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DAURELLES Magali Université Lyon II Lumière Département de Droit et Sciences Politiques
Le droit à l’éducation pour tous face au temps de l’urgence
Vers une nouvelle approche des crises humanitaires
Mémoire de Master 2 de Droit, mention « Droits de l’homme », soutenu le 5 juillet 2007 en présence de Mme Edith Jaillardon, professeure à l’Université Lyon II Lumière. Direction : Mme Geneviève Iacono, maître de conférence à l’Université Lyon II Lumière.
Année universitaire 2006/2007
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Remerciements
Merci à Madame Geneviève Iacono pour ses conseils au cours de l’élaboration de ce travail. Merci à Anne-Laure Debon, Yassin El Shazly et bien sûr à Julie D’Haussy pour leur présence et leur amitié si précieuse. Merci à ma mère et à Jean-Pierre Berthet pour leur patience et leur soutien sans faille.
En couverture : photo de Louise Gubb prise au Malawi, UNICEF.
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SOMMAIRE INTRODUCTION 1 PARTIE I : LES OBSTACLES AU DROIT A L'ÉDUCATION EN SITUATIONS
D'URGENCE 8
CHAPITRE I Les conflits normatifs du droit à l'éducation en situations d'urgence 9
Section 1 La confrontation entre le droit humanitaire et les droits de l'homme 9
Section 2 La reconnaissance tacite d'un droit à l'éducation en situations d'urgence 23 CHAPITRE II Confrontation des temporalités de l'éducation et de l'urgence 34
Section 1 L'impossibilité de penser l'éducation dans des contextes obéissant aux seules règles du présent 34
Section 2 L'incarnation des conflits de temporalités dans des situations concrètes 45 PARTIE II : LE DÉPASSEMENT DÉS OBSTACLES AU DROIT A
L'ÉDUCATION EN SITUATIONS D'URGENCE 59
CHAPITRE I Les possibilités de mise en oeuvre du droit à l'éducation en situations d'urgence 59
Section 1 L'ingérence humanitaire et la question de l'éducation 59
Section 2 Les mécanismes nécessaires à la mise en oeuvre du droit à l'éducation en situations d'urgence 78
CHAPITRE II La transformation de la définition de l'urgence par la mise en oeuvre du droit à
L'éducation 92
Section 1 L'impact global de l'éducation sur l'urgence 92
Section 2 Évaluation d'un cas particulier : l'éducation après le génocide Rwandais 104
CONCLUSION 114 BIBLIOGRAPHIE 116 ABRÉVIATION ET ACRONYMES 126
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INTRODUCTION
Il existe aujourd’hui 76,8 millions d’enfants non scolarisés dans le monde1.
Beaucoup d’autres reçoivent des enseignements de mauvaise qualité ou insuffisants
pour leur permettre d’acquérir les aptitudes nécessaires à leur développement, à leur
autonomie. Par défaut d’éducation, 781 millions d’adultes sont analphabètes2. Les
individus vivant dans les pays les plus pauvres ont statistiquement moins de chances
d’accéder à un enseignement scolaire de qualité et la disparité entre les filles et les
garçons s’y ressent de manière particulièrement forte3. Pourtant, c’est dans les pays qui
en auraient le plus besoin, les pays en développement, que l’éducation manque le plus.
C’est dans les situations où elle pourrait jouer un rôle crucial qu’elle est le plus difficile
à mettre en place.
Depuis la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) du 10
décembre 1948, dans laquelle sont rassemblés droits civils et politiques (DCP) et droits
économiques, sociaux et culturels (DESC), le droit à l’éducation est reconnu comme
fondamental. « Toute personne a droit à l’éducation »4.
Le statut juridique du droit à l’éducation depuis cette date, comme celui des
DESC en général, est en perpétuelle évolution et revêt des contours ambigus. La
reconnaissance de ce droit au niveau international est laborieuse. S’il prend une
dimension universelle à partir de 1948 dans la DUDH, il n’occupera une place
autonome dans le paysage juridique des droits de l’homme qu’à partir des années 1990.
La mise en oeuvre du droit à l’éducation est un des plus grands défis de notre siècle.
1 Selon les techniques statistiques utilisées, le nombre d’enfants non-scolarisés n’est pas le même. L’institut statistique de l’UNESCO (ISU) pour l’année 2004 considère que ce chiffre s’élève à 76, 8 millions dont 57% de filles en 2004. Ces données sont disponibles sur : http://www.uis.unesco.org/ev_fr.php?ID=6804_201&ID2=DO_TOPIC. Les données de l’UNICEF donnent des chiffres plus élevés. Il y aurait 115 millions d’enfants non scolarisés en 2005. Elles peuvent être consultées sur http://www.unicef.fr/accueil/sur-le-terrain/themes/education--citoyennete/education/var/lang/FR/rub/433/articles/578.html#. 2Données de l’UNESCO pour 2004 disponibles sur : http://www.uis.unesco.org/ev.php?URL_ID=6401&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201. 3 Selon l’UNESCO, 57% des enfants non scolarisés sont des filles et 64% des adultes analphabètes sont des femmes. La disparité entre les sexes est encore plus importante dans les pays en développement. 4 Déclaration Universelle des droits de l’Homme, adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations-Unies, article 26, disponible sur http://www.un.org/french/aboutun/dudh.htm.
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Affirmer un droit à l’éducation pour tous, c’est essentiellement affirmer le devoir pour
l’humanité d’éduquer ses enfants, quels qu’ils soient et dans quelque situation que ce
soit. Sa mise en œuvre est en construction et nous verrons que les obstacles sont à la
mesure de ses enjeux. Poser un droit universel à l’éducation, c’est dire que toute
personne a le droit de recevoir tous les outils nécessaires à la compréhension du monde
qui l’entoure, à son développement personnel, et à son épanouissement. Mais l’article
26.2 de la DUDH va plus loin, « L’éducation doit viser au plein épanouissement de la
personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des
libertés fondamentales. » L’éducation est donc définie par un contenu de valeurs, en
même temps qu’elle devient un droit universel et toute la trajectoire du droit à
l’éducation va s’appliquer à associer ces deux faces d’une même ambition : une
éducation pour tous et une éducation dont les contenus sont porteurs de valeurs. Il s’agit
de rendre compatible l’aspect quantitatif et l’aspect qualitatif de l’éducation. Précisons
tout d’abord ce que nous entendons par éducation.
Il nous faut distinguer le concept d’éducation de celui d’instruction. L’instruction
désigne un processus de transmission de connaissances reposant sur une relation
hiérarchisée entre un maître et un élève. Elle renvoie à une vision quantitative du
phénomène d’apprentissage. Le postulat de l’instruction est que plus un individu
acquiert de connaissances, meilleur il est. Autrement dit la quantité de savoir produirait
de la qualité éducative. Le concept d’instruction, qui vient du latin instruere, bâtir, et le
concept d’éducation ne sont pas antagonistes mais l’instruction n’est à notre sens qu’une
des déclinaisons possibles de l’éducation.
Il en est de même pour le concept de formation qui est de plus en plus utilisé
aujourd’hui. La formation consisterait à aider un enfant ou un individu à acquérir des
compétences en vue d’une fonction, d’une profession. La formation sert souvent
aujourd’hui à désigner la manière dont quelqu’un acquiert telle ou telle compétence, on
parle d’ailleurs beaucoup de formation professionnelle, ou qualifiante. Elle prépare un
individu à une fonction prédéfinie, sociale ou professionnelle. Or, l’éducation ne vise
pas seulement à établir des compétences mais bien plutôt des aptitudes : la compétence
est quelque chose que l’on possède et qui est éphémère, l’aptitude est une potentialité
inhérente à ce que nous sommes.
L’éducation comprend les concepts d’instruction ou de formation mais sa portée
va bien au-delà. Il ne s’agit pas d’apprendre à avoir telle ou telle connaissance, tel ou tel
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savoir-faire, telle ou telle compétence mais d’apprendre à être5. Cela ne fait pas
seulement de l’éducation un concept plus large, cela lui confère une signification
singulière. Autrement dit, la visée de l’éducation n’est pas extérieure à l’individu. « Le
concept d’éducation est le plus englobant de tous ceux qui touchent à la formation de
l’homme6 » Le concept de formation est à la fois celui qui dans son sens originel est le
plus proche de l’idée d’éducation mais aussi celui qui peut en être détourné le plus
facilement. L’éducation doit être formation au sens fort du terme, au sens de
transformation et non d’information7. « Acquérir un objet extérieur à lui signifie, pour
l’apprenant, l’intérioriser en le transformant pour en faire son bien propre.8 »
L’éducation est le processus même de formation de l’individu et il n’a d’autre fin que
lui-même. « Former se préoccupe du sujet de l’éducation : ce qui est appris fait partie
de lui, le définit, lui donne forme.9 »
Le concept d’éducation est donc englobant du point de vue de sa visée : il vise à
apprendre à être, nous y reviendrons, et non seulement à savoir ou à avoir. Tous les
autres buts de l’éducation doivent être subordonnés à cette première visée qui est le
développement de l’individu et avec lui des hommes et du monde.
Mais le concept d’éducation est aussi celui qui désigne le plus largement tous les
processus d’apprentissage dans leur forme. L’instruction et la formation, au sens
contemporain du terme, renvoient plus ou moins pour nous à l’éducation formelle. Elles
supposent l’existence de systèmes d’enseignement. Le concept d’enseignement fait
référence à la méthode. Il constitue un angle d’approche particulier du phénomène
éducatif. Nous entendons par éducation formelle un mode d’apprentissage qui repose
sur une intention d’éduquer, des objectifs, des méthodes, et qui peut faire système.
L’éducation formelle, et notamment l’école, est au cœur de toutes les exigences
éducatives et le droit à l’éducation qui s’adresse aux Etats et aux institutions vise
5 Faure Edgar et al., Apprendre à être, rapport de la Commission internationale sur le développement de l’éducation, Paris, UNESCO/ Fayard, 1972. 6 Vieillard-Baron Jean-Louis, Qu’est-ce que l’éducation ?, Montaigne, Fichte et Lavelle, Ed. Vrin, coll. Pré-textes, 1994, p 9. 7 Informer signifie littéralement donner une forme préétablie, en fonction d’un modèle ou d’une idée. Transformer signifie changer de forme, faire évoluer la forme d’un objet ou d’un individu. La transformation est un mouvement ouvert vers autre chose d’indéterminé. 8 Hannoun Hubert, Propos philosophiques sur l’éducation, Paris, Ed. L’Harmattan, Coll. Ouverture philosophique, 2002, p. 14. 9 Kerlan Alain, Philosophie de l’éducation, Issy-les-Moulineaux, Ed. ESF, Coll. Pratiques et enjeux pédagogiques, 2003, p. 45.
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l’expansion et l’amélioration de ce type d’éducation, car tout l’enjeu est pour le droit à
l’éducation de concilier universalité et qualité.
Or, nous n’apprenons pas seulement sur les bancs de l’école, mais chaque fois que
nous échangeons avec les autres ou avec notre milieu. Les propos d’Helvétius nous
concernent tous : « c’est à l’instant même où l’enfant reçoit le cours de la vie qu’il
reçoit les premières instructions […] dans ces premiers moments, quels peuvent être les
vrais instituteurs de l’enfance ? Les diverses sensations qu’elle éprouve. 10 » Etre en
rapport avec le monde qui nous entoure, c’est recevoir en permanence des informations
et subir leurs influences. Cette éducation que l’on pourrait qualifier d’informelle est à
l’œuvre dès notre naissance et tout au long de notre vie. Rousseau s’inscrit également
dans cette ligne de pensée : « Tout ce que nous n’avons pas à notre naissance, et dont
nous avons besoin étant grands, nous est donné par l’éducation. Cette éducation nous
vient de la nature, ou des hommes ou des choses…11» Entre l’éducation formelle et celle
que nous appelons informelle, il existe différentes formes d’apprentissages
complémentaires. On pourrait dire que l’éducation parentale est « semi-formelle »12.
Ces différentes catégories sont utiles d’une part pour bien cerner notre objet, d’autre
part parce que nous verrons que le droit fait appel à elles.
Il introduit même une nouvelle forme d’éducation dite non-formelle et c’est celle
qui nous intéressera en situation d’urgence. L’éducation non-formelle est bien prise
dans une intention, elle implique d’un côté celui qui enseigne et de l’autre celui qui
apprend mais ses méthodes et ses modalités sont en perpétuel mouvement et sans cesse
en adaptation face aux situations. Le droit à l’éducation depuis les années 1990 prend en
considération la pluralité des modes d’apprentissage et les différents textes à valeur
normative insistent sur cette compréhension large des phénomènes éducatifs.
Quelle que soit la définition de l’éducation et aussi large soit-elle, sa condition
première reste la prise en charge des enfants dans des structures d’enseignement
organisées. Les objectifs de l’éducation pour tous (EPT) définis par le forum de Dakar13
10 Helvétius, De l’homme, section 1, chapitre 1, Paris, Fayard, 1989. 11 Rousseau, Emile, traité sur l’éducation, Paris, Larousse, Coll. Petits classiques Larousse, 1999. (Première édition en 1762), p. 48. 12 Ces déclinaisons du concept d’éducation sont notamment introduites par Hannoun Hubert, Propos philosophiques sur l’éducation, Paris, Ed. L’Harmattan, Coll. Ouverture philosophique, 2002. 13 Forum mondial sur l’éducation pour tous, tenu à Dakar, au Sénégal, du 26 au 28 avril 2000. Six objectifs ont été définis pour 2015 :
- Développer la protection et l’éducation de la petite enfance, notamment pour les enfants vulnérables ou défavorisés
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et les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) déterminés par les Nations
Unies14 en 2000 posent d’ailleurs comme ambition commune l’universalisation de
l’enseignement primaire pour 2015. Le droit à l’éducation est notamment le droit pour
chaque enfant d’aller à l’école et de recevoir un enseignement de qualité. Affirmer ce
droit, c’est exiger qu’il ne s’agisse pas simplement d’un idéal mais d’une réalité et que
des mécanismes concrets soient mis en place. Ce qui fait le droit, c’est à la fois ce qu’il
porte comme valeurs, et dans le cas des droits de l’homme l’universalité et
l’inconditionnalité de ces valeurs, mais aussi l’ensemble des mécanismes qui doivent
garantir leur effectivité.
C’est d’abord aux Etats souverains, en accord avec les normes internationales
qu’ils ont signées ou ratifiées pour la majorité, de garantir ce droit et de le mettre en
œuvre. C’est en priorité aux Etats de donner toute sa consistance au droit à l’éducation
pour tous. Mais il existe certaines situations, considérées comme des situations
d’urgence, où les systèmes d’éducation nationaux sont défaillants ou absents.
L’ Organisation des Nations Unies pour l’Education, la science et la culture (UNESCO)
considère que l’on se trouve en situation d’urgence à partir du moment où un conflit ou
une catastrophe a déstabilisé, désorganisé ou détruit un système éducatif. On pourrait
étendre le concept d’urgence au cas d’enfants qui sont en marge de systèmes scolaires
existants. Ainsi, le Fond des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a une conception
très large de l’urgence. Les enfants souffrant de maladies graves et notamment du
VIH/sida, les enfants qui vivent dans la précarité ou les enfants des rues sont dans des
« situations d’urgence silencieuses ». Nous nous concentrerons dans ce travail sur les
situations de conflit, de catastrophes naturelles ou d’instabilité parce qu’en l’absence de
toute garantie nationale, elles posent des problèmes juridiques singuliers. C’est à leur
sujet que le forum de Dakar tire la sonnette d’alarme en 2000 et elles constituent
aujourd’hui un des obstacles majeurs à la mise en place de l’EPT.
- Universaliser l’accès à un enseignement primaire obligatoire et gratuit - Développer des programmes accessibles et adaptés à la vie courante - Améliorer de 50% le niveau d’alphabétisation - Eliminer les disparités entre les sexes - Améliorer la qualité de l’éducation
Se reporter au site : http://www.unesco.org/education/wef/fr_index.htm. 14 Le deuxième des objectifs du millénaire pour le développement des Nations-Unies concerne l’universalisation de l’éducation primaire, http://www.un.org/french/millenniumgoals/.
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Même s’il existe une volonté internationale forte de promouvoir le droit à
l’éducation pour tous en situations d’urgence, force est de constater qu’aucun cadre
juridique précis n’est en mesure de le garantir. Les situations d’urgence constituent par
définition des zones où toutes les catégories juridiques sont bousculées. Le droit
national n’est plus opérant et le droit international qui repose sur le principe de
souveraineté ne peut sans l’Etat offrir de garantie suffisante. Les droits les plus
élémentaires sont alors garantis par le droit humanitaire selon le principe d’humanité.
Or, le droit humanitaire ne prend pas en charge la question de l’éducation. D’une part,
donc, les différents mécanismes juridiques du droit à l’éducation deviennent obsolètes
dans ces situations, et d’autre part, le droit humanitaire ne prend pas en charge cette
question. Le droit à l’éducation en situations d’urgence est donc un objet non défini
juridiquement.
Si l’urgence échappe à l’éducation, c’est que ces deux concepts ne s’inscrivent pas
dans la même temporalité. Nous avons vu que l’enjeu de l’éducation est celui du
développement des individus et des peuples or celui de l’urgence est la survie de chacun
et de tous. On est donc confronté à deux logiques, deux temporalités, totalement
hétérogènes qui ne parviennent pas à se rencontrer et le flou juridique auquel nous
sommes confrontés fait écho à cette contradiction de fond. Est-ce à dire que le droit à
l’éducation proclamé haut et fort par la Communauté internationale doit renoncer à sa
dimension universelle ? Les situations d’urgence représentent-elles la limitent au-delà
de laquelle ce droit ne peut plus être garanti ?
Peu de travaux ont été effectués directement sur la question du droit à l’éducation
en situations d’urgence et cela pour plusieurs raisons. D’une part, c’est comme nous
l’avons souligné une préoccupation relativement récente que nous pourrions faire
remonter aux années 1990. D’autre part, la nature des problèmes posés par le droit à
l’éducation d’urgence n’est pas univoque et une approche pluridisciplinaire, voire
transdisciplinaire nous paraît nécessaire. Cette étude se situe de par son objet aux
frontières du droit, de la philosophie et des sciences de l’éducation.
Nous nous attacherons à expliciter les tensions juridiques inhérentes au droit à
l’éducation en situations d’urgence, à la fois au niveau des compétences et au niveau
des contenus normatifs eux-mêmes. Nous verrons en quoi ces tensions émanent de
contradictions plus profondes entre l’éducation et l’urgence qui relèvent de deux
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temporalités hétérogènes.(I) L’éducation par définition ne semble pas avoir de place
dans l’urgence or elle est en même temps primordiale dans la résolution de ces
situations critiques. Le présupposé de ce mémoire est que le droit à l’éducation pour
tous constitue la clé de voûte de la résolution des situations d’urgence précisément parce
qu’il en est le nœud problématique. Nous verrons donc de quelle manière il est possible
de dépasser les contradictions qui font obstacle au droit à l’éducation et dans quelle
mesure il est possible de le mettre en œuvre. (II)
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PARTIE I
Les obstacles au droit à l’éducation en
situations d’urgence
Le droit à l’éducation qui est reconnu comme un droit universel par la
Communauté internationale depuis 1948 fait partie du droit international des droits de
l’homme. C’est donc aux Etats souverains de veiller à l’application de ce droit, à la fois
en établissant dans leur législation les conditions de sa mise en œuvre mais aussi en
veillant à l’effectivité de ces différentes normes par la mise en place de moyens
suffisants (financiers, institutionnels, matériels, humains). Or certains contextes
juridico-politiques complexes sont caractérisés par l’absence de l’exercice de la
souveraineté étatique. Dans les situations d’urgence, soit les Etats ne parviennent plus à
exercer leur souveraineté, y compris dans des domaines aussi centraux que l’éducation,
soit ils n’assument pas leurs responsabilités. Le droit national est alors inopérant.
Comment garantir dans ces situations le droit à l’éducation pour tous, réaffirmé comme
un des principaux objectifs du XXIème siècle par les Nations Unies en 2000 ?
En situations d’urgence, le droit à l’éducation est traversé par les tensions entre le
droit international des droits de l’homme et le droit humanitaire. Ce sont deux logiques
juridiques qui s’affrontent. Plus que cela, le droit à l’éducation en situations d’urgence
porte ces tensions de manière singulière.(I) Ce n’est pas que l’éducation soit trop
ambitieuse ou irréalisable qui pose problème, mais c’est le fait qu’elle soit
essentiellement contradictoire avec l’urgence de par la temporalité dans laquelle elle
s’inscrit. Les diverses situations limites auxquelles se heurte le droit à l’éducation ne
font que révéler une contradiction essentielle entre le temps de l’éducation et celui de
l’urgence.(II)
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CHAPITRE I
Les conflits normatifs du droit à l’éducation en situations
d’urgence
Le droit à l’éducation en situations d’urgence n’a pas de définition normative
claire. Aucun traité, aucune déclaration, ne porte précisément sur cette question. Mais
cela ne signifie pas qu’il n’a aucune consistance. Nous devons interroger tout d’abord le
droit qui s’applique en situations d’urgence, et confronter les exigences du droit
humanitaire avec celles des droits l’homme.(section 1) Nous porterons ensuite notre
attention sur les textes normatifs du droit à l’éducation lui-même.(section II) C’est en
croisant ces différentes sphères juridiques et en analysant les questions, voire les
contradictions, qu’elles soulèvent, que nous parviendrons à mieux cerner notre objet.
Section 1
La confrontation entre le droit humanitaire et les droits de l’homme
La visée du droit humanitaire est de « procurer, dans le respect du principe de
non-discrimination, des secours aux victimes, principalement civiles, de conflits armés
internationaux ou non internationaux, de catastrophes naturelles ou de situations
d’urgence du même ordre. L’assistance consiste en la fourniture de denrées
alimentaires, de vêtements, d’abris, de médicaments, de soins médicaux et de toute
autre aide similaire, indispensable à la survie des populations et propre à alléger la
souffrance des victimes. 15»(A) Mais cette logique qui consiste à assurer le respect
minimum de droits et qui constitue une forme d’ ‘‘améliorisme’’ est à première vue en
contradiction avec le droit international des droits de l’homme qui s’inscrit dans un
continuum de temps et dont l’ambition est l’universalité et l’intangibilité des droits. Il
n’existe pas de consensus à propos de la portée des droits de l’homme en situations
d’urgence et différentes conceptions s’affrontent. Certains considèrent que le Droit
International des Droits de l’Homme (DIDH) s’applique en tant de paix ou de stabilité
15 Salmon Jean (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruylant, Bruxelles, 2001, p. 98.
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et qu’il doit laisser la place au droit humanitaire en situation de conflit ou d’urgence.
D’autres soulignent la primauté des droits de l’homme et leur caractère quasi-coutumier
dans la sphère internationale.(B) Interroger le droit à l’éducation qui fait partie du droit
international des droits de l’homme, en situations d’urgence, nécessite d’avoir à l’esprit
ces problématiques même si elles se posent à lui de manière singulière.
A/ Le flou juridique de l’urgence et la complexité du droit humanitaire
Le concept d’urgence est un concept qui n’a pas de contours extrêmement précis,
ni d’un point de vue théorique ou philosophique, ni d’un point de vue juridique. Qu’est-
ce qui définit exactement l’urgence ?(1) Le droit humanitaire contribue à sa définition
mais sa complexité et son caractère évolutif ne font qu’entretenir le flou de la définition
de l’urgence.(2)
1) L’urgence : un concept aux contours imprécis
Le concept d’urgence ne désigne pas un objet en soi mais bien plutôt un vide de
sens.(a) L’urgence se manifeste dans un écart entre ce qui est et ce qui devrait être, entre
la réalité et la norme. Elle se définit donc toujours négativement et ce que l’on entend
par urgence évolue avec notre conception de la normalité.(b)
a) Définition négative de l’urgence comme absence de dignité
Les situations d’urgence désignent les situations de conflit, de catastrophes
naturelles16 ou d’origine humaine, de violation massives des droits de l’homme.
Autrement dit, l’urgence n’a pas de définition précise, objective, elle désigne plutôt un
état d’où la dignité de la personne humaine est absente. Elle se définit difficilement
parce qu’elle est justement un vide de sens. On dira d’une personne qu’elle est dans
l’urgence si elle ne parvient plus à faire face, si plus rien ne semble détromper son
16 « Par catastrophes naturelles on entend, entre autres, les ouragans, typhons, séismes, sècheresses et inondations. Certaines catastrophes naturelles, comme les séismes, surviennent du jour au lendemain et peuvent avoir un impact considérable sur les personnes vivant à proximité de la zone touchée. D’autres, comme les sécheresse, se développent lentement, mais n’en produisent pas moins des effets dévastateurs. », Normes minimales en situations d’urgence, de crises et de reconstruction, Paris, INEE, 2004, p. 7.
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sentiment d’impuissance, si elle en perd sa dignité. « C’est la dépersonnalisation qui
révèle une situation d’urgence.17 » La situation d’urgence est une généralisation de cette
dégradation des personnes. Nous voyons bien en quoi le concept d’urgence est
nécessairement flou puisqu’il se définit de manière négative. De plus, dans bien des cas,
la désignation de l’urgence dépend de l’appréciation de ceux qui la subissent et de ceux
qui l’observent. Mais sur quoi se fonde cette appréciation en l’absence de définition
positive ? A quoi reconnaît-on l’urgence ?
b) Définition évolutive de l’urgence
Les réponses possibles sont multiples et hétérogènes mais elles reposent toutes sur
la reconnaissance d’un décalage, d’un écart avec la normalité. De manière générale, la
situation d’urgence est une situation qui est prise dans un processus de dégradation et où
les moyens ne sont pas suffisants. L’urgence est une catégorie de l’anormalité, en ce
sens que c’est un état exceptionnel, ponctuel. Mais plus encore, elle est anormale non
pas du fait de son écart avec ce qui est mais de son décalage avec la norme, c’est-à-dire
avec ce qui doit être. Ainsi, notre vision du monde, de ce qu’il doit être, détermine notre
conception de l’urgence qui s’en écarte et le concept d’urgence est nécessairement
évolutif. « L’urgence est aussi un concept évolutif, flexible et actuel. Celle-ci dans les
pays d’Afrique peut être considérée comme étant un état durable et structurel. 18» On
voit bien dans ce constat à quel point le concept d’urgence est ambigu puisqu’il peut
même devenir de manière absolument paradoxale un état durable.
Le concept d’urgence se définit dans son écart à la norme et cela est aussi vrai
d’un point de vue juridique. Les situations d’urgence pourraient être considérées comme
des situations où les systèmes de garanties nationaux, régionaux, ou internationaux sont
défaillants. « Dans ces situations de violence interne caractérisées par des violations
des droits les plus essentiels de la personne, on constate un manque apparent de règles
de droit international clairement applicables.19 »
La caractérisation des situations d’urgence au niveau international évolue
également. On voit émerger une nouvelle forme d’urgence après la fin de la guerre 17 Tzistzis Stamatios, « Situation d’urgence : la crise de l’humanité post-moderne », in Raulin (de) Arnaud (dir.), Situations d’urgence et droits fondamentaux, Paris, Ed. L’Harmattan, 2006, p. 41. 18 Raulin (de) Arnaud, « L’urgence dans le droit international », in Raulin (de) Arnaud (dir.), Situations d’urgence et droits fondamentaux, Paris, Ed. L’Harmattan, 2006, p. 151. 19 Thompso Cecilia et Vigny Jean-Daniel, « Standards fondamentaux d’humanité : quel avenir ? », in Revue internationale de la Croix-Rouge, n°840, décembre 2000, p. 918.
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12
froide qui vient s’ajouter aux autres formes de crises. Il s’agit de situations caractérisées
par des conflits d’une extrême violence et par une instabilité politique. Ces situations
sont désignées comme « situations d’urgence complexes ».
2) L’ensemble juridique complexe du droit humanitaire
Spécifique aux situations d’urgence, le droit humanitaire est un ensemble
juridique complexe aux contours indéterminés et évolutifs. Son objectif est de définir
des règles minimales qui permettent de réguler la dimension chaotique de ces contextes
tout en tenant compte de leurs logiques propres. La préservation de la dignité humaine
sans aucune discrimination est au centre des préoccupations humanitaires. « Toute
situation d’urgence réclame sans condition de race, de sexe, de couleur, de pays, la
présence de l’humanitaire, qui sous forme d’un droit moral attaché à l’humanité de
l’homme doit pouvoir imposer aux autorités le respect et la sauvegarde de la dignité
personnelle.20» Le droit humanitaire se compose de différentes sources formelles qui
sont soit conventionnelles soit coutumières.
a) Les sources conventionnelles
Le domaine qui est le plus clairement circonscrit est le droit international
humanitaire (DIH) qui s’applique aux situations de conflits armés internationaux ou
non. Selon la définition de Jean Pictet, il s’agit de « règles internationales d’origine
conventionnelle ou coutumière, qui sont spécialement destinées à régler les problèmes
humanitaires découlant des conflits armés, internationaux ou non qui restreignent, pour
des raisons humanitaires, le droit des parties au conflit d’utiliser les méthodes et
moyens de guerre de leur choix ou protègent les personnes et les biens affectés, ou
pouvant être affectés, par le conflit. 21» Le DIH repose sur les Conventions de La Haye
de 1907 qui concernent le fonctionnement des hostilités et la résolution des conflits et
sur les quatre Conventions de Genève de 1949 auxquelles deux protocoles ont été
ajoutés en 1977. Ces différents traités qui découlent d’une tradition juridique
20 Tzistzis Stamatios, op. cit., p. 41. 21 Pictet Jean, « le droit international humanitaire : définition », in Les dimensions internationales du droit humanitaire, UNESCO, Paris, 1986, p. 13.
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13
ancienne22, ont pour vocation de réintroduire de l’humanité au cœur même du
fonctionnement des conflits. Il s’agit d’affirmer que tous les moyens ne sont pas
tolérables, même dans un contexte de guerre et que les civils doivent être préservés au
maximum. Les Conventions de Genève, et en particulier la IVème Convention relative à
la protection des personnes civiles en temps de guerre, visent la préservation de la
dignité humaine mais ne s’appliquent que dans certaines circonstances définies
précisément : elles sont leges speciales. Leur applicabilité ne concerne que les situations
de conflit armé et non a priori les autres situations d’urgence, ni même les situations de
troubles intérieurs. Le protocole II étend leur application aux conflits internes mais
l’article 1.2 précise bien que les Conventions « ne s’appliquent pas aux situations de
tensions internes, de troubles intérieurs, comme les émeutes, les actes isolés et
sporadiques de violence et autres actes analogues, qui ne sont pas considérés comme
des conflits armés. 23»
De plus, ces Conventions sont très largement ratifiées24 mais les mécanismes de
contrôles qui en découlent sont peu performants. Leur application repose
essentiellement sur la bonne volonté des Etats d’après le principe de souveraineté :
selon l’article premier de la Convention IV de Genève : « les Hautes Parties
contractantes s'engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en
toutes circonstances.25 » En cas de conflits armés, les Etats peuvent désigner une
puissance protectrice (soit un autre Etat, soit à défaut le Comité International de la
Croix-Rouge ou une autre organisation internationale indépendante) qui a pour tâche de
vérifier la bonne application des quatre Conventions. Des violations au DIH peuvent
être dénoncées auprès de la Commission d’établissement des faits, des Services
consultatifs au droit international humanitaire, ou du Conseil de Sécurité des Nations
Unies et donner lieu à des enquêtes. Mais ces mécanismes, qui reposent majoritairement
sur le consentement des Etats, sont globalement peu efficaces tant les moyens de les
contourner et les motivations d’y déroger sont importantes pour certains. La Cour
22 Pour une exposition de l’histoire du DIH, se reporter au site du Comité international de la Croix-Rouge : http://www.icrc.org/Web/fre/sitefre0.nsf/html/section_ihl_history?OpenDocument. 23Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), adopté le 8 juin 1977, entré en vigueur le 7 décembre 1978, disponible sur : http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/94_fr.htm. 24 Elles sont ratifiées aujourd’hui par 194 Etats. 25 Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, adoptée le 12 août 1949, entrée en vigueur le 21 novembre 1950, disponible sur : http://www.icrc.org/dih.nsf/INTRO/380?OpenDocument.
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Pénale Internationale constitue, depuis le traité de Rome de 1998, le procédé le plus
encourageant, même si elle ne sanctionne que les plus graves atteintes au droit
international.
En dehors des situations de conflits armés, le droit humanitaire n’est pas un
ensemble juridique bien déterminé et peu de contraintes pèsent sur les Etats. Certaines
situations d’urgence renvoient à d’autres textes de droit international. C’est le cas des
situations liées à des déplacements de personnes hors des frontières de leur pays avec la
Convention relative au statut des réfugiés de 1951 qui sera ensuite complétée par un
protocole en 1966.26 Dans les autres situations dites d’urgence, qui sont à l’image de
notre monde contemporain (situations d’instabilité interne, de catastrophes naturelles ou
technologiques, etc.), le droit est moins précis. « Il existe des ambiguïtés, des
incertitudes, voire des insuffisances dans ces situations problématiques se trouvant à la
jonction du droit international des droits de l’homme et du droit international
humanitaire. 27»
b) Les sources coutumières
C’est qu’en dehors des situations de conflits, ou lorsque les Etats n’ont pas ratifié
les Conventions, ils sont censés gérer les crises qui les concernent sans avoir besoin de
recourir au droit international. Dans le cas contraire, le seul droit à l’œuvre est alors le
droit coutumier international. C’est la « concordance des sentiments juridiques
individuels exprimés par les Etats, conjuguée à la pratique générale sur laquelle elle
s’appuie, [qui] permet à la coutume de se constituer.28 » La coutume peut être assimilée
aux normes impératives du droit international général (jus cogens) définies par l’article
53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités29. Selon la Cour Internationale de
26 Convention relative au statut des réfugiés, adoptée le 28 juillet 1951, entrée en vigueur le 22 avril 1954, disponible sur http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/o_c_ref_fr.htm. Cette Convention est complétée par le Protocole relatif au statut des réfugiés du 18 novembre 1966, et entré en vigueur le 4 octobre 1967, disponible sur : http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/o_p_ref_fr.htm. 27 Thompso Cecilia et Vigny Jean-Daniel, op. cit., p. 918. 28 Aledo Louis-Antoine, Le droit international public, Ed. Dalloz, Coll. Connaissance du droit, 2005, p. 82. 29 Dupuy P.-M., Les grands textes du droit international public, 5e édition, Ed. Dalloz, 2006. Convention de Vienne sur le droit des traités, adoptée le 23 mai 1969, entrée en vigueur le 27 janvier 1980, article 53 : « Est nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international général. Aux fins de la présente Convention, une norme impérative du droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à
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Justice (CIJ), les articles 1 et 330 des Conventions de Genève, qui font référence au fait
que les personnes doivent être en toutes circonstances « traitées avec humanité », ne
font que retranscrire des principes qui font de toute façon partie du droit coutumier, ce
qui signifie qu’ils sont applicables dans toutes les situations et qu’ils ne nécessitent pas
d’obligation conventionnelle. Dans l’affaire de la licéité de la menace ou de l’emploi
d’armes nucléaires31, la Cour reconnaît qu’une partie au moins du DIH appartient au
droit coutumier : « c’est sans doute parce qu’un grand nombre de règles du droit
humanitaire applicables dans les conflits armés sont si fondamentales pour le respect
de la personne humaine et pour des « considérations élémentaires d’humanité », selon
l’expression utilisée par la Cour dans son arrêt du 9 avril 1949 rendu en l’affaire du
Détroit de Corfou […], que la Convention IV de la Haye et les Conventions de Genève
ont bénéficié d’une large adhésion des Etats. Ces règles fondamentales s’imposent
d’ailleurs à tous les Etats, qu’ils aient ou non ratifié les instruments conventionnels qui
les expriment, parce qu’elles constituent des principes intransgressibles du droit
international coutumier. » Mais dire que les « considérations élémentaires
d’humanité » font partie du droit coutumier ne suffit pas à leur donner un contenu.
laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère. » 30 Article 3, commun aux quatre Conventions de Genève de 1949 : « En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l'une des Hautes Parties contractantes, chacune des Parties au conflit sera tenue d'appliquer au moins les dispositions suivantes: 1) Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue A cet effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l'égard des personnes mentionnées ci-dessus: a) les atteintes portées à la vie et à l'intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices; b) les prises d'otages; c) les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants; d) les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés. 2) Les blessés et malades seront recueillis et soignés Un organisme humanitaire impartial, tel que le Comité international de la Croix-Rouge, pourra offrir ses services aux Parties au conflit. Les Parties au conflit s'efforceront, d'autre part, de mettre en vigueur par voie d'accords spéciaux tout ou partie des autres dispositions de la présente Convention. L'application des dispositions qui précèdent n'aura pas d'effet sur le statut juridique des Parties au conflit. » 31 CIJ, Affaire de la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, Recueil 1996. La Cour renvoie à l’Affaire du Détroit de Corfou, Recueil 1949, p. 22 : la Cour y rappelle « certains principes généraux et bien reconnus tels que des considérations élémentaires d’humanité.»
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c) Les « standards fondamentaux d’humanité »
La question se pose à la communauté internationale de définir des règles
minimales, des standards fondamentaux qui seraient valables dans toutes situations.
Pour plus de clarté, en 1990, les acteurs concernés ont rédigé une Déclaration sur les
standards humanitaires minimaux ou Déclaration de Turku. Elle a ensuite été révisée en
1994 et contient 18 articles qui définissent des standards applicables en toutes situations
sans dérogation possible et comporte une clause de sauvegarde des instruments
internationaux du droit humanitaire et des droits de l’homme. Mais il n’y a pas
d’unanimité au niveau des Etats qui se contentent du flou juridique existant en ce qui
concerne ces standards et ils ne donnent lieu à aucun instrument de protection. Diverses
entreprises ont été menées depuis les années 90 dans cette direction. En 2003, l’Institut
de Droit International adopte une résolution à Bruges relative à l’assistance humanitaire.
Le but est de « proposer à l’attention de tous un texte équilibré, qui reflète le droit en
vigueur, tout en tentant de le pousser dans la direction voulue là où il est lacunaire ou
incertain.32 » Il s’agit alors de reformuler le champ et la portée du droit humanitaire en
adoptant une attitude progressiste. Le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) a
également défini des principes fondamentaux d’humanité33 qui valent pour toutes les
situations. La CIJ a reconnu comme tels ces principes fondamentaux34. Le CICR a, de
32 Kolb Robert, « De l’assistance humanitaire adoptée par l’institut de droit international à sa session de Bruges en 2003 », in Revue internationale de la Croix-Rouge, n°856, décembre 2004, p. 854. 33 Règles fondamentales publiées en 1978 dans la Revue internationale de la Croix-Rouge : - Les personnes mises hors de combat et celles qui ne participent pas directement aux hostilités ont droit au respect de leur vie et de leur intégrité physique et morale. Ces personnes seront, en toutes circonstances, protégées et traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable. - Il est interdit de tuer ou de blesser un adversaire qui se rend ou qui est hors combat - Les blessés et les malades seront recueillis et soignés par la partie au conflit qui les aura en son pouvoir. La protection couvre également le personnel sanitaire, les établissements, moyens de transport et matériels sanitaires. L’emblème de la Croix-Rouge ou du Croissant Rouge est le signe de cette protection et doit être respectée. - Les combattants capturés et les civils qui se trouvent sous autorité de la partie adverse ont le droit au respect de leur vie, de leur dignité, de leurs droits personnels et de leurs convictions. Ils seront protégés contre tout acte de violence et de représailles. Ils auront le droit d’échanger des nouvelles avec leur famille et de recevoir des secours. - Toute personne bénéficiera des garanties judiciaires fondamentales. Nul ne sera soumis à la torture physique ou mentale, ni à des peines corporelles ou traitements cruels ou dégradants. - Les parties au conflit et leurs forces armées n’ont pas un droit illimité quant au choix des méthodes et des moyens de guerre. Il est interdit d’employer des armes ou des méthodes de guerre de nature à causer des pertes inutiles ou des souffrances excessives. - Les parties au conflit feront, en tout temps, la distinction entre la population civile et les combattants, de façon à épargner la population et les biens civils. Ni la population civile en tant que telle, ni les personnes civiles ne doivent être l’objet d’attaques. Les attaques ne seront dirigées contre que contre les objectifs militaires. 34 CIJ, Affaire du Détroit de Corfou, op. cit.
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plus, un droit d’initiative au niveau international qui lui donne une souplesse d’action
supplémentaire dans un cadre juridique qui ne permet pas toujours de dicter clairement
la conduite à suivre.
d) Les limites du droit humanitaire en situations d’urgence
Le droit humanitaire est polymorphe, il est en permanence complété par des
résolutions. Son avantage est qu’il permet une interprétation large et évolutive des
situations d’urgence qui suit les problématiques des différentes époques. Son caractère
pragmatique est une force mais ses contours sont extrêmement variables et nous voyons
à quel point toute tentative de compréhension, au sens littéral du terme, de cet ensemble
juridique, est délicate. Il faut donc souligner les limites du droit humanitaire.
Tout d’abord, le contenu et les mécanismes de contrôle sont insuffisants pour
permettre un respect optimal des droits. Il s’agit d’éviter le pire, non de viser le
meilleur. Quels sont exactement les droits humains qui font partie du droit humanitaire ?
Cette question ne donne lieu à aucun consensus. Il y a un accord sur le fait que
l’intégrité physique des personnes doit être garantie, que des soins médicaux doivent
être administrés, ainsi qu’une aide alimentaire si besoin. Au-delà de ces points
absolument essentiels, les polémiques sont vives quant aux droits qui doivent être
respectés.
De plus, la légitimité du droit humanitaire commence au moment où une situation
d’urgence est décrétée et s’arrête lorsque cette dernière se termine (même si ces limites
sont elles aussi plus ou moins arbitraires). Ainsi, il est pris dans un espace-temps réduit
et n’a pas vocation à être mis en oeuvre sur le long terme. Ne faut-il pas y voir un
danger vis-à-vis des droits qu’il entend faire respecter en ce qui concerne la dignité de la
personne ?
Ces limites nous amènent à une question cruciale du droit international qui
concerne le rapport entre le droit international des droits de l’homme et le droit
humanitaire : tous les droits humains doivent-ils être respectés en situations d’urgence ?
La logique pragmatique du droit humanitaire est-elle compatible dans ces situations
avec l’absolutisme des droits de l’homme ? L’espace-temps réduit qui caractérise le
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droit humanitaire peut-il rejoindre d’une manière ou d’une autre le continuum dans le
lequel s’inscrit le droit international des droits de l’homme ?
B/ Droits de l’homme et droit humanitaire : conflits ou convergence
« Vu le flou juridico-politique régnant en de telles circonstances, à la jonction du
droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, la
protection de l’être humain est particulièrement faible face aux nombreuses et graves
violations commises tant par des autorités étatiques que par des entités non
étatiques.35 » Le droit international des droits de l’homme (dont fait partie le droit à
l’éducation), se veut universel et définit des droits intangibles, c’est dire qu’il vaut en
tous temps et en tous lieux. Il repose sur un ensemble de normes internationales ou
régionales de nature déclaratoires ou conventionnelles. Il est fondé au départ sur la
volonté de limiter les dérives du pouvoir et de protéger les individus par le biais des
Etats ou par-delà les Etats. Cela signifierait qu’il s’applique indifféremment en
situations de paix comme en situations de guerre, en situations de stabilité comme en
situations d’urgence. De plus, il définit des droits qui sont fondamentaux, et qui
contribuent aujourd’hui à la définition de l’homme. Pourtant, ils sont loin d’être
effectifs à l’échelle mondiale et ils sont rendus extrêmement difficiles à respecter dans
certaines situations. Il existe d’ailleurs des clauses dérogatoires qui suspendent
l’applicabilité des normes des droits de l’homme en cas de « danger public
exceptionnel ». C’est le cas de l’article 4 du Pacte International relatif aux droits civils
et politiques36. Certains droits intangibles ne peuvent cependant pas être suspendus et
certains traités des droits de l’homme ne possèdent pas de clause dérogatoire37.
35 Thompso Cecilia et Vigny Jean-Daniel, op. cit., p. 918. 36 Pacte International relatif aux droits civils et politiques, adopté par l’Assemblée Générale de Mations-Unies le 16 décembre 1966, entré en vigueur le 23 mars 1976, disponible sur : http://www.ohchr.org/french/law/ccpr.htm: « Article 4 : 1. Dans le cas où un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation et est proclamé par un acte officiel, les Etats parties au présent Pacte peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l'exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent Pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations que leur impose le droit international et qu'elles n'entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l'origine sociale. 2. La disposition précédente n'autorise aucune dérogation aux articles 6, 7, 8 (par. 1 et 2), 11, 15, 16 et 18. » 37 De plus, le Pacte International relatif aux droits économiques sociaux et culturels de 1966, la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la Convention relative à l’esclavage n’autorisent pas de dérogations (exceptées les restrictions contenues dans
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Doit-on considérer, malgré la réalité, que ces droits devraient valoir en toutes
situations, y compris en situations d’urgence ou doit-on voir dans leur ambition
absolutiste une entrave au pragmatisme nécessaire à ces situations ? En d’autres termes,
quels sont les rapports entre le droit humanitaire et les droits de l’homme qui ont pour
visée commune de préserver la dignité de la personne ?
1) La tendance séparatiste
En plus du fait qu’ils ont des histoires très différentes38, c’est d’abord leur champ
d’application qui sépare le droit humanitaire des droits de l’homme. Le droit
international des droits de l’homme a pour vocation de garantir les droits fondamentaux
des individus en temps de paix ou dans des situations stables alors que le droit
humanitaire ne vaut que dans des situations d’urgence. Mais si la volonté de distinguer
ces deux ensembles juridiques est forte, notamment en ce qui concerne les acteurs de
l’humanitaire, c’est parce que leurs fondements, leur nature, et donc leur vocation ne se
confondent pas. « Le droit international humanitaire, ou jus in bello, né de la tension
qui se manifeste dans les conflits entre exigences de l’humanité et impératifs de l’action
militaire, a pour objet de mettre des limites à la violence dans la guerre. Le droit des
droits de l’homme n’a pas la même finalité. Né de la tension entre exigences du respect
des droits individuels des personnes vivant sous la juridiction d’une autorité étatique et
l’exercice abusif de cette autorité, son objet est de protéger les individus face aux excès
de pouvoir de ceux qui les gouvernent. En d’autres mots, l’on peut considérer que les
droits de l’homme constituent un code de conduite de good governance, alors que les
Conventions de Genève sont un droit pour la tempête qui s’applique lorsque les
conditions requises pour le respect des droits de l’homme viennent à cesser
d’exister.39 » Cette différence fondamentale de logique peut être étendue au droit
humanitaire en général. Le droit humanitaire vise à améliorer la dignité humaine dans
un contexte qu’il ne remet finalement pas en cause. Il s’en accommode et creuse un
espace en son sein, de la manière la plus pragmatique qui soit. L’exigence des droits de
certains articles comme l’article 38 de la Convention relative aux droit de l’enfant sur la participation d’enfants aux conflits armés). 38 Le DIH, issu du droit de la guerre, est une des branches les plus anciennes du droit international public. Certains font remonter ses origines à l’Antiquité. Les droits de l’homme, beaucoup plus récents, sont le produit des réflexions du siècle des Lumières. Leurs genèses idéologiques sont donc tout-à- fait distinctes. 39 Pasquier André, « Action humanitaire : une légitimité en question ? », in Revue internationale de la Croix-Rouge, n°842, juin 2001, p. 317.
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l’homme est plus globale. Le respect des droits ne doit pas dépendre des situations et les
règles sont les mêmes quel que soit le contexte. On pourrait voir dans cette exigence
absolue un idéalisme qui rend le DIDH inopérant en situations d’urgence. Tous les
droits fondamentaux ne pourraient y être respectés et il serait illusoire voire contre-
productif de fixer des objectifs hors d’atteinte. Est-ce à dire que le concept de dignité
humaine ne peut pas avoir la même signification dans ces contextes limites?
2) La tendance « complémentariste »
Une approche complémentariste40 permet une approche moins radicale quant au
rapport entre le droit international des droits de l’homme et le droit humanitaire. Il s’agit
de considérer que les objectifs sont les mêmes et que les deux logiques sont
complémentaires : le pragmatisme humanitaire et l’universalisme des droits de l’homme
ne peuvent pas aller l’un sans l’autre. Cette position est majoritaire aujourd’hui.
D’ailleurs, les standards fondamentaux « illustrent la complémentarité, la convergence
et l’interaction de ces deux branches connexes du droit international, dont l’objectif
commun est la sauvegarde de la dignité humaine, même si leurs racines, leur nature et
leurs teneurs sont différentes.41 » C’est dire que le concept de dignité humaine est le
même quelles que soient les situations ou les personnes. Ce sont les mécanismes voués
à la préserver qui sont de natures différentes.
Le droit international des droits de l’homme et le droit humanitaire ne sont pas
totalement étrangers l’un à l’autre et un certain nombre de droits peuvent être considérés
comme communs aux deux ensembles juridiques. Le noyau dur des droits de l’homme
qui concerne le droit à la vie, l’interdiction de la torture et des traitements inhumains, la
prohibition de l’esclavage, les garanties judiciaires, les respects de la religion et de la
liberté de conscience et la protection des enfants et de la vie familiale42, trouve des
échos dans le droit humanitaire. « Il est donc possible de trouver un langage commun
aux droits de l’homme et au droit humanitaire, sous forme de principes tirés de ces
deux droits, applicables en tous temps et à tout acteur, qu’il soit étatique, interétatique,
40 Expression utilisée par Martin Fanny dans « Le droit international humanitaire devant les organes de contrôle des droits de l’homme », in Droits fondamentaux, n°1, juillet-décembre 2001, pp. 119-148. 41 Thompso Cecilia et Vigny Jean-Daniel, op. cit., p. 932. 42 Bad Abdelwahab, Droit international humanitaire, Paris, Ed. Ellipses, 2006, p. 42. L’étendue du noyau dur des droits de l’homme varie selon les auteurs ou les textes normatifs.
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non étatique ou qu’il s’agisse d’un individu. 43» En situations d’urgence, le droit
humanitaire a pour vocation de ‘‘prendre le relais’’ du DIDH, en assurant la garantie de
ces droits irréductibles. La nature du droit humanitaire est plus adaptée aux situations
d’urgence et permet une meilleure efficacité dans ces situations. Mais pour que son
entreprise ne soit pas vaine, les mécanismes de garantie des droits de l’homme sont
essentiels avant et après l’urgence. Il existe une continuité et une interaction fortes entre
le droit humanitaire et le DIDH. « Le droit humanitaire peut donc être considéré comme
une espèce appartenant au genre du droit des droits de l’homme. Cette distinction n’est
pas fondée sur leur nature intrinsèque, mais sur le contexte d’application des règles
désignées pour protéger les êtres humains dans différentes circonstances.44 »
La visée commune du droit humanitaire et du DIDH est en fin de compte
d’imposer en toutes circonstances un minimum de règles garantissant la dignité
humaine. Mais la distinction entre le pragmatisme du droit humanitaire et l’idéalisme
des droits de l’homme n’apparaît-elle pas un peu manichéenne dans ce cas ? N’y a-t-il
pas une part d’idéalisme à vouloir préserver la dignité humaine dans des contextes où
l’urgence fait loi ? Et les droits de l’homme ne posent-ils pas sans relâche la question de
leur effectivité, de leur inscription dans la réalité ?
3) La tendance intégrationniste
Ce n’est pas parce que deux entités juridiques ont une histoire distincte, et qu’elles
ont suivi des processus qui leur sont propres, qu’elles ne peuvent pas se rejoindre. On
pourrait imaginer que la visée commune du droit humanitaire et du DIDH soit un
argument suffisamment fort pour leur réconciliation. « Puisque les conflits actuels
mêlent atteintes aux droits de l’homme et violations du droit humanitaire, puisqu’en
outre la finalité de ces deux branches est la même (la protection de l’individu), il peut
être souhaitable de décloisonner les deux matières afin de répondre au mieux à cette
réalité complexe.45 » Le droit humanitaire qui s’inscrit dans la continuité des droits de
l’homme ne pourrait-il pas être considéré comme une sous-catégorie du DIDH ? Cette
question se pose aujourd’hui à propos des situations d’urgence. Les différents acteurs ne 43 Thompso Cecilia et Vigny Jean-Daniel, op. cit., p. 932. 44 Chetail Vincent, « The contribution of the International Court of Justice to international humanitarian law », in Revue internationale de la Croix-Rouge, n°850, juin 2003, p. 241 (notre traduction) 45 Martin Fanny, op. cit., p. 137.
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22
s’accordent pas toujours sur l’applicabilité ou non des droits de l’homme dans ces
situations. Pourtant le caractère universel, et même coutumier des droits de l’homme est
reconnu depuis longtemps au niveau international. En 1968, la conférence sur les droits
de l’homme réunie par les Nations Unies à Téhéran adopte une résolution concernant
« le respect des droits de l’homme en période de conflits armés46 ». Par ailleurs, en 1970
avec l’affaire Barcelona traction47, la CIJ intègre les droits de l’homme au droit
international général et affirme le caractère obligatoire des droits de l’homme dans
l’ordre international, y compris donc dans les situations d’urgence. Les entreprises de
conciliation entre le droit humanitaire et les droits de l’homme sont nombreuses à
l’échelle mondiale. Il n’est pas notre objet de les énumérer mais nous nous devons de
constater qu’il existe une tendance qui vise à intégrer le droit humanitaire au droit
international des droits de l’homme parallèlement à toutes les réticences étudiées plus
haut.
D’un point de vue strictement juridique, les trois positions (séparatiste,
complémentariste et intégrationniste) sont défendables. Les instruments normatifs ne
permettent pas vraiment de trancher et entretiennent les ambiguïtés. Ces ambiguïtés
sont accentuées et entretenues par le fait que, dans les situations d’urgence, certaines
organisations agissent au nom du DIH et d’autres au nom du DIDH. Dans le conflit en
Afghanistan, le CICR s’est donné pour tâche de faire en sorte que les femmes blessées
puissent bénéficier de soins au même titre que les hommes. Dans le même contexte,
certaines organisations luttaient contre les discriminations à l’égard des femmes de
manière générale (dignité, éducation, travail). Il y a entre ces deux démarches à la fois
une différence manifeste de logique et en même temps des interférences inéluctables.
46 Conférence internationale des droits de l'homme, résolution XXIII relative au respect des droits de l'homme en période de conflit armé, adoptée à Téhéran, le 12 mai 1968, disponible sur : http://www.icrc.org/dih.nsf/FULL/430?OpenDocument. 47 CIJ, Affaire Barcelona traction, Recueil 1958 : « une distinction essentielle doit, en particulier, être établie entre les obligations des Etats envers la communauté internationale dans son ensemble et celles qui naissent vis-à-vis d’un autre Etat dans le cadre de la protection diplomatique. Par leur nature même, les premières concernent tous les Etats. Vu l’importance des droits en cause, tous les Etats peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés : les obligations sont il s’agit, sont des obligations erga omnes. Ces obligations découlent par exemple, dans le droit international contemporain, de la mise hors la loi des actes d’agression et du génocide mais aussi des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine y compris la protection contre la pratique de l’esclavage et la discrimination raciale. Certains droits de protection correspondants ne sont pas intégrés au droit international général (…), d’autres sont conférés par des instruments internationaux de caractère universel ou quasi universel. » p. 55
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23
Ce qui nous importe ici n’est pas de définir une position claire mais de
comprendre comment ces questions se posent au droit à l’éducation qui a une vocation
universelle, et à travers lui.
Section 2
La reconnaissance tacite d’un droit à l’éducation en situations d’urgence
L’éducation est d’abord une compétence nationale. Le droit international, garanti
en l’occurrence par l’UNESCO ou les Nations Unies, vient contrôler cette première
compétence tout en reposant sur le principe de souveraineté. Selon les situations, ces
différents espaces juridiques ne s’agencent pas de la même manière. Dans une situation
d’urgence qui échappe par définition aux normes habituelles, le droit humanitaire vient
se substituer aux autres cadres juridiques selon le principe de subsidiarité et le principe
d’humanité. Est-il légitime pour garantir une éducation en situation d’urgence ?(A) Il y
a une contradiction entre l’incapacité du droit humanitaire à considérer l’éducation et la
revendication universelle de ce dernier. Le droit à l’éducation appartient au droit
international des droits de l’homme. L’ambition universelle du droit à l’éducation est en
effet de plus en plus forte et représente, avec les objectifs de l’EPT, un des enjeux
fondamentaux de notre siècle. (B)
A/ La question de l’éducation ignorée par le droit humanitaire
1) La place de l’éducation dans les Conventions de Genève
Même si les Conventions de Genève de 1949 ainsi que les deux Protocoles de
1977 concernent les situations de conflits armés, on peut considérer que la protection
des personnes civiles qui y est définie s’étend aujourd’hui aux autres situations
d’urgence, chaque fois que le secours des personnes nécessite une assistance
humanitaire. Dans l’article 3, qui est commun à ces différentes conventions, il est
énoncé que ces personnes « seront, en toute circonstances, traitées avec humanité, sans
aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou
- -
24
la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue. » A
l’article 27 de la Convention IV relative à la protection des personnes civiles en temps
de guerre, « les personnes protégées ont droit, en toute circonstances, au respect de leur
personne, de leur honneur, de leurs droits familiaux, de leurs convictions et pratiques
religieuses, de leurs habitudes et de leurs coutumes. Elles seront traitées, en tout temps,
avec humanité… » Ces formulations, qui rendent compte de la visée générale du droit
humanitaire en ce qui concerne la protection des personnes, sont suffisamment larges
pour que leur interprétation soit flexible et ouverte aux évolutions de notre temps. On
peut considérer que des enfants qui ne reçoivent aucune éducation, ou qui subissent des
discriminations en matière d’éducation ne sont pas traités avec humanité. Il en est de
même pour des adultes qui ne possèdent pas les outils fondamentaux pour comprendre
les situations qu’ils vivent, ne serait-ce que la lecture et l’écriture. L’éducation n’est-elle
pas essentielle au respect de la personne ou à son honneur ? Les protocoles renforcent
ces possibilités d’une interprétation élargie des Conventions de Genève. L’article 1 du
protocole I fait référence aux « principes d’humanité et des exigences de la conscience
publique ». De plus, à l’article 51, il est précisé que ces principes « s’ajoutent aux
autres règles du droit international applicable ». A l’article 61, parmi les « tâches
humanitaires » figure celle de rétablir « d’urgence des services d’utilité publique
indispensables ». Dans une partie spécifique, il est précisé que les femmes et les enfants
doivent bénéficier d’une attention particulière. Dans l’article 81, la Croix-Rouge a un
droit d’initiative et elle peut assurer d’autres formes d’assistance humanitaire que celles
qui sont explicitement mentionnées dans ces textes. Enfin, dans le préambule du
Protocole II qui concerne seulement les conflits armés non internationaux, il est
explicitement fait référence au droit international des droits de l’homme même si
l’article 3 rappelle le principe de souveraineté. Le droit à l’éducation figure dans
l’article 4.3 de ce second protocole qui porte sur les « garanties fondamentales » : « les
enfants recevront les soins et l’aide dont ils ont besoin et, notamment : a) ils devront
recevoir une éducation… »
Le droit à l’éducation n’est pas explicitement garanti par les différentes sources
formelles du droit humanitaire. « Un certain nombre de droits de l’homme ne sont pas
inclus dans le DIH du fait qu’ils ne sont pas considérés comme ayant un lien direct avec
la protection des personnes contre les dangers spécifiquement encourus lors d’un
conflit armé. On peut citer à ce propos les droits économiques, sociaux et
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culturels…48 » C’est le cas du droit à l’éducation. N’est-elle pas pourtant une forme de
protection, au même titre que la santé où la nourriture, pour des enfants ou des adultes
en perte de repères ?
2) Tendance à une interprétation de plus en plus large des ambitions
humanitaires
On peut remarquer une première évolution entre 1949 et 1977 qui annonce celle
qui se poursuivra au sein du droit humanitaire par la suite. D’un point de vue strictement
humanitaire, on pourrait très bien interpréter les sources de façon à y voir une garantie
du droit à l’éducation dans les situations d’urgence. Notons que ce qui est au cœur du
DIH, c’est la protection des personnes. L’éducation pourrait très bien être considérée
comme une forme de protection. Les enfants qui sont pris en charge dans une structure
scolaire sont préservés des dangers alentours : enlèvements, embrigadement dans des
forces armées, travail forcé, etc. De plus, ils sont dans un cadre psychologiquement plus
rassurant et leur équilibre est ainsi mieux préservé. Mais surtout, l’éducation représente
sans aucun doute un mécanisme de protection différée, de protection indirecte. Les
enfants ou les individus sont plus renseignés sur les risques qu’ils courent, plus à même
de réagir et de se reconstruire après la crise. Pourquoi alors le droit humanitaire ne
prend-il pas explicitement en charge cette question ? Même si le droit à l’éducation est
déductible d’une certaine manière du droit humanitaire, on ne peut que remarquer son
absence.
Le droit à l’éducation est à la frontière des deux logiques juridiques explicitées
plus haut et il est traversé par les tensions qui existent entre droit humanitaire et droits
de l’homme. Etant donné qu’il est quasi-absent des normes du droit humanitaire, le
droit à l’éducation en situations d’urgence dépend en grande partie de la place que l’on
octroie à la défense des droits de l’homme, et en l’occurrence des DESC, dans ces
situations. Depuis la Déclaration Mondiale sur l’Education Pour Tous, adoptée à
Jomtien en Thaïlande en 1990, le droit à l’éducation occupe une place autonome dans le
paysage des droits de l’homme. Quels sont alors les éléments de réponses apportés par
48 Bad Abdelwahab, op. cit., p. 43.
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le droit à l’éducation lui-même à ces tensions juridiques qui le précèdent et le
traversent ?
B/ La prise en compte de l’urgence par le droit à l’éducation pour tous
Le droit à l’éducation est reconnu au niveau international depuis la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) de 1948. D’abord posé comme un principe
universel, il a peu à peu acquis une force contraignante jusqu’à occuper une place
autonome dans le paysage juridique des droits de l’homme.(1) De nombreux obstacles à
son effectivité ont conditionné son évolution. Depuis les années 1990, les textes
normatifs du droit à l’éducation et les cadres d’actions qui en découlent, tant au niveau
international qu’au niveau régional, prennent en compte les problématiques particulières
qui se posent dans des situations dites d’urgence ou de crises.(2)
1) Emergence du droit à l’éducation pour tous
a) 1948-1989 : Le droit à l’éducation érigé en droit de l’homme
Le droit à l’éducation pénètre le paysage des droits de l’homme à partir de 1948,
avec l’article 26 de la DUDH49. Il fait à partir de ce moment-là partie intégrante de
l’ensemble des droits de l’homme. Ainsi, il figurera dans d’autres normes
internationales, et notamment dans le Pacte International relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels (PIDESC) adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies en
1966. Le droit à l’éducation figure à l’article 1350 de ce Pacte. Une observation
49 DUDH, article 26 : « 1. Toute personne a droit à l'éducation. L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. L'enseignement élémentaire est obligatoire. L'enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite. 2. L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix… » 50 Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux, et Culturels (PIDESC), adopté le 16 décembre 1966, entré en vigueur le 3 janvier 1976, article 13 : « 1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à l'éducation. Ils conviennent que l'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa dignité et renforcer le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ils conviennent en outre que l'éducation doit mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre, favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous
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définissant des obligations juridiques sera ajoutée à cet article en 1999, suite au
développement parallèle des normes sur le droit à l’éducation pour tous et à l’urgence
croissante de sa mise en œuvre au niveau mondial. Mais le premier grand texte
international à donner force contraignante à ce droit est la Convention relative aux
droits de l’enfant, adoptée en 1989. Cette dernière a été ratifiée par tous les pays du
monde sauf les Etats-Unis et la Somalie. Elle énonce le droit à l’éducation dans ses
articles 28 et 2951. Le septième grand principe proclamé par la Déclaration des Droits de
les groupes raciaux, ethniques ou religieux et encourager le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix. 2. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent qu'en vue d'assurer le plein exercice de ce droit: a) L'enseignement primaire doit être obligatoire et accessible gratuitement à tous; b) L'enseignement secondaire, sous ses différentes formes, y compris l'enseignement secondaire technique et professionnel, doit être généralisé et rendu accessible à tous par tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité; c) L'enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité; d) L'éducation de base doit être encouragée ou intensifiée, dans toute la mesure possible, pour les personnes qui n'ont pas reçu d'instruction primaire ou qui ne l'ont pas reçue jusqu'à son terme; e) Il faut poursuivre activement le développement d'un réseau scolaire à tous les échelons, établir un système adéquat de bourses et améliorer de façon continue les conditions matérielles du personnel enseignant. 3. Les Etats parties au présent Pacte s'engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux, de choisir pour leurs enfants des établissements autres que ceux des pouvoirs publics, mais conformes aux normes minimales qui peuvent être prescrites ou approuvées par l'Etat en matière d'éducation, et de faire assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants, conformément à leurs propres convictions. 4. Aucune disposition du présent article ne doit être interprétée comme portant atteinte à la liberté des individus et des personnes morales de créer et de diriger des établissements d'enseignement, sous réserve que les principes énoncés au paragraphe 1 du présent article soient observés et que l'éducation donnée dans ces établissements soit conforme aux normes minimales qui peuvent être prescrites par l'Etat. », disponible sur : http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/a_cescr_fr.htm. 51 Convention relative aux Droits de l’Enfant (CDE), adoptée le 20 novembre 1989, entrée en vigueur le 2 septembre 1990, articles 28 et 29 : « Article 28 1. Les États parties reconnaissent le droit de l'enfant à l’éducation, et en particulier, en vue d'assurer l'exercice le ce droit progressivement et sur la base de l'égalité des chances: a) Ils rendent l'enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous ; b) Ils encouragent l'organisation de différentes formes d'enseignement secondaire, tant général que professionnel, les rendent ouvertes et accessibles à tout enfant, et prennent des mesures appropriées telles que l'instauration de la gratuité de l'enseignement et l'offre d'une aide financière en cas de besoin ; c) Ils assurent à tous l'accès à l'enseignement supérieur, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés d) Ils rendent ouvertes et accessibles à tout enfant l'information et l'orientation scolaires et professionnelles ; e) Ils prennent des mesures pour encourager la régularité de la fréquentation scolaire et la réduction des taux d'abandon scolaire. Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d'une manière compatible avec la dignité de l'enfant en tant être humain et conformément à la présente Convention. 2. Les États parties favorisent et encouragent la coopération internationale dans le domaine de l’éducation, en vue notamment de contribuer à éliminer l'ignorance et l'analphabétisme dans le monde et de faciliter l'accès aux connaissances scientifiques et techniques et aux méthodes d'enseignement modernes. À cet égard, il est tenu particulièrement compte des besoins des pays en développement. Article 29 1. Les États parties conviennent que l’éducation de l'enfant doit viser à : a) Favoriser l'épanouissement de la personnalité de l'enfant et le développement de ses dons et des ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ;
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l’Enfant (DDE) en 1959 concernait l’éducation, il s’agit là d’ériger ce principe en droit
et d’en faire une obligation contraignante pesant sur les Etats, au nom du respect de la
dignité des enfants. Ainsi, sont définis un certain nombre de moyens de mise en œuvre
de ce droit avant que soient énoncés dans l’article 29 les enjeux de l’éducation,
notamment au regard de la dignité de l’enfant et de la place qu’il doit trouver au sein de
sa société. Le droit à l’éducation faisant partie de l’ensemble des droits de l’homme, il a
une ambition d’universalité52.
Entre 1948 et 1990, différentes normes régionales relatives aux droits de l’homme
proclament également, à une autre échelle, un droit à l’éducation. Au niveau européen,
la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de
1950, porte essentiellement sur des droits civils et politiques. Cependant, un protocole
additionnel du 2 mars 1952 proclame le « droit à l’instruction » et rappelle le rôle de
l’Etat dans l’éducation53. Il en est de même pour la Convention américaine sur les droits
de l’homme de 196954, le droit à l’éducation est énoncé à l’article 13 du protocole
additionnel de 198855, dans une formulation plus proche de celle de la DUDH. Par
ailleurs, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 198156 reconnaît
b) Inculquer à l'enfant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et des principes consacrés dans la Charte des Nations Unies ; c) Inculquer à l'enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de la sienne ; d) Préparer l'enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d'égalité entre les sexes et d'amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d'origine autochtone ; e) Inculquer à l'enfant le respect du milieu naturel. 2. Aucune disposition du présent article ou de l'article 28 ne sera interprétée d'une manière qui porte atteinte à la liberté des personnes physiques ou morales de créer et de diriger des établissements d'enseignement, à condition que les principes énoncés au paragraphe 1 du présent article soient respectés et que l’éducation dispensée dans ces établissements soit conforme aux normes minimales que l'État aura prescrites. », disponible sur : http://www.ohchr.org/french/law/crc.htm. 52 L’ensemble des normes internationales des Nations-Unies ou de l’UNESCO relatives à l’éducation sont rassemblées dans Droit à l’éducation et à la protection de l’enfance, UNESCO, 2006. 53 Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, adoptée par le Conseil de l’Europe le 4 novembre 1950, entrée en vigueur le 3 septembre 1953, et ses protocoles additionnels, disponibles sur : http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/086519A8-B57A-40F4-9E22-3E27564DBE86/0/FrenchFrançais.pdf. 54 Convention américaine relative aux droits de l’homme, adoptée par la Conférence spécialisée interaméricaine des droits de l’homme le 22 novembre 1969, et entrée en vigueur 18 juillet 1978, disponible sur : http://www.cidh.oas.org/Basicos/French/c.convention.htm. 55 Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels, dit ‘’protocole de San Salvador’’, adopté le 17 novembre 1988, disponible sur : http://www.cidh.oas.org/Basicos/French/e.sansalvador.htm. 56 Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, adoptée par l’Organisation de l’Unité Africaine le 27 juin 1981, entrée en vigueur le 21 octobre 1986, disponible sur :
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29
dans son article 17 le droit à l’éducation. Un autre texte fait écho en Afrique à la
Convention relative aux droits de l’enfant de 1989. Il s’agit de la Charte africaine des
droits et du bien-être de l’enfant de 199057 qui consacre son article 11 au droit à
l’éducation, en précisant sa visée et les moyens de sa mise en œuvre. Ces différents
traités régionaux contribuent au caractère contraignant du droit à l’éducation58.
Il est revendiqué de manière de plus en plus forte, et ce au même titre que d’autres
droits et en particuliers de DESC. Mais il n’occupe pas de place singulière ou
privilégiée dans le droit international avant les années 90. On va assister à partir de 1990
à ce que l’on pourrait appeler l’ « émancipation du droit à l’éducation ».
b) 1990-2000 : L’émancipation du droit à l’éducation
En mars 1990, à Jomtien, est adoptée la Déclaration Mondiale sur l’Education
Pour Tous (DMEPT)59. Cette Déclaration qui affirme bien entendu le caractère
absolument essentiel de la promotion et de la garantie du droit à l’éducation, ainsi que la
nécessité de son universalisation, détermine des objectifs et un Cadre d’action pour
répondre aux besoins fondamentaux. On constate que le bilan des années 80 quant au
développement et à l’éducation est dramatique (disparités économiques, conflits, etc.). Il
s’agit d’affirmer la nécessité absolue de mettre en place des moyens forts pour inverser
ces processus. L’universalisation de l’éducation fondamentale et la qualité de cette
éducation sont posées comme des défis à l’ensemble des acteurs de l’éducation :
autorités nationales, régionales, locales mais aussi organisations gouvernementales ou
non gouvernementales, le but étant de développer les partenariats au niveau mondial.
La Conférence de Jomtien replace l’éducation fondamentale au cœur des
mécanismes de mise en place du droit à l’éducation. Cette dernière est « l’éducation
dont l’objet est de répondre aux besoins éducatifs fondamentaux ; il s’agit du premier
niveau d’instruction ou niveau de base pouvant servir d’assise à des apprentissages
http://www.africa-union.org/Official_documents/Treaties_Conventions_fr/Charte%20Africaine%20des%20Droits%20de%20l%20homme%20et%20des%20Peuples.pdf. 57 Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, adoptée par l’Organisation de l’Unité Africaine en juillet 1990, entrée en vigueur le 29 novembre 1999, disponible sur : http://www.africa-union.org/Official_documents/Treaties_Conventions_fr/CHARTE%20AFRICAINE-DROITS%20ENFANT%20new.pdf. 58 Comparer les différents mécanismes de protection du droit à l’éducation selon les régions n’est pas notre objet ici mais il serait intéressant de le faire dans une autre étude. 59 Déclaration Mondiale sur l’Education pour tous (DMEPT), adoptée à Jomtien, en Thaïlande, le 9 mars 1990, disponible sur : http://www.droitsenfant.com/declaeducation.htm.
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plus poussés60 ». Elle comprend l’éducation de la petite enfance, l’enseignement
primaire, l’alphabétisation des adolescents et des adultes et même dans certains pays
l’enseignement secondaire. Mais plus que cela, la conférence de Jomtien opte pour une
vision élargie de l’éducation fondamentale. Il s’agit d’universaliser l’accès à
l’éducation, de promouvoir l’équité, notamment entre les sexes, de mettre l’accent sur la
réussite de l’apprentissage, et surtout d’élargir les moyens et le champ de l’éducation
fondamentale, d’améliorer le contexte d’apprentissage, et de renforcer les partenariats.
Les enfants, les adolescents et les adultes doivent non seulement acquérir un niveau
d’éducation suffisant pour prendre en main leurs destins individuels et collectifs, mais
être capable de s’y maintenir. L’apprentissage commence dès la naissance, il doit passer
par l’école primaire mais tous les modes d’apprentissage, à partir du moment où ils sont
de qualité, sont complémentaires, qu’il s’agisse d’éducation formelle ou non-formelle.
Selon la conférence de Jomtien, il s’agit là d’une « entreprise d’une urgente nécessité »
et cette déclaration pose des objectifs auxquels correspond un cadre d’action détaillé.
c) 2000 : Les objectifs de Dakar
La dernière décennie du XXème siècle a été l’occasion de dresser le bilan le plus
exhaustif jamais réalisé en ce qui concerne l’éducation dans le monde et notamment
l’éducation de base. Six grandes conférences régionales ont dressé un bilan de leur
région, comme l’a fait la conférence de l’Afrique subsaharienne sur l’éducation pour
tous (EPT) à Johannesburg, en décembre 1999. Même si les objectifs définis à Jomtien
n’ont pas été atteints, les progrès accomplis ont été significatifs et l’évaluation rendue
possible par la mise en place de critères et d’indicateurs en ce qui concerne l’éducation
est un outil précieux pour la redéfinition d’objectifs plus adaptés, plus renseignés. En
fait, l’évaluation de l’EPT a permis de dégager et d’analyser les obstacles rencontrés. En
2000, le Forum de Dakar est chargé de définir des objectifs pour 2015 en tenant compte
de ces obstacles.
Avant d’établir un plan d’action détaillé, le forum de Dakar constate
l’ampleur des besoins en matière d’éducation, à l’heure où 880 millions d’adultes sont
analphabètes dans le monde, où 113 millions d’enfants ne vont pas à l’école, et où les
inégalités entre les sexes sont encore criantes. En fonction de ces constats et des
60 Conférence mondiale sur l’éducation pour tous, document de référence, Répondre aux besoins éducatifs fondamentaux : une vision pour les années 90, Jomtien, 5-9 mars 1990.
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inquiétudes qui en découlent, le forum de Dakar définit six grands objectifs à réaliser
pour 2015 : les différents acteurs du droit à l’EPT s’engagent à développer et à
améliorer l’éducation de la petite enfance, considérant que « l’éducation commence dès
la naissance », à universaliser l’enseignement primaire, à adapter les programmes
éducatifs aux situations de vie, à améliorer l’alphabétisation de 50%, à garantir l’égalité
des sexes dans l’éducation primaire et secondaire, et à améliorer dans toutes les
situations la qualité de l’éducation. Chacune de ces exigences doit donner lieu à des
programmes d’actions reposant sur des partenariats dans les différentes régions du
monde et l’évolution des situations éducatives doit être évaluée régulièrement.
2) Les inquiétudes de la Communauté internationale quant au respect de
l’EPT dans les situations d’urgence
Le Sommet des Nations Unies a adopté en septembre 2000 les Objectifs du
Millénaire pour le Développement61 (OMD). Huit objectifs ont été fixés pour 2015, le
but étant de lutter contre la pauvreté au niveau planétaire. L’un de ces objectifs est
l’universalisation de l’enseignement primaire pour 2015. Sur ce point donc, les Nations
Unies rejoignent les ambitions de l’EPT. Ce qui est visé n’est pas seulement la
scolarisation de tous les enfants dans le primaire mais l’achèvement d’un cycle primaire
pour tous les enfants. On considère que six ans de scolarité sont nécessaires pour
acquérir les outils de base au renouvellement des apprentissages. Ces objectifs sont loin
d’être réalisés dans certaines régions du monde, et notamment en Afrique
subsaharienne, ce qui soulève un grand nombre d’inquiétudes. Celles-ci se portent
notamment sur les situations limites telles que les situations de conflits qui concernent
majoritairement les pays pauvres tant le lien est fort entre conflit et grande précarité.
Selon le rapport des Nations Unies de 2005, « ce qui est sûr c’est que la prévention des
conflits, ainsi que la capacité à saisir les opportunités de reconstruction post-
conflictuelle pourraient clairement accélérer la réalisation des OMD. A contrario, un
échec dans ce domaine rendrait la réalisation des objectifs fixés plus difficiles.62»
61 Objectifs du Millénaire pour le Développement, définis en 2000, par les Nations Unies, disponibles sur : http://www.un.org/french/millenniumgoals. . 62Rapport mondial sur le développement humain 2005. La coopération internationale à la croisée des chemins. L’aide, le commerce et la sécurité dans un monde marqué par les inégalités, Paris, Economica, 2005. (publié pour le programme des Nations-unies pour le développement), p. 163.
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Les inquiétudes à propos des situations de conflits ou de catastrophes émergent
dans les normes du droit à l’éducation à partir des années 1990.(a) Le forum de Dakar, à
l’aube du XXIème siècle en fera une préoccupation majeure.(b)
a) Apparition de ces inquiétudes dans les années 1990
Dans la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE), les préoccupations
toutes particulières concernant les pays en développement sont mentionnées dans
l’article 28.363. La CDE renvoie également de manière plus générale au droit
humanitaire dans ses articles 38.1 et 38.464.
De plus, la Communauté internationale, inquiète des disparités et des carences de
l’éducation au niveau mondial65, parle à partir de 1990 de l’Education Pour Tous (EPT).
Ce droit porte donc doublement son exigence d’universalité. La Déclaration de Jomtien
relève bien la problématique posée par les situations de conflits mais ne se prononce pas
sur l’éducation au sein de ces situations. Il s’agit juste dans l’article 10.4 d’inciter les
nations à « unir leurs efforts pour résoudre les conflits et les dissensions, mettre fin aux
occupations militaires et installer les populations déplacées ou faciliter leur retour dans
leur pays d’origine, en veillant à répondre à leurs besoins fondamentaux. » Le postulat
énoncé à ce moment là est que « seul un environnement stable et pacifique peut offrit
des conditions qui permettent à chaque être humain, enfant ou adulte, de tirer bénéfice
des objectifs de la présente Déclaration. » Seulement, les années 1990 n’ont fait que
renforcer les inquiétudes au sujet des situations de conflit et d’urgence en général, tout
en montrant par diverses expériences que l’éducation pouvait être un facteur de stabilité
63 Convention relative aux droits de l’enfant, article 28.3 : « Les Etats Parties favorisent et encouragent la coopération internationale dans le domaine de l’éducation, en vue notamment de contribuer à éliminer l’ignorance et l’analphabétisme dans le monde et de faciliter l’accès aux connaissances scientifiques et techniques et aux méthodes d’enseignements modernes. A cet égard, il est tenu particulièrement compte des besoins des pays en développement. » 64 Convention relative aux droits de l’enfant, article 38 : Renvoi du DIDH au DIH dans la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (article 38-1 et 38-4) : « article 38-1 : les Etats parties s’engagent à respecter et à faire respecter les règles du droit humanitaire international qui leur sont applicables en cas de conflit armé et dont la protection s’étend aux enfants (…) article 38-4 : conformément à l’obligation qui leur incombe en vertu du droit humanitaire international de protéger la population civile en cas de conflit armé, les Etats parties prennent toutes les mesures possibles dans la pratique pour que les enfants qui sont touchés par un conflit armé bénéficient d’une protection et de soins. » 65 Déclaration Mondiale de Jomtien sur l’Education pour Tous, article 3.4 : « Il faut s’attacher activement à éliminer les disparités éducatives qui peuvent exister au détriment de certains groupes. Les pauvres, les enfants des rues et les enfants qui travaillent, les populations des zones rurales ou reculées, les nomades et les travailleurs migrants, les populations autochtones, les minorités ethniques, raciales et linguistiques, les réfugiés, les personnes déplacées par la guerre, les populations sous régime d’occupation, ne doivent subir aucune discrimination dans l’accès aux formations. »
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dans ces contextes limites. L’éducation suppose un environnement stable et en même
temps elle permet, lorsque celui-ci ne l’est pas, de l’apaiser. Ainsi, une prise de
conscience concernant la nécessité de l’éducation quelles que soient les situations a été
amorcée dans les années 1990.
b) L’avertissement du cadre d’action de Dakar
Le forum de Dakar définit des domaines qui « requièrent une attention toute
particulière » : les conséquences du VIH/sida, l’éducation de la petite enfance,
l’éducation des filles et des femmes, l’alphabétisation des adultes et l’éducation en
situations d’urgence et de crises. On peut donc considérer que les situations d’urgence
ont intégré en 2000 le cadre normatif du droit à l’éducation. Le cadre d’action du forum
de Dakar sur l’EPT préconise dans son article 8.V de « répondre aux besoins des
systèmes éducatifs subissant le contrecoup de situations de conflits, de catastrophes
naturelles, et de situations d’instabilité et [de] conduire les programmes d’éducation
selon des méthodes qui soient de nature à promouvoir la paix, la compréhension
mutuelle et la tolérance et à prévenir la violence et les conflits. » La portée du droit à
l’éducation ne souffre aucune limite après le forum de Dakar et il ne semble pas
contestable, pour des instances comme l’UNESCO, que ce droit universel et intangible
doive être garanti tout particulièrement en situations d’urgence. Pourtant si on se penche
sur ces situations de manière pragmatique, leur violence détruit tout espoir de rendre
cette universalité palpable. Parfois, le droit à l’éducation semble vidé de tout son sens,
anéanti par la force du chaos.
Si le droit à l’éducation pose problème en ce qui concerne les situations
d’urgence, ce n’est pas seulement qu’il est traversé par les conflits juridiques entre
droits de l’homme et droits humanitaire. Nous voyons au travers de son évolution
propre que c’est une question qui se pose à lui de manière singulière. Les situations
d’urgence constituent le point d’achoppement du droit à l’éducation pour tous non pas
seulement parce que ce droit n’est pas suffisamment garanti de manière formelle mais
parce que les contradictions essentielles entre l’urgence et l’éducation paraissent
souvent indépassables. C’est la raison pour laquelle la formulation de cette
préoccupation majeure au regard du droit à l’éducation est si tardive dans les textes
internationaux. Les hésitations dominent encore aujourd’hui malgré les objectifs de
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Dakar parce que l’urgence est tout simplement contradictoire avec les exigences d’une
quelconque éducation. C’est que celle-ci vise à introduire une forme de temporalité qui
ne s’accorde pas avec l’urgence. Les situations limites du droit à l’éducation sont
extrêmement révélatrices de ces contradictions qui se reflètent très concrètement dans la
réalité. A chaque fois qu’une mise en place de l’éducation paraît très difficile voire
impossible, c’est que nous sommes face à ce type d’impasse, à des temporalités trop
hétérogènes, étrangères, qui se superposent d’une certaine manière sans jamais se
croiser. Comment comprendre exactement ce qui rend l’éducation si réfractaire à
l’urgence ?
CHAPITRE II
Confrontation des temporalités de l’éducation et de l’urgence
L’éducation, qui repose par définition sur le temps, et qui s’inscrit nécessairement
dans un processus long, se heurte à l’immédiateté de l’urgence.(section 1) Nous verrons
comment ce conflit entre deux temporalités hétérogènes se manifeste
concrètement.(section 2)
Section 1
L’impossibilité de penser l’éducation dans des contextes obéissant aux
seules règles du présent
L’éducation, prise dans un sens très large, désigne l’ensemble des processus
d’apprentissage. D’un point de vue étymologique, éducation vient du latin educare qui
signifie tout d’abord nourrir ou « prendre soin de ». Ce terme était employé à l’origine à
propos de l’élevage des animaux domestiques. Eduquer, c’est élever, entourer,
accompagner. On voit donc comment on passe dans ce cas aisément de l’idée d’élevage
à celle d’élévation lorsqu’il s’agit de l’homme. Eduquer un enfant, c’est lui permettre de
grandir, de déployer ses potentialités. Mais c’est aussi lui donner la direction à suivre.
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Ainsi, les enjeux de l’éducation sont considérables.(A) Cette élévation, ce
développement de l’individu implique nécessairement la médiation du temps. Elle
s’inscrit de fait dans la durée. Elle ne tolère a priori pas l’urgence.(B)
A/ Les enjeux de l’éducation
1) Développement individuel et développement collectif
Le principal enjeu de l’éducation est un enjeu de développement, à la fois
individuel et collectif. Un enfant ne peut pas évoluer dans un contexte donné s’il n’a pas
les outils pour le faire. Cela est encore plus vrai dans un contexte de mondialisation
comme aujourd’hui. L’éducation permet à l’individu de comprendre ce qui l’entoure
mais aussi de porter des jugements, d’avoir un regard éclairé et critique sur la réalité, et
d’agir en son sein. Plus un individu est éduqué, plus il est armé pour évoluer dans un
contexte donné, pour s’adapter éventuellement à d’autres situations, pour être acteur de
changements et non simple spectateur. L’enjeu de l’éducation est de faire des individus
épanouis qui ne subissent pas seulement les événements. C’est de faire des individus
acteurs de leurs destins donc plus responsables et plus libres. Il suffit de se reporter à la
DUDH ou à chacun des textes qui contribuent à poser juridiquement un droit à
l’éducation universel pour voir que le droit international des droits de l’homme prend
l’épanouissement de chacun comme fin de l’éducation. L’article 26.2 de la DUDH
stipule que « L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine
et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. » La
principale visée de l’éducation est le développement de l’individu. Ses objectifs sont
déclinés par la Commission pour le XXIe siècle selon quatre grands piliers : apprendre
à connaître, apprendre à faire, apprendre à vivre ensemble et apprendre à être66. La fin
de l’éducation est bien l’individu lui-même. Lui apprendre à être, c’est développer
l’ensemble des possibles qu’il porte en lui, c’est déployer toutes ses potentialités. La
Convention relative aux droits de l’enfant67 pose comme visée de l’éducation le fait
qu’elle doit « favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le
66 Delors Jacques (dir.), L’éducation : un trésor est cache dedans, Rapport à l’UNESCO de la Commission Internationale sur l’éducation pour le XXIe siècle, Paris, UNESCO, 1996.
67 CDE, article 29.1.a.
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développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la
mesure de leur potentialités. » Et par-delà les individus, l’enjeu de l’éducation est le
développement des peuples. Dans l’éducation se croisent et se tracent les destins
individuels et collectifs.
Faire de l’éducation la condition du développement des individus et avec eux des
sociétés, c’est postuler que les hommes ne sont pas déterminés par avance, qu’ils sont
fondamentalement libres.(a) Mais plus encore, c’est faire l’hypothèse que ce qui fait la
spécificité de l’homme, c’est sa capacité à évoluer, à se perfectionner, au sens neutre du
terme68, dans un mouvement infini. (b)
a) Le postulat de la liberté humaine
Le premier postulat de l’éducation est donc celui de la liberté humaine. Il apparaît
« impossible d’éduquer, de penser l’éducation, sans poser en principe que l’être à
éduquer est libre. 69» L’éducation est le mouvement par lequel l’homme devient plus
libre et elle repose sur le présupposé que l’homme est apte à la liberté. Dire que
l’éducation vise la liberté, c’est dire qu’elle augmente le nombre des possibles. Un
individu éduqué a tout simplement plus de choix. Ce postulat interroge directement
notre conception de l’homme. En effet, si nous le voyons déterminé par une nature
préétablie, cela signifie que ses possibles sont déjà tous en lui. Ainsi, dans une acception
naturaliste, l’objectif de l’éducation consisterait à réaliser, actualiser des potentialités
propres à chacun et définies d’avance. « Pour le naturalisme éducationnel, l’éducation
consiste à aider l’éduqué à devenir en fait ce qu’il est en puissance. 70 » L’idée de
développement renvoie originellement à ce phénomène d’actualisation, il est
déroulement d’une nature première, au sens littéral accomplissement. A l’opposé de
cette conception de l’homme se trouve celle qui consiste à penser que tout est acquis,
que « tout ce qui rend l’homme humain : le langage, la pensée, les sentiments, les
techniques, les sciences, les arts, la morale, l’homme l’a parce qu’il l’a appris .71 »
Mais dans ce cas, qu’est-ce qui définit l’homme de manière essentielle ? L’ambition
68 Il ne faut pas voir ici dans ce terme un quelconque finalisme. La capacité de l’homme à se perfectionner signifie simplement ici à changer, à évoluer, au sens rousseauiste du terme. 69 Kerlan Alain, Philosophie de l’éducation, Issy-les-Moulineaux, Ed. ESF, Coll. Pratiques et enjeux pédagogiques, 2003, p. 37. 70Hannoun Hubert, Propos philosophiques sur l’éducation, Paris, Ed. L’Harmattan, Coll. Ouverture philosophique, 2002, p. 55. 71 Reboul Olivier, La Philosophie de l’éducation, PUF, Que sais-je ?, 1989, p. 19.
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d’une éducation universelle ne peut pas manquer de buter sur cette impasse. C’est que la
nature humaine doit précisément être définie comme potentialité. « Il y a bien donc une
nature humaine universelle, qui consiste précisément en la possibilité d’apprendre.72 »
Ce qui fait la spécificité de l’homme, c’est bien ce qui le rend capable d’échapper à
toutes ses déterminations par l’apprentissage.
b) Le postulat de la perfectibilité
C’est cette faculté que Rousseau nomme la perfectibilité. « Il y a une autre qualité
très spécifique qui les distingue [l’homme et l’animal], et sur laquelle il ne peut y avoir
de contestation, c’est la faculté de se perfectionner…73» Ce qui distingue l’homme de
l’animal, pour Rousseau, c’est que l’animal a un seuil de développement au-delà duquel
il ne pourra pas aller, il a une capacité à se perfectionner limitée, ce qui n’est pas le cas
de l’homme. C’est dire que l’homme se caractérise par le fait même qu’il est en
perpétuelle évolution, qu’il est traversé en permanence par une multitude de possibles et
que son destin n’est pas déterminé par cette nature évolutive. « Je ne sache pas
qu’aucun philosophe ait encore été assez hardi pour dire : voilà le terme où l’homme
peut parvenir et qu’il ne saurait passer. Nous ignorons ce que notre nature nous permet
d’être ; nul de nous n’a mesuré la distance qui peut se trouver entre un homme et un
autre homme.74 » Cette idée de perfectibilité traverse la philosophie. Et c’est elle qu’on
retrouve en un sens dans l’article 29 de la Convention relative aux droits de l’enfant.
Chacun porte en lui un ensemble de possibles, de potentialités que la Commission pour
l’éducation au XXIème siècle appellera des trésors, qui le rendent perfectible.
L’éducation a pour tâche d’assurer le perfectionnement de l’homme.
Si nous partons des principes que l’homme est libre et qu’il est perfectible alors le
pouvoir donné à l’éducation est immense puisque c’est par elle que nous devenons ce
que nous sommes. Autrement dit, l’éducation peut tout. Nous voyons alors en quoi il
s’agit bien d’un apprentissage de l’être. Mais reconnaître le pouvoir de l’éducation, c’est
en même temps reconnaître ses dangers. Les postulats qui viennent d’être posés sont
72 Reboul Olivier, op. cit., p. 21. 73 Rousseau Jean-Jacques, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Paris, Ed. Bordas, Coll. Es œuvres philosophiques, 1987 (première édition en 1755), P. 38. 74Rousseau, Emile, traité sur l’éducation, Paris, Larousse, Coll. Petits classiques Larousse, 1999. (Première édition en 1762), p. 65.
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lourds de sens et de conséquences puisque cela signifie que l’éducation peut le meilleur
comme le pire et l’histoire nous l’a malheureusement montré. Rousseau et d’autres
n’affirment pas avec la perfectibilité que l’homme devient forcément meilleur, bien au
contraire. Cette même perfectibilité peut mener à la perte de l’homme puisque tout est
possible pour lui75. « La sculpture de l’homme par l’homme est porteuse de tous les
possibles, des espoirs les plus enthousiasmants comme des erreurs les plus tragiques,
des constructions solidaires comme des dépravations destructrices…76 » C’est
l’éducation aussi qui peut mener à la violence, elle est génératrice de haine si on s’en
sert à cette fin. La liberté est un principe essentiel à l’éducation mais ne suffit pas à en
déterminer le contenu, de même que la perfectibilité de l’homme et le pouvoir qu’elle
confère à l’éducation n’indiquent pas la direction à suivre. Comment définir dans ce cas
une bonne éducation, autrement dit comment donner une dimension qualitative à notre
concept d’éducation ? L’envers de la liberté est la responsabilité que nous portons face à
nos enfants. « Qu’est-ce qu’éduquer […] dans la perspective d’un devenir infiniment
ouvert, et dont le sens et la responsabilité sont entre nos mains ?77 » Sans la
détermination de valeurs, l’éducation est un concept purement formel. L’apprentissage
appelle un contenu, un sens, voire une éthique.
2) Education et valeurs
a) L’exigence éthique de l’éducation
Il y aurait beaucoup à dire sur toutes les perversions possibles de l’éducation dont
l’endoctrinement ou la manipulation sont des variantes. Ces perversions, qui ont
malheureusement marqué l’histoire, doivent toujours être présentes à notre esprit
lorsqu’il s’agit d’éducation et elles suffisent à appeler comme nécessaires des valeurs
qui guideraient le processus éducatif.
Mais si des valeurs sont nécessaires, c’est aussi parce que le concept d’éducation
porte en lui cette exigence, de manière positive : s’éduquer, « c’est parvenir à mieux
75 Pour Rousseau, la perfectibilité de l’homme est responsable de sa perte en même temps qu’elle est une promesse puisqu’en faisant de lui un être par essence évolutif, elle l’éloigne inexorablement de sa première nature dans laquelle il ne pouvait qu’être heureux. C’est tout le déclin de l’homme qui est décrit dans Le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. 76 Hannoun Hubert, Les paris de l’éducation, Paris, PUF, Coll. L’éducateur, 1996, p. 7. 77 Kerlan Alain, op. cit., p. 39.
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faire, à mieux comprendre, à mieux être. Or, qui dit ‘‘mieux’’ dit valeur. 78» Apprendre
à être, c’est aller dans le sens d’une amélioration de l’être et il semble difficile de ne pas
donner une dimension éthique à l’éducation de ce point de vue. C’est dire que
l’éducation a nécessairement une visée morale, non au sens où elle supposerait une
morale dogmatique et transcendante mais au sens où il nous faut définir des valeurs
communes79. « Si l’on comprend cette locution ‘‘valeurs morales’’ comme construite
sur les notions de respect des droits de la personne et de reconnaissance des libertés de
l’autre, alors c’est bien de cela qu’il s’agit.80 » Comment déterminer ces valeurs ? Cette
première question nous amène inévitablement à une seconde question : y a-t-il des
valeurs universelles en matière d’éducation ?
b) Entre valeurs particulières et valeurs universelles
Certes, l’observation des différentes traditions, du pluralisme des cultures et de
l’histoire des peuples, nous témoigne du relativisme des valeurs dans l’espace et dans le
temps, mais il y a selon nous un danger à rester dans ce relativisme. Les différentes
sciences humaines se doivent de remarquer ces différences et de les analyser mais
l’éducation a le devoir de les dépasser tout en les respectant parce qu’elle repose sur un
humanisme. L’éducation est transmission de valeurs particulières, qu’elles soient
traditionnelles, culturelles, sociales, etc. mais elle est en même temps ouverture vers
l’autre et donc dépassement des particularismes. Toute éducation porte en elle une visée
universelle, elle en a le devoir. Il nous semble, puisque les grands textes des droits de
l’homme ont été ratifiés par les Etats, que ces droits fondamentaux peuvent venir aider
toutes les autres pensées de l’homme à trouver des valeurs humaines universelles. « Est
universel non pas ce qui fait l’objet d’un consensus de fait, mais ce dont je sais que tout
homme informé et sans parti pris pourrait l’accepter. Que la torture soit pratiquée
partout et admise par beaucoup ne m’empêche pas de la réprouver et de tenir cette
78 Reboul Olivier, op. cit. 79 Nous entendons ici le terme de morale en un sens très large, c’est la raison pour laquelle nous ne distinguons pas les concepts de morale et d’éthique. Nous considérons que l’éthique est une forme de morale immanente que l’homme se donne à lui-même. 80 Zermatten Jean, « Le droit à l’éducation : si simple et si compliqué… », in Droit à l’éducation : solution à tous les problèmes ou problème sans solution ?, Sion, Institut international des droits de l’enfant / Institut universitaire de Kurt Bösch, 2006, p. 10.
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réprobation pour universelle, tout homme qui veut bien réfléchir ne pouvant qu’y
souscrire. 81»
Cette ambition universelle consubstantielle à toute éducation suppose un double
mouvement : en même temps que l’individu comprend ses racines, il est arraché à cette
identité particulière et projeté au-delà. « L’arrachement ouvre à la dimension humaine
universelle au sein même de chaque culture particulière, quelle qu’elle soit. Eduquer
c’est bien tout ensemble ‘‘enraciner’’ et ‘‘arracher’’. Une éducation qui se suffirait
d’enracinement et qui ne maintiendrait pas ouvert et immanent le chemin de
l’arrachement, serait-elle pleinement une éducation ou une sorte de dressage
culturel ? Une éducation sans racine, ‘’hors sol’’, serait-elle fidèle à la visée de
l’universel ?82» Ces deux dimensions qui apparaissent d’abord comme contradictoires
sont en fait nécessairement imbriquées. L’enjeu de l’éducation est précisément là : lier
l’individu à ses racines et en même temps l’ouvrir au monde.
L’être humain, perfectible, est un être en perpétuel devenir. Mais si sa nature
consiste à se perfectionner, au sens neutre du terme, elle ne lui dicte pas la direction à
suivre. L’éducation a pour tâche de transmettre un certain nombre de valeurs,
particulières et universelles, afin de permettre à chacun de déployer toutes les richesses
qu’il porte en lui. Mais cette tâche nécessite du temps. L’éducation s’inscrit
nécessairement, de part sa nature et son ambition, dans un processus continu. Elle
s’inscrit inévitablement dans la durée.
B) L’éducation et l’urgence : deux temporalités hétérogènes
Le devenir de l’individu n’est absolument pas tracé d’avance. Il naît au monde
sans savoir où il va. Il naît dans ce monde qu’il ne connaît pas et dont le mouvement a
commencé bien avant lui. Ne trouve-t-on pas dans cette naissance abrupte l’essence de
l’éducation ? (1)
81 Reboul Olivier, « Education », in Auroux Sylvain (dir.), Encyclopédie philosophique universelle, vol. II : Les Notions philosophiques, Tome 1, Ed. André Jacob, 1990, p. 747. 82 Kerlan Alain, op. cit., p. 61.
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Dans des contextes de rupture comme les situations d’urgence, l’éducation semble
ne plus pouvoir jouer son rôle. L’urgence ne laisse pas de place à la prise de distance ou
au développement des individus. Elle est rupture et règne de l’immédiateté. (2)
1) Le temps, fondement de l’éducation
Si l’éducation est essentielle, c’est parce que les individus, en arrivant dans un
monde bien plus ancien qu’eux, n’ont pas d’emblée toute les clés pour y faire leur
chemin. C’est cette rupture entre la nouveauté de chaque être humain et le mouvement
des hommes et du monde qui fait que l’éducation est si fondamentale. Elle réintègre
chacun dans une temporalité plus vaste. C’est la thèse d’Hannah Arendt : « l’essence de
l’éducation est la natalité, le fait que des êtres humains naissent dans le monde. 83»
L’individu naît au monde comme un tableau vierge et il y a une rupture radicale entre
cette naissance, cette nouveauté, et l’état du monde dans lequel il apparaît. Le monde, la
société dans laquelle arrive un enfant ont une histoire. Tout, autour de cet enfant, est
déjà en mouvement et ce mouvement a commencé bien avant lui. Le mouvement du
monde n’est pas suspendu lorsqu’un nouvel individu arrive, il ne s’arrête pas pour lui.
Le but de l’éducation va être de faire se rejoindre la nouveauté de l’individu et
l’ancienneté du monde. « Avec la conception et la naissance, les parents n’ont pas
seulement donné la vie à leurs enfants ; ils les ont en même temps introduits dans un
monde. » Pour rejoindre ce monde qui le précède, l’enfant doit pouvoir le comprendre.
La première tâche de l’éducation est donc celle-ci.
a) L’éducation comme mémoire
« Il revient au maître de transmettre à l’élève ce que l’humanité a appris
sur elle-même et sur la nature, tout ce qu’elle a créé et inventé d’essentiel. 84 » Plus
l’enfant comprend le monde dans lequel il vit, plus il aura la capacité de s’adapter,
d’agir, de créer à son tour. L’éducation est transmission du passé. Elle porte la mémoire
d’une société, de l’humanité, du monde. «Etant donné que le monde est vieux, toujours
plus vieux qu’eux, le fait d’apprendre est inévitablement tourné vers le passé, sans tenir
83 Arendt Hannah, « La crise de l’éducation », in La crise de la culture, trad. Chantal Vezin, Paris, Gallimard, 2000 (première édition chez Gallimard en 1972), p. 8.
84 Delors Jacques (dir.), op. cit., p. 20.
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compte de la proportion de notre vie qui sera consacrée au présent.85 » L’éducation est
toujours tournée vers un autre temps que celui où elle a lieu. Elle relie ainsi l’individu à
une temporalité plus vaste. En inscrivant l’individu dans cette temporalité, l’éducation
lui permet de prendre de la distance. C’est à cette seule condition qu’il pourra ensuite
être conscient et acteur de son propre devenir. Transmettre le passé, c’est en même
temps ouvrir à l’avenir. Plus l’individu comprend ce qui l’entoure, plus il a une vue
large des phénomènes qui le traversent, plus il a la capacité de se projeter dans le temps,
nous aurons l’occasion d’y revenir.
b) L’éducation, ouverture au monde
Nous voyons bien en quoi l’éducation nécessite un processus long. « Oserais-je
exposer ici la plus grande, la plus importante, la plus utile règle de toute l’éducation ?
Ce n’est pas de gagner du temps, c’est d’en perdre. 86» L’éducation nécessite un temps
de maturation qui est irréductible. « Dans la mesure où l’enfant ne connaît pas encore le
monde, on doit l’y introduire petit à petit.87 » Ainsi, à travers l’éducation s’engage une
dialectique entre l’individu et le monde. Chacun porte en lui une partie du monde et
contribue à sa continuité mais chacun peut également l’infléchir à sa manière. Il ne
s’agit pas seulement de faire perdurer ce qui existe déjà mais d’ouvrir de nouveaux
mondes à partir de celui qui est là. « Les hommes passent, naissent et meurent, mais leur
passage laisse des traces, traces éphémères, traces durables, traces fabriquées de leurs
propres mains, qui seules font un monde et pas seulement une terre.88 » La différence
entre un monde et une terre est que le premier est essentiellement projet, il est
caractérisé par sa « durabilité ». Le monde n’est pas un concept neutre comme la terre, il
est organisation de la matière terrestre par l’homme. Dire que l’éducation ouvre au
monde, c’est donc affirmer qu’elle nous lie à ce projet proprement humain qui a
commencé avant nous et que nous nous devons de poursuivre. En même temps qu’elle
ouvre au monde, elle nous permet de l’infléchir. Peu importe que le monde désigne ici
la société, l’humanité ou l’univers, ce qui le définit est la dialectique temporelle qui le
lie à l’individu. Faire partie du monde, ce n’est pas se situer en son sein, c’est agir avec 85 Ibid., p. 36. 86 Rousseau, Emile, traité sur l’éducation, Paris, Larousse, Coll. Petits classiques Larousse, 1999. (Première édition en 1762), p. 95. 87 Arendt Hannah, op. cit., p. 28. 88 Vergauwen Marie-Thérèse, « Le souci du temps, dans le sillage de Hannah Arendt », Le droit international et le temps (colloque organisé par la Société française pour le droit international), Paris, Ed. Pedone, 2001, p. 192.
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lui dans un même mouvement. N’est-ce pas ce mouvement même qui est rompu
lorsqu’il est question d’urgence ?
2) L’urgence et le règne de l’immédiat
Le monde compris comme projet durable impose une forme de continuité. Or,
dans le chaos de l’urgence tout semble remis en cause, soudainement paralysé par la
violence des événements. L’urgence introduit une rupture dans la continuité d’un
monde, le brise.(a) Elle remplace cette continuité par l’immédiateté, elle est absence de
projet.(b)
a) L’urgence comme rupture dans la temporalité du monde
Dire que le temps est durée, c’est dire que les événements, ce qui arrive, sont
reliés dans le temps et que leur enchaînement forme une continuité. Ce que nous vivons
à l’instant t découle logiquement de ce qui lui précède et participe à la construction de
ce qui va suivre. Le ‘‘maintenant’’ dépend de l’avant et annonce l’après. Le présent
nous renvoie toujours en même temps au passé et au futur et il ne se définit que par
rapport à ces deux autres catégories. Le futur est dépassement du présent. Le temps est
une des manières d’entrevoir la causalité du monde et de chacun.
La brutalité de l’urgence vient heurter de plein fouet la temporalité du monde.
L’urgence est essentiellement rupture. Elle rompt avec le processus de construction
dialectique qui lie les individus, et par delà eux les groupes sociaux, au monde. Elle est
perte de repères subite. Elle est un « temps soudain qui foudroie le temps comme
étirement et durée » 89. En effet, les individus dont les maisons ont été détruites, qui ont
fuit leurs pays, qui ont perdu des proches, qui ont vu la violence des hommes ou des
éléments renverser leur quotidienneté, sont soudain pris dans une autre réalité que celle
d’avant. De plus, la violence est telle qu’ils n’envisagent pas non plus d’après, écrasés
par le poids du présent. Dans l’urgence, il y a donc rupture avec l’avant et avec l’après.
Le temps est ce qui relie. Or, en situations d’urgence, tout est soudain délié.
Mais le paradoxe du temps est qu’il est d’un côté relation et d’un autre mise à
distance. « Le temps ronge et creuse, il sépare et il fuit[…]Le temps me sépare de
89 Ibid., p. 179.
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moi-même de ce que j’ai été, de ce que je veux être, de ce que je veux faire, des choses
et d’autrui.90 » Certes le temps nous rattache au passé et à l’avenir mais il nous en
détache également, sinon il n’y aurait pas besoin de ces différentes catégories. Le temps
est en fait une médiation entre nous et le monde, c’est ce qui fait que nous avons une
existence au sein du monde et que nous ne sommes pas écrasés par lui.
b) L’urgence prisonnière du présent pur
Dans l’urgence, le temps accéléré ne joue plus correctement son rôle de
médiateur. L’urgence ne déconstruit pas seulement ce qui émane d’une temporalité qui
dure, mais la remplace par une autre forme de temporalité. A la durée vient se substituer
l’instant, à la continuité le pur présent. Ce qui caractérise l’urgence, c’est l’immédiateté.
C’est la raison pour laquelle l’urgence est une catégorie de l’action qui ne laisse pas de
place à la réflexion. En d’autres termes, ce qui caractérise l’urgence, c’est l’absence de
médiation entre le sujet et son action, l’absence de projection de celui qui n’est même
plus en définitive sujet ou acteur au sens moderne. Les individus y sont écrasés par le
temps de l’immédiateté, c’est-à-dire le temps du présent absolu, du maintenant
abandonné à lui-même. Cette expression, ‘‘le temps de l’immédiateté’’, est
contradictoire en elle-même puisque le temps est précisément ce qui médiatise. On
pourrait presque dire alors qu’il n’y a plus de temps. Toute prise de distance paraît
insurmontable. D’où la nécessité d’une réponse provenant de l’extérieur et qui soit, qui
plus est, une action, si elle veut être adaptée. La réponse humanitaire prend en compte
cette réalité de l’urgence.
Nous voyons en quoi la situation d’urgence rend apparemment impossible la mise
en place d’une éducation. Il n’y a pas d’anticipation possible, pas de projet, tout y est
spontané. C’est sa dimension temporelle qui la distingue essentiellement des autres
situations qui font obstacle à la mise en place de l’éducation. Elle est « une situation de
détresse que sa spontanéité distingue de la situation chronique de sous-
développement.91 » La contradiction entre l’urgence et l’éducation, qui repose sur le
temps, est donc plus essentielle que toute autre. Comment se manifeste cette
contradiction essentielle dans les situations concrètes ?
90 Sartre Jean-Paul, L’Etre et le Néant, Paris, Ed. Gallimard, Coll. Bibliothèque des idées, 1943, p. 175-176. 91 Bettati Mario, Le droit d’ingérence, mutation de l’ordre international, Parsis, Ed. Odile Jacob, 1996, p. 76.
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Section 2
L’incarnation des conflits de temporalités dans des situations concrètes
La temporalité qui définie l’éducation non seulement est longue mais elle est
continue. L’éducation suppose un continuum de temps. Or, les situations d’urgence dont
il est question et qui sont caractérisées par des temporalités accélérées sont aussi des
points de ruptures. Comment redonner la confiance suffisante à un enfant qui est
spectateur d’atrocités au quotidien ? Comment demander à un enfant qui souffre de
malnutrition ou d’une maladie grave de se projeter ? Comment envisager le
développement d’un enfant qui est drogué et entraîné à tuer ? Comment demander à un
individu d’apprendre alors qu’il ne possède plus de repères, que les drames qu’il a vécus
le hantent ou qu’il ne voit plus d’horizon s’ouvrir à lui ?
Ces obstacles apparaissent difficilement dépassables et il semble souvent facile de
clamer un droit à l’éducation pour des enfants dont les destinées sont déjà bien
malmenées. Le Comité des droits de l’enfants92, organe chargé de contrôler
l’application de la Convention relative aux droits de l’enfant, a recensé 32 catégories
d’enfants vulnérables et susceptibles d’être privés du droit à l’éducation, parmi lesquels
les enfants soldats, les enfants abandonnés, les enfants travailleurs, les enfants nomades,
les enfants victimes de trafics, etc. Face à la multiplicité de ces réalités toutes aussi
dramatiques les unes que les autres, Nous nous retrouvons entre le constat de notre
impuissance et la conviction qui a été développée plus haut que l’éducation est la
condition du développement de l’enfant, de son peuple, et de leur épanouissement. Pour
bien comprendre les impasses auxquelles nous sommes confrontés dans la réalité, nous
nous concentrerons sur la question des camps de réfugiés. Ce type de situations
complexes est en effet particulièrement révélatrice des conflits de temporalités dont il
était question plus haut.(A) Nous verrons que les obstacles rencontrés se répercutent
largement après l’urgence dans le temps de la reconstruction.(B)
92 Voir site : http://www.unhchr.ch/french/html/menu2/6/crc_fr.htm.
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A/ Les obstacles à l’éducation dans les camps de réfugiés
Le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) estime à 20,8 millions le nombre de
réfugiés dans le monde à la fin de l’année 200593. Pendant les années 1990, « 1% de la
population mondiale a été déplacé ou a subi les conséquences de conflits ou de
catastrophes.94 » Les enfants en représentent la moitié. Selon la Convention de Genève
de 1951 relative au statut des réfugiés, est considérée comme réfugiée toute personne
qui, « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa
nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions
politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de
cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n'a pas de
nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la
suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. 95»
Les personnes réfugiées sont des personnes qui ont été contraintes de fuir leur pays pour
en rejoindre un autre, en quête de protection. Dans certaines situations de conflits ou de
crises humanitaires complexes, ce sont des centaines voire des milliers de personnes qui
fuient leur pays en même temps, provoquant des déplacements massifs de populations.
Ces personnes déracinées ‘’s’installent’’ ensuite dans des camps en attendant de pouvoir
rentrer chez elles ou de trouver d’autres solutions. Lorsque ces camps sont à l’intérieur
même des frontières du pays où a lieu le conflit ou la crise d’origine, on parle de
personnes déplacées et non de personnes réfugiées. Au niveau international, le statut
juridique des personnes déplacées, qui ne sont pas concernées par la Convention de
Genève de 1951, n’est pas le même que celui des réfugiés96. Cependant, les
problématiques globales de ces situations sont les mêmes et les besoins humanitaires
sont similaires. Ces situations sont particulièrement révélatrices des questions qui nous
intéressent ici. Tout d’abord elles concentrent toutes les caractéristiques de l’urgence et
les individus y sont privés de tout repère.(a) Mais aussi, elles impliquent un rapport au
temps qui est absolument contradictoire et qui rend les approches éducatives très
93 Données du Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations-Unies (UNHCH), disponibles sur : http://www.unhcr.fr/cgi-bin/texis/vtx/statistics. 94 Sinclair Margaret, « Education in emergencies », in Crisp J. ,Talbot Christopher, et Cipollone D. (dir.), Learnings for a future: refugee education in developing countries, Genève, UNHCR, 2001. 95 Article premier de la Convention relative au statut des réfugiés, adoptée le 28 juillet 1959 et entrée en vigueur le 22 avril 1954, disponible sur http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/o_c_ref_fr.htm. 96 Ces personnes dépendent des Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays (Doc. ONU E/CN.4/1998/53/Add.2) du 11 février 1998, disponibles sur : http://www.unhchr.ch/french/html/menu2/7/b/principles_fr.htm.
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difficiles : les camps de réfugiés sont censés être des lieux de vie transitoires, il arrive
pourtant qu’ils restent en place pendant des mois ou des années.(b)
1) L’absence de repères
a) Des individus déracinés
Tout d’abord, les individus ont fuit leur lieu de vie d’origine soit à cause de la
peur, soit par nécessité de survie (sécheresse, inondation…). Quelle que soit la réalité
qu’ils ont fuit, ils sont dans une situation de rupture, de perte de repères. Souvent, les
personnes concernées sont parties de chez elles précipitamment et non pas eu le temps
d’emporter beaucoup d’affaires. Il ne leur reste donc pas grand chose de leur vie
d’avant. Leur premier souci a été de trouver un abri, un endroit sûr. C’est le HCR qui
organise, en accord avec les pays d’accueil, les camps de réfugiés.
S’ajoute à ce profond déracinement l’extrême précarité des conditions de vie dans
les camps. La dignité des individus y est largement mise à mal. La malnutrition, les
épidémies qui se propagent rapidement en raison de la concentration de population, la
misère sont généralisées. On estime que le manque de soins apportés à ces populations
fait 20 fois plus de victimes que la guerre97. Mais il nous est impossible d’évaluer
combien de victimes fait l’ignorance.
b) L’insécurité des camps
Il existe différentes formes d’insécurité dans les camps. Tout d’abord, la
surpopulation, le manque d’eau potable et de nourriture, la faiblesse des personnes,
entraînent des risques accrus d’épidémies telles que le choléra ou la méningite. D’autres
pathologies comme le paludisme ne sont pas épidémiques mais se développent plus
facilement dans de mauvaises conditions d’hygiènes. La malnutrition est généralisée et
rend les individus extrêmement vulnérables. En raison de ces différents facteurs, la
maladie et la mort sont omniprésentes et font peser sur les individus un sentiment
permanent d’insécurité par rapport à leur propre vie, à celles de leurs enfants, de leurs
proches.
97 Dhôtel Richard, Les enfants dans la guerre, Toulouse, Ed. Milan, Coll. Les essentiels Milan, 1999, p. 25.
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La seconde détresse est psychologique. Etant donné le caractère tragique de ces
situations, il est aisément concevable que certains se renferment sur eux-mêmes,
développent des comportements violents ou autres troubles psychologiques.
En plus de la peur que génèrent ces risques du quotidien, il existe toujours des
menaces extérieures. Même si les camps, généralement caractérisés par la présence
d’organismes tels que le HCR ou d’organisations non gouvernementales, sont censés
être des lieux sécurisés, l’étude de nombreuses situations a montré que les menaces
étaient bien réelles. Dans les situations de conflits, certaines milices n’hésitent pas à
attaquer des camps comme ça a été le cas au Darfour. Les forces armées,
gouvernementales ou non, viennent profiter de la vulnérabilité des enfants pour les
recruter et en faire des soldats. Les individus vivent dans l’angoisse que ce qu’ils ont
vécu se reproduise. Ils n’osent pas s’éloigner par peur d’être tués ou violés. Si le HCR a
pour mandat de protéger les réfugiés, aucun organisme n'est officiellement chargé de
protéger les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays, qui font face à une
situation particulièrement précaire et à l'insécurité.
A cette insécurité permanente s’ajoute le fait que les personnes réfugiées ou
déplacées ne savent pas combien de temps elles vont rester dans ces camps ni si elles
vont pouvoir retourner chez elles. Les incertitudes vis-à-vis de l’avenir sont aussi une
forme d’insécurité qui les maintient dans des rapports au temps extrêmement
contradictoires.
2) Entre transition et durée
Comme nous venons de le voir, les camps de réfugiés sont typiquement ce que
l’on peut caractériser de situations d’urgence tant les individus sont prisonniers de
logiques de survies et tant leur dignité est altérée. Par définition, ces situations
quasiment improvisées, n’ont pas pour objectif de durer, bien au contraire. Les
programmes développés en faveur du rapatriement des individus dans leur pays ou leur
foyer d’origine en témoignent. Et en même temps, il est presque impossible de prévoir
le moment de la sortie de la crise. Ce sont des transitions vers l’inconnu qui peuvent
durer quelques semaines comme plusieurs années.(a) L’exemple du Darfour est
particulièrement symptomatique de ces ambiguïtés.(b)
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a) Des « crises humanitaires prolongées »
La vie dans les camps est par définition transitoire. Les individus y restent le
temps que leur pays retrouve un semblant de stabilité. Tout dans les camps est conçu de
manière provisoire. Des abris sont construits avec les matériaux disponibles le plus
rapidement possible. La promiscuité avec les autres membres de la même famille,
d’anciens voisins, ou même avec des inconnus y est très importante. Les solutions mises
en place par la population et les organisations humanitaires en ce qui concerne
l’hygiène, la nourriture ou les soins, sont elles aussi rapides et pensées de manière
temporaire. Certains acteurs humanitaires pensent qu’il ne faut pas créer les conditions
adéquates pour que la population désire s’y installer et résiste à l’idée de retourner chez
elle. Mais en général, les individus désirent retrouver leurs maisons, leurs villages, et
tout ce qui leur était familier. Ils sont donc en attente du retour.
Le temps des camps de réfugiés est caractérisé par l’attente. Les individus sont
parfois paralysés par cette situation qu’ils se contentent de subir, faute de mieux. Il y a
beaucoup d’ennui, d’oisiveté, de débauche. Quelques enfants peuvent profiter d’écoles
improvisées, le reste des enfants errent dans les rues ou travaillent.
Etant donné le climat d’instabilité qui règne dans leur pays ou leur région
d’origine, il arrive que les personnes réfugiées ou déplacées soient contraintes de vivre
ces situations transitoires sur des périodes plus ou moins longues. Depuis 2000, on parle
de « crises humanitaires prolongées »98. Ce sont des situations d’urgence comme celles-
ci qui s’inscrivent dans la durée. De manière extrêmement paradoxale donc, les
situations sont provisoires et en même temps durent. Elles sont prolongées pour un
temps indéterminé. Dans le climat sec et désertique du nord-est du Kenya, plus de
100000 réfugiés somaliens vivent dans des petites huttes faites de bâtons et de feuilles
de plastique. Chassés de la Somalie par la guerre civile, ils vivent dans cette région
depuis le début des années 1990.
98 « A partir de quand considère-t-on une crise comme prolongée ? En général lorsque l'exil dure plus de cinq ans, que les réfugiés ne peuvent ni retourner chez eux, ni demeurer dans le pays d'asile, et qu'ils ont peu de chances d'être acceptés dans un pays tiers en vue d'une réinstallation permanente. », in Réfugiés, HCR, n°129, 2002.
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b) Le cas des camps de réfugiés au Tchad
Dans le conflit qui règne au Darfour depuis février 2003, en plus des 285000
personnes tuées ou mortes de faim ou de maladies, plus de 2 millions d’autres sont
déplacées99. Ces déplacements sont notamment provoqués par la violence de milices
armées telles que les Janjawids. Ces soldats à cheval entretiennent le conflit ethnique
par la revendication d’une identité arabe. Ils sont alliés aux forces gouvernementales.
Leur mode d’action consiste à semer la terreur en tuant de manière arbitraire tous les
individus des tribus non arabes, en brûlant les villages, en violant les femmes. On peut
parler d’une véritable « politique de la terre brûlée »100. Ainsi, on assiste depuis un
certain temps déjà à un exode massif des populations de ces villages ravagés. Le tiers
des habitants du Darfour ont été chassés de leurs terres et se trouvent soit dans des
camps de déplacés à l’intérieur des frontières soudanaises, soit dans des camps de
réfugiés de l’autre côté de la frontière tchadienne. Selon Amnesty International,
« 218000 Darfouriens vivent dans les camps misérables à l’est du Tchad, 90000 sont
déplacés à l’intérieur du pays et 15000 personnes ont fui le Tchad pour la sécurité
relative des camps de réfugiés du Darfour.101 » Les individus qui vivent dans ces camps
ont perdu leurs terres et leurs biens, c’est-à-dire leurs moyens de subsistance. Ils
souffrent de malnutrition et de maladies. Ils ont souvent vu mourir certains de leurs
proches. En rupture avec leur passé et tout ce qui leur était familier avant leur fuite, ces
individus sont véritablement déracinés, sans plus aucun repère.
En plus de cela, les personnes déplacées ou réfugiées du fait de la crise du Darfour
vivent dans un climat d’insécurité permanente. Les milices Janjawids ou autres viennent
jusque dans les camps menacer la population. Des femmes se font violer lorsqu’elles
vont chercher du bois, les hommes se font tuer s’ils tentent de regagner leurs terres.
Dans le camps de déplacés d’Abu Shok, près d’El Fascher, l’ancienne capitale du
sultanat du Darfour, un chef traditionnel témoigne : « L’un des nôtres a tenté de revenir
récolter ses gombos, il a été tué. Les Janjawids occupent désormais certaines de nos
terres, et nous interdisent de revenir. J’ai peur que si cela dure longtemps, ils puissent
dire que ces terres leur appartiennent. » L’insécurité omniprésente, l’incertitude 99 Chiffre d’Amnesty International datant d’avril 2007. Mamou Jacky, « Darfour, quatre ans de guerre », in La Chronique, le mensuel d’Amnesty International France, n° 245, avril 2007, p. 4. Pour des informations plus précises, se reporter au site : www.urgencedarfour.com. 100 Mamou Jacky, « Darfour, quatre ans de guerre », in La Chronique, le mensuel d’Amnesty International France, n° 245, avril 2007, p. 4. 101 Mamou Jacky, op. cit, p. 4.wx.
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permanente quant à l’avenir, en plus de la misère généralisée, font de ces situations des
drames indépassables.
L’Etat soudanais qui est en partie responsable des massacres et des déplacements
de population non seulement ne vient pas en aide à ces populations mais en plus rend
extrêmement difficile la mise en place de l’assistance humanitaire.
Dans un tel contexte, le droit à l’éducation, même considéré comme un droit
fondamental, et inscrit dans les Conventions de Genève relative au statut des réfugiés,
apparaît d’abord difficilement applicable.
B/ Les traces de l’urgence après l’urgence
Il est toujours très délicat de déterminer là où commence et là ou s’arrête les
situations d’urgences. Si l’on prend comme critère l’altération de la dignité humaine,
certaines régions du monde sont perpétuellement dans l’urgence. Si l’on se réfère à la
détresse des individus, elle dépasse largement ces situations. Cette question est
essentielle puisque le droit n’est pas le même, ne s’applique pas de la même manière si
on se trouve en situation de crise ou pas. L’urgence se reconnaît à la présence de la
réponse humanitaire. Mais même ce critère n’est pas fiable puisque les secours restent
au-delà des situations d’urgence proprement dites. L’urgence s’arrête-t-elle avec le
début de la reconstruction ou après l’achèvement de celle-ci ? Quand pourra-t-on
considérer dans des pays comme le Rwanda ou la Somalie, sans parler du Darfour où la
question ne se pose actuellement pas, que la reconstruction est achevée ? Les
traumatismes subis par la population sont-ils dépassables ? Certaines organisations
comme Médecins Sans Frontières (MSF) utilisent des indicateurs qui permettent de
distinguer les différentes phases de l’urgence : taux de mortalité, épidémies…Il n’y a
sans doute pas de réponse claire à ces questions, mais ce qui apparaît, c’est qu’il y a tout
de même une distinction entre la situation de crise et le temps de la reconstruction.
Même si les situations de post-conflit, ou de reconstruction après une catastrophe
naturelle, sont encore très précaires, elles ont ceci de plus que des processus qui
s’inscrivent dans le temps peuvent être amorcés. A l’immédiateté de l’urgence succède
le temps de la reconstruction. Certes nous ne sommes pas dans un temps continu et la
ligne a bien été brisée mais une autre peut commencer à être tracée, ce qui n’était pas le
cas pendant l’urgence proprement dite, si nous la comprenons pas l’accélération du
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temps et l’immédiat. Pourtant là encore, le droit à l’éducation rencontre bien des
obstacles et ses exigences paraissent bien ambitieuses tant la multiplicité des tâches est
incommensurable.
1) Une reconstruction matérielle difficile
Les dégâts occasionnés par les conflits ou les catastrophes sont le premier obstacle
à la remise en route du pays ou de la région. La reconstruction d’une nation commence
par la reconstruction de tout ce qui a été détruit d’un point de vue matériel, qu’il
s’agisse d’hôpitaux ou d’écoles, d’églises ou de logements.(a) Cette reconstruction
matérielle a un coût. Or, les pays qui viennent de subir une crise sont bien souvent des
pays qui sont en grande difficulté économique. La question financière, même si nous ne
nous y arrêtons pas longuement, est centrale dans la question de l’urgence et pour ce qui
concerne notre objet plus précisément. En effet, il est primordial d’interroger le droit à
l’éducation, sa légitimité, les possibilités de sa mise en œuvre, mais s’il n’y a pas de
budget pour le faire, son effectivité est grandement compromise. Pour les pays qui
connaissent une situation de crise ou en sortent, la question économique est un des
obstacles majeurs à toutes les entreprises à accomplir.(b)
a) Des moyens anéantis
Après une situation d’urgence, les individus se trouvent confrontés à un manque
de moyens considérable. Tout d’abord les bâtiments ont parfois été détruits soit dans des
catastrophes naturelles telles que des inondations ou des séismes, soit dans des conflits
(bombardement des infrastructures…). Il est rare qu’une population déplacée retrouve
ses terres ou ses bâtiments en l’état quand elle rentre chez elle des semaines ou des mois
après en être partie. De plus, les enfants n’ont plus de fournitures scolaires. Dans
certains contextes conflictuels, les manuels qui existaient avant ne peuvent plus être
utilisés puisqu’ils ont précisément mené à la violence, il convient donc de les refaire, ce
qui prend du temps. Les cantines scolaires ne fonctionnent plus non plus. Lorsque la
crise touche les institutions de l’Etat il peut arriver comme au Rwanda qu’il n’y ait plus
d’autorité compétente pour remettre en place un système, des programmes.
A cela s’ajoute les pertes humaines. Certains professeurs ont été tués, d’autres ont
fuit, d’autres encore ne sont plus en mesure de faire classe.
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Après une situation de crise et alors que les systèmes éducatifs ainsi que les
infrastructures qui existaient avant ont été anéantis, il faut plusieurs années pour
remettre en marche des processus éducatifs. Le manque de moyens voire l’absence
totale de moyens entrave toute mise en place d’une éducation longtemps après
l’urgence. Si l’on part du principe que le droit à l’éducation est le droit d’accéder sans
discrimination à une éducation de qualité, il apparaît à première vue évident que ce droit
rencontre trop d’obstacles et ne peut que difficilement être respecté en période de
reconstruction.
b) Des situations économiques désastreuses
Le coût de la reconstruction est toujours très élevé là où précisément la situation
économique est désastreuse. D’une part ces situations ont souvent lieu dans des pays en
développement qui donc par définition ne parviennent pas à être autonomes
économiquement en temps ‘’normal’’. De plus, la réparation des dégâts, la rénovation
des structures, la prise en charge des individus en totale détresse ont un coût. Là aussi, il
est nécessaire de faire des choix. Même si une part importante du budget est parfois
consacrée à la remise en place d’un système éducatif, cela ne suffit généralement pas.
Ainsi, beaucoup de pays n’ont pas les moyens de financer cette reconstruction ou
entretiennent par leur mauvaise volonté des situations désastreuses. Dans ce cas, on se
trouve face à la nécessité d’une aide internationale, ce qui implique des délais plus ou
moins longs.
Par manque de fonds, l’éducation peut être de mauvaise qualité. La grande
précarité des enseignants qui reçoivent de faibles salaires dans certaines régions en est
l’exemple typique. Comment le droit à une éducation de qualité peut-il être garanti si les
enseignants ne peuvent pas vivre décemment ? Une contribution est parfois demandée
aux familles pour contribuer à l’effort financier de la reconstruction or la gratuité est
inscrite dans le droit universel à l’éducation. Sans la gratuité, condition essentielle de
son équité, ce droit n’est pas garanti.
2) Des traumatismes durables
Nous venons de voir que les dégâts matériels après l’urgence peuvent être des
obstacles de taille à la mise en œuvre du droit à l’éducation pour tous. Mais il existe
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d’autres obstacles qui sont moins visibles a priori. « L’effondrement des systèmes
alimentaires, la désintégration des services de santé et de l’éducation et la perte des
revenus sont tous des aspects du conflit ayant des incidences négatives sur le
développement humain. Il en va de même pour le stress et le traumatisme
psychologiques. Les statistiques ne peuvent refléter les coûts totaux - et la collecte des
données est souvent au plus bas lorsque les pays sont plongés dans un conflit violent.
Ce qui est clair est que les coûts humains immédiats, bien qu’ils soient énormes, ne
constituent qu’une faible proportion du lourd tribut payé par les pays lors des
conflits102. » Les traumatismes psychologiques générés pendant la crise ont des
répercussions bien au-delà de l’urgence proprement dite. Concrètement, les symptômes
des enfants ayant souffert de traumatismes liés à des situations de crise sont le repli sur
eux-mêmes, un désintérêt pour toutes formes de jeux ou d’activités récréatives, une
incapacité à exprimer leurs émotions, des symptômes dépressifs, de l’agressivité, des
flash back, un manque de concentration à l’école, etc.103 Tous ces symptômes font que
l’enfant ou l’individu rencontre des problèmes de socialisation. Il ne joue plus. « L’un
des premiers signes du trouble émotionnel chez l’enfant est son incapacité à interagir et
à jouer avec les autres enfants de son âge.104 »
S’ajoute à la gravité de ces symptômes le fait qu’ils ne se manifestent
quelques fois que des mois voire des années après l’origine traumatique. Ces
traumatismes, qui perturbent l’équilibre psychologique et émotionnel de l’enfant ou de
l’individu de manière plus générale, sont une entrave à la mise en place d’une éducation
de qualité. Nous le verrons à travers le cas des enfants-soldats, dont la rééducation est
extrêmement difficile étant données les conséquences des blessures psychologiques qui
sont les leurs.(a) Si ces traumatismes psychologiques sont un handicap en ce qui
concerne l’apprentissage, ce n’est pas seulement parce que l’individu en a perdu ses
capacités de concentration, c’est aussi parce qu’il est entièrement tourné vers son passé.
Il ne parvient plus à s’arracher à cette violence qui le maintient dans celui-ci.(b)
102 Rapport mondial sur le développement humain 2005, op. cit., p. 166. 103 Ces différents symptômes sont analysés dans Macksoud M., Helping children cope with the stresses of war : a manual for parents and teachers, New York, UNICEF, 1993. 104 Aguilar Pilar and Retamal Gonzalo, Rapid Educational Response in Complex Emergencies, Geneva, International Bureau of Education, 1998, p. 13. (notre traduction)
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a) Les enfants-soldats : une rééducation difficile
Les enfants ne sont pas seulement victimes de la guerre, il arrive aussi qu’ils en
soient acteurs. Les enfants-soldats sont des enfants qui ont été recrutés pour faire partie
d’armées rebelles ou gouvernementales. Même s’il est très difficile d’évaluer le nombre
de ces enfants dans le monde, on estime qu’il en existait 300 000 en 2001.105 Plus d’un
million d’enfants auraient connu ce sort au cours des années 1990 selon le CICR.106 On
trouve parmi eux des enfants de moins de dix ans. Les pays les plus concernés sont
l’Algérie, l’Angola, le Burundi, le Congo, le Liberia, l’Ouganda, la république
démocratique du Congo, le Rwanda, la Sierra Leone, la Somalie et le Soudan.
Beaucoup sont enrôlés de force, enlevés à leur famille ou dans leur école.
D’autres s’engagent volontairement, avides de sens et d’un environnement qui leur
donne l’illusion d’une nouvelle famille. Ils sont ensuite drogués et entraînés à tuer. En
première ligne dans les conflits, ce sont les premières victimes. L’avantage de recruter
des enfants, c’est qu’ils ne coûtent pas cher, ils se nourrissent peu, et sont plutôt dociles
car inconscients. De plus, ils n’ont pas encore une représentation exacte de ce qu’est la
mort et sont donc plus facile à conditionner à tuer.
Pendant la guerre civile qui a déchiré la Sierra Leone, 10 000 enfants ont
combattu et 500 000 autres ont fait partie de forces paramilitaires107. Beaucoup
d’enfants démobilisés depuis sont devenus des délinquants, des enfants des rues de
Freetown, la capitale. Swankay, un jeune garçon de dix-sept ans ayant survécu à la
guerre civile, témoigne. Il a été enlevé tout près de chez lui par les forces rebelles de
son pays alors qu'il avait 10 ans. Lorsque les soldats l’ont emmené, il était à la
recherche de nourriture pour lui et sa famille. Il faisait donc partie de tous ces enfants
vulnérables qui errent pour trouver à manger au lieu d’aller à l’école. Pendant quatre
ans, il a dû obéir à des ordres plus inhumains les uns que les autres. Il a commis et subi
des atrocités qui le marqueront toute sa vie. Finalement, après la conclusion de l'accord
de paix de 1999 sous l'égide de l'ONU, il a été relâché et a pu retrouver sa famille. Son
premier souhait a ensuite été de retourner à l’école : « Lorsque j'étais avec les rebelles,
105 “Global Report”, Coalition pour mettre fin à l’utilisation des enfants-soldats, 2001. 106 CICR, Les Enfants-soldats, Genève, Ed. CICR, juillet 2003. 107 Données disponible sur le site des Nations-Unies consacré à cette question : http://www.un.org/french/works/goingon/soldiers/goingon_soldiers.html.
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c'est l'école qui me manquait. C'était la chose qui me manquait le plus, l'éducation »,
dit-il108.
Une fois que les enfants sont pris dans ces logiques meurtrières, il est
extrêmement difficile de les en sortir. Les enfants qui sont soldats en temps de guerre
sont ceux que l’on retrouve au travail en temps de paix : orphelins ou issus de familles
monoparentales, réfugiés, enfants des rues, enfants vivants dans des zones où les
conflits sont fréquents… Les enfants-soldats sont des enfants qui sont en dehors de tout
cursus scolaire. Ces enfants ont appris la haine, la méfiance, ils ont été brutalisés ou
violés, ont eux-mêmes été acteurs de violences. « Le jeune soldat est dépossédé d’une
grande partie de son enfance. Séparé de sa famille, privé de jeu, privé d’école…, il
devient trop vite un petit homme qui a raté une étape importante de sa construction.109 »
Ces enfants qui ont grandi dans la haine ont besoin d’être rééduqués. Rééduquer
signifie littéralement éduquer à nouveau. Or, un enfant de dix-sept ans qui a subi et
commis des atrocités ne peut plus être considéré comme un « tableau vierge », au sens
d’Hannah Arendt. Il a déjà une mémoire et un rapport au monde qui lui est propre. Il
faut dans ce cas déconstruire ce rapport et les structures de pensée qu’il a acquises. La
rééducation n’est pas seulement ouverture au monde mais d’abord déconstruction d’un
monde. Ce qui caractérise la rééducation, c’est qu’elle ne s’inscrit pas dans la continuité
du passé mais en rupture avec le passé. Le processus de rééducation est donc très
complexe, plus que celui d’une éducation classique. Le temps de la rééducation, quand
elle est possible, est donc extrêmement long.
Dans les conflits, les enfants qui ne sont pas soldats subissent également de lourds
traumatismes. Il en est de même d’ailleurs pour ce qui est des catastrophes naturelles ou
humaines qui entraînent des drames marquant les individus à vie. S’il faut s’arrêter sur
cette question, c’est que tant que les troubles du passé ne sont pas réglés, il n’est pas
vraiment possible d’avancer. Les enfants, les adolescents et les adultes victimes de
violences extrêmes ne peuvent, seuls, se libérer des souvenirs qui les hantent.
108 Témoignage disponible sur http://www.un.org/french/works/goingon/soldiers/swanky_story.html. 109 Dhôtel Richard, op. cit., p. 40.
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b) Des individus traumatisés, prisonniers de leur passé
En Somalie, au début des années 1990, la famine a été utilisée comme arme de
guerre. Les denrées approvisionnées par l’aide humanitaire ont été détournées afin
d’affaiblir la population. Des centaines de milliers d’enfants sont morts de maladies, de
malnutrition ou de manque d’eau potable. Ceux qui ont survécu ont côtoyé la misère, la
maladie et la mort pendant plusieurs années.
« Ces enfants sont blessés par des bombes, tués au combat, massacrés lors
d’attaques de villages et, plusieurs années après la fin d’un conflit, mutilés par des
mines antipersonnel. S’ils ont la chance de survivre, ils sont marqués à jamais par ce
qu’ils ont vu ou vécu […]Les traumatismes psychologiques sont profonds et durables,
seul un travail psychologique peut aider à les surmonter.110 » Les individus ont besoin
de temps pour se reconstruire psychologiquement. Le traumatisme est encore plus
dramatique pour un enfant puisqu’il est en plein développement. Ces enfants ont des
flash back de situations vécues dont ils ne parviennent pas à se défaire, font des
cauchemars, et le sentiment d’angoisse ne les quitte pas. Le traumatisme est
cristallisation du passé. Or cette cristallisation produit non seulement le malaise de
l’individu mais l’incite à reproduire ce passé.
Comment faire pour que l’enfant se tourne à nouveau vers l’avenir et ne reste pas
prisonnier de son passé ? Comment penser une éducation pour des enfants qui ont perdu
leur capacité à se projeter ? Ces traumatismes sont un obstacle majeur à la mise en place
d’une éducation en période de reconstruction.
Or, l’éducation est fondamentale pour la reconstruction d’un pays. « Tuer les
enfants, c’est aussi anéantir le futur d’un pays111 » Les conséquences des carences
éducatives affectant une génération ont également des résonances sur la génération
suivante. On sait que les enfants de personnes éduquées ont plus de chances d’être bien
intégrés dans les systèmes d’enseignement scolaires.
Quand on effectue le bilan de ces situations dramatiques et que l’on dresse la liste
des obstacles à la mise en place de processus éducatifs, on comprend les hésitations des
juristes à brandir un droit qui paraît utopique avant même d’être reconnu. La temporalité
de l’urgence, ou devrait-on dire l’absence de temporalité, ne semble laisser aucune
110 Dhôtel Richard, op. cit., p. 5. 111 Ibid.
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58
chance à quelque éducation que ce soit tant celle-ci nécessite du temps. Le droit à
l’éducation trouve donc une de ses limites dans ces situations de violence extrême. Il y
est pris dans une contradiction essentielle.
Pourtant, si ce qui définit l’urgence, c’est cette temporalité de l’immédiateté qui
empêche tout projet et toute ouverture au mouvement du monde, et si l’urgence appelle
sa fin, alors c’est cette temporalité qu’il faut renverser. Faire de l’éducation en situations
d’urgence ne permettrait-il pas d’entrevoir une issue? Ne pourrait-on pas renverser le
rapport entre l’éducation et l’urgence et faire de la première une des clés de résolution
de la seconde ?
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PARTIE II
Le dépassement des obstacles au droit à
l’éducation en situations d’urgence
CHAPITRE I
Les possibilités de mise en oeuvre du droit à l’éducation en
situations d’urgence
Section 1
L’ingérence humanitaire et la question de l’éducation
L’éducation des enfants et des personnes en général relève de la compétence des
Etats et fait partie des garanties que l’on peut attendre de tout Etat. Beaucoup ont
d’ailleurs inscrit ce droit dans leur Constitution1. Selon le principe de souveraineté qui
est au fondement de tout le droit international, chaque Etat a notamment la liberté de
mettre en place les systèmes éducatifs qu’il estime être appropriés et dont il est seul
juge. La souveraineté signifie notamment qu’aucune contrainte ne peut peser sur les
Etats pour les affaires qui les concernent. En situations d’urgence, faire de l’éducation à
la place des Etats, c’est aller contre le principe de souveraineté qui est au fondement de
tout le droit international. Peut-on transgresser le principe de souveraineté pour des
raisons humanitaires ? Peut-on mettre en place des processus d’éducation dans des
situations où l’Etat est défaillant dans ce rôle, sans l’accord de celui-ci ?
La question de l’ingérence se pose pour ce qui est de la mise en œuvre des droits
de l’homme mais elle est posée de manière particulière par le droit à l’éducation. En
effet, éduquer, c’est transmettre un certain nombre de valeurs, c’est resituer les hommes
1 C’est le cas notamment du Rwanda que nous étudierons dans le chapitre 2.
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60
dans leur histoire, dans leur culture. Quoi de plus propre à un peuple que son
éducation ? Et nous avons à l’esprit dès que nous traitons de ces questions les dérives du
colonialisme ou de l’impérialisme. La question de la souveraineté mérite donc d’être
interrogée dans le cadre de notre étude au regard des ambitions du droit à l’éducation
pour tous.
A/ La souveraineté étatique face au principe d’humanité
Le droit international public (DIP) repose sur l’égalité des Etats souverains. C’est
la condition même de son existence. Que signifie exactement cette souveraineté des
Etats ?(1) De plus en plus, l’évolution du DIP interroge cette souveraineté pour lui
opposer d’autres principes considérés comme aussi fondamentaux voire supérieurs et
qui concernent directement la dignité de l’homme.(2)
I) Définition de la souveraineté
a) L’Etat moderne et la souveraineté
Depuis Les six livres de la République de Jean Bodin, l’Etat moderne ne peut plus
être pensé sans le concept de souveraineté. Qu’entend-on exactement pas souveraineté ?
C’est la « puissance absolue et perpétuelle d’une république2 », prise dans son sens
étymologique au sens de chose publique. Dire que cette puissance est absolue, c’est dire
qu’elle ne dépend de rien d’autre que d’elle-même. La souveraineté est un pouvoir
suprême, c’est-à-dire qui est au-delà de tout et en même temps qui ne souffre aucune
limite extérieure. La souveraineté est le principe transcendant par lequel l’Etat est ce
qu’il est. Pour Bodin, c’est « le principe transcendant dont émane tout pouvoir3 ». C’est
un principe dans le sens où la souveraineté est au fondement même du pouvoir, qu’elle
est transcendante, et qu’elle est atemporelle, au-delà des diverses formes que peut
prendre l’Etat4. Entre Bodin et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
2 Bodin Jean, Les six livres de la Républiques, Paris, Ed. Arthème Fayard, 1987 (première édition en 1583), p. 114. 3 Ibid. 4 A ce sujet, la distinction effectuée par Ernst Kantorowitz dans Les Deux corps du roi (Paris, Ed. Gallimard, 1989) entre la figure incarnée du monarque, sa personne physique et morale, et le principe qui fait de lui le roi.
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(DDHC) de 1789, en passant par les penseurs du contrat social comme Rousseau ou
Hobbes, le caractère transcendant du concept de souveraineté a été quelque peu altéré.
L’article 3 de la DDHC affirme que « le principe de toute souveraineté réside
essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu, ne peut exercer d’autorité qui
n’en émane expressément.5 » Que la souveraineté émane de Dieu ou du peuple, qu’elle
soit transcendante ou immanente, elle n’en reste pas moins le fondement de l’autorité de
l’Etat. Pour Rousseau, dans Le Contrat social, « le pacte social donne au corps
politique le pouvoir absolu sur tous les siens, et c’est ce même pouvoir qui, dirigé par la
volonté générale, porte le nom de souveraineté.6 » Ainsi, une fois que la souveraineté
est instituée, il existe une relation verticale entre l’Etat et ses sujets ou ses citoyens et
l’autorité du premier ne peut pas être remise en cause par les seconds.
Dans tous les cas, la souveraineté se confond avec le pouvoir de légiférer. Les lois
d’un Etat sont la manifestation directe de sa souveraineté. Celle-ci fait de la législation
un ensemble de règles qui ne peuvent pas être limitées ou remises en cause autrement
que par l’Etat lui-même. Dire que la souveraineté est un principe absolu, c’est dire qu’il
n’admet aucune limite. Pour Rousseau, « [l’autorité suprême] ne peut pas plus se
modifier que s’aliéner. La limiter, c’est la détruire. » Soit la souveraineté est totale, soit
par définition on ne parle plus de souveraineté. C’est son essence absolutiste qui est au
centre du projet de Hobbes également. Pour ce dernier, chacun doit transférer la totalité
de sa liberté au souverain. En échange de leur perte de liberté, les sujets attendent de lui
qu’il garantisse l’état de paix civile et la sécurité des biens. « La fonction du souverain
(qu’il s’agisse d’un monarque ou d’une assemblée) est contenue dans la fin pour
laquelle on lui a confié le pouvoir souverain et qui est le soin de la sûreté de son
peuple7.» Qu’advient-il de la souveraineté si elle ne remplit pas sa fonction ?
Dans l’histoire du concept de souveraineté, ce n’est pas tant sa définition qui pose
problème mais sa légitimité. Elle est à la fois le principe essentiel de l’autorité de tout
Etat mais doit pouvoir en même temps être prévenue de ses dérives. Cette question se
décline de deux manières. Il s’agit de se demander dans quelle mesure les sujets ou les
Le premier est une figure temporelle alors que le principe de souveraineté le traverse de manière atemporelle, voire transtemporelle. L’expression « Le roi est mort, vive le roi ! » fait référence à ces deux dimensions. 5 Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) du 26 août 1789, article 3, disponible sur : http://www.conseil-constitutionnel.fr/textes/d1789.htm. 6 Rousseau, Le Contrat social, Paris, Ed. Gallimard, Coll. Folio essais, 1993, livre II, chapitre 2. (première édition en 1762) 7 Hobbes, Le Léviathan, Paris, Ed. Sirey, 1971, chapitre 30. (première édition 1651)
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citoyens d’un Etats ont la possibilité ou la légitimité de se révolter. Mais aussi, dans les
cas ou l’autorité de l’Etat abuse de sa souveraineté ou la détourne de ses objectifs, peut-
on et doit-on la contraindre ? En d’autres termes, une entité extérieure à l’Etat peut-elle
légitimement remettre en cause ce qui émane directement de la souveraineté de cet
Etat ? Cette question est inhérente au concept de souveraineté, mais les dérives
totalitaires du XXème siècle l’ont rendue plus cruciale que jamais.
Le droit international, qui repose sur le principe de souveraineté, est traversé par
ces interrogations et son évolution montre bien que les réponses qui valent aujourd’hui
ne peuvent pas être les mêmes que celles qui valaient hier.
b) Le principe de souveraineté en droit international
Les sujets en droit international sont les Etats. Ils en sont sujets au sens où ce sont
eux qui l’ont fondé et le construisent, c’est-à-dire au sens où ils en sont les auteurs.
C’est aussi aux Etats de mettre en œuvre le contenu du DIP : ils en sont donc également
les acteurs. Dans le cas des droits de l’homme par exemple, ils s’engagent à user de tous
les mécanismes internes dont ils disposent, à commencer par la législation, pour garantir
le respect des droits énoncés. Le respect du DIP ne peut fonctionner que si les Etats sont
considérés comme égaux et souverains. Le terme d’égalité renvoie à l’absence de
hiérarchie mais aussi au fait que les Etats sont tous des sujets équivalents et leurs places
sont équivalentes, quelle que soit par ailleurs la nature de l’Etat en question. Ils ont les
mêmes droits et les mêmes devoirs, il s’agit donc d’une égalité purement juridique. Le
principe de souveraineté fait de l’Etat une entité non subordonnée, indépendante. Il ne
peut pas être contraint par un autre Etat mais il ne peut pas non plus être contraint par
une instance supranationale. Les Etats sont donc dans une relation de juxtaposition et
non de subordination. La particularité de cette sphère juridique est son caractère
horizontal. Puisque aucune instance ne peut être supérieure aux Etats, ni aucun Etat
supérieur à un autre, ils s’auto régulent.
Dans ce cas, le respect des traités de droit international est basé sur le principe de
réciprocité8. C’est dire qu’un traité est un contrat qui repose sur le consentement mutuel
des différentes parties. Si une des parties ne respecte par ce contrat, il ne tient plus. La
8 Ce n’est pas le cas du Droit international des droit de l’homme qui est une branche à part. Le principe de réciprocité en ce qui concerne le Droit international humanitaire est lui aussi discuté.
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volonté des Etats est donc au fondement de tout l’ordre juridique international et elle ne
peut pas être limitée.
Le principe de souveraineté qui est consubstantiel au DIP fait partie de la coutume
internationale, ou du jus cogens, mais il a aussi été retranscrit dans un certain nombre de
normes du DIP. Le premier traité à instituer le principe de souveraineté est le traité de
Wesphalie de 1648. Même s’il n’est pas notre objet ici de faire une histoire du concept
normatif de souveraineté, nous pouvons nous référer à la Charte des Nations Unies de
19459. L’article 2.7 de cette Charte affirme qu’: « aucune disposition de la présente
Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans les affaires qui relèvent
essentiellement de la compétence nationale d’un Etat, ni n’oblige les membres à
soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la
présente Charte. Toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l’application des
mesures de coercition prévues au Chapitre VII » Le principe de souveraineté se confond
alors avec le principe de non-intervention qui interdit toute intervention dans les affaires
intérieures des Etats. La Déclaration du Millénaire du 8 septembre 2000, qui témoigne
en même temps de l’évolution du vocabulaire au niveau international, rappelle la
volonté de la Communauté internationale de « tout faire pour assurer l’égalité
souveraine de tous les Etats, le respect de leur intégrité territoriale […] la non-
ingérence dans les affaires intérieures des Etats…10 » La différence entre le principe de
non-intervention et le principe de non-ingérence est tout d’abord que le second n’a pas
de définition normative. Il aurait donc une acception plus morale. De plus, une
intervention est soit licite soit illicite, le principe de non-intervention est donc plus large
que celui de non-ingérence qui laisse place à la possibilité d’interventions licites.
Le principe de souveraineté, ou dans sa formulation négative de non-intervention,
est un des principes architecturaux du DIP sans lequel il semble très difficile de
concevoir cette sphère juridique internationale11. « La souveraineté de l’Etat n’est pas
un principe normatif, auquel on pourrait, en théorie au moins, renoncer, mais un
9 Charte des Nations-Unies ou Charte de San Francisco, adoptée le 26 juin 1945 et entrée en vigueur le 24 octobre 1945. Voir Dupuy, Les Grands textes du droit international public, Paris, Ed. Dalloz, Coll. Grands textes, 5e édition, 2006, p. 1. 10 Déclaration du Millénaire, adoptée le 8 septembre 2000, disponibles sur : http://www.unhchr.ch/huridocda/huridoca.nsf/(Symbol)/A.RES.55.2.Fr?Opendocument. 11 La CIJ le rappelle dans l’Affaire du détroit de Corfou, op. cit. : entre « Etats indépendants, le respect de la souveraineté territoriale est l’une des bases essentielles des rapports internationaux. ».
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principe logique, qui, définissant l’essence même de l’Etat, est indispensable à la
constitution de l’ordre juridique international.12 »
Le droit humanitaire reste très attaché au principe de souveraineté parce qu’il y
voit la condition de l’exercice des missions les plus larges possibles. Son ambition est
en fait de pouvoir agir dans les pires situations. Tout d’abord, des organismes ou
organisations non gouvernementaux demandant aux Etats de respecter le DIP et ne
peuvent pas se permettre de le contourner. D’autre part, la coopération avec les autorités
joue un rôle très important dans l’action humanitaire et si la souveraineté étatique n’est
pas respectée, cette coopération risque d’en pâtir, voire de devenir impossible. Pour les
acteurs humanitaires, le respect du principe de souveraineté induit deux grands principes
fondamentaux qui figurent dans les principes de base du CICR : le principe de neutralité
et le principe d’impartialité. Ces deux principes doivent être distingués. Le premier
consiste à ne pas prendre partie, à s’abstenir de tout jugement ou positionnement vis-à-
vis des situations. Il s’agit d’une attitude passive qui consiste à rester détaché. Ce
principe de neutralité, qui a une importance certaine, doit être de plus en plus nuancé.
Les organismes humanitaires, les ONG, s’accordent en général sur le fait que, dans
certaines situations, la dénonciation est inévitable. Des situations comme celles du
génocide Rwandais dont l’ampleur est en partie due à la passivité généralisée des
acteurs au niveau international, oblige à reconsidérer la radicalité du principe de
neutralité. « En présence d’un conflit interne, la neutralité se combine avec les règles
juridiques relatives aux exigences de la souveraineté pour subordonner toute action de
secours au bon plaisir des factions ou des autorités desquelles on doit rechercher sans
cesse l’agrément et aux injonctions desquelles on est contraint de se plier à la première
difficulté. Elle est donc paralysante.13 »
Par contre, le principe d’impartialité implique que les secours humanitaires
soient octroyés indifféremment et également aux personnes des différents camps. Cette
règle, même si elle rencontre parfois des difficultés dans la pratique, est fondamentale et
doit être absolument respectée si l’on s’attache à l’objectif premier qui est de préserver
la dignité humaine. Il s’agit aussi de ne pas prendre parti mais l’impartialité est un
principe actif et non passif.
12 Aledo Louis-Antoine, Le droit international public, Paris, Ed. Dalloz, coll. Connaissance du droit, 2005, p. 22. 13 Bettatti Mario, Le Droit d’ingérence, mutation de l’ordre international, Paris, Ed. Odile Jacob, 1996, p. 55.
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2 ) Evolution du droit international et remise en cause du caractère absolu
de la souveraineté
Dans la deuxième partie du XXème siècle et notamment depuis la fin de la Guerre
froide, la configuration du DIP s’est sensiblement modifiée. D’une part, le phénomène
de mondialisation fait que toute crise locale à des conséquences sur le reste du monde.
D’autre part, une nouvelle forme de violence qui caractérise les crises contemporaines
change la nature des réponses à apporter. « Dans notre « monde mondialisé », aucun
pays n’est une île. Les conflits violents engendrent des problèmes qui voyagent sans
passeports et font fi des frontières nationales, même lorsque ces frontières sont
protégées par les dispositifs les plus élaborés.14 » Enfin, les droits de l’homme
s’imposent de plus en plus comme des principes encore plus fondamentaux que ceux de
souveraineté ou de non-intervention qui confèrent une forme de toute-puissance aux
Etats.
Ces différentes évolutions ont pour conséquence l’émergence d’un nouveau sujet
en droit international : l’individu.(a) Cet élément nouveau oblige à reconsidérer les
rapports entre la souveraineté et l’humanité.(b)
a) Emergence d’un nouveau sujet en droit international : l’individu
Nous avons vu que les seuls sujets en droit international à l’origine étaient les
Etats, voire par extension les organismes interétatiques. Les individus ne peuvent a
priori être sujets de droit, c’est à dire se prévaloir de leur droit devant une juridiction,
qu’à l’intérieur de l’Etat dont ils sont nationaux. Or, la conséquence directe de cette
conception absolue de la souveraineté nationale est que lorsque le pouvoir étatique
abuse de son autorité, rien ne préserve les individus qui sont privés de leurs droits
essentiels. Les normes internationales des droits de l’homme réintroduisent peu à peu
l’idée d’une subjectivité juridique des individus, passant outre cette souveraineté. Un
Etat partie à une ou plusieurs conventions relatives aux droits de l’homme, selon sa
volonté propre, reconnaît certains droits individuels qui n’émanent pas directement de
lui. A travers l’Etat, la norme internationale peut donc être individualisée. Mais dans ce
14 Rapport mondial sur le développement humain 2005, op. cit., p. 164.
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cas, il appartient encore aux Etats de mettre en œuvre ces droits individuels puisque les
personnes particulières ne peuvent s’en prévaloir devant aucune instance supraétatique.
Dans la reconnaissance de l’individu comme sujet du droit international, même si
celle-ci est encore naissante et que les polémiques sont nombreuses, le rôle de
juridictions internationales est capital. Ces juridictions, telles que la Cour pénale
internationale15, ont bien pour tâche de défendre des droits individuels contre les abus
autoritaires du pouvoir d’un Etat mais les individus ne peuvent y recourir directement.
On ne peut pas vraiment considérer dans ce cas que les individus ont la capacité d’agir.
« Il apparaît donc que les individus peuvent être des sujets du droit international et
européen des droits de l’homme, mais qu’ils sont toujours des sujets mineurs.16 »
L’expérience d’une juridiction régionale comme la Cour Européenne des Droits
de l’Homme (CEDH) est une avancée considérable quant à la protection des individus.
Les particuliers, une fois qu’ils ont épuisé les voies de recours internes, peuvent
introduire un recours devant la CEDH à titre personnel. L’article 34 de la Convention
Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales17
(CESDH), relatif aux « requêtes individuelles », précise que « La Cour peut être saisie
d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou
tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes
Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles. Les
Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice
efficace de ce droit. » Si une violation d’un des articles de la Convention européenne
des droits de l’homme est constatée, la condamnation concernera l’Etat. Pour la
première fois donc, une instance juridictionnelle fait des individus de vrais sujets de
droit au niveau régional, c’est-à-dire à un niveau supraétatique. A ce sujet, l’impact du
‘‘modèle’’ européen commence à avoir des répercussions sur les autres systèmes
régionaux tels que la Cour interaméricaine des droits de l’homme18 ou la Cour africaine
15 La Cour Pénale Internationale est une Cour indépendante et permanente qui est compétente pour juger les crimes particulièrement graves qui sont les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les génocides, en vertu du Statut de Rome, entré en vigueur le 1er juillet 2002. Ce traité a été ratifié par 104 pays aujourd’hui. Voir le site : http://www.icc-cpi.int/home.html&l=fr. 16 Sudre Frédéric, Droit européen et international des droits de l’homme, Paris, Ed. PUF, Coll. Droit fondamental, 8e édition revue et augmentée, 2006 (première édition : 1989), p. 89. 17 CESDH, op. cit. 18 Cour interaméricaine des droits de l’homme datant de 1960. Voir http://www.corteidh.or.cr/index.cfm?&CFID=265998&CFTOKEN=23196638.
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des droits de l’homme et des peuples19, plus récentes. Nous ne pouvons sans doute pas
aujourd’hui en mesurer encore toutes les conséquences au niveau international.
Ce qui nous importe ici n’est pas de détailler le fonctionnement de ces systèmes
mais de constater que le principe de souveraineté nationale est ébranlé de fait par
l’évolution conjointe du droit régional et du droit international. La protection de
l’individu au sein du DIDH modifie nécessairement la nature du principe de
souveraineté. Ce principe qui reste central ne peut en tout cas plus tout à fait être
considéré comme absolu, il doit être nuancé dans certains cas précis. Là où il pose le
plus question, c’est précisément dans les situations qui nous intéressent ici, à savoir les
situations d’extrême urgence. Dans ces situations où, rappelons-le, le rôle de l’Etat est
déstabilisé, altéré ou anéanti, un autre principe vient lui faire face : le principe
d’humanité. Quels sont les rapports qu’entretiennent entres elles les deux sphères que
sont la sphère de l’Etat nation et celle de l’humanité ?
b) L’humanité : émergence d’une nouvelle sphère d’intégration des
individus
La question qui est posée par cette évolution est la suivante : ne peut-on pas
considérer que la sauvegarde des droits fondamentaux des individus prévaut sur la
souveraineté étatique ? Doit-on limiter la puissance des Etats lorsque ceux-ci abusent de
leur pouvoir ? Autrement dit, existe-t-il une limite à la légitimité de la souveraineté
étatique ? Cette question hobbesienne se pose encore et encore à nous chaque fois qu’un
Etat abuse de son autorité. Le droit humanitaire, même s’il insiste sur le principe de
souveraineté, admet pour principe fondamental celui d’humanité. L’action du CICR
« n’a d’autre moteur que le premier de ses principes fondamentaux, le principe
d’humanité, qui fut enjoint de s’efforcer de prévenir et d’alléger en toutes circonstances
les souffrances des hommes.20 » Lorsque la dignité des hommes est en jeu, lorsqu’ils
souffrent, le principe d’humanité doit dans certains cas prévaloir sur le principe de
souveraineté. Nous reviendrons par la suite sur les modalités de cette confrontation.
Poser la primauté du principe d’humanité signifie-t-il qu’il existe une communauté 19 Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, datant de 2005. Voir : http://www.interights.org/doc/Protocol%20on%20the%20African%20Ct.doc. 20 Sandoz Yves, « Droit ou devoir d’ingérence, droit à l’assistance : de quoi parle-t-on ? », in Revue internationale de la Croix-Rouge, n°795, août 1992, p. 231.
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humaine comme il y a des communautés étatiques ? « Il existe une contradiction entre
la souveraineté de l’Etat, la non-ingérence et l’idée d’une communauté internationale
garante de la protection des individus, contradiction d’autant plus forte que la
souveraineté des Etats est une réalité, tandis que celle d’une communauté
internationale reste encore à établir. 21» Certes, ce n’est pas une réalité, mais nous
pourrions, comme le fait Norbert Elias, y lire l’amorce d’un mouvement vers une
nouvelle sphère d’intégration des individus.
Pour Norbert Elias, ce qui se joue dans l’évolution de la place de l’individu au
niveau international est un changement du rapport entre le « je » et le « nous ».
L’histoire serait un mouvement qui va toujours d’une sphère d’intégration inférieure à
une sphère supérieure, de la famille au groupe, du groupe à la nation. Ce mouvement
n’est certes pas linéaire mais il se dessine globalement de manière plus ou moins nette.
L’émergence de l’humanité comme sphère d’intégration s’inscrirait dans le
prolongement de ce mouvement. Pour le sociologue, « l’unité de survie déterminante en
dernier ressort est aujourd’hui l’humanité »22. Certes, cette thèse paraît bien audacieuse
au regard des relations internationales entre les différentes puissances étatiques et des
potentialités destructrices de l’humanité. « Mais en tant que sociologue, on ne peut pas
se refuser à constater que de nos jours, au lieu des différents Etats, c’est l’Humanité
toute entière en tant qu’entité sociale divisée en Etats qui sert de cadre à un grand
nombre de processus d’évolution et de changements structurels. » En fait, il existe une
multistratification qui fait coexister aujourd’hui les sphères de l’Etat et de l’humanité,
pour ne citer qu’elles. Le croisement des différentes strates, là où il en existait une
incontestablement supérieure, ne peut pas manquer d’interroger le principe de
souveraineté nationale. La souveraineté ne peut pas, dans un tel contexte mondial, être
considérée comme absolue. Pour Mireille Delmas-Marty, « l’intégration des tâches
appelle à passer l’obstacle politique et juridique de la souveraineté nationale, qui n’est
infranchissable que si elle est conçue de manière absolue. Plutôt que vers un monde
‘’sans souveraineté’’, nous semblons aller vers une ‘’dilution de la souveraineté’’ qui
resterait à transformer en une souveraineté partagée23. » Est-ce à dire que le principe
de souveraineté comme fondement du droit international doit être remis en question ?
21 Buirette Patricia, Le Droit international humanitaire, Paris, Ed. La Découverte, Coll. Repères, 1996, p. 91. 22 Ibid., p. 293. 23 Delmas-Marty Mireille, Les forces imaginantes du droit, tome II : Le pluralisme ordonné, Paris, Ed. Seuil, Coll. La couleur des idées, 2006, p. 29.
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B) Le devoir d’ingérence humanitaire au nom des droits de l’homme
Dans une société où les fonctionnements des Etats sont interdépendants, où les
problèmes sont internationalisés, n’est-on pas dans un système d’ingérences
permanentes ? Un Etat ne peut pas se développer indépendamment des autres et le
concept de souveraineté ne peut pas être pensé de la même manière que lorsqu’il servait
à désigner des Etats-nations dont les frontières étaient des limites infranchissables.
Qu’entend-on exactement par ingérence et en quoi ce concept pose problème en termes
juridiques ? Existe-t-il un droit ou un devoir d’intervention voire d’ingérence
commandé par les exigences humanitaires ?(1) En quoi l’éducation est-elle concernée
par ces questions ?(2)
1) L’exigence humanitaire face à la souveraineté
Il convient ici de distinguer l’ingérence de l’intervention. Le DIP ne connaît pas
l’ingérence mais l’intervention. Celle-ci est immatérielle s’il s’agit simplement de porter
un regard sur le fonctionnement d’un Etat, elle est matérielle si elle se manifeste
physiquement. L’assistance humanitaire est une forme d’intervention matérielle mais il
en existe beaucoup d’autres, l’intervention armée étant la plus agressive. Une
intervention matérielle peut être soit licite soit illicite. Autrement dit, elle peut se faire
avec ou sans l’accord de l’Etat souverain, avec ou sans sa coopération. Une ingérence
est par définition une intervention illicite. L’ingérence désigne le fait d’intervenir dans
les affaires d’un Etat sans son consentement. « L’idée même d’ingérence est née avant
tout d’une pratique.24 » Elle n’est pas un droit à proprement parler. Pourtant, les
exigences humanitaires contemporaines, lorsqu’elles sont confrontées aux résistances
des Etats, amènent à se poser la question de l’existence d’un droit d’ingérence. Cette
question peut se poser au regard de l’émergence de l’humanité comme nouvelle entité
venant se confronter à celle de l’Etat souverain.
En général, l’assistance humanitaire doit s’organiser à la demande de l’Etat
concerné et elle se met en place avec la coopération d’autres Etats ou d’organisations
intergouvernementales ou non gouvernementales telles que le CICR. Or, les ONG ont
peu à peu transformé cette conception de l’assistance humanitaire qui est trop souvent
24 Buirette Patricia, op. cit., p. 89.
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détournée du principe d’humanité à des fins politiques. Un Etat a toujours des intérêts.
Avoir une attitude humanitaire neutre, selon les principes fondamentaux du CICR,
nécessite une certaine indépendance vis-à-vis des Etats. Cela ne veut pas dire qu’il faut
agir contre leur volonté mais plutôt que le juge suprême en matière d’assistance
humanitaire ne peut pas être l’Etat. Existe-t-il alors un droit d’ingérence ?(a) Dans
certaines circonstances extrêmes, l’ingérence ne doit-elle pas être un devoir qui vise à
garantir l‘assistance humanitaire aux victimes ?(b)
a) Du droit d’intervention au « droit d’ingérence »
« Ce qui est acquis, indiscutablement, c’est le droit, pour les Etats, d’ouvrir les
yeux. 25» Les Etats, les organismes interétatiques, les organisations non
gouvernementales, ont un droit de regard sur les Etats lorsque ceux-ci ne respectent pas
les droits fondamentaux des individus. Ce type d’intervention immatérielle peut encore
être discuté mais nous pouvons considérer qu’il est d’une certaine manière acquis, du
fait de la configuration de notre société mondialisée. Or, un droit de regard pose
nécessairement la question du droit d’agir à partir du moment où ce qui est observé est
inacceptable vis-à-vis de la dignité humaine.
En DIP, l’aide international n’intervient que selon deux conditions cumulées : le
consentement de l’Etat et l’insuffisance des moyens dont il dispose26. Il existe d’une
certaine manière un droit d’intervention qui repose sur la volonté des Etats. Cependant,
en 1989, à Saint Jacques de Compostelle, l’Institut du Droit International énonce dans
son article 5 que « l’offre, par un Etat, un groupe d’Etats, une organisation
internationale ou un organisme humanitaire impartial tel que le Comité international
de la Croix-Rouge (CICR), de secours alimentaires ou sanitaires à un Etat dont la
population est gravement menacée dans sa vie ou sa santé ne saurait être considérée
comme une intervention illicite dans les affaires intérieures de cet Etat […] Les secours
seront accordés sans discrimination. Les Etats sur le territoire desquels de telles
situations de détresse existent ne refuseront pas arbitrairement de pareilles offres de
secours humanitaires. » Cette injonction faite aux Etats inverse le rapport entre
l’assistance humanitaire et la souveraineté nationale. C’est l’Etat qui doit motiver son
refus le cas échéant, ce qui est une atteinte directe à sa souveraineté, dans une
25 Sandoz Yves, op. cit., p. 226. 26 Voir les résolutions de l’ONU 43/ 131, adoptée le 8 décembre 1988, 45/100, adoptée la 14 décembre 1990.
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conception puriste de cette dernière. La jurisprudence de la Cour Internationale de
Justice (CIJ) relative aux Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua27 semble
aller dans le même sens : « pour ne pas avoir le caractère d’une intervention
condamnable dans les affaires intérieures d’un autre Etat, non seulement ‘’l’assistance
humanitaire’’ doit se limiter aux fins consacrées par la pratique de la Croix-Rouge à
savoir ’’prévenir et soulager la souffrance des hommes’’ et ‘’protéger la vie et la santé
(et) faire respecter la personne humaine’’, elle doit aussi et surtout être prodiguée sans
discrimination à toute personne dans le besoin.28 » En d’autres termes, cela sous-entend
que la condition de la licéité est d’abord et avant tout le respect de la dignité humaine et
non le consentement de l’Etat. La CIJ ne reconnaît pas un droit d’intervention
explicitement et encore moins un droit d’ingérence mais elle le suggère. On peut
considérer aujourd’hui qu’il existe un droit d’intervention en ce qui concerne
l’assistance humanitaire mais cela ne signifie pas encore qu’il existe un droit
d’ingérence.
La notion même de droit d’ingérence est contradictoire. D’une part, nous avons vu
que l’ingérence n’était pas définie d’un point de vue normatif, elle n’est donc pas un
droit au sens juridique. Mais surtout, l’ingérence est par définition illicite. « De deux
choses l’une : ou bien on est en présence d’un droit et ce n’est pas de l’ingérence, ou
bien c’est de l’ingérence et ce n’est pas un droit.29 » C’est qu’il faut voir dans cette
notion une signification plus morale que normative ou juridique. La question est la
suivante : peut-on se permettre d’intervenir sans le consentement d’un Etat ? La
tendance actuelle de la pratique humanitaire, même si le débat n’est pas tranché,
consiste plutôt à reconnaître un droit d’ingérence mais à le restreindre à certaines
situations d’une extrême gravité. Il ne s’agit pas de décréter que chaque fois que des
droits ont été mis à mal, une entité extérieure peut interférer dans le fonctionnement
d’un Etat au nom du respect de ces droits. Il faut que la violation soit avérée bien
entendue, mais aussi massive ou d’une particulière violence. « Dans la conception
classique de l’ingérence humanitaire, il est entendu que celle-ci ne trouve sa légitimité
et sa légalité que si l’on est en présence de situations particulièrement graves et
27 CIJ, Affaire des activités militaires et paramiliatires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis), arrêt du 27 juin 1986, §243, p. 125, disponible sur : http://www.icj-cij.org/docket/files/70/6502.pdf. 28 Ibid. 29 Kdhir Moncef, « Pour le respect des droits de l’homme sans droit d’ingérence », in Revue trimestrielle des droits de l’homme, n°52, Ed. Nemesis/ Bruylant, octobre 2002 p. 903.
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urgentes telles que des catastrophes naturelles ou des violations massives et
importantes des droits de l’homme30. »
Pour les situations qui nous intéressent ici, nous pouvons donc considérer que le
droit d’intervention est reconnu et que la notion de droit d’ingérence vient souligner la
prédominance du principe d’humanité sur le principe de souveraineté. Il ne s’agit pas de
reconnaître le bien-fondé de toute intervention, et encore moins de celles qui sont
armées et qui soulèvent de nombreuses polémiques, mais simplement le droit pour les
organismes internationaux ou les ONG d’exercer une assistance humanitaire dans des
situations d’extrême urgence, y compris sans le consentement explicite de l’Etat
concerné. Est-ce à dire qu’il existe un droit pour les victimes à l’assistance
humanitaire ?
Néanmoins, formulé de cette manière, il ne s’agit pas encore d’un droit des
victimes elles-mêmes à être assistées. Conférer le droit aux individus de recevoir des
secours de la part des autres Etats ou organismes internationaux en ferait un devoir pour
ces derniers et non plus seulement un droit.
b) Le droit à l’assistance humanitaire
La notion de droit d’ingérence humanitaire et celle de droit à l’assistance
humanitaire doivent être distinguées. La première consiste à affirmer le ‘’droit’’ pour
les organisations internationales d’apporter leur aide quand elles l’estiment nécessaire.
Le droit à l’assistance humanitaire va plus loin. Il reconnaît aux individus eux-mêmes le
droit de recevoir cette aide, ce qui induit qu’il s’agit d’un devoir d’assistance pour les
autorités ou les organisations internationales. L’article 3 commun des Conventions de
Genève de 1949 affirme que « les personnes qui ne participent pas directement aux
hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les
personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour
toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune
distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la
croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue. » Il s’agit
30 Raulin (de) Arnaud, « l’urgence dans le droit international », Raulin (de) Arnaud (sous la direction de), Situations d’urgence et droits fondamentaux, Paris, Ed. L’Harmattan, 2006, p. 150.
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bien de reconnaître un droit aux personnes. Dans l’article 2 de la Résolution de Bruges
2003, qui consiste à reformuler le droit coutumier ou conventionnel existant en le
synthétisant, l’Institut de Droit International traite de la question du droit à l’assistance
humanitaire31. Ce droit découle du droit à la vie qui, contrairement aux Conventions de
Genève, vaut pour toutes situations : « Le fait de laisser les victimes de catastrophes
sans assistance humanitaire constitue une menace à la vie et une atteinte à la dignité
humaine et, par conséquent, une violation des droits humains fondamentaux32. » Cela
implique d’une part que les victimes, les autorités ou des organisations peuvent
réclamer ce droit, et d’autre part que l’Etat et, en cas de défaillance de celui-ci, les
organisations internationales, ont le devoir d’y répondre. L’article VIII de la même
résolution souligne l’obligation de ne pas refuser arbitrairement une assistance aux
victimes33. D’une certaine manière, en cas d’incapacité de l’Etat à respecter ce droit, le
« devoir d’ingérence » est l’autre versant du droit à l’assistance humanitaire. Il se situe
ainsi à la frontière entre le droit et la morale. N’est-ce pas précisément la spécificité des
questions qui touchent au fondement même de la dignité humaine ? L’expression de
« devoir d’ingérence » date d’une allocution de Bernard Kouchner prononcée en 1987
lors de la première Conférence internationale de droit et de morale humanitaire. Le
danger d’une telle notion tient dans ses potentielles dérives. S’il est de notre devoir de
secourir les personnes qui en ont besoin, cela n’implique-t-il pas d’une certaine manière
que tous les moyens sont bons pour parvenir à cette fin ? La question n’est pas alors
seulement de savoir si on peut admettre un devoir d’ingérence qui serait un concept
moral et non juridique, la principale question porte sur la forme de cette ingérence. On
est en effet inévitablement confronté au danger d’exportation d’un modèle démocratique
31 Kolb Robert, « De l’assistance humanitaire : la résolution sur l’assistance humanitaire adoptée par l’institut de droit international à sa session de Bruges en 2003 », in Revue internationale de la Croix-Rouge, décembre 2004, vol. 86, n°856. 2002. 32 Suite de l’article 2 : « 2. Les victimes de catastrophes ont le droit de demander et de recevoir une assistance humanitaire. L’assistance peut être sollicitée, au nom des victimes, par des membres du groupe, les autorités locales et régionales, le gouvernement de l’État affecté et par des organisations nationales ou internationales. 3. L’assistance humanitaire doit être offerte et, en cas d’acceptation, distribuée sans discrimination reposant sur des motifs prohibés, compte étant dûment tenu des besoins des groupes les plus vulnérables. » 33 Ibid., article VIII : “Devoir des États affectés de ne pas rejeter arbitrairement une assistance humanitaire offerte de bonne foi 1. Les États affectés ont l’obligation de ne pas refuser de façon arbitraire et injustifiée une offre de bonne foi, exclusivement destinée à fournir une assistance humanitaire, ou l’accès aux victimes. Ils ne peuvent, en particulier, refuser cette offre ou cet accès si un tel refus est susceptible de mettre en danger les droits humains fondamentaux des victimes ou si ce comportement revient à violer l’interdiction d’affamer les populations civiles en tant que méthode de guerre. »
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occidental. Le devoir d’ingérence n’a pas de contenu juridique, c’est donc un concept
qui dépend de l’utilisation qu’on en fait. Les dérives possibles sont nombreuses et
l’intervention au Kosovo ou la guerre en Irak en sont des exemples. Ces questions ne
concernent pas directement notre objet puisque nous concentrons notre attention sur
l’assistance humanitaire par les organisations humanitaires dans des situations
d’extrême urgence. Cette assistance, par définition, « repose sur une donnée
incontournable : les organisations humanitaires ne disposent pas de la force armée ni
d’autres moyens de coercition. 34»
Cependant, admettre un devoir d’ingérence dans ces situations nous pose question
d’une autre manière. Ce n’est pas tellement la forme de cette ingérence mais son
contenu qui mérite d’être étudié. Doit-on limiter l’assistance humanitaire en situations
de conflits ou de catastrophes naturelles aux soins médicaux de base et à
l’alimentation ? Autrement dit quelle est la place du droit à l’éducation vis-à-vis du droit
à l’assistance humanitaire ?
2) L’éducation d’urgence, une nouvelle forme d’ingérence
L’éducation, de part sa nature, ne peut pas être considérée comme n’importe
quelle autre intervention humanitaire. Il s’agit, plus encore que la santé ou le logement,
d’une compétence nationale exclusive. L’éducation d’un peuple est ce qui fait son
identité, son unité, sa spécificité. Or, il est reconnu pour les peuples un droit à
l’autodétermination qui vient dans ce cas renforcer le principe de souveraineté dont il
était question plus haut. Dans ce cas, doit-on étendre le droit à l’assistance humanitaire à
l’éducation ?(a) Les conséquences de la reconnaissance d’un tel droit ne
s’étendraient-elles pas bien au-delà du droit à l’éducation en lui-même tant il est
indissociable des autres droits humains ?(b)
a) L’éducation, compétence nationale par excellence
Une des images les plus frappantes du colonialisme africain reste les cours d’histoire
de France dispensés aux enfants sénégalais ou maliens. Cette dénégation de leur histoire
et de leur culture était un des signes de leur asservissement. La culture est transmise par
34 Sandoz Yves, op. cit., p. 230.
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l’éducation et celle-ci est nécessairement singulière pour chaque peuple. La multiplicité
des cultures trouve son écho dans la multiplicité des systèmes d’éducation, des contenus
éducatifs. Le multiculturalisme est garant de richesse au niveau planétaire. Ainsi,
chaque Etat a pour tâche de mettre en place un système éducatif qui confère une identité
propre à son peuple. Dans l’éducation se joue la reconnaissance de l’appartenance de
l’individu à son peuple. Au niveau international, le droit des peuples à disposer d’eux-
mêmes est fondamental. Il est notamment énoncé dans l’article 20 de la Charte africaine
des droits de l’homme et des peuples de 1981 : « tout peuple a droit à l’existence. Tout
peuple a un droit imprescriptible et inaliénable à l’autodétermination. Il détermine
librement son statut politique et assure son développement économique et social selon
la voie qu’il a librement choisie. » L’éducation est un des rouages essentiels de
l’autodétermination d’un peuple. Néanmoins cela ne fait pas obstacle à l’éducation
d’urgence quand celle-ci s’avère nécessaire, bien au contraire. Lorsque les processus
éducatifs ne fonctionnent plus et que l’Etat ne joue plus son rôle, c’est aussi le droit du
peuple à s’autodéterminer qu’il viole. Certes, l’éducation est souvent porteuse d’une
identité nationale mais quand elle ne fonctionne pas, le peuple doit se la réapproprier et
les objectifs de l’EPT, nous y reviendrons, place cette exigence au cœur des
programmes mis en place.
Le principal problème d’un point de vue juridique est le fait que l’éducation est
une compétence nationale. Reprenons la Charte des Nations Unies et son article 2.7 :
« Aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir
dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat »
Cet article n’interdit pas de manière absolue toute forme d’intervention mais celles qui
relèvent, on pourrait dire exclusivement, de la compétence nationale. Plusieurs
résolutions des Nations Unies font par la suite écho à cette idée35. Pour n’en citer
qu’une, la résolution de l'Assemblée générale de l'ONU sur l'octroi de l'indépendance
aux pays et peuples coloniaux, du 14 décembre 1960, déclare en son article 7 que
« tous les Etats doivent observer fidèlement et strictement les dispositions de la Charte
des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de la
précédente Déclaration sur la base de l'égalité, de la non-ingérence dans les affaires
intérieures des Etats et du respect des droits souverains et de l'intégrité territoriale de
tous les peuples. » Nous pouvons nous interroger sur cette précision concernant les
35 Résolution n° 1514 de l'Assemblée générale de l'ONU sur l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux, du 14 décembre 1960. Voir aussi les résolutions 2131 (XX), 2625(XXV) et 36/103.
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affaires intérieures. Etant donné que l’éducation est en temps ‘’normal’’ compétence
réservée de l’Etat, est-elle visée par cette expression ? Il nous semble qu’il s’agit pour
les Nations Unies d’affirmer un principe de non-intervention dans les domaines ou
l’Etat ne s’est pas engagé au niveau international. La CIJ adopte cette attitude et
considère qu’il est en fait question des « orientations politiques » dans son arrêt sur les
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci.36 « C’est donc ici
l’existence d’une obligation internationale pour un Etat dans une matière particulière
qui fera sortir cette matière de ses affaires intérieures.37 » Les Etats qui ont ratifié la
DUDH, le PIDESC ou la CDE se sont engagés à respecter, entre autres, le droit
universel à l’éducation. Tant qu’ils respectent cet engagement, ils ont la liberté de
mettre en place leur système d’éducation mais celle-ci ne relève pas seulement de leurs
affaires intérieures s’il y a violation du droit à l’éducation.
b) Le droit à l’éducation indissociable de l’ensemble juridique des droits
de l’homme
Respecter le droit à l’éducation tel qu’il est défini dans les normes internationales
implique nécessairement de respecter un certain nombre de droits fondamentaux. C’est
pour cette raison également que la légitimité des interventions en matière d’éducation
produit de la méfiance : si on commence à exiger le respect de ce droit, c’est sur
l’ensemble des droits humains que va peser cette exigence. Le droit à l’éducation pour
tous s’inscrit nécessairement dans une conception holiste des droits de l’homme. Cela
signifie que les différents droits proclamés dans une déclaration telle que la DUDH sont
tous solidaires et font systèmes. Mais aussi que l’ensemble du droit international des
droits de l’homme forme un tout organique qui ne peut être altéré sans être dénaturé.
Prenons l’exemple des enfants-soldats. Leur droit à l’éducation commence à être
violé à partir du moment où ils sont enrôlés dans l’armée, en même temps que leur droit
de ne pas travailler ou de ne pas subir de traitements inhumains ou dégradants. On voit
bien que le droit à l’éducation ne peut pas être respecté si l’ensemble des droits de
36 CIJ, Affaire des activités militaires et paramiliatires au Nicaragua et contre celui-ci, op. cit., §258 : « les orientations politiques internes d’un Etat relèvent de la compétence exclusive de celui-ci, pour autant, bien entendu, qu’elles ne violent obligations du droit international. » 37 Corten Olivier et Klein Pierre, Droit d’ingérence ou obligation de réaction ?, Bruxelles, Ed. Bruylant/ Ed. de l’Université de Bruxelles, Coll. De droit international, 2e édition, 1996.
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l’enfant ne le sont pas. Il y a une interdépendance des différents droits humains en
général, et en l’occurrence des droits de l’enfant.
Voyons comment ces textes sont interdépendants dans le cas des enfants-soldats.
La Convention internationale interdit l’incorporation des enfants aux forces armées en-
dessous de quinze ans38. Pour ce qui est du continent africain, l’enrôlement des enfants
est également interdit par la Charte des droits et du bien-être de l’enfant. Parallèlement,
au niveau international, plusieurs ONG39 ont décidé de mettre en place une Coalition
pour mettre fin à l’utilisation des enfants-soldats. En 2000, un Protocole40 a finalement
été adopté pour interdire « l’enrôlement obligatoire » des moins de dix-huit ans dans les
forces armées, ainsi que leur participation active. Par contre, des enfants de moins de
dix-huit ans peuvent s’engager volontairement avec le consentement de leurs parents.
Ce texte, entré en vigueur en 2002, représente un compromis vers l’interdiction des
enfants-soldats. Cependant, l’adhésion des Etats à ce Protocole est facultative. Il est
ratifié par 15 Etats seulement en 2003. De plus, il ne peut être adopté que par les Etats
membres de l’ONU et ne concerne pas les enfants acteurs dans les guérillas. En 2004, la
Cour spéciale pour la Sierra Leone a affirmé, en vertu du Statut de Rome de la Cour
pénale internationale et du droit international coutumier, que le recrutement d’enfants de
moins de quinze ans dans les forces armées constitue un crime de guerre. Ces
mécanismes juridiques internationaux contribuent également au respect du droit à
l’éducation.
La condition première pour mettre en œuvre le droit à l’éducation en situations
d’urgence est le consentement de l’Etat, voire sa coopération. Mais en l’absence de ce
consentement, ou dans l’attente de ce dernier (qui n’est en général pas immédiat tant les
priorités des autorités sont autres dans ces situations d’urgence), il est du devoir des
organismes internationaux et des ONG de garantir un droit aussi fondamental. De plus,
l’initiative laissée aux organisations humanitaires leur laisse une plus grande marge de
manœuvre et une plus grande possibilité de neutralité. Il n’existe pas de consensus sur
ce sujet et nous en avons conscience mais il nous semble que les évolutions normatives
et juridiques de notre siècle vont plutôt dans ce sens. La réponse qu’il est possible
38 Cela peut paraître paradoxal avec la définition de l’enfant énoncée par cette même Convention, mais plusieurs Etats-Parties ont refusé de revoir l’âge minimum des jeunes recrutés dans leurs armées nationales. Seul un consensus autour de l’âge de quinze ans s’est donc dégagé. 39 Amnesty International, Human Rights Watch, Quaker U.N. Office, Jesuit Refugee Service, Radda Barnen. 40 Voir sire http://web.amnesty.org/pages/childsoldiers-index-fra.
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d’apporter aujourd’hui n’est sans doute pas la même que celle qui aurait été avancée il y
a quelques décennies. Nous voulons voir dans les avancées récentes des promesses vis-
à-vis du droit à l’éducation en situations d’urgence. Le droit d’assistance humanitaire,
de plus en plus reconnu comme tel, nous permet d’envisager la possibilité de mise en
œuvre du droit à l’EPT dans toutes les situations. Mais si l’Etat n’assure pas l’éducation
dans ces contextes, ce n’est pas seulement parce qu’il ne veut pas le faire, ou qu’il
choisit d’autres priorités, c’est qu’il n’en a pas forcément les moyens. Si les mécanismes
nationaux sont défaillants, quels sont les mécanismes qui peuvent assurer le respect
d’un droit aussi consubstantiel du fonctionnement national que celui de l’éducation ?
Section 2
Les mécanismes nécessaires à la mise en oeuvre du droit à l’éducation en
situations d’urgence
Il nous faut éclairer notre objet à la lumière des pratiques contemporaines. Ce ne
sont pas seulement les configurations juridiques qui ont évolué mais aussi les pratiques
proprement dites. La mise en place d’une éducation d’urgence fait de plus en plus partie
des actions humanitaires. Dans les camps de réfugiés ou de déplacés où la présence des
acteurs humanitaires est importante, il y a une ou plusieurs structures de soin, des
mécanismes d’assainissement de l’eau, la fourniture d’une aide alimentaire ou de biens
essentiels, et parfois une ou plusieurs écoles. Pour Margaret Sinclair, l’éducation est « le
quatrième pilier de l’action humanitaire41 » avec l’aide alimentaire, l’hébergement et
l’assistance sanitaire. L’éducation d’urgence, comprise comme réponse humanitaire, est
l' « éducation qui protège le bien-être, favorise les possibilités d’apprentissage et
nourrit le développement global (social, émotionnel, cognitif, physique) d’enfants
perturbés par des conflits et des catastrophes 42» Avant de revenir plus en détail sur le
contenu de cette définition, il convient de se demander quels sont les acteurs qui
participent à la mise en œuvre du droit à l’éducation en situations d’urgence.(A) Nous
verrons comment se construit une vision commune de ce que doit être l’éducation
41 Sinclair Margaret, Plannifier l’éducation en situations d’urgence et de reconstruction, Paris, UNESCO/ IIPE, 2003, p. 33. 42 Sinclair Margaret, op. cit., p. 27.
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d’urgence grâce à la coopération entre ses différents acteurs et les normes qu’ils
instituent afin de clarifier le contexte normatif dans lequel se situe leur action.(B)
A) Les acteurs
La question des acteurs est centrale pour bien cerner la signification de la mise en
œuvre du droit à l’éducation en situations d’urgence. Nous avons en effet pu constater le
flou juridique régnant autour de cette question. « Ce qui domine le paysage juridique, en
ce début du XXIième siècle, c’est l’imprécis, l’incertain, l’instable, ou encore, en termes
plus provocateurs, le flou, le doux et le mou, dont nous avons précédemment observé les
principales manifestations. 43» La répartition des différents espaces de compétences est
bouleversée, leur entrecroisement permet de multiples interprétations parfois
contradictoires. Ces différents espaces interfèrent entre eux et la structure globale de
l’ensemble juridique du DIP est en perpétuel mouvement. Le fait qu’un principe aussi
architectural que le principe de souveraineté soit sujet à tant de discussions est
caractéristique de ces évolutions du système en lui-même. Le « flou » ou le « mou » qui
caractérisent le paysage juridique le rendent extrêmement complexe à saisir mais il sont
aussi une force. C’est le jeu qui existe entre les différents rouages qui fait que les
mécanismes ne sont pas fixes, même si l’image de la machine est bien trop simple pour
illustrer une réalité aussi complexe. « [Les interactions juridiques] s’ordonnent sans
majesté, par ajustements successifs toujours partiels, toujours imparfaits, et les
métaphores rendent bien mal compte de ces processus toujours recommencés qui
n’évoquent ni la domination de la pyramide, ni la continuité des réseaux, ni
l’automaticité des machines. 44»
Pour ce qui concerne notre objet, les compétences juridiques des Etats, des
organismes intergouvernementaux (1), des organisations non gouvernementales (2),
sont interdépendants. Mais dans cette configuration complexe viennent s’ajouter
d’autres acteurs qui ne sont pas nécessairement guidés, directement en tout cas, par des
instruments normatifs. C’est notamment le cas de la multiplicité d’acteurs locaux qui
43 Delmas-Marty Mireille, Les forces imaginantes du droit, tome II : Le pluralisme ordonné, Paris, Ed. Seuil, Coll. La couleur des idées, 2006, p. 7. 44 Delmas-Marty Mireille, Les forces imaginantes du droit, tome II : Le pluralisme ordonné, Paris, Ed. Seuil, Coll. La couleur des idées, 2006, p. 30.
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contribuent à leur échelle au respect du droit à l’éducation dans les situations les plus
dramatiques.(3)
1) Les Etats et les institutions intergouvernementales
En 1945, un certain nombre d’Etats décident de mettre en place une organisation
internationale qui puisse garantir la paix au niveau mondial et le respect des normes que
se sont fixées les Etats, dans le respect de la souveraineté nationale. La mission de
l’ONU est énoncée au premier article de la Charte des Nations-Unies, dite aussi Charte
de San Francisco : « réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes
internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant
et en encourageant le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales pour
tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion. » Les conflits d’intérêts
entre les Etats rendent cette mission souvent difficile.
Plusieurs organismes intergouvernementaux dépendent de l’ONU ou sont en lien
avec elle. Ils sont intergouvernementaux, ce qui signifie que leur mandat repose sur des
accords préalables passés entre les Etats. Le HCR, par exemple, a pour mission de faire
respecter la Convention de Genève de 1981, relative au statut des réfugiés dans les Etats
où celle-ci a été ratifiée45. Cela ne signifie pas que cet organisme est dépendant de ces
Etats, il exerce au contraire un contrôle sur eux, établit des enquêtes, formule des
recommandations ou rédige des rapports parfois accablants, intervient sur le terrain dans
certains contextes. Mais il ne peut pas dépasser le cadre strict de son mandat qui a été
mis en place par les gouvernements.
L’ONU crée en 1980 un département des affaires humanitaires qui a pour tâche de
coordonner les différentes interventions d’organisations telles que l’OMS, l’UNICEF,
l’Organisation des Nations Unies pour le Secours aux catastrophes (UNDRO), la
Banque Mondiale. Les grandes instances internationales, qui ont chacune leurs
spécificités, agissent de manière coordonnée tant au niveau des méthodes que des
financements. Il ne faut pas oublier que la question de l’aide internationale est centrale
en ce qui concerne l’action humanitaire et en particulier l’éducation. L’enjeu de
reconnaître un droit fondamental à l’éducation pour les individus dans les situations
d’urgence est aussi financier.
45 139 Etats l’ont ratifié à ce jour, se reporter au site du HCR: http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/treaty2ref_fr.htm.
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En matière d’éducation d’urgence, les deux principaux organismes concernés
sont le HCR et l’UNICEF. Ceux-ci ont des missions sensiblement différentes et
combinent promotion de l’éducation d’urgence, actions sur le terrain et collectes de
fonds.
A partir des années 2000, de nouvelles structures se mettent en place, avec pour
ambition de promouvoir et de faire respecter le droit à l’éducation en situations
d’urgence. Un nouveau service de l’UNESCO est chargé exclusivement de ces
questions et travaille en étroite collaboration avec l’UNICEF. L’UNESCO opère dans
un cadre plus large et notamment en amont mais ses compétences en matière d’urgence
se développent, ce qui contribue à une autre vision de l’intervention d’urgence qui n’est
plus dissociée de visions éducatives prospectives. Ces différents organismes n’ont pas
toujours forcément les mêmes modes de fonctionnement mais ils travaillent dans la
mesure du possible en coopération. Certains exemples, comme la réponse en matière
d’éducation à la crise Rwandaise à partir de 1994, témoignent de l’efficacité de ces
coopérations, nous y reviendrons.
Cependant, « ce sont les Etats, notamment les plus puissants d’entre eux, qui
tiennent en leurs mains les clés politiques et financières des organisations
internationales gouvernementales. Face à cette réalité, les ONG doivent organiser un
contre-pouvoir efficace… 46» Cela est encore plus vrai dans les contextes d’urgence où
la présence des ONG est centrale.
2) Les organisations non gouvernementales
Une ONG est une organisation indépendante, qui a une activité d’intérêt général.
Il existe des ONG à toutes les échelles d’intervention : aux niveaux local, national,
régional, international. Mais toutes sont des organisations privées qui n’ont pas de
relation d’intérêt avec les Etats et dont l’objectif est non lucratif. Pour ce qui est de la
défense de la dignité humaine, il existe un grand nombre d’ONG et leurs activités sont
extrêmement précieuses. Elles permettent d’avoir des informations justes sur les
différentes situations sans aucune influence, de faire pression sur les gouvernements ou
sur les organismes internationaux lorsque cela est nécessaire, de mener des actions
46 Rouget Didier, Le guide de la protection internationale des droits de l’Homme, Paris, Ed. La pensée Sauvage/ Agir ensemble pour les droits de l’Homme, 2000, p. 253.
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concrètes dans leurs domaines de compétences. Certaines ONG contribuent ainsi à
l’effectivité du droit à l’éducation.
Plusieurs ONG internationales agissent dans ce domaine, en coopération avec des
ONG locales ou nationales. La multiplicité des acteurs entrave parfois la mise en
commun des informations et la coordination au niveau des méthodes d’intervention.
Dans le souci d’une plus grande efficacité, les différentes organisations,
gouvernementales ou non, doivent pouvoir coopérer. C’est le regroupement de ces
différents acteurs, avec l’appui des Etats quand cela est possible, qui permet d’optimiser
leurs actions. En ce qui concerne l’éducation, un réseau inter-agences d’éducation
d’urgence (Inter-agency network of emergency éducation : INEE) a été mis en place en
2000. C’est au cours d’une séance de stratégie sur l’éducation en situations d’urgence et
de crise au Forum Mondial sur l’Education à Dakar que ce réseau a été initié. Le but est
de favoriser l’échange des informations et des expériences entre les différents acteurs
pour une meilleure efficacité des actions en faveur de l’éducation d’urgence. Il s’agit
aussi d’améliorer la compréhension des projets auprès des bailleurs de fonds pour de
meilleures stratégies de financement d’autre part. Des groupes de travail thématiques
sont centrés plus précisément sur certaines questions comme l’éducation des filles, la
formation des enseignants… L’émergence de ces nouvelles structures témoigne à la fois
de l’ampleur du problème auquel nous sommes confrontés mais aussi d’une volonté de
plus en plus forte de mettre en place des programmes d’éducation d’urgence. De plus il
faut souligner que l’une des tâches principales des ONG est aussi de rappeler aux Etats
leurs responsabilités, à savoir que « selon l’article 28.1 de la Convention qui s’applique
à tous les enfants sans discrimination, l’éducation doit […] être disponible et accessible
aux enfants qui ont été victimes de violences organisées. Un Etat ne peut refuser à
aucun enfant le droit à une éducation sur son territoire. 47» Ces organisations
s’appuient donc sur les normes internationales pour légitimer leurs actions et elles
participent à leur effectivité même si elles ne sont pas liées par elles.
D’autres ONG non spécialisées dans l’éducation jouent un rôle essentiel comme le
Programme Alimentaire Mondial (PAM) qui fournit des denrées alimentaires aux
cantines scolaires. Nous voyons donc en quoi l’effectivité d’un droit comme le droit à
l’éducation dans des situations où l’Etat, qui en est normalement le principal acteur, est
inopérant, fait appel à une nébuleuse d’acteurs dont la coopération et la collaboration
47 Aguilar Pilar and Retamal Gonzalo, Rapid Educational Response in Complex Emergencies, Geneva, International Bureau of Education, 1998, p. 6, (notre traduction).
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sont porteuses de réponses appropriées. En effet, la complexité des situations d’urgence
nécessite de concilier les exigences normatives internationales et les contraintes du
terrain. Les juristes et les praticiens, les statisticiens et les éducateurs possèdent tous des
compétences qui gagnent à être mises en commun. Mais de telles coopérations ne
pourraient pas fonctionner sans les acteurs principaux du droit à l’éducation, les
personnes directement concernées. Comment oserions-nous prétendre répondre à une
situation sans faire appel aux personnes qui la vivent ? Qui d’autre est mieux placé, qui
est plus compétent qu’elles pour déterminer leurs besoins et donc déjà d’une certaine
manière, les réponses nécessaires ?
3) Les acteurs locaux
Par principe, l’éducation d’urgence ne peut exister que si elle est fondée sur la
participation de la population sinistrée. D’une part parce qu’elle a à se réapproprier ce
qui, nous l’avons vu, contribue à son identité, d’autre part parce que c’est la condition
d’une réponse à moyen ou long-terme. L’INEE considère qu’il est essentiel que « les
membres d'une communauté victime d'une situation d'urgence prennent une part active
à l'évaluation initiale, la planification, la mise en œuvre, le pilotage et l'évaluation du
programme d'éducation48 » De plus, les enfants se sentent plus en confiance auprès de
personnes familières, auprès de personnes qui vivent les situations avec eux. Il arrive
très souvent que la population prenne spontanément des initiatives en matière
d’éducation. L’assistance doit en fait venir en soutien à ces initiatives quand elles
existent et mettre en place de nouveaux programmes quand ceux-ci sont absents. Si les
acteurs locaux doivent être au centre de ces programmes, il convient de ne pas
reproduire des logiques éducatives qui ont été destructrices ni de négliger la qualité de
l’enseignement. Les acteurs humanitaires doivent veiller à la qualité des contenus
éducatifs selon des valeurs de paix et de tolérance et mettre en place de la formation.
En effet, la question de la formation des enseignants est centrale. Si les adultes ne
sont pas formés, leurs enfants ne reçoivent pas une éducation de qualité. Or, le manque
d’enseignants se fait généralement sentir dans ces situations où certains d’entre eux ont
été tués, ont fuit, ou ont subi des traumatismes trop lourds pour continuer à enseigner.
La question de la formation des enseignants est évidemment accrue dans le cas d’une
48 INEE, Normes minimales en situations d’urgence, de crises et de reconstruction, Paris, INEE, 2004, p. 14.
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réponse rapide. Il existe un programme de l’UNESCO intéressant à ce propos : Le
programme pour l’éducation dans les situations d’urgence et de reconstruction
(UNESCO-PEER)49 : il s’agit d’inciter les acteurs locaux à former des comités
d’autogestion, à l’aide d’une trousse de première urgence (Teaching Emergency
Package : TEP). Cette trousse contient du matériel éducatif ou récréatif et des outils
pédagogiques. Ce programme a été mis en place pour la première fois en 1992 en
Somalie50. La distribution de ce matériel s’accompagne dans la mesure du possible
d’une formation accélérée de deux jours auprès de quelques éducateurs qui se
chargeront à leur tour de former certains de leurs collègues et ainsi de suite. Ce type de
formations en cascade permet de rendre ces enseignants opérationnels le plus
rapidement possible. La population peut ainsi mettre en place un fonctionnement
éducatif lorsque l’Etat est défaillant.
Les acteurs locaux sont donc au fondement de l’éducation d’urgence, par leurs
prises d’initiatives, leur désir de rouvrir des écoles ou de regrouper les enfants autour
d’activités récréatives. Mais ils sont aussi présents tout au long du processus de mise en
place progressive de la réponse éducative. Ce sont des personnes appartenant à la
population sinistrée qui enseignent dans la plupart des cas. « Les éducateurs font
souvent des efforts louables pour sauvegarder l’éducation alors que sévit la guerre,
militaire ou civile. Il leur arrive de faire la classe en plein air, dans des maisons ou des
sous-sols, ou encore dans des bâtiments en ruines. 51»
B) Les mécanismes normatifs permettant une réponse rapide
Les crises sont toutes singulières, cependant les expériences concrètes ont permis
de dégager des caractéristiques communes et de mettre en place des principes généraux
guidant l’action des divers protagonistes. Il est essentiel de s’appuyer sur des
expériences concrètes afin de cerner les limites de la formulation des normes 49 Voir site : http://portal.unesco.org/education/fr/ev.phpURL_ID=13447&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html. 50 Pour des analyses plus détaillées de ces méthodes ou une évaluation leurs réussite, voire les sites de l’UNESCO ou de l’UNICEF ou Aedo Richmond Ruth et Retamal Gonzalo, Education as a humanitarian response, Ed. Cassell / International Bureau of Education, Coll. Frontiers of International Education, 1998. Voir aussi Aguilar Pilar et Retamal Gonzalo, Rapid educational response in complex emergencies : a discussion document, Genève, BIE, 1998. 51 Sinclair Margaret , op. cit., p. 30.
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internationales et d’adapter le droit aux situations extrêmes. Rendre effectif le droit à
l’éducation ou les droits de l’enfant dans les situations d’urgence nécessite de repenser
ces normes tout en conservant leur esprit. Les organisations intergouvernementales et
non gouvernementales ne se contentent plus aujourd’hui d’appliquer le droit, elles
participent à son élaboration. Le droit à l’éducation en situation d’urgences fait appel à
des mécanismes normatifs spécifiques. Il y a parallèlement au DIP mis en place par la
Communauté des Etats au niveau international, un ensemble de normes qui sont établies
par les organisations directement concernées par tels ou tels problèmes. On assiste en
quelque sorte à une forme de régulation des situations de conflits par le biais de ces
nouvelles tendances normatives. Il ne faut bien entendu pas assimiler ces principes aux
normes du droit international dans le sens ou elles ne peuvent en aucun cas être
considérées comme contraignantes. Leur visée est de rendre lisibles les consensus
existants entre les différents acteurs, y compris pour les donateurs ou bailleurs de fonds,
et de les rendre plus clairs auprès de ceux qui sont bénéficiaires de l’aide.(1) Cela dit,
ces normes ne permettent pas de résoudre toutes les problématiques qui pèsent sur le
droit à l’éducation en situations d’urgence et nous verrons quelles en sont les limites.(2)
1) Un système de régulation conciliant principes et pragmatisme
Les normes minimales définies par l’ensemble des acteurs de l’humanitaire sont à
la fois fidèles aux principes généraux relatifs au droit à l’éducation pour tous et
attentives aux contraintes réelles de la mise en œuvre de ce droit. Cela ne signifie pas
qu’elles représentent un compromis puisque aucune concession n’est faite sur l’esprit
des principes, cela veut dire que les normes doivent toujours être interprétées à la
lumière des contextes dans lesquelles elles valent. Le caractère abstrait des droits de
l’homme a parfois tendance à occulter les lourdes contraintes matérielles, économiques,
humaines qui traversent les situations réelles. Toutes ces contraintes peuvent être
regroupées sous une même donnée essentielle en situations d’urgence : la contrainte
temporelle. Les normes minimales sont des règles qui ont pour objectif une mise en
place rapide des réponses, c’est ce qui fait leur spécificité.
Une Charte humanitaire a été rédigée par des ONG pour déterminer des normes
minimales en matière d’action humanitaire.(a) Ce projet a initié d’autres entreprises de
ce genre, telles que la mise en place de normes minimales d’éducation en situations
d’urgence et de crises.(b).
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a) La Charte humanitaire du projet Sphère
En 1997, a été lancé un projet nommé Sphère qui consiste à fixer un certain
nombre de principes et de normes de l’action humanitaire. Les deux principaux
objectifs, en plus de l’intérêt d’une telle entente sont d’une part de rendre plus lisibles
les actions vis-à-vis des bailleurs de fonds et des donateurs en établissant des critères
consensuels et d’autre part de rendre plus lisible l’action humanitaire par ceux qui en
sont les destinataires. Plus de 400 organisations de 80 pays ont participé à cette
entreprise. Ainsi, une Charte humanitaire a été rédigée. Elle s’appuie sur le droit
humanitaire, le droit des droits de l’homme, le droit des réfugiés, et le Code de conduite
pour la Croix-Rouge internationale, le Mouvement du Croissant-Rouge et les ONG dans
les secours en cas de catastrophe.
La Charte porte principalement sur les domaines alimentaire, sanitaire, du
logement et de la santé. Mais on peut y lire également des indications en ce qui
concerne l’accès à l’éducation même si ces normes sont succinctes : dans la norme 2,
relative aux abris et aux établissements, il est énoncé que « Tous les membres de la
population affectée ont accès, en toute sécurité, à de l’eau, à des installations
sanitaires, à des soins de santé, à des services d’enlèvement des déchets solides, à des
cimetières et à des installations sociales, y compris des écoles, des lieux de culte, des
points de rencontre et des zones de loisirs.52 » Dans la Norme 3 relative à la lutte contre
les maladies non transmissibles, il est affirmé que « dès que les ressources le
permettent, les enfants et les adolescents ont accès à une scolarité formelle ou
informelle et à des activités de loisirs normales.53 » Au début du XXIème siècle, on peut
voir que les acteurs de l’humanitaire restent très timides vis-à-vis du droit à l’éducation.
C’est une des raisons pour lesquelles l’INEE a décidé de mettre en place à son tour des
normes minimales, se calquant ainsi sur la démarche mais l’adaptant à la question de
l’éducation d’urgence.
52 Le Projet Sphère, Charte humanitaire et normes minimales pour les interventions lors des catastrophes, Genève, Le Projet Sphère, 2004 (première édition en 2000), p. 256. 53 Le Projet Sphère, Charte humanitaire et normes minimales pour les interventions lors des catastrophes, Genève, Le Projet Sphère, 2004 (première édition en 2000), p. 347.
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b) Les normes minimales d’éducation en situation d’urgence
Les normes minimales mises en place par l’INEE en 2004 sont un tournant
essentiel dans la mise en œuvre du droit à l’éducation pour tous en situations d’urgence.
Ces normes permettent une plus grande rapidité des réponses éducatives, une
coopération plus aisée entre les acteurs, et une évaluation plus facile des situations.
Parallèlement à ces normes sont définis des indicateurs qui permettent de mesurer les
différents aspects de la mise en place de l’éducation. Il faut bien distinguer les normes
des indicateurs. Les premières définissent des principes, des règles vers lesquelles il
convient de tendre. Elles regroupent les principes contenus dans les textes normatifs tels
que les déclarations ou traités, mais aussi de plus en plus, des principes établis par des
organisations et qui ont pour vocation d’être reconnus universellement. « Les normes
minimales reposent sur le principe selon lequel les populations frappées par des
catastrophes ont le droit de vivre dans la dignité. Elles définissent le niveau minimum
d’accès à l’éducation et d’offre de services éducatifs qu’il convient d’atteindre dans une
situation d’aide humanitaire. Elles revêtent un caractère qualitatif et sont conçues pour
être universellement applicables à tout environnement. 54» Les indicateurs sont des
outils statistiques ou autres qui permettent de définir dans quelle mesure une norme a
été atteinte. Ce sont des instruments de mesure, qualitatifs ou quantitatifs, et de
diffusion des informations relatives aux normes. Les indicateurs permettent de mesurer
les écarts entre les normes et les situations concrètes. Lorsque ces normes ne peuvent
être atteintes, il convient de comprendre pourquoi et d’adapter les normes à la réalité
tout en restant fidèle aux principes fondamentaux. Les normes minimales sont en fait à
mi-chemin entre la logique pragmatique humanitaire et la logique plus absolutiste des
droits de l’homme. Il s’agit bien de poser des principes fondamentaux mais d’adapter
leurs exigences au caractère singulier des situations dont il est question. Il ne serait pas
approprié par exemple d’interdire tout travail aux enfants dans des situations
économiques où ceux-ci ont un rôle central pour la survie de la population.
Les principes dégagés ne sont finalement pas très différents de ceux sur lesquels
repose l’éducation dans les autres situations mais la contrainte du temps y est
omniprésente. Le but est bien la mise en place rapide d’un processus éducatif, formel ou
54 INEE, Normes minimales en situations d’urgence, de crises et de reconstruction, Paris, INEE, 2004, p. 9.
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non. Cela dit, il ne s’agit pas simplement de mettre en place une éducation d’urgence
mais aussi de se servir de la réponse éducative pour relier la situation d’urgence au
processus de développement. Le présupposé fondamental des acteurs du droit à
l’éducation en situations de conflits ou de catastrophes, et c’est aussi le nôtre dans ce
travail, est que l’éducation est une des clés de la sortie de crise. Il faut donc avoir
présent à l’esprit dès l’urgence la relation avec le système éducatif à moyen ou à long-
terme. « Dans le cadre d’une intervention d’urgence, il est souhaitable que les autorités
éducatives et les principales parties prenantes élaborent et mettent en oeuvre un plan
d’éducation qui tienne compte des politiques éducatives, tant nationales
qu’internationales, assure le respect du droit à l’éducation et réponde aux besoins
d’apprentissage des populations sinistrées. L’objectif est d’améliorer la qualité de
l’éducation, de faciliter l’accès à l’école et de matérialiser la transition entre
l’intervention d’urgence et le développement. 55»
Ces normes minimales, qui contribuent à l’effectivité du droit à l’éducation, et ont
l’avantage d’apporter des éléments de réponses dans les polémiques sur l’éducation
d’urgence, possèdent tout de même des limites. En effet, il ne s’agit pas de normes au
sens juridique du terme et il n’existe donc pas de mécanisme qui permette de les
garantir. Comment évaluer leur efficacité en l’absence de ces mécanismes de contrôles ?
2) Les dilemmes de l’éducation d’urgence
L’éducation ne peut être évaluée que dans la durée puisque les processus
d’apprentissage sont nécessairement étendus dans le temps, et plus encore nous l’avons
vu lorsqu’il s’agit de situations où les enfants ont besoin de se reconstruire. Là encore,
pour ce qui est de l’évaluation, nous nous heurtons à l’hétérogénéité des temporalités de
l’éducation et de l’urgence. La première des difficultés majeures de la mise en place
concrète de l’éducation d’urgence, même en présence de normes bien définies est celle
de l’évaluation des situations et des réponses apportées.(a) Mais doit-on faire de
l’éducation une réponse humanitaire comme une autre ? La limite n’est-elle pas à
moment donné dans le fait de penser l’éducation sur le mode de l’action humanitaire,
55 INEE, op. cit., p. 77.
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même si nous nous trouvons dans des contextes d’urgence ? N’y a-t-il pas une
contradiction de fond entre réponse rapide et éducation ?(b)
a) Difficultés d’évaluation
L’évaluation des situations constitue une part très importante de la mise en place
d’une éducation d’urgence. Il n’est pas possible d’apporter une réponse à un problème si
on n’en saisit pas bien les données. Le but est de « permettre un suivi continu des
progrès accomplis par rapport aux objectifs fixés et de vérifier périodiquement la
pertinence du programme à mesure que la situation évolue56. » Les indicateurs
déterminés en même temps que les normes minimales ont précisément cette fonction.
Prenons le cas de l’ensemble des normes relatives à l’accès à l’éducation. La
première concerne l’égalité d’accès. Les indicateurs déterminés dans ce cas sont
l’absence de discrimination, l’absence d’exigence de pièces justificatives qui
entraveraient l’accès à l’école, la reconnaissance officielle du programme d’éducation
par les autorités nationales, etc. Certains sont plus faciles que d’autres à mesurer. La
question de la discrimination est par exemple délicate. L’application de normes et
l’évaluation, plus encore que dans tout autre contexte, sont, dans l’éducation en
situation d’urgence, étroitement liées. Là encore, les différents acteurs, et notamment les
acteurs locaux, doivent faire converger leurs efforts pour une meilleure analyse des
situations.
Mais le problème le plus délicat qui se pose à l’évaluation de l’éducation
d’urgence est le suivant : faut-il évaluer l’efficacité de la réponse vis-à-vis de la
situation elle-même ou des conséquences pour la suite ? Les critères d’efficacité d’une
réponse rapide peuvent-ils être les mêmes que ceux d’une réponse durable ?
b) Entre réponse rapide et réponse durable
Si nous admettons la possibilité de la mise en œuvre du droit à l’éducation en
situations d’urgence, cela ne résout pas les conflits temporels entre l’éducation et
l’urgence.
Quelle est la différence entre l’éducation d’urgence et l’éducation en général ou
même l’éducation dans des situations précaires des pays en développement ? La 56 INEE, op. cit., p. 12.
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première différence est d’ordre procédural : elle dépend de l’assistance humanitaire, de
fonds spéciaux, selon une répartition singulière des compétences et l’équilibre entre les
besoins et les moyens est précaire. La seconde est une différence de besoins : les
besoins en terme de contenus et d’entourage sont plus spécifiques. « Une troisième
différence, particulièrement digne d’intérêt pour des planificateurs de l’éducation,
concerne les contraintes de temps et de planification à court terme qu’imposent les
situations d’urgence.57 » C’est que ces contraintes de temps présentent le risque de
dénaturer l’éducation elle-même.
Il est sans doute possible de mettre en place une réponse éducative rapide, mais
cela n’est pas suffisant. Il ne s’agit pas de répondre à des besoins immédiats pour les
recréer par la suite. Il ne s’agit pas non plus de répondre à un problème en en créant un
autre. On pourrait considérer qu’il y a un danger dans la mise en place d’une éducation
en situations d’urgence, en l’occurrence dans des camps de réfugiés, pour les
populations, celui de ne plus avoir envie de retourner dans leur pays d’origine, de
reprendre en main leur destin. Il ne faudrait pas confondre assistance et assistanat. Pour
Pierre Hassner, c’est la question posée à toute action humanitaire et elle se pose aussi à
l’éducation : « les objectifs doivent-ils être limités dans le temps et conçus en termes de
situations d’urgence visant à supprimer un danger immédiat, à rétablir un minimum de
sécurité et de stabilité, pour laisser ensuite les parties elles-mêmes aller de l’avant,
l’objectif étant en partie, précisément, de leur donner une chance de reprendre le
dessus elles-mêmes plutôt que de se trouver en permanence en situation d’assistance ou
sous le contrôle d’autrui ?… 58» Nous pensons que cette question ne peut pas être posée
en ces termes et qu’il ne faut pas oublier que le droit à l’éducation est un droit
fondamental et universel. Nous ne pouvons pas priver des individus de leurs droits sous
prétexte qu’ils risqueraient de s’y habituer. De plus, « l’expérience montre que les
populations déplacées sont impatientes de rentrer chez elles dès lors que les conditions
de sécurité et de dignité d’un tel retour sont assurées. Les familles récemment déplacées
ne sont pas tentées de différer leur retour pour continuer de bénéficier de structures
éducatives d’urgence à court terme.59 »
57 Sinclair Margaret, op. cit., p. 38. 58 Hassner Pierre, « Par delà la violence ? Les dilemmes de l’intervention humanitaire », in Moore Jonathan, Des choix difficiles, les dilemmes moraux de l’humanitaire, trad. Leveillé Dominique, Paris, Ed. Gallimard, 1999 (première édition en anglais, 1998), p. 39-40. 59 Sinclair Margaret, op. cit., p. 34.
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Si la mise en place d’une éducation doit être assurée dans la mesure du possible
dans un contexte d’urgence et que les expériences humanitaires sont souvent des
expériences riches d’enseignements, l’éducation ne doit pas être "pervertie" par le
modèle humanitaire. Il y a un désaccord entre ceux qui souhaitent apporter une réponse
éducative rapide et des points de vues plus englobants. L’UNICEF a mis en place des
kits d’éducation rapide avec du matériel et des guides d’utilisation pour les éducateurs.
Cette méthode est directement inspirée des autres domaines de l’humanitaire. Ce kit est
d’ailleurs appelé « trousse de première urgence », nous allons y revenir. Il est efficace
car facile d’utilisation mais peut-il constituer une réponse durable ?
La première étape à consisté pour nous à déterminer la place que peut occuper
l’éducation dans l’urgence. Il s’agissait de comprendre en quoi il était possible, malgré
les obstacles premiers, de mettre en œuvre le droit à l’éducation en situations d’urgence.
Mais affirmer le rôle de l’éducation dans ces contextes et l’adaptation nécessaire de ses
normes aux situations extrêmes, ne signifie pas que l’éducation doit se plier aux règles
de l’urgence sans les modifier. Ne pourrait-elle pas au contraire être l’occasion
d’apporter une nouvelle forme de réponse à l’urgence ? Ne pourrait-on pas voir dans
l’éducation l’espoir de réintégrer les situations d’urgence dans des processus de temps
plus larges ? Les conflits de temporalités ne pourraient-ils pas être dépassés au profit du
temps long de l’éducation ?
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CHAPITRE II
La transformation de la définition de l’urgence par la mise en
œuvre du droit à l’éducation
Section 1
L’impact global de l’éducation sur l’urgence
L’éducation fait partie du quotidien des enfants en temps ‘’normal’’, ou devrait en
faire partie. Elle constitue un élément structurant, rassurant. Les enfants s’y sentent
protégés. Il est intéressant de constater que lors de conflits ou de catastrophes, les écoles
sont souvent des lieux de refuge. L’école est un lieu privilégié dans lequel les enfants se
retrouvent, elle est aussi facteur de socialisation. Il est donc très important de garder,
dans la mesure du possible, des écoles ouvertes dans toutes les situations, parce que cela
contribue à l’équilibre de l’enfant. Le rôle rassurant de l’école, de la présence d’un
adulte référent, est encore plus crucial dans des contextes chaotiques. Il s’agit
d’organiser des activités simples mais structurantes. L’objectif est de continuer l’école
malgré la souffrance pour atténuer la rupture mais aussi pour prévenir l’effondrement
psychologique de l’enfant ou de l’adolescent pendant la crise elle-même. En plus de
cela, l’éducation aide les enfants ou les adolescents à comprendre les situations qu’ils
vivent, ce qui n’est pas moins important pour leur équilibre psychologique. Elle leur
permet ainsi de redevenir acteurs. Elle joue en fait un rôle fondamental dans la gestion
de la crise. Pour cela, la qualité de l’éducation est au cœur des objectifs. Les enfants qui
sont éduqués participent à la réappropriation de la situation par la communauté sinistrée.
A travers l’éducation qu’ils ont reçue, les enfants peuvent transmettre des messages en
ce qui concerne la santé, l’assainissement de l’eau, ou l’hygiène. « Enseigner à des
enfants les risques principaux et l’exposition à ces risques constitue l’un des meilleurs
moyens de les protéger et de renforcer leur autonomie. 60» De plus, ils sont les garants
de nouvelles valeurs dès l’urgence.(A)
60 Peugeot Heidi et Spielberg Fred, « Le rôle des enfants dans la protection contre les catastrophes », in Newsletter de CRIN (réseau d’information sur les droits des enfants), Les droits de l’enfant dans les situations d’urgence, n° 20, février 2007, p. 9.
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En d’autres termes, l’éducation, en plus de préserver les enfants dans des
contextes violents ou déstabilisants, prépare les individus à la suite. Ces deux faces
d’une même ambition lui permettent de donner un autre visage à l’urgence. Elle
réintroduit de la planification à moyen terme au cœur même de l’urgence. Précisément
parce l’apprentissage ne peut pas tout à fait se plier aux contraintes extrêmement strictes
de l’urgence, c’est l’urgence qui est contrainte de laisser une place aux perspectives, aux
programmes d’éducation, aux projets. (B)
A) L’exigence de qualité au cœur -même de l’urgence
Le sixième des objectifs définis à Dakar en 2000 concerne la qualité de
l’éducation. Pour que le droit à l’éducation soit pleinement garanti pendant et après
l’urgence, «l’accès rapide à l’éducation et à des activités récréatives ou connexes
devrait être suivi d’une amélioration constante de la qualité et de la couverture
éducatives, notamment en ce qui concerne l’accès à tous les niveaux d’enseignement et
la reconnaissance des études. 61» Les instruments normatifs du droit à l’éducation
contribuent à la définition de la qualité de l’éducation qui est tout aussi centrale que
celle de son universalité.(1) C’est que, nous l’avons vu, toute éducation se doit de porter
un certain nombre de valeurs. Cette exigence éthique est encore plus essentielle dans
des situations où les principes les plus élémentaires de la dignité humaine n’ont plus de
sens.(2)
1) Définition de la qualité, un des principaux objectifs de Dakar
Si l’on considère qu’il existe un droit à l’éducation pour tous en situations
d’urgence, ce qui est déjà audacieux, ne faut-il pas faire des concessions pour que
l’effectivité de ce droit ait un sens ? A première vue, la nécessité d’une mise en place
rapide du processus éducatif est incompatible avec une éducation de qualité. Mettre en
place une éducation de qualité demanderait en effet plus de réflexion, de temps, de
concertation. Pourtant une éducation de mauvaise qualité n’en est plus vraiment une, ou
pire elle est dangereuse. Le droit d’être éduqué est en fait, inévitablement, le droit d’être
61 Sinclair Margaret, op. cit., p. 46.
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bien éduqué, sans quoi il est vidé de sa substance. Mais comment définir une éducation
de qualité ? Comment adapter une conception globale de la qualité aux contextes qui
nous intéressent ?(a) Enfin, même si nous en avons une définition plus ou moins claire,
comment mesurer la qualité de l’éducation, surtout dans des circonstances
complexes?(b)
a) Définition de la qualité
Si l’aspect qualitatif de l’éducation est aussi important que l’aspect quantitatif, en
plus des raisons données ci-dessus, c’est qu’il a un impact sur la durée de scolarité des
enfants, sur leur assiduité. Elle contribue à l’image que les individus se font de l’école
en général et donc favorise son développement. De toute façon, le problème de la
qualité des apprentissages se pose de fait dès qu’il est question de mettre en place un
processus éducatif. Le choix du contenu s’impose immédiatement. C’est la déclaration
de Jomtien en 1990 qui pose la qualité de l’éducation comme un enjeu déterminant du
droit à l’EPT, avant que le forum de Dakar n’en fasse un objectif prioritaire. Mais la
principale difficulté est de donner une définition univoque et consensuelle de la qualité.
Pour Edgar Faure en 1972, la qualité de l’éducation se mesure au développement de
l’être de l’apprenant. Au tournant du XXIème siècle, la Commission internationale sur
l’éducation pour le XXIème siècle trace quatre grandes lignes directrices pour répondre à
cette question, élargissant les possibilités de réflexion : l’éducation consiste à apprendre
à connaître, apprendre à faire, apprendre à vivre et apprendre à être. C’est en fait à
partir de ce moment là que la convergence entre les différentes dimensions de
l’éducation définit sa qualité. Plus les apprentissages sont complets, plus leur pertinence
est garantie. On peut considérer comme premier élément le développement cognitif de
l’apprenant. Ensuite, l’éducation doit aussi favoriser le développement créatif et affectif
selon l’UNESCO. Les acteurs de l’éducation au niveau international semblent
s’accorder sur le fait que la pertinence globale d’un programme ou d’un système est un
premier critère. L’équité dans l’accès contribue aussi à sa qualité, en préservant des
clivages. L’UNICEF définit cinq dimensions de la qualité de l’éducation : les
apprenants, les environnements, les contenus, les processus et les résultats. La
conception de l’UNICEF est directement inspirée de la CDE. Pour L’UNESCO,
« l’éducation doit permettre aux enfants de réaliser la plénitude de leur potentiel en
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termes de capacités cognitives, affectives et créatrices. 62» La qualité comprend donc la
pertinence du programme et du système. Cependant il existe une autre dimension qu’il
faut absolument prendre en compte, surtout pour le sujet qui nous intéresse :
l’adaptation aux situations.
La qualité d’une éducation repose en effet sur son adaptation aux situations. Un
programme éducatif qui est décalé par rapport au contexte n’est pas bon. La cohérence
ne peut pas simplement être interne au programme, il doit y avoir une cohérence
globale, contextuelle. Rappelons à ce propos qu’un des autres objectifs de Dakar est
l’adaptation aux conditions de vie. « Cela fait souligner l’importance de programmes
d’enseignements qui répondent dans toute la mesure du possible aux besoins et aux
priorités de l’apprenant, de sa famille et de sa communauté.63 »
b) Outils d’évaluation
Les résultats immédiats de l’éducation ne sont pas vraiment quantifiables. Il est
d’une manière générale difficile d’apprécier les conséquences d’une démarche
éducative sur un enfant, ses progrès, son épanouissement. Dans une situation d’urgence,
un individu qui guérit du choléra se reconnaît aisément, mais l’acquisition d’outils de
compréhensions, de nouvelles structures de pensée, de nouveaux comportements, sont
plus difficiles à repérer et à mesurer. C’est que l’éducation est un processus continu.
Elle vise à développer les potentialités que nous portons en chacun de nous, afin que les
individus soient acteurs des situations dans lesquelles ils vivent. L’éducation ouvre de
nouveaux possibles, elle est donc sans cesse tournée vers l’avenir, elle est projection.
Alors que nous venons de voir que la question de la qualité est indissociable de
toute réflexion sur l’éducation, les outils d’évaluation de l’application du droit à
l’éducation ont été, jusqu’en 2000, principalement quantitatifs. On peut voir dans la
conception quantitative de ce droit une des causes de l’échec de son universalisation. La
qualité de l’éducation s’évalue notamment par la capacité des individus par la suite à
s’intégrer dans leur société. Evaluer la qualité par les résultats obtenus (diplômes,
emploi…) peut servir mais est insuffisant car ce critère ne prend pas forcément en
compte les valeurs transmises. De plus, il n’assure pas la garantie de l’équité.
62 Rapport Mondial du suivi de l’EPT 2005, Education pour tous, l’exigence de qualité, Paris, UNESCO, p. 33. 63 Ibid., p. 34.
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2) La réintroduction de valeurs nécessaire à la sortie de crise
Une éducation de qualité dans ces contextes passe par la révision des manuels qui
existaient avant (et qui ont pu être porteurs de haine ou de discriminations,) voire la
création de nouveaux manuels scolaires. Parallèlement au travail effectué sur les
manuels et à la formation des enseignants, des programmes d’éducation à la santé, à la
paix, à la citoyenneté, au respect de l’environnement, aux droits de l’homme sont
particulièrement bénéfiques. Concentrons-nous tout d’abord sur l’éducation à la santé
qui joue un rôle central dans tous les programmes d’éducation d’urgence, quelque soit
l’origine de la crise. (a) Pour ce qui est des situations de conflits, et en l’absence
d’éducation à la citoyenneté au niveau national, il est aussi intéressant de voir l’impact
des programmes d’éducation à la paix ou aux droits de l’homme.(b)
a) L’éducation à la santé
Dans beaucoup de situations d’urgence humanitaire, l’approvisionnement en eau
potable est difficile et les épidémies se propagent extrêmement vite. La faiblesse
physique et psychologique des individus favorise la propagation des maladies. Certaines
maladies dues à l’eau, comme le choléra, sont une des causes de mortalité majeures
dans les camps. Certains comportements permettent de limiter les risques d’infection
encore faut-il en être informé. L’éducation à ces comportements élémentaires d’hygiène
est donc une question de survie. Il serait absurde de mettre en place des conduites d’eau,
des structures favorisant l’hygiène, si les individus ne savent pas s’en servir et si leur
comportement par ailleurs les met en danger. Le but est de faire prendre conscience aux
gens qu’il existe un lien étroit entre nos comportements quotidiens, l’hygiène et les
maladies. Si les populations sont sensibilisées à ces problématiques, elles pourront plus
facilement poursuivre les efforts des organisations humanitaires à la sortie de l’urgence.
Ce genre d’éducation participe de la volonté d’autonomiser au maximum les personnes
en situation d’urgence pour la suite.
Si les individus connaissent les symptômes et sont bien informés, il est plus
facile aussi d’enrayer les épidémies.
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b) L’éducation à la paix et aux droits de l’homme
«Pendant la Guerre froide, on avait tendance à définir la paix et la sécurité
simplement en termes militaires ou d’équilibre de la terreur. Aujourd’hui nous savons
qu’une paix durable repose sur une vision plus large englobant l’éducation et
l’alphabétisation, la santé et l’alimentation, les droits de l’homme et les libertés
fondamentales.64 » Les situations d’urgence sont caractérisées la plupart du temps par
une violation massive des droits de l’homme. Il s’agit donc pour la Communauté
internationale d’alerter les autorités sur ces violations, de les sanctionner si nécessaires.
Il s’agit également de préserver au maximum la dignité des individus dépourvus de
ressources. Mais le respect de la dignité et des droits élémentaires de chacun passe aussi
par les comportements des individus. Il n’est pas si évident d’apprendre la signification
de la paix ou de la tolérance quand on a grandit dans des contextes de violences
extrêmes, ou qu’on a vu mourir des proches. Néanmoins dans des situations où tous les
individus et en particuliers les enfants ont des motifs de haine, il est nécessaire de
retrouver un équilibre. Avant d’en venir aux programmes en eux-mêmes, nous devons
rappeler que dès son apparition dans le paysage des droits de l’homme, l’éducation
« doit viser au plein épanouissement de la personne humaine et au renforcement du
respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la
compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes
raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le
maintien de la paix.65 » Ces valeurs sont constitutives de la dignité humaine et nous
voyons dans la DUDH à quel point celles-ci dépendent des organisations les plus hautes
en même temps que des individus, à des échelles différentes.
L’éducation à la paix repose sur une large participation des élèves à des débats sur
des sujets adaptés aux situations traitées. Un certain nombre de concepts servent de
socles à cette éducation qui vise à instaurer des ‘’compétences’’ en plus de certaines
connaissances fondamentales. Les concepts sont « droits de l’homme », « paix », « non-
violence », « coopération », etc. Entre autres, l’assimilation de ces concepts, leur
approfondissement sert pour l’enfant à développer ses capacités d’écoute, d’empathie,
ses aptitudes au dialogue et à la négociation. Il s’agit en gros d’apprendre à gérer les
64 Déclaration de Kofi Annan de 1998, citée dans Legros Pierre et Libert Marianne, L’Exigence humanitaire, le devoir d’ingérence, Paris, Ed. Les Presses du Management, 2000. 65 DUDH, op. cit., article 26.2.
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conflits, les émotions qui nous traversent, d’une autre manière. La DUDH ou la CDE
peuvent servir d’outils textuels.
Un enfant réfugié au camps Hagadera à Dadaab au Kenya raconte son cours
d’éducation à la paix de la manière suivante : « Lorsque le cours d’éducation à la paix a
été introduit dans notre école, en 1998, nous avons été nombreux à penser que la paix
n’était pas une discipline à enseigner, mais un état dont la sauvegarde incombait au
gouvernement. Quand le directeur nous a présenté notre nouveau professeur
d’éducation à la paix, nous n’avons donc marqué que peu d’intérêts pour cette nouvelle
matière, mais nous avons néanmoins assisté aux cours.
Depuis nous avons appris l’importance de certaines valeurs et de certains
comportements. Nous avons appris quels étaient les facteurs propices à la paix, à
l’unité et à l’entente entre les peuples. Nous avons notamment découvert des similitudes
et des différences dans la façon de gérer les émotions, l’empathie et la médiation. Tout
cela a changé notre comportement les uns envers les autres.66 » La paix entre les
peuples est indissociable de la tolérance entre les uns et les autres à l’échelle des
individus.
L’éducation à la paix peut prendre plusieurs autres formes. Il peut s’agir de
campagnes de prévention massive auprès de la population comme c’était le cas en
Somalie en 1994 par exemple. La campagne pour la paix en Somalie a été conçue
comme une stratégie pour sensibiliser les individus à l’impact de la violence et de la
culture des armes dans leur pays. Des modèles alternatifs à cette violence étaient
nécessaires. Dans le cadre de cette campagne, des packs ‘’éducation à la paix’’ ont été
produits et distribués. Des cartes, des posters, des t-shirts et des plans de la Somalie.
Des comités formés de différentes organisations ont diffusé des messages de paix dans
les médias et auprès des populations. Le fait de baser l’EPT sur des consensus
internationaux la garantit contre tout dogmatisme a priori.
L’éducation permet également aux individus de se réapproprier les
situations qu’ils vivent en se responsabilisant, face à la prise en charge des maladies par
exemple. Elle sert également à préparer la sortie de la crise en introduisant de nouvelles
66 Témoignage de Abdifatah Miyir Ahmed, un enfant de l’école primaire centrale du camp de réfugié de Hagadera à Dadaab au Kenya, cité dans Sinclair Margaret, op. cit., p. 22.
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valeurs et de nouveaux types de comportements. Comment se relient par delà l’urgence
le court terme et le moyen ou long terme ?
B) La nécessité de perspectives de reconstruction à long terme
La situation d’urgence en elle-même et le temps de la reconstruction sont
généralement distingués. La limite entre ces deux phases est en réalité bien difficile à
tracer : la reconstruction est encore prise dans des logiques d’urgence puisque l’ampleur
de la tâche est souvent considérable. De plus, l’urgence devrait déjà être tournée vers
une forme de reconstruction. Elle devrait être dans l’anticipation de cette reconstruction
puisqu’elle est amenée à cesser selon sa logique propre. « Pour des populations victimes
d’une crise ou d’une catastrophe naturelle, l’éducation est un élément vital de la
reconstruction de leur communauté… 67» Comment faire en sorte alors de transformer
la réalité de l’urgence en la faisant tendre vers sa résolution ? L’éducation, comprise
comme projet, n’est-elle pas précisément la clé de cette résolution ?(1) Comment
repenser alors le rapport entre ces situations chaotiques et le long terme ?(2)
1) Du programme au projet
Selon Kacem Bensalah, l’urgence est « une catégorie de l’action et une
représentation du temps. […] Elle impose sa réalité au présent et diffère, par définition,
le long terme.68 ». Même comprise comme présent pur, l’urgence modifie
incontestablement la suite. C’est donc au sein des situations d’urgence, aussi
dramatiques soient-elles, qu’il faut se préoccuper de ce qui va suivre.
De plus en plus, les programmes mis en place dans les situations d’urgence
prennent en compte le long terme, réinscrivant les situations d’urgence dans des
processus de développement. « De plus en plus, les interventions éducatives
humanitaires ont été perçues comme des réponses cohérentes servant deux objectifs : a)
répondre aux besoins humanitaires et psychosociaux des enfants concernés ; b)
contribuer au développement futur des ressources économiques et humaines du pays en
crise. » Le fait d’apporter une réponse rapide en situations d’urgence n’est pas
67 Sinclair Margaret, op. cit., p. 7. 68 Bensalah Kacem, « Un nouveau défi », in Education & Management, Ed. scréren, avril 2004, n° 26.
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forcément contradictoire avec une réhabilitation des systèmes éducatifs à long terme et
les programmes de reconstruction basés sur des démarches progressives en témoignent.
« L‘éducation doit être connectée à des stratégies de développement économique et
social de moyen et long terme dès le tout début de l’intervention.69 »
Plusieurs programmes d’éducation d’urgence vont dans ce sens. Prenons
l’exemple des programmes proposés par le HCR. Ce dernier divise la réponse
éducationnelle en trois phases. Tout d’abord, en l’absence totale de moyens, les enfants
sont rassemblés autour d’activités récréatives. « La réponse éducationnelle rapide
devrait commencer par la mobilisation des membres intéressés de la communauté pour
initier des groupes d’activités comme des jeux et aider à mettre en place une évaluation
des besoins.70 » Dans cette première phase, les activités socioculturelles sont très
importantes : groupes de danses ou de chants, compétitions sportives, football, etc. Elles
favorisent la cohésion sociale. Leur popularité permet de redonner confiance aux
enfants et d’inciter l’ensemble des individus à s’investir dans l’école. Dès la première
phase, le HCR distribue des « kits récréatifs », avec du matériel pour jouer et amorcer
quelques apprentissages ainsi qu’un guide d’utilisation, qui permettent de structurer ces
activités en quatre semaines. Ce kit peut être utilisé dans toutes les situations, seule la
langue doit être adaptée. Dans une deuxième phase, il s’agit de mettre en place une
éducation non-formelle. « L’éducation non-formelle […] signifie que les élèves
apprennent des aptitudes de base à travers l’études de sujets cruciaux, mais les cours
ne mènent pas nécessairement à la reconnaissance de diplômes ou de certificats. 71 » Il
existe pour cette seconde étape un autre kit, le Teaching emergency package (TEP), qui
contient du matériel pédagogique pour mettre en place une école. Le socle commun des
apprentissages de cette seconde phase est la lecture, l’écriture et le calcul. Des
programmes d’éducation à la paix ou à la santé, selon les situations viennent compléter
ce socle. La troisième phase doit être le rapatriement des personnes pour les réfugiés ou
déplacés et une réintroduction progressive dans le système éducatif.
Les interventions effectuées ont ensuite un impact sur les lignes d’orientation d’un
point de vue plus global. Le HCR, par exemple, définit ses directives et les fait évoluer
en fonction des expérimentations sur le terrain. C'est ce qu'il s'est passé en Sierre Leone
69 Aedo Richmond Ruth et Retamal Gonzalo, op. cit., p. 2. 70 HCR, Guidelines, genève, HCR, 1995, p. 25. 71 Aguilar Pilar and Retamal Gonzalo, op. cit., p. 16. (notre traduction)
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en 1999. A Freetown, alors que régnaient l’insécurité et l’instabilité, un plan
d’éducation rapide a été mis en place et testé pendant un mois. Les enfants allaient à
l’école le matin et suivaient des ateliers de soutien psychologique l’après-midi. Cette
expérience a été fructueuse puisque le Conseil norvégien pour les réfugiés et l’UNICEF,
en accord avec le gouvernement de Sierra Leone, ont transposé cette méthode dans le
cadre national.72
Nous voyons donc que l’impact des programmes dépasse leurs objectifs premiers.
C’est précisément la différence entre un programme et un projet. Le premier se présente
sous forme d’une planification d’étapes à réaliser en vue d’obtenir un certain nombre
d’objectifs fixés dès le départ. Les acteurs d’un programme répondent au plan qui a été
fixé à l’avance. Etablir un projet, c’est au contraire demander à chacun des acteurs
d’investir de soi, de se projeter hors de soi. Le projet admet plus d’indétermination, plus
d’adaptation en fonction de l’évolution de la situation, plus de liberté. Le projet est
ouverture, il n’a pas d’objectif précis, il trace une direction, il est modifiable à tout
instant. Il est le rapport même du sujet libre au monde. En quoi le projet entendu dans ce
sens donne-t-il un autre visage à l’urgence ? En quoi cela bouleverse-t-il notre première
représentation du temps de l’urgence ?
Pour se projeter, l’individu n’a pas besoin d’être déterminé par une cause qui
précède son initiative, il a le pouvoir de réinitialiser un processus temporel, quelle que
soit sa situation. Les projets se croisent, s’entremêlent mais ne sont pas tous reliés
linéairement selon un ordre de succession.
2) Une nouvelle forme de temporalité dans l’urgence
Dire que l’individu a la capacité de se projeter, même lorsqu’il se trouve dans une
situation où tout semble faire obstacle à cette projection, c’est dire qu’il a, en tant
qu’homme libre, le pouvoir de créer sa propre temporalité. C’est considérer qu’il n’est
pas déterminé par une cause antécédente mais aussi que le temps ne peut plus être
compris comme un enchaînement linéaire d’instants qui se suivent.
L’urgence ne peut être considérée comme une rupture que si on a une
représentation du temps comme succession d’instants. Il y aurait le passé puis le présent
72 Voir site www.ginie.org/countries/sierra leone/index.htm.
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et le futur, sachant que le présent n’est plus le passé et pas encore le futur. Le présent
pur de l’urgence comme nous l’avons défini serait alors une rupture dans cette
succession : tout instant serait à nouveau un présent et il n’y aurait pas vraiment de lien
mis à part celui de la juxtaposition entre les différents instants. C’est de cette
représentation du temps comme succession qu’il faut sortir. Pour Bergson, cette
représentation est celle des scientifiques et consiste à prendre pour modèle la
représentation de l’espace. Le temps serait une ligne et l’instant un point. Mais il s’agit
là seulement d’une construction de notre esprit. Dans la réalité, il n’y a pas d’instant.
Quand nous écoutons une mélodie, nous avons à la fois l’impression d’une succession et
pourtant nous ne parvenons pas à la découper puisque c’est sa continuité qui fait ce
qu’elle est. Le temps est un flux continu, étirement et durée. Dans la continuité du
temps, il n’y a plus d’instant. Il n’y a pas d’éléments qu’il faudrait ensuite assembler,
c’est l’unité qui est première. Les états successifs n’existent pas vraiment, excepté dans
notre esprit, par contre le changement perpétuel existe. Il existe un « changement
toujours adhérent à lui-même dans une durée qui s’allonge sans fin.73 » Cela signifie
pour Bergson que la vie est une évolution, elle n’est pas déploiement de possibles déjà
déterminés mais jaillissement sans fin de nouveauté. Si on se replace dans la durée
vraie, il n’y a que de l’imprévisible. La notion de possible elle-même n’est pas assez
radicale pour penser la liberté, il faut lui substituer la nouveauté. Prétendre que quelque
chose est possible, c’est prétendre qu’il est déjà là en puissance or la durée qui
caractérise la vie est jaillissement ininterrompu de nouveauté. La vie intérieure est une
mélodie dont l’air se renouvelle en permanence. « Dans la durée, envisagée comme une
évolution créatrice, il y a la création perpétuelle de possibilités et pas seulement de
réalité.74 » Affirmer la liberté de l’homme, et même de la vie en général, c’est dire qu’il
peut introduire de la nouveauté dans le monde sans que cela découle de manière logique
de ce qui précède.
Si la vie est par définition ce jaillissement incessant alors il n’y a aucune situation
dans laquelle il n’y ait pas de durée. L’urgence n’est pas absence de durée, elle est
simplement un autre rapport au temps. C’est dans la manière de vivre le temps, de le
percevoir, d’en avoir conscience, que se joue la spécificité de l’urgence. L’accélération
du temps nous dépossède de ce flux continu qui nous traverse et nous laisse alors
73 Bergson Henri, La Pensée et le mouvant, Paris, Ed. PUF, Coll. Quadrige, 1934, p. 8. 74 Ibid., p. 13.
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103
impuissants. Et c’est de chacun de nous que jaillit du temps puisque nous avons la
capacité, puisque nous sommes libres, d’introduire de nouveaux commencements dans
le monde. Ainsi, pour modifier la temporalité de l’urgence, il faut infléchir la
conscience qu’ont les individus des situations, les faire se projeter dans l’avenir. Si les
individus se projettent, la temporalité de l’urgence en sera nécessairement modifiée.
L’éducation, nous l’avons vu, est essentiellement ce qui donne à chacun la
capacité de se projeter, précisément parce qu’elle permet de réintroduire une autre
forme de conscience.
Les actions qui sont menées au sein de l’urgence ont une conséquence sur
l’urgence parce qu’elles modifient sa structure. L’éducation a un pouvoir considérable
et sa visée est de rendre leur liberté aux individus. Il paraît donc essentiel de garantir
l’effectivité du droit à l’éducation en situations d’urgence. Cela n’est pas seulement
essentiel pour les contextes d’urgence proprement dits mais aussi pour le
développement des peuples de manière générale. La mise en place globale des objectifs
de l’EPT en dépend. « Les interventions humanitaires éducationnelles sont de plus en
plus perçues comme des réponses régionales qui font sens, non seulement d’un point de
vue purement humanitaire et social, mais aussi du point de vue du développement
économique futur du pays en crise.75» Les réponses apportées dans certaines crises ont
permis de constater le caractère bénéfique de l’éducation pour l’urgence et au-delà de
l’urgence. C’est le cas pour le Rwanda et la réponse éducationnelle apportée suite au
génocide de 1994.
75 Aedo Richmond Ruth et Retamal Gonzalo, op. cit., 1998, p. 3. (notre traduction)
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104
Section 2
Evaluation d’un cas particulier : l’éducation après le génocide Rwandais
Le génocide rwandais, entre avri1 et juillet 1994 a été l’un des plus grands drames
du siècle dernier. Le nombre de victimes est très difficile à chiffrer étant donné que le
massacre a été incroyablement rapide et que la population a été largement dispersée
pendant et après le massacre. Cependant, on estime le nombre de mort à environ un
million. Le Rwanda étant un pays de petite superficie, tous les rwandais ont été
concernés par ces atrocités de près ou de loin. C’est tout un pays qui est meurtri à jamais
par un drame de cette ampleur.
Le génocide rwandais est l’exemple typique d’une « crise humanitaire complexe »
tant ce conflit interne mêle toutes les problématiques. Son caractère éminemment
politique et sa violence extrême en font une crise représentative de la deuxième moitié
du XXème siècle. En effet, elle s’accompagne de la destruction des structures
sociopolitiques de base et des activités économiques. De plus, sa complexité est due à
son caractère imprévisible, elle a débuté très soudainement avec l’assassinat du
président Habyarimana le 6 avril 1994, et l’escalade de violence qui a suivi a été
absolument chaotique. Nous nous efforcerons de comprendre la singularité de cette crise
au regard de l’éducation.(A) Nous verrons en quoi elle est riche d’enseignements pour
ce qui est de l’éducation d’urgence en général.(B)
A) La spécificité de la crise rwandaise
La nature de cette crise est spécifique pour plusieurs raisons.
Tout d’abord par la nature particulièrement insoutenable des atrocités commises.
La plupart des crimes ont été commis avec des armes telles que des machettes qui
étaient par ailleurs des instruments de la vie de tous les jours pour cette population à
dominante rurale. La haine y était suffisamment vive pour que des centaines de milliers
de gens périssent sous des lames en l’espace de deux mois. L’ampleur de cette hostilité
est la première et la plus remarquable caractéristique de cette crise.
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105
De plus, après le génocide, la situation économique du pays était désastreuse et ne
permettait en aucun cas de relever le pays. Les coffres de l’état avaient été vidés par
l’ancien gouvernement. Les structures avaient été détruites par des sabotages, des
pillages, des déferlements de violence. « La plupart des outils et des ressources de base
pour l’école n’existaient plus à l’intérieur du Rwanda.76 »
Enfin, le système éducatif était dévasté. Beaucoup d’enseignants ont été tués dans
les massacres. Certains ont fui. Les survivants ont subi des traumatismes lourds. Dans
les massacres, 300 000 enfants ont péri. Ceux qui ont survécu souffrent de troubles
psychologiques très importants. Il s’est avéré qu’ils étaient encore plus gravement
marqués que ce que l’ont avait anticipé. Ils ont été parfois auteurs des massacres et ont
tué des amis, des voisins, des proches.
Les questions qui se posent devant une telle situation sont les suivantes : quel peut
être le rôle de l’éducation dans la reconstruction du peuple rwandais ? Quelle sorte
d’éducation ces enfants avaient-ils reçus ? Il n’est pas possible d’établir une réponse
adéquate sans comprendre précisément la nature du système éducatif avant le génocide.
« Il était clair que l’éducation du Rwanda ne pourrait plus jamais être à nouveau la
même.77» Comment inculquer de nouvelles valeurs à des enfants qui ont commis de
telles atrocités , ou qui en ont été victimes ?
1) Une tâche à première vue insurmontable
Les auteurs de violences ont dévasté prioritairement le système éducatif pendant
le génocide. Les enseignants ont été des cibles privilégiées, quand ils n’étaient pas
auteurs. Les bâtiments des écoles et du Ministère de l’éducation ont été détruits. Les
documents scolaires ont disparus. Après deux mois et demi de génocide, tout était à
refaire. Le système éducatif avant la crise présentant des défaillances qui ont participé à
la naissance de la crise, les outils d’enseignement n’étaient pas réutilisables.(a) De plus,
toutes les infrastructures ont été détruites.(b)
76 Aguilar Pilar et Richmond Mark, « Emergency educational response in the Rwandan crisis”, in Aedo-Richmond Ruth et Retamal Gonzalo (dir.), Education as a humitarian response, London, Ed. Cassel/ IBE, 1998, p. 121. (notre traduction) 77 Ibid.., p. 123. (notre traduction)
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106
a) Défaillance du système éducatif existant avant la crise
Avant la crise, 60% d’enfants en âge d’être scolarisés en primaire allaient à
l’école. Le primaire était la base du système éducatif. Seulement 10% de ces enfants
allaient dans le secondaire par la suite. Le CERAI (Centre D’éducation Rurale et
Artisanale Intégrée) était un des rouages centraux du système et dispensait pendant trois
ans après le primaire un enseignement rural et artisanal. La dernière grande réforme
datait de 1979. Elle avait introduit le Kinyarwanda comme langue officielle
d’enseignement dans les petits niveaux. Elle donnait une dimension professionnelle aux
enseignements. Le but était de réduire le nombre d’abandons scolaires ou d’échecs, et
d’augmenter l’accès à l’éducation de base, notamment en diminuant les disparités entre
les genres, entre les ethnies, ou encore entre les milieux ruraux et les milieux urbains.
Le nombre d’années d’école en primaire est passé de six à huit ans, et a été découpé en
trois cycles plutôt qu’en deux. Le troisième cycle était plus professionnalisant.
Toutefois, cette réforme de grande ampleur n’a eu qu’un succès partiel à cause du
manque de moyens pour la mettre en place. Elle n’a pas été appliquée partout et cela a
accru les disparités plutôt que de les estomper. En 1990, le gouvernement a fait un pas
en arrière et rétabli notamment la durée de six ans et les deux cycles.
Globalement, la qualité de l’enseignement était une inquiétude non résolue.
L’école n’était pas assez efficace, il manquait des manuels scolaires. Le budget était mal
réparti. Certes, il existait différentes formes d’éducation non-formelle mais le taux
d’analphabétisme au sein de la population restait très élevé. Il s’élevait à 56% en
général et à 63% pour les femmes. 23% des jeunes étaient analphabètes. De plus,
l’éducation n’était pas gratuite donc beaucoup en étaient exclus. Dans un souci
d’égalité, des quotas avaient été introduits dans le secondaire. Mais d’autres critères de
discriminations étaient à l’œuvre tels que le déclin économique, la pression
démographique, les déplacements massifs de population, la polarisation ethnique. La
situation avant la crise était donc critique et source de conflits. L’UNICEF témoignait
déjà d’inquiétudes sur l’éducation au Rwanda à cette période.
b) Des conditions d’éducation anéanties
Sur 1834 écoles existantes avant avril 1994, il en restait seulement 647 après le
génocide qui puissent être opérationnelles. Parmi celles qui n’étaient plus en état de
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servir, certaines nécessitaient d’importants travaux de rénovation, d’autres étaient
piégées par des mines. De plus, 25% des écoles étaient occupées par des réfugiés ou des
déplacés. Le ministère de l’éducation avait été lui aussi détruit. A travers la destruction
de ces différentes infrastructures, c’est la nature institutionnelle du système éducatif qui
a été réduit à néant. Si on ajoute à cela les pertes humaines s’agissant des enseignants
autant que des enfants, les traumatismes très lourds de ceux qui ont survécu, les
conditions de mise en place d’une éducation sont très loin d’être réunies. En outre, le
matériel scolaire a également été détruit. Comment apporter une réponse adéquate à une
situation à ce point chaotique ?
2) La complexité du cas rwandais
Si la réponse éducative est extrêmement complexe, ce n’est pas seulement parce
qu’il y a beaucoup à faire mais parce que les différents obstacles au droit à l’éducation
sont tous présents en même temps et que les problématiques sont imbriquées.(a) De
plus, il est extrêmement difficile immédiatement après le génocide de faire la part des
choses entre les victimes et les génocidaires. Même si les acteurs humanitaires se
doivent d’être neutres, cela est parfois difficile après de tels massacres.(b)
a) Entrecroisement de toutes les problématiques d’urgence
Dès le début des massacres, ont eu lieu des déplacements massifs de population en
direction des pays voisins comme le Burundi, la Tanzanie, le Zaïre. On estime à plus de
2 millions le nombre de personnes à avoir quitté le pays, et il faut ajouter un million de
personnes déplacées à l’intérieur du Rwanda. Les premières difficultés rencontrées
concernent donc les enfants réfugiés. Parallèlement, entre 1992 et 1994, les enfants ont
largement été victimes mais ils ont aussi été acteurs : les « enfants génocidaires »,
recrutés par la force, agissaient en bandes, notamment dans les écoles. Ils étaient tout
particulièrement sujets à la propagande anti-Tutsi. Quatre ans après le génocide, 2000
enfants de moins de 17 ans étaient derrière les barreaux, accusés de massacres.
L’UNICEF, le CICR, et d’autres essaient de les faire sortir pour les mettre dans des
centres de rééducation. Ces enfants souffrent de la maladie des « cœurs blessés »
(« imitima yarakomeretse ») : ils font des cauchemars, ont des difficultés de
concentration, sont en dépression, et vivent dans la culpabilité du drame passé.
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108
Beaucoup de ces enfants ont fui également après le massacre et ont rejoint les camps de
réfugiés le long de la frontière.
Plus de 300 000 enfants ont été massacrés entre 1992 et 1994. D’autres ont été
mutilés, violés ou réduits en esclavage. Certains ont du se cacher sous des cadavres pour
survivre. Quasiment tous ceux qui ont survécu ont été témoins d’atrocités. Beaucoup
d’entres sont restés orphelins, dans des situations économiques extrêmement précaires.
Selon ce qu’ils ont vécu pendant le génocide, ces enfants ne peuvent bénéficier de
la même réponse éducative. L’adaptation de l’éducation à la situation est donc difficile.
b) Le génocide et le principe d’impartialité
Nous l’avons vu, les acteurs de terrain des organisations humanitaires se doivent
de respecter le principe d’impartialité et de ne pas prendre partie même si certaines
situations les affectent particulièrement. Il se trouve que cette question est encore plus
compliquée lorsqu’il s’agit d’éducation. Soigner indifféremment les malades n’est pas
la même chose que confier une classe à un enseignant qui a commis des atrocités les
semaines précédentes. La gestion de la crise rwandaise a été compliquée par le brassage
rapide entre les auteurs et les victimes des massacres. Pour ce qui est de la remise en
place de l’éducation, il a été très difficile de faire la part des choses dans le recrutement
des professeurs. De plus, les enfants victimes de violences et ceux qui en ont été acteurs
ne nécessitent sans doute pas le même type de réponse, même si la frontière était parfois
moins nette que cela. Cette interrogation sur le positionnement à adopter a fait la
spécificité de la gestion du génocide rwandais. Comment les réponses ont-elles été
mises en place ?
B) Mise en place d’une réponse rapide
Devant l’ampleur et la violence des massacres, une réponse éducative était
nécessaire, ne serait-ce que pour anticiper sur les traumatismes futurs et pour
commencer à réintroduire de nouvelles valeurs. Mais surtout, « l’éducation symbolise
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109
un engagement pour le futur, chose que le passé récent des horreurs du Rwanda rendait
plus précieuse que jamais. 78»
Le Rwanda n’avait pas seulement besoin de restauration après le génocide mais
d’une réelle innovation, tout était à refaire, même s’il était nécessaire de maintenir une
continuité dans le changement. Nous verrons les stratégies qui ont été adoptées et la
manière dont elles ont été réalisées dans le cas du camp de Ngara, en Tanzanie.
1) Les stratégies adoptées
Pendant la crise, c’est l’UNICEF qui a coordonné les réponses éducatives, en
collaboration avec l’UNESCO et notamment le programme d’éducation d’urgence dit
PEER. La première a consisté à réinvestir les écoles. Beaucoup d’entre elles avaient été
piégées par les mines. Des programmes d’éducation sur les mines antipersonnelles ou
sur le choléra ont rapidement été mis en place.
La deuxième phase a consisté à fournir des manuels révisés voire refaits, ainsi
que des fournitures scolaires, à réhabiliter les structures administratives et à remettre sur
pied un Ministère de l’éducation primaire et de l’éducation secondaire (MINEPRISEC),
le but étant de réinitialiser des processus de moyen ou long terme avec la mise en place
de cours de civisme dans les programmes scolaires, de camps de solidarité jeunesse, et
d’un plan d’alphabétisation pour les femmes. « Le système éducatif devait repartir à
zéro.79 »
Entre septembre et décembre 1994, 1600 écoles avaient été réouvertes. C’est dire
la volonté des autorités. Cette année scolaire n’a pas été plus longue, pour que la
suivante puisse se dérouler de la manière la plus ‘’normale’’ qui soit. Au début de
l’année 1995, une grande campagne de prévention sur le choléra a été mise en place
grâce à un système de formations en cascades, suite a des épidémies très importantes en
1994. 30 000 enfants ont également raconté leur histoire à un conseillé dans le cadre du
programme de guérison des traumatismes, etc.
78 Ibid.. , p. 123. (notre traduction) 79 Ibid. , p. 129. (notre traduction)
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110
2) Le modèle du programme Ngara, dans un camp tanzanien80
Le camp de Ngara était un point clé de la situation rwandaise. C’était un camp situé
de l’autre côté de la frontière tanzanienne. Au lendemain du génocide, en 24 heures,
250 000 personnes ont émigré en Tanzanie. En tout, 470 000 personnes sont venues se
réfugier dans la région. A l’époque, c’était le camp de réfugié le plus important.
Beaucoup de réfugiés étaient des Hutus ayant participé au massacre. De peur des
représailles, ils ont fui au cours ou juste après le génocide. Le camp de Ngara est tout
d’abord exemplaire par la collaboration entre le HCR, l’UNICEF, l’UNESCO et
d’autres ONG. Au départ, le gouvernement était réticent mais il a fini par approuver les
programmes engagés même s’il est resté inactif. Dans le domaine de l’éducation, cette
coopération a permis d’assurer une réponse uniforme auprès de l’ensemble des enfants
en âge d’être scolarisés dans le primaire, avec à terme l’objectif de favoriser le
rapatriement des personnes dans leur pays d’origine. « En fait, une grande partie de la
signification du ‘modèle Ngara’ tient au fait qu’il fournit un exemple d’une
incorporation énergique, systématique et rapide des réfugiés dans une réponse
d’urgence81. »
Le développement de cette réponse adaptée au camp de réfugiés à reposer sur une
autogestion des acteurs à tous les niveaux. Des Comités d’autogestion ont été institués,
des directeurs d’écoles désignés par la population.
La première phase permettait de gérer l’immédiateté. Elle devait se faire en
l’absence de moyens et était une phase récréative. Il s’agissait de regrouper les enfants
et les enseignants et de mettre en place des activités ludiques afin de les resocialiser et
de les faire s’exprimer.
Dans un deuxième temps, un grand nombre de TEP ont été distribués (300 kits)
après avoir été traduits en Kihnyarwanda, langue du Rwanda. Les TEP sont des « sortes
de trousses de première urgence pour les enseignants.82 ». Le but était de permettre aux
populations locales de commencer une réponse éducative sans l’appui du gouvernement.
Une réponse a pu être mise en place en un mois. Le premier objectif du TEP est d’initier
les enfants illettrés à la lecture, à l’écriture et au calcul. Le TEP est conçu 80 Pour une analyse plus détaillée de cette situation, voir Bird Lindsay, Surviving school, education for refugee children from Rwanda 1994-1996, UNESCO, 2003. 81 Aguilar Pilar et Richmond Mark, op. cit., 1998, p. 135. (notre traduction) 82 Sinclair, op. cit., p. 48.
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spécifiquement pour favoriser les programmes d’éducation non-formelle en situation
d’urgence. Le TEP est aussi appelé ‘‘school-in-a-box’’ ou ‘‘mobile classroom’’. Le TEP
est un moyen provisoire, qui s’est avéré relativement efficace, pour démarrer une
réponse éducative là où les écoles sont inopérantes. Il nécessite tout de même la
formation de personnes capables de l’utiliser même si un guide est présent à l’intérieur,
traduit dans la langue du pays. Pour une réponse la plus rapide qui soit, des formations
en cascades sont organisées. Même si cela est très insuffisant en ce qui concerne la
formation des enseignants, cela permet de faire face à l’urgence.
Dans une troisième phase des structures pour investir l’avenir ont été mises en place.
Du matériel éducatif familier a été distribué ainsi que des manuels rwandais afin de
favoriser la réintégration. Certains enseignants ont reçu une formation complémentaire
concernant les traumatismes psychologiques des enfants. Le succès de ces programmes
a été tel que le ministère a ensuite mis en place un programme national de reconstruction
psychologique.
Durant ces différentes phases, les ONG supportaient aussi des initiatives locales en
fonctions de plusieurs critères : l’initiative devait intégrer les groupes défavorisés,
contribuer au développement des talents, ne pas nécessiter de fonds spéciaux de la part
des ONG, ne pas être en concurrence avec le système éducatif tanzanien du point de vue
économique, répondre aux besoins psychosociaux, et favoriser le rapatriement des
personnes dans leur pays.
En tout, ce sont 40 écoles qui ont été construites à Ngara, 60 000 enfants ont été pris
en charge, dont 60% dans les trois premiers degrés d’enseignement. Les élèves étaient
environ 50 par classe, allaient à l’école 5 fois par semaine. Il y avait 30 classes par
école. Les horaires étaient découpés en trois plages horaires pour établir des roulements
journaliers afin de garantir l’accès pour tous. Ces horaires ont d’ailleurs posé problèmes
parce qu’ils n’étaient pas toujours adaptés aux modes de vie. La plupart des enseignants
étaient rwandais. Des communautés de parents ont été formées dans chaque école et la
population a été encouragée dans le rôle qu’elle avait à jouer en matière d’éducation.
Dans chaque école, au moins un enseignant était formé aux problématiques
psychosociales. Une grande campagne de prévention du choléra a également été mise en
place.
En fait le plan prévu au départ n’a pas été suivi à la lettre et des imprévus ont
nécessité quelques adaptations. Quoi qu’il en soit, c’était incontestablement un grand
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succès en matière d’éducation d’urgence. Ce modèle s’est ensuite étendu aux autres
camps alentours du Rwanda, ainsi qu’à l’intérieur du pays lui-même.
3) Les leçons du cas rwandais
La première des conclusions à tirer de ces expériences qui présentent des
réussites mais aussi des limites, est qu’une réponse éducative rapide est possible en
situation d’urgence et que ces situations ne doivent pas être exclue du droit à l’éducation
pour tous. Plus les efforts des différents acteurs sont coordonnés, comme c’était le cas
dans le camp de Ngara, plus les programmes ont des chances d’aboutir.
L’expérience de Ngara a en fait été conçue à partir des autres actions
humanitaires dans les domaines de la santé, de l’alimentation ou autres. Elle présente
toutefois des limites, au niveau des financements par exemple. De plus, des outils
d’évaluation plus performants seraient utiles à son adaptabilité. « L’impact technique de
l’éducation comme outil de transformation des comportements et des attitudes d’une
population illettrée ou semi-illétrée affectée par le choléra ou la menace des mines, et
en général par le traumatisme de la guerre, a besoin d’être encore plus évaluée. 83 »
Le Rwanda a ratifié la Charte des droits et du bien-être de l’enfant en
2001. Le droit à l’éducation a également été inscrit dans la Constitution de la
République du Rwanda en 2003.84 La politique éducative de l’après-guerre a contribué à
la promotion de l’unité nationale et de la réconciliation, en mettant l’accent sur l’égalité
des droits à fournir l’éducation et à y accéder et en encourageant la culture humanitaire
fondée sur l’intégration et le respect mutuel. La discrimination a été bannie et la
classification des étudiants et des professeurs en Hutu, Tutsi et Twa abandonnée. Les
83 Aguilar Pilar et Richmond Mark, op. cit., p. 139. (notre traduction) 84 Constitution de la République du Rwanda, adoptée par les Rwandais lors du Référendum du 26 mai 2003 tel que confirmé par la Cour Suprême dans son Arrêt n°772/14.06/2003 du 02/06/2003 disponible sur : http://droit.francophonie.org/df-web/publication.do?publicationId=4281. Selon l’article 40, « - Toute personne a droit à l'éducation. - La liberté d'apprentissage et de l'enseignement est garantie dans les conditions déterminées par la loi. - L'enseignement primaire est obligatoire. Il est gratuit dans les établissements publics. - Pour les établissements conventionnés, les conditions de gratuité de l'enseignement primaire sont déterminées par une loi organique. - L'Etat a l'obligation de prendre des mesures spéciales pour faciliter l'enseignement des personnes handicapées. - Une loi organique définit l'organisation de l'Education. »
- -
113
enfants ont été inscrits massivement et rapidement dans les écoles primaires après le
génocide. Des aides ont été apportées aux enfants en difficulté.
Néanmoins, Pour Anna Obura85 en 2003, un enfant sur quatre n’avait pas
accès à l’école, les enfants défavorisés ou les filles ayant un enfant à leur charge étaient
encore exclus du système. Les disparités n’avaient donc pas disparues. Depuis la fin du
génocide, les progrès accomplis en matière d’éducation au Rwanda sont incontestables
et les programmes mis en place dans le cas d’une réponse rapide après le génocide ont
contribué à ce progrès. Mais les objectifs de l’EPT ne sont pas atteints. En 2005, selon
l’UNESCO, l’indice du développement de l’éducation pour tous (IDE)86 était de 0,7 sur
1, ce qui est considéré comme un IDE bas.
85 Obura Anna, Never Again: Educational Reconstruction in Rwanda, UNESCO/IIEP, 2003. Anna Obura tire dans cet ouvrage les leçons de la crise rwandaise et établit les lacunes qui restent à combler par l’Etat. 86 « Conformément au principe selon lequel chaque objectif doit être considéré également important, un indicateur unique a été choisi comme mesure approchée de chacune des quatre composante suivantes : taux net de scolarisation dans l’enseignement primaire, taux d’alphabétisation de la population agée de 15 ans ou plus, qualité de l’éducation : taux de survie en 5e année de l’enseignement primaire, indice de parité entre les sexes. », in UNESCO, Rapport mondial de suivi sur l’EPT 2005, éducation pour tous, l’exigence de qualité, UNESCO, 2004.
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114
CONCLUSION
Dans les situations d’urgence, comme celle qui a dévasté le Rwanda à partir de
1994, plusieurs questions se posent au droit à l’éducation. Nous avons vu comment ce
droit était tiraillé entre le pragmatisme de la logique purement humanitaire et
l’idéalisme des droits de l’homme. Le premier n’entrevoit que des obstacles au droit à
l’éducation pour tous, là où le second y voit un enjeu fondamental. L’effectivité de ce
droit paraît illusoire quand on est confronté à des contextes chaotiques. Du manque de
moyen aux traumatismes des individus et notamment des enfants, de l’insécurité à la
précarité, la place de l’éducation semble compromise. Le temps qui serait nécessaire
pour affronter ces difficultés ne lui est pas donné. De plus, là où l’éducation demande
des hommes libres, tout les aliène. Là où elle a pour ambition d’ouvrir un monde, tout
est fermé. Si tout est hostile à l’éducation dans l’urgence, il paraît vain de brandir un
droit abstrait. Ainsi le pragmatisme nous mènerait tout d’abord inéluctablement à
renoncer à un des droits les plus fondamentaux qui soient, non par absence de
conviction, mais par aveu d’impuissance.
Si les oppositions entre l’éducation et l’urgence paraissent indépassables, c’est
parce que la question mérite d’être déplacée. Il n’y a pas d’un côté une logique idéaliste
qui voudrait que le droit à l’éducation soit défendu et appliqué envers et contre tout et
de l’autre une logique pragmatique, empreinte de lucidité, considérant que cette utopie
est intenable. Au regard de la légitimité du droit à l’éducation en situations d’urgence,
ce qui distingue ces deux attitudes n’est pas essentiellement une différence de logique,
elles reposent simplement sur des présupposés différents.
C’est la mise en oeuvre du droit à l’éducation, dont nous faisons le parti de ne
plus contester la légitimité, qui appelle à reconsidérer ces tensions. Comme nous l’avons
vu dans la mise en place de programmes comme les TEP, il s’agit de ne pas transiger
sur des exigences fondamentales (universalité, qualité, …) tout en s’adaptant aux
situations concrètes. Il ne s’agit donc pas ici de dénoncer le pragmatisme, bien au
contraire. En réalité, la reconnaissance d’un droit universel comme l’éducation oblige
même immédiatement à interroger les situations à se demander comment rendre effectif
un droit qui paraît abstrait. Il s’agit de se demande comment l’incarner, une fois qu’il est
reconnu. C’est à partir de cette question que doit être considérée celle de la temporalité
dont nous avons montré le caractère essentiel.
- -
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Comment rendre compatible la prise en compte de la nature processuelle de
l’éducation avec une réponse rapide lors d’une situation de crise ? L’intégration de la
question du développement des individus au cœur même de l’urgence modifie la nature
intrinsèque de celle-ci. Il infléchit également tout ce qui va suivre. Le projet que
contient toute éducation fait tendre la situation d’urgence vers son dépassement.
Dans ce cas, non seulement le droit à l’éducation doit avoir sa place dans une telle
situation mais plus encore c’est parce que la situation est dramatique que l’éducation est
essentielle. Le pari du droit à l’éducation pour tous est précisément de postuler que
l’éducation est au fondement de toute résolution de crise ou de toute reconstruction. Elle
permet aux enfants et aux jeunes de retrouver de l’espoir et la volonté de vivre, de
prévenir les risques qu’ils encourent (recrutement dans les groupes armés, terrorisme,
banditisme, drogue, VIH…), de reconstruire une nouvelle vision du monde et de se
projeter dans l’avenir. Elle peut être utile à la résolution d’un conflit en cours en
promouvant la paix et les droits de l’homme. Enfin, elle est l’occasion de changer les
logiques éducatives préexistantes et notamment les contenus qui engendrent parfois de
la violence. Certes l’éducation d’urgence se met en place dans des conditions très
particulières et sort du cadre de l’action planifiée ou formelle (différence de moyens, de
méthodes, de délais, d’objectifs, de priorités…) mais cela ne signifie pas que toute
vision prospective en est absente. L’opposition radicale entre les temporalités de
l’urgence et celle de l’éducation, qui sont inextricablement liées, est intenable. Dans un
monde où 150 conflits ont éclaté depuis la seconde guerre mondiale, comment mener un
projet à long terme sans y intégrer la résolution de ces situations d’urgence ? La
situation d’urgence n’est pas une situation hors du temps et qui doit en être écartée, elle
a un impact sur le présent mais aussi sur le futur. En matière d’éducation, les
problématiques liées à l’urgence et celles qui sont liées au développement sont
imbriquées.
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spécialisée interaméricaine des droits de l’homme le 22 novembre 1969, et entrée en vigueur 18 juillet 1978.
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124
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, adoptée par le Conseil de l’Europe le 4 novembre 1950, entrée en vigueur le 3 septembre 1953.
- Autres documents
Bansalah Kacem, Bokhari Saba, Commisso Angela, Nacer Fatma Hadj et Sinclair Margaret, Forum de Dakar, Senegal, 26-28 april 2000, Paris, UNESCO, 2001. Bensalah Kacem, Guidelines for Education in Situations of Emergency and crisis, EFA
Strategic planning, Ed. UNESCO, 2002. Cadre d’action de Dakar, Education pour tous : Tenir nos engagements collectifs, Texte
adopté au Forum mondial sur l'éducation Dakar, Sénégal, 26-28 avril 2000. Conférence mondiale sur l’éducation pour tous, Répondre aux besoins éducatifs
fondamentaux : une vision pour les années 90, adopté à Jomtien, 5-9 mars 1990. Déclaration des ONG sur l'Education pour tous, adopté à Dakar, 25 avril 2000.
HCR. Refugee Children: Guidelines on Protection and Care. Geneva: HCR, 1994.
HCR (1995): Revised Guidelines for Educational Assistance to Refugees, Genève, HCR. IIPE, L’éducation en situations d’urgence, le défi de la reconstruction, Lettre d’information
de l’IIPE • Juillet – septembre 2002. INEE, Normes minimales d’éducations en situations d’urgence, de crises et de
reconstruction, INEE, 2004. Sphère, Charte humanitaire et normes minimales pour les interventions lors des
catastrophes, Genève, Le Projet Sphère, 2004, (première version en 2000).
UNESCO, Cadre d’action de Dakar, L’éducation pour tous : tenir nos engagements collectifs, 2000.
UNESCO, Education pour tous, une stratégie internationale pour rendre opérationnel le Cadre d’action de Dakar sur l’Education pour tous (EPT), UNESCO, 2002.
UNESCO, Education in Situations of Emergency, Crisis and reconstruction, UNESCO Strategy, UNESCO, 2003.
UNESCO, Droit à l’éducation et à la protection de l’enfant, recueil de textes normatifs et conventions de l’UNESCO, Paris, UNESCO, 2005.
UNESCO, Droit à l’éducation et à la protection de l’enfant, recueil de textes normatifs et
conventions internationales et régionales, Paris, UNESCO, 2006.
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Jurisprudence
CIJ, Affaire de la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, Recueil 1996. CIJ, Affaire du Détroit de Corfou, Recueil 1949.
Sources électroniques
Site de l’UNESCO http://www2.unesco.org Site de l’UNICEF http://www.unicef.org Site de l’INEE http://www.ineesite.org Site de l’IIPE: http://www.unesco.org/iiep/fre Site du Pôle de Dakar http://www.poledakar.org Site du Comité des droits de l’homme http://www.unhchr.ch/french/html/menu2/6/hrc_fr.htm Site du Comité des droits de l’enfant http://www.ohchr.org/french/bodies/crc/ Site du HCR http://www.unhchr.ch Site de l’Union africaine www.africa-union.org Site de la Banque mondiale http://www.worldbank.org Site des Objectifs du Millenium www.un.org/french/milleniumgoals Site des Objectifs de Dakar www.unesco.org/education/wef/fr_index.htm Site du ministère des affaires étrangères : http://www.diplomatie.gouv.fr
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ABREVIATIONS ET ACRONYMES CDE CEDH CESDH CIJ CICR DCP DDE DDHC DESC DIDH DIH DIP DMEPT DUDH EPT HCR INEE MSF OMD ONG ONU OUA
Convention relative aux Droits de l’Enfant Cour Européenne des Droits de l’Homme Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales Cour Internationale de Justice Comite International De La Croix Rouge Droits Civils et Politiques Déclaration des Droits de l’Enfant Déclaration des droits de l’homme et du citoyen Droits Economiques, Sociaux et Culturels Droit International des Droits de l’Homme Droit International Humanitaire Droit International Public Déclaration Mondiale sur l’Education Pour Tous Déclaration Universelle des Droits de l’Homme Education Pour Tous Haut Commissariat aux Réfugiés Inter-Agency Network of Emergency Education Réseau inter agence d’éducation d’urgence Médecins Sans Frontières Objectifs du Millénaire pour le Développement Organisation non gouvernementale Organisation des Nations Unies Organisation de l’Unité Africaine (remplacée par l’Union Africaine en 2002)
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PAM PIDESC TEP UNDRO UNESCO UNICEF
Programme Alimentaire Mondial Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux Et Culturels Teaching Emergency Package Pack d’éducation d’urgence Organisation des Nations Unies pour le Secours aux catastrophes United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization Organisation des Nations Unies pour l'Education, la Science et la Culture United Nations Children's Fund Fonds des Nations Unies pour l'Enfance
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TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION 1
PARTIE I LES OBSTACLES AU DROIT A L’EDUCATION EN SITUATIONS
D’URGENCE 8
CHAPITRE I Les conflits normatifs du droit à l’éducation en situations d’urgence 9
Section 1 La confrontation entre le droit humanitaire et les droits de l’homme 9 A/ Le flou juridique de l’urgence et la complexité du droit humanitaire 10
1) L’urgence : un concept aux contours imprécis 10 a) Définition négative de l’urgence comme absence de dignité 10 b) Définition évolutive de l’urgence 11
2) L’ensemble juridique complexe du droit humanitaire 12 a) Les sources conventionnelles 12 b) Les sources coutumières 14 c) Les « standards fondamentaux d’humanité » 16 d) Les limites du droit humanitaire en situations d’urgence 17
B/ Droits de l’homme et droit humanitaire : conflits ou convergence 18 1) La tendance séparatiste 19 2) La tendance « complémentariste » 20 3) La tendance intégrationniste 21
Section 2 La reconnaissance tacite d’un droit à l’éducation en situations d’urgence 23 A/ La question de l’éducation ignorée par le droit humanitaire 23
1) La place de l’éducation dans les Conventions de Genève 23 2) Tendance à une interprétation de plus en plus large des ambitions humanitaires 25
B/ La prise en compte de l’urgence par le droit à l’éducation pour tous 26 1) Emergence du droit à l’éducation pour tous 26
a) 1948-1989 : Le droit à l’éducation érigé en droit de l’homme 26 b) 1990-2000 : L’émancipation du droit à l’éducation 29 c) 2000 : Les objectifs de Dakar 30
2) Les inquiétudes de la Communauté internationale quant au respect de l’EPT dans les situations
d’urgence 31 a) Apparition de ces inquiétudes dans les années 1990 32 b) L’avertissement du cadre d’action de Dakar 33
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CHAPITRE II Confrontation des temporalités de l’éducation et de l’urgence 34
Section 1 L’impossibilité de penser l’éducation dans des contextes obéissant aux seules règles du présent 34 A/ Les enjeux de l’éducation 35
1) Développement individuel et développement collectif 35 a) Le postulat de la liberté humaine 36 b) Le postulat de la perfectibilité 37
2) Education et valeurs 38 a) L’exigence éthique de l’éducation 38 b) Entre valeurs particulières et valeurs universelles 39
B) L’éducation et l’urgence : deux temporalités hétérogènes 40 1) Le temps, fondement de l’éducation 41
a) L’éducation comme mémoire 41 b) L’éducation, ouverture au monde 42
2) L’urgence et le règne de l’immédiat 43 a) L’urgence comme rupture dans la temporalité du monde 43 b) L’urgence prisonnière du présent pur 44
Section 2 L’incarnation des conflits de temporalités dans des situations concrètes 45 A/ Les obstacles à l’éducation dans les camps de réfugiés 46
1) L’absence de repères 47 a) Des individus déracinés 47 b) L’insécurité des camps 47
2) Entre transition et durée 48 a) Des « crises humanitaires prolongées » 49 b) Le cas des camps de réfugiés au Tchad 50
B/ Les traces de l’urgence après l’urgence 51 1) Une reconstruction matérielle difficile 52
a) Des moyens anéantis 52 b) Des situations économiques désastreuses 53
2) Des traumatismes durables 53 a) Les enfants-soldats : une rééducation difficile 55 b) Des individus traumatisés, prisonniers de leur passé 57
PARTIE II LE DEPASSEMENT DES OBSTACLES AU DROIT A L’EDUCATION EN
SITUATIONS D’URGENCE 59
CHAPITRE I Les possibilités de mise en oeuvre du droit à l’éducation en situations d’urgence 59
Section 1 L’ingérence humanitaire et la question de l’éducation 59 A/ La souveraineté étatique face au principe d’humanité 60
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I) Définition de la souveraineté 60 a) L’Etat moderne et la souveraineté 60 b) Le principe de souveraineté en droit international 62
2 ) Evolution du droit international et remise en cause du caractère absolu de la souveraineté 65 a) Emergence d’un nouveau sujet en droit international : l’individu 65 b) L’humanité : émergence d’une nouvelle sphère d’intégration des individus 67
B) Le devoir d’ingérence humanitaire au nom des droits de l’homme 69 1) L’exigence humanitaire face à la souveraineté 69
a) Du droit d’intervention au « droit d’ingérence » 70 b) Le droit à l’assistance humanitaire 72
2) L’éducation d’urgence, une nouvelle forme d’ingérence 74 a) L’éducation, compétence nationale par excellence 74 b) Le droit à l’éducation indissociable de l’ensemble juridique des droits de l’homme 76
Section 2 Les mécanismes nécessaires à la mise en oeuvre du droit à l’éducation en situations d’urgence 78 A) Les acteurs 79
1) Les Etats et les institutions intergouvernementales 80 2) Les organisations non gouvernementales 81 3) Les acteurs locaux 83
B) Les mécanismes normatifs permettant une réponse rapide 84 1) Un système de régulation conciliant principes et pragmatisme 85
a) La Charte humanitaire du projet Sphère 86 b) Les normes minimales d’éducation en situation d’urgence 87
2) Les dilemmes de l’éducation d’urgence 88 a) Difficultés d’évaluation 89 b) Entre réponse rapide et réponse durable 89
CHAPITRE II La transformation de la définition de l’urgence par la mise en œuvre du droit à
l’éducation 92
Section 1 L’impact global de l’éducation sur l’urgence 92 A) L’exigence de qualité au cœur -même de l’urgence 93
1) Définition de la qualité, un des principaux objectifs de Dakar 93 a) Définition de la qualité 94 b) Outils d’évaluation 95
2) La réintroduction de valeurs nécessaire à la sortie de crise 96 a) L’éducation à la santé 96 b) L’éducation à la paix et aux droits de l’homme 97
B) La nécessité de perspectives de reconstruction à long terme 99 1) Du programme au projet 99 2) Une nouvelle forme de temporalité dans l’urgence 101
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Section 2 Evaluation d’un cas particulier : l’éducation après le génocide Rwandais 104 A) La spécificité de la crise rwandaise 104
1) Une tâche à première vue insurmontable 105 a) Défaillance du système éducatif existant avant la crise 106 b) Des conditions d’éducation anéanties 106
2) La complexité du cas rwandais 107 a) Entrecroisement de toutes les problématiques d’urgence 107 b) Le génocide et le principe d’impartialité 108
B) Mise en place d’une réponse rapide 108 1) Les stratégies adoptées 109 2) Le modèle du programme Ngara, dans un camp tanzanien 110 3) Les leçons du cas rwandais 112
CONCLUSION 114
BIBLIOGRAPHIE 116
ABREVIATIONS ET ACRONYMES 126