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Universit Jean Moulin Lyon 3
cole doctorale : Droit
Le dualisme juridictionnel en
matire fiscale
Par Augustine MBOULI ne MPESSA BEWEKEDI
Thse de doctorat en Finances publiques et fiscalit
Sous la direction dOlivier NEGRIN
Prsente et soutenue publiquement le 02 octobre 2009
Membres du jury :
Jean-Luc ALBERT, Professeur des universits, Universit Lyon 3
Martin COLLET, Professeur des universits, Universit Paris 11
Ludovic AYRAULT, Professeur des universits, Universit Rennes 1
Olivier NEGRIN, Professeur des universits, Universit Lyon 2
Bernard CASTAGNEDE, Professeur des universits, Universit Paris 1
A Yvan-Louis et Anas-Florelle,
A ma famille
A la mmoire de Maman
Remerciements
Au terme de cette recherche, je tiens exprimer ma profonde gratitude mon directeur de
recherche, Monsieur le Professeur Olivier NEGRIN, pour la confiance quil ma accorde au
dbut de ces travaux, pour sa disponibilit et pour tous les conseils quil ma prodigus tout
au long de ces longues annes.
Je remercie galement tous ceux qui mont permis de mener cette thse son terme. Je pense
spcialement :
A ma fille, mon poux, mon amie denfance et ma famille adoptive pour leur soutien
moral et matriel,
A toute lquipe du Centre de Recherches en Finances Publiques et Fiscalit, en particulier
son Directeur, Monsieur le Doyen Jean-Luc ALBERT pour les conditions matrielles de
travail offertes, pour ses encouragements et pour tous ses conseils aviss.
Je remercie enfin tous ceux qui mont fait lhonneur de relire et de juger ce travail. Je pense
particulirement Monsieur le professeur Eloi DIARRA, Monsieur ONANINA BOYOMO.
Table des principales abrviations
AJDA : Actualit juridique. Droit administratif.
APD : Agence de diffusion et de publicit Paris.
BDCF : Bulletin des conclusions fiscales.
BODGI : Bulletin officiel de la direction gnrale des impts.
BOI : Bulletin officiel des impts.
Bull. civ.: Bulletin des arrts de la chambre civile de la Cour de cassation.
Bull. crim.: Bulletin des arrts de la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Bull. Joly: Bulletin Joly.Socit.
CA : Cour dappel.
CAA : Cour administrative dappel.
CADA.: Commission daccs aux documents administratifs.
Cass. civ.: Chambre civile de la Cour de cassation.
Cass. com.: Chambre commerciale de la Cour de la cassation.
Cass. crim.: Chambre criminelle de la Cour de la cassation.
CE : Conseil dEtat.
CGI : Code gnral des impts.
Chr. : Chronique.
CIF. : Commission des infractions fiscales.
CJCE : Cour de justice des communauts europennes.
COJ : Code de lorganisation judiciaire.
COMM. : Commission europenne des droits de lhomme.
Concl. : Conclusions du commissaire du gouvernement.
CTA-CAA: Code des Tribunaux administratifs et des Cours administratives dappel.
D. Recueil Dalloz-Sirey.
Dr. fisc. : Revue droit fiscal.
Dr. Pen. : Revue droit pnal.
Dr. Soc. : Revue droit social.
JCP(e) : Juris-classeur priodique, Edition entreprise.
JCP(g) : Juris-classeur priodique, Edition gnrale.
JEX : Juge de lexcution.
JO : Journal officiel.
L.G.D.J : Librairie Gnrale de droit et de jurisprudence.
LPA : Les petites affiches.
LPF : Livre des procdures fiscales.
NCPC : Nouveau code de procdure civile (devenu aujourdhui code de procdure civile).
PFRLR : Principes fondamentaux reconnus par les lois de la rpublique.
RDP : Revue de droit public et de science politique en France et ltranger.
Rec. Recueil des arrts du Conseil dEtat (Recueil Lebon), Recueil des dcisions du Conseil
constitutionnel ou recueil des arrts de la CEDH.
RFDA : Revue franaise de droit administratif.
RFDC : Revue franaise de droit constitutionnel.
RFFP : Revue franaise de finances publiques.
RFTJ : Revue franaise de thorie juridique.
RGP : Revue gnrale de procdure.
Rev. Huissiers.
RJF : La revue de jurisprudence fiscale.
Rev. Justices.
RSF : Revue de Science Financire.
RSFF. Revue de Science et de la lgislation Financire.
S. Sirey.
TA : Tribunal administratif.
TGI : Tribunal de grande instance.
PA : Les petites affiches.
Introduction
La loi suprme doit tre, en cette matire, au- del des principes, lintrt du justiciable. Celui-ci a
besoin dun juge proche de lui et rsolvant rapidement ses problmes. Il serait contraire cet intrt
que lun et lautre des deux ordres de juridiction traitent cette question comme la dfense ou la
conqute dun pr carr .
Roland Drago, RFDA sept-oct. 1990. p. 763.
Qualifier les faits, expliciter le contenu de la rgle de droit ou encore lappliquer une
situation juridique dfinie est une mission reconnue toute juridiction. En matire fiscale,
celle-ci prend une connotation particulire car dire le droit nest pas un devoir rserv une
juridiction ou un ordre de juridiction. Cette mission est lapanage des deux ordres de
juridiction prsents dans notre systme juridique: lordre judiciaire et lordre administratif.
Aussi, le dualisme juridictionnel en matire fiscale voque la prise en charge de lensemble
des litiges qui opposeraient ladministration fiscale aux contribuables lors de lapplication du
droit fiscal, par ces deux ordres de juridiction1.
Ladministration fiscale dont le rle principal est de lever limpt sollicite parfois de manire
licite ou illicite le contribuable qui lui, est dans lobligation de rgler sa dette. Ce rglement
peut ainsi intervenir spontanment ou au terme dune longue procdure juridictionnelle.
Si la prsente recherche a pour but principal dtudier lapprhension du contentieux fiscal au
niveau juridictionnel par les juges en charge de celui-ci, de prsenter les difficults lies
lorganisation duale du systme juridictionnel fiscal et de mettre en avant les diffrentes
mthodes permettant daboutir une certaine uniformit de la jurisprudence fiscale, et par
consquent du systme juridique fiscal, elle ne sloigne pas fondamentalement des questions
classiques qui entourent le sujet.
1 Lexpression ordres de juridiction peut scrire de deux manires : ordres de juridictions ou ordres
de juridiction . Certains auteurs en loccurrence Pierre Sargos, (P. Sargos, Juridiction administrative et juridiction judiciaire, 200 ans aprs la loi de 1790 : points communs et convergences entre les deux ordres de juridictions, AJDA Sept. 1990, I, doctrine, p. 585-590) ou encore Emmanuel Langavant (E. Langavant, La collaboration entre les deux ordres de juridictions, Thse, Droit, Lille, 1954, dacty, 280p.) ont opt pour la premire version. A loppos, dautres auteurs comme Yves Gaudemet, (Y. Gaudemet : Les questions prjudicielles devant les deux ordres de juridiction , RFDA, sept-oct. 1990, p. 765-770.) ou encore Jean-Franois Flauss (J.-F. Flauss Dualit des ordres de juridiction et Convention europenne des droits de lhomme , Mlanges J. Waline, p. 527) ont choisi la deuxime version. Ce choix est aussi le ntre parce que cest celui consacr dans le droit positif. En effet, lart 34 de la Constitution prcise que la loi fixe les rgles concernant la cration de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats . Dans le mme ordre dides, on comprend pourquoi lexpression dualit de juridiction tend suivre le mme rgime. Voir notamment pour cela R. Chapus, Dualit de juridiction et unit de lordre juridique, RFDA 1990, p. 739.
Le dualisme juridictionnel dune manire gnrale et spcifiquement dans le domaine fiscal a
dj fait lobjet de nombreuses tudes approfondies2. Toutefois, aucune thse universitaire na
eu dessein de traiter spcifiquement celle-ci, lexception de louvrage du professeur
Bernard CASTAGNEDE. A travers le sujet quil a dvelopp, La rpartition des
comptences juridictionnelles en matire fiscale 3, il a quelque peu abord la question : bel
ouvrage malheureusement rattrap aujourdhui par lcoulement du temps. Trente sept ans
aprs sa ralisation, se pose incontestablement la question de son actualisation sur certains
points essentiels4.
Aussi, il nous est permis de poser la question du dualisme juridictionnel en matire fiscale
comme objet de recherche car, bien que le thme soit aussi vieux que nos institutions, la
question reste trs actuelle. En effet, si certains ouvrages consacrs au contentieux rendent
compte de ltat actuel sans mettre une opinion partisane ou non sur son maintien, force est
de souligner que, dans la plupart des cas, son bien fond ou sa nocivit est constamment
invectiv(e).
Ltude du dualisme juridictionnel mettra donc en exergue la prise en charge du contentieux
fiscal par les juges (administratif et judiciaire). Le juge5, au sens gnrique, dsigne et
dsignera tout au long de cette tude, tous les organes qui exercent la fonction juridictionnelle
c'est--dire la fonction consistant juger 6. Cest une obligation et un devoir
7 si on sen
tient aux dispositions de lart 4 du code civil: le juge qui refusera de juger, sous prtexte du
silence, de lobscurit ou de linsuffisance de la loi, pourra tre poursuivi comme coupable de dni de
justice8. Laction du juge fiscal
9 est dautant importante quelle implique souvent de
2
Plusieurs tudes ont dj t menes par la doctrine sur le sujet. Voir notamment en matire fiscale spcifiquement : J. Boulouis, Procs du juge fiscal , RSF 1957, p. 631, B. Ducamin, Le Conseil dEtat juge fiscal , AJDA, 1962-I-p. 204, M. Chrtien, Rflexions sur la dualit juridictionnelle en matire fiscale in Mlanges Marcel Waline, tome I, LGDJ, 1974, pp. 115 et s. P. M. Gaudemet, Rflexions sur les rapports du juge et du fisc , Mlanges Marcel Waline, tome I, LGDJ, 1974, p. 127 et s; C. Lasry, Le Conseil dEtat, juge de limpt : EDCE 1955, p. 58 ; G. Gest, La dualit de la juridiction fiscale in Le juge fiscal, sous la direction de R. Hertzog, Economica, 1988, pp. 51-63 ; B. Castagnde, La rpartition des comptences juridictionnelles en matire fiscale, Thse dact., Paris 1972. De manire beaucoup plus gnrale, R. Chapus, Dualit de juridiction et unit de lordre juridique, RFDA, 1990, p. 739. ; F. Julien-Laferrire, La dualit de juridiction, un principe fonctionnel ? , Mlanges en lhonneur de Roland Drago, p. 395 et s ; Le dualisme juridictionnel en 2005 : limites et mrites, Actes de colloque des 30 sept et 1
er oct. 2005, Universit de la
Rochelle, (dir.,) A. Van Lang, Dalloz 2007, 18 contributions, 262 p. 3 La rpartition des comptences juridictionnelles en matire fiscale, Thse dact., Paris 1972, op. cit
4 La jurisprudence a volu et de nombreux impts sont apparus depuis sa rdaction.
5 G. Wiederkehr, Quest-ce-quun juge ? , Mlanges Perrot, Dalloz, 1996, R spc. P. 583.
6 Lexique des termes juridiques, Raymond Guillem et Jean Vincent, 4
e d. Dalloz.
7 S. Guinchard, Le juge dans la cit , JCP 2002, I, 137, n7.
8La Cour dappel de Paris, (CA Paris, 1re ch. B, 6 sept. 1996 : Gaz. Pal. 8 oct. 1996) a reconnu que la
responsabilit de lEtat pourrait tre engage pour dni de justice. 9 Expression emprunte au clbre ouvrage dirig par R. Hertzog. : Le juge fiscal, Economica, 1988. Cette
expression sera cependant utilise pour dsigner lensemble des juges qui interviennent dans les contestations fiscales, indpendamment de leur ordre de juridiction. Son utilisation ne sera donc pas limite aux seuls juges
grands enjeux financiers tant pour le contribuable que pour ladministration fiscale. Mais,
cette action reste complexe: deux juges pour une matire ! Cest en cela que la dualit en
matire fiscale diffre de la dualit du systme juridictionnel entier. Le clivage est clair dans
tous les autres domaines juridiques : en matire administrative, le juge comptent est le juge
administratif, en matire pnale le juge pnal, en matire civile le juge civil etc. Or en matire
fiscale, la ralit est tout autre.
Cette recherche sarticule donc autour de laction de ce juge fiscal qui selon son ordre de
juridiction utilise des mthodes plus ou moins divergentes de celle de son homologue, au
cours de linstance fiscale. Ceci est droutant pour un profane mais demeure une source de
questionnement pour nous. Cette action reste en effet instructive et constructive car elle
permet daboutir la structuration des rgles de droit substantiel et processuel applicables en
la matire. La dualit serait en cela un facteur dmulation du contentieux fiscal.
La complexit, reproche le plus important fait au dualisme, demeure. La prsente tude ne le
dmentira pas. La question lmentaire qui se pose au contribuable tant toujours celle de
savoir quel juge saisir face une contestation fiscale quelle que soit sa nature10
.
Certes, il existe un seuil de complexit au dessous duquel il parat impossible de descendre 11
de
sorte que, la complexit serait inhrente au fonctionnement de nos institutions12
juridictionnelles.
Ainsi, malgr la mise en place de certains mcanismes visant simplifier laccs au juge pour
le contribuable, force est de constater que le dualisme juridictionnel () ne dtonne pas dans un
paysage juridictionnel dont la complexification va croissant13
.
administratif et judiciaire de limpt. Phillipe Marschessou prcise dailleurs ce sujet que : la notion du juge fiscal sest considrablement enrichie soulignant ainsi lintervention dans ce domaine la fois du juge europen et, le dveloppement du contentieux de lannulation et celui de la responsabilit. (Ph. Marchessou, Rflexions sur linterprtation des textes fiscaux , Mlanges Paul Amselek, Bruylant, 2005, p. 551- 564. prcisment p. 560.) 10
La complexit de lorganisation de ladministration fiscale est lorigine de la mise en place dune rforme de cette dernire. A linstar du guichet unique qui est oprationnel pour les entreprises depuis quelques annes, la ministre de lconomie et des finances (Christine Lagarde) a annonc, en octobre 2007, la fusion des services fiscaux de lEtat (Direction gnrale des Impts et direction de la comptabilit publique.) dans le but de mettre en place un guichet fiscal unique pour les contribuables. Ceci permet de concentrer les services dassiette et de recouvrement. 11
Franois Burdeau, La complexit nest-elle pas inhrente au droit administratif ? , in Cls pour le sicle, Dalloz, 2000, p. 417. 12
Le terme est utilis ici en considrant la signification que lui donne notamment P. Pactet, Les Institutions franaises ; PUF, coll. Que sais-je ? savoir institutions-organismes de droit public qui recouvrent une diversit dorganes (institutions politiques, administratives, juridictionnelles, internationales) et que J.-L. Bergel oppose aux institutions-mcanismes (ensemble organis de rgles cres par le droit objectif).J.-L. Bergel, Thorie gnrale du droit, 4
e d. Dalloz. p. 205 et s.
13 Agathe Van Lang, Le dualisme juridictionnel en France : une question toujours dactualit , AJDA sept
2005, n32/2005, p.1763.
La prise en charge des contestations fiscales par les deux ordres de juridiction montre donc
que le traitement de celles-ci est la fois vari et divers. Vari cause de la diversit des
demandes adresses au juge et divers car, en tout tat de cause, la procdure applicable ce
contentieux devant lordre administratif est diffrente de celle qui prvaut devant lordre
judiciaire. Ceci augure de labsence dune procdure fiscale contentieuse uniforme. Toutefois,
cette complexit ne devrait pas poser de problme si la stabilit du contentieux et la scurit
juridique sont garanties.
En dpit de tout, sur le plan purement thorique, lobjectif primordial recherch demeure la
garantie de lunit du systme juridique. Cest une approche trs formelle du droit14
car seul
laspect technique est privilgi. Mais comment ne pas sy attacher dans le cadre dune
matire aussi empirique et mouvante15
que celle du droit fiscal ?
Ltude de la jurisprudence et celle de la doctrine, ont aussi permis denraciner lide selon
laquelle le dualisme juridictionnel en matire fiscale est source de complexit. En outre, cette
tude nous a galement conduits, mieux comprendre lapprhension du droit par les juges
des deux ordres. Enfin, elle a permis de raliser une comparaison entre les deux approches, du
moins en ce qui concerne spcifiquement le contentieux de limpt.
Comme le rappelait encore Madame MAZARS, Conseiller la Cour de cassation et vice
prsidente du Tribunal des Conflits : la rpartition des contentieux entre les deux ordres a pour
effet de soumettre, sous des angles diffrents, aux juges des deux ordres les mmes questions de
droit. 16
. Cette assertion est relle et vrifiable en matire fiscale car bien que les impts
soient de nature diffrente, les questions poses au juge restent globalement les mmes
(demande dannulation ou de rformation dun acte ou dune disposition ou encore dune
procdure, ce qui se traduit concrtement en demande de dcharge ou dgrvement, fixation
dune indemnit).
A lissue de la comparaison, sont apparues des divergences et convergences de rgles de droit
substantielles et processuelles. La doctrine visite et utilise nous permet de mieux structurer
lensemble la lumire de prceptes dESMEIN : la doctrine permet dclairer la
14
J.-L. Bergel, Thorie gnrale du droit; op. Cit., p.9. 15
Marcel Martin soulignait il y a quelques annes que les mcanismes qui rgissent les prlvements fiscaux sont dune complexit sans cesse accrue et le Code gnral des impts qui en est l expression crite, prend de plus en plus lallure dune encyclopdie quil est ncessaire de mettre jour de faon quotidenne tant la matire subit de permanents changements. M. Martin, Limpt dvorera t-il son juge ? , Dr. fisc. 1986, n16-17, p. 544. 16
Marie-France Mazars, Le dualisme juridictionnel en 2005, point de vue dun juge judiciaire , AJDA sept 2005, n32/2005, p.1777 et s.
jurisprudence acquise grce la mthode historique et de mieux prparer lavenir grce la
synthse que lon en fait17
.
Le dualisme juridictionnel est donc consacr institutionnellement et enracin dans la matire
fiscale. Ce thme reste toujours dactualit18
puisque la dualit juridictionnelle subit limpact
de lvolution de la socit contemporaine. LEurope et ses institutions sont en effet des
facteurs considrer et intgrer dans lordonnancement juridique interne car, bon nombre de
textes nationaux subissent leur influence de manire directe ou indirecte19
. Les traits des
communauts et de lUnion Europenne ont institu des ordres juridiques supranationaux qui
simposent aux systmes juridiques des Etats membres20
. En outre, limpact de la Convention
Europenne de Sauvegarde des Droits de lHomme doit galement tre soulign.
De plus, le Conseil constitutionnel, grce lmergence de sa jurisprudence21
, contribue dans
la majeure partie des cas la fixation de rgles uniformes applicables par les deux ordres de
juridiction22
.
Cette recherche prsente donc lavantage de reprendre les problmatiques classiques qui
entourent la question en les replaant dans la sphre fiscale, mais aussi dintgrer lensemble
des questions nouvelles notamment celles relatives la rpartition des instances fiscales des
nouveaux impts et taxes (CSG sur les revenus du patrimoine et les produits de placement 23
-
ISF et cotaxes). Le lgislateur, qui avait trac une ligne de dmarcation tanche entre les
deux ordres de juridiction au travers de larticle L. 199 du LPF, semble avoir dmissionn et
17
A. Esmein, La jurisprudence et la Doctrine : cent ans aprs R. T. D, civ. 1902, p. 1 et s. 18
Un colloque (non spcifique la matire fiscale) lui tait encore consacr les 30 septembre et 1er
octobre 2005 ; colloque organis par luniversit de la Rochelle. De plus, le systme a fait lobjet dune tentative de rforme en mai 2008 (Voir le rapport n892 du 15 mai 2008, ralis au nom de la commission des lois par Jean-Luc Warsmann sur le projet de loi constitutionnelle n820, p. 239). A loccasion de ltude du projet de loi constitutionnelle de la modernisation de la V Rpublique, Jean- Luc Warsmann, prsident et rapporteur de la commission des lois a propos un amendement visant modifier lart 34 de la Constitution. Le but tait de permettre au lgislateur de crer des blocs de comptence dans un but de simplification. La question de la dualit juridictionnelle reste donc discute et continue danimer de nombreuses rflexions. 19
Les directives lient tout Etat membre destinataire quant au rsultat atteindre, tout en laissant aux instances nationales la comptence quant la forme et aux moyens. Les rglements sont des textes de porte gnrale, obligatoires dans tous leurs lments et directement applicables dans tout Etat- membre. 20
Le caractre obligatoire de ces normes dont le but est dharmoniser les rgles applicables dans les diffrents Etats membres permet la convergence de systme juridique. Ce phnomne est dailleurs dcrit avec beaucoup de prcision dans Les rapports gnraux du XVIe Congrs International de droit compar. (International Academy of comparative Law, Convergence of legal systems in the 21st centurys (Brisbane, Australia, 14-20 july 2002; Bruylant, Bruxelles 2006.) 21
L. Phillip, Droit fiscal constitutionnel, Paris, Economica, coll. Finances publiques, 1990 ; Louis Favoreu, L. Phillip, Les grandes dcisions du Conseil du conseil constitutionnel, Paris, Dalloz, 10
e d., 2001.
22 Voir notamment sa dcision, 27 dcembre 1973 (51DC) sur lgalit devant la loi propos de la loi de finances
pour 1974 qui instituait une discrimination entre les contribuables, en interdisant aux titulaires de revenus levs, la possibilit dapporter une preuve contraire une dcision de taxation doffice de ladministration les concernant ; celle du 30 dcembre 1981 (133 DC), 405 DC du 29 dc. 1998 ; 419 DC, du 9 nov. 1999 et 437, du 19 dc. 2000, sur lgalit devant la loi fiscale. 23
TC, 3 juill.2000, Magnies, n 3192, RJF 3/01, n364, (comptence attribue la juridiction administrative, pour le reste, comptence judiciaire).
laiss le champ au juge pour rgler la question. Aussi, dans certains cas, ce dernier se
substitue au lgislateur et rpartit la comptence juridictionnelle.
Ds lors, la dfinition du champ de cette tude parat primordiale (1). Cette dfinition doit tre
complte par sa problmatique gnrale (2).
I- Le Dualisme juridictionnel en
matire fiscale
Le Dualisme juridictionnel en matire fiscale : le titre de ltude seul suffit entrevoir
ltendue du travail raliser. Mais avant dentrer dans le vif du sujet, il serait judicieux de
dfinir les contours de ce dernier. Si celui-ci parat demble phmre pour les esprits non
avertis, il reste lourd de signification pour les plus aviss.
Dfinir la notion de dualisme juridictionnel parat donc essentiel (A), avant daborder celle
relative la matire fiscale (B).
A-Le Dualisme juridictionnel
Le dualisme est une notion qui a galement pour synonyme dualit (1). Il est associ
ladjectif qualificatif juridictionnel dans le but de marquer la prsence de deux ordres
juridictionnels24
dans le traitement du contentieux fiscal (2).
1-Le dualisme ou la dualit
Le Dualisme , terme interchangeable avec celui de Dualit , vient tymologiquement du
mot latin dualis qui signifie compos de deux25
. Selon le dictionnaire Robert, ce terme
voque un systme qui admet la coexistence de deux principes irrductibles. Ds lors, la
question qui se pose est celle de savoir si le dualisme est un principe26
irrductible.
24
Lordre de juridiction dsigne un ensemble de juridictions (tribunaux) places sous le contrle de cassation dune mme juridiction suprieure. En France, les juridictions administratives sont places sous le contrle du Conseil dEtat, et les juridictions judiciaires sous celui de la Cour de cassation. Les conflits de comptence entre ces deux ordres de juridiction tant rgls par le Tribunal des Conflits. (Source : Lexique des termes juridiques 14
e d. Dalloz. 2003 p. 407.)
25 Dictionnaire tymologique, Albert Dauzat, d. Larousse, 1938.
26 On pourra toujours sinterroger sur la polysmie du terme principe . Voir notamment, Les principes en
Droit, (dir, S. Caudal), Actes de Colloque des 13 et 14 dcembre 2007, EDP de Universit Jean Moulin, Lyon III, Economica 2008, 22 contributions, 387 p.
Cette question prend tout son sens dans la mesure o le dualisme est n dune situation
cre 27
par deux processus aujourdhui incontournables dans lhistoire des institutions
juridictionnelles franaises: la sparation des pouvoirs28
et la sparation des autorits
administratives et judiciaires29
.
Le dualisme est donc n dune situation cre. Etymologiquement, il est difficile a priori de
lui reconnatre la valeur de principe. Pourtant Jean-Louis BERGEL ne dit-il pas que : Les
juristes, partant des solutions tablies par des textes, la tradition judiciaire ou la pratique, les rattachent
des principes gnraux dont on peut ensuite dduire dautres solutions pour rsoudre des problmes
nouveaux, de nouvelles formes dactivits, de nouveaux rapports juridiques 30
. Aussi, n dune
situation cre, le dualisme juridictionnel a acquis depuis lors le caractre dun principe grce
la Constitution (article 66) et la dcision du Conseil constitutionnel du 23 janvier 198731
mme si certains auteurs, dont Claude GOYARD affirment le contraire32
.
Certes, le dualisme nest pas une loi gnrale qui sest vrifie exprimentalement. Il nen
demeure pas moins quil sagit du fondement thorique sur la base duquel fonctionne la
machine juridictionnelle franaise. En dfinitive, lexistence et la coexistence de deux ples
de juridiction ont t riges en principe.
Le dictionnaire des termes juridiques ne nous dmentira pas sur ce point, selon celui-ci : la
dualit (de juridiction) est le principe dorganisation du systme juridictionnel franais, ()
selon lequel il existe deux catgories (dites : ordres de juridictions 33
)
27
Claude Goyard, lui parle de situation cre, Unit et plnitude de juridiction , Liber amicorum, Mlanges Jean Waline, (Gouverner, administrer, juger), Dalloz, p.597. 28
Dclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789 intgre au prambule de la Constitution de 1958: Toute socit dans laquelle la garantie des droits nest pas assure ni la sparation des pouvoirs dtermine, na point de Constitution . Cet article est laboutissement de la pense dveloppe par Locke et Montesquieu. Ce dernier a en effet prcis que les fonctions de lEtat devaient tre spares entre trois pouvoirs distincts savoir le pouvoir lgislatif, le pouvoir excutif, et le pouvoir judiciaire. Ces pouvoirs tant confis respectivement au parlement, au gouvernement et aux juges. 29
Les lois des 16-24 aot 1790 Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours spares des fonctions administratives ; les juges ne pourront, peine de forfaiture, troubler, de quelque manire que ce soit les oprations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions , et le dcret du 16 fructidor an III.
Ces deux textes ont pour but de rserver ladministration la gestion de ses litiges et dviter les intrusions des juges judiciaires dans la fonction administrative. 30
J.-L. Bergel, Thorie gnrale du droit, op. cit. p.6. 31
Voir en ce sens F. Julien- Laferrire, La dualit de juridiction, un principe fonctionnel , Lunit du droit, Mlanges en lhonneur de R. Drago, Paris, Economica, 1996, p. 395- 426, Voir aussi, Th. S. Renoux, Lapport du Conseil constitutionnel la thorie de la sparation des pouvoirs , D. 1991, chron. p. 169. Cette valeur constitutionnelle reconnue au dualisme permet dobjecter que seule, une rvision constitutionnelle pourrait fondamentalement remettre en cause le dualisme juridictionnel. 32
C. Goyard, Unit et plnitude de juridiction , op.cit. 33
Lexique des termes juridiques, Raymond Guillem et Jean Vincent sous la direction de Serge Guinchard et Gabriel Montagnier, 14
e d. Dalloz, 2003, p.234.
Ainsi le dualisme est inhrent aux juridictions depuis plusieurs sicles et nul besoin de
rappeler que lexpression dualisme juridictionnel fait rfrence de manire quasi-certaine
lternelle opposition entre les juridictions administrative et judiciaire.
2- Le contentieux fiscal et la notion de juridiction
Il est important, non seulement de mettre ici un accent sur la notion de juridiction et sur
ladjectif qui en dcoule (b), mais surtout dinsister sur le fait que, de manire intrinsque, la
juridiction prend en charge un litige opposant deux personnes ou deux catgories de
personnes (a).
a- Le contentieux fiscal
Le contentieux considr comme un litige, un conflit, un diffrend 34
ou une contestation
opposant deux parties nest que du droit pathologique35
. Cest de ce point de vue que
lacception sera considre ce niveau de ltude. Sachant que, la dimension juridictionnelle,
savoir le procs36
(linstance qui induit lopposition de prtentions juridiques soumises
une juridiction 37
), pourra parfois tre utilise selon le contexte.
Or, circonscrire le contentieux fiscal ces aspects spcifiques serait ne pas tenir compte de la
ralit plus vaste quenglobe la notion. Aussi, il est intressant de prciser que le contentieux
fiscal sentend comme tant lensemble des voies de droit par lesquelles sont rgls les
litiges ns de lactivit fiscale. 38
. En dautres termes, il sagit de lensemble des contestations
juridiques auxquelles lexercice des attributions de ladministration fiscale peut donner lieu. 39
. Cest
cette conception large qui sera retenue dans cette tude.
Il sagit toutefois dune conception gomtrie variable puisquelle permet dinclure dans
la notion de contentieux fiscal , deux types de contentieux. Ceux-ci matrialisent
respectivement la conception large et restreinte de la notion savoir : le contentieux non
34
Voir A. Jeammaud, Conflit, diffrends, litige , Revue Droits, n 34, pp. 15-20. 35
J-L. Bergel, Thorie gnrale du droit, op. cit., p. 331. 36
Tout procs dclenche un processus que lon qualifie de procdural, mais on ne saurait confondre le procs avec la seule procdure stricto sensil contribue llaboration des structures destines rsoudre les conflits inhrents la vie en commun. Il engendre le besoin de lorganisation destine apprhender les litiges et les rsoudre. Le droit du procs est dabord le droit de lorganisation judiciaire. S. Guichard, M. Bandrac, M. Douchy, F. Ferrand, X. Lagarde, V. Magnier, H. Ruiz Fabri, L. Sinopoli, J.M. Sorel: Droit processuel: Droit commun et droit compare des procs. 2
e d. Dalloz. 2003, p. 27.
37 A. Jeammaud, Conflits, diffrends, litige , op. cit. p. 17.
38 C.Gour, J. Moliner, G.Tourni, Les grandes dcisions de la jurisprudence fiscale, Droit fiscal, PUF., 1977,
p.158 et s. 39
L.Trotabas, Contentieux fiscal et juridiction administrative , Mlanges P. Negulesco, Bucarest, 1935, p. 783.
spcifiquement fiscal et le contentieux communment appel contentieux fiscal ou
contentieux de limposition . Ces diffrentes conceptions ont une incidence sur le plan
juridictionnel car, les critres organiques (juge comptent) et matriels (les rgles
procdurales mises en uvre) sont les moyens permettant en pratique de les distinguer.
Sur le plan organique, le contentieux non spcifiquement fiscal sera celui dans lequel
interviendront les juges de droit commun (administratif ou judiciaire)40
. Sur le plan matriel,
ces derniers mettront en uvre les rgles procdurales de droit commun pour rsoudre les
litiges fiscaux qui leur seront soumis. Toutefois, la survenance de ces litiges de droit commun
en matire fiscale donnera parfois lieu la mise en uvre de rgles procdurales particulires
dfinies par la loi. Ainsi, dans cette catgorie, on peut classer :
le contentieux de lexcs de pouvoir dont le champ dapplication reste cependant
limit dans le domaine fiscal
le contentieux du recouvrement lorsque la rgularit formelle des actes de poursuite
est conteste
le contentieux de la rpression dans lequel, il est question dapprcier la responsabilit
pnale du contribuable en cas dinfraction pnale caractre fiscal
A ct de ces contentieux, on retrouvera donc le contentieux spcifiquement fiscal.
Lintervention du juge de limpt (administratif ou judiciaire) encore couramment appel
juge fiscal sera le critre organique permettant de faire la diffrence. Sur le plan matriel,
ce dernier mettra en uvre des rgles contentieuses spcifiques, un corps de rgles autonomes
et propres au contentieux fiscal. Rentreront donc dans cette catgorie trois types de
contentieux:
le contentieux de limposition dans lequel le contribuable conteste les oprations
relatives lassiette et la liquidation de limpt ou des droits de douane ;
le contentieux de la responsabilit de ladministration fiscale. Dans celui-ci,
ladministration fiscale est somme de rparer les dommages causs au contribuable ou des
tiers lors de lexercice de son activit par ses services. Ce contentieux rlve de la comptence
du juge de limpt parce que les oprations permettant dengager la responsabilit de
40
Nous parlerons aussi parfois de dualit institutionnelle pour traduire le fait quil sagit du systme sur lequel repose notre organisation juridictionnelle. En effet, dans certains cas, le contentieux en matire fiscale ne droge pas au droit commun.
ladministration fiscale ne sont, ni dans leur cause, ni dans leur objet, dtachables de
ltablissement et de la perception des impositions41
;
le contentieux du recouvrement lorsque le contribuable conteste son obligation de
payer limpt.
Cette pluralit de contentieux dont la rsolution juridictionnelle interviendra dans la plupart
des cas au terme dune procdure non spcifiquement fiscale, reprsente un handicap essentiel
lunit juridictionnelle42
.
En ce qui concerne notamment le contentieux de limposition (le contentieux de lassiette et
celui du recouvrement), la tendance est de privilgier les rglements amiables. Linstitution en
2002 dun mdiateur du ministre de lEconomie et des finances43
conforte cette option.
Lintervention du juge est donc lultime recours en cas de rejet total ou partiel dune
rclamation pralable.
La procdure devant le juge devrait pralablement et obligatoirement44
tre prcde dune
phase administrative45
dans un souci de bonne administration de la justice. Cest la raison
pour laquelle cette phase ne sera pas occulte ; sachant que la phase juridictionnelle cest--
dire, la fonction de rendre la justice reconnue aux juges retiendra particulirement notre
attention.
Cette fonction de juger est une mission densemble qui englobe celle de dire le droit dans
lexercice de la juridiction contentieuse : le lien entre linstitution (la juridiction) et sa
fonction ayant toujours t affirm46
.
b- Juridiction ou juridictionnel
41
La procdure applicable devant les juges reste la procdure de droit commun applicable devant chaque ordre de juridiction. Il faut toutefois prciser que la mise en jeu de responsabilit de ladministration fiscale relve en principe de la comptence de la juridiction administrative lorsque le dommage a t caus en dehors de toute contestation relative lassiette ou la perception de limpt. Dans ce cas, la rparation se fait dans les conditions de droit commun de la responsabilit administrative. (Voir notamment Dossiers Pratiques Francis Lefebvre, Contentieux fiscal, 2002, p. 770, n 5182). 42
C'est--dire lunit de ladministration de la justice qui aboutirait lunit jurisprudentielle. 43
Dcret n 2002-616 du 26 avril 2002 instituant un mdiateur du ministre de lEconomie, des Finances et de lIndustrie : J. O. 28 avril 2002. 44
Art R*. 190-1 et s. du LPF. Cest une obligation mme si le directeur ou un inspecteur a indiqu au contribuable que sa rclamation ventuelle ne pourra faire lobjet dun accueil favorable : CE, Pln., 26 avr.1976, req.n 95. 585 : Dr fisc. 1976, c. 1441 concl. Labry. 45
Deux phases permettent de distinguer le contentieux fiscal: la phase gracieuse encore qualifie de phase contentieuse non juridictionnelle (ou administrative) qui implique un recours hirarchique, et la phase contentieuse juridictionnelle dans laquelle intervient le juge. 46
Voir notamment Francis Kernaleguen, Institutions judiciaires, Litec, 3e dition.
Associ aux juridictions, le vocable dualisme voque incontestablement lexistence de
deux amas dinstitutions comptentes pour rgler les litiges : il existe deux catgories ()
de juridictions:
des juridictions administratives, dont la juridiction suprme est le Conseil dEtat,
charges de connatre la plupart des litiges dans lesquels sont en cause lEtat ou les
collectivits publiques ;
des juridictions judiciaires, pour le reste, dont la juridiction suprme est la Cour de
cassation 47
. Ces dernires seraient donc indpendantes les unes des autres. Ceci
justifierait la ngation de toute ide de hirarchie entre elles, mme si historiquement, lune
pourrait avoir t cre avant lautre48
.
Quant au terme Juridiction , duquel dcoule ladjectif qualificatif juridictionnel, lui-
mme est un mot emprunt du latin jurisdictio qui veut dire action de dire le droit et de
mettre fin des contestations49
; ensemble des tribunaux de mme nature. La juridiction revt
ainsi deux versants : une dimension organique qui fait rfrence la structure, linstitution,
(dont le synonyme est en lespce, le tribunal) et une dimension fonctionnelle dans laquelle
laspect essentiel est lactivit mene par ce dernier.
Dans le mme ordre dides, le dictionnaire labor par lAssociation Henri CAPITANT50
,
sous la direction de Grard CORNU, dfinit ce terme comme tant un adjectif se rapportant
la juridiction prise soit comme un organe (le tribunal), soit comme une fonction (laction de
rendre la justice).
Ainsi, serait juridictionnel lacte par lequel une juridiction tranche une contestation, un conflit
entre les parties au terme dune procdure organise et qui, pour toutes ces raisons, serait
revtu de lautorit de chose juge51
. En dautres termes, lacte juridictionnel est celui qui,
dune part mane dune juridiction et qui, dautre part tranche un litige entre deux adversaires 52
47
Lexique des termes juridiques, op. cit. 48
Nous reviendrons sur lvolution historique relative la naissance des juridictions administratives. 49
M. Verpeaux, La notion rvolutionnaire de juridiction , Rev. Droits, 9-1989, p. 2-44, souligne quau cours de la priode rvolutionnaire, le terme juridiction est ignor par le lgislateur puisque le chapitre V du titre II de la constitution de 1791, consacr au pouvoir judiciaire, ny fait pas rfrence. Il prcise aussi que si en revanche, le terme juridiction est employ dans le titre II de la loi des 16-20 Aot 1790, cest pour dsigner les tribunaux et non pas la fonction juridictionnelle. 50
Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant (Sous la direction de Grard Cornu), d. Presses universitaires de France. 7
e d. p. 850-852.
51 Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, op. cit. Voir aussi, O. Gohin, Quest ce quune juridiction
pour le juge franais ? , rev. Droits 9-1989, p 97. 52
R. Perrot, Institutions judiciaires, Ed. Montchrestien, 1983, n 568 et s.
Sachant que lacte peut tre caractris par un seul des trois critres suivants: les deux
premiers tant les critres organique et formel. Ceux-ci traduisent lacte manant des
tribunaux spcialiss, hirarchiss et indpendants. Ils appliquent le droit en suivant des rgles
particulires de procdure. Le dernier, le critre matriel, implique la finalit c'est--dire, le
respect de lordre juridique, le constat du droit et les consquences qui rsultent dudit
constat53
. Cette dfinition prendrait donc en compte les dcisions gracieuses rendues par des
organes respectant les prrogatives sus cites.
Dans le cadre de cette tude, ce dernier aspect sera volontairement cart car cela conduirait
considrer que certaines institutions constitueraient des juridictions. Une telle approche aurait
pour consquence immdiate de dnaturer la prsente tude et de lui donner un champ
dapplication autre54
; alors quil est question de la limiter aux deux ordres de juridiction en
charge du contentieux fiscal en France.
Toutefois, la dimension europenne ne peut tre lude car nul besoin de rappeler le rle, au
demeurant primordial, que jouent les instances europennes dans la rsolution des litiges
nationaux des Etats membres.
Aussi bien la Cour de justice des communauts (CJCE) que la Cour europenne des droits de
lhomme (CEDH)55
, travers leurs abondantes jurisprudences, ont prcis les contours de la
notion sur le plan europen et par consquent sur lapprhension de celle-ci par les Etats
membres.
Certes, sur certains points, les divergences sont de rigueur mais dune manire gnrale un
accord de principe est mis en avant sur les aspects organiques fondamentaux56
.
Pour le droit communautaire dont lidologie est dfendue par la CJCE, plusieurs critres
doivent tre remplis pour que lon soit en prsence dune juridiction. Cette dernire doit tre
institue de faon permanente par une loi, tre indpendante et investie dune comptence
53
Olivier Gohin va dans le mme sens. Il prcise que si lidentification dune juridiction peut tre directe par le truchement dune loi explicite, elle peut aussi tre idirecte et dcouler soit de lidentification par lacte juridictionnel qui mane de lorgane investi de la fonction juridictionnelle, soit de celle des consquences qui sattachent ncessairement la nature juridictionnelle de lorganisme (composition, procdure, voies de recours etc.) O. Gohin, Quest ce quune juridiction pour le juge franais ? , rev. Droits 9-1989, p 97. 54
En effet, cela conduirait intgrer ici le rglement au moyen de larbitrage, et toutes les procdures non juridictionnelles de rglement de litiges, ds le moment o il y aurait une tierce personne pour trancher un diffrent entre ladministration fiscale et le contribuable. 55
Ces deux juridictions, si elles sont importantes en matire fiscale, cest surtout parce que leur interprtation des conventions permet dassurer presque toujours la cohsion du systme national. Ce nest que dans ce sens quelles seront mises en lumire dans cette tude. En effet, elle ne juge point les contestations opposant ladministration fiscale et les contribuables. 56
Une trs belle tude a t ralise cet effet : Robert Kovar, La notion de juridiction en droit europen , Liber amicorum, Mlanges Jean Waline, Gouverner, administrer, juger. d.Dalloz) p. 607 628.
obligatoire qui lui permette de statuer sur les litiges en droit au terme dune procdure
contradictoire.
Toutefois, le caractre contradictoire nest pour autant pas primordial pour la Cour de justice
des communauts europennes. En effet, comme le prcise Robert KOVAR : dans son arrt
du 21 fvrier 1974, Birra Dreher57
, elle (la cour de justice de communaut) confirme quil (suffit de
constater que le Prtoire exerce une fonction juridictionnelle au sens de larticle 177 du Trait et
quune interprtation du droit communautaire a t, par lui, estime ncessaire pour rendre sa dcision,
sans quil y ait lieu pour la Cour de considrer le stade de la procdure en conclusion de laquelle le
juge national a formul la question prjudicielle) . Plus encore dans un arrt plus rcent, la cour a
renforc sa position en prcisant que lexigence dune procdure contradictoire ntait pas un
critre absolu58
.
Cest sur ce point que sa jurisprudence diverge de celle de la CEDH. Pour cette institution qui
reprsente lautre versant du droit europen, cest un critre dcisif. Il est capital dans la
ralisation de lexigence pose par lart 6 paragraphe 1 de la Convention europenne des
droits de lhomme, savoir la garantie d un procs quitable pour tout justiciable. Cela
sexplique certainement par le fait que pour la CJCE, seule la dimension relative au rglement
dun litige (laspect matriel) est importante. Elle privilgie donc la finalit. Alors que pour la
CEDH, cest laspect formel du procs qui est le plus important. En dautres termes, ce sont
les conditions mises en place pour aboutir au rglement du litige, le respect de la procdure,
qui importent.
Sur ce motif essentiel quest le caractre contradictoire dune procdure juridictionnelle, la
CEDH a dni la qualit de juridiction la section du contentieux du Conseil dEtat des Pays-
Bas59
. Ainsi, suivant que lon se rfre lune ou lautre instance europenne, une institution
pourrait avoir ou non la nature de juridiction. Cette conception divergente de la notion de
juridiction nous intresse. Si, comme le fait remarquer Robert KOVAR, la CJCE a reconnu
le caractre de juridiction des instances nationales dans le cadre de la justice retenue ds
lors que ces dernires sont charges de rsoudre des litiges ou de trancher des contestations
sur la base du droit 60
, que dire du directeur des services fiscaux qui rend sa dcision
lorsquil est saisi dune demande pralable du contribuable ?
57
CJCE, arrt du 21 fevr. 1974, affaire 152/73 Birra Dreher, Rec. p. 201 58
CJCE, arrt du 17 sept. 1997, affaire C-54 /96 Dorsch Consult Ingenieurgesellschaft contre Bundesbaugesellschaft Berlin, Rec. P. I-4961 et les conclusions de lavocat gnral Tesauro. 59
CEDH, arrt du 23 oct. 1985, Benthem contre Pays-Bas, serie A n97. 60
R. Kovar, La notion de juridiction en droit europen , op. cit.
La question mrite dtre pose. Comme le souligne Jean Louis BERGEL61
, il existe des
juridictions qui ralisent des actes dadministration et des autorits administratives qui disent
le droit en rglant un litige. Ceci est le cas du directeur des services fiscaux62
lorsquil est saisi
dune demande pralable bien que, dans ce cas prcis, il soit la fois juge et parti63
. Do, un
doute quasi-certain sur la neutralit dont devrait faire preuve lautorit qui rend une telle
dcision.
Pour sa part, le professeur CHAPUS soulignait que la pratique de la juridictionnalisation de
laction administrative tait une anomalie : La proccupation que dans certains cas (), cette
action soit conduite avec une prudence et une impartialit pourrait, en effet, tre suffisamment
satisfaite par la soumission de cette action un rgime procdural non juridictionnel et qui serait un
juste milieu entre le rien et le tout, cest--dire, entre labsence de garanties particulires () et le luxe
des garanties de la procdure juridictionnelle. Lexistence dun rgime () associant lexigence dune
procdure contradictoire et celle de la motivation des dcisions, permettrait (...) de restituer aux
organismes en cause le caractre dorganisme administratif 64
.
Quoiquil en soit, tous les litiges fiscaux qui opposent ladministration aux contribuables ne
relvent pas obligatoirement de loffice du juge fiscal65
. Pour celles qui ncessitent
lintervention de ce dernier, en droit franais, la fonction de juger est lapanage de deux ordres
de juridiction. Les juridictions judiciaires66
qui, lorigine, taient les seules existantes et par
consquent les seules comptentes en tout point de vue en cas de litige ; et les juridictions
administratives qui ont vu le jour67
peu aprs la rvolution de 178968
et dont lobjectif
61
Thorie gnrale du droit, op.cit. p. 333. 62
R. Chapus, Quest ce quune juridiction ? La rponse de la jurisprudence administrative , Mlanges Eisenman, p-267. 63
Mme si ce dernier ne juge pas au sens strict et ne peut tre considr comme une judiction part entire. 64
Idem.p. 297 65
Il faut dire que certaines contestations ne connaissent pas loffice du juge tout simplement parce que des solutions sont trouves aprs la saisine du directeur des services fiscaux. Pour les autres contestations il existe toujours la possibilit davoir recours aux diffrentes commissions (Commission de conciliation, commission dpartementale des impts directs et taxe sur le chiffre daffaire ou encore la commission des infractions fiscales) qui jouent un rle important dans la rsolution amiable des litiges qui opposent ladministration fiscale et les contribuables. 66
Ds le XVIe sicle, on note lexistence dune instance spcialise, le conseil priv ou des parties qui prfigure la Cour de cassation. Avant la rvolution, on avait le Conseil des rois dont le but tait dasseoir lautorit judiciaire du roi et non pas de rendre rellement la justice. Il censurait tous les arrts contraires aux dcisions royales. Ce Conseil coiffait les nombreuses juridictions seigneuriales, ecclsiastiques, fodales. A lchelon infrieur, on trouvait les Parlements qui rendaient la justice au nom du roi et sur dlgation de celui-ci. Ceux-ci nont pas hsit saffranchir, rendre la justice et dire le droit, concurrenant ainsi le pouvoir royal. Aussi, au cours de la priode rvolutionnaire, dfense a t faite aux juges de simmiscer dans les affaires de ladministration et le Tribunal de cassation fut cre en 1791. Son rle tait de faire respecter cette nouvelle rgle et de sassurer de la bonne application de la loi. Il examinait les vices de forme et ne disposait pas de pouvoir dinterprtation. Le 18 mars 1800, Napolon cra la Cour de cassation. Cette cour nouvellement cre conserva ses dbuts le nom de Tribunal de cassation et garda les attributions de celui-ci. Il a fallu attendre la Constitution de lan XII pour que le terme Cour de cassation apparaisse de manire prenne. 67
Louis Fougre (dir.), Le Conseil dEtat : 1799-1974, Ed. du CNRS, Paris, 1975, p. 3 68
Loi des 16-24 aot 1790 et dcret du 16 fructidor An III.
principal tait de limiter laction des prcdentes. Lide vhicule tait simplement lie une
volont de soustraire ladministration au joug des juridictions judiciaires.
De temps en temps, on a donc d assister soit la rduction du champ de comptence de
chacune delles, soit lextension de celui-ci. Cela a fait natre des situations dopposition, de
complmentarit et un ncessaire besoin rciproque de collaboration.
Le dualisme juridictionnel est donc une ralit dont la constance dpasse tous les dbats
thoriques relatifs son maintien ou sa suppression69
.
Corollaire de lhistoire, la question se pose avec acuit depuis la rvolution, priode laquelle
on a trs souvent eu tendance rattacher lorigine de la composition duale de notre systme
juridictionnel.
Pourtant, on notait dj ds le 21 fvrier 1641, lexistence de ldit royal de Saint-Germais-
en-Laye dont le but tait de limiter lintrusion des tribunaux dans les affaires du
gouvernement.
Nonobstant cela, la sparation des autorits administratives et judiciaires70
, consacre par les
lois des 16-24 aot 1790 et le dcret du 16 fructidor an III, est considre comme tant la
source textuelle du dualisme. En effet, la fonction juridictionnelle, telle quelle apparat dans
le cadre conceptuel actuel, est un pur fruit de la rvolution bien que son origine soit beaucoup
plus lointaine71
.
Si le pouvoir judiciaire , entendons par l le pouvoir de rendre la justice (le sens premier
donn par les pres de la rvolution), trouve son origine dans la sparation des pouvoirs72
, la
relation de cause effet entre sparation des pouvoirs et dualit de juridiction nest pas
clairement tablie. Si oui, elle est dune telle subtilit quelle a t battue en brche. Plusieurs
tudes sur la question montrent en effet quil sagit dune interprtation abusive des textes de
69
D. Truchet, Plaidoyer pour une cause perdue : la fin du dualisme juridictionnel : AJDA, 2005, n 32, p. 1767. 70
CC. Dcision n 86-224 DC du 23 janvier 1987, RFDA 1987, p. 301 et suivantes : dcision dans laquelle le Conseil Constitutionnel fait du principe de la sparation un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la rpublique. 71
Selon, Jean Vincent et Serge Guinchard, Institutions judiciaires, organisation juridictionnelle, gens de justice, p.88 ; John Locke (Essai sur le gouvernement civil, 1690) semble en effet tre le prcurseur en matire de sparation des pouvoirs bien que sa distinction tripartite ne laisst point de place la fonction juridictionnelle. Selon ces mmes auteurs, il a fallu attendre Montesquieu (Lesprit des lois, 1748 Chap VI du Livre XI) pour que le principe abhorre toute son essence moderne. 72
En effet, pour eux, le pouvoir judiciaire correspondait la fonction de juger. Cest du moins, ce qui ressort de la Constitution de 1791. Cest une conception qui se justifie par le fait quil nexistait pas cette poque de vritables juridictions administratives. La volont de doter ladministration de son propre juge pourrait avoir servi de tremplin et aurait justifi la mise en place de la dualit de juridiction. Cette explication qui ma foi, reste logique est mise en chec de nos jours.
178973
et que la sparation des pouvoirs qui est un principe constitutionnel, ne fonde pas
ncessairement la dualit de juridiction. Cependant, de linterprtation quen ont faite les
penseurs rvolutionnaires, dcoule un autre principe (sans valeur constitutionnelle), celui de la
sparation des autorits administrative et judiciaire dont la consquence est linterdiction faite
aux juges judiciaires, non seulement de simmiscer dans les affaires de ladministration, mais
surtout de connatre des litiges administratifs et de juger ladministration.
Il faudrait pour cela rappeler que la fonction de juger est considre par les penseurs
rvolutionnaires comme une fonction spcifique qui traduit le rejet de labsolutisme royal.
Cest une fonction qui ne sera donc pas bannie, mais tout simplement ampute dune partie de
son contentieux savoir lembryonnaire contentieux administratif.
Embryonnaire car il a fallu une longue volution jalonne de faits marquants tel le clbre
arrt Blanco de 1873 ou encore la dcision du Conseil Constitutionnel de 198774
pour que
lon arrive un enracinement ferme et dfinitif de deux ordres de juridiction avec des
domaines de comptences diffrents, mais des rles identiques dans leurs domaines respectifs
de comptence.
Le contentieux fiscal quant lui se singularise. Il constitue une entorse aux principes
rvolutionnaires puisqutant un contentieux administratif par excellence, il nchoit pas
ncessairement aux juridictions administratives, du moins pas entirement. Ainsi, tout en se
greffant aux institutions juridictionnelles mises en place au cours de la priode
rvolutionnaire, il garde une part de son originalit.
B- La matire fiscale
De cet enchevtrement dvnements historiques, la matire fiscale brille par son
particularisme. Emprunt au latin fiscalis, ladjectif fiscal vient de fisc75
. Le terme lui-mme,
rsulte du latin fiscus76
. Aujourdhui, il dsigne lensemble des services chargs dtablir et de
percevoir les impts.
73
Voir notamment ltude rcente de D. Cohen, La Cour de cassation et la sparation des autorits administrative et judiciaire, Paris, Economica, 1987. Etude dans laquelle lauteur recense les thses qui attestent que le dualisme juridictionnel nest pas le corollaire de la sparation des pouvoirs. 74
CC. Dcision n 86-224 DC du 23 janvier 1987, op.cit. 75
Dictionnaire Etymologique, Albert Dauzat, Larousse, paris, 1938, p. 326. Au sens figur, le terme dsigne Le trsor public , mais au sens propre il veut dire panier, caissette et le terme fiscal est emprunt au latin fiscalis. 76
Sous Rome, le fisc ou fiscus dsignait aussi le Trsor du prince ou le domaine ou le Trsor du Souverain , D. Richer, Dictionnaire de droit fiscal et Douanier, J-L. Albert, J.L. Pierre, D. Richer, (dir.), Ellipses. 2007, p. 253.
Du point de vue du droit, il sagit dune branche rgissant les impts quant leur assiette, leur
liquidation et leur recouvrement. Toutes ces phases marques par des procdures particulires
sont sujettes contentieux. Celui-ci ncessite une gestion par des juridictions comptentes
dans la dtermination des dcisions adquates.
Aussi le comportement des juges (administratif ou judiciaire) intervenant dans la matire
fiscale est primordial. Par consquent, il est important de ltudier. Lhomognit de ce
comportement, et par voie de consquence, celle de la juridiction fiscale suscite effectivement
des interrogations. La diffrence de but poursuivi par leurs diffrents contentieux, laisse
planer le doute quant la cohrence du systme dune manire gnrale. De manire
beaucoup plus spcifique, elle conduit sinterroger sur le maintien des garanties quon serait
en droit dattendre de la justice.
Avant de rpondre concrtement ces questions dordre pratique, il est intressant de
sattarder sur lorigine de linstitution duale en matire fiscale. Cest un pralable quon ne
pourrait occulter et sur lequel quelques explications mriteraient dtre donnes.
La dualit juridictionnelle en matire fiscale, telle quelle existe de nos jours, date de la
priode rvolutionnaire. Toutefois, lidologie de sa mise en place sloigne lgrement des
considrations avances par les rvolutionnaires pour soustraire le contentieux administratif
du joug des juridictions judiciaires.
1- La gense de la dualit dans la sphre fiscale
On serait tent dattribuer au lgislateur rvolutionnaire lorigine de la dualit en matire
fiscale. Ceci ne serait pas faux si on sen tient restrictivement aux institutions actuelles. Mais
cela ferait oublier quun semblant de dualit juridictionnelle a vu le jour lors de lmergence
de lEtat Royal avec la naissance dune administration des finances77
. On distinguait cette
poque, dune part, les finances ordinaires ou ressources traditionnelles de nature seigneuriale
et fodale composes de la taille, des rentes foncires, reliefs, lods et ventes ; dautre part
des finances extraordinaires (aides, gabelles, traites) qui taient consenties par les tats
gnraux ds 1355, mais qui devaient rester exceptionnelles.
Ce ne fut pas le cas puisque ces dernires furent maintenues indfiniment par lautorit royale
qui a d juxtaposer des administrations car refondre ladministration ordinaire paraissait tre
une tche trop ardue.
77
F. Saint-Bonnet, Y. Sassier, Histoire des institutions avant 1789, 3e d. Montchrestien, d. 2008, p. 239.
Cette dualit dadministration a gnr par voie de consquence une dualit de contentieux.
Au lieu de dlguer le contentieux de ces deux administrations financires une seule
juridiction78
, lautorit royale a opt pour une dualit de juridiction.
Ainsi, le 2 avril 1390, Charles VI institua deux juridictions distinctes savoir : dune part une
chambre du Trsor devant laquelle taient ports tous les litiges touchant au domaine royal et
relevant en appel du parlement ou de la chambre des comptes suivant la contestation en
cause ; dautre part, une Cour des aides, charge de rgler tous les litiges relatifs aux finances
extraordinaires79
.
Sans vouloir crer en soi une dualit juridictionnelle, lautorit royale a mis en place une
bauche de dualisme juridictionnel en matire fiscale. Il faut lavouer, cest plus un concours
de circonstances qui est gnrateur de cet tat de fait quune volont de structurer les
institutions dans ce sens.
Cela explique pourquoi il va falloir attendre les lois de 1790 et 1791, soit plusieurs sicles
plus tard, pour que le caractre dual de notre systme juridictionnel fiscal et actuel commence
senraciner. Peu avant ces lois, cest dire sous lancien rgime, le contentieux fiscal restait
lapanage des juridictions spcialises80
(La cour des aides jugeait du contentieux de la
plupart des contributions, les Elections taient comptentes en matire de taille, le Grenier
sel tranchait le contentieux de la gabelle, les juges des Traites taient comptents en matire
de douane ; cette ribambelle de juridictions, il faudrait aussi associer la juridiction de
lintendant et celle du conseil du Roi)81
.
Cette cacophonie dans laquelle tait plong le systme juridictionnel justifia la volont de
mettre en place une juridiction unique comptente en matire fiscale. Mais lAssemble
constituante, anime par la volont de supprimer les impopulaires Cours des aides, ne voulut
pas crer dans chaque dpartement des juridictions dadministration. Lassimilation des
premires aux secondes tait fort probable et aurait t de nature mcontenter le peuple. Les
constituants dcidrent donc de ne point crer de nouvelles juridictions mais de confier
78
La plus approprie lpoque tant la chambre des comptes issue de la curia regis. 79
F. Saint-Bonnet, Y. Sassier, Histoire des institutions avant 1789, op.cit., p. 240. 80
Il faut prciser que si ces juridictions spcialises dans certains procs fiscaux spcifiques semblent tre de prime bord des juridictions de droit commun, elles dcoulent dabord de ladministration elle-mme. A lorigine, le contentieux dont ils ont la charge est dabord confi aux fonctionnaires locaux et rgionaux. Ces derniers ont fini par devenir de vritables juges do les diffrentes juridictions (Cour des aides, lections). La Monarchie devant apporter des garanties ses sujets, les fonctionnaires qui jugeaient des affaires fiscales tendaient devenir de vritables magistrats . Cest ainsi que sont par la suite nes plusieurs juridictions en loccurrence les greniers sel, les juges des traites. Voir G. Ardant, Thorie sociologique de limpt, SEPVEN 1965, p. 901 et s. 81
Source : Renahy, Diversit et unit du contentieux fiscal, Thse, Paris, 1955 ; B. Castagnde, La rpartition des comptences juridictionnelles en matire fiscale, op. cit.
ladministration elle-mme le soin de rgler tous les litiges ayant le caractre administratif
mais surtout, bien videmment, fiscal.
Mais tout le contentieux fiscal ne fut pas confi ladministration car certains impts
soulevaient des questions particulires et ncessitaient la mise en place de garanties
spcifiques. Pour ces derniers, la solution fut de confier le contentieux aux juridictions
judiciaires. Cest ainsi que le contentieux fiscal fut rparti entre les juridictions judiciaires et
ladministration (qui, sous lvolution du contentieux administratif, se verra doter dune
juridiction administrative).
2- Linfluence du dveloppement du contentieux administratif
gnral sur lenracinement de la dualit en matire fiscale.
En thorie, la gense de la dualit juridictionnelle en matire fiscale se dtache compltement
de la dualit institutionnelle dont le moteur a t les lois des 16-24 aot 179082
. Celles-ci
disposent que les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours spares des
fonctions administratives. Les juges ne pourront, peine de forfaiture, troubler de quelque manire
que ce soit les oprations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs raison de
leurs fonctions. . Lobjectif majeur tait de limiter les intrusions volontaires ou involontaires83
du corps judiciaire dans les activits de ladministration. Toutefois, en pratique, le
dveloppement du contentieux administratif et prcisment de la juridiction administrative a
jou un rle important dans le renforcement de la dualit juridictionnelle en matire fiscale.
Le contentieux fiscal, tant un contentieux parasite 84
, a subi les ncessaires volutions
orchestres par le dveloppement du contentieux administratif et sest ainsi adapt aux ralits
institutionnelles. Le passage de la justice retenue la justice dlgue 85
, de la justice
82
Toutefois, la mise en place de la juridiction administrative reste trs lie limpt et la contrainte quelle faisait peser sur les contribuables. La ncessit dune juridiction spcialise charge de traiter de ces litiges a t affirme. Voir G. Ardant, Thorie sociologique de limpt, S.E.P.V.E.N 1965, p. 876 et s. 83
Plusieurs raisons justifient et fondent ladite prohibition. La plupart des auteurs soulignent les incessantes immixtions des corps judiciaires de l'Ancien Rgime dans le domaine administratif. Ces immixtions taient nombreuses. Parmi celles-ci, on peut notamment citer les arrts de rglement dans lesquels, ils fixaient les rgles gnrales. On peut aussi citer le refus denregistrer et dappliquer les ordonnances royales.
Dautre part, lattachement leur privilge, leur conservatisme et les abus de pouvoir dont ils faisaient preuve, ntaient point de nature rassurer les constituants, encore moins la population. Au contraire, cela a dcid les premiers poser cette illustre rgle. Celle-ci reste la base de nos institutions et principalement, celle de la cinquime rpublique. 84
Le contentieux fiscal est un contentieux parasite parce quil nexiste pas des juridictions fiscales autonomes. Sur le plan organique, il se greffe sur les juridictions de droit commun et est trait par les juges de droit commun qui, selon le contentieux en cause mettent en uvre des rgles particulires et arborent la casquette de juge de limpt. 85
Il faut dire pendant longtemps la justice tait rendue par le ministre dans les contentieux relevant de son domaine de comptence. Le recours tait gracieux et le chef de lEtat statuait en dernier ressort aprs consultation du Conseil dEtat au sein duquel, fut cre en 1806 une section contentieuse. La justice tait donc
dlgue la cration des Tribunaux administratifs en 1953 et celle des Cours
administratives dappel en 1987 a marqu la structuration du contentieux fiscal. Il sest
logiquement adapt aux impulsions ainsi donnes par la juridiction administrative86
.
En dfinitive, on se serait logiquement attendu ce que le contentieux fiscal choit
compltement ladministration. Outre le fait que le rattachement de cette matire au droit
public ne soit pas contest, la fonction rgalienne qui consiste lever limpt est une fonction
dans laquelle la notion de puissance publique est manifestement prpondrante.
Sans choir compltement aux juridictions administratives puisque les Constituants en 1790
en ont remis une partie aux juridictions judiciaires87
, entrinant ainsi la dualit de juridiction
en matire fiscale, lmancipation de linstitution dans cette sphre reste en dfinitive
tributaire des lois des 16-24 aot 1790, de lvolution de la juridiction administrative et du
contentieux administratif gnral.
Ceci tant, le contentieux fiscal se distingue du contentieux administratif. Si le partage de ce
dernier est globalement une uvre jurisprudentielle, comme llaboration des rgles les plus
importantes du droit administratif88
, en matire fiscale, la rpartition est dabord lgale89
avant
dtre une uvre jurisprudentielle.
3-Une rpartition lgale du contentieux fiscal
a- Labsence de logique juridique
En matire fiscale, cest le lgislateur qui a eu pour mission de rpartir les comptences. Le
contentieux des impts directs fut attribu ladministration par les constituants, pendant que
plusieurs lois donnaient comptence aux tribunaux judiciaires en ce qui concerne plusieurs
autres impositions : la loi des 7-11 septembre 1790 leur attribua le contentieux relatif aux
impts indirects, les lois du 22 aot 1791, le contentieux des douanes et des timbres, les lois
du 22 frimaire en VII le contentieux de lenregistrement. Cette attribution a t motive par
des circonstances despce et aucune logique juridique ne peut valablement tre avance pour
retenue. Elle a t dlgue avec larrt du CE 13 juillet 1889 : Arrt Cadot qui a donn une comptence gnrale la juridiction administrative lorsquun litige opposerait ladministration et un administr. 86
Il faut prciser que la cration du Tribunal des conflits (en 1872), dont le rle est prcisment de rgler les problmes de comptence entre les deux ordres de juridiction, est conscutive la mise en place progressive de la juridiction administrative dont lindpendance par rapport aux juridictions judiciaires a t clairement affirme. 87
La loi des 7-11 septembre 1790 attribue le contentieux relatif aux impts indirects aux juridictions judiciaires, les lois du 22 aot 1791, le contentieux des douanes et des timbres, les lois du 22 frimaire en VII le contentieux de lenregistrement. 88
G. Vedel et P. Delvolv, Droit administratif, P.U.F 7e d. 1980, pp.105 et s.
89 Voir lart 199 du LPF.
la justifier. Aujourdhui encore, la rpartition est une uvre lgislative. Le livre des
procdures fiscales en rend compte, bien que de nombreuses dispositions fiscales se
retrouvent dans plusieurs codes caractre non fiscal. Si la rpartition a t pour lessentiel
loeuvre du lgislateur, le juge a nanmoins eu loccasion dintervenir pour dsigner le juge
comptent pour certains impts90
.
La rpartition du contentieux fiscal entre les deux ordres aurait pu sexpliquer par la prsence
ou labsence dun acte administratif la base de lopration dimposition comme lont
soutenu LAFERRIERE91
et certains illustres auteurs dont le doyen HAURIOU. Celui-ci
expliqua jadis que le contentieux des impts indirects est, pour lapplication des tarifs, judiciaire,
parce quil sagit uniquement dappliquer des lois sans que le juge ait apprcier une opration
administrative pralable 92
.
Mais plusieurs auteurs, dont le premier Gaston JEZE93
, ont trs vite mis en lumire les
insuffisances de cette thorie. Ainsi, il est trs vite apparu que cette attribution nest que le
fruit de lhistoire car limpopularit des impts indirects tait telle quen 1790, lorsque les
constituants ont voulu les rtablir, il leur fallait rassurer la population : Seules, en effet, des
raisons historiques paraissent avoir fait attribuer aux tribunaux judiciaires le contentieux des impts
indirects, ressuscits de lancien rgime, et ce titre , suspects et impopulaires : cest par accident, en
dfinitive que le contentieux fiscal est rparti entre nos deux juridictions, et ce partage na aucune
porte juridique 94
. Impopulaire, rejet, le contentieux des impts indirects se devait dtre
entour de nombreuses garanties pour que leur rhabilitation ne soit pas lorigine de
nouveaux bouleversements institutionnels.
Lune de ces garanties tait justement den confier le contentieux aux tribunaux judiciaires
pour assurer une certaine impartialit des juges: Lassemble constituante crut ainsi organiser le
contentieux des impts indirects de faon lentourer des meilleures garanties juridictionnelles. En
prenant une mesure politique- pour faire avaler aux contribuables la rsurrection de ces impts
quon avait pu esprer limins jamais 95
.
b- Une constante remise en cause
90
Ce fut notamment le cas de lISF, de la CSG. 91
L. Laferrire, Cours thorique et pratique de droit public administratif, 4e dit., 2 vol., Paris, 1854, t.I, p.691 et
t. II, p.273 et 274. 92
Voir notamment ce sujet : Hauriou, Prcis de droit administratif. 11e d., 1926, p.421.
93 G. Jze, Cours de droit public, Les contrats administratifs, Paris, 1925, p.60 ;
94 L.Trotabas, La nature juridique du contentieux fiscal en droit franais , Mlanges Maurice Hauriou, 1929,
p. 711 et suiv. 95
Renahy, Diversit et unit du contentieux fiscal, Thse op. cit. p. 22.
Labsence de fondement juridique96
et lvolution de la socit ont t lorigine de la remise
en cause de cette organisation juridictionnelle duale du contentieux fiscal. Elle a en effet
longtemps t dcrie.
Plusieurs auteurs rputs comme MAESTRE ou encore BERN, au-del de la dnonciation du
systme, ont propos la mise en place de lunit de juridiction. Le professeur
MAESTRE97
sest notamment prononc pour la mise en place dune juridiction fiscale
spcifique, distincte des juridictions administrative et judiciaire existantes. Philippe BERN
quant lui, a opt pour lattribution du contentieux fiscal la juridiction administrative98
.
Si cette question sest pose avec vhmence autour des annes 1970 au nom dune meilleure
justice ainsi quau nom de la mise en place de garanties supplmentaires pour le contribuable
ou tout simplement par nostalgie car comme lexpliquait le doyen TROTABAS99
, force est de
constater que la question a beaucoup volu et ne se pose plus en ces termes aujourdhui. Ces
problmatiques passes ont fait lobjet de dveloppements divers et varis au terme desquels
un choix profond et majoritaire fut en faveur de la conservation du dualisme.
Comme le fit remarquer Maxime CHRETIEN100
, lun des fervents partisans de lunit une
certaine poque, mais dont les ides ont grandement volu vers un maintien du systme
actuel avec une relle option pour une certaine simplification, on peroit difficilement en quoi
lunification serait prfrable la simplificationIl serait mme fort douteux quune troisime et
nouvelle juridiction (ft) plus impartiale que les deux juridictions traditionnelles dont la prtendue
partialit reste dailleurs dmontrer. . De plus, il insista sur le fait que la mise en place dune
juridiction unique conduirait de nombreuses rformes fastidieuses et infinies : notamment
celles relatives la sous rpartition des contestations fiscales au sein dune mme juridiction.
Celles-ci napparaissaient pas, selon lui tre moins complexes que le systme tel quil se
prsente actuellement.
Le doyen TROTABAS, quant lui, exprimait dj le caractre inconcevable dune juridiction
spcialise en matire fiscale : il ny a pas place entre lordre judiciaire et lordre
96
B. Castagnde, en 1972, aprs avoir synthtis la pense de lensemble des auteurs sur la question, est arriv la conclusion selon laquelle, de fausses considrations juridiques et des vritables considrations historiques justifient le partage du contentieux fiscal entre les deux ordres de juridiction. 97
J.C. Maestre, A propos de la loi du 27 dcembre 1963 portant unification ou harmonisation des procdures en matire fiscale ; R.S.F., 1964, p.537 609. 98
Ph.Bern, La nature juridique du contentieux de limposition, Thse 1972. 99
En effet, sous lancien droit, les recours contentieux qui taient ouverts semblaient impliquer un contentieux unique de nature administrative. 100
M. Chrtien, Rflexions sur la dualit juridictionnelle en matire fiscale ; Mlanges Mlanges Marcel. Waline, 1974, tome I, p. 115 et s.
administratif pour un troisime ple juridictionnel 101
crivait-il. Ce point de vue est
confort par la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle la dualit des ordres
juridictionnels a une valeur constitutionnelle car elle constitue un principe fondamental
reconnu par les lois de la Rpublique.
Ladministration fiscale elle-mme en est partisane depuis 1956 et la raffirm en 1963. Au
cours de ces deux annes elle sest farouchement oppose lunification du contentieux au
profit dune juridiction unique102
.
Les volonts de rformes les plus rcentes vont elles aussi vers le rejet de la modification du
systme dual103
: un amendement modifiant lart. 34 de la Constitution et dont le but tait
dtendre le domaine de la loi en y rajoutant la rpartition des contentieux entre les deux
ordres juridictionnels a t retir du projet de loi constitutionnelle de modernisation de la
Vme rpublique. Monsieur Pierre MAZEAUD104
a en effet soulign que cet amendement
tait un danger pour lEtat de droit. Il mettait en doute le bien fond de la sparation des
contentieux judiciaire et administratif et touchait lune des raisons dtre de la dualit
juridictionnelle en constituant une mnace pour la juridiction administrative. Le contentieux
naurait plus t rparti en fonction de la nature des actes, mais par matire ; ce qui aurait
conduit lanantissement de la spcificit du juge administratif105
. Sa comptence de
principe en matire fiscale se serait trouve dpourvue de fondement juridique.
Il nen demeure pas moins que le dualisme soulve incontestablement la question relative
lunit des traitements des contestations fiscales106
.
Entourer le contentieux de garanties a t loption toujours choisie. En 1790 dj, pour
garantir une meilleure justice au contribuable, la constituante supprima toutes les procdures
qui entouraient le contentieux des impts indirects pour que la clrit soit de mise. Cest
ainsi que lobligation davoir recours des avous fut abolie ainsi que la rgle ordinaire du
double degr de juridiction107
.
101
L.Trotabas, La nature juridique du contentieux fiscal en droit franais , op. cit. p. 714. 102
J.C. Maestre, A propos de la loi du 27 dcembre 1963 portant unification ou harmonisation des procdures en matire fiscale , op. cit. 103
Voir le rapport n892 du 15 mai 2008, ralis au nom de la commission des lois par Jean Luc Warsmann, rapporteur, sur le projet de loi constitutionnelle n 820, p. 239. 104
P. Mazeaud, communication dans le Journal Le Monde du 20 mai 2008. 105
O. Pluen, La Constitution de blocs de contentieux : aspect du dbat sur la dualit juridictionnelle ; http : www.blogdroitadministratif.net 106
Cest le reproche le plus cuisant auquel doit faire face notre systme. Mais encore, nous verrons que la tendance est plus la convergence qu la divergence entre les deux ordres de juridiction. 107
Ceci est dailleurs curieux car ce sont les lments fondamentaux lexistence dun procs quitable au sens de lart 6 de la Convention europenne des droits de lhomme. Il faut croire que les considrations et les principes voluent au gr des poques.
http://www.blogdroitadministratif.net/
De plus, au-del de cette rpartition des comptences qui s'inscrit dans un ordre juridique
interne gouvern par des principes antagonistes, il est apparu qu'il existe des attributions
fondamentales dont seule lautorit judiciaire peut assurer le respect. Cette considration a
permis denraciner le dualisme du contentieux fiscal. Les constituants ont estim que la libert
individuelle et le droit de proprit sont donc par essence du domaine de lautorit judiciaire.
Elle en assure le respect dans tous les domaines : aussi la matire fiscale ne pouvait pas y
chapper. Cette logique implacable se retrouve encore aujourdhui car elle est rige en
principe constitutionnel108
.
Cette approche historique fut conforte par la jurisprudence qui lui confre un caractre
pratique. Le but, en dfinitive, est de simplifier aussi bien le contrle de limpt par le juge
que laccs simplifi au juge pour le contribuable109
.
Le Tribunal des conflits, dans larrt Bourgogne-bois du 10 juillet 1956110
, formule donc une
rgle gnrale qui reprend lensemble de ces considrations historiques et contemporaines: la
comptence du juge judiciaire ne stend pas au-del des droits de mutation et des
contributions indirectes, alors que le juge administratif se voit affecter les impts directs et
tous les impts qui ne rentreraient pas dans lune des prcdentes catgories, condition
quils procdent dactes ou dopration de puissance publique. (Jurisprudence reprise par les
deux cours suprmes : CE, 20 octobre 1997, SA Papeteries Etienne c/Voies navigables de
France: Lebon 537 et Cass 1er
dc. 1998, St Immobilire marseillaise, n1897 D : RJF
2/1999, n269)
Cette logique fut aussi reprise par le Conseil Constitutionnel dans sa dcision du 23 janvier
1987111
. La haute Cour Constitutionnelle a en effet dfini la ligne de dmarcation entre les
deux ordres de juridiction. Certes il sagit dune rgle gnrale mais son application en
matire fiscale ne souffre daucun doute.
Le Conseil prcise qu lexception des matires rserves par nature lautorit judiciaire,
relvent en dernier ressort de la comptence de la juridiction administrative, lannulation ou la
108
Art. 66 de la Constitution : Nul ne peut tre arbitrairement dtenu. Lautorit judiciaire, gardienne de la libert individuelle, assure le respect dans les conditions prvues par la loi . 109
Et ceci, malgr le fait que lon reproche impunment au dualisme son caractre complexe et la cacophonie quelle instaure. 110
TC, 10 juillet 1956, Bourgogne- Bois, Rec. CE, p. 586. 111
CC, Dcision du 23 janvier 1987 op.cit. Il est vrai que la rserve de comptence mise en place ne porte que sur le contentieux de lannulation et de la rformation c'est--dire sur le contentieux de lexcs de pouvoir et sur quelques contentieux spcialiss pour lesquels le juge administratif dispose dun pouvoir de rformation. Ceci exclut le contentieux de pleine juridiction en loccurrence le contentieux de la responsabilit, mais aussi les matires rserves par nature lautorit judiciaire (libert individuelle et par extension, la protection de la proprit prive).
rformation des dcisions prises dans lexercice de prrogatives de puissance publique par les
autorits exerant le pouvoir excutif.
Dans un tel contexte pourquoi la dualit juridictionnelle en matire fiscale continue-elle de
faire dbat ?
Cest la question quon est en droit de se poser. Marie-Christine ESCLASSAN souligne en
loccurrence le caractre marginal des litiges fiscaux devant les deux ordres de juridiction
comparativement aux modes de rglements non juridictionnels. Ceci, dautant que
lclatement des comptences juridictionnelles nenlve pas aux juridictions administratives
lessentiel du contentieux des impts112
.
Si la question est donc toujours discute, ce nest pas parce que le contentieux fiscal aurait d
tre entirement confi lun des deux ordres de juridiction prexistant, ou une juridiction
unique du fait de la prsence inconteste du caractre exorbitant de la crance fiscale.
Cest surtout parce que le systme actuel est complexe113
. Il gnre des interrogations
subsidiaires, en loccurrence en ce qui concerne luniformit de la gestion de la contestation
fiscale.
112
M.-C. Esclassan, Lorganisation du contentieux fiscal est-elle toujours actuelle RFFP nov. 2007, n spcial 100, p. 59-69. 113
Le dictionnaire (Grard Cornu) Henry Capitant (dir.) a dfini le mot complexe comme tant un adjectif issu du latin complexus de complecti (Contenir). Selon lui, cest un terme qui se dit dune opration compose de plusieurs actes lmentaires qui concourent produire le rsultat final. Cest en ce sens que Ren Chapus a tenu compte de la notion pour dfinir une opration complexe (R. Chapus, Droit du contentieux administratif, 11
e d., n 781). Selon lui, il y a opration complexe lorsquune dcision finale ne peut tre prise quaprs
intervention dune ou plusieurs dcisions successives spcialement prvues pour permettre la ralisation de lopration dont la dcision finale sera laboutissement . Tout comme plusieurs autres auteurs avant et aprs lui (F.Chevallier, La fonction contentieuse de la thorie des oprations administratives complexes : AJDA 1981 pp.331-347 ; M. Chrtien, De la belle carrire promise la notion dopration complexe (Suite un constat prmatur ?) : AJDA 1982, pp. 20 et s. ; M. Distel, La notion dopration administrative complexe : Revue administrative 1981,p. 370-376 ; M. Roncire, Actualit de la notion dopration complexe : LPA 1996/101/pp.5-6.).
La notion a cependant t associe celle de procs par Loc Cadiet, (Dictionnaire de la justice, PUF. pp.1089) : la complexit nat de la pluralit imprime au procs par le litige qui lui sert de support ou par les instances qui le dcoupe. Cet aspect des choses sera ainsi vrifi dans le procs fiscal. En effet, les questions poses par le contribuable ou par ladministration fiscale (le litige proprement dit), de mme lensemble des instances ( savoir la procdure devant les juges de 1ere de 2
e instances et le recours en cassation) sont marques
tant devant le juge judiciaire que le juge administratif de rgles de procdure civile, administrative et fiscale qui ne sont pas simples. Elles peuvent en plus, tre paralllement ou conjointement applicables.
De plus, Loc Cadiet prcise quil y a procs complexe lorsque la diversit affecte ses lments constitutifs (multiplicit des parties, varits des questions litigieuses), et complexe de procs si elle provient de son agencement (coexistence de plusieurs instances). Et comme le prcise en plus lauteur, la situation fait difficult quand elle se heurte des comptences multiples. Cest essentielleme