7
26 Demeures historiques & Jardins 186 juin 2015 Le Jardin expérimental Jean Massart à Auderghem (IV) Entre continuités et ruptures : l’histoire du Jardin Massart après la mort de son créateur. Par Odile De Bruyn* & Anne-Marie Sauvat** Un projet orphelin et une nouvelle histoire À la mort de Jean Massart en 1925, le jardin expérimental qui porterait bientôt son nom était constitué du seul « jardin éthologique », alors que celui-ci était des- tiné à s’inscrire dans un ensemble plus vaste. L’Université libre de Bruxelles, qui traversait à l’époque une importante crise financière, dut renoncer à soute- nir la poursuite du projet. Pour conti- nuer l’œuvre du botaniste, certains de ses collègues, amis et disciples, dont le botaniste Charles Bommer, créateur de l’arboretum de Tervueren, le médecin et physiologiste Jean Demoor, le botaniste Lucien Hauman, le zoologiste Auguste Lameere, ou encore le zoologiste Marc de Selys Longchamps, se constituèrent en association sans but lucratif, sous la dénomination de « Jardin expérimental Jean Massart », le 1 er juillet 1926. Selon les statuts, l’association, dont le siège fut établi à l’Institut botanique Léo Errera, situé à proximité du Jardin botanique de l’État, avait pour objet « de continuer l’œuvre du professeur Jean Massart et de développer les études de botanique, notamment par le dévelop- pement et l’entretien du jardin d’expé- riences et d’études créé dans le domaine du Rouge-Cloître ou la création de jar- dins, serres, étangs ou autres installations de culture du même genre ». Il était éga- lement prévu qu’en cas de dissolution de l’association, son patrimoine, après apurement des dettes, serait attribué à l’Université libre de Bruxelles 1 . Le 31 juillet 1926, un contrat de bail emphytéotique pour un terme de nonante-neuf ans à partir du 1 er jan- vier 1922, portant sur le terrain du jar- din expérimental, fut passé entre l’État belge et l’Université libre de Bruxelles 2 . Le plan de référence était celui dressé par Joseph Simon en 1921. La propriété louée devait servir « à l’établissement d’un institut de botanique, d’un parc accessible au public et d’un jardin privé destiné aux expériences avec labora- toire et serres ». Avec l’assentiment de l’État belge, l’Université cédait à l’a.s.b.l. nouvellement constituée tous ses droits et obligations au bail, se réservant simplement de le reprendre pour son compte au cas où l’association viendrait à y renoncer. L’association « Jardin expérimental Jean Massart » obtint un soutien finan- cier de la fondation Agathon de Potter (Académie royale des Sciences) et de la Fondation universitaire. De même, Le Nouveau Jardin Pittoresque décida d’organiser chaque année une tombola, dont le produit intégral serait versé au profit du Jardin expérimental 3 . Une créaƟon posthume : le jardin d’essai Dès 1926, un jardin d’essai, qui devait occuper une superficie de 3 hectares environ, commença à être aménagé d’après les notes de Jean Massart (ILL. 1). Il était l’expression matérielle de la méthode appliquée par le savant, à savoir l’expérimentation, qui avait tou- jours occupé une place prépondérante dans ses recherches et son enseigne- ment. Dans l’introduction à son ouvrage Esquisse de la géographie botanique de la Belgique, Massart avait insisté sur ILL. 1. – Projet d’ensemble du Jardin expérimental Jean Massart, signé F. Mullie, 1927 (Archives du Jardin Massart). À l’époque, outre le jardin éthologique, le Jardin Massart comptait : des ébauches de jardin d’essai et d’arboretum de conifères (représentées en teintes plus foncées), une roseraie à l’emplacement de l’ancien potager des petites maisons ouvrières et un laboratoire installé dans une ancienne « villa » présente sur le site avant la création du Jardin.

Le Jardin expérimental Jean Massart à Auderghem d’habitat des espèces […]. Il y a une ... Dans le premier numéro de la revue du Jardin d’Agrément, paru en jan-vier 1922,

  • Upload
    dinhdat

  • View
    224

  • Download
    2

Embed Size (px)

Citation preview

26 Demeures historiques & Jardins 186 juin 2015

Le Jardin expérimental Jean Massart à Auderghem (IV)

Entre continuités et ruptures : l’histoire du Jardin Massart après la mort de son créateur.

Par Odile De Bruyn* & Anne-Marie Sauvat**

Un projet orphelin et une nouvelle histoireÀ la mort de Jean Massart en 1925, le jardin expérimental qui porterait bientôt son nom était constitué du seul « jardin éthologique », alors que celui-ci était des-tiné à s’inscrire dans un ensemble plus vaste. L’Université libre de Bruxelles, qui traversait à l’époque une importante crise fi nancière, dut renoncer à soute-nir la poursuite du projet. Pour conti-nuer l’œuvre du botaniste, certains de ses collègues, amis et disciples, dont le botaniste Charles Bommer, créateur de l’arboretum de Tervueren, le médecin et physiologiste Jean Demoor, le botaniste Lucien Hauman, le zoologiste Auguste Lameere, ou encore le zoologiste Marc de Selys Longchamps, se constituèrent en association sans but lucratif, sous la

dénomination de « Jardin expérimental Jean Massart », le 1er juillet 1926.Selon les statuts, l’association, dont le siège fut établi à l’Institut botanique Léo Errera, situé à proximité du Jardin botanique de l’État, avait pour objet « de continuer l’œuvre du professeur Jean Massart et de développer les études de botanique, notamment par le dévelop-pement et l’entretien du jardin d’expé-riences et d’études créé dans le domaine du Rouge-Cloître ou la création de jar-dins, serres, étangs ou autres installations de culture du même genre ». Il était éga-lement prévu qu’en cas de dissolution de l’association, son patrimoine, après apurement des dettes, serait attribué à l’Université libre de Bruxelles1.

Le 31 juillet 1926, un contrat de bail emphytéotique pour un terme de nonante-neuf ans à partir du 1er jan-vier 1922, portant sur le terrain du jar-din expérimental, fut passé entre l’État belge et l’Université libre de Bruxelles2. Le plan de référence était celui dressé par Joseph Simon en 1921. La propriété louée devait servir « à l’établissement d’un institut de botanique, d’un parc accessible au public et d’un jardin privé destiné aux expériences avec labora-toire et serres ». Avec l’assentiment de l’État belge, l’Université cédait à l’a.s.b.l. nouvellement constituée tous ses droits et obligations au bail, se réservant simplement de le reprendre pour son compte au cas où l’association viendrait à y renoncer.L’association « Jardin expérimental Jean Massart » obtint un soutien fi nan-cier de la fondation Agathon de Potter (Académie royale des Sciences) et de la Fondation universitaire. De même, Le Nouveau Jardin Pittoresque décida d’organiser chaque année une tombola, dont le produit intégral serait versé au profi t du Jardin expérimental3.

Une créa on posthume : le jardin d’essaiDès 1926, un jardin d’essai, qui devait occuper une superfi cie de 3 hectares environ, commença à être aménagé d’après les notes de Jean Massart (ILL. 1).Il était l’expression matérielle de la méthode appliquée par le savant, à savoir l’expérimentation, qui avait tou-jours occupé une place prépondérante dans ses recherches et son enseigne-ment.Dans l’introduction à son ouvrage Esquisse de la géographie botanique de la Belgique, Massart avait insisté sur

ILL. 1. – Projet d’ensemble du Jardin expérimental Jean Massart, signé F. Mullie, 1927 (Archives du Jardin Massart). À l’époque, outre le jardin éthologique, le Jardin Massart comptait : des ébauches de jardin d’essai et d’arboretum de conifères (représentées en teintes plus foncées), une roseraie à l’emplacement de l’ancien potager des petites maisons ouvrières et un laboratoire installé dans une ancienne « villa » présente sur le site avant la création du Jardin.

27 186 juin 2015

l’importance de l’expérimentation pour la géographie botanique : « Il n’est pas douteux que l’accommodabilité [les facultés d’accommodation des espèces végétales] est un facteur très impor-tant pour la géographie botanique, puisqu’elle intervient puissamment pour restreindre ou élargir les aires d’habitat des espèces […]. Il y a une diffi culté qui se présente tout de suite lorsqu’on se met à étudier l’accommo-dabilité : on ne sait pas, a priori, si les différences que l’on observe tiennent à ce qu’on a affaire à des races dis-tinctes, adaptées chacune à des condi-tions spéciales, ou bien si elles ont été amenées par la faculté que pos-sède la plante de se mettre en harmo-nie avec des milieux différents4 ». Et le botaniste de donner un exemple, pour mieux faire comprendre son propos au lecteur : « Ainsi Festuca duriuscula5, des rochers calcaires qui bordent la Meuse, a des feuilles très glauques et des épillets beaucoup plus gros que les individus de la même espèce habi-tant les terrains vagues aux environs de Bruxelles. Les botanistes descrip-teurs font de la plante rupicole une variété glauca ou même une espèce […]. Pour décider s’il s’agit ici d’une variation spécifi que ou d’un change-ment introduit par l’accommodation, il faut recourir à la culture. Dans le cas

présent, l’expérience montre que les caractères se maintiennent intégrale-ment quand on cultive le Festuca sur une plate-bande de jardin, et qu’ils se transmettent héréditairement : ils sont donc spécifi ques […] ; [ils] ne doivent rien à l’accommodabilité. » Selon le botaniste, on ne pouvait pas toujours se fi er aux travaux de systématique pour distinguer les accommodations des variations proprement dites. Les essais de culture et le recours à l’ex-périmentation étaient donc indispen-sables pour décider de la valeur, spéci-fi que ou accommodative, des variétés6.

Une nouvelle sec on : où botanique et hor culture font bon ménageFaute de moyens suffi sants, l’a.s.b.l. « Jardin expérimental Jean Massart » fut dissoute en 1939 et la gestion du jar-din transférée à l’Université libre de Bruxelles7.Des tracés et aménagements nouveaux furent alors entrepris et créés de 1939 à 1943 selon des plans dressés par l’ar-chitecte-paysagiste Auguste Delvaux8 (ILL. 2). À la section écologique et éthologique du jardin fut ajoutée une section de botanique systématique et d’horticulture expérimentale. Un crédit d’environ 55.000 francs fut alloué par l’Université au Dr Arthur Dekeyser pour la création de cette nouvelle section. L’ancien jardin d’essai fut affecté tem-porairement à la culture de légumes. Pour répondre aux besoins de cer-tains étudiants en temps de guerre, le professeur Alexandre Conard, qui deviendrait bientôt directeur du Jar-din, et le Dr Dekeyser eurent l’idée, au mois d’août 1940, de créer un mess où seraient servis des repas à un prix modeste, composés de légumes culti-vés au Jardin Massart9.Un grand jardin d’essais10 fut conçu pour la nouvelle section par le Dr Arthur Dekeyser (ILL. 3-5).

ILL. 2 – Plan général des tracés et amé-nagements nouveaux créés de 1939 à 1943 suivant les plans dressés par l’architecte-paysagiste Auguste Delvaux (Archives du Jardin Massart).

A. Jardin d’essai affecté temporairement à la culture de légumesB. Jardin d’essais du Dr DekeyserC. Maisonnette

1. « Jardin éthologique »2. « Étang inférieur de Rouge-

Cloître »3. « Chaussée de Wavre »4. « Labours »

ILL. 3 – Le jardin du Dr Dekeyser. Photographie de Jean Conard, fi ls du professeur Alexandre Conard, vers 1945 (Archives du Jardin Massart).

28

Seules des considérations esthétiques et le désir de découvrir des palettes végétales différentes de celles des sta-tions botaniques belges présidèrent ici à la répartition des plantes sur les parcelles. Les iris alternaient avec les phlox, les lupins avec les scabieuses, les asters avec les lychnis, les pens-témons avec les pavots, les campa-nules avec les anémones… Les varié-tés horticoles les plus méritantes de saxifrages, d’alysses, d’aubriètes, de phlox, d’hélianthèmes… constituaient les bordures. L’ensemble était coupé en deux par un Rock Garden orné de plantes alpines et traversé par un petit ruisseau (ILL. 6-7). L’établissement de cette section répondait à plusieurs objectifs : établir une collection systé-matique de plantes des régions tempé-rées pouvant se développer en pleine terre dans notre pays ; expérimenter les possibilités d’acclimatation, dans notre pays, d’espèces ornementales étrangères ; multiplier les meilleures variétés de certaines espèces, telles les iris, les asters, les dahlias, et les diffuser parmi les amateurs de fl eurs sensibilisés, grâce à l’infl uence durable des courants esthétiques du Nouveau Jardin Pittoresque et du Jardin d’Agré-ment, à la vulgarisation et à l’utilisa-tion des plantes vivaces et des plantes pérennes au jardin ; enfi n, fournir aux chercheurs un matériel abondant et varié se prêtant à des travaux de bota-nique systématique11.

ILL. 5 – Le jardin du Dr Dekeyser, carte postale ancienne, éd. Nels (Collection Louis Schreyers, Auderghem). L’ancienne « villa » était utilisée comme laboratoire de morphologie et de cytologie végétales par le professeur Alexandre Conard. À l’avant-plan se trouvent les parcelles du jardin du Dr Dekeyser. À l’arrière-plan, on peut observer les anciennes petites maisons ouvrières (transformées en laboratoires de biologie moléculaire), les maisons de la rue Walckiers et le clocher de l’église Sainte-Anne.

ILL. 4 – Le jardin du Dr Dekeyser. Photographie de Jean Conard, vers 1945 (Archives du Jardin Massart).

Une maisonnette avec jardin d’agré-ment orné de deux bassins rectangu-laires fut également créée à proximité, qui devait servir à la fois de bureau pour le Dr Dekeyser et d’habitation pour le jardinier (ILL. 8-9). Enfi n, un jardin fruitier comportant des pom-miers, des poiriers, des abricotiers, des amandiers, des cerisiers, des framboi-siers, des pêchers et des pruniers, pré-sentant une large palette des modes de conduites des arbres (cordons hori-zontaux, buissons, pyramides, fuseaux, pyramides-buissons…), fut établi avec l’aide d’Edmond Van Cauwenberghe, professeur d’arboriculture à l’École d’horticulture de l’État à Vilvorde12.Malgré son statut de scientifi que de haut niveau, Jean Massart s’intéressait de très près à l’art des jardins et à l’hor-ticulture, comme nous l’avons vu dans les articles précédents. Néanmoins, il n’aurait peut-être pas approuvé l’orientation horticole assez prononcée que donnèrent Auguste Delvaux et le Dr Dekeyser au Jardin expérimental. En effet, au cours de la séance du 14 mars 1907 du conseil de surveillance du Jardin botanique de l’État, où la discussion avait porté sur la défi ni-tion des objectifs de l’institution, Jean Massart avait déclaré que « le Jardin de l’État à Bruxelles est un jardin botanique et non un jardin d’Horti-culture »13. Il est vrai qu’à l’époque, Le Nouveau Jardin Pittoresque n’avait pas encore été créé.

Un second tandem pour une aventure hor coleLes deux principaux artisans de la nouvelle section du Jardin expérimen-tal Jean Massart, Auguste Delvaux14 et Arthur Dekeyser15, avaient été parmi les chevilles ouvrières de l’association Le Jardin d’Agrément, une dissidence du Nouveau Jardin Pittoresque fondée en 1920 par Ernest van den Broeck16.Dans le premier numéro de la revue du Jardin d’Agrément, paru en jan-vier 1922, se trouve un long article d’Auguste Delvaux, intitulé La fl ore d’aujourd’hui du jardin d’agrément. Selon lui, les causes de la révolution dans l’art de la plantation des jardins qui s’opérait à l’époque étaient pour la plupart d’ordre économique et pra-tique. Il ne s’agissait pas d’abord d’un phénomène de mode, mais bien d’un mouvement de fond lié au contexte diffi cile de l’après-guerre : en effet, la culture des plantes de serre nécessitant une main-d’œuvre abondante et récla-mant des installations chauffées pen-dant une grande partie de l’année, les regards se tournèrent tout naturelle-ment vers d’autres cultures moins oné-reuses. Et d’ajouter : « Le mouvement qui se dessinait depuis longtemps déjà dans certains milieux d’amateurs, en faveur de l’emploi plus étendu des végétaux rustiques de plein air, des plantes vivaces herbacées princi-palement, a fi ni par fi xer l’attention générale. […] la fl ore des jardins d’au-

29 186 juin 2015

jourd’hui […] est la pourvoyeuse en plantes du bois et du sous-bois, du bosquet et du massif, de la charmille, de la haie, du rideau et de la palissade, des avenues et des pelouses, des tapis, des bordures, des plates-bandes et des corbeilles, des murs, des arcades, de la pergola et de la tonnelle, des per-rés et des talus, de la rocaille et de la moraine, de l’étang et du ruisseau, du bassin et de la fontaine, du maré-cage et de la tourbière ; elle fournit des plantes pour tous les milieux et toutes les situations, pour l’ombre, le soleil, les terrains argileux, les terrains

sablonneux, la terre calcaire, la terre de bruyère, les fonds tourbeux, les sols secs, les sols humides, le bord de la mer, l’air enfumé des villes, etc. […].La fl ore moderne des jardins s’adresse […] tout aussi bien à l’esthète qu’à l’amateur de plantes, et tous deux peuvent trouver dans un même jardin la satisfaction de leurs goûts divers. En utilisant, suivant les nécessités du genre traité, un plus ou moins grand nombre d’espèces de plantes rustiques bien choisies, l’esthète peut créer un jardin enchanteur par ses harmonies de formes et de couleurs. L’amateur de

plantes, lui, trouve dans cette fl ore tous les éléments capables d’apporter au jar-din, en toute saison, la plus grande variété mêlée à l’intérêt horticole et botanique le plus passionnant. S’ils le veulent, et toujours en s’en tenant à l’emploi exclusif des végétaux rus-tiques, l’esthète et l’amateur de plantes peuvent créer ensemble des types achevés du jardin d’agrément, parfai-

ILL. 6 – Plan de répartition des différents types de plantations sur les parcelles du Jardin Massart, non signé, 21 novembre 1949 (Archives du Jardin Massart). D’après ce plan, une grande partie du jardin du Dr Dekeyser était constituée de plates-bandes régulières de vivaces. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il ne s’agissait nullement, comme le montrent les photographies anciennes (ILL. 3-5), de carrés de culture monospécifi ques, mais bien de parterres du type des mixed bor-ders, caractérisés par une mise en culture particulièrement libre et des palettes végétales très variées. ILL. 7 – Les fouilles entreprises à l’emplacement de l’ancien

Rock Garden, mars 2013 (Photo A.-M. Sauvat). Des fouilles très partielles menées au cours de l’hiver 2013 ont permis d’exhumer le tracé et le réseau d’égouttage des allées parallèles à l’implantation du Rock Garden, sans qu’aucune trace de ce dernier n’ait cependant pu être retrouvée.

ILL. 8 – La maisonnette servant de bureau pour le Dr Dekeyser et d’habitation pour le jardi-nier, avec son jardin orné de deux bassins rectangulaires. Photographie de Jean Conard, vers 1945 (Archives du Jardin Massart). Si la maisonnette existe toujours aujourd’hui (voir le fond de l’ILL. 7), en revanche, les bassins ont été rebouchés.

ILL. 9 – Les bassins du jardin de la maisonnette. Photographie de Jean Conard, vers 1945 (Archives du Jardin Massart).

JARDIN ÉTHOLOGIE

VIVACESLISPLANTES ALPINESFRUITIERS

30 Demeures historiques & Jardins 186 juin 2015

Deux anciens membres du Jardin d’Agrément

L’architecte-paysagiste Auguste Delvaux (1882-1946) est relativement peu connu. Les contra-dictions, en apparence surprenantes, de son parcours s’expliquent probablement par un carac-tère opportuniste. Dans les années précédant la première guerre mondiale, il dessina et exé-cuta, dans un style relevant du courant du renouveau du jardin géométrique et régulier, prôné par les paysagistes français Duchêne, un « jardin français » à proximité de deux châteaux situés dans le Brabant fl amand : celui de Cleerbeek (Houwaart, Tielt-Winge), appartenant à la famille de Troostembergh, et celui de Saffelberg (Gooik). En 1914, son nom apparaît, avec ceux de Jules Buyssens et de Jean Massart, dans la liste des membres du conseil du Nouveau Jardin Pittoresque et dans celle des principaux collaborateurs de l’association. En 1920, il fut un des membres fon-dateurs du Jardin d’Agrément et fut secrétaire du conseil de ce cercle jusqu’en 1929, après quoi il en devint vice-président, puis président (1936-1937). Il rédigea de nombreux articles pour le bulletin du Jardin d’Agrément, dont le Dr Arthur Dekeyser était directeur. Au début des années 1930, il fut administrateur, aux côtés d’hommes d’affaires, d’agents de change et de banquiers, de la Compagnie immobilière de Campenhout et extensions et fut plus que probablement l’auteur d’un plan (non signé) de cité-jardin de type élitaire à établir, après drainage, à l’emplacement du marais du Torfbroek à Berg-Kampenhout, entre Bruxelles et Haecht. Le marécage boisé de Berg était, depuis le milieu du XIXe siècle, un lieu de pèlerinage scientifi que pour les botanistes, connu entre autres pour ses orchidées. Il fut répertorié comme « station à protéger » par… Jean Massart (!), dans son ouvrage Pour la protection de la nature en Belgique (1912). En 1932, le Jardin d’Agrément (!) se mobilisa pour tenter de le sauver. Le projet de cité-jardin ne fut en fi n de compte que partiellement réalisé, en raison d’une mauvaise gestion et de diffi cultés fi nancières des promoteurs (ILL. 10). En 1935, Auguste Delvaux fut chargé, comme Victor Bottemanne, Jean Canneel-Claes et René Pechère, de l’étude d’une partie des jardins de la section belge de l’Exposition de Bruxelles 1935, dont l’architecte de jardins en chef était Jules Buyssens. Il aménagea un jardin d’essai personnel dans sa propriété sise dans le quartier de Val Duchesse, à Auderghem.Le Dr Arthur Dekeyser (1872-1957) fi t ses études de médecine à l’Université libre de Bruxelles. Avec son frère, le Dr Léon Dekeyser, il fut secrétaire de la rédaction de L’année chirurgicale. Revue encyclopédique de chirurgie générale et spéciale publiée à partir de 1898 par le Dr Antoine Depage. Arthur Dekeyser partit ensuite pour le Siam, où il fi t carrière pendant dix ans en tant que médecin de la Cour, chirurgien en chef de l’armée et ambassadeur de Belgique. Il fut passeur d’hommes et auteur de rapports secrets durant la première guerre mondiale. En 1922, il fut nommé directeur du bulletin de l’association Le Jardin d’Agrément, fonction qu’il exerça jusqu’en 1931. Son frère, qui était président de l’association sœur Les Naturalistes Belges, était membre du comité de rédaction du bulletin. Arthur Dekeyser, qui avait aménagé un Rock Garden aux abords de son habitation, située rue de la Sablonnière, à Bruxelles, se chargea en 1924 de l’édition de l’ouvrage sur les joubarbes du botaniste et horticulteur genevois Henry Correvon.

tement adaptés à notre ciel et à notre climat, à nos goûts et aux nécessités du temps présent. »17

L’infl uence des idées du Nouveau Jar-din Pittoresque et, à travers celui-ci, de Jean Massart est ici perceptible. Il est intéressant de noter que ce texte fut écrit l’année même où le botaniste et Jules Buyssens créèrent le jardin étho-logique au Rouge-Cloître.Bien que Le Jardin d’Agrément, comme Le Nouveau Jardin Pittoresque, ait cessé ses activités à la veille de la seconde guerre mondiale, Auguste Delvaux et Arthur Dekeyser s’inspirèrent plus que probablement, pour l’aménagement de la nouvelle section du Jardin Massart, des idées prônées par ce mouvement. Ils s’écartèrent néanmoins de la phi-losophie de Jean Massart qui, à une époque où l’on ne parlait pas encore de biodiversité18, avait voulu privilégier la fl ore indigène et renforcer l’identité nationale par la caractérisation, la pro-tection et la valorisation du patrimoine naturel, paysager et biologique spécifi -quement belge.

Après l’apogée…La période de l’après-guerre peut être considérée comme un apogée dans l’histoire du Jardin Massart (ILL. 11). À partir de la fi n des années 1950, celle-ci fut marquée par d’importantes rup-tures. Tout d’abord, une série de bâti-ments nouveaux, destinés à servir de laboratoires, furent construits et rédui-sirent la superfi cie des parties consa-crées à la culture. Ensuite, le jardin éthologique fut progressivement aban-donné – comme déjà dit précédem-ment – avec l’arrivée du professeur Paul Duvigneaud à la direction du Jar-din en 1962. En 1968, le Jardin Massart fut amputé par expropriation d’une surface d’un hectare environ, afi n de permettre la construction de l’auto-route vers Wavre, ce qui entraîna la disparition d’une partie du jardin d’hor-ticulture expérimentale19 (ILL. 12-14 ).Enfi n, en septembre 2007, l’Université ILL. 10 – Le marais du Torfbroek à Berg-Kampenhout, avril 2015 (Photo O. De Bruyn).

31 186 juin 2015

libre de Bruxelles signifi a à la Région de Bruxelles-Capitale sa renonciation au bail du Jardin Massart à partir du 1er janvier 2009. Cette résiliation antici-pée de la convention d’emphytéose du 31 juillet 1926 amena l’Université, qui souhaitait malgré tout maintenir cer-taines activités pédagogiques dans les lieux du Jardin, à signer une nouvelle convention de collaboration avec la Région de Bruxelles-Capitale, qui avait repris les droits et obligations de l’État belge, et Bruxelles Environnement, qui gérait en partie le Jardin depuis 1998.Malgré ces changements, qui consti-

tuaient une menace pour sa survie, le Jardin Massart continua d’exister et de se développer, notamment grâce à l’action des différents directeurs s’étant succédé depuis le départ à la retraite de Paul Duvigneaud en 1983 – Simone De Smet-Denaeyer, Claude Lefèbvre et Pierre Meerts –, sans oublier le chef jardinier Jean Vermander20.

À suivre...

Le présent et le futur du Jardin Massart formeront la matière du prochain article.

* Docteur en Histoire

** Architecte-paysagiste ABAJP

ILL. 11 – Photographie aérienne du site, 1953. (https://urbanisme.irisnet.be/cartogra-phie/bruciel).A. Jardin éthologique

B. Anciennes maisons ouvrières (transformées en laboratoires de biologie moléculaire)C. Roseraie (Jardin régulier)D. Jardin de la villa-laboratoire

E. Jardin du directeurF. Jardin d’essais du Dr DekeyserG. Jardin du jardinierH. Jardin fruitierI. Jardin d’essai

ILL. 12 – Une allée de l’ancien jardin du Dr Dekeyser, avril 2015 (Photo O. De Bruyn).

ILL. 13 – L’emplacement actuel de l’ancien jardin du Dr Dekeyser, juillet 2013 (Photo O. De Bruyn). Au fond, on peut apercevoir le toit de la maisonnette.

1 Annexe au Moniteur belge, 13 août 1926, n° 535 ; voir également « Jardin expérimental Jean Massart », dans : Les Naturalistes Belges, 7e année, n° 10, octobre 1926, p. 146-147.

2 Voir Archives Pierre Meerts, texte du contrat.3 Le Nouveau Jardin Pittoresque, hiver 1927,

p. 223.4 « On pourrait se mettre d’accord pour appeler

« adaptation » l’ensemble des caractères hérédi-taires obtenus par mutation, grâce auxquels l’espèce est en harmonie avec son milieu, et « accommodation » l’ensemble des caractères non héréditaires et très plastiques par lesquels l’individu se met en harmonie avec les vicissi-tudes du milieu. »

5 Les fétuques sont des graminées formant des touffes.

6 J. MASSART, Esquisse de la géographie bota-nique de la Belgique, Bruxelles, 1910, p. 8-10 (Recueil de l’Institut botanique Léo Errera, tome supplémentaire VIIbis).

7 Annexe au Moniteur belge, 20 janvier 1940, nos 78-79.

8 Il est étonnant que ces travaux aient pu être menés en temps de guerre, l’Université libre de Bruxelles ayant été fermée de novembre 1941 à novembre 1944.

9 Archives Pierre Meerts, dossier « Construction », lettre du 24 août 1940 envoyée par le Docteur Dekeyser au recteur Frans van den Dungen.

10 Il ne faut pas confondre le « jardin d’essai » aux objectifs strictement scientifi ques créé en 1926 selon les notes de Massart et le « jardin d’essais » d’Arthur Dekeyser, aux visées plus horticoles que scientifi ques stricto sensu.

11 Archives Jacques Homès, notes préparatoires d’Alexandre Conard pour la visite du Jardin expérimental Jean Massart le 13 septembre 1958 dans le cadre du séminaire de perfec-tionnement en biologie ; voir également la note préparatoire d’Alexandre Conard du 12 mai 1958.

12 Archives du Jardin Massart, Plan du jardin fruitier du Jardin expérimental Jean Massart, dressé par Auguste Delvaux le 30 janvier 1942 suivant les indications fournies par le profes-seur Edmond Van Cauwenberghe.

32 Demeures historiques & Jardins 186 juin 2015

13 Archives du Jardin botanique Meise, Registre des procès-verbaux du conseil de surveillance, II, p. 55-56.

14 R. DENEEF, J. HALFLANTS, A. de TROOSTEM-BERGH, H. DE JAECK et J. WIJNANT, « Tielt-Winge (Houwaart) : kasteel van Kleerbeek », dans : Historische tuinen en parken van Vlaande-ren. Inventaris Vlaams-Brabant. Holsbeek, Lubbeek en Tielt-Winge, sous dir. R. DENEEF, Bruxelles, 2002, p. 117-122. – F.-E. de WAS-SEIGE, « Le château de Cleerbeek et sa rénova-tion », dans : Demeures Historiques & Jardins, n° 172, 4e trimestre 2011, p. 36-37. – R. DENEEF et J. WIJNANT, « Gooik (Gooik) : kasteel van Saf-felberg », dans : Historische tuinen en parken van Vlaanderen. Inventaris Vlaams-Brabant. Pajottenland – Zuidwestelijk Brabant, sous dir. R. DENEEF, Bruxelles, 2005, p. 130-132.

– Le Nouveau Jardin Pittoresque, 1ère année, janvier-avril 1914, nos 1 et 2, p. 74. – Le Jar-din d’Agrément, 2e année, n° 3, mars 1923, p. 40. – Le Jardin d’Agrément, 15e année, nos 7 et 8, juillet-août 1936, p. 69. – R. DENEEF et J. WOUTERS, « De ondergang en wederops-tanding van het Torfbroek te Berg-Kampen-hout », dans : Monumenten & Landschappen, t. 17, n° 5, septembre-octobre 1998, p. 32-55. – Archives générales du Royaume, Bruxelles, fonds Exposition de Bruxelles 1935, n° 102, 3/45, « Décoration végétale, fl orale et sta-tuaire des jardins ». – A. DELVAUX, « Les Eremu-rus », dans : Le Jardin d’Agrément, 12e année, nos 1 et 2, janvier-février 1933, p. 8-12.

15 J.-J. SARTON, Histoire de la commune de Jauche. De l’an 1000 à l’an 2000, t. 2, Jauche, 2004, p. 315-316. – Le Jardin d’Agrément,

1ère année, nos 1 et 2, janvier-février 1922. – Le Jardin d’Agrément, 2e année, n° 3, mars 1923, p. 34, 37, 41. – Le Jardin d’Agrément, 3e année, n° 11, novembre 1924, p. 175-176.

16 O. DE BRUYN, « Jules Buyssens (1872-1958). Regard inédit sur sa vie et son œuvre (II) », dans : Demeures historiques & Jardins, n° 173, 1er trimestre 2012, p. 19-21.

17 A. DELVAUX, « La fl ore d’aujourd’hui du jardin d’agrément », dans : Le Jardin d’Agrément, 1ère année, nos 1 et 2, janvier-février 1922, p. 8-11.

18 Cette notion est apparue dans les années 1990. Voir S. MAGNANON, Les botanistes. Contri-bution à une ethnologie des passions natura-listes, Paris, 2015, p. 11.

19 La roseraie et la villa-laboratoire disparurent également.

20 P. DUVIGNEAUD, M. JACOBS, C. LEFÈBVRE, J.-P. MOM-MAERTS, J. VAN MELDEREN, H. RACHEZ, P. HAU-TECLAIR, « Le jardin expérimental Jean Mas-sart », dans : Forum ULB, n° 8, janvier 1970, p. 2-6. – S. DENAEYER, M.F. GODART, I. GOEDHUYS, C. LEFÈBVRE, M. TANGHE, J. VERMANDER, Jardin expérimental Jean Massart, Bruxelles, 1988. – « L’histoire du Jardin Massart, son importance dans nos études, mais aussi la richesse qu’il représente pour une ville comme Bruxelles en tant que “musée-jardin botanique, tout cela expliqué par notre professeur P. Meerts », dans : Bet’Su (Cercle d’agronomie), novembre 2007, p. 3-4.

ILL. 14 – L’actuel verger, juin 2013 (Photo O. De Bruyn).

www.a s su r ancecha t e au .be

Nous vous comprenons.

Henri Simar Jr Courtier en assurancesF.S.M.A. 024633A.

Château de HorionRue de Horion, 27 - 4460 Horion

Tél. 087/33 31 28 - Fax 087/33 51 [email protected]