capable de

traverser encore les lignes du Roi Haran.

Cela ne lui serait pourtant pas facile car les légions

de Sylvains et de Paysans-Forgerons, étaient bien

décidées à tenir la vallée envers, et contre tout.

Le serment de Salermnos : 84

Le serment de Salermnos

Le vieux Seigneur Elfique, du haut de ses

remparts, lança un dernier appel à la raison vers son

adversaire :

- Seigneur Thanator, essayez de vous raisonner. Il

est encore possible d’éviter l’affrontement et de rétablir

la paix. Retirez vos armées et venez parlementer avec

moi…

Mais le monstre était perdu à jamais pour les rangs

du bon sens.

- Espèce de vieux fossile ! Tonna-t-il. Te crois-tu

assez sage ou bien assez fou pour défier un Esprit

Jardinier. Regarde l’armée qui te fait face, et je peux en

faire venir encore autant, d’un simple geste. Es-tu

certain que je ne passerai pas si je le veux ? Estimes-tu

que ma volonté peut être contrariée par des créatures

aussi faibles que toi et tes alliées ?

- Thanator, répondit calmement le Basileus

Elfique, si vous lancez la première attaque vous serez

maudit à jamais, à travers tous les cycles de l’Univers.

Votre nom sera pour l’Eternité : Gaurtlung, à moins

qu’il ne disparaisse pour être remplacé par l’ombre de

ce que vous prétendez être. Je vous en prie, vous étiez

parmi les plus grands de Formalow, ne sombrez pas plus

en avant.

- Je ne sombrerai pas, insignifiant insecte ! Gronda

le Maudit. C’est, avec mes armes à la main, que je vais

balayer ton orgueil et ta mièvrerie.

Le serment de Salermnos : 85

Le serment de Salermnos

Il leva son épée, puis, hurla à l’attention de ses

troupes qui frémissaient, comme prises d’effroi à l’idée

du choc cataclysmique allant bientôt ébranler la vallée :

- Attaquez vermines ! Massacrez ces

présomptueux ! Torturez-les jusqu’à ce qu’ils se tuent

de douleur ! Sinon, c’est à vous que je ferai subir leur

sort !

La formidable légion de démons dévala alors, en

vociférant, les pentes qui se dressaient de chaque coté

de la Vallée.

Le serment de Salermnos : 86

Le serment de Salermnos

- XII -

Sylvania baignait dans la lumière diffuse et

ondulante d’un puits de bienfaisance. Il était le plus

généreux de tout Formalow.

La force mentale de la Princesse était multipliée à

l’infini. Avec Gémildan qui se trouvait à ses côtés, ils

construisaient seuls les mégalithes amplificateurs. Des

pierres de cent tonnes s’extrayaient, sans l’intervention

d’ouvriers, des carrières naturelles, perdues dans les

montagnes de Nabachton. Elles se taillaient sans

compagnon sculpteur, en virevoltant hors de tout appui,

dans les airs puis, elles se polissaient et s’affinaient

dans un fracas de banquise déchiquetée par le

printemps. Enfin, elles volaient au-dessus d’un parcours

de dizaines de lieues afin de venir prendre leur place

dans la vivifiante clairière magique de Nabachton.

L’énergie fabuleuse des peuples de ces deux

charmants souverains allait être centuplée par les

nouveaux pouvoirs de leurs monarques. Même le Prince

Silérien, dans un lieu comme ce puits d’énergie

magique, installé extraordinairement au cœur du

nouveau royaume de Nabachton, devenait un sorcier à

la puissance hallucinante. Tandis que s’aménageait,

dans une ambiance irréelle, la clairière miraculeuse de

Le serment de Salermnos : 87

Le serment de Salermnos

cette vallée fertile, perdue au Nord-Ouest du Monde,

au-delà d’une petite chaîne de montagnes escarpées, de

grands aigles apparurent à la limite des contrées

boréales.

Ils avaient volé depuis le midi de Formalow pour

trouver Sylvania, car, dans la Combe de Castel-Elfes,

depuis près d’une semaine, les armées des peuples libres

unis, se battaient contre les légions du Maudit. Mais si

leur courage et leur détermination ne faiblissaient pas,

leurs forces s’amenuisaient lentement.

Les nombreux fidèles d’Haran tenaient bon.

Gaurtlung était hors de lui, il n’avait pas pu franchir les

portes des remparts. D’innombrables Elfes et Silériens

étaient tombés sous les coups monumentaux de l’Esprit

déchu. Des milliers de Korrigans morts s’entassaient

dans les failles des contreforts de la montagne, au pied

des remparts. Des nuées de flèches noircissaient

régulièrement le ciel flamboyant au couché du soleil,

puis, dévastaient inlassablement les rangs des maudits.

Les immenses roches, arrachées aux carrières, jetées

avec une force inouïe par les machines de guerre,

jonchaient la Combe, entassant dans les sillons qu’elles

creusaient en s’écrasant à terre, les cadavres broyés de

leurs victimes.

Les beaux remparts d’Haran, du côté de la guerre,

étaient noircis par le feu, craquelés par les coups de

bélier ainsi que les impacts des projectiles envoyés par

les Korrigans et pourtant, Castel-Elfes et le vieux Roi

Le serment de Salermnos : 88

Le serment de Salermnos

Sylvains étaient toujours debout. Ils barraient

fermement le chemin du Démon.

Vingt fois ce dernier s’était rué sur les portes de la

forteresse. De toute sa masse géante, il avait frappé sur

les battants d’airain. Le métal grinçait, se déformait,

mais ne se déchirait pas et ne quittait pas les gonds qui

le scellaient aux murs. Pour se battre, Gaurtlung, n’avait

plus que sa force physique infinie et son influence

néfaste sur les esprits faibles. Il avait livré trop de lui-

même pour animer ses légions. C’est d’ailleurs pour

cette raison qu’il devait se rendre dans les clairières

magiques du Nord afin d’engendrer la vie de ses

escadres de Léviathans.

C’est ainsi qu’une lourde porte de métal pouvait le

retenir. Le monstre qui avait été Thanator ne pouvait

pas encore mourir. Cependant, il était irrémédiablement

lié à l’enveloppe physique qu’il s’était choisie. Aussi, il

souffrait maintenant des coups qu’il recevait et des

blessures que les combattants d’Haran lui infligeaient.

Malgré ce succès inespéré contre la créature

déchue la plus puissante de Formalow, les forces des

Nations libres vacillaient. L’épuisement était à son

comble pour elles, et, tant de braves étaient tombés

glorieusement que les remparts de Castel-Elfes

risquaient de se dégarnir dangereusement.

Alors, le Roi pensa que, si Gémildan et Sylvania

avaient découvert des sources pour alimenter la

puissance magique naturelle de la Dame Elfique, ils

Le serment de Salermnos : 89

Le serment de Salermnos

devaient impérativement aider leurs amis. Entre deux

combats, Haran confia un message d’appel au secours

aux aigles pour que ces grands oiseaux le porte à sa

fille, dans le Nord du Monde.

Le serment de Salermnos : 90

Le serment de Salermnos

- XIII -

Sylvania observait le Sud, depuis la corniche sur

laquelle, son peuple avait commencé de construire le

palais de leurs souverains.

A ses côtés le grand aigle messager attendait la

réponse de la Dame Elfique. Elle prit la main de son

Prince, puis, elle fixa l’oiseau de son beau regard décidé

et lui déclara :

- Seigneur des créatures ailées, va dire à mon Père

que ce soir, il devra mettre ses troupes à l’abri derrière

ses remparts. Ses compagnons seront en danger, s’ils

restent sur le chemin de ronde de Castel-Elfes après la

septième heure de la soirée, car nous allons déployer un

sortilège très puissant pour repousser ses agresseurs,

mais, ses hommes risquent d’en être affectés s’ils se

tiennent à proximité de leurs ennemis. Aurez-vous le

temps de rejoindre les Monts du Bout du Monde avant

que nous ne lancions ce pouvoir ?

- Bien sûr, Votre Majesté, assura l’immense aigle.

Puisse, la force de votre volonté sans tache, repousser

les maudits ! Nos couvées ont subi de terribles dégâts de

leur part, au cours des derniers mois. Nous ne savons

pas vraiment ce que prépare Gaurtlung, mais, cela ne

doit être particulièrement atroce.

Le serment de Salermnos : 91

Le serment de Salermnos

- J’en ai peur mon ami, murmura Sylvania.

- Ma Reine, permettez-moi maintenant,

d’accomplir la mission que vous m’avez donnée,

sollicita l’immense oiseau.

La jolie Elfe acquiesça et fit une révérence comme

salut à l’attention de son précieux allié. Quand ce

dernier eut pris son vol et fut hors de portée du regard

des guetteurs Elfiques eux-mêmes, elle déclara à son

Prince :

- Mon amour, nous allons devoir faire un immense

effort spirituel ce soir, pour sauver nos camarades qui se

battent dans la Combe de Castel-Elfes. Nous ne

pouvons pas leur envoyer une armée de secours. Elle

mettrait trop de temps à les rejoindre et, de toute façon,

elle ne parviendrait qu’à retarder l’aNéantissement de

notre cause. Nous déploierons donc la magie amplifiée

par la Clairière de Puissance de Nabachton. Ainsi, nous

parviendrons certainement à repousser nos ennemis.

- Je conjuguerai ma volonté à la tienne, Ma

Souveraine. Mais, l’effet de la force que nous

déploierons, sera-t-il suffisant pour arrêter

définitivement le Maudit ?

- Nous mettrons la Combe hors de danger pour un

très long moment, assura Sylvania. Nous emploierons

cet intervalle de calme pour renforcer notre maîtrise de

la magie. Ainsi, dès la prochaine agression des forces

ténébreuses, nous serons en mesure de lui faire face

avec plus de précision et d’impact. Pour le moment,

Le serment de Salermnos : 92

Le serment de Salermnos

nous ne devons pas en demander plus à nos nouveaux

pouvoirs.

- Je comprends, fit Gémildan, mais combien des

nôtres sont tombés depuis le début de la bataille ? Leur

perte ne servira-t-elle qu’à obtenir un délai de grâce

avant le prochain combat. Ne vivrons-nous donc plus,

que pour la guerre et la mort ?

- Il est difficile de savoir comment ce Cycle va

évoluer, mon amour, répondit Sylvania. Le Seigneur

Eternel ignore lui-même le destin de cette création

puisqu’il nous laisse les choix de nos actes. Et puis, qui

sait si nous agissons toujours pour le bien, même si

nous pensons sincèrement le faire ? N’aurais-je pas dû

accepter l’amour de Thanator ? Finalement, mon refus

de l’aimer comme une épouse, a noué l’effroyable

écheveau de malheur qui dévaste le Monde aujourd’hui.

Pour notre sauvegarder la douceur de notre passion, j’ai

mis en danger l’avenir de Formalow et j’ai poussé un

des grands de cet Univers à la déchéance. En avais-je le

droit ?

- Ne pense pas cela, ma Reine, affirma le Seigneur

des Forgerons. Il était un des plus brillants esprits de

pouvoir. Il avait la force d’ignorer l’orgueil et de donner

à son âme, les plus nobles sentiments. Il avait toutes les

chances de garder ton amitié et de séduire une autre

Princesse Elfique, à laquelle, il aurait porté un amour

sans faille. Tu lui avais offert la plus belle amitié.

Comment a-t-il négligé le bijou de ta considération et ne

Le serment de Salermnos : 93

Le serment de Salermnos

pas s’y arrêter pour poursuivre le don de ton cœur

jusqu’à la folie ? Fallait-il qu’il soit corrompu et avide !

- Je ne sais pas, lança avec fatalité la Merveilleuse

Elfe. Mais, que tant de mal soit engendré par tant

d’amour est un mystère qui m’aNéantit et m’obsède. Ce

soir, quand je lâcherai avec toi, la colère des puits de

pouvoir, j’espère bien que rien de ce qui fut bon ne sera

à jamais perdu…

Le serment de Salermnos : 94

Le serment de Salermnos

- XIV -

Les hordes de Gaurtlung grondaient de nouveau,

comme des géants en fureur, derrière le rempart qui

fermait la combe de Castel-Elfes.

La vallée et le versant des montagnes qui

l’encadraient vertigineusement, grouillaient de

Korrigans et d’Elfes déchus, jusqu’à la moitié des

hauteurs. Ces créatures infâmes allaient se jeter

furieusement, une fois encore sur les portes de la

forteresse, afin de les briser. Mais, apparemment, les

monstres démoniaques ne voyaient personne occuper

les mâchicoulis et les bastions ornant le sommet de la

haute muraille.

Leur capitaine Maudit sentait, par le constat de ce

dénuement de défenseurs Elfiques et Silériens, qu’un

danger inattendu le menaçait, lui personnellement et ses

obstinées légions meurtrières. Le temps pressait

pourtant. Il savait déjà que Sylvania, son amour infini

devenu la source de toute sa haine, avait transformé la

plus grande partie des puits de puissance magique, dans

le septentrion du Continent. Il n’en restait que deux à

conquérir, dont un assez puissant, dans l’Extrême Orient

de Formalow. C’était la dernière chance de Gaurtlung.

S’il ne parvenait pas à s’emparer d’une de ses sources

Le serment de Salermnos : 95

Le serment de Salermnos

merveilleuses, il ne retrouverait plus jamais ses

immenses pouvoirs d’autrefois. Il ne serait plus, à

jamais, qu’un esprit malfaisant aux sortilèges haineux

mais dérisoires, face à la résistance spirituelle des Elfes

et des Silériens.

Il avait tant laissé de lui-même dans ses colères

destructrices, dans la génération de la corruption et des

mensonges qu’il avait répandus, sans aucun remord, sur

le Monde pur de Formalow. Aujourd’hui, ce qui faisait

la force des ténèbres dont il était l’inventeur, l’avait

terriblement affaibli personnellement. S’il se

replongeait régulièrement dans le flux d’énergie d’un

puits énergétique du Nord, il pourrait alors agrandir

encore son armée et reconstituer une partie de sa force

magique passée. Certes, il ne serait plus jamais aussi

créateur qu’il l’avait été jadis, mais, il deviendrait le

plus destructeur de tous les êtres pensants de ce Cycle.

Alors, le Maudit décida que toutes ses forces

seraient jetées sur la porte de la Combe cette nuit et que,

tant que Haran et son armée n’auraient pas reculé ou

bien ne seraient pas détruits, Il attaquerait sans relâche

leur rempart. Il bombarderait la muraille qui le défiait en

libérant, du fond de son cœur, une férocité et une

constance effroyable, jusqu’à la fin des jours si cela

était nécessaire.

Dans la nuit qui commençait à s’épaissir, une

rumeur monta de l’ombre des versants de la montagne.

Un grondement produit par des centaines de milliers de

Le serment de Salermnos : 96

Le serment de Salermnos

pieds frappant lourdement le sol, fit vibrer les murs de

Castel-Elfes. Haran grâce à l’horloge hydraulique que

les Silériens avaient construite puis étalonnée sur la

course du soleil, mais aussi, des lunes de Formalow, vit

que la septième heure du soir était venue. Il ordonna

aux défenseurs des remparts qui, les armes à la main,

s’apprêtaient de nouveau à repousser un violent assaut

impitoyable, de regagner les bastions moins élevés qui

encadraient la route serpentant dans la bouche de la

vallée.

Le vieux Roi savait que sa fille et son gendre

allaient bientôt déchaîner leurs pouvoirs magiques

renforcés. Son armée serait bien à l’abri dans les

barbacanes tandis que sur les murs qui barraient la

Combe et au-delà de ceux-ci, la puissance des puits

merveilleux, commandée par les souverains de

Nabachton renverserait dans un fracas effroyable les

hordes de Korrigans et leurs maîtres malfaisants.

Tandis que les troupes de Haran refluaient avec

discipline vers les portes des bastions. Les flèches

noires des maudits s’élevèrent dans le ciel nocturne et

commencèrent à retomber comme une pluie d’orage sur

les arrières-gardes d’Elfes et de Silériens. Malgré leurs

armures robustes et remarquablement conçues, de

nombreux combattants des nations libres furent blessés

par les traits empoisonnés, lancés depuis les lignes des

ténèbres, avant d’avoir pu se mettre à l’abri dans les

forts. Le Seigneur Elfique regretta que les victimes ne

Le serment de Salermnos : 97

Le serment de Salermnos

soient pas restées encore un peu sur le chemin de ronde

du rempart principal. En effet, cette partie des défenses

était bien couverte. Seule les grosses pierres, propulsées

par de colossales catapultes pouvaient éventuellement, à

la suite d’un tir très précis ou très chanceux, toucher et

tuer les défenseurs de cette fortification.

Au pied du grand mur qui barrait la combe, les

protections étaient moins sures. Des jets de flèches ou

de roches, plus ou moins hasardeux, étaient capables de

frapper les soldats qui se déplaçaient entre les bastions

et le rempart.

Après une telle attaque, il devenait urgent que

Sylvania déclenche sa propre offensive magique. Haran

regarda, par une meurtrière basse, les préparatifs de

l’ennemi. Celui-ci avait déversé toutes ses forces dans

cet assaut. Des milliers de démons monstrueux

avançaient avec fracas vers le rempart. Ils portaient

d’immenses échelles et des torches fumeuses qui

ensanglantaient de leur lumière vacillante les montagnes

encadrant la Combe.

Les catapultes de Gaurtlung jetèrent leurs

projectiles infernaux vers Castel-Elfes. La formidable

construction des Sylvains vibra sourdement sous les

impacts. Mais une fois de plus, aucune brèche ne

s’ouvrit dans ses flancs.

Maintenant, la force magique déchaînée par

Gémildan et sa Reine, traversait le Continent. Rien ne

devait s’opposer à elle, mais il fallait encore quelques

Le serment de Salermnos : 98

Le serment de Salermnos

minutes pour qu’elle atteigne enfin la Combe et qu’elle

puisse frapper les maudits. En attendant, il ne fallait pas

laisser trop de Korrigans grimper jusqu’au chemin de

ronde depuis l’extérieur. Car, de l’autre côté du mur, ces

créatures ignobles formaient un océan noirâtre et

houleux qui s’abattait comme le ressac, contre les

fondations des remparts elfiques, ils déborderaient vite

les défenseurs de Castel-Elfes s’ils occupaient en

nombre important le haut du mur.

Les catapultes de Haran étaient installées derrière

la ligne des bastions, à l’abri des dernières fortifications

de la Combe. Ces machines étaient d’une conception

extrêmement soignée. Elles possédaient une telle

puissance et une si grande précision, qu’elles pouvaient

atteindre les légions de Gaurtlung jusqu’aux crêtes les

plus élevées du fond de la vallée, à près d’une lieue de

là. Le Roi Sylvain ordonna le tir de ses batteries. Ses

capitaines, particulièrement intelligents et fins, réglèrent

ces armes terribles pour que leurs projectiles atteignent

les ennemis massés au pied de la forteresse. Les lourdes

pierres enveloppées d’acier quadrillé montèrent à une

hauteur vertigineuse, puis, retombèrent en sifflant sur

les assaillants envoyés par le maudit. Elles frappèrent le

sol avec une telle violence, qu’elles ne rebondirent pas.

Elles éclatèrent en milliers de morceaux de roches et de

fer qui tailladèrent les Korrigans alentour. Les dizaines

de démons qui étaient directement sous le point

d’impact de ces masses meurtrières, explosaient dans un

Le serment de Salermnos : 99

Le serment de Salermnos

gargouillis de boue battue sauvagement par le fléau

d’un agriculteur. Des nuées de chair et de sang,

soulevées par les coups impitoyables de l’artillerie

Elfique, s’élevaient partout au-dessus de l’océan des

attaquants.

Les esclaves du mal périssaient en hurlant comme

des forcenés, leurs corps déchiquetés s’accumulaient en

tertres lugubres dressés par le hasard des opérations

défensives, sur le champ de bataille visqueux. Mais plus

il en mourrait, plus il en surgissait des ténèbres, qui

faisaient tournoyer avec hargne leurs grossiers

cimeterres.

Les catapultes de Gaurtlung, moins puissantes,

moins précises, mais beaucoup plus nombreuses,

pilonnaient bestialement le bâti de la porte qui fermait

la Combe. Les chocs ébranlaient dangereusement le

linteau titanesque du formidable porche. Des pièces de

granit tombaient des mâchicoulis qui couronnaient le

rempart, au-dessus des points d’impact. Soudain, malgré

le grand massacre de damnés qui avait ensanglanté la

vallée, derrière les défenses des Elfes et des Silériens,

les mufles sombres des monstres apparurent sur le

chemin de ronde. Ils étaient parvenus à poser leurs

échelles contre la forteresse et à les escalader. Les

meilleurs archers Silériens et Sylvains, visèrent

soigneusement le faîte de la construction, puis, ils

tirèrent massivement leurs terribles carreaux sur les

démons. Ces derniers se mirent à tomber du chemin de

Le serment de Salermnos : 100

Le serment de Salermnos

ronde comme une pluie d’automne. Déjà, la Garde

Silérienne de Haran se précipitait dans les escaliers des

tours qui donnaient accès au sommet du mur, afin de

monter jusque là et en déloger l’ennemi, quand, la force

magique apparut à l’entrée de la combe.

Elle avait la forme d’un gigantesque holaong

sauvage, bleuté, flamboyant de toute sa hauteur au

milieu de la route des montagnes. Tout à coup, le géant

de fluide lumineux se dressa sur ses pattes arrières et

bondit en avant en rugissant de fureur. Il courait à une

vitesse effrayante. Il produisait un vacarme de tempête,

mais aussi, il soulevait des vagues d’étincelles qui

enflammaient la Combe. Cette dernière était

transformée en lit de rivière de feu grossie par une crue.

Le titan immatériel était tellement monstrueux,

tellement puissant que, d’un bond, il franchit les

remparts en renversant tous les korrigans encore vivants

au sommet du mur. Il atterrit au milieu de leur armée, de

l’autre coté de la forteresse. Il provoqua, par sa chute,

encore plus d’effroi et de morts dans les rangs ennemis

que les tirs des formidables catapultes du Roi Haran. Il

écrasait les hordes de maudits comme des brindilles

d’herbe sèche. Il repoussa les Elfes damnés en quelques

charges fulgurantes contre la cavalerie qu’ils

constituaient.

Loin de là, sur un promontoire qui dominait le

théâtre des combats, Gaurtlung fulminait. Il voyait ses

esclaves emportés par la fureur des forces du bien

Le serment de Salermnos : 101

Le serment de Salermnos

comme des fœtus de paille dans une tornade. Il sortit

son glaive, puis, sautant au bas de son observatoire, il

courut à la rencontre du fléau des Korrigans en poussant

de sonores hurlements haineux. Mais la magie blanche,

pure, incarnée dans cette merveilleuse apparition

vengeresse, ne pouvait plus être arrêtée par un Esprit

Jardinier corrompu, si puissant soit-il. L’animal

fantastique s’arc-bouta sur ses quatre sabots. Il fit face

au maître du mal, le jaugea et se lança vers lui avec une

puissance redoublée. Le fracas ébranla les flancs de la

montagne. Des milliers de tonnes de roches se

précipitèrent dans les failles sombres, déchaussées par

l’onde de choc produite par l’affrontement. Cette fois, la

porte de Haran se faussa. Mais, Gaurtlung venait d’être

violemment renvoyé vers son sinistre château dans la

montagne. Il fut projeté avec fureur dans les airs.

L’esprit maudit disparut en tournoyant dans

l’atmosphère crépusculaire, vers les sommets

inaccessibles du Midi de Formalow.

Alors, les portes du rempart s’ouvrirent en

grinçant. La cavalerie Elfique et Silérienne du Roi

Haran, s’engouffra dans la Combe en renversant les

derniers rangs de Korrigans encore présents. Sur les

crêtes qui encadraient la vallée de cette Bataille

sanglante, la force magique de Nabachton continuait de

disperser les Elfes corrompus et les créatures maléfiques

qui, malgré la défaite de Gaurtlung, tentaient encore de

franchir les défenses de Castel-Elfes.

Le serment de Salermnos : 102

Le serment de Salermnos

Plus haut, sur les cimes inaccessibles des Monts du

Bout du Monde, à l’endroit même où se dressait la

sinistre Tour des démons, L’esprit maudit était retombé

dans la glace et la neige, après une chute vertigineuse.

Plusieurs morceaux de son armure dévastée souillaient

le manteau blanc de l’hiver éternel qui régnait à cette

altitude. Le corps auquel le Damné était définitivement

enchaîné par sa déchéance, saignait, blessé cruellement

au cours du combat perdu.

Il n’avait pas vaincu Haran et Sylvania par la force.

Il ne possédait plus que l’ombre de ses immenses

pouvoirs. Alors, il userait de la ruse, jusqu’à ce qu’il

puisse reconstituer un océan de légions démoniaques,

encore plus immense que celui qu’il venait de perdre

dans la Combe de Castel-Elfes.

Le serment de Salermnos : 103

Le serment de Salermnos

- XV -

Au cœur de la clairière magique de Nabachton,

illuminée par de hautes colonnes de Pierre dans

lesquelles étaient enchâssés des cristaux de puissance,

la Reine Sylvania venait de tomber à genoux.

Gémildan, à ses côtés, pâle et épuisé, ne parvint

pas à réagir immédiatement pour secourir sa bien-aimée.

La concentration que le couple de souverains avaient

déployée, afin d’envoyer de l’aide au Seigneur Haran,

avait eu raison, provisoirement, de leur force morale.

La princesse Elfique avait usé la totalité du

pouvoir dont elle disposait quotidiennement pour se

débarrasser de Gaurtlung et de ses hordes. Elle avait

réussi car, dans les Combes du Midi de Formalow, le

mal avait reculé. Mais, pour le reste de la nuit, Sylvania

devait se reposer afin de reconstituer la force qu’elle

avait perdue. Le Seigneur des paysans-forgerons avait

également participé au déploiement de la magie avec sa

Reine. Il ne disposait pas des inappréciables

connaissances surnaturelles de celle qu’il aimait. Mais,

il avait fait preuve, pour un Silérien, de bonnes

dispositions à utiliser les forces mystérieuses du Monde.

Maintenant, tous les deux devaient retourner dans

leur palais, car les immenses efforts qu’ils avaient

Le serment de Salermnos : 104

Le serment de Salermnos

accomplis et l’impact de l’exploit qu’ils avaient réalisé,

les avaient temporairement fragilisés. Gémildan prit

tendrement le bras de sa Reine puis l’invita à se relever

et à le suivre. Elle lui sourit. La jolie femme elfique

semblait gênée. Elle avait beaucoup de mal à retrouver

son équilibre, pour une aussi belle et forte sylvaine. Elle

expliqua à son époux :

- Ne pensez pas que je suis faible… dit-elle.

- Je ne le crois pas, ma déesse, répondit le Silérien.

Vous venez de mener un terrible combat contre un

ennemi d’une puissance gigantesque. Il est normal que

vous en ressentiez les conséquences.

- La magie m’a épuisée, c’est vrai, admit Sylvania,

mais, il y a votre bébé qui partage les réserves d’énergie

de sa maman.

- Que voulez-vous dire, Ma Reine, bégaya

Gémildan.

- Je suis en train de vous expliquer, précisa la belle

Sylvaine, que vous allez devenir papa et que c’est cela

qui m’a fatiguée plus que de raison, pendant que je

combattais Gaurtlung avec vous et votre esprit.

- Mon Dieu ! S’exclama le prince Silérien. Vous

allez avoir un enfant de moi. Mais…

- Vous êtes délicieux et je vous aime encore plus

pour cela mon amour, interrompit Sylvania. Mais, je

vous en prie, regagnons notre capitale je n’en peux plus.

Le serment de Salermnos : 105

Le serment de Salermnos

- XVI -

Le Roi Haran, perché sur sa plus belle licorne,

parcourait la Combe libérée des forces du mal.

Des milliers de morts jonchaient la vallée dévastée.

Le vieux Seigneur Sylvain pleurait devant tant de

violence et de haine. Figés dans l’expression de la

douleur et des souffrances amenées par les blessures

mortelles d’un combat guerrier, des Elfes déchus,

rendus immondes physiquement par leur avilissement

moral, gisaient dans des mares sanglantes tandis que

leurs mains griffues, tétanisées par la fuite de la vie,

serraient encore la gorge des victimes qui les avaient

poignardés avant de périr.

Les Korrigans, esclaves peureux, souffrants et

bestiaux de maîtres ignobles, vindicatifs et sans pitié,

avaient été taillés en pièces par la charge des cavaliers

d’Haran ou bien, par la chute des pierres lancées par les

catapultes elfiques. Certaines de ces pauvres créatures

quasiment animales, possédaient une résistance

physique exceptionnelle. Le ventre ouvert, leurs organes

pendants par leurs plaies sanglantes, leurs membres

arrachés, tenant encore à leur corps par des lambeaux de

chair étirés, ils gémissaient de douleur et de terreur,

tandis que les soldats d’Haran les approchaient. Ces

Le serment de Salermnos : 106

Le serment de Salermnos

derniers les achevaient, plus par pitié que par haine. En

général, les monstres demeurés sur le champ de bataille

n’étaient plus soignables. Ceux qui avaient encore une

chance de guérir de leurs blessures, s’étaient enfuis,

puis, avaient certainement rejoint la forteresse des

maudits sur les sommets des Montagnes du Bout du

Monde.

Le vieux sage Sylvestre avait l’intention de

renforcer encore les défenses de Castel-Elfes ainsi que

les garnisons qui protégeaient tous les passages de cette

région. Le devoir des nations libres étaient de retenir le

mal aux confins du Monde pour que celui-ci

n’envahisse pas Formalow. Le Roi ne désirait pas que la

guerre, avec toutes ses horreurs, se perpétue de nouveau

et devienne le seul moyen de s’opposer aux desseins des

maudits. Il n’avait pas reçu de nouvelles de sa fille et de

son gendre : les souverains de Nabachton. Il espérait

que le succès de leur intervention magique n’avait pas

été payé par de graves conséquences pour le royaume

du Nord Ouest. Le calme étant revenu dans le Midi de

Formalow. Gaurtlung et ses démons n’étant pas,

provisoirement, en mesure de déclencher de nouvelles

hostilités, Haran regroupa une grande escorte de

cavalerie, de fantassins et, accompagné de plusieurs

Esprits Jardiniers, il marcha vers la vallée de

Nabachton.

Gémildan avait réuni ses conseillers autour de la

grande table ronde du palais des souverains. Son épouse

Le serment de Salermnos : 107

Le serment de Salermnos

allait donner naissance à leur enfant. Elle n’était pas,

pour l’instant, apte à participer au gouvernement de leur

pays et aux batailles contre les ténèbres.

Le solide Seigneur des paysans-forgerons, respecté

par les Elfes et adulé par les siens, était écouté sans

réticence quand il ordonnait ou bien conseillait. Ses

généraux issus des deux espèces pensantes de ce

monde, savaient que la sécurité des clairières magiques

et des allées couvertes construites là par les nabatéens,

n’était pas complète tant que les plus orientales de ces

zones merveilleuses, n’avaient pas encore été

aménagées par leur Roi ou leur Reine.

Gémildan en discutait avec les plus sages des Elfes

de son royaume et les plus perspicaces de ses Silériens.

Tous ses courageux sujets lui donnaient leurs idées. Il

n’avait que l’embarras du choix pour agir. En effet,

toutes les propositions qui lui étaient faites, étaient

emplies de bons sens et permettaient d’améliorer la

protection du Septentrion de Formalow. Cependant,

aucune des mesures prises jusqu’à la fin de la

convalescence de la Reine Sylvania, alors qu’elle devait

les valider et les renforcer des inspirations de sa

sagesse, ne seraient définitives et certaines.

Et pendant que le Conseil de Nabachton battait son

plein, les trompettes des gardes de la porte du royaume

retentirent, avertissant le Seigneur Silérien qu’une

troupe de soldats approchait de sa ville. Gémildan

courut jusqu’au rempart de la poterne. Il examina la

Le serment de Salermnos : 108

Le serment de Salermnos

colonne perdue dans le lointain, qui venait de la forêt du

Nord. Elle était composée de nombreux cavaliers

montés sur de fringantes licornes ainsi que plusieurs

chariots de défense, tirés avec une lenteur confortable

par des holaongs robustes et bardés de fer. Sur les flancs

de cette cavalerie, au fur et à mesure que les voyageurs

s’avançaient vers Nabachton, Gémildan découvrit deux

rangs de fantassins silériens, puissamment armés et

protégés, eux aussi. Il compta également, plusieurs

esprits forestiers du Sud. Les grands soldats étaient bien

des Elfes. Le plus majestueux, imposant et calme

d’entre eux, avait tout le charisme mais aussi la force

d’Haran l’Ancien.

Le vieux Roi Elfique, maître spirituel de tous les

peuples sylvestres de Formalow, avait survécu à la

bataille de Castel-Elfes. Il venait dans le Nord du

Continent Civilisé de Formalow, sans doute voir sa fille

et son gendre. C’était un heureux présage car, l’enfant

du couple régnant de Nabachton allait naître dans les

jours qui viendraient.

Tous ces êtres foncièrement bons, étaient

légitimement heureux de la naissance qui s’annonçait.

Mais, la venue du petit être qui, un jour, règnerait sur

Nabachton, les détournait de la menace pesant encore

sur le Monde. Car Gaurtlung avait été repoussé mais, il

lui restait des Korrigans ainsi que de nombreux Elfes

déchus, toujours fidèles. Et surtout, si sa puissance

magique ainsi que sa force physique avaient été

Le serment de Salermnos : 109

Le serment de Salermnos

diminuées par son basculement dans les ténèbres, il était

devenu sinistrement rusé. Il allait également recevoir

une aide inestimable, bien qu’involontaire, d’un autre

Esprit Jardinier. Sa nouvelle fourberie et sa terrible

cruauté allait lui apporter cette recrue de choix qu’il

ferait plier sous son influence, tout comme il avait

soumis les Seigneurs Elfiques révoltés à sa volonté.

Le serment de Salermnos : 110

Le serment de Salermnos

- XVII -

Dans les forêts du Bout du Monde, Un jardinier

divin avait aimé et respecté le grand maître de leur

ordre, Thanator.

Ce jeune esprit était un travailleur forcené qui avait

tant embelli, jadis, les forêts d’altitude, poussées sur les

contreforts des pics méridionaux de Formalow. Il était

affligé de la chute de son modèle spirituel et

comportemental. Il avait aussi été déçu et révolté par les

cataclysmes que la bataille de Castel-Elfes avait

engendrés. Une grande partie des bois, qui couvraient

les vallées ombragées par la montagne de l’ombre, celle

où les forces des ténèbres avaient bâti leur forteresse,

était dévastée et vidée de ses animaux sauvages. Des

milliers d’Arbres avaient été coupés pour être consumés

dans les ateliers du château maudit ou bien pour étayer

les interminables galeries qui s’enfonçaient

profondément, sous les racines de la montagne, à la

conquête du fer et de la pierre qui brûle.

Comment un des plus grands de ce Cycle et de ce

Monde avait-il pu en arriver là ?!!! Le jeune Esprit

Jardinier avait toujours essayé de ressembler à celui

qu’il vénérait. Il ne comprenait pas le comportement de

Thanator. Sur le Continent Civilisé de Formalow, les

Le serment de Salermnos : 111

Le serment de Salermnos

sources de plaisirs simples ne manquaient pas. Les

longues chevauchées à travers les paysages changeants

et apaisants pour les voyageurs pouvaient durer des

millénaires sans passer deux fois par les mêmes plaines

ou bien les mêmes futaies. Les criques découpées de la

mer intérieure de Myrion, l’éclat d’argent vif de ses

eaux, ses rochers aux couleurs de cieux et de fleurs de

printemps, les siècles qui passaient ne sauraient en

diminuer l’attrait. Quant à la compagnie des jolies

princesses elfiques, elle était si agréable. Pourquoi un

Seigneur comme Thanator en avait-il convoité qu’une

seule ? L’objet de la folie du grand maître des Esprits

Jardiniers du Sud était certainement merveilleux et

désirable. Pourtant, bénéficier de l’amitié de Sylvania

était déjà une immense source de plénitude.

Non, l’aide du penseur éternel inexpérimenté ne

parvenait pas à schématiser la suite d’événements qui

avait corrompu la splendeur grandiose de son idole.

Alors, désorienté, incapable de trouver les réponses aux

questions qu’il se posait auprès de ses pairs, il se leva,

dans l’aube fraîche des vallées du Sud et décida qu’il

irait affronter seul la vérité. Car au fond de lui, il

craignait de tomber à son tour dans les ténèbres. Et, en

ce temps-là, le Néant, la haine et la méchanceté ne

l’attiraient pas du tout. En aucun cas il ne voulait, un

jour ou l’autre, devenir ce qu’était, désormais, son

héros : Gaurtlung le Maudit ! Il fallait donc qu’il ose

regarder cette créature diabolique qui avait été Thanator

Le serment de Salermnos : 112

Le serment de Salermnos

en face, puis, lui dire tous ses tords. Il était certainement

capable d’éveiller la grandeur qui sommeillait dans le

cœur de son ancien maître pour lui ouvrir, de nouveau,

la route vers la lumière. Quelque part, il lui devait cela,

mais aussi, ce jeune seigneur des esprits voulait savoir

si le bien latent d’un esprit devait mourir pour toujours

quand le cœur se corrompait, si puissante la créature

soumise à cette tentation, soit-elle ? Seule la rencontre

pouvait lui apprendre la vérité.

Il marcha longtemps sur les crêtes enneigées des

Monts du Bout du Monde. Il avait pris la forme d’un

grand sapin. Il avançait prudemment le long des

immenses précipices qui encadraient ces hauteurs

inaccessibles à toute autre créature. Il aperçut plusieurs

jours avant d’y arriver la forteresse maléfique. Il ne

craignait pas les Korrigans et leurs armes forgées.

Même les Elfes déchus n’étaient pas des adversaires

capables de l’atteindre. Des patrouilles de maudits

avancées, l’avaient vu depuis longtemps. Ces dernières

s’étaient enfuies sans envisager d’interrompre la

progression de l’esprit. Les éclaireurs avaient couru

jusqu’au trône de leur Seigneur. Il l’avait averti de

l’approche d’une puissante créature du bien.

Gaurtlung fut un moment perplexe. Il fit, avant

tout, surveiller la progression circonspecte de son

ancien disciple. De toute son armée néfaste, il était le

seul combattant possédant peut-être encore, le pouvoir

de détruire un Esprit Jardinier. Il n’avait plus la force

Le serment de Salermnos : 113

Le serment de Salermnos

physique suffisante pour abattre un aide du Maître des

Cycles. Sa puissance magique était considérablement

diminuée depuis qu’il était tombé dans le mal. Mais, il

avait grandi en traîtrise et en corruption.

Il laissa donc son visiteur avancé jusqu’aux portes

de son château, sans tenter d’exercer, sur la

détermination de celui-ci, la plus petite dissuasion. Le

Maudit ne savait pas s’il était encore apte à repousser un

adversaire comme son ancien compagnon, mais, il était

prêt à prendre le risque. Sa volonté avait une chance de

s’associer avec une nouvelle puissance. Il ne laisserait

pas se perdre une telle opportunité. Pour survivre, il

n’avait plus d’autres choix que de corrompre les puits

de magie restés hors d’atteinte de Sylvania. S’il attirait

dans ses filets de malfaisance un esprit talentueux

comme son ancien élève, de nouvelles espérances

s’ouvraient à lui...

Le serment de Salermnos : 114

Le serment de Salermnos

- XVIII -

Haran marchait sur les rives du fleuve qui coulait

au fond de la vallée de Nabachton.

Il était arrivé dans un défilé sur les contreforts

duquel, le peuple de sa fille et de son gendre avait

creusé des forges et des mines. Des lames et des

protections sans pareilles dans le Monde de Formalow

étaient façonnées là, par les Elfes ingénieux et les

Silériens. L’eau, les plantes et les minerais de cet

endroit, utilisés avec intelligence, apportaient aux

ouvrages d’armement et de constructions métalliques,

une qualité ainsi qu’une solidité inconnues jusqu’à la

découverte de ce royaume.

Trois années s’étaient écoulées depuis que

Gémildan et Sylvania avaient pris la tête de l’exode vers

Nabachton. Quatre mois s’étaient passés entre la fin de

la bataille de Castel-Elfes et cette promenade du vieux

Roi dans la fraîcheur d’une matinée lumineuse.

Le bébé de Gémildan et de Sylvania naîtrait dans

les jours prochains. C’était même une question

d’heures, peut-être. Mais, pour le futur papa, si la santé

de sa Reine et celle de l’enfant qu’elle portait étaient

essentielles, la sécurité de ces deux trésors comptait

autant, à ses yeux. Or, si les clairières magiques de

Le serment de Salermnos : 115

Le serment de Salermnos

l’Est, qui n’avaient pas été enchantées contre les forces

des ténèbres, étaient bien gardées par de valeureuses

phalanges d’Elfes Géants, de Silériens et d’Esprits

Jardiniers, elles n’étaient pas à l’abri d’une attaque

massive de Korrigans. Malgré la bataille de la Combe

de Castel-Elfes, les esclaves du mal se comptaient

encore par milliers dans les montagnes méridionales.

La route principale pour quitter les hauteurs de ce

plissement était fermée par le courage des nations libres,

mais, pour descendre de ces sommets d’autres chemins,

plus escarpés, plus dangereux, existaient. Bien sûr, par-

là, seule une petite troupe maléfique avait une chance

d’atteindre la grande forêt de Formalow. Mille ou deux

milles démons étaient capables, après bien des efforts,

de traverser tout le continent, puis de venir s’emparer,

en éclaireurs, des puits magiques de l’extrême-orient.

Gémildan et Sylvania n’avaient pu détacher, pour

surveiller ces zones, que quelques centaines de

puissants combattants. En effet, le reste de leur peuple

se consacrait, jour et nuit, à l’aménagement de

Nabachton et à l’occupation des sources de pouvoir

aménagées dans tout le Septentrion pour l’exercice de la

magie blanche.

Haran pensait à l’équilibre fragile des volontés et

des moyens ésotériques, militaires et technologiques, en

conflit sur Formalow. Certes, la possession d’une

clairière merveilleuse par Gaurtlung le Damné ne serait

pas un atout définitif dans sa guerre contre les peuples

Le serment de Salermnos : 116

Le serment de Salermnos

libres. Cependant, cet avantage lui permettrait de

reconstituer régulièrement ses forces. Ainsi, il

deviendrait invincible, si ce n’est victorieux, pour de

très longs siècles. Dans cette perspective, la lumière et

les ténèbres seraient condamnés à partager ce Cycle,

sans aucun espoir définitif, pour un côté ou bien pour

l’autre.

Que fallait-il faire pour éviter cette tournure des

évènements ? Toutes les armées du bien étaient

affectées à des tâches essentielles, qui ne souffraient

aucun délai. Le Roi Haran, Orloros de Silérie et le

couple régnant de Nabachton n’avaient plus de réserves

à déployer. Il ne leur restait qu’à espérer et à croire en

l’affaiblissement, même provisoire, de Gaurtlung le

Maudit.

Dans le Sud du Monde, Les peuples libres avaient

fermé, aussi bien qu’ils le pouvaient, les routes de la

Montagne. Le Seigneur Mohodir Gurr, les Princesses

Céliasalphe et Floralosie, s’étaient partagés le

commandement des troupes de cette région, avec

l’assentiment de leur père Haran.

Mohodir éprouvait beaucoup de haine à l’égard des

Maudits, surtout envers leur Maître. En effet, ce dernier

avait failli l’entraîner dans le camp des ténèbres et du

Néant par ses paroles tentatrices et mensongères. De

plus, le fougueux Elfe était particulièrement touché par

la violence des destructions qu’avaient subit les Monts

du Bout du Monde, pendant la bataille de Castel-Elfes,

Le serment de Salermnos : 117

Le serment de Salermnos

mais aussi, par le deuil des innombrables familles

Elfiques et Silériennes dont un ou plusieurs proches

avaient été tués par les forces du mal.

C’est donc avec une plus grande véhémence encore

que ses sœurs, pourtant prodigieusement inflexibles

comme douces princesses sylvestres, que Mohodir

repoussait les Korrigans ainsi que les Elfes déchus

quand ils tentaient de pénétrer dans la forêt continentale

de Formalow. Tel que le faisaient les Silériens, il allait

parfois, avec ses soldats, jusqu’aux abords du château

des Maudits, sur les cimes enneigées, pour en découdre

avec les patrouilles de démons qu’il poursuivait sans

relâche. C’est ainsi qu’il vit, un jour, un Esprit Sylvestre

marché vers la forteresse.

Un nouvel aide du seigneur allait-il se livrer à la

folie de la malfaisance ? Le jeune Prince Elfique faillit

hurler de rage en découvrant que cette trahison possible

se tramait-là, sous ses yeux. Il n’y pouvait pas grand

chose, de plus. Sa troupe légère ne possédait pas les

armes pour renverser et ralentir cet aide du Seigneur

déchu.

Mohodir se contenta donc d’observer ce qui allait

advenir de l’Esprit, sans manifester sa présence.

Dissimulés derrière une crête de rochers, avec ses

cavaliers, il regarda le déroulement des évènements. Le

maître des arbres se tint un moment sous la porte de

Gaurtlung. Dans les tourbillons de neige et de vent, il

restait immobile, ses yeux braqués sur les mâchicoulis

Le serment de Salermnos : 118

Le serment de Salermnos

du chemin de ronde. Les Korrigans et les Elfes déchus

n’osaient pas bouger apparemment. Ils semblaient s’être

calfeutrés dans leur casernement et y tremblaient

certainement de terreur à l’idée qu’une puissance du

bien était venue les défier, jusque-là.

Tout à coup, le battant de fer qui verrouillait la tour

du Maudit s’ébranla. Dans un grincement déchirant, il

pivota sur ses gonds et laissa Gaurtlung, lui-même, le

franchir. Depuis la bataille de Castel-Elfes, ce dernier

était devenu encore plus sinistre et noirâtre. Il portait

une nouvelle armure hérissée de pointes tranchantes aux

reflets sombres de nuit. Cette cuirasse était encore plus

massive et sans faille que celle qu’il avait perdue, après

sa défaite dans la Combe. Son visage avait un aspect

particulièrement horrible. Ses joues creusées par la

haine, encadraient une mâchoire de carnassier, ornée de

crocs sanglants. Ses yeux flamboyaient de mépris et de

malfaisance. Leur pupille n’était plus qu’une fente

aiguisée d’où partaient les stries rouges de vaisseaux

sanguins irrités. Sa peau avait l’aspect du cuir desséché

et craquelé. Il ne pouvait plus se débarrasser de ce corps

endommagé et mourrant. Il continuait donc de le faire

vivre par son immense volonté d’immortel, mais, il en

subissait pourtant la déchéance.

- Bonjour, que me veux-tu ? Lança-t-il avec

impatience.

- Maître, ne vous souvenez-vous pas de moi ?

demanda l’Esprit Jardinier amical.

Le serment de Salermnos : 119

Le serment de Salermnos

Ce dernier était là, inflexible devant la créature

démoniaque. Il était grand, sa ramure d’arbre se

déployait fièrement. Il ne craignait pas Thanator. Il

savait que les pouvoirs de celui-ci étaient très limités,

désormais. Le jeune gardien des forêts avait de bonnes

chances d’écraser le maudit en cas d’affrontement. Sans

être trop confiant, il profitait de ses avantages pour

instaurer un dialogue.

- Je me souviens bien de toi, répliqua le monstre

maléfique. Pourquoi n’es-tu pas venu rejoindre mes

rangs d’ailleurs, toi qui te disais mon ami et mon

dévoué subalterne ?

- Je n’étais que votre plus sincère admirateur,

déclara l’esprit. Je ne peux pas comprendre comment,

un modèle de rigueur et de force tel que vous, a pu se

livrer aux ténèbres et au Néant ? Mon Seigneur, que

vous est-il arrivé ?

- J’ai ouvert les yeux, argumenta le Maudit.

Depuis le début de l’Âge d’Or, nous ne parlons que de

parcimonie et de bonne entente entre les peuples.

Résultat, il leur a fallu 50 000 ans, pour apprendre à

forger des épées de guerre. Quand pourront-ils

conquérir l’autre continent en étant si timorés ? Ils ne

font que de belles villes, de beaux jardins, de la bonne

pitance pour les ridicules paysans-forgerons. Ils ne sont

bons à rien de sérieux. Ils regardent voler les oiseaux et

ne cherchent pas à faire de même. Ils observent les

grands animaux marins qui passent au large, à l’Ouest

Le serment de Salermnos : 120

Le serment de Salermnos

de l’Océan Extérieur, mais les navires elfiques se

contentent de naviguer à quelques lieues des berges de

la Mer de Myrion. Parfois, ils osent rejoindre une île de

ce lac qu’ils aperçoivent comme un point à l’horizon. Ils

n’ont aucun courage, aucun esprit d’aventure.

- Comment osez-vous affirmer de telles contre

vérités ? S’emporta l’Esprit Jardinier. Les Elfes n’ont

pas encore terminé l’exploration de cette partie du

Monde. Ils n’hésitent pas à prendre la mer sur des

bateaux, même s’ils ne naviguent, pour l’instant, que sur

Myrion l’Argentée. Ils apprennent à vivre sur l’eau dans

le but de faire de plus longs voyages, par la suite. Mais

de toute manière, les sylvains ainsi que les Silériens ne

seront jamais des marins inspirés. Le Créateur Eternel

en a décidé ainsi. Deux autres espèces pensantes

viendront et aimeront la mer au point de l’explorer

hardiment, avec respect mais, avec courage aussi. Les

premiers et les seconds venus seront les peuples des

rivages. Le chant et la beauté du littoral des Océans et

des grands lacs les attireront toujours, Cependant, ils ne

seront pas les voyageurs de l’élément liquide.

- Qu’en est-il alors du libre-arbitre ? Tonna

Gaurtlung. Ne sont-ils pas capable de franchir les

limites qui leur sont imposées ?

- Maître, vous m’avez vous-même appris que les

Elfes et les Silériens ne sont jamais limités par un

manque de courage ou bien d’ingéniosité. Vous m’avez

toujours dit que seule l’inclination de leur cœur peut les

Le serment de Salermnos : 121

Le serment de Salermnos

arrêter dans l’accomplissement d’une tâche. La

découverte de la mer n’éveille aucune passion dans leur

âme. Ce n’est donc pas une joie qui leur est destinée.

- Foutaise ! Hurla le Maudit. Ils sont veules et trop

satisfaits d’eux-mêmes. Quand les prochains venus

arriveront dans le Monde, ils balaieront ces larves. Ils

domineront cette planète et commanderont aux forces

de la nature. Et je serai leur Dieu ! Je remplacerai le

Penseur Eternel !

- Vous n’avez pas le droit de tenir de tels propos,

s’insurgea l’ancien disciple. Et je vais vous empêcher

d’accomplir de pareils blasphèmes. Je vous défie et je

vous infligerai une défaite. Si j’y parviens promettez-

moi de vous remettre à la justice de l’Eternel ?

- Avec quelle armée as-tu l’intention de t’opposer à

la mienne ? Ironisa Gaurtlung.

- Etes-vous devenu suffisamment lâche pour ne

plus être en mesure de relever vous-même un défi qu’on

vous lance ? Clama l’Esprit Jardinier. Je prends à

témoin le Seigneur du Cosmos ; Osez accomplir à sa

face un acte de poltronnerie ! Attaquez-moi

sournoisement, en lançant sur moi vos ignobles

serviteurs ! N’êtes-vous plus capable de vous battre ?

Thanator se rappelait les coups violents et

douloureux qu’ils avaient pris pendant la bataille de la

Combe. Malgré son immortalité ainsi que son ancienne

nature angélique, il avait souffert. Il avait peur

d’affronter la puissance inexpérimentée de son disciple.

Le serment de Salermnos : 122

Le serment de Salermnos

Pourtant, il ne pouvait pas y couper. S’il essayait de se

défiler, le penseur Eternel se vengerait cette fois. Les

règles antiques, bien plus vieilles que ce Cycle, étaient

inviolables. Il risquait un aNéantissement effroyable s’il

défiait le Créateur Eternel sans posséder encore la

maîtrise des puits de magie.

- Alors battons-nous, ici tout de suite ! Tonna le

Maudit. Je fais le serment de me rendre au Penseur

Eternel et de libérer toutes les âmes que j’ai asservies, si

tu me renverses. Dans le cas contraire, je ferai de toi

mon esclave et te vouerai au mal jusqu’à la fin de ce

Cycle. Tu seras le jouet de ma volonté et de celle des

ténèbres, jusqu’à la fin de ce Monde et de ce temps.

- Je relève le gant, si vous ne faites pas intervenir

votre armée dans notre duel, avant le repli de l’un de

nous, affirma le jeune Esprit. Je suis là pour faire gagner

la justice, par pour ma gloire personnelle. Si je tombe,

que l’Eternel punisse la faiblesse de son serviteur.

Malheureusement, Le courageux maître des arbres,

venait de se livrer aux mains de Gaurtlung, sans appel.

Il acceptait un marché inique, car, effectivement, son

adversaire ne pourrait pas commencer le combat avec

l’appui de ses troupes infernales. Cependant, si le jeune

esprit sylvestre mettait un genou à terre, les hordes

d’esclaves du démon, qui se tenaient en embuscade

derrière les remparts de sa forteresse, bondiraient sur

l’antagoniste de leur Tyran pour aider ce dernier à

obtenir la victoire.

Le serment de Salermnos : 123

Le serment de Salermnos

Les deux titans s’empoignèrent alors avec une

vigueur monumentale. Mohodir et sa troupe, dissimulés

au loin, furent renversés par la puissance du premier

choc. Le maître des ténèbres ploya sous l’étreinte

gigantesque du Gardien des Arbres. Ce dernier avait

enserré les bras de son ancien ami et, malgré l’armure

qui protégeait les membres de ce dernier, l’Esprit

Jardinier fermait ses poings avec une telle force que le

métal du brassard se déformait en entaillant les chairs

flétries du monstre. Le bien allait-il vaincre ? Gurr et ses

Elfes trépignaient d’impatience. Pourtant, ils n’avaient

pas le droit d’intervenir. S’ils rompaient le serment

qu’avait fait l’Ange Forestier, Thanator emportait la

bataille et tout était perdu pour son courageux

adversaire.

L’ignoble démon reculait pas à pas, ses souliers de

fer grinçaient sur la roche gelée du sol en émettant des

gerbes d’étincelles. Mais, il savait ce qu’il faisait. Sa

fourberie et sa lâcheté n’avaient plus de limite. Il

endurait difficilement la douleur de l’étreinte

formidable qu’exerçait son ancien disciple sur ses bras.

Pourtant son raisonnement restait clair. Sous sa forme

d’arbre, tant que la surface glissante sur laquelle il

évoluait, présentait des aspérités, le jeune Esprit des

Forêts ne pouvait être arrêté par aucune force. Mais,

Gaurtlung le menait, tout en reculant, vers un étang figé

par la glace.

Le serment de Salermnos : 124

Le serment de Salermnos

Là, sur ce miroir lisse et périlleux, les crampons

d’acier du monstre allaient lui permettre de rester stable,

tandis que son antagoniste serait déséquilibré. D’une

simple poussée, ce dernier partirait pour une glissade

interminable.

Les colossaux combattants étaient maintenant sur

la couche gelée. Celle-ci craquait sous le poids de ces

créatures monumentales. Le jeune Esprit utilisait encore

ses pieds-racines avec habileté. Il ne cédait pas un

pouce de terrain à Gaurtlung, quand, soudain, il glissa

légèrement et perdit complètement son adhérence au

sol. L’épouvantable traître fit pivoter son ennemi, puis,

d’une violente impulsion le propulsa jusqu’au centre de

l’étang. Il dégaina alors son glaive, porta ensuite à la

glace un coup de taille soigneusement calculé. Des

fissures, suivant une onde de choc diaboliquement

provoquée, sillonnèrent l’eau gelée jusque sous le

Gardien des Arbres. Le poids de ce dernier fit le reste. Il

s’abîma dans l’eau avec un craquement sinistre. Ses

mains et ses jambes agrippèrent en vain les glaçons

libérés par la ruse de Thanator. Il était tombé. L’armée

du monstre surgit alors de la forteresse et lança des

chaînes au vaincu, grâce à de puissantes catapultes.

Rapidement, il fut entravé et tomba au pouvoir des

Maudits.

Mohodir, fou de désespoir, se rua sur l’arrière

garde des forces de Gaurtlung avec sa petite troupe. Il

fit un grand massacre de Korrigans fuyards, mais, il ne

Le serment de Salermnos : 125

Le serment de Salermnos

parvint pas à atteindre l’Esprit prisonnier avant que les

portes de la forteresse ne se referment sur lui.

Le prince Elfique dut renoncer. Il releva ses

blessés, rassembla ses morts, puis, il reprit le chemin de

Castel-Elfes afin d’annoncer cette funeste nouvelle à ses

sœurs.

Le Mal venait d’emporter une grande victoire. Il

faudrait beaucoup d’efforts et de sacrifices de la part

des peuples libres, pour effacer, dans les Âges à venir,

cet échec.

Fin de l’Âge d’Or des forêts

Episode I du Cycle de Formalow

Le serment de Salermnos : 126

Le serment de Salermnos

Le serment de Salermnos : 127

Le serment de Salermnos

Episode II

Les Marins de l’espoir.

- I -

Un demi-siècle de paix vigilante s’écoula sur le

Monde de Formalow. Au sommet des Monts du Bout du

Monde, la forteresse des maudits obscurcissait les cieux

de ses fumées nauséabondes. Dans ses flancs, jusqu’au

plus profond de ses souterrains, les esclaves voués par

lâcheté, aux ténèbres et au Néant, s’agitaient et

croissaient lentement.

Mais, étroitement surveillés par les Elfes et les

Silériens qui avaient déployé une immense armée dans

les combes méridionales, Gaurtlung ne pouvait pas

rejoindre les sources de Magie extrême-orientales. Il ne

pouvait pas reconstruire une véritable puissance

militaire avec les quelques pouvoirs qui lui restaient.

Inquiets de cette ombre somnolente terrifiant le sud

du Continent Civilisé, Haran, Orloros de Silérie,

Gémildan, Sylvania, Mohodir, Céliasalphe, Floralosie et

Manohéva, la Princesse héritière du formidable

royaume de Nabachton, renforçaient les défenses des

peuples libres fébrilement. Pourtant, si toutes les

sources de puissance bienfaisante du Nord, de l’Ouest

Le serment de Salermnos : 128

Le serment de Salermnos

étaient maintenant entre les mains des Elfes, des

Silériens et des Esprits Jardiniers, celles de l’Est,

n’avaient pas pu être sécurisées. Une nouvelle force

émanant des Montagnes du Sud, fermait l’accès de ces

puits magiques aux Nabatéens, malgré leurs tentatives

énergiques pour les occuper.

Mohodir soupçonnait le pouvoir maudit qui barrait

la route de ces lieux, d’être lié à la capture du Gardien

des Arbres par Gaurtlung. Sous la torture, soumis à la

gigantesque volonté du Seigneur malfaisant, le dernier

moyen coercitif restant à ce monstre en dehors de sa

force physique sans pareille dans le Monde, l’Esprit

Jardinier devait, malgré lui, générer le sortilège

interdisant à ses alliés d’ôter définitivement ses rêves de

gloire au Maudit.

Toutes les opérations que les forces du bien

avaient organisées, afin de libérer l’Aide du Penseur

Eternel des griffes de Gaurtlung avaient échoué.

Approcher la Tour du Damné était déjà un grand

exploit. Y pénétrer, même en secret, n’était même pas

envisageable. La force magique déployée par Sylvania

et maintenant par la Princesse Manohéva, ébranlait les

remparts du Seigneur malfaisant. Les Korrigans et les

Elfes déchus tremblaient dans leurs abris lorsque la

colère monumentale du bien, déchaînée comme une

tempête, mugissait sous les murs de la forteresse des

Ombres. Malheureusement, si à l’extérieur, les

serviteurs du Néant étaient balayés par la magie

Le serment de Salermnos : 129

Le serment de Salermnos

blanche, cette dernière ne pouvait pas entrer dans le

repère de Gaurtlung, pas plus que toutes les armées

libres de Formalow.

Les deux pouvoirs du libre-arbitre s’équilibraient

dans la souffrance des peuples et de la paix. Rien, dans

l’instant ne se présentait pour faire pencher la balance

d’un côté ou bien de l’autre.

Les puits magiques de l’Est, étaient des éléments

essentiels de cette guerre d’influence sur l’avenir du

Monde que se livraient, sans pitié, les forces du bien et

du mal. S’en emparer et les aménager garantissait au

Royaume de Nabachton ainsi qu’à ses alliés la victoire

totale et définitive sur Gaurtlung et ses légions

maudites. Si l’esprit déchu parvenait à atteindre ces

sources de magies bienfaisantes, puis, à les isoler pour

les détourner vers la puissance du Néant et des ténèbres,

les hordes de l’ennemi s’empareraient d’une grande

partie du Continent Civilisé de Formalow et

acculeraient le bien dans des forteresses invincibles,

certes, mais dont les garnisons, malgré l’aide de la

magie blanche affaiblie, ne parviendraient pas, seules, à

libérer le Monde.

La vigilance des armées d’Haran, de Nabachton et

de Silérie, verrouillait les routes qui permettaient de

quitter les hauteurs des Monts du bout du Monde. Les

princesses et les princes des royaumes libres, croyaient,

avec raison que Gaurtlung était confiné pour de longs

siècles derrière les murs de son château. Gémildan,

Le serment de Salermnos : 130

Le serment de Salermnos

Mohodir, Sylvania, Haran, Céliasalphe, Floralosie et

Manohéva croyaient que les ressources limitées dont

disposaient les maudits dans la région aride et glaciale

qu’ils habitaient, ne leur permettraient jamais de

retrouver puis de réunir la gigantesque armée qu’ils

avaient déployée sans succès contre Castel-Elfes.

Pourtant, tous se trompaient, dans les cavernes les

plus profondes, sur les rives des lacs souterrains les plus

sinistres, élevés dans la nuit des racines de la montagne

par des Korrigans avides et grouillants, des animaux

pervertis servaient de bêtes de boucherie aux monstres

adorateurs des ténèbres. Des plantes malfaisantes se

cultivaient à la lueur des fleuves de laves

incandescentes, qui rugissaient dans les profondeurs de

la planète. Elles permettaient de faire la farine qui

devenait le pain abject des légions ténébreuses.

Petit à petit, avec la patience infinie des fous

mégalomanes, Gaurtlung forgeait une nouvelle armée

colossale. Ses esclaves rongeaient le cœur de la

Montagne pour agrandir leurs abris. Mais, si les êtres

humanoïdes que le Déchu avait créés au temps de sa

grandeur pouvaient se reproduire seuls, les monstres

volants, les Léviathans, n’étaient encore que des

poupées vivantes, sans aucune volonté propre. La

possession d’une clairière du pouvoir était la seule pièce

qui manquait au Seigneur du mal pour réussir une de ses

œuvres les plus sinistres, la création d’âmes mauvaises,

dotées de pouvoirs maudits, destinées à ses Hydres. Il

Le serment de Salermnos : 131

Le serment de Salermnos

lui fallait imaginer une sortie secrète, au pied des

montagnes ou même dans la plaine, à l’orée de Myrion,

par laquelle une partie de ses troupes quitterait les

Monts du Bout du Monde et se rendraient dans l’Orient.

Cette avant-garde saisirait ainsi les puits isolés par les

sortilèges involontaires de l’Esprit Jardinier, que le

Maître des Démons tenait prisonnier et torturait

effroyablement dans les cachots de son horrible Tour.

Mohodir et Gémildan s’étaient regroupés sur les

marches de l’Est du Royaume de Nabachton. Ils avaient

tous les deux de grandes compétences d’éclaireurs des

Terres Sauvages et avaient entraîné de nombreux Elfes

et de courageux Silériens à l’art de l’observation

discrète du terrain ennemi, et des coups de main

ponctuels, redoutables, contre des forces bien

supérieures en nombre. Si de fortes armées ne

parvenaient pas à approcher, ni la forteresse de

Gaurtlung, ni les sources magiques de l’Orient, de petits

commandos, silencieux, masqués par leurs aptitudes

inégalées à se fondre dans la nature, gardaient le contact

visuel avec ces domaines menacés par le Néant. Or, à

cette époque, les patrouilles des deux Princes de

Formalow tenaient même à distance les soldats des

ténèbres. Les Korrigans et les Elfes déchus restaient

isolés dans la forteresse des Monts de l’Ombre sans

pouvoir en bouger. Pourtant, dans les profondeurs de la

terre, au bout des interminables galeries qui perforaient

le sol jusqu’aux racines mêmes des montagnes

Le serment de Salermnos : 132

Le serment de Salermnos

méridionales du Continent, d’immenses colonnes de

démons creusaient le socle de Formalow. Elles

travaillaient afin de franchir, dans le plus grand secret,

le blocus des vallées du Sud, organisé et maintenu par

les puissances libres de ce Monde.

Malgré le sérieux et la rigueur de leur vigilance, les

Silériens et les Sylvains ne pouvaient pas deviner que

Gaurtlung et ses esclaves auraient l’audace d’accomplir

un tel exploit, par la seule force de leur haine et de leur

malveillance. Ces monstres taillaient, au sein de la

roche profonde de la planète, sur une longueur de

soixante lieues, une large galerie, dans laquelle une

phalange de deux cent mille soldats voyagerait un jour

vers l’Est, sous les lignes de défense d’Haran et

d’Orloros.

Il existait, sur la côte orientale du Continent

Civilisé, une petite route d’agrément, aménagée par les

Elfes et les Silériens, qui longeait l’océan en serpentant

à l’abri des sous-bois du littoral. Cette voie liait le Nord

et le Sud de ce pays par l’Orient. Si les forces des

Ténèbres quittaient les Montagnes méridionales par le

passage secret qu’elles foraient dans le cœur du Monde,

avec la patience de la folie, elles atteindraient très vite

ce chemin peu surveillé par les peuples libres. En effet,

il semblait peu probable, même au sage Haran, que

Gaurtlung puisse franchir en secret les barrages des

vallées du Bout de la Terre. Par conséquent, dans

l’esprit des Seigneurs bienveillants, si les esclaves du

Le serment de Salermnos : 133

Le serment de Salermnos

Néant devenaient assez puissants pour attaquer un jour,

avec succès, les Elfes et les Silériens qui les confinaient

encore dans leur Tour, au sommet des montagnes, ces

monstres, en brisant l’étau de leurs adversaires,

déferleraient droit à travers la Silérie, jusqu’aux steppes

du Nord. Les sages de ces temps lointains, en raison de

leur trop belle pureté, ne pouvaient pas comprendre la

puissance infinie de la volonté des maudits et surtout,

l’incroyable énergie apportée aux monstres par leur

bassesse ainsi que leur ignominie. L’inébranlable

méchanceté mais aussi la jouissance procurée par la

douleur infligée aux autres, étaient d’impitoyables

moteurs inflexibles de la violence et de la mort.

La réalisation de l’impossible galerie qui devait

déverser les hordes du Damné sur l’Orient de

Formalow, était donc un acte extraordinaire

d’ingéniosité ainsi que de malfaisance. Cette ruse

démente ne pouvait pas renier la paternité de la haine

implacable, mais aussi de la grandeur passée du Maître

des Esprits déchu.

Le prince de Nabachton et le valeureux héritier

d’Haran, soupçonnaient bien une anomalie dans

l’apparente inactivité des hordes maudites. Ils ne

semblaient pourtant pas réaliser comment se

manifesterait la monstruosité des démons et de leur

Seigneur. Les courageux alliés patrouillaient dans toutes

les régions du Continent, dans les marches du Sud et de

l’Est, mais aucun indice, aucune rumeur, ne leur

Le serment de Salermnos : 134

Le serment de Salermnos

dévoilait l’invraisemblable performance

qu’accomplissaient les Korrigans et les Elfes

corrompus.

Seule la Princesse Sylvania, la Reine de

Nabachton, dans les cauchemars de sa prescience, rêvait

parfois de cette éventualité. L’histoire n’explique pas ce

qui la poussa à ne pas faire confiance à ses grands

pouvoirs de divination, pourtant, elle n’osa pas porter

crédit à son hypersensibilité, du moins pour cette sortie

audacieuse des ténèbres hors des limites qu’on tentait de

leur imposer.

C’est ainsi que les sages connurent une nouvelle

défaite, malgré leur travail, leur courage et leur bon

sens. Le mal avait atteint des sommets dans l’art de la

tromperie et de la dissimulation, en ce temps-là. Les

peuples libres faillirent payer le prix fort pour leur

loyauté et leur naïveté.

Le serment de Salermnos : 135

Le serment de Salermnos

- II -

Il regardait dans les ténèbres fixement. Son âme

était partiellement paralysée. La force de son ancien

maître était encore puissante et le pacte qu’il avait

prononcé avec ferveur avant de l’affronter le tenait à la

disposition de l’Effroi.

L’esprit jardinier vaincu dépérissait dans les

cachots des Montagnes de l’Ombre. Il s’étiolait et les

charmes que le pouvoir de Gaurtlung l’obligeait à

déployer à travers le temps et l’espace jusqu’aux

sources de l’Orient le vidaient de son énergie et de sa

volonté.

Il avait failli à son devoir, il avait échoué dans sa

mission contre les forces du mal, il n’attendait donc

aucun secours de la part du Penseur Eternel. Il croyait

être tombé en disgrâce. Mais il se trompait. Si une partie

de lui était désormais à la merci du Néant et des

ténèbres, la résistance morale dont il faisait preuve et

qui fermait la porte de sa conscience au Damné, venait

d’éveiller l’attention du Seigneur de l’Univers.

Laisser le libre-arbitre décider de l’avenir de

Formalow était une forme de tolérance honorable. Mais

abandonner au mal, sans espoir de rédemption, tous

ceux qui avaient succombé aux machinations

Le serment de Salermnos : 136

Le serment de Salermnos

démoniaques de Thanator en accomplissant

héroïquement leur destin, devenait du laxisme. La

chance indue, la puissance de la méchanceté ainsi que

l’impunité de Gaurtlung n’étaient plus tolérables. Les

forces du bien se montraient vaillantes et fidèles tout au

long des souffrances, des batailles et des trahisons

qu’elles supportaient. Sur ce Monde et pendant ce

Cycle, une bravoure ainsi qu’une intégrité, que le

Maître du Cosmos n’avait pas connues depuis bien des

éternités, s’étaient forgées chez ses créatures. Dans le

cœur de celles que le mal avait écrasées sans parvenir à

les soumettre, il existait aussi une inconcevable loyauté

envers ce Monde et son Architecte.

Fallait-il laisser toutes ses âmes honorables et

vaillantes en souffrance, sous la botte impitoyable d’une

puissance vouée aux ténèbres ? Le libre-arbitre et

l’ordre naturel des évènements n’étaient plus respectés,

L’injustice dominait car la force incommensurable et

stupide avait pris le dessus sur les valeurs morales et

l’honnêteté. Il y avait un Dieu dans cet Univers et il

était temps qu’il tende sa main aux êtres mourants ou

bien sombrants dans d’infinis tourments, sans renoncer

à la plus petite parcelle de leur intégrité.

De partout dans le Monde, des prières réclamant la

paix et le bien-être pour l’ensemble de la création lui

parvenaient. Toutes ses requêtes émouvantes émanaient

de créatures pensantes sincères, marchant librement

sous le soleil ou bien tombées sous le carcan du Néant,

Le serment de Salermnos : 137

Le serment de Salermnos

soumises aux tortures les plus ignobles dans les prisons

infernales de Gaurtlung.

Alors que l’équilibre fragile entre le bien et mal

allait s’effondrer en faveur du Néant, l’Eternel fit fondre

sa pensée sur les esclaves du Déchu qui n’avaient pas

renoncé à l’amour du Monde dans leur conscience,

même si leurs actes s’accomplissaient sous l’Empire de

leur subconscient asservi par le Seigneur des Maudits.

La sinistre forteresse des montagnes méridionales

fut ébranlée par un souffle irréel de pureté, puis, un

courant d’air s’échappa par les meurtrières mais aussi

par les cheminées funestes de ce château démoniaque,

en retentissant comme un cri de joie. Les parts intègres

des âmes ayant appartenu aux Elfes déchus et à l’Esprit

Jardinier prisonnier, avaient pu s’arracher à leur

malédiction, à l’influence de Gaurtlung puis à leur corps

livré au Néant.

Elles n’étaient pas mortes, bien au contraire, elles

étaient prêtes à entrer dans une nouvelle existence. Mais

avant cela, elle devait prendre le chemin que suivaient

tous ceux qui quittaient les cercles du Monde depuis le

début de ce Cycle, que ce soit en raison de leur âge, de

leur fatigue ou bien par la guerre. Elles prirent, depuis

les sommets des Monts du Bout du Monde, la direction

du Sud. Elles gagnèrent, en quittant les hauteurs

inaccessibles aux créatures attachées à une enveloppe

charnelle, la plaine polaire méridionale du Continent

Civilisé de Formalow.

Le serment de Salermnos : 138

Le serment de Salermnos

Au pied de la Chaîne, la glace ne régnait pas

encore. Il existait là une région tempérée, modestement

vallonnée, plantée de vastes forêts, c’est au cœur de ces

collines sylvestres que le Penseur Eternel avait installé

un palais naturel dans lequel, il accueillait les défunts.

C’est là que les malheureux, libérés des sortilèges

du Mal, se retrouvèrent dans un vaste hall d’attente.

L’endroit était chaleureux et, bien que délivrés de leur

corps et de toute fatigue, ils attendirent avec

l’impression de se reposer dans un cadre serein,

chaleureux mais aussi verdoyant. Au fond de ce

gigantesque salon, une porte de dressait et les esprits

présents savaient parfaitement qu’ils ne devaient pas la

franchir, tant qu’elle ne s’ouvrait pas elle-même. Ils

avaient l’impression de l’avoir toujours su. Les us et

coutumes de l’après vie, paraissaient avoir appartenu

depuis toujours à leur culture, à leur mémoire.

Ils patientaient donc, dans la lumière intense de

cette journée flamboyante, en parlant de leur passé, en

échangeant leur expérience. Ils réalisèrent qu’ils avaient

tout en commun. L’ancien Esprit Jardinier comme les

chevaliers elfiques avaient été trompés par la séduction

du mal avant que celui-ci s’empare d’eux par la

violence et la contrainte. Pourtant, aucun n’avait vendu

son âme. Dans leur fort intérieur, malgré les

souffrances, les terreurs et l’horreur des actes qu’ils

accomplissaient contre leur gré, sous la torture, ils

refusaient catégoriquement de prêter serment

Le serment de Salermnos : 139

Le serment de Salermnos

d’allégeance à Gaurtlung. Qu’allaient-ils pouvoir faire,

pour retourner au combat et empêcher le reste de

Formalow d’être asservi par les maléfices des maudits.

Ils se sentaient malheureux de devoir quitter l’existence

sans avoir repoussé efficacement les forces du Néant.

Tout à coup, la porte interdite pivota en silence.

Une lumière encore plus intense que celle qui régnait

sur la région, envahit la pièce. Les âmes libérées de la

Forteresse des Ombres, allaient enfin rencontrer leur

créateur.

Elles se dirigèrent ensemble, vers le flot éclatant

déversé par la pièce mystérieuse. Les évadés des

ténèbres étaient inquiets de cette rencontre ultime. Ils

hésitèrent encore un peu sur le seuil, puis, n’ayant pas

vraiment d’autres choix, ils entrèrent confiant dans le

saint des saints du temple.

Le serment de Salermnos : 140

Le serment de Salermnos

- III -

Orloros et Gémildan avaient déployé, dans la

steppe extrême-orientale du Continent, une grande

armée d’éclaireurs qui sillonnaient ce territoire

interminable afin de détecter la présence de leurs

ennemis, si ceux-ci s’aventuraient jusque là.

Souvent, le Roi de Nabachton et le Roi de Silérie,

chevauchaient ensemble, avec leurs courageux sujets

qui allaient jusqu’aux limites des sources magiques de

l’est. Cependant, ils se faisaient rejeter par une force

invisible mais inexorable, qui les empêchait même de

contempler simplement ces magnifiques puits de

bienfaisance.

Les deux Silériens étaient petits de taille, mais

particulièrement subtiles, sous leur aspect de solides

paysans-forgerons. Ils soupçonnaient que le calme de

ces années passant dans une paix relative, dissimulait

une tension augmentant inexorablement au cœur du

Monde.

L’ombre d’un malheur en train de s’ourdir dans les

bas fonds des ténèbres et du néant, s’étendait déjà, alors

que tout n’était encore qu’une idée, un projet. La porte

des ténèbres n’était pas encore ouverte mais la menace

de la voir bientôt béante, déversant toutes les créatures

Le serment de Salermnos : 141

Le serment de Salermnos

malfaisantes du panthéon des mauvais génies, devenait

plus tangible à chaque seconde qui s’écoulait sur

l’horloge du Cycle.

Les deux Seigneurs s’entretenaient quelquefois :

- Je ne sais pas pourquoi fiston, lançait Orloros en

scrutant la grande plaine boisée, depuis un monticule de

verdure, je suis pourtant sûr que les Korrigans vont

franchir le blocus de nos armées du sud.

- Père, je ne vous contredirai pas, assura Gémildan.

Je suis torturé par cette crainte moi-même. Les forces de

Gaurtlung le maudit ne peuvent pas s’en tenir à cette

défaite que nous leur avons infligée trop rapidement.

Nous nous sommes contentés de les contenir. Je les sens

pourtant là, innombrables, se reconstituant dans

l’horreur de leur tour maudite.

- Cette fois, ils ne tenteront pas de franchir les

remparts de Castel-Elfes, murmura le vieux Maître de

« l’Océan d’Herbe Fleurie ». Ils perdraient une trop

grande partie de leurs troupes dans cette tentative. En

effet, nous sommes prêts et nous réagirions trop

puissamment. Le Sage Haran surveille étroitement cette

vallée et il a travaillé longuement pour corriger les

défauts de ses bastions. Leur efficacité, déjà grande, est

devenue quasiment parfaite. Je suis certain qu’ils vont

ruser et trouver un passage, là où nous ne les attendons

pas. A l’Est du Continent, comme à l’Occident, les

Monts du bout du Monde tombent à pic dans l’Océan

Extérieur depuis une altitude vertigineuse. Dans toutes

Le serment de Salermnos : 142

Le serment de Salermnos

les contrées méridionales, nos soldats tiennent

fermement chaque combe de la Montagne. Alors,

pourquoi suis-je certain que les démons passeront quand

même ? Ils n’ont pas d’autres solutions que de rester sur

les contreforts boisés, exposés au Nord. Les sommets de

la Chaîne sont élevés bien au-delà des derniers nuages.

Les aigles du Penseur Eternel eux-mêmes, ne peuvent

monter si haut dans les airs. Les êtres vivants étouffent

dans ces régions de l’atmosphère et finissent par s’y

évanouir. Seul le Damné parviendrait à dépasser ces

pics et à redescendre dans les terres au-delà. Si

toutefois, il y a des terres derrière ces montagnes.

- En supposant qu’il accomplisse cet exploit, Père,

répondit le vaillant Seigneur de Nabachton, que les pays

de l’Extrême sud existent et que Gaurtlung y découvre

des créatures à corrompre afin qu’elles constituent, avec

lui, une nouvelle force maléfique, je ne vois pas de

quelle manière il pourrait revenir ici, pour nous défaire.

- Par l’eau mon fils, répliqua Orloros. Les Elfes

savent bâtir de beaux vaisseaux qui naviguent près des

côtes ou bien sur la mer intérieure de Myrion, avec leur

voile et leurs rames. Le Damné connaît la construction

de ces navires. Il les imiterait. Il bâtirait une vaste flotte

et reviendrait ainsi avec les hordes maudites qu’il

recruterait dans ces nouvelles contrées.

- C’est cela que tu crains alors, se dit Gémildan.

Mes ingénieurs de Nabachton vont rapidement mettre

en chantier une puissante armada de galères bien armées

Le serment de Salermnos : 143

Le serment de Salermnos

qui patrouilleront dans les eaux australes et exploreront

l’Océan au-delà des Monts du Bout du Monde.

- Tu ne pourras pas passer derrière ces pics

vertigineux, affirma Orloros. Haran et ses hommes ont

déjà essayé à bord de grands bateaux poussés par des

rames et des voiles. Les vents ainsi que les courants, à

l’à-pic de la chaîne, deviennent contraires à ceux qui

marchent vers le sud. Les Elfes les plus tenaces et les

plus courageux, ont renoncé à cette expédition. Je ne

pense pas d’ailleurs que le vrai danger soit là. Les

esprits jardiniers eux-mêmes nous ont affirmé que les

territoires polaires sont réservés au Penseur Eternel et

aux âmes des défunts bienfaisants qui le rejoignent dans

cette partie du Monde, après leur décès. Je suis persuadé

que le Maudit ne peut même pas envisager, sans subir

de terribles angoisses, de regarder vers le sud depuis sa

tour infernale. Vois-tu mon garçon, Gaurtlung reviendra

en secret. Il déploiera une ruse immonde, sans aucun

courage, sans aucune grandeur. Il usera de lâcheté et de

dissimulation pour nous attaquer là où nous l’attendons

le moins. Il viendra par l’Est ! Car c’est le chemin le

plus rapide pour se rendre aux puits de magie qu’il a

isolés. Et s’il ne peut contourner nos lignes, j’ai bien

peur qu’il réussisse à passer en dessous !!!

Le serment de Salermnos : 144

Le serment de Salermnos

- IV -

Thanator le Damné entra dans le sombre cachot où

il tenait enchaîné son ancien disciple, devenu son

prisonnier.

L’épouvantable Seigneur des démons se gorgeait

de plaisir en contemplant la souffrance des autres

créatures. Il savait que le malheureux gardien des

arbres, qu’il avait assujetti par la douleur et par sa

volonté invincible, avait la conscience déchirée par les

actes qu’il accomplissait sous la contrainte. Le terrible

Roi ténébreux posait son regard halluciné et

sanguinolent sur le pauvre esprit sylvain. Ensuite, en

riant de haine, il se délectait des convulsions de son

captif quand ce dernier tentait de résister aux

injonctions spirituelles qu’il lui faisait.

Ce matin-là, l’hiver régnait jusqu’au Sud de

Formalow. Dans les couloirs sinistres, éclairés par des

torches fumeuses, la respiration des Korrigans s’évadait

en panache de buée, telle un jet de vapeur vénéneux

sifflant entre les crocs difformes de ces démons.

Gaurtlung et son souffre-douleur, ligoté au fond d’un

cachot glacial, étaient les seules créatures à ne pas

respirer, ici, dans cette forteresse aliénante.

Le serment de Salermnos : 145

Le serment de Salermnos

Le terrifiant géant d’ombre et d’effroi, entra dans

une cellule, froide et crépusculaire comme un tombeau.

De sa voix caverneuse, il lança :

- Alors mon cher élève comment vas-tu en cette

heure fraîche d’une journée si douce ? Me parleras-tu

fainéant ! Gronda-t-il au silence qui répondait à ces

sarcasmes.

Dans la pénombre, il chercha à apercevoir la

silhouette d’arbre ébranché, à l’écorce aujourd’hui

craquelée, de son ancien disciple. C’est une forme

humaine immense, à demi-nu, aux membres

interminables et à la maigreur spectrale, qu’il découvrit

accroupie dans une tâche de lumière morne, arrivée par

miracle jusque dans ce recoin sinistre.

- Mais que fais-tu là ? Tonna le monstre en

bondissant sur l’inconnu. Où est mon prisonnier ?

Qu’en as-tu fais misérable ? Fulmina Gaurtlung en

secouant sa proie de toutes ses forces.

- Maître, ne me reconnaissez-vous pas ? Gémit

l’affreux personnage.

Ce dernier ressemblait à un Elfe d’une taille

surnaturelle. Il était trois fois aussi grand que le plus

robuste des princes elfiques corrompus par Thanator. Sa

peau avait un aspect brun et repoussant. Elle était

parcheminée de rides et en certains endroits, était

déchirée de plaies suintantes en décomposition.

Le serment de Salermnos : 146

Le serment de Salermnos

- Mais qui donc es-tu espèce d’épave ? S’emporta

le maudit en jetant à terre l’étranger avec une force

épouvantable.

- Je suis votre disciple et votre prisonnier, hurla le

monstre en geignant de douleur. Je souhaite vous faire

serment d’allégeance et vous offrir volontairement mes

services mon Seigneur. Je désire épouser votre cause et

ne plus vous défier. J’ai changé mon aspect pour vous

plaire et renoncer à mon ancienne vie.

En prononçant ces mots d’une voix mauvaise et

grinçante, l’esprit avait ouvert des yeux démesurés,

injectés de sang comme ceux d’un démon du néant.

- Alors comme cela tu as cédé à mes injonctions !

Exulta Gaurtlung. Tu t’offres aux ténèbres. Je vais te

faire forger, par nos esclaves, la plus belle armure de

cette forteresse en dehors de la mienne, ironisa le

terrible souverain du mal. Tu aimeras cette cuirasse au

point que tu ne pourras même pas t’en séparer. Je te

l’assure.

- Quelle joie d’appartenir à vos rangs ! Invoqua le

lâche. Je suis à vous Seigneur !

- Désormais, tu seras le Maître des Ankous !

Décréta Thanator. Tes serviteurs et tes soldats seront les

Elfes déchus, puisque tu as adopté leur apparence.

J’espère de toi une obéissance absolue, sans faille.

Sinon, tu finiras dans des conditions épouvantables. En

attendant que je te fasse porter les vêtements et les

armes que je vais t’offrir, renforce les charmes que tu as

Le serment de Salermnos : 147

Le serment de Salermnos

jetés sur les puits de magie de l’Orient. Maintenant que

tu le fais volontairement, tâche d’être à la hauteur de tes

prétentions !

Le Damné était fou de joie d’avoir fait chuter si

aisément un des aides du Penseur Eternel. Il ne s’était

pas rendu compte que la bonté et la force mentale de ce

dernier, sa vraie personnalité en quelque sorte, avaient

quitté, pendant la nuit, le corps amoindri et les traces

noires de l’âme, abandonnés dans cette geôle infernale.

L’ombre du grand esprit qu’avait capturé le Maudit était

devant lui. Elle avait encore quelques pouvoirs

magiques, mais, avant tout, elle n’était plus qu’un

immonde amoncellement de haine et de fourberie,

capable de se retourner, mais également de lancer un

jour tout son fiel contre son nouveau Seigneur.

Bien sûr, Thanator comptait remercier le

revirement de sa nouvelle recrue puis fêter l’arrivée de

celle-ci au sein de son camp, par une dernière

méchanceté. Il avait la ferme intention de bien rire aux

dépends de ce triste mais utile déchet. Ce qu’ignorait

Gaurtlung, c’est que par la suite, la bassesse de ce

dernier ne continuerait d’exister que pour se venger de

l’ultime affront infligé par son vainqueur.

Le serment de Salermnos : 148

Le serment de Salermnos

- V -

Haran chevauchait au pied des contreforts

gigantesques des Monts du bout du Monde. Il avait

atteint l’extrême Ouest de la Chaîne. Vers le soleil

couchant, les flots bleutés de l’Océan Extérieur

grondaient, tandis que dans l’air pur, au-dessus des

grèves de sable encadrées de rochers roses, les mouettes

lançaient leur plainte nostalgique.

Les astronomes et les savants Elfiques avaient

accompagné leur grand Seigneur. Tous avaient refait

plusieurs fois les mesures et les calculs les plus précis,

afin de connaître l’altitude réelle des sommets qui

terminaient le long défilé des montagnes méridionales.

Il n’y avait aucun nuage, aucune brume dans

l’atmosphère ce jour-là. Il fut acquis, sans aucun doute,

que la muraille de granit s’élevait au-delà de l’air

respirable. Aucun être vivant ne possédait les moyens

physiques d’en franchir les pics. De plus, la chaîne se

terminait dans une mer profonde, agitée, tandis que sur

les hauteurs, son extrémité s’effilait comme une lame de

rasoir. Cet obstacle naturel ne se contournait pas et ne

se dépassait pas non plus.

Le soir avançait quand les mathématiciens d’Haran

ainsi que ses géographes rendirent leur verdict. Ce qui

Le serment de Salermnos : 149

Le serment de Salermnos

était encore plus décourageant, c’est que le savoir-faire

des Elfes dans le domaine de la construction des navires

côtiers, ne leur permettait de traverser les courants et la

houle brisante de cette région. Les ingénieurs de ce

peuple construisaient des galères de cabotage à

gréement carré. Solides et confortables, ces nefs ne

pouvaient pas remonter le vent. Si tous les éléments

naturels s’opposaient à leur marche, malgré les rames

qui les équipaient, elles ne pouvaient plus que faire

demi-tour.

C’est pourquoi, quand le vieux Roi sylvestre

aperçut une première voile blanche à la forme inconnue,

très loin sur l’horizon Sud, il ne comprit pas exactement

ce qu’elle pouvait-être. En quelques secondes, il pensa

d’abord à la respiration d’un animal, un grand cétacé de

l’Océan, comme on en voyait parfois près des criques

rocheuses du Nord de Formalow. Mais, la distance qui

séparait cet objet de la plage où se trouvait Haran, avec

sa troupe, était importante. La bête capable d’émettre un

tel souffle, aurait eu des dimensions colossales. Le

phénomène se déplaçait rapidement et les perçants yeux

Elfiques commencèrent à mieux le distinguer. Le Roi

découvrit bientôt qu’il s’agissait d’un ensemble de

voiles, curieusement agencées. Il sut alors qu’un bateau

venait des régions polaires du Continent Civilisé.

Ce qu’il devenait très important de connaître

désormais, c’était la nature et les buts des marins

constituant l’équipage de cette nef. Etaient-ils d’une

Le serment de Salermnos : 150

Le serment de Salermnos

espèce pensante nouvelle, épargnée par le mal ?

Avaient-ils, au contraire, été contactés puis corrompus

par Gaurtlung ? Ne s’avançaient-ils pas à la tête d’une

flotte d’invasion chargée de libérer les combes

montagneuses tenues par les peuples libres de

Formalow ?

Le vieux Seigneur regarda sa patrouille. Elle

n’était pas forte de nombreux hommes mais elle

comptait dans ses rangs, les plus vaillants guerriers des

bois de Myrion ainsi qu’une forte escouade de cavaliers

puissamment armés et montés sur de vives autant que

solides licornes des steppes de Nabachton. Il ordonna

immédiatement le déploiement de sa petite phalange en

ordre de bataille sur les hauteurs dominant la plage. Les

collines de l’arrière pays descendaient en pentes douces

vers la mer. Elle faciliterait la charge des sylvains si les

occupants du bateau débarquaient là avec de mauvaises

intentions. Il faudrait frapper fort, avec la violence et la

rapidité d’un éclair d’orage, si ce funeste cas de figure

se présentait car, d’autres bateaux, chargés de soldats

suivraient de près. Une fois le premier équipage anéanti,

la garde d’Haran battraient en retraite pour aller

prévenir une partie de la grande armée des peuples

libres, afin qu’elle vienne défendre les plages menacées

par un débarquement des esclaves du néant.

Le serment de Salermnos : 151

Le serment de Salermnos

- VI -

Mohodir Gurr, avançait vers la mer en compagnie

d’une patrouille de vaillants Silériens. Ces braves

éclaireurs étaient guidés par Gémildan, son estimé frère

par alliance. Ils avaient eu vent, grâce aux alertes des

mouettes de la côte occidentale dont le Prince de

Nabachton avait la chance de comprendre le langage,

qu’un phénomène inattendu allait bouleverser les plages

de l’Océan Extérieur en direction du soleil couchant.

Alors, les deux amis avaient regroupé les forces

dont ils disposaient, puis, sachant que le vieux et sage

Roi Haran avait mené une expédition jusqu’à

l’extrémité Ouest des montagnes du Sud, ils avaient pris

la décision de le rejoindre.

Quand ils atteignirent le littoral, ils découvrirent

aussitôt, la phalange d’Haran déployée au-dessus d’une

vaste grève de sable encerclée de rochers, brillant dans

la lumière du couchant. Ils virent aussi sur les flots, à

moins d’une lieue de la côte, un formidable bateau

équipé de trois grands mâts interminables auxquels

étaient attachées des voiles superbement taillées et

cousues, presque aussi grandes que des vergers de

Nabachton. Son gréement était si bien agencé, qu’en

louvoyant légèrement, il remontait le vent. Sa coque

Le serment de Salermnos : 152

Le serment de Salermnos

blanche était éclatante dans la lumière de cette fin de

journée. Son allure fine et solide à la fois, inspirait la

confiance et l’admiration. Non, les marins d’une telle

nef ne pouvaient pas appartenir aux forces des ténèbres.

Quand le bateau fut très proche de la côte, il

s’engagea prudemment, en réduisant sa toile, dans un

petit port naturel constitué par un chaos de blocs de

granit érodés par les millénaires, devenus pourpres au

soleil du soir. La Nef était seule sur la mer. Quand elle

fut bien ancrée sur son mouillage, une longue et large

chaloupe fut mise à flot par les marins. De majestueux

personnages prirent place à bord de ce vaste canot. Puis,

ces derniers gagnèrent le rivage en nageant droit vers

les Elfes regroupés sur la grève, au fond de la baie.

Haran, Mohodir et Gémildan étaient ensemble

maintenant. Leurs hommes avaient abandonné la

formation de bataille. Les gens qui venaient vers eux

n’étaient pas nombreux. De plus, ceux-ci n’étaient pas

harnachés pour la guerre. Quand ils eurent touché le

sable et qu’ils s’approchèrent d’eux, les Elfes et les

Silériens, témoins de ce débarquement restèrent muets,

fascinés par les nouveaux venus à Formalow. Les

Silériens étaient robustes mais ne dépassaient pas cinq

pieds de haut. Le Prince de Nabachton était le plus

grand et le plus beau paysan-forgeron de Formalow, il

atteignait l’épaule de son épouse : la Reine Sylvania.

Les Elfes Ingénieux, moins larges et moins massifs que

le peuple de Gémildan, avaient une stature adaptée à

Le serment de Salermnos : 153

Le serment de Salermnos

leur vie forestière. Ils toisaient entre quatre et quatre

pieds et demi. Les Sylvains Géants comme Haran,

étaient identiques, en proportions, à la moyenne des

hommes de notre époque et de notre monde. Le vieux

Roi Sylvestre, une force de la nature dans les rangs de

son peuple, dominait les êtres pensants humanoïdes du

Continent, du haut de ses six pieds et trois pouces.

Les créatures venues des régions polaires du Midi

de Formalow, avaient une silhouette longiligne très

musclée, cependant, qui culminait à une hauteur

moyenne de sept pieds et demi. Ils avaient tous l’aspect

d’athlétiques sages, oscillant à la frontière de l’âge mur

et de la vieillesse encore dynamique.

Habillés de manteaux blancs et confortables, ils

portaient une barbe fournie et de longs cheveux

grisonnants. Leur regard était vif et joyeux sous des

sourcils broussailleux qui, parfois, leur conféraient une

expression de courroucée mais sympathique malgré

tout.

C’est ainsi que les plus anciens enfants du Penseur

Eternel firent la connaissance des Druides. Par la suite,

ces derniers vinrent plus nombreux des régions polaires.

Ils ne pouvaient pas y retourner de leur vivant. Les

courants et les vents empêchaient les navires d’y

revenir. On découvrit, dans les millénaires qui suivirent,

que cette nouvelle espèce pensante de Formalow

détenait un immense savoir. Ses membres ne

vieillissaient pas et ne mourraient pas naturellement, ni

Le serment de Salermnos : 154

Le serment de Salermnos

par la maladie, ni par l’âge. Il fallait que leurs corps

soient détruits pendant un acte guerrier pour qu’ils

décèdent. Ils ne comptaient pas de femmes dans leurs

rangs. Dans les conflits qui opposèrent la puissance des

ténèbres et les forces du bien, jusqu’à la chute de

l’Empire, beaucoup de druides furent tués. Cependant,

d’autres venaient aussitôt les remplacer en apparaissant,

comme les premiers l’avaient fait, sur les rivages de

l’Océan Extérieur, au pied des Monts du Bout du

Monde.

Ils apportèrent une sagesse et une magie

irremplaçables aux nations de Formalow, opprimées par

la tyrannie du néant. Ils protégèrent le savoir-faire

ancestral des artisans, des agriculteurs, des bâtisseurs

mais aussi des magiciens, que les hordes de Gaurtlung

et du Maître des Ankous, tentaient régulièrement

d’anéantirent par leurs raids meurtriers.

Souvent les conseils et l’intervention physique de

ces bons géants aux techniques de combats éprouvées,

permirent aux forces bienfaisantes du Continent,

d’emporter la victoire dans leur guérilla contre le mal.

Ils étaient maintenant là, parmi les Elfes mais aussi

les Silériens. Ils ne dévoilèrent jamais, à leurs alliés et

amis, le secret de leur origine. Mais, le plus grand

d’entre eux par la taille et les faits qu’il accomplit dans

les siècles suivant, le très sage, très puissant, Mélinos,

prononça à l’intention de Mohodir Gurr une phrase

étonnante. Cette sentence provoqua la compréhension

Le serment de Salermnos : 155

Le serment de Salermnos

profonde de ce mystère par le Prince Sylvain. Le fils

d’Haran, alors qu’il suivait passionnément une

explication de l’énergique Druide sur les cristaux de

puissance, vit le regard du Sage se baisser sur lui avec

une expression de reconnaissance infinie. Puis, sans

raison apparente, ce dernier déclara à l’Elfe :

- Mon ami, je vous suis redevable d’avoir tenté de

m’arracher aux griffes de mon destin, quand j’ai failli

tomber à jamais au pouvoir du Damné. Vous avez pris

de considérables risques en attaquant, quasiment seul, la

forteresse ainsi que l’armée de ce Démon ignoble qui

m’avait lâchement capturé. Cela, jamais je ne

l’oublierai…

Mohodir réalisa avec étonnement et fascination,

qui était réellement Mélinos. Cependant, à personne,

pas même à son père, il ne dévoila cet immense secret.

Le serment de Salermnos : 156

Le serment de Salermnos

- VII -

Au sein de la forteresse, le Seigneur des Ankous,

se tenait dans son nouvel habit de laine, au milieu d’une

pièce. Son visage osseux et la couleur verdâtre de sa

peau parcheminée lui donnaient l’allure d’un effrayant

spectre malfaisant.

Il était plus petit que le gigantesque Gaurtlung. Ce

dernier, debout devant lui, le dominait de deux fois sa

hauteur. Le renégat souriait niaisement. S’il avait été un

chien, il se serait agité, la truffe humide et la queue

battant la mesure de sa joie puérile, devant le terrible

Monstre, Damné pour toujours.

Mais, l’ancien esprit jardinier n’était que l’ombre

d’un Grand de jadis. Il n’avait hérité de la part qui

l’avait quitté, quelques jours plus tôt pour gagner les

plaines polaires de Formalow, qu’une insignifiante trace

de méchanceté résiduelle, relique des âges d’avant le

réveil du Penseur Eternel, ainsi qu’un corps ravagé et

malade des tortures qu’on lui avait infligées dans les

cachots de la Tour Maudite.

Les Korrigans, inquiets de ce nouveau garde-

chiourme auquel il leur faudrait encore obéir

aveuglément, lui apportèrent, une à une, les pièces de

son armure. Celle-ci était hérissée de pointes effilées et

Le serment de Salermnos : 157

Le serment de Salermnos

de rebords tranchants qui en faisaient, sans épée, déjà

une arme meurtrière. Bien sûr, cette construction

grossière, martelée dans un acier mal affiné, ne

supportait pas la comparaison avec les cuirasses

scintillantes et infiniment résistantes de Nabachton.

Abusé par le solennel de cette cérémonie

d’habillage, le Maître des Ankous se croyait entrer dans

les grâces et le respect de Gaurtlung. Il essayait

pompeusement tous les mouvements de membres

possibles, à chaque fois qu’on lui avait ajusté un

brassard ou bien des cuissardes d’acier. Bientôt, même

le casque fut fixé à l’armure. Il avait un aspect terrifiant

dans cette protection d’acier noire, bardée de lames

aiguisées comme des rasoirs. Gaurtlung, d’une voix

tonnante, à la limite du rire, déclara :

- Maintenant Seigneur des Ankous, je vais

t’adouber Chevalier de la Forteresse de l’Ombre.

Agenouille-toi devant ton Suzerain.

La créature obséquieuse obéit au Damné. Elle

dégaina son épée, la plaça devant elle, puis, s’appuyant

de ses deux mains sur la garde, elle se mit derrière son

glaive, un genou à terre. Gaurtlung posa sa lourde

dextre sur le casque de son nouvel allié, puis, il déclama

dans le langage du néant, que son abjection lui avait fait

apprendre :

- Gaulmalith hetté prisnachaw !!!

Aussitôt, les yeux du Maître des Ankous se

révulsèrent tandis qu’il hurlait de douleur. L’incantation

Le serment de Salermnos : 158

Le serment de Salermnos

du terrible Démon venait, à jamais, de souder la peau de

sa malheureuse victime à l’armure maléfique, offerte

traîtreusement. Dans les siècles à venir, la cuirasse

enchantée pourrirait éternellement sur les chairs

martyrisées de l’ancien esprit jardinier, consacré

maintenant aux forces malfaisantes.

- Je te l’avais dit, exulta Gaurtlung. Tu aimeras tant

ce présent que tu ne pourras plus jamais l’ôter.

- Mais pourquoi mon Seigneur ? Hurla le Roi des

Ankous en gémissant de terreur et de douleur. Je vous ai

donné mon âme et ma vie ! Pourquoi ce supplice m’est-

il infligé ?

- Ainsi sale traître, répliqua en grondant à demi

Thanator, tu te souviendras bien que je suis intraitable !

Tu penseras aux souffrances et aux humiliations que je

sais provoquer, si par malheur tu avais envie de me

quitter pour rejoindre mes ennemis, comme tu t’es

détourné de leur cause pour te livrer à moi aujourd’hui !

Tous les Korrigans présents éclatèrent de leur rire

caverneux et grasseyant, tandis que le Maître des

Ankous, frappé au plus profond de son honneur et de sa

dignité de renégat, s’écroulait sur le sol de la pièce en

pleurant de rage et de honte.

Le serment de Salermnos : 159

Le serment de Salermnos

- VIII -

Mélinos, le porte-parole des Druides auprès des

Rois de Formalow, rechercha d’abord, sur les rives

occidentales du Continent Civilisé de Formalow, un abri

pour les navires et surtout, un lieu de débarquement sûr

pour ceux de son espèce qui viendraient aider à

combattre Gaurtlung et ses âmes damnées.

Il navigua avec des marins Elfiques, dans tous les

abers du Golfe de Salermnos, afin de découvrir un

littoral propice à l’atterrissage de grands navires, ainsi

qu’à la construction d’une forteresse imprenable,

capable de protéger efficacement le port contre les

éventuelles attaques de l’ennemi, par la Terre ou bien la

Mer.

Le Golfe de Salermnos était encore une région

sauvage en ce temps-là. Mais elle était bénie du Penseur

Eternelle. La présence d’une telle masse d’eau, entourée

de petites collines et de vastes forêts, conféraient aux

rivages à la beauté féerique de ce bassin maritime, un

climat doux et vivifiant. Les côtes y étaient parfois

abruptes. D’autrefois, elles se composaient de petites

criques de sable et de rochers, découpées comme de la

dentelle, parées des couleurs chatoyantes embellissant

les multiples concrétions granitiques. Ces grèves, sous

Le serment de Salermnos : 160

Le serment de Salermnos

la lumière du soleil printanier et estival, changeaient

d’un vert dense au gris bleu en passant par un rose

soutenu. Des mouillages naturels très profonds, toujours

en eau, malgré les marnages colossaux, se révélaient

capables d’accueillir de très nombreuses et vastes nefs.

Le choix d’un havre, même pour un sage comme

Mélinos, n’était pas facile. Tous les estuaires du Golfe

faisaient des lieux adaptés à la perfection, pour abriter

un port militaire. L’échancrure de Armenos qui entrait

le plus loin dans la masse du Continent Civilisé se

terminait par une calanque très facile à protéger. Sur les

rives escarpées de ce bras de mer, de belles forteresses,

creusées dans la roche même des rives, permettraient de

surveiller les eaux du Golfe et les forêts ombrageant le

littoral. Curieusement, la côte dans cette région, se

dressait comme un mur entre les eaux de l’Océan et la

vaste plaine boisée, allongée sous le soleil du Sud,

jusqu’aux Monts du Bout du Monde. Vers l’Est, la forêt

sillonnée de sentiers Elfiques allaient jusqu’à l’immense

mer d’eau douce de Myrion.

Mélinos décida de créer là le premier port du

Golfe. Il l’appela Armenos, en ancien Elfique cela

signifiait « Le Mur Marin ». Bientôt, les mouettes

messagères, envoyées vers le sud, au-dessus de l’Océan

Extérieur, revinrent en accompagnant de nouvelles nefs

Druidiques et des nombreux sages bienveillants. Ces

derniers transmirent aux Sujets du Roi Haran ainsi

qu’aux paysans-forgerons, un savoir-faire en matière de

Le serment de Salermnos : 161

Le serment de Salermnos

forteresse maritime, que les deux espèces,

particulièrement douées, assimilèrent puis, améliorèrent

régulièrement dans les siècles qui suivirent. Tous ces

bâtisseurs, sages en magie, en travail de la pierre, de

l’acier, en science des armes, en dressage de bêtes,

montèrent en quelques années, au fond de cet aber

échancré, la grande forteresse d’Armenos. Ce havre

fortifié ne céda jamais aux assauts du Néant, tant que

dura les jours anciens de Formalow. Aujourd’hui

encore, il sommeille au fond de son estuaire, comme

une antique porte pour toujours ouverte vers un autre

continent ainsi qu’un autre temps.

Les âges innombrables ont vieilli les quais et les

puissants murs de ce lieu mythique, leur conférant une

aura de beauté encore plus intense. Sur Formalow et ses

habitants, après les guerres des temps lointains, les âges

innombrables ont passé dans une paix nonchalante ainsi

qu’un bonheur sans pareil dans tous les Cosmos. Mais

personne n’a oublié la magie des Druides de jadis. En

venant prendre ici les bateaux qui voyagent de nos

jours, d’un continent à l’autre, les passagers ressentent

toujours la splendeur et la force du passé qui ne se sont

pas éteinte dans la tranquillité infinie des jours bénis.

Quand Mélinos se démena pour fonder, avec les

Elfes et les Silériens, Le Mur Marin, il le fit en pensant

certainement aux guerres qui marqueraient les

balbutiements de ce Monde. Mais il travailla aussi pour

la paix qui viendrait peut-être - en ce temps-là, même

Le serment de Salermnos : 162

Le serment de Salermnos

lui n’était sûr de rien - s’établir sur les rivages du Golfe.

Le Néant n’était pas invincible, il suffisait que les

peuples libres ne faillissent pas dans la lutte.

Le port fortifié construit par le plus sage des sages,

fut donc une capitale maritime intemporelle mais aussi

intouchable. Plus tard, un nouveau peuple amoureux de

la mer vint habiter ce havre, avec la bénédiction des

Elfes, des paysans-forgerons puis des Druides. Il, en fit

sa patrie, sans jamais omettre de rendre hommage à son

fondateur. Toujours, les sages des plaines polaires y

débarquèrent en toute confiance, quand les batailles les

décimaient encore.

Toute l’organisation des Druides fut bientôt mise

en place. Comme ceux-ci sentaient, sans l’expliquer,

qu’une menace se précisait dans l’Est du Continent, ils

renforcèrent habilement les combes tenues par les sujets

d’Haran et les courageux compagnons d’Orloros. Ils

firent de la Forêt, des îles mais aussi de la Mer de

Myrion, leur quartier général et leurs Tours de Garde

contre les puissances des ténèbres. En vingt ans, ils

avaient si bien œuvré, qu’ils avaient déployé leurs

principaux bastions dans leur totalité.

Cependant, sur les sommets inaccessibles des

Monts du Bout du Monde, le mal avançait vers une

nouvelle victoire, malgré la venue des Druides. La peine

et les malheurs de Formalow seraient tout de même

adoucis par la présence des Gardiens du Savoir.

Pourtant, la ruse infâme de Gaurtlung allait réussir,

Le serment de Salermnos : 163

Le serment de Salermnos

entraînant la destruction de l’Orient du Continent pour

de longs millénaires ainsi que le décès de nombreux

grands Seigneurs de ce temps-là.

L’épée à la main, la force de leurs âmes

inébranlables et sublimes, transformèrent cette défaite et

ces morts en exploits bénéfiques pour le déroulement

des siècles suivant. Mais ces époques qui virent

l’installation du Néant puis de ses esclaves près des

sources de Magie dans l’Est, furent horriblement

sombres. Les descendants d’Haran, de Gémildan, de

Sylvania et d’Orloros finirent par croire que la fin de

l’Âge d’Or était si définitive, qu’elle serait sans doute la

fin des temps tout court…

Le serment de Salermnos : 164

Le serment de Salermnos

- IX -

La brume du soir d’un automne encore chaud,

s’étendait sur une des Combes les plus orientales des

Monts du bout du Monde, avec la tombée de la nuit.

Dans cette superbe vallée, bordée d’une forêt

chatoyante, arborant la couleur de l’or, du vermeil et de

l’argent, toute une phalange d’Elfes géants, de solides

Silériens et de vigoureux Druides s’étaient déployés

dans un vaste camp forestier, discret, quasiment

invisible.

Avec la douceur de cette fin de journée, tandis que

les rayons du soleil couchant inondaient d’un dernier

éclat orangé la grande plaine boisée de Myrion, visible

au Nord de la Combe, aucun des vaillants guerriers

festoyant après leurs longues heures de vigilance et de

patrouille dans les sentiers montagneux, ne pouvaient

croire que le Néant et toute sa puissance les guettaient

avidement depuis les sommets des pics inaccessibles.

Une telle paix ainsi qu’un ordre naturel si

chaleureux régnaient par ici, depuis que les armées

bienfaisantes d’Haran stationnaient dans la région, que

personne ne croyait au retour possible du mal. Les

peuples pensants de l’Océan d’Herbe Fleurie et des

halliers de Formalow, bien avant l’arrivée des Druides,

Le serment de Salermnos : 165

Le serment de Salermnos

avaient dessiné de larges chemins dallés pour voyager

plus rapidement au pied des contreforts méridionaux. Ils

avaient créé des champs dans cette région, puis,

aménagé des grandes haies pour protéger les

plantations. Les paysans étaient les amis des soldats et

tous travaillaient ensemble.

La vie aurait été si douce sans l’ennemi et sa haine.

Les habitants de Formalow, comme les petits forgerons

et les Elfes ingénieux, ne demandaient rien d’autre que

de créer tranquillement, sans nuire à la nature dont ils

vivaient tous, les aménagements techniques auxquels ils

pensaient pour améliorer l’existence des ouvriers et des

agriculteurs de leur peuple. Les hauts Sylvains ne

souhaitaient que travailler de concert avec les petits

peuples, tout en courant les bois pour le plaisir, au long

des belles saisons de l’année. Pourquoi, la guerre et la

bêtise, étaient-elles venues déferler dans une contrée si

tranquille ?

Haran était déjà très âgé, même pour une créature

forestière. Si les peines et les craintes des combats

n’avaient pas entamé le bien-être paisible du vieux

Seigneur Sylvain, ses amis auraient espéré le voir vivre

éternellement. Mais, depuis deux siècles, les troubles

avaient commencé à miner doucement le bonheur du

Monde. Le Roi était immensément sage mais,

également, considérablement épuisé par la peine.

La Reine de Nabachton, Sylvania, et son époux

Gémildan, soumis à la loi des mortels, vieillissaient

Le serment de Salermnos : 166

Le serment de Salermnos

merveilleusement tandis que Manohéva, la plus belle

des créatures pensantes rêvées par le Maître du Cosmos,

leur fille, grandissait infiniment en sagesse, en bonté et

en force. Elle conjuguait la finesse radieuse et la

splendeur majestueuse de son père. La dynastie des

Nabatéens, allait réunir toutes les qualités des Elfes et

des Silériens, dans l’Aura d’êtres aux destins fabuleux.

Les seigneurs et les habitants de ce royaume

fonderaient, dans les âges à venir, avec les Druides de

Myrion, la plus grande confrérie de magie blanche,

connue depuis le début des Cycles.

Dans les esprits et au cours de la marche vers

l’avenir, accomplie par ces fantastiques chevaliers au

cœur d’airain, jamais la bassesse et la vilenie ne

dicteraient leurs actes. Ils ne devaient pas céder à la

facilité de leur gloire immortelle pour exploiter les

« Petites Gens ». En effet, les grands de Formalow

n’ignoraient pas l’importance ainsi que la valeur

insoupçonnée de leurs subalternes, ils préféraient

d’ailleurs les désigner comme leurs collaborateurs.

Même si la place des anonymes dans l’Univers était

d’une nature différente de celle des Seigneurs du

Monde, jamais elle ne fut amoindrie ou bien raillée par

les Rois et les Reines de Nabachton. Ces derniers furent

les symboles ineffaçables de la pureté, de la justice et de

la reconnaissance.

Plus tard, après que des millénaires de batailles se

furent écoulés sur le Monde de Formalow, de valeureux

Le serment de Salermnos : 167

Le serment de Salermnos

combattants firent chuter à jamais le néant. Il ne faut en

rien diminuer l’impérissable exploit de ces créatures

opiniâtres et intraitables avec les forces ténébreuses.

Dans l’image des Dames et des Chevaliers légendaires,

ils puisèrent, alors que l’Âge d’Or était presque oublié

mais cependant, toujours vivant dans la mémoire

atavique des habitants de Formalow, l’énergie

nécessaire pour aller au bout de leur souffrance, pour

trouver le dernier grain de courage au fond de leur cœur,

puis, brandir des glaives ébréchés contre

d’innombrables hordes maléfiques.

Les souvenirs vaillants des lointaines époques de

la fondation de ce Cosmos mais également des guerres

contre les hordes du mal, restèrent pour toujours ancrés

dans les âmes des habitants du Monde. Aujourd’hui

encore, la paix et le bonheur règnent en maîtres absolus

sur Formalow. La pureté des cœurs demeure

impérissable, garantissant à jamais la grandeur dans cet

Univers.

C’est cette constance et cette inflexibilité des

peuples de cette planète qui nous permet d’affirmer que

Gaurtlung ne put franchir les lignes de défenses du bien,

en raison d’une baisse de l’attention des soldats d’Haran

ou d’Orloros. Ces derniers goûtaient réellement la

douceur de ce soir d’Automne fatidique. Pourtant, ils

avaient parcouru, le jour durant, tous les contreforts de

leur juridiction avec un soin méticuleux, sans pareil,

dans tous les Cycles de l’Histoire.

Le serment de Salermnos : 168

Le serment de Salermnos

Gaurtlung avait fini de creuser son immonde

tunnel. Ce boyau humide et visqueux traversait les

racines de la Terre, dans les ténèbres les plus

effroyables. Les centaines de milliers de démons aux

ordres du Damné, avaient peiné plusieurs décennies

dans le froid, avec la peur de l’inconnu leur vrillant le

ventre, ainsi que l’étau tyrannique de la nuit éternelle

les étouffant, pendant le percement de cette route. C’est

par monceaux innombrables que les cadavres des

Korrigans écrasés par les effondrements, mutilés par la

rupture des chariots de transport, épuisés par les efforts

incessants, puis enfin asphyxiés par les gaz mortels des

profondeurs, furent emmurés dans les voûtes maçonnées

du passage maudit. Le Damné ne comptait pas ses

esclaves, il les livrait à la mort comme un jardinier

fauche l’herbe sauvage d’un potager en été.

Alors, ses légions étaient enfin arrivées très loin

des montagnes, à l’Est extrême du Continent Civilisé de

Formalow. En perçant le fond du boyau avec beaucoup

de précautions, afin de ne pas être surpris par les

patrouilles d’Haran ou d’Orloros, les Esclaves du néant

et leurs sinistres capitaines, les Elfes déchus et le Rois

des Ankous, entendirent les vagues gronder à

l’extérieur. Ils en furent heureux car ils comprirent

qu’ils avaient atteint les bords de l’Océan Extérieur,

donc. Ils n’étaient heureusement pas, les sons du dehors

leur prouvaient, sous ses flots. Ils pensaient, avec de

bonnes raisons, qu’ils allaient déboucher dans quelque

Le serment de Salermnos : 169

Le serment de Salermnos

prairie littorale de la côte orientale du pays. Ils avaient

soigneusement calculé le tracé de leur ouvrage afin de

ne pas donner le dernier coup de pioche de ce chantier,

dans une profonde baie de cette région. Dans ce cas-là,

leur tunnel risquait d’être aussitôt inondé, ainsi qu’une

grande partie de leurs installations souterraines des

Monts du Bout du Monde.

En dépit de leurs désordres et de leur laxisme

maladif, ils étaient parvenus à mener à bien ce travail

colossal. Ils avaient eu beaucoup de chance mais aussi,

ils avaient fait preuve d’une dureté à la souffrance

exceptionnelle. Les esclaves du Néant étaient des brutes

bestiales, dénuées de sentiment, cela les rendait

totalement insensibles à la douleur, à la fatigue et à la

crainte, produit par l’imaginaire. Seuls, les glaives des

Elfes géants, les lames des rudes Silériens et désormais,

les pouvoirs magiques destructeurs des Druides leur

inspiraient une sainte terreur car souvent, ces démons en

ressentaient les terribles morsures dans leur chair, au

cours des escarmouches dans les Combes méridionales.

L’effroi qu’éprouvaient des créatures pensantes, douées

d’imagination, de compassion ou bien d’amour, devant

les ténèbres des souterrains, la mort de leurs amis ou

simplement le ravage des Forêts et des Eaux du Monde,

était un sentiment totalement inconnu des Korrigans.

Ces infectes créatures vivaient l’instant présent sans

même penser à la minute suivante. S’ils avaient leur

Le serment de Salermnos : 170

Le serment de Salermnos

comptant de sang et plaisir sauvage, ils se moquaient du

reste.

En perforant de leurs outils, la dernière couche de

roche les séparant de la surface, à l’extrémité de leur

tunnel, dans l’extrême orient du Monde, les hordes de

Gaurtlung ne pensaient qu’à quitter les ténèbres et la

pestilence des galeries de la Tour de L’Ombre, afin de

répandre celles-ci sur les Terres vierges de Formalow.

Ils se délecteraient à abattre des arbres, à incendier des

halliers, à tuer des Elfes pour les dévorer. Ils ne vivaient

que pour cela : accomplir, sans faiblir, la volonté

apocalyptique de leur effrayant Maître.

Ce dernier avait atteint de si profondes bassesses

dans la chute de son âme, qu’il en était réduit à haïr tout

ce qui était vivant, brillant et pur. Le simple fait de

contempler un formidable chêne, à la ramure

lourdement chargée de feuilles brillantes et de glands

abondants, rendait le Seigneur des Korrigans furieux. Il

se précipitait aussitôt sur l’arbre, puis, il l’arrachait afin

de le brûler avec une haine quasiment palpable. Ses

ignobles sbires et leurs légions d’esclaves, ne faisaient

que reproduire, à leur échelle, ce comportement stupide

et suicidaire.

Sur les rives de l’Orient, à cinq lieues au Nord de

la base des Monts du Bout du Monde, avec un

craquement sinistre, une ouverture se forma dans un

talus rocheux tourné vers l’Océan. De sinistres démons

au pelage noirâtre et aux crocs proéminents, se ruèrent

Le serment de Salermnos : 171

Le serment de Salermnos

hors du sol pour se répandre dans la prairie ainsi que sur

la plage avec des grognements d’une violence

répugnante. Au même moment, les Elfes géants, les

Silériens et les Druides qui devisaient en festoyant

paisiblement dans une Combe, peu éloignée de là,

ressentir un froid intense qui troubla leur tranquillité.

Une partie de la garnison locale commandée par deux

vaillants capitaines, un Elfe coureur des bois ainsi qu’un

robuste paysan-forgeron, fut envoyée en reconnaissance

dans la direction du courant d’air froid qui

s’engouffrait, depuis quelques minutes, à l’entrée de la

Vallée. Une colonne de guerriers bien armés, montés sur

de rapides licornes, se mit donc en marche vers le

littoral du Continent Civilisé, au Nord-Est de la Combe.

Le serment de Salermnos : 172

Le serment de Salermnos

- X -

Quarante milles monstres étaient répandus sur les

plages de l’Est. Ils frétillaient et grognaient de haine en

brandissant leurs cimeterres. Leurs odieux capitaines

pointaient leur main droite vers le Nord en vociférant

leurs ordres démoniaques :

- Chargez ! Tuez sans pitié, sans vous retourner sur

vos victimes ! Il faut vous emparer des puits de magie !

La nuit tombait affreusement sur la mer glaciale.

La chaleur de l’automne fuyait en emportant dans sa

course vers l’oubli, les espoirs de paix et de tranquillité.

Le Monde tremblait sous les bottes de fer des démons et

déjà, la nature paraissait avoir fait le deuil de sa beauté.

Gaurtlung déployait sa force sinistre et insidieuse. Il

tendait son doigt vers les puits de bienfaisance de

l’Orient, afin de les corrompre, et personne ne pourrait

l’arrêter avant qu’il s’en empare.

Peu fatigués par leur marche dans les ténèbres de la

galerie maléfique, creusée par la haine et la cruauté dans

les racines de Formalow, les Korrigans préparèrent leurs

arcs et commencèrent à avancer vers le trésor de leur

Maître malfaisant. Ils entonnèrent un ignoble chant de

guerre en se mettant à progresser sur le chemin côtier.

Leurs lourds pas retentissaient comme des coups de

Le serment de Salermnos : 173

Le serment de Salermnos

tonnerre dans la nuit qui perdait ses étoiles en se

nappant dans une brume maudite.

L’obscurantisme et la bêtise la plus sauvage venait

d’emporter la première bataille de la Guerre de

l’Empire. La petite troupe des forces du bien qui

avançait vers cette marée hideuse de soldats infernaux,

ne pouvait pas savoir à quelle puissance elle allait être

confrontée. Les milles cavaliers emplis de courage et de

vaillance, envoyés en éclaireurs, allaient vers une mort

certaine. Les autres armées du bien, qui se lanceraient à

la poursuite des monstres meurtriers, ne pourraient pas

les rejoindre avant que ces derniers aient atteint le

premier puits magique de l’Extrême Orient.

Dans la nuit devenue impénétrable, quand la

colonne des Elfes, des Druides et des Silériens entendit

le bruit de la phalange maudite, marchant vers sa

victoire, sans penser à compter ses ennemis, elle les

chargea avec fureur. Venue des bois, les Korrigans

perçurent une clameur tonnante. Effarés par cette

soudaine confrontation avec les éclaireurs d’Haran, les

monstres tournèrent leurs arcs en direction du bruit de

l’attaque. Vingt milles flèches partirent en sifflant

comme un essaim de gigantesques frelons furibards. Les

Elfes et les Silériens frappés de plein fouet tombèrent en

hurlant tandis que leurs glorieuses licornes, emportées

par la vitesse de leur charge, s’effondraient, traversée

par les traits douloureux, en perdant leurs cavaliers tués.

Le serment de Salermnos : 174

Le serment de Salermnos

Quelques Silériens et Druides parvinrent jusqu’aux

Korrigans, les Elfes, en avant-garde de la charge,

avaient succombé les premiers. Les épées des héros

perdus firent un rude ouvrage dans la masse compacte

des maudits. Les têtes noirâtres aux crocs sanguinolents

se détachèrent avec véhémence du tronc difforme des

monstres. Les Ankous furent obligés d’intervenir pour

empêcher la débandade générale de leurs esclaves.

Enfin, débordés par tant de cimeterres et de haine, les

survivants de la patrouille d’Haran succombèrent,

déchiquetés par vingt lames contre une. Un puissant

Druide parvint à sauter, dans un formidable bond de sa

licorne, hors de la mêlée. En un instant, il avait réussi à

s’éloigner de l’enfer et à courir vers la Combe Orientale,

malgré ses blessures cruelles. Le Roi Haran, le Seigneur

Orloros et les Princes de Nabachton, devaient être

avertis qu’une horde, aux ordres maudits de Gaurtlung,

marchait vers les deux derniers puits de magie, encore

sauvages.

Le serment de Salermnos : 175

Le serment de Salermnos

- XI -

Gémildan et son épouse, chevauchait comme une

tempête depuis les portes de Nabachton. Ils avaient

traversé en quelques semaines le septentrion de

Formalow, d’Ouest en Est.

Ils étaient suivis d’une puissante armée de

cavaliers qui gardaient à grand peine, le contact avec

leurs souverains. Les branches basses des arbres de la

Toundra fouettaient les visages des Silériens, des

Grands Sylvains et des Ingénieurs, qui cette fois,

montaient aussi au combat malgré leur physique assez

léger. La bataille devait se faire avant que les Korrigans

de Gaurtlung ne puissent toucher le puits de l’Extrême-

Orient. Mais l’espoir était mince.

En effet, les monstres démoniaques avaient profité

d’une avance considérable sur leurs adversaires. Quand

Sylvania et ses sœurs avaient été averties que des

soldats infernaux progressaient vers le Nord du

Continent, les rapides esclaves de Thanator étaient déjà

parvenus à quelques jours de la source de bienfaisance.

Haran accourait avec deux légions des Combes

Méridionales. De nouveaux Druides les accompagnaient

avec leur plus grand conseiller, Mélinos de Myrion. De

Nabachton, deux cents milles guerriers étaient sortis et

Le serment de Salermnos : 176

Le serment de Salermnos

filaient vers les sources encore inaccessibles. Cette fois,

leur Reine et leur Prince comptaient déployer tout leur

savoir magique pour briser le verrou mystérieux qui

fermait les puits de l’Orient aux Nabatéens.

La longue ligne de leur armée, chargeant avec

fureur dans le vent de la plaine, formaient un front

fantastique et interminable dans l’immense paysage.

Vue de loin, elle semblait compacte et le bruit effarant

de sa course lui paraissait étranger, tant il sonnait fort à

une grande distance.

Un soir, Gémildan reconnu les abords de la

principale source de magie de L’Est, il venait souvent

patrouiller dans cette région depuis des années. Il décida

avec sa femme de laisser les chevaux et ses hommes se

reposer dans l’ombre d’une petite forêt. Les deux

seigneurs de Nabachton craignaient que toute la

fraîcheur et toute la vaillance de leur armée soit

indispensable au cours de la journée qui suivrait. Ils ne

se trompaient pas beaucoup. Un seul constat semblait

rassurant aux conseillers des souverains. C’est que dans

la direction où Gémildan situait le puits, un calme

absolue régnait. Cela signifiait certainement que les

Korrigans n’avaient pas encore atteint leur but.

Les étoiles se mirent à briller dans le ciel

septentrional de Formalow. C’était le début de l’hiver et

pourtant, la neige et le froid tardaient. La nuit en

tombant faisait chuter la température vers des valeurs

très basses. Cependant, le gel ne prenait pas encore les

Le serment de Salermnos : 177

Le serment de Salermnos

réserves d’eau et heureusement, les abris de l’armée de

Nabachton étaient chaleureux. La situation était clame

et les sentinelles, attentives ne notaient aucun

changement à l’Est du camp.

Pourtant, au milieu de la nuit, pendant que les

vaillants compagnons de Gémildan et de la Reine

Sylvania dormaient profondément, un terrifiant

grondement se produisit. Des lumières éclatantes,

remplacées vivement par un nuage noirâtre autant que

lumineux à la fois, s’élevèrent bientôt sur l’horizon.

L’installation des forces du bien fut bouleversée par des

vents terribles et des ébranlements furieux du sol.

Quand les soldats de Nabachton parvinrent à se

regrouper puis à préparer une contre-attaque, il était

déjà bien trop tard.

La mer orientale avait disparu. Sur les lieux où

jadis, s’étendait son littoral caressé par des flots calmes,

même au cœur de l’hiver, la brume sinistre envahissait

une plaine mystérieuse qu’aucun vivant, dans les siècles

qui suivraient, ne parviendrait à visiter. Les plus

vaillants, chevaliers, quand ils tenteraient d’y pénétrer,

même dans la partie méridionale du Continent Civilisé

de Formalow, se sentiraient affaiblis puis,

chancelleraient comme des vieillards, épuisés par une

bien trop longue vie de labeur.

Vue depuis le cosmos, toute la bordure orientale de

cette région semblait fracturée par une fissure de

lumière noire. A l’Est de ce cañon vaporeux, l’Océan

Le serment de Salermnos : 178

Le serment de Salermnos

extérieur apparaissait. A l’Ouest, c’était les terres

habitées du Monde qui donnaient l’impression de fuir

l’ouverture maudite.

Gaurtlung ainsi que son épouvantable lieutenant, le

sinistre Maître des Ankous, étaient parvenus jusqu’au

plus oriental des puits magiques sauvages, sous une

forme immatérielle. Ce fut la dernière fois d’ailleurs que

ces deux esprits maudits parvinrent à quitter leur

enveloppe charnelle, bien que la possession de la source

leur conféra une redoutable puissance. Sur la place, les

deux monstres dénués d’âme combinèrent leurs terribles

volontés malfaisantes. Leurs plus efficaces sorcelleries

avaient focalisé puis détourné le flux bénéfique du

puits. Une porte vers le Néant, vers les méandres de

l’esprit hideux qui commandait aux ténèbres, qui les

souhaitait aussi, mais surtout, qui les peuplait de

cauchemars, s’était ouverte.

Dans la trame de la pensée du maître du Cosmos,

une infime déchirure, immense à l’échelle d’une

planète, s’était produite. Elle mettait en contact

l’Univers de la vie, de la chaleur, de la bonté, avec celui

des non vivants, de la haine, de la fin.

Les Nabatéens, eurent la présence d’esprit de

pleurer sur l’événement mais de ne pas se précipiter

vers cette effroyable blessure de la Terre avec l’illusion

de la soigner. Ils y auraient sombrés dans la nuit

éternelle, sans espoir de retour. Leur bon sens les sauva.

Les Seigneurs du Royaume de l’Ouest prirent, devant

Le serment de Salermnos : 179

Le serment de Salermnos

un tel phénomène, la décision de rentrer sur leur Terre

afin d’y renforcer les puits magiques protégés par les

forces du bien. Ils décidèrent aussi d’établir un conseil

des sages afin d’organiser les pays et les peuples libres

face à cette nouvelle menace inconnue et

particulièrement colossale.

Le serment de Salermnos : 180

Le serment de Salermnos

- XII -

Mélinos le grand Druide à la sagesse insondable,

regarda vers les nuées de l’Est. Avec deux de ses

camarades, il avait franchi la barrière psychique que

Gaurtlung avait bâtie, par ses nouveaux pouvoirs.

Le monstre se croyait invincible. Il pensait,

pendant ses crises d’orgueil maladif, pouvoir balayer

d’un revers de la main tous les autres acteurs du Monde.

Mais, bien qu’il ait acquis par un coup de maître ainsi

qu’une ruse vicieuse, digne des ténèbres auxquels il

s’était voué, une des principales fontaines de pouvoir du

Monde septentrional, les Druides étaient ses pires

ennemis. Ces derniers avaient été envoyés par le

penseur éternel lui-même. En apportant aux créatures

pensantes de Formalow, de pareils alliés, le Seigneur du

Cosmos avait changé l’Histoire de cet Univers.

L’horreur des desseins du Seigneur du Mal de

Formalow ébranla la force morale des druides. Les

créatures qui avaient été les Elfes déchus et l’esprit

jardinier, vaincu par Thanator, maîtrisaient à fond les

restes de leur pouvoir. Leurs efforts, combinés avec la

puissance de Gaurtlung avaient éveillé l’antagoniste du

Penseur Eternel, mesquin spirituellement mais colossal

en noirceur morale. Dans un univers aux règles

Le serment de Salermnos : 181

Le serment de Salermnos

magiques fondatrices inviolées, cet esprit d’énergie

maléfique pure n’entrait jamais en rapport avec les

créatures déployées dans les limbes du Cosmos par le

Seigneur Absolu. Les enfers immatériels et intemporels

du néant, jalousaient fortement la vie et son

foisonnement lors des Cycles. Jamais, cependant, ils

n’apparaissaient aux êtres animés d’une façon ou d’une

autre. Parfois, leur influence, seulement elle, faisait

infléchir les décisions ou bien modifiait les actes des

enfants du Créateur. Aucun autre pont entre les deux

états des Cycles n’existait. Mais ici, avec la dégradation

d’un puits de magie, les vils monstres, adorateurs de la

nuit, avaient permis au Dieu de l’Ombre et du Mal,

l’ignoble Sarquonikos, de jeter, comme un sort

dévastateur, son regard avec sa volonté abominable, sur

une toute petite région de la création.

Ce terrible péché avait ébranlé les principes

énoncés au début du Cycle par le Penseur Eternel. Si

Thanator, en se laissant aller à une haine sans

fondement, était devenu le Seigneur des ténèbres du

Monde de Formalow, Sarquonikos était le Démiurge

absolu des forces contre-créatrices et malfaisantes

régnant entre les Cycles de L’Univers, pendant les

phases de sommeil du Penseur Eternel. Il ne possédait

pas le pouvoir de bâtir. Il ne savait que vider la

substance même de la vie diffusée dans les cortex des

mondes. Il haïssait cette richesse et ce pouvoir créateur,

lui-même stagnant dans une existence sans autre but que

Le serment de Salermnos : 182

Le serment de Salermnos

celui de nuire à la lumière et au bonheur de générer la

bienfaisance. Jamais il n’aurait osé s’attaquer de front

au Créateur. Cependant, il essayait continuellement de

saborder, par des actes lâches et intolérablement

mesquins, l’œuvre de ce dernier.

Or, par leur impéritie, malgré l’insignifiance des

pouvoirs, même réunis, du Roi des Ankous, des Elfes

Déchus et de Gaurtlung, en regard de l’immense savoir,

de la grandeur insondable du Seigneur du Cosmos, les

adorateurs du Néant venaient maladroitement d’ouvrir à

Sarquonikos, les portes de la manifestation matérielle

des pensées créatrices.

Le Créateur, ne pouvait pas laisser se produire un

tel désordre sans intervenir. Car, dans la situation qui se

dessinait à l’Est du Monde, au bord de la Déchirure

dimensionnelle de Formalow, le libre arbitre n’avait

plus lieu d’être. Les créatures les plus loyales avec leurs

âmes, tout comme les pires abominations et la fange de

leur cupidité avide, à jamais inassouvie, sombreraient

dans les limbes de la nuit sans existence. L’équilibre du

Cycle ainsi rompu, le Penseur Eternel ne pourrait

reprendre le contrôle du Cosmos qu’en anéantissant sa

création, afin de recommencer une nouvelle Histoire.

Non ! Cette fois, il allait contrecarrer l’ennemi de la vie

en augmentant immensément les pouvoirs de ses

créatures les plus vaillantes et loyales. Les cruelles

règles de la magie feraient se consumer les plus

puissantes très rapidement, par l’usage d’un si grand

Le serment de Salermnos : 183

Le serment de Salermnos

don, mais, ces dernières seraient en mesure de contenir

les forces des ténèbres jusqu’à la découverte des

moyens qui les renverseraient définitivement.

Le Penseur fit fondre une fois de plus son immense

volonté sur L’Occident de Formalow. Dans le repaire du

mal, sur le Continent Civilisé, jusque dans le refuge du

Dieu du Néant, la peur ébranla les âmes maudites.

Le serment de Salermnos : 184

Le serment de Salermnos

- XIII -

L’Elfe Sylvain courait de toutes ses forces dans les

sous-bois des marches de l’Est.

Son armure était éventrée, parfois même

déchiquetée par la violence des coups qu’il avait

endurés. Il fuyait en hurlant de terreur comme un enfant.

Il se prenait parfois les pieds dans les racines et

s’écrasait lourdement sur le sol, dans la boue et les

feuilles mortes.

Le malheureux n’était pas complètement paniqué.

Au fond de son cœur, il éprouvait une rage douloureuse

d’être incapable de se retourner et d’écraser son ennemi.

Mais voilà, il n’avait pu rien faire quand il avait été

opposé à cette nouvelle Horreur des forces de l’ombre.

Il ne lui restait qu’un acte héroïque possible, c’était

celui de s’enfuir pour rester en vie afin d’avertir les

Nabatéens de la menace supplémentaire qui pesait sur

eux.

Derrière lui, une onde destructrice progressait sur

ses traces. Les arbres tombaient, la poussière se

soulevait, tandis que des grognements gutturaux

ébranlaient le calme de la Taïga. Dans la fureur de la

fuite, l’éclaireur ne souhaitait plus se retourner vers la

gigantesque puissance maléfique qui venait de le

Le serment de Salermnos : 185

Le serment de Salermnos

défaire. Il ne désirait plus la regarder pour ne pas perdre

le courage qui lui restait encore. Malgré sa terreur, il

avait évité de se diriger vers la petite garnison dont il

était issu. Il savait bien que la troupe réduite de

patrouilleurs des bois à laquelle il appartenait, se ferait

massacrer si elle s’opposait seule à l’ignominie qui le

chassait avec intransigeance. Aussi, il avait décidé de

rejoindre le corps d’armée, commandé par Mélinos, qui

se tenait plus au sud, dans un camp fortifié.

Les Elfes et les Silériens, sous les ordres du

Druide, protégés par les hauts remparts de leur

forteresse, pourrait faire face à l’attaque du nouveau

démon, allié de Gaurtlung.

En courant et en se faufilant dans les sentiers les

plus encaissés et les plus étroits, bordés de solides

arbres dont l’abattage ralentissait considérablement son

poursuivant, l’Elfe gagnait du terrain sur son ennemi. Il

appartenait à l’espèce forestière de ce peuple et sa

robustesse ainsi que son endurance n’avaient

pratiquement aucune limite dans les épreuves de la vie

sylvestre.

Enfin, le fuyard aperçut le camp de Mélinos dans

l’échancrure qu’un chemin dessinait à l’orée de la forêt.

Les hauts murs de pierre, les tours blanches, les

étendards de Nabachton et de Myrion le réconfortèrent.

Il n’était pas loin du bout de ses forces. Pourtant, si

déjà, il arrivait vivant à la porte de ses amis et qu’il

parvenait à les alerter de l’horreur qui le chassait, il

Le serment de Salermnos : 186

Le serment de Salermnos

aurait accompli son devoir de Soldat du grand Royaume

de Nabachton. Dans un dernier effort, il se rua vers

l’entrée du camp, criant à ses camarades, depuis la route

d’accès :

- A la guerre messieurs ! Aux armes compagnons !

Un démon de Gaurtlung me chasse avec fureur. Il est

immense ! Déployés vos balistes !

Les Elfes forestiers n’avaient pas l’habitude de

reculer devant l’ennemi, à moins de n’avoir vraiment

aucune chance contre lui et que leur mort mette en

danger leur peuple et leurs princes. Si l’un d’eux fuyait

comme le faisait cet éclaireur, c’est qu’il avait

d’excellentes raisons. Mélinos et l’armée qu’il

commandait s’organisèrent aussitôt derrière leurs murs

puis ouvrirent la poterne de leur fort pour y laisser

rentrer leur camarade dans le besoin. L’Elfe s’écroula

dans les bras du capitaine de la garde.

Il reprenait son souffle avec peine, lorsque le

nouveau fléau lancé par le Maudit contre les peuples

libres, apparut. Ses multiples têtes dominaient les arbres

de la lisière forestière. Dans la forteresse, ce ne fut

qu’un cri de surprise et d’effroi en même temps. La plus

grande créature jamais vue à Formalow, venait de

prendre vie. Malheureusement, elle s’était vouée aux

ténèbres et au Néant.

Mélinos devina tout de suite la nature de leur

agresseur. Il sut, avant même la première phase du

combat, qu’il pouvait espérer le repousser. Mais il

Le serment de Salermnos : 187

Le serment de Salermnos

comprit également qu’il ne parviendrait pas à le détruire

sans l’aide de la magie la plus puissante. Dans l’instant,

il n’avait pas le temps de mettre en œuvre un sortilège

assez complexe et violent pour réussir sans exposer la

garnison. Il hurla des ordres pour que les catapultes et

les archers se déploient à l’abri des murailles, ainsi que

des avancées renforcées de rempart. Il prévint que

personne ne devait s’aviser de soutenir les regards du

monstre sous peine de devenir l’esclave de sa volonté à

jamais. Il lança enfin d’une voix tonnante, sans doute

pour galvaniser ses compagnons :

- Tirer vos flèches et vos boulets de roche, il faut

repousser cette ignominie. C’est un Léviathan ! Il est

encore jeune, peu expérimenté également ! Nous

pouvons le refouler mais soyons vifs et impitoyables.

A peine avait-il dit ses mots, qu’une nuée de

carreaux, lancée par l’archerie du fort s’éleva et cingla

les longs cous au bout desquels s’agitaient les têtes

détestables du démon de Gaurtlung. Les projectiles de

pierre quittèrent les nacelles des balistes et suivirent les

traits fulgurants des Elfes. Une demi-centaine de

lourdes sphères granitiques traversèrent, en sifflant, les

airs jusqu’au Léviathan. Ce dernier fut violemment

frappé et si les flèches ne lui firent pas plus d’effet que

des piqûres de moustiques, les boulets de roche

ployèrent les longs cous du monstre en les atteignant.

La bête montra un court instant de dépit, puis,

fouetté par la haine que lui inspirait cette résistance

Le serment de Salermnos : 188

Le serment de Salermnos

dérisoire, elle déploya des ailes vastes comme la grande

place d’une cité nabatéenne sous lesquelles, la terre, les

arbres et les êtres vivants sombraient dans une nuit

cauchemardesque et nauséeuse. Elle saisit dans ses deux

paires de pattes griffues d’énormes blocs de granit

arrachés au talus près duquel elle se tenait, puis, ce

monstre prit les airs en déclenchant un ouragan autour

de lui.

Aussitôt, les archers nabatéens lancèrent de

farouches salves de flèches vers le ciel. L’acier solide et

tranchant, issu des forges de Nabachton, frappait bien et

s’enfonçait cruellement dans les chairs putrides du

Léviathan. Pourtant, ce dernier, ne sourcillait même pas.

Des rochers lancés par les catapultes le heurtèrent en

pleine ascension, mais, pendant qu’ils montaient vers le

sommet de la parabole qu’ils décrivaient, une fois

envoyés, les projectiles de ces armes perdaient de la

vitesse. Aussi, leurs impacts en étaient diminués.

L’hydre de Gaurtlung encaissa les lourdes sphères de

granit sans même se détourner de sa trajectoire.

Il s’éleva, propulsé par ses vastes ailes, toujours

plus haut, jusqu’à une hauteur vertigineuse, bien au-delà

du sommet des plus hautes montagnes du Continent

Civilisé de Formalow. Les Elfes aux regards les plus

acérés, le perdirent un instant de vue. Les Silériens de la

forteresse, les Sylvains et les Druides scrutèrent avec

effroi le zénith d’un bleu lumineux afin d’y repérer leur

agresseur. Rien ne donnait signe de vie là-haut. La

Le serment de Salermnos : 189

Le serment de Salermnos

créature maudite avait-elle disparu ? Comme elle avait

été créée par un grand esprit du Monde, déchu, elle ne

possédait peut-être pas le pouvoir de perdurer. Même

Mélinos le sage se posait sérieusement la question

devant l’évanouissement du Démon.

Il se trompait malheureusement en imaginant un

instant que le Léviathan était retourné au néant. En

réalité, il avait atteint les limites de l’air qui entourait

l’astre de Formalow. Puis, il s’était allongé telle une

longue aiguille en pointant ses mufles terrorisants vers

le sol, repliant ses ailes pour ne pas ralentir sa descente.

Dans la forteresse, la peur commença à s’insinuer

dans tous les cœurs, y compris les plus vaillants, quand,

du haut des cieux, un grondement aigu se fit entendre.

Un point noir surgit de la voûte céleste, et se mit à

grossir à une allure hallucinante. Le Léviathan revenait

et attaquait dans un piqué terrifiant. Il allait si vite

qu’autour de son corps, l’air chauffait et dégageait de la

vapeur. Sa peau se tendait vers l’arrière sous la pression

du vent, donnant un aspect encore plus répugnant aux

traits brutaux de cette bête onirique. A moins qu’un

quart de lieue au-dessus du camp des nabatéens, l’hydre

lança les formidables rochers qu’elle tenait dans ses

serres immondes. Ces projectiles accélérés brutalement,

s’enflammèrent tout en tombant vers les remparts

abritant les forces des nations libres. Deux grandes tours

et de vastes portions de remparts explosèrent sous

l’impact catastrophique, en dégageant des gerbes de

Le serment de Salermnos : 190

Le serment de Salermnos

flammes et d’étincelles chatoyantes. Le monstre alors,

déploya ses ailes mortelles et redressa sa trajectoire

juste avant le point ultime au-delà duquel, il n’aurait

jamais pu éviter de s’écraser au sol. Le choc thermique

et mécanique provoqué par le changement de direction

acrobatique, imprimé à cette masse titanesque qu’une

vitesse incalculable animait, plaqua sur le sol du camp,

les soldats encore valides à la suite du bombardement.

Mélinos se sentait abattu. Les armes de ses alliés

n’avaient pas d’effet sur cette créature infernale. Lui-

même ne maîtrisait pas de sortilège suffisant pour parer

à une telle attaque. Il aurait pu en créer un, mais, dans le

feu de l’action, il était impuissant. Des incendies

s’allumèrent. La chute des pierres enflammées par leur

vitesse et l’énergie de leur impacte avaient éparpillé des

étincelles brûlantes partout dans la forteresse. La

plupart des hommes qui n’étaient pas morts, bien que

trop blessés pour combattre l’ennemi, luttaient contre le

feu. Ceux qui étaient encore indemnes, ils étaient rares,

avaient été dispersés par le souffle au passage du

monstre.

Pourtant, les Nabatéens valides se regroupaient

déjà autour des balistes. Ils s’alignaient avec fermeté à

leur poste de tir, une flèche encochée sur les cordes de

leurs arcs. Leur courage n’avait pas faibli malgré les

pertes qu’ils venaient de subir. Nombre d’entre eux

gisaient, abattus dans les décombres.

Le serment de Salermnos : 191

Le serment de Salermnos

La chance ou l’intervention du Maître du Cosmos,

leur sourit alors. Le Léviathan, emporté par son élan

colossal s’apprêta à faire demi-tour et à ramasser, en

volant, deux nouveaux blocs de granit afin de

bombarder une fois encore la place forte de ses

adversaires. Mais, il était bien inexpérimenté et

manquait d’entraînement. Sa venue au monde était

récente. La précision d’une telle manœuvre en vol

nécessitait beaucoup d’essais accomplis dans le calme,

avant d’être réussie par les créatures des airs les plus

agiles. Il allait attraper deux roches dépassant d’une

crête, en frôlant cette dernière lorsque, surpris par la

résistance au déracinement qu’opposait un des blocs,

l’hydre fut déséquilibrée et s’écrasa avec fracas, au

milieu des arbres de la toundra, qui s’étendait au pied de

la falaise.

Des milliers de troncs déchiquetés ainsi qu’une

colossale nuée de poussières noirâtres, s’élevèrent dans

une déflagration de foudre pendant que le corps du

monstre roulait sur le sol. Mélinos eut une inspiration

géniale en assistant à la chute du démon. Il lui sembla

que ses pouvoirs magiques et sa puissance d’analyse

venaient d’être décuplés miraculeusement. L’échec

flagrant du Léviathan, stimulait-il l’esprit insondable du

Druide ? Il commanda à ses soldats d’envoyer une

nouvelle salve de roches. Le Sage n’ignorait pas que le

démon de Gaurtlung, malgré les blessures qu’il venait

de s’infliger avec maladresse, n’était pas encore inapte à

Le serment de Salermnos : 192

Le serment de Salermnos

reprendre le combat. Or, comme surgit du plus profond

de lui-même, le grand gardien du savoir venait d’avoir

une idée et de sentir affluer dans son âme, les fluides

magiques nécessaires à la réalisation de cette dernière.

Les balistes tanguèrent et craquèrent tandis que

leurs nacelles projetaient des pierres colossales vers le

Léviathan. Mélinos ferma les yeux, puis, se concentrant

sur les boulets qui sifflaient dans les nuages, il eut

l’impression d’être monté sur un d’eux, puis, de

l’accompagner pendant son impressionnant trajet. Tout

à coup, il put diriger, par sa pensée les projectiles dont

le mouvement, dans sa vision était considérablement

ralenti. Il se concentra et les ajusta dans la direction des

têtes de l’animal maudit. Puis, dans un effort désespéré,

il les accéléra avec une telle violence qu’elles rougirent

sous le flot d’énergie qui leur était apporté par la

volonté du Druide.

Pour les observateurs de l’événement, tout s’était

passé à une allure effrayante, ils n’avaient même pas

perçu le changement de course et la brutale variation

d’allure des pierres. Dans les pensées de Mélinos,

l’action avait été soigneusement décomposée et

préparée. Aussi quand le monstre fut atteint, une partie

d’un de ses crânes éclata sous l’impacte foudroyant

tandis que ses cous, ses mâchoires et ses joues,

craquaient, percutés par des blocs de laves enflammés

volant au-delà de la vitesse perceptible par les regards

les plus perçants.

Le serment de Salermnos : 193

Le serment de Salermnos

Le Léviathan ne fut pas tué, mais, il s’enfuit

aussitôt en se traînant péniblement dans la cicatrice dont

il avait gratifié la toundra, tandis qu’il poursuivait

l’éclaireur de sa colère. Une de ses têtes pendait sur le

sol, inerte et flasque. Il venait d’être vaincu, mais il

laissait un champ de ruine derrière lui. La forteresse

était sérieusement démolie. Un nombre de morts

impressionnant avait été enterré sous les décombres. En

un seul bombardement, le monstre avait assassiné la

moitié du corps d’armée, commandé par Mélinos…

Le serment de Salermnos : 194

Le serment de Salermnos

- XIV -

Sur les plaines mortes de l’Est, au-delà de la

frontière des terres maudites, surgies d’une autre

dimension, par l’effet des pouvoirs infernaux de

Gaurtlung et du Seigneur des Ankous, les vastes armées

de la Forteresse des Monts du Bout du Monde

traversaient le Continent en direction du Nord.

Semant la terreur, même dans les limbes de la faille

ouverte par leurs maîtres, les Korrigans, les Elfes

déchus et les rejetons des premiers couples de

Léviathans, enfin animés par la magie noire des

puissances ténébreuses, gagnaient le nouveau Royaume

de Thanator. Ce dernier avait établi sa puissance

reconstituée et même multipliée, autour des flux de

sorcellerie néfaste qui jaillissait du puits corrompu de

l’Extrême-Orient. De sinistres allées couvertes, bien

différentes des pimpantes installations mégalithiques,

réalisées par Sylvania et Gémildan près des sources

d’énergie intactes, canalisaient désormais ce fleuve de

malheur, destiné à abreuver le mal.

Dans la tour monumentale, dont l’architecture

oppressante se dressait comme un signe apocalyptique,

à la frontière de l’Ombre et de la Lumière, Gaurtlung

Le serment de Salermnos : 195

Le serment de Salermnos

trônait, exerçant avec cruauté, ses pouvoirs sur les

forces malfaisantes.

Il avait réussi pleinement la première étape de son

ascension vers la domination totale de l’Univers. Dans

sa folie, il voulait renverser Sarquonikos et ensuite, le

Penseur Eternel. Le despote absolu qu’il était au fond de

son cœur voulait régner sans partage sur l’ensemble des

Cycles du Monde. Bien sûr, si le Seigneur du Néant,

malgré sa force universelle omnipotente, pouvait encore

être neutralisé à cause de sa mesquinerie pathologique,

en étant opposé à une volonté énergique autant que

résolue, il était prétentieux, voir inconscient, de

prétendre atteindre le maître du Cosmos, même en

détenant les gigantesques pouvoirs qui restaient à

Gaurtlung, amplifiés par la source magique de

l’Extrême-Orient. Mais la cupidité et la mégalomanie,

frappaient les âmes les plus fortes des Cycles de

l’Univers.

Thanator avait été la cible des faiblesses qui

martyrisaient le cœur de toutes les créatures vivantes

dotées du libre arbitre. Son orgueil avait atteint des

sommets hallucinants, mais il n’était qu’un jouet dans le

vaste ballet des Cycles et du Temps. Sarquonikos, lui-

même n’échappait au Penseur Eternel qu’en existant

dans un vide mortel qui l’isolait en le protégeant, mais

aussi, en le délestant de toute essence existentielle.

Ce Dieu du mal n’était pas. Il ne créait pas. Il

inspirait et aspirait seulement l’absence de vie, de

Le serment de Salermnos : 196

Le serment de Salermnos

chaleur et de joie. C’était là son ultime souci et son but

final. Voilà quelques Cycles que ce monstre parvenait à

conserver un semblant de néant et de ténèbres entre les

périodes qui rythmaient le cosmos, comme des

battements de cœur.

Le Penseur le laissait faire car, il connaissait bien

les règles incontournables des Univers. Pour bâtir un

Monde durable, il fallait que ses habitants soient aptes à

rejeter Sarquonikos. Il était impératif donc, qu’ils

l’affrontent avant d’atteindre la paix dans leur Cycle.

Pour l’univers de Formalow, le Dieu de la non-vie et du

néant ne pouvant agir directement, il avait corrompu

Gaurtlung. Ce dernier avait des dispositions naturelles

pour devenir un représentant du mal, puis, Sarquonikos

avait inspiré à l’esprit jardinier déchu

l’accomplissement de son destin maudit.

Or, le Continent Civilisé de Formalow était

désormais divisé en deux régions distinctes. Un

royaume noir, pollué, corrompu et sinistre dont les

armées grandissaient inexorablement, regardait avec un

éclair carnassier dans leur âme maudite, les terres libres,

merveilleusement agencées par les créatures pures.

Les hauteurs des Monts du Bout du Monde étaient

enfin dépêtrées de l’emprise des ténèbres et du néant.

Pourtant, si Haran avait envahi l’ancien repère de

Gaurtlung et l’avait anéanti pierre par pierre, comblant

les galeries de ses racines en précipitant les immenses

murailles de la tour sombre dans les cavernes creusées

Le serment de Salermnos : 197

Le serment de Salermnos

par les Korrigans au fond de la montagne, les hordes

maléfiques tenaient le Nord de Formalow sous leur

influence néfaste.

Dans les régions septentrionales du Continent

Civilisé, seuls le royaume de Nabachton et les puits

protégés de magie restaient des lieux sûrs, à l’abri des

phalanges de Gaurtlung et de son lieutenant, le Seigneur

des Ankous. De plus, le Roi Maléfique détenait un atout

supplémentaire qu’il avait acquis en capturant le puits

sauvage de l’Extrême-Orient. Il avait ajouté à ses forces

maudites une escadre de Léviathans titanesques et

quasiment invulnérables, malgré leur inexpérience.

Celle-ci d’ailleurs retardait le déploiement des hydres

sur les champs de batailles. Mais certainement,

Thanator possédait un moyen de remédier à la

maladresse des dragons encore jeunes.

Les sages et les seigneurs des Nations Libres,

malgré l’augmentation de leurs pouvoirs qu’ils avaient

constatée récemment, s’inquiétaient avec désespoir des

bonnes cartes qui tombaient injustement dans le jeu de

Gaurtlung, depuis quelque temps.

Parfois, Haran et ses alliés regrettaient de ne pas

avoir déployé de terribles sortilèges de magie noire, au

risque de rompre l’équilibre du Monde, pour faire cesser

définitivement les agissements de l’ennemi. Mais voilà !

Les Druides estimaient, et leur savoir n’avait pas de

limite, que même un si noble dessein ne méritait pas de

risquer la destruction de la Création. Ils se félicitaient

Le serment de Salermnos : 198

Le serment de Salermnos

que les grands de Formalow aient renoncé à cette

solution ultime. Le besoin d’une aide se faisait sentir et

le cœur des défenseurs du bien, de la vie mais aussi des

principes légués par le Penseur Eternel, à travers ses

Esprits Jardiniers bienveillants, restait ferme et

inflexible, résistant sans peine à la tentation du Mal.

Une fois de plus, comme avec l’envoi inespéré des

Druides, de nouveaux alliés allaient se ranger aux côtés

des Elfes et des Silériens en détresse, dans un Univers

assiégé par autant de maléfices.

Le serment de Salermnos : 199

Le serment de Salermnos

- XV -

Au large du Golfe de Salermnos, les étés venus, la

brise soufflait doucement amenant, avec les vents

d’ouest, la fragrance de l’Océan.

La mer moutonnait paisiblement sous les petites

rafales qui gonflaient les voiles des navires côtiers.

Quand la chaleur des beaux jours endormait le littoral

des royaumes libres, les Elfes cabotaient sur toute la

côte occidentale du Continent Civilisé, depuis les ports

de Nabachton jusqu’aux criques marines des premiers

contreforts des Monts méridionaux. Cet après midi-là, le

Roi Haran, Gémildan et Sylvania voyageaient, pour se

détendre, dans le Grand Golfe. Ils sentaient

continuellement peser sur leurs peuples et leurs terres,

la menace des hordes de Gaurtlung et de ses créatures

maudites, aussi, même dans leurs loisirs et bien que leur

puissance magique maintienne les forces ténébreuses

loin des frontières de leurs nations, ils cherchaient

toujours, en scrutant les rives du Bassin, des

emplacements plus judicieux pour y bâtir des places

fortes plus sures.

L’enclave de Salermnos était une région de terre et

de mer propice à la construction de châteaux-cités

imprenables et capables de défier une escadre de

Le serment de Salermnos : 200

Le serment de Salermnos

Léviathans. Les hauts promontoires de la côte, faits

d’une formidable assise de roche, avaient autorisé

l’élévation de remparts granitiques colossaux,

quasiment indestructibles, même sous le bombardement

des plus titanesques démons volants. De merveilleuses

villes abritées par ces murs cyclopéens et de puissantes

batteries de balistes encadraient les rives sauvages du

Golfe.

Sans prendre le risque de détruire l’harmonie de

cette contrée exceptionnelle, les Elfes, les Silériens et

les Druides y aménageaient les derniers bastions des

peuples libres, comme ils renforçaient la protection

surnaturelle de Nabachton.

Mais Haran avait pris de l’âge. Toujours digne et

sage, les milliers d’années qu’il avait traversées depuis

le début de l’âge d’or, sa fin ainsi que le commencement

du mal dans le Monde de Formalow, pesaient

lourdement sur ses solides épaules. Bien sûr, ces

dernières s’affaissaient sensiblement. Il y avait aussi le

feu dévorant de ses pouvoirs amplifiés qui lui

permettaient de contenir la volonté et les esclaves de

Gaurtlung, mais qui rongeaient intérieurement sa

vigueur fantastique.

Sylvania la plus belle enfant des Sylvains et son

formidable époux, le courageux, puissant et débonnaire

Gémildan, subissaient également l’usure provoquée par

la fulgurance de leur magie décuplée. Parmi les Grands

des Âges écoulés, seuls les Princesses Céliasalphe,

Le serment de Salermnos : 201

Le serment de Salermnos

Floralosie mais aussi, le Seigneur Mohodir ne

paraissaient pas subir le revers de la médaille du don

accordé par le Penseur Eternel. Mais, ils ne déployaient

pas en permanence leurs capacités ésotériques comme le

faisaient les trois premiers de tous ces Seigneurs.

Manohéva, la fille des Maîtres de Nabachton, elle,

défendait de toutes ses forces considérables les

frontières du Royaume dont elle était la digne héritière.

Elle aussi exploitait la puissance magique que lui avait

dédiée le Penseur Eternel dans le cadre de son pays. Ses

parents avaient ainsi l’esprit plus libre pour englober

l’ensemble des nations libres sous le vaste bouclier de

sortilèges qu’ils entretenaient à l’Ouest du Continent

Civilisé. La jeune Reine de Nabachton possédait

heureusement toutes les qualités des deux espèces

pensantes qui l’avaient engendrée, sans en avoir reçu les

défauts. Elle supportait merveilleusement la fatigue des

pouvoirs qui lui étaient échus.

Orloros, le grand Seigneur de Silérie avait déjà

rejoint ses ancêtres, Un énergique neveu de Gémildan,

Arcébos le fort, gérait avec bonté et justice les affaires

de « l’Océan d’Herbe Fleurie ». Et s’il connaissait des

rudiments de magie, il défendait son peuple et ses terres

avec son courage et les lames acérées des forges

silériennes. De plus, l’amour et la confiance qu’il

inspirait à ses administrés, l’autorisaient à lever, en

quelques heures, une grande armée de paysans-

Le serment de Salermnos : 202

Le serment de Salermnos

forgerons décidés et résistants comme la pierre des

montagnes de leur pays.

Arcébos ne subissait donc pas le vieillissement

prématuré frappant les Anciens Seigneurs de Formalow

et que chacun savait la contrepartie des immenses

pouvoirs qui leur étaient accordés depuis le retour de

Gaurtlung. Mais, le Grand de Silérie s’inquiétait de

l’affaiblissement physique des Sages de jadis. Il se

voyait mal combattre les hordes du Maudit sans l’appui

de Sylvania, de son Oncle et du grand Druide Mélinos.

Ce dernier semblait âgé pour un jeune Silérien qui

ne l’avait jamais vu au combat. Mais, la puissance

psychique du Chef Spirituel des Gardiens du Savoir, en

vérité, ne le rongeait pas. Les autres Sages de son Ordre

étaient bien plus durement marqués par l’énergie

occulte qui grondait au fond de leur âme. Leurs corps

résistaient bien au feu de leurs esprits, mais leur cœur

perdait de l’enthousiasme avec le temps. L’épuisement

de la fulgurance des sorts déployés par les Druides,

rongeait leur vaillance sans nuire à leur courage.

Mélinos demeurait le même malgré le temps et les

affrontements avec le mal qui passaient comme une

tempête autour de lui. Ceux qui le côtoyaient tous les

jours, devinaient, au contraire que la puissance et la

majesté du vieux bonhomme jovial, mais aussi terrifiant

à la fois, grandissait d’heure en heure. Il était d’une

autre trempe que toutes les autres créatures pensantes de

Le serment de Salermnos : 203

Le serment de Salermnos

Formalow. Sa nature était quasiment divine et dénuée

de tout mal en dépit de sa grandeur.

En songeant à tous ces évènements de l’Histoire du

Monde, Haran admirait la tour de guet de l’Arcouest.

Leur bateau s’était engagé dans le canal d’accès au

Golfe de Salermnos et il allait bientôt s’aventurer sur

l’Océan Extérieur. La lumière de la journée était

éclatante. Cependant, elle n’éblouissait pas et permettait

de distinguer, pour les yeux aiguisés d’un Elfe ou d’un

paysan-forgeron, les détails les plus éloignés sur

l’horizon.

C’est ainsi que, pour la première fois, les Humains

furent aperçus par les peuples du Continent Civilisé. Ils

venaient des contrées sauvages, sur l’autre rive de

l’Océan Extérieur. Ils étaient nés là-bas, mais,

inexplicablement attirés par la mer, malgré la richesse

des pays vierges qui environnaient leur premier

campement, ils avaient construit avec talent d’immenses

navires, puis, ils avaient tous fait voile plein Est.

Leurs bateaux étaient plus vastes et plus adaptés

aux longues courses sur les eaux agitées de l’Océan que

ceux qui amenaient les druides des terres polaires

méridionales.

Ces Marins étaient grands. Certains dépassaient en

taille les plus robustes Elfes Sylvains et seule la longue

silhouette aiguisée de Mélinos les dominait. Leur

carrure était impressionnante. Ils portaient des épées

robustes, moins affinées que celles des Silériens, mais

Le serment de Salermnos : 204

Le serment de Salermnos

ils compensaient la qualité un peu moindre des aciers de

leur lame par l’efficacité, la ténacité et la conception

étonnante de leurs haches à deux tranchants. Cette

redoutable arme blanche sèmerait, dans les siècles à

venir, la terreur dans les rangs des Korrigans de

Gaurtlung.

Les hommes venaient de naître sur Formalow. Leur

soif de nouveautés et leur instinct grégaire les avaient

poussés à rechercher, au-delà des océans, d’autres

espèces pensantes. Les navigateurs humains avaient

d’abord vécu plusieurs siècles sur le littoral oriental de

leur continent. Interminablement, ils avaient scruté

l’horizon, comme s’ils avaient pressenti l’existence des

terres civilisées sans jamais en avoir entendu parler.

Ces voyageurs infatigables possédaient toute la

fougue et la soif d’apprendre de leur jeune espèce. Des

régions dont ils étaient natifs, ils avaient vite compris la

sauvagerie. Rien ne permettait d’espérer la présence

d’êtres intelligents dans la masse formidable de la forêt

primaire qui couvrait les étendues vierges de l’autre

continent du Monde. Aucun sentier ne parcourait les

bois profonds et touffus de ce territoire. Les passages

des animaux, uniquement, trouaient les fourrés

impénétrables qui se dressaient comme des remparts,

au-delà de la bande côtière.

Ce n’est pas que les hommes détestaient la

splendeur de ce monde primitif. Mais, ils étaient avides

de voyager, de rencontrer et d’échanger. Ils avaient

Le serment de Salermnos : 205

Le serment de Salermnos

déterminé rapidement que les vastes contrées, présentes

derrière la lisière fantastique de la grande forêt, étaient

en fait une colossale réserve de vie sauvage. Par

conséquent, les prétextes de recherches ainsi que le

foisonnement culturel auxquels les humains de

Formalow aspiraient, ne se rencontreraient certainement

pas là où était apparue leur espèce.

Les marins étaient intimement persuadés qu’une

autre terre émergée de cet astre abritait des villes, des

temples, des civilisations florissantes aux sociétés

passionnantes. Les hommes commencèrent alors à

construire des navires avec lesquels ils s’éloignèrent de

plus en plus de leur rivage. Ils découvrirent des

techniques efficaces pour se guider et se situer dans le

Monde. Ils savaient que Formalow était une boule

ronde. Ils apprirent bientôt, en raisonnant, qu’elle

tournait sur elle-même. Par conséquent, les étoiles qu’ils

apercevaient la nuit, même quand les lunes brillaient,

permettaient de définir sur quelle portion de la sphère

ils évoluaient.

Un matin, revinrent de très grands navires dans les

havres naturels du Continent Sauvage. Ces superbes

voiliers avaient été si loin à l’orient, que leurs équipages

étaient arrivés au large d’une côte inconnue. Ils y

avaient vu des routes jalonnées qui débouchaient sur la

côte. Sur les promontoires qui dominaient la mer, ils

avaient découvert des forteresses aux hautes murailles

grises comme l’argent ou roses, comme les rochers de

Le serment de Salermnos : 206

Le serment de Salermnos

ces régions. Ils avaient observé les caravanes

marchandes qui montaient vers Nabachton, sur les

chemins littoraux de l’Ouest. Ils avaient aussi aperçu

celles qui redescendaient dans les vallées sylvestres

méridionales, s’arrêtant afin de laisser une partie de leur

chargement aux garnisons du Golfe de Salermnos.

Les nouveaux venus n’avaient pas été observés

depuis la rive. Les navigateurs avaient fabriqué des

lunettes d’approche qui leur permettait de regarder des

objets éloignés sur la mer. Quand ils étaient entrés chez

eux ils décrivirent les pays qu’ils avaient découverts,

dans les villes humaines. Alors, une vaste entreprise

commença.

D’abord, la construction d’une grande flotte de

navires fut envisagée. On prépara, avant toute autre

chose, des boutures d’arbres ainsi que des plants

soignés depuis la graine, pour remplacer les troncs

adultes que la réalisation des bateaux allaient utiliser.

De larges surface de forêt allaient être abattu pour

monter la charpente des coques. Il fallait donc organiser

le reboisement. Il était aussi impératif de connaître les

souhaits des habitants du Continent Civilisé vis à vis de

nouveaux venus. L’espace et la nature, bien que

domestiqués sur cette terre-là, ne manquaient pas.

Pourtant les marins se préparaient à entrer en contact

avec les peuples pensants de ces régions. Ils devaient

apprendre les réactions que risquait d’engendrer leur

apparition. Ils ne souhaitaient pas s’imposer par la

Le serment de Salermnos : 207

Le serment de Salermnos

force. Ils ne rêvaient que d’une intégration au sein des

royaumes de cette partie de Formalow.

Ils lancèrent donc une ambassade vers l’Est. Cette

puissante flotte franchit la vaste portion d’océan qui

séparait les deux grandes terres de ce Monde, Elle arriva

bientôt en vue du goulet de l’Arcouest qui fermait le

Golfe de Salermnos. C’est là qu’Haran et ses

compagnons en promenade, virent les voiles de cette

expédition et l’accueillirent comme ils avaient jadis,

reçu les nefs Druidiques sur les plage du Sud.

La Garnison de la forteresse qui surveillait l’accès

aux eaux du Golfe, avait aussi vu l’armada qui

progressait vers le littoral. Aussitôt, ils avaient envoyé

leurs plus redoutables galères armées pour protéger le

navire du Roi Sylvain. Puis, ils avaient déployé une

forte troupe sur les grèves qui bordaient les pointes

rocheuses du Détroit.

Les navires des nouveaux venus mouillèrent alors

au large, à l’abri des vents, dans la baie d’une île,

proche de la côte. Puis, ils envoyèrent leurs

ambassadeurs à la rencontre de Haran, sur un voilier

non militaire, pavoisé de blanc.

Les marins avaient appris le langage par les Esprits

Jardiniers du Continent Sauvage. Il différait très peu des

langues en usage dans les royaumes civilisés. Aussi, les

dignitaires de tous ces peuples mis en présence, se

comprirent rapidement.

Le serment de Salermnos : 208

Le serment de Salermnos

La flotte des marins n’était pas du tout équipée

pour entreprendre une conquête. Elle fut accueillie dans

le Golfe et bientôt, des négociations furent entamées par

un grand conseil des sages, réuni dans le port fortifié de

Landreger.

Les hommes purent expliquer aux Elfes, aux

Druides et aux Silériens la raison de leur venue. Ils

apprirent aussi le drame qui était en train de se jouer sur

le Continent Civilisé. Ils apprirent qu’une lutte acharnée

entre des forces maléfiques et bienfaisantes était en train

d’obscurcir l’avenir de ce Monde. Mais, comme les

royaumes libres ne tenaient pas à forcer la main du

jeune peuple pensant en les amenant à se précipité dans

le conflit sans réfléchir, leurs Seigneurs proposèrent aux

ambassadeurs Humains de découvrir par eux-mêmes la

situation à l’Est des terres habitées. Ils leur proposèrent

d’accompagner une phalange d’Elfes, de Druides et de

Silériens qui devaient accomplir une longue patrouille

de reconnaissance dans les marches des régions tombées

sous l’influence des ennemis.

Les courageux marins acceptèrent l’offre sans

hésitation.

Le serment de Salermnos : 209

Le serment de Salermnos

- XVI -

La terreur serrait les plus vaillants cœurs de

l’Univers aux abords de la faille magique qui séparait

Formalow du royaume de Sarquonikos.

Les marins ne faiblissaient pourtant pas en

s’approchant de l’Est du Monde. Les ambassadeurs des

Humains avancèrent courageusement aux côtés des

Elfes et des Silériens, vers les Marches du Mal. Ils

montaient de grandes licornes qu’ils avaient emmenées

avec eux depuis leur Continent.

C’est ainsi, en affrontant la souffrance de

l’épouvante et l’angoisse de rencontrer un destin

inconnu sinistre, qu’ils comprirent l’enjeu des combats

menés depuis deux siècles déjà, par les espèces

pensantes de ces pays. Les hommes étaient courageux et

énergiques. Leurs âmes jeunes et généreuses

embrassaient rapidement les nobles causes. Aussi,

quand les patrouilles menées secrètement par les soldats

sylvains et les valeureux paysans-forgerons, les eurent

conduits jusqu’aux abords de la source de magie

corrompue, les marins décidèrent de retourner sur leurs

rivages afin de mobiliser leur peuple pour aider les

défenseurs du bien.

Le serment de Salermnos : 210

Le serment de Salermnos

Car aux yeux du peuple des navigateurs, il était

clair que si le Continent Civilisé tout entier tombait aux

mains de Gaurtlung, du Seigneur des Ankous ou bien

même, et là l’horreur serait suprême, sous l’influence de

Sarquonikos, les terres sauvages finiraient par

succomber un jour ou l’autre.

Le Golfe de Salermnos se présentait, avec

Nabachton et les îles de Myrion, comme un des derniers

bastions que les peuples libres pourraient tenir contre le

déferlement des hordes malfaisantes. Les rives de ce

gigantesque bassin maritime, étaient aptes à abriter de

nombreuses forteresses et de fortes légions sans perdre

sa beauté sauvage ou bien être menacé par une

dégradation de son environnement.

Les navigateurs étaient une jeune espèce et s’ils

étaient capables de constituer un puissant royaume en se

réunissant tous sous la même bannière et dans la même

région, il y aurait encore de vastes espaces vierges sur le

littoral du Golfe, s’ils venaient à l’habiter avec les Elfes

et les Silériens des garnisons. De plus, leur grande

connaissance de la mer et leur capacité à construire

d’immenses nefs, les destinaient à assurer la logistique

et les transports des défenses de Salermnos en sillonnant

les flots calmes du bassin.

C’est ainsi que le Conseil des Peuples Libres,

invita les marins du Continent Sauvage à venir s’établir

eux aussi sur les rives de ce Royaume des Estuaires.

Dans les siècles qui suivirent, ils défendirent avec tant

Le serment de Salermnos : 211

Le serment de Salermnos

de forces leur nouveau pays, ils furent si généreux en

apportant une aide précieuse et sans limite aux autres

combattants du bien, que Salermnos avec les

embouchures de ces fleuves devint le Duché des

Navigateurs.

Les Korrigans réussirent un jour à l’isoler de

Nabachton. Un Empire Maléfique couvrit d’ombre et

d’effroi depuis les contreforts des Monts du Bout du

Monde jusqu’à la Silérie, mais, jamais les forteresses

ainsi que le littoral de Salermnos ne tomba aux mains de

l’ennemi. Les Marins se dressèrent toujours avec

obstination aux côtés des Elfes et des Paysans-

Forgerons, refoulés par la magie des Maîtres des

ténèbres. Les Humains permirent, pendant les plus

sinistres heures de l’Histoire de ce Monde, de maintenir

libres des îlots de lumière, de bonté et de force. Le

Cycle perdura grâce à ces nouveaux venus aux cœurs

purs.

Le serment de Salermnos : 212

Le serment de Salermnos

- XVII -

Gaurtlung le maudit regardait vers l’Ouest avec la

fureur noirâtre de son âme torturée qui jaillissait de ses

yeux, comme une brume putride.

Il savait que dans sur les rivages et les flots des

Estuaires, les forces du bien se regroupaient et

organisaient une résistance si vigoureuse et intraitable,

que lui-même, en dépit de ses gigantesques armées, de

sa haine effrayante et des sortilèges néfastes qu’il

déploierait, n’anéantirait jamais.

Son cœur de marbre était désormais dénué de tout

sentiment, mais il connaissait la peur et le doute. Or, il

venait d’apprendre qu’une nouvelle espèce pensante

était venue sur Formalow. Les hommes venaient

s’installer aux côtés des Elfes et des Silériens sur la

Terre ainsi que le littoral généreux et grandiose du

Golfe.

Elles n’étaient pas nombreuses ces jeunes

créatures, mais leur détermination et leur enthousiasme

faisait trembler de dégoût le Jardinier Divin déchu. Il ne

supportait plus les bonnes intentions, l’amitié sincère et

la confiance. Voilà déjà plus de mille ans que ces

impressions apaisantes, rayonnantes comme une chaleur

thérapeutique dans le corps et l’âme des purs, chaque

Le serment de Salermnos : 213

Le serment de Salermnos

fois que ces derniers ouvraient leurs cœurs à l’amitié,

avaient déserté l’existence de ce monstre hideux.

A défaut de les éprouver encore une fois, il s’était

décidé à les exécrer. Briser, détruire anéantir ruiner, tuer

était devenu ses seules et uniques sources de joie, de

plaisir et même de jouissance. Son souffre douleur et

son lieutenant, servile et détestable à souhait, le

Seigneur des Ankous, subissait régulièrement et

terriblement la méchanceté gratuite de Gaurtlung. Mais

comme tout esprit d’orgueil et de respect envers lui-

même avait aussi abandonné ce misérable assujetti.

Celui-ci se complaisait maintenant dans sa bassesse et

son avilissement.

Mais pendant ce temps, les courageux peuples

libres, en dépit des immenses pouvoirs de mort et

d’effroi déployés par les ténèbres, se reprenaient et

s’apprêtaient, car ils n’avaient pas d’illusion sur le

proche avenir, à subir une invasion quasiment totale de

leurs Royaumes.

Mais la vaillante Nabachton, la cité-pays du Nord-

Ouest, se gorgeait de magie. Ses hauts murs rayonnaient

de magie bénéfique. Les Korrigans, les Léviathans et les

esprits corrompus, qui chassaient désormais les âmes

maudites après avoir fait allégeance au Roi des Ankous,

ne parvenaient pas à regarder sans trembler de panique,

même de très loin, les défenses de ce territoire. Les

Nabatéens surarmés et motivés par la force de leur

Le serment de Salermnos : 214

Le serment de Salermnos

Reine, pouvaient surgir dans une charge dévastatrice

avec une rapidité hallucinante.

Dans le sud, sur les contreforts des Monts du Bout

du Monde, les Elfes avaient renforcé les remparts bâtis

au temps de la Forteresse de l’Ombre. Les vallées dont

ils avaient longtemps fermé les accès, maintenant les

Korrigans de Thanator sur les Flancs des Montagnes,

étaient devenues le pays des Elfes Sylvains. Ceux-ci en

avaient définitivement refoulé la malfaisance de jadis.

Aussi la chaîne méridionale était devenue une douce et

merveilleuse résidence.

Les Sylvains étaient capables de résister très

longtemps aux assauts des phalanges du néant dans

leurs combes renforcées. L’air de ses lieux était

vivifiant et décourageait la haine des maudits.

Les îles de la belle mer intérieure de Myrion

étaient également devenues inaccessibles aux hordes de

Gaurtlung, tout comme le Golfe de Salermnos.

Partout dans le Monde civilisé de Formalow les

forces loyales au Penseur Eternel bâtissaient de

puissants terrains de résistance et organisaient celle-ci

avec courage. Mais, la fin provisoire de la liberté avait

déjà sonné. Les forêts et les vastes landes du Continent

allaient tomber, en dépit de la vaillance de leurs

défenseurs, sous l’emprise des ténèbres. La magie de

Gaurtlung se déployait sur toutes les terres du monde.

Sa profondeur et son efficacité étaient efficacement

contrebalancées par celle de Nabachton mais, il était

Le serment de Salermnos : 215

Le serment de Salermnos

devenu impossible de la vaincre dans de telles

circonstances.

Les Marins constituaient des renforts valeureux

contre les hordes de Korrigans que le maudit s’apprêtait

à lancer sur le Monde, mais les Hommes ne

connaissaient pas les sorts défensifs contre les attaques

cabalistiques de Thanator et de ses alliés. Aussi, sur ce

plan, ils étaient impuissants et ne pouvaient combattre

ces assauts qu’avec l’aide de leurs amis.

Cependant, les Humains armèrent leur flotte, après

avoir soigneusement replanté tous les arbres qu’ils

avaient coupés pour construire leurs vaisseaux. Ils

préparèrent leurs villes pour un long sommeil, puis,

déployant les grandes voiles de leurs coursiers des mers,

ils firent route vers le Golfe de Salermnos.

Quand ils débarquèrent sur le Continent Civilisé,

avec l’aide des Elfes, des Druides et des Silériens, ils

construisirent les formidables ports fortifiés des

Estuaires. Leurs remparts et leurs armes étaient destinés

à devenir un des principaux fléaux des serviteurs du

néant, dans les âges à venir.

Le serment de Salermnos : 216

Le serment de Salermnos

- XVIII -

Haran participait encore à une patrouille aux

abords de la Faille du Néant.

Il commandait sa phalange avec prudence et

surveillait particulièrement le ciel. Deux nouveaux

Léviathans avaient été observés près des fortifications

colossales que les maudits avaient dressées autour du

puits de magie corrompu.

De tels monstres volants menaçaient les colonnes

de cavaleries qui voyageaient à découvert, sans être

protégées par des batteries de catapultes. Or, même les

Elfes ingénieux ne trouvaient pas d’idées pour

construire un armement de ce type, puissant,

suffisamment mobile pour accompagner des troupes en

mouvement.

Les Silériens et les petits Sylvains travaillaient

pourtant activement à l’utilisation de moyens

mécaniques légers et robustes, pour envoyer de gros

projectiles dévastateurs, le plus loin possible.

Mais ces machines étaient encore expérimentales

et la seule défense des patrouilles contre les attaques des

Hydres de Gaurtlung, dans la lande, était la rapidité de

la fuite vers des abris.

Le serment de Salermnos : 217

Le serment de Salermnos

C’est ainsi que le vieux Roi Sylvestre se sentait

mal lorsqu’il suivait, avec ses soldats les frontières des

plaines dépouillées qui bordaient les terres mortelles,

apparues avec la Faille des ténèbres. Pourtant, il était

nécessaire que les Nations Libres observent avec acuité

les activités de leurs ennemis, sur les abords du Néant.

Haran regarda à l’horizon du désert grisâtre qui

s’étendait vers le Nord des Terres, sous l’influence de

Gaurtlung. Dans l’ombre, se découpant sur les nuages

bas, il aperçut deux points qui se déplaçaient vivement

dans les airs. Etait-ce des oiseaux ou bien des

Léviathans très éloignés. Dans la lumière morte et livide

des régions ténébreuses, même pour un Elfe aussi sage,

si expérimenté que le Seigneur Haran, il était difficile

d’évaluer la distance ainsi que la taille des formes

vivantes qu’il parvenait à apercevoir.

Il demanda l’avis de son Capitaine. Celui-ci, fixa le

point lointain que lui indiquait son souverain avec

insistance. En quelques secondes, il se fit une opinion.

- Mon Roi, lança-t-il, ce sont de très grands

monstres aériens. Ils volent au-delà des montagnes que

nous apercevons, là-bas ! De temps à autre, ils

disparaissent derrière. Cela signifie qu’ils sont encore

plus distants de nous, que ces sommets. Pour que nous

puissions les voir, ils doivent être colossaux.

Haran se tourna vers l’Ouest et tenta de mesurer la

longueur de chemin qui séparait sa troupe de l’Orée des

forêts du Monde. Sa phalange devrait galoper deux

Le serment de Salermnos : 218

Le serment de Salermnos

heures avant de s’engouffrer sous la protection des

premiers arbres. Le Capitaine lança au Roi.

- Monseigneur, les monstres nous ont aperçus !!!

- Chargez tous vers les bois, ordonna le souverain !

Nous avons affaire à deux Léviathans ! Nous ne

pourrons pas leur échapper en terrain découvert !

Les archers Silériens et Elfiques préparèrent leurs

arcs, leurs arbalètes et leurs carreaux d’acier Nabatéen.

Les Hydres de Gaurtlung constituaient d’effrayants

adversaires qu’il était difficile de repousser et qui, sans

aucun doute, seraient impossible à détruire sans la

protection d’une forteresse ainsi que le déploiement de

son armement. Pourtant, les compagnons du Roi

Sylvestre ne s’affolaient pas. Ils s’organisaient

consciencieusement pour engager une lutte frontale

avec les démons ailés.

La phalange se lança dans sa course disciplinée

vers les futaies. La troupe massive se mit en ligne et se

rua vers les arbres qui bordaient l’océan de verdure,

étendu à l’Ouest.

Mais si les licornes étaient rapides comme le vent,

également plus endurantes que des machines

mécaniques, les Léviathans filaient dans l’atmosphère

polluée comme toutes les flammes infernales du Monde

de Sarquonikos.

Les démons gagnaient du terrain. Ils grossissaient

dans le ciel blafard, sans vie, des limbes mortelles. Leur

taille était monumentale. Jamais les forces du mal

Le serment de Salermnos : 219

Le serment de Salermnos

n’avaient compté de si puissantes créatures dans leur

rang. Les cavaliers des Nations Libres redoublèrent

d’énergie en sentant un tel danger sur leur talon. Ils

accélérèrent, tout en lâchant une bordée de traits

véhéments vers leurs ennemis.

Mais cette fois, en dépit de la précision des tirs, les

flèches retombèrent vers le sol, brisées ou bien

totalement épointée. Ces Léviathans n’étaient plus de

jeunes créatures inexpérimentées. C’était désormais de

puissants dragons, vifs, aux forces infinies, à la

carapace infranchissable par des armes individuelles,

sauf à la base de leur cou. Cependant, aucun être

pensant n’était en mesure d’approcher ce point faible

des monstres, avec l’espoir de rester en vie.

Haran craignait pour l’existence de ses

compagnons. Un tel péril était au-delà des peines

qu’auraient dû supporter les justes dans ce monde. Le

vieux Roi sentait son âme se gonfler de haine et de

colère.

Tout à coup, dix de ses plus vaillants soldats, six

hauts elfes de la Forêt de Myrion et quatre énergiques

paysans-forgerons firent demi-tour et chargèrent les

terreurs volantes qui, désormais, planaient en basse

altitude. Haran tenta de rappeler ses formidables

défenseurs, mais, ils fonçaient tête baissée à l’assaut de

leurs adversaires titanesques et n’écoutaient plus aucun

ordre dans leur fureur désespérée. Alors, tout en

continuant de galoper vers les arbres salvateurs, la

Le serment de Salermnos : 220

Le serment de Salermnos

phalange se retourna de temps en temps pour observer

ce qu’il advenait des champions ayant relevé un tel défi

avec panache.

Le choc fut impressionnant. Les petits Silériens,

insensibles au souffle de l’air déplacé par les ailes

colossales se ruèrent jusqu’au-dessous de leurs

antagonistes. Là, ils lâchèrent une volée de carreaux à

bout portant dans le corps des Hydres, quand elles

passèrent à quelques mètres d’eux. Les Féroces

Léviathans, ressentirent cette fois les piqûres des armes

de l’Océan d’Herbe Fleurie. Ils se cabrèrent avec fureur,

puis plongèrent impitoyablement vers leurs agresseurs.

Alors, Les Hydres furent accueillies par les glaives

effilés des Elfes qui taillèrent douloureusement de

belles estafilades entre les écailles ventrales des

abominations volantes.

Celles-ci se posèrent alors sur la Terre et

chargèrent le rang des cavaliers Silériens. D’un violent

coup de queue, le premier titan maudit renversa les

quatre licornes des paysans-forgerons. Le second écrasa

sous ses pattes abjectes un des petits guerriers furieux

qui lui avait infligé de nombreuses blessures avant de

succomber. Aussitôt, ses trois compagnons, les glaives

virevoltant avec rage, taillèrent les flancs et le museau

des deux Léviathans. Les bêtes esclaves des ténèbres

reculèrent en hurlant de rage. Les Elfes bondirent à leur

tour, scintillants comme des étoiles filantes, vigoureux

comme les éclairs d’un orage.

Le serment de Salermnos : 221

Le serment de Salermnos

Harcelées des deux côtés, les Hydres de Gaurtlung

ne savaient plus où frapper. Leurs longs coups et leurs

têtes fouettaient l’air avec fureur. Leurs mâchoires

claquaient en se refermant trop tard sur des proies

insaisissables, tandis que dans les défauts de leur

cuirasse, ils ressentaient les cruelles morsures des épées

valeureuses des peuples libres. Mais soudain, un des

monstres agita ses ailes avec une telle force, que les

Elfes et leurs licornes furent jetées sur le sol. Aussitôt,

deux têtes du démon saisirent entre les dents acérées de

leur bouche infecte, des Elfes qui avaient roulé jusqu’à

elles, dans leur chute. Transpercés par les crocs aux

ardillons de cornes, les Sylvains hachèrent cruellement

les lèvres et les langues du Léviathan avant de mourir,

couper en deux par la morsure de l’horrible animal.

Pendant que leurs camarades continuaient de

galoper vers l’orée des Forêts du Monde, les sept

survivants de l’attaque reprirent le combat. Les épées

firent encore du bel ouvrage en blessant énergiquement

les esclaves du mal, avant que le dernier des champions

ne décède, déchiqueté par les défenses d’ivoire qui

hérissaient la queue du Léviathan. Ceux-ci avaient été

retardés par la résistance de l’arrière-garde qu’ils

venaient d’affronter. Mais la Phalange d’Haran n’était

pas encore à l’abri. Le vieux Roi s’était même détaché

de ses hommes, sans doute fatigué par l’interminable

course qu’il accomplissait vers l’abri des bois. Alors, le

Souverain se retourna et brandit son glaive :

Le serment de Salermnos : 222

Le serment de Salermnos

- Assassins, vous avez détruit sauvagement ses vies

dans cette lutte inégale et sans courage de votre part ! Je

vais vous faire payer ces méfaits ou bien mourir comme

mes braves. !

La charge d’Haran est demeurée dans les récits de

l’Âge d’or des forêts comme le plus grand exploit de

cette époque. Le Seigneur Sylvain, malgré les

interminables siècles qu’il avait traversés, fit preuve

d’une force, d’une vélocité et d’une précision jamais

égalée, même chez les grands héros qui écrivirent

l’Histoire de Formalow, pour la suite des Âges. Son

glaive farouche trancha la patte d’un monstre et un des

cous de l’autre. Ses créatures ignobles finirent par

reculer avec terreur devant la fureur du Roi. Mais, le

plus grand Léviathan, bien qu’il ait perdu une de ses

têtes, parvint à soulever une énorme roche et la jeta avec

véhémence contre son adversaire si impitoyable.

Ainsi mourut le Seigneur Sylvain le plus sage et le

plus courageux de tous les temps : Haran de Castel-

Elfes. Son épée resta figée dans un bloc de granit issu

de l’éclatement de la Roche qui l’avait tué. Les hommes

de son escorte, accablés de peine et d’effroi furent

rattrapés par les Léviathans, à quelques furlongs des

premiers sous-bois du Monde Civilisé. La patrouille

d’Haran fut anéantie après une courageuse mais inutile

résistance.

Les Licornes furent éventrées ou bien dévorées.

Les Elfes et les Silériens furent déchiquetés. Et si les

Le serment de Salermnos : 223

Le serment de Salermnos

coups qu’ils portèrent à leur fléau furent intraitables et

énergiques, ils n’infligèrent jamais la mort pour les

monstres de Gaurtlung.

Ainsi mourut le premier et le plus vieux Seigneur

des temps oubliés de Formalow.

Le serment de Salermnos : 224

Le serment de Salermnos

- XIX -

L’armée de Nabachton sortit de la cité royaume en

galopant dans une charge effarante. Des pigeons de feu

étaient parvenus à se poser dans le palais des Seigneurs

de la Ville. Les oiseaux avaient apporté de bien

mauvaises nouvelles.

Des légions de Gaurtlung, avaient franchi en force

les frontières délimitées par la faille dimensionnelle de

l’Est. Une escadre de Léviathans les accompagnait.

Partout, les habitués des terres sauvages entendaient les

esprits des forêts du Sud qui se lamentaient sur la mort

d’Haran le Grand. Le sage parmi les sages elfiques

venaient de quitter le monde de Formalow durant un

combat épique contre des monstres volants, les plus

puissants issus des ténèbres.

Ces renseignements soufflant en tempête sur le

Continent Civilisé, avaient amené une peine et une

colère monumentales dans le cœur de Sylvania, de

Gémildan et de Mohodir. Ils levèrent aussitôt une

grande phalange de cavaliers avec des archers qu’ils

installèrent dans de nombreux chariots. Ils déployèrent

aussi des catapultes hippomobiles, nouvellement

conçues par les elfes ingénieux ainsi que par les

Silériens, puis, tout en laissant de nombreux défenseurs

Le serment de Salermnos : 225

Le serment de Salermnos

sur les remparts de leur pays, ils commencèrent une

formidable charge contre les ennemis de la lumière, de

la beauté et de la justice.

Des milliers d’années plus tard, le souvenir de

cette gigantesque contre-attaque vivrait encore dans les

cœurs des descendants des chevaliers qui y avaient

participé, sur le sol, sur les arbres et au fond de l’âme de

la forêt septentrionale. Jamais une si belle chevauchée

ne se reproduisit durant ce Cycle, alors qu’il n’est pas

encore fini et qu’il semble devoir durer à jamais.

Le grondement de cette armée en marche,

l’ébranlement généré par les innombrables licornes qui

martelaient la terre en avançant à travers le Nord du

Monde, le roulement des chars qui les suivaient tandis

que les roues cerclées d’acier nabatéen éclataient les

lourdes pierres de schistes, comme des mottes de sable

mouillé, traversèrent le Continent, puis, semèrent la

terreur dans les terres ténébreuses orientales.

Gaurtlung le Maudit, fut lui-même épouvanté par

la rumeur qui lui venait de l’Ouest. Malgré les vastes

légions qu’il avait lâchées avec cruauté sur Formalow,

en dépit de la destruction de son vieil adversaire Haran,

il crut qu’une fois de plus, il avait présumé de sa

puissance. Il eut peur que toute la malice magique qu’il

avait déployée depuis un demi-siècle, amplifiée par la

corruption du puits d’énergie dont il détenait le

contrôle, ne vienne pas à bout des Nabatéens et de leurs

alliés des Nations Libres

Le serment de Salermnos : 226

Le serment de Salermnos

Le Démon concentra toute son énergie malfaisante

sur ses capitaines décharnés : les Ankous, mais

également sur la barbarie de leurs subalternes abjects les

Korrigans. Il insuffla, en sacrifiant à jamais ses pouvoirs

de dissimulation, puis, de métamorphose, la haine la

plus froide ainsi que la persuasion la plus irrésistible à

ses titans ailés. Enfin, dans un rire sardonique qui

parvint jusqu’aux portes de Nabachton, il offrit en

pâture à tous les monstres de son engeance, la beauté, la

grandeur, la pureté, puis enfin, les cœurs de toutes les

Nations Libres de ce Cycle.

Le vent sifflait aux oreilles des Seigneurs de

Nabachton partis en Guerre. Il y avait, en tète de la

charge, la belle et puissante Sylvania aux yeux

courroucés. Elle faisait mouliner avec fureur sa grande

épée Elfique. Derrière elle, son époux terrible dans la

bataille, fulgurait comme la foudre sur le dos de sa

monture. Musclé, massif, bardé du meilleur acier

nabatéen, hérissé d’une lance inquiétante mais aussi

d’un glaive au tranchant flamboyant, il filait comme les

flammes du soleil sur sa blanche licorne, dans les

tintements d’une hache à deux tranchants, offerte par les

marins du Golfe de Salermnos, qui s’agitait contre sa

cuirasse au rythme du galop de l’attaque.

L’armée en mouvement se composait d’une

centaine de lignes qui s’étendaient chacune sur trois

lieues de largeur. Un million de créatures libres et

furieuses se ruaient sur leurs ennemis, avec toute la

Le serment de Salermnos : 227

Le serment de Salermnos

capacité destructrice du désespoir. Sarquonikos lui-

même, au fond de son royaume de mort, sur le trône

d’où il manipulait les mauvais instincts et la bassesse

ensommeillée dans toute la création, réalisa que tout cet

héroïsme mais aussi ce courage, menaçaient directement

sa mesquinerie infâme d’épicier, tentateur des âmes

faibles.

Le Seigneur de la mort et du néant introduisit alors

un mensonge odieux dans les esprits des esclaves de

Gaurtlung. Ce dernier n’obtenait l’obéissance de ses

troupes que par la peur et les châtiments qu’il infligeait

avec délice. Sarquonikos, plus intelligent et plus

ignoble également, galvanisa les serviteurs du Néant en

leur instillant une foi mensongère au milieu de leurs

pensées obscures. Il leur fit croire qu’en se sacrifiant au

combat, les malheureuses créatures des ténèbres

n’allaient pas sombrer dans l’oubli et l’effroi du monde

de l’inexistence ainsi que du néant. Le roi des zones

désespérantes de l’Univers, fit naître, dans le cœur des

combattants de son vassal Maudit, la légende d’un

paradis accessible aux chevaliers du mal qui périraient

courageusement sur le champ de bataille, pour défendre

leurs maîtres contre les Elfes géants cruels, les Silériens

inflexibles, les Druides menteurs et les Marins teigneux.

L’incroyable résistance à la douleur et l’obstination

que les serviteurs de l’ombre mettraient bientôt, dans la

fureur des corps à corps, à vaincre leur lâcheté naturelle,

les Korrigans, les Léviathans ainsi que tous les êtres

Le serment de Salermnos : 228

Le serment de Salermnos

corrompus qui se vouèrent aux ténèbres dans les siècles

suivant, les gagnèrent ce jour-là.

Comme animées d’une force nouvelle, les hordes

de Gaurtlung inondèrent les plaines du Nord, tel un

océan débordant de son lit, avec une véhémence

identique à celle des nabatéens. Il n’était pas difficile

d’imaginer l’effet monstrueux qu’aurait leur

affrontement au sein de la Taïga. Un flot de sang et de

chaires déchiquetées allait déferler sur ces espaces

encore vierges. La douleur et les peines s’étendraient

sur le Monde civilisé avec un cortège de chants

funèbres et de cœurs déchirés comme jamais il n’y en

avait eu et comme plus jamais il n’y en aurait.

C’est au-devant des tourbillons de glace

meurtrière, précédant la haine du Néant, que se

précipitèrent les forces du bien. Les premiers rangs, par

la grâce de leurs armures et la cuirasse de leurs licornes,

franchirent la tempête de grêle sans trop de dommages.

Mais, ils furent décimés par l’attaque foudroyante des

Hydres volantes qui se cachaient traîtreusement au-delà

de ce leurre météorologique.

Les haches, les glaives et les lances ne chômèrent

pas. Deux monstres maléfiques perdirent la vie, bien

que les lignes de l’armée nabatéenne soient

douloureusement éclaircies. Bientôt, dans les

bourrasques des coups d’ailes donnés par les

Léviathans, il ne resta plus, sans leurs montures abattues

dès le premier choc, que les trois Seigneurs de

Le serment de Salermnos : 229

Le serment de Salermnos

Nabachton et leurs plus puissants capitaines : vingt

solides Silériens, une dizaine de formidables Elfes ainsi

que deux humains harassés par la besogne colossale

qu’ils avaient accomplie.

Alors, les Hydres furieusement blessées par les

armes de la liberté reculèrent. Les dragons de Thanator

venaient d’apprendre, avec de la peine autant que de la

honte, l’ardeur ainsi que la vaillance des peuples libres.

La belle Sylvania aux côtés de son mari, Gémildan,

menaçait d’une voix tonnante les soldats Korrigans

qu’elle devinait, dissimulés lâchement derrière le rideau

de vapeur et de poussière soulevé par la lutte

précédente.

Mohodir, une plaie ouverte, battant et saignant au

fond de la déchirure de son armure, se tenait dos contre

dos avec les deux humains et un Elfe de sa Maison. Les

tranchants de leurs épées et de leurs haches n’étaient

même pas ébréchés. Si le sang de leurs ennemis en

gouttait abondamment, la dureté de l’acier et la force

des combattants qui les magnaient, n’avaient pas

périclité.

Il restait un troisième groupe de Silériens et d’Elfes

qui se rapprochait, en se serrant avec fermeté autour de

la Reine et du Roi fondateur de leur cité royaume.

De nouveau, les lances et les lames se dressèrent

dans la lumière glacée qui éclairait toujours les attaques

des maudits. Les survivants du premier assaut allaient

encaisser le déferlement des hordes maléfiques que le

Le serment de Salermnos : 230

Le serment de Salermnos

temps hivernal dissimulait dans une atmosphère de

brouillard, quand, un bourdonnement semblable à celui

de milliers de cordes de harpes pincées en même temps,

tonna. Le son fut tel, que les tornades de glace

s’effondrèrent en se dispersant sous la forme

inoffensive d’un givre léger.

La brume tomba alors en découvrant l’interminable

armée des ténèbres. Celle-ci s’étendait à l’infini, devant,

mais aussi sur les côtés des malheureux guerriers

épuisés. Les larmes aux yeux, Sylvania se laissa envahir

par une courte défaillance. Les bras du Seigneur

Silérien, gainés dans une côte de mailles rougies par le

sang, s’abaissèrent quelques secondes. Les humains, les

Elfes et les paysans-forgerons de cette avant-garde

durement éprouvée, faillirent s’agenouiller pour se

laisser massacrer sans plus s’épuiser qu’ils ne l’étaient

déjà. Mais, tout à coup, le soleil apparaissant dans

l’ombre qui se déchirait, ces héros des Âges anciens se

redressèrent. Ils s’arc-boutèrent en avant, prêts à fournir

un épouvantable effort de résistance. Puis, à pleine voix,

ils se mirent à chanter la gloire de Castel-Elfes, la

bataille qui avait si cruellement opposé Haran et

Gaurtlung, de longues décennies plus tôt.

Inexplicablement, dans un mugissement de fin du

monde, un projectile, sans doute envoyé par les

catapultes des forces en réserve de Nabachton, vint

s’écraser en éclatant au milieu des soldats de Gaurtlung.

Un nombre impressionnant de ces terreurs malfaisantes

Le serment de Salermnos : 231

Le serment de Salermnos

périt, aplati par le choc. D’autres furent à moitié couper

en deux par les éclats tranchants de l’acier. Une

agitation affolée s’empara alors des démons du Roi de

la Nuit et de la mort.

Le bourdonnement de cordes musicales se

reproduisit encore et s’expliqua alors aussitôt. Une nuée

de flèches meurtrières tomba du ciel, dévastant les murs

de gnomes noirâtres qui barraient la Taïga sur des lieues

et des lieues. Les corps chutèrent lourdement sur le sol

froid. Ce fut toute l’armée maudite qui recula devant la

véhémence des traits nabatéens. Enfin, trois

gigantesques Léviathans s’écrasèrent lourdement sur

leurs alliés. S’ils vivaient encore, ils avaient été

cruellement blessés par les catapultes de Nabachton.

De nouveaux Elfes renforcés par de solides Marins

du Golfe mais aussi une puissante phalange de robustes

Silériens, surgirent des lignes arrières pour appuyer les

survivants de la première vague d’attaque. Ils se

regroupèrent tous en formant, avec leurs boucliers, une

énorme tortue en forme de coin, puis, ils chargèrent la

masse compacte des hordes du néant. Cette fois, les

nabatéens progressèrent. Ils avancèrent avec courage

vers le cœur de l’armée de Gaurtlung, une division

composée d’énormes Ankous aux regards vitreux qui

inspiraient une terreur froide à ceux qui les

approchaient habituellement. Cependant, la hargne des

forces du bien ne faiblit pas durant ce combat.

Le serment de Salermnos : 232

Le serment de Salermnos

Les ennemis tombaient nombreux, se plantant avec

une barbarie affligeante sur les lances des Elfes ou bien,

se laissant découper, avec une indifférence éprouvante

pour leurs adversaires, par les haches et les glaives

infatigables des Nations Libres.

Au sein du dispositif nabatéen, les voix de

Gémildan et de Sylvania dominaient le tumulte, hurlant

avec rage.

- Mais comment peuvent-ils se faire égorger ainsi

sans sourciller. Gaurtlung les aurait-il drogués ? Disait

la Reine en ponctuant ses questions par de terribles

coups de taille qui sabraient énergiquement quelques

têtes maléfiques à chaque fois.

Gémildan répondait en assénant un dévastateur

moulinet de hache, entamant au passage, quelques bras

ou quelques coups ténébreux trop avancés :

- Ils n’ont plus peur. C’est comme les Léviathans,

tout à l’heure. Ils ont reculé à cause de leurs blessures,

mais, ils ne craignaient plus la mort comme ils le

faisaient, avant.

Mohodir, épuisé par sa plaie vive et le combat qu’il

menait sans repos depuis le premier choc, reconnaissait

qu’il n’avait jamais eu affaire à de si fortes parties en se

battant contre les Korrigans ou toute autre créature du

Néant. Si les Ankous étaient courageux, ils étaient tout

de même d’anciens Elfes de haut lignage, bien qu’ils

soient passablement corrompus désormais, ils n’avaient

Le serment de Salermnos : 233

Le serment de Salermnos

jamais montré autant d’entêtement à tenir leur position

que les capitaines de Gaurtlung, ce jour-là.

Les monstres abattus formèrent bientôt un rempart

élevé autour de la tortue nabatéenne, gênant les forces

du bien dans leur progression. Elles n’étaient pourtant

plus éloignées du carré des Ankous qui les regardaient

avancer avec inquiétude.

Tout à coup, un nouveau coup de théâtre provoqua

un désespoir vertigineux dans les cœurs des nations

libres, alors qu’elles n’étaient plus séparées de l’Etat-

Major de leurs ennemis que par quelques rangs de

démons vivants mais handicapés par leurs entrailles

déchirés et leurs membres tailladés.

Ces innombrables serviteurs de Gaurtlung

lancèrent soudain, vers le ciel oriental, des clameurs de

joie et de bienvenue. Des escadres de Léviathans frais,

sans blessure, venaient remplacer ceux qui avaient été

refoulées par le premier contact.

La fin s’approchait pour la belle armée de

Nabachton. La houle des ennemis de la justice et de la

beauté allait bientôt déferler jusqu’aux portes du

Royaume magique du Nord. Mais, il fallait encore, aux

chevaliers des Nations libres engagés dans cette bataille

sans espoir, occasionner un maximum de dégâts aux

légions de Gaurtlung avant de mourir. Les remparts

ainsi que la magie de la vallée enchantée, dans laquelle

le peuple de Sylvania s’était installé jadis, arrêteraient

l’invasion si ici, dans le désert sauvage septentrional,

Le serment de Salermnos : 234

Le serment de Salermnos

les serviteurs de la lumière et du libre arbitre se

sacrifiaient jusqu’au dernier afin de retenir les monstres.

Alors, toutes les catapultes, tous les arcs, toutes les

licornes, tous les chars, tous les glaives ainsi que toutes

les lances nabatéennes, pointèrent vers les esclaves du

Néant, puis, dans un biblique et poignant sursaut de

folie courageuse, ils se ruèrent dans les lames de

l’Océan de haine qui fonçait sur eux en grondant.

Longtemps les cris de rage et les chants des Elfes

tonnèrent dans la forêt septentrionale pendant que les

lames s’ébréchaient à tuer sans interruption, jusqu’à

faire périr les chevaliers qui les maniaient de fatigue.

Gémildan, dos à dos avec Sylvania succombèrent en

tuant deux centaines de Korrigans avec une cohorte

d’Ankous. Mohodir rendit l’âme tandis que, monté sur

l’échine d’un Léviathan posé au sol, il achevait de lui

trancher le dernier cou. C’est criblé de flèches

empoisonnées, tirées par des centaines d’archers

maudits, qu’il finit par périr dans le soleil rougeoyant du

soir.

Si les glorieux chefs ou Seigneurs des Nations

Libres tombèrent dans cette première journée de

l’invasion Impériale, si les deux tiers de l’armée de

Nabachton furent anéantis là, dans le Nord, les

survivants ne s’enfuirent pas. Ils bloquèrent par une

guérilla inflexible, les gigantesques forces de Gaurtlung

pendant plus d’un mois, dans la Taïga. Ils envoyèrent

des pigeons de feu dans leur Cité Royaume, aux

Le serment de Salermnos : 235

Le serment de Salermnos

forteresses du Golfe de Salermnos, dans la petite ville

de Mégara, la capitale de Silérie et sur les îles fortifiées

de la mer de Myrion.

Les derniers défenseurs de la Liberté purent

préparer leurs territoires, leurs châteaux et les restes de

leurs troupes pour faire face à la chute de la liberté sur

le Continent Civilisé qui allait gémir, pour de longues

années, sous la botte des créatures du Néant.

Les Druides qui avaient participé à la charge de

Nabachton, parvinrent à canaliser la puissance des puits

de magie entourant le chant de bataille pour, non

seulement soustraire ces ressources inestimables à leurs

ennemis en les dissimulant derrière des illusions

enchantées terriblement mortelles, mais aussi, afin de

soutenir les forces du bien qui avaient perdu leur

vitalité, bien qu’elles aient conservé tout leur courage.

C’est ainsi que les restes des Nabatéens continrent

suffisamment longtemps les légions de Gaurtlung, pour

que la résistance des derniers peuples libres s’organise,

tout en se cachant efficacement dans les grandes forêts

du Continent Civilisé ou derrière les remparts

imprenables des places fortes maritimes et

montagnardes.

Quand le dernier combattant de la liberté fut tombé

dans les terres sauvage du septentrion, les hordes des

ténèbres étaient éprouvées mais, elles avaient accumulé

assez de fureur et de haine, pour faire fuir les esprits

Le serment de Salermnos : 236

Le serment de Salermnos

jardiniers de la Taïga eux-mêmes, jusqu’aux limites des

glaces éternelles du Pôle Nord.

Il n’était plus question de résister ouvertement au

mal. Les plus grands Seigneurs étaient tombés dans les

batailles des mois précédents. Seul le secret, la

dissimulation et la rapidité pourraient maintenant

permettre de contenir les excès des féroces Korrigans,

des sinistres Ankous et des effroyables Léviathans.

Les soldats du Néant et leurs capitaines se

répandirent sur tout le Continent Civilisé. Ils

s’emparèrent des villes, surveillèrent les grandes routes

et dominèrent le monde habité de Formalow.

Cependant, ils ne parvinrent pas à s’emparer du col

des cristaux de puissance, au-dessus de Mégara. Sur les

Montagnes de Silérie. Une petite armée de Silériens y

construisit un réseau de souterrains. Ils s’y abritaient

des Léviathans tout en empêchant quiconque de monter

sur ces sommets sans leur accord. Les Sylvains de

Castel-Elfes repoussèrent aussi les hordes de Gaurtlung.

Ils envoyèrent des aigles, pendant toute la durée de

l’Empire, ravitailler les partisans montagnards Silériens.

Les bois qui encerclaient la Mer de Myrion furent,

eux aussi, gardés des Démons de Thanator par les

énergiques Druides et leurs galères forteresses.

Les rives du Golfe de Salermnos furent un des

hauts-lieux de la résistance également. Les Marins

rejetèrent, depuis les hauts murs de leurs forteresses, les

Le serment de Salermnos : 237

Le serment de Salermnos

innombrables assauts qu’ils durent subir, pendant toute

la domination de l’Empire.

Il y eut enfin le Royaume de Nabachton que toutes

les sources de magie cachées renforçaient en se

concentrant dans celle autour de laquelle, la Cité

Royaume des Nabatéens avait été fondée. Cette vallée

merveilleuse et son industrie intelligente furent le fer de

lance des combattants de la lumière et de la liberté.

La Bataille du Nord n’était pas encore Achevée

que tous les capitaines, les sages, les régents, élus et

aimés par tous les peuples pensants de la création du

Penseur Eternel, se rendirent dans l’Aber d’Armenos.

Là, solennellement, au nom même du Maître du

Cosmos, ils prêtèrent tous le célèbre Serment de

Salermnos qui devaient unir dans la fraternité, les

hommes, les druides, les Elfes, les Silériens et même les

Esprits Jardiniers, contre la haine des Maudits, esclaves

des Seigneurs adorateurs du Néant.

Malgré l’affaiblissement des peuples éprouvés par

la guerre et l’adversité maléfique, un grand espoir était

né dans cette union forgée autour de l’épée d’Haran. Ce

glaive était toujours planté dans la roche qui avait tué le

vieux Seigneur. Recueillie par les Druides, la lame

mythique fut installée dans les jardins de la forteresse

d’Armenos. Tous ceux qui la voyaient et qui la voient

encore, inaltérable malgré les pluies venues de l’Océan,

sentent leur force intérieure et physique se multiplier.

La magie et la sagesse infinie du plus vieux des Rois

Le serment de Salermnos : 238

Le serment de Salermnos

Sylvains les animent alors. Ils savent qu’ensuite, plus

jamais ils ne céderont aux sirènes des ténèbres et que,

même s’ils sont moins nombreux que leurs adversaires,

ils ne peuvent pas être vaincus.

La forteresse d’Armenos, avec Nabachton et

Myrion, devinrent la hantise qui rongea les cœurs

déchus de Gaurtlung et de Sarquonikos.

Le serment de Salermnos : 239

Le serment de Salermnos

- XX -

Du haut des remparts de Nabachton, la Princesse

régnante Manohéva regarda vers l’Est. La noire masse

grouillante des puissances ténébreuses se ruait avec

férocité à travers la plaine du Nord.

Dans le ciel assombri par les vapeurs nocives,

émises depuis la faille dimensionnelle orientale, les

Léviathans colossaux tournoyaient, attendant un signe

de leur maître, venu en personne participé au siège de

Nabachton.

Les puits d’énergie bienfaisante avaient échappé à

cette marée maléfique qui déferlait depuis le bout

oriental du Monde sur le Continent Civilisé. S’ils

existaient toujours et si désormais ces sources de

bienfaisance concentraient leur action visible dans la

vallée de Nabachton, plus jamais elles ne pourraient être

approchées au cours de ce Cycle. Dans les terres

sauvages du Nord, leurs anciens emplacements seraient

marqués par des allées couvertes, mais ces dolmens ne

seraient dressés qu’à la fin de L’empire, après la Guerre

des Larmes de Sang.

Aujourd’hui, les hordes du mal occupaient toutes

les Terres Civilisées et heureusement, elles ne pouvaient

pas mettre la main sur les puits dissimulés par les

Le serment de Salermnos : 240

Le serment de Salermnos

sortilèges des Druides. Pourtant, en arrivant sous les

remparts de Nabachton, et bien qu’elles aient été

éprouvées durement dans les combats contre la

Résistance dans la Taïga, les maudits furent persuadés

que la Ville Royaume allait se rendre aisément. Ils

faisaient une bien grave erreur.

La puissance magique de Manohéva et de ses

tantes, les sœurs de Sylvania, était encore plus grande

que celle de sa mère unie à son père. La jeune

souveraine conservait en elle toutes les aptitudes de sa

dynastie ainsi que la résistance farouche des deux

espèces pensantes dont elle représentait l’Union

harmonieuse.

Sa volonté et ses sorts ne pouvaient être que

défensifs, pourtant, ils prouvèrent leur grandeur dès

l’apparition des hordes de Gaurtlung aux portes de

Nabachton. La puissance déployée par la princesse de la

Vallée Merveilleuse fut telle que les escadres

effroyables des Léviathans elles-mêmes furent balayées

par la réaction protectrice des incantations prononcées.

Renversées par cette meurtrière fureur

majestueuse, les démons du Néant craignirent à jamais

les remparts et le portail du Royaume bienfaisant.

Certes, pendant que l’Empire dominait rageusement le

Continent Civilisé, de vastes légions de Korrigans,

d’Ankous et d’Hydres Volantes, surveillèrent

Nabachton. Par la suite, dans les sursauts désespérés qui

se produisirent à la fin des guerres, des armées

Le serment de Salermnos : 241

Le serment de Salermnos

maléfiques s’approchèrent de ce pays pour tenter d’en

interdire l’accès. Pourtant, il n’y eut plus jamais

d’attaques directement menées contre la Vallée

Magique du Nord, même après la disparition de la Reine

Manohéva.

Pendant que ces évènements faisaient de

Nabachton une généreuse réserve de combattants et

d’énergie contre le Mal, Myrion et ses Druides

arrêtaient l’avancée de Gaurtlung avec une rigueur toute

aussi cuisante pour l’Ennemi.

Les dernières ressources en vaillance des paysans-

forgerons, au prix de nombreuses existences et d’une

souffrance effrayante, se fixèrent dans les montagnes de

Silérie.

Sur les rives du Golfe de Salermnos, la violence

des combats figea également la situation favorablement

aux Marins et aux Elfes du Duché des Abers. C’était

une lueur d’espoir dans l’horrible repli général qui avait

balayé les chevaliers de la justice et de la lumière à

travers toutes les terres habitées de ce Monde.

Ce qui aurait pu entamer la confiance et la fidélité

des Humains c’est, qu’en découvrant les immenses

phalanges de démons qui les attaquaient, au début de

l’invasion, et surtout l’invincibilité apparente des

Léviathans, certains Marins, peu courageux prirent la

fuite sur une petite flotte qui quitta le Golfe pour

disparaître en Mer.

Le serment de Salermnos : 242

Le serment de Salermnos

Personne, à cette époque ne sut ce que devinrent

les traîtres. Heureusement, la plus grande partie des

humains fut fidèle à leur Duc et à leurs alliés. Même

ceux qui n’étaient pas de bons combattants, firent de

leur mieux, contenant leur peur, usant de leurs multiples

compétences avec le plus d’efficacité possible, pour

faire, ensemble, face aux sièges de leurs places fortes et

de leurs ports défendus par de solides murailles.

De nombreux navires, qu’ils avaient construits

avec amour, parfois même, avant de venir sur les rives

du Continent Civilisé, furent détruit dans les batailles de

Salermnos. Des vies innombrables disparurent dans cet

holocauste douloureux. Pourtant, malgré les

interventions incessantes des Hydres volantes, en dépit

des hordes effrayantes de démons qui rugissaient au

pied de leurs remparts, Le Duché des Abers ne tomba

pas et ne céda pas aux injonctions de L’empire de

Gaurtlung le maudit.

Dans la longue nuit de souffrances et de privations

qui se préparait pour les millénaires à venir, chaque

enclave de résistance, chaque guerrier, au cœur vaillant

qui, dissimulé dans la Lande, la Montagne ou bien la

Forêt, luttait contre les forces du Mal par son courage et

son inflexibilité dans l’adversité, étaient des lueurs

d’espoir pour le Monde, la Justice et la Pérennité de ce

Cycle. Thanator dans son orgueil, Sarquonikos, abreuvé

de peines et de malheurs scellant la grandeur du Néant

dont il était le Seigneur absolu, l’avaient totalement

Le serment de Salermnos : 243

Le serment de Salermnos

oublié. Ils ne voyaient, du haut de leurs trônes

d’infamie, que les vagues déferlantes de leurs armées

maudites inondant le Continent Civilisé. Les deux Rois

ténébreux n’avaient pas compris que la houle

désordonnée de leur haine destructrice se brisait sur des

rochers valeureux d’où partirait un jour, la liberté et

l’espoir de ce monde martyrisé.

Formalow connaîtrait certainement un nouvel Âge

d’Or au-delà, dans les époques de l’Histoire de la vision

des voyants. Pourtant, celui-ci, s’il s’installait, serait-il

éternel, comme le Créateur du Cosmos qui souhaitait

que cette prophétie s’accomplisse.

Fin des Marins de l’espoir

et du roman : Le serment de Salermnos.

Le serment de Salermnos : 244