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Prépa ECE Un auteur, un concept P. Rigaud Claudio Borio et le cycle financier 1 LE CYCLE FINANCIER Claudio Borio est docteur en économie de l’université d’Oxford. Il est aussi diplômé en science politique et en philosophie. Enseignant chercheur au Brasenose College (Oxford), il devient économiste à l’OCDE (1985-1987) avant d’intégrer la Banque des Règlements Internationaux (BRI) où il est le chef du département monétaire et économique. Claudio Borio est spécialisé dans l’analyse de la politique monétaire, des relations financières et bancaires et des questions de stabilité financière. Il fait partie des économistes qui invitent à redécouvrir le rôle du cycle financier en macroéconomie tant pour comprendre les fluctuations économiques que pour définir les politiques macroéconomiques. Citation « La notion de cycle financier est devenue un ingrédient de base dans la façon dont les économistes et les décideurs politiques comprennent comment fonctionne l'économie. Il est difficile de nos jours de discuter de politique monétaire ou prudentielle sans référence au concept de cycle financier. Il est devenu, pour ainsi dire, une partie du mobilier intellectuel. » Les cycles sont aussi financiers Les fluctuations, où évolutions alternées de variables économiques autour d’une tendance, peuvent connaître des régularités dans leurs amplitudes et/ou leur périodicité. Les variations successives et de sens contraires d’indicateurs de production ou de prix peuvent donc être irrégulières ou connaître une certaine constance. Un cycle est formé de fluctuations régulières de fréquences périodiques et d’amplitude fixe. Un cycle économique représente des fluctuations de l'activité économique, plus ou moins régulières et périodiques. Il y a donc alternance de périodes qui ont des taux de croissance (du produit intérieur brut - PIB, de la productivité, des prix, du niveau des stocks, etc.) rapides et d’autres singularisées par un ralentissement voire un recul des performances économiques. On découpe généralement le cycle économique en quatre moments ou phases : l’expansion (croissance), la crise, la contraction (dépression) et la reprise. La crise est donc le point de retournement, à la baisse, de l’activité économique ; et la reprise, un point de retournement, à la hausse, des mêmes indicateurs. Il n'y a pas de consensus sur la définition du cycle financier néanmoins tous s’accordent pour distinguer une cyclicité de variables financières (quantités de crédits distribués, prix des actifs financiers, mouvements des investissements de portefeuille, etc.) distincte des phases du cycle réel (cf. PIB). « D’une façon générale, on peut définir le cycle financier comme les écarts substantiels et durables enregistrés par les variables financières (prix d’actifs financiers et nouveaux crédits distribués) autour de leur tendance d’équilibre de long terme.» 1 Pour Claudio Borio, le cycle financier désigne des interactions auto-renforçantes entre les perceptions de la valeur et du risque, les attitudes envers le risque et les contraintes de financement, qui se traduisent par des booms suivis d’effondrement des prix. Ces interactions peuvent amplifier les fluctuations économiques et éventuellement entraîner de graves difficultés financières et des bouleversements économiques. La pro-cyclicité est la propension des marchés financiers, ou plus largement du système financier, à amplifier (et non atténuer) les fluctuations économiques. Pour Claudio Borio, ce concept au cœur de la réflexion sur les cycles financiers. En effet, la « pro-cyclicité » (qui va dans le sens d’un cycle), ou variabilité excessive d’un facteur aux fluctuations du cycle économique, explique les phénomènes de sur-réaction, à la hausse et à la baisse, sur les marchés financier, les effets de rationnement du crédit (« credit crunch ») ou d’emballement du crédit. La pro-cyclicité accentue donc l’amplitude des mouvements conjoncturels et exerce une influence déstabilisante sur l’activité économique. 1 Le cycle financier : facteurs amplificateurs et réponses envisageables par les autorités monétaires et financières, Bulletin de la Banque de France, n° 95, novembre 2001

LE CYCLE FINANCIER

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Page 1: LE CYCLE FINANCIER

Prépa ECE Un auteur, un concept P. Rigaud

Claudio Borio et le cycle financier 1

LE CYCLE FINANCIER

Claudio Borio est docteur en économie de l’université d’Oxford. Il est aussi diplômé en science politique et en philosophie. Enseignant chercheur au Brasenose College (Oxford), il devient économiste à l’OCDE (1985-1987) avant d’intégrer la Banque des Règlements Internationaux (BRI) où il est le chef du département monétaire et économique.

Claudio Borio est spécialisé dans l’analyse de la politique monétaire, des relations financières et bancaires et des questions de stabilité financière. Il fait partie des économistes qui invitent à redécouvrir le rôle du cycle financier en macroéconomie tant pour comprendre les fluctuations économiques que pour définir les politiques macroéconomiques.

Citation

« La notion de cycle financier est devenue un ingrédient de base dans la façon dont les économistes et les décideurs politiques comprennent comment fonctionne

l'économie. Il est difficile de nos jours de discuter de politique monétaire ou prudentielle sans référence au concept de cycle financier. Il est devenu, pour

ainsi dire, une partie du mobilier intellectuel. »

Les cycles sont aussi financiers Les fluctuations, où évolutions alternées de variables économiques autour d’une tendance, peuvent connaître des régularités dans leurs amplitudes et/ou leur périodicité. Les variations successives et de sens contraires d’indicateurs de production ou de prix peuvent donc être irrégulières ou connaître une certaine constance.

Un cycle est formé de fluctuations régulières de fréquences périodiques et d’amplitude fixe. Un cycle économique représente des fluctuations de l'activité économique, plus ou moins régulières et périodiques. Il y a donc alternance de périodes qui ont des taux de croissance (du produit intérieur brut - PIB, de la productivité, des prix, du niveau des stocks, etc.) rapides et d’autres singularisées par un ralentissement voire un recul des performances économiques. On découpe généralement le cycle économique en quatre moments ou phases : l’expansion (croissance), la crise, la contraction (dépression) et la reprise.

La crise est donc le point de retournement, à la baisse, de l’activité économique ; et la reprise, un point de retournement, à la hausse, des mêmes indicateurs.

Il n'y a pas de consensus sur la définition du cycle financier néanmoins tous s’accordent pour distinguer une cyclicité de variables financières (quantités de crédits distribués, prix des actifs financiers, mouvements des investissements de portefeuille, etc.) distincte des phases du cycle réel (cf. PIB). « D’une façon générale, on peut définir le cycle financier comme les écarts substantiels et durables enregistrés par les variables financières (prix d’actifs financiers et nouveaux crédits distribués) autour de leur tendance d’équilibre de long terme.»1

Pour Claudio Borio, le cycle financier désigne des interactions auto-renforçantes entre les perceptions de la valeur et du risque, les attitudes envers le risque et les contraintes de financement, qui se traduisent par des booms suivis d’effondrement des prix. Ces interactions peuvent amplifier les fluctuations économiques et éventuellement entraîner de graves difficultés financières et des bouleversements économiques.

La pro-cyclicité est la propension des marchés financiers, ou plus largement du système financier, à amplifier (et non atténuer) les fluctuations économiques. Pour Claudio Borio, ce concept au cœur de la réflexion sur les cycles financiers. En effet, la « pro-cyclicité » (qui va dans le sens d’un cycle), ou variabilité excessive d’un facteur aux fluctuations du cycle économique, explique les phénomènes de sur-réaction, à la hausse et à la baisse, sur les marchés financier, les effets de rationnement du crédit (« credit crunch ») ou d’emballement du crédit. La pro-cyclicité accentue donc l’amplitude des mouvements conjoncturels et exerce une influence déstabilisante sur l’activité économique.

1 Le cycle financier : facteurs amplificateurs et réponses envisageables par les autorités monétaires et financières, Bulletin de la Banque de France, n° 95, novembre 2001

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Le risque, ou l’éventualité d’un sinistre ou d'un autre événement incertain, est avec la pro-cyclicité, l’autre dimension centrale dans l’analyse des cycles financiers. Le risque s'accumule pendant les périodes d’expansion et se matérialise dans les phases de contractions. Ainsi, les prix des actifs qui peuvent être trop élevés que surviennent les périodes de tensions financières. Avec la « Grande crise financière » (2008), le concept de cycle financier connaît une renaissance. On peut néanmoins distinguer :

• le cycle financier domestique, concept développé au sein de la Banque des règlements internationaux (BRI), notamment par Claudio Borio. Il décrit les conditions de financement dans chaque pays et met l'accent sur les prix du crédit et de l'immobilier. Ce cycle financier domestique est beaucoup plus long que le cycle économique et reste lié aux fluctuations à moyen terme du PIB ;

• et le cycle financier mondial, concept développé au sein du Fonds monétaire international (FMI), notamment par Hélène Rey. Il décrit les co-mouvements transfrontaliers des flux de capitaux et met l'accent sur les flux de dettes et de capitaux propres ainsi que sur les prix des actifs sur les marchés financiers. Soulignons qu’il permet de penser la façon dont les conditions financières dans un pays (États-Unis) se propagent au reste du monde. Ce cycle financier mondial a une durée similaire à celle du cycle économique (environ huit années). Quel que soit le cycle financier, il existe des mécanismes d’auto-renforcement entre les conditions de financement, la prise de risques et les prix des actifs. Ces interactions ont un caractère cyclique (cf. alternance de phases d'expansion et phases de contraction).

Les cycles financiers et économiques aux États-Unis

On distingue les cycles économiques, généralement mesurés par les fluctuations du produit intérieur brut (PIB) réel, des cycles financiers, souvent approchés par les fluctuations du crédit et des prix des actifs immobiliers ou financiers. À l'aide de filtres statistiques (ou méthode de transformation des données initiales), Claudio Borio et d’autres économistes proposent une représentation du cycle financier aux États-Unis qui combine le comportement des prix de l'immobilier et du crédit, y compris par rapport au PIB et se concentre sur les fluctuations à plus long terme qui sont plus étroitement liées aux crises bancaires et aux récessions les plus graves. La comparaison de ce cycle financier avec le cycle économique permet de mettre en exergue deux caractéristiques :

• depuis le début des années 80, le cycle financier domestique a une amplitude plus forte et est devenu plus long que le cycle économique ;

• les pics du cycle financier ont tendance à déclencher des récessions et coïncide avec des crises bancaires.

Les cycles financiers et économiques aux États-Unis

1. Le cycle financier, mesuré par des filtres basés sur la fréquence (bande passante), capture les fluctuations du crédit réel, du ratio crédit / PIB et des prix réels des logements sur une période de 32 à 120 trimestres. 2. Le cycle économique, mesuré par un filtre basé sur la fréquence (bande passante), capture les fluctuations du PIB réel sur une période de cinq à 32 trimestres.

Source: Drehmann, M, C Borio and K Tsatsaronis (2012): ”Characterising the financial cycle: don’t lose sight of the medium term!”, BIS Working Papers, no 380 et June et Laeven, L and F Valencia (2018): “Systemic banking crises revisited”, IMF Working Papers, no 18/206, September.

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Comparer les cycles financiers domestiques et les cycles financiers mondiaux

Le cycle financier mondial est lié aux flux de capitaux des économies avancées. Ses moteurs sont : • l’affaiblissement de l'aversion pour le risque ; • l’importance du dollar des États-Unis (une hausse de la valeur du dollar américain coïncide avec des

ralentissements du cycle financier mondial) dans le système monétaire international ; • la politique monétaire américaine qui, bien que son lien avec le cycle financier mondial ne soit pas stable,

exerce des effets sur de nombreux pays.

Le cycle financier mondial

1. Facteur financier mondial 2. Première composante principale du total des flux extérieurs/PIB de 31 pays 3. Moyenne du facteur global basé sur les prix et du facteur global basé sur les quantités

Sources: Miranda-Agrippino and Rey (2015); IMF, Balance of Payments; BIS calculations.

Les deux cycles (mondiaux et nationaux) diffèrent en termes de quantités et de prix des actifs auxquels ils accordent plus d'attention :

• dans le cas du cycle financier domestique, les prix du crédit et de actifs immobiliers sont au cœur d’une l’analyse qui se concentre sur l'accumulation des vulnérabilités et des déséquilibres qui entraînent les crises bancaires ;

• dans le cas du cycle financier mondial, les flux de dettes et de capitaux propres et les prix des actifs financiers sont centraux. L’analyse se concentre sur la propagation des risques financiers entre les pays, notamment des États-Unis vers le reste du monde.

Caractériser les cycles financiers mondiaux et domestiques

Cycles financiers mondiaux

Cycles financiers domestiques

Base analytique commune Prise de risque / conditions de financement / prix des actifs (pro-cyclicité) Centre d’analyse original Transmission de la politique

monétaire américaine Crises bancaires

Orientation de politique économique Dilemme contre trilemme

Quels sont les moyens dont disposent les pays pour faire face à l'impact du cycle ? Les taux de change flexibles

rendent-ils efficace la politique monétaire lorsqu’il y a liberté de

circulation des capitaux ?

« Lean versus clean »

La politique monétaire doit-elle chercher à prévenir les booms financiers ou

simplement atténuer les chocs ex-post ? Les mesures macroprudentielles sont-

elles suffisantes ?

Composants - Prix des actifs - Quantités

Financiers

Tous les flux de capitaux

Immobiliers

Crédits Synchronisation entre les pays Complète par construction Partielle Durée Courte Longue Liens entre les deux Pics autour de la crise Relations avec le PIB Cycle économique traditionnel

(environ 8 ans) Cycle économique de moyen terme

(15 ans) Source : Claudio Borio (2019) A tale of two financial cycles: domestic and global, BIS

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Les implications de politiques économiques : une nouvelle conception de la politique monétaire et prudentielle

Les politiques économiques doivent intégrer les défis d’un monde marqué par de puissants cycles financiers mondiaux donc de mouvements communs des prix des actifs et des flux de capitaux. Par exemple, les analyses en termes de cycles financiers permettent de comprendre que les politiques monétaires dans les principales économies avancées, principalement celle des États-Unis, se propagent au reste du monde. Il existe au moins trois mécanismes de transmission au reste du monde :

• un effet direct, liés aux emprunteurs internationaux en dollars ; • un effet indirect, les pays d'accueil qui subissent une appréciation indésirable peuvent agir sur le marché

des change mais, en fin de compte, ils ne pourront maintenir les taux d'intérêt internes à des niveaux différents de ceux du pays d'ancrage ;

• un effet d'amplification via le taux de change du dollar. Une dépréciation du dollar encourage la poursuite des prêts et des emprunts dans la devise étatsunienne des entreprises qui empruntent en dollar pour investir ou des gestionnaires d’actifs qui placent leurs fonds dans des titres en monnaie locale.

Les cycles financiers d'amplitude croissante ont changé la nature des fluctuations économiques depuis le début des années 80. Le cycle financier mondial et les cycles financiers nationaux se rejoignent en période de crise avec les baisses importantes du PIB. La politique économique doit donc prendre en compte l’existence des deux cycles (économiques et financiers) et leurs interactions.

Les flux de capitaux, les prix des actifs ou la croissance du crédit ne sont pas toujours alignés sur les conditions macroéconomiques spécifiques des pays. Dans un certain nombre de pays, cela peut conduire à une croissance excessive du crédit et, dans d’autres, à des conditions monétaires trop tendues. La probabilités croissante d’événements systémiques (effets de contagion entre institutions financières, amplification des chocs, déséquilibres financiers liées aux bulles d’actifs, etc.) invite à approfondir la surveillance macroprudentielle mais aussi à analyser ses interactions avec les autres politiques comme la politique monétaire qui peuvent réduire ou accentuer les tendances pro-cycliques des systèmes financiers.

Penser les cycles financiers, c’est donc (re)donner une place à la politique macroprudentielle qui vise à limiter le risque systémique, soit le dysfonctionnement du système financier dans son ensemble le rendant incapable d’assurer ses fonctions fondamentales.

Utiliser la ressource dans une réflexion qui porte sur : è Les fluctuations économiques

è Les crises économiques et financières

Le vocabulaire pour progresser

Fluctuations : ………………………………………………………………………………………………………………… ………………………………………………………………………………………………………………………………….. ………………………………………………………………………………………………………………………………….. Cycles économiques : ……………………………………………………………………………………………………… ………………………………………………………………………………………………………………………………….. ………………………………………………………………………………………………………………………………….. Cycles financiers : …………………………..……………………………………………………………………………… ………………………………………………………………………………………………………………………………….. ………………………………………………………………………………………………………………………………….. Pro-cyclicité : …………………..……………………………………………………………………………………………. ………………………………………………………………………………………………………………………………….. Crise : ……………….………………………………………………………………………………………..……………….. ………………………………………………………………………………………………………………………………….. Risque : ……………………………..……………….……………………………………………………………………….. ………………………………………………………………………………………………………………………………….. Risque systémique : ……………………………….……………………………………………………………………….. …………………………………………………………………………………………………………………………………..