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DAURELLES Magali Université Lyon II Lumière Département de Droit et Sciences Politiques Le droit à l’éducation pour tous face au temps de l’urgence Vers une nouvelle approche des crises humanitaires Mémoire de Master 2 de Droit, mention « Droits de l’homme », soutenu le 5 juillet 2007 en présence de Mme Edith Jaillardon, professeure à l’Université Lyon II Lumière. Direction : Mme Geneviève Iacono , maître de conférence à l’Université Lyon II Lumière. Année universitaire 2006/2007

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DAURELLES Magali Université Lyon II Lumière Département de Droit et Sciences Politiques

Le droit à l’éducation pour tous face au temps de l’urgence

Vers une nouvelle approche des crises humanitaires

Mémoire de Master 2 de Droit, mention « Droits de l’homme », soutenu le 5 juillet 2007 en présence de Mme Edith Jaillardon, professeure à l’Université Lyon II Lumière. Direction : Mme Geneviève Iacono, maître de conférence à l’Université Lyon II Lumière.

Année universitaire 2006/2007

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Remerciements

Merci à Madame Geneviève Iacono pour ses conseils au cours de l’élaboration de ce travail. Merci à Anne-Laure Debon, Yassin El Shazly et bien sûr à Julie D’Haussy pour leur présence et leur amitié si précieuse. Merci à ma mère et à Jean-Pierre Berthet pour leur patience et leur soutien sans faille.

En couverture : photo de Louise Gubb prise au Malawi, UNICEF.

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SOMMAIRE INTRODUCTION 1 PARTIE I : LES OBSTACLES AU DROIT A L'ÉDUCATION EN SITUATIONS

D'URGENCE 8

CHAPITRE I Les conflits normatifs du droit à l'éducation en situations d'urgence 9

Section 1 La confrontation entre le droit humanitaire et les droits de l'homme 9

Section 2 La reconnaissance tacite d'un droit à l'éducation en situations d'urgence 23 CHAPITRE II Confrontation des temporalités de l'éducation et de l'urgence 34

Section 1 L'impossibilité de penser l'éducation dans des contextes obéissant aux seules règles du présent 34

Section 2 L'incarnation des conflits de temporalités dans des situations concrètes 45 PARTIE II : LE DÉPASSEMENT DÉS OBSTACLES AU DROIT A

L'ÉDUCATION EN SITUATIONS D'URGENCE 59

CHAPITRE I Les possibilités de mise en oeuvre du droit à l'éducation en situations d'urgence 59

Section 1 L'ingérence humanitaire et la question de l'éducation 59

Section 2 Les mécanismes nécessaires à la mise en oeuvre du droit à l'éducation en situations d'urgence 78

CHAPITRE II La transformation de la définition de l'urgence par la mise en oeuvre du droit à

L'éducation 92

Section 1 L'impact global de l'éducation sur l'urgence 92

Section 2 Évaluation d'un cas particulier : l'éducation après le génocide Rwandais 104

CONCLUSION 114 BIBLIOGRAPHIE 116 ABRÉVIATION ET ACRONYMES 126

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INTRODUCTION

Il existe aujourd’hui 76,8 millions d’enfants non scolarisés dans le monde1.

Beaucoup d’autres reçoivent des enseignements de mauvaise qualité ou insuffisants

pour leur permettre d’acquérir les aptitudes nécessaires à leur développement, à leur

autonomie. Par défaut d’éducation, 781 millions d’adultes sont analphabètes2. Les

individus vivant dans les pays les plus pauvres ont statistiquement moins de chances

d’accéder à un enseignement scolaire de qualité et la disparité entre les filles et les

garçons s’y ressent de manière particulièrement forte3. Pourtant, c’est dans les pays qui

en auraient le plus besoin, les pays en développement, que l’éducation manque le plus.

C’est dans les situations où elle pourrait jouer un rôle crucial qu’elle est le plus difficile

à mettre en place.

Depuis la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) du 10

décembre 1948, dans laquelle sont rassemblés droits civils et politiques (DCP) et droits

économiques, sociaux et culturels (DESC), le droit à l’éducation est reconnu comme

fondamental. « Toute personne a droit à l’éducation »4.

Le statut juridique du droit à l’éducation depuis cette date, comme celui des

DESC en général, est en perpétuelle évolution et revêt des contours ambigus. La

reconnaissance de ce droit au niveau international est laborieuse. S’il prend une

dimension universelle à partir de 1948 dans la DUDH, il n’occupera une place

autonome dans le paysage juridique des droits de l’homme qu’à partir des années 1990.

La mise en oeuvre du droit à l’éducation est un des plus grands défis de notre siècle.

1 Selon les techniques statistiques utilisées, le nombre d’enfants non-scolarisés n’est pas le même. L’institut statistique de l’UNESCO (ISU) pour l’année 2004 considère que ce chiffre s’élève à 76, 8 millions dont 57% de filles en 2004. Ces données sont disponibles sur : http://www.uis.unesco.org/ev_fr.php?ID=6804_201&ID2=DO_TOPIC. Les données de l’UNICEF donnent des chiffres plus élevés. Il y aurait 115 millions d’enfants non scolarisés en 2005. Elles peuvent être consultées sur http://www.unicef.fr/accueil/sur-le-terrain/themes/education--citoyennete/education/var/lang/FR/rub/433/articles/578.html#. 2Données de l’UNESCO pour 2004 disponibles sur : http://www.uis.unesco.org/ev.php?URL_ID=6401&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201. 3 Selon l’UNESCO, 57% des enfants non scolarisés sont des filles et 64% des adultes analphabètes sont des femmes. La disparité entre les sexes est encore plus importante dans les pays en développement. 4 Déclaration Universelle des droits de l’Homme, adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations-Unies, article 26, disponible sur http://www.un.org/french/aboutun/dudh.htm.

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Affirmer un droit à l’éducation pour tous, c’est essentiellement affirmer le devoir pour

l’humanité d’éduquer ses enfants, quels qu’ils soient et dans quelque situation que ce

soit. Sa mise en œuvre est en construction et nous verrons que les obstacles sont à la

mesure de ses enjeux. Poser un droit universel à l’éducation, c’est dire que toute

personne a le droit de recevoir tous les outils nécessaires à la compréhension du monde

qui l’entoure, à son développement personnel, et à son épanouissement. Mais l’article

26.2 de la DUDH va plus loin, « L’éducation doit viser au plein épanouissement de la

personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des

libertés fondamentales. » L’éducation est donc définie par un contenu de valeurs, en

même temps qu’elle devient un droit universel et toute la trajectoire du droit à

l’éducation va s’appliquer à associer ces deux faces d’une même ambition : une

éducation pour tous et une éducation dont les contenus sont porteurs de valeurs. Il s’agit

de rendre compatible l’aspect quantitatif et l’aspect qualitatif de l’éducation. Précisons

tout d’abord ce que nous entendons par éducation.

Il nous faut distinguer le concept d’éducation de celui d’instruction. L’instruction

désigne un processus de transmission de connaissances reposant sur une relation

hiérarchisée entre un maître et un élève. Elle renvoie à une vision quantitative du

phénomène d’apprentissage. Le postulat de l’instruction est que plus un individu

acquiert de connaissances, meilleur il est. Autrement dit la quantité de savoir produirait

de la qualité éducative. Le concept d’instruction, qui vient du latin instruere, bâtir, et le

concept d’éducation ne sont pas antagonistes mais l’instruction n’est à notre sens qu’une

des déclinaisons possibles de l’éducation.

Il en est de même pour le concept de formation qui est de plus en plus utilisé

aujourd’hui. La formation consisterait à aider un enfant ou un individu à acquérir des

compétences en vue d’une fonction, d’une profession. La formation sert souvent

aujourd’hui à désigner la manière dont quelqu’un acquiert telle ou telle compétence, on

parle d’ailleurs beaucoup de formation professionnelle, ou qualifiante. Elle prépare un

individu à une fonction prédéfinie, sociale ou professionnelle. Or, l’éducation ne vise

pas seulement à établir des compétences mais bien plutôt des aptitudes : la compétence

est quelque chose que l’on possède et qui est éphémère, l’aptitude est une potentialité

inhérente à ce que nous sommes.

L’éducation comprend les concepts d’instruction ou de formation mais sa portée

va bien au-delà. Il ne s’agit pas d’apprendre à avoir telle ou telle connaissance, tel ou tel

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savoir-faire, telle ou telle compétence mais d’apprendre à être5. Cela ne fait pas

seulement de l’éducation un concept plus large, cela lui confère une signification

singulière. Autrement dit, la visée de l’éducation n’est pas extérieure à l’individu. « Le

concept d’éducation est le plus englobant de tous ceux qui touchent à la formation de

l’homme6 » Le concept de formation est à la fois celui qui dans son sens originel est le

plus proche de l’idée d’éducation mais aussi celui qui peut en être détourné le plus

facilement. L’éducation doit être formation au sens fort du terme, au sens de

transformation et non d’information7. « Acquérir un objet extérieur à lui signifie, pour

l’apprenant, l’intérioriser en le transformant pour en faire son bien propre.8 »

L’éducation est le processus même de formation de l’individu et il n’a d’autre fin que

lui-même. « Former se préoccupe du sujet de l’éducation : ce qui est appris fait partie

de lui, le définit, lui donne forme.9 »

Le concept d’éducation est donc englobant du point de vue de sa visée : il vise à

apprendre à être, nous y reviendrons, et non seulement à savoir ou à avoir. Tous les

autres buts de l’éducation doivent être subordonnés à cette première visée qui est le

développement de l’individu et avec lui des hommes et du monde.

Mais le concept d’éducation est aussi celui qui désigne le plus largement tous les

processus d’apprentissage dans leur forme. L’instruction et la formation, au sens

contemporain du terme, renvoient plus ou moins pour nous à l’éducation formelle. Elles

supposent l’existence de systèmes d’enseignement. Le concept d’enseignement fait

référence à la méthode. Il constitue un angle d’approche particulier du phénomène

éducatif. Nous entendons par éducation formelle un mode d’apprentissage qui repose

sur une intention d’éduquer, des objectifs, des méthodes, et qui peut faire système.

L’éducation formelle, et notamment l’école, est au cœur de toutes les exigences

éducatives et le droit à l’éducation qui s’adresse aux Etats et aux institutions vise

5 Faure Edgar et al., Apprendre à être, rapport de la Commission internationale sur le développement de l’éducation, Paris, UNESCO/ Fayard, 1972. 6 Vieillard-Baron Jean-Louis, Qu’est-ce que l’éducation ?, Montaigne, Fichte et Lavelle, Ed. Vrin, coll. Pré-textes, 1994, p 9. 7 Informer signifie littéralement donner une forme préétablie, en fonction d’un modèle ou d’une idée. Transformer signifie changer de forme, faire évoluer la forme d’un objet ou d’un individu. La transformation est un mouvement ouvert vers autre chose d’indéterminé. 8 Hannoun Hubert, Propos philosophiques sur l’éducation, Paris, Ed. L’Harmattan, Coll. Ouverture philosophique, 2002, p. 14. 9 Kerlan Alain, Philosophie de l’éducation, Issy-les-Moulineaux, Ed. ESF, Coll. Pratiques et enjeux pédagogiques, 2003, p. 45.

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l’expansion et l’amélioration de ce type d’éducation, car tout l’enjeu est pour le droit à

l’éducation de concilier universalité et qualité.

Or, nous n’apprenons pas seulement sur les bancs de l’école, mais chaque fois que

nous échangeons avec les autres ou avec notre milieu. Les propos d’Helvétius nous

concernent tous : « c’est à l’instant même où l’enfant reçoit le cours de la vie qu’il

reçoit les premières instructions […] dans ces premiers moments, quels peuvent être les

vrais instituteurs de l’enfance ? Les diverses sensations qu’elle éprouve. 10 » Etre en

rapport avec le monde qui nous entoure, c’est recevoir en permanence des informations

et subir leurs influences. Cette éducation que l’on pourrait qualifier d’informelle est à

l’œuvre dès notre naissance et tout au long de notre vie. Rousseau s’inscrit également

dans cette ligne de pensée : « Tout ce que nous n’avons pas à notre naissance, et dont

nous avons besoin étant grands, nous est donné par l’éducation. Cette éducation nous

vient de la nature, ou des hommes ou des choses…11» Entre l’éducation formelle et celle

que nous appelons informelle, il existe différentes formes d’apprentissages

complémentaires. On pourrait dire que l’éducation parentale est « semi-formelle »12.

Ces différentes catégories sont utiles d’une part pour bien cerner notre objet, d’autre

part parce que nous verrons que le droit fait appel à elles.

Il introduit même une nouvelle forme d’éducation dite non-formelle et c’est celle

qui nous intéressera en situation d’urgence. L’éducation non-formelle est bien prise

dans une intention, elle implique d’un côté celui qui enseigne et de l’autre celui qui

apprend mais ses méthodes et ses modalités sont en perpétuel mouvement et sans cesse

en adaptation face aux situations. Le droit à l’éducation depuis les années 1990 prend en

considération la pluralité des modes d’apprentissage et les différents textes à valeur

normative insistent sur cette compréhension large des phénomènes éducatifs.

Quelle que soit la définition de l’éducation et aussi large soit-elle, sa condition

première reste la prise en charge des enfants dans des structures d’enseignement

organisées. Les objectifs de l’éducation pour tous (EPT) définis par le forum de Dakar13

10 Helvétius, De l’homme, section 1, chapitre 1, Paris, Fayard, 1989. 11 Rousseau, Emile, traité sur l’éducation, Paris, Larousse, Coll. Petits classiques Larousse, 1999. (Première édition en 1762), p. 48. 12 Ces déclinaisons du concept d’éducation sont notamment introduites par Hannoun Hubert, Propos philosophiques sur l’éducation, Paris, Ed. L’Harmattan, Coll. Ouverture philosophique, 2002. 13 Forum mondial sur l’éducation pour tous, tenu à Dakar, au Sénégal, du 26 au 28 avril 2000. Six objectifs ont été définis pour 2015 :

- Développer la protection et l’éducation de la petite enfance, notamment pour les enfants vulnérables ou défavorisés

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et les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) déterminés par les Nations

Unies14 en 2000 posent d’ailleurs comme ambition commune l’universalisation de

l’enseignement primaire pour 2015. Le droit à l’éducation est notamment le droit pour

chaque enfant d’aller à l’école et de recevoir un enseignement de qualité. Affirmer ce

droit, c’est exiger qu’il ne s’agisse pas simplement d’un idéal mais d’une réalité et que

des mécanismes concrets soient mis en place. Ce qui fait le droit, c’est à la fois ce qu’il

porte comme valeurs, et dans le cas des droits de l’homme l’universalité et

l’inconditionnalité de ces valeurs, mais aussi l’ensemble des mécanismes qui doivent

garantir leur effectivité.

C’est d’abord aux Etats souverains, en accord avec les normes internationales

qu’ils ont signées ou ratifiées pour la majorité, de garantir ce droit et de le mettre en

œuvre. C’est en priorité aux Etats de donner toute sa consistance au droit à l’éducation

pour tous. Mais il existe certaines situations, considérées comme des situations

d’urgence, où les systèmes d’éducation nationaux sont défaillants ou absents.

L’ Organisation des Nations Unies pour l’Education, la science et la culture (UNESCO)

considère que l’on se trouve en situation d’urgence à partir du moment où un conflit ou

une catastrophe a déstabilisé, désorganisé ou détruit un système éducatif. On pourrait

étendre le concept d’urgence au cas d’enfants qui sont en marge de systèmes scolaires

existants. Ainsi, le Fond des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a une conception

très large de l’urgence. Les enfants souffrant de maladies graves et notamment du

VIH/sida, les enfants qui vivent dans la précarité ou les enfants des rues sont dans des

« situations d’urgence silencieuses ». Nous nous concentrerons dans ce travail sur les

situations de conflit, de catastrophes naturelles ou d’instabilité parce qu’en l’absence de

toute garantie nationale, elles posent des problèmes juridiques singuliers. C’est à leur

sujet que le forum de Dakar tire la sonnette d’alarme en 2000 et elles constituent

aujourd’hui un des obstacles majeurs à la mise en place de l’EPT.

- Universaliser l’accès à un enseignement primaire obligatoire et gratuit - Développer des programmes accessibles et adaptés à la vie courante - Améliorer de 50% le niveau d’alphabétisation - Eliminer les disparités entre les sexes - Améliorer la qualité de l’éducation

Se reporter au site : http://www.unesco.org/education/wef/fr_index.htm. 14 Le deuxième des objectifs du millénaire pour le développement des Nations-Unies concerne l’universalisation de l’éducation primaire, http://www.un.org/french/millenniumgoals/.

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Même s’il existe une volonté internationale forte de promouvoir le droit à

l’éducation pour tous en situations d’urgence, force est de constater qu’aucun cadre

juridique précis n’est en mesure de le garantir. Les situations d’urgence constituent par

définition des zones où toutes les catégories juridiques sont bousculées. Le droit

national n’est plus opérant et le droit international qui repose sur le principe de

souveraineté ne peut sans l’Etat offrir de garantie suffisante. Les droits les plus

élémentaires sont alors garantis par le droit humanitaire selon le principe d’humanité.

Or, le droit humanitaire ne prend pas en charge la question de l’éducation. D’une part,

donc, les différents mécanismes juridiques du droit à l’éducation deviennent obsolètes

dans ces situations, et d’autre part, le droit humanitaire ne prend pas en charge cette

question. Le droit à l’éducation en situations d’urgence est donc un objet non défini

juridiquement.

Si l’urgence échappe à l’éducation, c’est que ces deux concepts ne s’inscrivent pas

dans la même temporalité. Nous avons vu que l’enjeu de l’éducation est celui du

développement des individus et des peuples or celui de l’urgence est la survie de chacun

et de tous. On est donc confronté à deux logiques, deux temporalités, totalement

hétérogènes qui ne parviennent pas à se rencontrer et le flou juridique auquel nous

sommes confrontés fait écho à cette contradiction de fond. Est-ce à dire que le droit à

l’éducation proclamé haut et fort par la Communauté internationale doit renoncer à sa

dimension universelle ? Les situations d’urgence représentent-elles la limitent au-delà

de laquelle ce droit ne peut plus être garanti ?

Peu de travaux ont été effectués directement sur la question du droit à l’éducation

en situations d’urgence et cela pour plusieurs raisons. D’une part, c’est comme nous

l’avons souligné une préoccupation relativement récente que nous pourrions faire

remonter aux années 1990. D’autre part, la nature des problèmes posés par le droit à

l’éducation d’urgence n’est pas univoque et une approche pluridisciplinaire, voire

transdisciplinaire nous paraît nécessaire. Cette étude se situe de par son objet aux

frontières du droit, de la philosophie et des sciences de l’éducation.

Nous nous attacherons à expliciter les tensions juridiques inhérentes au droit à

l’éducation en situations d’urgence, à la fois au niveau des compétences et au niveau

des contenus normatifs eux-mêmes. Nous verrons en quoi ces tensions émanent de

contradictions plus profondes entre l’éducation et l’urgence qui relèvent de deux

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temporalités hétérogènes.(I) L’éducation par définition ne semble pas avoir de place

dans l’urgence or elle est en même temps primordiale dans la résolution de ces

situations critiques. Le présupposé de ce mémoire est que le droit à l’éducation pour

tous constitue la clé de voûte de la résolution des situations d’urgence précisément parce

qu’il en est le nœud problématique. Nous verrons donc de quelle manière il est possible

de dépasser les contradictions qui font obstacle au droit à l’éducation et dans quelle

mesure il est possible de le mettre en œuvre. (II)

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PARTIE I

Les obstacles au droit à l’éducation en

situations d’urgence

Le droit à l’éducation qui est reconnu comme un droit universel par la

Communauté internationale depuis 1948 fait partie du droit international des droits de

l’homme. C’est donc aux Etats souverains de veiller à l’application de ce droit, à la fois

en établissant dans leur législation les conditions de sa mise en œuvre mais aussi en

veillant à l’effectivité de ces différentes normes par la mise en place de moyens

suffisants (financiers, institutionnels, matériels, humains). Or certains contextes

juridico-politiques complexes sont caractérisés par l’absence de l’exercice de la

souveraineté étatique. Dans les situations d’urgence, soit les Etats ne parviennent plus à

exercer leur souveraineté, y compris dans des domaines aussi centraux que l’éducation,

soit ils n’assument pas leurs responsabilités. Le droit national est alors inopérant.

Comment garantir dans ces situations le droit à l’éducation pour tous, réaffirmé comme

un des principaux objectifs du XXIème siècle par les Nations Unies en 2000 ?

En situations d’urgence, le droit à l’éducation est traversé par les tensions entre le

droit international des droits de l’homme et le droit humanitaire. Ce sont deux logiques

juridiques qui s’affrontent. Plus que cela, le droit à l’éducation en situations d’urgence

porte ces tensions de manière singulière.(I) Ce n’est pas que l’éducation soit trop

ambitieuse ou irréalisable qui pose problème, mais c’est le fait qu’elle soit

essentiellement contradictoire avec l’urgence de par la temporalité dans laquelle elle

s’inscrit. Les diverses situations limites auxquelles se heurte le droit à l’éducation ne

font que révéler une contradiction essentielle entre le temps de l’éducation et celui de

l’urgence.(II)

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CHAPITRE I

Les conflits normatifs du droit à l’éducation en situations

d’urgence

Le droit à l’éducation en situations d’urgence n’a pas de définition normative

claire. Aucun traité, aucune déclaration, ne porte précisément sur cette question. Mais

cela ne signifie pas qu’il n’a aucune consistance. Nous devons interroger tout d’abord le

droit qui s’applique en situations d’urgence, et confronter les exigences du droit

humanitaire avec celles des droits l’homme.(section 1) Nous porterons ensuite notre

attention sur les textes normatifs du droit à l’éducation lui-même.(section II) C’est en

croisant ces différentes sphères juridiques et en analysant les questions, voire les

contradictions, qu’elles soulèvent, que nous parviendrons à mieux cerner notre objet.

Section 1

La confrontation entre le droit humanitaire et les droits de l’homme

La visée du droit humanitaire est de « procurer, dans le respect du principe de

non-discrimination, des secours aux victimes, principalement civiles, de conflits armés

internationaux ou non internationaux, de catastrophes naturelles ou de situations

d’urgence du même ordre. L’assistance consiste en la fourniture de denrées

alimentaires, de vêtements, d’abris, de médicaments, de soins médicaux et de toute

autre aide similaire, indispensable à la survie des populations et propre à alléger la

souffrance des victimes. 15»(A) Mais cette logique qui consiste à assurer le respect

minimum de droits et qui constitue une forme d’ ‘‘améliorisme’’ est à première vue en

contradiction avec le droit international des droits de l’homme qui s’inscrit dans un

continuum de temps et dont l’ambition est l’universalité et l’intangibilité des droits. Il

n’existe pas de consensus à propos de la portée des droits de l’homme en situations

d’urgence et différentes conceptions s’affrontent. Certains considèrent que le Droit

International des Droits de l’Homme (DIDH) s’applique en tant de paix ou de stabilité

15 Salmon Jean (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruylant, Bruxelles, 2001, p. 98.

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et qu’il doit laisser la place au droit humanitaire en situation de conflit ou d’urgence.

D’autres soulignent la primauté des droits de l’homme et leur caractère quasi-coutumier

dans la sphère internationale.(B) Interroger le droit à l’éducation qui fait partie du droit

international des droits de l’homme, en situations d’urgence, nécessite d’avoir à l’esprit

ces problématiques même si elles se posent à lui de manière singulière.

A/ Le flou juridique de l’urgence et la complexité du droit humanitaire

Le concept d’urgence est un concept qui n’a pas de contours extrêmement précis,

ni d’un point de vue théorique ou philosophique, ni d’un point de vue juridique. Qu’est-

ce qui définit exactement l’urgence ?(1) Le droit humanitaire contribue à sa définition

mais sa complexité et son caractère évolutif ne font qu’entretenir le flou de la définition

de l’urgence.(2)

1) L’urgence : un concept aux contours imprécis

Le concept d’urgence ne désigne pas un objet en soi mais bien plutôt un vide de

sens.(a) L’urgence se manifeste dans un écart entre ce qui est et ce qui devrait être, entre

la réalité et la norme. Elle se définit donc toujours négativement et ce que l’on entend

par urgence évolue avec notre conception de la normalité.(b)

a) Définition négative de l’urgence comme absence de dignité

Les situations d’urgence désignent les situations de conflit, de catastrophes

naturelles16 ou d’origine humaine, de violation massives des droits de l’homme.

Autrement dit, l’urgence n’a pas de définition précise, objective, elle désigne plutôt un

état d’où la dignité de la personne humaine est absente. Elle se définit difficilement

parce qu’elle est justement un vide de sens. On dira d’une personne qu’elle est dans

l’urgence si elle ne parvient plus à faire face, si plus rien ne semble détromper son

16 « Par catastrophes naturelles on entend, entre autres, les ouragans, typhons, séismes, sècheresses et inondations. Certaines catastrophes naturelles, comme les séismes, surviennent du jour au lendemain et peuvent avoir un impact considérable sur les personnes vivant à proximité de la zone touchée. D’autres, comme les sécheresse, se développent lentement, mais n’en produisent pas moins des effets dévastateurs. », Normes minimales en situations d’urgence, de crises et de reconstruction, Paris, INEE, 2004, p. 7.

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sentiment d’impuissance, si elle en perd sa dignité. « C’est la dépersonnalisation qui

révèle une situation d’urgence.17 » La situation d’urgence est une généralisation de cette

dégradation des personnes. Nous voyons bien en quoi le concept d’urgence est

nécessairement flou puisqu’il se définit de manière négative. De plus, dans bien des cas,

la désignation de l’urgence dépend de l’appréciation de ceux qui la subissent et de ceux

qui l’observent. Mais sur quoi se fonde cette appréciation en l’absence de définition

positive ? A quoi reconnaît-on l’urgence ?

b) Définition évolutive de l’urgence

Les réponses possibles sont multiples et hétérogènes mais elles reposent toutes sur

la reconnaissance d’un décalage, d’un écart avec la normalité. De manière générale, la

situation d’urgence est une situation qui est prise dans un processus de dégradation et où

les moyens ne sont pas suffisants. L’urgence est une catégorie de l’anormalité, en ce

sens que c’est un état exceptionnel, ponctuel. Mais plus encore, elle est anormale non

pas du fait de son écart avec ce qui est mais de son décalage avec la norme, c’est-à-dire

avec ce qui doit être. Ainsi, notre vision du monde, de ce qu’il doit être, détermine notre

conception de l’urgence qui s’en écarte et le concept d’urgence est nécessairement

évolutif. « L’urgence est aussi un concept évolutif, flexible et actuel. Celle-ci dans les

pays d’Afrique peut être considérée comme étant un état durable et structurel. 18» On

voit bien dans ce constat à quel point le concept d’urgence est ambigu puisqu’il peut

même devenir de manière absolument paradoxale un état durable.

Le concept d’urgence se définit dans son écart à la norme et cela est aussi vrai

d’un point de vue juridique. Les situations d’urgence pourraient être considérées comme

des situations où les systèmes de garanties nationaux, régionaux, ou internationaux sont

défaillants. « Dans ces situations de violence interne caractérisées par des violations

des droits les plus essentiels de la personne, on constate un manque apparent de règles

de droit international clairement applicables.19 »

La caractérisation des situations d’urgence au niveau international évolue

également. On voit émerger une nouvelle forme d’urgence après la fin de la guerre 17 Tzistzis Stamatios, « Situation d’urgence : la crise de l’humanité post-moderne », in Raulin (de) Arnaud (dir.), Situations d’urgence et droits fondamentaux, Paris, Ed. L’Harmattan, 2006, p. 41. 18 Raulin (de) Arnaud, « L’urgence dans le droit international », in Raulin (de) Arnaud (dir.), Situations d’urgence et droits fondamentaux, Paris, Ed. L’Harmattan, 2006, p. 151. 19 Thompso Cecilia et Vigny Jean-Daniel, « Standards fondamentaux d’humanité : quel avenir ? », in Revue internationale de la Croix-Rouge, n°840, décembre 2000, p. 918.

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froide qui vient s’ajouter aux autres formes de crises. Il s’agit de situations caractérisées

par des conflits d’une extrême violence et par une instabilité politique. Ces situations

sont désignées comme « situations d’urgence complexes ».

2) L’ensemble juridique complexe du droit humanitaire

Spécifique aux situations d’urgence, le droit humanitaire est un ensemble

juridique complexe aux contours indéterminés et évolutifs. Son objectif est de définir

des règles minimales qui permettent de réguler la dimension chaotique de ces contextes

tout en tenant compte de leurs logiques propres. La préservation de la dignité humaine

sans aucune discrimination est au centre des préoccupations humanitaires. « Toute

situation d’urgence réclame sans condition de race, de sexe, de couleur, de pays, la

présence de l’humanitaire, qui sous forme d’un droit moral attaché à l’humanité de

l’homme doit pouvoir imposer aux autorités le respect et la sauvegarde de la dignité

personnelle.20» Le droit humanitaire se compose de différentes sources formelles qui

sont soit conventionnelles soit coutumières.

a) Les sources conventionnelles

Le domaine qui est le plus clairement circonscrit est le droit international

humanitaire (DIH) qui s’applique aux situations de conflits armés internationaux ou

non. Selon la définition de Jean Pictet, il s’agit de « règles internationales d’origine

conventionnelle ou coutumière, qui sont spécialement destinées à régler les problèmes

humanitaires découlant des conflits armés, internationaux ou non qui restreignent, pour

des raisons humanitaires, le droit des parties au conflit d’utiliser les méthodes et

moyens de guerre de leur choix ou protègent les personnes et les biens affectés, ou

pouvant être affectés, par le conflit. 21» Le DIH repose sur les Conventions de La Haye

de 1907 qui concernent le fonctionnement des hostilités et la résolution des conflits et

sur les quatre Conventions de Genève de 1949 auxquelles deux protocoles ont été

ajoutés en 1977. Ces différents traités qui découlent d’une tradition juridique

20 Tzistzis Stamatios, op. cit., p. 41. 21 Pictet Jean, « le droit international humanitaire : définition », in Les dimensions internationales du droit humanitaire, UNESCO, Paris, 1986, p. 13.

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ancienne22, ont pour vocation de réintroduire de l’humanité au cœur même du

fonctionnement des conflits. Il s’agit d’affirmer que tous les moyens ne sont pas

tolérables, même dans un contexte de guerre et que les civils doivent être préservés au

maximum. Les Conventions de Genève, et en particulier la IVème Convention relative à

la protection des personnes civiles en temps de guerre, visent la préservation de la

dignité humaine mais ne s’appliquent que dans certaines circonstances définies

précisément : elles sont leges speciales. Leur applicabilité ne concerne que les situations

de conflit armé et non a priori les autres situations d’urgence, ni même les situations de

troubles intérieurs. Le protocole II étend leur application aux conflits internes mais

l’article 1.2 précise bien que les Conventions « ne s’appliquent pas aux situations de

tensions internes, de troubles intérieurs, comme les émeutes, les actes isolés et

sporadiques de violence et autres actes analogues, qui ne sont pas considérés comme

des conflits armés. 23»

De plus, ces Conventions sont très largement ratifiées24 mais les mécanismes de

contrôles qui en découlent sont peu performants. Leur application repose

essentiellement sur la bonne volonté des Etats d’après le principe de souveraineté :

selon l’article premier de la Convention IV de Genève : « les Hautes Parties

contractantes s'engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en

toutes circonstances.25 » En cas de conflits armés, les Etats peuvent désigner une

puissance protectrice (soit un autre Etat, soit à défaut le Comité International de la

Croix-Rouge ou une autre organisation internationale indépendante) qui a pour tâche de

vérifier la bonne application des quatre Conventions. Des violations au DIH peuvent

être dénoncées auprès de la Commission d’établissement des faits, des Services

consultatifs au droit international humanitaire, ou du Conseil de Sécurité des Nations

Unies et donner lieu à des enquêtes. Mais ces mécanismes, qui reposent majoritairement

sur le consentement des Etats, sont globalement peu efficaces tant les moyens de les

contourner et les motivations d’y déroger sont importantes pour certains. La Cour

22 Pour une exposition de l’histoire du DIH, se reporter au site du Comité international de la Croix-Rouge : http://www.icrc.org/Web/fre/sitefre0.nsf/html/section_ihl_history?OpenDocument. 23Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), adopté le 8 juin 1977, entré en vigueur le 7 décembre 1978, disponible sur : http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/94_fr.htm. 24 Elles sont ratifiées aujourd’hui par 194 Etats. 25 Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, adoptée le 12 août 1949, entrée en vigueur le 21 novembre 1950, disponible sur : http://www.icrc.org/dih.nsf/INTRO/380?OpenDocument.

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Pénale Internationale constitue, depuis le traité de Rome de 1998, le procédé le plus

encourageant, même si elle ne sanctionne que les plus graves atteintes au droit

international.

En dehors des situations de conflits armés, le droit humanitaire n’est pas un

ensemble juridique bien déterminé et peu de contraintes pèsent sur les Etats. Certaines

situations d’urgence renvoient à d’autres textes de droit international. C’est le cas des

situations liées à des déplacements de personnes hors des frontières de leur pays avec la

Convention relative au statut des réfugiés de 1951 qui sera ensuite complétée par un

protocole en 1966.26 Dans les autres situations dites d’urgence, qui sont à l’image de

notre monde contemporain (situations d’instabilité interne, de catastrophes naturelles ou

technologiques, etc.), le droit est moins précis. « Il existe des ambiguïtés, des

incertitudes, voire des insuffisances dans ces situations problématiques se trouvant à la

jonction du droit international des droits de l’homme et du droit international

humanitaire. 27»

b) Les sources coutumières

C’est qu’en dehors des situations de conflits, ou lorsque les Etats n’ont pas ratifié

les Conventions, ils sont censés gérer les crises qui les concernent sans avoir besoin de

recourir au droit international. Dans le cas contraire, le seul droit à l’œuvre est alors le

droit coutumier international. C’est la « concordance des sentiments juridiques

individuels exprimés par les Etats, conjuguée à la pratique générale sur laquelle elle

s’appuie, [qui] permet à la coutume de se constituer.28 » La coutume peut être assimilée

aux normes impératives du droit international général (jus cogens) définies par l’article

53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités29. Selon la Cour Internationale de

26 Convention relative au statut des réfugiés, adoptée le 28 juillet 1951, entrée en vigueur le 22 avril 1954, disponible sur http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/o_c_ref_fr.htm. Cette Convention est complétée par le Protocole relatif au statut des réfugiés du 18 novembre 1966, et entré en vigueur le 4 octobre 1967, disponible sur : http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/o_p_ref_fr.htm. 27 Thompso Cecilia et Vigny Jean-Daniel, op. cit., p. 918. 28 Aledo Louis-Antoine, Le droit international public, Ed. Dalloz, Coll. Connaissance du droit, 2005, p. 82. 29 Dupuy P.-M., Les grands textes du droit international public, 5e édition, Ed. Dalloz, 2006. Convention de Vienne sur le droit des traités, adoptée le 23 mai 1969, entrée en vigueur le 27 janvier 1980, article 53 : « Est nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international général. Aux fins de la présente Convention, une norme impérative du droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à

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Justice (CIJ), les articles 1 et 330 des Conventions de Genève, qui font référence au fait

que les personnes doivent être en toutes circonstances « traitées avec humanité », ne

font que retranscrire des principes qui font de toute façon partie du droit coutumier, ce

qui signifie qu’ils sont applicables dans toutes les situations et qu’ils ne nécessitent pas

d’obligation conventionnelle. Dans l’affaire de la licéité de la menace ou de l’emploi

d’armes nucléaires31, la Cour reconnaît qu’une partie au moins du DIH appartient au

droit coutumier : « c’est sans doute parce qu’un grand nombre de règles du droit

humanitaire applicables dans les conflits armés sont si fondamentales pour le respect

de la personne humaine et pour des « considérations élémentaires d’humanité », selon

l’expression utilisée par la Cour dans son arrêt du 9 avril 1949 rendu en l’affaire du

Détroit de Corfou […], que la Convention IV de la Haye et les Conventions de Genève

ont bénéficié d’une large adhésion des Etats. Ces règles fondamentales s’imposent

d’ailleurs à tous les Etats, qu’ils aient ou non ratifié les instruments conventionnels qui

les expriment, parce qu’elles constituent des principes intransgressibles du droit

international coutumier. » Mais dire que les « considérations élémentaires

d’humanité » font partie du droit coutumier ne suffit pas à leur donner un contenu.

laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère. » 30 Article 3, commun aux quatre Conventions de Genève de 1949 : « En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l'une des Hautes Parties contractantes, chacune des Parties au conflit sera tenue d'appliquer au moins les dispositions suivantes: 1) Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue A cet effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l'égard des personnes mentionnées ci-dessus: a) les atteintes portées à la vie et à l'intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices; b) les prises d'otages; c) les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants; d) les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés. 2) Les blessés et malades seront recueillis et soignés Un organisme humanitaire impartial, tel que le Comité international de la Croix-Rouge, pourra offrir ses services aux Parties au conflit. Les Parties au conflit s'efforceront, d'autre part, de mettre en vigueur par voie d'accords spéciaux tout ou partie des autres dispositions de la présente Convention. L'application des dispositions qui précèdent n'aura pas d'effet sur le statut juridique des Parties au conflit. » 31 CIJ, Affaire de la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, Recueil 1996. La Cour renvoie à l’Affaire du Détroit de Corfou, Recueil 1949, p. 22 : la Cour y rappelle « certains principes généraux et bien reconnus tels que des considérations élémentaires d’humanité.»

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c) Les « standards fondamentaux d’humanité »

La question se pose à la communauté internationale de définir des règles

minimales, des standards fondamentaux qui seraient valables dans toutes situations.

Pour plus de clarté, en 1990, les acteurs concernés ont rédigé une Déclaration sur les

standards humanitaires minimaux ou Déclaration de Turku. Elle a ensuite été révisée en

1994 et contient 18 articles qui définissent des standards applicables en toutes situations

sans dérogation possible et comporte une clause de sauvegarde des instruments

internationaux du droit humanitaire et des droits de l’homme. Mais il n’y a pas

d’unanimité au niveau des Etats qui se contentent du flou juridique existant en ce qui

concerne ces standards et ils ne donnent lieu à aucun instrument de protection. Diverses

entreprises ont été menées depuis les années 90 dans cette direction. En 2003, l’Institut

de Droit International adopte une résolution à Bruges relative à l’assistance humanitaire.

Le but est de « proposer à l’attention de tous un texte équilibré, qui reflète le droit en

vigueur, tout en tentant de le pousser dans la direction voulue là où il est lacunaire ou

incertain.32 » Il s’agit alors de reformuler le champ et la portée du droit humanitaire en

adoptant une attitude progressiste. Le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) a

également défini des principes fondamentaux d’humanité33 qui valent pour toutes les

situations. La CIJ a reconnu comme tels ces principes fondamentaux34. Le CICR a, de

32 Kolb Robert, « De l’assistance humanitaire adoptée par l’institut de droit international à sa session de Bruges en 2003 », in Revue internationale de la Croix-Rouge, n°856, décembre 2004, p. 854. 33 Règles fondamentales publiées en 1978 dans la Revue internationale de la Croix-Rouge : - Les personnes mises hors de combat et celles qui ne participent pas directement aux hostilités ont droit au respect de leur vie et de leur intégrité physique et morale. Ces personnes seront, en toutes circonstances, protégées et traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable. - Il est interdit de tuer ou de blesser un adversaire qui se rend ou qui est hors combat - Les blessés et les malades seront recueillis et soignés par la partie au conflit qui les aura en son pouvoir. La protection couvre également le personnel sanitaire, les établissements, moyens de transport et matériels sanitaires. L’emblème de la Croix-Rouge ou du Croissant Rouge est le signe de cette protection et doit être respectée. - Les combattants capturés et les civils qui se trouvent sous autorité de la partie adverse ont le droit au respect de leur vie, de leur dignité, de leurs droits personnels et de leurs convictions. Ils seront protégés contre tout acte de violence et de représailles. Ils auront le droit d’échanger des nouvelles avec leur famille et de recevoir des secours. - Toute personne bénéficiera des garanties judiciaires fondamentales. Nul ne sera soumis à la torture physique ou mentale, ni à des peines corporelles ou traitements cruels ou dégradants. - Les parties au conflit et leurs forces armées n’ont pas un droit illimité quant au choix des méthodes et des moyens de guerre. Il est interdit d’employer des armes ou des méthodes de guerre de nature à causer des pertes inutiles ou des souffrances excessives. - Les parties au conflit feront, en tout temps, la distinction entre la population civile et les combattants, de façon à épargner la population et les biens civils. Ni la population civile en tant que telle, ni les personnes civiles ne doivent être l’objet d’attaques. Les attaques ne seront dirigées contre que contre les objectifs militaires. 34 CIJ, Affaire du Détroit de Corfou, op. cit.

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plus, un droit d’initiative au niveau international qui lui donne une souplesse d’action

supplémentaire dans un cadre juridique qui ne permet pas toujours de dicter clairement

la conduite à suivre.

d) Les limites du droit humanitaire en situations d’urgence

Le droit humanitaire est polymorphe, il est en permanence complété par des

résolutions. Son avantage est qu’il permet une interprétation large et évolutive des

situations d’urgence qui suit les problématiques des différentes époques. Son caractère

pragmatique est une force mais ses contours sont extrêmement variables et nous voyons

à quel point toute tentative de compréhension, au sens littéral du terme, de cet ensemble

juridique, est délicate. Il faut donc souligner les limites du droit humanitaire.

Tout d’abord, le contenu et les mécanismes de contrôle sont insuffisants pour

permettre un respect optimal des droits. Il s’agit d’éviter le pire, non de viser le

meilleur. Quels sont exactement les droits humains qui font partie du droit humanitaire ?

Cette question ne donne lieu à aucun consensus. Il y a un accord sur le fait que

l’intégrité physique des personnes doit être garantie, que des soins médicaux doivent

être administrés, ainsi qu’une aide alimentaire si besoin. Au-delà de ces points

absolument essentiels, les polémiques sont vives quant aux droits qui doivent être

respectés.

De plus, la légitimité du droit humanitaire commence au moment où une situation

d’urgence est décrétée et s’arrête lorsque cette dernière se termine (même si ces limites

sont elles aussi plus ou moins arbitraires). Ainsi, il est pris dans un espace-temps réduit

et n’a pas vocation à être mis en oeuvre sur le long terme. Ne faut-il pas y voir un

danger vis-à-vis des droits qu’il entend faire respecter en ce qui concerne la dignité de la

personne ?

Ces limites nous amènent à une question cruciale du droit international qui

concerne le rapport entre le droit international des droits de l’homme et le droit

humanitaire : tous les droits humains doivent-ils être respectés en situations d’urgence ?

La logique pragmatique du droit humanitaire est-elle compatible dans ces situations

avec l’absolutisme des droits de l’homme ? L’espace-temps réduit qui caractérise le

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droit humanitaire peut-il rejoindre d’une manière ou d’une autre le continuum dans le

lequel s’inscrit le droit international des droits de l’homme ?

B/ Droits de l’homme et droit humanitaire : conflits ou convergence

« Vu le flou juridico-politique régnant en de telles circonstances, à la jonction du

droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, la

protection de l’être humain est particulièrement faible face aux nombreuses et graves

violations commises tant par des autorités étatiques que par des entités non

étatiques.35 » Le droit international des droits de l’homme (dont fait partie le droit à

l’éducation), se veut universel et définit des droits intangibles, c’est dire qu’il vaut en

tous temps et en tous lieux. Il repose sur un ensemble de normes internationales ou

régionales de nature déclaratoires ou conventionnelles. Il est fondé au départ sur la

volonté de limiter les dérives du pouvoir et de protéger les individus par le biais des

Etats ou par-delà les Etats. Cela signifierait qu’il s’applique indifféremment en

situations de paix comme en situations de guerre, en situations de stabilité comme en

situations d’urgence. De plus, il définit des droits qui sont fondamentaux, et qui

contribuent aujourd’hui à la définition de l’homme. Pourtant, ils sont loin d’être

effectifs à l’échelle mondiale et ils sont rendus extrêmement difficiles à respecter dans

certaines situations. Il existe d’ailleurs des clauses dérogatoires qui suspendent

l’applicabilité des normes des droits de l’homme en cas de « danger public

exceptionnel ». C’est le cas de l’article 4 du Pacte International relatif aux droits civils

et politiques36. Certains droits intangibles ne peuvent cependant pas être suspendus et

certains traités des droits de l’homme ne possèdent pas de clause dérogatoire37.

35 Thompso Cecilia et Vigny Jean-Daniel, op. cit., p. 918. 36 Pacte International relatif aux droits civils et politiques, adopté par l’Assemblée Générale de Mations-Unies le 16 décembre 1966, entré en vigueur le 23 mars 1976, disponible sur : http://www.ohchr.org/french/law/ccpr.htm: « Article 4 : 1. Dans le cas où un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation et est proclamé par un acte officiel, les Etats parties au présent Pacte peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l'exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent Pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations que leur impose le droit international et qu'elles n'entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l'origine sociale. 2. La disposition précédente n'autorise aucune dérogation aux articles 6, 7, 8 (par. 1 et 2), 11, 15, 16 et 18. » 37 De plus, le Pacte International relatif aux droits économiques sociaux et culturels de 1966, la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la Convention relative à l’esclavage n’autorisent pas de dérogations (exceptées les restrictions contenues dans

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Doit-on considérer, malgré la réalité, que ces droits devraient valoir en toutes

situations, y compris en situations d’urgence ou doit-on voir dans leur ambition

absolutiste une entrave au pragmatisme nécessaire à ces situations ? En d’autres termes,

quels sont les rapports entre le droit humanitaire et les droits de l’homme qui ont pour

visée commune de préserver la dignité de la personne ?

1) La tendance séparatiste

En plus du fait qu’ils ont des histoires très différentes38, c’est d’abord leur champ

d’application qui sépare le droit humanitaire des droits de l’homme. Le droit

international des droits de l’homme a pour vocation de garantir les droits fondamentaux

des individus en temps de paix ou dans des situations stables alors que le droit

humanitaire ne vaut que dans des situations d’urgence. Mais si la volonté de distinguer

ces deux ensembles juridiques est forte, notamment en ce qui concerne les acteurs de

l’humanitaire, c’est parce que leurs fondements, leur nature, et donc leur vocation ne se

confondent pas. « Le droit international humanitaire, ou jus in bello, né de la tension

qui se manifeste dans les conflits entre exigences de l’humanité et impératifs de l’action

militaire, a pour objet de mettre des limites à la violence dans la guerre. Le droit des

droits de l’homme n’a pas la même finalité. Né de la tension entre exigences du respect

des droits individuels des personnes vivant sous la juridiction d’une autorité étatique et

l’exercice abusif de cette autorité, son objet est de protéger les individus face aux excès

de pouvoir de ceux qui les gouvernent. En d’autres mots, l’on peut considérer que les

droits de l’homme constituent un code de conduite de good governance, alors que les

Conventions de Genève sont un droit pour la tempête qui s’applique lorsque les

conditions requises pour le respect des droits de l’homme viennent à cesser

d’exister.39 » Cette différence fondamentale de logique peut être étendue au droit

humanitaire en général. Le droit humanitaire vise à améliorer la dignité humaine dans

un contexte qu’il ne remet finalement pas en cause. Il s’en accommode et creuse un

espace en son sein, de la manière la plus pragmatique qui soit. L’exigence des droits de

certains articles comme l’article 38 de la Convention relative aux droit de l’enfant sur la participation d’enfants aux conflits armés). 38 Le DIH, issu du droit de la guerre, est une des branches les plus anciennes du droit international public. Certains font remonter ses origines à l’Antiquité. Les droits de l’homme, beaucoup plus récents, sont le produit des réflexions du siècle des Lumières. Leurs genèses idéologiques sont donc tout-à- fait distinctes. 39 Pasquier André, « Action humanitaire : une légitimité en question ? », in Revue internationale de la Croix-Rouge, n°842, juin 2001, p. 317.

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l’homme est plus globale. Le respect des droits ne doit pas dépendre des situations et les

règles sont les mêmes quel que soit le contexte. On pourrait voir dans cette exigence

absolue un idéalisme qui rend le DIDH inopérant en situations d’urgence. Tous les

droits fondamentaux ne pourraient y être respectés et il serait illusoire voire contre-

productif de fixer des objectifs hors d’atteinte. Est-ce à dire que le concept de dignité

humaine ne peut pas avoir la même signification dans ces contextes limites?

2) La tendance « complémentariste »

Une approche complémentariste40 permet une approche moins radicale quant au

rapport entre le droit international des droits de l’homme et le droit humanitaire. Il s’agit

de considérer que les objectifs sont les mêmes et que les deux logiques sont

complémentaires : le pragmatisme humanitaire et l’universalisme des droits de l’homme

ne peuvent pas aller l’un sans l’autre. Cette position est majoritaire aujourd’hui.

D’ailleurs, les standards fondamentaux « illustrent la complémentarité, la convergence

et l’interaction de ces deux branches connexes du droit international, dont l’objectif

commun est la sauvegarde de la dignité humaine, même si leurs racines, leur nature et

leurs teneurs sont différentes.41 » C’est dire que le concept de dignité humaine est le

même quelles que soient les situations ou les personnes. Ce sont les mécanismes voués

à la préserver qui sont de natures différentes.

Le droit international des droits de l’homme et le droit humanitaire ne sont pas

totalement étrangers l’un à l’autre et un certain nombre de droits peuvent être considérés

comme communs aux deux ensembles juridiques. Le noyau dur des droits de l’homme

qui concerne le droit à la vie, l’interdiction de la torture et des traitements inhumains, la

prohibition de l’esclavage, les garanties judiciaires, les respects de la religion et de la

liberté de conscience et la protection des enfants et de la vie familiale42, trouve des

échos dans le droit humanitaire. « Il est donc possible de trouver un langage commun

aux droits de l’homme et au droit humanitaire, sous forme de principes tirés de ces

deux droits, applicables en tous temps et à tout acteur, qu’il soit étatique, interétatique,

40 Expression utilisée par Martin Fanny dans « Le droit international humanitaire devant les organes de contrôle des droits de l’homme », in Droits fondamentaux, n°1, juillet-décembre 2001, pp. 119-148. 41 Thompso Cecilia et Vigny Jean-Daniel, op. cit., p. 932. 42 Bad Abdelwahab, Droit international humanitaire, Paris, Ed. Ellipses, 2006, p. 42. L’étendue du noyau dur des droits de l’homme varie selon les auteurs ou les textes normatifs.

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non étatique ou qu’il s’agisse d’un individu. 43» En situations d’urgence, le droit

humanitaire a pour vocation de ‘‘prendre le relais’’ du DIDH, en assurant la garantie de

ces droits irréductibles. La nature du droit humanitaire est plus adaptée aux situations

d’urgence et permet une meilleure efficacité dans ces situations. Mais pour que son

entreprise ne soit pas vaine, les mécanismes de garantie des droits de l’homme sont

essentiels avant et après l’urgence. Il existe une continuité et une interaction fortes entre

le droit humanitaire et le DIDH. « Le droit humanitaire peut donc être considéré comme

une espèce appartenant au genre du droit des droits de l’homme. Cette distinction n’est

pas fondée sur leur nature intrinsèque, mais sur le contexte d’application des règles

désignées pour protéger les êtres humains dans différentes circonstances.44 »

La visée commune du droit humanitaire et du DIDH est en fin de compte

d’imposer en toutes circonstances un minimum de règles garantissant la dignité

humaine. Mais la distinction entre le pragmatisme du droit humanitaire et l’idéalisme

des droits de l’homme n’apparaît-elle pas un peu manichéenne dans ce cas ? N’y a-t-il

pas une part d’idéalisme à vouloir préserver la dignité humaine dans des contextes où

l’urgence fait loi ? Et les droits de l’homme ne posent-ils pas sans relâche la question de

leur effectivité, de leur inscription dans la réalité ?

3) La tendance intégrationniste

Ce n’est pas parce que deux entités juridiques ont une histoire distincte, et qu’elles

ont suivi des processus qui leur sont propres, qu’elles ne peuvent pas se rejoindre. On

pourrait imaginer que la visée commune du droit humanitaire et du DIDH soit un

argument suffisamment fort pour leur réconciliation. « Puisque les conflits actuels

mêlent atteintes aux droits de l’homme et violations du droit humanitaire, puisqu’en

outre la finalité de ces deux branches est la même (la protection de l’individu), il peut

être souhaitable de décloisonner les deux matières afin de répondre au mieux à cette

réalité complexe.45 » Le droit humanitaire qui s’inscrit dans la continuité des droits de

l’homme ne pourrait-il pas être considéré comme une sous-catégorie du DIDH ? Cette

question se pose aujourd’hui à propos des situations d’urgence. Les différents acteurs ne 43 Thompso Cecilia et Vigny Jean-Daniel, op. cit., p. 932. 44 Chetail Vincent, « The contribution of the International Court of Justice to international humanitarian law », in Revue internationale de la Croix-Rouge, n°850, juin 2003, p. 241 (notre traduction) 45 Martin Fanny, op. cit., p. 137.

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s’accordent pas toujours sur l’applicabilité ou non des droits de l’homme dans ces

situations. Pourtant le caractère universel, et même coutumier des droits de l’homme est

reconnu depuis longtemps au niveau international. En 1968, la conférence sur les droits

de l’homme réunie par les Nations Unies à Téhéran adopte une résolution concernant

« le respect des droits de l’homme en période de conflits armés46 ». Par ailleurs, en 1970

avec l’affaire Barcelona traction47, la CIJ intègre les droits de l’homme au droit

international général et affirme le caractère obligatoire des droits de l’homme dans

l’ordre international, y compris donc dans les situations d’urgence. Les entreprises de

conciliation entre le droit humanitaire et les droits de l’homme sont nombreuses à

l’échelle mondiale. Il n’est pas notre objet de les énumérer mais nous nous devons de

constater qu’il existe une tendance qui vise à intégrer le droit humanitaire au droit

international des droits de l’homme parallèlement à toutes les réticences étudiées plus

haut.

D’un point de vue strictement juridique, les trois positions (séparatiste,

complémentariste et intégrationniste) sont défendables. Les instruments normatifs ne

permettent pas vraiment de trancher et entretiennent les ambiguïtés. Ces ambiguïtés

sont accentuées et entretenues par le fait que, dans les situations d’urgence, certaines

organisations agissent au nom du DIH et d’autres au nom du DIDH. Dans le conflit en

Afghanistan, le CICR s’est donné pour tâche de faire en sorte que les femmes blessées

puissent bénéficier de soins au même titre que les hommes. Dans le même contexte,

certaines organisations luttaient contre les discriminations à l’égard des femmes de

manière générale (dignité, éducation, travail). Il y a entre ces deux démarches à la fois

une différence manifeste de logique et en même temps des interférences inéluctables.

46 Conférence internationale des droits de l'homme, résolution XXIII relative au respect des droits de l'homme en période de conflit armé, adoptée à Téhéran, le 12 mai 1968, disponible sur : http://www.icrc.org/dih.nsf/FULL/430?OpenDocument. 47 CIJ, Affaire Barcelona traction, Recueil 1958 : « une distinction essentielle doit, en particulier, être établie entre les obligations des Etats envers la communauté internationale dans son ensemble et celles qui naissent vis-à-vis d’un autre Etat dans le cadre de la protection diplomatique. Par leur nature même, les premières concernent tous les Etats. Vu l’importance des droits en cause, tous les Etats peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés : les obligations sont il s’agit, sont des obligations erga omnes. Ces obligations découlent par exemple, dans le droit international contemporain, de la mise hors la loi des actes d’agression et du génocide mais aussi des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine y compris la protection contre la pratique de l’esclavage et la discrimination raciale. Certains droits de protection correspondants ne sont pas intégrés au droit international général (…), d’autres sont conférés par des instruments internationaux de caractère universel ou quasi universel. » p. 55

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Ce qui nous importe ici n’est pas de définir une position claire mais de

comprendre comment ces questions se posent au droit à l’éducation qui a une vocation

universelle, et à travers lui.

Section 2

La reconnaissance tacite d’un droit à l’éducation en situations d’urgence

L’éducation est d’abord une compétence nationale. Le droit international, garanti

en l’occurrence par l’UNESCO ou les Nations Unies, vient contrôler cette première

compétence tout en reposant sur le principe de souveraineté. Selon les situations, ces

différents espaces juridiques ne s’agencent pas de la même manière. Dans une situation

d’urgence qui échappe par définition aux normes habituelles, le droit humanitaire vient

se substituer aux autres cadres juridiques selon le principe de subsidiarité et le principe

d’humanité. Est-il légitime pour garantir une éducation en situation d’urgence ?(A) Il y

a une contradiction entre l’incapacité du droit humanitaire à considérer l’éducation et la

revendication universelle de ce dernier. Le droit à l’éducation appartient au droit

international des droits de l’homme. L’ambition universelle du droit à l’éducation est en

effet de plus en plus forte et représente, avec les objectifs de l’EPT, un des enjeux

fondamentaux de notre siècle. (B)

A/ La question de l’éducation ignorée par le droit humanitaire

1) La place de l’éducation dans les Conventions de Genève

Même si les Conventions de Genève de 1949 ainsi que les deux Protocoles de

1977 concernent les situations de conflits armés, on peut considérer que la protection

des personnes civiles qui y est définie s’étend aujourd’hui aux autres situations

d’urgence, chaque fois que le secours des personnes nécessite une assistance

humanitaire. Dans l’article 3, qui est commun à ces différentes conventions, il est

énoncé que ces personnes « seront, en toute circonstances, traitées avec humanité, sans

aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou

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la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue. » A

l’article 27 de la Convention IV relative à la protection des personnes civiles en temps

de guerre, « les personnes protégées ont droit, en toute circonstances, au respect de leur

personne, de leur honneur, de leurs droits familiaux, de leurs convictions et pratiques

religieuses, de leurs habitudes et de leurs coutumes. Elles seront traitées, en tout temps,

avec humanité… » Ces formulations, qui rendent compte de la visée générale du droit

humanitaire en ce qui concerne la protection des personnes, sont suffisamment larges

pour que leur interprétation soit flexible et ouverte aux évolutions de notre temps. On

peut considérer que des enfants qui ne reçoivent aucune éducation, ou qui subissent des

discriminations en matière d’éducation ne sont pas traités avec humanité. Il en est de

même pour des adultes qui ne possèdent pas les outils fondamentaux pour comprendre

les situations qu’ils vivent, ne serait-ce que la lecture et l’écriture. L’éducation n’est-elle

pas essentielle au respect de la personne ou à son honneur ? Les protocoles renforcent

ces possibilités d’une interprétation élargie des Conventions de Genève. L’article 1 du

protocole I fait référence aux « principes d’humanité et des exigences de la conscience

publique ». De plus, à l’article 51, il est précisé que ces principes « s’ajoutent aux

autres règles du droit international applicable ». A l’article 61, parmi les « tâches

humanitaires » figure celle de rétablir « d’urgence des services d’utilité publique

indispensables ». Dans une partie spécifique, il est précisé que les femmes et les enfants

doivent bénéficier d’une attention particulière. Dans l’article 81, la Croix-Rouge a un

droit d’initiative et elle peut assurer d’autres formes d’assistance humanitaire que celles

qui sont explicitement mentionnées dans ces textes. Enfin, dans le préambule du

Protocole II qui concerne seulement les conflits armés non internationaux, il est

explicitement fait référence au droit international des droits de l’homme même si

l’article 3 rappelle le principe de souveraineté. Le droit à l’éducation figure dans

l’article 4.3 de ce second protocole qui porte sur les « garanties fondamentales » : « les

enfants recevront les soins et l’aide dont ils ont besoin et, notamment : a) ils devront

recevoir une éducation… »

Le droit à l’éducation n’est pas explicitement garanti par les différentes sources

formelles du droit humanitaire. « Un certain nombre de droits de l’homme ne sont pas

inclus dans le DIH du fait qu’ils ne sont pas considérés comme ayant un lien direct avec

la protection des personnes contre les dangers spécifiquement encourus lors d’un

conflit armé. On peut citer à ce propos les droits économiques, sociaux et

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culturels…48 » C’est le cas du droit à l’éducation. N’est-elle pas pourtant une forme de

protection, au même titre que la santé où la nourriture, pour des enfants ou des adultes

en perte de repères ?

2) Tendance à une interprétation de plus en plus large des ambitions

humanitaires

On peut remarquer une première évolution entre 1949 et 1977 qui annonce celle

qui se poursuivra au sein du droit humanitaire par la suite. D’un point de vue strictement

humanitaire, on pourrait très bien interpréter les sources de façon à y voir une garantie

du droit à l’éducation dans les situations d’urgence. Notons que ce qui est au cœur du

DIH, c’est la protection des personnes. L’éducation pourrait très bien être considérée

comme une forme de protection. Les enfants qui sont pris en charge dans une structure

scolaire sont préservés des dangers alentours : enlèvements, embrigadement dans des

forces armées, travail forcé, etc. De plus, ils sont dans un cadre psychologiquement plus

rassurant et leur équilibre est ainsi mieux préservé. Mais surtout, l’éducation représente

sans aucun doute un mécanisme de protection différée, de protection indirecte. Les

enfants ou les individus sont plus renseignés sur les risques qu’ils courent, plus à même

de réagir et de se reconstruire après la crise. Pourquoi alors le droit humanitaire ne

prend-il pas explicitement en charge cette question ? Même si le droit à l’éducation est

déductible d’une certaine manière du droit humanitaire, on ne peut que remarquer son

absence.

Le droit à l’éducation est à la frontière des deux logiques juridiques explicitées

plus haut et il est traversé par les tensions qui existent entre droit humanitaire et droits

de l’homme. Etant donné qu’il est quasi-absent des normes du droit humanitaire, le

droit à l’éducation en situations d’urgence dépend en grande partie de la place que l’on

octroie à la défense des droits de l’homme, et en l’occurrence des DESC, dans ces

situations. Depuis la Déclaration Mondiale sur l’Education Pour Tous, adoptée à

Jomtien en Thaïlande en 1990, le droit à l’éducation occupe une place autonome dans le

paysage des droits de l’homme. Quels sont alors les éléments de réponses apportés par

48 Bad Abdelwahab, op. cit., p. 43.

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le droit à l’éducation lui-même à ces tensions juridiques qui le précèdent et le

traversent ?

B/ La prise en compte de l’urgence par le droit à l’éducation pour tous

Le droit à l’éducation est reconnu au niveau international depuis la Déclaration

Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) de 1948. D’abord posé comme un principe

universel, il a peu à peu acquis une force contraignante jusqu’à occuper une place

autonome dans le paysage juridique des droits de l’homme.(1) De nombreux obstacles à

son effectivité ont conditionné son évolution. Depuis les années 1990, les textes

normatifs du droit à l’éducation et les cadres d’actions qui en découlent, tant au niveau

international qu’au niveau régional, prennent en compte les problématiques particulières

qui se posent dans des situations dites d’urgence ou de crises.(2)

1) Emergence du droit à l’éducation pour tous

a) 1948-1989 : Le droit à l’éducation érigé en droit de l’homme

Le droit à l’éducation pénètre le paysage des droits de l’homme à partir de 1948,

avec l’article 26 de la DUDH49. Il fait à partir de ce moment-là partie intégrante de

l’ensemble des droits de l’homme. Ainsi, il figurera dans d’autres normes

internationales, et notamment dans le Pacte International relatif aux droits économiques,

sociaux et culturels (PIDESC) adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies en

1966. Le droit à l’éducation figure à l’article 1350 de ce Pacte. Une observation

49 DUDH, article 26 : « 1. Toute personne a droit à l'éducation. L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. L'enseignement élémentaire est obligatoire. L'enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite. 2. L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix… » 50 Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux, et Culturels (PIDESC), adopté le 16 décembre 1966, entré en vigueur le 3 janvier 1976, article 13 : « 1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à l'éducation. Ils conviennent que l'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa dignité et renforcer le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ils conviennent en outre que l'éducation doit mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre, favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous

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définissant des obligations juridiques sera ajoutée à cet article en 1999, suite au

développement parallèle des normes sur le droit à l’éducation pour tous et à l’urgence

croissante de sa mise en œuvre au niveau mondial. Mais le premier grand texte

international à donner force contraignante à ce droit est la Convention relative aux

droits de l’enfant, adoptée en 1989. Cette dernière a été ratifiée par tous les pays du

monde sauf les Etats-Unis et la Somalie. Elle énonce le droit à l’éducation dans ses

articles 28 et 2951. Le septième grand principe proclamé par la Déclaration des Droits de

les groupes raciaux, ethniques ou religieux et encourager le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix. 2. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent qu'en vue d'assurer le plein exercice de ce droit: a) L'enseignement primaire doit être obligatoire et accessible gratuitement à tous; b) L'enseignement secondaire, sous ses différentes formes, y compris l'enseignement secondaire technique et professionnel, doit être généralisé et rendu accessible à tous par tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité; c) L'enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité; d) L'éducation de base doit être encouragée ou intensifiée, dans toute la mesure possible, pour les personnes qui n'ont pas reçu d'instruction primaire ou qui ne l'ont pas reçue jusqu'à son terme; e) Il faut poursuivre activement le développement d'un réseau scolaire à tous les échelons, établir un système adéquat de bourses et améliorer de façon continue les conditions matérielles du personnel enseignant. 3. Les Etats parties au présent Pacte s'engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux, de choisir pour leurs enfants des établissements autres que ceux des pouvoirs publics, mais conformes aux normes minimales qui peuvent être prescrites ou approuvées par l'Etat en matière d'éducation, et de faire assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants, conformément à leurs propres convictions. 4. Aucune disposition du présent article ne doit être interprétée comme portant atteinte à la liberté des individus et des personnes morales de créer et de diriger des établissements d'enseignement, sous réserve que les principes énoncés au paragraphe 1 du présent article soient observés et que l'éducation donnée dans ces établissements soit conforme aux normes minimales qui peuvent être prescrites par l'Etat. », disponible sur : http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/a_cescr_fr.htm. 51 Convention relative aux Droits de l’Enfant (CDE), adoptée le 20 novembre 1989, entrée en vigueur le 2 septembre 1990, articles 28 et 29 : « Article 28 1. Les États parties reconnaissent le droit de l'enfant à l’éducation, et en particulier, en vue d'assurer l'exercice le ce droit progressivement et sur la base de l'égalité des chances: a) Ils rendent l'enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous ; b) Ils encouragent l'organisation de différentes formes d'enseignement secondaire, tant général que professionnel, les rendent ouvertes et accessibles à tout enfant, et prennent des mesures appropriées telles que l'instauration de la gratuité de l'enseignement et l'offre d'une aide financière en cas de besoin ; c) Ils assurent à tous l'accès à l'enseignement supérieur, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés d) Ils rendent ouvertes et accessibles à tout enfant l'information et l'orientation scolaires et professionnelles ; e) Ils prennent des mesures pour encourager la régularité de la fréquentation scolaire et la réduction des taux d'abandon scolaire. Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d'une manière compatible avec la dignité de l'enfant en tant être humain et conformément à la présente Convention. 2. Les États parties favorisent et encouragent la coopération internationale dans le domaine de l’éducation, en vue notamment de contribuer à éliminer l'ignorance et l'analphabétisme dans le monde et de faciliter l'accès aux connaissances scientifiques et techniques et aux méthodes d'enseignement modernes. À cet égard, il est tenu particulièrement compte des besoins des pays en développement. Article 29 1. Les États parties conviennent que l’éducation de l'enfant doit viser à : a) Favoriser l'épanouissement de la personnalité de l'enfant et le développement de ses dons et des ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ;

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l’Enfant (DDE) en 1959 concernait l’éducation, il s’agit là d’ériger ce principe en droit

et d’en faire une obligation contraignante pesant sur les Etats, au nom du respect de la

dignité des enfants. Ainsi, sont définis un certain nombre de moyens de mise en œuvre

de ce droit avant que soient énoncés dans l’article 29 les enjeux de l’éducation,

notamment au regard de la dignité de l’enfant et de la place qu’il doit trouver au sein de

sa société. Le droit à l’éducation faisant partie de l’ensemble des droits de l’homme, il a

une ambition d’universalité52.

Entre 1948 et 1990, différentes normes régionales relatives aux droits de l’homme

proclament également, à une autre échelle, un droit à l’éducation. Au niveau européen,

la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de

1950, porte essentiellement sur des droits civils et politiques. Cependant, un protocole

additionnel du 2 mars 1952 proclame le « droit à l’instruction » et rappelle le rôle de

l’Etat dans l’éducation53. Il en est de même pour la Convention américaine sur les droits

de l’homme de 196954, le droit à l’éducation est énoncé à l’article 13 du protocole

additionnel de 198855, dans une formulation plus proche de celle de la DUDH. Par

ailleurs, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 198156 reconnaît

b) Inculquer à l'enfant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et des principes consacrés dans la Charte des Nations Unies ; c) Inculquer à l'enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de la sienne ; d) Préparer l'enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d'égalité entre les sexes et d'amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d'origine autochtone ; e) Inculquer à l'enfant le respect du milieu naturel. 2. Aucune disposition du présent article ou de l'article 28 ne sera interprétée d'une manière qui porte atteinte à la liberté des personnes physiques ou morales de créer et de diriger des établissements d'enseignement, à condition que les principes énoncés au paragraphe 1 du présent article soient respectés et que l’éducation dispensée dans ces établissements soit conforme aux normes minimales que l'État aura prescrites. », disponible sur : http://www.ohchr.org/french/law/crc.htm. 52 L’ensemble des normes internationales des Nations-Unies ou de l’UNESCO relatives à l’éducation sont rassemblées dans Droit à l’éducation et à la protection de l’enfance, UNESCO, 2006. 53 Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, adoptée par le Conseil de l’Europe le 4 novembre 1950, entrée en vigueur le 3 septembre 1953, et ses protocoles additionnels, disponibles sur : http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/086519A8-B57A-40F4-9E22-3E27564DBE86/0/FrenchFrançais.pdf. 54 Convention américaine relative aux droits de l’homme, adoptée par la Conférence spécialisée interaméricaine des droits de l’homme le 22 novembre 1969, et entrée en vigueur 18 juillet 1978, disponible sur : http://www.cidh.oas.org/Basicos/French/c.convention.htm. 55 Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels, dit ‘’protocole de San Salvador’’, adopté le 17 novembre 1988, disponible sur : http://www.cidh.oas.org/Basicos/French/e.sansalvador.htm. 56 Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, adoptée par l’Organisation de l’Unité Africaine le 27 juin 1981, entrée en vigueur le 21 octobre 1986, disponible sur :

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dans son article 17 le droit à l’éducation. Un autre texte fait écho en Afrique à la

Convention relative aux droits de l’enfant de 1989. Il s’agit de la Charte africaine des

droits et du bien-être de l’enfant de 199057 qui consacre son article 11 au droit à

l’éducation, en précisant sa visée et les moyens de sa mise en œuvre. Ces différents

traités régionaux contribuent au caractère contraignant du droit à l’éducation58.

Il est revendiqué de manière de plus en plus forte, et ce au même titre que d’autres

droits et en particuliers de DESC. Mais il n’occupe pas de place singulière ou

privilégiée dans le droit international avant les années 90. On va assister à partir de 1990

à ce que l’on pourrait appeler l’ « émancipation du droit à l’éducation ».

b) 1990-2000 : L’émancipation du droit à l’éducation

En mars 1990, à Jomtien, est adoptée la Déclaration Mondiale sur l’Education

Pour Tous (DMEPT)59. Cette Déclaration qui affirme bien entendu le caractère

absolument essentiel de la promotion et de la garantie du droit à l’éducation, ainsi que la

nécessité de son universalisation, détermine des objectifs et un Cadre d’action pour

répondre aux besoins fondamentaux. On constate que le bilan des années 80 quant au

développement et à l’éducation est dramatique (disparités économiques, conflits, etc.). Il

s’agit d’affirmer la nécessité absolue de mettre en place des moyens forts pour inverser

ces processus. L’universalisation de l’éducation fondamentale et la qualité de cette

éducation sont posées comme des défis à l’ensemble des acteurs de l’éducation :

autorités nationales, régionales, locales mais aussi organisations gouvernementales ou

non gouvernementales, le but étant de développer les partenariats au niveau mondial.

La Conférence de Jomtien replace l’éducation fondamentale au cœur des

mécanismes de mise en place du droit à l’éducation. Cette dernière est « l’éducation

dont l’objet est de répondre aux besoins éducatifs fondamentaux ; il s’agit du premier

niveau d’instruction ou niveau de base pouvant servir d’assise à des apprentissages

http://www.africa-union.org/Official_documents/Treaties_Conventions_fr/Charte%20Africaine%20des%20Droits%20de%20l%20homme%20et%20des%20Peuples.pdf. 57 Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, adoptée par l’Organisation de l’Unité Africaine en juillet 1990, entrée en vigueur le 29 novembre 1999, disponible sur : http://www.africa-union.org/Official_documents/Treaties_Conventions_fr/CHARTE%20AFRICAINE-DROITS%20ENFANT%20new.pdf. 58 Comparer les différents mécanismes de protection du droit à l’éducation selon les régions n’est pas notre objet ici mais il serait intéressant de le faire dans une autre étude. 59 Déclaration Mondiale sur l’Education pour tous (DMEPT), adoptée à Jomtien, en Thaïlande, le 9 mars 1990, disponible sur : http://www.droitsenfant.com/declaeducation.htm.

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plus poussés60 ». Elle comprend l’éducation de la petite enfance, l’enseignement

primaire, l’alphabétisation des adolescents et des adultes et même dans certains pays

l’enseignement secondaire. Mais plus que cela, la conférence de Jomtien opte pour une

vision élargie de l’éducation fondamentale. Il s’agit d’universaliser l’accès à

l’éducation, de promouvoir l’équité, notamment entre les sexes, de mettre l’accent sur la

réussite de l’apprentissage, et surtout d’élargir les moyens et le champ de l’éducation

fondamentale, d’améliorer le contexte d’apprentissage, et de renforcer les partenariats.

Les enfants, les adolescents et les adultes doivent non seulement acquérir un niveau

d’éducation suffisant pour prendre en main leurs destins individuels et collectifs, mais

être capable de s’y maintenir. L’apprentissage commence dès la naissance, il doit passer

par l’école primaire mais tous les modes d’apprentissage, à partir du moment où ils sont

de qualité, sont complémentaires, qu’il s’agisse d’éducation formelle ou non-formelle.

Selon la conférence de Jomtien, il s’agit là d’une « entreprise d’une urgente nécessité »

et cette déclaration pose des objectifs auxquels correspond un cadre d’action détaillé.

c) 2000 : Les objectifs de Dakar

La dernière décennie du XXème siècle a été l’occasion de dresser le bilan le plus

exhaustif jamais réalisé en ce qui concerne l’éducation dans le monde et notamment

l’éducation de base. Six grandes conférences régionales ont dressé un bilan de leur

région, comme l’a fait la conférence de l’Afrique subsaharienne sur l’éducation pour

tous (EPT) à Johannesburg, en décembre 1999. Même si les objectifs définis à Jomtien

n’ont pas été atteints, les progrès accomplis ont été significatifs et l’évaluation rendue

possible par la mise en place de critères et d’indicateurs en ce qui concerne l’éducation

est un outil précieux pour la redéfinition d’objectifs plus adaptés, plus renseignés. En

fait, l’évaluation de l’EPT a permis de dégager et d’analyser les obstacles rencontrés. En

2000, le Forum de Dakar est chargé de définir des objectifs pour 2015 en tenant compte

de ces obstacles.

Avant d’établir un plan d’action détaillé, le forum de Dakar constate

l’ampleur des besoins en matière d’éducation, à l’heure où 880 millions d’adultes sont

analphabètes dans le monde, où 113 millions d’enfants ne vont pas à l’école, et où les

inégalités entre les sexes sont encore criantes. En fonction de ces constats et des

60 Conférence mondiale sur l’éducation pour tous, document de référence, Répondre aux besoins éducatifs fondamentaux : une vision pour les années 90, Jomtien, 5-9 mars 1990.

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inquiétudes qui en découlent, le forum de Dakar définit six grands objectifs à réaliser

pour 2015 : les différents acteurs du droit à l’EPT s’engagent à développer et à

améliorer l’éducation de la petite enfance, considérant que « l’éducation commence dès

la naissance », à universaliser l’enseignement primaire, à adapter les programmes

éducatifs aux situations de vie, à améliorer l’alphabétisation de 50%, à garantir l’égalité

des sexes dans l’éducation primaire et secondaire, et à améliorer dans toutes les

situations la qualité de l’éducation. Chacune de ces exigences doit donner lieu à des

programmes d’actions reposant sur des partenariats dans les différentes régions du

monde et l’évolution des situations éducatives doit être évaluée régulièrement.

2) Les inquiétudes de la Communauté internationale quant au respect de

l’EPT dans les situations d’urgence

Le Sommet des Nations Unies a adopté en septembre 2000 les Objectifs du

Millénaire pour le Développement61 (OMD). Huit objectifs ont été fixés pour 2015, le

but étant de lutter contre la pauvreté au niveau planétaire. L’un de ces objectifs est

l’universalisation de l’enseignement primaire pour 2015. Sur ce point donc, les Nations

Unies rejoignent les ambitions de l’EPT. Ce qui est visé n’est pas seulement la

scolarisation de tous les enfants dans le primaire mais l’achèvement d’un cycle primaire

pour tous les enfants. On considère que six ans de scolarité sont nécessaires pour

acquérir les outils de base au renouvellement des apprentissages. Ces objectifs sont loin

d’être réalisés dans certaines régions du monde, et notamment en Afrique

subsaharienne, ce qui soulève un grand nombre d’inquiétudes. Celles-ci se portent

notamment sur les situations limites telles que les situations de conflits qui concernent

majoritairement les pays pauvres tant le lien est fort entre conflit et grande précarité.

Selon le rapport des Nations Unies de 2005, « ce qui est sûr c’est que la prévention des

conflits, ainsi que la capacité à saisir les opportunités de reconstruction post-

conflictuelle pourraient clairement accélérer la réalisation des OMD. A contrario, un

échec dans ce domaine rendrait la réalisation des objectifs fixés plus difficiles.62»

61 Objectifs du Millénaire pour le Développement, définis en 2000, par les Nations Unies, disponibles sur : http://www.un.org/french/millenniumgoals. . 62Rapport mondial sur le développement humain 2005. La coopération internationale à la croisée des chemins. L’aide, le commerce et la sécurité dans un monde marqué par les inégalités, Paris, Economica, 2005. (publié pour le programme des Nations-unies pour le développement), p. 163.

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Les inquiétudes à propos des situations de conflits ou de catastrophes émergent

dans les normes du droit à l’éducation à partir des années 1990.(a) Le forum de Dakar, à

l’aube du XXIème siècle en fera une préoccupation majeure.(b)

a) Apparition de ces inquiétudes dans les années 1990

Dans la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE), les préoccupations

toutes particulières concernant les pays en développement sont mentionnées dans

l’article 28.363. La CDE renvoie également de manière plus générale au droit

humanitaire dans ses articles 38.1 et 38.464.

De plus, la Communauté internationale, inquiète des disparités et des carences de

l’éducation au niveau mondial65, parle à partir de 1990 de l’Education Pour Tous (EPT).

Ce droit porte donc doublement son exigence d’universalité. La Déclaration de Jomtien

relève bien la problématique posée par les situations de conflits mais ne se prononce pas

sur l’éducation au sein de ces situations. Il s’agit juste dans l’article 10.4 d’inciter les

nations à « unir leurs efforts pour résoudre les conflits et les dissensions, mettre fin aux

occupations militaires et installer les populations déplacées ou faciliter leur retour dans

leur pays d’origine, en veillant à répondre à leurs besoins fondamentaux. » Le postulat

énoncé à ce moment là est que « seul un environnement stable et pacifique peut offrit

des conditions qui permettent à chaque être humain, enfant ou adulte, de tirer bénéfice

des objectifs de la présente Déclaration. » Seulement, les années 1990 n’ont fait que

renforcer les inquiétudes au sujet des situations de conflit et d’urgence en général, tout

en montrant par diverses expériences que l’éducation pouvait être un facteur de stabilité

63 Convention relative aux droits de l’enfant, article 28.3 : « Les Etats Parties favorisent et encouragent la coopération internationale dans le domaine de l’éducation, en vue notamment de contribuer à éliminer l’ignorance et l’analphabétisme dans le monde et de faciliter l’accès aux connaissances scientifiques et techniques et aux méthodes d’enseignements modernes. A cet égard, il est tenu particulièrement compte des besoins des pays en développement. » 64 Convention relative aux droits de l’enfant, article 38 : Renvoi du DIDH au DIH dans la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (article 38-1 et 38-4) : « article 38-1 : les Etats parties s’engagent à respecter et à faire respecter les règles du droit humanitaire international qui leur sont applicables en cas de conflit armé et dont la protection s’étend aux enfants (…) article 38-4 : conformément à l’obligation qui leur incombe en vertu du droit humanitaire international de protéger la population civile en cas de conflit armé, les Etats parties prennent toutes les mesures possibles dans la pratique pour que les enfants qui sont touchés par un conflit armé bénéficient d’une protection et de soins. » 65 Déclaration Mondiale de Jomtien sur l’Education pour Tous, article 3.4 : « Il faut s’attacher activement à éliminer les disparités éducatives qui peuvent exister au détriment de certains groupes. Les pauvres, les enfants des rues et les enfants qui travaillent, les populations des zones rurales ou reculées, les nomades et les travailleurs migrants, les populations autochtones, les minorités ethniques, raciales et linguistiques, les réfugiés, les personnes déplacées par la guerre, les populations sous régime d’occupation, ne doivent subir aucune discrimination dans l’accès aux formations. »

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dans ces contextes limites. L’éducation suppose un environnement stable et en même

temps elle permet, lorsque celui-ci ne l’est pas, de l’apaiser. Ainsi, une prise de

conscience concernant la nécessité de l’éducation quelles que soient les situations a été

amorcée dans les années 1990.

b) L’avertissement du cadre d’action de Dakar

Le forum de Dakar définit des domaines qui « requièrent une attention toute

particulière » : les conséquences du VIH/sida, l’éducation de la petite enfance,

l’éducation des filles et des femmes, l’alphabétisation des adultes et l’éducation en

situations d’urgence et de crises. On peut donc considérer que les situations d’urgence

ont intégré en 2000 le cadre normatif du droit à l’éducation. Le cadre d’action du forum

de Dakar sur l’EPT préconise dans son article 8.V de « répondre aux besoins des

systèmes éducatifs subissant le contrecoup de situations de conflits, de catastrophes

naturelles, et de situations d’instabilité et [de] conduire les programmes d’éducation

selon des méthodes qui soient de nature à promouvoir la paix, la compréhension

mutuelle et la tolérance et à prévenir la violence et les conflits. » La portée du droit à

l’éducation ne souffre aucune limite après le forum de Dakar et il ne semble pas

contestable, pour des instances comme l’UNESCO, que ce droit universel et intangible

doive être garanti tout particulièrement en situations d’urgence. Pourtant si on se penche

sur ces situations de manière pragmatique, leur violence détruit tout espoir de rendre

cette universalité palpable. Parfois, le droit à l’éducation semble vidé de tout son sens,

anéanti par la force du chaos.

Si le droit à l’éducation pose problème en ce qui concerne les situations

d’urgence, ce n’est pas seulement qu’il est traversé par les conflits juridiques entre

droits de l’homme et droits humanitaire. Nous voyons au travers de son évolution

propre que c’est une question qui se pose à lui de manière singulière. Les situations

d’urgence constituent le point d’achoppement du droit à l’éducation pour tous non pas

seulement parce que ce droit n’est pas suffisamment garanti de manière formelle mais

parce que les contradictions essentielles entre l’urgence et l’éducation paraissent

souvent indépassables. C’est la raison pour laquelle la formulation de cette

préoccupation majeure au regard du droit à l’éducation est si tardive dans les textes

internationaux. Les hésitations dominent encore aujourd’hui malgré les objectifs de

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Dakar parce que l’urgence est tout simplement contradictoire avec les exigences d’une

quelconque éducation. C’est que celle-ci vise à introduire une forme de temporalité qui

ne s’accorde pas avec l’urgence. Les situations limites du droit à l’éducation sont

extrêmement révélatrices de ces contradictions qui se reflètent très concrètement dans la

réalité. A chaque fois qu’une mise en place de l’éducation paraît très difficile voire

impossible, c’est que nous sommes face à ce type d’impasse, à des temporalités trop

hétérogènes, étrangères, qui se superposent d’une certaine manière sans jamais se

croiser. Comment comprendre exactement ce qui rend l’éducation si réfractaire à

l’urgence ?

CHAPITRE II

Confrontation des temporalités de l’éducation et de l’urgence

L’éducation, qui repose par définition sur le temps, et qui s’inscrit nécessairement

dans un processus long, se heurte à l’immédiateté de l’urgence.(section 1) Nous verrons

comment ce conflit entre deux temporalités hétérogènes se manifeste

concrètement.(section 2)

Section 1

L’impossibilité de penser l’éducation dans des contextes obéissant aux

seules règles du présent

L’éducation, prise dans un sens très large, désigne l’ensemble des processus

d’apprentissage. D’un point de vue étymologique, éducation vient du latin educare qui

signifie tout d’abord nourrir ou « prendre soin de ». Ce terme était employé à l’origine à

propos de l’élevage des animaux domestiques. Eduquer, c’est élever, entourer,

accompagner. On voit donc comment on passe dans ce cas aisément de l’idée d’élevage

à celle d’élévation lorsqu’il s’agit de l’homme. Eduquer un enfant, c’est lui permettre de

grandir, de déployer ses potentialités. Mais c’est aussi lui donner la direction à suivre.

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Ainsi, les enjeux de l’éducation sont considérables.(A) Cette élévation, ce

développement de l’individu implique nécessairement la médiation du temps. Elle

s’inscrit de fait dans la durée. Elle ne tolère a priori pas l’urgence.(B)

A/ Les enjeux de l’éducation

1) Développement individuel et développement collectif

Le principal enjeu de l’éducation est un enjeu de développement, à la fois

individuel et collectif. Un enfant ne peut pas évoluer dans un contexte donné s’il n’a pas

les outils pour le faire. Cela est encore plus vrai dans un contexte de mondialisation

comme aujourd’hui. L’éducation permet à l’individu de comprendre ce qui l’entoure

mais aussi de porter des jugements, d’avoir un regard éclairé et critique sur la réalité, et

d’agir en son sein. Plus un individu est éduqué, plus il est armé pour évoluer dans un

contexte donné, pour s’adapter éventuellement à d’autres situations, pour être acteur de

changements et non simple spectateur. L’enjeu de l’éducation est de faire des individus

épanouis qui ne subissent pas seulement les événements. C’est de faire des individus

acteurs de leurs destins donc plus responsables et plus libres. Il suffit de se reporter à la

DUDH ou à chacun des textes qui contribuent à poser juridiquement un droit à

l’éducation universel pour voir que le droit international des droits de l’homme prend

l’épanouissement de chacun comme fin de l’éducation. L’article 26.2 de la DUDH

stipule que « L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine

et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. » La

principale visée de l’éducation est le développement de l’individu. Ses objectifs sont

déclinés par la Commission pour le XXIe siècle selon quatre grands piliers : apprendre

à connaître, apprendre à faire, apprendre à vivre ensemble et apprendre à être66. La fin

de l’éducation est bien l’individu lui-même. Lui apprendre à être, c’est développer

l’ensemble des possibles qu’il porte en lui, c’est déployer toutes ses potentialités. La

Convention relative aux droits de l’enfant67 pose comme visée de l’éducation le fait

qu’elle doit « favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le

66 Delors Jacques (dir.), L’éducation : un trésor est cache dedans, Rapport à l’UNESCO de la Commission Internationale sur l’éducation pour le XXIe siècle, Paris, UNESCO, 1996.

67 CDE, article 29.1.a.

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développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la

mesure de leur potentialités. » Et par-delà les individus, l’enjeu de l’éducation est le

développement des peuples. Dans l’éducation se croisent et se tracent les destins

individuels et collectifs.

Faire de l’éducation la condition du développement des individus et avec eux des

sociétés, c’est postuler que les hommes ne sont pas déterminés par avance, qu’ils sont

fondamentalement libres.(a) Mais plus encore, c’est faire l’hypothèse que ce qui fait la

spécificité de l’homme, c’est sa capacité à évoluer, à se perfectionner, au sens neutre du

terme68, dans un mouvement infini. (b)

a) Le postulat de la liberté humaine

Le premier postulat de l’éducation est donc celui de la liberté humaine. Il apparaît

« impossible d’éduquer, de penser l’éducation, sans poser en principe que l’être à

éduquer est libre. 69» L’éducation est le mouvement par lequel l’homme devient plus

libre et elle repose sur le présupposé que l’homme est apte à la liberté. Dire que

l’éducation vise la liberté, c’est dire qu’elle augmente le nombre des possibles. Un

individu éduqué a tout simplement plus de choix. Ce postulat interroge directement

notre conception de l’homme. En effet, si nous le voyons déterminé par une nature

préétablie, cela signifie que ses possibles sont déjà tous en lui. Ainsi, dans une acception

naturaliste, l’objectif de l’éducation consisterait à réaliser, actualiser des potentialités

propres à chacun et définies d’avance. « Pour le naturalisme éducationnel, l’éducation

consiste à aider l’éduqué à devenir en fait ce qu’il est en puissance. 70 » L’idée de

développement renvoie originellement à ce phénomène d’actualisation, il est

déroulement d’une nature première, au sens littéral accomplissement. A l’opposé de

cette conception de l’homme se trouve celle qui consiste à penser que tout est acquis,

que « tout ce qui rend l’homme humain : le langage, la pensée, les sentiments, les

techniques, les sciences, les arts, la morale, l’homme l’a parce qu’il l’a appris .71 »

Mais dans ce cas, qu’est-ce qui définit l’homme de manière essentielle ? L’ambition

68 Il ne faut pas voir ici dans ce terme un quelconque finalisme. La capacité de l’homme à se perfectionner signifie simplement ici à changer, à évoluer, au sens rousseauiste du terme. 69 Kerlan Alain, Philosophie de l’éducation, Issy-les-Moulineaux, Ed. ESF, Coll. Pratiques et enjeux pédagogiques, 2003, p. 37. 70Hannoun Hubert, Propos philosophiques sur l’éducation, Paris, Ed. L’Harmattan, Coll. Ouverture philosophique, 2002, p. 55. 71 Reboul Olivier, La Philosophie de l’éducation, PUF, Que sais-je ?, 1989, p. 19.

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d’une éducation universelle ne peut pas manquer de buter sur cette impasse. C’est que la

nature humaine doit précisément être définie comme potentialité. « Il y a bien donc une

nature humaine universelle, qui consiste précisément en la possibilité d’apprendre.72 »

Ce qui fait la spécificité de l’homme, c’est bien ce qui le rend capable d’échapper à

toutes ses déterminations par l’apprentissage.

b) Le postulat de la perfectibilité

C’est cette faculté que Rousseau nomme la perfectibilité. « Il y a une autre qualité

très spécifique qui les distingue [l’homme et l’animal], et sur laquelle il ne peut y avoir

de contestation, c’est la faculté de se perfectionner…73» Ce qui distingue l’homme de

l’animal, pour Rousseau, c’est que l’animal a un seuil de développement au-delà duquel

il ne pourra pas aller, il a une capacité à se perfectionner limitée, ce qui n’est pas le cas

de l’homme. C’est dire que l’homme se caractérise par le fait même qu’il est en

perpétuelle évolution, qu’il est traversé en permanence par une multitude de possibles et

que son destin n’est pas déterminé par cette nature évolutive. « Je ne sache pas

qu’aucun philosophe ait encore été assez hardi pour dire : voilà le terme où l’homme

peut parvenir et qu’il ne saurait passer. Nous ignorons ce que notre nature nous permet

d’être ; nul de nous n’a mesuré la distance qui peut se trouver entre un homme et un

autre homme.74 » Cette idée de perfectibilité traverse la philosophie. Et c’est elle qu’on

retrouve en un sens dans l’article 29 de la Convention relative aux droits de l’enfant.

Chacun porte en lui un ensemble de possibles, de potentialités que la Commission pour

l’éducation au XXIème siècle appellera des trésors, qui le rendent perfectible.

L’éducation a pour tâche d’assurer le perfectionnement de l’homme.

Si nous partons des principes que l’homme est libre et qu’il est perfectible alors le

pouvoir donné à l’éducation est immense puisque c’est par elle que nous devenons ce

que nous sommes. Autrement dit, l’éducation peut tout. Nous voyons alors en quoi il

s’agit bien d’un apprentissage de l’être. Mais reconnaître le pouvoir de l’éducation, c’est

en même temps reconnaître ses dangers. Les postulats qui viennent d’être posés sont

72 Reboul Olivier, op. cit., p. 21. 73 Rousseau Jean-Jacques, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Paris, Ed. Bordas, Coll. Es œuvres philosophiques, 1987 (première édition en 1755), P. 38. 74Rousseau, Emile, traité sur l’éducation, Paris, Larousse, Coll. Petits classiques Larousse, 1999. (Première édition en 1762), p. 65.

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lourds de sens et de conséquences puisque cela signifie que l’éducation peut le meilleur

comme le pire et l’histoire nous l’a malheureusement montré. Rousseau et d’autres

n’affirment pas avec la perfectibilité que l’homme devient forcément meilleur, bien au

contraire. Cette même perfectibilité peut mener à la perte de l’homme puisque tout est

possible pour lui75. « La sculpture de l’homme par l’homme est porteuse de tous les

possibles, des espoirs les plus enthousiasmants comme des erreurs les plus tragiques,

des constructions solidaires comme des dépravations destructrices…76 » C’est

l’éducation aussi qui peut mener à la violence, elle est génératrice de haine si on s’en

sert à cette fin. La liberté est un principe essentiel à l’éducation mais ne suffit pas à en

déterminer le contenu, de même que la perfectibilité de l’homme et le pouvoir qu’elle

confère à l’éducation n’indiquent pas la direction à suivre. Comment définir dans ce cas

une bonne éducation, autrement dit comment donner une dimension qualitative à notre

concept d’éducation ? L’envers de la liberté est la responsabilité que nous portons face à

nos enfants. « Qu’est-ce qu’éduquer […] dans la perspective d’un devenir infiniment

ouvert, et dont le sens et la responsabilité sont entre nos mains ?77 » Sans la

détermination de valeurs, l’éducation est un concept purement formel. L’apprentissage

appelle un contenu, un sens, voire une éthique.

2) Education et valeurs

a) L’exigence éthique de l’éducation

Il y aurait beaucoup à dire sur toutes les perversions possibles de l’éducation dont

l’endoctrinement ou la manipulation sont des variantes. Ces perversions, qui ont

malheureusement marqué l’histoire, doivent toujours être présentes à notre esprit

lorsqu’il s’agit d’éducation et elles suffisent à appeler comme nécessaires des valeurs

qui guideraient le processus éducatif.

Mais si des valeurs sont nécessaires, c’est aussi parce que le concept d’éducation

porte en lui cette exigence, de manière positive : s’éduquer, « c’est parvenir à mieux

75 Pour Rousseau, la perfectibilité de l’homme est responsable de sa perte en même temps qu’elle est une promesse puisqu’en faisant de lui un être par essence évolutif, elle l’éloigne inexorablement de sa première nature dans laquelle il ne pouvait qu’être heureux. C’est tout le déclin de l’homme qui est décrit dans Le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. 76 Hannoun Hubert, Les paris de l’éducation, Paris, PUF, Coll. L’éducateur, 1996, p. 7. 77 Kerlan Alain, op. cit., p. 39.

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faire, à mieux comprendre, à mieux être. Or, qui dit ‘‘mieux’’ dit valeur. 78» Apprendre

à être, c’est aller dans le sens d’une amélioration de l’être et il semble difficile de ne pas

donner une dimension éthique à l’éducation de ce point de vue. C’est dire que

l’éducation a nécessairement une visée morale, non au sens où elle supposerait une

morale dogmatique et transcendante mais au sens où il nous faut définir des valeurs

communes79. « Si l’on comprend cette locution ‘‘valeurs morales’’ comme construite

sur les notions de respect des droits de la personne et de reconnaissance des libertés de

l’autre, alors c’est bien de cela qu’il s’agit.80 » Comment déterminer ces valeurs ? Cette

première question nous amène inévitablement à une seconde question : y a-t-il des

valeurs universelles en matière d’éducation ?

b) Entre valeurs particulières et valeurs universelles

Certes, l’observation des différentes traditions, du pluralisme des cultures et de

l’histoire des peuples, nous témoigne du relativisme des valeurs dans l’espace et dans le

temps, mais il y a selon nous un danger à rester dans ce relativisme. Les différentes

sciences humaines se doivent de remarquer ces différences et de les analyser mais

l’éducation a le devoir de les dépasser tout en les respectant parce qu’elle repose sur un

humanisme. L’éducation est transmission de valeurs particulières, qu’elles soient

traditionnelles, culturelles, sociales, etc. mais elle est en même temps ouverture vers

l’autre et donc dépassement des particularismes. Toute éducation porte en elle une visée

universelle, elle en a le devoir. Il nous semble, puisque les grands textes des droits de

l’homme ont été ratifiés par les Etats, que ces droits fondamentaux peuvent venir aider

toutes les autres pensées de l’homme à trouver des valeurs humaines universelles. « Est

universel non pas ce qui fait l’objet d’un consensus de fait, mais ce dont je sais que tout

homme informé et sans parti pris pourrait l’accepter. Que la torture soit pratiquée

partout et admise par beaucoup ne m’empêche pas de la réprouver et de tenir cette

78 Reboul Olivier, op. cit. 79 Nous entendons ici le terme de morale en un sens très large, c’est la raison pour laquelle nous ne distinguons pas les concepts de morale et d’éthique. Nous considérons que l’éthique est une forme de morale immanente que l’homme se donne à lui-même. 80 Zermatten Jean, « Le droit à l’éducation : si simple et si compliqué… », in Droit à l’éducation : solution à tous les problèmes ou problème sans solution ?, Sion, Institut international des droits de l’enfant / Institut universitaire de Kurt Bösch, 2006, p. 10.

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réprobation pour universelle, tout homme qui veut bien réfléchir ne pouvant qu’y

souscrire. 81»

Cette ambition universelle consubstantielle à toute éducation suppose un double

mouvement : en même temps que l’individu comprend ses racines, il est arraché à cette

identité particulière et projeté au-delà. « L’arrachement ouvre à la dimension humaine

universelle au sein même de chaque culture particulière, quelle qu’elle soit. Eduquer

c’est bien tout ensemble ‘‘enraciner’’ et ‘‘arracher’’. Une éducation qui se suffirait

d’enracinement et qui ne maintiendrait pas ouvert et immanent le chemin de

l’arrachement, serait-elle pleinement une éducation ou une sorte de dressage

culturel ? Une éducation sans racine, ‘’hors sol’’, serait-elle fidèle à la visée de

l’universel ?82» Ces deux dimensions qui apparaissent d’abord comme contradictoires

sont en fait nécessairement imbriquées. L’enjeu de l’éducation est précisément là : lier

l’individu à ses racines et en même temps l’ouvrir au monde.

L’être humain, perfectible, est un être en perpétuel devenir. Mais si sa nature

consiste à se perfectionner, au sens neutre du terme, elle ne lui dicte pas la direction à

suivre. L’éducation a pour tâche de transmettre un certain nombre de valeurs,

particulières et universelles, afin de permettre à chacun de déployer toutes les richesses

qu’il porte en lui. Mais cette tâche nécessite du temps. L’éducation s’inscrit

nécessairement, de part sa nature et son ambition, dans un processus continu. Elle

s’inscrit inévitablement dans la durée.

B) L’éducation et l’urgence : deux temporalités hétérogènes

Le devenir de l’individu n’est absolument pas tracé d’avance. Il naît au monde

sans savoir où il va. Il naît dans ce monde qu’il ne connaît pas et dont le mouvement a

commencé bien avant lui. Ne trouve-t-on pas dans cette naissance abrupte l’essence de

l’éducation ? (1)

81 Reboul Olivier, « Education », in Auroux Sylvain (dir.), Encyclopédie philosophique universelle, vol. II : Les Notions philosophiques, Tome 1, Ed. André Jacob, 1990, p. 747. 82 Kerlan Alain, op. cit., p. 61.

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Dans des contextes de rupture comme les situations d’urgence, l’éducation semble

ne plus pouvoir jouer son rôle. L’urgence ne laisse pas de place à la prise de distance ou

au développement des individus. Elle est rupture et règne de l’immédiateté. (2)

1) Le temps, fondement de l’éducation

Si l’éducation est essentielle, c’est parce que les individus, en arrivant dans un

monde bien plus ancien qu’eux, n’ont pas d’emblée toute les clés pour y faire leur

chemin. C’est cette rupture entre la nouveauté de chaque être humain et le mouvement

des hommes et du monde qui fait que l’éducation est si fondamentale. Elle réintègre

chacun dans une temporalité plus vaste. C’est la thèse d’Hannah Arendt : « l’essence de

l’éducation est la natalité, le fait que des êtres humains naissent dans le monde. 83»

L’individu naît au monde comme un tableau vierge et il y a une rupture radicale entre

cette naissance, cette nouveauté, et l’état du monde dans lequel il apparaît. Le monde, la

société dans laquelle arrive un enfant ont une histoire. Tout, autour de cet enfant, est

déjà en mouvement et ce mouvement a commencé bien avant lui. Le mouvement du

monde n’est pas suspendu lorsqu’un nouvel individu arrive, il ne s’arrête pas pour lui.

Le but de l’éducation va être de faire se rejoindre la nouveauté de l’individu et

l’ancienneté du monde. « Avec la conception et la naissance, les parents n’ont pas

seulement donné la vie à leurs enfants ; ils les ont en même temps introduits dans un

monde. » Pour rejoindre ce monde qui le précède, l’enfant doit pouvoir le comprendre.

La première tâche de l’éducation est donc celle-ci.

a) L’éducation comme mémoire

« Il revient au maître de transmettre à l’élève ce que l’humanité a appris

sur elle-même et sur la nature, tout ce qu’elle a créé et inventé d’essentiel. 84 » Plus

l’enfant comprend le monde dans lequel il vit, plus il aura la capacité de s’adapter,

d’agir, de créer à son tour. L’éducation est transmission du passé. Elle porte la mémoire

d’une société, de l’humanité, du monde. «Etant donné que le monde est vieux, toujours

plus vieux qu’eux, le fait d’apprendre est inévitablement tourné vers le passé, sans tenir

83 Arendt Hannah, « La crise de l’éducation », in La crise de la culture, trad. Chantal Vezin, Paris, Gallimard, 2000 (première édition chez Gallimard en 1972), p. 8.

84 Delors Jacques (dir.), op. cit., p. 20.

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compte de la proportion de notre vie qui sera consacrée au présent.85 » L’éducation est

toujours tournée vers un autre temps que celui où elle a lieu. Elle relie ainsi l’individu à

une temporalité plus vaste. En inscrivant l’individu dans cette temporalité, l’éducation

lui permet de prendre de la distance. C’est à cette seule condition qu’il pourra ensuite

être conscient et acteur de son propre devenir. Transmettre le passé, c’est en même

temps ouvrir à l’avenir. Plus l’individu comprend ce qui l’entoure, plus il a une vue

large des phénomènes qui le traversent, plus il a la capacité de se projeter dans le temps,

nous aurons l’occasion d’y revenir.

b) L’éducation, ouverture au monde

Nous voyons bien en quoi l’éducation nécessite un processus long. « Oserais-je

exposer ici la plus grande, la plus importante, la plus utile règle de toute l’éducation ?

Ce n’est pas de gagner du temps, c’est d’en perdre. 86» L’éducation nécessite un temps

de maturation qui est irréductible. « Dans la mesure où l’enfant ne connaît pas encore le

monde, on doit l’y introduire petit à petit.87 » Ainsi, à travers l’éducation s’engage une

dialectique entre l’individu et le monde. Chacun porte en lui une partie du monde et

contribue à sa continuité mais chacun peut également l’infléchir à sa manière. Il ne

s’agit pas seulement de faire perdurer ce qui existe déjà mais d’ouvrir de nouveaux

mondes à partir de celui qui est là. « Les hommes passent, naissent et meurent, mais leur

passage laisse des traces, traces éphémères, traces durables, traces fabriquées de leurs

propres mains, qui seules font un monde et pas seulement une terre.88 » La différence

entre un monde et une terre est que le premier est essentiellement projet, il est

caractérisé par sa « durabilité ». Le monde n’est pas un concept neutre comme la terre, il

est organisation de la matière terrestre par l’homme. Dire que l’éducation ouvre au

monde, c’est donc affirmer qu’elle nous lie à ce projet proprement humain qui a

commencé avant nous et que nous nous devons de poursuivre. En même temps qu’elle

ouvre au monde, elle nous permet de l’infléchir. Peu importe que le monde désigne ici

la société, l’humanité ou l’univers, ce qui le définit est la dialectique temporelle qui le

lie à l’individu. Faire partie du monde, ce n’est pas se situer en son sein, c’est agir avec 85 Ibid., p. 36. 86 Rousseau, Emile, traité sur l’éducation, Paris, Larousse, Coll. Petits classiques Larousse, 1999. (Première édition en 1762), p. 95. 87 Arendt Hannah, op. cit., p. 28. 88 Vergauwen Marie-Thérèse, « Le souci du temps, dans le sillage de Hannah Arendt », Le droit international et le temps (colloque organisé par la Société française pour le droit international), Paris, Ed. Pedone, 2001, p. 192.

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lui dans un même mouvement. N’est-ce pas ce mouvement même qui est rompu

lorsqu’il est question d’urgence ?

2) L’urgence et le règne de l’immédiat

Le monde compris comme projet durable impose une forme de continuité. Or,

dans le chaos de l’urgence tout semble remis en cause, soudainement paralysé par la

violence des événements. L’urgence introduit une rupture dans la continuité d’un

monde, le brise.(a) Elle remplace cette continuité par l’immédiateté, elle est absence de

projet.(b)

a) L’urgence comme rupture dans la temporalité du monde

Dire que le temps est durée, c’est dire que les événements, ce qui arrive, sont

reliés dans le temps et que leur enchaînement forme une continuité. Ce que nous vivons

à l’instant t découle logiquement de ce qui lui précède et participe à la construction de

ce qui va suivre. Le ‘‘maintenant’’ dépend de l’avant et annonce l’après. Le présent

nous renvoie toujours en même temps au passé et au futur et il ne se définit que par

rapport à ces deux autres catégories. Le futur est dépassement du présent. Le temps est

une des manières d’entrevoir la causalité du monde et de chacun.

La brutalité de l’urgence vient heurter de plein fouet la temporalité du monde.

L’urgence est essentiellement rupture. Elle rompt avec le processus de construction

dialectique qui lie les individus, et par delà eux les groupes sociaux, au monde. Elle est

perte de repères subite. Elle est un « temps soudain qui foudroie le temps comme

étirement et durée » 89. En effet, les individus dont les maisons ont été détruites, qui ont

fuit leurs pays, qui ont perdu des proches, qui ont vu la violence des hommes ou des

éléments renverser leur quotidienneté, sont soudain pris dans une autre réalité que celle

d’avant. De plus, la violence est telle qu’ils n’envisagent pas non plus d’après, écrasés

par le poids du présent. Dans l’urgence, il y a donc rupture avec l’avant et avec l’après.

Le temps est ce qui relie. Or, en situations d’urgence, tout est soudain délié.

Mais le paradoxe du temps est qu’il est d’un côté relation et d’un autre mise à

distance. « Le temps ronge et creuse, il sépare et il fuit[…]Le temps me sépare de

89 Ibid., p. 179.

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moi-même de ce que j’ai été, de ce que je veux être, de ce que je veux faire, des choses

et d’autrui.90 » Certes le temps nous rattache au passé et à l’avenir mais il nous en

détache également, sinon il n’y aurait pas besoin de ces différentes catégories. Le temps

est en fait une médiation entre nous et le monde, c’est ce qui fait que nous avons une

existence au sein du monde et que nous ne sommes pas écrasés par lui.

b) L’urgence prisonnière du présent pur

Dans l’urgence, le temps accéléré ne joue plus correctement son rôle de

médiateur. L’urgence ne déconstruit pas seulement ce qui émane d’une temporalité qui

dure, mais la remplace par une autre forme de temporalité. A la durée vient se substituer

l’instant, à la continuité le pur présent. Ce qui caractérise l’urgence, c’est l’immédiateté.

C’est la raison pour laquelle l’urgence est une catégorie de l’action qui ne laisse pas de

place à la réflexion. En d’autres termes, ce qui caractérise l’urgence, c’est l’absence de

médiation entre le sujet et son action, l’absence de projection de celui qui n’est même

plus en définitive sujet ou acteur au sens moderne. Les individus y sont écrasés par le

temps de l’immédiateté, c’est-à-dire le temps du présent absolu, du maintenant

abandonné à lui-même. Cette expression, ‘‘le temps de l’immédiateté’’, est

contradictoire en elle-même puisque le temps est précisément ce qui médiatise. On

pourrait presque dire alors qu’il n’y a plus de temps. Toute prise de distance paraît

insurmontable. D’où la nécessité d’une réponse provenant de l’extérieur et qui soit, qui

plus est, une action, si elle veut être adaptée. La réponse humanitaire prend en compte

cette réalité de l’urgence.

Nous voyons en quoi la situation d’urgence rend apparemment impossible la mise

en place d’une éducation. Il n’y a pas d’anticipation possible, pas de projet, tout y est

spontané. C’est sa dimension temporelle qui la distingue essentiellement des autres

situations qui font obstacle à la mise en place de l’éducation. Elle est « une situation de

détresse que sa spontanéité distingue de la situation chronique de sous-

développement.91 » La contradiction entre l’urgence et l’éducation, qui repose sur le

temps, est donc plus essentielle que toute autre. Comment se manifeste cette

contradiction essentielle dans les situations concrètes ?

90 Sartre Jean-Paul, L’Etre et le Néant, Paris, Ed. Gallimard, Coll. Bibliothèque des idées, 1943, p. 175-176. 91 Bettati Mario, Le droit d’ingérence, mutation de l’ordre international, Parsis, Ed. Odile Jacob, 1996, p. 76.

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45

Section 2

L’incarnation des conflits de temporalités dans des situations concrètes

La temporalité qui définie l’éducation non seulement est longue mais elle est

continue. L’éducation suppose un continuum de temps. Or, les situations d’urgence dont

il est question et qui sont caractérisées par des temporalités accélérées sont aussi des

points de ruptures. Comment redonner la confiance suffisante à un enfant qui est

spectateur d’atrocités au quotidien ? Comment demander à un enfant qui souffre de

malnutrition ou d’une maladie grave de se projeter ? Comment envisager le

développement d’un enfant qui est drogué et entraîné à tuer ? Comment demander à un

individu d’apprendre alors qu’il ne possède plus de repères, que les drames qu’il a vécus

le hantent ou qu’il ne voit plus d’horizon s’ouvrir à lui ?

Ces obstacles apparaissent difficilement dépassables et il semble souvent facile de

clamer un droit à l’éducation pour des enfants dont les destinées sont déjà bien

malmenées. Le Comité des droits de l’enfants92, organe chargé de contrôler

l’application de la Convention relative aux droits de l’enfant, a recensé 32 catégories

d’enfants vulnérables et susceptibles d’être privés du droit à l’éducation, parmi lesquels

les enfants soldats, les enfants abandonnés, les enfants travailleurs, les enfants nomades,

les enfants victimes de trafics, etc. Face à la multiplicité de ces réalités toutes aussi

dramatiques les unes que les autres, Nous nous retrouvons entre le constat de notre

impuissance et la conviction qui a été développée plus haut que l’éducation est la

condition du développement de l’enfant, de son peuple, et de leur épanouissement. Pour

bien comprendre les impasses auxquelles nous sommes confrontés dans la réalité, nous

nous concentrerons sur la question des camps de réfugiés. Ce type de situations

complexes est en effet particulièrement révélatrice des conflits de temporalités dont il

était question plus haut.(A) Nous verrons que les obstacles rencontrés se répercutent

largement après l’urgence dans le temps de la reconstruction.(B)

92 Voir site : http://www.unhchr.ch/french/html/menu2/6/crc_fr.htm.

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A/ Les obstacles à l’éducation dans les camps de réfugiés

Le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) estime à 20,8 millions le nombre de

réfugiés dans le monde à la fin de l’année 200593. Pendant les années 1990, « 1% de la

population mondiale a été déplacé ou a subi les conséquences de conflits ou de

catastrophes.94 » Les enfants en représentent la moitié. Selon la Convention de Genève

de 1951 relative au statut des réfugiés, est considérée comme réfugiée toute personne

qui, « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa

nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions

politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de

cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n'a pas de

nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la

suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. 95»

Les personnes réfugiées sont des personnes qui ont été contraintes de fuir leur pays pour

en rejoindre un autre, en quête de protection. Dans certaines situations de conflits ou de

crises humanitaires complexes, ce sont des centaines voire des milliers de personnes qui

fuient leur pays en même temps, provoquant des déplacements massifs de populations.

Ces personnes déracinées ‘’s’installent’’ ensuite dans des camps en attendant de pouvoir

rentrer chez elles ou de trouver d’autres solutions. Lorsque ces camps sont à l’intérieur

même des frontières du pays où a lieu le conflit ou la crise d’origine, on parle de

personnes déplacées et non de personnes réfugiées. Au niveau international, le statut

juridique des personnes déplacées, qui ne sont pas concernées par la Convention de

Genève de 1951, n’est pas le même que celui des réfugiés96. Cependant, les

problématiques globales de ces situations sont les mêmes et les besoins humanitaires

sont similaires. Ces situations sont particulièrement révélatrices des questions qui nous

intéressent ici. Tout d’abord elles concentrent toutes les caractéristiques de l’urgence et

les individus y sont privés de tout repère.(a) Mais aussi, elles impliquent un rapport au

temps qui est absolument contradictoire et qui rend les approches éducatives très

93 Données du Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations-Unies (UNHCH), disponibles sur : http://www.unhcr.fr/cgi-bin/texis/vtx/statistics. 94 Sinclair Margaret, « Education in emergencies », in Crisp J. ,Talbot Christopher, et Cipollone D. (dir.), Learnings for a future: refugee education in developing countries, Genève, UNHCR, 2001. 95 Article premier de la Convention relative au statut des réfugiés, adoptée le 28 juillet 1959 et entrée en vigueur le 22 avril 1954, disponible sur http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/o_c_ref_fr.htm. 96 Ces personnes dépendent des Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays (Doc. ONU E/CN.4/1998/53/Add.2) du 11 février 1998, disponibles sur : http://www.unhchr.ch/french/html/menu2/7/b/principles_fr.htm.

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difficiles : les camps de réfugiés sont censés être des lieux de vie transitoires, il arrive

pourtant qu’ils restent en place pendant des mois ou des années.(b)

1) L’absence de repères

a) Des individus déracinés

Tout d’abord, les individus ont fuit leur lieu de vie d’origine soit à cause de la

peur, soit par nécessité de survie (sécheresse, inondation…). Quelle que soit la réalité

qu’ils ont fuit, ils sont dans une situation de rupture, de perte de repères. Souvent, les

personnes concernées sont parties de chez elles précipitamment et non pas eu le temps

d’emporter beaucoup d’affaires. Il ne leur reste donc pas grand chose de leur vie

d’avant. Leur premier souci a été de trouver un abri, un endroit sûr. C’est le HCR qui

organise, en accord avec les pays d’accueil, les camps de réfugiés.

S’ajoute à ce profond déracinement l’extrême précarité des conditions de vie dans

les camps. La dignité des individus y est largement mise à mal. La malnutrition, les

épidémies qui se propagent rapidement en raison de la concentration de population, la

misère sont généralisées. On estime que le manque de soins apportés à ces populations

fait 20 fois plus de victimes que la guerre97. Mais il nous est impossible d’évaluer

combien de victimes fait l’ignorance.

b) L’insécurité des camps

Il existe différentes formes d’insécurité dans les camps. Tout d’abord, la

surpopulation, le manque d’eau potable et de nourriture, la faiblesse des personnes,

entraînent des risques accrus d’épidémies telles que le choléra ou la méningite. D’autres

pathologies comme le paludisme ne sont pas épidémiques mais se développent plus

facilement dans de mauvaises conditions d’hygiènes. La malnutrition est généralisée et

rend les individus extrêmement vulnérables. En raison de ces différents facteurs, la

maladie et la mort sont omniprésentes et font peser sur les individus un sentiment

permanent d’insécurité par rapport à leur propre vie, à celles de leurs enfants, de leurs

proches.

97 Dhôtel Richard, Les enfants dans la guerre, Toulouse, Ed. Milan, Coll. Les essentiels Milan, 1999, p. 25.

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La seconde détresse est psychologique. Etant donné le caractère tragique de ces

situations, il est aisément concevable que certains se renferment sur eux-mêmes,

développent des comportements violents ou autres troubles psychologiques.

En plus de la peur que génèrent ces risques du quotidien, il existe toujours des

menaces extérieures. Même si les camps, généralement caractérisés par la présence

d’organismes tels que le HCR ou d’organisations non gouvernementales, sont censés

être des lieux sécurisés, l’étude de nombreuses situations a montré que les menaces

étaient bien réelles. Dans les situations de conflits, certaines milices n’hésitent pas à

attaquer des camps comme ça a été le cas au Darfour. Les forces armées,

gouvernementales ou non, viennent profiter de la vulnérabilité des enfants pour les

recruter et en faire des soldats. Les individus vivent dans l’angoisse que ce qu’ils ont

vécu se reproduise. Ils n’osent pas s’éloigner par peur d’être tués ou violés. Si le HCR a

pour mandat de protéger les réfugiés, aucun organisme n'est officiellement chargé de

protéger les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays, qui font face à une

situation particulièrement précaire et à l'insécurité.

A cette insécurité permanente s’ajoute le fait que les personnes réfugiées ou

déplacées ne savent pas combien de temps elles vont rester dans ces camps ni si elles

vont pouvoir retourner chez elles. Les incertitudes vis-à-vis de l’avenir sont aussi une

forme d’insécurité qui les maintient dans des rapports au temps extrêmement

contradictoires.

2) Entre transition et durée

Comme nous venons de le voir, les camps de réfugiés sont typiquement ce que

l’on peut caractériser de situations d’urgence tant les individus sont prisonniers de

logiques de survies et tant leur dignité est altérée. Par définition, ces situations

quasiment improvisées, n’ont pas pour objectif de durer, bien au contraire. Les

programmes développés en faveur du rapatriement des individus dans leur pays ou leur

foyer d’origine en témoignent. Et en même temps, il est presque impossible de prévoir

le moment de la sortie de la crise. Ce sont des transitions vers l’inconnu qui peuvent

durer quelques semaines comme plusieurs années.(a) L’exemple du Darfour est

particulièrement symptomatique de ces ambiguïtés.(b)

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a) Des « crises humanitaires prolongées »

La vie dans les camps est par définition transitoire. Les individus y restent le

temps que leur pays retrouve un semblant de stabilité. Tout dans les camps est conçu de

manière provisoire. Des abris sont construits avec les matériaux disponibles le plus

rapidement possible. La promiscuité avec les autres membres de la même famille,

d’anciens voisins, ou même avec des inconnus y est très importante. Les solutions mises

en place par la population et les organisations humanitaires en ce qui concerne

l’hygiène, la nourriture ou les soins, sont elles aussi rapides et pensées de manière

temporaire. Certains acteurs humanitaires pensent qu’il ne faut pas créer les conditions

adéquates pour que la population désire s’y installer et résiste à l’idée de retourner chez

elle. Mais en général, les individus désirent retrouver leurs maisons, leurs villages, et

tout ce qui leur était familier. Ils sont donc en attente du retour.

Le temps des camps de réfugiés est caractérisé par l’attente. Les individus sont

parfois paralysés par cette situation qu’ils se contentent de subir, faute de mieux. Il y a

beaucoup d’ennui, d’oisiveté, de débauche. Quelques enfants peuvent profiter d’écoles

improvisées, le reste des enfants errent dans les rues ou travaillent.

Etant donné le climat d’instabilité qui règne dans leur pays ou leur région

d’origine, il arrive que les personnes réfugiées ou déplacées soient contraintes de vivre

ces situations transitoires sur des périodes plus ou moins longues. Depuis 2000, on parle

de « crises humanitaires prolongées »98. Ce sont des situations d’urgence comme celles-

ci qui s’inscrivent dans la durée. De manière extrêmement paradoxale donc, les

situations sont provisoires et en même temps durent. Elles sont prolongées pour un

temps indéterminé. Dans le climat sec et désertique du nord-est du Kenya, plus de

100000 réfugiés somaliens vivent dans des petites huttes faites de bâtons et de feuilles

de plastique. Chassés de la Somalie par la guerre civile, ils vivent dans cette région

depuis le début des années 1990.

98 « A partir de quand considère-t-on une crise comme prolongée ? En général lorsque l'exil dure plus de cinq ans, que les réfugiés ne peuvent ni retourner chez eux, ni demeurer dans le pays d'asile, et qu'ils ont peu de chances d'être acceptés dans un pays tiers en vue d'une réinstallation permanente. », in Réfugiés, HCR, n°129, 2002.

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b) Le cas des camps de réfugiés au Tchad

Dans le conflit qui règne au Darfour depuis février 2003, en plus des 285000

personnes tuées ou mortes de faim ou de maladies, plus de 2 millions d’autres sont

déplacées99. Ces déplacements sont notamment provoqués par la violence de milices

armées telles que les Janjawids. Ces soldats à cheval entretiennent le conflit ethnique

par la revendication d’une identité arabe. Ils sont alliés aux forces gouvernementales.

Leur mode d’action consiste à semer la terreur en tuant de manière arbitraire tous les

individus des tribus non arabes, en brûlant les villages, en violant les femmes. On peut

parler d’une véritable « politique de la terre brûlée »100. Ainsi, on assiste depuis un

certain temps déjà à un exode massif des populations de ces villages ravagés. Le tiers

des habitants du Darfour ont été chassés de leurs terres et se trouvent soit dans des

camps de déplacés à l’intérieur des frontières soudanaises, soit dans des camps de

réfugiés de l’autre côté de la frontière tchadienne. Selon Amnesty International,

« 218000 Darfouriens vivent dans les camps misérables à l’est du Tchad, 90000 sont

déplacés à l’intérieur du pays et 15000 personnes ont fui le Tchad pour la sécurité

relative des camps de réfugiés du Darfour.101 » Les individus qui vivent dans ces camps

ont perdu leurs terres et leurs biens, c’est-à-dire leurs moyens de subsistance. Ils

souffrent de malnutrition et de maladies. Ils ont souvent vu mourir certains de leurs

proches. En rupture avec leur passé et tout ce qui leur était familier avant leur fuite, ces

individus sont véritablement déracinés, sans plus aucun repère.

En plus de cela, les personnes déplacées ou réfugiées du fait de la crise du Darfour

vivent dans un climat d’insécurité permanente. Les milices Janjawids ou autres viennent

jusque dans les camps menacer la population. Des femmes se font violer lorsqu’elles

vont chercher du bois, les hommes se font tuer s’ils tentent de regagner leurs terres.

Dans le camps de déplacés d’Abu Shok, près d’El Fascher, l’ancienne capitale du

sultanat du Darfour, un chef traditionnel témoigne : « L’un des nôtres a tenté de revenir

récolter ses gombos, il a été tué. Les Janjawids occupent désormais certaines de nos

terres, et nous interdisent de revenir. J’ai peur que si cela dure longtemps, ils puissent

dire que ces terres leur appartiennent. » L’insécurité omniprésente, l’incertitude 99 Chiffre d’Amnesty International datant d’avril 2007. Mamou Jacky, « Darfour, quatre ans de guerre », in La Chronique, le mensuel d’Amnesty International France, n° 245, avril 2007, p. 4. Pour des informations plus précises, se reporter au site : www.urgencedarfour.com. 100 Mamou Jacky, « Darfour, quatre ans de guerre », in La Chronique, le mensuel d’Amnesty International France, n° 245, avril 2007, p. 4. 101 Mamou Jacky, op. cit, p. 4.wx.

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permanente quant à l’avenir, en plus de la misère généralisée, font de ces situations des

drames indépassables.

L’Etat soudanais qui est en partie responsable des massacres et des déplacements

de population non seulement ne vient pas en aide à ces populations mais en plus rend

extrêmement difficile la mise en place de l’assistance humanitaire.

Dans un tel contexte, le droit à l’éducation, même considéré comme un droit

fondamental, et inscrit dans les Conventions de Genève relative au statut des réfugiés,

apparaît d’abord difficilement applicable.

B/ Les traces de l’urgence après l’urgence

Il est toujours très délicat de déterminer là où commence et là ou s’arrête les

situations d’urgences. Si l’on prend comme critère l’altération de la dignité humaine,

certaines régions du monde sont perpétuellement dans l’urgence. Si l’on se réfère à la

détresse des individus, elle dépasse largement ces situations. Cette question est

essentielle puisque le droit n’est pas le même, ne s’applique pas de la même manière si

on se trouve en situation de crise ou pas. L’urgence se reconnaît à la présence de la

réponse humanitaire. Mais même ce critère n’est pas fiable puisque les secours restent

au-delà des situations d’urgence proprement dites. L’urgence s’arrête-t-elle avec le

début de la reconstruction ou après l’achèvement de celle-ci ? Quand pourra-t-on

considérer dans des pays comme le Rwanda ou la Somalie, sans parler du Darfour où la

question ne se pose actuellement pas, que la reconstruction est achevée ? Les

traumatismes subis par la population sont-ils dépassables ? Certaines organisations

comme Médecins Sans Frontières (MSF) utilisent des indicateurs qui permettent de

distinguer les différentes phases de l’urgence : taux de mortalité, épidémies…Il n’y a

sans doute pas de réponse claire à ces questions, mais ce qui apparaît, c’est qu’il y a tout

de même une distinction entre la situation de crise et le temps de la reconstruction.

Même si les situations de post-conflit, ou de reconstruction après une catastrophe

naturelle, sont encore très précaires, elles ont ceci de plus que des processus qui

s’inscrivent dans le temps peuvent être amorcés. A l’immédiateté de l’urgence succède

le temps de la reconstruction. Certes nous ne sommes pas dans un temps continu et la

ligne a bien été brisée mais une autre peut commencer à être tracée, ce qui n’était pas le

cas pendant l’urgence proprement dite, si nous la comprenons pas l’accélération du

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temps et l’immédiat. Pourtant là encore, le droit à l’éducation rencontre bien des

obstacles et ses exigences paraissent bien ambitieuses tant la multiplicité des tâches est

incommensurable.

1) Une reconstruction matérielle difficile

Les dégâts occasionnés par les conflits ou les catastrophes sont le premier obstacle

à la remise en route du pays ou de la région. La reconstruction d’une nation commence

par la reconstruction de tout ce qui a été détruit d’un point de vue matériel, qu’il

s’agisse d’hôpitaux ou d’écoles, d’églises ou de logements.(a) Cette reconstruction

matérielle a un coût. Or, les pays qui viennent de subir une crise sont bien souvent des

pays qui sont en grande difficulté économique. La question financière, même si nous ne

nous y arrêtons pas longuement, est centrale dans la question de l’urgence et pour ce qui

concerne notre objet plus précisément. En effet, il est primordial d’interroger le droit à

l’éducation, sa légitimité, les possibilités de sa mise en œuvre, mais s’il n’y a pas de

budget pour le faire, son effectivité est grandement compromise. Pour les pays qui

connaissent une situation de crise ou en sortent, la question économique est un des

obstacles majeurs à toutes les entreprises à accomplir.(b)

a) Des moyens anéantis

Après une situation d’urgence, les individus se trouvent confrontés à un manque

de moyens considérable. Tout d’abord les bâtiments ont parfois été détruits soit dans des

catastrophes naturelles telles que des inondations ou des séismes, soit dans des conflits

(bombardement des infrastructures…). Il est rare qu’une population déplacée retrouve

ses terres ou ses bâtiments en l’état quand elle rentre chez elle des semaines ou des mois

après en être partie. De plus, les enfants n’ont plus de fournitures scolaires. Dans

certains contextes conflictuels, les manuels qui existaient avant ne peuvent plus être

utilisés puisqu’ils ont précisément mené à la violence, il convient donc de les refaire, ce

qui prend du temps. Les cantines scolaires ne fonctionnent plus non plus. Lorsque la

crise touche les institutions de l’Etat il peut arriver comme au Rwanda qu’il n’y ait plus

d’autorité compétente pour remettre en place un système, des programmes.

A cela s’ajoute les pertes humaines. Certains professeurs ont été tués, d’autres ont

fuit, d’autres encore ne sont plus en mesure de faire classe.

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Après une situation de crise et alors que les systèmes éducatifs ainsi que les

infrastructures qui existaient avant ont été anéantis, il faut plusieurs années pour

remettre en marche des processus éducatifs. Le manque de moyens voire l’absence

totale de moyens entrave toute mise en place d’une éducation longtemps après

l’urgence. Si l’on part du principe que le droit à l’éducation est le droit d’accéder sans

discrimination à une éducation de qualité, il apparaît à première vue évident que ce droit

rencontre trop d’obstacles et ne peut que difficilement être respecté en période de

reconstruction.

b) Des situations économiques désastreuses

Le coût de la reconstruction est toujours très élevé là où précisément la situation

économique est désastreuse. D’une part ces situations ont souvent lieu dans des pays en

développement qui donc par définition ne parviennent pas à être autonomes

économiquement en temps ‘’normal’’. De plus, la réparation des dégâts, la rénovation

des structures, la prise en charge des individus en totale détresse ont un coût. Là aussi, il

est nécessaire de faire des choix. Même si une part importante du budget est parfois

consacrée à la remise en place d’un système éducatif, cela ne suffit généralement pas.

Ainsi, beaucoup de pays n’ont pas les moyens de financer cette reconstruction ou

entretiennent par leur mauvaise volonté des situations désastreuses. Dans ce cas, on se

trouve face à la nécessité d’une aide internationale, ce qui implique des délais plus ou

moins longs.

Par manque de fonds, l’éducation peut être de mauvaise qualité. La grande

précarité des enseignants qui reçoivent de faibles salaires dans certaines régions en est

l’exemple typique. Comment le droit à une éducation de qualité peut-il être garanti si les

enseignants ne peuvent pas vivre décemment ? Une contribution est parfois demandée

aux familles pour contribuer à l’effort financier de la reconstruction or la gratuité est

inscrite dans le droit universel à l’éducation. Sans la gratuité, condition essentielle de

son équité, ce droit n’est pas garanti.

2) Des traumatismes durables

Nous venons de voir que les dégâts matériels après l’urgence peuvent être des

obstacles de taille à la mise en œuvre du droit à l’éducation pour tous. Mais il existe

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d’autres obstacles qui sont moins visibles a priori. « L’effondrement des systèmes

alimentaires, la désintégration des services de santé et de l’éducation et la perte des

revenus sont tous des aspects du conflit ayant des incidences négatives sur le

développement humain. Il en va de même pour le stress et le traumatisme

psychologiques. Les statistiques ne peuvent refléter les coûts totaux - et la collecte des

données est souvent au plus bas lorsque les pays sont plongés dans un conflit violent.

Ce qui est clair est que les coûts humains immédiats, bien qu’ils soient énormes, ne

constituent qu’une faible proportion du lourd tribut payé par les pays lors des

conflits102. » Les traumatismes psychologiques générés pendant la crise ont des

répercussions bien au-delà de l’urgence proprement dite. Concrètement, les symptômes

des enfants ayant souffert de traumatismes liés à des situations de crise sont le repli sur

eux-mêmes, un désintérêt pour toutes formes de jeux ou d’activités récréatives, une

incapacité à exprimer leurs émotions, des symptômes dépressifs, de l’agressivité, des

flash back, un manque de concentration à l’école, etc.103 Tous ces symptômes font que

l’enfant ou l’individu rencontre des problèmes de socialisation. Il ne joue plus. « L’un

des premiers signes du trouble émotionnel chez l’enfant est son incapacité à interagir et

à jouer avec les autres enfants de son âge.104 »

S’ajoute à la gravité de ces symptômes le fait qu’ils ne se manifestent

quelques fois que des mois voire des années après l’origine traumatique. Ces

traumatismes, qui perturbent l’équilibre psychologique et émotionnel de l’enfant ou de

l’individu de manière plus générale, sont une entrave à la mise en place d’une éducation

de qualité. Nous le verrons à travers le cas des enfants-soldats, dont la rééducation est

extrêmement difficile étant données les conséquences des blessures psychologiques qui

sont les leurs.(a) Si ces traumatismes psychologiques sont un handicap en ce qui

concerne l’apprentissage, ce n’est pas seulement parce que l’individu en a perdu ses

capacités de concentration, c’est aussi parce qu’il est entièrement tourné vers son passé.

Il ne parvient plus à s’arracher à cette violence qui le maintient dans celui-ci.(b)

102 Rapport mondial sur le développement humain 2005, op. cit., p. 166. 103 Ces différents symptômes sont analysés dans Macksoud M., Helping children cope with the stresses of war : a manual for parents and teachers, New York, UNICEF, 1993. 104 Aguilar Pilar and Retamal Gonzalo, Rapid Educational Response in Complex Emergencies, Geneva, International Bureau of Education, 1998, p. 13. (notre traduction)

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a) Les enfants-soldats : une rééducation difficile

Les enfants ne sont pas seulement victimes de la guerre, il arrive aussi qu’ils en

soient acteurs. Les enfants-soldats sont des enfants qui ont été recrutés pour faire partie

d’armées rebelles ou gouvernementales. Même s’il est très difficile d’évaluer le nombre

de ces enfants dans le monde, on estime qu’il en existait 300 000 en 2001.105 Plus d’un

million d’enfants auraient connu ce sort au cours des années 1990 selon le CICR.106 On

trouve parmi eux des enfants de moins de dix ans. Les pays les plus concernés sont

l’Algérie, l’Angola, le Burundi, le Congo, le Liberia, l’Ouganda, la république

démocratique du Congo, le Rwanda, la Sierra Leone, la Somalie et le Soudan.

Beaucoup sont enrôlés de force, enlevés à leur famille ou dans leur école.

D’autres s’engagent volontairement, avides de sens et d’un environnement qui leur

donne l’illusion d’une nouvelle famille. Ils sont ensuite drogués et entraînés à tuer. En

première ligne dans les conflits, ce sont les premières victimes. L’avantage de recruter

des enfants, c’est qu’ils ne coûtent pas cher, ils se nourrissent peu, et sont plutôt dociles

car inconscients. De plus, ils n’ont pas encore une représentation exacte de ce qu’est la

mort et sont donc plus facile à conditionner à tuer.

Pendant la guerre civile qui a déchiré la Sierra Leone, 10 000 enfants ont

combattu et 500 000 autres ont fait partie de forces paramilitaires107. Beaucoup

d’enfants démobilisés depuis sont devenus des délinquants, des enfants des rues de

Freetown, la capitale. Swankay, un jeune garçon de dix-sept ans ayant survécu à la

guerre civile, témoigne. Il a été enlevé tout près de chez lui par les forces rebelles de

son pays alors qu'il avait 10 ans. Lorsque les soldats l’ont emmené, il était à la

recherche de nourriture pour lui et sa famille. Il faisait donc partie de tous ces enfants

vulnérables qui errent pour trouver à manger au lieu d’aller à l’école. Pendant quatre

ans, il a dû obéir à des ordres plus inhumains les uns que les autres. Il a commis et subi

des atrocités qui le marqueront toute sa vie. Finalement, après la conclusion de l'accord

de paix de 1999 sous l'égide de l'ONU, il a été relâché et a pu retrouver sa famille. Son

premier souhait a ensuite été de retourner à l’école : « Lorsque j'étais avec les rebelles,

105 “Global Report”, Coalition pour mettre fin à l’utilisation des enfants-soldats, 2001. 106 CICR, Les Enfants-soldats, Genève, Ed. CICR, juillet 2003. 107 Données disponible sur le site des Nations-Unies consacré à cette question : http://www.un.org/french/works/goingon/soldiers/goingon_soldiers.html.

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c'est l'école qui me manquait. C'était la chose qui me manquait le plus, l'éducation »,

dit-il108.

Une fois que les enfants sont pris dans ces logiques meurtrières, il est

extrêmement difficile de les en sortir. Les enfants qui sont soldats en temps de guerre

sont ceux que l’on retrouve au travail en temps de paix : orphelins ou issus de familles

monoparentales, réfugiés, enfants des rues, enfants vivants dans des zones où les

conflits sont fréquents… Les enfants-soldats sont des enfants qui sont en dehors de tout

cursus scolaire. Ces enfants ont appris la haine, la méfiance, ils ont été brutalisés ou

violés, ont eux-mêmes été acteurs de violences. « Le jeune soldat est dépossédé d’une

grande partie de son enfance. Séparé de sa famille, privé de jeu, privé d’école…, il

devient trop vite un petit homme qui a raté une étape importante de sa construction.109 »

Ces enfants qui ont grandi dans la haine ont besoin d’être rééduqués. Rééduquer

signifie littéralement éduquer à nouveau. Or, un enfant de dix-sept ans qui a subi et

commis des atrocités ne peut plus être considéré comme un « tableau vierge », au sens

d’Hannah Arendt. Il a déjà une mémoire et un rapport au monde qui lui est propre. Il

faut dans ce cas déconstruire ce rapport et les structures de pensée qu’il a acquises. La

rééducation n’est pas seulement ouverture au monde mais d’abord déconstruction d’un

monde. Ce qui caractérise la rééducation, c’est qu’elle ne s’inscrit pas dans la continuité

du passé mais en rupture avec le passé. Le processus de rééducation est donc très

complexe, plus que celui d’une éducation classique. Le temps de la rééducation, quand

elle est possible, est donc extrêmement long.

Dans les conflits, les enfants qui ne sont pas soldats subissent également de lourds

traumatismes. Il en est de même d’ailleurs pour ce qui est des catastrophes naturelles ou

humaines qui entraînent des drames marquant les individus à vie. S’il faut s’arrêter sur

cette question, c’est que tant que les troubles du passé ne sont pas réglés, il n’est pas

vraiment possible d’avancer. Les enfants, les adolescents et les adultes victimes de

violences extrêmes ne peuvent, seuls, se libérer des souvenirs qui les hantent.

108 Témoignage disponible sur http://www.un.org/french/works/goingon/soldiers/swanky_story.html. 109 Dhôtel Richard, op. cit., p. 40.

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b) Des individus traumatisés, prisonniers de leur passé

En Somalie, au début des années 1990, la famine a été utilisée comme arme de

guerre. Les denrées approvisionnées par l’aide humanitaire ont été détournées afin

d’affaiblir la population. Des centaines de milliers d’enfants sont morts de maladies, de

malnutrition ou de manque d’eau potable. Ceux qui ont survécu ont côtoyé la misère, la

maladie et la mort pendant plusieurs années.

« Ces enfants sont blessés par des bombes, tués au combat, massacrés lors

d’attaques de villages et, plusieurs années après la fin d’un conflit, mutilés par des

mines antipersonnel. S’ils ont la chance de survivre, ils sont marqués à jamais par ce

qu’ils ont vu ou vécu […]Les traumatismes psychologiques sont profonds et durables,

seul un travail psychologique peut aider à les surmonter.110 » Les individus ont besoin

de temps pour se reconstruire psychologiquement. Le traumatisme est encore plus

dramatique pour un enfant puisqu’il est en plein développement. Ces enfants ont des

flash back de situations vécues dont ils ne parviennent pas à se défaire, font des

cauchemars, et le sentiment d’angoisse ne les quitte pas. Le traumatisme est

cristallisation du passé. Or cette cristallisation produit non seulement le malaise de

l’individu mais l’incite à reproduire ce passé.

Comment faire pour que l’enfant se tourne à nouveau vers l’avenir et ne reste pas

prisonnier de son passé ? Comment penser une éducation pour des enfants qui ont perdu

leur capacité à se projeter ? Ces traumatismes sont un obstacle majeur à la mise en place

d’une éducation en période de reconstruction.

Or, l’éducation est fondamentale pour la reconstruction d’un pays. « Tuer les

enfants, c’est aussi anéantir le futur d’un pays111 » Les conséquences des carences

éducatives affectant une génération ont également des résonances sur la génération

suivante. On sait que les enfants de personnes éduquées ont plus de chances d’être bien

intégrés dans les systèmes d’enseignement scolaires.

Quand on effectue le bilan de ces situations dramatiques et que l’on dresse la liste

des obstacles à la mise en place de processus éducatifs, on comprend les hésitations des

juristes à brandir un droit qui paraît utopique avant même d’être reconnu. La temporalité

de l’urgence, ou devrait-on dire l’absence de temporalité, ne semble laisser aucune

110 Dhôtel Richard, op. cit., p. 5. 111 Ibid.

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chance à quelque éducation que ce soit tant celle-ci nécessite du temps. Le droit à

l’éducation trouve donc une de ses limites dans ces situations de violence extrême. Il y

est pris dans une contradiction essentielle.

Pourtant, si ce qui définit l’urgence, c’est cette temporalité de l’immédiateté qui

empêche tout projet et toute ouverture au mouvement du monde, et si l’urgence appelle

sa fin, alors c’est cette temporalité qu’il faut renverser. Faire de l’éducation en situations

d’urgence ne permettrait-il pas d’entrevoir une issue? Ne pourrait-on pas renverser le

rapport entre l’éducation et l’urgence et faire de la première une des clés de résolution

de la seconde ?

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PARTIE II

Le dépassement des obstacles au droit à

l’éducation en situations d’urgence

CHAPITRE I

Les possibilités de mise en oeuvre du droit à l’éducation en

situations d’urgence

Section 1

L’ingérence humanitaire et la question de l’éducation

L’éducation des enfants et des personnes en général relève de la compétence des

Etats et fait partie des garanties que l’on peut attendre de tout Etat. Beaucoup ont

d’ailleurs inscrit ce droit dans leur Constitution1. Selon le principe de souveraineté qui

est au fondement de tout le droit international, chaque Etat a notamment la liberté de

mettre en place les systèmes éducatifs qu’il estime être appropriés et dont il est seul

juge. La souveraineté signifie notamment qu’aucune contrainte ne peut peser sur les

Etats pour les affaires qui les concernent. En situations d’urgence, faire de l’éducation à

la place des Etats, c’est aller contre le principe de souveraineté qui est au fondement de

tout le droit international. Peut-on transgresser le principe de souveraineté pour des

raisons humanitaires ? Peut-on mettre en place des processus d’éducation dans des

situations où l’Etat est défaillant dans ce rôle, sans l’accord de celui-ci ?

La question de l’ingérence se pose pour ce qui est de la mise en œuvre des droits

de l’homme mais elle est posée de manière particulière par le droit à l’éducation. En

effet, éduquer, c’est transmettre un certain nombre de valeurs, c’est resituer les hommes

1 C’est le cas notamment du Rwanda que nous étudierons dans le chapitre 2.

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dans leur histoire, dans leur culture. Quoi de plus propre à un peuple que son

éducation ? Et nous avons à l’esprit dès que nous traitons de ces questions les dérives du

colonialisme ou de l’impérialisme. La question de la souveraineté mérite donc d’être

interrogée dans le cadre de notre étude au regard des ambitions du droit à l’éducation

pour tous.

A/ La souveraineté étatique face au principe d’humanité

Le droit international public (DIP) repose sur l’égalité des Etats souverains. C’est

la condition même de son existence. Que signifie exactement cette souveraineté des

Etats ?(1) De plus en plus, l’évolution du DIP interroge cette souveraineté pour lui

opposer d’autres principes considérés comme aussi fondamentaux voire supérieurs et

qui concernent directement la dignité de l’homme.(2)

I) Définition de la souveraineté

a) L’Etat moderne et la souveraineté

Depuis Les six livres de la République de Jean Bodin, l’Etat moderne ne peut plus

être pensé sans le concept de souveraineté. Qu’entend-on exactement pas souveraineté ?

C’est la « puissance absolue et perpétuelle d’une république2 », prise dans son sens

étymologique au sens de chose publique. Dire que cette puissance est absolue, c’est dire

qu’elle ne dépend de rien d’autre que d’elle-même. La souveraineté est un pouvoir

suprême, c’est-à-dire qui est au-delà de tout et en même temps qui ne souffre aucune

limite extérieure. La souveraineté est le principe transcendant par lequel l’Etat est ce

qu’il est. Pour Bodin, c’est « le principe transcendant dont émane tout pouvoir3 ». C’est

un principe dans le sens où la souveraineté est au fondement même du pouvoir, qu’elle

est transcendante, et qu’elle est atemporelle, au-delà des diverses formes que peut

prendre l’Etat4. Entre Bodin et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

2 Bodin Jean, Les six livres de la Républiques, Paris, Ed. Arthème Fayard, 1987 (première édition en 1583), p. 114. 3 Ibid. 4 A ce sujet, la distinction effectuée par Ernst Kantorowitz dans Les Deux corps du roi (Paris, Ed. Gallimard, 1989) entre la figure incarnée du monarque, sa personne physique et morale, et le principe qui fait de lui le roi.

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(DDHC) de 1789, en passant par les penseurs du contrat social comme Rousseau ou

Hobbes, le caractère transcendant du concept de souveraineté a été quelque peu altéré.

L’article 3 de la DDHC affirme que « le principe de toute souveraineté réside

essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu, ne peut exercer d’autorité qui

n’en émane expressément.5 » Que la souveraineté émane de Dieu ou du peuple, qu’elle

soit transcendante ou immanente, elle n’en reste pas moins le fondement de l’autorité de

l’Etat. Pour Rousseau, dans Le Contrat social, « le pacte social donne au corps

politique le pouvoir absolu sur tous les siens, et c’est ce même pouvoir qui, dirigé par la

volonté générale, porte le nom de souveraineté.6 » Ainsi, une fois que la souveraineté

est instituée, il existe une relation verticale entre l’Etat et ses sujets ou ses citoyens et

l’autorité du premier ne peut pas être remise en cause par les seconds.

Dans tous les cas, la souveraineté se confond avec le pouvoir de légiférer. Les lois

d’un Etat sont la manifestation directe de sa souveraineté. Celle-ci fait de la législation

un ensemble de règles qui ne peuvent pas être limitées ou remises en cause autrement

que par l’Etat lui-même. Dire que la souveraineté est un principe absolu, c’est dire qu’il

n’admet aucune limite. Pour Rousseau, « [l’autorité suprême] ne peut pas plus se

modifier que s’aliéner. La limiter, c’est la détruire. » Soit la souveraineté est totale, soit

par définition on ne parle plus de souveraineté. C’est son essence absolutiste qui est au

centre du projet de Hobbes également. Pour ce dernier, chacun doit transférer la totalité

de sa liberté au souverain. En échange de leur perte de liberté, les sujets attendent de lui

qu’il garantisse l’état de paix civile et la sécurité des biens. « La fonction du souverain

(qu’il s’agisse d’un monarque ou d’une assemblée) est contenue dans la fin pour

laquelle on lui a confié le pouvoir souverain et qui est le soin de la sûreté de son

peuple7.» Qu’advient-il de la souveraineté si elle ne remplit pas sa fonction ?

Dans l’histoire du concept de souveraineté, ce n’est pas tant sa définition qui pose

problème mais sa légitimité. Elle est à la fois le principe essentiel de l’autorité de tout

Etat mais doit pouvoir en même temps être prévenue de ses dérives. Cette question se

décline de deux manières. Il s’agit de se demander dans quelle mesure les sujets ou les

Le premier est une figure temporelle alors que le principe de souveraineté le traverse de manière atemporelle, voire transtemporelle. L’expression « Le roi est mort, vive le roi ! » fait référence à ces deux dimensions. 5 Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) du 26 août 1789, article 3, disponible sur : http://www.conseil-constitutionnel.fr/textes/d1789.htm. 6 Rousseau, Le Contrat social, Paris, Ed. Gallimard, Coll. Folio essais, 1993, livre II, chapitre 2. (première édition en 1762) 7 Hobbes, Le Léviathan, Paris, Ed. Sirey, 1971, chapitre 30. (première édition 1651)

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citoyens d’un Etats ont la possibilité ou la légitimité de se révolter. Mais aussi, dans les

cas ou l’autorité de l’Etat abuse de sa souveraineté ou la détourne de ses objectifs, peut-

on et doit-on la contraindre ? En d’autres termes, une entité extérieure à l’Etat peut-elle

légitimement remettre en cause ce qui émane directement de la souveraineté de cet

Etat ? Cette question est inhérente au concept de souveraineté, mais les dérives

totalitaires du XXème siècle l’ont rendue plus cruciale que jamais.

Le droit international, qui repose sur le principe de souveraineté, est traversé par

ces interrogations et son évolution montre bien que les réponses qui valent aujourd’hui

ne peuvent pas être les mêmes que celles qui valaient hier.

b) Le principe de souveraineté en droit international

Les sujets en droit international sont les Etats. Ils en sont sujets au sens où ce sont

eux qui l’ont fondé et le construisent, c’est-à-dire au sens où ils en sont les auteurs.

C’est aussi aux Etats de mettre en œuvre le contenu du DIP : ils en sont donc également

les acteurs. Dans le cas des droits de l’homme par exemple, ils s’engagent à user de tous

les mécanismes internes dont ils disposent, à commencer par la législation, pour garantir

le respect des droits énoncés. Le respect du DIP ne peut fonctionner que si les Etats sont

considérés comme égaux et souverains. Le terme d’égalité renvoie à l’absence de

hiérarchie mais aussi au fait que les Etats sont tous des sujets équivalents et leurs places

sont équivalentes, quelle que soit par ailleurs la nature de l’Etat en question. Ils ont les

mêmes droits et les mêmes devoirs, il s’agit donc d’une égalité purement juridique. Le

principe de souveraineté fait de l’Etat une entité non subordonnée, indépendante. Il ne

peut pas être contraint par un autre Etat mais il ne peut pas non plus être contraint par

une instance supranationale. Les Etats sont donc dans une relation de juxtaposition et

non de subordination. La particularité de cette sphère juridique est son caractère

horizontal. Puisque aucune instance ne peut être supérieure aux Etats, ni aucun Etat

supérieur à un autre, ils s’auto régulent.

Dans ce cas, le respect des traités de droit international est basé sur le principe de

réciprocité8. C’est dire qu’un traité est un contrat qui repose sur le consentement mutuel

des différentes parties. Si une des parties ne respecte par ce contrat, il ne tient plus. La

8 Ce n’est pas le cas du Droit international des droit de l’homme qui est une branche à part. Le principe de réciprocité en ce qui concerne le Droit international humanitaire est lui aussi discuté.

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volonté des Etats est donc au fondement de tout l’ordre juridique international et elle ne

peut pas être limitée.

Le principe de souveraineté qui est consubstantiel au DIP fait partie de la coutume

internationale, ou du jus cogens, mais il a aussi été retranscrit dans un certain nombre de

normes du DIP. Le premier traité à instituer le principe de souveraineté est le traité de

Wesphalie de 1648. Même s’il n’est pas notre objet ici de faire une histoire du concept

normatif de souveraineté, nous pouvons nous référer à la Charte des Nations Unies de

19459. L’article 2.7 de cette Charte affirme qu’: « aucune disposition de la présente

Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans les affaires qui relèvent

essentiellement de la compétence nationale d’un Etat, ni n’oblige les membres à

soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la

présente Charte. Toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l’application des

mesures de coercition prévues au Chapitre VII » Le principe de souveraineté se confond

alors avec le principe de non-intervention qui interdit toute intervention dans les affaires

intérieures des Etats. La Déclaration du Millénaire du 8 septembre 2000, qui témoigne

en même temps de l’évolution du vocabulaire au niveau international, rappelle la

volonté de la Communauté internationale de « tout faire pour assurer l’égalité

souveraine de tous les Etats, le respect de leur intégrité territoriale […] la non-

ingérence dans les affaires intérieures des Etats…10 » La différence entre le principe de

non-intervention et le principe de non-ingérence est tout d’abord que le second n’a pas

de définition normative. Il aurait donc une acception plus morale. De plus, une

intervention est soit licite soit illicite, le principe de non-intervention est donc plus large

que celui de non-ingérence qui laisse place à la possibilité d’interventions licites.

Le principe de souveraineté, ou dans sa formulation négative de non-intervention,

est un des principes architecturaux du DIP sans lequel il semble très difficile de

concevoir cette sphère juridique internationale11. « La souveraineté de l’Etat n’est pas

un principe normatif, auquel on pourrait, en théorie au moins, renoncer, mais un

9 Charte des Nations-Unies ou Charte de San Francisco, adoptée le 26 juin 1945 et entrée en vigueur le 24 octobre 1945. Voir Dupuy, Les Grands textes du droit international public, Paris, Ed. Dalloz, Coll. Grands textes, 5e édition, 2006, p. 1. 10 Déclaration du Millénaire, adoptée le 8 septembre 2000, disponibles sur : http://www.unhchr.ch/huridocda/huridoca.nsf/(Symbol)/A.RES.55.2.Fr?Opendocument. 11 La CIJ le rappelle dans l’Affaire du détroit de Corfou, op. cit. : entre « Etats indépendants, le respect de la souveraineté territoriale est l’une des bases essentielles des rapports internationaux. ».

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principe logique, qui, définissant l’essence même de l’Etat, est indispensable à la

constitution de l’ordre juridique international.12 »

Le droit humanitaire reste très attaché au principe de souveraineté parce qu’il y

voit la condition de l’exercice des missions les plus larges possibles. Son ambition est

en fait de pouvoir agir dans les pires situations. Tout d’abord, des organismes ou

organisations non gouvernementaux demandant aux Etats de respecter le DIP et ne

peuvent pas se permettre de le contourner. D’autre part, la coopération avec les autorités

joue un rôle très important dans l’action humanitaire et si la souveraineté étatique n’est

pas respectée, cette coopération risque d’en pâtir, voire de devenir impossible. Pour les

acteurs humanitaires, le respect du principe de souveraineté induit deux grands principes

fondamentaux qui figurent dans les principes de base du CICR : le principe de neutralité

et le principe d’impartialité. Ces deux principes doivent être distingués. Le premier

consiste à ne pas prendre partie, à s’abstenir de tout jugement ou positionnement vis-à-

vis des situations. Il s’agit d’une attitude passive qui consiste à rester détaché. Ce

principe de neutralité, qui a une importance certaine, doit être de plus en plus nuancé.

Les organismes humanitaires, les ONG, s’accordent en général sur le fait que, dans

certaines situations, la dénonciation est inévitable. Des situations comme celles du

génocide Rwandais dont l’ampleur est en partie due à la passivité généralisée des

acteurs au niveau international, oblige à reconsidérer la radicalité du principe de

neutralité. « En présence d’un conflit interne, la neutralité se combine avec les règles

juridiques relatives aux exigences de la souveraineté pour subordonner toute action de

secours au bon plaisir des factions ou des autorités desquelles on doit rechercher sans

cesse l’agrément et aux injonctions desquelles on est contraint de se plier à la première

difficulté. Elle est donc paralysante.13 »

Par contre, le principe d’impartialité implique que les secours humanitaires

soient octroyés indifféremment et également aux personnes des différents camps. Cette

règle, même si elle rencontre parfois des difficultés dans la pratique, est fondamentale et

doit être absolument respectée si l’on s’attache à l’objectif premier qui est de préserver

la dignité humaine. Il s’agit aussi de ne pas prendre parti mais l’impartialité est un

principe actif et non passif.

12 Aledo Louis-Antoine, Le droit international public, Paris, Ed. Dalloz, coll. Connaissance du droit, 2005, p. 22. 13 Bettatti Mario, Le Droit d’ingérence, mutation de l’ordre international, Paris, Ed. Odile Jacob, 1996, p. 55.

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2 ) Evolution du droit international et remise en cause du caractère absolu

de la souveraineté

Dans la deuxième partie du XXème siècle et notamment depuis la fin de la Guerre

froide, la configuration du DIP s’est sensiblement modifiée. D’une part, le phénomène

de mondialisation fait que toute crise locale à des conséquences sur le reste du monde.

D’autre part, une nouvelle forme de violence qui caractérise les crises contemporaines

change la nature des réponses à apporter. « Dans notre « monde mondialisé », aucun

pays n’est une île. Les conflits violents engendrent des problèmes qui voyagent sans

passeports et font fi des frontières nationales, même lorsque ces frontières sont

protégées par les dispositifs les plus élaborés.14 » Enfin, les droits de l’homme

s’imposent de plus en plus comme des principes encore plus fondamentaux que ceux de

souveraineté ou de non-intervention qui confèrent une forme de toute-puissance aux

Etats.

Ces différentes évolutions ont pour conséquence l’émergence d’un nouveau sujet

en droit international : l’individu.(a) Cet élément nouveau oblige à reconsidérer les

rapports entre la souveraineté et l’humanité.(b)

a) Emergence d’un nouveau sujet en droit international : l’individu

Nous avons vu que les seuls sujets en droit international à l’origine étaient les

Etats, voire par extension les organismes interétatiques. Les individus ne peuvent a

priori être sujets de droit, c’est à dire se prévaloir de leur droit devant une juridiction,

qu’à l’intérieur de l’Etat dont ils sont nationaux. Or, la conséquence directe de cette

conception absolue de la souveraineté nationale est que lorsque le pouvoir étatique

abuse de son autorité, rien ne préserve les individus qui sont privés de leurs droits

essentiels. Les normes internationales des droits de l’homme réintroduisent peu à peu

l’idée d’une subjectivité juridique des individus, passant outre cette souveraineté. Un

Etat partie à une ou plusieurs conventions relatives aux droits de l’homme, selon sa

volonté propre, reconnaît certains droits individuels qui n’émanent pas directement de

lui. A travers l’Etat, la norme internationale peut donc être individualisée. Mais dans ce

14 Rapport mondial sur le développement humain 2005, op. cit., p. 164.

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cas, il appartient encore aux Etats de mettre en œuvre ces droits individuels puisque les

personnes particulières ne peuvent s’en prévaloir devant aucune instance supraétatique.

Dans la reconnaissance de l’individu comme sujet du droit international, même si

celle-ci est encore naissante et que les polémiques sont nombreuses, le rôle de

juridictions internationales est capital. Ces juridictions, telles que la Cour pénale

internationale15, ont bien pour tâche de défendre des droits individuels contre les abus

autoritaires du pouvoir d’un Etat mais les individus ne peuvent y recourir directement.

On ne peut pas vraiment considérer dans ce cas que les individus ont la capacité d’agir.

« Il apparaît donc que les individus peuvent être des sujets du droit international et

européen des droits de l’homme, mais qu’ils sont toujours des sujets mineurs.16 »

L’expérience d’une juridiction régionale comme la Cour Européenne des Droits

de l’Homme (CEDH) est une avancée considérable quant à la protection des individus.

Les particuliers, une fois qu’ils ont épuisé les voies de recours internes, peuvent

introduire un recours devant la CEDH à titre personnel. L’article 34 de la Convention

Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales17

(CESDH), relatif aux « requêtes individuelles », précise que « La Cour peut être saisie

d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou

tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes

Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles. Les

Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice

efficace de ce droit. » Si une violation d’un des articles de la Convention européenne

des droits de l’homme est constatée, la condamnation concernera l’Etat. Pour la

première fois donc, une instance juridictionnelle fait des individus de vrais sujets de

droit au niveau régional, c’est-à-dire à un niveau supraétatique. A ce sujet, l’impact du

‘‘modèle’’ européen commence à avoir des répercussions sur les autres systèmes

régionaux tels que la Cour interaméricaine des droits de l’homme18 ou la Cour africaine

15 La Cour Pénale Internationale est une Cour indépendante et permanente qui est compétente pour juger les crimes particulièrement graves qui sont les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les génocides, en vertu du Statut de Rome, entré en vigueur le 1er juillet 2002. Ce traité a été ratifié par 104 pays aujourd’hui. Voir le site : http://www.icc-cpi.int/home.html&l=fr. 16 Sudre Frédéric, Droit européen et international des droits de l’homme, Paris, Ed. PUF, Coll. Droit fondamental, 8e édition revue et augmentée, 2006 (première édition : 1989), p. 89. 17 CESDH, op. cit. 18 Cour interaméricaine des droits de l’homme datant de 1960. Voir http://www.corteidh.or.cr/index.cfm?&CFID=265998&CFTOKEN=23196638.

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des droits de l’homme et des peuples19, plus récentes. Nous ne pouvons sans doute pas

aujourd’hui en mesurer encore toutes les conséquences au niveau international.

Ce qui nous importe ici n’est pas de détailler le fonctionnement de ces systèmes

mais de constater que le principe de souveraineté nationale est ébranlé de fait par

l’évolution conjointe du droit régional et du droit international. La protection de

l’individu au sein du DIDH modifie nécessairement la nature du principe de

souveraineté. Ce principe qui reste central ne peut en tout cas plus tout à fait être

considéré comme absolu, il doit être nuancé dans certains cas précis. Là où il pose le

plus question, c’est précisément dans les situations qui nous intéressent ici, à savoir les

situations d’extrême urgence. Dans ces situations où, rappelons-le, le rôle de l’Etat est

déstabilisé, altéré ou anéanti, un autre principe vient lui faire face : le principe

d’humanité. Quels sont les rapports qu’entretiennent entres elles les deux sphères que

sont la sphère de l’Etat nation et celle de l’humanité ?

b) L’humanité : émergence d’une nouvelle sphère d’intégration des

individus

La question qui est posée par cette évolution est la suivante : ne peut-on pas

considérer que la sauvegarde des droits fondamentaux des individus prévaut sur la

souveraineté étatique ? Doit-on limiter la puissance des Etats lorsque ceux-ci abusent de

leur pouvoir ? Autrement dit, existe-t-il une limite à la légitimité de la souveraineté

étatique ? Cette question hobbesienne se pose encore et encore à nous chaque fois qu’un

Etat abuse de son autorité. Le droit humanitaire, même s’il insiste sur le principe de

souveraineté, admet pour principe fondamental celui d’humanité. L’action du CICR

« n’a d’autre moteur que le premier de ses principes fondamentaux, le principe

d’humanité, qui fut enjoint de s’efforcer de prévenir et d’alléger en toutes circonstances

les souffrances des hommes.20 » Lorsque la dignité des hommes est en jeu, lorsqu’ils

souffrent, le principe d’humanité doit dans certains cas prévaloir sur le principe de

souveraineté. Nous reviendrons par la suite sur les modalités de cette confrontation.

Poser la primauté du principe d’humanité signifie-t-il qu’il existe une communauté 19 Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, datant de 2005. Voir : http://www.interights.org/doc/Protocol%20on%20the%20African%20Ct.doc. 20 Sandoz Yves, « Droit ou devoir d’ingérence, droit à l’assistance : de quoi parle-t-on ? », in Revue internationale de la Croix-Rouge, n°795, août 1992, p. 231.

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humaine comme il y a des communautés étatiques ? « Il existe une contradiction entre

la souveraineté de l’Etat, la non-ingérence et l’idée d’une communauté internationale

garante de la protection des individus, contradiction d’autant plus forte que la

souveraineté des Etats est une réalité, tandis que celle d’une communauté

internationale reste encore à établir. 21» Certes, ce n’est pas une réalité, mais nous

pourrions, comme le fait Norbert Elias, y lire l’amorce d’un mouvement vers une

nouvelle sphère d’intégration des individus.

Pour Norbert Elias, ce qui se joue dans l’évolution de la place de l’individu au

niveau international est un changement du rapport entre le « je » et le « nous ».

L’histoire serait un mouvement qui va toujours d’une sphère d’intégration inférieure à

une sphère supérieure, de la famille au groupe, du groupe à la nation. Ce mouvement

n’est certes pas linéaire mais il se dessine globalement de manière plus ou moins nette.

L’émergence de l’humanité comme sphère d’intégration s’inscrirait dans le

prolongement de ce mouvement. Pour le sociologue, « l’unité de survie déterminante en

dernier ressort est aujourd’hui l’humanité »22. Certes, cette thèse paraît bien audacieuse

au regard des relations internationales entre les différentes puissances étatiques et des

potentialités destructrices de l’humanité. « Mais en tant que sociologue, on ne peut pas

se refuser à constater que de nos jours, au lieu des différents Etats, c’est l’Humanité

toute entière en tant qu’entité sociale divisée en Etats qui sert de cadre à un grand

nombre de processus d’évolution et de changements structurels. » En fait, il existe une

multistratification qui fait coexister aujourd’hui les sphères de l’Etat et de l’humanité,

pour ne citer qu’elles. Le croisement des différentes strates, là où il en existait une

incontestablement supérieure, ne peut pas manquer d’interroger le principe de

souveraineté nationale. La souveraineté ne peut pas, dans un tel contexte mondial, être

considérée comme absolue. Pour Mireille Delmas-Marty, « l’intégration des tâches

appelle à passer l’obstacle politique et juridique de la souveraineté nationale, qui n’est

infranchissable que si elle est conçue de manière absolue. Plutôt que vers un monde

‘’sans souveraineté’’, nous semblons aller vers une ‘’dilution de la souveraineté’’ qui

resterait à transformer en une souveraineté partagée23. » Est-ce à dire que le principe

de souveraineté comme fondement du droit international doit être remis en question ?

21 Buirette Patricia, Le Droit international humanitaire, Paris, Ed. La Découverte, Coll. Repères, 1996, p. 91. 22 Ibid., p. 293. 23 Delmas-Marty Mireille, Les forces imaginantes du droit, tome II : Le pluralisme ordonné, Paris, Ed. Seuil, Coll. La couleur des idées, 2006, p. 29.

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B) Le devoir d’ingérence humanitaire au nom des droits de l’homme

Dans une société où les fonctionnements des Etats sont interdépendants, où les

problèmes sont internationalisés, n’est-on pas dans un système d’ingérences

permanentes ? Un Etat ne peut pas se développer indépendamment des autres et le

concept de souveraineté ne peut pas être pensé de la même manière que lorsqu’il servait

à désigner des Etats-nations dont les frontières étaient des limites infranchissables.

Qu’entend-on exactement par ingérence et en quoi ce concept pose problème en termes

juridiques ? Existe-t-il un droit ou un devoir d’intervention voire d’ingérence

commandé par les exigences humanitaires ?(1) En quoi l’éducation est-elle concernée

par ces questions ?(2)

1) L’exigence humanitaire face à la souveraineté

Il convient ici de distinguer l’ingérence de l’intervention. Le DIP ne connaît pas

l’ingérence mais l’intervention. Celle-ci est immatérielle s’il s’agit simplement de porter

un regard sur le fonctionnement d’un Etat, elle est matérielle si elle se manifeste

physiquement. L’assistance humanitaire est une forme d’intervention matérielle mais il

en existe beaucoup d’autres, l’intervention armée étant la plus agressive. Une

intervention matérielle peut être soit licite soit illicite. Autrement dit, elle peut se faire

avec ou sans l’accord de l’Etat souverain, avec ou sans sa coopération. Une ingérence

est par définition une intervention illicite. L’ingérence désigne le fait d’intervenir dans

les affaires d’un Etat sans son consentement. « L’idée même d’ingérence est née avant

tout d’une pratique.24 » Elle n’est pas un droit à proprement parler. Pourtant, les

exigences humanitaires contemporaines, lorsqu’elles sont confrontées aux résistances

des Etats, amènent à se poser la question de l’existence d’un droit d’ingérence. Cette

question peut se poser au regard de l’émergence de l’humanité comme nouvelle entité

venant se confronter à celle de l’Etat souverain.

En général, l’assistance humanitaire doit s’organiser à la demande de l’Etat

concerné et elle se met en place avec la coopération d’autres Etats ou d’organisations

intergouvernementales ou non gouvernementales telles que le CICR. Or, les ONG ont

peu à peu transformé cette conception de l’assistance humanitaire qui est trop souvent

24 Buirette Patricia, op. cit., p. 89.

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détournée du principe d’humanité à des fins politiques. Un Etat a toujours des intérêts.

Avoir une attitude humanitaire neutre, selon les principes fondamentaux du CICR,

nécessite une certaine indépendance vis-à-vis des Etats. Cela ne veut pas dire qu’il faut

agir contre leur volonté mais plutôt que le juge suprême en matière d’assistance

humanitaire ne peut pas être l’Etat. Existe-t-il alors un droit d’ingérence ?(a) Dans

certaines circonstances extrêmes, l’ingérence ne doit-elle pas être un devoir qui vise à

garantir l‘assistance humanitaire aux victimes ?(b)

a) Du droit d’intervention au « droit d’ingérence »

« Ce qui est acquis, indiscutablement, c’est le droit, pour les Etats, d’ouvrir les

yeux. 25» Les Etats, les organismes interétatiques, les organisations non

gouvernementales, ont un droit de regard sur les Etats lorsque ceux-ci ne respectent pas

les droits fondamentaux des individus. Ce type d’intervention immatérielle peut encore

être discuté mais nous pouvons considérer qu’il est d’une certaine manière acquis, du

fait de la configuration de notre société mondialisée. Or, un droit de regard pose

nécessairement la question du droit d’agir à partir du moment où ce qui est observé est

inacceptable vis-à-vis de la dignité humaine.

En DIP, l’aide international n’intervient que selon deux conditions cumulées : le

consentement de l’Etat et l’insuffisance des moyens dont il dispose26. Il existe d’une

certaine manière un droit d’intervention qui repose sur la volonté des Etats. Cependant,

en 1989, à Saint Jacques de Compostelle, l’Institut du Droit International énonce dans

son article 5 que « l’offre, par un Etat, un groupe d’Etats, une organisation

internationale ou un organisme humanitaire impartial tel que le Comité international

de la Croix-Rouge (CICR), de secours alimentaires ou sanitaires à un Etat dont la

population est gravement menacée dans sa vie ou sa santé ne saurait être considérée

comme une intervention illicite dans les affaires intérieures de cet Etat […] Les secours

seront accordés sans discrimination. Les Etats sur le territoire desquels de telles

situations de détresse existent ne refuseront pas arbitrairement de pareilles offres de

secours humanitaires. » Cette injonction faite aux Etats inverse le rapport entre

l’assistance humanitaire et la souveraineté nationale. C’est l’Etat qui doit motiver son

refus le cas échéant, ce qui est une atteinte directe à sa souveraineté, dans une

25 Sandoz Yves, op. cit., p. 226. 26 Voir les résolutions de l’ONU 43/ 131, adoptée le 8 décembre 1988, 45/100, adoptée la 14 décembre 1990.

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conception puriste de cette dernière. La jurisprudence de la Cour Internationale de

Justice (CIJ) relative aux Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua27 semble

aller dans le même sens : « pour ne pas avoir le caractère d’une intervention

condamnable dans les affaires intérieures d’un autre Etat, non seulement ‘’l’assistance

humanitaire’’ doit se limiter aux fins consacrées par la pratique de la Croix-Rouge à

savoir ’’prévenir et soulager la souffrance des hommes’’ et ‘’protéger la vie et la santé

(et) faire respecter la personne humaine’’, elle doit aussi et surtout être prodiguée sans

discrimination à toute personne dans le besoin.28 » En d’autres termes, cela sous-entend

que la condition de la licéité est d’abord et avant tout le respect de la dignité humaine et

non le consentement de l’Etat. La CIJ ne reconnaît pas un droit d’intervention

explicitement et encore moins un droit d’ingérence mais elle le suggère. On peut

considérer aujourd’hui qu’il existe un droit d’intervention en ce qui concerne

l’assistance humanitaire mais cela ne signifie pas encore qu’il existe un droit

d’ingérence.

La notion même de droit d’ingérence est contradictoire. D’une part, nous avons vu

que l’ingérence n’était pas définie d’un point de vue normatif, elle n’est donc pas un

droit au sens juridique. Mais surtout, l’ingérence est par définition illicite. « De deux

choses l’une : ou bien on est en présence d’un droit et ce n’est pas de l’ingérence, ou

bien c’est de l’ingérence et ce n’est pas un droit.29 » C’est qu’il faut voir dans cette

notion une signification plus morale que normative ou juridique. La question est la

suivante : peut-on se permettre d’intervenir sans le consentement d’un Etat ? La

tendance actuelle de la pratique humanitaire, même si le débat n’est pas tranché,

consiste plutôt à reconnaître un droit d’ingérence mais à le restreindre à certaines

situations d’une extrême gravité. Il ne s’agit pas de décréter que chaque fois que des

droits ont été mis à mal, une entité extérieure peut interférer dans le fonctionnement

d’un Etat au nom du respect de ces droits. Il faut que la violation soit avérée bien

entendue, mais aussi massive ou d’une particulière violence. « Dans la conception

classique de l’ingérence humanitaire, il est entendu que celle-ci ne trouve sa légitimité

et sa légalité que si l’on est en présence de situations particulièrement graves et

27 CIJ, Affaire des activités militaires et paramiliatires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis), arrêt du 27 juin 1986, §243, p. 125, disponible sur : http://www.icj-cij.org/docket/files/70/6502.pdf. 28 Ibid. 29 Kdhir Moncef, « Pour le respect des droits de l’homme sans droit d’ingérence », in Revue trimestrielle des droits de l’homme, n°52, Ed. Nemesis/ Bruylant, octobre 2002 p. 903.

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urgentes telles que des catastrophes naturelles ou des violations massives et

importantes des droits de l’homme30. »

Pour les situations qui nous intéressent ici, nous pouvons donc considérer que le

droit d’intervention est reconnu et que la notion de droit d’ingérence vient souligner la

prédominance du principe d’humanité sur le principe de souveraineté. Il ne s’agit pas de

reconnaître le bien-fondé de toute intervention, et encore moins de celles qui sont

armées et qui soulèvent de nombreuses polémiques, mais simplement le droit pour les

organismes internationaux ou les ONG d’exercer une assistance humanitaire dans des

situations d’extrême urgence, y compris sans le consentement explicite de l’Etat

concerné. Est-ce à dire qu’il existe un droit pour les victimes à l’assistance

humanitaire ?

Néanmoins, formulé de cette manière, il ne s’agit pas encore d’un droit des

victimes elles-mêmes à être assistées. Conférer le droit aux individus de recevoir des

secours de la part des autres Etats ou organismes internationaux en ferait un devoir pour

ces derniers et non plus seulement un droit.

b) Le droit à l’assistance humanitaire

La notion de droit d’ingérence humanitaire et celle de droit à l’assistance

humanitaire doivent être distinguées. La première consiste à affirmer le ‘’droit’’ pour

les organisations internationales d’apporter leur aide quand elles l’estiment nécessaire.

Le droit à l’assistance humanitaire va plus loin. Il reconnaît aux individus eux-mêmes le

droit de recevoir cette aide, ce qui induit qu’il s’agit d’un devoir d’assistance pour les

autorités ou les organisations internationales. L’article 3 commun des Conventions de

Genève de 1949 affirme que « les personnes qui ne participent pas directement aux

hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les

personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour

toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune

distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la

croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue. » Il s’agit

30 Raulin (de) Arnaud, « l’urgence dans le droit international », Raulin (de) Arnaud (sous la direction de), Situations d’urgence et droits fondamentaux, Paris, Ed. L’Harmattan, 2006, p. 150.

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bien de reconnaître un droit aux personnes. Dans l’article 2 de la Résolution de Bruges

2003, qui consiste à reformuler le droit coutumier ou conventionnel existant en le

synthétisant, l’Institut de Droit International traite de la question du droit à l’assistance

humanitaire31. Ce droit découle du droit à la vie qui, contrairement aux Conventions de

Genève, vaut pour toutes situations : « Le fait de laisser les victimes de catastrophes

sans assistance humanitaire constitue une menace à la vie et une atteinte à la dignité

humaine et, par conséquent, une violation des droits humains fondamentaux32. » Cela

implique d’une part que les victimes, les autorités ou des organisations peuvent

réclamer ce droit, et d’autre part que l’Etat et, en cas de défaillance de celui-ci, les

organisations internationales, ont le devoir d’y répondre. L’article VIII de la même

résolution souligne l’obligation de ne pas refuser arbitrairement une assistance aux

victimes33. D’une certaine manière, en cas d’incapacité de l’Etat à respecter ce droit, le

« devoir d’ingérence » est l’autre versant du droit à l’assistance humanitaire. Il se situe

ainsi à la frontière entre le droit et la morale. N’est-ce pas précisément la spécificité des

questions qui touchent au fondement même de la dignité humaine ? L’expression de

« devoir d’ingérence » date d’une allocution de Bernard Kouchner prononcée en 1987

lors de la première Conférence internationale de droit et de morale humanitaire. Le

danger d’une telle notion tient dans ses potentielles dérives. S’il est de notre devoir de

secourir les personnes qui en ont besoin, cela n’implique-t-il pas d’une certaine manière

que tous les moyens sont bons pour parvenir à cette fin ? La question n’est pas alors

seulement de savoir si on peut admettre un devoir d’ingérence qui serait un concept

moral et non juridique, la principale question porte sur la forme de cette ingérence. On

est en effet inévitablement confronté au danger d’exportation d’un modèle démocratique

31 Kolb Robert, « De l’assistance humanitaire : la résolution sur l’assistance humanitaire adoptée par l’institut de droit international à sa session de Bruges en 2003 », in Revue internationale de la Croix-Rouge, décembre 2004, vol. 86, n°856. 2002. 32 Suite de l’article 2 : « 2. Les victimes de catastrophes ont le droit de demander et de recevoir une assistance humanitaire. L’assistance peut être sollicitée, au nom des victimes, par des membres du groupe, les autorités locales et régionales, le gouvernement de l’État affecté et par des organisations nationales ou internationales. 3. L’assistance humanitaire doit être offerte et, en cas d’acceptation, distribuée sans discrimination reposant sur des motifs prohibés, compte étant dûment tenu des besoins des groupes les plus vulnérables. » 33 Ibid., article VIII : “Devoir des États affectés de ne pas rejeter arbitrairement une assistance humanitaire offerte de bonne foi 1. Les États affectés ont l’obligation de ne pas refuser de façon arbitraire et injustifiée une offre de bonne foi, exclusivement destinée à fournir une assistance humanitaire, ou l’accès aux victimes. Ils ne peuvent, en particulier, refuser cette offre ou cet accès si un tel refus est susceptible de mettre en danger les droits humains fondamentaux des victimes ou si ce comportement revient à violer l’interdiction d’affamer les populations civiles en tant que méthode de guerre. »

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occidental. Le devoir d’ingérence n’a pas de contenu juridique, c’est donc un concept

qui dépend de l’utilisation qu’on en fait. Les dérives possibles sont nombreuses et

l’intervention au Kosovo ou la guerre en Irak en sont des exemples. Ces questions ne

concernent pas directement notre objet puisque nous concentrons notre attention sur

l’assistance humanitaire par les organisations humanitaires dans des situations

d’extrême urgence. Cette assistance, par définition, « repose sur une donnée

incontournable : les organisations humanitaires ne disposent pas de la force armée ni

d’autres moyens de coercition. 34»

Cependant, admettre un devoir d’ingérence dans ces situations nous pose question

d’une autre manière. Ce n’est pas tellement la forme de cette ingérence mais son

contenu qui mérite d’être étudié. Doit-on limiter l’assistance humanitaire en situations

de conflits ou de catastrophes naturelles aux soins médicaux de base et à

l’alimentation ? Autrement dit quelle est la place du droit à l’éducation vis-à-vis du droit

à l’assistance humanitaire ?

2) L’éducation d’urgence, une nouvelle forme d’ingérence

L’éducation, de part sa nature, ne peut pas être considérée comme n’importe

quelle autre intervention humanitaire. Il s’agit, plus encore que la santé ou le logement,

d’une compétence nationale exclusive. L’éducation d’un peuple est ce qui fait son

identité, son unité, sa spécificité. Or, il est reconnu pour les peuples un droit à

l’autodétermination qui vient dans ce cas renforcer le principe de souveraineté dont il

était question plus haut. Dans ce cas, doit-on étendre le droit à l’assistance humanitaire à

l’éducation ?(a) Les conséquences de la reconnaissance d’un tel droit ne

s’étendraient-elles pas bien au-delà du droit à l’éducation en lui-même tant il est

indissociable des autres droits humains ?(b)

a) L’éducation, compétence nationale par excellence

Une des images les plus frappantes du colonialisme africain reste les cours d’histoire

de France dispensés aux enfants sénégalais ou maliens. Cette dénégation de leur histoire

et de leur culture était un des signes de leur asservissement. La culture est transmise par

34 Sandoz Yves, op. cit., p. 230.

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l’éducation et celle-ci est nécessairement singulière pour chaque peuple. La multiplicité

des cultures trouve son écho dans la multiplicité des systèmes d’éducation, des contenus

éducatifs. Le multiculturalisme est garant de richesse au niveau planétaire. Ainsi,

chaque Etat a pour tâche de mettre en place un système éducatif qui confère une identité

propre à son peuple. Dans l’éducation se joue la reconnaissance de l’appartenance de

l’individu à son peuple. Au niveau international, le droit des peuples à disposer d’eux-

mêmes est fondamental. Il est notamment énoncé dans l’article 20 de la Charte africaine

des droits de l’homme et des peuples de 1981 : « tout peuple a droit à l’existence. Tout

peuple a un droit imprescriptible et inaliénable à l’autodétermination. Il détermine

librement son statut politique et assure son développement économique et social selon

la voie qu’il a librement choisie. » L’éducation est un des rouages essentiels de

l’autodétermination d’un peuple. Néanmoins cela ne fait pas obstacle à l’éducation

d’urgence quand celle-ci s’avère nécessaire, bien au contraire. Lorsque les processus

éducatifs ne fonctionnent plus et que l’Etat ne joue plus son rôle, c’est aussi le droit du

peuple à s’autodéterminer qu’il viole. Certes, l’éducation est souvent porteuse d’une

identité nationale mais quand elle ne fonctionne pas, le peuple doit se la réapproprier et

les objectifs de l’EPT, nous y reviendrons, place cette exigence au cœur des

programmes mis en place.

Le principal problème d’un point de vue juridique est le fait que l’éducation est

une compétence nationale. Reprenons la Charte des Nations Unies et son article 2.7 :

« Aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir

dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat »

Cet article n’interdit pas de manière absolue toute forme d’intervention mais celles qui

relèvent, on pourrait dire exclusivement, de la compétence nationale. Plusieurs

résolutions des Nations Unies font par la suite écho à cette idée35. Pour n’en citer

qu’une, la résolution de l'Assemblée générale de l'ONU sur l'octroi de l'indépendance

aux pays et peuples coloniaux, du 14 décembre 1960, déclare en son article 7 que

« tous les Etats doivent observer fidèlement et strictement les dispositions de la Charte

des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de la

précédente Déclaration sur la base de l'égalité, de la non-ingérence dans les affaires

intérieures des Etats et du respect des droits souverains et de l'intégrité territoriale de

tous les peuples. » Nous pouvons nous interroger sur cette précision concernant les

35 Résolution n° 1514 de l'Assemblée générale de l'ONU sur l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux, du 14 décembre 1960. Voir aussi les résolutions 2131 (XX), 2625(XXV) et 36/103.

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affaires intérieures. Etant donné que l’éducation est en temps ‘’normal’’ compétence

réservée de l’Etat, est-elle visée par cette expression ? Il nous semble qu’il s’agit pour

les Nations Unies d’affirmer un principe de non-intervention dans les domaines ou

l’Etat ne s’est pas engagé au niveau international. La CIJ adopte cette attitude et

considère qu’il est en fait question des « orientations politiques » dans son arrêt sur les

Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci.36 « C’est donc ici

l’existence d’une obligation internationale pour un Etat dans une matière particulière

qui fera sortir cette matière de ses affaires intérieures.37 » Les Etats qui ont ratifié la

DUDH, le PIDESC ou la CDE se sont engagés à respecter, entre autres, le droit

universel à l’éducation. Tant qu’ils respectent cet engagement, ils ont la liberté de

mettre en place leur système d’éducation mais celle-ci ne relève pas seulement de leurs

affaires intérieures s’il y a violation du droit à l’éducation.

b) Le droit à l’éducation indissociable de l’ensemble juridique des droits

de l’homme

Respecter le droit à l’éducation tel qu’il est défini dans les normes internationales

implique nécessairement de respecter un certain nombre de droits fondamentaux. C’est

pour cette raison également que la légitimité des interventions en matière d’éducation

produit de la méfiance : si on commence à exiger le respect de ce droit, c’est sur

l’ensemble des droits humains que va peser cette exigence. Le droit à l’éducation pour

tous s’inscrit nécessairement dans une conception holiste des droits de l’homme. Cela

signifie que les différents droits proclamés dans une déclaration telle que la DUDH sont

tous solidaires et font systèmes. Mais aussi que l’ensemble du droit international des

droits de l’homme forme un tout organique qui ne peut être altéré sans être dénaturé.

Prenons l’exemple des enfants-soldats. Leur droit à l’éducation commence à être

violé à partir du moment où ils sont enrôlés dans l’armée, en même temps que leur droit

de ne pas travailler ou de ne pas subir de traitements inhumains ou dégradants. On voit

bien que le droit à l’éducation ne peut pas être respecté si l’ensemble des droits de

36 CIJ, Affaire des activités militaires et paramiliatires au Nicaragua et contre celui-ci, op. cit., §258 : « les orientations politiques internes d’un Etat relèvent de la compétence exclusive de celui-ci, pour autant, bien entendu, qu’elles ne violent obligations du droit international. » 37 Corten Olivier et Klein Pierre, Droit d’ingérence ou obligation de réaction ?, Bruxelles, Ed. Bruylant/ Ed. de l’Université de Bruxelles, Coll. De droit international, 2e édition, 1996.

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l’enfant ne le sont pas. Il y a une interdépendance des différents droits humains en

général, et en l’occurrence des droits de l’enfant.

Voyons comment ces textes sont interdépendants dans le cas des enfants-soldats.

La Convention internationale interdit l’incorporation des enfants aux forces armées en-

dessous de quinze ans38. Pour ce qui est du continent africain, l’enrôlement des enfants

est également interdit par la Charte des droits et du bien-être de l’enfant. Parallèlement,

au niveau international, plusieurs ONG39 ont décidé de mettre en place une Coalition

pour mettre fin à l’utilisation des enfants-soldats. En 2000, un Protocole40 a finalement

été adopté pour interdire « l’enrôlement obligatoire » des moins de dix-huit ans dans les

forces armées, ainsi que leur participation active. Par contre, des enfants de moins de

dix-huit ans peuvent s’engager volontairement avec le consentement de leurs parents.

Ce texte, entré en vigueur en 2002, représente un compromis vers l’interdiction des

enfants-soldats. Cependant, l’adhésion des Etats à ce Protocole est facultative. Il est

ratifié par 15 Etats seulement en 2003. De plus, il ne peut être adopté que par les Etats

membres de l’ONU et ne concerne pas les enfants acteurs dans les guérillas. En 2004, la

Cour spéciale pour la Sierra Leone a affirmé, en vertu du Statut de Rome de la Cour

pénale internationale et du droit international coutumier, que le recrutement d’enfants de

moins de quinze ans dans les forces armées constitue un crime de guerre. Ces

mécanismes juridiques internationaux contribuent également au respect du droit à

l’éducation.

La condition première pour mettre en œuvre le droit à l’éducation en situations

d’urgence est le consentement de l’Etat, voire sa coopération. Mais en l’absence de ce

consentement, ou dans l’attente de ce dernier (qui n’est en général pas immédiat tant les

priorités des autorités sont autres dans ces situations d’urgence), il est du devoir des

organismes internationaux et des ONG de garantir un droit aussi fondamental. De plus,

l’initiative laissée aux organisations humanitaires leur laisse une plus grande marge de

manœuvre et une plus grande possibilité de neutralité. Il n’existe pas de consensus sur

ce sujet et nous en avons conscience mais il nous semble que les évolutions normatives

et juridiques de notre siècle vont plutôt dans ce sens. La réponse qu’il est possible

38 Cela peut paraître paradoxal avec la définition de l’enfant énoncée par cette même Convention, mais plusieurs Etats-Parties ont refusé de revoir l’âge minimum des jeunes recrutés dans leurs armées nationales. Seul un consensus autour de l’âge de quinze ans s’est donc dégagé. 39 Amnesty International, Human Rights Watch, Quaker U.N. Office, Jesuit Refugee Service, Radda Barnen. 40 Voir sire http://web.amnesty.org/pages/childsoldiers-index-fra.

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d’apporter aujourd’hui n’est sans doute pas la même que celle qui aurait été avancée il y

a quelques décennies. Nous voulons voir dans les avancées récentes des promesses vis-

à-vis du droit à l’éducation en situations d’urgence. Le droit d’assistance humanitaire,

de plus en plus reconnu comme tel, nous permet d’envisager la possibilité de mise en

œuvre du droit à l’EPT dans toutes les situations. Mais si l’Etat n’assure pas l’éducation

dans ces contextes, ce n’est pas seulement parce qu’il ne veut pas le faire, ou qu’il

choisit d’autres priorités, c’est qu’il n’en a pas forcément les moyens. Si les mécanismes

nationaux sont défaillants, quels sont les mécanismes qui peuvent assurer le respect

d’un droit aussi consubstantiel du fonctionnement national que celui de l’éducation ?

Section 2

Les mécanismes nécessaires à la mise en oeuvre du droit à l’éducation en

situations d’urgence

Il nous faut éclairer notre objet à la lumière des pratiques contemporaines. Ce ne

sont pas seulement les configurations juridiques qui ont évolué mais aussi les pratiques

proprement dites. La mise en place d’une éducation d’urgence fait de plus en plus partie

des actions humanitaires. Dans les camps de réfugiés ou de déplacés où la présence des

acteurs humanitaires est importante, il y a une ou plusieurs structures de soin, des

mécanismes d’assainissement de l’eau, la fourniture d’une aide alimentaire ou de biens

essentiels, et parfois une ou plusieurs écoles. Pour Margaret Sinclair, l’éducation est « le

quatrième pilier de l’action humanitaire41 » avec l’aide alimentaire, l’hébergement et

l’assistance sanitaire. L’éducation d’urgence, comprise comme réponse humanitaire, est

l' « éducation qui protège le bien-être, favorise les possibilités d’apprentissage et

nourrit le développement global (social, émotionnel, cognitif, physique) d’enfants

perturbés par des conflits et des catastrophes 42» Avant de revenir plus en détail sur le

contenu de cette définition, il convient de se demander quels sont les acteurs qui

participent à la mise en œuvre du droit à l’éducation en situations d’urgence.(A) Nous

verrons comment se construit une vision commune de ce que doit être l’éducation

41 Sinclair Margaret, Plannifier l’éducation en situations d’urgence et de reconstruction, Paris, UNESCO/ IIPE, 2003, p. 33. 42 Sinclair Margaret, op. cit., p. 27.

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d’urgence grâce à la coopération entre ses différents acteurs et les normes qu’ils

instituent afin de clarifier le contexte normatif dans lequel se situe leur action.(B)

A) Les acteurs

La question des acteurs est centrale pour bien cerner la signification de la mise en

œuvre du droit à l’éducation en situations d’urgence. Nous avons en effet pu constater le

flou juridique régnant autour de cette question. « Ce qui domine le paysage juridique, en

ce début du XXIième siècle, c’est l’imprécis, l’incertain, l’instable, ou encore, en termes

plus provocateurs, le flou, le doux et le mou, dont nous avons précédemment observé les

principales manifestations. 43» La répartition des différents espaces de compétences est

bouleversée, leur entrecroisement permet de multiples interprétations parfois

contradictoires. Ces différents espaces interfèrent entre eux et la structure globale de

l’ensemble juridique du DIP est en perpétuel mouvement. Le fait qu’un principe aussi

architectural que le principe de souveraineté soit sujet à tant de discussions est

caractéristique de ces évolutions du système en lui-même. Le « flou » ou le « mou » qui

caractérisent le paysage juridique le rendent extrêmement complexe à saisir mais il sont

aussi une force. C’est le jeu qui existe entre les différents rouages qui fait que les

mécanismes ne sont pas fixes, même si l’image de la machine est bien trop simple pour

illustrer une réalité aussi complexe. « [Les interactions juridiques] s’ordonnent sans

majesté, par ajustements successifs toujours partiels, toujours imparfaits, et les

métaphores rendent bien mal compte de ces processus toujours recommencés qui

n’évoquent ni la domination de la pyramide, ni la continuité des réseaux, ni

l’automaticité des machines. 44»

Pour ce qui concerne notre objet, les compétences juridiques des Etats, des

organismes intergouvernementaux (1), des organisations non gouvernementales (2),

sont interdépendants. Mais dans cette configuration complexe viennent s’ajouter

d’autres acteurs qui ne sont pas nécessairement guidés, directement en tout cas, par des

instruments normatifs. C’est notamment le cas de la multiplicité d’acteurs locaux qui

43 Delmas-Marty Mireille, Les forces imaginantes du droit, tome II : Le pluralisme ordonné, Paris, Ed. Seuil, Coll. La couleur des idées, 2006, p. 7. 44 Delmas-Marty Mireille, Les forces imaginantes du droit, tome II : Le pluralisme ordonné, Paris, Ed. Seuil, Coll. La couleur des idées, 2006, p. 30.

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contribuent à leur échelle au respect du droit à l’éducation dans les situations les plus

dramatiques.(3)

1) Les Etats et les institutions intergouvernementales

En 1945, un certain nombre d’Etats décident de mettre en place une organisation

internationale qui puisse garantir la paix au niveau mondial et le respect des normes que

se sont fixées les Etats, dans le respect de la souveraineté nationale. La mission de

l’ONU est énoncée au premier article de la Charte des Nations-Unies, dite aussi Charte

de San Francisco : « réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes

internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant

et en encourageant le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales pour

tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion. » Les conflits d’intérêts

entre les Etats rendent cette mission souvent difficile.

Plusieurs organismes intergouvernementaux dépendent de l’ONU ou sont en lien

avec elle. Ils sont intergouvernementaux, ce qui signifie que leur mandat repose sur des

accords préalables passés entre les Etats. Le HCR, par exemple, a pour mission de faire

respecter la Convention de Genève de 1981, relative au statut des réfugiés dans les Etats

où celle-ci a été ratifiée45. Cela ne signifie pas que cet organisme est dépendant de ces

Etats, il exerce au contraire un contrôle sur eux, établit des enquêtes, formule des

recommandations ou rédige des rapports parfois accablants, intervient sur le terrain dans

certains contextes. Mais il ne peut pas dépasser le cadre strict de son mandat qui a été

mis en place par les gouvernements.

L’ONU crée en 1980 un département des affaires humanitaires qui a pour tâche de

coordonner les différentes interventions d’organisations telles que l’OMS, l’UNICEF,

l’Organisation des Nations Unies pour le Secours aux catastrophes (UNDRO), la

Banque Mondiale. Les grandes instances internationales, qui ont chacune leurs

spécificités, agissent de manière coordonnée tant au niveau des méthodes que des

financements. Il ne faut pas oublier que la question de l’aide internationale est centrale

en ce qui concerne l’action humanitaire et en particulier l’éducation. L’enjeu de

reconnaître un droit fondamental à l’éducation pour les individus dans les situations

d’urgence est aussi financier.

45 139 Etats l’ont ratifié à ce jour, se reporter au site du HCR: http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/treaty2ref_fr.htm.

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En matière d’éducation d’urgence, les deux principaux organismes concernés

sont le HCR et l’UNICEF. Ceux-ci ont des missions sensiblement différentes et

combinent promotion de l’éducation d’urgence, actions sur le terrain et collectes de

fonds.

A partir des années 2000, de nouvelles structures se mettent en place, avec pour

ambition de promouvoir et de faire respecter le droit à l’éducation en situations

d’urgence. Un nouveau service de l’UNESCO est chargé exclusivement de ces

questions et travaille en étroite collaboration avec l’UNICEF. L’UNESCO opère dans

un cadre plus large et notamment en amont mais ses compétences en matière d’urgence

se développent, ce qui contribue à une autre vision de l’intervention d’urgence qui n’est

plus dissociée de visions éducatives prospectives. Ces différents organismes n’ont pas

toujours forcément les mêmes modes de fonctionnement mais ils travaillent dans la

mesure du possible en coopération. Certains exemples, comme la réponse en matière

d’éducation à la crise Rwandaise à partir de 1994, témoignent de l’efficacité de ces

coopérations, nous y reviendrons.

Cependant, « ce sont les Etats, notamment les plus puissants d’entre eux, qui

tiennent en leurs mains les clés politiques et financières des organisations

internationales gouvernementales. Face à cette réalité, les ONG doivent organiser un

contre-pouvoir efficace… 46» Cela est encore plus vrai dans les contextes d’urgence où

la présence des ONG est centrale.

2) Les organisations non gouvernementales

Une ONG est une organisation indépendante, qui a une activité d’intérêt général.

Il existe des ONG à toutes les échelles d’intervention : aux niveaux local, national,

régional, international. Mais toutes sont des organisations privées qui n’ont pas de

relation d’intérêt avec les Etats et dont l’objectif est non lucratif. Pour ce qui est de la

défense de la dignité humaine, il existe un grand nombre d’ONG et leurs activités sont

extrêmement précieuses. Elles permettent d’avoir des informations justes sur les

différentes situations sans aucune influence, de faire pression sur les gouvernements ou

sur les organismes internationaux lorsque cela est nécessaire, de mener des actions

46 Rouget Didier, Le guide de la protection internationale des droits de l’Homme, Paris, Ed. La pensée Sauvage/ Agir ensemble pour les droits de l’Homme, 2000, p. 253.

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concrètes dans leurs domaines de compétences. Certaines ONG contribuent ainsi à

l’effectivité du droit à l’éducation.

Plusieurs ONG internationales agissent dans ce domaine, en coopération avec des

ONG locales ou nationales. La multiplicité des acteurs entrave parfois la mise en

commun des informations et la coordination au niveau des méthodes d’intervention.

Dans le souci d’une plus grande efficacité, les différentes organisations,

gouvernementales ou non, doivent pouvoir coopérer. C’est le regroupement de ces

différents acteurs, avec l’appui des Etats quand cela est possible, qui permet d’optimiser

leurs actions. En ce qui concerne l’éducation, un réseau inter-agences d’éducation

d’urgence (Inter-agency network of emergency éducation : INEE) a été mis en place en

2000. C’est au cours d’une séance de stratégie sur l’éducation en situations d’urgence et

de crise au Forum Mondial sur l’Education à Dakar que ce réseau a été initié. Le but est

de favoriser l’échange des informations et des expériences entre les différents acteurs

pour une meilleure efficacité des actions en faveur de l’éducation d’urgence. Il s’agit

aussi d’améliorer la compréhension des projets auprès des bailleurs de fonds pour de

meilleures stratégies de financement d’autre part. Des groupes de travail thématiques

sont centrés plus précisément sur certaines questions comme l’éducation des filles, la

formation des enseignants… L’émergence de ces nouvelles structures témoigne à la fois

de l’ampleur du problème auquel nous sommes confrontés mais aussi d’une volonté de

plus en plus forte de mettre en place des programmes d’éducation d’urgence. De plus il

faut souligner que l’une des tâches principales des ONG est aussi de rappeler aux Etats

leurs responsabilités, à savoir que « selon l’article 28.1 de la Convention qui s’applique

à tous les enfants sans discrimination, l’éducation doit […] être disponible et accessible

aux enfants qui ont été victimes de violences organisées. Un Etat ne peut refuser à

aucun enfant le droit à une éducation sur son territoire. 47» Ces organisations

s’appuient donc sur les normes internationales pour légitimer leurs actions et elles

participent à leur effectivité même si elles ne sont pas liées par elles.

D’autres ONG non spécialisées dans l’éducation jouent un rôle essentiel comme le

Programme Alimentaire Mondial (PAM) qui fournit des denrées alimentaires aux

cantines scolaires. Nous voyons donc en quoi l’effectivité d’un droit comme le droit à

l’éducation dans des situations où l’Etat, qui en est normalement le principal acteur, est

inopérant, fait appel à une nébuleuse d’acteurs dont la coopération et la collaboration

47 Aguilar Pilar and Retamal Gonzalo, Rapid Educational Response in Complex Emergencies, Geneva, International Bureau of Education, 1998, p. 6, (notre traduction).

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sont porteuses de réponses appropriées. En effet, la complexité des situations d’urgence

nécessite de concilier les exigences normatives internationales et les contraintes du

terrain. Les juristes et les praticiens, les statisticiens et les éducateurs possèdent tous des

compétences qui gagnent à être mises en commun. Mais de telles coopérations ne

pourraient pas fonctionner sans les acteurs principaux du droit à l’éducation, les

personnes directement concernées. Comment oserions-nous prétendre répondre à une

situation sans faire appel aux personnes qui la vivent ? Qui d’autre est mieux placé, qui

est plus compétent qu’elles pour déterminer leurs besoins et donc déjà d’une certaine

manière, les réponses nécessaires ?

3) Les acteurs locaux

Par principe, l’éducation d’urgence ne peut exister que si elle est fondée sur la

participation de la population sinistrée. D’une part parce qu’elle a à se réapproprier ce

qui, nous l’avons vu, contribue à son identité, d’autre part parce que c’est la condition

d’une réponse à moyen ou long-terme. L’INEE considère qu’il est essentiel que « les

membres d'une communauté victime d'une situation d'urgence prennent une part active

à l'évaluation initiale, la planification, la mise en œuvre, le pilotage et l'évaluation du

programme d'éducation48 » De plus, les enfants se sentent plus en confiance auprès de

personnes familières, auprès de personnes qui vivent les situations avec eux. Il arrive

très souvent que la population prenne spontanément des initiatives en matière

d’éducation. L’assistance doit en fait venir en soutien à ces initiatives quand elles

existent et mettre en place de nouveaux programmes quand ceux-ci sont absents. Si les

acteurs locaux doivent être au centre de ces programmes, il convient de ne pas

reproduire des logiques éducatives qui ont été destructrices ni de négliger la qualité de

l’enseignement. Les acteurs humanitaires doivent veiller à la qualité des contenus

éducatifs selon des valeurs de paix et de tolérance et mettre en place de la formation.

En effet, la question de la formation des enseignants est centrale. Si les adultes ne

sont pas formés, leurs enfants ne reçoivent pas une éducation de qualité. Or, le manque

d’enseignants se fait généralement sentir dans ces situations où certains d’entre eux ont

été tués, ont fuit, ou ont subi des traumatismes trop lourds pour continuer à enseigner.

La question de la formation des enseignants est évidemment accrue dans le cas d’une

48 INEE, Normes minimales en situations d’urgence, de crises et de reconstruction, Paris, INEE, 2004, p. 14.

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réponse rapide. Il existe un programme de l’UNESCO intéressant à ce propos : Le

programme pour l’éducation dans les situations d’urgence et de reconstruction

(UNESCO-PEER)49 : il s’agit d’inciter les acteurs locaux à former des comités

d’autogestion, à l’aide d’une trousse de première urgence (Teaching Emergency

Package : TEP). Cette trousse contient du matériel éducatif ou récréatif et des outils

pédagogiques. Ce programme a été mis en place pour la première fois en 1992 en

Somalie50. La distribution de ce matériel s’accompagne dans la mesure du possible

d’une formation accélérée de deux jours auprès de quelques éducateurs qui se

chargeront à leur tour de former certains de leurs collègues et ainsi de suite. Ce type de

formations en cascade permet de rendre ces enseignants opérationnels le plus

rapidement possible. La population peut ainsi mettre en place un fonctionnement

éducatif lorsque l’Etat est défaillant.

Les acteurs locaux sont donc au fondement de l’éducation d’urgence, par leurs

prises d’initiatives, leur désir de rouvrir des écoles ou de regrouper les enfants autour

d’activités récréatives. Mais ils sont aussi présents tout au long du processus de mise en

place progressive de la réponse éducative. Ce sont des personnes appartenant à la

population sinistrée qui enseignent dans la plupart des cas. « Les éducateurs font

souvent des efforts louables pour sauvegarder l’éducation alors que sévit la guerre,

militaire ou civile. Il leur arrive de faire la classe en plein air, dans des maisons ou des

sous-sols, ou encore dans des bâtiments en ruines. 51»

B) Les mécanismes normatifs permettant une réponse rapide

Les crises sont toutes singulières, cependant les expériences concrètes ont permis

de dégager des caractéristiques communes et de mettre en place des principes généraux

guidant l’action des divers protagonistes. Il est essentiel de s’appuyer sur des

expériences concrètes afin de cerner les limites de la formulation des normes 49 Voir site : http://portal.unesco.org/education/fr/ev.phpURL_ID=13447&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html. 50 Pour des analyses plus détaillées de ces méthodes ou une évaluation leurs réussite, voire les sites de l’UNESCO ou de l’UNICEF ou Aedo Richmond Ruth et Retamal Gonzalo, Education as a humanitarian response, Ed. Cassell / International Bureau of Education, Coll. Frontiers of International Education, 1998. Voir aussi Aguilar Pilar et Retamal Gonzalo, Rapid educational response in complex emergencies : a discussion document, Genève, BIE, 1998. 51 Sinclair Margaret , op. cit., p. 30.

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internationales et d’adapter le droit aux situations extrêmes. Rendre effectif le droit à

l’éducation ou les droits de l’enfant dans les situations d’urgence nécessite de repenser

ces normes tout en conservant leur esprit. Les organisations intergouvernementales et

non gouvernementales ne se contentent plus aujourd’hui d’appliquer le droit, elles

participent à son élaboration. Le droit à l’éducation en situation d’urgences fait appel à

des mécanismes normatifs spécifiques. Il y a parallèlement au DIP mis en place par la

Communauté des Etats au niveau international, un ensemble de normes qui sont établies

par les organisations directement concernées par tels ou tels problèmes. On assiste en

quelque sorte à une forme de régulation des situations de conflits par le biais de ces

nouvelles tendances normatives. Il ne faut bien entendu pas assimiler ces principes aux

normes du droit international dans le sens ou elles ne peuvent en aucun cas être

considérées comme contraignantes. Leur visée est de rendre lisibles les consensus

existants entre les différents acteurs, y compris pour les donateurs ou bailleurs de fonds,

et de les rendre plus clairs auprès de ceux qui sont bénéficiaires de l’aide.(1) Cela dit,

ces normes ne permettent pas de résoudre toutes les problématiques qui pèsent sur le

droit à l’éducation en situations d’urgence et nous verrons quelles en sont les limites.(2)

1) Un système de régulation conciliant principes et pragmatisme

Les normes minimales définies par l’ensemble des acteurs de l’humanitaire sont à

la fois fidèles aux principes généraux relatifs au droit à l’éducation pour tous et

attentives aux contraintes réelles de la mise en œuvre de ce droit. Cela ne signifie pas

qu’elles représentent un compromis puisque aucune concession n’est faite sur l’esprit

des principes, cela veut dire que les normes doivent toujours être interprétées à la

lumière des contextes dans lesquelles elles valent. Le caractère abstrait des droits de

l’homme a parfois tendance à occulter les lourdes contraintes matérielles, économiques,

humaines qui traversent les situations réelles. Toutes ces contraintes peuvent être

regroupées sous une même donnée essentielle en situations d’urgence : la contrainte

temporelle. Les normes minimales sont des règles qui ont pour objectif une mise en

place rapide des réponses, c’est ce qui fait leur spécificité.

Une Charte humanitaire a été rédigée par des ONG pour déterminer des normes

minimales en matière d’action humanitaire.(a) Ce projet a initié d’autres entreprises de

ce genre, telles que la mise en place de normes minimales d’éducation en situations

d’urgence et de crises.(b).

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a) La Charte humanitaire du projet Sphère

En 1997, a été lancé un projet nommé Sphère qui consiste à fixer un certain

nombre de principes et de normes de l’action humanitaire. Les deux principaux

objectifs, en plus de l’intérêt d’une telle entente sont d’une part de rendre plus lisibles

les actions vis-à-vis des bailleurs de fonds et des donateurs en établissant des critères

consensuels et d’autre part de rendre plus lisible l’action humanitaire par ceux qui en

sont les destinataires. Plus de 400 organisations de 80 pays ont participé à cette

entreprise. Ainsi, une Charte humanitaire a été rédigée. Elle s’appuie sur le droit

humanitaire, le droit des droits de l’homme, le droit des réfugiés, et le Code de conduite

pour la Croix-Rouge internationale, le Mouvement du Croissant-Rouge et les ONG dans

les secours en cas de catastrophe.

La Charte porte principalement sur les domaines alimentaire, sanitaire, du

logement et de la santé. Mais on peut y lire également des indications en ce qui

concerne l’accès à l’éducation même si ces normes sont succinctes : dans la norme 2,

relative aux abris et aux établissements, il est énoncé que « Tous les membres de la

population affectée ont accès, en toute sécurité, à de l’eau, à des installations

sanitaires, à des soins de santé, à des services d’enlèvement des déchets solides, à des

cimetières et à des installations sociales, y compris des écoles, des lieux de culte, des

points de rencontre et des zones de loisirs.52 » Dans la Norme 3 relative à la lutte contre

les maladies non transmissibles, il est affirmé que « dès que les ressources le

permettent, les enfants et les adolescents ont accès à une scolarité formelle ou

informelle et à des activités de loisirs normales.53 » Au début du XXIème siècle, on peut

voir que les acteurs de l’humanitaire restent très timides vis-à-vis du droit à l’éducation.

C’est une des raisons pour lesquelles l’INEE a décidé de mettre en place à son tour des

normes minimales, se calquant ainsi sur la démarche mais l’adaptant à la question de

l’éducation d’urgence.

52 Le Projet Sphère, Charte humanitaire et normes minimales pour les interventions lors des catastrophes, Genève, Le Projet Sphère, 2004 (première édition en 2000), p. 256. 53 Le Projet Sphère, Charte humanitaire et normes minimales pour les interventions lors des catastrophes, Genève, Le Projet Sphère, 2004 (première édition en 2000), p. 347.

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b) Les normes minimales d’éducation en situation d’urgence

Les normes minimales mises en place par l’INEE en 2004 sont un tournant

essentiel dans la mise en œuvre du droit à l’éducation pour tous en situations d’urgence.

Ces normes permettent une plus grande rapidité des réponses éducatives, une

coopération plus aisée entre les acteurs, et une évaluation plus facile des situations.

Parallèlement à ces normes sont définis des indicateurs qui permettent de mesurer les

différents aspects de la mise en place de l’éducation. Il faut bien distinguer les normes

des indicateurs. Les premières définissent des principes, des règles vers lesquelles il

convient de tendre. Elles regroupent les principes contenus dans les textes normatifs tels

que les déclarations ou traités, mais aussi de plus en plus, des principes établis par des

organisations et qui ont pour vocation d’être reconnus universellement. « Les normes

minimales reposent sur le principe selon lequel les populations frappées par des

catastrophes ont le droit de vivre dans la dignité. Elles définissent le niveau minimum

d’accès à l’éducation et d’offre de services éducatifs qu’il convient d’atteindre dans une

situation d’aide humanitaire. Elles revêtent un caractère qualitatif et sont conçues pour

être universellement applicables à tout environnement. 54» Les indicateurs sont des

outils statistiques ou autres qui permettent de définir dans quelle mesure une norme a

été atteinte. Ce sont des instruments de mesure, qualitatifs ou quantitatifs, et de

diffusion des informations relatives aux normes. Les indicateurs permettent de mesurer

les écarts entre les normes et les situations concrètes. Lorsque ces normes ne peuvent

être atteintes, il convient de comprendre pourquoi et d’adapter les normes à la réalité

tout en restant fidèle aux principes fondamentaux. Les normes minimales sont en fait à

mi-chemin entre la logique pragmatique humanitaire et la logique plus absolutiste des

droits de l’homme. Il s’agit bien de poser des principes fondamentaux mais d’adapter

leurs exigences au caractère singulier des situations dont il est question. Il ne serait pas

approprié par exemple d’interdire tout travail aux enfants dans des situations

économiques où ceux-ci ont un rôle central pour la survie de la population.

Les principes dégagés ne sont finalement pas très différents de ceux sur lesquels

repose l’éducation dans les autres situations mais la contrainte du temps y est

omniprésente. Le but est bien la mise en place rapide d’un processus éducatif, formel ou

54 INEE, Normes minimales en situations d’urgence, de crises et de reconstruction, Paris, INEE, 2004, p. 9.

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non. Cela dit, il ne s’agit pas simplement de mettre en place une éducation d’urgence

mais aussi de se servir de la réponse éducative pour relier la situation d’urgence au

processus de développement. Le présupposé fondamental des acteurs du droit à

l’éducation en situations de conflits ou de catastrophes, et c’est aussi le nôtre dans ce

travail, est que l’éducation est une des clés de la sortie de crise. Il faut donc avoir

présent à l’esprit dès l’urgence la relation avec le système éducatif à moyen ou à long-

terme. « Dans le cadre d’une intervention d’urgence, il est souhaitable que les autorités

éducatives et les principales parties prenantes élaborent et mettent en oeuvre un plan

d’éducation qui tienne compte des politiques éducatives, tant nationales

qu’internationales, assure le respect du droit à l’éducation et réponde aux besoins

d’apprentissage des populations sinistrées. L’objectif est d’améliorer la qualité de

l’éducation, de faciliter l’accès à l’école et de matérialiser la transition entre

l’intervention d’urgence et le développement. 55»

Ces normes minimales, qui contribuent à l’effectivité du droit à l’éducation, et ont

l’avantage d’apporter des éléments de réponses dans les polémiques sur l’éducation

d’urgence, possèdent tout de même des limites. En effet, il ne s’agit pas de normes au

sens juridique du terme et il n’existe donc pas de mécanisme qui permette de les

garantir. Comment évaluer leur efficacité en l’absence de ces mécanismes de contrôles ?

2) Les dilemmes de l’éducation d’urgence

L’éducation ne peut être évaluée que dans la durée puisque les processus

d’apprentissage sont nécessairement étendus dans le temps, et plus encore nous l’avons

vu lorsqu’il s’agit de situations où les enfants ont besoin de se reconstruire. Là encore,

pour ce qui est de l’évaluation, nous nous heurtons à l’hétérogénéité des temporalités de

l’éducation et de l’urgence. La première des difficultés majeures de la mise en place

concrète de l’éducation d’urgence, même en présence de normes bien définies est celle

de l’évaluation des situations et des réponses apportées.(a) Mais doit-on faire de

l’éducation une réponse humanitaire comme une autre ? La limite n’est-elle pas à

moment donné dans le fait de penser l’éducation sur le mode de l’action humanitaire,

55 INEE, op. cit., p. 77.

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même si nous nous trouvons dans des contextes d’urgence ? N’y a-t-il pas une

contradiction de fond entre réponse rapide et éducation ?(b)

a) Difficultés d’évaluation

L’évaluation des situations constitue une part très importante de la mise en place

d’une éducation d’urgence. Il n’est pas possible d’apporter une réponse à un problème si

on n’en saisit pas bien les données. Le but est de « permettre un suivi continu des

progrès accomplis par rapport aux objectifs fixés et de vérifier périodiquement la

pertinence du programme à mesure que la situation évolue56. » Les indicateurs

déterminés en même temps que les normes minimales ont précisément cette fonction.

Prenons le cas de l’ensemble des normes relatives à l’accès à l’éducation. La

première concerne l’égalité d’accès. Les indicateurs déterminés dans ce cas sont

l’absence de discrimination, l’absence d’exigence de pièces justificatives qui

entraveraient l’accès à l’école, la reconnaissance officielle du programme d’éducation

par les autorités nationales, etc. Certains sont plus faciles que d’autres à mesurer. La

question de la discrimination est par exemple délicate. L’application de normes et

l’évaluation, plus encore que dans tout autre contexte, sont, dans l’éducation en

situation d’urgence, étroitement liées. Là encore, les différents acteurs, et notamment les

acteurs locaux, doivent faire converger leurs efforts pour une meilleure analyse des

situations.

Mais le problème le plus délicat qui se pose à l’évaluation de l’éducation

d’urgence est le suivant : faut-il évaluer l’efficacité de la réponse vis-à-vis de la

situation elle-même ou des conséquences pour la suite ? Les critères d’efficacité d’une

réponse rapide peuvent-ils être les mêmes que ceux d’une réponse durable ?

b) Entre réponse rapide et réponse durable

Si nous admettons la possibilité de la mise en œuvre du droit à l’éducation en

situations d’urgence, cela ne résout pas les conflits temporels entre l’éducation et

l’urgence.

Quelle est la différence entre l’éducation d’urgence et l’éducation en général ou

même l’éducation dans des situations précaires des pays en développement ? La 56 INEE, op. cit., p. 12.

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première différence est d’ordre procédural : elle dépend de l’assistance humanitaire, de

fonds spéciaux, selon une répartition singulière des compétences et l’équilibre entre les

besoins et les moyens est précaire. La seconde est une différence de besoins : les

besoins en terme de contenus et d’entourage sont plus spécifiques. « Une troisième

différence, particulièrement digne d’intérêt pour des planificateurs de l’éducation,

concerne les contraintes de temps et de planification à court terme qu’imposent les

situations d’urgence.57 » C’est que ces contraintes de temps présentent le risque de

dénaturer l’éducation elle-même.

Il est sans doute possible de mettre en place une réponse éducative rapide, mais

cela n’est pas suffisant. Il ne s’agit pas de répondre à des besoins immédiats pour les

recréer par la suite. Il ne s’agit pas non plus de répondre à un problème en en créant un

autre. On pourrait considérer qu’il y a un danger dans la mise en place d’une éducation

en situations d’urgence, en l’occurrence dans des camps de réfugiés, pour les

populations, celui de ne plus avoir envie de retourner dans leur pays d’origine, de

reprendre en main leur destin. Il ne faudrait pas confondre assistance et assistanat. Pour

Pierre Hassner, c’est la question posée à toute action humanitaire et elle se pose aussi à

l’éducation : « les objectifs doivent-ils être limités dans le temps et conçus en termes de

situations d’urgence visant à supprimer un danger immédiat, à rétablir un minimum de

sécurité et de stabilité, pour laisser ensuite les parties elles-mêmes aller de l’avant,

l’objectif étant en partie, précisément, de leur donner une chance de reprendre le

dessus elles-mêmes plutôt que de se trouver en permanence en situation d’assistance ou

sous le contrôle d’autrui ?… 58» Nous pensons que cette question ne peut pas être posée

en ces termes et qu’il ne faut pas oublier que le droit à l’éducation est un droit

fondamental et universel. Nous ne pouvons pas priver des individus de leurs droits sous

prétexte qu’ils risqueraient de s’y habituer. De plus, « l’expérience montre que les

populations déplacées sont impatientes de rentrer chez elles dès lors que les conditions

de sécurité et de dignité d’un tel retour sont assurées. Les familles récemment déplacées

ne sont pas tentées de différer leur retour pour continuer de bénéficier de structures

éducatives d’urgence à court terme.59 »

57 Sinclair Margaret, op. cit., p. 38. 58 Hassner Pierre, « Par delà la violence ? Les dilemmes de l’intervention humanitaire », in Moore Jonathan, Des choix difficiles, les dilemmes moraux de l’humanitaire, trad. Leveillé Dominique, Paris, Ed. Gallimard, 1999 (première édition en anglais, 1998), p. 39-40. 59 Sinclair Margaret, op. cit., p. 34.

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Si la mise en place d’une éducation doit être assurée dans la mesure du possible

dans un contexte d’urgence et que les expériences humanitaires sont souvent des

expériences riches d’enseignements, l’éducation ne doit pas être "pervertie" par le

modèle humanitaire. Il y a un désaccord entre ceux qui souhaitent apporter une réponse

éducative rapide et des points de vues plus englobants. L’UNICEF a mis en place des

kits d’éducation rapide avec du matériel et des guides d’utilisation pour les éducateurs.

Cette méthode est directement inspirée des autres domaines de l’humanitaire. Ce kit est

d’ailleurs appelé « trousse de première urgence », nous allons y revenir. Il est efficace

car facile d’utilisation mais peut-il constituer une réponse durable ?

La première étape à consisté pour nous à déterminer la place que peut occuper

l’éducation dans l’urgence. Il s’agissait de comprendre en quoi il était possible, malgré

les obstacles premiers, de mettre en œuvre le droit à l’éducation en situations d’urgence.

Mais affirmer le rôle de l’éducation dans ces contextes et l’adaptation nécessaire de ses

normes aux situations extrêmes, ne signifie pas que l’éducation doit se plier aux règles

de l’urgence sans les modifier. Ne pourrait-elle pas au contraire être l’occasion

d’apporter une nouvelle forme de réponse à l’urgence ? Ne pourrait-on pas voir dans

l’éducation l’espoir de réintégrer les situations d’urgence dans des processus de temps

plus larges ? Les conflits de temporalités ne pourraient-ils pas être dépassés au profit du

temps long de l’éducation ?

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CHAPITRE II

La transformation de la définition de l’urgence par la mise en

œuvre du droit à l’éducation

Section 1

L’impact global de l’éducation sur l’urgence

L’éducation fait partie du quotidien des enfants en temps ‘’normal’’, ou devrait en

faire partie. Elle constitue un élément structurant, rassurant. Les enfants s’y sentent

protégés. Il est intéressant de constater que lors de conflits ou de catastrophes, les écoles

sont souvent des lieux de refuge. L’école est un lieu privilégié dans lequel les enfants se

retrouvent, elle est aussi facteur de socialisation. Il est donc très important de garder,

dans la mesure du possible, des écoles ouvertes dans toutes les situations, parce que cela

contribue à l’équilibre de l’enfant. Le rôle rassurant de l’école, de la présence d’un

adulte référent, est encore plus crucial dans des contextes chaotiques. Il s’agit

d’organiser des activités simples mais structurantes. L’objectif est de continuer l’école

malgré la souffrance pour atténuer la rupture mais aussi pour prévenir l’effondrement

psychologique de l’enfant ou de l’adolescent pendant la crise elle-même. En plus de

cela, l’éducation aide les enfants ou les adolescents à comprendre les situations qu’ils

vivent, ce qui n’est pas moins important pour leur équilibre psychologique. Elle leur

permet ainsi de redevenir acteurs. Elle joue en fait un rôle fondamental dans la gestion

de la crise. Pour cela, la qualité de l’éducation est au cœur des objectifs. Les enfants qui

sont éduqués participent à la réappropriation de la situation par la communauté sinistrée.

A travers l’éducation qu’ils ont reçue, les enfants peuvent transmettre des messages en

ce qui concerne la santé, l’assainissement de l’eau, ou l’hygiène. « Enseigner à des

enfants les risques principaux et l’exposition à ces risques constitue l’un des meilleurs

moyens de les protéger et de renforcer leur autonomie. 60» De plus, ils sont les garants

de nouvelles valeurs dès l’urgence.(A)

60 Peugeot Heidi et Spielberg Fred, « Le rôle des enfants dans la protection contre les catastrophes », in Newsletter de CRIN (réseau d’information sur les droits des enfants), Les droits de l’enfant dans les situations d’urgence, n° 20, février 2007, p. 9.

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En d’autres termes, l’éducation, en plus de préserver les enfants dans des

contextes violents ou déstabilisants, prépare les individus à la suite. Ces deux faces

d’une même ambition lui permettent de donner un autre visage à l’urgence. Elle

réintroduit de la planification à moyen terme au cœur même de l’urgence. Précisément

parce l’apprentissage ne peut pas tout à fait se plier aux contraintes extrêmement strictes

de l’urgence, c’est l’urgence qui est contrainte de laisser une place aux perspectives, aux

programmes d’éducation, aux projets. (B)

A) L’exigence de qualité au cœur -même de l’urgence

Le sixième des objectifs définis à Dakar en 2000 concerne la qualité de

l’éducation. Pour que le droit à l’éducation soit pleinement garanti pendant et après

l’urgence, «l’accès rapide à l’éducation et à des activités récréatives ou connexes

devrait être suivi d’une amélioration constante de la qualité et de la couverture

éducatives, notamment en ce qui concerne l’accès à tous les niveaux d’enseignement et

la reconnaissance des études. 61» Les instruments normatifs du droit à l’éducation

contribuent à la définition de la qualité de l’éducation qui est tout aussi centrale que

celle de son universalité.(1) C’est que, nous l’avons vu, toute éducation se doit de porter

un certain nombre de valeurs. Cette exigence éthique est encore plus essentielle dans

des situations où les principes les plus élémentaires de la dignité humaine n’ont plus de

sens.(2)

1) Définition de la qualité, un des principaux objectifs de Dakar

Si l’on considère qu’il existe un droit à l’éducation pour tous en situations

d’urgence, ce qui est déjà audacieux, ne faut-il pas faire des concessions pour que

l’effectivité de ce droit ait un sens ? A première vue, la nécessité d’une mise en place

rapide du processus éducatif est incompatible avec une éducation de qualité. Mettre en

place une éducation de qualité demanderait en effet plus de réflexion, de temps, de

concertation. Pourtant une éducation de mauvaise qualité n’en est plus vraiment une, ou

pire elle est dangereuse. Le droit d’être éduqué est en fait, inévitablement, le droit d’être

61 Sinclair Margaret, op. cit., p. 46.

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bien éduqué, sans quoi il est vidé de sa substance. Mais comment définir une éducation

de qualité ? Comment adapter une conception globale de la qualité aux contextes qui

nous intéressent ?(a) Enfin, même si nous en avons une définition plus ou moins claire,

comment mesurer la qualité de l’éducation, surtout dans des circonstances

complexes?(b)

a) Définition de la qualité

Si l’aspect qualitatif de l’éducation est aussi important que l’aspect quantitatif, en

plus des raisons données ci-dessus, c’est qu’il a un impact sur la durée de scolarité des

enfants, sur leur assiduité. Elle contribue à l’image que les individus se font de l’école

en général et donc favorise son développement. De toute façon, le problème de la

qualité des apprentissages se pose de fait dès qu’il est question de mettre en place un

processus éducatif. Le choix du contenu s’impose immédiatement. C’est la déclaration

de Jomtien en 1990 qui pose la qualité de l’éducation comme un enjeu déterminant du

droit à l’EPT, avant que le forum de Dakar n’en fasse un objectif prioritaire. Mais la

principale difficulté est de donner une définition univoque et consensuelle de la qualité.

Pour Edgar Faure en 1972, la qualité de l’éducation se mesure au développement de

l’être de l’apprenant. Au tournant du XXIème siècle, la Commission internationale sur

l’éducation pour le XXIème siècle trace quatre grandes lignes directrices pour répondre à

cette question, élargissant les possibilités de réflexion : l’éducation consiste à apprendre

à connaître, apprendre à faire, apprendre à vivre et apprendre à être. C’est en fait à

partir de ce moment là que la convergence entre les différentes dimensions de

l’éducation définit sa qualité. Plus les apprentissages sont complets, plus leur pertinence

est garantie. On peut considérer comme premier élément le développement cognitif de

l’apprenant. Ensuite, l’éducation doit aussi favoriser le développement créatif et affectif

selon l’UNESCO. Les acteurs de l’éducation au niveau international semblent

s’accorder sur le fait que la pertinence globale d’un programme ou d’un système est un

premier critère. L’équité dans l’accès contribue aussi à sa qualité, en préservant des

clivages. L’UNICEF définit cinq dimensions de la qualité de l’éducation : les

apprenants, les environnements, les contenus, les processus et les résultats. La

conception de l’UNICEF est directement inspirée de la CDE. Pour L’UNESCO,

« l’éducation doit permettre aux enfants de réaliser la plénitude de leur potentiel en

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termes de capacités cognitives, affectives et créatrices. 62» La qualité comprend donc la

pertinence du programme et du système. Cependant il existe une autre dimension qu’il

faut absolument prendre en compte, surtout pour le sujet qui nous intéresse :

l’adaptation aux situations.

La qualité d’une éducation repose en effet sur son adaptation aux situations. Un

programme éducatif qui est décalé par rapport au contexte n’est pas bon. La cohérence

ne peut pas simplement être interne au programme, il doit y avoir une cohérence

globale, contextuelle. Rappelons à ce propos qu’un des autres objectifs de Dakar est

l’adaptation aux conditions de vie. « Cela fait souligner l’importance de programmes

d’enseignements qui répondent dans toute la mesure du possible aux besoins et aux

priorités de l’apprenant, de sa famille et de sa communauté.63 »

b) Outils d’évaluation

Les résultats immédiats de l’éducation ne sont pas vraiment quantifiables. Il est

d’une manière générale difficile d’apprécier les conséquences d’une démarche

éducative sur un enfant, ses progrès, son épanouissement. Dans une situation d’urgence,

un individu qui guérit du choléra se reconnaît aisément, mais l’acquisition d’outils de

compréhensions, de nouvelles structures de pensée, de nouveaux comportements, sont

plus difficiles à repérer et à mesurer. C’est que l’éducation est un processus continu.

Elle vise à développer les potentialités que nous portons en chacun de nous, afin que les

individus soient acteurs des situations dans lesquelles ils vivent. L’éducation ouvre de

nouveaux possibles, elle est donc sans cesse tournée vers l’avenir, elle est projection.

Alors que nous venons de voir que la question de la qualité est indissociable de

toute réflexion sur l’éducation, les outils d’évaluation de l’application du droit à

l’éducation ont été, jusqu’en 2000, principalement quantitatifs. On peut voir dans la

conception quantitative de ce droit une des causes de l’échec de son universalisation. La

qualité de l’éducation s’évalue notamment par la capacité des individus par la suite à

s’intégrer dans leur société. Evaluer la qualité par les résultats obtenus (diplômes,

emploi…) peut servir mais est insuffisant car ce critère ne prend pas forcément en

compte les valeurs transmises. De plus, il n’assure pas la garantie de l’équité.

62 Rapport Mondial du suivi de l’EPT 2005, Education pour tous, l’exigence de qualité, Paris, UNESCO, p. 33. 63 Ibid., p. 34.

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2) La réintroduction de valeurs nécessaire à la sortie de crise

Une éducation de qualité dans ces contextes passe par la révision des manuels qui

existaient avant (et qui ont pu être porteurs de haine ou de discriminations,) voire la

création de nouveaux manuels scolaires. Parallèlement au travail effectué sur les

manuels et à la formation des enseignants, des programmes d’éducation à la santé, à la

paix, à la citoyenneté, au respect de l’environnement, aux droits de l’homme sont

particulièrement bénéfiques. Concentrons-nous tout d’abord sur l’éducation à la santé

qui joue un rôle central dans tous les programmes d’éducation d’urgence, quelque soit

l’origine de la crise. (a) Pour ce qui est des situations de conflits, et en l’absence

d’éducation à la citoyenneté au niveau national, il est aussi intéressant de voir l’impact

des programmes d’éducation à la paix ou aux droits de l’homme.(b)

a) L’éducation à la santé

Dans beaucoup de situations d’urgence humanitaire, l’approvisionnement en eau

potable est difficile et les épidémies se propagent extrêmement vite. La faiblesse

physique et psychologique des individus favorise la propagation des maladies. Certaines

maladies dues à l’eau, comme le choléra, sont une des causes de mortalité majeures

dans les camps. Certains comportements permettent de limiter les risques d’infection

encore faut-il en être informé. L’éducation à ces comportements élémentaires d’hygiène

est donc une question de survie. Il serait absurde de mettre en place des conduites d’eau,

des structures favorisant l’hygiène, si les individus ne savent pas s’en servir et si leur

comportement par ailleurs les met en danger. Le but est de faire prendre conscience aux

gens qu’il existe un lien étroit entre nos comportements quotidiens, l’hygiène et les

maladies. Si les populations sont sensibilisées à ces problématiques, elles pourront plus

facilement poursuivre les efforts des organisations humanitaires à la sortie de l’urgence.

Ce genre d’éducation participe de la volonté d’autonomiser au maximum les personnes

en situation d’urgence pour la suite.

Si les individus connaissent les symptômes et sont bien informés, il est plus

facile aussi d’enrayer les épidémies.

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b) L’éducation à la paix et aux droits de l’homme

«Pendant la Guerre froide, on avait tendance à définir la paix et la sécurité

simplement en termes militaires ou d’équilibre de la terreur. Aujourd’hui nous savons

qu’une paix durable repose sur une vision plus large englobant l’éducation et

l’alphabétisation, la santé et l’alimentation, les droits de l’homme et les libertés

fondamentales.64 » Les situations d’urgence sont caractérisées la plupart du temps par

une violation massive des droits de l’homme. Il s’agit donc pour la Communauté

internationale d’alerter les autorités sur ces violations, de les sanctionner si nécessaires.

Il s’agit également de préserver au maximum la dignité des individus dépourvus de

ressources. Mais le respect de la dignité et des droits élémentaires de chacun passe aussi

par les comportements des individus. Il n’est pas si évident d’apprendre la signification

de la paix ou de la tolérance quand on a grandit dans des contextes de violences

extrêmes, ou qu’on a vu mourir des proches. Néanmoins dans des situations où tous les

individus et en particuliers les enfants ont des motifs de haine, il est nécessaire de

retrouver un équilibre. Avant d’en venir aux programmes en eux-mêmes, nous devons

rappeler que dès son apparition dans le paysage des droits de l’homme, l’éducation

« doit viser au plein épanouissement de la personne humaine et au renforcement du

respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la

compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes

raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le

maintien de la paix.65 » Ces valeurs sont constitutives de la dignité humaine et nous

voyons dans la DUDH à quel point celles-ci dépendent des organisations les plus hautes

en même temps que des individus, à des échelles différentes.

L’éducation à la paix repose sur une large participation des élèves à des débats sur

des sujets adaptés aux situations traitées. Un certain nombre de concepts servent de

socles à cette éducation qui vise à instaurer des ‘’compétences’’ en plus de certaines

connaissances fondamentales. Les concepts sont « droits de l’homme », « paix », « non-

violence », « coopération », etc. Entre autres, l’assimilation de ces concepts, leur

approfondissement sert pour l’enfant à développer ses capacités d’écoute, d’empathie,

ses aptitudes au dialogue et à la négociation. Il s’agit en gros d’apprendre à gérer les

64 Déclaration de Kofi Annan de 1998, citée dans Legros Pierre et Libert Marianne, L’Exigence humanitaire, le devoir d’ingérence, Paris, Ed. Les Presses du Management, 2000. 65 DUDH, op. cit., article 26.2.

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conflits, les émotions qui nous traversent, d’une autre manière. La DUDH ou la CDE

peuvent servir d’outils textuels.

Un enfant réfugié au camps Hagadera à Dadaab au Kenya raconte son cours

d’éducation à la paix de la manière suivante : « Lorsque le cours d’éducation à la paix a

été introduit dans notre école, en 1998, nous avons été nombreux à penser que la paix

n’était pas une discipline à enseigner, mais un état dont la sauvegarde incombait au

gouvernement. Quand le directeur nous a présenté notre nouveau professeur

d’éducation à la paix, nous n’avons donc marqué que peu d’intérêts pour cette nouvelle

matière, mais nous avons néanmoins assisté aux cours.

Depuis nous avons appris l’importance de certaines valeurs et de certains

comportements. Nous avons appris quels étaient les facteurs propices à la paix, à

l’unité et à l’entente entre les peuples. Nous avons notamment découvert des similitudes

et des différences dans la façon de gérer les émotions, l’empathie et la médiation. Tout

cela a changé notre comportement les uns envers les autres.66 » La paix entre les

peuples est indissociable de la tolérance entre les uns et les autres à l’échelle des

individus.

L’éducation à la paix peut prendre plusieurs autres formes. Il peut s’agir de

campagnes de prévention massive auprès de la population comme c’était le cas en

Somalie en 1994 par exemple. La campagne pour la paix en Somalie a été conçue

comme une stratégie pour sensibiliser les individus à l’impact de la violence et de la

culture des armes dans leur pays. Des modèles alternatifs à cette violence étaient

nécessaires. Dans le cadre de cette campagne, des packs ‘’éducation à la paix’’ ont été

produits et distribués. Des cartes, des posters, des t-shirts et des plans de la Somalie.

Des comités formés de différentes organisations ont diffusé des messages de paix dans

les médias et auprès des populations. Le fait de baser l’EPT sur des consensus

internationaux la garantit contre tout dogmatisme a priori.

L’éducation permet également aux individus de se réapproprier les

situations qu’ils vivent en se responsabilisant, face à la prise en charge des maladies par

exemple. Elle sert également à préparer la sortie de la crise en introduisant de nouvelles

66 Témoignage de Abdifatah Miyir Ahmed, un enfant de l’école primaire centrale du camp de réfugié de Hagadera à Dadaab au Kenya, cité dans Sinclair Margaret, op. cit., p. 22.

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valeurs et de nouveaux types de comportements. Comment se relient par delà l’urgence

le court terme et le moyen ou long terme ?

B) La nécessité de perspectives de reconstruction à long terme

La situation d’urgence en elle-même et le temps de la reconstruction sont

généralement distingués. La limite entre ces deux phases est en réalité bien difficile à

tracer : la reconstruction est encore prise dans des logiques d’urgence puisque l’ampleur

de la tâche est souvent considérable. De plus, l’urgence devrait déjà être tournée vers

une forme de reconstruction. Elle devrait être dans l’anticipation de cette reconstruction

puisqu’elle est amenée à cesser selon sa logique propre. « Pour des populations victimes

d’une crise ou d’une catastrophe naturelle, l’éducation est un élément vital de la

reconstruction de leur communauté… 67» Comment faire en sorte alors de transformer

la réalité de l’urgence en la faisant tendre vers sa résolution ? L’éducation, comprise

comme projet, n’est-elle pas précisément la clé de cette résolution ?(1) Comment

repenser alors le rapport entre ces situations chaotiques et le long terme ?(2)

1) Du programme au projet

Selon Kacem Bensalah, l’urgence est « une catégorie de l’action et une

représentation du temps. […] Elle impose sa réalité au présent et diffère, par définition,

le long terme.68 ». Même comprise comme présent pur, l’urgence modifie

incontestablement la suite. C’est donc au sein des situations d’urgence, aussi

dramatiques soient-elles, qu’il faut se préoccuper de ce qui va suivre.

De plus en plus, les programmes mis en place dans les situations d’urgence

prennent en compte le long terme, réinscrivant les situations d’urgence dans des

processus de développement. « De plus en plus, les interventions éducatives

humanitaires ont été perçues comme des réponses cohérentes servant deux objectifs : a)

répondre aux besoins humanitaires et psychosociaux des enfants concernés ; b)

contribuer au développement futur des ressources économiques et humaines du pays en

crise. » Le fait d’apporter une réponse rapide en situations d’urgence n’est pas

67 Sinclair Margaret, op. cit., p. 7. 68 Bensalah Kacem, « Un nouveau défi », in Education & Management, Ed. scréren, avril 2004, n° 26.

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forcément contradictoire avec une réhabilitation des systèmes éducatifs à long terme et

les programmes de reconstruction basés sur des démarches progressives en témoignent.

« L‘éducation doit être connectée à des stratégies de développement économique et

social de moyen et long terme dès le tout début de l’intervention.69 »

Plusieurs programmes d’éducation d’urgence vont dans ce sens. Prenons

l’exemple des programmes proposés par le HCR. Ce dernier divise la réponse

éducationnelle en trois phases. Tout d’abord, en l’absence totale de moyens, les enfants

sont rassemblés autour d’activités récréatives. « La réponse éducationnelle rapide

devrait commencer par la mobilisation des membres intéressés de la communauté pour

initier des groupes d’activités comme des jeux et aider à mettre en place une évaluation

des besoins.70 » Dans cette première phase, les activités socioculturelles sont très

importantes : groupes de danses ou de chants, compétitions sportives, football, etc. Elles

favorisent la cohésion sociale. Leur popularité permet de redonner confiance aux

enfants et d’inciter l’ensemble des individus à s’investir dans l’école. Dès la première

phase, le HCR distribue des « kits récréatifs », avec du matériel pour jouer et amorcer

quelques apprentissages ainsi qu’un guide d’utilisation, qui permettent de structurer ces

activités en quatre semaines. Ce kit peut être utilisé dans toutes les situations, seule la

langue doit être adaptée. Dans une deuxième phase, il s’agit de mettre en place une

éducation non-formelle. « L’éducation non-formelle […] signifie que les élèves

apprennent des aptitudes de base à travers l’études de sujets cruciaux, mais les cours

ne mènent pas nécessairement à la reconnaissance de diplômes ou de certificats. 71 » Il

existe pour cette seconde étape un autre kit, le Teaching emergency package (TEP), qui

contient du matériel pédagogique pour mettre en place une école. Le socle commun des

apprentissages de cette seconde phase est la lecture, l’écriture et le calcul. Des

programmes d’éducation à la paix ou à la santé, selon les situations viennent compléter

ce socle. La troisième phase doit être le rapatriement des personnes pour les réfugiés ou

déplacés et une réintroduction progressive dans le système éducatif.

Les interventions effectuées ont ensuite un impact sur les lignes d’orientation d’un

point de vue plus global. Le HCR, par exemple, définit ses directives et les fait évoluer

en fonction des expérimentations sur le terrain. C'est ce qu'il s'est passé en Sierre Leone

69 Aedo Richmond Ruth et Retamal Gonzalo, op. cit., p. 2. 70 HCR, Guidelines, genève, HCR, 1995, p. 25. 71 Aguilar Pilar and Retamal Gonzalo, op. cit., p. 16. (notre traduction)

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en 1999. A Freetown, alors que régnaient l’insécurité et l’instabilité, un plan

d’éducation rapide a été mis en place et testé pendant un mois. Les enfants allaient à

l’école le matin et suivaient des ateliers de soutien psychologique l’après-midi. Cette

expérience a été fructueuse puisque le Conseil norvégien pour les réfugiés et l’UNICEF,

en accord avec le gouvernement de Sierra Leone, ont transposé cette méthode dans le

cadre national.72

Nous voyons donc que l’impact des programmes dépasse leurs objectifs premiers.

C’est précisément la différence entre un programme et un projet. Le premier se présente

sous forme d’une planification d’étapes à réaliser en vue d’obtenir un certain nombre

d’objectifs fixés dès le départ. Les acteurs d’un programme répondent au plan qui a été

fixé à l’avance. Etablir un projet, c’est au contraire demander à chacun des acteurs

d’investir de soi, de se projeter hors de soi. Le projet admet plus d’indétermination, plus

d’adaptation en fonction de l’évolution de la situation, plus de liberté. Le projet est

ouverture, il n’a pas d’objectif précis, il trace une direction, il est modifiable à tout

instant. Il est le rapport même du sujet libre au monde. En quoi le projet entendu dans ce

sens donne-t-il un autre visage à l’urgence ? En quoi cela bouleverse-t-il notre première

représentation du temps de l’urgence ?

Pour se projeter, l’individu n’a pas besoin d’être déterminé par une cause qui

précède son initiative, il a le pouvoir de réinitialiser un processus temporel, quelle que

soit sa situation. Les projets se croisent, s’entremêlent mais ne sont pas tous reliés

linéairement selon un ordre de succession.

2) Une nouvelle forme de temporalité dans l’urgence

Dire que l’individu a la capacité de se projeter, même lorsqu’il se trouve dans une

situation où tout semble faire obstacle à cette projection, c’est dire qu’il a, en tant

qu’homme libre, le pouvoir de créer sa propre temporalité. C’est considérer qu’il n’est

pas déterminé par une cause antécédente mais aussi que le temps ne peut plus être

compris comme un enchaînement linéaire d’instants qui se suivent.

L’urgence ne peut être considérée comme une rupture que si on a une

représentation du temps comme succession d’instants. Il y aurait le passé puis le présent

72 Voir site www.ginie.org/countries/sierra leone/index.htm.

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et le futur, sachant que le présent n’est plus le passé et pas encore le futur. Le présent

pur de l’urgence comme nous l’avons défini serait alors une rupture dans cette

succession : tout instant serait à nouveau un présent et il n’y aurait pas vraiment de lien

mis à part celui de la juxtaposition entre les différents instants. C’est de cette

représentation du temps comme succession qu’il faut sortir. Pour Bergson, cette

représentation est celle des scientifiques et consiste à prendre pour modèle la

représentation de l’espace. Le temps serait une ligne et l’instant un point. Mais il s’agit

là seulement d’une construction de notre esprit. Dans la réalité, il n’y a pas d’instant.

Quand nous écoutons une mélodie, nous avons à la fois l’impression d’une succession et

pourtant nous ne parvenons pas à la découper puisque c’est sa continuité qui fait ce

qu’elle est. Le temps est un flux continu, étirement et durée. Dans la continuité du

temps, il n’y a plus d’instant. Il n’y a pas d’éléments qu’il faudrait ensuite assembler,

c’est l’unité qui est première. Les états successifs n’existent pas vraiment, excepté dans

notre esprit, par contre le changement perpétuel existe. Il existe un « changement

toujours adhérent à lui-même dans une durée qui s’allonge sans fin.73 » Cela signifie

pour Bergson que la vie est une évolution, elle n’est pas déploiement de possibles déjà

déterminés mais jaillissement sans fin de nouveauté. Si on se replace dans la durée

vraie, il n’y a que de l’imprévisible. La notion de possible elle-même n’est pas assez

radicale pour penser la liberté, il faut lui substituer la nouveauté. Prétendre que quelque

chose est possible, c’est prétendre qu’il est déjà là en puissance or la durée qui

caractérise la vie est jaillissement ininterrompu de nouveauté. La vie intérieure est une

mélodie dont l’air se renouvelle en permanence. « Dans la durée, envisagée comme une

évolution créatrice, il y a la création perpétuelle de possibilités et pas seulement de

réalité.74 » Affirmer la liberté de l’homme, et même de la vie en général, c’est dire qu’il

peut introduire de la nouveauté dans le monde sans que cela découle de manière logique

de ce qui précède.

Si la vie est par définition ce jaillissement incessant alors il n’y a aucune situation

dans laquelle il n’y ait pas de durée. L’urgence n’est pas absence de durée, elle est

simplement un autre rapport au temps. C’est dans la manière de vivre le temps, de le

percevoir, d’en avoir conscience, que se joue la spécificité de l’urgence. L’accélération

du temps nous dépossède de ce flux continu qui nous traverse et nous laisse alors

73 Bergson Henri, La Pensée et le mouvant, Paris, Ed. PUF, Coll. Quadrige, 1934, p. 8. 74 Ibid., p. 13.

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103

impuissants. Et c’est de chacun de nous que jaillit du temps puisque nous avons la

capacité, puisque nous sommes libres, d’introduire de nouveaux commencements dans

le monde. Ainsi, pour modifier la temporalité de l’urgence, il faut infléchir la

conscience qu’ont les individus des situations, les faire se projeter dans l’avenir. Si les

individus se projettent, la temporalité de l’urgence en sera nécessairement modifiée.

L’éducation, nous l’avons vu, est essentiellement ce qui donne à chacun la

capacité de se projeter, précisément parce qu’elle permet de réintroduire une autre

forme de conscience.

Les actions qui sont menées au sein de l’urgence ont une conséquence sur

l’urgence parce qu’elles modifient sa structure. L’éducation a un pouvoir considérable

et sa visée est de rendre leur liberté aux individus. Il paraît donc essentiel de garantir

l’effectivité du droit à l’éducation en situations d’urgence. Cela n’est pas seulement

essentiel pour les contextes d’urgence proprement dits mais aussi pour le

développement des peuples de manière générale. La mise en place globale des objectifs

de l’EPT en dépend. « Les interventions humanitaires éducationnelles sont de plus en

plus perçues comme des réponses régionales qui font sens, non seulement d’un point de

vue purement humanitaire et social, mais aussi du point de vue du développement

économique futur du pays en crise.75» Les réponses apportées dans certaines crises ont

permis de constater le caractère bénéfique de l’éducation pour l’urgence et au-delà de

l’urgence. C’est le cas pour le Rwanda et la réponse éducationnelle apportée suite au

génocide de 1994.

75 Aedo Richmond Ruth et Retamal Gonzalo, op. cit., 1998, p. 3. (notre traduction)

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104

Section 2

Evaluation d’un cas particulier : l’éducation après le génocide Rwandais

Le génocide rwandais, entre avri1 et juillet 1994 a été l’un des plus grands drames

du siècle dernier. Le nombre de victimes est très difficile à chiffrer étant donné que le

massacre a été incroyablement rapide et que la population a été largement dispersée

pendant et après le massacre. Cependant, on estime le nombre de mort à environ un

million. Le Rwanda étant un pays de petite superficie, tous les rwandais ont été

concernés par ces atrocités de près ou de loin. C’est tout un pays qui est meurtri à jamais

par un drame de cette ampleur.

Le génocide rwandais est l’exemple typique d’une « crise humanitaire complexe »

tant ce conflit interne mêle toutes les problématiques. Son caractère éminemment

politique et sa violence extrême en font une crise représentative de la deuxième moitié

du XXème siècle. En effet, elle s’accompagne de la destruction des structures

sociopolitiques de base et des activités économiques. De plus, sa complexité est due à

son caractère imprévisible, elle a débuté très soudainement avec l’assassinat du

président Habyarimana le 6 avril 1994, et l’escalade de violence qui a suivi a été

absolument chaotique. Nous nous efforcerons de comprendre la singularité de cette crise

au regard de l’éducation.(A) Nous verrons en quoi elle est riche d’enseignements pour

ce qui est de l’éducation d’urgence en général.(B)

A) La spécificité de la crise rwandaise

La nature de cette crise est spécifique pour plusieurs raisons.

Tout d’abord par la nature particulièrement insoutenable des atrocités commises.

La plupart des crimes ont été commis avec des armes telles que des machettes qui

étaient par ailleurs des instruments de la vie de tous les jours pour cette population à

dominante rurale. La haine y était suffisamment vive pour que des centaines de milliers

de gens périssent sous des lames en l’espace de deux mois. L’ampleur de cette hostilité

est la première et la plus remarquable caractéristique de cette crise.

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De plus, après le génocide, la situation économique du pays était désastreuse et ne

permettait en aucun cas de relever le pays. Les coffres de l’état avaient été vidés par

l’ancien gouvernement. Les structures avaient été détruites par des sabotages, des

pillages, des déferlements de violence. « La plupart des outils et des ressources de base

pour l’école n’existaient plus à l’intérieur du Rwanda.76 »

Enfin, le système éducatif était dévasté. Beaucoup d’enseignants ont été tués dans

les massacres. Certains ont fui. Les survivants ont subi des traumatismes lourds. Dans

les massacres, 300 000 enfants ont péri. Ceux qui ont survécu souffrent de troubles

psychologiques très importants. Il s’est avéré qu’ils étaient encore plus gravement

marqués que ce que l’ont avait anticipé. Ils ont été parfois auteurs des massacres et ont

tué des amis, des voisins, des proches.

Les questions qui se posent devant une telle situation sont les suivantes : quel peut

être le rôle de l’éducation dans la reconstruction du peuple rwandais ? Quelle sorte

d’éducation ces enfants avaient-ils reçus ? Il n’est pas possible d’établir une réponse

adéquate sans comprendre précisément la nature du système éducatif avant le génocide.

« Il était clair que l’éducation du Rwanda ne pourrait plus jamais être à nouveau la

même.77» Comment inculquer de nouvelles valeurs à des enfants qui ont commis de

telles atrocités , ou qui en ont été victimes ?

1) Une tâche à première vue insurmontable

Les auteurs de violences ont dévasté prioritairement le système éducatif pendant

le génocide. Les enseignants ont été des cibles privilégiées, quand ils n’étaient pas

auteurs. Les bâtiments des écoles et du Ministère de l’éducation ont été détruits. Les

documents scolaires ont disparus. Après deux mois et demi de génocide, tout était à

refaire. Le système éducatif avant la crise présentant des défaillances qui ont participé à

la naissance de la crise, les outils d’enseignement n’étaient pas réutilisables.(a) De plus,

toutes les infrastructures ont été détruites.(b)

76 Aguilar Pilar et Richmond Mark, « Emergency educational response in the Rwandan crisis”, in Aedo-Richmond Ruth et Retamal Gonzalo (dir.), Education as a humitarian response, London, Ed. Cassel/ IBE, 1998, p. 121. (notre traduction) 77 Ibid.., p. 123. (notre traduction)

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a) Défaillance du système éducatif existant avant la crise

Avant la crise, 60% d’enfants en âge d’être scolarisés en primaire allaient à

l’école. Le primaire était la base du système éducatif. Seulement 10% de ces enfants

allaient dans le secondaire par la suite. Le CERAI (Centre D’éducation Rurale et

Artisanale Intégrée) était un des rouages centraux du système et dispensait pendant trois

ans après le primaire un enseignement rural et artisanal. La dernière grande réforme

datait de 1979. Elle avait introduit le Kinyarwanda comme langue officielle

d’enseignement dans les petits niveaux. Elle donnait une dimension professionnelle aux

enseignements. Le but était de réduire le nombre d’abandons scolaires ou d’échecs, et

d’augmenter l’accès à l’éducation de base, notamment en diminuant les disparités entre

les genres, entre les ethnies, ou encore entre les milieux ruraux et les milieux urbains.

Le nombre d’années d’école en primaire est passé de six à huit ans, et a été découpé en

trois cycles plutôt qu’en deux. Le troisième cycle était plus professionnalisant.

Toutefois, cette réforme de grande ampleur n’a eu qu’un succès partiel à cause du

manque de moyens pour la mettre en place. Elle n’a pas été appliquée partout et cela a

accru les disparités plutôt que de les estomper. En 1990, le gouvernement a fait un pas

en arrière et rétabli notamment la durée de six ans et les deux cycles.

Globalement, la qualité de l’enseignement était une inquiétude non résolue.

L’école n’était pas assez efficace, il manquait des manuels scolaires. Le budget était mal

réparti. Certes, il existait différentes formes d’éducation non-formelle mais le taux

d’analphabétisme au sein de la population restait très élevé. Il s’élevait à 56% en

général et à 63% pour les femmes. 23% des jeunes étaient analphabètes. De plus,

l’éducation n’était pas gratuite donc beaucoup en étaient exclus. Dans un souci

d’égalité, des quotas avaient été introduits dans le secondaire. Mais d’autres critères de

discriminations étaient à l’œuvre tels que le déclin économique, la pression

démographique, les déplacements massifs de population, la polarisation ethnique. La

situation avant la crise était donc critique et source de conflits. L’UNICEF témoignait

déjà d’inquiétudes sur l’éducation au Rwanda à cette période.

b) Des conditions d’éducation anéanties

Sur 1834 écoles existantes avant avril 1994, il en restait seulement 647 après le

génocide qui puissent être opérationnelles. Parmi celles qui n’étaient plus en état de

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107

servir, certaines nécessitaient d’importants travaux de rénovation, d’autres étaient

piégées par des mines. De plus, 25% des écoles étaient occupées par des réfugiés ou des

déplacés. Le ministère de l’éducation avait été lui aussi détruit. A travers la destruction

de ces différentes infrastructures, c’est la nature institutionnelle du système éducatif qui

a été réduit à néant. Si on ajoute à cela les pertes humaines s’agissant des enseignants

autant que des enfants, les traumatismes très lourds de ceux qui ont survécu, les

conditions de mise en place d’une éducation sont très loin d’être réunies. En outre, le

matériel scolaire a également été détruit. Comment apporter une réponse adéquate à une

situation à ce point chaotique ?

2) La complexité du cas rwandais

Si la réponse éducative est extrêmement complexe, ce n’est pas seulement parce

qu’il y a beaucoup à faire mais parce que les différents obstacles au droit à l’éducation

sont tous présents en même temps et que les problématiques sont imbriquées.(a) De

plus, il est extrêmement difficile immédiatement après le génocide de faire la part des

choses entre les victimes et les génocidaires. Même si les acteurs humanitaires se

doivent d’être neutres, cela est parfois difficile après de tels massacres.(b)

a) Entrecroisement de toutes les problématiques d’urgence

Dès le début des massacres, ont eu lieu des déplacements massifs de population en

direction des pays voisins comme le Burundi, la Tanzanie, le Zaïre. On estime à plus de

2 millions le nombre de personnes à avoir quitté le pays, et il faut ajouter un million de

personnes déplacées à l’intérieur du Rwanda. Les premières difficultés rencontrées

concernent donc les enfants réfugiés. Parallèlement, entre 1992 et 1994, les enfants ont

largement été victimes mais ils ont aussi été acteurs : les « enfants génocidaires »,

recrutés par la force, agissaient en bandes, notamment dans les écoles. Ils étaient tout

particulièrement sujets à la propagande anti-Tutsi. Quatre ans après le génocide, 2000

enfants de moins de 17 ans étaient derrière les barreaux, accusés de massacres.

L’UNICEF, le CICR, et d’autres essaient de les faire sortir pour les mettre dans des

centres de rééducation. Ces enfants souffrent de la maladie des « cœurs blessés »

(« imitima yarakomeretse ») : ils font des cauchemars, ont des difficultés de

concentration, sont en dépression, et vivent dans la culpabilité du drame passé.

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Beaucoup de ces enfants ont fui également après le massacre et ont rejoint les camps de

réfugiés le long de la frontière.

Plus de 300 000 enfants ont été massacrés entre 1992 et 1994. D’autres ont été

mutilés, violés ou réduits en esclavage. Certains ont du se cacher sous des cadavres pour

survivre. Quasiment tous ceux qui ont survécu ont été témoins d’atrocités. Beaucoup

d’entres sont restés orphelins, dans des situations économiques extrêmement précaires.

Selon ce qu’ils ont vécu pendant le génocide, ces enfants ne peuvent bénéficier de

la même réponse éducative. L’adaptation de l’éducation à la situation est donc difficile.

b) Le génocide et le principe d’impartialité

Nous l’avons vu, les acteurs de terrain des organisations humanitaires se doivent

de respecter le principe d’impartialité et de ne pas prendre partie même si certaines

situations les affectent particulièrement. Il se trouve que cette question est encore plus

compliquée lorsqu’il s’agit d’éducation. Soigner indifféremment les malades n’est pas

la même chose que confier une classe à un enseignant qui a commis des atrocités les

semaines précédentes. La gestion de la crise rwandaise a été compliquée par le brassage

rapide entre les auteurs et les victimes des massacres. Pour ce qui est de la remise en

place de l’éducation, il a été très difficile de faire la part des choses dans le recrutement

des professeurs. De plus, les enfants victimes de violences et ceux qui en ont été acteurs

ne nécessitent sans doute pas le même type de réponse, même si la frontière était parfois

moins nette que cela. Cette interrogation sur le positionnement à adopter a fait la

spécificité de la gestion du génocide rwandais. Comment les réponses ont-elles été

mises en place ?

B) Mise en place d’une réponse rapide

Devant l’ampleur et la violence des massacres, une réponse éducative était

nécessaire, ne serait-ce que pour anticiper sur les traumatismes futurs et pour

commencer à réintroduire de nouvelles valeurs. Mais surtout, « l’éducation symbolise

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un engagement pour le futur, chose que le passé récent des horreurs du Rwanda rendait

plus précieuse que jamais. 78»

Le Rwanda n’avait pas seulement besoin de restauration après le génocide mais

d’une réelle innovation, tout était à refaire, même s’il était nécessaire de maintenir une

continuité dans le changement. Nous verrons les stratégies qui ont été adoptées et la

manière dont elles ont été réalisées dans le cas du camp de Ngara, en Tanzanie.

1) Les stratégies adoptées

Pendant la crise, c’est l’UNICEF qui a coordonné les réponses éducatives, en

collaboration avec l’UNESCO et notamment le programme d’éducation d’urgence dit

PEER. La première a consisté à réinvestir les écoles. Beaucoup d’entre elles avaient été

piégées par les mines. Des programmes d’éducation sur les mines antipersonnelles ou

sur le choléra ont rapidement été mis en place.

La deuxième phase a consisté à fournir des manuels révisés voire refaits, ainsi

que des fournitures scolaires, à réhabiliter les structures administratives et à remettre sur

pied un Ministère de l’éducation primaire et de l’éducation secondaire (MINEPRISEC),

le but étant de réinitialiser des processus de moyen ou long terme avec la mise en place

de cours de civisme dans les programmes scolaires, de camps de solidarité jeunesse, et

d’un plan d’alphabétisation pour les femmes. « Le système éducatif devait repartir à

zéro.79 »

Entre septembre et décembre 1994, 1600 écoles avaient été réouvertes. C’est dire

la volonté des autorités. Cette année scolaire n’a pas été plus longue, pour que la

suivante puisse se dérouler de la manière la plus ‘’normale’’ qui soit. Au début de

l’année 1995, une grande campagne de prévention sur le choléra a été mise en place

grâce à un système de formations en cascades, suite a des épidémies très importantes en

1994. 30 000 enfants ont également raconté leur histoire à un conseillé dans le cadre du

programme de guérison des traumatismes, etc.

78 Ibid.. , p. 123. (notre traduction) 79 Ibid. , p. 129. (notre traduction)

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2) Le modèle du programme Ngara, dans un camp tanzanien80

Le camp de Ngara était un point clé de la situation rwandaise. C’était un camp situé

de l’autre côté de la frontière tanzanienne. Au lendemain du génocide, en 24 heures,

250 000 personnes ont émigré en Tanzanie. En tout, 470 000 personnes sont venues se

réfugier dans la région. A l’époque, c’était le camp de réfugié le plus important.

Beaucoup de réfugiés étaient des Hutus ayant participé au massacre. De peur des

représailles, ils ont fui au cours ou juste après le génocide. Le camp de Ngara est tout

d’abord exemplaire par la collaboration entre le HCR, l’UNICEF, l’UNESCO et

d’autres ONG. Au départ, le gouvernement était réticent mais il a fini par approuver les

programmes engagés même s’il est resté inactif. Dans le domaine de l’éducation, cette

coopération a permis d’assurer une réponse uniforme auprès de l’ensemble des enfants

en âge d’être scolarisés dans le primaire, avec à terme l’objectif de favoriser le

rapatriement des personnes dans leur pays d’origine. « En fait, une grande partie de la

signification du ‘modèle Ngara’ tient au fait qu’il fournit un exemple d’une

incorporation énergique, systématique et rapide des réfugiés dans une réponse

d’urgence81. »

Le développement de cette réponse adaptée au camp de réfugiés à reposer sur une

autogestion des acteurs à tous les niveaux. Des Comités d’autogestion ont été institués,

des directeurs d’écoles désignés par la population.

La première phase permettait de gérer l’immédiateté. Elle devait se faire en

l’absence de moyens et était une phase récréative. Il s’agissait de regrouper les enfants

et les enseignants et de mettre en place des activités ludiques afin de les resocialiser et

de les faire s’exprimer.

Dans un deuxième temps, un grand nombre de TEP ont été distribués (300 kits)

après avoir été traduits en Kihnyarwanda, langue du Rwanda. Les TEP sont des « sortes

de trousses de première urgence pour les enseignants.82 ». Le but était de permettre aux

populations locales de commencer une réponse éducative sans l’appui du gouvernement.

Une réponse a pu être mise en place en un mois. Le premier objectif du TEP est d’initier

les enfants illettrés à la lecture, à l’écriture et au calcul. Le TEP est conçu 80 Pour une analyse plus détaillée de cette situation, voir Bird Lindsay, Surviving school, education for refugee children from Rwanda 1994-1996, UNESCO, 2003. 81 Aguilar Pilar et Richmond Mark, op. cit., 1998, p. 135. (notre traduction) 82 Sinclair, op. cit., p. 48.

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spécifiquement pour favoriser les programmes d’éducation non-formelle en situation

d’urgence. Le TEP est aussi appelé ‘‘school-in-a-box’’ ou ‘‘mobile classroom’’. Le TEP

est un moyen provisoire, qui s’est avéré relativement efficace, pour démarrer une

réponse éducative là où les écoles sont inopérantes. Il nécessite tout de même la

formation de personnes capables de l’utiliser même si un guide est présent à l’intérieur,

traduit dans la langue du pays. Pour une réponse la plus rapide qui soit, des formations

en cascades sont organisées. Même si cela est très insuffisant en ce qui concerne la

formation des enseignants, cela permet de faire face à l’urgence.

Dans une troisième phase des structures pour investir l’avenir ont été mises en place.

Du matériel éducatif familier a été distribué ainsi que des manuels rwandais afin de

favoriser la réintégration. Certains enseignants ont reçu une formation complémentaire

concernant les traumatismes psychologiques des enfants. Le succès de ces programmes

a été tel que le ministère a ensuite mis en place un programme national de reconstruction

psychologique.

Durant ces différentes phases, les ONG supportaient aussi des initiatives locales en

fonctions de plusieurs critères : l’initiative devait intégrer les groupes défavorisés,

contribuer au développement des talents, ne pas nécessiter de fonds spéciaux de la part

des ONG, ne pas être en concurrence avec le système éducatif tanzanien du point de vue

économique, répondre aux besoins psychosociaux, et favoriser le rapatriement des

personnes dans leur pays.

En tout, ce sont 40 écoles qui ont été construites à Ngara, 60 000 enfants ont été pris

en charge, dont 60% dans les trois premiers degrés d’enseignement. Les élèves étaient

environ 50 par classe, allaient à l’école 5 fois par semaine. Il y avait 30 classes par

école. Les horaires étaient découpés en trois plages horaires pour établir des roulements

journaliers afin de garantir l’accès pour tous. Ces horaires ont d’ailleurs posé problèmes

parce qu’ils n’étaient pas toujours adaptés aux modes de vie. La plupart des enseignants

étaient rwandais. Des communautés de parents ont été formées dans chaque école et la

population a été encouragée dans le rôle qu’elle avait à jouer en matière d’éducation.

Dans chaque école, au moins un enseignant était formé aux problématiques

psychosociales. Une grande campagne de prévention du choléra a également été mise en

place.

En fait le plan prévu au départ n’a pas été suivi à la lettre et des imprévus ont

nécessité quelques adaptations. Quoi qu’il en soit, c’était incontestablement un grand

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succès en matière d’éducation d’urgence. Ce modèle s’est ensuite étendu aux autres

camps alentours du Rwanda, ainsi qu’à l’intérieur du pays lui-même.

3) Les leçons du cas rwandais

La première des conclusions à tirer de ces expériences qui présentent des

réussites mais aussi des limites, est qu’une réponse éducative rapide est possible en

situation d’urgence et que ces situations ne doivent pas être exclue du droit à l’éducation

pour tous. Plus les efforts des différents acteurs sont coordonnés, comme c’était le cas

dans le camp de Ngara, plus les programmes ont des chances d’aboutir.

L’expérience de Ngara a en fait été conçue à partir des autres actions

humanitaires dans les domaines de la santé, de l’alimentation ou autres. Elle présente

toutefois des limites, au niveau des financements par exemple. De plus, des outils

d’évaluation plus performants seraient utiles à son adaptabilité. « L’impact technique de

l’éducation comme outil de transformation des comportements et des attitudes d’une

population illettrée ou semi-illétrée affectée par le choléra ou la menace des mines, et

en général par le traumatisme de la guerre, a besoin d’être encore plus évaluée. 83 »

Le Rwanda a ratifié la Charte des droits et du bien-être de l’enfant en

2001. Le droit à l’éducation a également été inscrit dans la Constitution de la

République du Rwanda en 2003.84 La politique éducative de l’après-guerre a contribué à

la promotion de l’unité nationale et de la réconciliation, en mettant l’accent sur l’égalité

des droits à fournir l’éducation et à y accéder et en encourageant la culture humanitaire

fondée sur l’intégration et le respect mutuel. La discrimination a été bannie et la

classification des étudiants et des professeurs en Hutu, Tutsi et Twa abandonnée. Les

83 Aguilar Pilar et Richmond Mark, op. cit., p. 139. (notre traduction) 84 Constitution de la République du Rwanda, adoptée par les Rwandais lors du Référendum du 26 mai 2003 tel que confirmé par la Cour Suprême dans son Arrêt n°772/14.06/2003 du 02/06/2003 disponible sur : http://droit.francophonie.org/df-web/publication.do?publicationId=4281. Selon l’article 40, « - Toute personne a droit à l'éducation. - La liberté d'apprentissage et de l'enseignement est garantie dans les conditions déterminées par la loi. - L'enseignement primaire est obligatoire. Il est gratuit dans les établissements publics. - Pour les établissements conventionnés, les conditions de gratuité de l'enseignement primaire sont déterminées par une loi organique. - L'Etat a l'obligation de prendre des mesures spéciales pour faciliter l'enseignement des personnes handicapées. - Une loi organique définit l'organisation de l'Education. »

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enfants ont été inscrits massivement et rapidement dans les écoles primaires après le

génocide. Des aides ont été apportées aux enfants en difficulté.

Néanmoins, Pour Anna Obura85 en 2003, un enfant sur quatre n’avait pas

accès à l’école, les enfants défavorisés ou les filles ayant un enfant à leur charge étaient

encore exclus du système. Les disparités n’avaient donc pas disparues. Depuis la fin du

génocide, les progrès accomplis en matière d’éducation au Rwanda sont incontestables

et les programmes mis en place dans le cas d’une réponse rapide après le génocide ont

contribué à ce progrès. Mais les objectifs de l’EPT ne sont pas atteints. En 2005, selon

l’UNESCO, l’indice du développement de l’éducation pour tous (IDE)86 était de 0,7 sur

1, ce qui est considéré comme un IDE bas.

85 Obura Anna, Never Again: Educational Reconstruction in Rwanda, UNESCO/IIEP, 2003. Anna Obura tire dans cet ouvrage les leçons de la crise rwandaise et établit les lacunes qui restent à combler par l’Etat. 86 « Conformément au principe selon lequel chaque objectif doit être considéré également important, un indicateur unique a été choisi comme mesure approchée de chacune des quatre composante suivantes : taux net de scolarisation dans l’enseignement primaire, taux d’alphabétisation de la population agée de 15 ans ou plus, qualité de l’éducation : taux de survie en 5e année de l’enseignement primaire, indice de parité entre les sexes. », in UNESCO, Rapport mondial de suivi sur l’EPT 2005, éducation pour tous, l’exigence de qualité, UNESCO, 2004.

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CONCLUSION

Dans les situations d’urgence, comme celle qui a dévasté le Rwanda à partir de

1994, plusieurs questions se posent au droit à l’éducation. Nous avons vu comment ce

droit était tiraillé entre le pragmatisme de la logique purement humanitaire et

l’idéalisme des droits de l’homme. Le premier n’entrevoit que des obstacles au droit à

l’éducation pour tous, là où le second y voit un enjeu fondamental. L’effectivité de ce

droit paraît illusoire quand on est confronté à des contextes chaotiques. Du manque de

moyen aux traumatismes des individus et notamment des enfants, de l’insécurité à la

précarité, la place de l’éducation semble compromise. Le temps qui serait nécessaire

pour affronter ces difficultés ne lui est pas donné. De plus, là où l’éducation demande

des hommes libres, tout les aliène. Là où elle a pour ambition d’ouvrir un monde, tout

est fermé. Si tout est hostile à l’éducation dans l’urgence, il paraît vain de brandir un

droit abstrait. Ainsi le pragmatisme nous mènerait tout d’abord inéluctablement à

renoncer à un des droits les plus fondamentaux qui soient, non par absence de

conviction, mais par aveu d’impuissance.

Si les oppositions entre l’éducation et l’urgence paraissent indépassables, c’est

parce que la question mérite d’être déplacée. Il n’y a pas d’un côté une logique idéaliste

qui voudrait que le droit à l’éducation soit défendu et appliqué envers et contre tout et

de l’autre une logique pragmatique, empreinte de lucidité, considérant que cette utopie

est intenable. Au regard de la légitimité du droit à l’éducation en situations d’urgence,

ce qui distingue ces deux attitudes n’est pas essentiellement une différence de logique,

elles reposent simplement sur des présupposés différents.

C’est la mise en oeuvre du droit à l’éducation, dont nous faisons le parti de ne

plus contester la légitimité, qui appelle à reconsidérer ces tensions. Comme nous l’avons

vu dans la mise en place de programmes comme les TEP, il s’agit de ne pas transiger

sur des exigences fondamentales (universalité, qualité, …) tout en s’adaptant aux

situations concrètes. Il ne s’agit donc pas ici de dénoncer le pragmatisme, bien au

contraire. En réalité, la reconnaissance d’un droit universel comme l’éducation oblige

même immédiatement à interroger les situations à se demander comment rendre effectif

un droit qui paraît abstrait. Il s’agit de se demande comment l’incarner, une fois qu’il est

reconnu. C’est à partir de cette question que doit être considérée celle de la temporalité

dont nous avons montré le caractère essentiel.

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- -

115

Comment rendre compatible la prise en compte de la nature processuelle de

l’éducation avec une réponse rapide lors d’une situation de crise ? L’intégration de la

question du développement des individus au cœur même de l’urgence modifie la nature

intrinsèque de celle-ci. Il infléchit également tout ce qui va suivre. Le projet que

contient toute éducation fait tendre la situation d’urgence vers son dépassement.

Dans ce cas, non seulement le droit à l’éducation doit avoir sa place dans une telle

situation mais plus encore c’est parce que la situation est dramatique que l’éducation est

essentielle. Le pari du droit à l’éducation pour tous est précisément de postuler que

l’éducation est au fondement de toute résolution de crise ou de toute reconstruction. Elle

permet aux enfants et aux jeunes de retrouver de l’espoir et la volonté de vivre, de

prévenir les risques qu’ils encourent (recrutement dans les groupes armés, terrorisme,

banditisme, drogue, VIH…), de reconstruire une nouvelle vision du monde et de se

projeter dans l’avenir. Elle peut être utile à la résolution d’un conflit en cours en

promouvant la paix et les droits de l’homme. Enfin, elle est l’occasion de changer les

logiques éducatives préexistantes et notamment les contenus qui engendrent parfois de

la violence. Certes l’éducation d’urgence se met en place dans des conditions très

particulières et sort du cadre de l’action planifiée ou formelle (différence de moyens, de

méthodes, de délais, d’objectifs, de priorités…) mais cela ne signifie pas que toute

vision prospective en est absente. L’opposition radicale entre les temporalités de

l’urgence et celle de l’éducation, qui sont inextricablement liées, est intenable. Dans un

monde où 150 conflits ont éclaté depuis la seconde guerre mondiale, comment mener un

projet à long terme sans y intégrer la résolution de ces situations d’urgence ? La

situation d’urgence n’est pas une situation hors du temps et qui doit en être écartée, elle

a un impact sur le présent mais aussi sur le futur. En matière d’éducation, les

problématiques liées à l’urgence et celles qui sont liées au développement sont

imbriquées.

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ABREVIATIONS ET ACRONYMES CDE CEDH CESDH CIJ CICR DCP DDE DDHC DESC DIDH DIH DIP DMEPT DUDH EPT HCR INEE MSF OMD ONG ONU OUA

Convention relative aux Droits de l’Enfant Cour Européenne des Droits de l’Homme Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales Cour Internationale de Justice Comite International De La Croix Rouge Droits Civils et Politiques Déclaration des Droits de l’Enfant Déclaration des droits de l’homme et du citoyen Droits Economiques, Sociaux et Culturels Droit International des Droits de l’Homme Droit International Humanitaire Droit International Public Déclaration Mondiale sur l’Education Pour Tous Déclaration Universelle des Droits de l’Homme Education Pour Tous Haut Commissariat aux Réfugiés Inter-Agency Network of Emergency Education Réseau inter agence d’éducation d’urgence Médecins Sans Frontières Objectifs du Millénaire pour le Développement Organisation non gouvernementale Organisation des Nations Unies Organisation de l’Unité Africaine (remplacée par l’Union Africaine en 2002)

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PAM PIDESC TEP UNDRO UNESCO UNICEF

Programme Alimentaire Mondial Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux Et Culturels Teaching Emergency Package Pack d’éducation d’urgence Organisation des Nations Unies pour le Secours aux catastrophes United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization Organisation des Nations Unies pour l'Education, la Science et la Culture United Nations Children's Fund Fonds des Nations Unies pour l'Enfance

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TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION 1

PARTIE I LES OBSTACLES AU DROIT A L’EDUCATION EN SITUATIONS

D’URGENCE 8

CHAPITRE I Les conflits normatifs du droit à l’éducation en situations d’urgence 9

Section 1 La confrontation entre le droit humanitaire et les droits de l’homme 9 A/ Le flou juridique de l’urgence et la complexité du droit humanitaire 10

1) L’urgence : un concept aux contours imprécis 10 a) Définition négative de l’urgence comme absence de dignité 10 b) Définition évolutive de l’urgence 11

2) L’ensemble juridique complexe du droit humanitaire 12 a) Les sources conventionnelles 12 b) Les sources coutumières 14 c) Les « standards fondamentaux d’humanité » 16 d) Les limites du droit humanitaire en situations d’urgence 17

B/ Droits de l’homme et droit humanitaire : conflits ou convergence 18 1) La tendance séparatiste 19 2) La tendance « complémentariste » 20 3) La tendance intégrationniste 21

Section 2 La reconnaissance tacite d’un droit à l’éducation en situations d’urgence 23 A/ La question de l’éducation ignorée par le droit humanitaire 23

1) La place de l’éducation dans les Conventions de Genève 23 2) Tendance à une interprétation de plus en plus large des ambitions humanitaires 25

B/ La prise en compte de l’urgence par le droit à l’éducation pour tous 26 1) Emergence du droit à l’éducation pour tous 26

a) 1948-1989 : Le droit à l’éducation érigé en droit de l’homme 26 b) 1990-2000 : L’émancipation du droit à l’éducation 29 c) 2000 : Les objectifs de Dakar 30

2) Les inquiétudes de la Communauté internationale quant au respect de l’EPT dans les situations

d’urgence 31 a) Apparition de ces inquiétudes dans les années 1990 32 b) L’avertissement du cadre d’action de Dakar 33

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CHAPITRE II Confrontation des temporalités de l’éducation et de l’urgence 34

Section 1 L’impossibilité de penser l’éducation dans des contextes obéissant aux seules règles du présent 34 A/ Les enjeux de l’éducation 35

1) Développement individuel et développement collectif 35 a) Le postulat de la liberté humaine 36 b) Le postulat de la perfectibilité 37

2) Education et valeurs 38 a) L’exigence éthique de l’éducation 38 b) Entre valeurs particulières et valeurs universelles 39

B) L’éducation et l’urgence : deux temporalités hétérogènes 40 1) Le temps, fondement de l’éducation 41

a) L’éducation comme mémoire 41 b) L’éducation, ouverture au monde 42

2) L’urgence et le règne de l’immédiat 43 a) L’urgence comme rupture dans la temporalité du monde 43 b) L’urgence prisonnière du présent pur 44

Section 2 L’incarnation des conflits de temporalités dans des situations concrètes 45 A/ Les obstacles à l’éducation dans les camps de réfugiés 46

1) L’absence de repères 47 a) Des individus déracinés 47 b) L’insécurité des camps 47

2) Entre transition et durée 48 a) Des « crises humanitaires prolongées » 49 b) Le cas des camps de réfugiés au Tchad 50

B/ Les traces de l’urgence après l’urgence 51 1) Une reconstruction matérielle difficile 52

a) Des moyens anéantis 52 b) Des situations économiques désastreuses 53

2) Des traumatismes durables 53 a) Les enfants-soldats : une rééducation difficile 55 b) Des individus traumatisés, prisonniers de leur passé 57

PARTIE II LE DEPASSEMENT DES OBSTACLES AU DROIT A L’EDUCATION EN

SITUATIONS D’URGENCE 59

CHAPITRE I Les possibilités de mise en oeuvre du droit à l’éducation en situations d’urgence 59

Section 1 L’ingérence humanitaire et la question de l’éducation 59 A/ La souveraineté étatique face au principe d’humanité 60

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I) Définition de la souveraineté 60 a) L’Etat moderne et la souveraineté 60 b) Le principe de souveraineté en droit international 62

2 ) Evolution du droit international et remise en cause du caractère absolu de la souveraineté 65 a) Emergence d’un nouveau sujet en droit international : l’individu 65 b) L’humanité : émergence d’une nouvelle sphère d’intégration des individus 67

B) Le devoir d’ingérence humanitaire au nom des droits de l’homme 69 1) L’exigence humanitaire face à la souveraineté 69

a) Du droit d’intervention au « droit d’ingérence » 70 b) Le droit à l’assistance humanitaire 72

2) L’éducation d’urgence, une nouvelle forme d’ingérence 74 a) L’éducation, compétence nationale par excellence 74 b) Le droit à l’éducation indissociable de l’ensemble juridique des droits de l’homme 76

Section 2 Les mécanismes nécessaires à la mise en oeuvre du droit à l’éducation en situations d’urgence 78 A) Les acteurs 79

1) Les Etats et les institutions intergouvernementales 80 2) Les organisations non gouvernementales 81 3) Les acteurs locaux 83

B) Les mécanismes normatifs permettant une réponse rapide 84 1) Un système de régulation conciliant principes et pragmatisme 85

a) La Charte humanitaire du projet Sphère 86 b) Les normes minimales d’éducation en situation d’urgence 87

2) Les dilemmes de l’éducation d’urgence 88 a) Difficultés d’évaluation 89 b) Entre réponse rapide et réponse durable 89

CHAPITRE II La transformation de la définition de l’urgence par la mise en œuvre du droit à

l’éducation 92

Section 1 L’impact global de l’éducation sur l’urgence 92 A) L’exigence de qualité au cœur -même de l’urgence 93

1) Définition de la qualité, un des principaux objectifs de Dakar 93 a) Définition de la qualité 94 b) Outils d’évaluation 95

2) La réintroduction de valeurs nécessaire à la sortie de crise 96 a) L’éducation à la santé 96 b) L’éducation à la paix et aux droits de l’homme 97

B) La nécessité de perspectives de reconstruction à long terme 99 1) Du programme au projet 99 2) Une nouvelle forme de temporalité dans l’urgence 101

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Section 2 Evaluation d’un cas particulier : l’éducation après le génocide Rwandais 104 A) La spécificité de la crise rwandaise 104

1) Une tâche à première vue insurmontable 105 a) Défaillance du système éducatif existant avant la crise 106 b) Des conditions d’éducation anéanties 106

2) La complexité du cas rwandais 107 a) Entrecroisement de toutes les problématiques d’urgence 107 b) Le génocide et le principe d’impartialité 108

B) Mise en place d’une réponse rapide 108 1) Les stratégies adoptées 109 2) Le modèle du programme Ngara, dans un camp tanzanien 110 3) Les leçons du cas rwandais 112

CONCLUSION 114

BIBLIOGRAPHIE 116

ABREVIATIONS ET ACRONYMES 126