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Le jardin des deux tours Un jardin d’inspiration médiévale Citadelle de Namur Route Merveilleuse NAMUR

Le jardin des deux tours - Nature Namur · la méditation, le «jardin potager» ... spirituelle et pratique, nourrissant l'âme et le corps. Il offre aussi des ressources pour alimenter

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Le jardin des deux tours

Un jardin d’inspiration

médiévale

Citadelle de NamurRoute Merveilleuse

NAMUR

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Le jardin des deux tours - Un jardin d’inspiration médiévale 1

Pourquoi un jardin d’inspirationmédiévale à Namur ?............................................................................ p.2

L’esprit du jardin........................................................................................ p.3

Un peu d’histoire ...................................................................................... p.4

Voyage au pays des symboles .................................................. p.6

Qu’est-ce qu’un jardin médiéval ?.......................................... p.7Le jardin monastique.................................................................................. p.7Les jardins profanes.................................................................................... p.8Les éléments du décor ............................................................................ p.9

Le jardin des deux tours....................................................................p.12Le jardin d’accueil : berceau de vigne ..........................................p.12Le viridarium, le verger cimetière ......................................................p.15L’hortus, le jardin de potherbes ........................................................p.16L’herbularium, le jardin des simples ..............................................p.20Sur le chemin de Saint-Jacques ......................................................p.23Le jardin de Marie ........................................................................................p.25Le jardin d’amour courtois ....................................................................p.29

Les sources....................................................................................................p.33

Bibliographie ................................................................................................p.34

Remerciements et collaborations ............................................p.36

Table des matières

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Reconstitué sur base de documents historiques, ce jardind’inspiration médiévale, installé sur les hauteurs de la Cita-delle, offre un cadre idéal pour aborder le mode de vie qui étaitde mise dans nos régions à cette époque. L’environnementhistorique et paysager du lieu, son orientation au sud, la tra-dition de vignoble attachée aux coteaux ensoleillés de la Ci-tadelle sont autant d’éléments qui prédisposaient ce site à uneexploitation didactique.

L’espace de talus, délimité par les murs de fortification et parla Route Merveilleuse est organisé en paliers rappelant la di-vision traditionnelle des jardins médiévaux et pour que l’im-mersion soit totale, de nombreux éléments d’époques s’yretrouvent : treilles, taille en plateau, plessis, claies, cultures ensurélévation, fontaines, banquettes d'amour et prés fleuris.

L’objectif poursuivi par les créateurs du jardin est de vous in-viter à un voyage dans le temps et de vous permettre de re-d é c o u v r i rgrandeur nature ladiversité des jar-dins médiévaux :le « verger cime-tière » qui invite àla méditation, le« jardin potager »qui regroupe lesplantes alimen-t a i r e s , l e « jardin des sim-ples » qui rassem-ble les plantesmédic ina les, le « jardin bouquet »qui fournit lesfleurs qui servirontà garnir les autelset le « jardind’amour », fermé,discret et intimequi fait la part belleau plaisir dessens.

A. DetryEchevin

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Pourquoi un jardin d’inspiration médiévale à Namur ?

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Le Jardin des deux toursn'est pas une reconstitu-tion historique, mais plu-tôt un recueil d'élémentspermettant d'imaginer etde comprendre l'art desjardins, depuis l'époquede Charlemagne jusqu'àl'aube de la Renais-sance. Il n’existe pas dejardin médiéval « type ».En effet, au cours des1000 ans d'histoire quel'on regroupe sous leterme de Moyen Âge,l'esprit du jardin, les tech-niques et le style paysa-ger ont évolué. Il existepar ailleurs plusieurs

types de jardins médiévaux tels que le jardin monastique, lejardin de château et le jardin de ville. Chacun offrant ses pro-pres caractéristiques, ses raisons d'être et ses contraintes.

Vouloir recréer un jardin de l'époque est un pari difficile. Les re-constitutions se basent uniquement sur des documents relati-vement peu nombreux et sujet à interprétation. Dés lors,pourquoi tenter l'aventure ? Depuis quelques années, un inté-rêt de plus en plus fort pour l'époque médiévale a permis de re-mettre à l'honneur cette période moins connue de l'histoire. Onredécouvre avec bonheur ses richesses et parmi celles-ci, lesjardins médiévaux. Influencés par le savoir antique et les tech-niques orientales, ils sont le reflet d'une époque où la nature,les plantes et les cultures faisaient partie intégrante de la viequ'elles rythmaient au fil des saisons. Le Moyen Âge est éga-lement une période d'une spiritualité extrêmement puissante,vivant le monde à travers son symbolisme. Epoque de grandesquêtes, elle a créé des héros intemporels qui ont défié le tempsjusqu'à nos jours, des Chevaliers de la table ronde à Tristan etIseult. Ces valeurs, cet esprit, ce langage de symbole se re-trouvent dans ces jardins. C'est à ce voyage au pays des sym-boles, c’est à une redécouverte de la terre qui nourrit, quisoigne et qui protège que vous invite le Jardin des deux tours,à travers les gestes des Anciens, leurs croyances et leur quo-tidien.

L'esprit du jardin

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Le Moyen Âge prend naissance à la fin de l'empire romain versle Vème siècle et s'achève avec la découverte des Amériques,au XVème, à l'aube de la Renaissance. Durant les premiers siè-cles qui suivirent la chute de Rome, les invasions barbares je-tèrent le chaos sur les restes de l'Empire. Quelques raresdocuments prouvent cependant que les jardins existaient bel etbien, même s'ils ne correspondaient plus à ceux du temps dela splendeur romaine. Aux Vème et VIème, des poètes comme Si-doine Apollinaire ou Fortunat décrivent entre autres ceux duroi Franc Childebert ou de la reine Ultrogothe. Saint Benoît,quant à lui, spécifie dans sa Règle que les monastères devronten être pourvus. Lieu d'humilité où le moine se doit d'éleverson âme en travaillant la terre, le jardin a une vocation à la foisspirituelle et pratique, nourrissant l'âme et le corps. Il offre aussides ressources pour alimenter une autre des missions du mo-nastère : la charité envers les pauvres et les malades.

Vers le VIIIème et IXème, l'Occident se réunifie et voit renaître l'artet la culture. Puis, une seconde période de troubles, sous lechoc d'invasions venues du Nord, fait à nouveau éclater l'em-pire. L'habitat se regroupe autour des châteaux, abbayes,églises, formant les bourgs et les cités. Pendant ces périodestroublées, le savoir se transmet via les religieux, qui furent long-temps les garants de sa conservation. Pendant des siècles, onrecopie les écrits grecs et romains. L'art des jardins est alorsessentiellement utilitaire. On cultive les plantes médicinalesqui servent de réserve à la pharmacie et d'herbier vivant aux

moines respon-sables des soins,quelques lé-gumes et herbesaromatiques pré-cieuses etquelques arbres.Protégés des pil-lards et des ani-maux sauvagespar des clôtures,amendés par laprésence des ani-maux domes-tiques et deshumains, les jar-dins assurent une

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Un peu d’histoire

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certaine autonomie, mais ils ne sont pas la seule source denourriture. Les cultures vivrières, maraîchères et les grandsvergers se trouvent hors des murs. La cueillette sauvage four-nit une grande partie des plantes nécessaires.

Les Croisades vont permettre l'arrivée chez nous de traités debotanique et d'horticulture arabes. L'apport oriental vient jeterun souffle nouveau, qui va de pair avec une recherche defastes et de plaisirs d'une noblesse de plus en plus raffinée. Lastructure même du jardin avec ses préaux composés de pa-tios rectangulaires, ses galeries ouvertes et fraîches, ses fon-taines et ses structures en carré, évoque d'ailleurs plus lejardin oriental que l'atrium romain qui donna, lui, naissanceau cloître. De nouvelles variétés rapportées par les Croisésfont également leur apparition, comme les épinards, leschoux-fleurs ou l'estragon et, plus au sud, les agrumes, lespalmiers ou des épices.

Au XIème, unvéritable essoragricole semarque. L'in-troduction den o u v e l l e splantes dansl'alimentation,un climat douxtrès favorableet en parallèledivers progrèst e c h n i q u e scomme laherse, le fléauarticulé, le col-lier de cheval,le moulin àvent et l'utilisa-tion de l’eaudes rivières comme force motrice, favorisent le développe-ment de l'agriculture, de l'économie et une nette poussée dé-mographique.

L'art du jardin se conceptualise. Les jardins, rationnels et géo-métriques, se diversifient. Vers le XIVème, le goût de l'étude dela nature s'intensifie, ce qui va influencer tant l'allure des jar-dins que leur mode de représentation, de plus en plus réa-liste. Les jardins privés se multiplient également, annonçantdoucement l'arrivée de la Renaissance.

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Dans l'esprit médiéval, la Bible est l’ouvrage de référence, lemode d’emploi indispensable pour décoder les signes divins.C’est donc principalement dans ce livre qu’il faut chercher lasource des symboles médiévaux. L'Homme est au centre dela création et tout ce qui l'entoure en est le signe. Pour SaintBernard, le jardin est l'image de la relation entre l'Homme etDieu. La réalité est moins importante que sa représentationsymbolique. Il existe entre le Ciel et la terre un réseau designes et de correspondances qui montrent la voie aux justes.Pour transmettre ce message chrétien, les artistes utilisent unlangage imagé dont nous avons aujourd'hui souvent perdu lesens. Le commun des mortels reconnaissaient jadis aisémentSaint Marc à son lion, un chevalier valeureux et juste à la cou-leur blanche de son armure, la Sainte Trinité dans les feuillesdu fraisier ou la fleur d'ancolie. Formes, couleurs et nombresévoquaient une multitude de choses.

Au MoyenÂge, la réa-lité s'envi-sage selonp l u s i e u rsniveaux delecture : lessens phy-siques, quipermettentd'apprécierles beautésoffertes parle créateur,l ' i n t e l l i -

gence, capable de discerner l'ordre et l'harmonie de la créationet enfin l'âme, grâce à laquelle le juste ressent les correspon-dances entre ce monde et le divin. La beauté n'est pas un buten soi, elle sert à s'élever jusqu'à la beauté céleste, l'harmonieretrouvée avec le Ciel.

La création de jardin entre dans cette recherche d'harmonie.Un beau jardin ordonné est une image de la conception ra-tionnelle et organisée du monde. Le salut se trouve dans l'or-dre, dans la maîtrise de l'homme sur la nature, nature dont ilest dépendant mais qui n'est qu'un cadeau de Dieu pour sacréature élue.

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Voyage au pays des symboles

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Toute réalisation sera basée sur ce langage codé. Les jardinsne font pas exception. Leur représentation aussi. Ainsi, parexemple, représenter une Dame dans un jardin clos donnaitplus d'informations sur l'état social de la dame que sur la réa-lité historique et physique de son jardin. Les représentationsn'ont pas pour but de montrer la réalité existante, mais racon-tent une histoire. Sur certaines enluminures, par exemple, deslis peuvent être aussi grands que des chênes, si l'artiste veutsouligner la pureté de la Dame représentée. Il est important degarder cet élément en mémoire lors de l'analyse des docu-ments qui nous sont parvenus.

S'il est difficile de décrire un jardin médiéval type, on peut ce-pendant en définir des éléments caractéristiques. Clos par desmurs ou des palissades, il est de forme régulière et plat. Laculture se fait généralement en parterres carrés ou rectangles,souvent surélevés en banquette. Les parcelles sont séparéespar des plessis, claies ou treillis.

Il faut également faire la distinction entre les types de jardins :utilitaire ou de plaisir, de monastère, de ville ou de château.S'ils sont tous profondément symboliques, ils ont des basesde lecture et des buts différents.

Le jardin monastiqueL'homme est au centre de la création, entre le terrestre et ledivin. Son but est d'atteindre l'au-delà et de retrouver quelquepart le bonheur du temps du Paradis Terrestre. D'où l'impor-tance du jardin dans la symbolique religieuse et dans la vie dumonastère, dont le jardin fait partie intégrante. C'est d'abord un

espace deméditation,un lienavec la na-ture, puisun moyende vivre enau ta rc ie .Le jardi-nage faitpartie de lat r a d i t i o nm o n a s -tique, le

Qu’est-ce qu’un jardin médiéval ?

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Le jardin s'articule selon plusieurs entités. Le cloître est au cen-tre de l'abbaye. Lieu de calme, de recueillement, de solitude,de prière, austère et dépouillé, il est l'évocation du désert oùchacun fait face à ses démons. C'est donc un jardin nu, où rienne vient perturber la méditation. On y retrouve souvent le sym-bole de la croix au centre, sous forme de chemin ou de par-terre. En complément de ce jardin spirituel, les moines doiventfaire face à toutes les contraintes d'une vie autarcique et doncproduire ce dont ils ont besoin, que ce soit dans le jardin dessimples localisé près de l'infirmerie, dans le jardin potager situéprès des cuisines, dans le verger associé au cimetière ou dansle jardin de bouquet, dont les fleurs serviront à décorer leséglises et les autels.

Les jardins profanesSi de nombreuxtextes ou illustra-tions évoquent lejardin profanedans un contextepoétique, très peuparlent des tech-niques horticolesque l'on y prati-quait voire mêmede leur aspectréel. On confonddonc ainsi souventles jardins symbo-liques avec lesvrais jardins. Al'intérieur des

murs du château, on retrouvait sans doute des parcelles utili-taires assurant une certaine autonomie. Si l'on a peu d'infor-mations sur ces jardins utilitaires privés, il est logiqued'imaginer que les châteaux disposaient, tout comme les ab-bayes, de jardins potagers et de jardins de simples. Le capitu-laire de Villis, diffusé dans tout l'empire sous le règne deCharlemagne, avait pour but de conseiller une liste de culturesdans les domaines impériaux. Les vergers d'agrément étaientgénéralement situés hors des hauts murs de la forteresse etformaient, autour des remparts, la basse-cour. Tout autour duchâteau, s'étendaient les champs et les grandes cultures, ainsique les chasses. Enfin, en ville, on trouve des parcelles d'apo-thicaires ou de petits jardins bourgeois, dont la taille était di-rectement proportionnelle avec le statut social de sonpropriétaire. Ceux-ci cultivaient néanmoins le plus souvent des

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Le plus illustré des jardins profanes fut clairement le jardincourtois. La concordance des images et l'importance du jardindans l'imaginaire suggère que les vrais jardins devaient res-sembler à leur description idéalisée dans les récits, mais nousne possédons aucune trace écrite pour l'affirmer. L'image dujardin courtois est liée à l'amour passionné et charnel. Le jar-din devient l'allégorie même de la Dame. Les 5 sens y sontsystématiquement présents.

Les éléments du décorUn des éléments souvent présent dans les représentationsclassiques du jardin médiéval est le damier, évoquant l'échi-quier et son jeu, mais aussi, par l'opposition des cases, la dua-lité du monde : l'opposition du bien et du mal.

Le jardin est aussi un labyrinthe, qui évoque, lui, le parcours ini-tiatique, l'évolution, la quête du Graal, figuration de l'initiationamoureuse directement inspirée des règles de la courtoisie.Les tonnelles, galeries, claustras, le parcours en lui-même par-ticipe à cet aspect tortueux. Les tonnelles garnies de grim-pantes accueillent agréablement les visiteurs du jardin. Cestonnelles, ombragées et fraîches, munies d'ouvertures vers lejardin, servaient parfois de quartiers d'été, de salle à manger.Elles pouvaient être garnies de vigne, mais aussi de houblon,chèvrefeuille ou rosiers. Elles sont souvent réalisées en châ-taignier. Ce bois dur, contenant beaucoup de tanins, a une trèsbonne résis-tance naturelleà la moisissureet à la corrup-tion dans le sol.Il était utiliséjadis pour leséchalas dansles vignes. Re-poussant facile-ment après lacoupe et pro-duisant destiges régulièreset faciles d'em-ploi, c'est aussile matériau idéal utilisé pour les plessis. Les barrières sont deformes variées. Plessis faits de bois tressés, claustras en bois,claies supportant des arbres palissés ou des grimpantes en-tourent le jardin d'une protection aussi symbolique qu'efficace.

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Parmi leur raison d'être, il y a, outre la mode, la recherched'une certaine intimité et la protection des cultures contre lesanimaux. Dans les champs, des haies vives ou composéesd'amoncellements de bois ou de pieux et des fossés serventde barrières aux animaux sauvages, ou … aux voleurs. Quant

aux murs, ils sont à lafois remparts de forte-resse et limite du jardinclos. Protecteurs contreles attaques exté-rieures, ils sont aussisurtout symbole depuissance et de pro-priété, pour le seigneurqui marque ainsi sonterritoire par rapport àses voisins ou ses en-nemis. Cette fonctionest reprise symbolique-ment dans le cadre del'amour courtois, où lesmurs et le jardin closdeviennent l'allégorie

de la réserve de la Dame qui en est l'élément central : proté-gée et inaccessible, sauf par la porte qu'elle ouvre à sonamant.

L'eau, lourdement chargée de sens, source de vie mais aussisouvent de maladie, est souvent présente sous la forme d'unruisseau, d'une source ou d'une fontaine. La fontaine peutavoir des sens très différents, positif ou négatif selon ses diffé-rents aspects. Fontaine de jouvence, elle évoque la recherched'immortalité, le défi de l'homme vis-à-vis de Dieu, le péchéoriginel, mais aussi l'espoir … Fontaine de vie, elle devientl'énergie, la force, la pureté, la jeunesse. Si l'eau arrive pardeux conduits, elle sera symbole de division et de déchéance.Les fontainescarrées à qua-tre sortiesd'eau ont unec o n n o ta t i o nplus religieuseet évoquent,elles, les 4fleuves du jar-din d'Eden dé-crit dans laGenèse.

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L'eau qui coule, du ruisseau ou de la source, symbolise la pas-sion, la vie, l'énergie. Par contre, un étang, un bassin d'eau oùl'on se regarde évoque un miroir et donc la vanité, le narcis-sisme.

Un des éléments marquants des techniques horticoles mé-diévales est sans doute la culture en banquette surélevée. Peud'informations sur sa réelle utilité nous sont parvenues, et saquasi complète disparition tend à prouver qu'elle n'apporte pasvraiment une différencesensible. La largeur desbanquettes est calculéede manière à permettreson désherbage et nedépasse donc pas lalargeur de 2 bras. Lesjardins les plus richesdisposent de ban-quettes en pierre, lesautres se contentent deles entourer d'un plessisou de planches en bois.

Autre banquette surélevée, mais garnie d'herbe ou de mousse :la banquette d'amour, sorte de siège végétal où il fait bon se re-poser, chanter ou conter fleurette. Le jardin devient ainsi unhavre de paix et de plaisir qui préfigure les jardins Renais-sance.

Enfin, arbres taillés, travaillés en plateau et plantes en potssoulignent la domination de l'homme sur la nature, la volontéde dompter les éléments pour les soumettre à un ordre, seulchemin possible vers la perfection.

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Cet ensemble d'inspiration médiévale s'articule autour de 6thèmes : • Le jardin d'accueil et son berceau de vigne• Le verger cimetière qui invite à la méditation • Le jardin potager qui regroupe des plantes alimentaires• Le jardin des simples qui accueille des plantes médicinales• Le jardin de bouquet qui fournit des fleurs pour les autels• Le jardin d'amour qui illustre les joutes courtoises

De nombreux éléments typiques de l'époque s'y retrouvent :plessis, claies, treillis, taille en plateau, cultures en suréléva-tion, fontaines, banquettes d'amour et prés fleuris.

Le jardin d’accueil : le berceau de vigne

Deux plantes magiques des sorcières et des enchanteursmontent la garde devant la porte du Jardin des deux Tours : lasauge qui sauve de tous les maux et l'alchémille, plante my-thique des alchimistes. Au pied de l'escalier, la verveine, lepavot ou la ciguë nous rappellent l'importance de la magie auMoyen Âge. Plantes qui tuent ou qui guérissent, leur pouvoir etcelui de ceux et celles qui en connaissaient les propriétés fai-saient peur. La belladone, la jusquiame, l'aconit tue-loup en-traient dans les potions magiques qui faisaient s'envoler lessorcières. La joubarbe, protectrice contre la foudre, est recom-mandée. Quant à la mandragore, pour ne pas succomber à lamalédiction que son cri jette sur celui qui l'arrache, on y attacheun chien noir affamé pour l'extraire du sol. Sa racine à formehumaine procure à son possesseur abondance et fécondité.Les plus recherchées étaient celles poussant au pied des gi-bets …

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Quelques plantes indispensables au quotidien étaient cultivéesgénéralement à l'extérieur des murs. Les plantes textilescomme le lin ou le chanvre fournissaient, avec la laine, l'es-sentiel des tissus. Le coton et la soie, venus d'Asie, étaient eneffet très chers et seuls les plus riches pouvaient se les pro-curer. Les capitules crochus des fruits de cardère à foulon ser-vaient à carder lalaine. La saponairefournit un substitut ausavon. Diversesplantes tinctorialesdonnaient des cou-leurs aux tissus. Parmiles plus recherchées,les racines de ga-rance colorent les fi-bres en rouge, lesfeuilles de pastel enbleu, le genêt desteinturiers en jaune.Les teintures, qui né-cessitent diversesopérations dont le mordançage des fibres pour fixer les colo-rants, étaient cependant le plus souvent réservées aux riches.Les gens du peuple se contentaient des tons naturels des fi-bres ou de teintes plus faciles à produire mais moins résis-tantes comme le jaune ou le brun.

La culture des céréales est à la base de l'alimentation. On cul-tive différents blés, terme générique qui désigne le froment,l'avoine, l'orge, l'épeautre, le seigle et le millet. Le sarrasin oublé noir, n'est pas une graminée, mais appartient à la famille

des polygonacées. C'est uncousin de l'oseille ou de larhubarbe. L'épeautre cultivéà l'époque carolingienne estprogressivement remplacépar le froment, qui devient lacéréale la plus cultivée auMoyen Âge classique. On enfait du pain blanc, le plus re-cherché. Les plus pauvresse contentent de pain bis.L'avoine sert de fourragepour le bétail, mais on en faitaussi des bouillies, alorsque l'orge entre dans lacomposition de la cervoise.

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Boire au Moyen Âge n'est pas toujours simple. L'eau potableest rare. Tous les villages ne disposent pas d'une source oud'une rivière. L'eau des puits est souvent nocive, polluée etsource de maladies. Enfin, l'eau pure n'est pas facile à conser-ver longtemps, vu le type de récipients dont on dispose. Im-portant facteur de transmission d'épidémie, l'eau étaitvéritablement dangereuse. Pour éviter ce risque, mieux valaitboire des boissons "saines", issues de la fermentation alcoo-lique. Si les riches et les nobles préfèrent le vin, le peuple boitdu cidre, de la cervoise ou de la bière, préparés à partir demalt, souvent de l'orge germé et fermenté. Dans les monas-tères, la bière est considérée comme remède souverain. Plu-sieurs plantes amères entraient dans sa composition, commela gentiane, l'absinthe, la sauge et bien sûr, des fleurs de hou-blon. Mais la boisson la plus recherchée au Moyen Âge, éga-lement la plus chère, c'est le vin. Issue de la tradition latine, laculture de la vigne s'est développée en Gaule dès l'époque ro-maine. Les premières traces de viticulture mosane remontentà la période mérovingienne. De Namur à Liège, des vignobless'installent sur les coteaux de Meuse. Quelques pieds pous-sent sur le berceau de bois. La vigne est considérée commeun symbole de vie, de rédemption, de fécondité, d'abondance.Quant au berceau, il évoque tout à la fois la voûte céleste etses félicités et les coins secrets et ombragés où aiment à secacher les amours parfois clandestines des amants.

Nous voilà plongés dans l'univers symbolique du Moyen Age.Traversons le berceau de vigne pour entrer dans l'intimité dujardin et commencer notre parcours initiatique au cœur de lapensée médiévale.

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Le viridarium, le verger cimetièreDans les monastères, le verger est souvent planté dans le ci-metière. Tous les deux sont d'ailleurs repris sous le mêmeterme de Virida-rium. Les arbres,plantés entre lestombes discrètes etparfois même ano-nymes, revêtentainsi un symbo-lisme puissant,plongeant leurs ra-cines dans leroyaume des mortset élevant leur cimevers le ciel. C'estégalement dans leverger, tapisséd'herbes et defleurs de prairie,que sont installées les ruches, fournissant le miel et la cire.

Déjà connue dans l'Antiquité, la greffe est largement pratiquéeau Moyen Âge, parfois de manière curieuse. Ainsi, le Mesna-gier de Paris préconise de greffer une vigne sur un cerisierpour produire du raisin en mai. Il existe plusieurs types degreffes, dont principalement la greffe en couronne et la greffeen fente. La taille en espalier étant encore inconnue, les arbressont soit travaillés en haute tige soit taillés en plateau ou en

coupe. Aux côtés des pom-miers, des poiriers etdes cognassiers, ontrouve des espècesdont l'utilisation desfruits est aujourd'huipresque oubliéecomme le cormier, lecornouiller, l'aubépineou le mûrier noir.Beaucoup de fruitsétaient issus de lacueillette sauvage,comme les mûres oules fraises des bois,seule variété de fraisesconnue chez nous.

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L’hortus, le jardin de potherbesDans les abbayes et les châteaux, les jardins intérieurs four-nissent tout ce qui va permettre l'autonomie au sein des murs.Les plantes maraîchères de grandes cultures, tout comme lescéréales, sont cultivées à l'extérieur, à la campagne, dans leschamps ou dans les courtils attenant aux fermes. Au potager,on cultive les plantes pour l’alimentation quotidienne et plusparticulièrement, pour le "pot", chaudron où l’on prépare po-tages et potées à base de potherbes. La culture se fait en bacs

surélevés. Cette pratique semble avoir été largement utiliséepour favoriser le réchauffement de la terre et un bon drainage,faciliter la culture et assurer une certaine protection contre lesprédateurs. Les bacs sont de forme rectangle ou carrée, cettedernière étant considérée comme parfaite puisque basée sur lechiffre 4. La symbolique accordée à ce chiffre est importante : les4 directions, les 4 saisons ou les 4 périodes de la vie del'homme : l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte et la vieillesse.La disposition des parterres est régulière, ce qui facilite l'irri-gation. Cette partie du jardin est close par une claie de ron-dins, sur laquelle poussent des vignes, des mûres et, plus loin,des courges. Un des éléments important de ce jardin est lafontaine à quatre jets, source de vie et allégorie des quatrefleuves du Paradis.

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La cuisine médiévaleDans les monastères, la Règle impose la frugalité et le menuest le plus souvent maigre. Peu ou pas de viande, sauf pour lesmalades, du poisson, des légumes ou des fruits composentl'essentiel du repas des moines. Se nourrir de légumes, c'estpartager le sort des plus pauvres, ce qui en soit est une preuved'humilité, tout comme travailler la terre, pour ces moines sou-vent issus de familles seigneuriales. La religion interdisait deconsommer de la viande les jours maigres. En comptant lescarêmes et les jeûnes, on arrive à près de 150 jours maigrespar an. Ces jours-là, le poisson était à l'honneur, symbole pri-mitif chrétien et nourriture "froide" apte à calmer les ardeursdans ces périodes d'abstinence.

Hors des murs des monastères, le menu des seigneurs estsensiblement différent de celui des vilains. Ils utilisent desépices coûteuses que le peuple peut rarement se permettred'acheter. Contrairement à ce que l'on affirme souvent, l'utili-sation desé p i c e sn'avait paspour but demasquer legoût de laviande ava-riée. Trèschères, véri-t a b l e ssignes exté-rieurs de ri-c h e s s e ,elles étaientutilisées pargoût, parmode et parune subsis-tance desp r a t i q u e scu l i na i resdes Romains. Elles sont présentes en quantité dans les platssucrés et salés et même dans les vins et boissons, sur les ta-bles de ceux qui peuvent se le permettre. Les plus utiliséessont le poivre, la cannelle, le gingembre, la cardamome, lesclous de girofle, la muscade, le cumin, les amandes, le sucreou le safran, mais il en existe beaucoup d'autres. Certainesépices, sauces ou préparations ont complètement disparu au-jourd'hui comme la sauce cameline ou le verjus. Leur prix et

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leur rareté font partie de leur succès. Ainsi, le poivre, cher maiscourant, est remplacé sur les tables royales et princières parles graines de paradis et le poivre long. La cuisine de tous lesjours, principalement faite de viandes rôties, plats en sauce,de ragoûts et de pâtés, est goûteuse et raffinée. Tant les sa-veurs que les couleurs des plats sont subtiles et précises, et té-moignent d'une recherche très poussée d'harmonie gustative.

La viande est consommée en abondance, et l'on trouve sur lestables aisées des plats de prestige comme le paon, le faisanou le cygne. Au menu : poularde, oie, canard mais aussi san-glier, cerf et chevreuil. Poulet, mouton ou bœuf complétaientles menus plus modestes, ainsi que, bien entendu, le porc. Lespoissons étaient aussi fort prisés : sole, turbot, truite ainsi quecarpe, anguille, perche, brochet. La pêche au saumon, poissonroyal par excellence, était un privilège seigneurial. Les escar-gots, les grenouilles et les écrevisses étaient égalementconsommés. Morues, maquereaux, harengs et baleine étaientsalés ou fumés.

Les familles les plus modestes achètent, quand elles le peu-vent, les produits préparés par les charcutiers et rôtisseurs,boulangers et pâtissiers, qui vendent des pâtés de viande et depoisson. Les paysans, eux, mangent surtout des légumes etdes céréales, même si les perdrix, pigeons, bécasses, cailles,et petits oiseaux tels que merles, grives et ortolans font aussiparfois partie du menu, tout comme les œufs et le fromage.

Il existe une véritable hiérarchie sociale des végétaux : plus ilspoussent loin de la terre, plus ils sont "nobles". Tout ce quipousse dans le sol, considéré comme impur, est laissé aux vi-lains. Même si la gent seigneuriale considère les légumescomme vulgaires, ils ont néanmoins une place importantedans l'alimentation quotidienne de la population. On trouve surles marchés beaucoup de légumes racines, comme le cher-vis, la raiponce, le panais, le maceron, le navet ou la carotte quiétait blanche ou jaunâtre. La potée se compose aussi de lé-gumes feuilles tels que choux, poireau, arroche, chicorée ouchénopode et de cardon, bette ou poirée. Des aromatiquesviennent donner du goût à l'ensemble, comme les moutardes,la roquette, l’oseille, remplaçant tant bien que mal les si convoi-tées épices, et bien entendu, les aulx, oignons et échalotes.Les verdures ou salades comme la laitue, le céleri et le cres-son ne seront en vogue qu'après le XIVème. Elles sont accom-pagnées de sauces chaudes, sorte de vinaigrette à base deverjus, jus de raisins verts cueillis avant maturité.

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Les paysans se contentent généralement de soupe : unetranche de pain trempée dans un bouillon d'herbes et de lé-gumes secs tels que pois chiches, lentilles, fèves, doliquesmongettes ou diverses sortes de vesces et de gesses. Leslentilles et les pois chiches, comme bon nombre de nos plantescultivées, viennent du Croissant fertile, zone du Moyen-Orientsituée entre le Tigre et l'Euphrate. Au départ, l’appellation « lé-gume » était réservée aux graines séchées extraites desgousses de légumineuses que l'on consommait cuites. Par ex-tension, le terme s'est appliqué à tous les végétaux cuits puisà tous les végétaux cuisinés salés.

La conservation des aliments était une grande affaire. Les fa-mines, les guerres et les difficultés de transport obligeaient àd'importantes réserves, dans des conditions d'entreposageprécaires. Différents types de préparations permettaient demaintenir les aliments. Salaisons, viandes et poissons fumés,

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conserves dans la graisse ou dans l'huile, fromages, confits, lé-gumes et fruits secs emplissaient les combles et les caves,aux côtés des précieuses barriques de vin.

L’herbularius, le jardin des simplesLe terme jardin des simples vient de l'appellation latine Sim-plicis Medicinae, désignant les remèdes à base d'une seuleplante, et donc considérés comme simples, par opposition auxpréparations complexes de la médecine savante. Connues de-puis l'Antiquité, celles-ci pouvaient contenir des dizaines deconstituants divers. Plus de 60 espèces sont présentes dansces parterres, mais beaucoup d'autres plantes du jardin pos-sèdent également des propriétés médicinales. Sainte Hilde-garde von Bingen décrit, au XIIème, plus de 300 plantesmédicinales.

La pharmacopée médiévale compte plusieurs classes de re-mèdes. La plupart des plantes ayant plusieurs usages, leurclassification est malaisée. Les connaissances de l'époque, in-fluencées par les croyances et les traditions, ne correspondentpas toujours aux réelles propriétés des plantes. Certainesplantes ont tellement de vertus qu'on les considère comme despanacées. Vous en trouverez quelques-unes dans ce jardin.

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Cette recherche du médicament universel est typique de lapensée moyenâgeuse, et rejoint les idées alchimistes liées àla pierre philosophale. C'est le cas de la sauge. Son nom vientdu latin Salvare qui signifie sauver. On disait jadis que ceux quiavaient de la sauge au jardin voyaient moins le médecin !D'après Sainte Hildegarde, elle est antiseptique, apéritive, dés-odorisante, elle soulage les maux de tête, de ventre, les pertesurinaires et les hémorragies. Autre panacée, l'absinthe, soignela goutte, les maux de poitrine, de reins, de dents et d'oreilles,la mélancolie et les problèmes de vue, facilite la digestion,purge, renforce les poumons et réconforte le cœur !

Les plantes luttant contre les parasites ou le venin sont pré-cieuses. Ainsi, la tanaisie éloigne les parasites des animaux etdu linge. Le pyrèthre est un insecticide efficace. La balsamiteou le dompte venin étaient utilisés, entre autre, comme anti-dotes au venin. Parmi les plantes fébrifuges, figure la matri-caire, la benoîte, la reine des prés ou la germandrée, aussiappelée chasse-fièvre. Les propriétés adoucissantes, émol-lientes des molènes ou des mauves sont utilisées pour soula-ger les affections respiratoires. La pulmonaire doit son nom etsa réputation à ses feuilles qui, ressemblant à des alvéoles pul-monaires, se devaient de soigner les poumons. Le nom latinde l'agripaume, Leonorus cardiaca, indique clairement ses pro-priétés cardiaques. C'est également une plante de femme, "ex-citant les mois des femmes" tout comme l'armoise ou lamélisse. Cette dernière joue aussi favorablement sur la goutte,comme la podagraire, appelée herbe aux goutteux.

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Les vulnéraires, ou plantes cicatrisantes, sont indispensablespour le soin des plaies. Elles agissent de manières diverses,par leurs propriétés adoucissantes comme la consoude, ou as-tringentes comme la bardane. L'huile rouge de millepertuis,connue aussi pour éloigner la mélancolie, soulage les brûlures.La chélidoine, outre son action présumée sur la bile, guérit lesverrues et ulcères, tout comme la bryone. Extrêmementtoxique, elle doit une partie de son succès à la ressemblancede sa racine avec celle de la mandragore, qu'elle falsifiait par-fois. Elle était également utilisée en usage interne, ainsi quel'épurge, comme purgatif puissant et ce malgré les risquespour le patient.

Les plantes et la médecineLieu d'accueil des pauvres et des malades, les monastères of-frent des soins selon le précepte de Saint Mathieu : "Guérissezles malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux".Moines médecins et infirmiers s'occupent de l'infirmerie. Lemoine apothicaire gère la réserve de drogues. Le jardin deplantes médicinales se situe en général tout près de l’apothi-cairerie ou de l'infirmerie. 16 à 20 plantes y sont cultivées enmoyenne. On y trouve des plantes de première nécessité, plusrares ou difficiles à trouver dans la nature. La plus grande par-tie des plantes nécessaires à la fabrication des remèdes estissue de la cueillette dans la nature. Les autres drogues né-cessaires au fonctionnement des hôpitaux et infirmeries sontachetées aux épiciers ou échangées avec d'autres abbayes.Vers le XIe, la médecine va peu à peu se laïciser, grâce entreautre à la création de l'école de Salerne. Les épiciers et mar-chands de drogues laïcs vont se spécialiser et devenir apothi-caires.

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La médecine du Moyen Âge se base sur la théorie antique deshumeurs qui prône que la santé résulte de l'équilibre des qua-tre humeurs présentes dans le corps : le sang, la pituite, la bilejaune et noire, qui correspondent à quatre éléments et pro-priétés : le feu qui est chaud, l'air sec, la terre froide et l'eauhumide. Chaque chose peut être définie par ses qualités :chaud, froid, sec ou humide. Ainsi, la lavande et le pissenlitsont chauds et secs alors que le sureau yèble et le souci sontfroids et humides. Les maladies elles-aussi sont classées de lamême manière. Selon un des principes d'Hippocrate, onsoigne le mal par son contraire. Les fièvres étant considéréescomme chaudes sont soulagées par des remèdes considéréscomme froids, comme la spirée et le saule qui poussent tousles deux à proximité de l'eau. La philosophie du Moyen Âge estprofondément influencée par l'idée que les remèdes, considé-rés comme d'essence divine, portent en eux l'indication deleurs propriétés. La pulmonaire dont les feuilles portent desmarques blanches en forme d'alvéole soigne les poumons. Lachélidoine, dont le suc jaune et amer peut évoquer la bile, estcensée soulager les problèmes hépatiques. La plupart desplantes doivent être cueillies selon un rituel bien établi, à desdates précises et souvent accompagnées de prières.

Sur le chemin de Saint-JacquesEntre le XIème et le XIVème siècle, le phénomène des pèleri-nages pousse chaque année sur les chemins plusieurs cen-taines de milliers de pèlerins. Durant tout le Moyen Âge,pèlerinages et croisades marquent l'histoire de nos populationset vont laisser des traces dans le paysage. Sous l'impulsiondes grandes abbayes, des itinéraires de prédilection se créentpeu à peu, jalonnés d'hôtel-dieu et de chapelles. Les routessont entretenues, on construit des ponts et des structures d'ac-cueil. Si les contacts entre lettrés occidentaux et arabes sontbien antérieurs aux Croisades, le développement des pèleri-nages va néanmoins favoriser la dispersion du savoir et destechniques à travers toute l'Europe, générant une améliorationdes conditions de culture.

Le pèlerinage de Compostelle comptait parmi les 3 grands pè-lerinages que se devait de faire tout bon chrétien qui en avaitles moyens. La route était dangereuse et semée d'embûches.Il n'était pas rare de mourir en route. Ceux qui atteignaient leurbut recevaient une coquille, insigne d'un homme nouveau. De-venue signe distinctif, elle servait de gobelet tant pour boireque pour demander l'aumône. A sa vue, la charité devenait undevoir.

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Lorsqu'ils prenaient le cheminde Saint Jacques de Compos-telle, en arrivant dans le Sud,les gens du Nord découvraientune autre végétation, typique-ment méditerranéenne. Si cer-taines des plantes cultivéesétaient déjà connues dans nosrégions, beaucoup de plantessauvages ne l’étaient pas. Surle chemin en forme de coquille,un petit avant-goût des gar-rigues nous plonge dans lesparfums de la Méditerranéeavec la lavande, le romarin, lethym, l'origan et le laurier. Lescistes et le jasmin aux fleursodorantes, le figuier et l'argou-sier côtoient le pistachier et l'olivier.

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Le jardin de MarieJardin de bouquet, jardin de fleurs, il est aussi utilitaire quesymbolique. On y cultive les fleurs qui serviront à garnir les au-tels mais aussi à parer le jardin, au rythme des fêtes liturgiques.Le jardin est entouré de claustras, symbole de la chasteté, évo-quant le jardin clos. Dès le XIIème, le jardin devient en effet dansl'iconographie l'emblème de Marie, métaphore de la Dame, dela Vierge, de l'Epouse. Il restera plus tard celui de la femme engénéral dans la littérature courtoise.

Le culte des fleursDans les premiers temps de l'Eglise primitive, l'usage des fleursétait proscrit, rappelant trop les rites, les cérémonies païenneset les sacrifices sanglants auxquels elles étaient associées.Pour asseoir son autorité et abolir les cultes païens, l'église supprima les offrandes florales, guirlandes et couronnesromaines. L'interdit touche même la cueillette des fleurs deschamps. C'est pourtant par le biais de l'Eglise que les fleursseront revalorisées. Dans le cas de la rose, ce sont sans douteses propriétés médicinales qui lui ouvrirent les portes du jardindes simples. Le savoir botanique des Anciens étant inlassa-blement copié et transmis par les moines copistes dans lesmonastères, les propriétés des fleurs leur étaient bien connues.Peu à peu, la beauté des fleurs prend le dessus et elles re-trouvent le chemin des autels. Pour assumer ce rôle, elles doi-vent retrouver une nouvelle innocence. Transformées enattribut de Marie, elles se drapent de ses vertus. Ainsi, la rose,toujours elle, autrefois liée à Venus et à l'amour charnel, de-vient symbole de la pureté de la Vierge lorsqu'elle est blanche,et image de la passion du Christ et de l'amour divin lorsqu'elleest rouge.

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Peu à peu, l'usage décoratif des fleurs s'impose, en parallèleavec une nouvelle vision de la femme et le développement duculte marial. Aussi, dans les monastères, un jardin est consa-cré à la culture des fleurs à bouquet. Chacune a une significa-tion, souvent complexe, variant selon le contexte ou lesépoques.

Tout étant symbole au Moyen Âge, la réalisation des bouquetsdevait probablement être elle aussi porteuse de message, ouà tout le moins tenir compte de la symbolique des fleurs. L'an-colie, associée à la colombe, est la fleur du Saint-Esprit, l'iriscelle de la douleur.

Les oeillets, très prisés durant tout le Moyen Âge, sont liés à larédemption, à la Passion du Christ et à la victoire de l’amoursacré dans le monde divin. L'anémone est un symbole de cha-grin. La giroflée, comme d'autres plantes de la famille des cru-cifères dont le nom souligne la forme en croix de leurs fleurs,est elle aussi, associée à la Passion du Christ. Le lierre marquel'attachement jusqu'à la mort.

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Mais de toutes lesfleurs, c'est sansconteste la rose quel'on associe le plus àMarie, dont elle devintune sorte de méta-phore. Mis à partquelques espèces bo-taniques, il est difficilede s'avancer sur l'iden-tité précise des variétésde roses connues auMoyen Âge, sans doutepour la plupart dispa-rues aujourd'hui. Lesroses présentées icicomptent parmi lesplus anciennes,comme le rosier "Qua-tre saisons", "Cuisse de Nymphe", "Tuscany" et la fameuse"Rose de Provins", Rosa Gallica officinalis, rapportée par Thi-bault de Champagne à Provins à son retour de Croisade.

La guerre des deux rosesEntre le jardin de Marie et le jardin d'amour, quelques rosiersévoquent la légende de la "Guerre des deux Roses". Celle-ciprend son origine au XVème, dans les guerres civiles ayant op-posé durant près de 30 ans les familles de York et de Lancas-tre qui se disputaient la couronne d'Angleterre.

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Les Mille-fleursL'art de la tapisserie connaît un essor considérable durant leMoyen Âge. Les seigneurs des XIVème et XVème menaientune vie itinérante, transportant avec eux leur cour, leurs do-mestiques et leurs biens, meubles, vaisselles et tapisseries.Les sujets pouvaient être religieux ou profanes, comme le trèscélèbre ensemble de tapisserie de la Dame à la Licorne. Cetype de tapisserie, appelée Mille-fleurs, dont le fond et les bor-dures étaient remplis de plantes, fleurs et fruits, fit la réputa-tion des artisans belges à Bruxelles, Anvers ou Tournai entreautre.

Chaque fleur re-présente en soitout un langage etporte souvent plu-sieurs significa-tions qui changentselon le sujet del'œuvre. Par exemple, lapensée est la fleurde la Passion duChrist car elle rap-pelle, par le nom-

bre de ses pétales, les cinq plaies du Christ et par ses troiscouleurs, la Trinité. Les œillets, symboles de rédemption, sontaussi le symbole des fiançailles ou de la fidélité. La pâquerettesignifie l'innocence, le plantain est associé à ceux qui cher-chent le chemin de la perfection, le pissenlit à l'amertume dela douleur de la passion.

Plusieurs parterres floraux, dispersés dans le jardin, ont étéréalisés à la manière d'une tapisserie. Leurs motifs formés parles touffesd'œil lets,l y c h n i s ,fraisiers oup â q u e -r e t t e s ,e n t r eautre, ser é p è t e n trégulière-m e n tcomme latrame d'untissu.

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Le jardin d’amour courtoisLieu de plaisir et de rencontre, on y trouve des fleurs aux par-fums voluptueux, des oiseaux chanteurs, des fruits au goût dé-licieux. Il accueille chevaliers et grandes dames, poètes ettroubadours qui content fleurette au milieu de prés en fleurs.Ce jardin se compose de banquettes surélevées garnies desagine, les banquettes d'amour, entourant une fontaine et ins-tallées au milieu de tapis de fleurs.

Les jardins profanes

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Le renforcement du système féodal favorise le développementd'une manière de vivre seigneuriale raffinée et insouciante, quidonnera naissance aux romans d'amour et de chevalerie.Parmi les poèmes les plus connus, le Roman de la Rose mon-tre toute l'étendue de la symbolique du jardin dans l'amourcourtois. Nous avons très peu d'informations sur les vrais jar-dins privés, mais la littérature y fait si systématiquement réfé-rence qu'il est logique de penser qu'ils ont réellement existé etdevaient ressembler plus ou moins à leur image idéalisée dansles livres.

Outre les jardins utilitaires dont les châteaux étaient probable-ment pourvus pour les mêmes raisons que les abbayes, ou lesjardins d'apothicaires dans les villes, la caractéristique du jar-din profane est d'être avant tout un lieu de plaisir, ce qui ledémarque totalement des jardins monastiques. Les Croi-sades influencèrent certainement nos jardins européens, ap-portant den o u ve l l e splantes, l'artde vivre et lesavoir-faireoriental. Unedes raresdescriptionsde ces "nou-veaux jar-dins" quinous soitp a r v e n u eest celle duParc d'Hes-din, de Ro-bert IId'Artois. 940hectares deparc abri-taient dem u l t i p l e smerveilles :pavillons deplaisance,ménageries,v o l i è r e sgéantes, au-tomates…

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Le jardin d’amour, verger de symbolePassionné, sensuel, l'amour courtois est aussi charnel, voireconcupiscent, et lié au péché originel. Comme Adam et Eve,les amants sont soumis à la tentation au milieu du jardin. Celui-ci sera soit le jardin clos symbole de chasteté, soit le jardin se-cret abritant les plaisirs terrestres. La femme est considéréecomme la grande fautive et la responsable de la perte du Pa-radis terrestre… et donc on s'en méfie. Quasiment absente dela littérature épique, elle prend sa revanche dans l'art del'amour courtois. Elle y a la place dominante, devient l'objet detous les désirs. Ici, au milieu de son jardin dont elle décide ounon d'ouvrir la porte à son amant, c'est elle qui dicte sa loi etses caprices. Le XIIème siècle voit en même temps que le dé-veloppement de l'amour courtois, un changement dans lafaçon de voir les femmes et leurs rapports avec les hommesainsi que l'intensification du culte de Marie. Le jardin clos desenluminures prend alors un double sens : soit l'image de la pu-reté de la Dame, chaste et fidèle à l'image de Marie, placée aucentre du jardin d'Eden retrouvé, soit celle d'un lieu de délicesvoué aux plaisirs interdits. Le jardin devient alors une sorte deterrain de jeu où s'opposent le Roi ou l'Epoux, la Dame et leChevalier ou l'Amant.

Lieu de délices, le jardin touche aux 5 sens, thème récurrentdans l'imagerie médiévale. La vue est comblée par les fleurset le vert gazon, l'odorat par les parfums, le goût par les fruitsdu verger. De nombreuses représentations montrent des mu-siciens et chanteurs, quand ce n'est pas la Dame elle-mêmeou le chevalier dont la voix ou l'instrument réjouit l'ouïe.

Dans le jardin, chaque élément a sa signification et sa raisond'être. Les banquettes d’amour offrent le confort nécessaire àlibérer l'esprit, mais parlent aussi de ce que l'on y fera... Ellessont situées dans une prairie fleurie, ouverte et claire. La clartéde la clairière protégée par des murs s'oppose à l'aspect som-bre des bois extérieurs, lieux de tous les dangers. Elle évoquele printemps, saison des amours par excellence. Ephémèressymboles de jeunesse, les fleurs ont un langage propre. La tourprend une signification importante. Symbole de la force, ellepeut représenter la fidélité ou les amours contrariés et l'inter-dit créé par les liens du mariage dans lesquels est enfermél'objet de convoitise de l'amant. La tour est ainsi soit la Damerendue inaccessible pour son amant, soit l'épouse fidèle danstoute la force de la chasteté.

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L'eau est un élément essentiel du jardin courtois, symbolisantla vie et la fécondité, un peu à la manière de la fontaine de jou-vence. L'eau vive jaillissant de la fontaine est l'image de la jeu-nesse et de la passion.

Image du Paradis lorsqu'il forme un cercle, celle de la perfec-tion lorsqu'il est carré, le jardin est généralement clos par unmur ou une palissade, représentant souvent la fidélité de laDame. Il est pourvu de portes, symbole de passage, que seuleune initiation permet d'ouvrir. Petite, dérobée, fermée ouunique, la porte signifie l'appartenance, la fidélité ou l'inacces-sibilité. Ouverte, elle autorise l'Amant à tous les espoirs.

Les arbres taillés en plateaux, parfois cultivés en pots, mon-trent la domination de l'homme sur la nature, homme qui parson travail et son savoir-faire doit extraire la quintessence de lanature sauvage par la domestication. L'ordre, le contrôle de sois'oppose au laisser aller des prairies et des bois. Le jardin estun lieu clairement domestiqué, ordonné, réglé, à l'image de ceque l'on attend des héros de l'époque. Si les nobles sont tropdélicats pour s'occuper des lourds travaux des champs, le jar-dinage leur est conseillé, comme exercice agréable, futile etsain.

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Nous avons peu de sources d'information concernant les jardins médiévaux et leur interprétation n'est pas toujours aisée. Les en-luminures sont une importante source de renseignements. Les"Très riches heures du Duc de Berry" ou le "Livre d'heuresd'Anne de Bretagne" par exemple, livrent des témoignages pré-cieux sur les paysages et les plantes de l'époque. Les tapisseriescomme celles de la Dame à la licorne ou le tableau l'Agneaumystique de Van Eyck sont, par leur précision botanique, de vé-ritables herbiers. En fait de plan, nous ne disposons que de celuide l'abbaye de Saint Gall, près du lac de Constance, en Suisse.Ce projet, datant de l'an 820, ne fut jamais réalisé mais constitueune base précieuse pour imaginer comment s'articulaient les jar-dins de monastères.

Différents ouvrages rédigés par des religieux donnent une idéedes plantes consommées, cultivées sur place ou composant lesdîmes payées par les paysans, et de l'usage que l'on en faisait.Parmi les plus connus, le Liber de Cultura hortorum de Walah-fried Strabo (809 - 849), le Physica d'Hildegarde Von Bingen(1099 - 1179), le De vegetabilibus d'Albert le grand (1260), le Po-lyptique de l'abbaye de St Germain-des-prés écrit par l'Abbé Ir-minon, et reprenant une liste de culture et d'impôts en naturedatant du IXème siècle, le Liber simplicis medicinae de Platea-rius. Notons également le Livre des propriétés des choses deBarthélémy l'Anglais et le Ruralium commodorum aussi appeléle Rustican de Pierre de Crescens.

Des listes des aliments utilisés en cuisine, comme le Mesnagierde Paris ou le Viandier de Taillevent, indiquent également quellesétaient les plantes potagères consommées par les seigneurs etles bourgeois.

Enfin, le capitulaire "De Villis" établi sous Charlemagne cite unesérie de 70 plantes qu'il souhaite voir planter dans tous ses do-maines. Il est à noter que ces plantes sont conseillées dans lecadre de l'amélioration de domaines impériaux et ne sont pasune description des plantes présentes effectivement dans desjardins. En sont par exemple absentes la vigne, les orties ou lescéréales, qui n'avaient pas besoin d'être encouragées !

Concernant les jardins d'amour, la "Guirlande de Julie", la"Chanson de Roland", le "Roman de la rose", le "Cuersd'amour épris", la "Divine comédie", le "Décameron" et d'autrestextes poétiques, initiatiques et symboliques de l'époque décri-vent les jardins profanes et les plantes que l'on y trouve. Mais iciaussi, tant la licence poétique prise par l'auteur que la recherchede la symbolique influencent fortement l'ensemble.

Les sources

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Boire au Moyen Âge - Jean Verdon - PerrinLes jardins paysagistes, jardiniers, poètes - Michel Baridon -LaffontLe livre des subtilités des créatures divines - Hildegarde deBingen - Jerôme MillionLes jardins du Moyen Âge - Marie-Thérèse Haudebourg - PerrinLes plantes du jardin médiéval - Michel Botineau - Eveil natureEden, le jardin médiéval à travers l'enluminure - Marie-ThérèseGousset - Albin MichelL'art de vivre en santé - Carmélia Opsomer - Du PerronChefs d'œuvre de l'enluminure, les plus beaux manuscrits dumonde de 400 à 1600 - Ingo Walther - TaschenLa tapisserie médiévale (musée de Cluny) - Fabienne Joubert- réunion des musées nationaux, ParisLa guirlande de Julie - Irène Frain - LaffontPromenade dans des jardins disparus - Michel Bilimoff - Ouest-FranceJardins du Moyen Âge - Marie-Françoise Valéry, Alain le To-quin - Renaissance du LivreJardin de sorcières - Erika Laïs – Rustica Jardins médiévaux - Mic Chamblas-Plotton - FlammarionHistoire de la cuisine bourgeoise, du Moyen Âge à nos jours -Maguelonne Toussaint-Samat - Albin MichelPlantes et jardins du Moyen Âge - Michel Cambornac - EdipsoHistory of temptation, spice - Jack Turner - HarperL'Europe à table - Lilian Pluvier - LaborArchéologie du Midi médiéval - CNRSJardin du prieuré Notre-Dame d'Orsan - Sonia Lesot, PatriceTaravella - Actes SudPlantes d'autrefois, médicaments d'aujourd'hui - Vanhaelen,Fastré - ULBLe jardin médiéval, un musée imaginaire - Viviane Huchard,Pascale Bourgain - Presses universitaires de FrancePlantes médicinales - Vlietinck, Totte - jardin botanique natio-nal de Belgique

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Bibliographie

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L'état bourguignon - Bertrand Schnerb - TempusLes racines de l'Europe, les sociétés du haut Moyen Âge - Michel Rouche - FayardLe Moyen Âge - LarousseHistoire de la Toison d'Or - Pierre Houart, maxime Benoît-Jean-nin - Le CriLa viticulture hutoise - Elisée Legros - Éditions du Musée de laVie WallonneLa pensée symbolique au Moyen Âge - Guy Allard - Encyclo-pédie de l'AgoraHistoire symbolique du Moyen Âge - Michel Pastoureau - Librairie XXIème siècleLes très riches heures du duc de Berry - Jean Dufournet - Bibliothèque de l'imageLe capitulaire De Villis, traduction et présentation - Alain Canuhttp://perso.orange.fr/alain.canu/Eginhard/Capitulare_De_villis.htm

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Conception du jardinCatherine Mathys, « Histoires de Plantes » ASBL www.histoiresdeplantes.be

Conseillers scientifiques et collaborateursBureau d’Etudes Espaces verts de la VilleService Espaces verts de la Ville Service Eco-conseil de la Ville

LivretConception et rédaction : Catherine Mathys, « Histoires de Plantes » ASBLPhotographies : Catherine MathysMise en page : Service reprographie - Ville de Namur

Editeur responsable : J.M. Van Bol, Secrétaire communal

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Remerciements & collaborations