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1 UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS PARIS II Année universitaire 2009-2010 Travaux Dirigés - Master 1 DROIT PUBLIC DE L’ÉCONOMIE I Cours de Mme Martine LOMBARD, Professeure Distribution du 9 au 14 novembre 2009 Séances n° 4 et 5 LE DROIT PUBLIC DE L’ÉCONOMIE, UN DROIT SOUS INFLUENCE COMMUNAUTAIRE 1°/ BIBLIOGRAPHIE : BAZEX M., « Règles de concurrence applicables au secteur public », J.-Cl. Europe Traité, fasc. n° 1500. CHÉROT J.-Y., « Nouvelles observations sur la régulation par le Conseil d’Etat de la concurrence entre personnes publiques et personnes privées », in Mélanges Franck MODERNE, Paris, Dalloz, 2004, p. 87. CLAMOUR G., « Retour sur la libre et égale concurrence entre opérateur public et opérateur privé », RLC, 2005, n° 4, p. 40. CLAMOUR, G., Intérêt général et concurrence, essai sur la pérennité du droit public en économie de marché, Paris, Dalloz, Nouvelle bibliothèque de thèses, 2006, 1044 p. DUMONT G., « Application du droit de la concurrence aux activités publiques », J.-Cl. adm., fasc. n° 292. ECKERT G., « « L’égalité de concurrence entre opérateurs publics et privés sur le marché », in Liber Amicorum Jean WALINE, Paris, Dalloz, 2002, p. 207. FARJAT, G., Pour un droit économique, Paris, PUF, Les voies du droit, 2004, 199 p. LINOTTE, D., « Existe-t-il un principe général du droit de la libre concurrence ? », AJDA, 2005, p. 1549. LOMBARD M., « À propos de la liberté de concurrence entre opérateurs publics et opérateurs privés », D., 1994, chron., p. 163. THIEFFRY P., « Les services sociaux d’intérêt général sont-ils des entreprises ? », AJDA, 9 juillet 2007, p. 1331.

LE DROIT PUBLIC DE L’ÉCONOMIE, UN DROIT … · champ du droit européen de la concurrence réside en effet dans la nature de l'activité exercée, toute activité économique susceptible,

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UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS PARIS II

Année universitaire 2009-2010 Travaux Dirigés - Master 1 DROIT PUBLIC DE L’ÉCONOMIE I Cours de Mme Martine LOMBARD, Professeure Distribution du 9 au 14 novembre 2009 Séances n° 4 et 5

LE DROIT PUBLIC DE L’ÉCONOMIE,

UN DROIT SOUS INFLUENCE COMMUNAUTAIRE

1°/ BIBLIOGRAPHIE : BAZEX M., « Règles de concurrence applicables au secteur public », J.-Cl. Europe Traité, fasc. n° 1500. CHÉROT J.-Y., « Nouvelles observations sur la régulation par le Conseil d’Etat de la concurrence entre personnes publiques et personnes privées », in Mélanges Franck MODERNE, Paris, Dalloz, 2004, p. 87. CLAMOUR G., « Retour sur la libre et égale concurrence entre opérateur public et opérateur privé », RLC, 2005, n° 4, p. 40. CLAMOUR, G., Intérêt général et concurrence, essai sur la pérennité du droit public en économie de marché, Paris, Dalloz, Nouvelle bibliothèque de thèses, 2006, 1044 p. DUMONT G., « Application du droit de la concurrence aux activités publiques », J.-Cl. adm., fasc. n° 292. ECKERT G., « « L’égalité de concurrence entre opérateurs publics et privés sur le marché », in Liber Amicorum Jean WALINE, Paris, Dalloz, 2002, p. 207. FARJAT, G., Pour un droit économique, Paris, PUF, Les voies du droit, 2004, 199 p. LINOTTE, D., « Existe-t-il un principe général du droit de la libre concurrence ? », AJDA, 2005, p. 1549. LOMBARD M., « À propos de la liberté de concurrence entre opérateurs publics et opérateurs privés », D., 1994, chron., p. 163. THIEFFRY P., « Les services sociaux d’intérêt général sont-ils des entreprises ? », AJDA, 9 juillet 2007, p. 1331.

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2°/ DOCUMENTS :

Document n° 1 : Conseil d’État, Rapport public pour 1994, Service public, services publics : déclin ou renouveau, EDCE, n° 46, Paris, La Documentation française, 1995, pp. 15-125.

Document n° 2 : Conseil d’État, Rapport public pour 2002, Collectivités publiques et concurrence, EDCE, n° 52, Paris, La Documentation française, 2002, pp. 383-389. [également disponible en ligne sur le site de la Documentation française (http://www.ladocumentationfrancaise.fr)]

Document n° 3 : Communication de la Commission, 12 mai 2004, Livre blanc sur les services d'intérêt général, COM(2004) 374 final.

Document n° 4 : CJCE, 19 mai 1993, Procédure pénale contre Paul Corbeau, aff. C-320/91, Rec., I-02533. L. Cartou, LPA, 1993, nº 147, p. 22-23 ; F. Hamon, AJDA, 1993, p. 866-869 ; A. Wachsmann, F. Berrod, RTDE, 1994, p. 39-61 ; M.-A. Hermitte, JDI, 1994, p. 513-515 ; F. Blum, GP, 1999, III, Doct., p. 1031-1043.

Document n° 5 : C.E., Sect., avis du 8 novembre 2000, Société Jean-Louis Bernard Consultants, req. n° 222.208, Rec., p. 492. AJDA, 2000, p. 987, chron. M. Guyomar et P. Collin ; RFDA, 2001, p. 112, concl. C. Bergeal ; Contrats et marchés publics, 2001, n° 2, chron. G. Eckert ; Dr. adm., avril 2001, p. 4, chron. Y. Laidié ; JCP G, 2001, I, p. 357, note E. Delatour ; CJEG, 2001, p. 58, note M. Degoffe et J.-D. Dreyfus.

Document n° 6 : CJCE, 25 octobre 2001, Firma Ambulanz Glöckner contre Landkreis Südwestpfalz, aff. C-475/99, Rec., I, p. 8089. Europe, décembre 2001, comm. nº 372, p. 21, note L. Idot ; JCP E, 12 septembre 2002, n° 37, p. 1429, note C. Gavalda et G. Parléani ; Dr. adm., janv. 2002, comm. nº 3, p. 16, note M. Bazex et S. Blazy.

Document n° 7 : Communication de la Commission du 17 octobre 2001 concernant l’application aux services publics de radiodiffusion des règles relatives aux aides d’État, JOCE, n° C 320 du 15 novembre 2001, p. 4.

Document n° 8 : Communication de la Commission, 26 avril 2006, Mettre en œuvre le programme communautaire de Lisbonne Les services sociaux d'intérêt général dans l'Union européenne, COM(2006) 177 final

Document n° 9 : TPICE, 12 décembre 2006, SELEX Sistemi Integrati / Commission, aff. T-155/04, JOCE, n° C 331 du 30 décembre 2006, p. 34. Europe, 2007, n° 2, p. 24, note L. Idot ; Gaz. Pal., 2007, I, nº 94-95, jurispr. p.16, chron. J. Philippe et T. Janssens ; RLC, n° 11, 2007, p. 21, note L. Arcelin ; Concurrences, 2007, nº 1, p.168, note J.-P. Kovar.

CAS PRATIQUE

En application d’une loi susceptible d’être prochainement votée par le Parlement, les parcs de matériels qui appartenaient aux services déconcentrés de l’État (directions départementales de l’équipement) pourraient être transférés aux départements, dont ils deviendraient ainsi la propriété, tandis que les agents qui y sont affectés deviendraient des agents des départements.

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Les départements disposant cependant d’ores et déjà d’équipements nécessaires aux travaux routiers et d’agents spécialisés, ce regroupement fonctionnel pourrait entraîner des surcapacités en matériel et en personnel pour les départements.

Le ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire vous consulte afin d’élaborer une stratégie permettant, en accord avec les collectivités concernées, de mieux employer les agents et d’utiliser le matériel en surnombre.

Le ministre envisage de permettre aux services des départements d’intervenir au bénéfice de collectivités territoriales de différents échelons pour la conception et la mise en œuvre de leurs projets de travaux publics.

Cette intervention pourrait être réalisée pour un prix inférieur aux prix du marché, voire gratuitement.

Le ministre souhaite savoir si, dans ces conditions, l’intervention des services des départements pourrait être considérée comme ne constituant pas une activité économique ou, à défaut, pourrait être qualifiée de service d’intérêt économique général.

Vous rédigerez une note détaillée dans laquelle vous procéderez à l’analyse de ce projet. Vous proposerez le cas échéant les conditions dans lesquelles devraient être assurées les prestations des services départementaux pour être compatibles avec les exigences que vous aurez identifiées .

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Document n° 1 : Conseil d’État, Rapport public pour 1994, Service public, services

publics : déclin ou renouveau, pp. 15-125 (Extraits).

Qu'il soit regardé comme l'expression de la Nation, ou comme le fait politique premier l'État est durablement apparu, dans la théorie juridique française, comme dépositaire de la souveraineté, et, à ce titre, titulaire de prérogatives de puissance publique dont il n'incombait qu'à lui, ou à ses organes, tels que définis par sa Constitution, de définir l'étendue et les limites. C'est sur le fondement de cette théorie juridique que s'est originellement construit le droit administratif, droit de la puissance publique, dont les différentes catégories d'interventions, pensées comme irréductibles à l'action des personnes privées, ne pouvaient dès lors qu'être soustraites au droit commun, et au juge de droit commun. Plus tard, tout au long, en fait, de la fin du XIXe siècle, doctrine et jurisprudence administratives se sont cependant efforcées d'assigner une extension plus restreinte au champ dans lequel la puissance publique peut être admise à marquer, plus ou moins profondément, de son empreinte l'action de l'administration. Mais ce n'est qu'avec l'apparition de la théorie du service public, en germe dans les efforts antérieurs de partage entre différents régimes de l'action administrative, que se produit un véritable basculement. Cette affirmation est historiquement datée. Elle coïncide avec les progrès du libéralisme politique et des idéologies solidaristes. Elle traduit, dans le registre du droit, l'effort conduit au niveau politique pour consolider le pacte républicain en le fondant non seulement sur le suffrage universel et la démocratie représentative, mais aussi sur le développement de la solidarité, et, simultanément, sur de nouveaux rapports ou une nouvelle représentation des rapports de l'État et du droit : un État pour qui le droit n'est plus seulement un instrument de la puissance publique, mais aussi un instrument pour mener à bien les missions dont il est investi au service de la collectivité. […]

Au nombre des références autour desquelles l'Union européenne s'est, au prix d'innombrables vicissitudes, pendant vingt-cinq ans construite, sur le fondement du Traité de Rome, de l'Acte unique, plus récemment du Traité de Maastricht, et parmi lesquelles domine, sur un mode confinant à l'exclusivité, le libre jeu du marché et de la concurrence, n'a jamais figuré et ne figure toujours pas, sinon au détour d'un article de portée technique, le concept de service public. Les idées les plus voisines : celles d'intérêt général, de service économique d'intérêt général, de cohésion sociale, n'occupent, dans la construction européenne, qu'une place congrue. Et plus s'affirme l'évidence que le droit français, comme les droits nationaux des autres pays membres de l'Union, est désormais voué à s'élaborer, dans une très large proportion, sous influence communautaire, et à être appliqué dans les mêmes conditions, plus il est clair que l'avenir de la notion de service public est, si l'on n'y prend garde, compté.

À moins que ne soit préservée et réaffirmée, sous le signe de la subsidiarité, une autonomie nationale qui n'est pas, sur tous les terrains, plausible; ou portée au niveau

européen, et portée avec suffisamment de détermination pour qu'elle y triomphe, la revendication que soit pris en compte un concept propre à fonder, au-delà de la singularité française, une singularité européenne. Une singularité éthiquement et socialement féconde, comme propre à assurer une réconciliation, qui ne va pas de soi, entre les citoyens et les pouvoirs. Le Conseil d'État est, à plusieurs titres, directement intéressé à un tel débat. D'abord en tant qu'il a joué, dans l'émergence et l'affirmation de la théorie du service public, un rôle déterminant et demeure partie prenante à l'évolution de ses contours. Ensuite, en tant qu'il est naturellement associé à l'introduction, en droit français, des normes européennes, ainsi qu'à l'élaboration des stratégies juridiques et administratives nationales, que celles-ci aient pour but de répondre au défi européen ou à d'autres catégories de défis qui gouvernent l'organisation des services publics concrets. […] La nouvelle donne européenne

• L'Europe n'instruit pas le procès du ou des service(s) public(s) ; elle fait pire; elle ignore largement la notion de service public et l'existence de services publics1, ayant tendance à n'identifier aucune zone intermédiaire entre les services régaliens ou sociaux qui sont certes placés sous un régime spécial, mais non pas en tant que services publics, à raison, pour l'essentiel, de leur participation aux prérogatives de puissance publique, et les entreprises ordinaires.

Aux termes de l'article 222 du Traité de Rome: « Le présent traité ne préjuge en rien le système de propriété dans les États membres ».

De cela, il résulte que la politique de concurrence qui est, dans la perspective de réalisation du Grand Marché européen, de la promotion de la libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux, l'une des clefs de l'intervention de la Communauté, s'applique dans les mêmes conditions, aux entreprises privées et aux entreprises publiques, y compris celles chargées d'une mission de service public, au sens où on l'entend en France, et cela, sous quelques réserves très limitées. La notion d'entreprise est au surplus comprise de façon très englobante. Le seul critère pertinent pour déterminer le champ du droit européen de la concurrence réside en effet dans la nature de l'activité exercée, toute activité économique susceptible, ne serait ce qu'en principe, d'être exercée par une entreprise privée y étant normalement

1 Qui ne figure en toutes lettres qu'à l'article 77 consacré à la politique commune des transports, aux termes duquel « sont compatibles avec le présent traité les aides […] qui correspondent au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public ». Plusieurs règlements intéressant le domaine des transports terrestres (règlement du 26 juin 1969, modifié par le règlement du 20 juin 1991). le domaine des transports aériens (règlement du 23 juillet 1992) et le domaine des transports maritimes (règlement du 7 décembre 1992) ont précisé la portée de ce principe en ce qui concerne chacun de ces domaines. Le mot de service public ne figure plus, en revanche, dans le Livre blanc que la Commission a consacré aux développements futurs de la politique des transports (2 décembre 1992).

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comprise, indépendamment du statut sous lequel elle s'exerce, et, quand bien même l'opérateur serait une entité fondue dans la personnalité générale de l'Etat ou d'une collectivité publique, et/ou sans but lucratif (CJCE, 16 juin 1987, Commission c/ République italienne, Rec., 1987 p. 2619; 23 avril 1991 K. Hofner et F. Elser c/ Macrotron GmbH, Rec. 1991 p. 1979 ; en sens contraire pour des organismes de nature sociale, culturelle, ou exerçant des prérogatives de contrôle et de police de l'espace aérien assimilables à des prérogatives de puissance publique; 17 février 1993, Poucet ci AGF et Camulrac et Pistre ci Cancava, Rec. 1993 p. 637; 6 avril 1993, Leduc c/ Cancava; 19 janvier 1994, SAT Fluggesellschaft mbH c/ Organisation européenne pour la sécurité de la navi8ation aérienne-Eurocontrôl, Rec., 1994 p. 43). […]

Les limites du marché

Un certain consensus devrait, en principe, pouvoir s'établir sur les limites et les risques que comporte, dans une perspective d'optimisation des satisfactions collectives, le libre jeu du marché :

- l'impuissance du marché à assurer la prise en compte des besoins non solvables ou mal solvabilisés : besoins individuels, mais aussi besoins de la société dans son ensemble, au nombre desquels les besoins de souveraineté, de défense, de sécurité au sens large (sécurité des approvisionnements en particulier), de solidarité ou de cohésion spatiale (aménagement du territoire) et sociale (lutte contre l'exclusion) ; - la tendance à multiplier les effets d’externalisation de différentes sortes de coûts (coûts d'encombrement et coûts d'environnement par exemple, mais aussi licenciement et chômage), et à négliger les "irréversibilités" (épuisement des ressources rares, destruction de milieux) ;

- la préférence qu'accordent assez généralement les opérateurs économiques s'affrontant sur le marché au court terme sur le long terme, avec les conséquences que cela comporte en matière d'investissements et de recherche-développement ;

- les effets destructeurs engendrés par une concurrence excessive assortie de sous-tarification, et d'écrémage des services rentables, de délaissement des services qui ne le sont pas.

Nul ne devrait, dès lors, mettre en cause la légitimité d'une gestion sous le signe du service public, et même sous statut public, à tout le moins des services traditionnellement décrits comme de souveraineté, de l'éducation, ou de la protection sociale, vraisemblablement aussi d'un certain nombre de services industriels et commerciaux. […]

De fait, il se pourrait, pour certains de ces services, que le renoncement au monopole, ou la des-intégration, en particulier l'accès, en tout cas l'accès pur et simple des tiers aux réseaux, engendre plus de désordres qu'il ne peut rapporter d'avantages ; la gestion de certaines prestations est difficilement séparable de celle de l'infrastructure, sans qu'en résultent des coûts élevés d'harmonisation des inter-faces (télécommunications) ou de réelles sous-optimisations (production et distribution d'électricité) ; le parti doit donc pouvoir être pris, chaque fois que cela se révèle objectivement nécessaire, et pris au nom du service public, de soustraire tel ou tel secteur, ou partie de secteur, au libre jeu du marché, ou aux formes ordinaires de régulation, non pas nécessairement pour écarter la concurrence, mais pour en moduler la pesée en fonction des gains et des pertes escomptables.

Document n° 2 : Conseil d’État, Rapport public pour 2002, Collectivités publiques et

concurrence, pp. 383-389 (Extraits).

[…]

Les développements qui précèdent autorisent à s’inscrire en faux contre deux opinions qui ont encore largement cours :

• La première est que les administrations publiques en France seraient foncièrement rétives à la notion de concurrence et mèneraient, sous la bannière du service public, une sorte de combat d’arrière-garde contre un mode d’organisation sociale où l’État, sinon ne régente plus tout, du moins n’est plus le seul détenteur de la définition de l’intérêt général ;

• La seconde est que la construction européenne serait, à l’inverse, exclusivement organisée dans l’optique de promouvoir la concurrence et que les autorités communautaires, arc-boutées sur l’idée de construire envers et contre tout le grand marché, seraient

imperméables à d’autres finalités de l’organisation sociale et notamment au rôle des services publics, au point de mettre ceux-ci en péril...

La réalité n’est pas aussi simple. Les collectivités publiques, dans leur grande majorité, ont pris en compte leur ancrage dans un système d’économie de marché. Lorsqu’elles interviennent sur le marché, elles se soumettent aux lois de celui-ci. Lorsqu’elles agissent comme opérateurs économiques, en offre ou en demande de biens ou services, elles se savent soumises au principe de libre concurrence. Comme autorités publiques, elles n’ignorent pas devoir prendre en compte les conséquences de leurs actes sur le jeu de la concurrence. Bien plus, l’État a pris la mesure de ses responsabilités dans l’organisation et la régulation de la concurrence sur l’ensemble des marchés, y compris ceux où interviennent à titre principal des opérateurs publics, notamment par le biais d’autorités

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administratives indépendantes, en particulier le Conseil de la concurrence, qui n’ont rien à envier à leurs homologues étrangères, en efficacité et en confiance de la part des opérateurs concernés.

Inversement, les autorités communautaires sont devenues de plus en plus conscientes des exigences d’un intérêt général qui ne saurait toujours trouver son compte dans le libre jeu de la concurrence sur le marché. Les orientations actuelles de la politique communautaire donnent une large place à des objectifs généraux appelés à faire contrepoids à la seule exigence de la concurrence. En témoignent les dernières communications de la Commission sur les services d’intérêt économique général. En témoignent surtout les dernières décisions de la Cour de justice des Communautés européennes, en particulier sur le poids à donner aux impératifs supérieurs d’intérêt général.

[…]

Pour ce qui est de l’appréciation portée sur l’attitude des collectivités publiques en France à l’égard de la concurrence, deux explications peuvent être avancées :

• La première est que si les collectivités publiques sont conscientes du contexte concurrentiel dans lequel elles agissent et doivent agir, elles n’en ont pas tiré tous les enseignements dans leur fonctionnement interne. Les exigences de performance, qui pourtant sont au cœur de la dynamique de la concurrence et s’imposent au reste de la société, y jouent encore un faible rôle. Quels que soient les efforts fournis dans plusieurs secteurs, loin d’être négligeables, la réalité est que de nombreuses administrations ont réussi, au cours des années passées, à s’exonérer de l’effort de productivité demandé par ailleurs et que l’efficacité du secteur public n’est pas toujours à la mesure de ce que l’on pourrait en attendre.

[…]

• La seconde explication de l’image brouillée des administrations publiques françaises au regard de la concurrence, réside dans les difficultés de tous ordres rencontrées pour passer du modèle classique, où la puissance publique prend en charge elle-même la gestion de très nombreux services, quelquefois au détriment du bon exercice de ses missions essentielles, à une organisation étatique, pourtant largement prônée, dans laquelle l’autorité publique se concentre précisément sur ses missions, notamment de régulation, et délègue à des entreprises privées, choisies après appel à la concurrence, l’exécution de prestations de service précisément définies, voire abandonne totalement au jeu du marché la production de certains biens ou services.

Pour ce qui est de la façon dont est perçue la politique européenne, l’explication est certainement à rechercher au moins en partie dans le jeu de rôles précédemment évoqué qui incite la Commission à se concentrer sur ce qu’elle finit par regarder comme sa véritable mission historique, qui est de briser les conservatismes sous-jacents dans tous les États membres et qui freinent la construction de l’Europe. Il faut y ajouter la vocation hégémonique de la notion de concurrence qui tend à prétendre s’appliquer à

toutes les situations, alors même que la notion de partenariat doit également être prise en compte.

Tous ces éléments d’incompréhension et toutes ces sources d’ambigüité sont bien évidemment loin d’être levés, mais ils ne sauraient masquer la profonde évolution qui a marqué les perceptions tant des collectivités publiques françaises que des autorités communautaires à l’égard de ce qui est finalement la question centrale, celle de la bonne conciliation entre l’impératif de la concurrence et les autres impératifs d’intérêt général dont les collectivités publiques ont la charge. Les récents déboires d’une libéralisation débridée, notamment aux États-Unis, s’agissant plus particulièrement du marché de l’électricité, en montrent suffisamment la nécessité.

On a mis en évidence la diversité des cas dans lesquels l’action des collectivités publiques a ou peut avoir, dans son principe ou ses modalités, une incidence sur la concurrence. Non seulement les initiatives et les pratiques des administrations centrales, des collectivités territoriales et des établissements publics, mais les choix du pouvoir réglementaire ou du législateur doivent fréquemment pouvoir être fondés sur une analyse économique de leurs répercussions sur le marché, propre à répondre aux critiques éventuelles d’atteinte au principe de la libre concurrence.

Les institutions publiques nationales et communautaires ne peuvent toutefois se dissimuler que si le développement des marchés concurrentiels est un stimulant indispensable de l’efficacité des collectivités publiques comme des entreprises, ces deux types de structures ne sont pas soumises aux mêmes contraintes. Les secondes doivent s’adapter aux conséquences de la mondialisation des marchés sur la nature et la localisation de leurs activités. Les premières doivent s’adapter à l’évolution des caractéristiques et des attentes de la population résidant sur un territoire donné, façonné par la géographie et l’histoire, attentes qui ne sont pas que celles de consommateurs mais aussi celles de contribuables et de citoyens titulaires de droits.

Si l’on veut bien admettre que relève de l’intérêt général un développement économique et social équilibré et durable, il est clair que cela implique de la part des autorités publiques à la fois un respect du marché et une distance par rapport au marché.

[…]

Cependant, au-delà de cette différence largement liée à l’histoire économique et juridique de la France, il y a une unité fondamentale du concept de service public qui ne doit pas être perdue de vue. La personne morale chargée de ce service, qu’elle soit une personne publique ou une entité de droit privé, est tenue par les principes de continuité et d’égalité de traitement des usagers du service. À la différence d’une entreprise ordinaire, elle ne peut décider librement ni du contenu de son activité ni de sa politique tarifaire. Ce n’est pas une libre entreprise.

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Ce constat conduit d’abord à penser que l’idée d’égale concurrence entre personnes publiques et personnes privées, dans le champ de l’économie, n’a qu’une portée relative. Elle est en quelque sorte le sous produit du principe de neutralité en ce qui concerne la propriété publique ou privée des entreprises, prudemment posé par le droit communautaire dès l’origine. Elle a sans doute comme vertu de protéger la libre entreprise et de favoriser, au sein de l’État et des collectivités publiques, à la fois le plein emploi du potentiel de compétences disponibles et une approche de comptabilité analytique. Elle risque néanmoins d’être mal comprise et, à terme, d’entraîner une perte de repères consensuels sur les fonctions et les modes d’action normaux de l’État et des collectivités territoriales.

[…]

On peut aussi s’interroger sur les conséquences à tirer à terme de ce que, comme l’affirme la Commission européenne dans sa communication du 20 septembre 2000, « les services d’intérêt général sont un élément clé du modèle européen de société ». Force est en effet de constater que l’article 16 CE, dans sa rédaction résultant du traité d’Amsterdam, ne concerne que les services d’intérêt économique général, en conséquence du fait que les règles relatives au marché intérieur et à la concurrence ne s’appliquent pas aux activités non économiques et donc ne s’appliquent pas non plus aux services d’intérêt général relatifs à ce type d’activités.

On se trouve donc actuellement dans une situation quelque peu paradoxale où ni le traité instituant la Communauté européenne, ni d’ailleurs le traité sur l’Union européenne ne traitent de façon globale des services d’intérêt général et où seuls ceux d’entre eux qui concernent les secteurs de l’énergie, du transport, et de la communication se sont vus assigner l’obligation de fonctionner sur la base de principes et dans des conditions qui leur permettent d’accomplir leur mission.

Cette situation s’explique, certes, par le choix initial de parier sur l’économie marchande comme ressort de la

construction de l’Europe, avec son corollaire de libéralisation des services publics nationaux en réseaux fournisseurs de services marchands, en vue de créer un marché intérieur ouvert et concurrentiel, choix lié à la nécessité de contourner les obstacles résultant des différences de tradition juridique, politique et sociale des États membres.

Il reste, si l’on prend un peu de recul, que la distinction au sein des services d’intérêt général entre services marchands et services non marchands est en partie artificielle et cela pour deux raisons. Sur un plan global, la compétitivité de l’économie européenne est autant tributaire de la performance des services régaliens ou sociaux, dans le domaine notamment de l’éducation, de la santé ou de la protection sociale, lesquels sont hors champ du traité, que de celle des services dits d’intérêt économique général, la frontière entre les deux secteurs étant au surplus susceptible d’évolution. Par ailleurs, que le service d’intérêt général soit principalement financé par les usagers ou par les contribuables, il est dominé par des principes identiques.

On ne saurait donc affirmer que les services d’intérêt général sont un élément clé du modèle européen de société sans prendre en compte cette réalité. Cela signifie que le chantier d’une politique européenne appréhendant tous les services d’intérêt général devrait être ouvert dans une perspective plus large que celle de la protection des consommateurs par la promotion de la concurrence.

[…]

En définitive, au-delà de la technicité des questions qu’elle a conduit à évoquer, la confrontation des concepts de concurrence et de collectivités publiques amène à un constat simple : la concurrence est une composante de l’intérêt général qu’il appartient aux collectivités publiques de protéger, et le cas échéant de cantonner, dans l’exercice de leur mission de mise en œuvre des droits fondamentaux.

Document n° 3 : Communication de la Commission, 12 mai 2004, Livre blanc sur les services d'intérêt général (Extraits).

Introduction Ces dernières années, le rôle de l'Union européenne dans la définition de la forme future des services d'intérêt général2 s'est trouvé au centre du débat sur le modèle européen de société. Reconnaissant l'importance cruciale, pour la qualité de vie des citoyens européens, l'environnement et la compétitivité des entreprises européennes, de services d'intérêt général qui fonctionnent bien et qui soient accessibles, abordables et de qualité, la Commission européenne a adopté un Livre vert sur les services d'intérêt général3, qui a lancé une vaste consultation publique sur

2 Voir les définitions terminologiques à l'annexe 1 3 COM(2003) 270 du 21.5.2003

les meilleurs moyens de favoriser la fourniture de services d'intérêt général de qualité dans l'Union européenne. Le Livre vert appelait à formuler des commentaires sur le rôle général de l'Union européenne dans la définition des objectifs de service public poursuivis par les services d'intérêt général, ainsi que sur les méthodes d'organisation, de financement et d'évaluation de ces services. […] Comme le Parlement européen l'a demandé dans sa résolution sur le Livre vert du 14 janvier 20044, la

4 Résolution du Parlement européen sur le Livre vert sur les services d'intérêt général, 14.1.2004 (T5-0018/2004)

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Commission tire ses conclusions du débat dans le présent Livre blanc. Le Comité économique et social européen5 et le Comité des régions6 ont également débattu les questions soulevées par le Livre vert et ont fait connaître leur point de vue. En outre, les services d'intérêt général ont aussi fait l'objet d'un débat animé dans le cadre de la convention sur l'avenir de l'Europe. Enfin, la Cour de justice a, elle aussi, examiné diverses questions ayant trait aux services d'intérêt économique général, et notamment à leur financement, et a rendu un arrêt historique concernant la compensation pour la prestation d'un service public7. Le débat a fait apparaître d'importantes différences de points de vue et de perspectives. Néanmoins, il semble s'être dégagé un consensus quant à la nécessité d'assurer une combinaison harmonieuse des mécanismes de marché et des missions de service public. Les services d'intérêt général et le contexte dans lequel ils sont fournis, y compris l'Union européenne elle-même, connaissent une évolution constante qui va se poursuivre. En présentant ce Livre blanc, la Commission n'a pas l'intention de clore le débat qui se déroule au niveau européen. Son objectif est de contribuer à la discussion en cours et de la faire avancer en définissant le rôle de l'Union et en fixant un cadre permettant le bon fonctionnement des services en question. Le Livre blanc expose l'approche adoptée par la Commission pour faire jouer à l'Union européenne un rôle positif afin de favoriser le développement de services d'intérêt général de qualité; il présente également les principaux éléments d'une stratégie visant à faire en sorte que tous les citoyens et entreprises de l'Union aient accès à des services de qualité et abordables. Le document se concentre uniquement sur certains des aspects clés du débat, car il serait impossible d'aborder toutes les questions soulevées pendant la consultation publique. Les problèmes plus spécifiques seront traités dans le cadre des politiques concernées. 2. Une responsabilité partagée des pouvoirs publics dans l'Union Comme l'a montré le débat public sur le Livre vert, l'importance que revêtent des services d'intérêt général de qualité pour les sociétés européennes est largement admise. La répartition des tâches et des pouvoirs entre l'Union et les États membres conduit à un partage de la responsabilité entre l'Union et les pouvoirs publics des États membres, mais ceux-ci restent responsables de la définition détaillée des services à fournir et de leur mise en œuvre. 2.1. Une composante essentielle du modèle européen Le débat sur le Livre vert a souligné avec force l'importance des services d'intérêt général en tant que pilier du modèle européen de société. En dépit de différences de

5 Avis sur le "Livre vert sur les services d'intérêt général", CESE 1607/2003 du 11.12.2003 6 Avis du Comité des régions du 20 novembre 2003 sur le "Livre vert sur les services d'intérêt général", CdR 149/2003 final 7 Arrêt du 24 juillet 2003 dans l'affaire C-280/00 Altmark Trans.

points de vue et de perspectives parfois importantes entre les divers participants au débat, la consultation a révélé un large consensus quant à la nécessité d'assurer la fourniture de services d'intérêt général de qualité et abordables à tous les citoyens et entreprises de l'Union européenne. Elle a également confirmé l'existence d'une conception commune des services d'intérêt général dans l'Union. Cette conception reflète les valeurs et objectifs de la Communauté et se fonde sur un ensemble d'éléments communs, dont le service universel, la continuité, la qualité du service, l'accessibilité financière, ainsi que la protection des usagers et des consommateurs. Dans l'Union, les services d'intérêt général restent essentiels pour la cohésion sociale et territoriale et pour la compétitivité de l'économie européenne. Les citoyens et les entreprises s'attendent, à juste titre, à avoir accès à des services d'intérêt général de qualité et abordables dans l'ensemble de l'Union européenne. Pour les citoyens de l'Union, cet accès constitue une composante essentielle de la citoyenneté européenne et est nécessaire pour leur permettre de jouir pleinement de leurs droits fondamentaux. Dans le cas des entreprises, la disponibilité de services d'intérêt général de qualité est un préalable indispensable à un environnement favorisant leur compétitivité. La fourniture de services d'intérêt général de qualité, accessibles et abordables, répondant aux besoins des consommateurs et des entreprises, est donc un élément important pour contribuer à atteindre l'objectif stratégique de l'Union consistant à "devenir l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale"8. Comme l'a souligné la Commission dans le Livre vert, les services d'intérêt général ont aidé à atteindre les objectifs de l'Union dans nombre de politiques communautaires. En même temps, les politiques communautaires ont fortement contribué à améliorer la qualité, le choix et l'efficience d'un certain nombre de services d'intérêt général. Conformément aux principes énoncés à l'article 16 du traité CE9 et à l'article 36 de la Charte des droits fondamentaux10, la Commission s'est engagée à tenir pleinement compte du rôle spécifique des services d'intérêt général dans les politiques et activités relevant de sa sphère de compétence. Elle visera à faire en sorte que l'Union européenne continue d'apporter une contribution

8 Conseil européen tenu à Lisbonne les 23 et 24 mars 2000, conclusions de la présidence, paragraphe 5. Pour plus de détails, voir http://europa.eu.int/comm/lisbon_strategy/intro_fr.html 9 L'article 16 dispose ce qui suit: "Sans préjudice des articles 73, 86 et 87, et eu égard à la place qu'occupent les services d'intérêt économique général parmi les valeurs communes de l'Union ainsi qu'au rôle qu'ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l'Union, la Communauté et ses États membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites du champ d'application du présent traité, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions qui leur permettent d'accomplir leurs missions" 10 L'article 36 dispose ce qui suit: "L'Union reconnaît et respecte l'accès aux services d'intérêt économique général tel qu'il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément au traité instituant la Communauté européenne, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l'Union"

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positive au développement des services d'intérêt général dans le cadre du modèle européen, tout en respectant les diverses traditions, structures et situations propres aux États membres. Conformément aux principes de l'amélioration de l'environnement réglementaire11, l'évaluation préalable des incidences des grandes initiatives12 et l'évaluation régulière des politiques communautaires concernées aideront à atteindre cet objectif. À ce stade crucial du développement de l'Union, il faudra accorder une attention particulière à l'évolution de la situation dans les nouveaux États membres, ainsi qu'à leurs besoins spécifiques résultant en particulier de la transformation de leur économie au cours des deux dernières décennies. […] 3. Principes directeurs de l'approche de la Commission L'approche de la Commission se fonde sur un certain nombre de principes, qui sont reflétés par les politiques sectorielles de la Communauté et qui peuvent être explicités sur la base des résultats du débat consacré au Livre vert. […] 3.2. Atteindre des objectifs de service public au sein de marchés ouverts et concurrentiels Au vu de la consultation, la Commission reste d'avis qu'un marché intérieur ouvert et concurrentiel, d'une part, et le développement de services d'intérêt général de qualité, accessibles et abordables, de l'autre, sont des objectifs compatibles. En effet, la création d'un marché intérieur a fortement contribué à un gain d'efficience, rendant un certain nombre de services d'intérêt général plus abordables. En outre, elle a conduit à un accroissement du choix des services proposés, particulièrement visible dans les secteurs des télécommunications et des transports13. Toutefois, dans certaines situations, il peut être nécessaire de coordonner la réalisation d'un objectif de politique publique nationale avec certains objectifs communautaires. Le traité aborde ces situations à l'article 86, paragraphe 2, qui prévoit que les services d'intérêt économique général ne sont pas soumis à l'application des règles du traité dans la mesure nécessaire pour leur permettre de remplir leur mission d'intérêt général. Il en résulte que, en vertu du traité CE et sous réserve des conditions fixées à l'article 86, paragraphe 2, l'accomplissement effectif d'une mission d'intérêt général prévaut, en cas de tension, sur l'application des règles du traité14. Ainsi, ce sont les missions qui sont protégées, plutôt que la manière dont elles sont accomplies. Cette disposition du traité permet

11 Gouvernance européenne: Mieux légiférer - Communication de la Commission, COM(2002) 275 final du 5.6.2002 12 Communication de la Commission sur l'analyse d'impact, COM(2002) 276 final du 5.6.2002 13 Une évaluation détaillée sera présentée dans le document de travail des services de la Commission "Évolution des industries de réseaux prestataires de services d'intérêt général – Rapport 2004", qui sera publié prochainement 14 L'application de l'article 86, paragraphe 2, est expliquée en détail dans la communication de la Commission sur les services d'intérêt général en Europe, JO C 17 du 19.1.2001, p. 4

donc de concilier la poursuite et la réalisation d'objectifs de politique publique avec les objectifs en matière de concurrence de l'Union européenne dans son ensemble, parmi lesquels, en particulier, la nécessité de placer tous les prestataires de services sur un pied d'égalité et d'assurer une utilisation optimale de l'argent public. 3.3. Assurer la cohésion et l'accès universel L'accès de tous les citoyens et entreprises à des services d'intérêt général de qualité et abordables sur l'ensemble du territoire des États membres est essentiel pour favoriser la cohésion sociale et territoriale de l'Union européenne, y compris la réduction des handicaps provoqués par l'accessibilité réduite des régions les plus isolées. La Commission est déterminée à promouvoir un accès universel effectif aux services d'intérêt général, ainsi qu'à améliorer cet accès, au travers de l'ensemble de ses politiques. Dans ce contexte, le service universel est une notion clé que la Communauté a développée pour assurer l'accessibilité effective des services essentiels15. Il instaure le droit de chacun à avoir accès à certains services jugés essentiels et impose aux prestataires de services l'obligation de proposer des services définis à des conditions spécifiées, parmi lesquelles une couverture territoriale complète et un prix abordable. Le service universel est une notion dynamique et flexible, et s'est révélé un filet de sécurité efficace pour ceux qui, sinon, ne pourraient se procurer des services essentiels. Il peut être redéfini périodiquement pour s'adapter au contexte social, économique et technologique. Cette notion permet de définir des principes communs au niveau communautaire et de laisser la mise en œuvre de ces principes aux États membres, chacun d'entre eux pouvant ainsi tenir compte de sa situation spécifique, conformément au principe de subsidiarité. Dans le cadre de ses politiques structurelles, la Communauté contribue à prévenir l'exclusion des groupes sociaux ou régions vulnérables de l'accès aux services essentiels16. Les fonds structurels peuvent être utilisés pour cofinancer des investissements dans des infrastructures de réseau, sous réserve du respect de certains critères17. En outre, la politique menée par la Commission dans le domaine des réseaux transeuropéens améliore l'accès aux réseaux de transport, d'énergie et de communication dans les régions plus isolées, et aidera à relier les nouveaux États membres aux infrastructures des Quinze, maintenant ainsi un niveau élevé de qualité et de sécurité. Dans son initiative européenne pour la croissance, la Commission a exposé un ambitieux programme visant à la réalisation de projets transfrontaliers prioritaires dans le domaine des

15 Voir le Livre vert sur les services d'intérêt général, COM(2003) 270 du 21.5.2003, paragraphes 50 à 54 16 Un nouveau partenariat pour la cohésion, Troisième rapport sur la cohésion économique et sociale, COM(2004) 107 du 18.2.2004 17 Voir, par exemple, le document de travail des services de la Commission intitulé "Lignes directrices relatives aux critères et modalités de mise en œuvre des fonds structurels en faveur des communications électroniques", SEC(2003) 895

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réseaux de transport, d'énergie et de communication à large bande18. 4. Nouvelles orientations pour une politique cohérente […] 4.4. Reconnaître pleinement l'intérêt général dans les services sociaux et de santé Le Livre vert sur les services d'intérêt général a suscité un intérêt considérable de la part des parties concernées par le domaine des services sociaux, qui recouvrent notamment les services de santé, les soins de longue durée, la sécurité sociale, les services de l'emploi et le logement social. Les services sociaux d'intérêt général ont un rôle particulier à jouer en tant que partie intégrante du modèle européen de société. En vertu du principe de solidarité, les services sociaux et de santé d'intérêt général sont centrés sur la personne, ils assurent aux citoyens la possibilité de bénéficier effectivement de leurs droits fondamentaux et d'un niveau élevé de protection sociale, et renforcent la cohésion sociale et territoriale. Leur fourniture, leur développement et leur modernisation vont tout à fait dans le sens de la réalisation des objectifs fixés par le Conseil européen en mars 2000 à Lisbonne, notamment en ce qui concerne la création d'un lien positif entre les politiques économiques, sociales et en matière d'emploi. La consultation publique a montré que les prestataires de services sociaux sont prêts à s'engager dans un processus de modernisation afin de mieux répondre à l'évolution des besoins des citoyens européens. Toutefois, ils ont également indiqué qu'une clarté et une prévisibilité accrues étaient nécessaires pour assurer une évolution sans heurts des services sociaux, y compris les services de santé. Si la définition des missions et des objectifs des services sociaux et de santé relève, en principe, de la compétence des États membres, les règles communautaires peuvent néanmoins avoir une incidence sur les instruments de mise en œuvre et de financement de ces services. Une reconnaissance claire de la distinction entre les missions et les instruments devrait favoriser une clarté accrue en vue de la modernisation de ces services dans un contexte marqué par l'évolution des besoins des usagers, tout en préservant leur singularité liée à des exigences particulières, notamment en matière de solidarité, de collaboration bénévole et d'insertion de groupes de personnes vulnérables. La clarification de cette distinction aidera en particulier les États membres qui utilisent des systèmes marchands pour la fourniture des services sociaux et de santé à mesurer à l’avance les effets que pourraient avoir sur ceux-ci le droit de la concurrence de l'Union européenne. Il ressortira bien entendu du choix politique des États membres de recourir à de tels systèmes ou d'assurer les services directement par l'entremise d'organismes d'État financés par l'impôt. La Commission estime qu'il est utile de développer une approche systématique afin d'identifier et de reconnaître

18 Communication de la Commission - Une initiative européenne pour la croissance - Investir dans les réseaux et la connaissance pour soutenir la croissance et l'emploi - Rapport final au Conseil européen, COM(2003) 690 final du 11.11.2003

les particularités des services sociaux et de santé d'intérêt général et de clarifier le cadre dans lequel ils fonctionnent et peuvent être modernisés. Cette approche sera présentée dans une communication sur les services sociaux d'intérêt général, y compris les services de santé, dont l'adoption est prévue dans le courant de l'année 2005. […]

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Document n° 4 : CJCE, 19 mai 1993, Procédure pénale contre Paul Corbeau. 1 Par jugement du 13 novembre 1991, parvenu à la Cour le 11 décembre suivant, le tribunal correctionnel de Liège a posé, en vertu de l’article 177 du traité CEE, quatre questions préjudicielles sur l’interprétation des articles 86 et 90 du traité, en vue d’apprécier la compatibilité avec ces dispositions de la réglementation belge sur le monopole postal.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’une procédure pénale poursuivie devant cette juridiction contre M. Paul Corbeau, commerçant à Liège, prévenu d’avoir contrevenu à la législation belge sur le monopole postal. 3 En Belgique, les lois du 26 décembre 1956 sur le service des postes (Moniteur du 30-31 décembre 1956, p. 8619) et du 6 juillet 1971 portant création de la Régie des postes (Moniteur du 14 août 1971, p. 9510) investissent la Régie des postes, personne morale de droit public, d’un droit exclusif en ce qui concerne la collecte, le transport et la distribution, dans toute l’étendue du Royaume, de toute correspondance, quelle qu’elle soit, et prévoient des sanctions pénales pour toute infraction à ce droit exclusif. 4 Il ressort du dossier de l’affaire au principal transmis à la Cour, des observations écrites déposées ainsi que des débats à l’audience que M. Corbeau fournit, dans le secteur géographique de la ville de Liège et des zones limitrophes, un service consistant dans la collecte du courrier au domicile de l’expéditeur et dans la distribution de ce courrier avant le lendemain à midi, pour autant que les destinataires se situent à l’intérieur du secteur concerné. En ce qui concerne le courrier adressé à des destinataires résidant à l’extérieur de ce secteur, M. Corbeau procède à une collecte de la correspondance au domicile de l’expéditeur et à l’envoi de celle-ci par la poste. 5 Saisi par la Régie des postes, le tribunal correctionnel de Liège a décidé, eu égard à ses doutes sur la compatibilité de la réglementation belge en cause avec le droit communautaire, de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes: a) Dans quelle mesure un monopole postal, tel que celui organisé par la loi belge du 26 décembre 1956 sur le monopole postal, est-il conforme, en l’état actuel du droit communautaire, aux normes du traité de Rome (et notamment aux articles 90, 85 et 86) et aux normes de droit dérivé en vigueur, applicables en la matière? b) Dans quelle mesure un tel monopole doit-il éventuellement être réaménagé afin d’être conforme aux obligations communautaires imposées aux États membres en cette matière, et notamment à l’article 90, paragraphe 1, et aux normes de droit dérivé applicables en la matière?

c) Une entreprise, investie d’un monopole légal et jouissant de droits exclusifs analogues à ceux décrits dans la loi belge du 26 décembre 1956, est-elle soumise aux règles de droit européen de la concurrence (et notamment aux articles 7 et 85 à 90 inclus) en vertu de l’article 90, paragraphe 2, du traité CEE? d) Une telle entreprise jouit-elle d’une position dominante sur une partie substantielle du marché commun, au sens de l’article 86 du traité de Rome, position dominante qui résulterait soit d’un monopole légal, soit des faits particuliers de l’espèce? 6 Pour un plus ample exposé du cadre réglementaire et des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour. 7 Au regard de la situation de fait du litige au principal, les questions préjudicielles doivent être comprises en ce sens que la juridiction nationale cherche, en substance, à savoir si l’article 90 du traité doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une réglementation d’un État membre, qui confère à une entité, telle que la Régie des postes, le droit exclusif de collecter, de transporter et de distribuer le courrier, interdise, sous peine de sanctions pénales, à un opérateur économique établi dans cet État d’offrir certains services spécifiques sur ce marché. 8 Pour répondre à cette question, telle qu’elle a été reformulée, il convient de relever d’abord qu’une entité, telle que la Régie des postes, à laquelle a été accordée l’exclusivité en ce qui concerne la collecte, le transport et la distribution du courrier, doit être considérée comme une entreprise investie par l’État membre concerné de droits exclusifs, au sens de l’article 90, paragraphe 1, du traité. 9 Il convient de rappeler ensuite qu’il est de jurisprudence constante qu’une entreprise qui bénéficie d’un monopole légal sur une partie substantielle du marché commun peut être considérée comme occupant une position dominante au sens de l’article 86 du traité (voir arrêts du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova SpA, point 14, C-179/90, Rec. p. I-5889, et du 13 décembre 1991, RTT, point 17, C-18/88, Rec. p. I-5941). 10 Toutefois l'article 86 ne vise que les comportements anti-concurrentiels qui ont été adoptés par les entreprises de leur propre initiative et non pas les mesures étatiques (voir arrêt RTT, précité, point 26). 11 La Cour a eu l’occasion de préciser à cet égard que si le simple fait, pour un État membre, de créer une position dominante par l’octroi de droits exclusifs n’est pas en tant que tel incompatible avec l’article 86, il n’en demeure pas moins que le traité impose aux États membres de ne pas prendre ou maintenir en

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vigueur des mesures susceptibles d’éliminer l’effet utile de cette disposition (voir arrêt du 18 juin 1991, ERT, point 35, C-260/89, Rec. p. I-2925). 12 C'est ainsi que l’article 90, paragraphe 1, prévoit que les États membres, en ce qui concerne les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire notamment aux règles du traité en matière de concurrence. 13 Cette disposition doit être lue en combinaison avec celle du paragraphe 2 du même article qui prévoit que les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général sont soumises aux règles de concurrence dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. 14 Cette dernière disposition permet ainsi aux États membres de conférer à des entreprises, qu’ils chargent de la gestion de services d’intérêt économique général, des droits exclusifs qui peuvent faire obstacle à l’application des règles du traité sur la concurrence, dans la mesure où des restrictions à la concurrence, voire une exclusion de toute concurrence, de la part d’autres opérateurs économiques, sont nécessaires pour assurer l’accomplissement de la mission particulière qui a été impartie aux entreprises titulaires des droits exclusifs. 15 En ce qui concerne les services en cause dans l'affaire au principal, il ne saurait être contesté que la Régie des postes est chargée d’un service d’intérêt économique général consistant dans l’obligation d’assurer la collecte, le transport et la distribution du courrier, au profit de tous les usagers, sur l’ensemble du territoire de l’État membre concerné, à des tarifs uniformes et à des conditions de qualité similaires, sans égard aux situations particulières et au degré de rentabilité économique de chaque opération individuelle. 16 En conséquence, il s’agit d’examiner dans quelle mesure une restriction à la concurrence, voire l’exclusion de toute concurrence, de la part d’autres opérateurs économiques, est nécessaire pour permettre au titulaire du droit exclusif d’accomplir sa mission d’intérêt général, et en particulier de bénéficier de conditions économiquement acceptables. 17 A l’effet de cet examen, il faut partir de la prémisse que l’obligation, pour le titulaire de cette mission, d’assurer ses services dans des conditions d’équilibre économique présuppose la possibilité d’une compensation entre les secteurs d’activités rentables et des secteurs moins rentables et justifie, dès lors, une limitation de la concurrence, de la part d’entrepreneurs particuliers, au niveau des secteurs économiquement rentables. 18 En effet, autoriser des entrepreneurs particuliers de faire concurrence au titulaire des droits exclusifs dans les secteurs de leur choix correspondant à ces

droits les mettrait en mesure de se concentrer sur les activités économiquement rentables et d’y offrir des tarifs plus avantageux que ceux pratiqués par les titulaires des droits exclusifs, étant donné que, à la différence de ces derniers, ils ne sont pas économiquement tenus d’opérer une compensation entre les pertes réalisées dans les secteurs non rentables et les bénéfices réalisés dans les secteurs plus rentables. 19 L’exclusion de la concurrence ne se justifie cependant pas dès lors que sont en cause des services spécifiques, dissociables du service d’intérêt général, qui répondent à des besoins particuliers d’opérateurs économiques et qui exigent certaines prestations supplémentaires que le service postal traditionnel n’offre pas, telles que la collecte à domicile, une plus grande rapidité ou fiabilité dans la distribution ou encore la possibilité de modifier la destination en cours d’acheminement, et dans la mesure où ces services, de par leur nature et les conditions dans lesquelles ils sont offerts, telles que le secteur géographique dans lequel ils interviennent, ne mettent pas en cause l’équilibre économique du service d’intérêt économique général assumé par le titulaire du droit exclusif. 20 Il appartient à la juridiction de renvoi d'examiner si les services qui sont en cause dans le litige dont elle est saisie répondent à ces critères. 21 Il y a dès lors lieu de répondre aux questions posées par le tribunal correctionnel de Liège que l’article 90 du traité CEE s’oppose à ce qu’une réglementation d’un État membre qui confère à une entité telle que la Régie des postes le droit exclusif de collecter, de transporter et de distribuer le courrier interdise, sous peine de sanctions pénales, à un opérateur économique établi dans cet État d’offrir certains services spécifiques, dissociables du service d’intérêt général, qui répondent à des besoins particuliers des opérateurs économiques et qui exigent certaines prestations supplémentaires que le service postal traditionnel n’offre pas, dans la mesure où ces services ne mettent pas en cause l’équilibre économique du service d’intérêt économique général assumé par le titulaire du droit exclusif. Il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner si les services qui sont en cause dans le litige dont elle est saisie répondent à ces critères. Sur les dépens 22 Les frais exposés par les gouvernements espagnol, britannique et irlandais et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Par ces motifs, LA COUR,

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statuant sur les questions à elle soumises par le tribunal correctionnel de Liège, par jugement du 13 novembre 1991, dit pour droit: L’article 90 du traité CEE s’oppose à ce qu’une réglementation d’un État membre qui confère à une entité telle que la Régie des postes le droit exclusif de collecter, de transporter et de distribuer le courrier interdise, sous peine de sanctions pénales, à un opérateur économique établi dans cet État d’offrir certains services spécifiques, dissociables du service

d’intérêt général, qui répondent à des besoins particuliers des opérateurs économiques et qui exigent certaines prestations supplémentaires que le service postal traditionnel n’offre pas, dans la mesure où ces services ne mettent pas en cause l’équilibre économique du service d’intérêt économique général assumé par le titulaire du droit exclusif. Il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner si les services qui sont en cause dans le litige dont elle est saisie répondent à ces critères.

Document n° 5 : C.E., Sect., avis du 8 novembre 2000, Société Jean-Louis Bernard

Consultants Vu la requête, enregistrée le 23 juin 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le jugement du 18 avril 2000 par lequel le tribunal administratif de Dijon, avant de statuer sur la demande de la SOCIETE JEAN-LOUIS BERNARD CONSULTANTS tendant à ce que soit annulée, d’une part, la décision du 4 décembre 1998 du président du District de l’agglomération dijonnaise rejetant son offre pour l’attribution du marché relatif au renouvellement du système d’information géographique du district, d’autre part, la décision du président du District de l’agglomération dijonnaise attribuant ledit marché à l’Institut géographique national et condamne le District de l’agglomération dijonnaise à lui verser la somme de 15 000 F au titre de l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, a décidé, par application des dispositions de l’article 12 de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d’Etat, en soumettant à son examen la question suivante :

Le principe de liberté de la concurrence qui découle de l’ordonnance du 1er décembre 1986 fait-il obstacle à ce qu’un marché soit attribué à un établissement public administratif qui, du fait de son statut, n’est pas soumis aux mêmes obligations fiscales et sociales que ses concurrents ?

Vu les autres pièces du dossier ; Vu le code des marchés publics ; Vu l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; Vu le code général des impôts ; Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987, et notamment son article 12 ; Vu les articles 57-11 à 57-13 ajoutés au décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 modifié par le décret n° 88-905 du 2 septembre 1988 ; Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ; Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ; (…)

1°) Aucun texte ni aucun principe n’interdit, en raison de sa nature, à une personne publique, de se porter candidate à l’attribution d’un marché public ou d’un contrat de délégation de service public. Aussi la personne qui envisage de conclure un contrat dont la passation est soumise à des obligations de publicité et de mise en concurrence, ne peut elle refuser par principe d’admettre à concourir une personne publique.

2°) Aux termes de l’article 1654 du code général des impôts : "Les établissements publics, les exploitations industrielles ou commerciales de l’Etat ou des collectivités locales, les entreprises concessionnaires ou subventionnées, les entreprises bénéficiant de statuts, de privilèges, d’avances directes ou indirectes ou de garanties accordées par l’Etat ou les collectivités locales, les entreprises dans lesquelles l’Etat ou les collectivités locales ont des participations, les organismes ou groupements

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de répartition, de distribution ou de coordination, créés sur l’ordre ou avec le concours ou sous le contrôle de l’Etat ou des collectivités locales doivent - sous réserve des dispositions des articles 133, 207, 208, 1040, 1382, 1394 et 1449 à 1463 - acquitter, dans les conditions de droit commun, les impôts et taxes de toute nature auxquels seraient assujetties des entreprises privées effectuant les mêmes opérations".

Il résulte de ces dispositions ainsi que de celles de l’article 256 B du code général des impôts que les établissements publics, lorsqu’ils exercent une activité susceptible d’entrer en concurrence avec celle d’entreprises privées, et notamment lorsqu’ils l’exercent en exécution d’un contrat dont la passation était soumise à des obligations de publicité et de mise en concurrence, sont tenus à des obligations fiscales comparables à celles auxquelles sont soumises ces entreprises privées. Le régime fiscal applicable aux personnes publiques n’est donc pas, par lui-même, de nature à fausser les conditions dans lesquelles s’exerce la concurrence.

3°) Les agents des établissements publics administratifs qui, lorsqu’ils sont, comme c’est le cas en principe, des agents publics, sont soumis, en ce qui concerne le droit du travail et de la sécurité sociale, à une législation pour partie différente de celle applicable aux salariés de droit privé. Toutefois les différences qui existent en cette matière n’ont ni pour objet ni pour effet deplacer les établissements publics administratifs dans une situation nécessairement plus avantageuse que celle dans laquelle se trouvent les entreprises privées et ne sont donc pas de nature à fausser la concurrence entre ces établissements et ces entreprises lors de l’obtention d’un marché public ou d’une délégation de service public.

4°) Pour que soient respectés tant les exigences de l’égal accès aux marchés publics que le principe de liberté de la concurrence qui découle notamment de l’ordonnance du 1er décembre 1986, l’attribution d’un marché public ou d’une délégation de service public à un établissement administratif suppose, d’une part, que le prix proposé par cet établissement public administratif soit déterminé en prenant en compte l’ensemble des coûts directs et indirects concourant à la formation du prix de la prestation objet du contrat, d’autre part, que cet établissement public n’ait pas bénéficié, pour déterminer le prix qu’il a proposé, d’un avantage découlant des ressources ou des moyens qui lui sont attribués au titre de sa mission de service public et enfin qu’il puisse, si nécessaire, en justifier par ses documents comptables ou tout autre moyen d’information approprié.

Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Dijon, à la SOCIETE JEAN-LOUIS BERNARD CONSULTANTS, au District de l’agglomération dijonnaise et à l’Institut géographique national. Il sera également publié au Journal officiel de la République française. Document n° 6 : CJCE, 25 octobre 2001, Firma Ambulanz Glöckner contre Landkreis

Südwestpfalz.

[…]

Le litige au principal

11. Ambulanz Glöckner a obtenu en 1990, soit avant l’entrée en vigueur du RettDG 1991 et donc sous l’empire de la législation fédérale antérieure, une autorisation de fournir des services de transport de malades, expirant en octobre 1994.

12. En juillet 1994, elle a sollicité le renouvellement de son autorisation auprès du Landkreis qui a alors invité les deux organisations sanitaires chargées de la gestion du service public d’aide médicale d’urgence dans le secteur de Pirmasens, à savoir l’ASB et la DRK, à faire connaître leur avis sur les effets que pourrait avoir l’autorisation sollicitée.

13. Les deux organisations ont fait savoir au Landkreis que leurs propres installations d’aide d’urgence dans la zone considérée n’étaient pas pleinement exploitées et qu’elles fonctionnaient à perte, de telle sorte que l’arrivée d’un nouveau prestataire les obligerait soit à augmenter les contributions des utilisateurs, soit à réduire leurs prestations. Le Landkreis a par conséquent refusé de renouveler l’autorisation dont bénéficiait Ambulanz Glöckner, sur le fondement de l’article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991, en faisant valoir que, dans le secteur concerné, le service d’aide médicale d’urgence n’avait fonctionné qu’à 26 % de sa capacité en 1993.

14. Après le rejet de sa réclamation, Ambulanz Glöckner a introduit un recours devant le Verwaltungsgericht Neustadt

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(Allemagne) qui, par jugement du 28 janvier 1998, a ordonné au Landkreis de délivrer l’autorisation sollicitée. Ladite juridiction a, pour l’essentiel, considéré qu’il convenait d’interpréter l’article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 en ce sens que le législateur du Land entend en principe permettre que des entreprises privées soient autorisées à effectuer des transports de malades en dehors du service public d’aide médicale d’urgence, même si cela entraîne une augmentation des coûts. Ambulanz Glöckner ayant effectué des transports de malades pendant plus de sept ans, il est évident, selon la juridiction nationale, que son activité n’était pas préjudiciable à l’existence ni au fonctionnement du service d’aide médicale d’urgence.

15. Le Landkreis a interjeté appel de ce jugement devant l’Oberverwaltungsgericht Rheinland-Pfalz.

16. Dans sa décision de renvoi, cette juridiction se demande si les conditions prévues à l’article 90, paragraphe 1, du traité pour l’octroi à des entreprises de droits spéciaux ou exclusifs sont remplies. Elle relève que les organisations sanitaires doivent être considérées comme des entreprises investies de droits exclusifs ou spéciaux au sens de cette disposition, en raison de la mission de transport médical d’urgence qui leur est confiée. L’attribution supplémentaire du marché des prestations de transport de malades, en 1991, constituerait également une «mesure» au sens dudit article 90, paragraphe 1. Or, selon la juridiction de renvoi, des raisons liées à la poursuite d’une mission d’intérêt économique général au sens de l’article 90, paragraphe 2, du traité ne justifieraient pas l’exclusion de la concurrence pour les prestations de transport de malades. Cette interprétation ressortirait du fait que celles-ci ont été régies par la libre concurrence jusqu’au 30 juin 1991, sans que la population ait été confrontée à quelque problème que ce soit concernant la fourniture de telles prestations.

17. Compte tenu de ce qui précède, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

« La concession d’un monopole en matière de prestations de transport de malades pour une zone géographique limitée est-elle compatible avec l’article 86, paragraphe 1, CE et les articles 81 et 82 CE ? »

Sur l’applicabilité de l’article 90, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 86, paragraphe 1, CE)

18. Avant d’examiner la question préjudicielle, il convient de vérifier si l’article 90, paragraphe 1, du traité est applicable aux organisations sanitaires, telles que celles en cause dans l’affaire au principal, auxquelles les autorités publiques compétentes ont délégué le service d’aide médicale d’urgence, et ce, au regard de la protection particulière qui leur est accordée par l’article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991. Cette dernière question revient à se demander, d’une part, si ces organisations sanitaires constituent des entreprises et, d’autre part, si elles sont titulaires de droits spéciaux ou exclusifs.

19. À cet égard, en premier lieu, il convient de rappeler que, dans le contexte du droit de la concurrence, la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (voir arrêt du 12 septembre 2000, Pavlov e.a., C-180/98 à C-184/98, Rec. p. I-6451, point 74) et que constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné (arrêt Pavlov e.a., précité, point 75).

20. Dans l’affaire au principal, les organisations sanitaires fournissent des services, moyennant rétribution des utilisateurs, sur le marché du transport d’urgence et du transport de malades. De telles activités n’ont pas toujours été et ne sont pas nécessairement exercées par de telles organisations ou par des autorités publiques. Il ressort ainsi du dossier que, dans le passé, Ambulanz Glöckner a elle-même fourni ces deux types de services. La fourniture de tels services constitue donc une activité économique aux fins d’application des règles de concurrence prévues par le traité.

21. Certes, des obligations de service public peuvent rendre les services fournis par une organisation sanitaire donnée moins compétitifs que des services comparables effectués par d’autres opérateurs non liés par de telles obligations, mais cette circonstance ne saurait empêcher que les activités en cause soient considérées comme des activités économiques.

22. Il s’ensuit que, en ce qui concerne la fourniture de services de transport d’urgence et de transport de malades, des entités telles que les organisations sanitaires doivent être qualifiées d’entreprises au sens des règles de concurrence prévues par le traité.

23. En second lieu, il convient de constater que, en vertu de l’article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991, l’autorisation nécessaire pour fournir des services de transport en ambulance peut être refusée par l’autorité compétente lorsque son utilisation est susceptible d’avoir des effets négatifs sur le fonctionnement et la rentabilité du service d’aide médicale d’urgence, dont la gestion a été confiée à des organisations sanitaires.

24. Le fait, dans cette dernière hypothèse, de réserver aux organisations sanitaires, en charge du service d’aide médicale d’urgence, les services de transport de malades suffit à qualifier cette mesure de droit exclusif ou spécial au sens de l’article 90, paragraphe 1, du traité. En effet, une protection est conférée par la voie d’une mesure législative à un nombre limité d’entreprises et elle est de nature à affecter substantiellement la capacité des autres entreprises à exercer l’activité économique en cause sur le même territoire, dans des conditions substantiellement équivalentes.

25. En conséquence, il y a lieu de considérer que l’article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 a conféré aux organisations sanitaires un droit spécial ou exclusif au sens de l’article 90, paragraphe 1, du traité.

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Document n° 7 : Communication de la Commission du 17 octobre 2001 concernant l’application aux services publics de radiodiffusion des règles relatives aux aides d’État.

1. INTRODUCTION ET CHAMP D’APPLICATION DE LA COMMUNICATION

1. Ces vingt dernières années, le secteur de la radiodiffusion a subi de profondes mutations. La suppression des monopoles, l’apparition de nouveaux opérateurs et la rapidité du progrès technique ont fondamentalement modifié le contexte concurrentiel. La radiodiffusion télévisuelle était traditionnellement une activité réservée. Depuis ses débuts, cette activité a été dans la plupart des cas exercée par des entreprises publiques sous un régime de monopole, en raison, principalement, du nombre limité de fréquences de radiodiffusion disponibles et des importants obstacles à l’entrée.

2. Dans les années soixante-dix, cependant, l’évolution économique et technique a, dans une mesure de plus en plus large, permis aux États membres d’autoriser d’autres opérateurs à émettre. Les États membres ont ainsi décidé d’ouvrir le marché à la concurrence, ce qui a permis aux consommateurs de bénéficier d’un choix plus large, et notamment d’un plus grand nombre de chaînes et de nouveaux services, qui ont, d’une part, favorisé l’apparition et la croissance d’opérateurs européens importants et la mise au point de techniques nouvelles, et, d’autre part, instauré davantage de pluralisme dans le secteur. Tout en ouvrant le marché à la concurrence, les États membres ont estimé qu’il fallait maintenir des services publics de radiodiffusion afin de garantir la couverture d’un certain nombre de domaines et la satisfaction de besoins que les opérateurs privés n’auraient pas nécessairement couverts de façon optimale.

3. Cette concurrence accrue, ainsi que la présence d’opérateurs financés par l’État, ont donné lieu à des préoccupations croissantes concernant l’égalité de traitement, préoccupations dont des opérateurs privés se sont faits l’écho auprès de la Commission. La grande majorité des plaintes portent sur de prétendues violations de l’article 87 du traité CE en liaison avec les régimes de financement public créés en faveur des organismes publics de radiodiffusion.

4. La présente communication énonce les principes auxquels se conformera la Commission dans son application des articles 87 et 86, paragraphe 2, du traité CE au financement des organismes publics de radiodiffusion par l’État. Le respect de ces principes rendra la politique de la Commission dans ce domaine aussi transparente que possible.

2. RÔLE DES ORGANISMES PUBLICS DE RADIODIFFUSION

5. Comme la Commission l’a précisé dans sa récente communication sur les services d’intérêt général en Europe: "La radio et la télévision jouent un rôle central dans le fonctionnement des démocraties modernes,

notamment en ce qui concerne le développement et la transmission des valeurs sociales. C’est la raison pour laquelle le secteur de la radiodiffusion a, depuis qu’il existe, fait l’objet d’une réglementation spécifique, dans l’intérêt général. Cette réglementation était basée sur des valeurs communes, telles que la liberté d’expression, le droit de réponse, le pluralisme, la protection des droits d’auteur, la promotion de la diversité culturelle et linguistique, la protection des mineurs et de la dignité humaine ainsi que la protection des consommateurs"19.

6. Le service public de radiodiffusion, bien qu’il ait indéniablement une importance économique, n’est pas comparable au service public tel qu’il s’exerce dans les autres secteurs économiques. Il n’existe pas d’autre service qui, simultanément, dispose d’un accès aussi large à la population, lui fournit une grande quantité d’informations et de contenus et qui, ce faisant, relaie et influence les opinions individuelles et l’opinion publique.

7. Comme l’a dit le groupe de réflexion à haut niveau sur la politique audiovisuelle présidé par le commissaire de l’époque, M. Oreja, la radiodiffusion de service public "a un rôle important à jouer pour promouvoir la diversité des cultures de chaque État, pour offrir des programmes éducatifs et des programmes de découverte, pour informer de manière objective l’opinion publique des événements et des débats en cours, pour assurer le pluralisme, et pour fournir de manière démocratique et gratuite un divertissement de qualité"20.

8. De plus, la radiodiffusion est généralement perçue comme une source d’information fiable et représente la principale source d’information d’une partie non négligeable de la population. Elle enrichit ainsi le débat public et, en fin de compte, garantit à tous les citoyens un degré équitable de participation à la vie publique.

9. Le rôle du service public21 en général est consacré par le traité, dont la principale disposition en la matière est l’article 86, paragraphe 2, libellé en ces termes: "Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de la Communauté.". 19 COM(2000) 580 final, p. 38. 20 "L’ère numérique et la politique audiovisuelle européenne. Rapport du groupe de réflexion à haut niveau sur la politique audiovisuelle", 1998. 21 Aux fins de la présente communication, et en conformité avec l’article 16 du traité CE et la déclaration (n° 13) annexée à l’acte final d’Amsterdam, l’expression "service public" telle qu’utilisée dans le protocole est réputée renvoyer à l’expression "services d’intérêt économique général" utilisée à l’article 86, paragraphe 2, du traité.

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10. Cette disposition est confirmée par l’article 16 sur les services d’intérêt économique général, introduit par le traité d’Amsterdam et entré en vigueur le 1er mai 1999, qui dispose ce qui suit: "Sans préjudice des articles 73, 86 et 87, et eu égard à la place qu’occupent les services d’intérêt économique général parmi les valeurs communes de l’Union ainsi qu’au rôle qu’ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l’Union, la Communauté et ses États membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites du champ d’application du présent traité, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions qui leur permettent d’accomplir leurs missions.".

11. L’interprétation de ces principes au regard des caractéristiques particulières du secteur de la radiodiffusion est soulignée dans le protocole interprétatif sur le système de radiodiffusion publique dans les États membres (ci-après dénommé "le protocole"), qui, après avoir tenu compte du fait "que la radiodiffusion de service public dans les États membres est directement liée aux besoins démocratiques, sociaux et culturels de chaque société ainsi qu’à la nécessité de préserver le pluralisme dans les médias", stipule que: "Les dispositions du traité instituant la Communauté européenne sont sans préjudice de la compétence des États membres de pourvoir au financement du service public de radiodiffusion dans la mesure où ce financement est accordé aux organismes de radiodiffusion aux fins de l’accomplissement de la mission de service public telle qu’elle a été conférée, définie et organisée par chaque État membre et dans la mesure où ce financement n’altère pas les conditions des échanges et de la concurrence dans la Communauté dans une mesure qui serait contraire à l’intérêt commun, étant entendu que la réalisation du mandat de ce service public doit être prise en compte.".

12. L’importance de la radiodiffusion de service public pour la vie sociale, démocratique et culturelle dans l’Union européenne a également été réaffirmée dans la résolution du Conseil et des représentants des gouvernements des États membres, réunis au sein du Conseil, du 25 janvier 1999, concernant le service public de radiodiffusion (ci-après dénommé "la résolution"). Comme le souligne la résolution, "L’accès étendu du public, sans discrimination et sur la base de l’égalité de traitement, à diverses chaînes et divers services constitue une condition préalable nécessaire si l’on veut satisfaire à l’obligation particulière qui incombe au service public de radiodiffusion". De plus, le service public de radiodiffusion doit "bénéficier des avancées technologiques", apporter "au public les avantages des nouveaux services audiovisuels et services d’information ainsi que des nouvelles technologies" et s’engager en faveur "du développement et de la diversification des activités à l’ère du numérique". Enfin, "Le service public de radiodiffusion doit être en mesure de continuer à proposer un large éventail de programmes, conformément à sa mission telle que définie par les États

membres, afin de s’adresser à la société dans son ensemble; dans ce contexte, il est légitime que le service public de radiodiffusion s’efforce de toucher un large public"22.

13. Compte tenu de ces caractéristiques propres au secteur de la radiodiffusion, une mission de service public couvrant "un large éventail de programmes, conformément à sa mission", ainsi que l’affirme la résolution, peut en principe être considérée comme légitime, en ce qu’elle vise à établir une programmation équilibrée et variée apte à conserver aux organismes publics de radiodiffusion un certain taux d’audience, et à assurer ainsi l’accomplissement de leur mission, à savoir satisfaire les besoins démocratiques, sociaux et culturels de la société et garantir le pluralisme.

14. Il convient de noter que les opérateurs privés, dont un certain nombre sont également soumis à des obligations de service public, participent eux aussi à la réalisation des objectifs du protocole, dans la mesure où ils contribuent à assurer le pluralisme, enrichissent le débat culturel et politique et élargissent le choix de programmes.

3. CONTEXTE JURIDIQUE

15. L’application à la radiodiffusion de service public des règles relatives aux aides d’État suppose de prendre en considération un grand nombre d’éléments différents. Dans le traité CE, les articles 87 et 88 portent sur les aides d’État, et l’article 86, paragraphe 2, sur l’application des dispositions du traité et, en particulier, des règles de concurrence aux services d’intérêt économique général. Alors que le traité d’Amsterdam a introduit un article (l’article 16) spécialement consacré aux services d’intérêt économique général et un protocole interprétatif sur le système de radiodiffusion publique, le traité de Maastricht avait déjà introduit un article définissant le rôle de la Communauté dans le domaine de la culture (l’article 151) et une clause de compatibilité éventuelle des aides d’État destinées à promouvoir la culture (à l’article 87, paragraphe 3, point d). Le Parlement européen et le Conseil ont adopté une directive visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle23. La Commission a adopté la directive 80/723/CEE du 25 juin 1980 relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques ainsi qu’à la transparence financière dans certaines entreprises24. Ces règles sont interprétées par la jurisprudence de la Cour de justice et du Tribunal de première instance. De même, la Commission a adopté la communication sur les services d’intérêt général en Europe mentionnée au point 5 et plusieurs

22 JO C 30 du 5.2.1999, p. 1. 23 JO L 298 du 17.10.1989, p. 23. Directive modifiée par la directive 97/36/CE (JO L 202 du 30.7.1997, p. 60). 24 JO L 195 du 29.7.1980, p. 35. Directive modifiée en dernier lieu par la directive 2000/52/CE (JO L 193 du 29.7.2000, p. 75).

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communications sur l’application des règles relatives aux aides d’État. 4. APPLICABILITÉ DE L'ARTICLE 87, PARAGRAPHE 1, DU TRAITÉ

4.1. Caractère d'aide d'État du financement public des organismes publics de radiodiffusion

16. L'article 87, paragraphe 1, du traité dispose que: "Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions."

17. Seul l'effet, et non l'objet, de l'intervention publique est déterminant pour juger de son caractère d'aide d'État au sens de l'article 87, paragraphe 1, du traité. Le financement public d'organismes publics de radiodiffusion doit généralement être considéré comme une aide d'État, dans la mesure où il répond aux critères énumérés ci-dessus. Ces organismes sont habituellement financés sur le budget de l'État ou par une redevance qui frappe les détenteurs de téléviseurs. Dans certains cas, l'État effectue des apports de capital ou des remises de dettes en faveur d'organismes publics de radiodiffusion. Ces mesures financières émanent normalement des pouvoirs publics et entraînent le transfert de ressources d'État. De plus, si elles ne respectent pas le critère de l'investisseur en économie de marché, conformément à l' "application des articles 92 et 93 du traité CE aux prises de participation publiques"25 et à la communication de la Commission aux États membres "application des articles 92 et 93 du traité CE et de l'article 5 de la directive 80/723/CEE de la Commission aux entreprises publiques du secteur manufacturier"26, elles ne favorisent en général que certains radiodiffuseurs et peuvent donc fausser la concurrence. Bien évidemment, l'existence d'aides d'État devra être déterminée cas par cas, en tenant notamment compte des caractéristiques spécifiques du financement27.

[…]

6. APPRÉCIATION DE LA COMPATIBILITÉ DES AIDES D’ÉTAT EN VERTU DE L’ARTICLE 86, PARAGRAPHE 2, DU TRAITÉ

28. La Commission a pleinement reconnu, dans sa communication sur les services d’intérêt économique général en Europe, l’importance de ces services pour atteindre les objectifs fondamentaux de l’Union européenne.

25 Bulletin des CE 9-1984. 26 JO C 307 du 13.11.1993, p. 3. 27 Aide NN 88/98 "Financement d'une chaîne d'information diffusant 24 heures sur 24 par la BBC, sans publicité, avec redevance" (JO C 78 du 18.3.2000, p. 6) et aide NN 70/98, "Aide d'État en faveur des chaînes publiques de radiodiffusion 'Kinderkanal' et 'Phoenix'" (JO C 238 du 21.8.1999, p. 3).

29. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, l’article 86 du traité constitue une disposition dérogatoire qui doit être interprétée de manière restrictive. La Cour a précisé que, pour qu’une mesure puisse bénéficier d’une dérogation, il est nécessaire que les conditions suivantes soient toutes réunies: i) le service en question doit être un service d’intérêt économique général et être clairement défini en tant que tel par l’État membre (définition) ; ii) l’entreprise concernée doit être explicitement chargée par l’État membre de la fourniture dudit service (mandat) ; iii) l’application des règles de concurrence du traité (en l’espèce, l’interdiction des aides d’État) doit faire échec à l’accomplissement de la mission particulière impartie à l’entreprise et la dérogation ne doit pas affecter le développement des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt de la Communauté (critère de proportionnalité).

30. C’est à la Commission, en tant que gardienne du traité, qu’il appartient d’apprécier le respect de ces critères.

31. Dans le cas particulier de la radiodiffusion de service public, l’approche visée ci-dessus doit être adaptée en fonction des dispositions interprétatives du protocole, qui parle de "la mission de service public telle qu’elle a été conférée, définie et organisée par chaque État membre" (définition et mandat) et prévoit une dérogation aux règles du traité pour le financement du service public de radiodiffusion "dans la mesure où ce financement est accordé aux organismes de radiodiffusion au sein de l’accomplissement de la mission de service public ... et ... n’altère pas les conditions des échanges et de la concurrence dans la Communauté dans une mesure qui serait contraire à l’intérêt commun, étant entendu que la réalisation du mandat de ce service public doit être prise en compte" (proportionnalité).

6.1. Définition de la mission de service public

32. Afin que la condition d’application de l’article 86, paragraphe 2, mentionnée au point 29 i) soit remplie, il est nécessaire de donner une définition officielle du mandat de service public. Ce n’est que lorsqu’elle pourra s’appuyer sur une définition officielle que la Commission pourra apprécier si la dérogation prévue à l’article 86, paragraphe 2, du traité est applicable à ses décisions avec une certitude juridique suffisante.

33. La définition de la mission de service public incombe aux États membres, qui peuvent prendre des décisions en la matière au niveau national, régional ou local. En général, ils doivent tenir compte pour cela du concept communautaire de "services d’intérêt économique général". Toutefois, compte tenu du caractère particulier du secteur de la radiodiffusion, une définition "large" confiant à un organisme de radiodiffusion donné la mission de fournir une programmation équilibrée et variée en application de son mandat tout en conservant un certain taux d’audience peut être considérée, compte tenu des dispositions interprétatives du protocole, comme légitime au regard de l’article 86, paragraphe 2, du traité

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en ce qu’elle viserait à la fois à assurer la satisfaction des besoins démocratiques, sociaux et culturels de la société et à garantir le pluralisme, y compris la diversité culturelle et linguistique.

34. De même, la mission de service public peut englober certains services qui ne sont pas des "programmes" au sens traditionnel du terme, par exemple des services d’information en ligne, dans la mesure où ils visent à satisfaire - compte tenu également du développement et de la diversification des activités de l’ère numérique - les mêmes besoins démocratiques, sociaux et culturels de la société.

35. À chaque fois que la portée de la mission de service public sera élargie pour couvrir de nouveaux services, la définition et le mandat devront être modifiés en conséquence dans les limites de l’article 86, paragraphe 2, du traité.

36. Il appartient à la Commission de vérifier si les États membres respectent ou non les dispositions du traité28. En ce qui concerne la définition du service public dans le secteur de la radiodiffusion, le rôle de la Commission se limite à contrôler s’il y a ou non erreur manifeste. Il ne lui appartient pas de décider si un programme doit être diffusé en tant que service d’intérêt économique général ni de remettre en cause la nature ou la qualité d’un produit donné. Toutefois, il y aurait erreur manifeste dans la définition de la mission de service public si celle-ci comprenait des activités dont on ne pourrait pas raisonnablement considérer qu’elles satisfont - pour reprendre les termes du protocole - les "besoins démocratiques, sociaux et culturels de chaque société". Ce serait par exemple le cas pour le commerce électronique. À cet égard, il convient de rappeler que la mission de service public décrit les services proposés au public dans l’intérêt général. La question de la définition de la mission de service public ne doit pas être confondue avec celle du mécanisme de financement choisi pour fournir ces services. C’est pourquoi, si les organismes publics de radiodiffusion peuvent exercer des activités commerciales telles que la vente d’espaces publicitaires pour se procurer des revenus, de telles activités ne peuvent normalement pas être considérées comme faisant partie intégrante de la mission de service public.

37. La définition du mandat de service public devrait être aussi précise que possible. Elle ne devrait laisser aucun doute sur le fait de savoir si l’État membre entend ou non inclure dans la mission de service public une activité donnée exercée par l’organisme de radiodiffusion choisi. Sans une définition claire et précise des obligations imposées à l’organisme public de radiodiffusion, la Commission n’aurait pas la possibilité de remplir les tâches lui incombant en vertu de l’article 86, paragraphe 2, du traité et ne pourrait donc accorder aucune exemption au titre de cet article.

28 Affaire C-179/90, Merci convenzionali porto di Genova SpA contre Siderurgica Gabrielli SpA, Rec. 1991, p. I-5889.

38. Pour que les organismes publics de radiodiffusion puissent planifier leurs activités, il est donc indispensable que les activités faisant partie de la mission de service public soient clairement définies.

[…]

6.3. Financement du service public de radiodiffusion et critère de proportionnalité

6.3.1. Choix du financement

44. Les missions de service public peuvent être soit quantitatives, soit qualitatives, ou les deux. Quelle que soit leur forme, elles peuvent justifier une compensation pour autant qu’elles impliquent des coûts supplémentaires que le radiodiffuseur de service public n’aurait normalement pas à supporter.

45. Les systèmes de financement peuvent être divisés en deux grandes catégories: "le financement unique" et "le financement mixte". Le "financement unique" comprend les systèmes dans le cadre desquels les organismes publics de radiodiffusion sont financés par une seule grande source de fonds publics, sous quelque forme que ce soit. Les systèmes de "financement mixte" recouvrent de nombreux mécanismes dans le cadre desquels les radiodiffuseurs publics sont financés dans des proportions variables par des ressources d’État et par des recettes provenant d’activités commerciales telles que la vente d’espaces publicitaires ou de programmes.

46. Ainsi qu’il est dit dans le protocole: "Les dispositions du traité sont sans préjudice de la compétence des États membres de pourvoir au financement du service public de radiodiffusion ...". La communication de la Commission sur les services d’intérêt général en Europe, mentionnée au point 5, précise quant à elle que: "Le choix du régime de financement est de la compétence de l’État membre concerné, et il n’y a aucune objection de principe à ce qu’il opte pour un régime double (c’est-à-dire associant des ressources publiques et des recettes publicitaires) plutôt que pour un régime unique (c’est-à-dire comprenant uniquement des ressources publiques), tant que cela n’affecte pas la concurrence sur les marchés en cause (par exemple ceux de la publicité et de l’acquisition et/ou de la vente de programmes) dans une mesure contraire à l’intérêt commun"29.

47. Si les États membres sont libres de choisir les moyens de financement du service public de radiodiffusion, c’est à la Commission qu’il appartient de vérifier, conformément à l’article 86, paragraphe 2, du traité qu’une dérogation à l’application normale des règles de concurrence pour la réalisation d’un service d’intérêt économique général n’affecte pas la concurrence dans le marché commun de façon disproportionnée. Ce test est de nature "négative": il permet de vérifier si la mesure adoptée n’est pas disproportionnée. De même, les aides ne doivent pas affecter le développement des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt de la Communauté.

29 Voir note 1 de bas de page, p. 39.

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48. Le protocole confirme cette approche également pour le service public de radiodiffusion, puisqu’il dispose que le financement ne doit pas "altérer les conditions des échanges et de la concurrence dans la Communauté dans

une mesure qui serait contraire à l’intérêt commun, étant entendu que la réalisation du mandat de ce service public doit être prise en compte".

Document n° 8 : Communication de la Commission, 26 avril 2006, Mettre en œuvre le programme communautaire de Lisbonne Les services sociaux d'intérêt général dans l'Union européenne, COM(2006) 177 final […] La modernisation des services sociaux se trouve au cœur des enjeux européens d'actualité: d'un côté ces services accomplissent une mission fondamentale de cohésion sociale; de l'autre leur transformation et leur potentiel d'emploi en font une partie intégrante de la stratégie de Lisbonne. Les conclusions du Conseil européen de mars 2006 l'ont confirmé en réitérant qu'il faut rendre le marché intérieur des services pleinement opérationnel tout en préservant le modèle social européen. La présente communication fait suite au Livre blanc sur les services d'intérêt général[1] qui annonçait une « approche systématique afin d'identifier et de reconnaître les particularités des services sociaux et de santé d'intérêt général et de clarifier le cadre dans lequel ils fonctionnent et peuvent être modernisés », annonce réitérée dans l'Agenda Social[2] et le programme communautaire de Lisbonne[3]. Suite au vote du Parlement Européen en première lecture de la proposition de directive sur les services dans le marché intérieur, le 16 février 2006, la Commission a exclu les services de soins de santé du champ d'application de sa proposition modifiée[4]. Elle s'est engagée à présenter une initiative spécifique et a entamé une réflexion à cet égard[5]. En conséquence, la présente communication ne traite-t-elle pas de ces services. Dans sa proposition modifiée de directive sur les services dans le marché intérieur, la Commission a également exclu du champ d'application de la directive « les services sociaux relatifs au logement social, à la garde d'enfants et à l'aide aux familles et aux personnes dans le besoin » . Il appartient

maintenant au législateur européen de finaliser le processus législatif. Cette communication se situe dans le contexte de la responsabilité partagée de la Communauté et des États membres à l'égard des services d'intérêt économique général, établie par l'article 16 du traité CE. Elle est le fruit d'une étroite consultation[6] avec les États membres et les organisations de la société civile, qui a permis à la Commission de faire un premier recensement des enjeux et des questions qui se posent. La Commission tient à poursuivre ce processus ouvert de consultation et de réflexion tout au long des étapes ultérieures annoncées par la présente communication. Il convient de rappeler comment le cadre communautaire existant respecte le principe de subsidiarité. Les États membres sont libres de définir ce qu'ils entendent par services d'intérêt économique général, ou en particulier par services sociaux d'intérêt général. Au sein des États membres ce sont les pouvoirs publics, à l'échelon approprié, qui définissent les obligations et les missions d'intérêt général de ces services ainsi que leurs principes d'organisation. En revanche, le cadre communautaire exige que les États membres prennent en compte certaines règles lorsqu'ils déterminent les modalités d'application des objectifs et des principes qu'ils ont fixés. La présente communication constitue une étape supplémentaire dans la prise en compte des spécificités des services sociaux au niveau européen et une clarification, dans la mesure où ils sont couverts, des règles communautaires applicables à ces services.

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I – LES SERVICES SOCIAUX, PILIERS DE LA SOCIÉTÉ ET DE L'ÉCONOMIE EUROPÉENNES 1.1. Les services sociaux dans l'Union européenne Qu'entend-on par services sociaux dans l'Union européenne? Au-delà des services de santé proprement dits, qui ne sont pas couverts par cette communication, ils peuvent se rattacher à l'un des deux grands groupes suivants : - les régimes légaux et les régimes complémentaires de protection sociale, sous leurs diverses formes d'organisation (mutualistes ou professionnelles), couvrant les risques fondamentaux de la vie, tels que ceux liés à la santé, la vieillesse, les accidents du travail, le chômage, la retraite, le handicap; - les autres services essentiels prestés directement à la personne. Ces services jouant un rôle de prévention et de cohésion sociale, ils apportent une aide personnalisée pour faciliter l'inclusion des personnes dans la société et garantir l'accomplissement de leurs droits fondamentaux. Ils englobent en premier lieu l'aide aux personnes dans la maîtrise des défis immédiats de la vie ou des crises (telles que l'endettement, le chômage, la toxicomanie, la rupture familiale). Deuxièmement, ils contiennent les activités visant à assurer que les personnes concernées ont les compétences nécessaires à leur insertion complète dans la société (réhabilitation, formation linguistique pour les immigrés) et notamment sur le marché du travail (formation, réinsertion professionnelle). Ces services complètent et soutiennent le rôle des familles dans les soins apportés notamment aux plus jeunes et aux plus âgés. Troisièmement, font partie de ces services les activités visant à assurer l'inclusion des personnes ayant des besoins à long terme liés à un handicap ou un problème de santé. Quatrièmement, est également inclus le logement social, qui procure un logement aux personnes défavorisées ou aux groupes sociaux moins avantagés. Certains services peuvent évidemment englober chacune de ces quatre dimensions[7].

Si les services sociaux, d'après le droit communautaire applicable en la matière, ne constituent pas une catégorie juridique distincte au sein des services d'intérêt général, cette seule énumération montre qu'ils occupent néanmoins une place spécifique comme piliers de la société et de l'économie européennes. Elle résulte d'abord de leur contribution à plusieurs objectifs et valeurs essentiels de la Communauté, tels qu'un haut niveau d'emploi et de protection sociale, un niveau élevé de protection de la santé humaine, l'égalité entre hommes et femmes, et la cohésion économique, sociale et territoriale. Mais cette spécificité tient aussi au caractère vital des besoins qu'ils sont destinés à satisfaire, garantissant ainsi l'application de droits fondamentaux tels que la dignité et l'intégrité de la personne. Il s'est avéré lors de la consultation avec les États membres et les organisations de la société civile, qu'en raison de cette spécificité, dans l'accomplissement de leur mission d'intérêt général, les services sociaux présentent de facto souvent une ou plusieurs des caractéristiques d'organisation suivantes[8]: - un fonctionnement sur la base du principe de solidarité requis notamment par la non sélection des risques ou l'absence d'équivalence à titre individuel entre cotisations et prestations, - un caractère polyvalent et personnalisé intégrant les réponses aux divers besoins nécessaires pour garantir les droits humains fondamentaux et protéger les personnes les plus vulnérables, - l'absence de but lucratif[9], notamment pour aborder les situations les plus difficiles et s'expliquant souvent par des raisons historiques, - la participation de volontaires et de bénévoles, expression d'une capacité citoyenne, - un ancrage marqué dans une tradition culturelle (locale). Ceci trouve notamment son expression dans la proximité entre le fournisseur du service et le bénéficiaire permettant de prendre en compte les besoins spécifiques de ce dernier, - une relation asymétrique entre prestataires et bénéficiaires ne pouvant être assimilée à une

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relation « normale » de type fournisseur-consommateur requérant ainsi la participation d'un tiers payant. […] Notes : [1] COM(2004) 374 du 12.5.2004. [2] COM(2005) 33 du 9.2.2005. [3] SEC(2005) 981 du 20.7.2005. [4] COM(2006) 160 du 4.4.2006. [5] Voir Stratégie politique annuelle 2007 COM(2006) 122 du 14.3.2006, p. 11. [6] Les résultats de ce recensement peuvent être consultés sur:

http://europa.eu.int/comm/employment_social/social_protection/questionnaire_fr.htm. [7] L'enseignement et la formation, tout en étant des services d'intérêt général ayant une claire fonction sociale, ne sont pas couverts par cette Communication. [8] Ces critères sont le résultat du recensement mentionné ci-dessus (v. supra sous 6). [9] Dans l'arrêt Sodemare, la Cour a estimé qu'une condition de non lucrativité pouvait être compatible avec le principe de liberté d'établissement.

Document n° 9 : TPICE, 12 décembre 2006, SELEX Sistemi Integrati / Commission, aff. T-155/04, JOCE, n° C 331 du 30 décembre 2006, p. 34.

Cadre juridique 1. Bases juridiques d’Eurocontrol

1 L’Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne (Eurocontrol), organisation internationale à vocation régionale dans le domaine de l’aviation, a été instituée par différents États européens, membres et non membres de la Communauté, par la convention internationale de coopération pour la sécurité de la navigation aérienne du 13 décembre 1960, laquelle a été amendée à plusieurs reprises puis révisée et coordonnée par le protocole du 27 juin 1997 (ci-après la « convention »), dans le but de renforcer la coopération des États contractants dans le domaine de la navigation aérienne et de développer des activités communes entre eux afin de réaliser l’harmonisation et l’intégration nécessaires à la mise en place d’un système uniforme de gestion de la circulation aérienne, Air traffic management (ATM). Bien que la convention ne soit pas encore formellement en vigueur, n’ayant pas été ratifiée par la totalité des parties contractantes, ses dispositions sont appliquées provisoirement depuis 1998, conformément à une décision de la commission permanente d’Eurocontrol prise au mois de décembre 1997. L’Italie a adhéré à Eurocontrol le 1er avril 1996. En 2002, la Communauté et ses États membres ont signé un protocole – qui n’est pas encore entré en vigueur – concernant l’adhésion de la Communauté européenne à Eurocontrol. La Communauté a décidé d’approuver ce protocole par la décision 2004/636/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant la conclusion par la Communauté européenne du protocole relatif à l’adhésion de la Communauté européenne à Eurocontrol (JO L 304, p. 209). Depuis 2003, certaines dispositions de ce protocole sont appliquées provisoirement, en attendant sa ratification par toutes les parties contractantes.

[…]

Sur le premier moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation quant à l’applicabilité de l’article 82 CE à Eurocontrol

50 L’application de l’article 82 CE au cas d’espèce suppose qu’Eurocontrol soit considérée comme une entreprise, au sens du droit communautaire de la concurrence. Selon une jurisprudence constante, la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement, et constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné (arrêts de la Cour du 23 avril 1991, Höfner et Elser, C-41/90, Rec. p. I-1979, point 21 ; du 16 novembre 1995, Fédération française des sociétés d’assurances e.a., C-244/94, Rec. p. I-4013, point 14 ; du 11 décembre 1997, Job Centre, C-55/96, Rec. p. I-7119, point 21 ; du 18 juin 1998, Commission/Italie, C-35/96, Rec. p. I-3851, point 36, et du 12 septembre 2000, Pavlov e.a., C-180/98 à C-184/98, Rec. p. I-6451, point 74).

51 La requérante fait valoir que les activités d’Eurocontrol en cause dans la présente affaire, à savoir la normalisation, la recherche et le développement ainsi que l’assistance aux administrations nationales, sont des activités économiques et que, partant, Eurocontrol doit être qualifiée d’entreprise au sens de l’article 82 CE. La Commission, pour sa part, se réfère à l’arrêt de la Cour du 19 janvier 1994, SAT Fluggesellschaft (C-364/92, Rec. p. I-43), dans lequel la Cour a considéré, aux points 30 et 31 :

« 30 Prises dans leur ensemble, les activités d’Eurocontrol, par leur nature, par leur objet et par les règles auxquelles elles sont soumises, se rattachent à l’exercice de

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prérogatives, relatives au contrôle et à la police de l’espace aérien, qui sont typiquement des prérogatives de puissance publique. Elles ne présentent pas un caractère économique justifiant l’application des règles de concurrence du traité.

31 Une organisation internationale comme Eurocontrol ne constitue pas, dès lors, une entreprise assujettie aux dispositions des articles [82 CE] et [86 CE]. »

52 Le dispositif de cet arrêt, quant à lui, énonce simplement que « [l]es articles [82 CE] et [86 CE] doivent être interprétés en ce sens qu’une organisation internationale comme Eurocontrol ne constitue pas une entreprise au sens de ces articles ».

53 La Commission en déduit que la Cour a exclu, en toutes circonstances et pour l’intégralité de ses activités, qu’Eurocontrol puisse être qualifiée d’entreprise au sens du droit communautaire de la concurrence.

54 Cependant, il y a lieu de constater que, pour arriver à sa conclusion, la Cour s’est exclusivement fondée sur un examen, à la lumière de la notion d’activité économique, des activités d’Eurocontrol mises en cause dans le cadre du litige opposant la compagnie aérienne SAT Fluggesellschaft mbH à Eurocontrol, à savoir l’établissement et la perception des redevances imposées aux usagers des services de la navigation aérienne pour le compte des États participants. La Cour a certes mentionné, au point 22 de l’arrêt, une partie des activités en cause dans la présente affaire, mais sans pour autant examiner s’il s’agissait d’activités économiques au sens de sa jurisprudence. Or, les dispositions du traité en matière de concurrence étant applicables aux activités d’un organisme qui sont détachables de celles qu’il exerce en tant qu’autorité publique (arrêts de la Cour du 11 juillet 1985, Commission/Allemagne, 107/84, Rec. p. 2655, points 14 et 15, et du Tribunal du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission, T-128/98, Rec. p. II-3929, point 108), les différentes activités d’une entité sont à examiner individuellement et on ne saurait déduire de l’assimilation de certaines d’entre elles à des prérogatives de puissance publique que les autres activités ne puissent avoir un caractère économique (voir, en ce sens, arrêt Aéroports de Paris/Commission, précité, point 109). Au vu de la portée restreinte de l’examen opéré par la Cour, il apparaît donc que, malgré la généralité du libellé de son point 31 et de son dispositif, l’arrêt SAT Fluggesellschaft, précité, n’exclut pas qu’Eurocontrol soit qualifiée, concernant d’autres activités, d’entreprise au sens de l’article 82 CE.

55 Il convient donc de déterminer, pour chacune des activités d’Eurocontrol mises en cause par la requérante, d’une part, si elles sont dissociables de ses activités relevant de sa mission publique et, d’autre part, si elles constituent des activités économiques, au sens de la jurisprudence citée au point 50 ci-dessus.

Concernant l’activité de normalisation technique d’Eurocontrol

[…]

– Appréciation du Tribunal

59 S’agissant de l’activité de normalisation d’Eurocontrol, il y a lieu de distinguer, tout d’abord, la préparation ou l’élaboration des normes, tâche accomplie par l’agence d’Eurocontrol en tant qu’organe exécutif, d’une part, de leur adoption par le conseil d’Eurocontrol, d’autre part. Pour ce qui est de cette dernière tâche, force est de constater qu’elle relève du domaine législatif. En effet, le conseil d’Eurocontrol est composé des directeurs de l’administration de l’aviation civile de chaque État membre de l’organisation, mandatés par leurs États respectifs pour adopter des spécifications techniques qui auront force contraignante dans tous ces États, activité qui relève directement de l’exercice, par ces derniers, de leurs prérogatives de puissance publique. Le rôle d’Eurocontrol s’apparente ainsi à celui d’un ministère qui, au niveau national, prépare les mesures législatives ou réglementaires qui ensuite seront adoptées par le gouvernement. Il s’agit donc d’une activité relevant de la mission publique d’Eurocontrol.

[…]

61 L’activité d’élaboration des normes par Eurocontrol ne peut être qualifiée d’activité économique. En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné (voir arrêt Aéroports de Paris/Commission, précité, point 107, et la jurisprudence citée au point 50 ci-dessus). En l’occurrence, la requérante n’a pas démontré qu’il existait un marché pour des « services de normalisation technique dans le secteur des équipements ATM ». Les seuls demandeurs de tels services pourraient être les États en leur qualité d’autorité de contrôle du trafic aérien. Or, ils ont choisi d’élaborer ces normes eux-mêmes, dans le cadre d’une coopération internationale, par l’intermédiaire d’Eurocontrol. Les normes élaborées étant ensuite adoptées par le conseil d’Eurocontrol, les résultats de l’activité d’élaboration ne quittent pas l’organisation elle-même et ne sont pas offerts sur un marché donné. Dans le domaine de la normalisation, Eurocontrol ne constitue donc, pour ses États membres, qu’un forum de concertation qu’ils ont créé pour coordonner les standards techniques de leurs systèmes ATM. On ne saurait dès lors considérer, dans ce domaine, qu’Eurocontrol leur « offre des biens ou des services ».

62 En l’espèce, la requérante est donc restée en défaut de démontrer que l’activité litigieuse aurait consisté à offrir des biens ou des services sur un marché donné, comme cela est pourtant requis, selon la jurisprudence citée au point précédent.

[…]

69 Par conséquent, il y a lieu de constater que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que les activités de normalisation technique d’Eurocontrol n’étaient pas des activités économiques au sens de la jurisprudence communautaire et que les règles de concurrence du traité n’étaient donc pas applicables à celles-ci.

[…]

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Concernant l’activité d’assistance aux administrations nationales

– Arguments des parties

83 La requérante affirme que l’activité d’assistance technique au profit des administrations nationales que Eurocontrol exerce en rédigeant les cahiers des charges des appels d’offres publics ou en participant à la procédure de sélection des entreprises participant aux appels d’offres est une activité intrinsèquement économique. De même, il s’agirait d’une activité donnant lieu à une rémunération, puisque Eurocontrol bénéficierait d’un financement de la part de ses États membres, qui servirait à financer l’activité d’assistance, tout comme ses autres activités.

84 La Commission et l’intervenante estiment que l’activité d’assistance aux administrations nationales chargées du contrôle de la navigation aérienne, notamment dans les procédures d’appel d’offres portant sur l’acquisition de systèmes et d’équipements ATM, relève de la mission de l’organisation telle que définie par la convention. Cette activité permettrait aux États contractants, en recourant à la compétence technique particulière de l’organisation, d’exercer, comme il convient, les fonctions de contrôle et de gestion de la circulation aérienne qu’ils exercent dans le cadre de leur souveraineté. Dans l’exercice de cette activité, Eurocontrol poursuivrait donc le but d’intérêt général défini par la convention qui serait de maintenir et d’améliorer la sécurité de la circulation aérienne.

85 La Commission et l’intervenante font observer par ailleurs que l’activité en cause n’est pas rémunérée. Les contributions versées à Eurocontrol par ses États membres auraient pour but d’assurer le fonctionnement général de l’organisation et n’auraient aucun rapport avec leurs éventuelles demandes d’assistance. Établissant un parallèle avec la jurisprudence de la Cour relative à des régimes nationaux de sécurité sociale et de santé, la Commission se réfère, à titre d’exemple, à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 17 février 1993, Poucet et Pistre, (C-159/91 et C-160/91, Rec. p. I-637, point 18), dans laquelle le fait qu’il n’y avait aucune relation entre les cotisations versées à la caisse de maladie par les assurés et les prestations versées par ladite caisse aurait conduit la Cour à affirmer que les activités exercées par cette dernière ne présentaient pas un caractère économique.

– Appréciation du Tribunal

86 Tout d’abord, il y a lieu de constater que l’activité d’assistance aux administrations nationales est dissociable de la mission de gestion de l’espace aérien et de développement de la sécurité aérienne d’Eurocontrol. Si ladite activité d’assistance peut servir l’intérêt général en maintenant et en améliorant la sécurité de la navigation aérienne, cette relation n’est que très indirecte, puisque l’assistance offerte par Eurocontrol ne couvre que les spécifications techniques lors de la mise en œuvre de procédures d’appels d’offres pour des équipements ATM et ne se répercute donc sur la sécurité de la navigation aérienne que par le biais desdites procédures d’appel d’offres. Or, une telle relation indirecte ne saurait impliquer une nécessaire connexité entre les deux activités. À cet

égard, le Tribunal rappelle qu’Eurocontrol n’offre son assistance dans ce domaine que sur demande des administrations nationales. Il ne s’agit donc nullement d’une activité qui serait essentielle ou même indispensable à la garantie de la sécurité de la navigation aérienne.

87 Ensuite, il y a lieu de rappeler que constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné (voir la jurisprudence citée au point 50 ci-dessus). En ce qui concerne les activités d’assistance aux administrations nationales prenant la forme de conseils donnés lors de la rédaction de cahiers des charges d’appels d’offres ou lors de la procédure de sélection des entreprises participant à ces appels d’offres, force est de constater qu’il s’agit précisément d’une offre de services sur le marché des conseils, marché sur lequel pourraient tout aussi bien agir des entreprises privées spécialisées en la matière.

88 À cet égard, le Tribunal a jugé que le fait qu’une activité peut être exercée par une entreprise privée constitue un indice supplémentaire permettant de qualifier l’activité en cause d’activité d’entreprise (arrêt Aéroports de Paris/Commission, précité, point 124, confirmé par arrêt de la Cour du 24 octobre 2002, Aéroports de Paris/Commission, C-82/01 P, Rec. p. I-9297, point 82).

89 En outre, il y a lieu de rappeler que la Cour a jugé, à plusieurs reprises, que la circonstance que des activités soient normalement confiées à des offices publics ne saurait affecter la nature économique de ces activités, dès lors qu’elles n’ont pas toujours été et ne sont pas nécessairement exercées par des entités publiques (voir, en ce sens, arrêts Höfner et Elser, précité, point 22, et Job Centre, précité, point 22). Dans les circonstances sous examen, cela signifie que le fait que les services en cause ne sont pas actuellement offerts par des entreprises privées n’empêche pas qu’ils soient qualifiés d’activité économique, dès lors qu’il paraît possible qu’ils soient effectués par des entités privées.

90 La Commission faisant valoir que les activités d’assistance d’Eurocontrol aux administrations nationales ne sont pas rémunérées en tant que telles, il y a lieu de constater que ce fait peut constituer un indice, mais n’est pas en soi décisif, comme le démontre par exemple l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Höfner et Elser, précité, dans laquelle les services de placement de l’Office fédéral pour l’emploi allemand étaient fournis gratuitement aux employeurs et aux travailleurs, qui à leur tour finançaient les dépenses globales de cet office par des contributions forfaitaires, indépendantes du fait qu’ils avaient ou non effectivement recours à ses services de placement. Le fait qu’Eurocontrol soit financée, en tant qu’institution, par les contributions de ses États membres et qu’elle fournisse à titre gratuit ses services d’assistance aux administrations nationales qui en font la demande révèle des structures financières de même nature que celles dont il était question dans cette affaire.

91 De même, le fait que l’activité d’assistance soit poursuivie dans un but d’intérêt général peut constituer un indice de l’existence d’une activité d’ordre non économique, mais n’empêche pas qu’une activité

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consistant, comme c’est le cas en l’espèce, à offrir des services sur un marché donné soit considérée comme une activité économique. Ainsi, des organismes gérant des systèmes légaux de sécurité sociale, poursuivant un but non lucratif, exerçant une activité à caractère social et étant soumis à une réglementation étatique comportant notamment des exigences de solidarité ont été considérés comme des entreprises exerçant une activité économique (voir, en ce sens, arrêts de la Cour Fédération française des sociétés d’assurance e.a., précité, point 22, et du 21 septembre 1999, Albany, C-67/96, Rec. p. I-5751, points 84 à 87).

92 Il découle de ce qui précède que l’activité d’assistance aux administrations nationales d’Eurocontrol est une activité économique et que, par conséquent, Eurocontrol,

dans l’exercice de ladite activité, est une entreprise au sens de l’article 82 CE.

93 Il y a donc lieu, dans cette mesure, d’accueillir le premier moyen de la requérante, et de le rejeter pour le reste.