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Le serment de Salermnos
BIBLIOGRAPHIE.
La Légende des Pacifistes. (Écrit de 1975 à 1976.)
A l'Occident de Menstragaleste. (Deux versions:De 1979 à 1980,De 1983 à 1990.)
Les forêts du Seigneur. (Écrit de 1991 à 2000.)
Parution d'extraits de "L'Occident de Menstragaleste" et "Des forêts du Seigneur" dans une Anthologie des écrivains des P.T.T., en 1995.
La route d'Éros. (Écrit de 1999 à 2000.)
Le Noeud Gordien libéral. (Écrit de 1997 à 2001.)
Les forêts du Seigneur 2; Les hordes des étoiles. (Écrit de 2000 à 2001.)
Les roses fleurissent aussi en décembre. (Écrit de 2001 à 2002.)
Les forêts du Seigneur 3; Jean Seyland et le fantôme de la Svastikas.(Écrit de 2002 à 2003.)
Reconstitution de la Légende des Pacifistes (Écrit en 2002.)
Les maîtres de l’image (Écrit de 2003 à 2004.)
La Bretagne fantastique du Passé et du Futur (Écrit en 2004.)
Les nouvelles de la colère (Écrit de 2004 à 2005.)
Les forêts du Seigneur 4; Les limbes de Daedale (Écrit de 2004 à 2005.)
Le Cycle de Formalow V et VI ; Les forges de Nabachton (Écrit en 2005.)
L’esclave de la tendresse (Écrit de 2005 à 2006.)
Le Cycle de Formalow I et II ; Le serment de Salermnos (Écrit en 2006.)
Le serment de Salermnos : 3
Le serment de Salermnos
Episode I
L’Âge d’Or des forêts
- I -
Il n’y a encore rien dans les ténèbres glacées des
limbes de la nuit éternelle. Le temps ne s’écoule pas et
la longue suite infinie des millénaires n’a pas encore
commencé son égrènement vertigineux vers l’expansion
sans limite du cosmos.
C’est ainsi que se traduit le sommeil de la création.
Celle-ci, engourdie sous la lourde chape apaisante du
repos, n’émet pas le Monde et ses habitants. Il n’y a
donc que le Néant. On ne peut pas alors, mesurer de
dimension, on ne compte pas de secondes. On n’évalue
pas de déplacements. On n’observe pas d’étoiles et
aucune planète n’abrite de cœurs battants pour l’animer.
L’infini est un point. L’éternité est un instant
fugitif. L’âme de l’espace, l’esprit de tout et de tous,
unique, inaltérable, omniprésent, source de la matière et
de la vie, attend dans cette absence insondable d’avoir
été et de devenir, son heure pour forger sa première
pensée et déclencher le processus de la Genèse.
Quand des éclats de lumière, origine de l’énergie
vitale de l’espace, illuminent partiellement la
Le serment de Salermnos : 6
Le serment de Salermnos
houppelande ténébreuse du vide temporel et existentiel,
c’est que l’Être Absolu, le Créateur, s’ennuie. Il ne
souhaite plus la quiétude de la conscience sans
l’existence. Il se prend à rêver désormais.
Il peut choisir la nature des merveilles que sa
puissance va enfanter. Il peut aussi générer, sans laisser
aucune latitude au hasard. De la trajectoire des plus
petits grains de matière, jusqu’au grand mouvement des
galaxies, Il est capable d’imposer la forme, la durée
ainsi que les buts. Mais, Il a aussi l’alternative d’insérer
une volonté indépendante au sein des êtres vivants qui
peuplent sa création.
Accorder le libre-arbitre est divertissant. Ce don
est accompagné d’un cortège d’imprévus et de surprises.
C’est une offrande que fait alors le Créateur aux
habitants de l’Univers qu’Il invente. Il sait que de ce
présent, le plus beau de tous ceux qu’Il accorde, la
fracture inévitable du bien et du mal naîtra.
Les enfants de l’Être Absolu finissent, quand les
règles sont établies ainsi, par former deux camps. La
première tendance est celle des courageux qui tiennent à
jouir de la vie, mais, sans prendre le chemin le plus
facile pour y parvenir. Sur le long terme, ces derniers
ont raison. Ils pensent toujours aux générations qui les
suivront. La seconde manière d’aborder le progrès ainsi
que la construction de la Civilisation, est celle qui vise
la satisfaction immédiate du plaisir des plus forts, sans
souci d’un partage quel qu’il soit et surtout, sans aucune
Le serment de Salermnos : 7
Le serment de Salermnos
gestion des richesses accordées par le Monde. Le chaos
et la misère succèdent irrémédiablement aux actes de
ceux qui se vouent à cet art de vivre. Bien souvent, la
ruine et la destruction finale concluent la destinée
furieuse des adeptes de cette existence.
Voilà plusieurs Cycles que le Créateur s’amuse à
laisser aux habitants de ses mondes, le libre-arbitre.
Jusque-là, les conclusions de ses tentatives sont fatales.
Cette fois, vers quel avenir court ce nouvel Univers ?
Aboutira-t-il à une organisation stable, durable qui
satisfera pleinement Le Maître du Destin ? Ce dernier
l’ignore et ne s’en préoccupe pas. Son rôle, au
commencement de chaque Univers, consiste à générer
les paramètres d’un Cycle de plus. Il en tire beaucoup
de joie malgré les échecs et pourtant, dans les premiers
instants de ce dernier recommencement, quelque
sensation indéfinissable, une promesse tacite avec les
éléments auxquels, déjà, sa pensée attribue une
préexistence, lui donne confiance dans ce prochain
départ. Alors, dans le plaisir et le bonheur, le Seigneur
du Cosmos se met à imaginer.
Le temps naquit aussitôt. L’écoulement des Âges
débuta, tandis que les ténèbres du Néant se déchiraient
de la lumière des astres qui apparaissaient sur toute la
trame du Monde. La fusion des atomes s’agrégeant, une
fois de plus dans l’immensité de l’Univers, enflammait
des soleils. Ces colossales boules de feu déversaient
leur flot de chaleur sur les planètes virevoltant dans leur
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Le serment de Salermnos
champ gravitationnel. Le Créateur décida alors que
l’époque était venue de fonder une zone vivante du
Cosmos. Il en ressentait la nécessité impérieuse.
Il choisit une planète harmonieuse dont la rotation
régulière assurait une succession de jours et de nuits
reposante. Cet astre possédait un magnifique océan qui
baignait deux grands Continents, quasiment identiques.
Depuis une de ces terres, on ne pouvait pas soupçonner
la présence de l’autre. Il généra la vie sur ce monde. Il
conçut, les animaux des forêts, des plaines, des
montagnes, des mers. Il pensa aux arbres, aux herbes,
aux algues, aux fleurs. Bientôt, en quelques millénaires,
une faune nombreuse ainsi qu’une riche flore se
répandit sur cette planète.
Le jour, cet astre recevait le doux rayonnement
d’une petite étoile vive et lumineuse. Le soir, deux
lunes sillonnaient son ciel atténuant les zones d’ombre.
Les nuits restaient un lointain écho inévitable du Néant
qui régnait avant la Création. Le cœur des créatures
vivantes devinait l’hostilité à l’existence qui se
nourrissait de l’absence de lumière. C’est pourquoi, un
tel monde était agréable pour ses futurs habitants, car
seules les racines des montagnes étaient réellement
sombres.
Le Créateur déclara alors, qu’un des Continents de
ce monde resterait sauvage, jusqu'à la stabilisation
d’une Civilisation durable. L’autre Contrée serait le
berceau des peuples pensant. Dans les landes et les bois
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Le serment de Salermnos
de ce pays, se jouerait le destin de ses habitants doués
de dons artistiques et industriels.
L’air, la terre, les forêts, les mers occupaient
désormais leur place dans ce nouvel Univers. Déjà, des
milliers d’années s’étaient écoulées depuis le début de
ce temps. Les animaux les plus beaux et les plus vifs
habitaient les contrées vierges de cette planète. Le
travail accompli était phénoménal. Des pays d’une
beauté sans pareille, étaient disponibles pour les peuples
à venir avec toutes leurs richesses, leur magie et leurs
climats généreux.
Une tâche encore plus ardue se dessinait pour le
Créateur. Il lui fallait peupler le Monde d’êtres
pensants. Certains seraient sous ses ordres directs. Ils
composeraient un groupe de jardiniers, chargés
d’entretenir et de faire fructifier les semis de l’être
suprême. Ces esprits auraient divers aspects et natures.
Ils rencontreraient rarement les autres enfants du Maître
du Destin, sauf si de graves menaces pesaient sur le
déroulement de ce Cycle.
Il étendit sa pensée, sa sagesse et sa puissance sur
toutes les forêts de ce nouveau monde, les eaux, les
montagnes et la terre. Dans les immenses futaies de
l’astre, un murmure passa comme un souffle d’air. Un
son vivant, inconnu, bien différent des arbres qui
bruissent sous le vent, des rivières qui coulent
harmonieusement dans leur lit, de l’océan ou des grands
lacs qui grondent sous la tempête et chantent avec la
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Le serment de Salermnos
brise estivale, se répandit sur le Monde. Des pas lents,
posés résonnèrent dans les sous-bois, des sentiers aux
ombrages bienfaisants se dessinèrent entre les grands
troncs millénaires peuplant les Continents de cet
Univers.
Les animaux sauvages surent qu’une puissance
magique, bénéfique, venait de se matérialiser sous la
forme d’esprits vivants. Elle naquît au Sud, au pied des
monts qui bordaient le midi des Continents. Lentement,
avec les années qui défilaient sur l’horloge de ce cycle,
Elle gagna le Nord.
Les sous-bois de la création devinrent beaucoup
moins crépusculaires. Les eaux semblèrent moins
tumultueuses, moins mystérieuses. Elles s’éclaircirent et
laissèrent apparaître leur fond au soleil de la mi-journée.
Les nuits se firent plus douces. Les cris et les
gémissements du Néant « d’avant le temps », qui se
révoltent de toute cette richesse vitale quand la lumière
du soleil diminuait, devinrent quasiment inaudibles. Les
aides du Créateur aidaient la grandeur de celui-ci à
repousser toujours plus loin les ténèbres mortelles,
ennemies jurées de la vie et du bien-être, dispensés par
l’Être suprême.
Les esprits envoyés par Lui dans les forêts du
Monde avaient adopté l’aspect de grands arbres. Cette
forme matérielle leur permettait d’accomplir plus
facilement les petits travaux de leur mission.
Contrairement aux plantes, ils se déplaçaient en
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Le serment de Salermnos
marchant. Ils allaient vite malgré leurs gestes mesurés.
Leurs pouvoirs magiques et leur sagesse étaient encore
plus immenses que leur force physique qui pourtant,
n’avait pas d’égal sur les Continents de la Création.
Dans les mers et les lacs, se furent de formidables
créatures ressemblant aux poissons mais soufflant
facétieusement de l’air en surface, bien qu’elles n’aient
pas besoin de respirer, qui personnifièrent les aides du
Grand Concepteur.
Le ciel, sillonné par de superbes et nombreux vols
d’oiseaux, fut aussi traversé par les messagers des
Esprits Jardiniers. Des pigeons, dotés d’une vitesse
hallucinante traçaient des éclairs d’or dans les nuées
nocturnes. Depuis le sommet des montagnes, les aigles
du Bout du Monde fondaient comme des flèches
fulgurantes à l’appel des Seigneurs de la forêt et des
eaux.
Formalow était née et elle vivait désormais. Cette
planète hébergeait la base de l’histoire future qui allait
commencer à s’écrire dans ses grandes forêts ainsi que
sur les rives de son océan. Au-delà du Néant, la gloire
d’une nouvelle création était revenue. Elle balayait tous
les efforts du vide pour renaître sous l’impulsion des
rêves du Penseur Éternel.
Un Âge d’Or devait commencer. Il serait long et
fertile pour les arbres, les animaux et les êtres pensants
dont il allait voir l’avènement. En effet, plus les débuts
de ce Cycle seraient merveilleux, plus les misères et les
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Le serment de Salermnos
conflits entre le bien et le mal qui viendraient ensuite, à
cause du libre-arbitre, tendraient à restaurer la sérénité
des premiers temps de l’Histoire. Plus les souvenirs de
cette époque seraient agréables, mais aussi forts, dans le
cœur des peuples de Formalow, plus les êtres
raisonnables, défenseurs d’une vision à long terme de
l’existence, seraient soudés entre eux par le ciment de la
ferveur.
Tout devait bien commencer pour les premiers
habitants de ce Monde, afin que tout puisse continuer
au-delà des ères les plus lointaines. Sinon, de nouveau,
le Créateur assisterait impuissant à l’échec de ses rêves
livrés à leur propre folie.
Comme toujours, les cœurs s’éveilleraient dans
l’innocence et dans la fraternité. Puis, la haine, la
jalousie, la cupidité, le mépris, attisés par les ténèbres,
rongeraient lentement la pureté des premiers nés. Et
dans les rangs de toutes les espèces pensantes de cette
Terre, il se dresserait des âmes maudites, esclaves de la
turpitude, pour fonder de noires armées aux sinistres
destinées. Cette fois, l’Être Suprême entendait bien
démontrer à toutes ses créatures que la raison et la
rigueur étaient de vraies sources de bonheur pour ceux
qui les pratiquaient sagement tout en profitant des fruits
de ces qualités.
Il commença alors à imaginer quelles formes de vie
pourraient bientôt recevoir les dons de la pensée, de la
création et du choix d’existence. Il rechercha aussi
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Le serment de Salermnos
quelle sorte de guides et d’esprits bienfaisants, pourrait-
Il leur envoyer ? Ceux-là ne devaient pas être cachés.
Au contraire, ils devaient vivre parmi les âmes dont ils
étaient sensés être les pasteurs.
Son esprit se plongea une fois de plus dans la
génération de Formalow et de ses merveilles.
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Le serment de Salermnos
- II -
L’aube d’un nouveau jour se levait à l’Est du
Monde. La nuit étoilée avait été largement éclairée par
les deux Lunes de Formalow. Le jour de l’Éternel
revenait, remplaçant par sa chaleur et sa lumière la
douceur reposante des nuits qui s’écoulaient sous la
protection divine des esprits de la forêt et des eaux.
Voilà plus d’une centaine de millions d’années que
le Cycle était commencé, que les arbres couvraient la
Terre et abritaient la vie sauvage, que les rivages des
océans, des rivières et des grands lacs offraient leur
fraîcheur au repos des créatures de cet astre. Ce matin-
là, une nouvelle courait parmi les jardiniers du Monde.
Les esprits des sous-bois s’étaient levés, ils avaient
marché vers les hautes collines et les flancs des
montagnes tournés vers le Sud.
Du fond des rivières, des étangs, des mers, les
aides marins du Créateur étaient remontés. Leurs
regards observaient aussi le Midi de Formalow.
Les Elfes s’éveillaient dans les forêts d’altitude des
Monts du Bout du Monde. Le premier peuple pensant,
doté du libre-arbitre, était apparu sur les hauteurs du
Sud. Il se composait de deux types de créatures.
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Le serment de Salermnos
Les premières étaient de petite taille. Elles
pouvaient ainsi explorer facilement les sous-bois
touffus du Monde. Ces petits êtres étaient très
industrieux. Ils concevaient des mécanismes qu’ils
construisaient à partir de troncs d’arbres malades ou
morts. Ils apprirent très vite à travailler le métal qu’ils
découvraient dans des grottes. Ils eurent besoin de
chaleur pour produire l’acier et pour réchauffer leurs
abris quand l’hiver tombait sur Formalow. Ils brûlèrent
d’abords du bois mort. Mais, ils ne voulaient pas perdre
stupidement une matière première aussi noble. Ils
découvrirent dans les mines de fer, des filons d’une
roche noirâtre qui, allumée par un feu de bois brûlait
ensuite en dégageant une forte température.
Cela ne satisfaisait pas les petits Elfes. Le bois
repoussait. Ils avaient donc compris que son utilisation
pour obtenir la chaleur et la lumière n’était pas néfaste.
La mort des arbres, qu’ils soient consumés ou bien
décomposés par le temps, faisait partie du Cycle normal
de la Nature. Mais, les réserves de roche noire
s’épuisaient. Elles ne se renouvelaient pas. Il était plus
sage de ne pas les gaspiller.
Les explorateurs Elfiques finirent par découvrir
des cristaux qui se formaient aux sommets de plusieurs
chaînes de montagnes. Ces gemmes translucides
naissaient sous certaines conditions climatiques et
saisonnières. Elles avaient la faculté d’accumuler et de
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Le serment de Salermnos
restituer la chaleur ainsi que la lumière du Soleil, aussi
longtemps qu’elles ne se brisaient pas accidentellement.
Cette source d’énergie durerait autant que le Cycle
de la Création. Son exploitation ne nuisait pas à
l’équilibre de Formalow. La fréquence de
renouvellement des catalyseurs de cette puissance était
suffisante pour en permettre un emploi important.
Les petits Elfes s’adaptèrent rapidement à une vie
sylvestre. Ils vivaient plusieurs millénaires. Ils n’étaient
pas immortels comme les Esprits Jardiniers du Créateur.
Le petit peuple pensant ne vieillissait pas, mais, ses
membres achevaient leur très longue vie, épuisés par un
engourdissement indolore qui s’emparait de leurs âmes
après d’interminables siècles écoulés.
Nul ne savait ce que devenait leur être immatériel,
quand ils abandonnaient leur corps. C’était le secret du
Créateur. Cependant, une légende ancrée au cœur des
esprits et des créatures pensantes, prétendait qu’au-delà
des Monts du Bout du Monde, infranchissables pour les
habitants de Formalow, une porte s’ouvrait sur un
univers de félicité dans lequel, les défunts, libérés des
contraintes et des fatigues de la vie, se reposaient pour
toujours, sous le regard bienveillant du Concepteur de
l’Univers.
La seconde espèce d’Elfe était d’un aspect
identique à la première. Sauf, qu’ils étaient bien plus
grands et plus forts. D’humeur docile et protectrice, ils
possédaient une intelligence moins industrieuse que
Le serment de Salermnos : 17
Le serment de Salermnos
celle de leurs petits frères. Leur rôle consistait à
déployer leur grande puissance physique pour participer
aux travaux de la Civilisation Elfique.
Ils ne pouvaient pas explorer les forêts aussi
minutieusement que leurs semblables, mais ils étaient
d’habiles voyageurs sylvestres. Ils mettaient de l’entrain
à effectuer les travaux pénibles de la mine. Conseillés
par la petite espèce, ils réalisaient avec beauté et
efficacité les grands projets de leur peuple comme la
construction des sentiers, des villages forestiers et des
forges.
Les Elfes n’accroissaient pas leur nombre
anarchiquement. Comme les deux genres de ce peuple
jouissaient d’une très longue existence, ils prenaient le
temps d’aimer leurs dames. Les familles avaient des
enfants sur de très longues périodes en nombre
raisonnable. Cela permettait aux Elfes de maintenir leur
population et même, au temps de l’Âge d’Or, de la faire
progresser. Cependant, ils ne souhaitaient pas envahir
Formalow en déferlant par hordes sur ses espaces
vierges. Ainsi, les êtres sylvestres jardinaient la forêt
pour en faire un parc mais, ils n’avaient pas besoin de
cultiver la terre pour se nourrir. La chasse, les fruits puis
les herbes des bois suffisaient à les alimenter richement.
L’eau des sources jaillissant dans les futaies de chênes,
mêlée aux arômes de plantes sauvages délicieuses, ainsi
que le lait des holaongs qu’ils avaient domestiqués, les
abreuvaient généreusement.
Le serment de Salermnos : 18
Le serment de Salermnos
Ils existaient dans la nature et par elle. Ils la
respectaient car elle leur donnait tout ce dont ils avaient
besoin. Une large majorité des Elfes, petits et grands
comprirent, en cette époque lointaine, que leur culture et
leur art de vivre étaient les meilleurs. Il en fut quelques-
uns cependant, qui pendant de longs millénaires se
posèrent des questions. Ils se contentèrent, durant de
nombreux siècles, de raisonner en pesant, dans leurs
réflexions et leurs écrits, les avantages de ce qui était
accompli en regard de ce qui ne l’était pas. Tant que les
doutes furent l’objet de recherches et de débats ouverts,
le Monde et la Civilisation furent beaux, sans malheur.
La maladie était inconnue alors, sur Formalow. La
mort accidentelle par blessure était très rare en raison de
la robustesse et de la prudence sage du peuple forestier.
Sa circonspection ne neutralisait pas sa créativité. Son
savoir et sa production ne stagnaient pas. En ce temps-
là, les Elfes produisirent de formidables mécanismes
pour faciliter leur travail. Ils aménagèrent d’immenses
grottes dans lesquelles ils taillèrent de belles demeures.
Ils dressèrent des manoirs somptueux aux hauts murs
blancs, percés de fenêtres à colonnades larges et claires.
Ces ouvertures donnaient sur les merveilleux paysages
du Monde. Ils écrivirent de longs poèmes épiques dont
les vers et les récits sonnaient avec la pureté des
cristaux de puissance. La musique et les instruments
furent créés pour accompagner la lecture de ces textes
qui devinrent de romantiques chansons. Les forestiers
Le serment de Salermnos : 19
Le serment de Salermnos
taillèrent d’abord la pierre des montagnes pour bâtir
leurs vastes demeures, ils apprirent à la sculpter pour
sublimer les décors de leur salle. Avec les couleurs
chatoyantes que leur offraient les terres et les plantes du
Monde, ils ornèrent les fresques de leurs murs et
bientôt, les toiles de leurs tableaux. Les arts naissaient
tandis que l’industrie utile et bien contrôlée apportait
une vie confortable et sereine au premier peuple pensant
de ce Cycle.
Dans le cœur du créateur, il fallait, pour que la
réussite de ses premiers-nés soit complète, qu’il les
confronte avec d’autres créatures, aimant également la
nature mais désirant la dompter plus étroitement, sans
toutefois la mettre en danger. Si le partage des
territoires et des ressources du Continent habité de
Formalow, se soldait par une entente parfaite entre les
deux races qui se côtoieraient bientôt sur ce Monde, la
viabilité du libre-arbitre serait prouvée.
L’Éternel projeta de nouveau sa pensée dans
l’avenir…
Le serment de Salermnos : 20
Le serment de Salermnos
- III -
Plusieurs dizaines de milliers d’années avaient
connu la présence unique des petits Elfes industrieux et
de leurs puissants frères.
Le Continent Civilisé de Formalow était toujours
couvert d’une vaste forêt. La partie tempérée en était
entretenue par le peuple sylvestre. Au Nord du
Continent et dans quelques régions désignées par les
aides du Créateur, pendant leurs rares entrevues avec les
mortels, les arbres furent conservés dans leur état
d’origine. Mais, il était décidé que les sylvains
pouvaient s’occuper à leur guise de la zone la plus
agréable à vivre. Ils le firent avec bonheur.
Une chaîne montagneuse se dressait au cœur des
régions tempérées du territoire habité de Formalow. Les
contreforts sud de cette haute muraille de granit, ornée
en ses sommets et ses cols d’un épais tapis de cristaux
de puissance, donnaient sur la vaste forêt et la mer
intérieure de Myrion. Les voyageurs qui franchissaient
les passes élevées de ces monts, en direction du Nord,
découvraient un paysage très rare dans ce Monde. Une
lande fertile, constituée de petites haies et de hautes
herbes, noyait dans sa verdure des chaos de roches
monumentales. De nombreux fleuves, lacs, rivières et
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Le serment de Salermnos
ruisseaux sillonnaient cette clairière gracieuse qui
surgissait comme un mirage dans l’immense forêt de ce
Continent.
Les holaongs sauvages en avaient fait leur pays de
cocagne. Ils y paissaient par hordes formidables, de
l’été à l’automne et de l’hiver au printemps. Le climat y
était clément et si la pluie bienfaisante en irriguait
abondamment la terre, il n’y faisait jamais froid. Les
Elfes aimaient regarder ce pays depuis les montagnes
des cristaux de puissance. Même s’ils préféraient
l’ombre claire et apaisante des sous bois majestueux, ils
appréciaient la beauté de la Lande. Ils appelèrent cette
région « Sea’ Arhl’ Rias », ce qui, en Elfique de ces
Âges lointains, signifiait : « l’Océan d’Herbe Fleurie ».
Dans le langue commune de Formalow, les années
passant et les différentes races apportant leur
prononciation personnelle à chaque nom des premiers
temps, ce pays devint la « Silérie ».
La grande mer intérieure portait un nom très vieux
aussi. Il avait ses origines dans la « nuit des temps ».
Les premiers Elfes qui l’approchèrent, en descendant
des Monts du Bout du Monde, s’exclamèrent devant la
pureté de ces eaux calmes qui reflétaient paisiblement le
ciel légèrement gris d’un automne doux : « Athan
Mirai Ahr’ian ! ». « Quel miroir d’argent ! », avaient-
ils lancé avec émerveillement aux cieux de Formalow.
Ce cri du cœur devint, avec le temps qui s’écoulait,
« Myrion ».
Le serment de Salermnos : 22
Le serment de Salermnos
Une bonne partie de la topographie du Continent
Civilisé de ce Monde, avait été faite ainsi. Les sylvains
l’avaient entièrement écrite car ils étaient les premiers à
en avoir visité les merveilles. Parmi eux, un très grand
Seigneur des Monts du Bout du Monde, éveillé avec les
premiers Elfes Géants de jadis, connaissait toute la
genèse des désignations de cet Univers. Ce gigantesque
forestier à l’âge incroyablement vénérable, gardait sa
vigueur et sa majesté dans l’écoulement des millénaires.
Il avait pour nom : Haran Darhn Gurr, le vieux géant. Il
était le Roi de son peuple.
En cette matinée ensoleillée de l’Âge d’Or des
forêts, il voyageait avec sa suite sur les montagnes des
cristaux de puissance. Il avait eu trois épouses que
malheureusement, le temps lui avait retirées, l’une après
l’autre. Sa longévité lui amenait une sagesse infinie
mais aussi de grandes peines. Il lui restait, de ses siècles
de bonheur, ses enfants. Mohodir Gurr, était un vaillant
prince Elfique, digne de son père. Les dames Sylvania,
Céliasalphe et Floralosie étaient les plus superbes reines
des bois et des clairières de ce temps-là. La première
des trois, dépassait les autres en beauté, en intelligence
et en charme. Sylvania deviendrait, dans les Âges à
venir, la mère de la magie Elfique. Elle serait aussi,
malgré elle, à l’origine des malheurs du Monde. On la
convoiterait pour sa splendeur et ses pouvoirs. La
jalousie et la cupidité enfouies encore dans la douceur
de cette époque, s’enflammeraient au grand jour quand
Le serment de Salermnos : 23
Le serment de Salermnos
des seigneurs forestiers poseraient des regards avides,
sans sincérité, sur la magnificence divine de la
Princesse.
Haran franchissait donc le col, en compagnie de
son fils et de ses filles, suivi d’une formidable colonne
d’Elfes géants de haut lignage, tandis que le soleil se
levait à l’Ouest de Formalow. Le roi tourna
majestueusement son regard vers la Lande de Sea Arhl’
Rias. Dans l’infinie bleuté de l’horizon, il aperçut une
colonne de fumée qui montait vers le ciel. Ce n’était pas
un feu de bois ou bien de pierre noire qui brûle. C’était
une bonne et bienfaisante vapeur de cuisine. Elle était
trop éloignée pour apporter ses arômes de viande et de
légumes grillés jusqu’aux bons Elfes géants, mais, ceux-
ci imaginaient toutes les saveurs promises par la vision
de cette agréable nuée blanche.
Haran demanda au plus habile de ses forestiers ce
qu’il pensait de cette découverte. Ce dernier, Loghaarn
de Myrion, examina avec acuité la fumée qui s’élevait
au-dessus des haies de Silérie. Il déclara :
- Seigneur, mon Roi, cette manière de cuisiner est
caractéristique d’un peuple pensant. Or, si les Elfes
petits et grands voyagent sur les frontières et admirent
l’Océan d’Herbe Fleurie, ils ne s’y avancent jamais
aussi loin.
- Si ce ne sont pas des gens de notre peuple ou bien
des explorateurs appartenant à une famille de nos frères
ingénieux qui campent là-bas, dit le monarque Elfique,
Le serment de Salermnos : 24
Le serment de Salermnos
ce serait donc une nouvelle espèce de créatures
pensantes ?
- Certainement, Oh ! Haran. Depuis toujours, les
esprits des forêts et des eaux nous ont laissés entendre
que nous ne serions pas les seuls à vivre sur la Terre de
Formalow…
- Pensez-vous qu’ils pourraient nous être hostiles,
Maître Loghaarn ?
- Dans les écrits les plus anciens de notre royaume
Mon Seigneur, ceux qui rapportent les rares rencontres
de notre peuple et des aides du Penseur Eternel (vous en
avez rédigé certains), il est raconté que le mal menace
d’apparaître un jour dans notre monde, déclara le sage
forestier avec anxiété. Pourtant, ce ne sera pas le fait
d’une nouvelle espèce créatrice, ni le fait d’une seule de
celles existantes. La guerre, la peur et la destruction
seront semées dans notre Univers par des individus
dégradés, issus de toutes les races, qui s’adonneront
sans retenue à la satisfaction bestiale de tous leurs
désirs, même les plus vils. Nous sommes encore en
plein Âge d’Or Seigneur Haran, le temps de la méfiance
et de la haine n’a pas encore sonné aux horloges de la
création divine.
- Nous devrions aller à la rencontre des ces
nouveau-nés du Monde, fit Haran. La paix ne se portera
que mieux si nous avançons vers ceux qui vivront à nos
côtés, sur les Terres de Formalow.
Le serment de Salermnos : 25
Le serment de Salermnos
- Vous avez entièrement raison, reconnut
Loghaarn. Notre colonne doit se présenter dans toute sa
majesté mais, sans aucune agressivité. Notre démarche
est de souhaiter la bienvenue puis, d’offrir notre aide au
récent peuple de Sea’ Arhl’ Rias.
- Je vais demander à Sylvania de prendre la tête de
notre expédition, décida Haran. Sa splendeur rassurera
tout en inspirant la bonté à ceux qui l’apercevront pour
la première fois. Il n’est pas de plus belle enfant de
l’Être Absolu sur les Terres de Formalow.
L’escorte du Roi Haran descendit alors au nord des
montagnes en suivant une corniche naturelle qui
serpentait sur les contreforts de la chaîne. Bientôt, les
Elfes furent dans la plaine. Le campement qu’ils avaient
repéré émettait toujours de la fumée. Il était donc facile
de se diriger dessus. Les éclaireurs, de grands forestiers
partis au-devant du cortège, revinrent bientôt faire leur
rapport au Roi. Ils avaient vu les nouveaux habitants de
la Lande. C’était des créatures très semblables aux petits
Elfes. Elles étaient de même taille, mais plus robustes
physiquement. Aucune ne portait d’arme. Ils n’avaient,
avec eux, que des outils agricoles inconnus des
Sylvains.
Apparemment, les êtres de « L’Océan d’Herbe
Fleurie » festoyaient dans une prairie auprès d’un de
leur village.
Le Roi choisit de leur envoyer la Princesse
Sylvania, avec une escorte, pour se présenter aux
Le serment de Salermnos : 26
Le serment de Salermnos
convives de ce repas. Avec toute sa grâce et la lumière
de sa beauté Elfique des Âges lointains, cette dernière
arriva dans le village, suivit de quatre formidables
chevaliers sylvains. Elle resta sur sa monture, mais
s’inclina humblement pour saluer le petit agriculteur qui
s’approchait d’elle. Celui-ci était certainement le chef
de la communauté.
Ce dernier s’adressa à la Haute Dame dans une
langue commune aux deux espèces Elfiques de ce
temps. Il la salua en des termes élogieux et polis, puis, il
l’invita à partager le festin. Les habitants de Sea’ Arhl’
Rias connaissaient l’existence des forestiers. Ils avaient
eu des contacts avec les esprits des forêts qui leur
avaient appris le langage. Quand Sylvania leur expliqua
que son Roi la suivait avec des membres de sa cour, les
petits agriculteurs, sachant qu’ils n’avaient aucune
crainte à éprouver, la prièrent d’envoyer un messager et
de faire venir tous ses amis dans le village.
Les grands Elfes arrivèrent, chargés de victuailles
et s’assirent avec les nouveaux venus autour de la table
du festin. Une amitié à l’épreuve des Âges venait de
naître entre les sylvains géants et les paysans de la
Lande. Elle ne devait jamais se démentir. Si les petits
forestiers industrieux se sentirent toujours plus proches,
culturellement, des habitants de l’Océan d’Herbe
Fleurie que leurs grands frères, la rencontre entre le
seigneur Haran et Orloros le Magnifique de Silérie,
Le serment de Salermnos : 27
Le serment de Salermnos
scella une alliance éternelle, légendaire, dans le Monde
de Formalow.
Les gens de la maison d’Haran apprécièrent
rapidement les paysans de la Lande. Ces derniers
cultivaient leur terre. Ils jardinaient leurs champs
comme les sylvains travaillaient la forêt. Ils faisaient
pousser de bons légumes, du blé, des fruits. Ils élevaient
des holaongs qu’ils avaient apprivoisés. De plus, ils
maîtrisaient avec talent la puissance solaire des cristaux
de la montagne. Ils travaillaient bien l’acier et
forgeaient de remarquables outils.
Les deux espèces bénéficièrent des connaissances
de l’une et de l’autre. Bientôt leurs savoirs mis en
commun leur permirent d’améliorer grandement leur
existence.
Les petits paysans-forgerons alliés aux Elfes
industrieux créèrent de formidables instruments pour
faciliter le travail dans les bois, les champs ainsi que la
construction des maisons. Formalow changeait en bien.
Le Continent Civilisé gardait sa beauté sauvage, mais il
devenait aussi plus agréable et moins dangereux pour
ses habitants.
Sylvania, la princesse Elfique venait souvent dans
le pays de Silérie. Ses habitants, de petite taille, certes,
étaient beaux, agréables et cultivés en dépit de leur
simplicité. Curieux du Monde, ils exploraient leur Terre
et leurs frontières soigneusement. Ils avaient construit
de grandes bibliothèques et rédigé des traités de
Le serment de Salermnos : 28
Le serment de Salermnos
géographie et d’histoire, dignes des plus beaux textes
sylvains.
Elle les étudiait avec passion. Elle se gorgeait du
savoir des petits paysans-forgerons que ces derniers
communiquaient avec passion. La belle Dame forestière
appréciait également la compagnie du fils d’Orloros le
Magnifique. C’était un très solide Silérien dont la
beauté et la force devint légendaire dans les années qui
suivirent. Pourtant, cette belle histoire d’amour qui
naissait dans la splendeur de l’Âge d’Or, entre des
espèces différentes de Formalow, allait marquer à
jamais le destin de ce Monde.
Le serment de Salermnos : 29
Le serment de Salermnos
- IV -
Deux milles années avant cette rencontre porteuse
d’espoirs, dans la Lande de Silérie, des évènements,
apparemment insignifiants, mais, qui allaient changer à
jamais l’histoire de Formalow en ouvrant le chemin aux
forces du mal et du Néant, s’étaient produits dans les
forêts des Monts du Bout du Monde.
Des aides du Penseur Eternel étaient installés dans
les combes profondes de cette chaîne montagneuse. Ces
esprits, pour accomplir leur tâche de jardinier, avaient
revêtu des enveloppes physiques dont ils choisissaient
eux-mêmes l’aspect.
Pour évoluer dans les bois sauvages, nettoyer les
futaies, repousser par une force inexorable les créatures
tournées vers l’adoration du vide ténébreux, ces
assistants de l’Être Suprême avaient adopté l’apparence
de gigantesques arbres dotés du pouvoir de se déplacer,
résistants au feu et au fer. Parmi eux, l’amour de la vie
et le respect du Créateur était une seconde nature,
pourtant, ils avaient aussi reçu le don du libre-arbitre.
A travers les domaines sylvestres et marins des
deux Continents de Formalow, le plus grand nombre
d’esprits voués à la protection et à l’entretien du Monde,
ne faillirent pas à leurs devoirs ni au respect qu’ils
Le serment de Salermnos : 30
Le serment de Salermnos
devaient au Penseur Eternel. D’ailleurs, dans les textes
se référant à l’Âge d’Or des Forêts, il est bien dit que les
gardiens des Terres, y comprit ceux qui finirent par se
tourner vers le mal, ne le firent pas par défiance envers
le Seigneur du temps et de l’espace. Tout commença par
une convoitise que l’on pourrait désigner comme
légitime ainsi qu’une estime et une loyauté
exceptionnelles entre deux puissants jardiniers du Sud
des Terres civilisées.
Le désir qui déclencha les premiers tourments de
ce Cycle, n’était pas ténébreux, au tout début. Le plus
grand et le plus doué des aides du Créateur installés
dans les régions méridionales où naquirent les Elfes,
alla, un matin d’automne, à la rencontre de ce premier
peuple de Formalow. Il avait l’aspect d’un gigantesque
chêne à la ramure fournie, harmonieuse et généreuse.
Ses bras monumentaux possédaient une force terrifiante,
il pouvait, racontent les histoires de ce temps-là,
soulever puis déplacer des collines entières. Son visage
était noble. Son regard profond paraissait observer avec
acuité, les millénaires innombrables qu’il avait
traversés.
Son aspect bienveillant et majestueux devint
bientôt familier aux peuples des Elfes Géants dont les
groupes en promenade croisaient souvent le Seigneur
des Arbres. En ce temps-là, ce dernier, accompagné
d’un de ses semblables, moins puissant mais admiratif
pour le Maître de son Ordre, dispensait le savoir ainsi
Le serment de Salermnos : 31
Le serment de Salermnos
que les conseils aux jeunes créatures mortelles et
pensantes, des bois du Bout du Monde.
Infatigablement, il parcourrait les immenses bois.
Il expliquait aux Sylvains comment construire leurs
villes sans menacer l’équilibre de la nature sauvage. Ses
avis étaient bons. Les plus belles réalisations Elfiques
de ces temps furent accomplies sous ses auspices. Il
était le plus zélé mais également le plus méritant des
serviteurs de l’Être Suprême.
Sa majesté et sa justice vacillèrent lorsqu’il
rencontra le Roi Haran et surtout la Princesse Sylvania
qui venait de s’éveiller au monde. Celle-ci était
merveilleuse. Elle ressemblait à une fée. Sa chevelure
brune cascadait sur ses épaules d’albâtre aux reflets
cuivrés. Ses grands yeux en amande étaient infiniment
bleus, comme la Mer de Myrion sous le ciel des matins
estivaux. Sa bouche charnue et sensuelle s’entrouvrait
dans un éternel sourire sur des dents à la blancheur
éclatante. Elle était certainement la plus grande femme
de son espèce, aussi haute que son père Haran, aussi
sage que lui, mais si désirable, si ouverte à l’amour et à
la passion.
Malgré sa puissance et les nombreux Âges qu’il
avait traversés, le maître des esprits de la forêt, se sentit
d’abord jeune, irréfléchi et même un peu trop
« clinquant » en regard du vieux Roi des Elfes Géants.
Son impression était-elle justifiée ou bien fausse ? Ne
venait-elle pas d’un orgueil déplacé pour une Âme de
Le serment de Salermnos : 32
Le serment de Salermnos
son rang et ayant sa destinée ? Il enviait le Sylvain et
son infinie prestance de monarque au savoir insondable.
L’amour que portaient ses sujets à Haran n’avait pas de
limite. Ce dernier n’avait jamais besoin de la force et de
la coercition pour se faire entendre et obéir.
Il en était de même du Seigneur des Jardiniers de
l’Eternel. Mais, bien que celui-ci soit révéré par ses
semblables, il ne pouvait pas s’empêcher d’user de ses
pouvoirs pour affirmer sa grandeur. Il abusait parfois de
son charisme ainsi que de la crainte respectueuse
qu’inspirait son apparence et son rang, pour obtenir une
allégeance complète de ses subalternes. Il n’accordait sa
confiance et ses conseils désintéressés qu’aux plus
admiratifs, envers sa personne, des esprits, gardiens du
Monde. Il ressentit une incompréhension vertigineuse et
une ombre de haine pour l’aisance naturelle du Roi
Haran qui guidait le peuple des Elfes, sans avoir à
manifester ostensiblement sa Majesté.
De plus, la première fois qu’il vit la Princesse
Sylvania, Le Seigneur des esprits fut séduit. La
magnifique Dame forestière, lui inspira un violent désir
de domination. Il aurait pu ressentir un amour passionné
pour cette magnifique enfant de Formalow, mais, il
s’avéra que cette envie inexorable de la posséder, de la
retenir à ses côtés en la séquestrant dans une forteresse-
écrin, n’était qu’un terrible caprice. Le Seigneur des
esprits ne pouvait pas justifier son avidité pour Sylvania
par un impérieux sentiment amoureux. Il voulait
Le serment de Salermnos : 33
Le serment de Salermnos
seulement la posséder. Il ne tolérait pas la simple idée
qu’elle puisse se refuser à lui.
Ce puissant parmi les puissants dans ce Cycle du
Monde, aurait pu gagner la tendresse et le cœur de
Sylvania par la grandeur de son esprit et de ses actes. Il
voulut uniquement l’éblouir par son pouvoir de
domination, de persuasion, ainsi qu’une beauté qu’il
afficha prétentieusement, après avoir changé son aspect
physique. En effet, pour attirer la jeune femme elfique,
il adopta l’apparence d’un très grand chevalier blond, au
regard vert et aux épaules larges. Il était plus haut que le
plus athlétique des Elfes Géants. Son armure d’Or avait
la résistance des écailles d’un dragon mais elle brillait
comme un coucher de soleil sur la Mer. Il parcourait les
bois de Formalow sur un formidable cheval noir dont le
galop ébranlait les futaies comme un grondement de
tonnerre.
Un matin, sous cette forme avenante, il rencontra
la Princesse Sylvania qui voyageait en compagnie d’une
escorte. La Haute Dame Elfique fut éblouie par la
splendeur du cavalier. Même les soldats de sa
compagnie, sélectionnés parmi les plus forts et les plus
vaillants Elfes Géants, armés des plus belles créations
métallurgiques produites par les petits ingénieurs de
leur espèce, ne pouvaient rivaliser en prestance avec ce
cavalier sylvain.
Il se présenta à la souveraine Elfique sans
dissimuler sa vraie nature. Il lui révéla en délaissant
Le serment de Salermnos : 34
Le serment de Salermnos
toute malice, avec orgueil pourtant, qu’il était Serianos
Thanator, Maître des Esprits Jardiniers du Sud, et
qu’elle le connaissait bien sous son enveloppe
arbresque.
Sylvania, au début, aima beaucoup le rencontrer et
passer du temps en compagnie de cet être éblouissant. Il
lui montrait beaucoup d’attention. Il lui offrait tous les
secrets de sa sagesse et mettait au service de la belle
Elfe, ses immenses pouvoirs. Cependant, dissimulé par
la blondeur et l’éclat de la forme extérieure qu’arborait
le gardien des forêts, la dame sylvestre sentait poindre
le caractère instable de celui qui se voulait son ami.
Quand le regard de ce dernier s’appesantissait sur la
fille d’Haran, s’il pensait qu’elle ne le remarquait pas,
une lueur de folie remplaçait la tendresse et l’admiration
affichées généralement par Serianos en présence de la
Princesse.
Inquiète, mais soucieuse de ne pas indisposer un si
puissant aide du Créateur, la jolie Elfe, garda pour elle
les causes de son anxiété. Elle décida pourtant de
voyager plus souvent et plus loin vers le Nord, vers
« l’Océan d’Herbe Fleurie ». Elle évitait, ainsi, de voir
régulièrement le Maître des esprits sylvestres. C’est
ainsi que Sylvania finit par rencontrer Orloros le
magnifique et fit également la connaissance du fils de ce
Seigneur forgeron.
Moins formidable que Serianos et pourtant
combien plus doux et rassurant, Gémildan, le prince des
Le serment de Salermnos : 35
Le serment de Salermnos
Silériens, avait aussitôt attiré dans son sillage de bonté,
d’amour mais également d’enthousiasme, la
merveilleuse Sylvania. La petite taille du forgeron-
paysan, en regard de la haute stature des Elfes Géants,
n’empêchait pas ce dernier de rayonner par sa beauté
intérieure. La robustesse et la simplicité de ses traits
étaient magnifiées par la pureté de son cœur et de ses
sentiments.
Haran, le vieux Roi des Sylvains était sage. Il avait
compris que la passion, née entre sa plus belle fille et le
Seigneur Silérien était en fait une bénédiction. Leur
Union allait fatalement réduire la durée de vie de la
princesse tout en augmentant celle de son aimé.
Pourtant, les enfants qui viendraient de leur mariage
chevaucheraient dans les rangs des plus grands héros de
ces temps oubliés.
Le monarque avait le don de prescience et, il avait
déjà admis tout cela. Il était heureux de l’amour éprouvé
par sa fille tandis que son fils, Mohodir Gurr, estimait
qu’en s’abaissant à fréquenter les paysans-forgerons, sa
sœur perdait toute dignité… Il en conçut une grande
colère au fond de son cœur, mais elle n’était pas
réellement de lui. Il avait subit une noire influence,
quelques mois plus tôt….
Le serment de Salermnos : 36
Le serment de Salermnos
- V -
Ce jour-là, Mohodir coursait, dans un galop de
folie qui l’éloignait de son escorte à la vitesse d’une
tempête d’automne, un colossal cerf blanc de Myrion.
Il chassait, depuis quelque temps, pour le simple
plaisir. Son père lui avait pourtant déconseillé de
prélever dans la nature, un tribut d’animaux sans en
avoir le besoin impératif. Le jeune Prince Elfe était
fougueux et parfois incontrôlable. Quand il avait aperçu
le grand douze cors, dans la lumière adoucie des sous-
bois qui bordaient la mer de Myrion, il s’était lancé à la
poursuite du bel animal, avant même d’avoir prévenu
les hommes de sa garde.
Mohodir connaissait chaque clairière de cette forêt,
chaque sentier et chaque escarpement. Cependant, le
cervidé parvenait à tenir son adversaire à distance. Le
cheval du Seigneur Elfique contournait ainsi une grande
baie du sud de la Mer Intérieure. Les sous-bois se
faisaient touffus et ténébreux dans cette région arrosée
par des pluies bienfaisantes et, éclairée d’un soleil doux
tout au long des différentes saisons.
Tout à coup, une galopade tonnante ébranla le sol.
Les arbres frissonnèrent dans le vent comme s’ils
étaient terrifiés par la formidable charge dont ils
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Le serment de Salermnos
entendaient le tumulte. Le fils d’Haran baissa la visière
de son heaume et ajusta sa lance. Quel que soit le
danger qu’il aurait devant lui, même si la plus
formidable créature malfaisante apparaissait à l’Orée
des futaies de Myrion, il ne faiblirait pas et l’attaquerait.
Enfin, le responsable de cette fureur surgit à
l’entrée d’une grève de la baie, entre deux chênes d’or
qu’il dominait de toute sa taille. Serianos Thanator était
là, sous sa forme de cavalier rutilant et formidable.
- Prince Gurr ! Tonna le Roi des Esprits Jardiniers.
Pourquoi chassez-vous avec tant de ferveur ce maître-
cerf de mes sous-bois ?
Les yeux du Seigneur divin brûlaient de colère et
son visage était marqué par le courroux qui l’animait. Il
semblait savoir que l’Elfe n’avait entrepris cette chasse
que par goût du défi. Thanator continua alors, furieux
du silence de Mohodir :
- N’écoutez-vous dont jamais les sages conseils de
votre père ? Voulez-vous essuyer une colère encore plus
grande que la mienne, celle du maître de l’Univers ?
- Mais, commença le chasseur, ce n’est pas un
crime de poursuivre cette simple bête.
- Si vous étiez affamé et accompagné de votre
garde qu’il vous faudrait nourrir, reprit le plus grand des
aides du Penseur Eternel, il serait légitime que vous
tuiez un si grand animal pour vos besoins. Là vous êtes
seul. L’escorte que vous avez abandonnée dans cette
folle chevauchée, porte assez de provisions sur le dos de
Le serment de Salermnos : 38
Le serment de Salermnos
ses bêtes de somme, pour de longs jours de voyage. Les
forêts sont vastes. Elles suffiront pour des temps infinis
aux besoins des Civilisations de Formalow si vous n’en
puisez les ressources qu’avec un grand discernement.
Chassez et tuez pour satisfaire votre orgueil ainsi que
votre goût du danger, n’est pas digne d’un si grand
Prince Forestier.
En prononçant ses paroles, Serianos avait pris un
aspect terrifiant. Son armure d’or semblait flamboyer au
soleil et son beau regard était devenu insupportable de
haine et de colère. Ses traits tendus avaient perdu toute
humanité. Il semblait un dragon prêt à frapper une proie.
Mohodir descendit de sa monture. Il s’agenouilla et
implora le pardon du colossal Seigneur des esprits :
- Seigneur ne vous courroucez pas plus, supplia-t-
il. Le fils d’Haran apprend vite à réparer ses erreurs.
Demandez, ordonnez, et j’obéirai !
- Tu peux m’apporter une aide indéniable, fit
Thanator en se radoucissant. Je suis bien désolé que ta
sœur, la merveilleuse Sylvania, se complaise en
compagnie des habitants de « l’Océan d’Herbe
Fleurie ». Ils lui sont bien inférieurs et leur
fréquentation, pour une Princesse de cette qualité, n’est
pas un exemple inspirant le respect.
- Les silériens sont pourtant braves et ingénieux,
affirma Mohodir. Ce sont de vaillants et respectueux
compagnons. Ils portent tous à la Princesse, une
admiration et une dévotion sans limite !
Le serment de Salermnos : 39
Le serment de Salermnos
- L’un d’eux, le fils d’Orloros, éprouve plus que
cela pour la Dame des forestiers, insinua Serianos.
Celui-ci croit l’aimer d’amour. Cela ne se peut pas ! Les
Silériens sont des créatures destinées à servir les Elfes,
pas à épouser leur Reine ! Mentit Thanator, pour la
première fois de sa longue existence. Il est inadmissible
de leur voir tant d’orgueil ! Ils ne peuvent poser ainsi
les yeux sur une souveraine de si haut rang. Cela m’est
très pénible, Prince Gurr ! Je souhaite que vous mettiez
bon ordre à cela. La nature a des lois ! Elles ne doivent
pas être détournées. Vous m’en répondrez, si Sylvania
la splendide, se fourvoie encore en compagnie
d’inférieurs.
Par jalousie et par désir, un des puissants de
Formalow venait de commettre le pire des mensonges et
de proférer une idée malencontreuse qui pouvait faire
son chemin dans l’esprit des Elfes ou bien des Silériens
attirés par l’obscurité et le Néant. Troubler ainsi
Mohodir, en jouant de l’amour fraternel qu’il ressentait
pour sa si flamboyante sœur, était ignoble et indigne
d’une puissance mentale comme celle de Serianos. De
plus, sa haine contre le fils d’Orloros lui était dictée par
son orgueil plus que par son amour déçu. Au fond, il
n’éprouvait pas de véritable passion pour la Belle Elfe.
Il n’était animé que de l’appétit de posséder une
compagne digne de sa grandeur. Et s’il ne pouvait la
conquérir par la pureté de son âme et de ses actes, il la
Le serment de Salermnos : 40
Le serment de Salermnos
ferait plier à sa volonté par la force. Dut-il déclencher
une guerre entre les Elfes et les Silériens !
Le Prince Mohodir retourna vers les siens, l’âme
assombrie par les paroles mensongères et odieuses de
Thanator. Ebranlé dans ses plus solides convictions, il
ne savait pas encore comment il allait réussir à satisfaire
le Seigneur des Esprits de la Forêt. Il souhaitait agir
plus par respect envers la divinité de Serianos que par
mépris des Silériens. Au fond de lui, il n’était pas
convaincu par le discours qu’il venait d’entendre.
Le serment de Salermnos : 41
Le serment de Salermnos
- VI -
Sylvania se tenait sur la terrasse d’un palais
Elfique, au Nord de la Silérie, à la croisée des chemins
du septentrion sauvage. Elle n’osait plus retourner dans
les chaleureuses forêts du Sud.
Sa dernière rencontre avec Thanator l’avait
épouvantée. Le puissant Esprit ne maîtrisait plus ses
désirs. La Princesse Elfique se sentait en danger en
présence du formidable gardien des forêts.
Elle était sincèrement attirée par Gémildan, le fils
du Seigneur des Silériens. Il se montrait si tendre, si
enthousiaste avec elle. Elle regarda vers l’extrême nord-
ouest du Continent. Là-bas, des monts s’élevaient au
bord de l’Océan extérieur. Plus haut, au-delà des terres
sauvages et des grandes forêts encore vierges, protégées
par des forces divines indépendantes de celles du Sud,
Une vallée douce et riche existait, disait-on. Personne
n’avait pu s’y rendre mais, des descriptions en avaient
été faites aux Elfes qui visitaient les limites boréales du
Monde civilisé.
Sylvania avait l’espoir d’aller vivre son amour
dans cette vallée, hors de portée de Serianos. Elle
voulait en parler avec son père. Si elle pouvait réunir
quelques compagnons Elfiques et Silériens, elle irait
Le serment de Salermnos : 42
Le serment de Salermnos
s’installer là-bas, avec Gémildan. Elle créerait un
royaume de sagesse. Elle en protégerait la frontière mais
pas par la guerre. Elle avait ressenti une nouvelle force
naturelle pendant ses voyages dans les marches du nord.
Elle domestiquerait cette puissance avec l’aide des
petits Elfes ingénieux et des habiles paysans-forgerons.
Ainsi, même si un esprit septentrional, aussi fort que
Serianos chutait comme ce dernier, elle pourrait le
repousser.
En passant dans certaines grandes clairières au
cours de ses longues promenades, elle avait eu de vastes
visions sur le futur et le passé de Formalow. Elle était
parvenue à projeter sa volonté sur des objets distants
qu’elle avait déplacés ou même modifiés. Bien sûr, ces
pouvoirs étonnants et inattendus, ne lui avait été
accordés qu’au cours d’un temps et dans un espace
limités. Pourtant, Le potentiel qu’elle avait décelé dans
ses expériences pouvait être accru. La force créatrice du
Monde sommeillait dans ces lieux magiques des Forêts.
Elle devait apprendre à la maîtriser pour protéger
l’avenir de Formalow, des Elfes, des Silériens et aussi
d’autres créatures pensantes qui n’étaient pas encore
apparues dans le Monde mais qui s’éveilleraient bientôt.
Elle l’avait vu.
Une grande légion d’Elfes géants, d’autres
ingénieux, mais aussi de Silériens se groupa à la
frontière septentrionale de « l’Océan d’Herbe Fleurie ».
Sylvania n’avait pourtant rien demandé. Cependant,
Le serment de Salermnos : 43
Le serment de Salermnos
parmi les deux peuples pensants de Formalow, la
rumeur courait qu’un danger inconnu était apparu dans
le Sud du Continent et qu’une dissension houleuse
embrouillait les relations entre les grands des royaumes.
Constatant la douceur et la sérénité de la Reine Elfique,
tous se rejoignaient autour de sa bannière.
Haran et les Maîtres des Elfes ingénieux se
réunirent alors. Personne ne se serait permis de remettre
en cause l’amour que portaient les habitants de
Formalow à Sylvania. Si certains voulaient rejoindre sa
maison et lui offrir leur allégeance, ils pouvaient le
faire. Orloros le Magnifique était même fier de voir sa
future belle-fille, adulée par les grands chevaliers de
toutes les nations du Monde. Et si les héros de ce temps-
là se mettaient à porter l’étendard de la Reine Elfique,
ils y avaient ajouté sous forme de fanions, les armes
d’Haran, des Elfes ingénieux et des Silériens.
Le grand et vénérable Seigneur des Sylvains,
expliqua alors à ses alliés, au cours d’un conseil
extraordinaire qui fut organisé sur une île de la Mer de
Myrion :
- Des mensonges et des phrases méprisantes ont été
clamés dans les ombrages des sous-bois du Sud. Les
plus courageux et les plus honnêtes d’entre nous y ont
cru car ce tissu de haine venait de la bouche de quelque
puissance des Forêts. En disant ces derniers mots, Le
Roi posa son regard noble et inquisiteur sur son fils.
Ensuite, il poursuivit. L’Âge d’Or n’est pas encore
Le serment de Salermnos : 44
Le serment de Salermnos
révolu. Il ne tient d’ailleurs qu’à nous de le faire
perdurer au-delà des tentatives menées afin de le
détruire.
- Père, lança Mohodir emporté par la haine que lui
soufflait Thanator. Comment pouvez-vous trouver juste
et tolérable que ma sœur parte dans le Nord-Ouest,
affaiblissant nos royaumes à qui feront défaut les braves
et les travailleurs qui l’ont rejoint, pour y fonder une
nation capable de défier, un jour, les nôtres ? De plus, il
me déplait de la voir s’unir au futur chef d’un petit
peuple sans lignage, alors que les grands démiurges du
Monde rêvaient d’en faire leur Reine.
Les Silériens présents au conseil avaient frémi de
colère en entendant les insultantes paroles de Gurr.
Haran s’était levé et pour la première fois de son
existence, ses traits se crispaient sous la plus terrible et
la plus froide des fureurs de cette époque-là :
- Comment oses-tu mépriser ainsi un autre peuple !
Tonna le Souverain. Il tendit son puissant bras vers les
Silériens pour les désigner au conseil. Les Elfes
n’avaient pas de lignage non-plus quand ils vinrent à la
lumière du Soleil de Formalow ! Et aujourd’hui, qu’en
est-il de nous messieurs ? De quelle grandeur pouvons-
nous nous prévaloir ? Nous avons bâti des villes
forestières et respecté les lois du Penseur Divin et de ses
aides… Mais avons-nous le droit, en vertu des longs
millénaires que nous avons vécus avant l’apparition de
nos amis, de les considérer comme inférieurs ? Non !!!
Le serment de Salermnos : 45
Le serment de Salermnos
Eux aussi se montrent courageux, respectueux de la
Terre et des créations de celui qui préside aux destinées
de ce Cycle. Ils construisent une Culture et une
Civilisation pour leurs enfants et pour leur laisser un
héritage digne de celui qui leur fut transmis. Tant qu’ils
travailleront, avec, dans leur cœur, ce but à atteindre, ils
garderont notre estime ou bien celui de tous ceux qui
ont foi dans l’avenir des peuples pensants et des Âges
de ce Monde. Tu n’as pas le droit, Mohodir, de
prononcer de telles paroles envers les habitants de
« L’Océan d’Herbe Fleurie ». Ta sœur ne se trompe
jamais quand elle donne son amour. Celui ou bien celle
qui en bénéficie est une créature des plus
exceptionnelles de ce Cycle. Si elle refuse les avances
de quelqu’un, fut-il un puissant parmi les puissants c’est
qu’il possède une âme ténébreuse en proie aux
tentations des limbes du Néant !
Gurr réalisa à quel point les paroles de Thanator
l’avaient induit en erreur. Il se jeta au pied de son père :
- Pardonne-moi, père ! L’esprit qui m’a guidé vers
ses pensées néfastes est un de ceux qui nous ont le plus
apporté au cours des derniers Âges. Comment pouvais-
je savoir ?
- Ton cœur te suffisait, mon fils, répliqua le Roi,
mais tu n’as pas su l’écouter. Maintenant, les temps sont
venus de prendre de graves décisions. Il nous faut
savoir qui, parmi les Esprits Jardiniers du Sud, est
encore fidèle au Créateur et lequel sombre dans les
Le serment de Salermnos : 46
Le serment de Salermnos
ténèbres. Il est certain que Serianos est tombé. Combien
l’ont suivi dans sa chute ? Il faut l’apprendre et établir
le contact avec les esprits qui restent fiables.
Parmi les jeunes Elfes géants, fougueux, quelques-
uns avaient apprécié les idées de Thanator. Ils étaient
prêts à s’opposer à Haran qu’ils jugeaient trop prudent.
Les doux Silériens les rendaient jaloux. Ces créatures,
malgré leur petite taille, leur vie simple et leur pays sans
grandes futaies, vivaient heureux, bâtissaient de beaux
villages, de jolies demeures et travaillaient avec talent.
De plus, les hommes silériens attiraient les jeunes filles
de toutes les espèces et de toutes les conditions par leur
bonhomie et leur gentillesse naturelle.
Certains des Seigneurs Sylvains nourrissaient
aussi, en secret, une inquiétude cachée, plus sombre et
plus néfaste que la jalousie. Ils avaient peur de la
puissance qu’ils soupçonnaient chez les paysans-
forgerons et qui pouvait se révéler supérieure à celle des
Elfes.
Heureusement, les gens d’Haran n’étaient pas très
nombreux à porter dans une âme vacillante de si
sombres desseins. Ceux qui avaient suivi Mohodir avec
passion quand il était revenu de son entrevue avec
Serianos, étaient bien heureux de s’allier à ce Seigneur
de Formalow. Mais voilà que ce dernier se retournait
contre leurs idées. Alors, leur porte-parole, Ampar se
révéla au Roi. Il se leva de son siège et déclara avec
véhémence :
Le serment de Salermnos : 47
Le serment de Salermnos
- Qui permet, même au plus grand des Elfes
méridionaux de juger un Esprit de la forêt ? Ces êtres
angéliques ne reçoivent d’ordres que du Maître des
Cycles. Les paroles qui ont été dites au Prince Mohodir,
ne pouvaient provenir que d’une seule source. Ceux qui
les contestent, contestent le Divin lui-même…
- Thanator est un serviteur du Créateur, expliqua
Haran, il n’est pas le Penseur Eternel. Jadis sa sagesse
nous apprenait à créer et à aimer, aujourd’hui, ce
malheureux prône la haine et le mépris. Ses mots
cachent la vérité de son cœur. Il aime Sylvania. Il avait
toutes les qualités pour la gagner. Il n’a pas su le faire
car il est devenu la proie des ténèbres.
- Si un Esprit Jardinier peut être soupçonné de
bassesse et de dissimulation, qui peut nous garantir que,
parmi les meneurs du peuple des Elfes, certains ne sont
pas aussi tombés et tentent de porter les soupçons à tort,
vers des puissances bénéfiques gênant leurs projets ?
Lança Ampar.
- Tu insinues donc, fit Haran, que ma loyauté
envers Orloros et ses amis est un signe de noirceur. Tu
essaies de montrer la Princesse Sylvania comme une
prêtresse du Néant. Pourquoi des pensées d’amitié, de
partage et d’amour seraient-elles néfastes et
marqueraient-elles celui qui les porte, du sceau de
l’ombre ?
Les Elfes Géants attachés à leur souverain et les
Silériens présents frémirent en comprenant où le
Le serment de Salermnos : 48
Le serment de Salermnos
raisonnement du contradicteur tentait de les mener.
Heureusement pour le Monde de Formalow, la sincérité
d’Haran rayonnait de ses phrases. Ses idées généreuses
et la clarté de ses arguments, sans faille, sans détour,
mettaient en exergue la mesquinerie et les mensonges
qui rongeaient l’âme d’Ampar. Celui-ci répliqua
pourtant :
- Le penseur aime l’ordre et n’admet pas les actes
dictés par la faiblesse. Le mariage d’une Reine Elfique
avec un paysan Silérien est une mésalliance que seule,
la peur d’un affrontement avec les paysans-forgerons
peut inspirer à un Roi comme toi. Tu as franchi trop
d’Âges, Seigneur ! Ton jugement se brouille et ta
clairvoyance n’est plus qu’une légende… Tu devrais
laisser la place à la jeunesse…
Sur ces mots, il tira son épée et ses compagnons
l’imitèrent. Mais il avait surestimé ses forces, la plus
grande partie des membres du Conseil, que ce soit des
Elfes sylvains, des ingénieux ou bien des Silériens, se
regroupèrent autour d’Haran et brandirent aussi leur
lame. Mohodir agit de même et rejoignit son père.
Il n’y eut pas d’affrontement. Les partisans de
Serianos et d’Ampar quittèrent l’île de Myrion sans que
le sang n’ait coulé. Pourtant, les épées qui, jusque-là
n’avaient été que de beaux outils pour ouvrir des
sentiers dans les sous-bois ou bien se défendre contre
des fauves de l’ombre, avaient failli servir à combattre
des frères et des compagnons.
Le serment de Salermnos : 49
Le serment de Salermnos
Les graines du mal semées par Thanator étaient en
train de germer dans les cœurs des habitants de
Formalow et malgré le courage et la fermeté des fidèles
du Seigneur de ce Cycle, la menace se concrétisait.
Mais, le Penseur Eternel gardait espoir. Il avait lu
dans l’esprit de ceux qui combattaient les ténèbres, une
fermeté qu’il trouvait pour la première fois depuis le
début des mondes et de leur vie.
Le serment de Salermnos : 50
Le serment de Salermnos
- VII -
La Légion de Sylvania marchait vers la vallée du
Nord-Ouest. Elle était constituée d’une incroyable
multitude, mais, en même temps, les soldats, les
paysans, les ouvriers, les femmes et les enfants qui
voyageaient dans cette masse étaient si disciplinés,
qu’une fois passés, ils ne laissaient aucune trace, aucune
branche cassée, aucun brun d’herbe meurtri.
Ils piquèrent tout droit vers le septentrion du
Continent. Ils espéraient traverser la Taïga sauvage des
régions boréales puis, découvrir le royaume abrité en
l’abordant par l’Est.
Les compagnons de Sylvania évitaient ainsi le
danger de franchir les montagnes qui bordaient l’Océan
Extérieur. Elles étaient hautes et escarpées. Un petit
groupe d’Elfes géants, bien entraînés, aurait pu en
traverser les hauts cols puis redescendre, après des jours
harassants à lutter dans le froid et l’air raréfié, vers le
but de leur voyage. Un peuple entier, courageux et
volontaire certes, ne pouvait pas accomplir un tel
exploit. Le plus long chemin, celui qui serpentait dans
la plaine boisée, au Nord du Continent, semblait le plus
adapté pour un tel mouvement de masse.
Le serment de Salermnos : 51
Le serment de Salermnos
Evidemment, au plus fort de la mauvaise saison,
les émigrants devraient faire halte puis organiser un
campement. Les Elfes se promenaient souvent, en hiver,
pour le plaisir. Les petits ingénieurs de ce peuple
avaient donc conçu des tentes chaudes, pratiques à
monter, à transporter et résistantes aux pires rafales de
vent. Ils en avaient emporté d’innombrables dans cette
expédition vers la vallée de Sylvania. Car, ils étaient
tous conscients qu’une fois sur place, ils ne bâtiraient
pas les cités et les palais en quelques jours, malgré le
savoir-faire des Silériens, des Elfes Ingénieux et la force
des Sylvains Géants. De plus, pour ne pas souffrir des
basses températures qui, pendant un mois ou deux,
risquaient de les surprendre au cours des longues nuits
boréales, Les compagnons de la Reine Sylvestre
transportaient de nombreux chariots de Gemmes de
puissance qu’ils exposaient soigneusement au soleil,
pendant la journée. Comme ils prenaient grand soin de
leur source d’énergie, ils la manœuvraient avec
beaucoup de prudence. Elle pourrait leur faire un très
long usage même si, sur place, il était difficile de s’en
procurer. Mais, il était peu probable que, sur ce
Continent, les cristaux solaires aient été absents d’une
région, quelle qu’elle fut. Durant toutes les explorations
effectuées dans le monde, par les Silériens ou bien les
Elfes, ceux-ci avaient toujours remarqué une hauteur sur
laquelle le processus de formation des gemmes de
puissance se produisait pendant la nuit. Les flancs
Le serment de Salermnos : 52
Le serment de Salermnos
montagneux de la contrée à la richesse légendaire, vers
lequel marchait avec enthousiasme, la vaste troupe de
Sylvania, ne feraient certainement pas exception dans ce
Monde.
Il existait aussi une autre raison en faveur de
l’itinéraire choisit par la fille d’Haran pour cet exode.
Elle avait entendu des Esprits Jardiniers du Nord
évoquer de magnifiques clairières rocheuses, au milieu
de la forêt qui couvrait cette région. Elle avait compris,
à leur manière d’évoquer ces sites naturels reposants et
bienfaisants, que ces lieux étaient de ceux qui
augmentaient les pouvoirs magiques sommeillant chez
certaines créatures pensantes. Comme elle souhaitait
apprendre à contrôler cette puissance, il lui fallait
séjourner dans ces lieux si propices à ses desseins.
La formidable colonne qui constituait le cortège de
la souveraine Elfique, partit donc vers le Nord, par un
matin de printemps. Elle s’étendait sur plusieurs lieux
de longueur. Des chariots transportant les femmes, les
enfants, les tentes, les outils et les cristaux de puissance,
avançaient entre les grands arbres clairsemés des forêts
du septentrion, encadrés par les soldats Elfiques Géants
ainsi que les Silériens en armes. Les ingénieux petits
Sylvains, suivaient aussi, sur des plates-formes à roues,
tirées par de grandes licornes.
Dans la douceur de cette matinée d’Avril, ils
allaient fonder, ni plus ni moins que l’avenir ainsi que la
destinée de Formalow. Pendant la lutte qui opposerait
Le serment de Salermnos : 53
Le serment de Salermnos
bientôt les forces du mal et les fidèles du Penseur
Eternel, la Nation que Sylvania et ses courageux
compagnons enracineraient un jour au Nord-Ouest du
Monde civilisé, constituerait une des plus puissantes
forteresses de la sagesse, dressées contre les esclaves
des ténèbres.
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Le serment de Salermnos
- VIII -
Serianos était seul, debout dans l’aube, sur les
contreforts des Montagnes du Bout du Monde. Le
regard rougeoyant de fureur, les mains pressant ses
tempes qui battaient comme un cœur emballé, il hurlait
en se tordant avec la vigueur d’un fauve prisonnier d’un
filet.
Il avait perdu l’amour par orgueil. Il avait oublié
que, malgré sa puissance et les immenses pouvoirs qu’il
détenait, il ne pouvait pas conquérir la ferveur d’un être
pensant sans la mériter réellement. Sa peine était sincère
bien qu’elle fût entachée de colère. Il lui restait donc
une dernière chance de se racheter et de reconquérir,
non plus l’amour, mais l’amitié de Sylvania.
Il pouvait s’avancer vers Haran, s’incliner devant
le vénérable Seigneur Elfique et lui avouer ses fautes. Il
avait encore le choix de lui expliquer sa folie et la
passion qui le dévorait quand il avait glissé vers le mal.
Ce grand des grands aurait acquis, aux yeux des Elfes et
des Silériens, une noblesse infinie en admettant les
extrêmes vers lesquels son orgueil et son désir l’avaient
poussé. Par cet acte de contrition, il aurait pu se
reconstruire et recevoir l’amour d’une autre Princesse
Elfique.
Le serment de Salermnos : 55
Le serment de Salermnos
Cependant, alors qu’il était encore sur l’étroite
limite qui sépare la grandeur, la bienveillance, de la
folie ainsi que la tyrannie, sa souffrance morale et
physique était telle, qu’il ne pensait même pas à se
libérer momentanément de son enveloppe de chair pour
apaiser le feu qui le brûlait intérieurement.
Il gémissait et frappait de ses poings et de ses pieds
les flancs du plus haut pic de la chaîne montagneuse.
Ses cris déchiraient l’aube du midi de Formalow. Ses
coups faisaient tomber depuis les cimes, jusque dans les
vallées, d’énormes blocs de roches qui se fracassaient
au fond des combes en couchant les arbres et en
détournant les ruisseaux par l’accumulation de leurs
débris.
Les Elfes Géants qui vivaient dans cette région,
furent éveillés en sursaut par ce tumulte. Autour de
leurs villes sylvestres, la terre tremblait, le vent
mugissait sinistrement. L’armée des Seigneurs Elfiques,
séduits par les paroles mensongères de Thanator, puis,
ayant défié Haran, fut elle-même ébranlée par l’écho de
la peine du Seigneur des Esprits Jardiniers.
Ampar perdit de sa superbe, pendant cette fureur
inexpliquée des éléments. Lui-même douta sérieusement
de la voie qu’il avait prise, en suivant le puissant Esprit
des forêts. Il se réfugia avec sa troupe dans une enclave
de rochers qui paraissaient résister aux soubresauts du
sol de Formalow et à la pluie de pierres qui tombaient
furieusement du ciel. L’Elfe rebel faillit revenir dans le
Le serment de Salermnos : 56
Le serment de Salermnos
camp de la lumière, tant il était écrasé de douleur et
d’effroi par la colère de la planète.
Le formidable cataclysme déclenché par le
courroux de Serianos était tel que tous les habitants des
combes méridionales se réfugiaient dans les palais de
leurs Seigneurs. La terreur, pour la première fois de
l’Histoire de Formalow, étreignait les cœurs des Elfes.
Ampar et les grands de sa maison n’y tenaient plus.
Il leur fallait savoir les causes de cette folie du Monde.
Les courageux Sylvains regardèrent enfin vers les
hautes montagnes, malgré les chutes de roches qui
dévastaient les forêts et les torrents autour d’eux. Ils
découvrirent bientôt l’immense silhouette de Thanator
qui cognait, dans sa rage biblique, les versants des
sommets les plus élevés.
Ce fut la dernière fois que les Sylvestres de cette
armée firent preuve de chevalerie et de valeur. Ils se
mirent en colonne et décidèrent de progresser jusqu’au
Maître des Esprits Jardiniers, dans le chaos déclenché
par ce dernier.
Aussitôt, la forte phalange d’Ampar se mit en
marche. Elle emprunta les sentiers abrités qui
serpentaient dans les forêts d’altitude et les pâturages
des Monts du Bout du Monde. Le capitaine elfique
n’avait plus le choix. Il lui fallait savoir s’il avait eu
raison de défendre, devant son Seigneur Haran, le point
de vue de Serianos ou bien, s’il s’était livré, en agissant
Le serment de Salermnos : 57
Le serment de Salermnos
de la sorte, sans espoir de rédemption, aux ténèbres et
au Néant.
Dans l’épouvantable fracas des pierres brisées et
des coups furieux dont les échos ébranlaient les racines
même du Continent, Ampar encourageait ses vassaux.
- Allons, montons vers le haut de la montagne !
Nous devons arrêter ce désastre. Si nous avons fait
fausse route en suivant Thanator, nous paierons de notre
vie cette erreur ! Il nous faut sauver Formalow. J’ignore
si nous possédons les moyens d’arrêter cette puissance
du Monde, mais nous ne laisserons pas notre peuple
mourir ainsi !
Et la maison de l’Elfe redoubla de courage en
grimpant vers sa fin. Ils atteignirent bientôt des lieux et
des hauteurs auxquels aucun être pensant, depuis cette
époque immémoriale, n’a pu accéder. Quand ils ne
furent plus très éloignés de Serianos, ils assistèrent aux
effets de la métamorphose terrifiante que ce dernier
avait subit dans les affres de la folie. L’Esprit divin
n’était plus le merveilleux chevalier qu’ils avaient vu,
jadis, parcourir fièrement les forêts de l’Âge d’Or.
Thanator était maintenant un géant effrayant aux yeux
rougeoyant de haine et au visage déformé par le mépris
des créatures vivantes. Son armure de lumière avait
noirci sous la chaleur dégagée par son courroux. Ses
poings martyrisés par les coups qu’il avait donnés aux
falaises avaient l’aspect de masses sanguinolentes
desquelles dépassaient des doigts noueux et griffus.
Le serment de Salermnos : 58
Le serment de Salermnos
Serianos ne devait plus jamais retrouver son aspect
avenant d’arbre infiniment ancien, ni celui de cavalier
valeureux qu’il avait adopté pour séduire Sylvania.
Jusqu’à la fin des premiers âges de ce Cycle, il changea
de nom et ne fut plus connu que sous la dénomination
de Gaurtlung l’Effroyable.
Alors, la folie du monstre diminua pour devenir
une rage malveillante, il se tourna vers ses visiteurs qui,
malgré leur cœur vaillant, sentirent la force et la chaleur
de leur vie les quitter. Ils tombèrent à genoux le front
contre le sol. Un cri glacial fut émit par l’être maléfique
qui les dominait de toute sa gigantesque taille, puis, un
sort prononcé d’une voix tonitruante les figea dans les
douleurs infernales de la perdition. La bonté et la
miséricorde quittèrent à jamais les Elfes de la maison
d’Ampar.
Pour l’éternité, ils devinrent les Rois des
Korrigans. Leur destin odieux était, désormais, jusqu’à
la fin des temps, de commander les légions de démons
générés par la folie de Gaurtlung le Damné. De longs
millénaires de souffrance allaient commencer par la
malédiction qui venaient de balayer Ampar et ses
hommes. Leurs âmes avaient abandonné définitivement
les Elfes qui s’étaient dressés contre Haran. La paix
venait de fuir aussi, pour de très nombreux Âges, les
Terres de Formalow.
Le serment de Salermnos : 59
Le serment de Salermnos
- IX -
Quand Haran apprit la catastrophe qui dévastait les
Combes du Bout du Monde, il leva une vaste armée
d’Elfes et de Silériens qui chargèrent des milliers de
chariots avec des vivres, des matériaux de construction
et des outils afin de porter secours au peuple sylvestre
des régions méridionales.
Cette gigantesque légion amenait aussi, avec elle,
de grands médecins des deux peuples pensants de
Formalow. Ils avaient appris, par des oiseaux fuyant la
colère de Gaurtlung, les plaies et les blessures dont
souffraient les habitants des vallées du Sud. Les Elfes
qui s’étaient répandus, Jusqu’aux frontières de la
Silérie, se mobilisèrent donc pour aider leurs parents
plongés dans le malheur.
Haran, soupçonnait la cause des évènements
terrifiants dont il recevait des récits détaillés au fur et à
mesure de sa marche vers le Midi du Continent. Aucune
créature pensante appartenant aux forces du bien,
n’avait encore été témoin directement de l’origine des
tremblements de terre et des éboulements cyclopéens
qui avaient dévasté les cités elfiques, mais, la sagesse
du vieux Roi ainsi que ses dons de clairvoyance, lui
avaient appris toute la vérité.
Le serment de Salermnos : 60
Le serment de Salermnos
L’équilibre et l’harmonie de Formalow venaient
d’être rompus et les peuples civilisés de ce monde
allaient devoir prier, de toute leur âme, le Penseur
Eternel pour que ce dernier envoie l’aide morale dont
les multitudes de cette terre auraient besoin dans les
siècles à venir.
Ce qui blessait particulièrement le vieux souverain
sylvestre, ce n’était pas que le mal soit apparu. C’était
surtout que les ténèbres et le Néant étaient parvenus à
corrompre un grand esprit de la forêt ainsi que toute une
phalange de valeureux Elfes. Haran le sentait, bien que
ces détails ne soient pas encore révélés ouvertement aux
habitants du Monde. Le Roi prévoyait sombrement que
certains Silériens basculeraient également dans
l’obscurité. Et toutes les formes de vie intelligente qui
apparaîtraient au cours des prochains âges, offriraient
un lourd tribut de membres au Mal qui hanterait
Formalow, désormais.
La prescience du vénérable Basileus ne le trompait
pas sur ces éventualités. Le seul savoir qui lui restait
inaccessible était celui révélant l’issue de ce Cycle.
Mais finalement, même le Créateur en personne, s’en
remettait au Libre-Arbitre pour mener l’histoire de ce
Cosmos à terme. Il était clair que le maître du temps et
de l’espace ne savait pas exactement comment
évoluerait ce Monde en raison de la latitude de
raisonner qu’il avait accordée à ses enfants, bien que le
Le serment de Salermnos : 61
Le serment de Salermnos
bon sens de ceux-ci lui inspirent une grande confiance,
dans le cadre de cette Histoire-là.
Haran ne pouvait donc plus que se résigner à
l’avenir peu attirant qui se dessinait maintenant, tout en
apportant autant de soins qu’il le pourrait, à apaiser les
souffrances endurées par la vie de ce Continent. Il
combattrait les responsables des fléaux qui s’abattraient
durant les prochains jours sombres. Cependant, il savait
que les millénaires passeraient encore nombreux avant
de voir les fidèles du Penseur Eternel ou bien ceux du
Néant et des ténèbres triompher.
Le Seigneur des Sylvains songeait donc à tous les
tourments qui se préparaient dans l’ombre de la trahison
et du mépris, tandis que sa formidable armée allait au
secours des malheureuses victimes de la folie des
puissants. L’Orée des Forêts du Bout du Monde
dessinait ses frondaisons fantastiques sur l’Horizon
lorsque les éclaireurs revinrent au galop vers l’avant
garde Elfique.
Des milliers d’Esprits Jardiniers se tenaient en
guetteur à une lieue des sous-bois. Ils barraient la route,
comme des sentinelles sur le pied de guerre. Haran
gagna une petite colline et, de sa vue perçante il
examina la puissante troupe d’Aides du Seigneur du
Cosmos. Etaient-ils basculés dans les ténèbres ?
Voulaient-ils empêcher les secours d’atteindre les Elfes
des Combes sinistrées ou bien, étaient-ils venus porter
Le serment de Salermnos : 62
Le serment de Salermnos
leur aide aux enfants du Créateur douloureusement
frappés par la première manifestation du Mal ?
Ni le fer, ni le feu n’était en mesure de mordre la
vie de ses arbres marchant. Seule la cavalerie de la
troupe du Roi serait assez rapide et vive pour échapper à
la colère des Esprits forestiers, s’ils se tournaient contre
les Elfes. Avec de grandes cordes, les chevaliers
sauraient entraver de tels ennemis, puis, les faire tomber
sur le sol. Ensuite, les puissants arcs en acier des
Silériens, enverraient des flèches aux pointes taillées
dans des éclats de cristaux de puissance. Sous le choc,
en pénétrant l’épaisse écorce, ces gemmes libéreraient
leur chaleur et leur énergie dans le corps des Jardiniers
Divins. Cela ne les tuerait certainement pas, mais, ces
derniers seraient sans doute obliger d’abandonner leur
forme arbresque avant la fin du combat. Cette stratégie
sèmerait le deuil dans les rangs Elfiques, pourtant, il n’y
avait rien d’autre à espérer, si le mal dominait
maintenant toutes les forêts du midi de Formalow.
Le Roi fit déployer sa cavalerie. Elle occupait une
large bande de la plaine. Puis, il la fit marcher vers les
Esprits Jardiniers. Fidèles et dévoués à leur souverain,
les grands seigneurs de la maison d’Haran, se tenaient
prêts à charger si les arbres marchants les attaquaient.
Des Silériens montés sur de résistantes petites licornes
de « l’Océan d’herbe Fleurie » les appuyaient, sur les
flancs avec au fond de leur cœur, la même loyauté ainsi
qu’une détermination inébranlable. Le bonheur et
Le serment de Salermnos : 63
Le serment de Salermnos
l’espoir n’avaient pas encore quitté Formalow. Un des
Aides du Penseur Eternel, à la vue du grand Elfe et de
son armée s’avança paisiblement vers Haran et s’inclina
devant lui. Il accueillit amicalement le Seigneur
Sylvain. Les Esprits Jardiniers n’étaient heureusement
pas corrompus. Alors, les deux grands de ce monde
échangèrent leurs informations.
- Seigneur des Elfes, commença l’Arbre Marchant,
notre maître a failli. Serianos, consumé par la colère, la
haine et le mépris est tombé dans les ténèbres. Il a
utilisé ses vastes pouvoirs pour asservir les gens
d’Ampar et désormais, ils se préparent à descendre des
montagnes pour atteindre la Silérie, la détruire puis
enfin, partir vers le Nord du Monde et s’emparer de la
Reine Sylvania.
- Avons-nous une chance d’arrêter ce monstre et sa
légion ? Demanda simplement le vieux monarque.
- Ni vous, ni nous ne sommes encore susceptibles
d’affronter le pouvoir de Thanator, répondit l’Esprit
Forestier. Il dispose toujours de sa force et si sa
puissance de création a disparu quand il s’est voué au
mal ses capacités de destruction restent immenses.
Votre armée est belle Mon Seigneur, mais elle ne
pourrait s’opposer aux desseins de Serianos qu’en
utilisant les ressources magiques à la conquête
desquelles, Sylvania est partie dans le Septentrion de
Formalow.
Le serment de Salermnos : 64
Le serment de Salermnos
- Nous devons protéger « l’Océan d’Herbe
Fleurie » déclara fermement Haran. Dussé-je lancer
toutes mes forces contre Gaurtlung seul, je ne peux pas
abandonner la charmante contrée de mes amis forgerons
à la folie de ce tyran.
- Il nous reste un petit espoir, admit l’Esprit
Jardinier. Les forces du mal et leur chef ne disposent
que d’une voie pour atteindre directement la Silérie.
Celle-ci suit l’étroite Combe des Elfes Géants. Si nous
nous massons tous à l’endroit où cette vallée
enchanteresse débouche sur les forêts du Bout du
Monde, Messire, malgré toute sa force et celle de ses
esclaves, Thanator ne parviendra pas à déborder notre
armée. Nous ne le vaincrons peut-être pas, mais nous
l’immobiliserons longtemps dans les montagnes. Ainsi,
Dame Sylvania aura peut-être le temps d’acquérir la
sagesse magique qu’elle cherche dans la Taïga du Nord,
puis, de venir à notre secours avant que la troupe
maudite ne découvre un moyen de nous contourner par
un autre passage.
- C’est une bien maigre lueur dans l’ombre qui
nous menace, Maître, fit Haran. Pourtant nous devons la
tenter. Je fais mettre en marche mon armée, nous avons
dans nos chariots et dans nos rangs, les outils et surtout,
les fiers artisans nécessaires pour bâtir une forteresse
afin de fermer cette Combe, serez-vous à nos côtés avec
vos amis ?
Le serment de Salermnos : 65
Le serment de Salermnos
- C’est notre devoir de chasser le mal de Formalow
assura l’Aide du Penseur Eternel. Nous vous aiderons
de toute notre âme.
La grande légion des forces du bien se regroupa
bientôt à l’Orée de la Forêt. Les Arbres Marchants se
joignirent à l’immense phalange dont la puissance
semblait invincible. Mais grande est la capacité
d’aNéantir des ténèbres et toute cette bonne volonté ne
suffirait peut-être pas à contenir Gaurtlung et ses
esclaves.
Le serment de Salermnos : 66
Le serment de Salermnos
- X -
Sylvania et Gémildan se tenaient devant la tente
qu’ils avaient fait dresser au-dessus du camp de leur
peuple.
La multitude qui les avait suivis dans leur marche
vers le royaume du Nord-Ouest, s’était déployée autour
de la colline qu’ils avaient choisie pour s’installer
pendant cette escale. Dans la plaine, entre les grands
arbres de cette forêt septentrionale, le camp des
compagnons de la reine Elfique et du prince Silérien,
était soigneusement agencé. La nature était respectée
par le positionnement des abris et partout, des pâturages
avaient été prévus pour les licornes fourbues par le long
voyage qu’elles venaient d’accomplir.
Sur le plus haut piquet de la tente des souverains,
la bannière des forêts et de la lande des forgerons
réunies, flottaient dans le vent du soir. La saison était
encore belle et la soirée était douce. Gémildan regardait
sa bien-aimée de ses yeux verts, pétillants. Ils venaient
tous les deux de terminer leur repas et maintenant, ils
contemplaient, assis côte à côte sous l’auvent de leur
abri, le paysage splendide qui s’étendait sous leurs
yeux. Le Prince demanda d’abord l’autorisation à sa
promise, puis, il alluma sa pipe tout en déclarant :
Le serment de Salermnos : 67
Le serment de Salermnos
- Ma Dame, j’espère que nos éclaireurs rentreront
demain pour nous annoncer une bonne nouvelle. Il
lança vers le ciel un rond de fumée bleuté.
- S’ils ont trouvé les Esprits Jardiniers, mon doux
Seigneur, expliqua-t-elle en prenant la main de son
interlocuteur, ils auront appris où se trouvent les
clairières magiques.
- Toutes mes prières souhaitent que nous
parvenions à atteindre un de ses sites merveilleux Ma
Reine d’Amour, assura Gémildan.
Le Seigneur des Forgerons était très beau. Son
corps puissant, solidement charpenté et musclé faisait
honneur au peuple dont il était issu. Même lorsqu’il
pratiquait l’art de fumer, une habitude que les Silériens
avaient contractée durant les veillées d’été, dans les
villages de leur contrée, il avait une allure noble et
distinguée. La fermeté de sa main douce et pourtant
puissante, façonnée pour travailler l’acier, était
rassurante dans celle légère et caressante de Sylvania.
- Si je perçais les secrets des clairières de
puissance, déclara la jolie Elfe, nous serions pour
toujours hors de portée des ténèbres et du mal, mon
chéri. Je bâtirais alors un royaume solidement protégé
par des murs invisibles, infranchissables pour tous les
serviteurs de la nuit. Si par hasard, il existait une faille
dans cette aura magique, nous aurions alors la force et
l’endurance des Silériens alliées à celles des Elfes
Géants pour la combler. Puis, le savoir-faire de nos
Le serment de Salermnos : 68
Le serment de Salermnos
ingénieurs ainsi que l’habileté de tes forgerons
appuieraient sans faiblir le courage et la rigueur de nos
peuples réunis.
- En écoutant tes projets, j’ai peur de l’avenir,
admit Gémildan. Tu as sans doute reçu, en héritage, la
sagesse de ton père. Il se pourrait bien que tes craintes,
celles que tu essaies d’exorciser en échafaudant la
future défense de ton Royaume, ne soient que des
visions d’avenir, fruits de la prescience de ton espèce.
Que vois-tu pour nous ? Avons-nous un avenir à vivre ?
Notre amour aboutira-t-il ?
- Bien sûr mon Aimé, assura Sylvania. Mais la
création de notre Royaume nous coûtera de longues
années et de dures souffrances. C’est notre destin et
nous ne pouvons, en aucun cas, échapper à celui-ci.
Les trompettes des Elfes retentirent dans le Nord
du camp. Une cavalcade de puissants chevaliers des
deux peuples s’arrêta devant les sentinelles qui barraient
le passage. Les éclaireurs revenaient de leur exploration
de la forêt boréale. Ils avaient rencontré les Esprits
Jardiniers de la forêt. Après avoir longuement palabré
avec ces gardiens divins, les soldats souhaitaient
apprendre à leur prince ainsi qu’à leur princesse, les
nouvelles qu’ils avaient recueillies.
Il existait beaucoup d’espoir dans les récits qu’ils
rapportaient, mais, il y avait aussi une effrayante part de
ténèbres que le courage et la magie du peuple de
Sylvania et de Gémildan, pourraient, peut-être, chasser.
Le serment de Salermnos : 69
Le serment de Salermnos
Avant tout, c’est avec une joie et un soulagement
non dissimulés que les deux Seigneurs entendirent la
description des clairières catalysant les pouvoirs
mystérieux de la Reine Elfique. Dans le Nord du Monde
de Formalow ainsi qu’à la frontière de la Silérie, ces
endroits enchanteurs et enchantés, baignés d’une
lumière douce, rayonnant aussi d’une bienfaisance
indéfinissable, leur avaient été indiqués par les
Jardiniers du Penseur Eternel. La plus gigantesque
source de magie se situait dans le Royaume vierge que
recherchaient Sylvania et son Prince de cœur. D’autres
se trouvaient dans toutes les terres sauvages
septentrionales. Il fallait, pour maintenir et renforcer
l’aura protectrice de ces puits de magie, que les Elfes
ainsi que les Silériens, les atteignent puis les aménagent
avant les représentants du Néant et du Mal. Si ces
derniers s’emparaient d’une de ces oasis de puissance,
ils en fermeraient l’accès jusqu’à la perversion totale du
pouvoir qui y régnait. Ils en tireraient également une
indestructibilité quasiment infinie, à moins qu’ils ne
franchissent, dans leurs méfaits, les limites absolues
fixées par le Grand Concepteur, depuis le début des
temps, au libre-arbitre.
C’était les bonnes nouvelles, donc. Les clairières
merveilleuses ainsi que le Royaume Boréal existaient et
maintenant, Sylvania, Gémildan et leur peuple savaient
s’y rendre. Mais, une sinistre rumeur courait également
les vastes étendues du Nord de Formalow.
Le serment de Salermnos : 70
Le serment de Salermnos
Thanator avait sombré. Ses gigantesques pouvoirs
créateurs étaient désormais consacrés au Néant et aux
ténèbres. Il avait levé une légion d’esclaves. Il
s’apprêtait à déferler sur le Monde. S’il franchissait les
barrages dressés par Haran et les forgerons-paysans de
« l’Océan d’Herbe Fleurie », le mal atteindrait bien vite
les puits du pouvoir. Mais, les chevaliers Elfiques et les
Silériens étaient capables de retarder l’avance du
monstre accompagné de ses âmes damnées. Sylvania
aurait peut-être le temps d’atteindre les clairières, de les
abriter par de formidables enchantements, puis de
rejoindre la Vallée du Nord-Ouest, afin d’y construire
une forteresse contre le mal. Sinon, c’est pied à pied que
les défenseurs de la lumière protégeraient leur
indépendance ainsi que leur intégrité contre la volonté
destructrice des ténèbres.
Gémildan regarda Sylvania après avoir écouté les
récits des éclaireurs. Les deux jeunes souverains
devaient faire très vite pour construire les protections
magiques des clairières enchantées des terres sauvages
du Nord ainsi que celles de leur futur Royaume. Ils
décidèrent d’appeler ce sanctuaire, qu’ils trouveraient
bientôt : « Nabachton ». Ils en feraient la forteresse des
peuples libres, attachés au Seigneur de l’Univers.
Le serment de Salermnos : 71
Le serment de Salermnos
- XI -
Haran et les Seigneurs de sa maison regardaient la
cime embrumée de la Montagne de l’Ombre.
Avec une ingéniosité et une persévérance
extraordinaire, les petits Elfes et les Silériens avaient
monté de magnifiques et solides remparts qui barraient
la passe de Castel-Elfes au pied des pics sur le Bout du
Monde.
Ces hauts escarpements, autrefois ensoleillés par la
lumière du Midi de Formalow, avaient désormais un
aspect sinistre et froid. La plus élancée et élevée des
aiguilles immenses de cette chaîne, abritait Gaurtlung et
ses maudits. Depuis qu’ils étaient basculés dans la nuit
du cœur et des âmes, ces derniers avaient déployé leurs
maléfices pour construire là, une tour qui rivalisait en
taille et en effroi avec la montagne sur laquelle elle était
bâtie.
Cette demeure n’était jamais éclairée par le soleil
car un nuage noir et opaque la recouvrait en
permanence. Une industrie sinistre et polluante
permettait à Thanator de forger des glaives ainsi que des
armures. Il se livrait aussi à de coupables exercices de
magie pour créer une armée encore plus grande et plus
forte. Il donnait naissance à des hordes d’esclaves
Le serment de Salermnos : 72
Le serment de Salermnos
monstrueux qu’il générait depuis la boue des glaciers de
la montagne. Ces soldats, insensibles à la douleur,
peureux mais cruels, étaient fait à l’image des Elfes que
l’esprit des forêts, devenu maléfique, avait attirés dans
ses filets. Avili par les ténèbres qui habitaient leur
esprit, le corps même des esclaves du Mal, était marqué
par cette infamie. Mais leur nombre grandissait et si,
tels leurs glaives et leurs cuirasses, ils ne possédaient
pas de grandes qualités, il leur restait la haine et le
dégoût qu’ils inspiraient comme armes destructrices et
alliés infaillibles.
Haran, le vieux Roi sylvain, parcourrait les
remparts qu’il faisait bâtir, toute la journée. Il prodiguait
les conseils et les encouragements à ses ingénieurs et
ses maçons, tandis que des troupes détachées de son
armée voyageaient dans les forêts du Sud, afin de
distribuer des vivres et d’aider les Elfes de cette région
dévastée par la colère de Gaurtlung. Chaque fois, le
nombre de ses fidèles combattants grandissait. Les
jeunes Seigneurs Elfiques des Montagnes du Bout du
Monde, après avoir participé à la remise en état des cités
et des bourgades de leur peuple, rejoignaient la force
principale des nations refusant la domination du Néant
et des Ténèbres, puis, se dressaient aux côtés du Roi
dans la passe de Castel-Elfes.
Ils voulaient tous barrer la route aux maudits. S’ils
ne pouvaient pas le détruire, ils tenaient à l’empêcher de
répandre ses armées malfaisantes sur Formalow. L’épée
Le serment de Salermnos : 73
Le serment de Salermnos
à la main, la ferveur dans le cœur, ils se sentaient
déterminés comme jamais, depuis, aucune créature
pensante ne le fut.
Les Silériens eux-mêmes, descendaient de leurs
landes pour grossir les rangs du Roi Haran. Les
forgerons-paysans, emplis de sagesse et de bon sens,
n’ignoraient pas que le danger ne resterait pas localisé
dans le Sud du Monde, si personne ne l’y confinait.
En ce temps-là, la plus gigantesque armée jamais
réunie se regroupa dans les vallées des Monts du Bout
du Monde. Un million et demi d’Elfes et de Silériens
verrouillaient le passage principal que devait emprunter
Gaurtlung pour déferler sur Formalow. Mais le même
nombre de défenseurs s’étaient répartis le long des
contreforts et tenaient chaque petit accès aux sommets
épouvantables, devenus le Domaine des Maudits. Une
grande bataille de la guerre éternelle que se livrent le
bien et le mal à travers les Cycles des mondes, se
préparait gravement dans chaque camp.
L’ancien Esprit Jardinier avait détourné le savoir et
la puissance de la chaleur pour produire les outils
nécessaires à la domination des ombres et de la terreur.
Si les forgerons Elfiques et Silériens ne chauffaient
l’acier, pour le fondre et le façonner, qu’avec des
cristaux de puissance, Gaurtlung et ses esclaves avaient
creusé de profondes excavations dans les montagnes
pour en extraire une pierre noire, brûlant en dégageant
une forte température ainsi que des gaz nauséabonds.
Le serment de Salermnos : 74
Le serment de Salermnos
Les tours du repaire infernal des Maudits se
couronnait continuellement, depuis qu’ils étaient
installés dans les Monts du Bout du Monde, de vapeurs
sinistres, opaques et suffocantes. Ces nuées infectes,
occultaient les rayons du soleil de Formalow. La nuit,
pourtant, quand les deux lunes de cet univers brillaient
dans le ciel, une déchirure écartait le rideau d’infamie
flottant au-dessus de la forteresse de Gaurtlung. Le
rayonnement des astres nocturnes frappait alors avec
force les toits des innombrables forts, barbacanes
couvertes et bastions, élevés par les esclaves des
ténèbres.
Ceux-là restaient tous, autant qu’ils étaient, issus
de la création primitive. Leur puissant Maître avait
perverti et avili leur essence même, mais, il n’avait pas
pu créer la vie. Les soldats qu’il générait par la plus
effroyable des magies interdites, dans la boue, se
développaient d’abord, à partir du sang des Elfes de la
Maison que Thanator avait initiés à l’amour du Néant.
Pourtant, tous ces démons, aussi noirs qu’ils
pouvaient l’être, ne vivaient pas sans lumière, sans
chaleur et sans eau. Le faible halo des lunes leur était
vital, même s’ils le détestaient au point de ne pas
pouvoir le regarder directement. Les rivières
souterraines les plus profondes, les plus glacées, aux
ondes les plus noirâtres, coulant sournoisement au fond
des cavernes oubliées de la montagne, les abreuvaient,
leur évitant une mort certaine. Pourtant, les maudits et
Le serment de Salermnos : 75
Le serment de Salermnos
leurs légions, étaient prêts à souiller les grands fleuves
ensoleillés du Monde. Les vastes troupeaux de
mouflons et de chamois sauvages qu’abritaient les
contreforts boisés des monts méridionaux, fournissaient
aux serviteurs de Gaurtlung une partie de leur
nourriture. Ils complétaient cette manne par la chair de
créatures perverties élevées dans la nuit des galeries
dont ils ravageaient le sous-sol du Sud de Formalow.
Ceux qui se vendaient aux ténèbres et au Néant,
n’échappaient en aucun cas à leur condition. Ils avaient
été des enfants de la création et s’ils en avaient perdu la
bonté et la beauté, ils dépendaient toujours des bienfaits
du Monde.
Une colonne de Silériens, souples, vigoureux et
infatigables, s’avança un matin d’été jusqu’aux
frontières du Domaine de Gaurtlung. Les petits
forgerons-paysans possédaient une volonté d’une force
exceptionnelle. Ces derniers n’hésitaient pas à aller
jusque sous l’ombre des fumées industrielles du
Monstre pour surveiller celui-ci.
Les alliés d’Haran s’aventurèrent jusqu’à voir les
détails des allées et venues qui se produisaient aux
portes principales de la forteresse fondée par Gaurtlung.
Or, ils découvrirent que des patrouilles de Korrigans, les
soldats du Seigneur Maudit, revenaient des hautes cimes
alentours, en transportant avec soin, des caisses d’œufs.
Ils dérobaient ceux-ci dans les nids des grands aigles
qui vivaient sur les sommets du Bout du Monde, sans
Le serment de Salermnos : 76
Le serment de Salermnos
aucun doute. Mais, que voulaient donc faire ces
monstres avec la progéniture des Oiseaux Sacrés du
Penseur Eternel ? Quel était leur dessein maudit ? Il
était peu probable que les esclaves de Gaurtlung s’en
nourrissent. Ils ne les auraient pas transportés avec
autant de précautions et, de plus, il y avait bon nombre
d’autres oiseaux dans cette région, dont il était moins
dangereux d’attaquer les nids. Les aigles de ces
hauteurs étaient les messagers des Esprits Jardiniers et
les cruels combattants du Damné, si nombreux soient-ils
pour accomplir de tels larcins, devaient agir par ruse
pour ne pas être balayés par les puissants et rapides
coursiers aériens de Formalow.
Ils se tramaient, derrière cette malfaisance féroce
des Korrigans, quelques nouvelles tentatives ignobles
de Gaurtlung pour renforcer ses armées. Les éclaireurs
Silériens le ressentaient au fond de leur cœur. Ils leur
fallaient étudier encore l’activité des troupes de démons,
puis, rapidement redescendre à Castel-Elfes afin de
prévenir le Roi Haran des nouveaux dangers que
forgeaient les Maudits dans les ténèbres épouvantables
de leur antre. Malheureusement, ils ne parvinrent pas à
percer l’écran des murs de la forteresse de Gaurtlung.
Le mystère et la portée de ses implications périlleuses
resta une inquiétude abstraite pour les forces d’Haran.
Le destin des jours à venir se jouait pourtant dans
la curieuse activité des Korrigans et de leurs maîtres
effroyables. Thanator un jour sombre, encore plus
Le serment de Salermnos : 77
Le serment de Salermnos
ténébreux que les autres sur les sommets des Monts du
Bout du Monde dominés par le Mal, réunit son
monstrueux état-major et déclara :
- Ce matin, avant l’aube même, j’ai produit le plus
puissant de nos alliés. A partir des œufs d’aigles que ces
gorets de Korrigans nous ont ramenés, j’ai généré deux
des plus puissantes et des plus destructrices créatures
que nous pourrons envoyer balayer les Sylvains et les
ridicules petits ferrailleurs de Silérie. Malheureusement,
pour que les spécimens forgés par ma magie, s’animent,
couvent les autres œufs que j’ai pervertis et terrorisent
nos adversaires, je dois leur insuffler la vie. Nous nous
emparerons des clairières de puissance du Nord afin que
je puisse accomplir cette tâche. Nous dominerons ainsi
Formalow et j’offrirai à notre cause, l’âme de la
Princesse Sylvania, dès que nous aurons écrasé ses
misérables gardes du corps.
- Mais Seigneur, quel est notre nouvel allié ?
Demanda un des lieutenants de Gaurtlung, emplit de
déférence et d’inquiétude.
- Je me demande ce que cela peut bien te faire,
chien ! S’emporta l’orgueilleux monstre maudit. Mais je
vais te le dire. J’ai généré un être volant gigantesque qui
pourra porter de nombreux soldats, très loin, sur son
dos. Il a plusieurs têtes et peut imposer sa volonté, qui
n’est qu’un écho de la mienne, aux esprits faibles et
serviles. Bientôt, vermines rampantes ! Devant les
légions de vos innombrables serviteurs, des milliers de
Le serment de Salermnos : 78
Le serment de Salermnos
Léviathans survoleront les Elfes et les Silériens en les
faisant trembler d’effroi. Les fiers guerriers de Haran
fuiront à toutes jambes plutôt que d’affronter mes
hydres volantes.
- Gloire à vous Mon Seigneur ! Scandèrent tous les
monstres liés à jamais au destin de Gaurtlung.
- Avant de se réjouir et de vous livrer à vos
obscènes acclamations, sinistres lâches ! Il faut que
nous quittions cette forteresse et que nous marchions
vers le Nord. Les Sylvains et les forgerons ont fermé la
principale route accédant aux sommets du Bout du
Monde. Lâchez notre armée contre les remparts
ridicules de ces insectes ! Tuez et torturez nos
adversaires jusqu’au dernier. Brisez le barrage dans le
sang et la terreur ou bien c’est moi qui vous briserai.
Allez chien !!!
Le signal de la première guerre de ce Cycle venait
d’être donné. Des hordes de démons dirigés par les
anciens Elfes avilis, se ruèrent en colonnes
innombrables sur les sentiers de la Montagne. Ils
dévalèrent les hauteurs vers la passe de Castel-Elfes
dans une cohue indescriptible. Les créatures maléfiques
se comptaient par centaines de mille. Elles formaient un
bélier compact de chaire noire, frémissante, jetée contre
les fortifications d’Haran.
Dans les virages escarpés des sentes en lacets du
Bout du Monde, les Korrigans maladroits, bousculés par
leurs congénères tombaient dans les précipices en
Le serment de Salermnos : 79
Le serment de Salermnos
hurlant, à chaque mouvement désordonné de leur
multitude. Mais leur nombre semblait infini. Ils
paraissaient surgir des ténèbres au fur et à mesure qu’ils
se blessaient ou bien se tuaient dans cette fantasia
cauchemardesque.
Dans l’aube sinistre qui suivit la formidable
descente des monstres vers la vallée, un spectacle
effarant fut offert par les derniers promontoires rocheux,
dressés au-dessus des fortifications de Haran. Sur
plusieurs lieues de large, à quelques centaines de pieds
des défenses de Castel-Elfes, la crête des escarpements
étaient noires de soldats monstrueux. Devant eux, se
tenaient orgueilleusement, dans son armure noire de
haine : Gaurtlung le Maudit. Il était venu en personne
assister ses serviteurs dans leur vile besogne, à coups de
fouet et de pied, si le besoin s’en faisait sentir…
Le serment de Salermnos : 80
Le serment de Salermnos
- X -
Sylvania venait de s’effondrer dans les bras de
Gémildan. Elle avait déployé tant de force spirituelle en
analysant l’empreinte magique de cette clairière, au
nord de la Silérie, qu’elle n’avait plus d’énergie.
La Princesse forestière et son fiancé avaient visité
tous les puits de bienfaisance qui leur avaient été
indiqués par les Esprits Jardiniers du Septentrion. La
belle Elfe avait découvert chaque source de magie et
avait ordonné des constructions mégalithiques destinées
à canaliser ces ondes bénéfiques. Désormais, Sylvania
savait comment identifier celles-ci. Elle connaissait
également les moyens de rendre les actions de ces flux
de puissance pérennes tant que son peuple durerait.
Maintenant, il restait trois clairières que le peuple
de Gémildan et de la Reine Elfique n’avaient pas encore
visité et protégé par de puissants enchantements
défensifs. La principale, sans doute l’origine de toutes
les autres prairies merveilleuses, était en plein cœur de
Nabachton.
Comme Sylvania venait de tomber de fatigue, que
la Vallée merveilleuse dans laquelle voulait s’établir les
deux amoureux avec leurs fidèles, n’était facilement
accessible par la plaine boréale, et surtout, que les deux
Le serment de Salermnos : 81
Le serment de Salermnos
autres puits de pouvoir étaient mineurs et très distants
dans l’Est, Le Prince des paysans-forgerons constatant
que les sorts protecteurs avaient été mis en œuvre
autour de la dernière clairière visitée, mais aussi, que les
bâtisseurs étaient déjà au travail pour élever les
monuments mégalithiques d’amplification, il décida que
dès l’aube, sa future épouse et lui se rendraient à
Nabachton pour sécuriser la source d’énergie
bienfaisante de leur Royaume promis.
Le souverain Silérien lança à travers le Nord, des
pigeons de feu, les messagers de « l’Océan d’Herbe
Fleurie », pour qu’ils apportent aux bâtisseurs et aux
soldats qui les escortaient, éparpillés dans toute la forêt
septentrionale de « Formalow », les coordonnées de leur
prochain ralliement.
Gémildan n’ignorait pas qu’il prenait un certain
risque en délaissant les puits de bienfaisance de l’Est, si
faibles soient-ils, en attendant le rétablissement des
pouvoirs de sa Princesse. Mais il était impossible, pour
elle, de continuer la quête des ondes magiques sur des
surfaces aussi vastes, sans avoir repris des forces dans
une retraite douillette. Or, Nabachton possédait un
climat serein et surtout, une multitude de berges, de
champs, d’étangs, au bord desquels il ferait bon
s’installer. Le peuple vigoureux et ingénieux des deux
jeunes souverains, construirait rapidement les douces et
luxueuses demeures ainsi que les défenses de leur
nouveau pays.
Le serment de Salermnos : 82
Le serment de Salermnos
La nuit tombait et tandis que Sylvania se reposait
dans les bras du Silérien, ce dernier se demandait s’il
avait fait le bon choix, mais en avait-il d’autres ? Il
regardait le visage rayonnant mais creusé par
l’épuisement, de la beauté Elfique qui sommeillait en
respirant faiblement dans le creux de son coude. Non, il
n’avait pas le courage de lui en demander plus pour le
moment, mais, sachant exactement les lieux où se
trouvaient les clairières de l’Est, Gémildan était en
mesure d’y envoyer deux solides phalanges d’Elfes
Géants et de vigoureux Silériens pour défendre ses
endroits merveilleux, pendant que Sylvania récupérait
ses pouvoirs.
Le serment de Salermnos : 83
Le serment de Salermnos
- XI -
Les armées de Gaurtlung ressemblaient
certainement à un océan en fureur, Mais les remparts de
Castel-Elfes étaient aussi hauts et solides que les
falaises granitiques du Golf de Salermnos.
Les murs dressés par Haran et son armée
dominaient la vallée et se hérissaient d’archers
Silériens, d’Elfes Géants aux glaives interminables,
tranchants comme des rasoirs et de machines de guerre
à la colère destructrice.
Les hordes de Thanator étaient stupéfiées par le
spectacle qu’elles découvraient devant elles. Le Maudit
lui-même paraissait impressionné par l’efficacité des
Sylvains et des Silériens qui avaient si rapidement bâti
une telle forteresse.
Si la multitude des Korrigans allait peut-être bien
se briser contre ces fortifications comme les lames de la
mer sur les rochers du littoral, Gaurtlung par sa
puissance infinie, bien que sa condition soit diminuée
depuis sa trahison, était certainement capable de
traverser encore les lignes du Roi Haran.
Cela ne lui serait pourtant pas facile car les légions
de Sylvains et de Paysans-Forgerons, étaient bien
décidées à tenir la vallée envers, et contre tout.
Le serment de Salermnos : 84
Le serment de Salermnos
Le vieux Seigneur Elfique, du haut de ses
remparts, lança un dernier appel à la raison vers son
adversaire :
- Seigneur Thanator, essayez de vous raisonner. Il
est encore possible d’éviter l’affrontement et de rétablir
la paix. Retirez vos armées et venez parlementer avec
moi…
Mais le monstre était perdu à jamais pour les rangs
du bon sens.
- Espèce de vieux fossile ! Tonna-t-il. Te crois-tu
assez sage ou bien assez fou pour défier un Esprit
Jardinier. Regarde l’armée qui te fait face, et je peux en
faire venir encore autant, d’un simple geste. Es-tu
certain que je ne passerai pas si je le veux ? Estimes-tu
que ma volonté peut être contrariée par des créatures
aussi faibles que toi et tes alliées ?
- Thanator, répondit calmement le Basileus
Elfique, si vous lancez la première attaque vous serez
maudit à jamais, à travers tous les cycles de l’Univers.
Votre nom sera pour l’Eternité : Gaurtlung, à moins
qu’il ne disparaisse pour être remplacé par l’ombre de
ce que vous prétendez être. Je vous en prie, vous étiez
parmi les plus grands de Formalow, ne sombrez pas plus
en avant.
- Je ne sombrerai pas, insignifiant insecte ! Gronda
le Maudit. C’est, avec mes armes à la main, que je vais
balayer ton orgueil et ta mièvrerie.
Le serment de Salermnos : 85
Le serment de Salermnos
Il leva son épée, puis, hurla à l’attention de ses
troupes qui frémissaient, comme prises d’effroi à l’idée
du choc cataclysmique allant bientôt ébranler la vallée :
- Attaquez vermines ! Massacrez ces
présomptueux ! Torturez-les jusqu’à ce qu’ils se tuent
de douleur ! Sinon, c’est à vous que je ferai subir leur
sort !
La formidable légion de démons dévala alors, en
vociférant, les pentes qui se dressaient de chaque coté
de la Vallée.
Le serment de Salermnos : 86
Le serment de Salermnos
- XII -
Sylvania baignait dans la lumière diffuse et
ondulante d’un puits de bienfaisance. Il était le plus
généreux de tout Formalow.
La force mentale de la Princesse était multipliée à
l’infini. Avec Gémildan qui se trouvait à ses côtés, ils
construisaient seuls les mégalithes amplificateurs. Des
pierres de cent tonnes s’extrayaient, sans l’intervention
d’ouvriers, des carrières naturelles, perdues dans les
montagnes de Nabachton. Elles se taillaient sans
compagnon sculpteur, en virevoltant hors de tout appui,
dans les airs puis, elles se polissaient et s’affinaient
dans un fracas de banquise déchiquetée par le
printemps. Enfin, elles volaient au-dessus d’un parcours
de dizaines de lieues afin de venir prendre leur place
dans la vivifiante clairière magique de Nabachton.
L’énergie fabuleuse des peuples de ces deux
charmants souverains allait être centuplée par les
nouveaux pouvoirs de leurs monarques. Même le Prince
Silérien, dans un lieu comme ce puits d’énergie
magique, installé extraordinairement au cœur du
nouveau royaume de Nabachton, devenait un sorcier à
la puissance hallucinante. Tandis que s’aménageait,
dans une ambiance irréelle, la clairière miraculeuse de
Le serment de Salermnos : 87
Le serment de Salermnos
cette vallée fertile, perdue au Nord-Ouest du Monde,
au-delà d’une petite chaîne de montagnes escarpées, de
grands aigles apparurent à la limite des contrées
boréales.
Ils avaient volé depuis le midi de Formalow pour
trouver Sylvania, car, dans la Combe de Castel-Elfes,
depuis près d’une semaine, les armées des peuples libres
unis, se battaient contre les légions du Maudit. Mais si
leur courage et leur détermination ne faiblissaient pas,
leurs forces s’amenuisaient lentement.
Les nombreux fidèles d’Haran tenaient bon.
Gaurtlung était hors de lui, il n’avait pas pu franchir les
portes des remparts. D’innombrables Elfes et Silériens
étaient tombés sous les coups monumentaux de l’Esprit
déchu. Des milliers de Korrigans morts s’entassaient
dans les failles des contreforts de la montagne, au pied
des remparts. Des nuées de flèches noircissaient
régulièrement le ciel flamboyant au couché du soleil,
puis, dévastaient inlassablement les rangs des maudits.
Les immenses roches, arrachées aux carrières, jetées
avec une force inouïe par les machines de guerre,
jonchaient la Combe, entassant dans les sillons qu’elles
creusaient en s’écrasant à terre, les cadavres broyés de
leurs victimes.
Les beaux remparts d’Haran, du côté de la guerre,
étaient noircis par le feu, craquelés par les coups de
bélier ainsi que les impacts des projectiles envoyés par
les Korrigans et pourtant, Castel-Elfes et le vieux Roi
Le serment de Salermnos : 88
Le serment de Salermnos
Sylvains étaient toujours debout. Ils barraient
fermement le chemin du Démon.
Vingt fois ce dernier s’était rué sur les portes de la
forteresse. De toute sa masse géante, il avait frappé sur
les battants d’airain. Le métal grinçait, se déformait,
mais ne se déchirait pas et ne quittait pas les gonds qui
le scellaient aux murs. Pour se battre, Gaurtlung, n’avait
plus que sa force physique infinie et son influence
néfaste sur les esprits faibles. Il avait livré trop de lui-
même pour animer ses légions. C’est d’ailleurs pour
cette raison qu’il devait se rendre dans les clairières
magiques du Nord afin d’engendrer la vie de ses
escadres de Léviathans.
C’est ainsi qu’une lourde porte de métal pouvait le
retenir. Le monstre qui avait été Thanator ne pouvait
pas encore mourir. Cependant, il était irrémédiablement
lié à l’enveloppe physique qu’il s’était choisie. Aussi, il
souffrait maintenant des coups qu’il recevait et des
blessures que les combattants d’Haran lui infligeaient.
Malgré ce succès inespéré contre la créature
déchue la plus puissante de Formalow, les forces des
Nations libres vacillaient. L’épuisement était à son
comble pour elles, et, tant de braves étaient tombés
glorieusement que les remparts de Castel-Elfes
risquaient de se dégarnir dangereusement.
Alors, le Roi pensa que, si Gémildan et Sylvania
avaient découvert des sources pour alimenter la
puissance magique naturelle de la Dame Elfique, ils
Le serment de Salermnos : 89
Le serment de Salermnos
devaient impérativement aider leurs amis. Entre deux
combats, Haran confia un message d’appel au secours
aux aigles pour que ces grands oiseaux le porte à sa
fille, dans le Nord du Monde.
Le serment de Salermnos : 90
Le serment de Salermnos
- XIII -
Sylvania observait le Sud, depuis la corniche sur
laquelle, son peuple avait commencé de construire le
palais de leurs souverains.
A ses côtés le grand aigle messager attendait la
réponse de la Dame Elfique. Elle prit la main de son
Prince, puis, elle fixa l’oiseau de son beau regard décidé
et lui déclara :
- Seigneur des créatures ailées, va dire à mon Père
que ce soir, il devra mettre ses troupes à l’abri derrière
ses remparts. Ses compagnons seront en danger, s’ils
restent sur le chemin de ronde de Castel-Elfes après la
septième heure de la soirée, car nous allons déployer un
sortilège très puissant pour repousser ses agresseurs,
mais, ses hommes risquent d’en être affectés s’ils se
tiennent à proximité de leurs ennemis. Aurez-vous le
temps de rejoindre les Monts du Bout du Monde avant
que nous ne lancions ce pouvoir ?
- Bien sûr, Votre Majesté, assura l’immense aigle.
Puisse, la force de votre volonté sans tache, repousser
les maudits ! Nos couvées ont subi de terribles dégâts de
leur part, au cours des derniers mois. Nous ne savons
pas vraiment ce que prépare Gaurtlung, mais, cela ne
doit être particulièrement atroce.
Le serment de Salermnos : 91
Le serment de Salermnos
- J’en ai peur mon ami, murmura Sylvania.
- Ma Reine, permettez-moi maintenant,
d’accomplir la mission que vous m’avez donnée,
sollicita l’immense oiseau.
La jolie Elfe acquiesça et fit une révérence comme
salut à l’attention de son précieux allié. Quand ce
dernier eut pris son vol et fut hors de portée du regard
des guetteurs Elfiques eux-mêmes, elle déclara à son
Prince :
- Mon amour, nous allons devoir faire un immense
effort spirituel ce soir, pour sauver nos camarades qui se
battent dans la Combe de Castel-Elfes. Nous ne
pouvons pas leur envoyer une armée de secours. Elle
mettrait trop de temps à les rejoindre et, de toute façon,
elle ne parviendrait qu’à retarder l’aNéantissement de
notre cause. Nous déploierons donc la magie amplifiée
par la Clairière de Puissance de Nabachton. Ainsi, nous
parviendrons certainement à repousser nos ennemis.
- Je conjuguerai ma volonté à la tienne, Ma
Souveraine. Mais, l’effet de la force que nous
déploierons, sera-t-il suffisant pour arrêter
définitivement le Maudit ?
- Nous mettrons la Combe hors de danger pour un
très long moment, assura Sylvania. Nous emploierons
cet intervalle de calme pour renforcer notre maîtrise de
la magie. Ainsi, dès la prochaine agression des forces
ténébreuses, nous serons en mesure de lui faire face
avec plus de précision et d’impact. Pour le moment,
Le serment de Salermnos : 92
Le serment de Salermnos
nous ne devons pas en demander plus à nos nouveaux
pouvoirs.
- Je comprends, fit Gémildan, mais combien des
nôtres sont tombés depuis le début de la bataille ? Leur
perte ne servira-t-elle qu’à obtenir un délai de grâce
avant le prochain combat. Ne vivrons-nous donc plus,
que pour la guerre et la mort ?
- Il est difficile de savoir comment ce Cycle va
évoluer, mon amour, répondit Sylvania. Le Seigneur
Eternel ignore lui-même le destin de cette création
puisqu’il nous laisse les choix de nos actes. Et puis, qui
sait si nous agissons toujours pour le bien, même si
nous pensons sincèrement le faire ? N’aurais-je pas dû
accepter l’amour de Thanator ? Finalement, mon refus
de l’aimer comme une épouse, a noué l’effroyable
écheveau de malheur qui dévaste le Monde aujourd’hui.
Pour notre sauvegarder la douceur de notre passion, j’ai
mis en danger l’avenir de Formalow et j’ai poussé un
des grands de cet Univers à la déchéance. En avais-je le
droit ?
- Ne pense pas cela, ma Reine, affirma le Seigneur
des Forgerons. Il était un des plus brillants esprits de
pouvoir. Il avait la force d’ignorer l’orgueil et de donner
à son âme, les plus nobles sentiments. Il avait toutes les
chances de garder ton amitié et de séduire une autre
Princesse Elfique, à laquelle, il aurait porté un amour
sans faille. Tu lui avais offert la plus belle amitié.
Comment a-t-il négligé le bijou de ta considération et ne
Le serment de Salermnos : 93
Le serment de Salermnos
pas s’y arrêter pour poursuivre le don de ton cœur
jusqu’à la folie ? Fallait-il qu’il soit corrompu et avide !
- Je ne sais pas, lança avec fatalité la Merveilleuse
Elfe. Mais, que tant de mal soit engendré par tant
d’amour est un mystère qui m’aNéantit et m’obsède. Ce
soir, quand je lâcherai avec toi, la colère des puits de
pouvoir, j’espère bien que rien de ce qui fut bon ne sera
à jamais perdu…
Le serment de Salermnos : 94
Le serment de Salermnos
- XIV -
Les hordes de Gaurtlung grondaient de nouveau,
comme des géants en fureur, derrière le rempart qui
fermait la combe de Castel-Elfes.
La vallée et le versant des montagnes qui
l’encadraient vertigineusement, grouillaient de
Korrigans et d’Elfes déchus, jusqu’à la moitié des
hauteurs. Ces créatures infâmes allaient se jeter
furieusement, une fois encore sur les portes de la
forteresse, afin de les briser. Mais, apparemment, les
monstres démoniaques ne voyaient personne occuper
les mâchicoulis et les bastions ornant le sommet de la
haute muraille.
Leur capitaine Maudit sentait, par le constat de ce
dénuement de défenseurs Elfiques et Silériens, qu’un
danger inattendu le menaçait, lui personnellement et ses
obstinées légions meurtrières. Le temps pressait
pourtant. Il savait déjà que Sylvania, son amour infini
devenu la source de toute sa haine, avait transformé la
plus grande partie des puits de puissance magique, dans
le septentrion du Continent. Il n’en restait que deux à
conquérir, dont un assez puissant, dans l’Extrême Orient
de Formalow. C’était la dernière chance de Gaurtlung.
S’il ne parvenait pas à s’emparer d’une de ses sources
Le serment de Salermnos : 95
Le serment de Salermnos
merveilleuses, il ne retrouverait plus jamais ses
immenses pouvoirs d’autrefois. Il ne serait plus, à
jamais, qu’un esprit malfaisant aux sortilèges haineux
mais dérisoires, face à la résistance spirituelle des Elfes
et des Silériens.
Il avait tant laissé de lui-même dans ses colères
destructrices, dans la génération de la corruption et des
mensonges qu’il avait répandus, sans aucun remord, sur
le Monde pur de Formalow. Aujourd’hui, ce qui faisait
la force des ténèbres dont il était l’inventeur, l’avait
terriblement affaibli personnellement. S’il se
replongeait régulièrement dans le flux d’énergie d’un
puits énergétique du Nord, il pourrait alors agrandir
encore son armée et reconstituer une partie de sa force
magique passée. Certes, il ne serait plus jamais aussi
créateur qu’il l’avait été jadis, mais, il deviendrait le
plus destructeur de tous les êtres pensants de ce Cycle.
Alors, le Maudit décida que toutes ses forces
seraient jetées sur la porte de la Combe cette nuit et que,
tant que Haran et son armée n’auraient pas reculé ou
bien ne seraient pas détruits, Il attaquerait sans relâche
leur rempart. Il bombarderait la muraille qui le défiait en
libérant, du fond de son cœur, une férocité et une
constance effroyable, jusqu’à la fin des jours si cela
était nécessaire.
Dans la nuit qui commençait à s’épaissir, une
rumeur monta de l’ombre des versants de la montagne.
Un grondement produit par des centaines de milliers de
Le serment de Salermnos : 96
Le serment de Salermnos
pieds frappant lourdement le sol, fit vibrer les murs de
Castel-Elfes. Haran grâce à l’horloge hydraulique que
les Silériens avaient construite puis étalonnée sur la
course du soleil, mais aussi, des lunes de Formalow, vit
que la septième heure du soir était venue. Il ordonna
aux défenseurs des remparts qui, les armes à la main,
s’apprêtaient de nouveau à repousser un violent assaut
impitoyable, de regagner les bastions moins élevés qui
encadraient la route serpentant dans la bouche de la
vallée.
Le vieux Roi savait que sa fille et son gendre
allaient bientôt déchaîner leurs pouvoirs magiques
renforcés. Son armée serait bien à l’abri dans les
barbacanes tandis que sur les murs qui barraient la
Combe et au-delà de ceux-ci, la puissance des puits
merveilleux, commandée par les souverains de
Nabachton renverserait dans un fracas effroyable les
hordes de Korrigans et leurs maîtres malfaisants.
Tandis que les troupes de Haran refluaient avec
discipline vers les portes des bastions. Les flèches
noires des maudits s’élevèrent dans le ciel nocturne et
commencèrent à retomber comme une pluie d’orage sur
les arrières-gardes d’Elfes et de Silériens. Malgré leurs
armures robustes et remarquablement conçues, de
nombreux combattants des nations libres furent blessés
par les traits empoisonnés, lancés depuis les lignes des
ténèbres, avant d’avoir pu se mettre à l’abri dans les
forts. Le Seigneur Elfique regretta que les victimes ne
Le serment de Salermnos : 97
Le serment de Salermnos
soient pas restées encore un peu sur le chemin de ronde
du rempart principal. En effet, cette partie des défenses
était bien couverte. Seule les grosses pierres, propulsées
par de colossales catapultes pouvaient éventuellement, à
la suite d’un tir très précis ou très chanceux, toucher et
tuer les défenseurs de cette fortification.
Au pied du grand mur qui barrait la combe, les
protections étaient moins sures. Des jets de flèches ou
de roches, plus ou moins hasardeux, étaient capables de
frapper les soldats qui se déplaçaient entre les bastions
et le rempart.
Après une telle attaque, il devenait urgent que
Sylvania déclenche sa propre offensive magique. Haran
regarda, par une meurtrière basse, les préparatifs de
l’ennemi. Celui-ci avait déversé toutes ses forces dans
cet assaut. Des milliers de démons monstrueux
avançaient avec fracas vers le rempart. Ils portaient
d’immenses échelles et des torches fumeuses qui
ensanglantaient de leur lumière vacillante les montagnes
encadrant la Combe.
Les catapultes de Gaurtlung jetèrent leurs
projectiles infernaux vers Castel-Elfes. La formidable
construction des Sylvains vibra sourdement sous les
impacts. Mais une fois de plus, aucune brèche ne
s’ouvrit dans ses flancs.
Maintenant, la force magique déchaînée par
Gémildan et sa Reine, traversait le Continent. Rien ne
devait s’opposer à elle, mais il fallait encore quelques
Le serment de Salermnos : 98
Le serment de Salermnos
minutes pour qu’elle atteigne enfin la Combe et qu’elle
puisse frapper les maudits. En attendant, il ne fallait pas
laisser trop de Korrigans grimper jusqu’au chemin de
ronde depuis l’extérieur. Car, de l’autre côté du mur, ces
créatures ignobles formaient un océan noirâtre et
houleux qui s’abattait comme le ressac, contre les
fondations des remparts elfiques, ils déborderaient vite
les défenseurs de Castel-Elfes s’ils occupaient en
nombre important le haut du mur.
Les catapultes de Haran étaient installées derrière
la ligne des bastions, à l’abri des dernières fortifications
de la Combe. Ces machines étaient d’une conception
extrêmement soignée. Elles possédaient une telle
puissance et une si grande précision, qu’elles pouvaient
atteindre les légions de Gaurtlung jusqu’aux crêtes les
plus élevées du fond de la vallée, à près d’une lieue de
là. Le Roi Sylvain ordonna le tir de ses batteries. Ses
capitaines, particulièrement intelligents et fins, réglèrent
ces armes terribles pour que leurs projectiles atteignent
les ennemis massés au pied de la forteresse. Les lourdes
pierres enveloppées d’acier quadrillé montèrent à une
hauteur vertigineuse, puis, retombèrent en sifflant sur
les assaillants envoyés par le maudit. Elles frappèrent le
sol avec une telle violence, qu’elles ne rebondirent pas.
Elles éclatèrent en milliers de morceaux de roches et de
fer qui tailladèrent les Korrigans alentour. Les dizaines
de démons qui étaient directement sous le point
d’impact de ces masses meurtrières, explosaient dans un
Le serment de Salermnos : 99
Le serment de Salermnos
gargouillis de boue battue sauvagement par le fléau
d’un agriculteur. Des nuées de chair et de sang,
soulevées par les coups impitoyables de l’artillerie
Elfique, s’élevaient partout au-dessus de l’océan des
attaquants.
Les esclaves du mal périssaient en hurlant comme
des forcenés, leurs corps déchiquetés s’accumulaient en
tertres lugubres dressés par le hasard des opérations
défensives, sur le champ de bataille visqueux. Mais plus
il en mourrait, plus il en surgissait des ténèbres, qui
faisaient tournoyer avec hargne leurs grossiers
cimeterres.
Les catapultes de Gaurtlung, moins puissantes,
moins précises, mais beaucoup plus nombreuses,
pilonnaient bestialement le bâti de la porte qui fermait
la Combe. Les chocs ébranlaient dangereusement le
linteau titanesque du formidable porche. Des pièces de
granit tombaient des mâchicoulis qui couronnaient le
rempart, au-dessus des points d’impact. Soudain, malgré
le grand massacre de damnés qui avait ensanglanté la
vallée, derrière les défenses des Elfes et des Silériens,
les mufles sombres des monstres apparurent sur le
chemin de ronde. Ils étaient parvenus à poser leurs
échelles contre la forteresse et à les escalader. Les
meilleurs archers Silériens et Sylvains, visèrent
soigneusement le faîte de la construction, puis, ils
tirèrent massivement leurs terribles carreaux sur les
démons. Ces derniers se mirent à tomber du chemin de
Le serment de Salermnos : 100
Le serment de Salermnos
ronde comme une pluie d’automne. Déjà, la Garde
Silérienne de Haran se précipitait dans les escaliers des
tours qui donnaient accès au sommet du mur, afin de
monter jusque là et en déloger l’ennemi, quand, la force
magique apparut à l’entrée de la combe.
Elle avait la forme d’un gigantesque holaong
sauvage, bleuté, flamboyant de toute sa hauteur au
milieu de la route des montagnes. Tout à coup, le géant
de fluide lumineux se dressa sur ses pattes arrières et
bondit en avant en rugissant de fureur. Il courait à une
vitesse effrayante. Il produisait un vacarme de tempête,
mais aussi, il soulevait des vagues d’étincelles qui
enflammaient la Combe. Cette dernière était
transformée en lit de rivière de feu grossie par une crue.
Le titan immatériel était tellement monstrueux,
tellement puissant que, d’un bond, il franchit les
remparts en renversant tous les korrigans encore vivants
au sommet du mur. Il atterrit au milieu de leur armée, de
l’autre coté de la forteresse. Il provoqua, par sa chute,
encore plus d’effroi et de morts dans les rangs ennemis
que les tirs des formidables catapultes du Roi Haran. Il
écrasait les hordes de maudits comme des brindilles
d’herbe sèche. Il repoussa les Elfes damnés en quelques
charges fulgurantes contre la cavalerie qu’ils
constituaient.
Loin de là, sur un promontoire qui dominait le
théâtre des combats, Gaurtlung fulminait. Il voyait ses
esclaves emportés par la fureur des forces du bien
Le serment de Salermnos : 101
Le serment de Salermnos
comme des fœtus de paille dans une tornade. Il sortit
son glaive, puis, sautant au bas de son observatoire, il
courut à la rencontre du fléau des Korrigans en poussant
de sonores hurlements haineux. Mais la magie blanche,
pure, incarnée dans cette merveilleuse apparition
vengeresse, ne pouvait plus être arrêtée par un Esprit
Jardinier corrompu, si puissant soit-il. L’animal
fantastique s’arc-bouta sur ses quatre sabots. Il fit face
au maître du mal, le jaugea et se lança vers lui avec une
puissance redoublée. Le fracas ébranla les flancs de la
montagne. Des milliers de tonnes de roches se
précipitèrent dans les failles sombres, déchaussées par
l’onde de choc produite par l’affrontement. Cette fois, la
porte de Haran se faussa. Mais, Gaurtlung venait d’être
violemment renvoyé vers son sinistre château dans la
montagne. Il fut projeté avec fureur dans les airs.
L’esprit maudit disparut en tournoyant dans
l’atmosphère crépusculaire, vers les sommets
inaccessibles du Midi de Formalow.
Alors, les portes du rempart s’ouvrirent en
grinçant. La cavalerie Elfique et Silérienne du Roi
Haran, s’engouffra dans la Combe en renversant les
derniers rangs de Korrigans encore présents. Sur les
crêtes qui encadraient la vallée de cette Bataille
sanglante, la force magique de Nabachton continuait de
disperser les Elfes corrompus et les créatures maléfiques
qui, malgré la défaite de Gaurtlung, tentaient encore de
franchir les défenses de Castel-Elfes.
Le serment de Salermnos : 102
Le serment de Salermnos
Plus haut, sur les cimes inaccessibles des Monts du
Bout du Monde, à l’endroit même où se dressait la
sinistre Tour des démons, L’esprit maudit était retombé
dans la glace et la neige, après une chute vertigineuse.
Plusieurs morceaux de son armure dévastée souillaient
le manteau blanc de l’hiver éternel qui régnait à cette
altitude. Le corps auquel le Damné était définitivement
enchaîné par sa déchéance, saignait, blessé cruellement
au cours du combat perdu.
Il n’avait pas vaincu Haran et Sylvania par la force.
Il ne possédait plus que l’ombre de ses immenses
pouvoirs. Alors, il userait de la ruse, jusqu’à ce qu’il
puisse reconstituer un océan de légions démoniaques,
encore plus immense que celui qu’il venait de perdre
dans la Combe de Castel-Elfes.
Le serment de Salermnos : 103
Le serment de Salermnos
- XV -
Au cœur de la clairière magique de Nabachton,
illuminée par de hautes colonnes de Pierre dans
lesquelles étaient enchâssés des cristaux de puissance,
la Reine Sylvania venait de tomber à genoux.
Gémildan, à ses côtés, pâle et épuisé, ne parvint
pas à réagir immédiatement pour secourir sa bien-aimée.
La concentration que le couple de souverains avaient
déployée, afin d’envoyer de l’aide au Seigneur Haran,
avait eu raison, provisoirement, de leur force morale.
La princesse Elfique avait usé la totalité du
pouvoir dont elle disposait quotidiennement pour se
débarrasser de Gaurtlung et de ses hordes. Elle avait
réussi car, dans les Combes du Midi de Formalow, le
mal avait reculé. Mais, pour le reste de la nuit, Sylvania
devait se reposer afin de reconstituer la force qu’elle
avait perdue. Le Seigneur des paysans-forgerons avait
également participé au déploiement de la magie avec sa
Reine. Il ne disposait pas des inappréciables
connaissances surnaturelles de celle qu’il aimait. Mais,
il avait fait preuve, pour un Silérien, de bonnes
dispositions à utiliser les forces mystérieuses du Monde.
Maintenant, tous les deux devaient retourner dans
leur palais, car les immenses efforts qu’ils avaient
Le serment de Salermnos : 104
Le serment de Salermnos
accomplis et l’impact de l’exploit qu’ils avaient réalisé,
les avaient temporairement fragilisés. Gémildan prit
tendrement le bras de sa Reine puis l’invita à se relever
et à le suivre. Elle lui sourit. La jolie femme elfique
semblait gênée. Elle avait beaucoup de mal à retrouver
son équilibre, pour une aussi belle et forte sylvaine. Elle
expliqua à son époux :
- Ne pensez pas que je suis faible… dit-elle.
- Je ne le crois pas, ma déesse, répondit le Silérien.
Vous venez de mener un terrible combat contre un
ennemi d’une puissance gigantesque. Il est normal que
vous en ressentiez les conséquences.
- La magie m’a épuisée, c’est vrai, admit Sylvania,
mais, il y a votre bébé qui partage les réserves d’énergie
de sa maman.
- Que voulez-vous dire, Ma Reine, bégaya
Gémildan.
- Je suis en train de vous expliquer, précisa la belle
Sylvaine, que vous allez devenir papa et que c’est cela
qui m’a fatiguée plus que de raison, pendant que je
combattais Gaurtlung avec vous et votre esprit.
- Mon Dieu ! S’exclama le prince Silérien. Vous
allez avoir un enfant de moi. Mais…
- Vous êtes délicieux et je vous aime encore plus
pour cela mon amour, interrompit Sylvania. Mais, je
vous en prie, regagnons notre capitale je n’en peux plus.
Le serment de Salermnos : 105
Le serment de Salermnos
- XVI -
Le Roi Haran, perché sur sa plus belle licorne,
parcourait la Combe libérée des forces du mal.
Des milliers de morts jonchaient la vallée dévastée.
Le vieux Seigneur Sylvain pleurait devant tant de
violence et de haine. Figés dans l’expression de la
douleur et des souffrances amenées par les blessures
mortelles d’un combat guerrier, des Elfes déchus,
rendus immondes physiquement par leur avilissement
moral, gisaient dans des mares sanglantes tandis que
leurs mains griffues, tétanisées par la fuite de la vie,
serraient encore la gorge des victimes qui les avaient
poignardés avant de périr.
Les Korrigans, esclaves peureux, souffrants et
bestiaux de maîtres ignobles, vindicatifs et sans pitié,
avaient été taillés en pièces par la charge des cavaliers
d’Haran ou bien, par la chute des pierres lancées par les
catapultes elfiques. Certaines de ces pauvres créatures
quasiment animales, possédaient une résistance
physique exceptionnelle. Le ventre ouvert, leurs organes
pendants par leurs plaies sanglantes, leurs membres
arrachés, tenant encore à leur corps par des lambeaux de
chair étirés, ils gémissaient de douleur et de terreur,
tandis que les soldats d’Haran les approchaient. Ces
Le serment de Salermnos : 106
Le serment de Salermnos
derniers les achevaient, plus par pitié que par haine. En
général, les monstres demeurés sur le champ de bataille
n’étaient plus soignables. Ceux qui avaient encore une
chance de guérir de leurs blessures, s’étaient enfuis,
puis, avaient certainement rejoint la forteresse des
maudits sur les sommets des Montagnes du Bout du
Monde.
Le vieux sage Sylvestre avait l’intention de
renforcer encore les défenses de Castel-Elfes ainsi que
les garnisons qui protégeaient tous les passages de cette
région. Le devoir des nations libres étaient de retenir le
mal aux confins du Monde pour que celui-ci
n’envahisse pas Formalow. Le Roi ne désirait pas que la
guerre, avec toutes ses horreurs, se perpétue de nouveau
et devienne le seul moyen de s’opposer aux desseins des
maudits. Il n’avait pas reçu de nouvelles de sa fille et de
son gendre : les souverains de Nabachton. Il espérait
que le succès de leur intervention magique n’avait pas
été payé par de graves conséquences pour le royaume
du Nord Ouest. Le calme étant revenu dans le Midi de
Formalow. Gaurtlung et ses démons n’étant pas,
provisoirement, en mesure de déclencher de nouvelles
hostilités, Haran regroupa une grande escorte de
cavalerie, de fantassins et, accompagné de plusieurs
Esprits Jardiniers, il marcha vers la vallée de
Nabachton.
Gémildan avait réuni ses conseillers autour de la
grande table ronde du palais des souverains. Son épouse
Le serment de Salermnos : 107
Le serment de Salermnos
allait donner naissance à leur enfant. Elle n’était pas,
pour l’instant, apte à participer au gouvernement de leur
pays et aux batailles contre les ténèbres.
Le solide Seigneur des paysans-forgerons, respecté
par les Elfes et adulé par les siens, était écouté sans
réticence quand il ordonnait ou bien conseillait. Ses
généraux issus des deux espèces pensantes de ce
monde, savaient que la sécurité des clairières magiques
et des allées couvertes construites là par les nabatéens,
n’était pas complète tant que les plus orientales de ces
zones merveilleuses, n’avaient pas encore été
aménagées par leur Roi ou leur Reine.
Gémildan en discutait avec les plus sages des Elfes
de son royaume et les plus perspicaces de ses Silériens.
Tous ses courageux sujets lui donnaient leurs idées. Il
n’avait que l’embarras du choix pour agir. En effet,
toutes les propositions qui lui étaient faites, étaient
emplies de bons sens et permettaient d’améliorer la
protection du Septentrion de Formalow. Cependant,
aucune des mesures prises jusqu’à la fin de la
convalescence de la Reine Sylvania, alors qu’elle devait
les valider et les renforcer des inspirations de sa
sagesse, ne seraient définitives et certaines.
Et pendant que le Conseil de Nabachton battait son
plein, les trompettes des gardes de la porte du royaume
retentirent, avertissant le Seigneur Silérien qu’une
troupe de soldats approchait de sa ville. Gémildan
courut jusqu’au rempart de la poterne. Il examina la
Le serment de Salermnos : 108
Le serment de Salermnos
colonne perdue dans le lointain, qui venait de la forêt du
Nord. Elle était composée de nombreux cavaliers
montés sur de fringantes licornes ainsi que plusieurs
chariots de défense, tirés avec une lenteur confortable
par des holaongs robustes et bardés de fer. Sur les flancs
de cette cavalerie, au fur et à mesure que les voyageurs
s’avançaient vers Nabachton, Gémildan découvrit deux
rangs de fantassins silériens, puissamment armés et
protégés, eux aussi. Il compta également, plusieurs
esprits forestiers du Sud. Les grands soldats étaient bien
des Elfes. Le plus majestueux, imposant et calme
d’entre eux, avait tout le charisme mais aussi la force
d’Haran l’Ancien.
Le vieux Roi Elfique, maître spirituel de tous les
peuples sylvestres de Formalow, avait survécu à la
bataille de Castel-Elfes. Il venait dans le Nord du
Continent Civilisé de Formalow, sans doute voir sa fille
et son gendre. C’était un heureux présage car, l’enfant
du couple régnant de Nabachton allait naître dans les
jours qui viendraient.
Tous ces êtres foncièrement bons, étaient
légitimement heureux de la naissance qui s’annonçait.
Mais, la venue du petit être qui, un jour, règnerait sur
Nabachton, les détournait de la menace pesant encore
sur le Monde. Car Gaurtlung avait été repoussé mais, il
lui restait des Korrigans ainsi que de nombreux Elfes
déchus, toujours fidèles. Et surtout, si sa puissance
magique ainsi que sa force physique avaient été
Le serment de Salermnos : 109
Le serment de Salermnos
diminuées par son basculement dans les ténèbres, il était
devenu sinistrement rusé. Il allait également recevoir
une aide inestimable, bien qu’involontaire, d’un autre
Esprit Jardinier. Sa nouvelle fourberie et sa terrible
cruauté allait lui apporter cette recrue de choix qu’il
ferait plier sous son influence, tout comme il avait
soumis les Seigneurs Elfiques révoltés à sa volonté.
Le serment de Salermnos : 110
Le serment de Salermnos
- XVII -
Dans les forêts du Bout du Monde, Un jardinier
divin avait aimé et respecté le grand maître de leur
ordre, Thanator.
Ce jeune esprit était un travailleur forcené qui avait
tant embelli, jadis, les forêts d’altitude, poussées sur les
contreforts des pics méridionaux de Formalow. Il était
affligé de la chute de son modèle spirituel et
comportemental. Il avait aussi été déçu et révolté par les
cataclysmes que la bataille de Castel-Elfes avait
engendrés. Une grande partie des bois, qui couvraient
les vallées ombragées par la montagne de l’ombre, celle
où les forces des ténèbres avaient bâti leur forteresse,
était dévastée et vidée de ses animaux sauvages. Des
milliers d’Arbres avaient été coupés pour être consumés
dans les ateliers du château maudit ou bien pour étayer
les interminables galeries qui s’enfonçaient
profondément, sous les racines de la montagne, à la
conquête du fer et de la pierre qui brûle.
Comment un des plus grands de ce Cycle et de ce
Monde avait-il pu en arriver là ?!!! Le jeune Esprit
Jardinier avait toujours essayé de ressembler à celui
qu’il vénérait. Il ne comprenait pas le comportement de
Thanator. Sur le Continent Civilisé de Formalow, les
Le serment de Salermnos : 111
Le serment de Salermnos
sources de plaisirs simples ne manquaient pas. Les
longues chevauchées à travers les paysages changeants
et apaisants pour les voyageurs pouvaient durer des
millénaires sans passer deux fois par les mêmes plaines
ou bien les mêmes futaies. Les criques découpées de la
mer intérieure de Myrion, l’éclat d’argent vif de ses
eaux, ses rochers aux couleurs de cieux et de fleurs de
printemps, les siècles qui passaient ne sauraient en
diminuer l’attrait. Quant à la compagnie des jolies
princesses elfiques, elle était si agréable. Pourquoi un
Seigneur comme Thanator en avait-il convoité qu’une
seule ? L’objet de la folie du grand maître des Esprits
Jardiniers du Sud était certainement merveilleux et
désirable. Pourtant, bénéficier de l’amitié de Sylvania
était déjà une immense source de plénitude.
Non, l’aide du penseur éternel inexpérimenté ne
parvenait pas à schématiser la suite d’événements qui
avait corrompu la splendeur grandiose de son idole.
Alors, désorienté, incapable de trouver les réponses aux
questions qu’il se posait auprès de ses pairs, il se leva,
dans l’aube fraîche des vallées du Sud et décida qu’il
irait affronter seul la vérité. Car au fond de lui, il
craignait de tomber à son tour dans les ténèbres. Et, en
ce temps-là, le Néant, la haine et la méchanceté ne
l’attiraient pas du tout. En aucun cas il ne voulait, un
jour ou l’autre, devenir ce qu’était, désormais, son
héros : Gaurtlung le Maudit ! Il fallait donc qu’il ose
regarder cette créature diabolique qui avait été Thanator
Le serment de Salermnos : 112
Le serment de Salermnos
en face, puis, lui dire tous ses tords. Il était certainement
capable d’éveiller la grandeur qui sommeillait dans le
cœur de son ancien maître pour lui ouvrir, de nouveau,
la route vers la lumière. Quelque part, il lui devait cela,
mais aussi, ce jeune seigneur des esprits voulait savoir
si le bien latent d’un esprit devait mourir pour toujours
quand le cœur se corrompait, si puissante la créature
soumise à cette tentation, soit-elle ? Seule la rencontre
pouvait lui apprendre la vérité.
Il marcha longtemps sur les crêtes enneigées des
Monts du Bout du Monde. Il avait pris la forme d’un
grand sapin. Il avançait prudemment le long des
immenses précipices qui encadraient ces hauteurs
inaccessibles à toute autre créature. Il aperçut plusieurs
jours avant d’y arriver la forteresse maléfique. Il ne
craignait pas les Korrigans et leurs armes forgées.
Même les Elfes déchus n’étaient pas des adversaires
capables de l’atteindre. Des patrouilles de maudits
avancées, l’avaient vu depuis longtemps. Ces dernières
s’étaient enfuies sans envisager d’interrompre la
progression de l’esprit. Les éclaireurs avaient couru
jusqu’au trône de leur Seigneur. Il l’avait averti de
l’approche d’une puissante créature du bien.
Gaurtlung fut un moment perplexe. Il fit, avant
tout, surveiller la progression circonspecte de son
ancien disciple. De toute son armée néfaste, il était le
seul combattant possédant peut-être encore, le pouvoir
de détruire un Esprit Jardinier. Il n’avait plus la force
Le serment de Salermnos : 113
Le serment de Salermnos
physique suffisante pour abattre un aide du Maître des
Cycles. Sa puissance magique était considérablement
diminuée depuis qu’il était tombé dans le mal. Mais, il
avait grandi en traîtrise et en corruption.
Il laissa donc son visiteur avancé jusqu’aux portes
de son château, sans tenter d’exercer, sur la
détermination de celui-ci, la plus petite dissuasion. Le
Maudit ne savait pas s’il était encore apte à repousser un
adversaire comme son ancien compagnon, mais, il était
prêt à prendre le risque. Sa volonté avait une chance de
s’associer avec une nouvelle puissance. Il ne laisserait
pas se perdre une telle opportunité. Pour survivre, il
n’avait plus d’autres choix que de corrompre les puits
de magie restés hors d’atteinte de Sylvania. S’il attirait
dans ses filets de malfaisance un esprit talentueux
comme son ancien élève, de nouvelles espérances
s’ouvraient à lui...
Le serment de Salermnos : 114
Le serment de Salermnos
- XVIII -
Haran marchait sur les rives du fleuve qui coulait
au fond de la vallée de Nabachton.
Il était arrivé dans un défilé sur les contreforts
duquel, le peuple de sa fille et de son gendre avait
creusé des forges et des mines. Des lames et des
protections sans pareilles dans le Monde de Formalow
étaient façonnées là, par les Elfes ingénieux et les
Silériens. L’eau, les plantes et les minerais de cet
endroit, utilisés avec intelligence, apportaient aux
ouvrages d’armement et de constructions métalliques,
une qualité ainsi qu’une solidité inconnues jusqu’à la
découverte de ce royaume.
Trois années s’étaient écoulées depuis que
Gémildan et Sylvania avaient pris la tête de l’exode vers
Nabachton. Quatre mois s’étaient passés entre la fin de
la bataille de Castel-Elfes et cette promenade du vieux
Roi dans la fraîcheur d’une matinée lumineuse.
Le bébé de Gémildan et de Sylvania naîtrait dans
les jours prochains. C’était même une question
d’heures, peut-être. Mais, pour le futur papa, si la santé
de sa Reine et celle de l’enfant qu’elle portait étaient
essentielles, la sécurité de ces deux trésors comptait
autant, à ses yeux. Or, si les clairières magiques de
Le serment de Salermnos : 115
Le serment de Salermnos
l’Est, qui n’avaient pas été enchantées contre les forces
des ténèbres, étaient bien gardées par de valeureuses
phalanges d’Elfes Géants, de Silériens et d’Esprits
Jardiniers, elles n’étaient pas à l’abri d’une attaque
massive de Korrigans. Malgré la bataille de la Combe
de Castel-Elfes, les esclaves du mal se comptaient
encore par milliers dans les montagnes méridionales.
La route principale pour quitter les hauteurs de ce
plissement était fermée par le courage des nations libres,
mais, pour descendre de ces sommets d’autres chemins,
plus escarpés, plus dangereux, existaient. Bien sûr, par-
là, seule une petite troupe maléfique avait une chance
d’atteindre la grande forêt de Formalow. Mille ou deux
milles démons étaient capables, après bien des efforts,
de traverser tout le continent, puis de venir s’emparer,
en éclaireurs, des puits magiques de l’extrême-orient.
Gémildan et Sylvania n’avaient pu détacher, pour
surveiller ces zones, que quelques centaines de
puissants combattants. En effet, le reste de leur peuple
se consacrait, jour et nuit, à l’aménagement de
Nabachton et à l’occupation des sources de pouvoir
aménagées dans tout le Septentrion pour l’exercice de la
magie blanche.
Haran pensait à l’équilibre fragile des volontés et
des moyens ésotériques, militaires et technologiques, en
conflit sur Formalow. Certes, la possession d’une
clairière merveilleuse par Gaurtlung le Damné ne serait
pas un atout définitif dans sa guerre contre les peuples
Le serment de Salermnos : 116
Le serment de Salermnos
libres. Cependant, cet avantage lui permettrait de
reconstituer régulièrement ses forces. Ainsi, il
deviendrait invincible, si ce n’est victorieux, pour de
très longs siècles. Dans cette perspective, la lumière et
les ténèbres seraient condamnés à partager ce Cycle,
sans aucun espoir définitif, pour un côté ou bien pour
l’autre.
Que fallait-il faire pour éviter cette tournure des
évènements ? Toutes les armées du bien étaient
affectées à des tâches essentielles, qui ne souffraient
aucun délai. Le Roi Haran, Orloros de Silérie et le
couple régnant de Nabachton n’avaient plus de réserves
à déployer. Il ne leur restait qu’à espérer et à croire en
l’affaiblissement, même provisoire, de Gaurtlung le
Maudit.
Dans le Sud du Monde, Les peuples libres avaient
fermé, aussi bien qu’ils le pouvaient, les routes de la
Montagne. Le Seigneur Mohodir Gurr, les Princesses
Céliasalphe et Floralosie, s’étaient partagés le
commandement des troupes de cette région, avec
l’assentiment de leur père Haran.
Mohodir éprouvait beaucoup de haine à l’égard des
Maudits, surtout envers leur Maître. En effet, ce dernier
avait failli l’entraîner dans le camp des ténèbres et du
Néant par ses paroles tentatrices et mensongères. De
plus, le fougueux Elfe était particulièrement touché par
la violence des destructions qu’avaient subit les Monts
du Bout du Monde, pendant la bataille de Castel-Elfes,
Le serment de Salermnos : 117
Le serment de Salermnos
mais aussi, par le deuil des innombrables familles
Elfiques et Silériennes dont un ou plusieurs proches
avaient été tués par les forces du mal.
C’est donc avec une plus grande véhémence encore
que ses sœurs, pourtant prodigieusement inflexibles
comme douces princesses sylvestres, que Mohodir
repoussait les Korrigans ainsi que les Elfes déchus
quand ils tentaient de pénétrer dans la forêt continentale
de Formalow. Tel que le faisaient les Silériens, il allait
parfois, avec ses soldats, jusqu’aux abords du château
des Maudits, sur les cimes enneigées, pour en découdre
avec les patrouilles de démons qu’il poursuivait sans
relâche. C’est ainsi qu’il vit, un jour, un Esprit Sylvestre
marché vers la forteresse.
Un nouvel aide du seigneur allait-il se livrer à la
folie de la malfaisance ? Le jeune Prince Elfique faillit
hurler de rage en découvrant que cette trahison possible
se tramait-là, sous ses yeux. Il n’y pouvait pas grand
chose, de plus. Sa troupe légère ne possédait pas les
armes pour renverser et ralentir cet aide du Seigneur
déchu.
Mohodir se contenta donc d’observer ce qui allait
advenir de l’Esprit, sans manifester sa présence.
Dissimulés derrière une crête de rochers, avec ses
cavaliers, il regarda le déroulement des évènements. Le
maître des arbres se tint un moment sous la porte de
Gaurtlung. Dans les tourbillons de neige et de vent, il
restait immobile, ses yeux braqués sur les mâchicoulis
Le serment de Salermnos : 118
Le serment de Salermnos
du chemin de ronde. Les Korrigans et les Elfes déchus
n’osaient pas bouger apparemment. Ils semblaient s’être
calfeutrés dans leur casernement et y tremblaient
certainement de terreur à l’idée qu’une puissance du
bien était venue les défier, jusque-là.
Tout à coup, le battant de fer qui verrouillait la tour
du Maudit s’ébranla. Dans un grincement déchirant, il
pivota sur ses gonds et laissa Gaurtlung, lui-même, le
franchir. Depuis la bataille de Castel-Elfes, ce dernier
était devenu encore plus sinistre et noirâtre. Il portait
une nouvelle armure hérissée de pointes tranchantes aux
reflets sombres de nuit. Cette cuirasse était encore plus
massive et sans faille que celle qu’il avait perdue, après
sa défaite dans la Combe. Son visage avait un aspect
particulièrement horrible. Ses joues creusées par la
haine, encadraient une mâchoire de carnassier, ornée de
crocs sanglants. Ses yeux flamboyaient de mépris et de
malfaisance. Leur pupille n’était plus qu’une fente
aiguisée d’où partaient les stries rouges de vaisseaux
sanguins irrités. Sa peau avait l’aspect du cuir desséché
et craquelé. Il ne pouvait plus se débarrasser de ce corps
endommagé et mourrant. Il continuait donc de le faire
vivre par son immense volonté d’immortel, mais, il en
subissait pourtant la déchéance.
- Bonjour, que me veux-tu ? Lança-t-il avec
impatience.
- Maître, ne vous souvenez-vous pas de moi ?
demanda l’Esprit Jardinier amical.
Le serment de Salermnos : 119
Le serment de Salermnos
Ce dernier était là, inflexible devant la créature
démoniaque. Il était grand, sa ramure d’arbre se
déployait fièrement. Il ne craignait pas Thanator. Il
savait que les pouvoirs de celui-ci étaient très limités,
désormais. Le jeune gardien des forêts avait de bonnes
chances d’écraser le maudit en cas d’affrontement. Sans
être trop confiant, il profitait de ses avantages pour
instaurer un dialogue.
- Je me souviens bien de toi, répliqua le monstre
maléfique. Pourquoi n’es-tu pas venu rejoindre mes
rangs d’ailleurs, toi qui te disais mon ami et mon
dévoué subalterne ?
- Je n’étais que votre plus sincère admirateur,
déclara l’esprit. Je ne peux pas comprendre comment,
un modèle de rigueur et de force tel que vous, a pu se
livrer aux ténèbres et au Néant ? Mon Seigneur, que
vous est-il arrivé ?
- J’ai ouvert les yeux, argumenta le Maudit.
Depuis le début de l’Âge d’Or, nous ne parlons que de
parcimonie et de bonne entente entre les peuples.
Résultat, il leur a fallu 50 000 ans, pour apprendre à
forger des épées de guerre. Quand pourront-ils
conquérir l’autre continent en étant si timorés ? Ils ne
font que de belles villes, de beaux jardins, de la bonne
pitance pour les ridicules paysans-forgerons. Ils ne sont
bons à rien de sérieux. Ils regardent voler les oiseaux et
ne cherchent pas à faire de même. Ils observent les
grands animaux marins qui passent au large, à l’Ouest
Le serment de Salermnos : 120
Le serment de Salermnos
de l’Océan Extérieur, mais les navires elfiques se
contentent de naviguer à quelques lieues des berges de
la Mer de Myrion. Parfois, ils osent rejoindre une île de
ce lac qu’ils aperçoivent comme un point à l’horizon. Ils
n’ont aucun courage, aucun esprit d’aventure.
- Comment osez-vous affirmer de telles contre
vérités ? S’emporta l’Esprit Jardinier. Les Elfes n’ont
pas encore terminé l’exploration de cette partie du
Monde. Ils n’hésitent pas à prendre la mer sur des
bateaux, même s’ils ne naviguent, pour l’instant, que sur
Myrion l’Argentée. Ils apprennent à vivre sur l’eau dans
le but de faire de plus longs voyages, par la suite. Mais
de toute manière, les sylvains ainsi que les Silériens ne
seront jamais des marins inspirés. Le Créateur Eternel
en a décidé ainsi. Deux autres espèces pensantes
viendront et aimeront la mer au point de l’explorer
hardiment, avec respect mais, avec courage aussi. Les
premiers et les seconds venus seront les peuples des
rivages. Le chant et la beauté du littoral des Océans et
des grands lacs les attireront toujours, Cependant, ils ne
seront pas les voyageurs de l’élément liquide.
- Qu’en est-il alors du libre-arbitre ? Tonna
Gaurtlung. Ne sont-ils pas capable de franchir les
limites qui leur sont imposées ?
- Maître, vous m’avez vous-même appris que les
Elfes et les Silériens ne sont jamais limités par un
manque de courage ou bien d’ingéniosité. Vous m’avez
toujours dit que seule l’inclination de leur cœur peut les
Le serment de Salermnos : 121
Le serment de Salermnos
arrêter dans l’accomplissement d’une tâche. La
découverte de la mer n’éveille aucune passion dans leur
âme. Ce n’est donc pas une joie qui leur est destinée.
- Foutaise ! Hurla le Maudit. Ils sont veules et trop
satisfaits d’eux-mêmes. Quand les prochains venus
arriveront dans le Monde, ils balaieront ces larves. Ils
domineront cette planète et commanderont aux forces
de la nature. Et je serai leur Dieu ! Je remplacerai le
Penseur Eternel !
- Vous n’avez pas le droit de tenir de tels propos,
s’insurgea l’ancien disciple. Et je vais vous empêcher
d’accomplir de pareils blasphèmes. Je vous défie et je
vous infligerai une défaite. Si j’y parviens promettez-
moi de vous remettre à la justice de l’Eternel ?
- Avec quelle armée as-tu l’intention de t’opposer à
la mienne ? Ironisa Gaurtlung.
- Etes-vous devenu suffisamment lâche pour ne
plus être en mesure de relever vous-même un défi qu’on
vous lance ? Clama l’Esprit Jardinier. Je prends à
témoin le Seigneur du Cosmos ; Osez accomplir à sa
face un acte de poltronnerie ! Attaquez-moi
sournoisement, en lançant sur moi vos ignobles
serviteurs ! N’êtes-vous plus capable de vous battre ?
Thanator se rappelait les coups violents et
douloureux qu’ils avaient pris pendant la bataille de la
Combe. Malgré son immortalité ainsi que son ancienne
nature angélique, il avait souffert. Il avait peur
d’affronter la puissance inexpérimentée de son disciple.
Le serment de Salermnos : 122
Le serment de Salermnos
Pourtant, il ne pouvait pas y couper. S’il essayait de se
défiler, le penseur Eternel se vengerait cette fois. Les
règles antiques, bien plus vieilles que ce Cycle, étaient
inviolables. Il risquait un aNéantissement effroyable s’il
défiait le Créateur Eternel sans posséder encore la
maîtrise des puits de magie.
- Alors battons-nous, ici tout de suite ! Tonna le
Maudit. Je fais le serment de me rendre au Penseur
Eternel et de libérer toutes les âmes que j’ai asservies, si
tu me renverses. Dans le cas contraire, je ferai de toi
mon esclave et te vouerai au mal jusqu’à la fin de ce
Cycle. Tu seras le jouet de ma volonté et de celle des
ténèbres, jusqu’à la fin de ce Monde et de ce temps.
- Je relève le gant, si vous ne faites pas intervenir
votre armée dans notre duel, avant le repli de l’un de
nous, affirma le jeune Esprit. Je suis là pour faire gagner
la justice, par pour ma gloire personnelle. Si je tombe,
que l’Eternel punisse la faiblesse de son serviteur.
Malheureusement, Le courageux maître des arbres,
venait de se livrer aux mains de Gaurtlung, sans appel.
Il acceptait un marché inique, car, effectivement, son
adversaire ne pourrait pas commencer le combat avec
l’appui de ses troupes infernales. Cependant, si le jeune
esprit sylvestre mettait un genou à terre, les hordes
d’esclaves du démon, qui se tenaient en embuscade
derrière les remparts de sa forteresse, bondiraient sur
l’antagoniste de leur Tyran pour aider ce dernier à
obtenir la victoire.
Le serment de Salermnos : 123
Le serment de Salermnos
Les deux titans s’empoignèrent alors avec une
vigueur monumentale. Mohodir et sa troupe, dissimulés
au loin, furent renversés par la puissance du premier
choc. Le maître des ténèbres ploya sous l’étreinte
gigantesque du Gardien des Arbres. Ce dernier avait
enserré les bras de son ancien ami et, malgré l’armure
qui protégeait les membres de ce dernier, l’Esprit
Jardinier fermait ses poings avec une telle force que le
métal du brassard se déformait en entaillant les chairs
flétries du monstre. Le bien allait-il vaincre ? Gurr et ses
Elfes trépignaient d’impatience. Pourtant, ils n’avaient
pas le droit d’intervenir. S’ils rompaient le serment
qu’avait fait l’Ange Forestier, Thanator emportait la
bataille et tout était perdu pour son courageux
adversaire.
L’ignoble démon reculait pas à pas, ses souliers de
fer grinçaient sur la roche gelée du sol en émettant des
gerbes d’étincelles. Mais, il savait ce qu’il faisait. Sa
fourberie et sa lâcheté n’avaient plus de limite. Il
endurait difficilement la douleur de l’étreinte
formidable qu’exerçait son ancien disciple sur ses bras.
Pourtant son raisonnement restait clair. Sous sa forme
d’arbre, tant que la surface glissante sur laquelle il
évoluait, présentait des aspérités, le jeune Esprit des
Forêts ne pouvait être arrêté par aucune force. Mais,
Gaurtlung le menait, tout en reculant, vers un étang figé
par la glace.
Le serment de Salermnos : 124
Le serment de Salermnos
Là, sur ce miroir lisse et périlleux, les crampons
d’acier du monstre allaient lui permettre de rester stable,
tandis que son antagoniste serait déséquilibré. D’une
simple poussée, ce dernier partirait pour une glissade
interminable.
Les colossaux combattants étaient maintenant sur
la couche gelée. Celle-ci craquait sous le poids de ces
créatures monumentales. Le jeune Esprit utilisait encore
ses pieds-racines avec habileté. Il ne cédait pas un
pouce de terrain à Gaurtlung, quand, soudain, il glissa
légèrement et perdit complètement son adhérence au
sol. L’épouvantable traître fit pivoter son ennemi, puis,
d’une violente impulsion le propulsa jusqu’au centre de
l’étang. Il dégaina alors son glaive, porta ensuite à la
glace un coup de taille soigneusement calculé. Des
fissures, suivant une onde de choc diaboliquement
provoquée, sillonnèrent l’eau gelée jusque sous le
Gardien des Arbres. Le poids de ce dernier fit le reste. Il
s’abîma dans l’eau avec un craquement sinistre. Ses
mains et ses jambes agrippèrent en vain les glaçons
libérés par la ruse de Thanator. Il était tombé. L’armée
du monstre surgit alors de la forteresse et lança des
chaînes au vaincu, grâce à de puissantes catapultes.
Rapidement, il fut entravé et tomba au pouvoir des
Maudits.
Mohodir, fou de désespoir, se rua sur l’arrière
garde des forces de Gaurtlung avec sa petite troupe. Il
fit un grand massacre de Korrigans fuyards, mais, il ne
Le serment de Salermnos : 125
Le serment de Salermnos
parvint pas à atteindre l’Esprit prisonnier avant que les
portes de la forteresse ne se referment sur lui.
Le prince Elfique dut renoncer. Il releva ses
blessés, rassembla ses morts, puis, il reprit le chemin de
Castel-Elfes afin d’annoncer cette funeste nouvelle à ses
sœurs.
Le Mal venait d’emporter une grande victoire. Il
faudrait beaucoup d’efforts et de sacrifices de la part
des peuples libres, pour effacer, dans les Âges à venir,
cet échec.
Fin de l’Âge d’Or des forêts
Episode I du Cycle de Formalow
Le serment de Salermnos : 126
Le serment de Salermnos
Episode II
Les Marins de l’espoir.
- I -
Un demi-siècle de paix vigilante s’écoula sur le
Monde de Formalow. Au sommet des Monts du Bout du
Monde, la forteresse des maudits obscurcissait les cieux
de ses fumées nauséabondes. Dans ses flancs, jusqu’au
plus profond de ses souterrains, les esclaves voués par
lâcheté, aux ténèbres et au Néant, s’agitaient et
croissaient lentement.
Mais, étroitement surveillés par les Elfes et les
Silériens qui avaient déployé une immense armée dans
les combes méridionales, Gaurtlung ne pouvait pas
rejoindre les sources de Magie extrême-orientales. Il ne
pouvait pas reconstruire une véritable puissance
militaire avec les quelques pouvoirs qui lui restaient.
Inquiets de cette ombre somnolente terrifiant le sud
du Continent Civilisé, Haran, Orloros de Silérie,
Gémildan, Sylvania, Mohodir, Céliasalphe, Floralosie et
Manohéva, la Princesse héritière du formidable
royaume de Nabachton, renforçaient les défenses des
peuples libres fébrilement. Pourtant, si toutes les
sources de puissance bienfaisante du Nord, de l’Ouest
Le serment de Salermnos : 128
Le serment de Salermnos
étaient maintenant entre les mains des Elfes, des
Silériens et des Esprits Jardiniers, celles de l’Est,
n’avaient pas pu être sécurisées. Une nouvelle force
émanant des Montagnes du Sud, fermait l’accès de ces
puits magiques aux Nabatéens, malgré leurs tentatives
énergiques pour les occuper.
Mohodir soupçonnait le pouvoir maudit qui barrait
la route de ces lieux, d’être lié à la capture du Gardien
des Arbres par Gaurtlung. Sous la torture, soumis à la
gigantesque volonté du Seigneur malfaisant, le dernier
moyen coercitif restant à ce monstre en dehors de sa
force physique sans pareille dans le Monde, l’Esprit
Jardinier devait, malgré lui, générer le sortilège
interdisant à ses alliés d’ôter définitivement ses rêves de
gloire au Maudit.
Toutes les opérations que les forces du bien
avaient organisées, afin de libérer l’Aide du Penseur
Eternel des griffes de Gaurtlung avaient échoué.
Approcher la Tour du Damné était déjà un grand
exploit. Y pénétrer, même en secret, n’était même pas
envisageable. La force magique déployée par Sylvania
et maintenant par la Princesse Manohéva, ébranlait les
remparts du Seigneur malfaisant. Les Korrigans et les
Elfes déchus tremblaient dans leurs abris lorsque la
colère monumentale du bien, déchaînée comme une
tempête, mugissait sous les murs de la forteresse des
Ombres. Malheureusement, si à l’extérieur, les
serviteurs du Néant étaient balayés par la magie
Le serment de Salermnos : 129
Le serment de Salermnos
blanche, cette dernière ne pouvait pas entrer dans le
repère de Gaurtlung, pas plus que toutes les armées
libres de Formalow.
Les deux pouvoirs du libre-arbitre s’équilibraient
dans la souffrance des peuples et de la paix. Rien, dans
l’instant ne se présentait pour faire pencher la balance
d’un côté ou bien de l’autre.
Les puits magiques de l’Est, étaient des éléments
essentiels de cette guerre d’influence sur l’avenir du
Monde que se livraient, sans pitié, les forces du bien et
du mal. S’en emparer et les aménager garantissait au
Royaume de Nabachton ainsi qu’à ses alliés la victoire
totale et définitive sur Gaurtlung et ses légions
maudites. Si l’esprit déchu parvenait à atteindre ces
sources de magies bienfaisantes, puis, à les isoler pour
les détourner vers la puissance du Néant et des ténèbres,
les hordes de l’ennemi s’empareraient d’une grande
partie du Continent Civilisé de Formalow et
acculeraient le bien dans des forteresses invincibles,
certes, mais dont les garnisons, malgré l’aide de la
magie blanche affaiblie, ne parviendraient pas, seules, à
libérer le Monde.
La vigilance des armées d’Haran, de Nabachton et
de Silérie, verrouillait les routes qui permettaient de
quitter les hauteurs des Monts du bout du Monde. Les
princesses et les princes des royaumes libres, croyaient,
avec raison que Gaurtlung était confiné pour de longs
siècles derrière les murs de son château. Gémildan,
Le serment de Salermnos : 130
Le serment de Salermnos
Mohodir, Sylvania, Haran, Céliasalphe, Floralosie et
Manohéva croyaient que les ressources limitées dont
disposaient les maudits dans la région aride et glaciale
qu’ils habitaient, ne leur permettraient jamais de
retrouver puis de réunir la gigantesque armée qu’ils
avaient déployée sans succès contre Castel-Elfes.
Pourtant, tous se trompaient, dans les cavernes les
plus profondes, sur les rives des lacs souterrains les plus
sinistres, élevés dans la nuit des racines de la montagne
par des Korrigans avides et grouillants, des animaux
pervertis servaient de bêtes de boucherie aux monstres
adorateurs des ténèbres. Des plantes malfaisantes se
cultivaient à la lueur des fleuves de laves
incandescentes, qui rugissaient dans les profondeurs de
la planète. Elles permettaient de faire la farine qui
devenait le pain abject des légions ténébreuses.
Petit à petit, avec la patience infinie des fous
mégalomanes, Gaurtlung forgeait une nouvelle armée
colossale. Ses esclaves rongeaient le cœur de la
Montagne pour agrandir leurs abris. Mais, si les êtres
humanoïdes que le Déchu avait créés au temps de sa
grandeur pouvaient se reproduire seuls, les monstres
volants, les Léviathans, n’étaient encore que des
poupées vivantes, sans aucune volonté propre. La
possession d’une clairière du pouvoir était la seule pièce
qui manquait au Seigneur du mal pour réussir une de ses
œuvres les plus sinistres, la création d’âmes mauvaises,
dotées de pouvoirs maudits, destinées à ses Hydres. Il
Le serment de Salermnos : 131
Le serment de Salermnos
lui fallait imaginer une sortie secrète, au pied des
montagnes ou même dans la plaine, à l’orée de Myrion,
par laquelle une partie de ses troupes quitterait les
Monts du Bout du Monde et se rendraient dans l’Orient.
Cette avant-garde saisirait ainsi les puits isolés par les
sortilèges involontaires de l’Esprit Jardinier, que le
Maître des Démons tenait prisonnier et torturait
effroyablement dans les cachots de son horrible Tour.
Mohodir et Gémildan s’étaient regroupés sur les
marches de l’Est du Royaume de Nabachton. Ils avaient
tous les deux de grandes compétences d’éclaireurs des
Terres Sauvages et avaient entraîné de nombreux Elfes
et de courageux Silériens à l’art de l’observation
discrète du terrain ennemi, et des coups de main
ponctuels, redoutables, contre des forces bien
supérieures en nombre. Si de fortes armées ne
parvenaient pas à approcher, ni la forteresse de
Gaurtlung, ni les sources magiques de l’Orient, de petits
commandos, silencieux, masqués par leurs aptitudes
inégalées à se fondre dans la nature, gardaient le contact
visuel avec ces domaines menacés par le Néant. Or, à
cette époque, les patrouilles des deux Princes de
Formalow tenaient même à distance les soldats des
ténèbres. Les Korrigans et les Elfes déchus restaient
isolés dans la forteresse des Monts de l’Ombre sans
pouvoir en bouger. Pourtant, dans les profondeurs de la
terre, au bout des interminables galeries qui perforaient
le sol jusqu’aux racines mêmes des montagnes
Le serment de Salermnos : 132
Le serment de Salermnos
méridionales du Continent, d’immenses colonnes de
démons creusaient le socle de Formalow. Elles
travaillaient afin de franchir, dans le plus grand secret,
le blocus des vallées du Sud, organisé et maintenu par
les puissances libres de ce Monde.
Malgré le sérieux et la rigueur de leur vigilance, les
Silériens et les Sylvains ne pouvaient pas deviner que
Gaurtlung et ses esclaves auraient l’audace d’accomplir
un tel exploit, par la seule force de leur haine et de leur
malveillance. Ces monstres taillaient, au sein de la
roche profonde de la planète, sur une longueur de
soixante lieues, une large galerie, dans laquelle une
phalange de deux cent mille soldats voyagerait un jour
vers l’Est, sous les lignes de défense d’Haran et
d’Orloros.
Il existait, sur la côte orientale du Continent
Civilisé, une petite route d’agrément, aménagée par les
Elfes et les Silériens, qui longeait l’océan en serpentant
à l’abri des sous-bois du littoral. Cette voie liait le Nord
et le Sud de ce pays par l’Orient. Si les forces des
Ténèbres quittaient les Montagnes méridionales par le
passage secret qu’elles foraient dans le cœur du Monde,
avec la patience de la folie, elles atteindraient très vite
ce chemin peu surveillé par les peuples libres. En effet,
il semblait peu probable, même au sage Haran, que
Gaurtlung puisse franchir en secret les barrages des
vallées du Bout de la Terre. Par conséquent, dans
l’esprit des Seigneurs bienveillants, si les esclaves du
Le serment de Salermnos : 133
Le serment de Salermnos
Néant devenaient assez puissants pour attaquer un jour,
avec succès, les Elfes et les Silériens qui les confinaient
encore dans leur Tour, au sommet des montagnes, ces
monstres, en brisant l’étau de leurs adversaires,
déferleraient droit à travers la Silérie, jusqu’aux steppes
du Nord. Les sages de ces temps lointains, en raison de
leur trop belle pureté, ne pouvaient pas comprendre la
puissance infinie de la volonté des maudits et surtout,
l’incroyable énergie apportée aux monstres par leur
bassesse ainsi que leur ignominie. L’inébranlable
méchanceté mais aussi la jouissance procurée par la
douleur infligée aux autres, étaient d’impitoyables
moteurs inflexibles de la violence et de la mort.
La réalisation de l’impossible galerie qui devait
déverser les hordes du Damné sur l’Orient de
Formalow, était donc un acte extraordinaire
d’ingéniosité ainsi que de malfaisance. Cette ruse
démente ne pouvait pas renier la paternité de la haine
implacable, mais aussi de la grandeur passée du Maître
des Esprits déchu.
Le prince de Nabachton et le valeureux héritier
d’Haran, soupçonnaient bien une anomalie dans
l’apparente inactivité des hordes maudites. Ils ne
semblaient pourtant pas réaliser comment se
manifesterait la monstruosité des démons et de leur
Seigneur. Les courageux alliés patrouillaient dans toutes
les régions du Continent, dans les marches du Sud et de
l’Est, mais aucun indice, aucune rumeur, ne leur
Le serment de Salermnos : 134
Le serment de Salermnos
dévoilait l’invraisemblable performance
qu’accomplissaient les Korrigans et les Elfes
corrompus.
Seule la Princesse Sylvania, la Reine de
Nabachton, dans les cauchemars de sa prescience, rêvait
parfois de cette éventualité. L’histoire n’explique pas ce
qui la poussa à ne pas faire confiance à ses grands
pouvoirs de divination, pourtant, elle n’osa pas porter
crédit à son hypersensibilité, du moins pour cette sortie
audacieuse des ténèbres hors des limites qu’on tentait de
leur imposer.
C’est ainsi que les sages connurent une nouvelle
défaite, malgré leur travail, leur courage et leur bon
sens. Le mal avait atteint des sommets dans l’art de la
tromperie et de la dissimulation, en ce temps-là. Les
peuples libres faillirent payer le prix fort pour leur
loyauté et leur naïveté.
Le serment de Salermnos : 135
Le serment de Salermnos
- II -
Il regardait dans les ténèbres fixement. Son âme
était partiellement paralysée. La force de son ancien
maître était encore puissante et le pacte qu’il avait
prononcé avec ferveur avant de l’affronter le tenait à la
disposition de l’Effroi.
L’esprit jardinier vaincu dépérissait dans les
cachots des Montagnes de l’Ombre. Il s’étiolait et les
charmes que le pouvoir de Gaurtlung l’obligeait à
déployer à travers le temps et l’espace jusqu’aux
sources de l’Orient le vidaient de son énergie et de sa
volonté.
Il avait failli à son devoir, il avait échoué dans sa
mission contre les forces du mal, il n’attendait donc
aucun secours de la part du Penseur Eternel. Il croyait
être tombé en disgrâce. Mais il se trompait. Si une partie
de lui était désormais à la merci du Néant et des
ténèbres, la résistance morale dont il faisait preuve et
qui fermait la porte de sa conscience au Damné, venait
d’éveiller l’attention du Seigneur de l’Univers.
Laisser le libre-arbitre décider de l’avenir de
Formalow était une forme de tolérance honorable. Mais
abandonner au mal, sans espoir de rédemption, tous
ceux qui avaient succombé aux machinations
Le serment de Salermnos : 136
Le serment de Salermnos
démoniaques de Thanator en accomplissant
héroïquement leur destin, devenait du laxisme. La
chance indue, la puissance de la méchanceté ainsi que
l’impunité de Gaurtlung n’étaient plus tolérables. Les
forces du bien se montraient vaillantes et fidèles tout au
long des souffrances, des batailles et des trahisons
qu’elles supportaient. Sur ce Monde et pendant ce
Cycle, une bravoure ainsi qu’une intégrité, que le
Maître du Cosmos n’avait pas connues depuis bien des
éternités, s’étaient forgées chez ses créatures. Dans le
cœur de celles que le mal avait écrasées sans parvenir à
les soumettre, il existait aussi une inconcevable loyauté
envers ce Monde et son Architecte.
Fallait-il laisser toutes ses âmes honorables et
vaillantes en souffrance, sous la botte impitoyable d’une
puissance vouée aux ténèbres ? Le libre-arbitre et
l’ordre naturel des évènements n’étaient plus respectés,
L’injustice dominait car la force incommensurable et
stupide avait pris le dessus sur les valeurs morales et
l’honnêteté. Il y avait un Dieu dans cet Univers et il
était temps qu’il tende sa main aux êtres mourants ou
bien sombrants dans d’infinis tourments, sans renoncer
à la plus petite parcelle de leur intégrité.
De partout dans le Monde, des prières réclamant la
paix et le bien-être pour l’ensemble de la création lui
parvenaient. Toutes ses requêtes émouvantes émanaient
de créatures pensantes sincères, marchant librement
sous le soleil ou bien tombées sous le carcan du Néant,
Le serment de Salermnos : 137
Le serment de Salermnos
soumises aux tortures les plus ignobles dans les prisons
infernales de Gaurtlung.
Alors que l’équilibre fragile entre le bien et mal
allait s’effondrer en faveur du Néant, l’Eternel fit fondre
sa pensée sur les esclaves du Déchu qui n’avaient pas
renoncé à l’amour du Monde dans leur conscience,
même si leurs actes s’accomplissaient sous l’Empire de
leur subconscient asservi par le Seigneur des Maudits.
La sinistre forteresse des montagnes méridionales
fut ébranlée par un souffle irréel de pureté, puis, un
courant d’air s’échappa par les meurtrières mais aussi
par les cheminées funestes de ce château démoniaque,
en retentissant comme un cri de joie. Les parts intègres
des âmes ayant appartenu aux Elfes déchus et à l’Esprit
Jardinier prisonnier, avaient pu s’arracher à leur
malédiction, à l’influence de Gaurtlung puis à leur corps
livré au Néant.
Elles n’étaient pas mortes, bien au contraire, elles
étaient prêtes à entrer dans une nouvelle existence. Mais
avant cela, elle devait prendre le chemin que suivaient
tous ceux qui quittaient les cercles du Monde depuis le
début de ce Cycle, que ce soit en raison de leur âge, de
leur fatigue ou bien par la guerre. Elles prirent, depuis
les sommets des Monts du Bout du Monde, la direction
du Sud. Elles gagnèrent, en quittant les hauteurs
inaccessibles aux créatures attachées à une enveloppe
charnelle, la plaine polaire méridionale du Continent
Civilisé de Formalow.
Le serment de Salermnos : 138
Le serment de Salermnos
Au pied de la Chaîne, la glace ne régnait pas
encore. Il existait là une région tempérée, modestement
vallonnée, plantée de vastes forêts, c’est au cœur de ces
collines sylvestres que le Penseur Eternel avait installé
un palais naturel dans lequel, il accueillait les défunts.
C’est là que les malheureux, libérés des sortilèges
du Mal, se retrouvèrent dans un vaste hall d’attente.
L’endroit était chaleureux et, bien que délivrés de leur
corps et de toute fatigue, ils attendirent avec
l’impression de se reposer dans un cadre serein,
chaleureux mais aussi verdoyant. Au fond de ce
gigantesque salon, une porte de dressait et les esprits
présents savaient parfaitement qu’ils ne devaient pas la
franchir, tant qu’elle ne s’ouvrait pas elle-même. Ils
avaient l’impression de l’avoir toujours su. Les us et
coutumes de l’après vie, paraissaient avoir appartenu
depuis toujours à leur culture, à leur mémoire.
Ils patientaient donc, dans la lumière intense de
cette journée flamboyante, en parlant de leur passé, en
échangeant leur expérience. Ils réalisèrent qu’ils avaient
tout en commun. L’ancien Esprit Jardinier comme les
chevaliers elfiques avaient été trompés par la séduction
du mal avant que celui-ci s’empare d’eux par la
violence et la contrainte. Pourtant, aucun n’avait vendu
son âme. Dans leur fort intérieur, malgré les
souffrances, les terreurs et l’horreur des actes qu’ils
accomplissaient contre leur gré, sous la torture, ils
refusaient catégoriquement de prêter serment
Le serment de Salermnos : 139
Le serment de Salermnos
d’allégeance à Gaurtlung. Qu’allaient-ils pouvoir faire,
pour retourner au combat et empêcher le reste de
Formalow d’être asservi par les maléfices des maudits.
Ils se sentaient malheureux de devoir quitter l’existence
sans avoir repoussé efficacement les forces du Néant.
Tout à coup, la porte interdite pivota en silence.
Une lumière encore plus intense que celle qui régnait
sur la région, envahit la pièce. Les âmes libérées de la
Forteresse des Ombres, allaient enfin rencontrer leur
créateur.
Elles se dirigèrent ensemble, vers le flot éclatant
déversé par la pièce mystérieuse. Les évadés des
ténèbres étaient inquiets de cette rencontre ultime. Ils
hésitèrent encore un peu sur le seuil, puis, n’ayant pas
vraiment d’autres choix, ils entrèrent confiant dans le
saint des saints du temple.
Le serment de Salermnos : 140
Le serment de Salermnos
- III -
Orloros et Gémildan avaient déployé, dans la
steppe extrême-orientale du Continent, une grande
armée d’éclaireurs qui sillonnaient ce territoire
interminable afin de détecter la présence de leurs
ennemis, si ceux-ci s’aventuraient jusque là.
Souvent, le Roi de Nabachton et le Roi de Silérie,
chevauchaient ensemble, avec leurs courageux sujets
qui allaient jusqu’aux limites des sources magiques de
l’est. Cependant, ils se faisaient rejeter par une force
invisible mais inexorable, qui les empêchait même de
contempler simplement ces magnifiques puits de
bienfaisance.
Les deux Silériens étaient petits de taille, mais
particulièrement subtiles, sous leur aspect de solides
paysans-forgerons. Ils soupçonnaient que le calme de
ces années passant dans une paix relative, dissimulait
une tension augmentant inexorablement au cœur du
Monde.
L’ombre d’un malheur en train de s’ourdir dans les
bas fonds des ténèbres et du néant, s’étendait déjà, alors
que tout n’était encore qu’une idée, un projet. La porte
des ténèbres n’était pas encore ouverte mais la menace
de la voir bientôt béante, déversant toutes les créatures
Le serment de Salermnos : 141
Le serment de Salermnos
malfaisantes du panthéon des mauvais génies, devenait
plus tangible à chaque seconde qui s’écoulait sur
l’horloge du Cycle.
Les deux Seigneurs s’entretenaient quelquefois :
- Je ne sais pas pourquoi fiston, lançait Orloros en
scrutant la grande plaine boisée, depuis un monticule de
verdure, je suis pourtant sûr que les Korrigans vont
franchir le blocus de nos armées du sud.
- Père, je ne vous contredirai pas, assura Gémildan.
Je suis torturé par cette crainte moi-même. Les forces de
Gaurtlung le maudit ne peuvent pas s’en tenir à cette
défaite que nous leur avons infligée trop rapidement.
Nous nous sommes contentés de les contenir. Je les sens
pourtant là, innombrables, se reconstituant dans
l’horreur de leur tour maudite.
- Cette fois, ils ne tenteront pas de franchir les
remparts de Castel-Elfes, murmura le vieux Maître de
« l’Océan d’Herbe Fleurie ». Ils perdraient une trop
grande partie de leurs troupes dans cette tentative. En
effet, nous sommes prêts et nous réagirions trop
puissamment. Le Sage Haran surveille étroitement cette
vallée et il a travaillé longuement pour corriger les
défauts de ses bastions. Leur efficacité, déjà grande, est
devenue quasiment parfaite. Je suis certain qu’ils vont
ruser et trouver un passage, là où nous ne les attendons
pas. A l’Est du Continent, comme à l’Occident, les
Monts du bout du Monde tombent à pic dans l’Océan
Extérieur depuis une altitude vertigineuse. Dans toutes
Le serment de Salermnos : 142
Le serment de Salermnos
les contrées méridionales, nos soldats tiennent
fermement chaque combe de la Montagne. Alors,
pourquoi suis-je certain que les démons passeront quand
même ? Ils n’ont pas d’autres solutions que de rester sur
les contreforts boisés, exposés au Nord. Les sommets de
la Chaîne sont élevés bien au-delà des derniers nuages.
Les aigles du Penseur Eternel eux-mêmes, ne peuvent
monter si haut dans les airs. Les êtres vivants étouffent
dans ces régions de l’atmosphère et finissent par s’y
évanouir. Seul le Damné parviendrait à dépasser ces
pics et à redescendre dans les terres au-delà. Si
toutefois, il y a des terres derrière ces montagnes.
- En supposant qu’il accomplisse cet exploit, Père,
répondit le vaillant Seigneur de Nabachton, que les pays
de l’Extrême sud existent et que Gaurtlung y découvre
des créatures à corrompre afin qu’elles constituent, avec
lui, une nouvelle force maléfique, je ne vois pas de
quelle manière il pourrait revenir ici, pour nous défaire.
- Par l’eau mon fils, répliqua Orloros. Les Elfes
savent bâtir de beaux vaisseaux qui naviguent près des
côtes ou bien sur la mer intérieure de Myrion, avec leur
voile et leurs rames. Le Damné connaît la construction
de ces navires. Il les imiterait. Il bâtirait une vaste flotte
et reviendrait ainsi avec les hordes maudites qu’il
recruterait dans ces nouvelles contrées.
- C’est cela que tu crains alors, se dit Gémildan.
Mes ingénieurs de Nabachton vont rapidement mettre
en chantier une puissante armada de galères bien armées
Le serment de Salermnos : 143
Le serment de Salermnos
qui patrouilleront dans les eaux australes et exploreront
l’Océan au-delà des Monts du Bout du Monde.
- Tu ne pourras pas passer derrière ces pics
vertigineux, affirma Orloros. Haran et ses hommes ont
déjà essayé à bord de grands bateaux poussés par des
rames et des voiles. Les vents ainsi que les courants, à
l’à-pic de la chaîne, deviennent contraires à ceux qui
marchent vers le sud. Les Elfes les plus tenaces et les
plus courageux, ont renoncé à cette expédition. Je ne
pense pas d’ailleurs que le vrai danger soit là. Les
esprits jardiniers eux-mêmes nous ont affirmé que les
territoires polaires sont réservés au Penseur Eternel et
aux âmes des défunts bienfaisants qui le rejoignent dans
cette partie du Monde, après leur décès. Je suis persuadé
que le Maudit ne peut même pas envisager, sans subir
de terribles angoisses, de regarder vers le sud depuis sa
tour infernale. Vois-tu mon garçon, Gaurtlung reviendra
en secret. Il déploiera une ruse immonde, sans aucun
courage, sans aucune grandeur. Il usera de lâcheté et de
dissimulation pour nous attaquer là où nous l’attendons
le moins. Il viendra par l’Est ! Car c’est le chemin le
plus rapide pour se rendre aux puits de magie qu’il a
isolés. Et s’il ne peut contourner nos lignes, j’ai bien
peur qu’il réussisse à passer en dessous !!!
Le serment de Salermnos : 144
Le serment de Salermnos
- IV -
Thanator le Damné entra dans le sombre cachot où
il tenait enchaîné son ancien disciple, devenu son
prisonnier.
L’épouvantable Seigneur des démons se gorgeait
de plaisir en contemplant la souffrance des autres
créatures. Il savait que le malheureux gardien des
arbres, qu’il avait assujetti par la douleur et par sa
volonté invincible, avait la conscience déchirée par les
actes qu’il accomplissait sous la contrainte. Le terrible
Roi ténébreux posait son regard halluciné et
sanguinolent sur le pauvre esprit sylvain. Ensuite, en
riant de haine, il se délectait des convulsions de son
captif quand ce dernier tentait de résister aux
injonctions spirituelles qu’il lui faisait.
Ce matin-là, l’hiver régnait jusqu’au Sud de
Formalow. Dans les couloirs sinistres, éclairés par des
torches fumeuses, la respiration des Korrigans s’évadait
en panache de buée, telle un jet de vapeur vénéneux
sifflant entre les crocs difformes de ces démons.
Gaurtlung et son souffre-douleur, ligoté au fond d’un
cachot glacial, étaient les seules créatures à ne pas
respirer, ici, dans cette forteresse aliénante.
Le serment de Salermnos : 145
Le serment de Salermnos
Le terrifiant géant d’ombre et d’effroi, entra dans
une cellule, froide et crépusculaire comme un tombeau.
De sa voix caverneuse, il lança :
- Alors mon cher élève comment vas-tu en cette
heure fraîche d’une journée si douce ? Me parleras-tu
fainéant ! Gronda-t-il au silence qui répondait à ces
sarcasmes.
Dans la pénombre, il chercha à apercevoir la
silhouette d’arbre ébranché, à l’écorce aujourd’hui
craquelée, de son ancien disciple. C’est une forme
humaine immense, à demi-nu, aux membres
interminables et à la maigreur spectrale, qu’il découvrit
accroupie dans une tâche de lumière morne, arrivée par
miracle jusque dans ce recoin sinistre.
- Mais que fais-tu là ? Tonna le monstre en
bondissant sur l’inconnu. Où est mon prisonnier ?
Qu’en as-tu fais misérable ? Fulmina Gaurtlung en
secouant sa proie de toutes ses forces.
- Maître, ne me reconnaissez-vous pas ? Gémit
l’affreux personnage.
Ce dernier ressemblait à un Elfe d’une taille
surnaturelle. Il était trois fois aussi grand que le plus
robuste des princes elfiques corrompus par Thanator. Sa
peau avait un aspect brun et repoussant. Elle était
parcheminée de rides et en certains endroits, était
déchirée de plaies suintantes en décomposition.
Le serment de Salermnos : 146
Le serment de Salermnos
- Mais qui donc es-tu espèce d’épave ? S’emporta
le maudit en jetant à terre l’étranger avec une force
épouvantable.
- Je suis votre disciple et votre prisonnier, hurla le
monstre en geignant de douleur. Je souhaite vous faire
serment d’allégeance et vous offrir volontairement mes
services mon Seigneur. Je désire épouser votre cause et
ne plus vous défier. J’ai changé mon aspect pour vous
plaire et renoncer à mon ancienne vie.
En prononçant ces mots d’une voix mauvaise et
grinçante, l’esprit avait ouvert des yeux démesurés,
injectés de sang comme ceux d’un démon du néant.
- Alors comme cela tu as cédé à mes injonctions !
Exulta Gaurtlung. Tu t’offres aux ténèbres. Je vais te
faire forger, par nos esclaves, la plus belle armure de
cette forteresse en dehors de la mienne, ironisa le
terrible souverain du mal. Tu aimeras cette cuirasse au
point que tu ne pourras même pas t’en séparer. Je te
l’assure.
- Quelle joie d’appartenir à vos rangs ! Invoqua le
lâche. Je suis à vous Seigneur !
- Désormais, tu seras le Maître des Ankous !
Décréta Thanator. Tes serviteurs et tes soldats seront les
Elfes déchus, puisque tu as adopté leur apparence.
J’espère de toi une obéissance absolue, sans faille.
Sinon, tu finiras dans des conditions épouvantables. En
attendant que je te fasse porter les vêtements et les
armes que je vais t’offrir, renforce les charmes que tu as
Le serment de Salermnos : 147
Le serment de Salermnos
jetés sur les puits de magie de l’Orient. Maintenant que
tu le fais volontairement, tâche d’être à la hauteur de tes
prétentions !
Le Damné était fou de joie d’avoir fait chuter si
aisément un des aides du Penseur Eternel. Il ne s’était
pas rendu compte que la bonté et la force mentale de ce
dernier, sa vraie personnalité en quelque sorte, avaient
quitté, pendant la nuit, le corps amoindri et les traces
noires de l’âme, abandonnés dans cette geôle infernale.
L’ombre du grand esprit qu’avait capturé le Maudit était
devant lui. Elle avait encore quelques pouvoirs
magiques, mais, avant tout, elle n’était plus qu’un
immonde amoncellement de haine et de fourberie,
capable de se retourner, mais également de lancer un
jour tout son fiel contre son nouveau Seigneur.
Bien sûr, Thanator comptait remercier le
revirement de sa nouvelle recrue puis fêter l’arrivée de
celle-ci au sein de son camp, par une dernière
méchanceté. Il avait la ferme intention de bien rire aux
dépends de ce triste mais utile déchet. Ce qu’ignorait
Gaurtlung, c’est que par la suite, la bassesse de ce
dernier ne continuerait d’exister que pour se venger de
l’ultime affront infligé par son vainqueur.
Le serment de Salermnos : 148
Le serment de Salermnos
- V -
Haran chevauchait au pied des contreforts
gigantesques des Monts du bout du Monde. Il avait
atteint l’extrême Ouest de la Chaîne. Vers le soleil
couchant, les flots bleutés de l’Océan Extérieur
grondaient, tandis que dans l’air pur, au-dessus des
grèves de sable encadrées de rochers roses, les mouettes
lançaient leur plainte nostalgique.
Les astronomes et les savants Elfiques avaient
accompagné leur grand Seigneur. Tous avaient refait
plusieurs fois les mesures et les calculs les plus précis,
afin de connaître l’altitude réelle des sommets qui
terminaient le long défilé des montagnes méridionales.
Il n’y avait aucun nuage, aucune brume dans
l’atmosphère ce jour-là. Il fut acquis, sans aucun doute,
que la muraille de granit s’élevait au-delà de l’air
respirable. Aucun être vivant ne possédait les moyens
physiques d’en franchir les pics. De plus, la chaîne se
terminait dans une mer profonde, agitée, tandis que sur
les hauteurs, son extrémité s’effilait comme une lame de
rasoir. Cet obstacle naturel ne se contournait pas et ne
se dépassait pas non plus.
Le soir avançait quand les mathématiciens d’Haran
ainsi que ses géographes rendirent leur verdict. Ce qui
Le serment de Salermnos : 149
Le serment de Salermnos
était encore plus décourageant, c’est que le savoir-faire
des Elfes dans le domaine de la construction des navires
côtiers, ne leur permettait de traverser les courants et la
houle brisante de cette région. Les ingénieurs de ce
peuple construisaient des galères de cabotage à
gréement carré. Solides et confortables, ces nefs ne
pouvaient pas remonter le vent. Si tous les éléments
naturels s’opposaient à leur marche, malgré les rames
qui les équipaient, elles ne pouvaient plus que faire
demi-tour.
C’est pourquoi, quand le vieux Roi sylvestre
aperçut une première voile blanche à la forme inconnue,
très loin sur l’horizon Sud, il ne comprit pas exactement
ce qu’elle pouvait-être. En quelques secondes, il pensa
d’abord à la respiration d’un animal, un grand cétacé de
l’Océan, comme on en voyait parfois près des criques
rocheuses du Nord de Formalow. Mais, la distance qui
séparait cet objet de la plage où se trouvait Haran, avec
sa troupe, était importante. La bête capable d’émettre un
tel souffle, aurait eu des dimensions colossales. Le
phénomène se déplaçait rapidement et les perçants yeux
Elfiques commencèrent à mieux le distinguer. Le Roi
découvrit bientôt qu’il s’agissait d’un ensemble de
voiles, curieusement agencées. Il sut alors qu’un bateau
venait des régions polaires du Continent Civilisé.
Ce qu’il devenait très important de connaître
désormais, c’était la nature et les buts des marins
constituant l’équipage de cette nef. Etaient-ils d’une
Le serment de Salermnos : 150
Le serment de Salermnos
espèce pensante nouvelle, épargnée par le mal ?
Avaient-ils, au contraire, été contactés puis corrompus
par Gaurtlung ? Ne s’avançaient-ils pas à la tête d’une
flotte d’invasion chargée de libérer les combes
montagneuses tenues par les peuples libres de
Formalow ?
Le vieux Seigneur regarda sa patrouille. Elle
n’était pas forte de nombreux hommes mais elle
comptait dans ses rangs, les plus vaillants guerriers des
bois de Myrion ainsi qu’une forte escouade de cavaliers
puissamment armés et montés sur de vives autant que
solides licornes des steppes de Nabachton. Il ordonna
immédiatement le déploiement de sa petite phalange en
ordre de bataille sur les hauteurs dominant la plage. Les
collines de l’arrière pays descendaient en pentes douces
vers la mer. Elle faciliterait la charge des sylvains si les
occupants du bateau débarquaient là avec de mauvaises
intentions. Il faudrait frapper fort, avec la violence et la
rapidité d’un éclair d’orage, si ce funeste cas de figure
se présentait car, d’autres bateaux, chargés de soldats
suivraient de près. Une fois le premier équipage anéanti,
la garde d’Haran battraient en retraite pour aller
prévenir une partie de la grande armée des peuples
libres, afin qu’elle vienne défendre les plages menacées
par un débarquement des esclaves du néant.
Le serment de Salermnos : 151
Le serment de Salermnos
- VI -
Mohodir Gurr, avançait vers la mer en compagnie
d’une patrouille de vaillants Silériens. Ces braves
éclaireurs étaient guidés par Gémildan, son estimé frère
par alliance. Ils avaient eu vent, grâce aux alertes des
mouettes de la côte occidentale dont le Prince de
Nabachton avait la chance de comprendre le langage,
qu’un phénomène inattendu allait bouleverser les plages
de l’Océan Extérieur en direction du soleil couchant.
Alors, les deux amis avaient regroupé les forces
dont ils disposaient, puis, sachant que le vieux et sage
Roi Haran avait mené une expédition jusqu’à
l’extrémité Ouest des montagnes du Sud, ils avaient pris
la décision de le rejoindre.
Quand ils atteignirent le littoral, ils découvrirent
aussitôt, la phalange d’Haran déployée au-dessus d’une
vaste grève de sable encerclée de rochers, brillant dans
la lumière du couchant. Ils virent aussi sur les flots, à
moins d’une lieue de la côte, un formidable bateau
équipé de trois grands mâts interminables auxquels
étaient attachées des voiles superbement taillées et
cousues, presque aussi grandes que des vergers de
Nabachton. Son gréement était si bien agencé, qu’en
louvoyant légèrement, il remontait le vent. Sa coque
Le serment de Salermnos : 152
Le serment de Salermnos
blanche était éclatante dans la lumière de cette fin de
journée. Son allure fine et solide à la fois, inspirait la
confiance et l’admiration. Non, les marins d’une telle
nef ne pouvaient pas appartenir aux forces des ténèbres.
Quand le bateau fut très proche de la côte, il
s’engagea prudemment, en réduisant sa toile, dans un
petit port naturel constitué par un chaos de blocs de
granit érodés par les millénaires, devenus pourpres au
soleil du soir. La Nef était seule sur la mer. Quand elle
fut bien ancrée sur son mouillage, une longue et large
chaloupe fut mise à flot par les marins. De majestueux
personnages prirent place à bord de ce vaste canot. Puis,
ces derniers gagnèrent le rivage en nageant droit vers
les Elfes regroupés sur la grève, au fond de la baie.
Haran, Mohodir et Gémildan étaient ensemble
maintenant. Leurs hommes avaient abandonné la
formation de bataille. Les gens qui venaient vers eux
n’étaient pas nombreux. De plus, ceux-ci n’étaient pas
harnachés pour la guerre. Quand ils eurent touché le
sable et qu’ils s’approchèrent d’eux, les Elfes et les
Silériens, témoins de ce débarquement restèrent muets,
fascinés par les nouveaux venus à Formalow. Les
Silériens étaient robustes mais ne dépassaient pas cinq
pieds de haut. Le Prince de Nabachton était le plus
grand et le plus beau paysan-forgeron de Formalow, il
atteignait l’épaule de son épouse : la Reine Sylvania.
Les Elfes Ingénieux, moins larges et moins massifs que
le peuple de Gémildan, avaient une stature adaptée à
Le serment de Salermnos : 153
Le serment de Salermnos
leur vie forestière. Ils toisaient entre quatre et quatre
pieds et demi. Les Sylvains Géants comme Haran,
étaient identiques, en proportions, à la moyenne des
hommes de notre époque et de notre monde. Le vieux
Roi Sylvestre, une force de la nature dans les rangs de
son peuple, dominait les êtres pensants humanoïdes du
Continent, du haut de ses six pieds et trois pouces.
Les créatures venues des régions polaires du Midi
de Formalow, avaient une silhouette longiligne très
musclée, cependant, qui culminait à une hauteur
moyenne de sept pieds et demi. Ils avaient tous l’aspect
d’athlétiques sages, oscillant à la frontière de l’âge mur
et de la vieillesse encore dynamique.
Habillés de manteaux blancs et confortables, ils
portaient une barbe fournie et de longs cheveux
grisonnants. Leur regard était vif et joyeux sous des
sourcils broussailleux qui, parfois, leur conféraient une
expression de courroucée mais sympathique malgré
tout.
C’est ainsi que les plus anciens enfants du Penseur
Eternel firent la connaissance des Druides. Par la suite,
ces derniers vinrent plus nombreux des régions polaires.
Ils ne pouvaient pas y retourner de leur vivant. Les
courants et les vents empêchaient les navires d’y
revenir. On découvrit, dans les millénaires qui suivirent,
que cette nouvelle espèce pensante de Formalow
détenait un immense savoir. Ses membres ne
vieillissaient pas et ne mourraient pas naturellement, ni
Le serment de Salermnos : 154
Le serment de Salermnos
par la maladie, ni par l’âge. Il fallait que leurs corps
soient détruits pendant un acte guerrier pour qu’ils
décèdent. Ils ne comptaient pas de femmes dans leurs
rangs. Dans les conflits qui opposèrent la puissance des
ténèbres et les forces du bien, jusqu’à la chute de
l’Empire, beaucoup de druides furent tués. Cependant,
d’autres venaient aussitôt les remplacer en apparaissant,
comme les premiers l’avaient fait, sur les rivages de
l’Océan Extérieur, au pied des Monts du Bout du
Monde.
Ils apportèrent une sagesse et une magie
irremplaçables aux nations de Formalow, opprimées par
la tyrannie du néant. Ils protégèrent le savoir-faire
ancestral des artisans, des agriculteurs, des bâtisseurs
mais aussi des magiciens, que les hordes de Gaurtlung
et du Maître des Ankous, tentaient régulièrement
d’anéantirent par leurs raids meurtriers.
Souvent les conseils et l’intervention physique de
ces bons géants aux techniques de combats éprouvées,
permirent aux forces bienfaisantes du Continent,
d’emporter la victoire dans leur guérilla contre le mal.
Ils étaient maintenant là, parmi les Elfes mais aussi
les Silériens. Ils ne dévoilèrent jamais, à leurs alliés et
amis, le secret de leur origine. Mais, le plus grand
d’entre eux par la taille et les faits qu’il accomplit dans
les siècles suivant, le très sage, très puissant, Mélinos,
prononça à l’intention de Mohodir Gurr une phrase
étonnante. Cette sentence provoqua la compréhension
Le serment de Salermnos : 155
Le serment de Salermnos
profonde de ce mystère par le Prince Sylvain. Le fils
d’Haran, alors qu’il suivait passionnément une
explication de l’énergique Druide sur les cristaux de
puissance, vit le regard du Sage se baisser sur lui avec
une expression de reconnaissance infinie. Puis, sans
raison apparente, ce dernier déclara à l’Elfe :
- Mon ami, je vous suis redevable d’avoir tenté de
m’arracher aux griffes de mon destin, quand j’ai failli
tomber à jamais au pouvoir du Damné. Vous avez pris
de considérables risques en attaquant, quasiment seul, la
forteresse ainsi que l’armée de ce Démon ignoble qui
m’avait lâchement capturé. Cela, jamais je ne
l’oublierai…
Mohodir réalisa avec étonnement et fascination,
qui était réellement Mélinos. Cependant, à personne,
pas même à son père, il ne dévoila cet immense secret.
Le serment de Salermnos : 156
Le serment de Salermnos
- VII -
Au sein de la forteresse, le Seigneur des Ankous,
se tenait dans son nouvel habit de laine, au milieu d’une
pièce. Son visage osseux et la couleur verdâtre de sa
peau parcheminée lui donnaient l’allure d’un effrayant
spectre malfaisant.
Il était plus petit que le gigantesque Gaurtlung. Ce
dernier, debout devant lui, le dominait de deux fois sa
hauteur. Le renégat souriait niaisement. S’il avait été un
chien, il se serait agité, la truffe humide et la queue
battant la mesure de sa joie puérile, devant le terrible
Monstre, Damné pour toujours.
Mais, l’ancien esprit jardinier n’était que l’ombre
d’un Grand de jadis. Il n’avait hérité de la part qui
l’avait quitté, quelques jours plus tôt pour gagner les
plaines polaires de Formalow, qu’une insignifiante trace
de méchanceté résiduelle, relique des âges d’avant le
réveil du Penseur Eternel, ainsi qu’un corps ravagé et
malade des tortures qu’on lui avait infligées dans les
cachots de la Tour Maudite.
Les Korrigans, inquiets de ce nouveau garde-
chiourme auquel il leur faudrait encore obéir
aveuglément, lui apportèrent, une à une, les pièces de
son armure. Celle-ci était hérissée de pointes effilées et
Le serment de Salermnos : 157
Le serment de Salermnos
de rebords tranchants qui en faisaient, sans épée, déjà
une arme meurtrière. Bien sûr, cette construction
grossière, martelée dans un acier mal affiné, ne
supportait pas la comparaison avec les cuirasses
scintillantes et infiniment résistantes de Nabachton.
Abusé par le solennel de cette cérémonie
d’habillage, le Maître des Ankous se croyait entrer dans
les grâces et le respect de Gaurtlung. Il essayait
pompeusement tous les mouvements de membres
possibles, à chaque fois qu’on lui avait ajusté un
brassard ou bien des cuissardes d’acier. Bientôt, même
le casque fut fixé à l’armure. Il avait un aspect terrifiant
dans cette protection d’acier noire, bardée de lames
aiguisées comme des rasoirs. Gaurtlung, d’une voix
tonnante, à la limite du rire, déclara :
- Maintenant Seigneur des Ankous, je vais
t’adouber Chevalier de la Forteresse de l’Ombre.
Agenouille-toi devant ton Suzerain.
La créature obséquieuse obéit au Damné. Elle
dégaina son épée, la plaça devant elle, puis, s’appuyant
de ses deux mains sur la garde, elle se mit derrière son
glaive, un genou à terre. Gaurtlung posa sa lourde
dextre sur le casque de son nouvel allié, puis, il déclama
dans le langage du néant, que son abjection lui avait fait
apprendre :
- Gaulmalith hetté prisnachaw !!!
Aussitôt, les yeux du Maître des Ankous se
révulsèrent tandis qu’il hurlait de douleur. L’incantation
Le serment de Salermnos : 158
Le serment de Salermnos
du terrible Démon venait, à jamais, de souder la peau de
sa malheureuse victime à l’armure maléfique, offerte
traîtreusement. Dans les siècles à venir, la cuirasse
enchantée pourrirait éternellement sur les chairs
martyrisées de l’ancien esprit jardinier, consacré
maintenant aux forces malfaisantes.
- Je te l’avais dit, exulta Gaurtlung. Tu aimeras tant
ce présent que tu ne pourras plus jamais l’ôter.
- Mais pourquoi mon Seigneur ? Hurla le Roi des
Ankous en gémissant de terreur et de douleur. Je vous ai
donné mon âme et ma vie ! Pourquoi ce supplice m’est-
il infligé ?
- Ainsi sale traître, répliqua en grondant à demi
Thanator, tu te souviendras bien que je suis intraitable !
Tu penseras aux souffrances et aux humiliations que je
sais provoquer, si par malheur tu avais envie de me
quitter pour rejoindre mes ennemis, comme tu t’es
détourné de leur cause pour te livrer à moi aujourd’hui !
Tous les Korrigans présents éclatèrent de leur rire
caverneux et grasseyant, tandis que le Maître des
Ankous, frappé au plus profond de son honneur et de sa
dignité de renégat, s’écroulait sur le sol de la pièce en
pleurant de rage et de honte.
Le serment de Salermnos : 159
Le serment de Salermnos
- VIII -
Mélinos, le porte-parole des Druides auprès des
Rois de Formalow, rechercha d’abord, sur les rives
occidentales du Continent Civilisé de Formalow, un abri
pour les navires et surtout, un lieu de débarquement sûr
pour ceux de son espèce qui viendraient aider à
combattre Gaurtlung et ses âmes damnées.
Il navigua avec des marins Elfiques, dans tous les
abers du Golfe de Salermnos, afin de découvrir un
littoral propice à l’atterrissage de grands navires, ainsi
qu’à la construction d’une forteresse imprenable,
capable de protéger efficacement le port contre les
éventuelles attaques de l’ennemi, par la Terre ou bien la
Mer.
Le Golfe de Salermnos était encore une région
sauvage en ce temps-là. Mais elle était bénie du Penseur
Eternelle. La présence d’une telle masse d’eau, entourée
de petites collines et de vastes forêts, conféraient aux
rivages à la beauté féerique de ce bassin maritime, un
climat doux et vivifiant. Les côtes y étaient parfois
abruptes. D’autrefois, elles se composaient de petites
criques de sable et de rochers, découpées comme de la
dentelle, parées des couleurs chatoyantes embellissant
les multiples concrétions granitiques. Ces grèves, sous
Le serment de Salermnos : 160
Le serment de Salermnos
la lumière du soleil printanier et estival, changeaient
d’un vert dense au gris bleu en passant par un rose
soutenu. Des mouillages naturels très profonds, toujours
en eau, malgré les marnages colossaux, se révélaient
capables d’accueillir de très nombreuses et vastes nefs.
Le choix d’un havre, même pour un sage comme
Mélinos, n’était pas facile. Tous les estuaires du Golfe
faisaient des lieux adaptés à la perfection, pour abriter
un port militaire. L’échancrure de Armenos qui entrait
le plus loin dans la masse du Continent Civilisé se
terminait par une calanque très facile à protéger. Sur les
rives escarpées de ce bras de mer, de belles forteresses,
creusées dans la roche même des rives, permettraient de
surveiller les eaux du Golfe et les forêts ombrageant le
littoral. Curieusement, la côte dans cette région, se
dressait comme un mur entre les eaux de l’Océan et la
vaste plaine boisée, allongée sous le soleil du Sud,
jusqu’aux Monts du Bout du Monde. Vers l’Est, la forêt
sillonnée de sentiers Elfiques allaient jusqu’à l’immense
mer d’eau douce de Myrion.
Mélinos décida de créer là le premier port du
Golfe. Il l’appela Armenos, en ancien Elfique cela
signifiait « Le Mur Marin ». Bientôt, les mouettes
messagères, envoyées vers le sud, au-dessus de l’Océan
Extérieur, revinrent en accompagnant de nouvelles nefs
Druidiques et des nombreux sages bienveillants. Ces
derniers transmirent aux Sujets du Roi Haran ainsi
qu’aux paysans-forgerons, un savoir-faire en matière de
Le serment de Salermnos : 161
Le serment de Salermnos
forteresse maritime, que les deux espèces,
particulièrement douées, assimilèrent puis, améliorèrent
régulièrement dans les siècles qui suivirent. Tous ces
bâtisseurs, sages en magie, en travail de la pierre, de
l’acier, en science des armes, en dressage de bêtes,
montèrent en quelques années, au fond de cet aber
échancré, la grande forteresse d’Armenos. Ce havre
fortifié ne céda jamais aux assauts du Néant, tant que
dura les jours anciens de Formalow. Aujourd’hui
encore, il sommeille au fond de son estuaire, comme
une antique porte pour toujours ouverte vers un autre
continent ainsi qu’un autre temps.
Les âges innombrables ont vieilli les quais et les
puissants murs de ce lieu mythique, leur conférant une
aura de beauté encore plus intense. Sur Formalow et ses
habitants, après les guerres des temps lointains, les âges
innombrables ont passé dans une paix nonchalante ainsi
qu’un bonheur sans pareil dans tous les Cosmos. Mais
personne n’a oublié la magie des Druides de jadis. En
venant prendre ici les bateaux qui voyagent de nos
jours, d’un continent à l’autre, les passagers ressentent
toujours la splendeur et la force du passé qui ne se sont
pas éteinte dans la tranquillité infinie des jours bénis.
Quand Mélinos se démena pour fonder, avec les
Elfes et les Silériens, Le Mur Marin, il le fit en pensant
certainement aux guerres qui marqueraient les
balbutiements de ce Monde. Mais il travailla aussi pour
la paix qui viendrait peut-être - en ce temps-là, même
Le serment de Salermnos : 162
Le serment de Salermnos
lui n’était sûr de rien - s’établir sur les rivages du Golfe.
Le Néant n’était pas invincible, il suffisait que les
peuples libres ne faillissent pas dans la lutte.
Le port fortifié construit par le plus sage des sages,
fut donc une capitale maritime intemporelle mais aussi
intouchable. Plus tard, un nouveau peuple amoureux de
la mer vint habiter ce havre, avec la bénédiction des
Elfes, des paysans-forgerons puis des Druides. Il, en fit
sa patrie, sans jamais omettre de rendre hommage à son
fondateur. Toujours, les sages des plaines polaires y
débarquèrent en toute confiance, quand les batailles les
décimaient encore.
Toute l’organisation des Druides fut bientôt mise
en place. Comme ceux-ci sentaient, sans l’expliquer,
qu’une menace se précisait dans l’Est du Continent, ils
renforcèrent habilement les combes tenues par les sujets
d’Haran et les courageux compagnons d’Orloros. Ils
firent de la Forêt, des îles mais aussi de la Mer de
Myrion, leur quartier général et leurs Tours de Garde
contre les puissances des ténèbres. En vingt ans, ils
avaient si bien œuvré, qu’ils avaient déployé leurs
principaux bastions dans leur totalité.
Cependant, sur les sommets inaccessibles des
Monts du Bout du Monde, le mal avançait vers une
nouvelle victoire, malgré la venue des Druides. La peine
et les malheurs de Formalow seraient tout de même
adoucis par la présence des Gardiens du Savoir.
Pourtant, la ruse infâme de Gaurtlung allait réussir,
Le serment de Salermnos : 163
Le serment de Salermnos
entraînant la destruction de l’Orient du Continent pour
de longs millénaires ainsi que le décès de nombreux
grands Seigneurs de ce temps-là.
L’épée à la main, la force de leurs âmes
inébranlables et sublimes, transformèrent cette défaite et
ces morts en exploits bénéfiques pour le déroulement
des siècles suivant. Mais ces époques qui virent
l’installation du Néant puis de ses esclaves près des
sources de Magie dans l’Est, furent horriblement
sombres. Les descendants d’Haran, de Gémildan, de
Sylvania et d’Orloros finirent par croire que la fin de
l’Âge d’Or était si définitive, qu’elle serait sans doute la
fin des temps tout court…
Le serment de Salermnos : 164
Le serment de Salermnos
- IX -
La brume du soir d’un automne encore chaud,
s’étendait sur une des Combes les plus orientales des
Monts du bout du Monde, avec la tombée de la nuit.
Dans cette superbe vallée, bordée d’une forêt
chatoyante, arborant la couleur de l’or, du vermeil et de
l’argent, toute une phalange d’Elfes géants, de solides
Silériens et de vigoureux Druides s’étaient déployés
dans un vaste camp forestier, discret, quasiment
invisible.
Avec la douceur de cette fin de journée, tandis que
les rayons du soleil couchant inondaient d’un dernier
éclat orangé la grande plaine boisée de Myrion, visible
au Nord de la Combe, aucun des vaillants guerriers
festoyant après leurs longues heures de vigilance et de
patrouille dans les sentiers montagneux, ne pouvaient
croire que le Néant et toute sa puissance les guettaient
avidement depuis les sommets des pics inaccessibles.
Une telle paix ainsi qu’un ordre naturel si
chaleureux régnaient par ici, depuis que les armées
bienfaisantes d’Haran stationnaient dans la région, que
personne ne croyait au retour possible du mal. Les
peuples pensants de l’Océan d’Herbe Fleurie et des
halliers de Formalow, bien avant l’arrivée des Druides,
Le serment de Salermnos : 165
Le serment de Salermnos
avaient dessiné de larges chemins dallés pour voyager
plus rapidement au pied des contreforts méridionaux. Ils
avaient créé des champs dans cette région, puis,
aménagé des grandes haies pour protéger les
plantations. Les paysans étaient les amis des soldats et
tous travaillaient ensemble.
La vie aurait été si douce sans l’ennemi et sa haine.
Les habitants de Formalow, comme les petits forgerons
et les Elfes ingénieux, ne demandaient rien d’autre que
de créer tranquillement, sans nuire à la nature dont ils
vivaient tous, les aménagements techniques auxquels ils
pensaient pour améliorer l’existence des ouvriers et des
agriculteurs de leur peuple. Les hauts Sylvains ne
souhaitaient que travailler de concert avec les petits
peuples, tout en courant les bois pour le plaisir, au long
des belles saisons de l’année. Pourquoi, la guerre et la
bêtise, étaient-elles venues déferler dans une contrée si
tranquille ?
Haran était déjà très âgé, même pour une créature
forestière. Si les peines et les craintes des combats
n’avaient pas entamé le bien-être paisible du vieux
Seigneur Sylvain, ses amis auraient espéré le voir vivre
éternellement. Mais, depuis deux siècles, les troubles
avaient commencé à miner doucement le bonheur du
Monde. Le Roi était immensément sage mais,
également, considérablement épuisé par la peine.
La Reine de Nabachton, Sylvania, et son époux
Gémildan, soumis à la loi des mortels, vieillissaient
Le serment de Salermnos : 166
Le serment de Salermnos
merveilleusement tandis que Manohéva, la plus belle
des créatures pensantes rêvées par le Maître du Cosmos,
leur fille, grandissait infiniment en sagesse, en bonté et
en force. Elle conjuguait la finesse radieuse et la
splendeur majestueuse de son père. La dynastie des
Nabatéens, allait réunir toutes les qualités des Elfes et
des Silériens, dans l’Aura d’êtres aux destins fabuleux.
Les seigneurs et les habitants de ce royaume
fonderaient, dans les âges à venir, avec les Druides de
Myrion, la plus grande confrérie de magie blanche,
connue depuis le début des Cycles.
Dans les esprits et au cours de la marche vers
l’avenir, accomplie par ces fantastiques chevaliers au
cœur d’airain, jamais la bassesse et la vilenie ne
dicteraient leurs actes. Ils ne devaient pas céder à la
facilité de leur gloire immortelle pour exploiter les
« Petites Gens ». En effet, les grands de Formalow
n’ignoraient pas l’importance ainsi que la valeur
insoupçonnée de leurs subalternes, ils préféraient
d’ailleurs les désigner comme leurs collaborateurs.
Même si la place des anonymes dans l’Univers était
d’une nature différente de celle des Seigneurs du
Monde, jamais elle ne fut amoindrie ou bien raillée par
les Rois et les Reines de Nabachton. Ces derniers furent
les symboles ineffaçables de la pureté, de la justice et de
la reconnaissance.
Plus tard, après que des millénaires de batailles se
furent écoulés sur le Monde de Formalow, de valeureux
Le serment de Salermnos : 167
Le serment de Salermnos
combattants firent chuter à jamais le néant. Il ne faut en
rien diminuer l’impérissable exploit de ces créatures
opiniâtres et intraitables avec les forces ténébreuses.
Dans l’image des Dames et des Chevaliers légendaires,
ils puisèrent, alors que l’Âge d’Or était presque oublié
mais cependant, toujours vivant dans la mémoire
atavique des habitants de Formalow, l’énergie
nécessaire pour aller au bout de leur souffrance, pour
trouver le dernier grain de courage au fond de leur cœur,
puis, brandir des glaives ébréchés contre
d’innombrables hordes maléfiques.
Les souvenirs vaillants des lointaines époques de
la fondation de ce Cosmos mais également des guerres
contre les hordes du mal, restèrent pour toujours ancrés
dans les âmes des habitants du Monde. Aujourd’hui
encore, la paix et le bonheur règnent en maîtres absolus
sur Formalow. La pureté des cœurs demeure
impérissable, garantissant à jamais la grandeur dans cet
Univers.
C’est cette constance et cette inflexibilité des
peuples de cette planète qui nous permet d’affirmer que
Gaurtlung ne put franchir les lignes de défenses du bien,
en raison d’une baisse de l’attention des soldats d’Haran
ou d’Orloros. Ces derniers goûtaient réellement la
douceur de ce soir d’Automne fatidique. Pourtant, ils
avaient parcouru, le jour durant, tous les contreforts de
leur juridiction avec un soin méticuleux, sans pareil,
dans tous les Cycles de l’Histoire.
Le serment de Salermnos : 168
Le serment de Salermnos
Gaurtlung avait fini de creuser son immonde
tunnel. Ce boyau humide et visqueux traversait les
racines de la Terre, dans les ténèbres les plus
effroyables. Les centaines de milliers de démons aux
ordres du Damné, avaient peiné plusieurs décennies
dans le froid, avec la peur de l’inconnu leur vrillant le
ventre, ainsi que l’étau tyrannique de la nuit éternelle
les étouffant, pendant le percement de cette route. C’est
par monceaux innombrables que les cadavres des
Korrigans écrasés par les effondrements, mutilés par la
rupture des chariots de transport, épuisés par les efforts
incessants, puis enfin asphyxiés par les gaz mortels des
profondeurs, furent emmurés dans les voûtes maçonnées
du passage maudit. Le Damné ne comptait pas ses
esclaves, il les livrait à la mort comme un jardinier
fauche l’herbe sauvage d’un potager en été.
Alors, ses légions étaient enfin arrivées très loin
des montagnes, à l’Est extrême du Continent Civilisé de
Formalow. En perçant le fond du boyau avec beaucoup
de précautions, afin de ne pas être surpris par les
patrouilles d’Haran ou d’Orloros, les Esclaves du néant
et leurs sinistres capitaines, les Elfes déchus et le Rois
des Ankous, entendirent les vagues gronder à
l’extérieur. Ils en furent heureux car ils comprirent
qu’ils avaient atteint les bords de l’Océan Extérieur,
donc. Ils n’étaient heureusement pas, les sons du dehors
leur prouvaient, sous ses flots. Ils pensaient, avec de
bonnes raisons, qu’ils allaient déboucher dans quelque
Le serment de Salermnos : 169
Le serment de Salermnos
prairie littorale de la côte orientale du pays. Ils avaient
soigneusement calculé le tracé de leur ouvrage afin de
ne pas donner le dernier coup de pioche de ce chantier,
dans une profonde baie de cette région. Dans ce cas-là,
leur tunnel risquait d’être aussitôt inondé, ainsi qu’une
grande partie de leurs installations souterraines des
Monts du Bout du Monde.
En dépit de leurs désordres et de leur laxisme
maladif, ils étaient parvenus à mener à bien ce travail
colossal. Ils avaient eu beaucoup de chance mais aussi,
ils avaient fait preuve d’une dureté à la souffrance
exceptionnelle. Les esclaves du Néant étaient des brutes
bestiales, dénuées de sentiment, cela les rendait
totalement insensibles à la douleur, à la fatigue et à la
crainte, produit par l’imaginaire. Seuls, les glaives des
Elfes géants, les lames des rudes Silériens et désormais,
les pouvoirs magiques destructeurs des Druides leur
inspiraient une sainte terreur car souvent, ces démons en
ressentaient les terribles morsures dans leur chair, au
cours des escarmouches dans les Combes méridionales.
L’effroi qu’éprouvaient des créatures pensantes, douées
d’imagination, de compassion ou bien d’amour, devant
les ténèbres des souterrains, la mort de leurs amis ou
simplement le ravage des Forêts et des Eaux du Monde,
était un sentiment totalement inconnu des Korrigans.
Ces infectes créatures vivaient l’instant présent sans
même penser à la minute suivante. S’ils avaient leur
Le serment de Salermnos : 170
Le serment de Salermnos
comptant de sang et plaisir sauvage, ils se moquaient du
reste.
En perforant de leurs outils, la dernière couche de
roche les séparant de la surface, à l’extrémité de leur
tunnel, dans l’extrême orient du Monde, les hordes de
Gaurtlung ne pensaient qu’à quitter les ténèbres et la
pestilence des galeries de la Tour de L’Ombre, afin de
répandre celles-ci sur les Terres vierges de Formalow.
Ils se délecteraient à abattre des arbres, à incendier des
halliers, à tuer des Elfes pour les dévorer. Ils ne vivaient
que pour cela : accomplir, sans faiblir, la volonté
apocalyptique de leur effrayant Maître.
Ce dernier avait atteint de si profondes bassesses
dans la chute de son âme, qu’il en était réduit à haïr tout
ce qui était vivant, brillant et pur. Le simple fait de
contempler un formidable chêne, à la ramure
lourdement chargée de feuilles brillantes et de glands
abondants, rendait le Seigneur des Korrigans furieux. Il
se précipitait aussitôt sur l’arbre, puis, il l’arrachait afin
de le brûler avec une haine quasiment palpable. Ses
ignobles sbires et leurs légions d’esclaves, ne faisaient
que reproduire, à leur échelle, ce comportement stupide
et suicidaire.
Sur les rives de l’Orient, à cinq lieues au Nord de
la base des Monts du Bout du Monde, avec un
craquement sinistre, une ouverture se forma dans un
talus rocheux tourné vers l’Océan. De sinistres démons
au pelage noirâtre et aux crocs proéminents, se ruèrent
Le serment de Salermnos : 171
Le serment de Salermnos
hors du sol pour se répandre dans la prairie ainsi que sur
la plage avec des grognements d’une violence
répugnante. Au même moment, les Elfes géants, les
Silériens et les Druides qui devisaient en festoyant
paisiblement dans une Combe, peu éloignée de là,
ressentir un froid intense qui troubla leur tranquillité.
Une partie de la garnison locale commandée par deux
vaillants capitaines, un Elfe coureur des bois ainsi qu’un
robuste paysan-forgeron, fut envoyée en reconnaissance
dans la direction du courant d’air froid qui
s’engouffrait, depuis quelques minutes, à l’entrée de la
Vallée. Une colonne de guerriers bien armés, montés sur
de rapides licornes, se mit donc en marche vers le
littoral du Continent Civilisé, au Nord-Est de la Combe.
Le serment de Salermnos : 172
Le serment de Salermnos
- X -
Quarante milles monstres étaient répandus sur les
plages de l’Est. Ils frétillaient et grognaient de haine en
brandissant leurs cimeterres. Leurs odieux capitaines
pointaient leur main droite vers le Nord en vociférant
leurs ordres démoniaques :
- Chargez ! Tuez sans pitié, sans vous retourner sur
vos victimes ! Il faut vous emparer des puits de magie !
La nuit tombait affreusement sur la mer glaciale.
La chaleur de l’automne fuyait en emportant dans sa
course vers l’oubli, les espoirs de paix et de tranquillité.
Le Monde tremblait sous les bottes de fer des démons et
déjà, la nature paraissait avoir fait le deuil de sa beauté.
Gaurtlung déployait sa force sinistre et insidieuse. Il
tendait son doigt vers les puits de bienfaisance de
l’Orient, afin de les corrompre, et personne ne pourrait
l’arrêter avant qu’il s’en empare.
Peu fatigués par leur marche dans les ténèbres de la
galerie maléfique, creusée par la haine et la cruauté dans
les racines de Formalow, les Korrigans préparèrent leurs
arcs et commencèrent à avancer vers le trésor de leur
Maître malfaisant. Ils entonnèrent un ignoble chant de
guerre en se mettant à progresser sur le chemin côtier.
Leurs lourds pas retentissaient comme des coups de
Le serment de Salermnos : 173
Le serment de Salermnos
tonnerre dans la nuit qui perdait ses étoiles en se
nappant dans une brume maudite.
L’obscurantisme et la bêtise la plus sauvage venait
d’emporter la première bataille de la Guerre de
l’Empire. La petite troupe des forces du bien qui
avançait vers cette marée hideuse de soldats infernaux,
ne pouvait pas savoir à quelle puissance elle allait être
confrontée. Les milles cavaliers emplis de courage et de
vaillance, envoyés en éclaireurs, allaient vers une mort
certaine. Les autres armées du bien, qui se lanceraient à
la poursuite des monstres meurtriers, ne pourraient pas
les rejoindre avant que ces derniers aient atteint le
premier puits magique de l’Extrême Orient.
Dans la nuit devenue impénétrable, quand la
colonne des Elfes, des Druides et des Silériens entendit
le bruit de la phalange maudite, marchant vers sa
victoire, sans penser à compter ses ennemis, elle les
chargea avec fureur. Venue des bois, les Korrigans
perçurent une clameur tonnante. Effarés par cette
soudaine confrontation avec les éclaireurs d’Haran, les
monstres tournèrent leurs arcs en direction du bruit de
l’attaque. Vingt milles flèches partirent en sifflant
comme un essaim de gigantesques frelons furibards. Les
Elfes et les Silériens frappés de plein fouet tombèrent en
hurlant tandis que leurs glorieuses licornes, emportées
par la vitesse de leur charge, s’effondraient, traversée
par les traits douloureux, en perdant leurs cavaliers tués.
Le serment de Salermnos : 174
Le serment de Salermnos
Quelques Silériens et Druides parvinrent jusqu’aux
Korrigans, les Elfes, en avant-garde de la charge,
avaient succombé les premiers. Les épées des héros
perdus firent un rude ouvrage dans la masse compacte
des maudits. Les têtes noirâtres aux crocs sanguinolents
se détachèrent avec véhémence du tronc difforme des
monstres. Les Ankous furent obligés d’intervenir pour
empêcher la débandade générale de leurs esclaves.
Enfin, débordés par tant de cimeterres et de haine, les
survivants de la patrouille d’Haran succombèrent,
déchiquetés par vingt lames contre une. Un puissant
Druide parvint à sauter, dans un formidable bond de sa
licorne, hors de la mêlée. En un instant, il avait réussi à
s’éloigner de l’enfer et à courir vers la Combe Orientale,
malgré ses blessures cruelles. Le Roi Haran, le Seigneur
Orloros et les Princes de Nabachton, devaient être
avertis qu’une horde, aux ordres maudits de Gaurtlung,
marchait vers les deux derniers puits de magie, encore
sauvages.
Le serment de Salermnos : 175
Le serment de Salermnos
- XI -
Gémildan et son épouse, chevauchait comme une
tempête depuis les portes de Nabachton. Ils avaient
traversé en quelques semaines le septentrion de
Formalow, d’Ouest en Est.
Ils étaient suivis d’une puissante armée de
cavaliers qui gardaient à grand peine, le contact avec
leurs souverains. Les branches basses des arbres de la
Toundra fouettaient les visages des Silériens, des
Grands Sylvains et des Ingénieurs, qui cette fois,
montaient aussi au combat malgré leur physique assez
léger. La bataille devait se faire avant que les Korrigans
de Gaurtlung ne puissent toucher le puits de l’Extrême-
Orient. Mais l’espoir était mince.
En effet, les monstres démoniaques avaient profité
d’une avance considérable sur leurs adversaires. Quand
Sylvania et ses sœurs avaient été averties que des
soldats infernaux progressaient vers le Nord du
Continent, les rapides esclaves de Thanator étaient déjà
parvenus à quelques jours de la source de bienfaisance.
Haran accourait avec deux légions des Combes
Méridionales. De nouveaux Druides les accompagnaient
avec leur plus grand conseiller, Mélinos de Myrion. De
Nabachton, deux cents milles guerriers étaient sortis et
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Le serment de Salermnos
filaient vers les sources encore inaccessibles. Cette fois,
leur Reine et leur Prince comptaient déployer tout leur
savoir magique pour briser le verrou mystérieux qui
fermait les puits de l’Orient aux Nabatéens.
La longue ligne de leur armée, chargeant avec
fureur dans le vent de la plaine, formaient un front
fantastique et interminable dans l’immense paysage.
Vue de loin, elle semblait compacte et le bruit effarant
de sa course lui paraissait étranger, tant il sonnait fort à
une grande distance.
Un soir, Gémildan reconnu les abords de la
principale source de magie de L’Est, il venait souvent
patrouiller dans cette région depuis des années. Il décida
avec sa femme de laisser les chevaux et ses hommes se
reposer dans l’ombre d’une petite forêt. Les deux
seigneurs de Nabachton craignaient que toute la
fraîcheur et toute la vaillance de leur armée soit
indispensable au cours de la journée qui suivrait. Ils ne
se trompaient pas beaucoup. Un seul constat semblait
rassurant aux conseillers des souverains. C’est que dans
la direction où Gémildan situait le puits, un calme
absolue régnait. Cela signifiait certainement que les
Korrigans n’avaient pas encore atteint leur but.
Les étoiles se mirent à briller dans le ciel
septentrional de Formalow. C’était le début de l’hiver et
pourtant, la neige et le froid tardaient. La nuit en
tombant faisait chuter la température vers des valeurs
très basses. Cependant, le gel ne prenait pas encore les
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Le serment de Salermnos
réserves d’eau et heureusement, les abris de l’armée de
Nabachton étaient chaleureux. La situation était clame
et les sentinelles, attentives ne notaient aucun
changement à l’Est du camp.
Pourtant, au milieu de la nuit, pendant que les
vaillants compagnons de Gémildan et de la Reine
Sylvania dormaient profondément, un terrifiant
grondement se produisit. Des lumières éclatantes,
remplacées vivement par un nuage noirâtre autant que
lumineux à la fois, s’élevèrent bientôt sur l’horizon.
L’installation des forces du bien fut bouleversée par des
vents terribles et des ébranlements furieux du sol.
Quand les soldats de Nabachton parvinrent à se
regrouper puis à préparer une contre-attaque, il était
déjà bien trop tard.
La mer orientale avait disparu. Sur les lieux où
jadis, s’étendait son littoral caressé par des flots calmes,
même au cœur de l’hiver, la brume sinistre envahissait
une plaine mystérieuse qu’aucun vivant, dans les siècles
qui suivraient, ne parviendrait à visiter. Les plus
vaillants, chevaliers, quand ils tenteraient d’y pénétrer,
même dans la partie méridionale du Continent Civilisé
de Formalow, se sentiraient affaiblis puis,
chancelleraient comme des vieillards, épuisés par une
bien trop longue vie de labeur.
Vue depuis le cosmos, toute la bordure orientale de
cette région semblait fracturée par une fissure de
lumière noire. A l’Est de ce cañon vaporeux, l’Océan
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Le serment de Salermnos
extérieur apparaissait. A l’Ouest, c’était les terres
habitées du Monde qui donnaient l’impression de fuir
l’ouverture maudite.
Gaurtlung ainsi que son épouvantable lieutenant, le
sinistre Maître des Ankous, étaient parvenus jusqu’au
plus oriental des puits magiques sauvages, sous une
forme immatérielle. Ce fut la dernière fois d’ailleurs que
ces deux esprits maudits parvinrent à quitter leur
enveloppe charnelle, bien que la possession de la source
leur conféra une redoutable puissance. Sur la place, les
deux monstres dénués d’âme combinèrent leurs terribles
volontés malfaisantes. Leurs plus efficaces sorcelleries
avaient focalisé puis détourné le flux bénéfique du
puits. Une porte vers le Néant, vers les méandres de
l’esprit hideux qui commandait aux ténèbres, qui les
souhaitait aussi, mais surtout, qui les peuplait de
cauchemars, s’était ouverte.
Dans la trame de la pensée du maître du Cosmos,
une infime déchirure, immense à l’échelle d’une
planète, s’était produite. Elle mettait en contact
l’Univers de la vie, de la chaleur, de la bonté, avec celui
des non vivants, de la haine, de la fin.
Les Nabatéens, eurent la présence d’esprit de
pleurer sur l’événement mais de ne pas se précipiter
vers cette effroyable blessure de la Terre avec l’illusion
de la soigner. Ils y auraient sombrés dans la nuit
éternelle, sans espoir de retour. Leur bon sens les sauva.
Les Seigneurs du Royaume de l’Ouest prirent, devant
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Le serment de Salermnos
un tel phénomène, la décision de rentrer sur leur Terre
afin d’y renforcer les puits magiques protégés par les
forces du bien. Ils décidèrent aussi d’établir un conseil
des sages afin d’organiser les pays et les peuples libres
face à cette nouvelle menace inconnue et
particulièrement colossale.
Le serment de Salermnos : 180
Le serment de Salermnos
- XII -
Mélinos le grand Druide à la sagesse insondable,
regarda vers les nuées de l’Est. Avec deux de ses
camarades, il avait franchi la barrière psychique que
Gaurtlung avait bâtie, par ses nouveaux pouvoirs.
Le monstre se croyait invincible. Il pensait,
pendant ses crises d’orgueil maladif, pouvoir balayer
d’un revers de la main tous les autres acteurs du Monde.
Mais, bien qu’il ait acquis par un coup de maître ainsi
qu’une ruse vicieuse, digne des ténèbres auxquels il
s’était voué, une des principales fontaines de pouvoir du
Monde septentrional, les Druides étaient ses pires
ennemis. Ces derniers avaient été envoyés par le
penseur éternel lui-même. En apportant aux créatures
pensantes de Formalow, de pareils alliés, le Seigneur du
Cosmos avait changé l’Histoire de cet Univers.
L’horreur des desseins du Seigneur du Mal de
Formalow ébranla la force morale des druides. Les
créatures qui avaient été les Elfes déchus et l’esprit
jardinier, vaincu par Thanator, maîtrisaient à fond les
restes de leur pouvoir. Leurs efforts, combinés avec la
puissance de Gaurtlung avaient éveillé l’antagoniste du
Penseur Eternel, mesquin spirituellement mais colossal
en noirceur morale. Dans un univers aux règles
Le serment de Salermnos : 181
Le serment de Salermnos
magiques fondatrices inviolées, cet esprit d’énergie
maléfique pure n’entrait jamais en rapport avec les
créatures déployées dans les limbes du Cosmos par le
Seigneur Absolu. Les enfers immatériels et intemporels
du néant, jalousaient fortement la vie et son
foisonnement lors des Cycles. Jamais, cependant, ils
n’apparaissaient aux êtres animés d’une façon ou d’une
autre. Parfois, leur influence, seulement elle, faisait
infléchir les décisions ou bien modifiait les actes des
enfants du Créateur. Aucun autre pont entre les deux
états des Cycles n’existait. Mais ici, avec la dégradation
d’un puits de magie, les vils monstres, adorateurs de la
nuit, avaient permis au Dieu de l’Ombre et du Mal,
l’ignoble Sarquonikos, de jeter, comme un sort
dévastateur, son regard avec sa volonté abominable, sur
une toute petite région de la création.
Ce terrible péché avait ébranlé les principes
énoncés au début du Cycle par le Penseur Eternel. Si
Thanator, en se laissant aller à une haine sans
fondement, était devenu le Seigneur des ténèbres du
Monde de Formalow, Sarquonikos était le Démiurge
absolu des forces contre-créatrices et malfaisantes
régnant entre les Cycles de L’Univers, pendant les
phases de sommeil du Penseur Eternel. Il ne possédait
pas le pouvoir de bâtir. Il ne savait que vider la
substance même de la vie diffusée dans les cortex des
mondes. Il haïssait cette richesse et ce pouvoir créateur,
lui-même stagnant dans une existence sans autre but que
Le serment de Salermnos : 182
Le serment de Salermnos
celui de nuire à la lumière et au bonheur de générer la
bienfaisance. Jamais il n’aurait osé s’attaquer de front
au Créateur. Cependant, il essayait continuellement de
saborder, par des actes lâches et intolérablement
mesquins, l’œuvre de ce dernier.
Or, par leur impéritie, malgré l’insignifiance des
pouvoirs, même réunis, du Roi des Ankous, des Elfes
Déchus et de Gaurtlung, en regard de l’immense savoir,
de la grandeur insondable du Seigneur du Cosmos, les
adorateurs du Néant venaient maladroitement d’ouvrir à
Sarquonikos, les portes de la manifestation matérielle
des pensées créatrices.
Le Créateur, ne pouvait pas laisser se produire un
tel désordre sans intervenir. Car, dans la situation qui se
dessinait à l’Est du Monde, au bord de la Déchirure
dimensionnelle de Formalow, le libre arbitre n’avait
plus lieu d’être. Les créatures les plus loyales avec leurs
âmes, tout comme les pires abominations et la fange de
leur cupidité avide, à jamais inassouvie, sombreraient
dans les limbes de la nuit sans existence. L’équilibre du
Cycle ainsi rompu, le Penseur Eternel ne pourrait
reprendre le contrôle du Cosmos qu’en anéantissant sa
création, afin de recommencer une nouvelle Histoire.
Non ! Cette fois, il allait contrecarrer l’ennemi de la vie
en augmentant immensément les pouvoirs de ses
créatures les plus vaillantes et loyales. Les cruelles
règles de la magie feraient se consumer les plus
puissantes très rapidement, par l’usage d’un si grand
Le serment de Salermnos : 183
Le serment de Salermnos
don, mais, ces dernières seraient en mesure de contenir
les forces des ténèbres jusqu’à la découverte des
moyens qui les renverseraient définitivement.
Le Penseur fit fondre une fois de plus son immense
volonté sur L’Occident de Formalow. Dans le repaire du
mal, sur le Continent Civilisé, jusque dans le refuge du
Dieu du Néant, la peur ébranla les âmes maudites.
Le serment de Salermnos : 184
Le serment de Salermnos
- XIII -
L’Elfe Sylvain courait de toutes ses forces dans les
sous-bois des marches de l’Est.
Son armure était éventrée, parfois même
déchiquetée par la violence des coups qu’il avait
endurés. Il fuyait en hurlant de terreur comme un enfant.
Il se prenait parfois les pieds dans les racines et
s’écrasait lourdement sur le sol, dans la boue et les
feuilles mortes.
Le malheureux n’était pas complètement paniqué.
Au fond de son cœur, il éprouvait une rage douloureuse
d’être incapable de se retourner et d’écraser son ennemi.
Mais voilà, il n’avait pu rien faire quand il avait été
opposé à cette nouvelle Horreur des forces de l’ombre.
Il ne lui restait qu’un acte héroïque possible, c’était
celui de s’enfuir pour rester en vie afin d’avertir les
Nabatéens de la menace supplémentaire qui pesait sur
eux.
Derrière lui, une onde destructrice progressait sur
ses traces. Les arbres tombaient, la poussière se
soulevait, tandis que des grognements gutturaux
ébranlaient le calme de la Taïga. Dans la fureur de la
fuite, l’éclaireur ne souhaitait plus se retourner vers la
gigantesque puissance maléfique qui venait de le
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Le serment de Salermnos
défaire. Il ne désirait plus la regarder pour ne pas perdre
le courage qui lui restait encore. Malgré sa terreur, il
avait évité de se diriger vers la petite garnison dont il
était issu. Il savait bien que la troupe réduite de
patrouilleurs des bois à laquelle il appartenait, se ferait
massacrer si elle s’opposait seule à l’ignominie qui le
chassait avec intransigeance. Aussi, il avait décidé de
rejoindre le corps d’armée, commandé par Mélinos, qui
se tenait plus au sud, dans un camp fortifié.
Les Elfes et les Silériens, sous les ordres du
Druide, protégés par les hauts remparts de leur
forteresse, pourrait faire face à l’attaque du nouveau
démon, allié de Gaurtlung.
En courant et en se faufilant dans les sentiers les
plus encaissés et les plus étroits, bordés de solides
arbres dont l’abattage ralentissait considérablement son
poursuivant, l’Elfe gagnait du terrain sur son ennemi. Il
appartenait à l’espèce forestière de ce peuple et sa
robustesse ainsi que son endurance n’avaient
pratiquement aucune limite dans les épreuves de la vie
sylvestre.
Enfin, le fuyard aperçut le camp de Mélinos dans
l’échancrure qu’un chemin dessinait à l’orée de la forêt.
Les hauts murs de pierre, les tours blanches, les
étendards de Nabachton et de Myrion le réconfortèrent.
Il n’était pas loin du bout de ses forces. Pourtant, si
déjà, il arrivait vivant à la porte de ses amis et qu’il
parvenait à les alerter de l’horreur qui le chassait, il
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Le serment de Salermnos
aurait accompli son devoir de Soldat du grand Royaume
de Nabachton. Dans un dernier effort, il se rua vers
l’entrée du camp, criant à ses camarades, depuis la route
d’accès :
- A la guerre messieurs ! Aux armes compagnons !
Un démon de Gaurtlung me chasse avec fureur. Il est
immense ! Déployés vos balistes !
Les Elfes forestiers n’avaient pas l’habitude de
reculer devant l’ennemi, à moins de n’avoir vraiment
aucune chance contre lui et que leur mort mette en
danger leur peuple et leurs princes. Si l’un d’eux fuyait
comme le faisait cet éclaireur, c’est qu’il avait
d’excellentes raisons. Mélinos et l’armée qu’il
commandait s’organisèrent aussitôt derrière leurs murs
puis ouvrirent la poterne de leur fort pour y laisser
rentrer leur camarade dans le besoin. L’Elfe s’écroula
dans les bras du capitaine de la garde.
Il reprenait son souffle avec peine, lorsque le
nouveau fléau lancé par le Maudit contre les peuples
libres, apparut. Ses multiples têtes dominaient les arbres
de la lisière forestière. Dans la forteresse, ce ne fut
qu’un cri de surprise et d’effroi en même temps. La plus
grande créature jamais vue à Formalow, venait de
prendre vie. Malheureusement, elle s’était vouée aux
ténèbres et au Néant.
Mélinos devina tout de suite la nature de leur
agresseur. Il sut, avant même la première phase du
combat, qu’il pouvait espérer le repousser. Mais il
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Le serment de Salermnos
comprit également qu’il ne parviendrait pas à le détruire
sans l’aide de la magie la plus puissante. Dans l’instant,
il n’avait pas le temps de mettre en œuvre un sortilège
assez complexe et violent pour réussir sans exposer la
garnison. Il hurla des ordres pour que les catapultes et
les archers se déploient à l’abri des murailles, ainsi que
des avancées renforcées de rempart. Il prévint que
personne ne devait s’aviser de soutenir les regards du
monstre sous peine de devenir l’esclave de sa volonté à
jamais. Il lança enfin d’une voix tonnante, sans doute
pour galvaniser ses compagnons :
- Tirer vos flèches et vos boulets de roche, il faut
repousser cette ignominie. C’est un Léviathan ! Il est
encore jeune, peu expérimenté également ! Nous
pouvons le refouler mais soyons vifs et impitoyables.
A peine avait-il dit ses mots, qu’une nuée de
carreaux, lancée par l’archerie du fort s’éleva et cingla
les longs cous au bout desquels s’agitaient les têtes
détestables du démon de Gaurtlung. Les projectiles de
pierre quittèrent les nacelles des balistes et suivirent les
traits fulgurants des Elfes. Une demi-centaine de
lourdes sphères granitiques traversèrent, en sifflant, les
airs jusqu’au Léviathan. Ce dernier fut violemment
frappé et si les flèches ne lui firent pas plus d’effet que
des piqûres de moustiques, les boulets de roche
ployèrent les longs cous du monstre en les atteignant.
La bête montra un court instant de dépit, puis,
fouetté par la haine que lui inspirait cette résistance
Le serment de Salermnos : 188
Le serment de Salermnos
dérisoire, elle déploya des ailes vastes comme la grande
place d’une cité nabatéenne sous lesquelles, la terre, les
arbres et les êtres vivants sombraient dans une nuit
cauchemardesque et nauséeuse. Elle saisit dans ses deux
paires de pattes griffues d’énormes blocs de granit
arrachés au talus près duquel elle se tenait, puis, ce
monstre prit les airs en déclenchant un ouragan autour
de lui.
Aussitôt, les archers nabatéens lancèrent de
farouches salves de flèches vers le ciel. L’acier solide et
tranchant, issu des forges de Nabachton, frappait bien et
s’enfonçait cruellement dans les chairs putrides du
Léviathan. Pourtant, ce dernier, ne sourcillait même pas.
Des rochers lancés par les catapultes le heurtèrent en
pleine ascension, mais, pendant qu’ils montaient vers le
sommet de la parabole qu’ils décrivaient, une fois
envoyés, les projectiles de ces armes perdaient de la
vitesse. Aussi, leurs impacts en étaient diminués.
L’hydre de Gaurtlung encaissa les lourdes sphères de
granit sans même se détourner de sa trajectoire.
Il s’éleva, propulsé par ses vastes ailes, toujours
plus haut, jusqu’à une hauteur vertigineuse, bien au-delà
du sommet des plus hautes montagnes du Continent
Civilisé de Formalow. Les Elfes aux regards les plus
acérés, le perdirent un instant de vue. Les Silériens de la
forteresse, les Sylvains et les Druides scrutèrent avec
effroi le zénith d’un bleu lumineux afin d’y repérer leur
agresseur. Rien ne donnait signe de vie là-haut. La
Le serment de Salermnos : 189
Le serment de Salermnos
créature maudite avait-elle disparu ? Comme elle avait
été créée par un grand esprit du Monde, déchu, elle ne
possédait peut-être pas le pouvoir de perdurer. Même
Mélinos le sage se posait sérieusement la question
devant l’évanouissement du Démon.
Il se trompait malheureusement en imaginant un
instant que le Léviathan était retourné au néant. En
réalité, il avait atteint les limites de l’air qui entourait
l’astre de Formalow. Puis, il s’était allongé telle une
longue aiguille en pointant ses mufles terrorisants vers
le sol, repliant ses ailes pour ne pas ralentir sa descente.
Dans la forteresse, la peur commença à s’insinuer
dans tous les cœurs, y compris les plus vaillants, quand,
du haut des cieux, un grondement aigu se fit entendre.
Un point noir surgit de la voûte céleste, et se mit à
grossir à une allure hallucinante. Le Léviathan revenait
et attaquait dans un piqué terrifiant. Il allait si vite
qu’autour de son corps, l’air chauffait et dégageait de la
vapeur. Sa peau se tendait vers l’arrière sous la pression
du vent, donnant un aspect encore plus répugnant aux
traits brutaux de cette bête onirique. A moins qu’un
quart de lieue au-dessus du camp des nabatéens, l’hydre
lança les formidables rochers qu’elle tenait dans ses
serres immondes. Ces projectiles accélérés brutalement,
s’enflammèrent tout en tombant vers les remparts
abritant les forces des nations libres. Deux grandes tours
et de vastes portions de remparts explosèrent sous
l’impact catastrophique, en dégageant des gerbes de
Le serment de Salermnos : 190
Le serment de Salermnos
flammes et d’étincelles chatoyantes. Le monstre alors,
déploya ses ailes mortelles et redressa sa trajectoire
juste avant le point ultime au-delà duquel, il n’aurait
jamais pu éviter de s’écraser au sol. Le choc thermique
et mécanique provoqué par le changement de direction
acrobatique, imprimé à cette masse titanesque qu’une
vitesse incalculable animait, plaqua sur le sol du camp,
les soldats encore valides à la suite du bombardement.
Mélinos se sentait abattu. Les armes de ses alliés
n’avaient pas d’effet sur cette créature infernale. Lui-
même ne maîtrisait pas de sortilège suffisant pour parer
à une telle attaque. Il aurait pu en créer un, mais, dans le
feu de l’action, il était impuissant. Des incendies
s’allumèrent. La chute des pierres enflammées par leur
vitesse et l’énergie de leur impacte avaient éparpillé des
étincelles brûlantes partout dans la forteresse. La
plupart des hommes qui n’étaient pas morts, bien que
trop blessés pour combattre l’ennemi, luttaient contre le
feu. Ceux qui étaient encore indemnes, ils étaient rares,
avaient été dispersés par le souffle au passage du
monstre.
Pourtant, les Nabatéens valides se regroupaient
déjà autour des balistes. Ils s’alignaient avec fermeté à
leur poste de tir, une flèche encochée sur les cordes de
leurs arcs. Leur courage n’avait pas faibli malgré les
pertes qu’ils venaient de subir. Nombre d’entre eux
gisaient, abattus dans les décombres.
Le serment de Salermnos : 191
Le serment de Salermnos
La chance ou l’intervention du Maître du Cosmos,
leur sourit alors. Le Léviathan, emporté par son élan
colossal s’apprêta à faire demi-tour et à ramasser, en
volant, deux nouveaux blocs de granit afin de
bombarder une fois encore la place forte de ses
adversaires. Mais, il était bien inexpérimenté et
manquait d’entraînement. Sa venue au monde était
récente. La précision d’une telle manœuvre en vol
nécessitait beaucoup d’essais accomplis dans le calme,
avant d’être réussie par les créatures des airs les plus
agiles. Il allait attraper deux roches dépassant d’une
crête, en frôlant cette dernière lorsque, surpris par la
résistance au déracinement qu’opposait un des blocs,
l’hydre fut déséquilibrée et s’écrasa avec fracas, au
milieu des arbres de la toundra, qui s’étendait au pied de
la falaise.
Des milliers de troncs déchiquetés ainsi qu’une
colossale nuée de poussières noirâtres, s’élevèrent dans
une déflagration de foudre pendant que le corps du
monstre roulait sur le sol. Mélinos eut une inspiration
géniale en assistant à la chute du démon. Il lui sembla
que ses pouvoirs magiques et sa puissance d’analyse
venaient d’être décuplés miraculeusement. L’échec
flagrant du Léviathan, stimulait-il l’esprit insondable du
Druide ? Il commanda à ses soldats d’envoyer une
nouvelle salve de roches. Le Sage n’ignorait pas que le
démon de Gaurtlung, malgré les blessures qu’il venait
de s’infliger avec maladresse, n’était pas encore inapte à
Le serment de Salermnos : 192
Le serment de Salermnos
reprendre le combat. Or, comme surgit du plus profond
de lui-même, le grand gardien du savoir venait d’avoir
une idée et de sentir affluer dans son âme, les fluides
magiques nécessaires à la réalisation de cette dernière.
Les balistes tanguèrent et craquèrent tandis que
leurs nacelles projetaient des pierres colossales vers le
Léviathan. Mélinos ferma les yeux, puis, se concentrant
sur les boulets qui sifflaient dans les nuages, il eut
l’impression d’être monté sur un d’eux, puis, de
l’accompagner pendant son impressionnant trajet. Tout
à coup, il put diriger, par sa pensée les projectiles dont
le mouvement, dans sa vision était considérablement
ralenti. Il se concentra et les ajusta dans la direction des
têtes de l’animal maudit. Puis, dans un effort désespéré,
il les accéléra avec une telle violence qu’elles rougirent
sous le flot d’énergie qui leur était apporté par la
volonté du Druide.
Pour les observateurs de l’événement, tout s’était
passé à une allure effrayante, ils n’avaient même pas
perçu le changement de course et la brutale variation
d’allure des pierres. Dans les pensées de Mélinos,
l’action avait été soigneusement décomposée et
préparée. Aussi quand le monstre fut atteint, une partie
d’un de ses crânes éclata sous l’impacte foudroyant
tandis que ses cous, ses mâchoires et ses joues,
craquaient, percutés par des blocs de laves enflammés
volant au-delà de la vitesse perceptible par les regards
les plus perçants.
Le serment de Salermnos : 193
Le serment de Salermnos
Le Léviathan ne fut pas tué, mais, il s’enfuit
aussitôt en se traînant péniblement dans la cicatrice dont
il avait gratifié la toundra, tandis qu’il poursuivait
l’éclaireur de sa colère. Une de ses têtes pendait sur le
sol, inerte et flasque. Il venait d’être vaincu, mais il
laissait un champ de ruine derrière lui. La forteresse
était sérieusement démolie. Un nombre de morts
impressionnant avait été enterré sous les décombres. En
un seul bombardement, le monstre avait assassiné la
moitié du corps d’armée, commandé par Mélinos…
Le serment de Salermnos : 194
Le serment de Salermnos
- XIV -
Sur les plaines mortes de l’Est, au-delà de la
frontière des terres maudites, surgies d’une autre
dimension, par l’effet des pouvoirs infernaux de
Gaurtlung et du Seigneur des Ankous, les vastes armées
de la Forteresse des Monts du Bout du Monde
traversaient le Continent en direction du Nord.
Semant la terreur, même dans les limbes de la faille
ouverte par leurs maîtres, les Korrigans, les Elfes
déchus et les rejetons des premiers couples de
Léviathans, enfin animés par la magie noire des
puissances ténébreuses, gagnaient le nouveau Royaume
de Thanator. Ce dernier avait établi sa puissance
reconstituée et même multipliée, autour des flux de
sorcellerie néfaste qui jaillissait du puits corrompu de
l’Extrême-Orient. De sinistres allées couvertes, bien
différentes des pimpantes installations mégalithiques,
réalisées par Sylvania et Gémildan près des sources
d’énergie intactes, canalisaient désormais ce fleuve de
malheur, destiné à abreuver le mal.
Dans la tour monumentale, dont l’architecture
oppressante se dressait comme un signe apocalyptique,
à la frontière de l’Ombre et de la Lumière, Gaurtlung
Le serment de Salermnos : 195
Le serment de Salermnos
trônait, exerçant avec cruauté, ses pouvoirs sur les
forces malfaisantes.
Il avait réussi pleinement la première étape de son
ascension vers la domination totale de l’Univers. Dans
sa folie, il voulait renverser Sarquonikos et ensuite, le
Penseur Eternel. Le despote absolu qu’il était au fond de
son cœur voulait régner sans partage sur l’ensemble des
Cycles du Monde. Bien sûr, si le Seigneur du Néant,
malgré sa force universelle omnipotente, pouvait encore
être neutralisé à cause de sa mesquinerie pathologique,
en étant opposé à une volonté énergique autant que
résolue, il était prétentieux, voir inconscient, de
prétendre atteindre le maître du Cosmos, même en
détenant les gigantesques pouvoirs qui restaient à
Gaurtlung, amplifiés par la source magique de
l’Extrême-Orient. Mais la cupidité et la mégalomanie,
frappaient les âmes les plus fortes des Cycles de
l’Univers.
Thanator avait été la cible des faiblesses qui
martyrisaient le cœur de toutes les créatures vivantes
dotées du libre arbitre. Son orgueil avait atteint des
sommets hallucinants, mais il n’était qu’un jouet dans le
vaste ballet des Cycles et du Temps. Sarquonikos, lui-
même n’échappait au Penseur Eternel qu’en existant
dans un vide mortel qui l’isolait en le protégeant, mais
aussi, en le délestant de toute essence existentielle.
Ce Dieu du mal n’était pas. Il ne créait pas. Il
inspirait et aspirait seulement l’absence de vie, de
Le serment de Salermnos : 196
Le serment de Salermnos
chaleur et de joie. C’était là son ultime souci et son but
final. Voilà quelques Cycles que ce monstre parvenait à
conserver un semblant de néant et de ténèbres entre les
périodes qui rythmaient le cosmos, comme des
battements de cœur.
Le Penseur le laissait faire car, il connaissait bien
les règles incontournables des Univers. Pour bâtir un
Monde durable, il fallait que ses habitants soient aptes à
rejeter Sarquonikos. Il était impératif donc, qu’ils
l’affrontent avant d’atteindre la paix dans leur Cycle.
Pour l’univers de Formalow, le Dieu de la non-vie et du
néant ne pouvant agir directement, il avait corrompu
Gaurtlung. Ce dernier avait des dispositions naturelles
pour devenir un représentant du mal, puis, Sarquonikos
avait inspiré à l’esprit jardinier déchu
l’accomplissement de son destin maudit.
Or, le Continent Civilisé de Formalow était
désormais divisé en deux régions distinctes. Un
royaume noir, pollué, corrompu et sinistre dont les
armées grandissaient inexorablement, regardait avec un
éclair carnassier dans leur âme maudite, les terres libres,
merveilleusement agencées par les créatures pures.
Les hauteurs des Monts du Bout du Monde étaient
enfin dépêtrées de l’emprise des ténèbres et du néant.
Pourtant, si Haran avait envahi l’ancien repère de
Gaurtlung et l’avait anéanti pierre par pierre, comblant
les galeries de ses racines en précipitant les immenses
murailles de la tour sombre dans les cavernes creusées
Le serment de Salermnos : 197
Le serment de Salermnos
par les Korrigans au fond de la montagne, les hordes
maléfiques tenaient le Nord de Formalow sous leur
influence néfaste.
Dans les régions septentrionales du Continent
Civilisé, seuls le royaume de Nabachton et les puits
protégés de magie restaient des lieux sûrs, à l’abri des
phalanges de Gaurtlung et de son lieutenant, le Seigneur
des Ankous. De plus, le Roi Maléfique détenait un atout
supplémentaire qu’il avait acquis en capturant le puits
sauvage de l’Extrême-Orient. Il avait ajouté à ses forces
maudites une escadre de Léviathans titanesques et
quasiment invulnérables, malgré leur inexpérience.
Celle-ci d’ailleurs retardait le déploiement des hydres
sur les champs de batailles. Mais certainement,
Thanator possédait un moyen de remédier à la
maladresse des dragons encore jeunes.
Les sages et les seigneurs des Nations Libres,
malgré l’augmentation de leurs pouvoirs qu’ils avaient
constatée récemment, s’inquiétaient avec désespoir des
bonnes cartes qui tombaient injustement dans le jeu de
Gaurtlung, depuis quelque temps.
Parfois, Haran et ses alliés regrettaient de ne pas
avoir déployé de terribles sortilèges de magie noire, au
risque de rompre l’équilibre du Monde, pour faire cesser
définitivement les agissements de l’ennemi. Mais voilà !
Les Druides estimaient, et leur savoir n’avait pas de
limite, que même un si noble dessein ne méritait pas de
risquer la destruction de la Création. Ils se félicitaient
Le serment de Salermnos : 198
Le serment de Salermnos
que les grands de Formalow aient renoncé à cette
solution ultime. Le besoin d’une aide se faisait sentir et
le cœur des défenseurs du bien, de la vie mais aussi des
principes légués par le Penseur Eternel, à travers ses
Esprits Jardiniers bienveillants, restait ferme et
inflexible, résistant sans peine à la tentation du Mal.
Une fois de plus, comme avec l’envoi inespéré des
Druides, de nouveaux alliés allaient se ranger aux côtés
des Elfes et des Silériens en détresse, dans un Univers
assiégé par autant de maléfices.
Le serment de Salermnos : 199
Le serment de Salermnos
- XV -
Au large du Golfe de Salermnos, les étés venus, la
brise soufflait doucement amenant, avec les vents
d’ouest, la fragrance de l’Océan.
La mer moutonnait paisiblement sous les petites
rafales qui gonflaient les voiles des navires côtiers.
Quand la chaleur des beaux jours endormait le littoral
des royaumes libres, les Elfes cabotaient sur toute la
côte occidentale du Continent Civilisé, depuis les ports
de Nabachton jusqu’aux criques marines des premiers
contreforts des Monts méridionaux. Cet après midi-là, le
Roi Haran, Gémildan et Sylvania voyageaient, pour se
détendre, dans le Grand Golfe. Ils sentaient
continuellement peser sur leurs peuples et leurs terres,
la menace des hordes de Gaurtlung et de ses créatures
maudites, aussi, même dans leurs loisirs et bien que leur
puissance magique maintienne les forces ténébreuses
loin des frontières de leurs nations, ils cherchaient
toujours, en scrutant les rives du Bassin, des
emplacements plus judicieux pour y bâtir des places
fortes plus sures.
L’enclave de Salermnos était une région de terre et
de mer propice à la construction de châteaux-cités
imprenables et capables de défier une escadre de
Le serment de Salermnos : 200
Le serment de Salermnos
Léviathans. Les hauts promontoires de la côte, faits
d’une formidable assise de roche, avaient autorisé
l’élévation de remparts granitiques colossaux,
quasiment indestructibles, même sous le bombardement
des plus titanesques démons volants. De merveilleuses
villes abritées par ces murs cyclopéens et de puissantes
batteries de balistes encadraient les rives sauvages du
Golfe.
Sans prendre le risque de détruire l’harmonie de
cette contrée exceptionnelle, les Elfes, les Silériens et
les Druides y aménageaient les derniers bastions des
peuples libres, comme ils renforçaient la protection
surnaturelle de Nabachton.
Mais Haran avait pris de l’âge. Toujours digne et
sage, les milliers d’années qu’il avait traversées depuis
le début de l’âge d’or, sa fin ainsi que le commencement
du mal dans le Monde de Formalow, pesaient
lourdement sur ses solides épaules. Bien sûr, ces
dernières s’affaissaient sensiblement. Il y avait aussi le
feu dévorant de ses pouvoirs amplifiés qui lui
permettaient de contenir la volonté et les esclaves de
Gaurtlung, mais qui rongeaient intérieurement sa
vigueur fantastique.
Sylvania la plus belle enfant des Sylvains et son
formidable époux, le courageux, puissant et débonnaire
Gémildan, subissaient également l’usure provoquée par
la fulgurance de leur magie décuplée. Parmi les Grands
des Âges écoulés, seuls les Princesses Céliasalphe,
Le serment de Salermnos : 201
Le serment de Salermnos
Floralosie mais aussi, le Seigneur Mohodir ne
paraissaient pas subir le revers de la médaille du don
accordé par le Penseur Eternel. Mais, ils ne déployaient
pas en permanence leurs capacités ésotériques comme le
faisaient les trois premiers de tous ces Seigneurs.
Manohéva, la fille des Maîtres de Nabachton, elle,
défendait de toutes ses forces considérables les
frontières du Royaume dont elle était la digne héritière.
Elle aussi exploitait la puissance magique que lui avait
dédiée le Penseur Eternel dans le cadre de son pays. Ses
parents avaient ainsi l’esprit plus libre pour englober
l’ensemble des nations libres sous le vaste bouclier de
sortilèges qu’ils entretenaient à l’Ouest du Continent
Civilisé. La jeune Reine de Nabachton possédait
heureusement toutes les qualités des deux espèces
pensantes qui l’avaient engendrée, sans en avoir reçu les
défauts. Elle supportait merveilleusement la fatigue des
pouvoirs qui lui étaient échus.
Orloros, le grand Seigneur de Silérie avait déjà
rejoint ses ancêtres, Un énergique neveu de Gémildan,
Arcébos le fort, gérait avec bonté et justice les affaires
de « l’Océan d’Herbe Fleurie ». Et s’il connaissait des
rudiments de magie, il défendait son peuple et ses terres
avec son courage et les lames acérées des forges
silériennes. De plus, l’amour et la confiance qu’il
inspirait à ses administrés, l’autorisaient à lever, en
quelques heures, une grande armée de paysans-
Le serment de Salermnos : 202
Le serment de Salermnos
forgerons décidés et résistants comme la pierre des
montagnes de leur pays.
Arcébos ne subissait donc pas le vieillissement
prématuré frappant les Anciens Seigneurs de Formalow
et que chacun savait la contrepartie des immenses
pouvoirs qui leur étaient accordés depuis le retour de
Gaurtlung. Mais, le Grand de Silérie s’inquiétait de
l’affaiblissement physique des Sages de jadis. Il se
voyait mal combattre les hordes du Maudit sans l’appui
de Sylvania, de son Oncle et du grand Druide Mélinos.
Ce dernier semblait âgé pour un jeune Silérien qui
ne l’avait jamais vu au combat. Mais, la puissance
psychique du Chef Spirituel des Gardiens du Savoir, en
vérité, ne le rongeait pas. Les autres Sages de son Ordre
étaient bien plus durement marqués par l’énergie
occulte qui grondait au fond de leur âme. Leurs corps
résistaient bien au feu de leurs esprits, mais leur cœur
perdait de l’enthousiasme avec le temps. L’épuisement
de la fulgurance des sorts déployés par les Druides,
rongeait leur vaillance sans nuire à leur courage.
Mélinos demeurait le même malgré le temps et les
affrontements avec le mal qui passaient comme une
tempête autour de lui. Ceux qui le côtoyaient tous les
jours, devinaient, au contraire que la puissance et la
majesté du vieux bonhomme jovial, mais aussi terrifiant
à la fois, grandissait d’heure en heure. Il était d’une
autre trempe que toutes les autres créatures pensantes de
Le serment de Salermnos : 203
Le serment de Salermnos
Formalow. Sa nature était quasiment divine et dénuée
de tout mal en dépit de sa grandeur.
En songeant à tous ces évènements de l’Histoire du
Monde, Haran admirait la tour de guet de l’Arcouest.
Leur bateau s’était engagé dans le canal d’accès au
Golfe de Salermnos et il allait bientôt s’aventurer sur
l’Océan Extérieur. La lumière de la journée était
éclatante. Cependant, elle n’éblouissait pas et permettait
de distinguer, pour les yeux aiguisés d’un Elfe ou d’un
paysan-forgeron, les détails les plus éloignés sur
l’horizon.
C’est ainsi que, pour la première fois, les Humains
furent aperçus par les peuples du Continent Civilisé. Ils
venaient des contrées sauvages, sur l’autre rive de
l’Océan Extérieur. Ils étaient nés là-bas, mais,
inexplicablement attirés par la mer, malgré la richesse
des pays vierges qui environnaient leur premier
campement, ils avaient construit avec talent d’immenses
navires, puis, ils avaient tous fait voile plein Est.
Leurs bateaux étaient plus vastes et plus adaptés
aux longues courses sur les eaux agitées de l’Océan que
ceux qui amenaient les druides des terres polaires
méridionales.
Ces Marins étaient grands. Certains dépassaient en
taille les plus robustes Elfes Sylvains et seule la longue
silhouette aiguisée de Mélinos les dominait. Leur
carrure était impressionnante. Ils portaient des épées
robustes, moins affinées que celles des Silériens, mais
Le serment de Salermnos : 204
Le serment de Salermnos
ils compensaient la qualité un peu moindre des aciers de
leur lame par l’efficacité, la ténacité et la conception
étonnante de leurs haches à deux tranchants. Cette
redoutable arme blanche sèmerait, dans les siècles à
venir, la terreur dans les rangs des Korrigans de
Gaurtlung.
Les hommes venaient de naître sur Formalow. Leur
soif de nouveautés et leur instinct grégaire les avaient
poussés à rechercher, au-delà des océans, d’autres
espèces pensantes. Les navigateurs humains avaient
d’abord vécu plusieurs siècles sur le littoral oriental de
leur continent. Interminablement, ils avaient scruté
l’horizon, comme s’ils avaient pressenti l’existence des
terres civilisées sans jamais en avoir entendu parler.
Ces voyageurs infatigables possédaient toute la
fougue et la soif d’apprendre de leur jeune espèce. Des
régions dont ils étaient natifs, ils avaient vite compris la
sauvagerie. Rien ne permettait d’espérer la présence
d’êtres intelligents dans la masse formidable de la forêt
primaire qui couvrait les étendues vierges de l’autre
continent du Monde. Aucun sentier ne parcourait les
bois profonds et touffus de ce territoire. Les passages
des animaux, uniquement, trouaient les fourrés
impénétrables qui se dressaient comme des remparts,
au-delà de la bande côtière.
Ce n’est pas que les hommes détestaient la
splendeur de ce monde primitif. Mais, ils étaient avides
de voyager, de rencontrer et d’échanger. Ils avaient
Le serment de Salermnos : 205
Le serment de Salermnos
déterminé rapidement que les vastes contrées, présentes
derrière la lisière fantastique de la grande forêt, étaient
en fait une colossale réserve de vie sauvage. Par
conséquent, les prétextes de recherches ainsi que le
foisonnement culturel auxquels les humains de
Formalow aspiraient, ne se rencontreraient certainement
pas là où était apparue leur espèce.
Les marins étaient intimement persuadés qu’une
autre terre émergée de cet astre abritait des villes, des
temples, des civilisations florissantes aux sociétés
passionnantes. Les hommes commencèrent alors à
construire des navires avec lesquels ils s’éloignèrent de
plus en plus de leur rivage. Ils découvrirent des
techniques efficaces pour se guider et se situer dans le
Monde. Ils savaient que Formalow était une boule
ronde. Ils apprirent bientôt, en raisonnant, qu’elle
tournait sur elle-même. Par conséquent, les étoiles qu’ils
apercevaient la nuit, même quand les lunes brillaient,
permettaient de définir sur quelle portion de la sphère
ils évoluaient.
Un matin, revinrent de très grands navires dans les
havres naturels du Continent Sauvage. Ces superbes
voiliers avaient été si loin à l’orient, que leurs équipages
étaient arrivés au large d’une côte inconnue. Ils y
avaient vu des routes jalonnées qui débouchaient sur la
côte. Sur les promontoires qui dominaient la mer, ils
avaient découvert des forteresses aux hautes murailles
grises comme l’argent ou roses, comme les rochers de
Le serment de Salermnos : 206
Le serment de Salermnos
ces régions. Ils avaient observé les caravanes
marchandes qui montaient vers Nabachton, sur les
chemins littoraux de l’Ouest. Ils avaient aussi aperçu
celles qui redescendaient dans les vallées sylvestres
méridionales, s’arrêtant afin de laisser une partie de leur
chargement aux garnisons du Golfe de Salermnos.
Les nouveaux venus n’avaient pas été observés
depuis la rive. Les navigateurs avaient fabriqué des
lunettes d’approche qui leur permettait de regarder des
objets éloignés sur la mer. Quand ils étaient entrés chez
eux ils décrivirent les pays qu’ils avaient découverts,
dans les villes humaines. Alors, une vaste entreprise
commença.
D’abord, la construction d’une grande flotte de
navires fut envisagée. On prépara, avant toute autre
chose, des boutures d’arbres ainsi que des plants
soignés depuis la graine, pour remplacer les troncs
adultes que la réalisation des bateaux allaient utiliser.
De larges surface de forêt allaient être abattu pour
monter la charpente des coques. Il fallait donc organiser
le reboisement. Il était aussi impératif de connaître les
souhaits des habitants du Continent Civilisé vis à vis de
nouveaux venus. L’espace et la nature, bien que
domestiqués sur cette terre-là, ne manquaient pas.
Pourtant les marins se préparaient à entrer en contact
avec les peuples pensants de ces régions. Ils devaient
apprendre les réactions que risquait d’engendrer leur
apparition. Ils ne souhaitaient pas s’imposer par la
Le serment de Salermnos : 207
Le serment de Salermnos
force. Ils ne rêvaient que d’une intégration au sein des
royaumes de cette partie de Formalow.
Ils lancèrent donc une ambassade vers l’Est. Cette
puissante flotte franchit la vaste portion d’océan qui
séparait les deux grandes terres de ce Monde, Elle arriva
bientôt en vue du goulet de l’Arcouest qui fermait le
Golfe de Salermnos. C’est là qu’Haran et ses
compagnons en promenade, virent les voiles de cette
expédition et l’accueillirent comme ils avaient jadis,
reçu les nefs Druidiques sur les plage du Sud.
La Garnison de la forteresse qui surveillait l’accès
aux eaux du Golfe, avait aussi vu l’armada qui
progressait vers le littoral. Aussitôt, ils avaient envoyé
leurs plus redoutables galères armées pour protéger le
navire du Roi Sylvain. Puis, ils avaient déployé une
forte troupe sur les grèves qui bordaient les pointes
rocheuses du Détroit.
Les navires des nouveaux venus mouillèrent alors
au large, à l’abri des vents, dans la baie d’une île,
proche de la côte. Puis, ils envoyèrent leurs
ambassadeurs à la rencontre de Haran, sur un voilier
non militaire, pavoisé de blanc.
Les marins avaient appris le langage par les Esprits
Jardiniers du Continent Sauvage. Il différait très peu des
langues en usage dans les royaumes civilisés. Aussi, les
dignitaires de tous ces peuples mis en présence, se
comprirent rapidement.
Le serment de Salermnos : 208
Le serment de Salermnos
La flotte des marins n’était pas du tout équipée
pour entreprendre une conquête. Elle fut accueillie dans
le Golfe et bientôt, des négociations furent entamées par
un grand conseil des sages, réuni dans le port fortifié de
Landreger.
Les hommes purent expliquer aux Elfes, aux
Druides et aux Silériens la raison de leur venue. Ils
apprirent aussi le drame qui était en train de se jouer sur
le Continent Civilisé. Ils apprirent qu’une lutte acharnée
entre des forces maléfiques et bienfaisantes était en train
d’obscurcir l’avenir de ce Monde. Mais, comme les
royaumes libres ne tenaient pas à forcer la main du
jeune peuple pensant en les amenant à se précipité dans
le conflit sans réfléchir, leurs Seigneurs proposèrent aux
ambassadeurs Humains de découvrir par eux-mêmes la
situation à l’Est des terres habitées. Ils leur proposèrent
d’accompagner une phalange d’Elfes, de Druides et de
Silériens qui devaient accomplir une longue patrouille
de reconnaissance dans les marches des régions tombées
sous l’influence des ennemis.
Les courageux marins acceptèrent l’offre sans
hésitation.
Le serment de Salermnos : 209
Le serment de Salermnos
- XVI -
La terreur serrait les plus vaillants cœurs de
l’Univers aux abords de la faille magique qui séparait
Formalow du royaume de Sarquonikos.
Les marins ne faiblissaient pourtant pas en
s’approchant de l’Est du Monde. Les ambassadeurs des
Humains avancèrent courageusement aux côtés des
Elfes et des Silériens, vers les Marches du Mal. Ils
montaient de grandes licornes qu’ils avaient emmenées
avec eux depuis leur Continent.
C’est ainsi, en affrontant la souffrance de
l’épouvante et l’angoisse de rencontrer un destin
inconnu sinistre, qu’ils comprirent l’enjeu des combats
menés depuis deux siècles déjà, par les espèces
pensantes de ces pays. Les hommes étaient courageux et
énergiques. Leurs âmes jeunes et généreuses
embrassaient rapidement les nobles causes. Aussi,
quand les patrouilles menées secrètement par les soldats
sylvains et les valeureux paysans-forgerons, les eurent
conduits jusqu’aux abords de la source de magie
corrompue, les marins décidèrent de retourner sur leurs
rivages afin de mobiliser leur peuple pour aider les
défenseurs du bien.
Le serment de Salermnos : 210
Le serment de Salermnos
Car aux yeux du peuple des navigateurs, il était
clair que si le Continent Civilisé tout entier tombait aux
mains de Gaurtlung, du Seigneur des Ankous ou bien
même, et là l’horreur serait suprême, sous l’influence de
Sarquonikos, les terres sauvages finiraient par
succomber un jour ou l’autre.
Le Golfe de Salermnos se présentait, avec
Nabachton et les îles de Myrion, comme un des derniers
bastions que les peuples libres pourraient tenir contre le
déferlement des hordes malfaisantes. Les rives de ce
gigantesque bassin maritime, étaient aptes à abriter de
nombreuses forteresses et de fortes légions sans perdre
sa beauté sauvage ou bien être menacé par une
dégradation de son environnement.
Les navigateurs étaient une jeune espèce et s’ils
étaient capables de constituer un puissant royaume en se
réunissant tous sous la même bannière et dans la même
région, il y aurait encore de vastes espaces vierges sur le
littoral du Golfe, s’ils venaient à l’habiter avec les Elfes
et les Silériens des garnisons. De plus, leur grande
connaissance de la mer et leur capacité à construire
d’immenses nefs, les destinaient à assurer la logistique
et les transports des défenses de Salermnos en sillonnant
les flots calmes du bassin.
C’est ainsi que le Conseil des Peuples Libres,
invita les marins du Continent Sauvage à venir s’établir
eux aussi sur les rives de ce Royaume des Estuaires.
Dans les siècles qui suivirent, ils défendirent avec tant
Le serment de Salermnos : 211
Le serment de Salermnos
de forces leur nouveau pays, ils furent si généreux en
apportant une aide précieuse et sans limite aux autres
combattants du bien, que Salermnos avec les
embouchures de ces fleuves devint le Duché des
Navigateurs.
Les Korrigans réussirent un jour à l’isoler de
Nabachton. Un Empire Maléfique couvrit d’ombre et
d’effroi depuis les contreforts des Monts du Bout du
Monde jusqu’à la Silérie, mais, jamais les forteresses
ainsi que le littoral de Salermnos ne tomba aux mains de
l’ennemi. Les Marins se dressèrent toujours avec
obstination aux côtés des Elfes et des Paysans-
Forgerons, refoulés par la magie des Maîtres des
ténèbres. Les Humains permirent, pendant les plus
sinistres heures de l’Histoire de ce Monde, de maintenir
libres des îlots de lumière, de bonté et de force. Le
Cycle perdura grâce à ces nouveaux venus aux cœurs
purs.
Le serment de Salermnos : 212
Le serment de Salermnos
- XVII -
Gaurtlung le maudit regardait vers l’Ouest avec la
fureur noirâtre de son âme torturée qui jaillissait de ses
yeux, comme une brume putride.
Il savait que dans sur les rivages et les flots des
Estuaires, les forces du bien se regroupaient et
organisaient une résistance si vigoureuse et intraitable,
que lui-même, en dépit de ses gigantesques armées, de
sa haine effrayante et des sortilèges néfastes qu’il
déploierait, n’anéantirait jamais.
Son cœur de marbre était désormais dénué de tout
sentiment, mais il connaissait la peur et le doute. Or, il
venait d’apprendre qu’une nouvelle espèce pensante
était venue sur Formalow. Les hommes venaient
s’installer aux côtés des Elfes et des Silériens sur la
Terre ainsi que le littoral généreux et grandiose du
Golfe.
Elles n’étaient pas nombreuses ces jeunes
créatures, mais leur détermination et leur enthousiasme
faisait trembler de dégoût le Jardinier Divin déchu. Il ne
supportait plus les bonnes intentions, l’amitié sincère et
la confiance. Voilà déjà plus de mille ans que ces
impressions apaisantes, rayonnantes comme une chaleur
thérapeutique dans le corps et l’âme des purs, chaque
Le serment de Salermnos : 213
Le serment de Salermnos
fois que ces derniers ouvraient leurs cœurs à l’amitié,
avaient déserté l’existence de ce monstre hideux.
A défaut de les éprouver encore une fois, il s’était
décidé à les exécrer. Briser, détruire anéantir ruiner, tuer
était devenu ses seules et uniques sources de joie, de
plaisir et même de jouissance. Son souffre douleur et
son lieutenant, servile et détestable à souhait, le
Seigneur des Ankous, subissait régulièrement et
terriblement la méchanceté gratuite de Gaurtlung. Mais
comme tout esprit d’orgueil et de respect envers lui-
même avait aussi abandonné ce misérable assujetti.
Celui-ci se complaisait maintenant dans sa bassesse et
son avilissement.
Mais pendant ce temps, les courageux peuples
libres, en dépit des immenses pouvoirs de mort et
d’effroi déployés par les ténèbres, se reprenaient et
s’apprêtaient, car ils n’avaient pas d’illusion sur le
proche avenir, à subir une invasion quasiment totale de
leurs Royaumes.
Mais la vaillante Nabachton, la cité-pays du Nord-
Ouest, se gorgeait de magie. Ses hauts murs rayonnaient
de magie bénéfique. Les Korrigans, les Léviathans et les
esprits corrompus, qui chassaient désormais les âmes
maudites après avoir fait allégeance au Roi des Ankous,
ne parvenaient pas à regarder sans trembler de panique,
même de très loin, les défenses de ce territoire. Les
Nabatéens surarmés et motivés par la force de leur
Le serment de Salermnos : 214
Le serment de Salermnos
Reine, pouvaient surgir dans une charge dévastatrice
avec une rapidité hallucinante.
Dans le sud, sur les contreforts des Monts du Bout
du Monde, les Elfes avaient renforcé les remparts bâtis
au temps de la Forteresse de l’Ombre. Les vallées dont
ils avaient longtemps fermé les accès, maintenant les
Korrigans de Thanator sur les Flancs des Montagnes,
étaient devenues le pays des Elfes Sylvains. Ceux-ci en
avaient définitivement refoulé la malfaisance de jadis.
Aussi la chaîne méridionale était devenue une douce et
merveilleuse résidence.
Les Sylvains étaient capables de résister très
longtemps aux assauts des phalanges du néant dans
leurs combes renforcées. L’air de ses lieux était
vivifiant et décourageait la haine des maudits.
Les îles de la belle mer intérieure de Myrion
étaient également devenues inaccessibles aux hordes de
Gaurtlung, tout comme le Golfe de Salermnos.
Partout dans le Monde civilisé de Formalow les
forces loyales au Penseur Eternel bâtissaient de
puissants terrains de résistance et organisaient celle-ci
avec courage. Mais, la fin provisoire de la liberté avait
déjà sonné. Les forêts et les vastes landes du Continent
allaient tomber, en dépit de la vaillance de leurs
défenseurs, sous l’emprise des ténèbres. La magie de
Gaurtlung se déployait sur toutes les terres du monde.
Sa profondeur et son efficacité étaient efficacement
contrebalancées par celle de Nabachton mais, il était
Le serment de Salermnos : 215
Le serment de Salermnos
devenu impossible de la vaincre dans de telles
circonstances.
Les Marins constituaient des renforts valeureux
contre les hordes de Korrigans que le maudit s’apprêtait
à lancer sur le Monde, mais les Hommes ne
connaissaient pas les sorts défensifs contre les attaques
cabalistiques de Thanator et de ses alliés. Aussi, sur ce
plan, ils étaient impuissants et ne pouvaient combattre
ces assauts qu’avec l’aide de leurs amis.
Cependant, les Humains armèrent leur flotte, après
avoir soigneusement replanté tous les arbres qu’ils
avaient coupés pour construire leurs vaisseaux. Ils
préparèrent leurs villes pour un long sommeil, puis,
déployant les grandes voiles de leurs coursiers des mers,
ils firent route vers le Golfe de Salermnos.
Quand ils débarquèrent sur le Continent Civilisé,
avec l’aide des Elfes, des Druides et des Silériens, ils
construisirent les formidables ports fortifiés des
Estuaires. Leurs remparts et leurs armes étaient destinés
à devenir un des principaux fléaux des serviteurs du
néant, dans les âges à venir.
Le serment de Salermnos : 216
Le serment de Salermnos
- XVIII -
Haran participait encore à une patrouille aux
abords de la Faille du Néant.
Il commandait sa phalange avec prudence et
surveillait particulièrement le ciel. Deux nouveaux
Léviathans avaient été observés près des fortifications
colossales que les maudits avaient dressées autour du
puits de magie corrompu.
De tels monstres volants menaçaient les colonnes
de cavaleries qui voyageaient à découvert, sans être
protégées par des batteries de catapultes. Or, même les
Elfes ingénieux ne trouvaient pas d’idées pour
construire un armement de ce type, puissant,
suffisamment mobile pour accompagner des troupes en
mouvement.
Les Silériens et les petits Sylvains travaillaient
pourtant activement à l’utilisation de moyens
mécaniques légers et robustes, pour envoyer de gros
projectiles dévastateurs, le plus loin possible.
Mais ces machines étaient encore expérimentales
et la seule défense des patrouilles contre les attaques des
Hydres de Gaurtlung, dans la lande, était la rapidité de
la fuite vers des abris.
Le serment de Salermnos : 217
Le serment de Salermnos
C’est ainsi que le vieux Roi Sylvestre se sentait
mal lorsqu’il suivait, avec ses soldats les frontières des
plaines dépouillées qui bordaient les terres mortelles,
apparues avec la Faille des ténèbres. Pourtant, il était
nécessaire que les Nations Libres observent avec acuité
les activités de leurs ennemis, sur les abords du Néant.
Haran regarda à l’horizon du désert grisâtre qui
s’étendait vers le Nord des Terres, sous l’influence de
Gaurtlung. Dans l’ombre, se découpant sur les nuages
bas, il aperçut deux points qui se déplaçaient vivement
dans les airs. Etait-ce des oiseaux ou bien des
Léviathans très éloignés. Dans la lumière morte et livide
des régions ténébreuses, même pour un Elfe aussi sage,
si expérimenté que le Seigneur Haran, il était difficile
d’évaluer la distance ainsi que la taille des formes
vivantes qu’il parvenait à apercevoir.
Il demanda l’avis de son Capitaine. Celui-ci, fixa le
point lointain que lui indiquait son souverain avec
insistance. En quelques secondes, il se fit une opinion.
- Mon Roi, lança-t-il, ce sont de très grands
monstres aériens. Ils volent au-delà des montagnes que
nous apercevons, là-bas ! De temps à autre, ils
disparaissent derrière. Cela signifie qu’ils sont encore
plus distants de nous, que ces sommets. Pour que nous
puissions les voir, ils doivent être colossaux.
Haran se tourna vers l’Ouest et tenta de mesurer la
longueur de chemin qui séparait sa troupe de l’Orée des
forêts du Monde. Sa phalange devrait galoper deux
Le serment de Salermnos : 218
Le serment de Salermnos
heures avant de s’engouffrer sous la protection des
premiers arbres. Le Capitaine lança au Roi.
- Monseigneur, les monstres nous ont aperçus !!!
- Chargez tous vers les bois, ordonna le souverain !
Nous avons affaire à deux Léviathans ! Nous ne
pourrons pas leur échapper en terrain découvert !
Les archers Silériens et Elfiques préparèrent leurs
arcs, leurs arbalètes et leurs carreaux d’acier Nabatéen.
Les Hydres de Gaurtlung constituaient d’effrayants
adversaires qu’il était difficile de repousser et qui, sans
aucun doute, seraient impossible à détruire sans la
protection d’une forteresse ainsi que le déploiement de
son armement. Pourtant, les compagnons du Roi
Sylvestre ne s’affolaient pas. Ils s’organisaient
consciencieusement pour engager une lutte frontale
avec les démons ailés.
La phalange se lança dans sa course disciplinée
vers les futaies. La troupe massive se mit en ligne et se
rua vers les arbres qui bordaient l’océan de verdure,
étendu à l’Ouest.
Mais si les licornes étaient rapides comme le vent,
également plus endurantes que des machines
mécaniques, les Léviathans filaient dans l’atmosphère
polluée comme toutes les flammes infernales du Monde
de Sarquonikos.
Les démons gagnaient du terrain. Ils grossissaient
dans le ciel blafard, sans vie, des limbes mortelles. Leur
taille était monumentale. Jamais les forces du mal
Le serment de Salermnos : 219
Le serment de Salermnos
n’avaient compté de si puissantes créatures dans leur
rang. Les cavaliers des Nations Libres redoublèrent
d’énergie en sentant un tel danger sur leur talon. Ils
accélérèrent, tout en lâchant une bordée de traits
véhéments vers leurs ennemis.
Mais cette fois, en dépit de la précision des tirs, les
flèches retombèrent vers le sol, brisées ou bien
totalement épointée. Ces Léviathans n’étaient plus de
jeunes créatures inexpérimentées. C’était désormais de
puissants dragons, vifs, aux forces infinies, à la
carapace infranchissable par des armes individuelles,
sauf à la base de leur cou. Cependant, aucun être
pensant n’était en mesure d’approcher ce point faible
des monstres, avec l’espoir de rester en vie.
Haran craignait pour l’existence de ses
compagnons. Un tel péril était au-delà des peines
qu’auraient dû supporter les justes dans ce monde. Le
vieux Roi sentait son âme se gonfler de haine et de
colère.
Tout à coup, dix de ses plus vaillants soldats, six
hauts elfes de la Forêt de Myrion et quatre énergiques
paysans-forgerons firent demi-tour et chargèrent les
terreurs volantes qui, désormais, planaient en basse
altitude. Haran tenta de rappeler ses formidables
défenseurs, mais, ils fonçaient tête baissée à l’assaut de
leurs adversaires titanesques et n’écoutaient plus aucun
ordre dans leur fureur désespérée. Alors, tout en
continuant de galoper vers les arbres salvateurs, la
Le serment de Salermnos : 220
Le serment de Salermnos
phalange se retourna de temps en temps pour observer
ce qu’il advenait des champions ayant relevé un tel défi
avec panache.
Le choc fut impressionnant. Les petits Silériens,
insensibles au souffle de l’air déplacé par les ailes
colossales se ruèrent jusqu’au-dessous de leurs
antagonistes. Là, ils lâchèrent une volée de carreaux à
bout portant dans le corps des Hydres, quand elles
passèrent à quelques mètres d’eux. Les Féroces
Léviathans, ressentirent cette fois les piqûres des armes
de l’Océan d’Herbe Fleurie. Ils se cabrèrent avec fureur,
puis plongèrent impitoyablement vers leurs agresseurs.
Alors, Les Hydres furent accueillies par les glaives
effilés des Elfes qui taillèrent douloureusement de
belles estafilades entre les écailles ventrales des
abominations volantes.
Celles-ci se posèrent alors sur la Terre et
chargèrent le rang des cavaliers Silériens. D’un violent
coup de queue, le premier titan maudit renversa les
quatre licornes des paysans-forgerons. Le second écrasa
sous ses pattes abjectes un des petits guerriers furieux
qui lui avait infligé de nombreuses blessures avant de
succomber. Aussitôt, ses trois compagnons, les glaives
virevoltant avec rage, taillèrent les flancs et le museau
des deux Léviathans. Les bêtes esclaves des ténèbres
reculèrent en hurlant de rage. Les Elfes bondirent à leur
tour, scintillants comme des étoiles filantes, vigoureux
comme les éclairs d’un orage.
Le serment de Salermnos : 221
Le serment de Salermnos
Harcelées des deux côtés, les Hydres de Gaurtlung
ne savaient plus où frapper. Leurs longs coups et leurs
têtes fouettaient l’air avec fureur. Leurs mâchoires
claquaient en se refermant trop tard sur des proies
insaisissables, tandis que dans les défauts de leur
cuirasse, ils ressentaient les cruelles morsures des épées
valeureuses des peuples libres. Mais soudain, un des
monstres agita ses ailes avec une telle force, que les
Elfes et leurs licornes furent jetées sur le sol. Aussitôt,
deux têtes du démon saisirent entre les dents acérées de
leur bouche infecte, des Elfes qui avaient roulé jusqu’à
elles, dans leur chute. Transpercés par les crocs aux
ardillons de cornes, les Sylvains hachèrent cruellement
les lèvres et les langues du Léviathan avant de mourir,
couper en deux par la morsure de l’horrible animal.
Pendant que leurs camarades continuaient de
galoper vers l’orée des Forêts du Monde, les sept
survivants de l’attaque reprirent le combat. Les épées
firent encore du bel ouvrage en blessant énergiquement
les esclaves du mal, avant que le dernier des champions
ne décède, déchiqueté par les défenses d’ivoire qui
hérissaient la queue du Léviathan. Ceux-ci avaient été
retardés par la résistance de l’arrière-garde qu’ils
venaient d’affronter. Mais la Phalange d’Haran n’était
pas encore à l’abri. Le vieux Roi s’était même détaché
de ses hommes, sans doute fatigué par l’interminable
course qu’il accomplissait vers l’abri des bois. Alors, le
Souverain se retourna et brandit son glaive :
Le serment de Salermnos : 222
Le serment de Salermnos
- Assassins, vous avez détruit sauvagement ses vies
dans cette lutte inégale et sans courage de votre part ! Je
vais vous faire payer ces méfaits ou bien mourir comme
mes braves. !
La charge d’Haran est demeurée dans les récits de
l’Âge d’or des forêts comme le plus grand exploit de
cette époque. Le Seigneur Sylvain, malgré les
interminables siècles qu’il avait traversés, fit preuve
d’une force, d’une vélocité et d’une précision jamais
égalée, même chez les grands héros qui écrivirent
l’Histoire de Formalow, pour la suite des Âges. Son
glaive farouche trancha la patte d’un monstre et un des
cous de l’autre. Ses créatures ignobles finirent par
reculer avec terreur devant la fureur du Roi. Mais, le
plus grand Léviathan, bien qu’il ait perdu une de ses
têtes, parvint à soulever une énorme roche et la jeta avec
véhémence contre son adversaire si impitoyable.
Ainsi mourut le Seigneur Sylvain le plus sage et le
plus courageux de tous les temps : Haran de Castel-
Elfes. Son épée resta figée dans un bloc de granit issu
de l’éclatement de la Roche qui l’avait tué. Les hommes
de son escorte, accablés de peine et d’effroi furent
rattrapés par les Léviathans, à quelques furlongs des
premiers sous-bois du Monde Civilisé. La patrouille
d’Haran fut anéantie après une courageuse mais inutile
résistance.
Les Licornes furent éventrées ou bien dévorées.
Les Elfes et les Silériens furent déchiquetés. Et si les
Le serment de Salermnos : 223
Le serment de Salermnos
coups qu’ils portèrent à leur fléau furent intraitables et
énergiques, ils n’infligèrent jamais la mort pour les
monstres de Gaurtlung.
Ainsi mourut le premier et le plus vieux Seigneur
des temps oubliés de Formalow.
Le serment de Salermnos : 224
Le serment de Salermnos
- XIX -
L’armée de Nabachton sortit de la cité royaume en
galopant dans une charge effarante. Des pigeons de feu
étaient parvenus à se poser dans le palais des Seigneurs
de la Ville. Les oiseaux avaient apporté de bien
mauvaises nouvelles.
Des légions de Gaurtlung, avaient franchi en force
les frontières délimitées par la faille dimensionnelle de
l’Est. Une escadre de Léviathans les accompagnait.
Partout, les habitués des terres sauvages entendaient les
esprits des forêts du Sud qui se lamentaient sur la mort
d’Haran le Grand. Le sage parmi les sages elfiques
venaient de quitter le monde de Formalow durant un
combat épique contre des monstres volants, les plus
puissants issus des ténèbres.
Ces renseignements soufflant en tempête sur le
Continent Civilisé, avaient amené une peine et une
colère monumentales dans le cœur de Sylvania, de
Gémildan et de Mohodir. Ils levèrent aussitôt une
grande phalange de cavaliers avec des archers qu’ils
installèrent dans de nombreux chariots. Ils déployèrent
aussi des catapultes hippomobiles, nouvellement
conçues par les elfes ingénieux ainsi que par les
Silériens, puis, tout en laissant de nombreux défenseurs
Le serment de Salermnos : 225
Le serment de Salermnos
sur les remparts de leur pays, ils commencèrent une
formidable charge contre les ennemis de la lumière, de
la beauté et de la justice.
Des milliers d’années plus tard, le souvenir de
cette gigantesque contre-attaque vivrait encore dans les
cœurs des descendants des chevaliers qui y avaient
participé, sur le sol, sur les arbres et au fond de l’âme de
la forêt septentrionale. Jamais une si belle chevauchée
ne se reproduisit durant ce Cycle, alors qu’il n’est pas
encore fini et qu’il semble devoir durer à jamais.
Le grondement de cette armée en marche,
l’ébranlement généré par les innombrables licornes qui
martelaient la terre en avançant à travers le Nord du
Monde, le roulement des chars qui les suivaient tandis
que les roues cerclées d’acier nabatéen éclataient les
lourdes pierres de schistes, comme des mottes de sable
mouillé, traversèrent le Continent, puis, semèrent la
terreur dans les terres ténébreuses orientales.
Gaurtlung le Maudit, fut lui-même épouvanté par
la rumeur qui lui venait de l’Ouest. Malgré les vastes
légions qu’il avait lâchées avec cruauté sur Formalow,
en dépit de la destruction de son vieil adversaire Haran,
il crut qu’une fois de plus, il avait présumé de sa
puissance. Il eut peur que toute la malice magique qu’il
avait déployée depuis un demi-siècle, amplifiée par la
corruption du puits d’énergie dont il détenait le
contrôle, ne vienne pas à bout des Nabatéens et de leurs
alliés des Nations Libres
Le serment de Salermnos : 226
Le serment de Salermnos
Le Démon concentra toute son énergie malfaisante
sur ses capitaines décharnés : les Ankous, mais
également sur la barbarie de leurs subalternes abjects les
Korrigans. Il insuffla, en sacrifiant à jamais ses pouvoirs
de dissimulation, puis, de métamorphose, la haine la
plus froide ainsi que la persuasion la plus irrésistible à
ses titans ailés. Enfin, dans un rire sardonique qui
parvint jusqu’aux portes de Nabachton, il offrit en
pâture à tous les monstres de son engeance, la beauté, la
grandeur, la pureté, puis enfin, les cœurs de toutes les
Nations Libres de ce Cycle.
Le vent sifflait aux oreilles des Seigneurs de
Nabachton partis en Guerre. Il y avait, en tète de la
charge, la belle et puissante Sylvania aux yeux
courroucés. Elle faisait mouliner avec fureur sa grande
épée Elfique. Derrière elle, son époux terrible dans la
bataille, fulgurait comme la foudre sur le dos de sa
monture. Musclé, massif, bardé du meilleur acier
nabatéen, hérissé d’une lance inquiétante mais aussi
d’un glaive au tranchant flamboyant, il filait comme les
flammes du soleil sur sa blanche licorne, dans les
tintements d’une hache à deux tranchants, offerte par les
marins du Golfe de Salermnos, qui s’agitait contre sa
cuirasse au rythme du galop de l’attaque.
L’armée en mouvement se composait d’une
centaine de lignes qui s’étendaient chacune sur trois
lieues de largeur. Un million de créatures libres et
furieuses se ruaient sur leurs ennemis, avec toute la
Le serment de Salermnos : 227
Le serment de Salermnos
capacité destructrice du désespoir. Sarquonikos lui-
même, au fond de son royaume de mort, sur le trône
d’où il manipulait les mauvais instincts et la bassesse
ensommeillée dans toute la création, réalisa que tout cet
héroïsme mais aussi ce courage, menaçaient directement
sa mesquinerie infâme d’épicier, tentateur des âmes
faibles.
Le Seigneur de la mort et du néant introduisit alors
un mensonge odieux dans les esprits des esclaves de
Gaurtlung. Ce dernier n’obtenait l’obéissance de ses
troupes que par la peur et les châtiments qu’il infligeait
avec délice. Sarquonikos, plus intelligent et plus
ignoble également, galvanisa les serviteurs du Néant en
leur instillant une foi mensongère au milieu de leurs
pensées obscures. Il leur fit croire qu’en se sacrifiant au
combat, les malheureuses créatures des ténèbres
n’allaient pas sombrer dans l’oubli et l’effroi du monde
de l’inexistence ainsi que du néant. Le roi des zones
désespérantes de l’Univers, fit naître, dans le cœur des
combattants de son vassal Maudit, la légende d’un
paradis accessible aux chevaliers du mal qui périraient
courageusement sur le champ de bataille, pour défendre
leurs maîtres contre les Elfes géants cruels, les Silériens
inflexibles, les Druides menteurs et les Marins teigneux.
L’incroyable résistance à la douleur et l’obstination
que les serviteurs de l’ombre mettraient bientôt, dans la
fureur des corps à corps, à vaincre leur lâcheté naturelle,
les Korrigans, les Léviathans ainsi que tous les êtres
Le serment de Salermnos : 228
Le serment de Salermnos
corrompus qui se vouèrent aux ténèbres dans les siècles
suivant, les gagnèrent ce jour-là.
Comme animées d’une force nouvelle, les hordes
de Gaurtlung inondèrent les plaines du Nord, tel un
océan débordant de son lit, avec une véhémence
identique à celle des nabatéens. Il n’était pas difficile
d’imaginer l’effet monstrueux qu’aurait leur
affrontement au sein de la Taïga. Un flot de sang et de
chaires déchiquetées allait déferler sur ces espaces
encore vierges. La douleur et les peines s’étendraient
sur le Monde civilisé avec un cortège de chants
funèbres et de cœurs déchirés comme jamais il n’y en
avait eu et comme plus jamais il n’y en aurait.
C’est au-devant des tourbillons de glace
meurtrière, précédant la haine du Néant, que se
précipitèrent les forces du bien. Les premiers rangs, par
la grâce de leurs armures et la cuirasse de leurs licornes,
franchirent la tempête de grêle sans trop de dommages.
Mais, ils furent décimés par l’attaque foudroyante des
Hydres volantes qui se cachaient traîtreusement au-delà
de ce leurre météorologique.
Les haches, les glaives et les lances ne chômèrent
pas. Deux monstres maléfiques perdirent la vie, bien
que les lignes de l’armée nabatéenne soient
douloureusement éclaircies. Bientôt, dans les
bourrasques des coups d’ailes donnés par les
Léviathans, il ne resta plus, sans leurs montures abattues
dès le premier choc, que les trois Seigneurs de
Le serment de Salermnos : 229
Le serment de Salermnos
Nabachton et leurs plus puissants capitaines : vingt
solides Silériens, une dizaine de formidables Elfes ainsi
que deux humains harassés par la besogne colossale
qu’ils avaient accomplie.
Alors, les Hydres furieusement blessées par les
armes de la liberté reculèrent. Les dragons de Thanator
venaient d’apprendre, avec de la peine autant que de la
honte, l’ardeur ainsi que la vaillance des peuples libres.
La belle Sylvania aux côtés de son mari, Gémildan,
menaçait d’une voix tonnante les soldats Korrigans
qu’elle devinait, dissimulés lâchement derrière le rideau
de vapeur et de poussière soulevé par la lutte
précédente.
Mohodir, une plaie ouverte, battant et saignant au
fond de la déchirure de son armure, se tenait dos contre
dos avec les deux humains et un Elfe de sa Maison. Les
tranchants de leurs épées et de leurs haches n’étaient
même pas ébréchés. Si le sang de leurs ennemis en
gouttait abondamment, la dureté de l’acier et la force
des combattants qui les magnaient, n’avaient pas
périclité.
Il restait un troisième groupe de Silériens et d’Elfes
qui se rapprochait, en se serrant avec fermeté autour de
la Reine et du Roi fondateur de leur cité royaume.
De nouveau, les lances et les lames se dressèrent
dans la lumière glacée qui éclairait toujours les attaques
des maudits. Les survivants du premier assaut allaient
encaisser le déferlement des hordes maléfiques que le
Le serment de Salermnos : 230
Le serment de Salermnos
temps hivernal dissimulait dans une atmosphère de
brouillard, quand, un bourdonnement semblable à celui
de milliers de cordes de harpes pincées en même temps,
tonna. Le son fut tel, que les tornades de glace
s’effondrèrent en se dispersant sous la forme
inoffensive d’un givre léger.
La brume tomba alors en découvrant l’interminable
armée des ténèbres. Celle-ci s’étendait à l’infini, devant,
mais aussi sur les côtés des malheureux guerriers
épuisés. Les larmes aux yeux, Sylvania se laissa envahir
par une courte défaillance. Les bras du Seigneur
Silérien, gainés dans une côte de mailles rougies par le
sang, s’abaissèrent quelques secondes. Les humains, les
Elfes et les paysans-forgerons de cette avant-garde
durement éprouvée, faillirent s’agenouiller pour se
laisser massacrer sans plus s’épuiser qu’ils ne l’étaient
déjà. Mais, tout à coup, le soleil apparaissant dans
l’ombre qui se déchirait, ces héros des Âges anciens se
redressèrent. Ils s’arc-boutèrent en avant, prêts à fournir
un épouvantable effort de résistance. Puis, à pleine voix,
ils se mirent à chanter la gloire de Castel-Elfes, la
bataille qui avait si cruellement opposé Haran et
Gaurtlung, de longues décennies plus tôt.
Inexplicablement, dans un mugissement de fin du
monde, un projectile, sans doute envoyé par les
catapultes des forces en réserve de Nabachton, vint
s’écraser en éclatant au milieu des soldats de Gaurtlung.
Un nombre impressionnant de ces terreurs malfaisantes
Le serment de Salermnos : 231
Le serment de Salermnos
périt, aplati par le choc. D’autres furent à moitié couper
en deux par les éclats tranchants de l’acier. Une
agitation affolée s’empara alors des démons du Roi de
la Nuit et de la mort.
Le bourdonnement de cordes musicales se
reproduisit encore et s’expliqua alors aussitôt. Une nuée
de flèches meurtrières tomba du ciel, dévastant les murs
de gnomes noirâtres qui barraient la Taïga sur des lieues
et des lieues. Les corps chutèrent lourdement sur le sol
froid. Ce fut toute l’armée maudite qui recula devant la
véhémence des traits nabatéens. Enfin, trois
gigantesques Léviathans s’écrasèrent lourdement sur
leurs alliés. S’ils vivaient encore, ils avaient été
cruellement blessés par les catapultes de Nabachton.
De nouveaux Elfes renforcés par de solides Marins
du Golfe mais aussi une puissante phalange de robustes
Silériens, surgirent des lignes arrières pour appuyer les
survivants de la première vague d’attaque. Ils se
regroupèrent tous en formant, avec leurs boucliers, une
énorme tortue en forme de coin, puis, ils chargèrent la
masse compacte des hordes du néant. Cette fois, les
nabatéens progressèrent. Ils avancèrent avec courage
vers le cœur de l’armée de Gaurtlung, une division
composée d’énormes Ankous aux regards vitreux qui
inspiraient une terreur froide à ceux qui les
approchaient habituellement. Cependant, la hargne des
forces du bien ne faiblit pas durant ce combat.
Le serment de Salermnos : 232
Le serment de Salermnos
Les ennemis tombaient nombreux, se plantant avec
une barbarie affligeante sur les lances des Elfes ou bien,
se laissant découper, avec une indifférence éprouvante
pour leurs adversaires, par les haches et les glaives
infatigables des Nations Libres.
Au sein du dispositif nabatéen, les voix de
Gémildan et de Sylvania dominaient le tumulte, hurlant
avec rage.
- Mais comment peuvent-ils se faire égorger ainsi
sans sourciller. Gaurtlung les aurait-il drogués ? Disait
la Reine en ponctuant ses questions par de terribles
coups de taille qui sabraient énergiquement quelques
têtes maléfiques à chaque fois.
Gémildan répondait en assénant un dévastateur
moulinet de hache, entamant au passage, quelques bras
ou quelques coups ténébreux trop avancés :
- Ils n’ont plus peur. C’est comme les Léviathans,
tout à l’heure. Ils ont reculé à cause de leurs blessures,
mais, ils ne craignaient plus la mort comme ils le
faisaient, avant.
Mohodir, épuisé par sa plaie vive et le combat qu’il
menait sans repos depuis le premier choc, reconnaissait
qu’il n’avait jamais eu affaire à de si fortes parties en se
battant contre les Korrigans ou toute autre créature du
Néant. Si les Ankous étaient courageux, ils étaient tout
de même d’anciens Elfes de haut lignage, bien qu’ils
soient passablement corrompus désormais, ils n’avaient
Le serment de Salermnos : 233
Le serment de Salermnos
jamais montré autant d’entêtement à tenir leur position
que les capitaines de Gaurtlung, ce jour-là.
Les monstres abattus formèrent bientôt un rempart
élevé autour de la tortue nabatéenne, gênant les forces
du bien dans leur progression. Elles n’étaient pourtant
plus éloignées du carré des Ankous qui les regardaient
avancer avec inquiétude.
Tout à coup, un nouveau coup de théâtre provoqua
un désespoir vertigineux dans les cœurs des nations
libres, alors qu’elles n’étaient plus séparées de l’Etat-
Major de leurs ennemis que par quelques rangs de
démons vivants mais handicapés par leurs entrailles
déchirés et leurs membres tailladés.
Ces innombrables serviteurs de Gaurtlung
lancèrent soudain, vers le ciel oriental, des clameurs de
joie et de bienvenue. Des escadres de Léviathans frais,
sans blessure, venaient remplacer ceux qui avaient été
refoulées par le premier contact.
La fin s’approchait pour la belle armée de
Nabachton. La houle des ennemis de la justice et de la
beauté allait bientôt déferler jusqu’aux portes du
Royaume magique du Nord. Mais, il fallait encore, aux
chevaliers des Nations libres engagés dans cette bataille
sans espoir, occasionner un maximum de dégâts aux
légions de Gaurtlung avant de mourir. Les remparts
ainsi que la magie de la vallée enchantée, dans laquelle
le peuple de Sylvania s’était installé jadis, arrêteraient
l’invasion si ici, dans le désert sauvage septentrional,
Le serment de Salermnos : 234
Le serment de Salermnos
les serviteurs de la lumière et du libre arbitre se
sacrifiaient jusqu’au dernier afin de retenir les monstres.
Alors, toutes les catapultes, tous les arcs, toutes les
licornes, tous les chars, tous les glaives ainsi que toutes
les lances nabatéennes, pointèrent vers les esclaves du
Néant, puis, dans un biblique et poignant sursaut de
folie courageuse, ils se ruèrent dans les lames de
l’Océan de haine qui fonçait sur eux en grondant.
Longtemps les cris de rage et les chants des Elfes
tonnèrent dans la forêt septentrionale pendant que les
lames s’ébréchaient à tuer sans interruption, jusqu’à
faire périr les chevaliers qui les maniaient de fatigue.
Gémildan, dos à dos avec Sylvania succombèrent en
tuant deux centaines de Korrigans avec une cohorte
d’Ankous. Mohodir rendit l’âme tandis que, monté sur
l’échine d’un Léviathan posé au sol, il achevait de lui
trancher le dernier cou. C’est criblé de flèches
empoisonnées, tirées par des centaines d’archers
maudits, qu’il finit par périr dans le soleil rougeoyant du
soir.
Si les glorieux chefs ou Seigneurs des Nations
Libres tombèrent dans cette première journée de
l’invasion Impériale, si les deux tiers de l’armée de
Nabachton furent anéantis là, dans le Nord, les
survivants ne s’enfuirent pas. Ils bloquèrent par une
guérilla inflexible, les gigantesques forces de Gaurtlung
pendant plus d’un mois, dans la Taïga. Ils envoyèrent
des pigeons de feu dans leur Cité Royaume, aux
Le serment de Salermnos : 235
Le serment de Salermnos
forteresses du Golfe de Salermnos, dans la petite ville
de Mégara, la capitale de Silérie et sur les îles fortifiées
de la mer de Myrion.
Les derniers défenseurs de la Liberté purent
préparer leurs territoires, leurs châteaux et les restes de
leurs troupes pour faire face à la chute de la liberté sur
le Continent Civilisé qui allait gémir, pour de longues
années, sous la botte des créatures du Néant.
Les Druides qui avaient participé à la charge de
Nabachton, parvinrent à canaliser la puissance des puits
de magie entourant le chant de bataille pour, non
seulement soustraire ces ressources inestimables à leurs
ennemis en les dissimulant derrière des illusions
enchantées terriblement mortelles, mais aussi, afin de
soutenir les forces du bien qui avaient perdu leur
vitalité, bien qu’elles aient conservé tout leur courage.
C’est ainsi que les restes des Nabatéens continrent
suffisamment longtemps les légions de Gaurtlung, pour
que la résistance des derniers peuples libres s’organise,
tout en se cachant efficacement dans les grandes forêts
du Continent Civilisé ou derrière les remparts
imprenables des places fortes maritimes et
montagnardes.
Quand le dernier combattant de la liberté fut tombé
dans les terres sauvage du septentrion, les hordes des
ténèbres étaient éprouvées mais, elles avaient accumulé
assez de fureur et de haine, pour faire fuir les esprits
Le serment de Salermnos : 236
Le serment de Salermnos
jardiniers de la Taïga eux-mêmes, jusqu’aux limites des
glaces éternelles du Pôle Nord.
Il n’était plus question de résister ouvertement au
mal. Les plus grands Seigneurs étaient tombés dans les
batailles des mois précédents. Seul le secret, la
dissimulation et la rapidité pourraient maintenant
permettre de contenir les excès des féroces Korrigans,
des sinistres Ankous et des effroyables Léviathans.
Les soldats du Néant et leurs capitaines se
répandirent sur tout le Continent Civilisé. Ils
s’emparèrent des villes, surveillèrent les grandes routes
et dominèrent le monde habité de Formalow.
Cependant, ils ne parvinrent pas à s’emparer du col
des cristaux de puissance, au-dessus de Mégara. Sur les
Montagnes de Silérie. Une petite armée de Silériens y
construisit un réseau de souterrains. Ils s’y abritaient
des Léviathans tout en empêchant quiconque de monter
sur ces sommets sans leur accord. Les Sylvains de
Castel-Elfes repoussèrent aussi les hordes de Gaurtlung.
Ils envoyèrent des aigles, pendant toute la durée de
l’Empire, ravitailler les partisans montagnards Silériens.
Les bois qui encerclaient la Mer de Myrion furent,
eux aussi, gardés des Démons de Thanator par les
énergiques Druides et leurs galères forteresses.
Les rives du Golfe de Salermnos furent un des
hauts-lieux de la résistance également. Les Marins
rejetèrent, depuis les hauts murs de leurs forteresses, les
Le serment de Salermnos : 237
Le serment de Salermnos
innombrables assauts qu’ils durent subir, pendant toute
la domination de l’Empire.
Il y eut enfin le Royaume de Nabachton que toutes
les sources de magie cachées renforçaient en se
concentrant dans celle autour de laquelle, la Cité
Royaume des Nabatéens avait été fondée. Cette vallée
merveilleuse et son industrie intelligente furent le fer de
lance des combattants de la lumière et de la liberté.
La Bataille du Nord n’était pas encore Achevée
que tous les capitaines, les sages, les régents, élus et
aimés par tous les peuples pensants de la création du
Penseur Eternel, se rendirent dans l’Aber d’Armenos.
Là, solennellement, au nom même du Maître du
Cosmos, ils prêtèrent tous le célèbre Serment de
Salermnos qui devaient unir dans la fraternité, les
hommes, les druides, les Elfes, les Silériens et même les
Esprits Jardiniers, contre la haine des Maudits, esclaves
des Seigneurs adorateurs du Néant.
Malgré l’affaiblissement des peuples éprouvés par
la guerre et l’adversité maléfique, un grand espoir était
né dans cette union forgée autour de l’épée d’Haran. Ce
glaive était toujours planté dans la roche qui avait tué le
vieux Seigneur. Recueillie par les Druides, la lame
mythique fut installée dans les jardins de la forteresse
d’Armenos. Tous ceux qui la voyaient et qui la voient
encore, inaltérable malgré les pluies venues de l’Océan,
sentent leur force intérieure et physique se multiplier.
La magie et la sagesse infinie du plus vieux des Rois
Le serment de Salermnos : 238
Le serment de Salermnos
Sylvains les animent alors. Ils savent qu’ensuite, plus
jamais ils ne céderont aux sirènes des ténèbres et que,
même s’ils sont moins nombreux que leurs adversaires,
ils ne peuvent pas être vaincus.
La forteresse d’Armenos, avec Nabachton et
Myrion, devinrent la hantise qui rongea les cœurs
déchus de Gaurtlung et de Sarquonikos.
Le serment de Salermnos : 239
Le serment de Salermnos
- XX -
Du haut des remparts de Nabachton, la Princesse
régnante Manohéva regarda vers l’Est. La noire masse
grouillante des puissances ténébreuses se ruait avec
férocité à travers la plaine du Nord.
Dans le ciel assombri par les vapeurs nocives,
émises depuis la faille dimensionnelle orientale, les
Léviathans colossaux tournoyaient, attendant un signe
de leur maître, venu en personne participé au siège de
Nabachton.
Les puits d’énergie bienfaisante avaient échappé à
cette marée maléfique qui déferlait depuis le bout
oriental du Monde sur le Continent Civilisé. S’ils
existaient toujours et si désormais ces sources de
bienfaisance concentraient leur action visible dans la
vallée de Nabachton, plus jamais elles ne pourraient être
approchées au cours de ce Cycle. Dans les terres
sauvages du Nord, leurs anciens emplacements seraient
marqués par des allées couvertes, mais ces dolmens ne
seraient dressés qu’à la fin de L’empire, après la Guerre
des Larmes de Sang.
Aujourd’hui, les hordes du mal occupaient toutes
les Terres Civilisées et heureusement, elles ne pouvaient
pas mettre la main sur les puits dissimulés par les
Le serment de Salermnos : 240
Le serment de Salermnos
sortilèges des Druides. Pourtant, en arrivant sous les
remparts de Nabachton, et bien qu’elles aient été
éprouvées durement dans les combats contre la
Résistance dans la Taïga, les maudits furent persuadés
que la Ville Royaume allait se rendre aisément. Ils
faisaient une bien grave erreur.
La puissance magique de Manohéva et de ses
tantes, les sœurs de Sylvania, était encore plus grande
que celle de sa mère unie à son père. La jeune
souveraine conservait en elle toutes les aptitudes de sa
dynastie ainsi que la résistance farouche des deux
espèces pensantes dont elle représentait l’Union
harmonieuse.
Sa volonté et ses sorts ne pouvaient être que
défensifs, pourtant, ils prouvèrent leur grandeur dès
l’apparition des hordes de Gaurtlung aux portes de
Nabachton. La puissance déployée par la princesse de la
Vallée Merveilleuse fut telle que les escadres
effroyables des Léviathans elles-mêmes furent balayées
par la réaction protectrice des incantations prononcées.
Renversées par cette meurtrière fureur
majestueuse, les démons du Néant craignirent à jamais
les remparts et le portail du Royaume bienfaisant.
Certes, pendant que l’Empire dominait rageusement le
Continent Civilisé, de vastes légions de Korrigans,
d’Ankous et d’Hydres Volantes, surveillèrent
Nabachton. Par la suite, dans les sursauts désespérés qui
se produisirent à la fin des guerres, des armées
Le serment de Salermnos : 241
Le serment de Salermnos
maléfiques s’approchèrent de ce pays pour tenter d’en
interdire l’accès. Pourtant, il n’y eut plus jamais
d’attaques directement menées contre la Vallée
Magique du Nord, même après la disparition de la Reine
Manohéva.
Pendant que ces évènements faisaient de
Nabachton une généreuse réserve de combattants et
d’énergie contre le Mal, Myrion et ses Druides
arrêtaient l’avancée de Gaurtlung avec une rigueur toute
aussi cuisante pour l’Ennemi.
Les dernières ressources en vaillance des paysans-
forgerons, au prix de nombreuses existences et d’une
souffrance effrayante, se fixèrent dans les montagnes de
Silérie.
Sur les rives du Golfe de Salermnos, la violence
des combats figea également la situation favorablement
aux Marins et aux Elfes du Duché des Abers. C’était
une lueur d’espoir dans l’horrible repli général qui avait
balayé les chevaliers de la justice et de la lumière à
travers toutes les terres habitées de ce Monde.
Ce qui aurait pu entamer la confiance et la fidélité
des Humains c’est, qu’en découvrant les immenses
phalanges de démons qui les attaquaient, au début de
l’invasion, et surtout l’invincibilité apparente des
Léviathans, certains Marins, peu courageux prirent la
fuite sur une petite flotte qui quitta le Golfe pour
disparaître en Mer.
Le serment de Salermnos : 242
Le serment de Salermnos
Personne, à cette époque ne sut ce que devinrent
les traîtres. Heureusement, la plus grande partie des
humains fut fidèle à leur Duc et à leurs alliés. Même
ceux qui n’étaient pas de bons combattants, firent de
leur mieux, contenant leur peur, usant de leurs multiples
compétences avec le plus d’efficacité possible, pour
faire, ensemble, face aux sièges de leurs places fortes et
de leurs ports défendus par de solides murailles.
De nombreux navires, qu’ils avaient construits
avec amour, parfois même, avant de venir sur les rives
du Continent Civilisé, furent détruit dans les batailles de
Salermnos. Des vies innombrables disparurent dans cet
holocauste douloureux. Pourtant, malgré les
interventions incessantes des Hydres volantes, en dépit
des hordes effrayantes de démons qui rugissaient au
pied de leurs remparts, Le Duché des Abers ne tomba
pas et ne céda pas aux injonctions de L’empire de
Gaurtlung le maudit.
Dans la longue nuit de souffrances et de privations
qui se préparait pour les millénaires à venir, chaque
enclave de résistance, chaque guerrier, au cœur vaillant
qui, dissimulé dans la Lande, la Montagne ou bien la
Forêt, luttait contre les forces du Mal par son courage et
son inflexibilité dans l’adversité, étaient des lueurs
d’espoir pour le Monde, la Justice et la Pérennité de ce
Cycle. Thanator dans son orgueil, Sarquonikos, abreuvé
de peines et de malheurs scellant la grandeur du Néant
dont il était le Seigneur absolu, l’avaient totalement
Le serment de Salermnos : 243
Le serment de Salermnos
oublié. Ils ne voyaient, du haut de leurs trônes
d’infamie, que les vagues déferlantes de leurs armées
maudites inondant le Continent Civilisé. Les deux Rois
ténébreux n’avaient pas compris que la houle
désordonnée de leur haine destructrice se brisait sur des
rochers valeureux d’où partirait un jour, la liberté et
l’espoir de ce monde martyrisé.
Formalow connaîtrait certainement un nouvel Âge
d’Or au-delà, dans les époques de l’Histoire de la vision
des voyants. Pourtant, celui-ci, s’il s’installait, serait-il
éternel, comme le Créateur du Cosmos qui souhaitait
que cette prophétie s’accomplisse.
Fin des Marins de l’espoir
et du roman : Le serment de Salermnos.
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