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SFEN/GR21 Janvier 2014 LE GRAND CARÉNAGE DU PARC NUCLÉAIRE EDF ET LES ACTIONS POST FUKUSHIMA 1 AMBITIONNER DE PORTER À 50 OU 60 ANS L’EXPLOITATION DES RÉACTEURS Le Grand carénage du parc nucléaire d’EDF vise à maintenir les performances de ce parc en termes de sûreté et de compétitivité, et à préparer une demande de prolongation de la durée de vie des réacteurs à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Si la prolongation à 40 ans semble bien engagée, une prolongation au-delà, soit 50 ou 60 ans, n’est pas acquise et ne pourra l’être qu’après prise compte du retour d’expérience post Fukushima et de demandes complémentaires éventuelles de l’ASN prenant en compte le vieillissement des installations et les jouvences entreprises ainsi que la prise en compte d’une réglementation en évolution continue. Compte tenu des objectifs affichés par le gouvernement, avec en particulier l’objectif d’une réduction de 78 à 50% de la part du nucléaire dans le mix français, un certains nombre d’échéances devront être suivies attentivement : - Une Commission d’enquête parlementaire vient de commencer, sur initiative d’EELV, ses travaux sur les coûts du nucléaire, y compris les coûts potentiel d’un accident majeur 2 ; - La Commission de Régulation de l‘Énergie (CRE) va mettre à jour son étude du prix de l’électricité ; - La Cour des Comptes va mettre à jour son rapport de 2012 sur les coûts du nucléaire, y compris l’estimation du coût d’un accident majeur 3 . - L’ASN devrait s’exprimer sur ses exigences concernant une prolongation jusqu’à 50 ans (voire 60 ans en fonction des générations des réacteurs actuels) en 2015. 1. L’accident de Fukushima et son impact sur le nucléaire français 1.1. L’accident dans le contexte japonais L’accident, suite à un séisme majeur (échelle 10), suivi d’un tsunami d’une ampleur considérable, aurait du être évité sans des erreurs graves de management de la sûreté : - Les réacteurs japonais ont, jusqu’à preuve du contraire, bien résisté au séisme, - En revanche le tsunami 4 , pourtant prévisible puisque des recherches historiques en avait identifié d’autres d’une telle ampleur dans le passé, n’avait pas été pris en compte par l’exploitant (qui le jugeait sans doute improbable) au niveau nécessaire et le dimensionnement correspondant de l’installation n’avait pas été imposé par l’autorité de sûreté. - C’est d’autant plus regrettable qu’une centrale voisine, celle d’ONAGAWA, pourtant encore plus proche l’épicentre, a bien résisté au séisme et au tsunami grâce à des travaux complé- mentaires réalisés antérieurement par l’exploitant, les diésels ayant été préservés et la réfrigération des coeurs maintenue. C’est d’autant plus remarquable que le sol dans cette région s’est affaissé d’un mètre et que la population locale … a pu trouver assistance et hébergement auprès de cette centrale. Il faut également retenir que l’industrie du nucléaire au Japon était très différente de celles de la France avec 5 exploitants nucléaires, des réacteurs de technologies et fournisseurs différents 1 Synthèse de présentations et informations récentes mise en forme par Alain de Tonnac et Jean-Pierre Pervès 2 Rappelons qu’il s’agit d’une demande d’EELV, ce parti remettant en cause l’évaluation de la Cour des Comptes. Le rapporteur est Denis BAUPIN qui vient également d’être nommé au conseil de pilotage de la recherche de l’IRSN, sur proposition de l’OPECST. 3 L’opinion a été sensibilisée par l’estimation extrêmement élevée présentée par l’IRSN. Le coût d’un accident semblable à celui de Fukushima était évalué à 430 milliards, essentiellement pour des questions d’image : 4 Le tsunami à été de 15 mètres alors que la plateforme n’était qu’à 10 m et que les locaux diésels, sous le niveau du sol ont été inondés et mis hors service

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SFEN/GR21 Janvier 2014

LE GRAND CARÉNAGE DU PARC NUCLÉAIRE EDF

ET LES ACTIONS POST FUKUSHIMA 1 AMBITIONNER DE PORTER À 50 OU 60 ANS L’EXPLOITATION DES

RÉACTEURS Le Grand carénage du parc nucléaire d’EDF vise à maintenir les performances de ce parc en termes de sûreté et de compétitivité, et à préparer une demande de prolongation de la durée de vie des réacteurs à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Si la prolongation à 40 ans semble bien engagée, une prolongation au-delà, soit 50 ou 60 ans, n’est pas acquise et ne pourra l’être qu’après prise compte du retour d’expérience post Fukushima et de demandes complémentaires éventuelles de l’ASN prenant en compte le vieillissement des installations et les jouvences entreprises ainsi que la prise en compte d’une réglementation en évolution continue. Compte tenu des objectifs affichés par le gouvernement, avec en particulier l’objectif d’une réduction de 78 à 50% de la part du nucléaire dans le mix français, un certains nombre d’échéances devront être suivies attentivement :

- Une Commission d’enquête parlementaire vient de commencer, sur initiative d’EELV, ses travaux sur les coûts du nucléaire, y compris les coûts potentiel d’un accident majeur2 ;

- La Commission de Régulation de l‘Énergie (CRE) va mettre à jour son étude du prix de l’électricité ;

- La Cour des Comptes va mettre à jour son rapport de 2012 sur les coûts du nucléaire, y compris l’estimation du coût d’un accident majeur3.

- L’ASN devrait s’exprimer sur ses exigences concernant une prolongation jusqu’à 50 ans (voire 60 ans en fonction des générations des réacteurs actuels) en 2015.

1. L’accident de Fukushima et son impact sur le nucléa ire français

1.1. L’accident dans le contexte japonais

L’accident, suite à un séisme majeur (échelle 10), suivi d’un tsunami d’une ampleur considérable, aurait du être évité sans des erreurs graves de management de la sûreté :

- Les réacteurs japonais ont, jusqu’à preuve du contraire, bien résisté au séisme, - En revanche le tsunami4, pourtant prévisible puisque des recherches historiques en avait

identifié d’autres d’une telle ampleur dans le passé, n’avait pas été pris en compte par l’exploitant (qui le jugeait sans doute improbable) au niveau nécessaire et le dimensionnement correspondant de l’installation n’avait pas été imposé par l’autorité de sûreté.

- C’est d’autant plus regrettable qu’une centrale voisine, celle d’ONAGAWA, pourtant encore plus proche l’épicentre, a bien résisté au séisme et au tsunami grâce à des travaux complé-mentaires réalisés antérieurement par l’exploitant, les diésels ayant été préservés et la réfrigération des cœurs maintenue. C’est d’autant plus remarquable que le sol dans cette région s’est affaissé d’un mètre et que la population locale … a pu trouver assistance et hébergement auprès de cette centrale.

Il faut également retenir que l’industrie du nucléaire au Japon était très différente de celles de la France avec 5 exploitants nucléaires, des réacteurs de technologies et fournisseurs différents

1 Synthèse de présentations et informations récentes mise en forme par Alain de Tonnac et Jean-Pierre Pervès 2 Rappelons qu’il s’agit d’une demande d’EELV, ce parti remettant en cause l’évaluation de la Cour des Comptes. Le rapporteur est Denis BAUPIN qui vient également d’être nommé au conseil de pilotage de la recherche de l’IRSN, sur proposition de l’OPECST. 3 L’opinion a été sensibilisée par l’estimation extrêmement élevée présentée par l’IRSN. Le coût d’un accident semblable à celui de Fukushima était évalué à 430 milliards, essentiellement pour des questions d’image : 4 Le tsunami à été de 15 mètres alors que la plateforme n’était qu’à 10 m et que les locaux diésels, sous le niveau du sol ont été inondés et mis hors service

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(réacteurs à eau pressurisée REP et à eau bouillante REB) avec un effet de série faible, 10 monopoles régionaux de distribution de l’électricité et deux réseaux pratiquement indépendants (60 et 50 Hertz). De plus, contrairement à la France, avec EDF à la fois concepteur, architecte industriel et exploitant pleinement responsable, l’organisation japonaise repose sur des « vendeurs de réacteurs » et des compagnies électriques qui ne sont qu’exploitantes et qui dépendent étroitement de leurs constructeurs pour toutes évolutions du concept et des règles d’exploitation. Enfin les liens entre l’autorité de sûreté et les industriels étaient trop étroits.

Les moyens de secours électrique de 4 des 6 réacteurs de Fukushima ayant été immédiatement mis hors service par le tsunami qui, parallèlement, avait détruit les deux lignes haute tension qui alimentaient le site, l’organisation de crise du site, elle-même mise à mal par l’inondation et le séisme, n’a pas été en mesure de rétablir la réfrigération du cœur dans les délais nécessaires (moins de 24 heures) pour éviter la catastrophe. Dans le contexte de catastrophe généralisée résultant du séisme et du tsunami, la société exploitante, TEPCO, s’est trouvée bien seule dans les premières heures sans l’appui d’une ingénierie nucléaire forte ni de services publics, débordés.

1.2. Un retour d’expérience limité pour les réacteu rs français Le retour d’expérience pour les réacteurs français à ses limites car, contrairement à nos REP, les REB du site ne disposaient pas de dispositifs ayant permis d’éviter les explosions d’hydrogène, de limiter les rejets dans l’environnement quand il a fallu relâcher la pression de vapeur (et simultanément de l’hydrogène issus des réactions à haute température entre le corium, le zircaloy des gaines et l’eau5). Leurs enceintes de confinement en acier de faible volume (d’où une montée en pression rapide), étaient sous gaz neutre, pour maîtriser le risque hydrogène, mais l’absence totale de réfrigération, qui a provoqué une montée non maîtrisable de pression, a obligé TEPCO à dégonfler les enceintes, relâchant ainsi vapeur fortement contaminée et hydrogène : d’où les explosions. Une différence avec la situation française est qu’EDF a installé sur tous ses réacteurs, suite aux accidents de Three Miles Island (TMI) en 1978 et de Tchernobyl en 1886, des recombineurs d’hydrogène pour éliminer l’hydrogène libre, ainsi que des filtres à sable a travers lesquels les dépressurisations sont dirigées pour retenir le césium 137, principal contaminant pour l’environnement. Comme le montrent les schémas ci-dessous la perte complète des cœurs et, en conséquence de l’enceinte de confinement, dans ce concept de REB, ancien, n’avait pas été pris en compte d’où :

5 Le corium, qui résulte de la fusion du cœur est composé d’oxyde d’uranium, du zircaloy des gaines et d’aciers de structure.

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- un rejet direct à l’atmosphère de la vapeur très contaminée, - un relâchement de l’hydrogène vers l’oxygène de l’atmosphère extérieure (hall léger qui

surplombe le bloc réacteur, gaines de ventilation et cheminées), avec explosion hydrogène dévastatrice,

- une invasion des sous sols du bâtiment réacteur, mais aussi du bâtiment extérieur non confiné enfermant le turboalternateur et le condenseur du circuit secondaire, par une eau très contaminée, le REB n’ayant pas un circuit primaire confiné dans l’enceinte de confinement ni circuit intermédiaire comme les REP.

Schéma et vue éclatée des réacteurs accidentés de Fukushima

Comme le montre le schéma ci-dessous, les REP français sont assez différents avec une enceinte de très grand volume, qui donne plus de temps pour réagir, un circuit primaire confiné dans l’enceinte de confinement, et les recombineurs d’hydrogène et un filtre à sable :

Il n’en demeure pas moins qu’une interruption complète de la réfrigération, dans un REP comme dans un REB, conduit à une fusion du cœur après quelques heures. La montée progressive de la pression dans l’enceinte, qui atteint la pression de dimensionnement au bout de 2 à 3 jours selon l’état initial du cœur dans un REP, retarde d’autant la nécessité d’un relâchement d’une vapeur contaminée à travers le filtre à sable, vapeur débarrassée de l’hydrogène. Ainsi, si l’on est capable de restaurer l’électricité et l’eau sous 24h, on perd bien sûr le réacteur, mais on évite tout relâchement important et, en conséquence, des impacts sérieusement dommageables sur l’environnement.

1.3. Les premières leçons de l’accident confortent des o ptions françaises Tout ceci souligne l’importance des critères retenus lors de la conception d’un réacteur, dont l’exploitant est l’unique responsable en France, dans le respect des règles établies par l’autorité de

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sûreté. Cette responsabilité globale de l’exploitant n’est pas généralisée et n’est pas adoptée par exemple aux USA ni en Allemagne6. L’accident de Fukushima souligne également la nécessité pour les centrales d’améliorer régulièrement leur conception pour intégrer :

- le retour d’expérience des accidents et des incidents dans le monde, y compris ceux de moindre gravité ; - toute évolution des risques pris en compte dans les dimensionnements : par exemple la prise en compte des paléo-séismes, - les changements de l’environnement qui peut se révéler ou devenir plus agressif : tempêtes tropicales, effet « Blayais »7, dégradation de la qualité de la source froide principale dû à une prolifération de plantes importées (élodées, originaires d’Amérique), capables de boucher une station de pompage (Cruas), - les apports des moyens de calcul, qui ont prodigieusement progressé depuis 1970 (époque de la conception de nos REP) et qui peuvent révéler des marges plus grandes, mais aussi parfois moins grandes que prévu.

Des systèmes nouveaux peuvent être ajoutés en cours d’exploitation comme l’on été les recombineurs et les filtres à sable.

1.4. Les évolutions post Fukushima Il n’en demeure pas moins qu’une interruption prolongée de l’alimentation en eau du système de réfrigération du cœur conduit inéluctablement, compte tenu de la puissance résiduelle dégagée par le cœur, à une fusion du cœur et à plus long terme à un percement de la cuve. C’est ainsi qu’une journée après un arrêt suite à un fonctionnement prolongé à pleine puissance, un réacteur PWR de 1000 MWe (soit environ 3000 MW thermiques) dégage encore environ de 18 MWth, et 9 MWth après une semaine. Ces puissances, bien que très inférieures à celle dégagée à peine puissance doivent impérativement être évacuées, ce qui requiert un débit de quelques centaines de litres par seconde au bout de quelques dizaines d’heures.

Évolution de la puissance résiduelle en fonction du temps après un arrêt suite à un fonctionnement

prolongé à pleine puissance

Après l’accident, l’ASN a considéré que les installations françaises examinées présentaient un niveau de sûreté suffisant pour qu’elle ne demande l’arrêt immédiat d’aucune d’entre-elles, mais a demandé aux exploitants d’engager des « évaluations complémentaires de sûreté » sur chaque site et de proposer des améliorations du niveau de sûreté visant à augmenter la robustesse des réacteurs face à des situations extrêmes. Le principe adopté après concertation, et pleinement accepté par toutes les parties en France, a été que tout accident, avec dégradation du cœur, voire fusion complète de celui-ci, ne devait pas avoir comme conséquence une contamination durable des ter ritoires , ce qui se traduit à minima par un confinement du césium, principal polluant8, la contamination par les iodes étant de plus courte durée9.

6 On retrouve cette séparation constructeur/exploitant dans l’aviation. C’est Airbus qui conçoit, et Air France qui exploite : d’où les difficultés à établir les responsabilités, par exemple lors du crash de l’airbus Rio-Paris. 7 Combinaison d’une tempête en mer, d’une marée de fort coefficient, et d’un vent s’engouffrant dans l’estuaire de la Gironde ; 8 Sa période de décroissance radioactive (temps pour perdre la moitié de son activité) est de 30,1 ans 9 La période la plus longue est celle de l’Iode 131, de 8 jours

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C’est une évolution majeure de la doctrine de sûreté qui met sur le même plan d’exigence l’approche sûreté actuelle (approche probabiliste et retour d’expérience) et une approche déterministe : même si aucun scénario réaliste ne le prévoit, on considère qu’une fusion du cœur peut avoir lieu sur tous les réacteurs d’un même site, et on s’impose d’être capable d’en maîtriser les consé quences . Il a été également proposé de réduire considérablement ce risque de relâchement d’iode, voire de l’annuler, en condensant la vapeur dans l’enceinte du réacteur grâce à un système d’aspersion, diminuant ainsi la pression dans l’enceinte de confinement. On pourrait ainsi éviter tout dégonflage d’enceinte à travers le filtre à sable dont l’efficacité de rétention d’iode est limitée10. Le référentiel de sûreté existant, bien que jugé cohérent, a de plus été durci par l’autorité de sûreté afin de bénéficier de marges encore plus importantes, suite aux évaluations complémentaires de sûreté qui ont mobilisé l’ASN, son support technique l’IRSN et EDF. Les principales évolutions sont les suivantes :

a) Les règles de dimensionnement ont été durcies de manière générale (séismes, inondations, évènements climatiques, impact des activités environnantes.

b) Au-delà de toutes les études de dimensionnement, on doit prendre en compte un évènement enveloppe concernant l’ensemble d’une centrale (de 2 à 6 réacteurs REP en France) et de son site.

c) Il est considéré que tous les réacteurs d’un site pouvaient être agressés simultanément, avec fusion des cœurs des réacteurs, même si aucun scénario envisageable n’avait été identifié.

d) Un « noyau dur » local, sur chaque réacteur doit fournir les moyens de réfrigération des cœurs dégradés, même si tous les moyens redondants déjà présents sont défaillants : ce noyau dur, qui s’ajoute à tous les moyens déjà existants , est particulièrement robuste vis-à-vis des agressions (diésels, alimentations électriques, circuits d’eau, réserve d’eau d’ultime secours).

e) Présence sur le site de locaux protégés, à la disposition des exploitants et des secours, et permettant d’acquérir les diagnostics utiles et d’activer les systèmes de secours, et le noyau dur en particulier.

f) Mise en place d’une FARN, Force d’action rapide nucléaire nationale, pour assister le site en moins de 24h.

FARN : une organisation en trois niveaux : local (bases arrières disponibles), régional et national

Elle dispose de ses équipements propres (diésels, pompes,…), des moyens pour les transporter en urgence sur le site accidenté, d’équipes formées capables d’assister et de relayer les équipes d’exploitation auxquelles elle peut se substituer 11 , de prendre des initiatives face à des situations non prévues. La FARN comprendra 4 équipes sur le territoire, et mobilisera 800 personnes. Sa mise en place est en cours (un site est déjà opérationnel).

10 L’efficacité du filtre à sable est bonne pour le césium (99,9 %) mais limitée pour les iodes (environ 50 %) 11 On voit là encore les bénéfices de la politique de standardisation

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g) En termes d’objectifs de conception, les modifications proposées dans le grand carénage viseront à rapprocher les réacteurs de 2ème génération actuels le plus possible de ceux de la 3ème génération (EPR), qui satisfaisait déjà à l’essentiel des recommandations issues du retour d’expérience Fukushima. A titre d’exemple on peut citer la modification déjà réalisée sur les deux réacteurs de Fessenheim pour contenir le corium (revêtement réfractaire sous la cuve et agrandissement de la zone d’étalement du corium).

Fessenheim : zone de confinement et d’étalement du corium mise en place à l’occasion de la

troisième visite décennale (béton réfractaire) L’objectif est d’éviter tout dégonflage d’enceinte en maintenant le bâtiment réacteur étanche, en maintenant la réfrigération du cœur ainsi que de la piscine de stockage des combustibles, et par un apport d’eau claire. On peut ainsi éviter toute évacuation du territoire, sauf par précaution pour des durées très limitées. Ce principe va être porté par l’ASN au niveau de la Commission européenne dans le cadre des réflexions engagées après Fukushima. Ce point de vue est essentiel dans l’évaluation de l’accident nucléaire : si on démontre que la contamination autour du site restera faible en cas d’accident12, et passagère (au maximum perte de la récolte de l’année), le « coût » d’un l’accident nucléaire n’a plus rien à voir avec les évaluations alarmistes de l’IRSN (voir réf. 2).

2. Le grand carénage et l’allongement de la durée d e vie du parc.

Bien que robustes, les composants d’une centrale nucléaire vieillissent et requièrent soit des jouvences, soit un remplacement pur et simple. Cette évolution est par exemple révélée en observant la régularité de fonctionnement des réacteurs, leur taux de disponibilité, et le nombre d’évènements significatifs pour la sûreté (ESS). Le parc ayant environ 28 ans d’âge en moyenne, on a pu constater une légère baisse de la disponibilité (inférieure de deux ou trois points aux objectifs d’EDF) et une augmentation légère du nombre d’ESS (par exemple sur deux ans, les ESS de niveau 1 ont cru de 576 à 632 sur l’ensemble du parc) 13. En 2010 EDF a décidé d’engager une opération de grande ampleur, appelée « Grand carénage », destinée à rénover l’ensemble du parc pour assurer sa fiabilité et son efficacité à long terme et le préparer à un fonctionnement prolongé au-delà de 40 ans (50 à 60 ans). EDF et AREVA, constructeur des chaudières, bénéficient en la matière de l’expérience accumulée sur les PWR dans le monde14, par exemple aux USA ou AREVA est très actif. Sur la base du retour d’expérience des années précédentes et des comparaisons internationales, les grandes options retenues sont les suivantes :

• rénovation d’une large partie des gros composants autour de 30 à 35 ans. • modifications permettant de rapprocher autant que raisonnablement possible le niveau de

sûreté des réacteurs existants de celui des réacteurs de génération 3 (EPR) : L’EPR sera alors en fonctionnement.

12 L’impact radiologique résultant à 10 km, en cas de dégonflage de l’enceinte à travers le filtre à sable, est estimé à 2 mSv, et bien sûr bien moindre si l’on n’a pas à effectuer de dégonflage. 13 Le point de vue de l’IRSN sur la sûreté et la radioprotection du parc électronucléaire français en 2012 : rapport RSN/DG/2013-00005 14 Il y a 273 REP dans le monde pour un parc total de 437 réacteurs

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La prise en compte de l’accident de Fukushima conduit à accélérer le programme d’investissements imaginé et à le renforcer sur certains points : par exemple sur la définition des agressions auxquelles doit résister les Diésels d’Ultime Secours du « Noyau dur » et sur le programme de déploiement de ces derniers. Ce programme a bien évidemment été analysé par l’ASN et l’IRSN et n’a été engagé qu’après leur autorisation.

2.1. Un défi majeur pour l’entreprise EDF C’est un programme industriel extrêmement ambitieux en matière de maîtrise industrielle, et qui n’a de sens que si l’on prolonge la durée de fonctionnement au-delà de 40 ans. Cela représente :

- Un défi technique et financier car les opérations, qui nécessitent des arrêts prolongés vont mobiliser d’importantes ressources financières et réduire la disponibilité du parc de manière transitoire.

- Un défi managérial pour programmer au mieux les opérations compte tenu des ressources humaines disponibles et en continuant à assurer, été comme hiver, l’approvisionnement du pays en électricité. Le grand carénage devra s’insérer dans les arrêts de tranche en impactant le moins possible leurs durées, ce qui nécessitera une organisation particulière du travail (2 X 8h par exemple pour certaines opérations). Il impliquera aussi une prise en compte des contraintes telles que les délais d’instruction de l’ASN et de l’IRSN compte tenu du volume des travaux engagés, et s’attacher à préserver la sécurité du travail dans le cadre d’opérations complexes.

- Un défi industriel impliquant une stratégie d’achats avec les fournisseurs d’équipements et d’intervention, répondant à la complexité et au volume important des fabrications et opérations sur site. Les prix de chaque opération doivent bénéficier de l’effet de série résultant de la standardisation du parc sans être impactés par un risque de raréfaction de la ressource. Mais en contrepartie ce programme présente une vraie opportunité de ré-industrialisation de la filière et d’ouverture de nouveaux marchés à l’exportation, y compris pour des composants de haute valeur ajoutée comme les générateurs de vapeur, les pompes primaires et les composants des circuits tant dans la partie nucléaire que dans la partie classique énergie.

EDF a, compte tenu des difficultés constatées dans le démarrage de l’opération engagée, une mission d’évaluation en 2013 principalement autour de 2 volets :

• Une revue des principaux enjeux et défis : o Capacités et processus industriels propres à EDF (capacités d’études, rythmes de

passation de commandes et de contrats), et révision de ces processus. o Capacités industrielles de nos fournisseurs et partenaires, (tant en recrutement,

formation, qualification, …), par exemple éviter l’effet d’avalanche par excès de commandes simultanées aux fournisseurs de gros équipements, mais ne pas trop les espacer non plus pour bénéficier de l’effet de série.

o Examen de la compatibilité des délais industriels et des délais d’analyse de l’ASN et de l’IRSN.

o Importance des ressources humaines, alors qu’EDF fait face depuis quelques années à d’importants départs à la retraite, doit programmer des formations lourdes de jeunes recrutés et veiller à une bonne conservation des compétences acquises (rythme d’absorption des nouvelles embauches, moyens d’accélérer la montée en expérience, …)

• Une revue du programme pour identifier les marges d e manœuvre et de flexibilité et

les risques correspondants : o Ajustement du calendrier ou du contenu des opérations : limiter la durée des arrêts de

tranche pour préserver les ressources apportées par la production. o Lisser les dépenses de grand carénage et des actions post Fukushima sur une

dizaine d’années avec un rythme régulier de dépenses. o Recherche de solutions alternatives, moins coûteuse ou consommatrices de temps

d’arrêt. o Possibilités d’arbitrage des projets. o Identification des leviers de politique industrielle.

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2.2. Maîtrise de la dépense Les dépenses d’exploitation hors combustible du parc nucléaire traduisent à la fois les programmes en déploiement d’amélioration des performances et les besoins liés aux programmes prévisionnels d’investissement, dans les contextes de la prolongation de la durée de vie des centrales et des travaux post-Fukushima. Leur évolution doit être appréciée en comparaison de leur niveau actuel à celui consenti par les autres opérateurs mondiaux. Un benchmark mené sur les parcs américains et français montre un coût (base 2012) O&M15 par tranche en France voisin des 2/3 de celui constaté aux États-Unis.

• Dans le cadre des discussions sur la loi NOME16 et le prix de l’ARENH17, EDF a proposé une

méthode de « coût courant économique » (CCE) du nucléaire, pour refléter le coût complet du nucléaire, intégrant l’investissement initial (à travers un « loyer »), l’exploitation-maintenance et la déconstruction du parc.

• La Cour des Comptes a repris cette approche dans son rapport de 2012, et a communiqué sur 2 valeurs : 49,5 €/MWh en 201018, et 54,2 €10/MWh sur 2011-2025 en intégrant les 55 Md€10 d’investissements19.

• Le coût économique complet du parc nucléaire existant, incluant l’investissement initial consenti dans la construction et le Grand Carénage, s’établira à environ 55 €/MWh en moyenne, sur la période d’ici 2025. Ce coût est inférieur au coût de production de tout autre moyen de production neuf et permet à la France de préserver un prix de l’électricité compétitif par rapport aux pays voisins. Par exemple le prix de l‘électricité TTC pour les familles se compare comme suit :

15 Operation and Maintenance 16 Loi sur la « Nouvelle Organisation du Marché de l’Électricité » 17 Accès régulé à l'électricité nucléaire historique : prix de cession du kWh EDF à ses concurrents 18 49,5 €/MWh correspond à 21€ « loyer » + 4€ « Capex18 » + 25€ charges d’exploitation 19 À raison de 5 à 6B€/an (à comparer au CA d’environ 60 à 70 B€/an d’EDF).

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Tarifs comparatifs du MWh TTC en 2013 dans divers pays européens.

Et il ne faut pas oublier de plus que les performances « gaz à effet de serre » du parc électrique français sont remarquables,

Émissions comparatives en gCO2/kWh dans divers pays européens.

alors que les besoins d’énergie et d’électricité sont en croissance forte au niveau mondial, et que le recours aux combustibles fossiles ne cesse de croitre, en particulier en Chine et en Inde.

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Renouvelables et compétitivité Le coût du MWh de l’EPR de Flamanville approche les 80 à 100 € (y compris démantèlement) mais EDF vise une réduction de 20 à 30% de ce coût avec l’expérience acquise sur les 6 premiers exemplaires sachant que le coût marginal du MWh charbon approche les 40 à 50 €. La concurrence est vive et, par exemple, les entreprises russes, très soutenues par leur gouvernement sont très ambitieuses : elles proposent du nucléaire en BOT 20 dans des pays où l’électricité est chère, et où ils sont donc compétitifs. Un autre défi des réacteurs sera de contribuer à l’équilibre d’un réseau perturbé par les énergies intermittentes renouvelables. Pour le réseau français, le nucléaire peut encaisser aujourd’hui jusqu’à 5 à 10 GW/h. RTE estime que le suivi réseau sera maîtrisable jusqu’à 20% de renouvelables intermittentes. Ce sera plus difficile ensuite et

En conclusion Cette mappemonde montre :

• en brun, les pays qui ont décidé de « sortir » du nucléaire (quoiqu’ayant, pour certains, quelques tranches encore en production),

• en jaune, les pays qui n’ont pas l’intention de construire de nouvelles tranches nucléaires, • en vert, ceux qui ont des projets de programme nucléaire • en bleu, ceux qui exploitent des réacteurs, et en construisent de nouveaux.

Le nucléaire semble encore avoir de beaux jours devant lui !

20 Contrats clef en main, Buid Operate and Transfer.