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DIMANCHE 26 - LUNDI 27 AVRIL 202076E ANNÉE– NO 23420
2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
Covid : risques et espoirs du traçage téléphonique▶ Les modalités de l’application StopCovid de suivisanitaire des Français parsmartphone doivent êtreexaminées, mardi 28 avril,par l’Assemblée nationale
▶ Selon un collectif de médecins, l’outil est un atoutindispensable pour casserles chaînes de transmission du virus et éviterun nouveau confinement
▶ Les experts du numérique voient, eux, dans ce« projet désastreux pilotépar des apprentis sorciers », une sorte de bracelet électronique volontaire
▶ D’autres s’inquiètent dela pérennisation du système, et de son efficacité :il faudrait que 60 % des citoyens soient consentantspour qu’il soit efficace
▶ « Le Monde » ouvre ledébat avec quatre pagesde contributions, surl’équilibre entre la sécuritésanitaire et les libertésIDÉES – PAGES 28 À 31
AMAZON ENQUÊTE SURJEFF BEZOS
Au Club de l’économie Milestone, à Washington, le 13 septembre 2018.GRIPAS/ABACAPRESS
▶ Le confinement des économies a placé l’entreprise devente en ligne au premier plan▶ Avec 145 milliards de dollars,son fondateur est l’hommele plus riche du monde▶ Il a un temps refusé de payerles congés maladie de sessalariés ayant les symptômesdu Covid19PAGES 10-11
Créées il y a dix ans, les ARS sont en première ligne de l’organisation sanitaire et sont dotées d’un champ de compétences très vaste. Ce qui agace fortement les hospitaliers ou les parlementairesPAGE 2
EpidémiePluie de critiques sur les agences régionales de santé
Les chercheurs chinois se sont euxmêmes demandési le virus n’avait pas pu s’échapper d’un de leurs centres de recherche. Le fameux laboratoire P4 a, certes, été conçu avec les Français, mais ils n’y ont plus accès depuisHORIZONS – PAGES 16-17
VirologieDans la jungle des laboratoiresde Wuhan
LES LEÇONS DE LA PÉNURIE
DE TESTSPAGE 32
1É D I T O R I A L
JusticeLes violences conjugales etle confinementl’essentiel des gardes à vue est, depuis le début du confinement, consacré aux violences intrafamiliales. La distribution des téléphones « grave danger » a franchi la barre du millier enavril, mais la justice tourne au ralenti, et l’éventail des réponsespénales s’est réduit.
Les obligations de soins sontrenvoyées à l’après11 mai, les stages de responsabilisation ne sont plus possibles, alors que le ministère de l’intérieur a noté unehausse de 48 % des interventions à domicile, du 16 mars au 12 avril, par rapport à la même période del’année dernière.
PAGES 6-7
ALLEMAGNE AUX RACINES DELA VIOLENCE D’EXTRÊME DROITE
après les attaques meurtrièresde février contre deux bars à chicha d’Hanau, près de Francfort,l’Allemagne prend désormaisconscience de la menace terroriste d’extrême droite.
Le phénomène n’est pas propreà l’exRDA, où l’économie est à la traîne et la démocratie encore
jeune. Les radicaux de l’ultradroite sont en réalité plus nombreux dans le sud que dans le nord du pays, et les autorités sontaccusées de sousestimer le danger. De son côté, l’AfD contribuetrès officiellement à banaliser la rhétorique xénophobe.
PAGES 18 À 21
Des militants d’extrême droite brandissent l’ancien drapeau impérial, à Hanovre, le 23 novembre 2019. D. SPEIER/NURPHOTO VIA AFP
IslamUn ramadanterne et confiné,du Sénégalà l’IndonésiePAGE 3
BrésilLa démission du juge Sergio Morofragilise le pouvoirPAGE 15
PressePresstalis tente désormais d’éviter la liquidationPAGE 12
Vie quotidienneLes coiffeurs reprendrontleurs ciseauxà partir du 11 maiPAGE 12
La France et les PaysBas vont débloquer jusqu’à 11 milliards d’euros pour sauver la compagnie, si Bruxelles donne son feu vert. L’hypothèse d’une nationalisation a étépour l’heure écartéePAGE 14
TransportsAir FranceKLM sera renflouépar les Etats
Avec la crise sanitaire,les services publics sont devenus la priorité, et le volontarisme de l’Etat redevient audible à gauchePAGE 9
PolitiqueLa gaucherenoue avecl’Etatprovidence
LE PETIT BONHEUR DE SORTIR LES POUBELLESPAGES 26-27
4 5
LUDOVICMARIN,GONZALOFUENTES,JOHNTHYS/AFP
Cahier numéro un de l’édition n° 2894 du 23 au 29 avril 2020
19
11 MAI 12
18Les coulisses, les enjeux
P. 20
1918Les coulisses, les enjeux
P. 20
CESCROYANTSQUINIENTLEVIRUS JEANTIROLEP. 34
LESDANGERSDELASURVEILLANCENUMÉRIQUERELIGION
OPÉRATIONDÉCONFINEMENT11Les coulisses, les enjeux
18Les coulisses, les enjeuxLes coulisses, les enjeuxLes coulisses, les enjeux
P. 20
DÉCONFINEMENT
P. 55
AFR. CFA 3800 F CFA, ALG. 410 DA, ALL. 5,90 €, AND. 5,50 €, AUT. 5,90 €, BELG. 5,30 €, CAN. 8,35 $CAN, DOM 5,30 €, ESP. 5,50 €, GB 4,90 £, GRÈCE 5,50 €, ITA. 5,50 €, LUX. 5,50 €, LIB. 9500 LBP, MAR. 45 DH, PAYS-BAS 5,60 €, PORT. CONT. 5,50 €, SUI. 7,20 CHF, TOM 950 XPF, TUNISIE 6,00 DT
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2 | CORONAVIRUS DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 20200123
Les ARS, bouc émissaire de la crise sanitaireEn première ligne dans la gestion de l’épidémie, les agences régionales de santé font face à diverses critiques
P énurie de masques,médecins généralistessans boussole, Ehpad endéshérence, difficultés
dans le lancement des tests… Le coupable de tous les maux de la crise du Covid19, pour les élus comme pour les soignants, est souvent tout désigné : les ARS. Il ya quelques semaines, ces trois lettres familières des professionnelsdu secteur l’étaient encore peu dugrand public. Créées voilà dix ans,les Agences régionales de santésont en première ligne de l’organisation sanitaire. Pour le meilleur, parfois. Pour le pire, aussi, si l’on en croit les critiquesqui fleurissent.
« L’ARS est débordée, ça ne suitpas », cingle ainsi le maire (LR) de Reims, Arnaud Robinet. « L’ARSforme une élite qui ne rend decomptes à personne et qui prend des décisions technocratiques, loindes besoins concrets des territoires », raille Syamak Agha Babaei,médecin urgentiste à Strasbourg et élu écologiste. La charge est lourde, répétée, polyphonique, trouvant des artilleurs dans tousles partis, jusque dans la majorité.« Les ARS ont trop de pouvoir et ne sont pas soumises au contrôle parlementaire », ajoute Sacha Houlié, député (LRM) de la Vienne.
Boulets de la crise pour leurscontempteurs, les ARS sont plutôtun bouc émissaire, estiment d’autres voix. L’ancienne ministre de la santé Marisol Touraine (PS) joue les avocats de la défense.« Je suis frappée par cet “ARS bashing”. Je n’en comprends pas le sens ni les enjeux. Moi j’en ai unavis plutôt positif, même si on peuttoujours s’améliorer. Elles ont faitau mieux dans cette crise. Je ne saispas si elles étaient dimensionnées pour, mais rien ne l’était. Je trouve ces critiques excessives et injustes », jugetelle. « C’est facile de s’en prendre aux ARS. Elles font ce qu’on leur demande de faire. Les ARS, c’est l’Etat », constate quant à lui Thomas Mesnier, député LRM de Charente et urgentiste.
Tour de force logistiqueDe fait, à quoi servent ces agences,face au coronavirus ? A énormément de choses. Trop, peutêtre. « On doit décliner sur le terrain la gestion de la crise sanitaire. Noussommes un chef d’orchestre », détaille Pierre Pribile, le directeur général de l’ARS BourgogneFrancheComté. Et d’énumérer l’étendue de ses récentes missions : « Il afallu multiplier par deux les capacités en réanimation des hôpitaux, faire la passerelle publicprivé, assurer un soutien opérationnel des Ehpad avec les conseils départementaux, mobiliser la médecine de ville, les kinés, infirmiers libéraux, les équipes mobiles, veiller auxéquipements de protection, au soutien gériatrique… »
Cette longue liste n’est pas exhaustive. Des ARS ont aussi organisé les spectaculaires évacuations sanitaires qui ont permis d’envoyer, par train, autocar ouavion, des malades hors d’IledeFrance ou du GrandEst. Un vraitour de force logistique. « Les ARS viennent de montrer qu’elles sont capables ! Qu’il y ait eu des ratés iciou là, certainement, ça me paraît
inévitable. Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain », demande Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé à l’origine de leur création en 2010. Elle déplore des critiques « récurrentes », remises opportunément au goût du jour.
La naissance des ARS, en effet,ne s’est pas faite sans heurts,comme leur parcours depuis.Elles ont succédé, avec un champde compétences beaucoup plus vaste, aux Agences régionales del’hospitalisation (ARH). Ellessont chargées de mettre enœuvre la politique de santé publique dans les régions, ont unrôle central de coordination territoriale mais aussi de « rationalisation » de l’offre de soins. Autrement dit, elles jouent au quotidien le rôle du marteau et de l’enclume. Elles fixent les objectifs,font appliquer des normes sévères, tout en tenant fermementles cordons de la bourse. Unequadrature du cercle, parfois.
Elles ont aussi été conçues pourreprendre le pouvoir aux « mandarins », chefs de service alorsomnipotents dans les hôpitaux. « Il y avait des rivalités, une gestionà améliorer. Mais le pouvoir est totalement passé dans les mains des administratifs, avec les directeurs d’hôpitaux, et derrière eux les ARS.C’est allé trop loin. Aujourd’hui les chefs de service n’ont plus rien àdire », estime Philippe Chalumeau, député LRM d’IndreetLoire et médecin. Il reconnaît à ces agences d’avoir amené « une culture qualité qui n’existait pas ».Au prix de nouvelles tâches parfois mal acceptées, protocoles et autres tableaux à remplir.
Du côté des élus, comme à l’hôpital, les tensions ne datent pas d’hier. Maires, présidents de département, de région, députés, se heurtent souvent à cette administration, qui applique sans état d’âme la ligne officielle. Ainsi, récemment, quand des collectivités ont décidé d’acheter des masques, elles ont été rappelées à l’ordre par les gendarmes régionaux de la santé : priorité aux soignants, comme le veut ladoctrine du gouvernement.
Cette logique a été poussée àson paroxysme sur le tarmac del’aéroport de Mulhouse, où unecargaison destinée à la régionBourgogneFrancheComté a étéréquisitionnée le 5 avril, sur ordre du préfet, créant un petit scandale. « Pour les masques, les ARS suivent logiquement la lignedu gouvernement… et il est logique que les élus s’en agacent. Quand j’étais ministre, je répétaisaux ARS “vous avez la responsabilité du dialogue avec les élus”, cen’est pas toujours dans leur culture, contrairement à celle despréfets, qui l’ont appris », raconte Marisol Touraine.
A l’époque, entre 2012 et 2017,des élus lui faisaient déjà remonter des piles de doléances. Deux ans plus tard, c’est Agnès Buzyn qui a pu mesurer le mécontentement. Lors de la crise des « gilets jaunes », des maires, des députés, des sénateurs sont remontés àla charge contre ces administrations jugées trop verticales, inhumaines. Dans leur viseur, les fermetures de services, urgences ou maternités, qui mobilisent les habitants contre l’Etat… et contre desélus de la majorité, qui jouent surde tels dossiers leur réélection.
Ancrage local insuffisantEmmanuel Macron luimêmesemble avoir entendu le message.En 2019, le chef de l’Etat s’estopposé deux fois à des décisions de fermeture de maternités décidées par des ARS, à Guingamp (Côtesd’Armor) et à Creil (Oise).
L’Elysée vient aussi de limogerle 8 avril, sans sourciller, le patronde l’agence du GrandEst, Christophe Lannelongue, dans l’une des régions les plus touchées par le Covid19. Ce hautfonctionnaire apoussé la logique administrative jusqu’à la faute politique : alors que les blouses blanches étaient en première ligne face au coronavirus, il a assuré que larestructuration du CHRU deNancy allait se poursuivre… Cetancien conseiller de MarisolTouraine n’a pas pesé lourd face au courroux des soignants.
Audelà des jeux de rôles classiques entre élus, médecins et Etat,
des problèmes très concrets sontvenus ajouter ces dernières semaines aux ressentiments. « A un moment, il n’y avait plus de gelhydroalcoolique. On s’est tourné vers l’ARS. Ils nous ont dit “pas deproblème, on en a plein”. Ils enavaient plein, mais on n’en avaitpas, raconte ainsi DelphineBagarry, députée (exLRM) desAlpesdeHauteProvence etmédecin. Ils sont sympas, c’estune institution nécessaire… maiselle est inopérante. »
Autre souci, d’une ARS à l’autreles réponses peuvent différer surune même question. Lorsque desmédecins libéraux ont décidé decréer des centres de détectiondes malades du Covid19, horshôpitaux, ces initiatives ont été accompagnées… ou non. « Certaines ARS considèrent qu’il n’y a pas lieu d’aider les professionnels de santé libéraux. A part en IledeFrance, en Bretagne et en Auvergne Rhône Alpes, il n’y a paseu d’aides pour ceux qui ont mis en place des centres de dépistage », explique Jacques Battistoni, président de MG France,le premier syndicat chez les médecins généralistes.
« Les ARS sont restées hospitalocentrées », appuie le député LRMPhilippe Chalumeau. Dans lesEhpad, des résidents sont morts étouffés, sans accompagnementmédical, faute de moyens ou desavoirfaire. Et les ARS n’ont, parfois, pas entendu les crisd’alarme des familles. « Dansl’Ehpad où je travaille, à Tours, ona voulu créer une structure Covid,pour les onze malades. Cela revient à créer un petit hôpital. On ademandé à l’ARS comment faire. Ils nous ont dit de voir avec le service de gériatrie de l’hôpital, quin’en avait pas les moyens. On adonc fait seuls. Les ARS n’ont pasla culture du médicosocial », poursuit M. Chalumeau.
La gestion de la crise dans lesEhpad souligne aussi une autre faiblesse des ARS : un ancrage local insuffisant, une entente aléatoire avec les conseils départementaux. Lorsque le politique et l’administratif ne s’accordentpas, l’orchestre joue faux. « Si les
directeurs régionaux tiennent la route face aux préfets de région, cesont des profils plus divers au niveau départemental. C’est problématique, car la réponse aux élus sefait beaucoup à cette échelle », pointe Marisol Touraine.
Rivalité au quotidienEn matière d’organisation, les ARS ont également souffert de la réforme territoriale de 2015 de François Hollande. L’Etat a réduit le nombre de régions, imposé unerestructuration paralysante. Lessalaires, par exemple, n’étaient pas partout les mêmes. Pas facile, dès lors, de fusionner les agences.Le chantier a consommé beaucoup d’énergie. « Sur une organisation encore juvénile, cette réforme inutile a eu un effet délétère », estime Roselyne Bachelot.
Fautil désormais, pour plusd’efficacité, une redistribution des rôles pour gérer les risquessanitaires ? Certains poussentdans cette direction. « La préfecture doit reprendre la main, en faisant le lien entre les ARS, les départements et les intercommunalités », propose Philippe Chalumeau. Une piste qui ne plaît guère à Marisol Touraine, qui yvoit le retour de vieilles lunes. « L’idée des ARS, c’est de coordonner, de rassembler les politiques desanté à l’hôpital, en ville, dans lemédicosocial. Cette politique spécifique ne peut pas être portée par les préfets. Les préfectures n’ont enpratique pas le temps de s’occuperdes politiques médicosociales. Il ya une frustration des préfets et du ministère de l’intérieur, qui cherchent à pousser leurs pions », considère l’ancienne ministre.
Les ARS ont évacué des patients hors d’IledeFrance ou du GrandEst en TGV, comme ici le 14 avril à la gare d’Austerlitz, à Paris. LAURENCE GEAI POUR « LE MONDE »
« C’est une institution
nécessaire… mais elle est inopérante »DELPHINE BAGARRY,
députée (ex-LRM) des Alpes-de-Haute-Provence
et médecin
Cette rivalité, entre représentants de l’Etat, date du premierjour. Et elle se vit au quotidien. « Lors de l’inauguration d’unemaison de santé, vous avez deux discours, celui du directeurde l’ARS et celui du préfet, qui nedisent pas forcément la mêmechose. Qui parle en dernier ? Qui est le chef ? », demande le députéThomas Mesnier.
La crise du coronavirus a faitbouger beaucoup de lignes, montrant les forces, soulignant lesfailles. « Avec cette crise, l’hôpitalrevient à sa vocation première, qui est de soigner des patients. Lesfinances et les exigences budgétaires sont souvent loin du médical. Lorsqu’on est sur le soin, ça râle moins… », observeBernard Dupont, directeur général du CHRU de Nancy.
En filigrane, la questioncléreste donc posée : celle des moyens. Des budgets ont été débloqués pour contrer le Covid19.Et après ? Les ARS se sont abîmées,aux yeux des soignants, à incarner de longues années de politique d’austérité dans les hôpitaux,dont elles ont été les exécutriceszélées. « Les ARS ont un défaut deconception. On a construit un grosmachin avec pour objectif de réduire les dépenses de santé, de rationaliser, c’est un outil conçupour faire fermer des lits, pas pour gérer des crises », estime ainsi UgoBernalicis, député (La Franceinsoumise) du Nord.
La question des moyens nes’arrête pas aux hôpitaux. Pour Roselyne Bachelot, un péché originel explique en partie les difficultés des ARS lors de la gestion de la crise sanitaire dans les Ehpad : « Dans leur feuille de route, il yavait au départ d’affronter la problématique du grand âge. Mais j’ai échoué à obtenir la réforme de laprise en charge de la dépendance.J’ai perdu l’arbitrage. Et tout le monde s’est retrouvé les bras ballants. » La réforme enterrée parNicolas Sarkozy, qui l’avait pourtant érigée en priorité, est toujours un projet dix ans plus tard.
rémi dupré, pierre jaxeltruer,et samuel laurent
« Qu’il y ait eu des ratés ici ou là,
certainement, ça me paraît
inévitable. Maisne jetons pas le bébé avec
l’eau du bain »ROSELYNE BACHELOT
ancienne ministre de la santé
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0123DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 2020 coronavirus | 3
les médecins du pakistan craignent lepire : les autorités de ce pays musulman de220 millions d’habitants ont autorisé l’ouverture des mosquées pour les prières collectives durant le ramadan. Le président Arif Alvi a annoncé cette décision, samedi 18 avril, à l’issue d’une rencontre avec les chefs religieux qui faisaient pression pour obtenir que les mosquées soientexemptées de toute mesure de confinement. Le premier ministre, Imran Khan, l’ajustifiée en expliquant qu’on ne peut « empêcher par la force les gens d’aller à la mosquée ». « Je connais ma nation. Le ramadan est un mois de culte », atil dit. Cette période est aussi pour les religieux un moment privilégié de collecte d’argent.
Les fidèles pourront prier chaque soir ensemble et célébrer la rupture du jeûne. Des règles de bonne conduite ont été édictées par les autorités, comme respecter 2 mètresde distance, apporter son tapis de prière,désinfecter le sol des mosquées, ne pas discuter, ne pas se serrer la main, faire ses ablutions à la maison. Les personnes âgées et les malades devront rester chez eux.
« Le gouvernement a pris une très mauvaise décision », s’est emporté Qaiser Sajjad, secrétaire général de l’Association médicale du Pakistan, au cours d’une conférence de presse à Karachi, pourfendant l’attitude desoulémas « qui jouent avec des vies humaines ». L’association a écrit au gouvernement pour lui demander de limiter l’accès des mosquées à cinq personnes maximum.Selon les praticiens, les hôpitaux désignés pour traiter l’épidémie sont déjà presque à saturation, alors que le pic n’est pas atteint. Officiellement, 11 700 cas et 250 morts étaient recensés au samedi 25 avril, principalement dans le Pendjab et dans le Sindh.
Système en déshérenceLe système de santé du pays est en déshérence. Le personnel hospitalier, qui ne dispose pas d’équipements de base, masques ou gants, a déjà payé un lourd tribut : 253 soignants ont été contaminés, dont 124 médecins. « Comment l’administration vatelle faire appliquer les règles de bonne conduite ? C’est impossible », a rappelé le docteur Saad Niazi.
Ces derniers jours, l’accès aux mosquéesavait été restreint dans plusieurs régions, mais les fidèles ont continué de prier dans la rue, serrés les uns contre les autres. La police est intervenue, donnant lieu à des heurts entre fidèles et forces de l’ordre.
Depuis le début de la crise sanitaire, lepremier ministre tente de ménager uneéconomie déjà à genou et défend le principe « d’un confinement intelligent », c’estàdire souple. Mais certaines provinces ont ordonné des mesures plus strictes,avec fermetures des écoles, des lieux deculte, des entreprises, des commerces. Après l’appel des médecins, la province du Sindh, dont la capitale est Karachi, dans le sud du pays, et dirigée par l’opposition, ainterdit les prières collectives du ramadan.
Bilawal Bhutto Zardari, le fils de l’ancienne première ministre assassinée en 2007 et l’un des principaux opposantsde Khan, estime que le pays, ignorant la science, « se dirige en somnambule vers un désastre ».
sophie landrin (new delhi, correspondante)
Contre l’avis des médecins, mosquées ouvertes au Pakistan
Du Sénégal à l’Indonésie, les restrictions changent la nature de ce mois sacré habituellement festif
beyrouth, istanbul, dakar,bangkok correspondants
L e premier jour de jeûnedu ramadan s’est achevédans une grande partiedu monde musulman,
vendredi 24 avril, alors que, del’Afrique de l’Ouest à l’Indonésie, ilsubit les conséquences de l’épidémie de Covid19. Les restrictions liées au confinement ont changé la nature de cette fête sacrée partout où elle est célébrée. Dès larupture du jeûne, au coucher du soleil, elle est en effet l’occasion, chez les musulmans, de grandes réunions familiales, de longues sorties nocturnes dans des rues etdes cafés bondés ou de copieux achats. Cette année, les sociétésmusulmanes entament un ramadan plus terne et plus solitaire,privé de sa dimension sociale, tandis que les conséquences économiques de la crise suscitent les inquiétudes.
Au Sénégal, où la crise est venuese greffer à l’état d’urgence sanitaire, c’est l’inquiétude qui domine. Mama Sidibe recouvre sonpetit stand de légumes d’un drapblanc à 16 heures la veille du ramadan, qui commence ce samedi 25 avril dans le pays. La journée aété maigre dans ce marché populaire de Dakar. « C’est dur, je n’ai pas beaucoup de clients et le marché ferme quatre heures plus tôtque d’habitude à cause du coronavirus », se plaint la mère de cinq enfants qui appréhende avec inquiétude le mois béni, habituellement de forte consommation. « D’habitude, les Baye Fall, liés à la confrérie mouride, nous donnent un café et à manger pour nous réchauffer le corps au moment de la rupture du jeûne », se rappellet
elle déjà avec nostalgie, masque blanc en tissu devant la bouche.
Le mois de jeûne est chamboulédans ce pays de 16 millions d’habitants, à 95 % musulmans, où 545 cas de Covid19 ont été déclarés, dont sept décédés. Dès le23 mars, le chef de l’Etat sénégalais avait déclaré l’état d’urgence, ainsi qu’un couvrefeu de20 heures à 6 heures du matin.Les rassemblements et prièrescollectives sont maintenant interdits, les mosquées sont fermées et le port du masque est devenu obligatoire.
Des mesures en partie remisesen question par certaines associations, comme la Ligue des imams et prédicateurs du Sénégal. « Nous avons demandé uneréduction du temps de couvrefeuet l’ouverture restreinte et en toutesécurité des mosquées », expliqueIsmaila Ndiaye, membre du bureau de cette association, qui rappelle tout de même que « respecter les mesures médicales et la distanciation sociale, c’est aussi une obligation religieuse car il faut éviter de porter atteinte à sa vie ouà la vie d’autrui ».
« Adapter nos rituels »Ce mois de spiritualité sera « gâché » par le coronavirus, selonOmar Bâ, 23 ans. « Il n’y a pas le même engouement ni la même ambiance », regrettetil, en pensant aux ndiogou dans les rues,ces distributions de nourriture au moment de la rupture dujeûne qui ne pourront pas être organisées. « Les nâfila, prières collectives nocturnes, vont me manquer. Je ne les ai jamais ratées dema vie », se désole le jeune homme, qui va prier seul, chezlui. Il ne pourra même pas se déplacer pour rompre le jeûneavec sa famille.
En Egypte, les grandes tables habituellement installées dans les rues pour offrir des repas d’iftar (de rupture du jeûne) aux plus nécessiteux lors du ramadan ne seront pas non plus sorties.
L’Iran, premier foyer régional del’épidémie de Covid19, où le jeûne ne commençait que sa
medi, pourrait annuler les rassemblements publics. Alors quecertains représentants des autorités religieuses s’étaient opposés dans les premières semaines de lacrise sanitaire à la fermeture des sanctuaires, le Guide de la révolution, l’ayatollah Ali Khamenei,avait appuyé la mise en œuvre de mesures restrictives qui viendraient troubler l’agenda religieux, hautement politisé, de la République islamique.
En Turquie, l’entrée dans lemois de ramadan a commencé par un couvrefeu de quatre jours,décrété dans trente et une des provinces du pays dont Istanbul et Ankara. Le pays a dépassé jeudi la barre des 100 000 cas déclarés de coronavirus avec 2 491 décès, selon le bilan officiel annoncé jeudi soir par le ministère de lasanté. Le couvrefeu obligatoire prendra fin lundi, mais les restrictions à la circulation vont se prolonger pendant tout le mois.
L’innombrable flotte d’autobusqui assure d’ordinaire les liaisons entre toutes les provinces du paysne roule plus, au grand désespoir des habitants des grandes villes, toujours partants pour aller passer quelques jours « au village » avec la parentèle, surtout au moment de l’AïdelFitr, la fête qui marque la fin du mois de jeûne, le24 mai cette année. « Nous espérons le retour à une vie normale après la fête », a déclaré le président Recep Tayyip Erdogan.
Pour les Saoudiennes, le ramadan au rabais imposé par l’épidémie, qui a causé la mort de 127 personnes dans le royaume, estpeutêtre encore plus difficile à
vivre que pour les hommes. C’est en effet le rare moment de l’année où elles peuvent vivre leur foide manière collective, entre femmes, à l’intérieur de la section qui leur est réservée dans les mosquées. Les autres mois de l’année, cet espace est très peu fréquenté, la plupart préférant prier à leurdomicile, du fait, entre autres raisons, du traditionalisme de leur société.
A Dubaï, iftar livré à domicile« Mais pendant le ramadan, c’estquasiment obligatoire d’aller à la mosquée, explique Sheikha, unefonctionnaire de 35 ans, jointe àRiyad. On se retrouve entre amieset voisines, c’est un moment departage très fort. Malheureusement, cette année, ce ne sera paspossible. » Les édifices religieuxétant fermés au public, le ritueldes tarawih, ces prières collectives, organisées chaque soirdurant le ramadan, ne pourra passe tenir. « Les imams vont seretrouver à prier tout seul,remarque Sheikha, c’est franchement triste. »
Dans les grandes villes, qui sontsoumises à un couvrefeu à partir de 15 heures, les fidèles doivent renoncer aussi à toute la dimensionsociale de l’iftar. Le repas de rupture du jeûne est traditionnellement l’occasion de réunions familiales, de visites chez les amiset d’échanges de plats entre voisins. Autant de pratiques interdites cette année. « On avait l’habitude de cuisiner pour les pauvres, poursuit Sheikha. Un peu avant l’iftar, une association de charité passait récupérer une de nos mar
mites et l’amenait sous une tente dressée à côté de la mosquée. Cetteannée, même si je voulais distribuer cette nourriture moimême,je ne le pourrais pas. »
Les musulmans de Dubaï sontun peu plus chanceux. Le couvrefeu intégral, qui a pétrifié lacitéEtat des Emirats arabes unis jour et nuit pendant trois semaines, a été partiellement levé. Les autorités du pays, où l’on recense9 200 cas et 64 morts, ont édicté une longue liste de consignes,codifiant ce qu’il est possible ou non de faire. Les fidèles ont, parexemple, la permission d’aller rendre visite aux membres deleur famille, mais seulement aupremier et au deuxième degré, etles rassemblements doivent êtrelimités à cinq personnes. Lepartage de nourriture avec desvoisins est autorisé, à conditionque les plats soient transportésdans des conteneurs parfaitement clos.
Si les mosquées restent fermées, les centres commerciaux etles restaurants sont autorisés à rouvrir, mais à seulement 30 % deleur capacité. « Ce sera le ramadanle plus spécial des soixante ramadans que j’ai vécus dans ma vie »,s’exclame Abdallah, un professeur d’université.
Pour ceux qui ne trouveraientpas de place dans un restaurant etqui n’ont pas envie de cuisiner, il reste la solution de l’iftar livré à domicile. Depuis le début du confinement, même les tables les plus huppées de la principauté se sont converties à la commandepar Internet. Le repas de rupturedu jeûne est déposé sur le perron du domicile par un serveur à moto. Non seulement casqué, mais aussi masqué et ganté.
« Atmosphère lugubre »En Indonésie, le plus peuplé despays musulmans, le mudik, lagrande migration de dizaines demillions personnes employées dans les grands centres urbains,qui intervient traditionnellement au moment du ramadan, aété interdit. Ce mouvementaurait pu contribuer à une spectaculaire dissémination de l’épidémie dans cet archipel aux6 000 îles habitées. Les deux plusgrandes organisations musul
« On n’a vraimentpas l’impression
que le ramadan acommencé, je n’ai
jamais vu ça… »AZIZ
fonctionnaire à Djakarta
manes, la Nahdlatul Ulama et laMuhammadiyah, qui réuniraient une centaine de millionsd’adhérents, ont promulgué unefatwa demandant aux fidèles dene pas se rendre en groupe dansles mosquées et de ne pas organiser de dîner d’iftar en dehors deleur foyer. Pour l’instant, le nombre de personnes infectées dansl’archipel reste limité, avec 8 200 cas et 689 morts pour 267 millions d’habitants. Mais l’absence de test de masse ne permet pas de se faire une idée précise de son ampleur.
« On n’a vraiment pas l’impression que le ramadan a commencé, je n’ai jamais vu ça…,s’étonne Aziz, 45 ans, un fonctionnaire qui habite Kebun Jeruk,dans la partie ouest de Djakartaoù vit la classe moyenne modérée. Ici, tout le monde obéit aux recommandations gouvernementales de ne pas se rendre engroupe à la mosquée, on n’entendque le son de l’appel à la prière. »
Une parole du prophèteDans les régions plus conservatrices, comme celle de Bogor, oùvivent les parents d’Aziz, les mosquées restent toutefois ouvertes. Dian, 35 ans, également à Djakarta, fait part du sentiment defrustration qui règne chez les croyants : « Pour les musulmanspratiquants, un ramadan comme ça, ce n’est pas vraiment un ramadan… » A Padang, dans l’ouest deSumatra, un autre territoire très conservateur en matière religieuse, Elza, 30 ans, professeure et très pieuse, regrette une « atmosphère lugubre », des rupturesde jeûne isolées et sans joie quiaffectent en particulier les plusâgés : « Ce n’est pas facile passé 60 ans de ne pas pouvoir vivre pleinement ce moment… »
Les chefs religieux ont utiliséun hadith pour convaincre leurs ouailles de ne pas voyager : une parole du prophète recommandant de ne pas se rendre dans unendroit « où sévit une peste ». Enrevanche, les imams de la province d’Aceh, dans l’ouest dupays, qui jouit d’un statut particulier et où la charia est appliquée, ont fait savoir qu’ils laisseraient les fidèles aller prier dans les mosquées.
Pour cette année exceptionnelle, l’Organisation mondiale de la santé a elle aussi clairementpréconisé « l’annulation des rassemblements sociaux et religieux », y compris « dans des lieux associés aux activités du ramadan, tels que les lieux de divertissement, les marchés et les magasins »
benjamin barthe,marie jégo, théa ollivier
et bruno philip
Rassemblement dans une mosquée de la province d’Aceh (Indoésie), durant le ramadan, le 23 avril. ZUMA/REA
« Il n’y a pas le même
engouement ni la même ambiance »
OMAR BÂmusulman du Sénégal
En temps de confinement, un ramadan sans joie
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4 | coronavirus DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 20200123
Le défi du confinement dans les bidonvilles d’ArgentineLes autorités ont adapté les mesures de distanciation sociale à la réalité des quartiers populaires, où les services essentiels font défaut
buenos aires correspondante
I l n’aura fallu que quelquessemaines pour bouleverserle quotidien de la paroisseSan Juan Bosco, située au
cœur du bidonville La Carcova. En cuisine, les bénévoles s’activent, équipés de masques et de gants : ils sont passés d’une moyenne de 250 repas distribués chaque jour aux familles du quartier à près de 2 000 depuis le début de l’épidémie due au Covid19. « On doit toutrepenser, tout adapter », lâche le père José Maria Di Paola, à la tête de la paroisse.
Près de 80 000 personnes viventdans les quartiers populaires – dont fait partie La Carcova – de la municipalité de San Martin, à l’ouest de Buenos Aires. Le confinement, en vigueur depuis le 20 marsdans toute l’Argentine et jusqu’au 26 avril au moins, y est « compris etrespecté dans la mesure du possible », selon le père Di Paola, qui fait partie du mouvement des « curas villeros », ces prêtres catholiques qui logent et travaillent dans les villas, les bidonvilles. « Mais pour les habitants, poursuitil, il y a uneforte tension entre la nécessité de protéger leur santé et leurs besoins économiques. »
Dans un pays marqué par uneimportante pauvreté structurelle (35,5 % des Argentins vivent actuellement sous le seuil de pauvreté selon les chiffres officiels) etfrappé depuis deux ans par une grave crise économique, la pandémie due au coronavirus est une épreuve supplémentaire pour les quatre millions de personnes vivant dans des quartiers populaires
(bidonvilles ou terrains occupés) d’Argentine. Les mesures mises en place très tôt par le gouvernementargentin ont permis de contenir, pour l’heure, l’épidémie dans le pays – au 24 avril, l’Argentine (44 millions d’habitants) comptait 3 607 cas confirmés de Covid19, dont 176 mortels. Mais plusieurs cas ont alerté sur les risques que présenterait une contagion massive parmi les plus démunis.
Au début du mois d’avril, AndreaGomez, femme de ménage au Sénat et habitante de la villa 11114, l’un des plus grands bidonvilles deBuenos Aires, est morte du Covid19. Mardi 21 avril, un premier cas de coronavirus a été confirmé dans la villa 31, immense bidonville qui borde l’autoroute nord de la capitale. « Moins de 10 % des habitants de ces quartiers ont accès aux services de base, comme l’eau courante ou un système d’évacuation des eaux usées, indique Felipe Bosch, géographe, analyste du Groupe d’études géopolitiques de l’Ecole normale supérieure. Dans un contexte de crise, il est quasi impossible de suivre toutes les recommandations sanitaires. »
« Reste dans ton quartier »Conscientes des difficultés d’appliquer un confinement strict dans ces conditions, les autorités et les acteurs locaux (Eglise, organisations sociales, ONG) ont adapté leur stratégie de prévention face à l’épidémie à la réalité des quartierspopulaires. Après une rencontre avec les curas villeros, et sur leur conseil, le président péroniste Alberto Fernandez, au pouvoir depuis décembre 2019, a transformé sa consigne « Reste chez toi » en « Reste dans ton quartier ».
« Ce n’est pas la même chosed’être en confinement dans un appartement de deux ou trois pièces que de vivre à cinq personnesdans une même pièce, souligne Daniel Arroyo, ministre du développement social. Les habitants [des quartiers populaires] ont l’habitude de sortir sur le pas deleur porte, il y a nécessairement plus de mouvement dans ces quartiers. » Pour Felipe Bosch, « à la différence d’autres pays d’Améri
que latine, comme le Brésil ou le Mexique, l’Etat argentin cherche depuis des années à dialoguer et à coordonner des actions avec desacteurs installés dans ces quartiers ». Une coopération qui se révèle cruciale dans ce contexte de crise sanitaire.
Alors que plus d’un tiers des emplois sont informels en Argentine, le confinement a entraîné une perte de revenus considérable pour ceux qui vivent de changas, petits boulots non déclarés (employés domestiques, électriciens, plombiers, etc.) Habitant du bidonville La Carcova, Miguel Fernandez, charpentier, indique « ne plus trouver du tout de travail depuis le début de l’épidémie ». Ce père de quatre enfants va bénéficier du revenu familial d’urgence, une prime de 10 000 pesos (140 euros) mise en place par le gouvernement afin de pallier la perte de revenus dans le secteur informel, qui a commencé à être distribué la semaine du 20 avril. « Nous avions calculé que 3,6 millions de personnes en bénéficieraient ; finalement nous allons la verser à près de 8 millions. Cela montre l’ampleur du travail informel en Argentine », souligne le ministre Daniel Arroyo.
Le gouvernement, qui a également versé des primes exceptionnelles aux familles déjà bénéficiaires d’allocations, encourage le développement de l’économiepopulaire et des « changas locales » (petits boulots locaux), à l’intérieur des quartiers. Malgré tout,de nombreux habitants continuent de sortir chercher du travail ailleurs, comme en témoigne Rodrigo Hernandez, représentant
régional de l’organisation sociale Barrios de Pie (« quartiers debout ») à Mar del Plata.
Dans cette ville de 1 milliond’habitants, qui compte l’un desplus forts taux de chômage du pays, « les aides du gouvernement sont utiles, mais ne suffisent pas à couvrir tous les besoins. La question des courses se pose aussi. Cespersonnes cherchent à trouver lesproduits les moins chers possible, et vont parfois loin pour le faire », explique M. Hernandez, qui plaide pour la mise en place de marchés de produits frais à des prix contrôlés à proximité des quartiers populaires.
Isolement des personnes âgéesAutre stratégieclé dans le cadredu confinement : l’isolement des personnes à risque. A La Carcova, les petites salles de classe de la paroisse San Juan Bosco – qui fonctionne aussi en temps normal comme collègelycée pour adultes – ont été transformées en chambres temporaires. Quatre personnes âgées y dorment, isolées du reste du quartier. « On en attendait davantage, mais les familles pensent souvent que lespersonnes âgées seront mieux protégées à la maison », déplore le père Di Paola.
Tandis que le discours officiel seveut rassurant – « Nous sommesen train d’aplanir la courbe de nouveaux cas », affirme le ministreArroyo –, la préoccupation des acteurs sociaux reste forte. A la fois face à la dégradation attendue de la situation économique du pays– la récession pourrait être de − 6,5 % en 2020, selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, et la pauvreté pourrait atteindre 45 % de la population – et face à unepossible contagion massive dans les quartiers populaires, alors quele pays est entré dans l’automne austral et que le pic de l’épidémie est attendu à la mimai. « Nous avons un système de santé publique qui est toujours à la limite de ses capacités, s’inquiète le père Di Paola, cette épidémie va le mettrerudement à l’épreuve. »
aude villiersmoriamé
Erdogan utilise l’épidémie pour ses ambitions régionalesLe pouvoir islamoconservateur, en déclin, ravive le mythe d’une Turquie conquérante
istanbul correspondante
L e président turc, RecepTayyip Erdogan, en estconvaincu, la bataille du
Covid19 se joue aussi sur le terrain géopolitique. Dans le nouvel ordre mondial censé émergeraprès la pandémie, la Turquie estappelée à jouer un rôle prépondérant. « Pour la première fois depuisla seconde guerre mondiale, nous assistons à une nouvelle restructuration du monde. La Turquie a l’opportunité d’être au centre de ce processus », atil déclaré dans unerécente adresse à la nation.
L’idée séduit les zélotes du Partide la justice et du développement (AKP, islamoconservateur), au pouvoir depuis dixhuit ans. Les ministres ne parlent que de ça.Ibrahim Karagül, le chantre du gouvernement, rédacteur en chef du quotidien Yeni Safak, est, pour sa part, persuadé que le « miracle turc » est à portée de main.
Le pays, écritil dans un éditorialpublié le 21 avril, « s’y préparait depuis des années ». Sous la houletted’Erdogan, rien n’est impossible : « L’Empire ottoman était une grande famille répartie sur troiscontinents. Pendant la première guerre mondiale, cette famille a été brisée, partagée, capturée, asservie. (…) Erdogan l’a rassemblée, il a changé le cours de l’histoire. »
Touchée par l’épidémie de Covid19, qui a fait 2 491 morts et 101 790 cas déclarés, la Turquie affiche plus que jamais son « pouvoir de séduction ». Il est urgent de redorer son blason, terni parses violations des droits de l’homme, sa perte de dynamisme économique, l’autoritarisme débridé de son président.
Ces dernières semaines, du matériel médical (masques, blouses jetables, kits de dépistage, médicaments, respirateurs artificiels)a été livré à une trentaine de pays à travers le monde, dont l’Italie, l’Espagne et la GrandeBretagne, et aussi Israël et l’Arménie, des Etats avec lesquels les relations sont d’ordinaire plutôt tendues. Tous les colis portent la mention « présidence », afin de souligner le rôle central joué par le numéro undans la mise en œuvre de cette « diplomatie humanitaire ».
Vendre du rêve à la populationLe pouvoir de coercition continuede s’exercer. Les envois de soldats et de matériel ont repris vers Idlib,dans le nordouest de la Syrie, oùl’armée turque a créé des dizainesde postes d’observation supplémentaires pour défendre les territoires qu’elle contrôle face à une éventuelle offensive du régime deDamas. En Libye, les drones turcs au service du gouvernement d’accord national (GAN) poursuiventleurs frappes sur les forces du maréchal dissident Khalifa Haftar.
Nul ne sait mieux que le « GrandTurc » vendre du rêve à sa population. « Si notre président nous disait qu’il s’apprête à construire uneautoroute à quatre voies vers laLune, nous le croirions », résumait,le 31 mai 2018, Berat Albayrak, legendre du président, nommé depuis ministre du Trésor et de l’économie. Raviver le mythe d’une Turquie conquérante est la
bouée de sauvetage du pouvoir islamoconservateur, en déclin, comme l’a prouvé son échec aux municipales du printemps 2019. Cet exercice de rhétorique est d’autant plus nécessaire qu’unchoc économique s’annonce.
« Si la gestion de la crise sanitaireest bonne, la politique monétaireest catastrophique », estime l’économiste Ahmet Insel. Depuis le début de la pandémie, la Banquecentrale turque (BCT), qui a abaissé mercredi 22 avril son tauxdirecteur pour la huitième fois enmoins d’un an, épuise ses réserves de change pour soutenir la livre, la monnaie locale, qui a perdu15 % de sa valeur par rapport audollar depuis le début de l’année. Orienté à la baisse, le marché financier risque de contraindre l’institution monétaire à capituler. Le combat, perdu d’avance, laisse le pays à la merci d’une nouvelle crise monétaire.
Relocalisation vers l’EuropePour parer à l’effondrement del’économie, un projet à dimension géopolitique a été mis decôté. On a appris cette semaine que les systèmes de missilesS400, livrés par la Russie en 2019,ne seront pas activés avant plusieurs mois, officiellement en raison de l’épidémie. En réalité, Ankara ne veut pas risquer de subir les sanctions économiques promises par l’administration américaine. Il semble que l’option proposée par Washington, à savoir que les S400 restent dans leursboîtes pour éviter les sanctions,ait prévalu.
Contrarier l’allié américain n’estpas une option au moment où lesautorités turques, en quête denouvelles sources de financement, courtisent la Fed, la banquecentrale américaine, dans l’espoir que cette dernière leur donne accès à ses liquidités en dollars via l’ouverture de lignes de swap (échange de devises), ce qu’elle a fait pour 14 pays récemment.
La Turquie n’est pas sur la listecar elle ne coche aucun des critères de sélection (faible inflation,déficit courant maîtrisé, budget à l’équilibre). Et ses orientations de politique étrangère ne sont pasnettes. « Depuis la crise diplomatique entre Washington et Ankara, née de l’emprisonnement du pasteur américain Andrew Brunson à Izmir en 2018 et, plus tard, l’achatde S400 russes susceptible d’entraîner des sanctions économiques, la Turquie est un pays dont laFed se méfie », souligne sur sonblog Ugur Gurses, un ancien fonctionnaire de la BCT.
Le président turc n’a pourtantpas tout à fait tort. A l’heure où la politique de sécurité industriellede l’Union européenne est remise en question, son pays pourrait tirer avantage de la relocalisation decertaines productions de la Chine, où elles sont concentrées, vers l’Europe et son pourtour. « Les pays d’Europe centrale et orientale,le Maroc, la Tunisie mais aussi la Turquie, pourraient devenir les réceptacles de cette relocalisation », explique Ahmet Insel. A conditionque l’économie tienne le choc.
marie jégo
File d’attente devant une cantine populaire, dans un bidonville de Buenos Aires, le 21 avril. ANITA POUCHARD SERRA/HANS LUCAS POUR « LE MONDE »
La préoccupationdes acteurs
sociaux reste forte. En 2020,
la pauvreté pourrait
atteindre 45 %de la population
« Si la gestion de la crise est bonne, la politique
monétaire est catastrophique »
AHMET INSELéconomiste
« Chez les habitants,il y a une forte tension entre
la nécessité de protéger la santé
et les besoins économiques »
FELIPE BOSCHgéographe
Tous les colis dematériel médical
portent le mot« présidence »
pour souligner le rôle central
joué par Erdogan
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0123DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 2020 coronavirus | 5
Désaccords entre l’UE et le RoyaumeUni sur les relations d’aprèsBrexitLe négociateur européen Michel Barnier déplore un « manque d’engagement » de Londres sur les points fondamentaux
bruxelles, londres correspondants
L’ urgence sanitaire n’a pasrapproché les points devue de Londres et de
Bruxelles : à l’issue d’une semainede négociations de la relation « postBrexit » entre le RoyaumeUni et l’Union européenne (UE), les parties se sont « virtuellement » quittées vendredi 24 avril sur des positions tout aussi éloignées qu’avant le début de la crisepandémique. Cela augure mal de la suite des discussions, à moins d’une volteface, peu probable, dugouvernement Johnson ou, encore plus hypothétique, des Européens. Comment, dès lors, échapper à un « no deal » à la fin de cetteannée, si Londres continue à refuser de réclamer une prolongation de la période de transition ?
Michel Barnier, le négociateuren chef pour les Européens, n’a caché ni son agacement ni sa préoccupation, depuis Bruxelles, à l’issue d’un round de négociation commencé au début de la semaine et consistant en 40 visioconférences. « Le RoyaumeUni veut des progrès tangibles. Nous sommes sur la même ligne. Celaveut dire que nous avons besoin d’accomplir de vrais progrès avant la fin juin, pour trouver un bon accord à la fin décembre. Dès lors, ilfaudra plus de dynamisme politique et avancer en parallèle sur tousles volets de la négociation », a indiqué le négociateur européen.
Or, a précisé le Français (guéri duCovid19, après être tombé maladeen mars), s’il y a eu quelques « rapprochements techniques », il n’y a « pas d’engagements du RoyaumeUni sur des points fondamentaux, que nous n’avons pourtant pas inventés, puisqu’ils sont contenus dans l’accord de retrait [le traité dudivorce]». M. Barnier a énuméré « quatre thèmes de déception ».
« Responsabilité particulière »Le premier, le « level playing field [harmonisation réglementaire]», base de la « meilleure relation » entre deux parties souveraines, certes, mais qui ne peut être déséquilibrée au profit de la plus petite (le RoyaumeUni), laquelle devrait se rendre compte, atil sousentendu, qu’il y va de son accès à un marché de 450 millionsde consommateurs.
Londres refuse toujours absolument de s’engager à s’aligner sur certaines normes européennes (droit du travail, fiscalité, environnement), bien que Bruxelles en fasse une condition nécessaire d’accès à son marché intérieur.
Deuxième sujet : la gouvernanceglobale de la relation future : les négociateurs britanniques refusent l’adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme et, plus encore, la reconnaissance du rôle de la Cour européenne de justice. Troisième « déception » : pas de garanties fermes non plus de Londres quant à la coopération judiciaire et pénale ou la libre circulation des personnes. Enfin, déplore M. Barnier, les parties n’ont fait aucun progrès sur la pêche, sujet extrêmement sensible, pour lequel Londres n’a déposé aucune proposition, con
trairement aux Européens. Or, « il n’y aura en aucun cas un partenariat économique durable sans accord sur ce point, c’est clair comme de l’eau de roche », atil précisé.
« Des difficultés sérieuses sontdevant nous. Elles sont encore surmontables si l’on fait preuve de volonté politique, de réalisme, de respect mutuel », a conclu le Français, très grave, le contexte du moment, c’estàdire la pandémie, imposant quand même « une responsabilité particulière ».
Premier ministre convalescentDans un communiqué publié vendredi aprèsmidi, Downing Street campait sur les positions sans concession adoptées par Boris Johnson début 2020 : « Nous ne parviendrons à aucun progrès concernant l’harmonisation réglementaire et la gouvernance de l’accord tant que l’UE persistera dans son insistance à imposer des conditions au RoyaumeUni qu’elle n’impose pas dans le cadre d’autres accords commerciaux et qui ne tiennent pas compte du fait que [notre pays] a quitté l’UE et est indépendant. » Et, concernant la pêche, « nous ne pourrons avancer que si la réalité selon laquelle le RoyaumeUni doit pouvoir retrouver le contrôle de ses eaux territoriales àla fin de l’année est reconnue ».
A ce stade, il n’est toujours pasquestion, pour Londres, de formuler une demande de prolongation de la période de transition audelà du 31 décembre (période aménagée pour donner du temps aux parties pour négocier la relation postBrexit, et durant laquelle le RoyaumeUni reste traité quasiment comme un membre de l’UE).« Nous ne réclamerons pas d’extension de la période de transition et, sil’Union européenne en fait la demande de son côté [ce qui est une possibilité], nous la refuserons », a même affirmé le porteparole de Downing Street le 16 avril.
Le gouvernement britanniquechangeratil d’avis quand BorisJohnson reprendra pleinement le travail ? Le premier ministre poursuit depuis près de quinze jours saconvalescence, après avoir été gravement malade du Covid19, maisil pourrait revenir à Downing Street dès lundi 27 avril, selon le Daily Telegraph. C’est en tout cas ce qu’on espère à Bruxelles, lesEuropéens n’ayant absolumentpas envie d’expédier une négociation complexe et cruciale, alors qu’ils sont par ailleurs happés par une crise sanitaire historique.
M. Johnson a théoriquementjusqu’au 30 juin pour réclamer une extension. M. Barnier a tenté l’argument économique, vendredi, soulignant qu’un Brexit sans accord au 31 décembre causera « un choc ». Un « hard Brexit »en plus d’une pandémie aux effets économiques et sociauxdévastateurs : comment le RoyaumeUni, pourraitil se permettrepareil scénario, alors que sonproduit intérieur brut pourrait chuter de 25 % au deuxième trimestre ? A moins que Londres parie une fois de plus sur la faiblesse des Européens et leur peur d’un « no deal »…
cécile ducourtieuxet jeanpierre stroobants
Lors de manifestations en ligne, les Russes dénoncent la gestion de crise du KremlinLes mesures d’aide économique sont insuffisantes pour de nombreux foyers et entreprises
moscou correspondance
E n Russie, les opposantsaux Kremlin se sont aussimis en mode confine
ment. Alors que se multiplientles signaux de mécontentementface à la gestion par les autoritésde la crise due au coronavirus, lacontestation s’organise sur le Web. Ilya Azar, l’une des figures de la société civile derrière lesmanifestations de l’été 2019 àMoscou, a appelé à « une protestation on line » sur YouTubemardi 28 avril. Avec, pour slogan :demander au Kremlin et au gouvernement des mesures urgentes pour aider familles et travailleurs contraints de rester à lamaison pendant la pandémie.
En début de semaine, profitantdes espaces « conversations » desapplications de cartes de Yandex,le principal portail Internet en Russie, des manifestations virtuelles sont apparues dans plusieurs villes autour des bâtiments officiels. A distance, les internautes se sont ainsi rassemblés en déposant des épingles surles administrations visées et ont laissé éclater leur colère. Dansdes encarts écrits, ils ont mis desmessages pour, parfois dans unstyle cru, évoquer leurs difficilesconditions de vie et exiger desaides publiques.
D’autres internautes ont ajoutéquelques mots plus politiques, ciblant tantôt les autorités locales, tantôt directement le chef du Kremlin, Vladimir Poutine. Société privée mais sous étroit contrôle des régulateurs au service du Kremlin, Yandex a rapidement faitdisparaître tous ces messages.
Des rassemblements spontanésont aussi surgi en dehors des réseaux. Dans les rues de Vladikavkaz, ville moyenne du sud de laRussie, en plein Caucase, quelque2 000 personnes ont protesté contre les mesures de confinement etdénoncé les difficultés économiques. Sans masques, elles se sont regroupées devant le siège de l’administration régionale. Mettant en doute l’ampleur du danger sanitaire, elles ont expliqué craindreplus le chômage que le coronavirus. L’organisateur de la manifestation, le chanteur d’opéra VadimTcheldiïev, a été placé en détention pour deux mois.
Virtuelles ou réelles, ces protestations restent minoritaires et localisées. Mais la crise due au coronavirus pourrait avoir un effet plus large sur la confiance des Russes, déjà entamée par la baisse du pouvoir d’achat depuis 2014. « Face aux difficultés sociales et économiques provoquées par la pandémie, mais aussi la chute du prix du pétrole, la popularité du
Kremlin pourrait baisser, explique le politiste Andreï Kolesnikov. Toutes ces cybermanifestaions sont le reflet du mécontentement de personnes non politisées qui ne vont pas forcément rejoindre l’opposition politique. Mais cela accroît sonréservoir… » D’autant que la « stabilité », au cœur du discours de Vladimir Poutine depuis vingt ans, nerépond plus aux attentes d’une part croissante de la population, lasse et désireuse d’évolution.
« Inaction des autorités »Demandant aux Russes de fairepreuve de « discipline », le chef duKremlin a déclaré avril « moischômé ». Les unes après lesautres, les régions ont organisé leconfinement. Puis le président amultiplié les déclarations, annonçant des rafales de mesures économiques et sociales de soutien. Mais, dans les faits, le programme fait pâle figure, loin desuffire pour compenser les pertes de revenus provoquées par le confinement. Le président aexigé « le maintien des salaires » pour tous. Si elle est applicabledans les pléthoriques administrations, cette mesure est cependant irréaliste pour de nombreux secteurs de l’économie quifonctionnent encore largement au noir, sans contrat de travail niprotection sociale.
Dans les faits, les licenciementsse multiplient et beaucoup de Russes se retrouvent chez eux, sans emploi et sans revenu. Le gouvernement a certes promis d’accélérer les versements de subventions aux familles ou d’augmenter les allocationschômage. Les foyers touchés par des baisses de revenuspeuvent aussi demander une suspension temporaire des remboursements d’emprunts. Face à la perte de salaires, de nombreuses familles sont au contraire tentées de s’endetter. Avant même la pandémie, le surendettement menaçait déjà le système bancaire.
Dans une économie gagnée parla stagnation depuis trois ans, la colère gagne aussi le secteur des petites et moyennes entreprises qui, loin du soutien public aux grandes entreprises d’Etat, peine face au gel de leurs activités depuisle début du confinement.
« La plupart d’entre nous ne comprenons pas l’action, ou l’inaction, des autorités. Poutine est vu comme le principal responsable », témoigne un homme d’affaires. Les mesures d’urgence du Kremlin, notamment fiscales avec baisses des charges, risquent d’êtreinsuffisantes pour sauver de la faillite de nombreux employeurs privés. On et off line, beaucoup sont prêts à se mobiliser.
nicolas ruisseau
21 % des NewYorkais auraient été contaminés par le coronavirusUne étude montre un taux d’infection inégalé dans le pays, mais très loin du seuil permettant une éventuelle immunité de groupe
new york correspondant
U n NewYorkais sur cinqaurait été contaminépar le coronavirus.C’est le résultat d’une
enquête sérologique commandée par le gouverneur de l’Etat de New York, Andrew Cuomo. Réalisée auprès de 3 000 personnes sélectionnées au hasard en se rendant au supermarché, elle a révélé jeudi 23 avril que 21,2 % des habitants de la ville (8,5 millions d’habitants), cœur mondial de l’épidémie, avaient développé des anticorps, tandis que ce taux dans tout l’Etat est de 13,9 %.
Ce résultat, selon le gouverneurCuomo, indiquerait que 2,7 millions de NewYorkais (sur une population de 19,5 millions) ont eu le virus sans le savoir. Un chiffre bien supérieur aux 250 000 cas recensés officiellement dans l’Etat. Selon M. Cuomo, ce chiffre indiquerait que le taux de létalité n’est que de 0,5 %. En réalité, sil’on ajoute aux 15 740 morts « officiels » les 5 000 décès non testés, mais manifestement provoqués par le Covid19, on arrive à un taux de létalité d’environ 0,75 %.
Cette enquête a ses biais : la fiabilité des tests sérologiques n’est pas complète, les personnes sélectionnées sortant de chez elles, pardéfinition, ne sont pas confinées et n’ont pas eu de symptômes, ce qui pourrait conduire à une sousestimation de la contamination.
Il n’empêche, à un moment oùle nombre de morts aux EtatsUnis a dépassé les 50 000, ona une idée de la contaminationdans l’épicentre de la pandémie mondiale : énorme, mais insuffisante. Enorme, car ce chiffre est leplus élevé connu (des études réalisées à Los Angeles et Santa
Clara, au sud de San Francisco, ontdonné des taux de contamination de 4 % à 5 %). Insuffisante, carpour atteindre l’immunité de groupe – à supposer que les personnes ayant aujourd’hui des anticorps soient protégées durablement –, il faudrait faire encoretrois fois le chemin accompli.
L’étude est publiée alors que lescénario de la contamination américaine a été totalement revu.Le 1er mars, on croyait que New York ne comptait qu’un cas de coronavirus et que le total dans cinqgrandes villes américaines (New York, San Francisco, Seattle, Boston, Chicago) n’était que de 23. Ce chiffre était complètement faux.
Selon une enquête de laNortheastern University, NewYork avait alors déjà 10 700 contaminés, et le total des cinq métropoles était de 28 000, selon l’enquête, dont les résultats ont été révélés par le New York Times.
Ainsi, dès le début février et jusqu’au 16 mars, date de fermeture des écoles, en l’absence de tests et de mesures de protection, les NewYorkais se sont activement contaminés les uns les autres. Une autreétude réalisée par la New York University et l’hôpital Mount Sinai avait conclu que le virus n’était pasarrivé par la Chine à New York, mais par l’Europe.
Les décès dans l’Etat de NewYork sont désormais en baisse. Le
gouverneur a renvoyé le navirehôpital, dépêché fin mars de Norfolk (Virginie). Mais il est trop tôtpour relâcher les mesures de prudence. Le confinement a été prolongé jusqu’au 15 mai. Le port du masque est d’ores et déjà obligatoire dans l’espace public. Pendant ce temps, la ville et l’Etat fontfaillite. L’Etat devrait perdre13 milliards de dollars (12 milliards d’euros) de recettes fiscales – cellesci ont chuté de 15 %. La mairie estime qu’elle pourraitperdre 10 milliards de dollars.
Trump apprenti médecinLe gouverneur Andrew Cuomo a demandé le secours de l’Etat fédéral. Mais, en pleine campagne électorale, le leader républicain duSénat Mitch McConnell, sénateur du Kentucky, refuse de renflouer les Etats « de gauche », leur suggérant de se déclarer en faillite.
Cuomo a traité la suggestion de« déclaration la plus stupide de tous les temps ». « Parlons d’équité,Mitch, écrit M. Cuomo sur Twitter : New York donne au pot fédéral 116 milliards de dollars [cumulés depuis 2015] de plus qu’il ne reçoit. Le Kentucky PREND au pot fédéral 148 milliards de dollars de plus qu’il ne donne. Maisnous ne méritons pas d’aide parce que les 15 000 personnes qui sontmortes étaient majoritairementdémocrates. »
Selon une enquête du Rockefeller Institute for Government, chaque habitant de New York verse chaque année 1 100 dollars àl’Etat fédéral et aux autres Etats,tandis que chaque habitant du Kentucky reçoit 10 110 dollars de la solidarité nationale.
La semaine s’est achevée par lasignature par Donald Trump d’unplan d’aide – le quatrième – à
l’économie, pour un montant de 484 milliards de dollars, dont310 milliards destinés à payer lessalaires des PME.
Au total, le plan de soutien fédéral atteint près de 3 000 milliards de dollars, soit 15 % du produit intérieur brut (PIB) annuel, alors que 26,4 millions d’Américains,sur une population active de 165 millions, se sont inscrits auchômage en cinq semaines.
Les conférences de presse quotidiennes de Donald Trump sontdevenues des meetings électoraux, où le président se transforme en apprenti médecin, sur lerôle imaginé de la lumière ou desdésinfectants ménagers pour tuerle virus. La Food and Drug Administration (FDA) et Reckitt Benckiser, le fabricant de produits de nettoyage Lysol, ont dû publier desmises en garde, invitant les Américains à ne pas ingérer ou aspirer ces produits.
La FDA en a aussi émis une surl’hydroxychloroquine, vantée par Donald Trump – et en France le professeur Didier Raoult –, en raison des risques cardiaques que ce médicament, présenté commeun remède contre la maladie, faisait courir.
Les tentatives de réouverture del’économie sont menées par les Etats du Sud, notamment la Géorgie. Le volontarisme de son gouverneur républicain, Brian Kemp, qui veut rouvrir salons de massage et autres professions avec contact physique, a finalementété désavoué par Donald Trump. Il n’empêche, même les Etats très conservateurs comme le Wyoming exigent un confinementdes nouveaux venus. Et la fermeture du parc de Yellowstone a été prolongée jusqu’au 15 juin.
arnaud leparmentier
Selon le dernierbilan, le nombre
de morts aux Etats-Unis a dépassé les 50 000
Il n’est toujourspas question,
pour Londres, de demander
une prolongationde la période de transition
Le Royaume-Uni refuse toujours
absolument de s’engager à s’aligner sur
certaines normeseuropéennes
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6 | coronavirus DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 20200123
M ercredi 1er avril, tribunaljudiciaire de Nanterre.Dans l’enceinte, ferméeau public, résonnent lespas des policiers. Uneseule salle d’audience
est ouverte, où sont tranchées les demandes de mise en liberté de certains détenus, entendus depuis leur prison par visioconférence. Sont jugés, aussi, de rares prévenus en comparution immédiate, surtout pour nonrespect du confinement. Quand soudain, profitant d’une suspension d’audience, la procureure de Nanterre, Catherine Denis, s’invite dans la salle et interpelle le magistrat qui préside les débats du jour.
Mme Denis souhaite qu’un certain Saïd,poursuivi pour avoir frappé à plusieurs reprises son excompagne, soit jugé, comme cela avait été initialement prévu un mois plus tôt. Or la procureure vient d’apprendre que l’affaire risque fort d’être renvoyée. « Là, il est là. Qu’estce qui s’oppose à ce qu’on le juge ?, s’étonne Catherine Denis auprès du président. Avouez que c’est quand même ubuesque. » Avant de s’en aller, elle conclut : « Je vousaurai fait part de mon incompréhension. »
Les faits : Saïd, un grand gaillard maigred’une trentaine d’années, est poursuivi pour avoir frappé sa femme. Coups de poing, de pied, tirage de cheveux, voilà plus de sept ans que ça dure. Plusieurs plaintes ont été déposées, son casier judiciaire s’est rempli. Sa compagne a dénoncé des violences sur leurs deuxenfants, de 9 et 8 ans. Le 4 mars, il a été placé en détention en attendant son procès, fixé au1er avril. Fin mars, en pleine épidémie, sa demande de mise en liberté a été acceptée. Alors
Saïd est sorti de prison, avec interdiction d’entrer en contact avec son excompagne.Mais il n’a pas respecté cette condition, a multiplié les menaces, et la jeune femme, inquiète, a dû quitter l’hébergement d’urgence qu’elle occupait. Nouvelle interpellation donc, le 31 mars. Le débat procédural tient en une question : Saïd, qui devait comparaître libre le 1er avril, doitil être jugé alors qu’il est sous main de justice, et que le juge des libertéset de la détention ne s’est pas encore prononcé sur son cas ?
NOMBREUX REPORTS D’AUDIENCESTandis que Saïd, veste de jogging et masque sur le visage, vient de s’installer dans le box vitré, la représentante du parquet, en écho à Catherine Denis, se dit favorable à une incarcération : « Je ne sais pas ce qu’il faut pour que monsieur comprenne. La seule solution c’est que monsieur soit derrière les barreaux. » Le tribunal reporte l’affaire au13 mai. Quelques heures plus tard, ce 1er avril,le juge des libertés et de la détention a décidéde ne pas réincarcérer Saïd. « Il a maintenu lecontrôle judiciaire. Fin de l’histoire, et pour l’instant sa femme est toujours en vie », raconte au Monde Catherine Denis, miavril. Mais la magistrate, devant les nombreux reports d’audiences, s’inquiète pour « la sécurité des victimes ».
Cette affaire illustre les difficultés de la justice face au délicat sujet des violences conjugales, l’un des « contentieux essentiels » en temps de coronavirus. Au niveau national, les ordonnances de protection pour les victimes qui se terminaient pendant le confinement ont été prolongées. La distribution de
téléphones « grave danger » s’est accélérée. De 897 attribués au 5 mars, leur nombre estpassé à 956 le 27 mars, puis a franchi la barredu millier courant avril, indique le ministèrede la justice. Fin mars, la garde des sceaux, Nicole Belloubet, a averti que les remises depeines spéciales pour les détenus ayant eu « un comportement exemplaire pendant la période d’état d’urgence sanitaire » ne concerneraient « ni les terroristes, ni les criminels, ni les personnes condamnées pour des violences intrafamiliales ».
Mais la justice tournant au ralenti, l’éventail des réponses pénales s’est réduit. Les obligations de soins sont renvoyées à la fin du confinement. Tout comme celles depointer au commissariat. Les stages de responsabilisation, pour les auteurs, ne sontplus organisés par les services pénitentiairesd’insertion et de probation. « Tout ne méritepas des peines d’emprisonnement ferme,souligne la procureure Catherine Denis. D’ailleurs, on nuance nos réponses, on ne renvoie pas tout devant le tribunal. Mais en ce moment, on n’a pas beaucoup d’autres réponses alternatives. »
Si les situations varient localement, les différents procureurs interrogés par Le Monde, à Amiens, Grenoble, Nanterre, Alès dans le Gard, ou Rennes, observent tous que les violences conjugales représentent la plus grande partie des gardes à vue. « Les bagarresde rue, les conduites alcooliques en récidive, les délits de fuite, sont devenus très résiduels,relève François Schneider, le procureur d’Alès. Il y a du coup un effet de loupe qui fait que les violences conjugales apparaissent beaucoup plus représentées dans les faits les
plus graves. » Même s’il craint une « vague » qu’il sent déjà arriver, M. Schneider assure que la politique pénale en la matière, dans leressort de son parquet, n’a pas changé.
HAUSSE DES INTERVENTIONS À DOMICILEA Rennes, comme dans d’autres juridictions en France, le dispositif des « porteurs de paroles » a été lancé fin mars. Un bordereau à remplir en ligne permet à des « primoconfidents », de donner l’alerte, en accord avec la victime. « J’ai fait le choix, eu égard au contexte à risques, de conserver un haut niveau de réponse pénale, explique PhilippeAstruc, procureur de Rennes. Alors que les violences conjugales ont occasionné 137 déferrements en 2019, nous en avons déjà ordonné 108 cette année, au 8 avril. »
Du 16 mars au 12 avril, le ministère de l’intérieur a noté une hausse de 48 % des interventions à domicile, par rapport à la même période de l’année, en 2019 − un chiffre de + 33 %pour la Préfecture de police de Paris. Des interventions qui ne sont pas toutes liées à des violences conjugales, mais à des « différends familiaux ». Le numéro 114, qui permet àdes victimes d’envoyer des SMS pour alerter sur leur situation, représente « plus de
DEPUIS LE DÉBUT DU CONFINEMENT,
LE 3919 A SOLLICITÉ « 8 À 10 FOIS PAR
SEMAINE » LES SERVICES DE POLICE ET DE GENDARMERIE,
CONTRE DEUX À TROIS PAR MOIS EN PÉRIODE ORDINAIRE
« Le confinement est devenu un instrument supplémentaire pour exercer des violences »Alors que les violences conjugales représentent l’essentiel des gardes à vue depuis le début du confinement, police, justice et acteurs associatifs doivent s’adapter pour protéger au mieux les victimes
Le délicat suivi à distance des conjoints auteurs de maltraitancesPendant l’état d’urgence sanitaire, on éloigne les coupables de violences, pour éviter d’imposer aux victimes un changement de domicile
D epuis le début du confinement, Benjamin [leprénom a été modifié]
descend parfois en bas de son immeuble pour jouer avec ses deuxfilles. Sa femme reste dans leurappartement, proche de Lyon, pour veiller sur leur plus jeune enfant, un nourrisson de quelques mois, malade depuis sanaissance. Un quotidien ponctué par les appels du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) du Rhône : il y a presque deux ans, Benjamin a étécondamné pour des violencessur sa femme.
Parmi les 526 auteurs de violences conjugales suivis à distance dans le département, sonaccompagnement fait partie des« dossiers sensibles ». « Au moment où je l’ai eu au téléphone,tout se passait plutôt bien », atteste Laurence Zobel, sa conseillère d’insertion et de probation. Suivi par un psychologuedans le cadre de son sursis avec mise à l’épreuve, il participait depuis plusieurs mois à un groupe de parole d’hommes violents organisé par le SPIP, interrompu
par le confinement. L’intégralité de son contrôle judiciaire se déroule désormais à distance.
Depuis le 17 mars, quatre signalements de situations de violences ont été effectués en urgence auprès du parquet de Lyon, et suivis d’interpellations. « Nous sommes très attentifs aux hommes quiacceptent mal d’avoir été exclus deleur domicile, à ceux dont nous connaissons le caractère impulsif,parfois lié à leur consommation d’alcool, et aux familles reformées après une condamnation pour violences », décrit Laurent Theoleyre, directeur du SPIP du Rhône.
A Lyon, un centre d’hébergement accueille également quatrehommes dont la peine de prison s’est terminée en plein confinement. Soumis à une interdiction de s’approcher de leur ancien domicile, ils ne peuvent être accueillis par leurs proches et amis face au risque sanitaire. Un autrehomme, libéré depuis plusieurs mois, dormait dans sa voiture lorsqu’un logement, temporaire,a pu lui être proposé.
Tensions exacerbéesLes conseillers craignent la tentation des conjoints de se présenterau domicile de leur excompagne et les accès de violences liés à d’importants changements dans le quotidien des familles. « Entresorties contrôlées et contact permanent avec les enfants, certains hommes s’adaptent mal à la découverte d’un confinement connu par de nombreuses femmes depuisdes milliers d’années », observeLaurence Zobel. « La situationexacerbe les tensions, et peut transformer des violences verbaleset matérielles existantes en violences physiques », constate aussi
Mélanie Chaverot, responsable à Lyon du Service de contrôle judiciaire et d’enquêtes (SCJE).
Depuis le début du confinement, le SCJE est contacté quotidiennement par le parquet pourprendre en charge des conjoints violents dès leur interpellation, lorsque le placement en détention provisoire n’est pas demandé. Suivant les consignes du ministère de la justice, l’expulsiondu conjoint est privilégiée pendant toute la durée de l’état d’urgence sanitaire, pour éviter d’imposer aux victimes un changement de lieu de résidence pendant le confinement. Une plateforme nationale d’orientation, reliant procureurs, SPIP et jugesaux affaires familiales, permet depuis le 6 avril d’intervenir en urgence avec les associations et de reloger, en centre d’hébergement ou à l’hôtel, l’auteur de violences.
« Si l’éviction du conjoint n’estpas nouvelle, le confinement fait apparaître de façon plus criante laproblématique de son relogementimmédiat, déjà soulevée pendantle Grenelle contre les violences conjugales : sans solution d’hé
bergement, ou avec des solutions précaires, la situation ne fait que s’aggraver », considère LaurenceZobel. Le SCJE a procédé à vingt relogements dans le Rhône. Au niveau national, 41 places ont ététrouvées grâce à la plateformed’orientation au 22 avril, selon lecabinet de la garde des sceaux,Nicole Belloubet.
Prise en charge immédiateEn SeineSaintDenis, le conseildépartemental a aussi financé dix chambres d’hôtel dans ce but,dont cinq sont actuellement occupées. « Les magistrats se saisissent plus souvent de l’opportunité d’éviction et de relogement, ce qui mériterait d’être pérennisé aprèsl’urgence », souligne ErnestineRonai, responsable de l’observatoire des violences faites aux femmes du département.
Lorsqu’une solution d’accueilest trouvée, un suivi psychologique par téléphone est mis en place et le SCJE multiplie les échanges avec l’homme violent comme avec la victime, pour s’assurer du respect de l’interdiction de contact. « L’obligation de soin
ne peut attendre le déconfinement », insiste Mélanie Chaverot, pour qui la prise en charge immédiate est d’autant plus importanteque la tenue des procès pourrait, compte tenu du ralentissementde l’activité des tribunaux, être décalée de plusieurs semaines.
Le 6 avril, un numéro national aété, pour la première fois, mis en place par la Fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d’auteurs de violences conjugales et familiales (Fnacav). Une trentaine d’écoutants, psychologues et intervenants spécialisés, se relaient pour des discussions, gratuites et anonymes, avec les hommes violents,leur conjointe ou des proches inquiets. Cent cinquante appels ont été recensés en quinze jours.
« Pour les hommes qui ont desdifficultés psychologiques, un allongement du confinement risquerait d’être très problématique, alerte Alain Legrand, son responsable. Cela va susciter des angoisses profondes, qui risquent ne pas pouvoir être levées, sauf à entamer une discussion dès maintenant. »
simon auffret
« NOUS SOMMES TRÈS ATTENTIFS AUX HOMMES
QUI ACCEPTENT MAL D’AVOIR ÉTÉ EXCLUSDE LEUR DOMICILE »
LAURENT THEOLEYREdirecteur du service pénitentiaire
d’insertion et de probationdu Rhône
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0123DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 2020 coronavirus | 7
150 dossiers par jour », ajouteton au ministère. De son côté, la chancellerie n’avance aucun chiffrage des plaintes pour l’instant nides condamnations pour ces faits. « La remontée des chiffres est très compliquée, confirme Véronique Parent, procureure à SaintQuentin, dans l’Aisne, et secrétaire générale du parquet général de la cour d’appel d’Amiens. Il n’y a pas de hausse significativedes gardes à vue ni des plaintes, mais le confinement les rend plus difficiles à déposer. »
« Le recueil de la parole de la victime est encore plus complexe que d’habitude », abonde la substitut du procureur à Grenoble, Inès Delay, référente sur les violences conjugales, tout en louant le travail des associations. Alors que les contacts physiques sont rendusplus difficiles, la magistrate observe une hausse élevée des alertes sur un portail spécifique : « La police a eu huit signalements pour la période du 15 mars au 14 avril, alors qu’en temps normal elle en reçoit environ un par mois. Sur ces huit signalements, l’un est un fait de viol de la part d’un copain de la victime, hébergé dans le cadre du confinement,et les sept autres sont des violences conjugales. » Comme d’autres magistrats, elle craintqu’après la grève des avocats le coronavirus fasse exploser les délais d’audiencement, déjà très importants. « Quand vont être effectivement jugés les auteurs qui avaient commis une infraction en septembre 2019, qui devaient être jugés en mars 2020 et dontl’audience a été reportée sine die ? On traitel’urgence, l’éviction rapide du conjoint violent, mais pour l’instant on n’a pas de solutions pour les situations “non urgentes” quirisquent de le devenir. »
Il s’agit de tout mettre en place pour éviterque certaines violences ne passent sous lesradars de la justice. « Il existe une difficulté supplémentaire pour les femmes de se signaler quand elles sont victimes, souligne Ernestine Ronai, présidente de l’observatoire départemental des violences envers les femmes de SeineSaintDenis. Parce que, en période de confinement, monsieur est toujours là. Les médecins, les assistantes sociales, les associations,tous ces acteurs qui peuvent repérer les violences sont moins en contact avec les victimes. »
9 000 APPELS DEPUIS LE 21 MARSLa communication autour des canaux de signalement s’est donc intensifiée ces dernières semaines. Certaines enseignes de supermarché impriment ainsi, en bas de leurs tickets de caisse, les contacts utiles en cas de violences conjugales. Les pharmaciens ontété mis à contribution, comme possibles relais d’alerte. Peu habitués à cette situation,certains se sont tournés vers les professionnels du 3919, qui reçoit beaucoup de leursappels. D’abord perturbée, la ligne destinée aux femmes victimes de violences fonctionne désormais tous les jours et a pris en charge plus de 9 000 appels depuis le 21 mars− et près de 2 500 appels la seule semaine du 12 avril, soit 20 % en plus par rapport à la première semaine de mars. « Des femmes qui
avaient du mal à mettre des mots sur les violences au sein de leur couple conscientisentbrutalement cette question », indique Françoise Brié, la présidente de la Fédération nationale Solidarité femmes. Parmi elles, denombreuses professionnelles de santé, « déjà soumises à une situation éprouvante », dont certaines sont accusées par leurs conjoints de mettre en danger leurs famillesen poursuivant leur activité dans les hôpitaux et les Ehpad. « On connaît la stratégie des agresseurs : le confinement est devenu un instrument supplémentaire pour reprendre lamain sur leur conjointe et exercer de nouvelles violences », poursuit Françoise Brié.
Les écoutantes, pour la plupart en télétravail depuis leur domicile, évoquent des appels « plus courts que d’habitude » passés àvoix basse depuis le local poubelle ou la filed’attente d’un supermarché. Depuis le débutdu confinement, le 3919 a sollicité « 8 à 10fois par semaine » les services de police et de gendarmerie contre deux ou trois par mois en période ordinaire. Ces signalements, déclenchés avec l’accord des victimes, suscitent systématiquement l’intervention à domicile et souvent le déferrement au parquet.
Le ministère de l’intérieur fait le mêmeconstat au sujet de son portail de signalement des violences sexuelles et sexistes Arretonslesviolences.gouv.fr, dont les effectifs ontété renforcés pour répondre à l’afflux de demandes. « C’est monté en flèche depuis le16 mars, observe le commissaire de police Samuel Hosotte, responsable de la division dela prévention et des partenariats à la directioncentrale de la sécurité publique. Nous constatons surtout une proportion plus importante des signalements pour violences conjugales : 50 % contre 25 % à 30 % habituellement. » En cas de danger imminent, si la personne ne veut pas s’identifier, la police a les moyens de la localiser grâce à son adresse IP. « Ce qui nousa permis d’éviter des situations catastrophiques, explique le commissaire. Mais en cas d’urgence, on préconise toujours l’appel au 17 ou au 112. »
L’homicide n’est pas le seul risque craint parces professionnels : « On a aussi des personnessuicidaires, qui se sentent coupables d’être victimes et ne supportent plus de vivre dans la violence. Leur passage sur le portail permet de les
GPA: la colère des parents empêchésde voir leur enfantPlusieurs couples ayant entamé des procédures de gestation pour autrui en Ukraine ne peuvent rejoindre le pays
I ls ont reçu une photographiequelques heures après sanaissance. Océane, 3,5 kg et
56 centimètres, est née mardi 21 avril à Kiev, et ses parents, Karine et Thierry, l’ont découverte devant leur écran, à 2 400 kilomètres de là, avec un mélange d’émotion et de colère. « Comme nous n’avons pas reçu l’autorisation de nous rendre en Ukraine, nous n’avons pas pu la rencontrer, ni déclarer sa naissance. Notre fille est donc non seulement privée de ses parents, mais aussi apatride. Sesdroits fondamentaux sont bafoués et nous craignons les répercussions de la situation sur son développement », dénonce Karine.
Le couple de Parisiens a fait lechoix, en 2019, d’avoir un enfant par le biais d’une gestation pour autrui (GPA) en Ukraine. L’aboutissement d’un long parcours, marqué par la leucémie de Karineet une fausse couche.
Plus d’un an après cet épisodedouloureux, Karine et son épouxse rendent donc à Kiev pour entamer une GPA. La pratique, interdite en France, est réservée enUkraine aux couples hétérosexuels mariés présentant uneinfertilité constatée médicalement. Il faut débourser30 000 euros environ. A l’été2019, l’embryon formé à partirdes gamètes de Thierry et deceux d’une donneuse est implanté avec succès dans l’utérusd’une « femme porteuse ». C’estle début de la grossesse. Neufmois plus tard, ils ont prévu defaire le voyage pour assister à lanaissance de leur fille.
Mais, dans l’intervalle, l’épidémie de Covid19 a tout bouleversé. Depuis le 16 mars, l’Ukraineinterdit l’entrée de ressortissantsétrangers sur son sol, sauf dérogation. A Paris, Karine et Thierry commencent à s’inquiéter. Ils ne sont pas les seuls. Sophie LabauneParkinson et son époux viventen Australie. Atteinte du syndrome de Rokitansky, la Françaisede 30 ans est née sans utérus. La GPA est le seul moyen pour euxd’avoir un enfant doté de leur patrimoine génétique. Ils ont euxaussi choisi l’Ukraine, « parce que la pratique làbas est encadrée, légale et protectrice pour tous :parents d’intention, enfant, et mère porteuse ». La naissance de leur fils est prévue le 27 avril.
A l’annonce des premières mesures de fermeture, la jeunefemme décide par précaution derentrer dans sa famille en Normandie. Dès son arrivée, elle prend contact avec le ministèredes affaires étrangères ainsiqu’avec l’ambassadeur françaisen Ukraine.
« Le pire, c’est l’incertitude »Pour espérer se rendre dans lepays, tous les ressortissants étrangers doivent en effet demander à leurs représentants d’intercéder par l’envoi d’un document diplomatique. Sans cette « note verbale », leur demande n’est pas examinée.
Sophie fait donc la demande,d’abord à titre privé, puis en faisant appel à une avocate. « J’ai priscontact avec une consœur ukrainienne qui m’a indiqué que plusieurs pays, comme l’Irlande, le RoyaumeUni, Israël, avaient émis cette note verbale. En suivant ses indications, j’ai donc adressé plusieurs courriers avec les motivations de Sophie ainsi que le trajet qu’elle comptait emprunter, dansle respect du cadre fixé par l’Ukraine », explique Me Catherine Clavin, avocate au barreau de Mar
seille. Le premier courrier est datédu 1er avril.
En attendant une réponse,Sophie fédère grâce aux réseauxsociaux un petit groupe de couples de Français dont les bébésdoivent naître dans les prochaines semaines à Kiev. Ils échangent, se soutiennent, envisagent les solutions possibles. Il y aKarine et Thierry, à Paris, maisaussi, par exemple, Christophe etSonia, qui vivent dans le TarnetGaronne. Leur fils est né le23 avril. « On devrait être joyeuxparce que pour nous c’est l’aboutissement d’un combat de plus dedix ans, mais on se demande quand on pourra voir notre fils »,témoigne Christophe.
Maurine Monstin et Carles Farrarons attendent la naissance deleur fils pour le 17 mai. Citoyennefrançaise mariée avec un Espagnol, résidant en Espagne, Maurine a sollicité les deux canaux pour débloquer la situation. « Lepire, c’est l’incertitude, si ça se trouve on ne pourra pas y aller avant juillet ou septembre. » Après avoir un temps envisagé de monter dans un avion sans dérogationofficielle, elle a dû renoncer : son vol a été supprimé.
Pouponnière de fortunePour alerter sur leur situation, le petit groupe a averti la presse, et lancé une pétition en ligne. Plusde 1 200 signatures ont été recueillies en l’espace de quelques jours, à la date du 23 avril. Sur le front officiel, après plusieurs semaines de silence, une réponseleur est finalement parvenue.Dans un mail générique envoyé le17 avril, le ministère des affairesétrangères français se contente derappeler que « les frontières externes [de l’Ukraine] sont interdites d’accès aux nonrésidents permanents et que les entrées et sorties pour les voyages non essentiels desrésidents permanents sont ellesmêmes prohibées ».
Tout en se disant « bien conscient des difficultés que soulèventces restrictions », le Quai d’Orsayindique qu’« il n’est pas possible d’envisager une dérogation aux dispositions qui ont été prises par l’Etat ukrainien ».
La réponse a « horrifié » SophieLabauneParkinson. « Il n’est pas une seule fois question des enfants, ou de la possibilité d’émettre une note verbale. En fait, aucune réponse ne nous est apportée », se désoletelle. Plusieurs de ces parentsd’intention envisagent désormais de déposer dans les prochainsjours une requête en référélibertédevant le tribunal administratif deParis, une procédure d’urgence destinée à « démontrer que l’inaction des autorités contrevient auxdroits fondamentaux d’enfants français », explique Sophie.
En attendant qu’une solutionsoit trouvée, Océane, la fille deKarine et Thierry, va rejoindre une pouponnière de fortune installée par l’agence de GPA dans unhôtel, où se succéderont au chevet des nouveaunés une équipe de nourrices et des médecins.
solène cordier
repérer : nous mettons tout en place pour éviter qu’elles ne passent à l’acte. »
Plus que jamais, Ernestine Ronai prônel’éviction du conjoint violent du domicile familial. « Dans le cadre du confinement, on applique le principe de précaution : nous sommesconfinés pour que tout le monde ne soit pas contaminé. Il faut aussi appliquer ce principe de précaution pour les victimes. » Le ministère de la justice et le secrétariat d’Etat chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes ont annoncé la mise en place d’une plateforme nationale d’hébergement pour les auteurs de violences conjugales, qui a concerné une quarantaine de personnes en moins d’un mois.
SOLUTIONS TEMPORAIRESLa Ville de Paris, en coopération avec le parquet, a débloqué une quinzaine de places en centres d’hébergement et de réinsertion sociale pour les conjoints violents dont l’éviction a été prononcée et pour ceux dont la sortie de prison est programmée pendant cette période. Mais ce sont encore souvent les victimes qui quittent le domicile familial. Pour elles, la situation est complexe : aucun déménagement n’est organisé actuellement et les commissions d’attribution de logements sociaux sont figées. « Les dispositifs étaient déjà engorgés avant le confinement, mais si la décohabitation n’est pas organisée, on prend le risque d’avoir des féminicides et des infanticides », alerte Hélène Bidard, l’adjointe chargée de l’égalité femmeshommes à la Mairie de Paris. Au 23 avril, une dizaine de féminicides ont été recensés sur la page Facebook du collectif Féminicides par compagnons ou ex.
Outre les nuitées d’hôtel, les mairies, avecles associations, imaginent et bricolent dessolutions temporaires. A Marseille, l’OM a ainsi mis à disposition son centre d’entraînement. A Paris, « une quinzaine de logements sociaux, des T2 et des T3, dans lesquels les bénéficiaires ne se sont pas encore installés, sont occupés par des femmes avec enfants, indique Hélène Bidard. Des logements étudiants vides accueillent 44 femmes, seules ou avec un enfant. Et des propriétaires privésont fait donation d’un immeuble vide dans le 9e arrondissement pour les accueillir. »
Audelà de l’urgence, les professionnels desviolences conjugales pensent déjà à l’après. « De nombreuses situations sont aggravées par le confinement : des suites juridiques fortement ralenties, l’état psychique et physique de ces femmes après des semaines de violences, laprécarisation de celles qui ont perdu leur emploi ou sont au chômage partiel…, explique Françoise Brié. Il faudra envisager des dispositifs importants de soutien. » D’autres responsables associatifs, présents dans une taskforcemise en place par le secrétariat d’Etat chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, redoutent un effet « sortie de prison » à partir du 11 mai. Leur crainte : que le déconfinementet la fin du huis clos imposé se traduisent par une recrudescence des violences sexuelles et sexistes dans l’espace public.
yann bouchez et zineb dryef
« On devrait êtrejoyeux, mais
on se demandequand on pourravoir notre fils »,
témoigne Christophe
« IL EXISTE UNE DIFFICULTÉ
SUPPLÉMENTAIRE POUR LES FEMMES À SE SIGNALER QUAND
ELLES SONT VICTIMES »ERNESTINE RONAI
présidente de l’Observatoire des violences envers les femmes
de Seine-Saint-Denis
SÉVERIN MILLET
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8 | coronavirus DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 20200123
A Paris, le rectorat d’académie renonce à fermer plusieurs classesMalgré la baisse du nombre d’élèves à la rentrée 2020, l’instance a reculé, jeudi, sur la suppression de seize postes et de huit classes
L es parents d’élèves, les enseignants, les élus parisiens étaient montés au
créneau. Ils ont obtenu en partiegain de cause : à Paris, le nombre de classes de maternelle et de primaire qui fermeront cette annéesera plus limité que prévu. Lors d’une très longue réunion tenuejeudi 23 avril en vidéoconférenceorganisée par le rectorat d’académie, le ministère de l’éducationnationale a renoncé à fermer huitclasses sur les 71 qui étaient menacées pour la rentrée de septembre. Il a en outre accepté d’ouvrir cinq classes de plus que prévu.
Au bout du compte, « nouscomptons ouvrir 68 classes en septembre, notamment pour dédoubler des grandes sections de maternelle, et n’en fermer que 63, indiqueton au rectorat. Le soldesera donc finalement positif ».
Pareil arbitrage n’avait riend’acquis. D’année en année, lenombre d’élèves dans les écoles publiques parisiennes ne cesseen effet de diminuer.
Plusieurs raisons se conjuguent. Un tassement des naissances. Le départ de Paris de certaines familles, en raison de l’envolée des prix des logements. « Maisaussi l’essor de l’enseignementprivé, notamment dans les arrondissements de l’Est », souligneJeanAndré Lasserre, président dela fédération de parents d’élèves FCPE Paris. Pour cette rentrée, lesprofessionnels s’attendent à accueillir entre 1 700 et 2 000 élèvesde moins qu’en septembre 2019dans le premier degré.
Compte tenu de cette fortebaisse, sensible en particulier dans l’est de la capitale, le ministère de l’éducation avait prévu de
fermer plusieurs classes. D’autant qu’il doit simultanément dédoubler les grandessections de maternelle, une promesse présidentielle. Pour pouvoir mettre plus d’enseignants engrande section, le projet prévoyait d’en retirer dans les écolesprimaires, en profitant du recul du nombre d’élèves dans certainsquartiers.
Des élèves sonnés par l’épidémieCette perspective a fait bondir les intéressés. Les parents d’élèves, les syndicats d’enseignants sont intervenus. Le SNUippFSU et d’autres ont réclamé un moratoire sur les fermetures, en s’appuyant notamment sur la crisesanitaire. Selon eux, impensablede fermer des classes alors que lesécoles censées rouvrir le 11 maivont récupérer des élèves parfois
sonnés par l’épidémie, et que l’urgence consiste à « lutter contre les inégalités scolaires qui se sont – malheureusement – aggravées pendant la fermeture des écoles ».
Les responsables politiques ontpris le relais. Pour que les enfantsrattrapent le retard pris avec leconfinement, « il faut allégerl’effectif par classe et dédoublerles grandes sections sans fermerd’autres classes », a plaidécomme d’autres David Belliard,le candidat écologiste à la Mairiede Paris.
« Il est inimaginable que les enseignants compensent les conséquences de la crise actuelle dansdes classes aussi surchargées qu’aujourd’hui, a tonné l’élucommuniste Nicolas BonnetOulaldj. Etre à la hauteur de lacrise actuelle suppose de sortirdes schémas d’austérité. » Patrick
Bloche, l’adjoint socialiste chargéde l’éducation, est intervenudans le même sens.
La pression a eu de l’effet. Lerectorat d’académie a renoncé aux seize suppressions de postesenvisagées dans l’académie. Ettout en refusant de reporter la réforme, il l’a amendée, en annulant en particulier plusieurs fermetures prévues dans les 19e et20e arrondissements. C’est dansces quartiers de l’Est, en cours d’embourgeoisement, que la mobilisation avait été la plus forte. « Nous avons voulu mieux prendre en compte les conséquences des inégalités sociales et territoriales sur la réussite scolaire, inégalités que la crise sanitaire actuelle a pu encore aggraver », expliqueton au rectorat.
Résultat : cette année encore, letaux d’encadrement devrait
s’améliorer dans les écoles parisiennes. En septembre, « 1 000 professeurs enseigneront dans des classes de grande section, CP ou CE1 de l’éducation prioritaire avec un nombre d’élèves limité à quinze », se féliciteton en particulier au rectorat.
JeanAndré Lasserre, de la FCPE,se montre moins enthousiaste.« Le rectorat a montré une volonté de dialogue, et la mobilisation a permis d’améliorer le projet, reconnaîtil. Mais fondamentalement, la volonté louable dedédoubler les classes bute sur le manque de moyens. Comment réussir ce dédoublement sansavoir davantage d’enseignants ? Cela oblige à déshabiller Paulpour habiller Pierre… » Il craintdonc fort que la question ne serepose ces prochaines années.
denis cosnard
Vivre avec le virus :les politiques pensentle déconfinementGénéralisation des masques, « gestes barrières »… De nombreux responsables réfléchissentà l’organisation de la société après le confinement
E n 1960, dans le Parispourtant joyeux et festifde la rive gauche, JulietteGréco chantait la douleur
de la rupture et le deuil de la vie d’avant, sur des paroles de Guy Béart : « Il n’y a plus d’après/A SaintGermaindesPrés/Plus d’aprèsdemain/Plus d’aprèsmidi/Il n’y a qu’aujourd’hui. » C’est à un long, très long aujourd’hui que nous invite désormais l’épidémie de coronavirus. Le premier ministre, Edouard Philippe, a alerté les Français à ce sujet lors d’un point presse, le 19 avril ; leur vie quotidienne, atil souligné, va être bouleversée par la persistance de cette maladie, y compris après le déconfinement.
« Notre vie à partir du 11 mai, ce nesera pas la vie d’avant le confinement, pas tout de suite et probablement pas avant longtemps, a insisté le locataire de Matignon. Nous allons devoir apprendre à vivre avec le virus. » Et à trouver, atilajouté, de « nouvelles habitudes, unquotidien un peu différent ».
L’équation est simple. La France,avec seulement 6 % de sa population qui auraient été infectés par le
SARSCoV2, semble très loin d’atteindre l’immunité collective, seuil de 70 % à partir duquel un groupe est considéré comme immunisé. Or, pas question de laisserle virus se propager à sa guise d’une personne à une autre : les hôpitaux ne pourraient encaisser une telle charge de patients.
Surtout, a rappelé le ministre dela santé, Olivier Véran, au micro deFrance Inter, vendredi 24 avril, « personne ne peut vous dire décemment les yeux dans les yeux qu’il est sûr qu’il faille une immunité collective », dans la mesure où il n’est pas prouvé que les individus infectés développent des anti
corps immunisants. « On ne peut pas confiner toute la planète pendant six mois ou un an en attendant d’avoir un vaccin, a reconnu leministre. Dans l’intervalle, il faut être prudent, il faut vivre avec le virus, vivre avec les gestes barrières pour limiter les vagues épidémiques. » Selon une étude de l’université Harvard, des mesures de contrôle de l’épidémie, en l’absence de traitement ou de vaccin, pourraient être nécessaires au moins jusqu’en 2022.
« Les mentalités vont changer »Finies donc embrassades, terrasses de cafés bondées et heures insouciantes ? Dans un premier temps, oui, prévient l’exécutif. « Il y aura des contraintes », assure undirigeant de la majorité. Les fameux gestes barrières − tousser etéternuer dans son coude, ne pas se serrer la main, etc. − seront maintenus, tout comme le principe de la distanciation sociale. Le port du masque, objet de polémiques depuis bientôt deux mois, sera fortement généralisé, au moins dans les transports encommun − l’Académie de méde
cine recommande, elle, un port systématique pour toute sortie,même au coin de la rue.
De manière générale, un fort accent sera mis sur la responsabilité individuelle et la prévention. Le patron de La République en marche (LRM), Stanislas Guerini, enappelle même à la construction d’une « société de vigilance sanitaire ». « Nos vies ne reprendrontpas à la normale pour longtemps, voire à jamais. Nous avons tous une responsabilité par notre action, ce n’est pas l’Etat seul dans soncoin », estimetil. Car, en cas de reprise de l’épidémie, des épisodes de reconfinement pourraient s’avérer nécessaires. Un proched’Emmanuel Macron évoque des « mesures de confinement davantage ciblées », quand un visiteur dusoir d’Edouard Philippe parle d’un « confinement partiel ».
Selon certains, ces changementsde comportements sont appelés à s’inscrire dans le temps. « Après l’épidémie de coronavirus, les mentalités, les mœurs vont énormément changer dans tous les Etats du monde, assurait Olivier Véran,le 4 avril, dans un entretien au média en ligne Brut. Nous serons amenés à avoir des conduites sanitaires bien différentes, bien plus proches de celles qu’on a pu constater dans certains pays asiatiques. »
Citant en exemple le Japon et laCorée du Sud, son prédécesseur, Xavier Bertrand, estime ainsi que les masques « vont devenir incontournables » dans la vie des Français. Une nouvelle éducation à la santé serait d’ailleurs nécessaire à ses yeux. « Ne se laveton pas déjà beaucoup plus les mains depuis l’apparition du Covid19 ? Cela pourrait avoir des effets sur d’autres virus ou pour les gastroentérites », remarque le président (exLes Républicains) de la région Hautsde France.
Il en est en tout cas qui n’attendent pas pour passer aux travaux pratiques. Luimême victime et guéri de ce nouveau mal, Christian Estrosi, maire (LR) de Nice, a installé depuis plusieurs semaines dans sa métropole une équipe pour travailler sur cettequestion. « Les transports, l’éducation, la formation, plus rien ne seraorganisé comme avant », anticipetil. Savoir être agile, avec potentiellement des périodes de confinement et de déconfinement successives ; « inverser les politiques » dès que nécessaire.
La ville a prévu une agence quipuisse encadrer, conseiller, voiredonner du matériel aux commerces qui en exprimeraient le besoin pour se conformer aux nouvelles normes sanitaires. Le tourisme, secteur phare de l’économie locale, devra lui aussi s’adapter. « Ne faudraitil pas requalifier le tourisme ? Se diriger vers un tourisme responsable, qui privilégie la culture, l’environnement ? », s’interroge l’édile, qui réfléchit à un système de « passeport sanitaire » afin de filtrer, àl’avenir, les provenances de paysconsidérés à risque : « Il y a biendes pays où des vaccins sont exigéspour entrer, alors pourquoi pas une sérologie ? »
L’épidémie, assurent d’autres,relance le débat sur la densité de villes comme Paris. Si plus d’un habitant sur dix a quitté la capitale à l’annonce du confinement, n’estce pas, en partie, pour échapper au risque de contamination entraîné par la promiscuité, et fuir ce voisin frôlé de tropprès sur un trottoir exigu ? « Les métropoles hyperdenses sont des bombes virales », estime DavidBelliard, candidat écologiste à la Mairie de Paris, pourfendeur de la« bétonisation ». L’idée de rendreles villes plus hygiéniques par une refonte de l’urbanisme remonte à loin.
La première des missions officielles des travaux du baron Haussmann, préfet de la Seine de 1853 à 1870, était d’« aérer » Paris pour mieux faire circuler l’air et l’eau en perçant de vastes avenueset détruisant des immeubles insalubres. « C’est un mouvement detrès long terme, qui, à Paris, débuteen 1780 », quand est créé un poste d’inspecteur de la salubrité, indique l’historien Thomas Le Roux, coauteur de La Contamination du monde, une histoire des pollutionsà l’âge industriel (Seuil, 2017).
Gare, toutefois, aux excès dezèle et aux travers hygiénistes. « Les crises sanitaires peuvent favoriser les mesures de privation de liberté et il faudra être hypervigilants », prévient Xavier Bertrand.
Selon Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat,mieux vaut apprendre à « accepter » le risque pour le « dominer ».« Cette période va aussi nous permettre de vivre et d’habiter ce que nous sommes. Peutêtre vatonmoins se divertir et vivre plus intensément », prédit le sénateur de Vendée. Oublier l’après pour survivre aujourd’hui.
sarah belouezzane,denis cosnard et olivier faye
« Les crises sanitaires
peuvent favoriserles mesures de
privation de liberté. Il faudraêtre vigilants »
XAVIER BERTRANDprésident de la région
Hauts-de France
Selon une étuded’Harvard,
des mesures de contrôle de
l’épidémie pourraient être
nécessaires jusqu’en 2022
HOSPITALISATIONS PAR DÉPARTEMENTpour 100 000 habitants
Martinique
Mayotte
La Réunion
Guadeloupe
Guyane
de 100 à 150
de 150 à 187
de 50 à 100
de 25 à 50
de 10 à 25
moins de 10
Petite couronne2 972
771816
28 554
4 785
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18 mars 24 avril18 mars 24 avril
RETOUR À DOMICILE
Personneshospitalisées
En réanimationet en soins intensifs
DÉCÈS EN FRANCE HOSPITALISATIONET RÉANIMATION
depuis le 1er marsdont 13 852 à l’hôpital
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Italie FranceAllemagne Royaume-Uni
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Les donnéescommencent au 10e décès.
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22 524 mortsen Espagne
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5 723en Allemagne
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Sources : Santé publique France, Johns Hopkins UniversityInfographie Le Monde
Epidémie de Covid-19 : situation au 24 avril, 14 heures
Bilan quotidien
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0123DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 2020 coronavirus | 9
La gauche et les syndicats renouent avec l’Etat providencePour faire face aux conséquences de la crise, de nombreuses voix plaident pour un retour de la puissance publique en France
ANALYSE
I l ne faut pas tout attendre del’Etat. » La phrase prononcée par Lionel Jospinen 1999 seraitelle devenue
le symbole de l’ancien monde ? Al’époque, le premier ministre socialiste reconnaissait son impuissance à empêcher les 7 500licenciements décidés par Michelin. Un aveu douloureux pource défenseur d’un Etat stratège.
Depuis, l’allégement de l’intervention de la puissance publiqueest devenu la grammaire commune des partis de gouvernement. Même en ayant appartenuà des gouvernements de gauche,certains en ont fait une marquede fabrique. Emmanuel Macronn’a ainsi jamais caché sonprisme libéral, par lequel on nedoit « pas tout attendre del’autre », selon ses propres termes quand il était ministre de l’économie. Aujourd’hui, il évoque régulièrement le rôle salvateur d’un Etat plus interventionniste. Comme si la crise liée aucoronavirus avait ébranlé sesconvictions passées.
Mais, depuis quelques semaines, la gauche et les syndicatsveulent croire qu’un changement de paradigme est en cours.Avec l’épidémie, tout semble avoir basculé. Aides massives aux entreprises, directives répétées aux banques et assurances,mesures de chômage partiel,prolongation des droits aux allocations de chômage, soutien àl’emploi et aide aux plus démunis… C’est par le gouvernementet les administrations centralesque les décisions vitales pour la survie économique du pays sontprises. Oubliée la règle des 3 % dedéficit à ne pas dépasser et lapeur des dépenses, les robinets sont ouverts.
Avec la crise sanitaire, les services publics, notamment les hôpitaux, tiennent la première ligne,même affaiblis. Dans ce contexte, la critique de l’austérité a pris de l’ampleur et est redevenue audible.
Tourner la page libéraleAvec le Covid19, la « première gauche » – jacobine, centralisatrice, interventionniste – semble tenir sa revanche : ses idées redeviennent à la mode. En premier lieu, celle de l’Etat protecteur. Une notion critiquée encore récemment par une grande partie duspectre politique, y compris l’aile droite du Parti socialiste (PS), qui vantait les bienfaits du sociallibéralisme, de la « troisième voie » chère à Tony Blair, l’ancien premier ministre britannique. Il fautdire que les principaux tenants decette ligne ont quitté les rives de lagauche pour rejoindre La République en marche (LRM) et Emmanuel Macron. Quelques années auparavant, déjà, les plus libéraux – comme JeanMarie Bockel – avaient choisi Nicolas Sarkozy. Cesdéfections ont donc laissé la gauche sans contradiction interne.
« On vient de subir trente ansd’idéologie de haine de l’Etat. Cela a commencé dans les années 1980,et peutêtre que ça se termine aujourd’hui. Toutes les sphères sociales ont été contaminées », explique l’eurodéputé Emmanuel Maurel, proche de La France insoumise, (LFI). Il estime que l’heure des néolibéraux triomphants est passée. Un sentiment partagé par Clémentine Autain. La députée (LFI) de SeineSaintDenis l’a expliqué dans un texte publié sur son compte Facebook : « Les services publics sont plébiscités. L’obsession de la rentabilité pour notre système de soins, visi
blement criminelle, n’est plus à l’ordre du jour. (…) L’idée de nationalisation ou de réquisition s’énonce sans susciter des cris d’orfraie. (…) Oui, ça fait du bien. » Fabien Roussel, le secrétaire national du Parti communiste français, partage cetavis : « L’heure est venue de tournerradicalement la page d’un néolibéralisme (…) et de prendre le pouvoirsur la finance (…), de défendre et d’étendre les services publics, de prendre le contrôle des secteursclés de l’économie. »
Peu de voix dissonantes dans ceconcert interventionniste. Même du côté de ceux qu’on appelle les« sociauxlibéraux », qu’ils soient des anciens proches de Manuel Valls ou d’expartisans de Dominique StraussKahn, le ton a changé.Il faut dire que l’ancien directeur du Fonds monétaire internationala luimême publié, le 5 avril, dansla revue Politique internationale, un long texte dans lequel il plaide pour l’émission massive de droits de tirage spéciaux – sorte de réserve de monnaie mondiale –pour les pays pauvres et une relocalisation des économies nationales. « Tout responsable politique, une fois l’état de sidération face au virus passé, a une responsabilitéd’ouvrir les robinets pour répondre à l’urgence sanitaire, économique et sociale et accompagner tout le monde », reconnaît Luc Carvounas, député du ValdeMarne et ancien vallsiste.
Pour la première gauche, c’est lemoment d’avancer ses pions et de porter un coup majeur au néolibéralisme. Plus question de laisser passer des réformes qui vont dans le sens d’un affaiblissement des autorités publiques ou même de réduction des coûts et d’investissements dans les domaines comme la santé, l’éducation ou la sécurité. Boris Vallaud, député socialiste des Landes, confirme : « La première urgence est le retour de l’Etat protecteur face à l’insécurité sanitaire et sociale. Il faut mettre enplace une sorte de caisse d’amortissement de la dette sociale. »
Arnaud Montebourg ne s’ytrompe pas : le moment actuel est propice pour défendre ses positions favorables à des pouvoirs publics interventionnistes. « En organisant l’austérité, on a affaibli l’Etat. Son réarmement sera le moyen par lequel les Françaisvont retrouver le chemin de la décision collective, avance l’ancienministre du redressement productif. Et dépasser la remise en question et la contestation de ladécision publique. »
« Revoir la politique salariale »De même, ils sont nombreux àréclamer qu’on rémunère mieuxceux que la CGT appelle les « premiers de corvée », les professions« les plus modestes », souvent enpremière ligne aujourd’hui. « Ilfaut revoir la politique salarialede l’Etat dans la fonction publiqueet revaloriser le smic dans le privé,sur lequel est appuyée l’échelle dessalaires », plaide Fabrice Angei,membre de la direction de la confédération de Montreuil (SeineSaintDenis).
Problème : comment financercette générosité sans trop creuser la dette du pays ? « Si on veut réinvestir, il faudra le faire par l’impôt :ce nouvel Etat social demandera une fiscalité juste et un registre financier tant au plan national qu’international, afin de pouvoirmettre à contribution les plus riches et les grandes entreprisesautant que nécessaire », estime Thomas Piketty, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et à l’Ecole d’économie de Paris, auteur d’une chronique régulière dans les colonnes du Monde.
Un avis partagé par Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, pour qui « il faudra redistribuer lesrichesses ». Dans une interview àOuestFrance, mardi 21 avril, ce dernier propose de créer « un impôt exceptionnel sur des entreprises liées à des secteurs qui n’ont pas été impactés par la crise, voire qui ont réalisé des bénéfices ».
« Revenu minimal automatique »La crise sanitaire et économiqueactuelle oblige le personnel politique à réfléchir à de nouvelles protections. L’idée d’un revenu universel – très éloignée de la culturede la première gauche et chère à Benoît Hamon – revient dans le débat. L’ancien candidat socialiste à la présidentielle a défendu la mise en place de cet « antidote social » dans une tribune au Monde. D’autres pistes sont également explorées.
Le secrétaire national d’EuropeEcologieLes Verts, Julien Bayou, prône « une garantie universelle des loyers, sorte de cinquième pilierde la protection sociale ». Ce dernier n’a jamais fait des nationalisations l’alpha et l’oméga de sa pensée : « Nationaliser ne rime pas forcément avec intelligence », affirmetil. Mais il souhaite, malgré tout, une intervention publique.
D’autres cherchent à adapter lesréponses étatiques à une économie qui a muté. « On a vu avec cettecrise que notre système social est inadapté : construit au XXe siècle quand les carrières étaient linéaireset sécurisées par des CDI, il est inapte à aider des salariés précaires, intérimaires ou autoentrepreneurs qui ne peuvent bénéficier du chômage partiel et qui souffrent, assure Julia Cagé, économiste à Sciences Po, par ailleurs présidente de la Société des lecteurs du Monde. On doit mettre en place un mécanisme de revenu minimal automatique, immédiat et sans démarche administrative. »
Audelà de cette mission depompier, le débat tourne autour du rôle stratégique de l’Etat. Des mots comme « planification » ou « nationalisation » ont refait surface. La puissance publique doit retrouver sa place centrale, plaident économistes comme politiques. « En matière industrielle, il faut êtreen capacité de restaurer une approche planifiée et stratégique et ne pas s’en remettre aux marchés. Dans un contexte mondialisé, ça nepeut fonctionner que s’il y a une approche coordonnée au niveau européen », assure Yves Veyrier, secrétaire général de Force ouvrière.
Les autorités publiques doiventdonc orienter les choix majeurs dedéveloppement et ne pas laisser faire le seul marché. Au risque, sinon, de voir partir des filières stratégiques et de se rendre trop dépendants des pays fournisseurs, comme on l’a vu avec les médicaments, les masques ou les respirateurs. « On doit aller vers un Etatentrepreneur qui affiche un volontarisme, pour regagner de la souveraineté économique par des sociétés publiques d’investissement dans les secteurs des énergies, du
stockage, des transformations écolos », explique ainsi M. Vallaud.
Les leviers d’intervention sontlà, il suffirait de s’en servir. « L’Etat en tant qu’actionnaire doit jouer son rôle dans les entreprises où ilest présent. Il peut aussi renforcer la réglementation et agir en soutien financer avec la BPI. Et, enfin, ily a le levier de la commande publique nationale et de celle des collectivités locales pour faire pression sur les grandes entreprises pourqu’elles relocalisent et réduisent leur impact environnemental », relève Gabrielle Siry, chargée d’enseignement en économie à l’université ParisDauphine et membre de la direction du PS.
A la différence des années 1980,l’urgence climatique s’est ajoutée à l’équation. En clair, la puissance publique doit anticiper l’avenir. Un point de vue partagé par Mme Cagé : « Réinjecter de l’argent de manière aveugle serait un contresens, il faut réorienter les inves
tissements vers le moins de carbone », prévient l’économiste. En clair, on ne doit pas relancer l’industrie automobile sans se préoccuper de la conversion des chaînes de production vers la voiture propre ni engager de plan de soutien à l’aérien sans engagementferme à moins polluer. M. Bayoureprend la « théorie du donut », développée par l’économiste britannique Kate Raworth, selon laquelle il est impératif de ne laisserpersonne tomber dans un trou, sans les éléments essentiels à la survie, tout en respectant la nature : « On agit dans un espaceavec un plancher social de droits élémentaires et un plafond environnemental des ressources à préserver. Entre les deux, c’est la société vivable. »
Les conséquences de cette crisepeuvent être considérables. Certains espèrent que ce traumatisme provoquera un changement des règles du marché, une volonté d’investir dans les écoles ou d’anticiper les conséquencesdu réchauffement climatique.« L’histoire nous a montré que des crises financières ou sociales peuvent transformer le rôle de l’Etat etsa conception », souligne encore Thomas Piketty.
Les Français, en tout cas, veulentplus de protection. Selon une étude de Viavoice pour Libération, publiée le 31 mars, la « souveraineté collective », nationale et européenne, le « dépassement de la société de marché » et la défense desbiens communs, rencontrent une adhésion inédite (entre 70 % et 85 % d’opinions favorables, selon les items). En affirmant, le 13 avril, qu’il souhaitait « sortir des sentiers battus, des idéologies » et se « réinventer », Emmanuel Macron a, peutêtre, ouvert une brèche. raphaëlle besse desmoulières,
abel mestre et sylvia zappi
Des mots comme« planification »
ou « nationalisation »ont refait surface
dans le débat
CHLOROQUINELe ministère des armées stocke « par précaution »Le ministère des armées a reconnu, vendredi 24 avril, avoir acheté de la chloroquine en Chine pour constituer un stock « par précaution », si jamais ce traitement, dont l’efficacité contre le coronavirus fait débat, était finalement validé par les autorités sanitaires. Cette déclaration a fait suite à la publication sur les réseaux sociaux d’une vidéo montrant cette livraison. Le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, a expliqué, vendredi, « ne pas avoir à commenter les décisions du ministère des armées ».
IMMIGRATIONLes titres de séjour des étrangers prolongésde six mois au totalLa validité des titres de séjour des étrangers, prolongée une première fois de trois mois en mars, a été rallongée d’un trimestre supplémentaire, soit de six mois au total en raison « du contexte sanitaire », a annoncé, vendredi, le ministère de l’intérieur. Les démarches de renouvellement de ces documents de séjour ont été rendues impossibles depuis le début du confinement.
COMMERCELes marchés couverts parisiens peuvent livrerLes commerçants de neuf marchés parisiens couverts sont autorisés, depuis vendredi, à recourir à la vente à distance de leurs produits, soitpar la livraison à domicile, soit par le retrait des commandes à l’entrée des marchés, ont annoncé la Mairie de Paris et la Préfecture de police. – (AFP.)
« On vient de subir trente ansd’idéologie de
haine de l’Etat (...)et peut-être que
ça se termine aujourd’hui »EMMANUEL MAUREL
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10 | coronavirus DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 20200123
Jeff Bezos, sujet incontournable en tempsde criseLa mise en confinement des économies, avec son cortège de boutiques et de centres commerciaux fermés, a placé Amazon au centre du jeu. Non sans couacs. Mais l’occasion estbelle pour son fondateur de redorer son image
PORTRAITnew york correspondant
L’ épidémie de coronavirus estsurvenue, et Amazon était là.Plus puissante que jamais.Dans une Amérique confinée,l’entreprise fondée par JeffBezos a changé de nature.
L’ancienne librairie Internet de Seattle est presque devenue un service public recentré sur la livraison de produits alimentaires et médicaux de première nécessité. C’est ainsi que le leader américain du commerce par le Net se présente. « Les employés d’Amazon travaillent 24 heures sur 24 pour livrer les produitsde première nécessité, à la porte des gens qui enont besoin », écrivait miavril Jeff Bezos, dans sa lettre aux actionnaires. Le propos n’est pas complètement faux, comme le reconnaît le New York Times, dans une enquête pourtant très critique. « Plus le monde se dégrade rapidement, plus l’entreprise est attrayante. L’arrivée du coronavirus, qui a fait du déplacement au supermarché un risque et un supplice, n’a fait qu’accélérer le processus ».
Dans un monde où tout s’écroule, où l’Etatfédéral et la Fed impriment les dollars sanscompter pour sauver l’économie, Amazon affiche une santé insolente. Son action a touchémiavril un plus haut historique de 2 461 dollars (2 282 euros), en hausse d’un tiers depuis le début de l’année. L’entreprise vaut 1 200 milliards de dollars, plus de cent fois sesbénéfices, et la fortune personnelle de son fondateur, qui détient 11,2 % des actions, atteint désormais 145 milliards de dollars. L’homme le plus riche du monde devance largement Bill Gates et Bernard Arnault quitournent autour de 100 milliards, selon le magazine Forbes : en moins d’un an, Bezos a presque effacé l’accord de divorce douloureux conclu avec son ancienne épouse MacKenzie Bezos, qui avait amputé sa fortune de 38 milliards de dollars.
DES COUPS DE GÉNIEDans un pays qui admire les entrepreneurs, Bezos n’est que le huitième patron le plus populaire des EtatsUnis avec 26 % d’avis favorables selon la société YouGov (loin derrièreles 58 % de Bill Gates). Sans doute parce qu’il a la réussite brutale des titans du XIXe siècle, John Davison Rockefeller dans le pétrole et Andrew Carnegie dans l’acier. Comme eux, parti de rien, Jeff Bezos a multiplié les coups de génie pour transformer en empire sa librairie Internet fondée en 1994.
Dans les années 2000, il ouvre sa plateforme à tous les fabricants de la planète,pour devenir un supermarché mondial, et fidélise ses clients en leur promettant une livraison en deux jours au prix de 119 dollars par an. Puis, après la grande récession, il construit des entrepôts gigantesques dans laplupart des Etats américains, alliant robots et ouvriers, pour fournir tous les ménagesaméricains. Mais comme Rockefeller et Carnegie, il a aussi maltraité ses salariés, combattu les syndicats, usé de sa position dominante et laminé ses fournisseurs, en prati
quant ce qui a été qualifié en interne de stratégie du léopard contre la gazelle : épuiser ses proies en commençant par les plus faibles. Dans un curieux aveu, semiinconscient, Bezos avait rédigé au début de la décennie un mémo baptisé « Amazon.love », dans lequel il décrivait ses valeurs et ce qui était « cool ». Un antiportrait des pratiques d’Amazon. Dix ans plus tard, il a une opportunité de changer son image. Sauveur ouprofiteur de crise, l’Amérique frappée par le Covid19 se déchire plus que jamais sur Amazon et son fondateur si controversé.
En février, M. Bezos semblait jouir de sanouvelle vie privée. On avait vu le propriétaire du Washington Post, bête noire de Donald Trump, à Los Angeles, flanqué de sa nouvelle compagne Lauren Sanchez lors dela soirée des Oscars, à l’occasion du défilé de mode de Tom Ford, aux côtés de la papesse de la mode et patronne de Vogue, Anna Wintour, puis lors d’une soirée donnée par Vanity Fair. Le milliardaire défrayait aussi la chronique immobilière, en achetant à Beverly Hills la villa légendaire du magnat d’Hollywood Jack Warner au milliardaire David Geffen pour 165 millions de dollars, quelques mois après s’être offert un triplex de 80 millions de dollars sur la Ve Avenue aucœur de Manhattan.
Il s’était acheté une stature de philanthrope, annonçant qu’il consacrait 10 milliards de dollars à la lutte contre le réchauffement climatique. Il pensait ainsi en avoir fini avec ses salariés qui l’avaient poussé enseptembre 2019 à adopter enfin un plan deréduction de ses émissions carbone. Il devisait avec les puissants, envoyant à ses 1,396 million d’abonnés sur Twitter – M. Bezos, lui, ne suit le compte que d’une seule personne, son exépouse – le 28 février,une photo de sa rencontre avec Emmanuel Macron, en compagnie de Mme Sanchez, dans les salons de l’Elysée, pour discuter « climat et développement durable ».
En réalité, Jeff Bezos sait à ce momentqu’Amazon a changé de monde. La veille, ladirection du groupe a appris qu’un de ses salariés revenu de Milan a contracté le Covid19. Depuis des semaines. Amazon craignait d’avoir des ruptures d’approvisionnement venu de Chine, où sont fabriqués une grande partie de ses produits, et observaitavec inquiétude la ville de Seattle, premier foyer d’infection sur le territoire des EtatsUnis. La direction suspend immédiatement les voyages, y compris à travers les Etats
Unis, ce qui fait d’elle la première à prendre cette décision. Ses entretiens de recrutement ne se déroulent plus que par vidéoconférence. Début mars, les salariés du siège désertent le centreville de Seattle et sont invités à passer au télétravail. Jeff Bezos prend leschoses en main, anime des réunions quotidiennes en compagnie, notamment, de ses deux adjoints Jeff Wilke et Dave Clark. Pourrésoudre la crise et penser le monde d’après.
Le blog de l’entreprise fait le récit d’un patron mobilisé sur tous les fronts. Jeff Bezos rendant visite, masqué, à ses salariés dansdes entrepôts de sa filiale alimentaire WholeFoods. Jeff Bezos généreux avec sa communauté, qui fait offrir quelque 1 200 ordinateurs aux écoles de Seattle. Jeff Bezos, politique, qui discute logistique avec le gouverneur de l’Etat de Washington, Jay Inslee. Jeff Bezos, au secours de la planète, en vidéoconférence avec le patron de l’OMS pour aider àéradiquer la pandémie. Tout cela n’est pas faux. Amazon apparaît largement comme un recours, alors que 22 millions d’Américains ont perdu leur emploi le premier mois de crise.
GESTION DE LA CRISE DÉLICATEDès la mimars, la firme a ouvert quelque 100 000 postes pour pouvoir répondre à lademande supplémentaire, puis 75 000 nouveaux emplois en avril. « L’institutrice dematernelle de Dallas, Darby Griffith, nous arejoints après la fermeture de son école le9 mars et elle nous aide à traiter nos stocks.Nous sommes heureux d’avoir Darby avec nous jusqu’à ce qu’elle retrouve sa classe », écrit Bezos, dont l’entreprise est désormais le deuxième employeur américain, derrièreWalmart, avec 590 000 salariés directs. Lepatron annonce aussi qu’il augmente de2 dollars, à 17 dollars, le salaire horaire minimal et payera désormais les heures supplémentaires doubles (contre 1,5 fois jusqu’à présent). Accusée pendant des années par Bernie Sanders, le sénateur du Vermont, deverser des « salaires de misère », Amazon avait fini par s’aligner sur les exigences du candidat malheureux à l’investiture démocrate en fixant son salaire minimal à 15 dollars de l’heure, plus de deux fois le minimum fédéral.
Ses détracteurs, telle la militante antitrustStacy Mitchell, notent qu’Amazon a agi ainsi en raison du pleinemploi, puis pour pallierl’absentéisme qui atteignait 30 % chez ses
ouvriers, inquiets de la pandémie. Il n’empêche, les hausses de salaires vont coûter500 millions de dollars à Amazon sur la période allant jusqu’à la fin avril et le groupe offre des emplois qui font pâlir d’envie certains. C’est le cas de Michelle CarusoCabrera, candidate à l’investiture démocrate dans le Queens : l’ancienne journaliste de NBC n’a pas digéré que l’aile gauche du parti,emmenée par la députée sortante Alexandria OcasioCortez, ait refusé, début 2019,l’implantation du siège newyorkais d’Amazon, sous prétexte qu’elle avait obtenu un rabais fiscal de 3 milliards de dollars. Les 25 000 emplois directs promis par Amazon auraient été bien utiles à sa circonscriptionqui a perdu le tiers de ses 350 000 emplois enraison de la pandémie. « Les restaurants et leshôtels ont dû fermer, mais un employeur demasse a gardé ses effectifs et embauche même des dizaines de milliers de personnes supplémentaires à travers le pays : Amazon », écrit Michelle CarusoCabrera, qui déplore le manque à gagner fiscal alors que la faillites’annonce à New York.
« La ville et l’Etat de New York auraient reçu27 milliards de recettes fiscales au lieu de 30.Lorsque les résidents comprendront que lessubventions étaient simplement une réduction sur les impôts plutôt que des versements en liquide, ils auront le sentiment d’avoir étéembobinés, trahis par Mme OcasioCortez », accusetelle, écrivant en postscriptum :« Note pour Jeff Bezos : possible de revenir sur votre décision ? » Jeff Bezos ne reviendra pas sur sa décision, et la gauche démocrate est loin d’être convaincue par Amazon. L’attitude de M. Bezos et des siens n’y est pas étrangère.
En premier lieu, la gestion de la crise a étéplus délicate que ne le montrent les apparences. Mimars, la star du ecommerce menacede dérailler : la demande des consommateurs américains confinés explose, mais le distributeur peine à s’approvisionner enmarchandises et souffre d’un absentéismede 30 % dans ses entrepôts. Les fournisseurs sont priés de ne plus envoyer de biens nonessentiels pour permettre à Amazon de se concentrer sur les biens de première nécessité. Une équipe est mise en place pour expliquer aux consommateurs que leurs commandes non prioritaires mettront longtemps à arriver : une révolution dans une entreprise qui a fait fortune sur la livraison endeux jours.
Les pratiques du groupe avec les vendeurs tiers sont contestéesC’est une révélation très gênante pour Amazon : des employés du leadeur mondial de l’e-commerce ont accédé à des données sur les ventes de produits commercialisés sur sa plate-forme par des vendeurs tiers, pour ensuite créer des articles concurrents sous des marques d’Amazon. Les faits, exposés par le quotidien américain Wall Street Journal, jeudi 23 avril, contredisent le dis-cours toujours tenu par l’entreprise de Jeff Bezos. L’affaire accrédite certains soupçons des autorités de la concurrence. Amazon affirme, lui, que les pratiques décrites sont contraires à sa politique et annonce une enquête interne.
DANS UN PAYS QUI ADMIRE LES
ENTREPRENEURS, BEZOS N’EST QUE
LE HUITIÈME PATRON LE PLUS POPULAIRE
DES ÉTATSUNIS AVEC 26 % D’AVIS
FAVORABLES, SELON LA SOCIÉTÉ YOUGOV
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En dépit de ces efforts et de cette « obsession du consommateur », pour reprendre l’un des slogans historiques de Bezos, l’entreprise n’est pas complètement au rendezvous. Le supermarché sur Internet, y compris Whole Foods, chaîne spécialisée dansl’alimentation, était soudain mal achalandé. A Manhattan, mimars, on ne pouvait pascommander de fruits ni de légumes, tandis qu’Amazon nous informait aimablement que 5 articles avaient été substitués au grédes disponibilités : une petite bouteille d’eauplate au lieu de l’eau gazeuse désirée, des nouilles vermicelles en remplacement des penne. Plus tard dans la semaine, il n’y avait plus de créneau de livraison disponible, etl’on s’est retourné sur Target pour les commandes de nécessité et un réseau de petitscommerçants de bouche de Manhattan. Deux semaines après sa commande, un matériel médical n’avait toujours pas été expédié. Mais dans un monde où seul le numérique survit, Amazon, qui présentera ses résultats trimestriels le 30 avril, s’en sortira sans aucun doute.
Mais c’est dans le rapport à ses salariés quel’entreprise a été la plus contestée. Début mars, Amazon explique à ses employés contaminés qu’ils ont droit à deux semaines de congés maladie. Mais la mesure n’empêchera pas le virus d’entrer dans une cinquantaine d’entrepôts en Amérique du Nord. Premièrement parce que la mesure est mal appliquée par les soustraitants. Ainsi, le16 mars, Jeysson Manrique, employé d’uneentreprise de livraison, appelle, fiévreux,son chef. Lequel lui demande une photo du thermomètre. Le jeune homme n’en a pas et va donc travailler dans l’entrepôt Amazon du Queens, raconte le New York Times. Deux jours plus tard, son beaupère (qui vit avec lui et travaille chez Amazon) est diagnostiqué positif et les deux hommes mis en quarantaine, tandis que l’entrepôt est désinfecté. Trop tard, le virus est là.
Deuxième problème, au début, Amazon nepayait les congés maladie qu’en cas de quarantaine ou de test Covid positif. « Des employés ont continué d’aller travailler aprèsqu’ils ont présenté les symptômes mais avant d’avoir le retour positif de leurs tests lorsqu’ils deviennent éligibles au congé maladie payé », accuse le New York Times. La pingrerie d’Amazon (11,6 milliards de profits en 2019) suscite un tollé, et elle est accusée de ne même pas respecter la loi fédérale s’imposant aux PME.Le 23 mars, quinze procureurs emmenés par celle du Massachusetts, Maura Healey, mettent en demeure Jeff Bezos : « En limitant le congé maladie uniquement aux employésdiagnostiqués positifs au Covid19 ou placés en quarantaine, les entreprises [Amazon et Whole Foods] font courir un risque signifiant d’exposition au virus aux autres employés, à leurs clients et au public en général », reprochent la procureure Healey et ses collègues. « Il a fallu la lettre des quinze procureurs pour qu’Amazon bouge », s’afflige Emily Cunningham, qui était jusqu’à Pâques salariée d’Amazon.
LICENCIEMENTSLe 2 avril, l’entreprise, qui juge ces critiques« non fondées », annonce sur son blog DayOne avoir adopté 130 mesures nouvelles pour protéger les salariés. Gants, masques, tests de température par centaines demilliers chaque jour… Lentement, l’entreprise se met en ordre de bataille. Mais toutne se fait pas en un jour. Dans une lettre à ses employés, en mars, M. Bezos reconnaissait que les masques allaient pour l’instanten priorité au personnel médical. Et ceuxqui ont sonné l’alarme ont été combattus.Sans merci. C’est le cas d’Emily Cunningham et Maren Costa, deux militantes proclimat de Seattle, licenciées le Vendredi saint pour avoir voulu organiser une réunion d’information avec des ouvriers desentrepôts par un mail donnant accès autexte d’une pétition.
C’est aussi le cas de Chris Smalls, employédu centre de tri de Staten Island, à New York, où avait eu lieu une tentative de syndicalisation en 2019. Apprenant qu’un de ses collègues salariés avait été testé positif, M. Smalls a demandé l’arrêt de l’entrepôt pour sa désinfection. La direction l’a refusé et l’a mis enquarantaine payée. Le salarié a organisé dansla foulée, le 30 mars, une petite manifestation qui lui a valu d’être licencié, pour avoir
L’ENTREPRISE D’ECOMMERCE EST
DÉSORMAIS LE DEUXIÈMEEMPLOYEUR AMÉRICAIN,
DERRIÈRE WALMART
Jeff Bezos,le 6 juin 2019,à Las Vegas (Nevada).JOHN LOCHER/AP
En France, l’épreuve de force continue entre la justice et AmazonLe groupe a décidé de maintenir fermés ses entrepôts après une décision défavorable
C’ est un moment symbolique dans le conflit entre la multinationale
Amazon et les syndicats français,devenu affaire nationale et suivi de près au siège américain de Seattle (Etat de Washington) : vendredi 24 avril, la cour d’appel de Versailles a confirmé, tout en l’adoucissant un peu, la décision qui avait ordonné dix jours plus tôt à Amazon de mieux protéger ses salariés du coronavirus et de restreindre d’ici là ses activités aux produits jugés essentiels.
C’est à la suite de ce revers que lasociété de Jeff Bezos avait décidé de fermer ses entrepôts français. Vendredi, les juges ont de nouveauintimé à l’entreprise de « procéder, en y associant les représentants du personnel, à l’évaluation des risques professionnels inhérents àl’épidémie de Covid19 ».
La réaction d’Amazon ne s’est pasfait attendre : le groupe américain a décidé de ne rien changer et de ne pas rouvrir ses entrepôts. Dans un communiqué très vindicatif, il n’hésite pas critiquer vertement ladécision de la justice française. « Elle nous conforte dans l’idée que l’enjeu principal n’est pas tant la sécurité que la volonté de certaines organisations syndicales de tirer parti d’un processus de consultation complexe avec les comités sociaux et économiques », écrit l’entreprise. « Nous ne pensons pas quecette décision soit dans le meilleur intérêt des Français, de nos collaborateurs et des milliers de TPE et de PME françaises qui comptent sur Amazon pour développer leurs activités », ajoute la direction.
Une forme de « chantage »Amazon souligne que ses « entrepôts sont sûrs ». Et que les comités sociaux et économiques (CSE) ont été « impliqués » dans la mise en place des mesures anticoronavirus. Les syndicats dénoncent, eux, une approche « unilatérale », menée seulement au niveau de chaque entrepôt. La cour leur donne raison en demandant une consultation du CSE central.
« Amazon, plutôt que de négocier,choisit de poursuivre son bras de fer. La direction joue l’opinion contre la force du droit. Ce n’est plus un problème économique, c’est un problème psychologique. “Je suis l’employeur, je décide” : on est dans le dogme », déplore Laurent Degousée de la fédération SUDCommerce, auteur de la plainte en première instance et rejoint en appel par la CFDT, la CGT et FO. L’entreprise de Jeff Bezos est connue poursa culture américaine rétive au syndicalisme.
Pourtant, la décision judiciairepermet à Amazon d’écouler « 50 %de son catalogue », souligne lesyndicaliste. La cour d’appel nedonne aucun chiffre mais elle esten effet allée dans le sens du géantaméricain sur certains points : elle a élargi et précisé les catégories de produits autorisées à la vente, en se référant au catalogue de la plateforme : « hightech », « informatique », « bureau », « toutpour les animaux », « santé et soinsdu corps », « homme », « nutri
tion », « parapharmacie », « épicerie », « boissons » et « entretien ». Cet éventail large dépasse celuifixé par le tribunal judiciaire deNanterre le 14 avril, restreint auxseuls produits « alimentaires », « médicaux » et « hygiène ». De plus, la cour a allégé l’astreinte, jugée exorbitante par Amazon : celleci passe de 1 million d’euros à 100 000 euros, même si elle reste due pour chaque colis interdit.
Sans pour autant infléchir la position de l’entreprise : « L’astreinte pourrait impliquer que même un taux infime de traitement accidentel de produits non autorisés, de l’ordre de 0,1 %, pourrait entraîner une pénalité de plus de 1 milliard d’euros par semaine, assure la direction. Malheureusement, cela signifie que nous n’avons pas d’autre choix que de prolonger la suspension temporaire de l’activité de nos centres de distribution français alors que nous évaluons la meilleure façon d’opérer au regard de la décision. »
Car depuis le 14 avril, AmazonFrance s’est arrangée pour poursuivre son activité, malgré la décision de justice, en s’appuyant sur d’autres réseaux. Le groupe a fait appel à ses entrepôts étrangers, allemands, italiens ou polonais. Et aussi aux 2 000 employés de ses onze petites « agences de livraison ». Ces dernières, dépendantes d’une autre filiale, n’étaient pas concernées par la décision et elles acheminent des colis en France, avec l’aide des prestataires habituels d’Amazon pour le « dernier kilomètre », dont La Poste. Enfin,certains vendeurs indépendants de la plateforme ont continué àassurer leurs livraisons par euxmêmes. « Continuez à commander, les produits sont disponibles »,dit à ses clients Amazon, qui se dépeint aussi en « entreprise nécessaire à la vie de la nation ».
La multinationale mène uneforme de « chantage » auprès desautorités françaises, estime Alma Dufour, chargée de campagne auxAmis de la Terre. L’association écologiste espère que la France fera unexemple et que le conflit actuel marquera « un tournant dans l’impunité environnementale, sociale et fiscale dont Amazon jouit ».
Et elle demande au gouvernement un « moratoire » sur les « huit à onze » projets d’ouverture d’entrepôts ou d’agences de livraison en France. Car, malgré l’opposition, la pandémie n’a pas pour l’heure arrêté l’expansion d’Amazon. Au contraire.
alexandre piquard
brisé son confinement. « Agir m’a coûté mon job », a déploré M. Smalls sur Bloomberg TV.Les Démocrates se sont saisis de l’affaire : la procureure de New York, Letitia James, a dénoncé un licenciement « immoral et insensé », tandis que le maire, Bill de Blasio, ademandé à la Commission des droits humains de la ville « d’enquêter immédiatementsur Amazon ».
La polémique n’a pas gêné M. Bezos outremesure. Dans un mémo, l’avocat de la firme, David Zapolsky, s’est réjoui cyniquement d’avoir pour figure de proue Chris Smalls lorsd’une réunion en présence de Bezos : « Il n’estpas intelligent ou clair, et tant que la presse voudra se concentrer sur “nous contre eux”, nous serons dans une meilleure position qued’avoir à expliquer pour la xième fois comment nous essayons de protéger les travailleurs », écrit Me Zapolsky, qui a proposé dediscréditer le mouvement en accusantM. Smalls d’avoir eu une attitude dangereuse, voire illégale. L’homme s’est entretemps excusé et Amazon tient sa ligne.
UN CÔTÉ BISMARCK« Nous n’avons pas licencié M. Smalls pouravoir organisé une manifestation de 15 personnes, nous l’avons licencié pour avoir mis endanger la sécurité et la santé des autres », nous déclare Amazon, ajoutant qu’il avait reçu « de nombreux avertissements pour avoir violé les règles de distanciation ». Mêmepropos sur Mmes Cunningham et Costa.« Nous défendons le droit de chaque salarié àcritiquer les conditions de travail fournies par leur employeur, mais cela ne donne pas une immunité contre les règles internes. Nousavons licencié ces salariées pour violation répétées des règles internes. » Il y a un côté Otto von Bismarck chez Bezos, adoptant in fine des mesures progressistes pour mieux combattre les catholiques et les socialistes.
Les salariées licenciées estiment qu’ellessont à l’origine du mouvement de M. Bezos sur le climat. « La situation s’est améliorée carles gens ont mis la pression sur Amazon », assure Mme Cunningham. Et elles veulent poursuivre leur combat, estimant que la crise Covid19 est une répétition de la manière dontseront traités les plus faibles lors du réchauffement. Avec sa collègue d’infortune Maren Costa, Emily Cunningham a coorganisé cevendredi une grève de protestation sur Internet. La participation (quelques centaines) semble dérisoire pour une entreprise de 600 000 salariés, si on la compare aux 48 000 salariés de General Motors qui firent grève pendant quarante jours dans cinquante usines à l’automne 2019. « C’est la plusgrande révolte de travailleurs contre Amazon dans l’histoire américaine », rétorque Stacy Mitchell, militante du Maine, qui combat depuis des années ce qu’elle estime être un abus de position dominante d’Amazon.
La lutte pour le climat est pour l’instantmise en sourdine, tout comme les accusations d’abus de monopole. Bezos a endossé le beau rôle pour lutter contre les prix exorbitants. « Nous avons retiré 500 000 références de produits pour prix abusifs en raison du Covid19 et suspendu plus de 6 000 comptes de vendeurs pour avoir violé notre politiquede prix équitable », écrit Bezos à ses actionnaires. Pour Stacy Mitchell, qui entend continuer son combat antitrust, « la crise a rendu Amazon plus fort, mais c’est aussi plus visible. C’est une sorte de service public du commerce, qui joue un rôle d’infrastructure essentielle, mais elle n’a pas de supervision.Personne ne conteste le commerce électronique mais il faut une régulation pour être certain que la concurrence est équitable », accusetelle, tout en reconnaissant. « Cela n’arrivera pas demain. »
Bezos, lui, continue de préparer l’avenir deson entreprise. Il avait profité de la récession pour implanter ses centres de tri dans tout lepays alors éprouvé par la grande crise financière de 2008. Il s’annonce comme un des gagnants incontestés de 2020, alors qu’il a investi, en 2019, 36 milliards de dollars en recherche et développement, plus de la moitié de la recherche faite en France. Dans sa lettreaux actionnaires, M. Bezos cite Dr. Seuss,nom de plume de Theodor Seuss Geisel, auteur pour enfants : « Quand quelque chose de mauvais survient, vous avez trois choix : vous pouvez le laisser vous définir, le laisser vous détruire ou le laisser vous renforcer. » Etd’ajouter : « Je suis très optimiste sur laquelle de ces civilisations nous allons choisir. »
arnaud leparmentier
« LA DIRECTION JOUE L’OPINION CONTRE
LA FORCE DU DROIT. CE N’EST PLUS UN
PROBLÈME ÉCONOMIQUE, C’EST UN PROBLÈME
PSYCHOLOGIQUE »LAURENT DEGOUSÉE
fédération SUD-Commerce
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12 | coronavirus DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 20200123
Presstalis :« Il est temps que l’Etat montre la voie »Cédric Dugardin, président du distributeur de presse, veut éviter un long redressement judiciaire
ENTRETIEN
L undi 20 avril, Cédric Dugardin, président dePresstalis, a déposé unedéclaration de cessation
de paiement de l’entreprise, prélude à un redressement judiciaire,et signe de la gravité de la situation du premier distributeur de lapresse française. Pour sortir de lacrise, les éditeurs de presse doivent s’entendre sur un plan de continuation de l’activité. Mais alors que la situation ne cesse dese dégrader sous l’effet du confinement, presse magazine et presse quotidienne continuent de se déchirer.
Vous avez déclaré Presstalis en cessation de paiement. Que vatil se passer maintenant ?
Cette déclaration est un acte juridique. Il faut maintenant une audience au tribunal, qui peut décider d’un redressement judiciaire, ou dans le pire des cas, d’une liquidation. Cette audience devait avoir lieu ce vendredi 24 avril, elle se tiendra finalementle 12 mai.
J’ai demandé son report car jeconsidère qu’il y a eu des avancées significatives avec l’Etat etles partenaires sociaux. Ce délaidoit nous permettre d’arriver devant le tribunal avec un plan abouti et d’éviter à Presstalis derester longtemps en redressement judiciaire.
Quelle est la situation de Presstalis ?
Quatre cents marchands dejournaux ont rouvert depuis le début du confinement. Il en reste donc 2 800 fermés, soit 16 % du chiffre d’affaires de Presstalis,contre 20 % au départ.
Deux plans de poursuite de l’activité sont sur la table. Que proposentils ?
Le plan proposé par les magazines prévoit de faire des Messageries lyonnaises de presse [MLP], concurrent de Presstalis, une messagerie unique. Presstalis deviendrait un centre de prestations de services, assurant certaines fonctions supports (informatique, réglage des « fournis »…). En face, le plan que nous proposons est un plan intermédiaire, qui intègre MLP dans le système, et prévoit undébut de mutualisation des outils.Cela permet d’ouvrir la voie à une messagerie unique à terme. Dans tous les cas, la restructuration va coûter aux alentours de 150 millions d’euros. Le plan des magazines prévoit la reprise de 300 personnes sur 910. Celui de Presstalis,360. C’est une réduction significative des effectifs.
Quelle est la réaction des syndicats face à cette perspective ?
Il n’y a pas eu de grève, les équipes poursuivent leur mission, et elles n’ont pas l’intention de l’interrompre. Les organisations syndicales continuent de discuter.Pour elles, le plan de Presstalis est un point de départ. En revanche, elles ont présenté un refus trèsclair au plan des magazines, quitransforme Presstalis en soustraitant. Depuis le membre du comité de direction jusqu’au responsable syndical, tous souhaitent préserver leur messagerie carc’est la garantie d’avoir les clés de leur avenir. Dans un mariage, ilfaut être deux. Et les forcer à une alliance avec les MLP dont ils ne veulent pas serait suicidaire. D’ailleurs, MLP ne propose pasd’investir dans la nouvelle structure, mais simplement d’appor
le même temps, ils réduisent drastiquement les « fournis » [lenombre d’exemplaires envoyésdans les points de vente] : deux desplus gros éditeurs de magazines, Prisma et CMI France [dont le propriétaire, Daniel Kretinsky, est actionnaire indirect du Monde], ontrespectivement baissé de 44 % et 45 % le nombre d’exemplaires enkiosque. En avril, tous éditeurs confondus, cela devrait représenter 36 millions d’euros de fournis,soit un manque à gagner de 28 %du chiffre d’affaires 2019. Pourquoi ? Certains souhaitent réduire leur exposition à Presstalis afin de pouvoir en partir plus facilement. N’oublions pas que s’il y aune presse magazine aussi déve
loppée en France, c’est qu’elle a profité du système de distribution en étant distribuée pendant longtemps à coût marginal. Il y a ceux qui veulent tout prendre aubénéfice d’un seul.
La Coopérative de distribution des magazines assure que Presstalis ne paye plus les éditeurs, et lui reproche d’avoir une créance à leur égard de 120 millions d’euros…
Il y a bien une créance éditeurs,qui est de 120 millions d’euros. Mais c’est une créance client normale, qui est roulante, et qui correspond au montant qu’on leurdoit au regard de leurs ventes. Cedélai de paiement est passé de 45
à 60 jours l’an passé. En revanche,les petits éditeurs, qui sont les plus fragiles, sont payés en priorité. Il n’y a pas de retard sur cequ’on leur doit. Il y a des retards uniquement sur les gros éditeurs,de la presse quotidienne et magazine, mais nous arrivons à payer.
Qu’attendezvous de l’Etat ?L’Etat, qui est le garant de la plu
ralité de la presse, a un rôleclé. Il nous aide à faire face à noséchéances depuis deux semaines,en compensant la baisse du chiffre d’affaires. Il a accepté de nousaider à payer les diffuseurs de presse, auxquels nous devions16 millions d’euros. L’argent est actuellement en transit. Ces derniers toucheront leur chèque les29 et 30 avril. En parallèle, la conciliatrice du tribunal, HélèneBourbouloux, a demandé aux éditeurs s’ils étaient prêts à accepter un plan, en échange d’une aidede l’Etat.
Ainsi, les pouvoirs publics pourraient prendre en charge 83 % du montant des créances éditeurs : cette somme serait pour 50 % dela subvention, pour 50 % des prêtsbonifiés, remboursables en six ans. En échange, les éditeurs s’engageraient à investir 70 % des sommes perçues dans la restructuration et la relance de l’entreprise. A une ou deux exceptionsprès, tous sont d’accord. Reste à choisir le plan.
L’Etat a simplement dit que leplan devait être acceptable socialement. Or, celui qui paie commande, et il est temps que l’Etat montre la voie et qu’il dise quelplan il est prêt à financer.
Les éditeurs de magazines disent que votre plan est provisoire, tandis que celui des MLP est pérenne…
Qui peut prévoir ce qu’il se passera dans deux ans dans un marché qui baisse de 15 % à 20 % par an ? Je considère qu’avec un plan àtrois ans, ça donne le temps d’envisager une messagerie unique.
propos recueillis parsandrine cassini
Cédric Dugardin, le 13 juillet 2019, à Paris. LEWIS JOLY/JDD/SIPA/LEWIS JOLY/JDD/SIPA
Les coiffeurs reprendront leurs ciseaux le 11 maiFranck Provost estime à 100 millions d’euros le coût de la fermeture de ses salons durant deux mois
J − 15. Partout en France, lescoiffeurs comptent les joursavant de retrouver leursclients. Franck Provost, prési
dent du Conseil national des entreprises de coiffure, a envoyé « la fiche de travail » pour la reprise d’activité du secteur au ministère du travail, jeudi 23 avril, pour validation, quelques heures après avoir obtenu l’aval des partenairessociaux. Les salons devraient ouvrir leurs portes à partir du lundi 11 mai, près de deux mois après leur fermeture dans le cadre des mesures de confinement adoptées en France pour lutter contre la propagation du Covid19.
Etabli avec l’Union nationaledes entreprises de coiffure, autre organisation patronale, et la mutuelle du secteur, Aésio, le plan de réouverture impose des « règles strictes pour protéger le personnel et la clientèle », explique celui quia fondé Provalliance et exploite3 500 salons sous différentes enseignes. A partir du 11 mai, un coiffeur en activité devra être équipé de masque et de lunettes ou d’une
visière en plastique transparent qui couvre son visage ; le barbier, qui, lors d’une coupe, est très exposé au souffle de son client et donc aux postillons, devra porter un masque et une visière. Chaque coiffeur devra asseoir son client à plus d’un mètre d’un autre. Même règle lors du shampooing.
Nouvelles pratiques capillairesLe client devra être équipé d’un masque, dès son entrée dans le salon et tout au long de la prestation.« Il devra porter un modèle à élastiques qu’on enfile sur les oreilles, sinon le coiffeur ne peut pas travailler sa chevelure », précise M. Provost. Le salon pourrait le lui fournir. Mais il serait « préférable » que le client soit équipé de son propre masque. Il devra aussi se laver les mains ou se les désinfecter à l’aide d’un gel hydroalcoolique.
Pour des raisons d’hygiène, le salon lui fournira un peignoir lavé à 30 degrés et séché au sèchelinge ou une blouse à usage unique qui sera jeté après la prestation. Les gérants n’auront pas l’obligation de
mettre en place un filtrage, pour soumettre à un quota le nombre de clients présents dans le salon, contrairement à ce qui s’est imposé dans les grandes surfaces alimentaires. « C’est trop compliqué »,juge M. Provost, en évoquant la surface de ses établissements qui peut varier d’une dizaine de mètres carrés à plusieurs centaines. Ces nouvelles méthodes d’accueil et de travail en salon devraient avoir une incidence sur le coût d’exploitation. « De 2 à 3 euros par client », estime M. Provost, qui, pour l’heure, dit ne « rien avoir décidé » sur une éventuelle augmentation de ses tarifs.
Dans ces conditions, les clientsreviendrontils ? « C’est l’inconnu »,reconnaît le patron. Mais, à l’en croire, il y a urgence à autoriser l’ouverture des salons en France. Déjà, le travail au noir, qui lamine ce secteur, a repris. Plusieurs professionnels exercent leur activité de manière clandestine. A Montpellier, miavril, la police a verbalisé un coiffeur qui, rideau tiré, recevait sa clientèle dans son établis
sement du centreville. L’urgenceest surtout financière. Car la fermeture des établissements a mis « leur trésorerie à plat », ditil. La France en compte plus de 63 000. « Les plus petits auront du mal à se relever » de l’absence de recettes depuis le 17 mars, juge M. Provost, en estimant que rares sont les entrepreneurs de la coiffure à obtenir des prêts garantis par l’Etat. Pour soutenir ses franchisés, Provalliance a décidé d’annuler pour deux mois les royalties dues par ces derniers.
L’Oréal, dont les ventes de produits capillaires aux professionnels ont chuté de 10,5 % au premier trimestre, a aussi annoncé des mesures d’aides aux salons en gelant les créances de 11 000 d’entre eux dans l’Hexagone. « Nos charges continuent de courir. Notamment les loyers qui, pour la période de ces deux mois, s’élèvent à 9 millions d’euros. Nous n’en avons pas obtenu l’annulation dans les centres commerciaux », ajoute M. Provost, en chiffrant le manqueà gagner dû à la crise du coronavi
ter son « savoirfaire ». L’entreprise veut prendre le meilleur et laisser le reste.
Les magazines ne font plus confiance à Presstalis, auquel ils reprochent d’être responsable de cette faillite. Que leur répondezvous ?
Il y a beaucoup de posture de lapart des grands groupes de magazines. Aujourd’hui, certains souhaitent la disparition de Presstalis, afin de ne pas assumer le passif social, qu’ils ont contribué àcréer. Je les soupçonne de jouer la montre, et de pousser à la liquidation. Plus on attend, plus la situation se dégrade. Ils font mine desoutenir les kiosquiers, mais dans
rus « à 100 millions d’euros » pour le groupe dont l’activité s’est établie à 1,5 milliard d’euros en 2019.
Reste aussi à savoir si le personnel des salons est prêt à cette reprise et ces conditions de travail. M. Provost le croit. « Les coiffeurs en ont ras le bol de ne pas travailler », juretil. Et, sans doute, doiventils réagir aux nouvelles pratiques capillaires adoptées depuis le début du confinement : les Français sont de plus en plus nombreux à se tondre les cheveux ou à les teindre seuls, à l’aide de produits achetés en grandes et moyennes surfaces. Les ventes de teintures « font un carton, avec unehausse de 33 % », note Emily Mayer,responsable d’études chez IRI.
A force, ce comportement pourrait devenir une habitude et assécher l’activité des salons. Une enquête d’opinion menée par l’institut de sondage Harris devrait cependant leur donner du cœur à l’ouvrage : 59 % des Français disentvouloir se rendre chez le coiffeurdans la semaine du 11 mai.
juliette garnier
« Du membre du comité
de direction au responsablesyndical, tous
veulent préserverleur messagerie.C’est la garantied’avoir les clés de leur avenir »
TEXTILERéouverture des commerces de tissuLes commerces de tissu sont autorisés à rouvrir dès ce vendredi pour « permettre à chaque Français qui le souhaite de se procurer les matières premières nécessaires » pour des masques, en prévision du déconfinement prévu le 11 mai, a annoncé le gouvernement vendredi 24 avril. – (AFP.)
PRESSE« Paris-Normandie » : dépôt des offres de rachat jusqu’au 12 maiLes candidats à la reprise de ParisNormandie (240 salariés) ont jusqu’au 22 mai midi pour déposer leurs offres de rachat du quotidien placé en liquidation judiciaire avec prolongation d’activité, selon une annonce parue vendredi 24 avril dans Les Echos.
FINANCES&P maintient la note de la dette italienneL’agence de notation S&P a maintenu vendredi 24 avril la notation financière de l’Italie pourtant durement affectée par le Covid19, mettant en avant une « économie diversifiée et riche ». – (AFP.)
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Le nouveau nom d’Eco-Emballages et Ecofolio
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14 | coronavirus DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 20200123
Les deux pays vont débloquer jusqu’à 11 milliards d’euros pour aider la compagnie aérienne
L’ Etat avait promis une aidemassive pour Air France, ila tenu parole. Le ministre
de l’économie, Bruno Le Maire, a annoncé, vendredi 24 avril, sur TF1,le déblocage de 7 milliards d’euros pour Air France. Un « plan historique » pour « sauver notre compagnie nationale », comme l’a qualifiée M. Le Maire. Moins généreux, les PaysBas devraient attribuer dans les prochaines semaines entre 2 milliards et 4 milliards d’euros à KLM pour la mettre, elle aussi, à l’abri de la faillite. Pourtant, la France et les PaysBas détiennent chacun 14 % du capital dela compagnie franconéerlandaise. Pour devenir effectif, l’appuifinancier de la France et des PaysBas devra d’abord recevoir le feu vert des autorités européennes de la concurrence. En revanche, la France comme les PaysBas semblent avoir, pour l’instant, abandonné l’idée d’une nationalisation, même temporaire, d’Air FranceKLM, ainsi que celle d’une montée au capital de la compagnie.
Comme prévu, Air France percevra cette aide exceptionnelle sous deux formes : 4 milliards de prêts garantis à 90 % par l’Etat et 3 milliards supplémentaires de prêts directs. L’entrée en jeu de l’Etat est une victoire personnelle pour Ben Smith, le directeur général d’Air FranceKLM. Ces dernières semaines, il avait constitué un com
mando soudé autour de lui pour négocier non seulement une aide financière pour éviter la faillite, mais aussi un investissement de l’Etat pour aider Air France à participer activement à la phase de consolidation qui interviendra à l’issue de la pandémie.
Stratégie offensiveEn interne, il se dit que M. Smith ades vues sur des compagnies à bascoûts pour renforcer Air FranceKLM. Avec l’appui financier de l’Etat, la compagnie franconéerlandaise pourrait faire son entrée,à terme, au capital d’easyJet ou de Norwegian, une compagnie low cost longcourrier en très grandes difficultés financières. Cette stratégie offensive semble indispensable pour Air FranceKLM. M. Smith estime, en effet, que « lesdeux grands groupes low cost [easyJet et Ryanair] pourraient recommencer leur activité plus vite
et plus fort qu’Air France ». Car, au sortir de la pandémie, c’est le secteur du moyencourrier qui redémarrera le premier et le plus fort. Un atout pour les compagnies àbas coûts, mais un problème pourAir France pour laquelle le longcourrier constitue plus de 50 % deson activité. En prenant pied dansune compagnie low cost, la compagnie franconéerlandaise regagnerait d’un côté le moyencourrier, ce qu’elle perd de l’autre, le longcourrier.
Toutefois, le ministre de l’économie a prévenu : ce soutien financier massif « n’est pas un chèque enblanc ». Avant de mettre la main à la poche, M. Le Maire a assuré que l’Etat a « fixé des conditions à Air France. Des conditions de rentabilité car c’est l’argent des Français, donc il faut qu’Air France fasse un effort pour être plus rentable, et desconditions écologiques. Air France doit devenir la compagnie aérienne la plus respectueuse de l’environnement de la planète. C’est la condition à laquelle je suis le plusattaché ». La direction d’Air Francea bien compris le message. Auditionnée, jeudi 23 avril, par le Sénat,elle s’est engagée à rembourser, au moins en partie, l’aide financière de l’Etat.
Surtout, Ben Smith va devoirtailler dans le vif des foyers de pertes du groupe. Comme sa concurrente allemande Lufthansa, Air
FranceKLM ressortira de la crise plus petite après qu’avant. L’objectif de la direction est de transférer l’activité court et moyencourrier déficitaire d’Air France à sa filiale àbas coûts Transavia, installée à Orly. En 2019, Air France Hop et le courtcourrier ont accumulé200 millions d’euros de pertesd’exploitation. Pour effectuer ce transfert d’activité, la direction d’Air France doit auparavant obtenir l’aval des pilotes de la compagnie. En effet, en vertu des accordsdits « de périmètre », Transavia n’est pour l’instant pas autorisée àeffectuer des vols domestiques. Lesilence des organisations syndicales et, notamment, du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) semble indiquer que M. Smith s’est déjà assuré du soutien des pilotes.
Enfin, la volonté affichée deM. Smith de refaire d’Air FranceKLM un leader mondial aura aussiun coût social. « Mais les salariés doivent être assurés que nous ferons en sorte de minimiser cet impact », a promis M. Smith devant les sénateurs. Selon nos informations, l’Etat aurait fixé commecondition à son aide financière qu’il n’y ait pas de licenciements. En revanche, la direction devraitmettre en place de nouveauxplans de départs volontaires pour réduire ses effectifs.
guy dutheil
Sur l’île de Ré, les agriculteurs retiennent leur souffle. La récolte des pommes de terre primeurs vient de débuter. Emballées dans leurs cagettes, estampillées du précieux label AOP, elles sont prêtes à être commercialisées. Les plus belles « truffes » sont vendues 3 euros le kilo par la coopérative Uniré. Comme la bonnotte de Noirmoutier, la grenaille de l’île de Ré tient le haut du panier. Et sonne le début d’une nouvelle saison pour la pomme de terre. Mais, cette année, avec le confinement, les Français aurontils envie de succomber ?
Si le tubercule a trouvé sa placedans le panier panique des consommateurs aux côtés des pâtes et du riz glanés dans les rayons de supermarché, il a vu les portes des cantines, restaurants et autres fastfoods se fermer le 15 mars. La pomme de terre n’a plus la frite. Les industriels tranformant pour McDonald’s, KFC ou Burger King ont donc mis le pied sur le frein et rechignent désormais à accepter les livraisons des producteurs sous contrat. Même s’ils acceptent parfois de dédommager l’agriculteur.
Résultat, des pommes de terreviennent engorger le marché. « L’industrie en consomme en moyenne de 5 000 à 6 000 tonnes
par jour », estime Antoine Peenaert, producteur dans le PasdeCalais, qui chiffre le tropplein à 200 000 voire 300 000 tonnes. Et toutes les variétés ne se valent pas. La petite frite blanche demandée par McDonald’s ne franchira jamais les portes d’une friterie des HautsdeFrance, où les amateurs l’exigent d’un jaune doré… Dans ce jeu de chambouletout, l’excédent de tubercules vient déséquilibrer les exportations. Or, la France vend hors de ses frontières les deux tiers de sa production estimée à 6,1 millions de tonnes. « Sauf pour les très belles variétés, les prix ont été divisés par deux », affirme M. Peenaert.
Les agriculteurs français, mais aussi belges et néerlandais, logés à la même enseigne, ont interpellé Bruxelles. La Commission européenne, qui s’est déclarée, mercredi 22 avril, favorable à des mesures d’aide au stockage privé des produits laitiers et de la viande, des filières confrontées également à des surplus, a donné son accord pour des retraits de produits sur le marché de la pomme de terre. Quitte à déroger aux règles de la concurrence. Reste à savoir comment ces mesures de soutien agricole seront financées. La patate chaude du confinement…
Les prêts garantis par l’Etat font aussi des déçusMême si plus de 250 000 sociétés ont été aidées, les TPE et les startup voient souvent leur dossier rejeté
M ichelle Dominguez,propriétaire de quatre boutiques deprêtàporter en
RhôneAlpes, à Lyon, Oullins et Voiron, ne comprend pas. La demande de prêt garanti par l’Etat (PGE) qu’elle a faite auprès de sabanque a été rejetée. « On a eu lesgilets jaunes, les grèves des transports qui ont provoqué un gros manque à gagner sur décembre et janvier, et maintenant on a le Covid. J’ai huit salariés à temps complet et une à mitemps, tous nos stocks de printemps qui sont dans les boutiques et qu’il va falloir brader pour faire de la trésorerie. Je nevois pas comment on peut s’en sortir », dit la commerçante.
De nombreux chefs d’entrepriseont connu ce type de déconvenueces dernières semaines. Olivier Roubin, créateur d’une startupsur la Côte d’Azur, en fait partie. « La banque nous a répondu que nous n’avions pas assez de fonds
propres. Le problème, pour une société comme la nôtre qui a moins de trois ans d’existence, c’est que nous n’entrons pas dans les cases. » Ironie du sort, la jeune pousse en question, Le Panier Bleu, une marketplace qui rassemble des producteurs locaux, connaît une activité exponentielle depuis le début du confinement – et a fini par obtenir un crédit classique de sa banque.
Selon le président de la Fédération bancaire française (FBF), Frédéric Oudéa, les sociétés dont lademande a été refusée restent très minoritaires. Pour les entreprises éligibles au dispositif, letaux de refus est inférieur à 5 %, « voire plutôt entre 2 % et 3 % ». « Sur plusieurs centaines de milliers de demandes, ça fait quandmême du monde », reconnaît un banquier sous le couvert de l’anonymat. De fait, à la date du mercredi 22 avril au soir, 251 000 entreprises ont obtenu un PGE pour
un encours global de près de 40 milliards d’euros, soit un montant moyen de 140 000 euros, adéclaré le directeur général deBpifrance, Nicolas Dufourcq. Les TPE (très petites entreprises) sont les principales bénéficiaires à côtéde grands noms comme AirFrance.
« Prouesse industrielle »L’annonce du dispositif de PGE, qui pourra atteindre au total un encours de 300 milliards d’euros, aen effet remporté un succès immédiat lors de son annonce le 16 mars par Emmanuel Macron. Les banques ont vu affluer les dossiers, les contraignant à réaliser une véritable « prouesse industrielle » : après avoir mis au point lemécanisme du prêt avec Bercy en un weekend, elles ont dû s’organiser pour former les conseillers clientèle et faire circuler l’information dans leurs réseaux – non sansdifficultés au départ, du fait du
contexte du confinement. Les personnels ont également été massivement mis à contribution. « 60 000 salariés sont mobilisés pour ces prêts, tout le monde donneun coup de main, indique Frédéric Guyonnet, le président national du syndicat SNBCFECGC. Pour gagner du temps, des employés normalement chargés de la maintenance ou de la formation sont réquisitionnés pour scanner et classer les documents. On a mis les moyens, et on le vit mal quand on entend que les banques ne jouent
pas le jeu. » D’autant que dans le secteur, selon le syndicat, le taux d’absentéisme en raison du coronavirus atteignait 28 % au 17 avril.
A lui seul, le groupe BPCE (Banque populaire Caisse d’épargne) a enregistré plus de 100 000 demandes, pour près de 19 milliards d’euros. « Pour les Caisses d’épargne, notre production de prêts garantis par l’Etat équivaut à notre production habituelle de crédits entreprises et professionnels d’une année, c’est énorme », affirme Christine Fabresse, la directrice généralebanque de proximité et assurance chez BPCE. Chez BNP Paribas, des « comités minute » se réunissent quotidiennement dans les territoires pour traiter tous les dossiers complexes. Sur plus de 30 000 demandes de crédit, pour un montant de 7,3 milliards d’euros, le tauxde refus s’élève à 1,3 %. « Les dossiers qui ont été refusés concernaient des entreprises à la situationtrès dégradée avant la crise, pour
lesquelles le besoin de trésorerie n’était pas le sujet », indique Marguerite Bérard, la directrice des réseaux France chez BNP Paribas. « Il y a un alignement d’intérêt entre nous et nos clients, nous avons tousintérêt à ce qu’ils passent cette période de crise. Mais la garantie de l’Etat c’est l’argent de nos impôts, et nous sommes comptables du bon usage des deniers publics. »
Frédéric Visnovsky, médiateurdu crédit à la Banque de France,qui traite les réclamations des chefs d’entreprise dont les dossiers ont été refusés – dont 90 %de TPE, comptant en moyenne 5 à6 salariés –, confirme cette approche. « Ce dispositif n’est pas fait pour surendetter les entreprises, plaidetil. Il faut qu’elles soient capables de dégager de la rentabilité à l’avenir. » A l’issue de la médiation, environ les deux tiers des demandeurs obtiennent satisfaction. Les autres pourront désormais accéder à un dispositif qui fait l’objet d’un décret publié samedi 25 avril, sous forme d’octroi de fonds participatifs. « Il y a un certain nombre d’entreprises qui ont davantage besoin d’être aidéesen termes de fonds propres qu’avecun crédit », fait valoir Frédéric Visnovsky. Par ailleurs, plusieurs régions étudient la possibilité de proposer des « prêts rebond »,d’un montant de 10 000 à 50 000 euros, dispositif qui pourrait être lancé dans la semaine du 27 avril.
Pour le Syndicat des indépendants, il y a urgence. « Nous demandons depuis maintenantvingt mois au gouvernement des aides pour les petites entreprisesfragilisées hier par le climat social (« gilets jaunes », grève…) et aujourd’hui par la crise sanitaire, rappelle Marc Sanchez. A ce jour,et selon notre dernière enquête, 400 000 TPE sont sans solution. Pire, 77 % d’entre elles se déclarent être en impasse de trésorerie sous deux mois. »
béatrice madelineet véronique chocron
« Ce dispositif n’est pas fait
pour surendetterles entreprises »
FRÉDÉRIC VISNOVSKYmédiateur du crédit
à la Banque de France
c’est un filet de sécurité auquel les très petites entreprises (TPE) ont largement eu recours depuis le début du confinement. Le fonds de solidarité en faveur des entreprises, créé par l’Etat et les régions pour prévenir la cessation d’activité des microentrepreneurs, indépendants ou professions libérales, a déjà reçuplus d’un million de demandes et versé plus de 800 000 aides, pour un montant de 1 milliard d’euros.
Les très petites structures peuvent enbénéficier (jusqu’à 1 500 euros, auxquels peut s’ajouter une aide complémentaire de 5 000 euros) dès lors qu’elles sont touchées de plein fouet par les conséquenceséconomiques du Covid19, soit parce qu’elles font l’objet d’une interdiction d’accueil du public, soit parce qu’elles ontperdu plus de 50 % de leur chiffre d’affaires. Alors que la crise s’amplifiait, le fondsde solidarité est devenu plus généreux. Les critères d’attribution ont été élargis, d’abord à certains agriculteurs, aux artis
tesauteurs, et aux entreprises en redressement judiciaire et en procédure de sauvegarde. Pour l’hôtellerierestauration, le tourisme et le loisir, plus durablement touchés par la crise, l’accès au fonds a été étendu, vendredi 24 avril, à des entreprises de taille supérieure et la subvention doublée, à 10 000 euros au maximum.
« Appel solennel »Le budget du fonds de solidarité a donc été revu, passant de 1 milliard à quelque 7 milliards d’euros. Premier contributeur,l’Etat va apporter 6,25 milliards. Les régions participent également à hauteur de500 millions d’euros.
Le ministre de l’action et des comptespublics a appelé à la générosité des entreprises, mais sans beaucoup de succès. Seul le secteur des assurances a abondé lefonds de manière significative, à hauteur de 400 millions d’euros. « Mais il a fallu leur tordre le bras, note une source à Bercy. Après la polémique sur l’assurance
des pertes d’exploitation qui n’a servi à rienpour couvrir les entreprises dans cettecrise sanitaire, la pression a été forte pour que les assureurs contribuent à la solidarité nationale ». Le groupe de luxe Hermès a versé pour sa part la somme symbolique de 3 millions d’euros.
Mardi 21 avril, le sénateur (LR) JeanFrançois Husson a proposé de « faire unappel solennel (…) à l’ensemble des grands groupes (…) qui (…) sont en bonne santé »,estimant que « l’heure est suffisammentgrave et importante pour demander une contribution volontaire ». Dès le 16 avril, par un amendement au projet de loi de finances rectificative, des parlementaires avaient souhaité la participation de la grande distribution. Mais, pour les distributeurs, pas question d’abonder le fonds de solidarité national. Certes, ils font partie des rares commerces encore en activité qui génèrent du chiffre d’affaires, mais, selon eux, les bénéfices sont loin d’égaler ceux que la population imagine.
« L’évolution du chiffre d’affaires est relativement faible. On est, ces derniers jours, àpeine à + 5 % par rapport à l’an dernier », explique Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution. Les paniers sont plus volumineux, mais les gens viennent moins souvent et ne font plus de dépenses inutiles. De plus, argumentent les distributeurs, ils ont eu des dépenses « gigantesques », en matière d’« équipement de 200 000 carrés de Plexiglas devant les caisses, de recrutement d’agents de sécurité pour filtrer les flux de clients, ou d’intérimaires pour assurer la cadence des drives », mais aussi avec « la prime de 1 000 euros, qui représente entre 500 et 600 millions d’euros à sortir pour les enseignes », précise M. Creyssel. « La difficulté, c’est que tout le monde souffre de la crise actuelle, indiqueton à Bercy. Mais certains moins que d’autres. »
vé. ch.et cécile prudhomme
Les grands groupes ne se précipitent pas pour abonder le fonds de solidarité
L’entrée en jeude l’Etat estune victoire
personnelle pourBen Smith, le
directeur générald’Air France-KLM
MATIÈRES PREMIÈRESPAR LAURENCE GIRARD
« La pomme de terre n’a plus la frite »
Air FranceKLM : Français et Néerlandais contraints de mettre la main à la poche
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0123DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 2020 international & planète | 15
Le premier opposant malien porté disparu depuis un moisLa piste djihadiste est privilégiée depuis l’enlèvement de Soumaïla Cissé
D epuis un mois, le Maliest sans nouvelles deson principal opposant.
Soumaïla Cissé, arrivé en deuxième position lors des présidentielles de 2013 et 2018, a étéenlevé le 25 mars alors qu’il battait campagne pour le premier tour des législatives. Le rapt s’estproduit non loin de son fief électoral de Nianfunké, au centre duMali. « Je lui ai parlé quelquesminutes avant l’enlèvement. Iln’était pas inquiet. Il avait déjà traversé trois villages lorsqu’ils sont partis dans l’aprèsmidi pourKoumaïra », raconte Assa Cissé,l’épouse du président de l’Unionpour la République et la démocratie (URD), épuisée par « cettetrop longue attente ».
D’après plusieurs récits, leconvoi de deux véhicules et d’unepetite quinzaine de personnes esttombé dans une embuscade, à moins de 5 kilomètres de sa destination finale. Le véhicule qui transportait M. Cissé a été mitraillé sans sommation. Songarde du corps est mort des suitesde ses blessures, deux autres « jeunes » ont été blessés : « l’un d’une balle à la mâchoire qui lui a arraché huit dents, un autre a vu une balle lui glisser sous la peau duventre », relate un membre du parti. Tous les membres du cortège ont par la suite été libérés, hormis Soumaïla Cissé. Blessé à une main lors de l’attaque, l’homme politique aurait été aussitôt isolé par ses ravisseurs.
« Flou le plus complet »Très vite, les regards se sont tournés en direction des éléments de la katiba Macina. Les zones rurales de cette partie du pays, où le fleuve Niger se transforme en deltas, sont largement sous la coupe des djihadistes aux ordres du prédicateur Amadou Koufa.
Mais, à ce jour, aucun groupe n’arevendiqué le rapt, et ce silence inquiète, tant parmi les prochesde l’otage que chez certains habitués des médiations avec les islamistes armés maliens. « Nous ne savons pas qui l’a enlevé. Pourquoi ? Où se trouvetil ? Nous sommes dans le flou le plus complet.Nous avons appris dans les médiasqu’il aurait reçu de l’eau et des médicaments, mais nous n’avons aucune confirmation officielle », soupire Me Demba Traoré, l’undes membres de la cellule de crisemise en place par l’URD.
« L’absence de revendication esttroublante. Nous sommes en train d’étudier toutes les pistes possibles. Il a été enlevé dans la zone où la katiba Macina a une grande influence. Ils ont pu être infiltrés, mais cela reste leur zone de prédilection », ajoute l’imam Mahmoud Dicko, qui en plus de l’équipe montée par les autorités, a proposé ses contacts avec les figures djihadistes du pays pourobtenir la libération de M. Cissé.
Pour l’heure, les premières négociations nouées au niveau local ont échoué. Amadou Kolossi, le maire de Koumaïra, qui devaitaccueillir le président de sonparti à quatre jours du premier tour des législatives, a tenté de
faire valoir ses relais locaux pour obtenir la libération, mais, le 9 avril, lui aussi a été kidnappé. « Il avait dit à Cissé que Koufan’avait aucune objection à ce qu’ilvienne faire campagne, maisKoufa n’a jamais donné son autorisation et le lui a fait payer », avance, sous couvert d’anonymat, un notable de la région.
Cela « nous oblige à négocier »Le flou actuel engendre toutes les spéculations, et certains veulentvoir derrière l’enlèvement du premier opposant du pays « un mauvais coup » de certains organesdes services de renseignementmaliens, peu enthousiastes àl’idée de voir les autorités dialoguer avec les djihadistes locaux, comme le président Ibrahim Boubacar Keïta s’y est engagé en février. « Aucun motif d’enlèvement ne nous est parvenu mais, pour cesgens, tomber sur un responsable politique de premier ordre est une aubaine », coupe court une source proche de la médiation engagée par le pouvoir.
Selon cette source, qui estimeque des éléments décisifs pour lalibération de l’homme politiquepourraient intervenir sous peu, « il n’y a pas de raison de s’alarmer de l’absence de revendication, celleci étant à l’usage du public. Soumaïla Cissé n’est plus dans la zone où il a été enlevé par la katiba Macina. Il est fort possible qu’il soit désormais dans le Timétrine [dans le nordest du pays] entre les mainsdu Groupe de soutien à l’islam etaux musulmans [GSIM] », organisation ralliée à AlQaida, dirigée par Iyad AgGhali, dans laquelle lakatiba Macina a fusionné.
De manière plus large, ce rapt,ajouté à la mort de plus de 50 soldats maliens dans deux attaques revendiquées par le GSIM le 1er novembre 2019, repose la question de la volonté réelle d’Iyad AgGhali et de ses affidés de négocieravec Bamako. Directeur de campagne de Soumaïla Cissé lors de ladernière présidentielle, ministredes affaires étrangères depuis qu’il a rejoint les rangs du pouvoiret promoteur de longue date d’undialogue avec les djihadistes, Tiébilé Dramé juge que, « même si nous n’étions pas dans la disposition de négocier, cet enlèvement, odieux et condamnable, nous yoblige. Sinon, comment parviendrionsnous à le faire libérer ? »
Selon des sources bien informées, le pouvoir malien pourrait, à cet effet, une fois de plus, élargirdiscrètement des cadres djihadistes emprisonnés à Bamako.
cyril bensimon
Avec le changement climatique, les ouragans devraient être plus lents et plus destructeursLe réchauffement conduira les cyclones à stagner, occasionnant des pluies torrentielles
P rès de 90 morts, 125 milliards de dommages,200 000 maisons détrui
tes. C’est le bilan de l’ouragan Harvey, qui, en août 2017, a dévasté le Texas et la Louisiane. L’une des raisons pour lesquelles il a été sidestructeur est qu’il s’est déplacé de manière inhabituellement lente, et est resté sur la même zone pendant des jours. Avec le changement climatique, ce scénario pourrait devenir beaucoup plus fréquent, selon une étude publiée dans la revue Science Advances mercredi 22 avril.
Une équipe internationale dechercheurs de l’université de Princeton, dans le New Jersey (EtatsUnis), et de l’Institut de recherche météorologique de Tsukuba, au Japon, a cherché à en savoir plus sur le lien entre le changement climatique et ces ouragans « lents ». Ils ont ainsi sélectionné un modèle prévisionnel basé sur une augmentation de la température moyenne de 4 0C – un niveau de réchauffement qui, selon les experts, pourrait être atteint avant la fin du siècle si aucune mesure n’est prise pour limiter les émissions de gaz à effet de serre.
Au total, 90 simulations ont étéeffectuées sur ce modèle, variant les conditions atmosphériques et océaniques. « Nos simulations suggèrent que le réchauffement
anthropique pourrait entraîner un ralentissement significatif du mouvement des ouragans, en particulier dans certaines régions très peuplées des latitudes moyennes, comme le Japon ou la Côte est des EtatsUnis », explique Gan Zhang, chercheur en sciences atmosphériques et océaniques de l’université de Princeton et premier auteur de l’étude. Selon les résultats, le déplacement des ouragans pourrait se réduire d’environ 10 % à 20 % d’ici à la fin du siècle.
Pourquoi les tempêtes ralentiraientelles ? « Le déplacement des cyclones est lié à la circulation atmosphérique et le changement climatique diminue cette circulation, explique Matthieu Lengaigne, chercheur au Laboratoire d’océanographie et du climat du CNRS. Pour faire simple, on observe deux phénomènes. Dans les tropiques, la température augmente, ce qui a pour effet de stabiliser l’atmosphère. » Les courants seraient doncmoins nombreux et moins puissants. « Deuxième chose, on sait que l’Arctique se réchauffe beaucoup plus vite que le reste du globe. Donc le gradient de température entre cette région et les tropiques diminue, ce qui induit une diminution des courants de l’atmosphère. »
« Dans notre étude, lorsque nousparlons d’ouragans lents nous parlons de leur mouvement de transla
tion, précise Gan Zhang. Un ouragan lent peut très bien avoir des vitesses de vents très élevées à l’intérieur de la tempête. » Ainsi, l’ouragan Dorian, qui a frappé l’île de Grand Bahama, dans l’océan Atlantique, en 2019, était un ouragande catégorie 5 avec des rafales de vent atteignant près de 300 km/h, mais avait une vitesse de translation de seulement 2 km/h lorsqu’ila touché l’île. « Au moment de reprendre sa course vers les EtatsUnis il se déplaçait à 7 km/h, contre15 à 25 km/h pour la plupart des ouragans », poursuit le chercheur.
Un an de pluie en quelques joursLes conséquences de ce ralentissement des cyclones devraient être importantes. « Lorsque la vitesse des cyclones diminue de 15 %,leur puissance destructrice augmente de 15 %, explique Matthieu Lengaigne. Et plus les cyclonessont lents, plus ils déchargent de vents et de précipitations. » Lorsque des ouragans s’attardent autour d’un endroit spécifique,leur séjour prolongé multiplie les dégâts. L’ouragan Harvey a ainsi entraîné des précipitations supérieures à 1 000 millimètres, soit l’équivalent d’une année de pluie, en quelques jours, et a submergé l’infrastructure locale. « Une telle accumulation de précipitations est peu probable lorsqu’un oura
gan s’éloigne rapidement », précise Gan Zhang.
Selon le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, plusieurscorrélations entre le changement climatique et les ouragans sontdéjà établies. « Premièrement, lenombre de cyclones à forte intensité devrait croître de 15 % d’ici à la fin du siècle. Ensuite, les précipitations associées aux cyclones devraient elles aussi augmenter de15 % à 20 %, détaille M. Lengaigne. Nous savons que les cyclones se déplacent petit à petit vers les pôles. Des régions qui n’ont pas l’habitude de faire face à ces événementsclimatiques vont devoir désormaisprendre en compte ce risque. »
Le consensus est là : les ouragansvont causer de plus en plus de dégâts. « Il est donc important, non seulement de travailler à réduire lesémissions de gaz à effet de serre, alerte Gan Zhang, mais également de prendre des précautions dans le développement côtier et l’urbanisme. Par exemple, le développement de logements dans la zone inondable de Houston a été questionné après Harvey. Chaque région va devoir faire face à des défis uniques. C’est pour cela que nous devons évaluer les risques le plus précisément possible pour trouver des solutions adaptées. »
clémentine thiberge
Au Brésil, la démission de Sergio Moro fragilise le pouvoirLes accusations de l’ancien juge pourraient justifier un « impeachment »
rio de janeiro correspondant
U ne pandémie mondiale, doublée d’unecrise économique :tout cela n’était pas
suffisant pour Jair Bolsonaro. Depuis vendredi 24 avril, avec ladémission brutale du très populaire ministre de la justice, Sergio Moro, le Brésil est égalementplongé dans une grave crise politique, aux conséquences potentiellement explosives.
Tout a commencé jeudi. Dansl’aprèsmidi, le président annonce son intention de remplacer le directeur de la toutepuissante Police fédérale (PF), équivalent du FBI américain, subordonné au ministère de la justice. Problème : Mauricio Valeixo,chargé du poste, est un procheparmi les proches de SergioMoro. Tous deux issus du Parana (sud du pays), ils menèrent ensemble de front l’opération anticorruption « Lava Jato », l’uncomme magistrat et l’autrecomme chef de la police locale.
La nomination du directeur dela PF est une prérogative présidentielle. Qu’importe : SergioMoro est le ministre le plus populaire du gouvernement et il n’entend pas se la laisser dicter. A la surprise générale, il présente sadémission, mais sans parvenir àfaire plier Jair Bolsonaro, qui campe sur sa décision. Toute la nuit, députés et généraux tenteront de raccommoder les deux hommes, sans succès. Vendredimatin, le Journal officiel publie le renvoi de Mauricio Valeixo. A 11 heures pétantes, Sergio Moro annonce son départ.
Face à la presse, déterminé, ledésormais exministre de la justice et de la sécurité publiquelâche ses coups. Il accuse le président Bolsonaro d’attenter à
l’indépendance de la justice en souhaitant nommer à la tête dela PF « un proche qu’il pourrait appeler pour obtenir des informations » sur les enquêtes en courset en particulier sur celles visantsa famille. « Il était clair qu’il y aurait une ingérence politique dans la Police fédérale, qui remettrait en cause ma crédibilité personnelle », conclu l’ancien « super juge », soucieux de « protéger[s]a réputation ».
« Heureuse opportunité »La contreoffensive viendra en find’aprèsmidi, brutale. Sergio Moro « se préoccupe d’abord de luimême et de son ego, plutôt que du Brésil », lance un Jair Bolsonarooutré lors d’un discours de cinquante minutes entouré des membres de son gouvernement. Alternant rictus et gorge nouée,ce dernier a livré un discours pourle moins confus, évoquant tour à tour la situation politique du moment, mais aussi les aventuresamoureuses de son dernier fils,Jair Renan, ou l’état de la piscine du palais présidentiel. Balayant les accusations de son exministre, le président est longuement revenu sur leur relation, à lamanière d’un amoureux déçu. « Je lui ai toujours ouvert moncœur, mais je doute qu’il m’ait déjàouvert le sien », a fait mine de s’attrister le chef de l’Etat.
En vérité, les deux hommes ne sesont jamais appréciés. « Le remplacement du chef de la police est une heureuse opportunité pour Moro,qui voulait sortir du gouvernementdepuis longtemps », estime le politologue Mathias Alencastro. Depuis sa nomination, en janvier 2019, le ministre était exaspéré par l’imprévisible style présidentiel, mais aussi par le manque de soutien politique du chef de l’Etat dans ses projets de réforme. « En claquant la porte, Moro sort renforcé et se pose habilement en garant de l’indépendance de la justice », note le chercheur.
Lors de l’opération « Lava Jato »,le « petit juge » de Curitiba nes’était pourtant pas distingué par son respect de l’Etat de droit. « Tout l’inverse ! », accuse mêmeCarol Proner, professeure de droitet membre de l’Association brésilienne des juristes pour la démocratie. « Les conversations privéespubliées par le site d’information The Intercept en 2019 montrent justement un Sergio Moro juge partial, manipulant la presse et lajustice à des fins politiques afin de faire emprisonner l’ancien président Lula », insistetelle.
Alors que le coronavirus a faitofficiellement 3 670 morts au Brésil, le départ de Sergio Moro désorganise un peu plus la luttechaotique contre la pandémie.Surtout, il est un tremblement de terre dans le jeu politique brésilien et un coup dur porté au gouvernement d’extrême droite. Pour ses partisans, l’ancien juge de Curitiba est un véritable héros national, le symbole même de lalutte contre la corruption dans lepays. Il était de loin la plus belle« prise » de Jair Bolsonaro au pouvoir. « Moro fidélisait un électoratplus modéré, pour qui Bolsonaro est trop excessif », décrypte Mathias Alencastro.
Estce le début d’une hémorragie ? La semaine dernière avait déjà vu le départ du très médiatique ministre de la santé, Luiz Henrique Mandetta, renvoyé manu militari pour avoir été trop actif dans sa lutte contre le coronavirus. Le prochain sur la liste pourrait être rien de moins que le ministre de l’économie, Paulo Guedes, qui était parvenu, en 2018,à rallier autour de Jair Bolsonaro les élites économiques et financières du pays. Ultralibéral, celuici est aujourd’hui en conflit avec l’aile militaire du gouvernement, à la tradition plus « étatiste ».
Moro, témoin embarrassantPlus grave : les accusations portées par Sergio Moro pourraient potentiellement justifier l’ouverture d’une procédure de destitution (impeachment) contre Jair Bolsonaro, réclamée par l’opposition et que beaucoup considèrentdéjà comme inévitable. Dans cecontexte, l’ancien juge pourrait devenir un témoin embarrassant : Sergio Moro, décrit comme un « homme bombe » par la presse, disposerait d’enregistrements audio et d’échanges de messages compromettants sur les agissements présidentiels.
Vendredi soir, le nom du nouveau ministre de la justice n’étaitpas encore connu. Mais, d’ores et déjà, une chose est certaine : l’ambitieux Sergio Moro devrait sans aucun doute se porter candidat àla présidentielle de 2022, se posant en rival particulièrement dangereux pour Jair Bolsonaro.« Je vais me reposer un peu (…) et chercher un travail », a d’abord déclaré mollement l’ancien ministre face à la presse. Avant d’ajouter, soudain plus ferme : « Peu importe où je serai, je resterai à la disposition du pays. »
bruno meyerfeld
Sergio Moro disposerait d’éléments
compromettantssur les
agissements présidentiels
A ce jour,aucun groupen’a revendiqué
le rapt, et ce silence
inquiète
CANADALe tueur de Nouvelle-Ecosse avait d’abord agressé sa conjointeLa pire tuerie de l’histoire du Canada a débuté quand le tireur, Gabriel Wortman, un prothésiste dentaire de 51 ans, a agressé sa conjointe, ce qui pourrait avoir servi de « catalyseur » pour les 22 meurtres qui ont suivi, ont fait savoir
vendredi 24 avril les autorités canadiennes. Un responsable de la Gendarmerie royale a fourni une chronologie de la chasse à l’homme qui s’est enclenchée le 18 avril, en NouvelleEcosse, et qui a connu son dénouement treize heures plus tard quand le suspect a été tué. Sa conjointe avait réussi à s’échapper et à se cacher dans les bois. – (AFP.)
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16 | horizons DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 20200123
Dans la jungle des labos de WuhanLe coronavirus atil pu s’échapper accidentellement de l’un des centres de recherche de cette ville chinoise, d’où est partie l’épidémie ? « Le Monde » s’est plongé dans cet univers particulier, où la coopération francochinoise a montré ses limites
L orsque l’épidémie a débuté, àWuhan, Shi Zhengli a connu unmoment de pure angoisse. Unede ces peurs qui envahit l’esprit,vous obligeant à refaire en pensée chaque geste, à reprendre
chaque étude. Spécialiste des coronavirus àl’Institut de virologie de la ville, capitale de laprovince chinoise du Hubei, elle n’en a pasdormi pendant plusieurs jours, s’interrogeant sans cesse : « Et si le virus venait de nos laboratoires ? »
Qui, en ce mois de décembre 2019, aurait puimaginer l’inquiétude de cette femme de 55 ans, frêle mais déterminée, que les virologues du monde entier ont l’habitude de croiser dans les congrès internationaux ? La maladie paraissait encore cantonnée à quelques cas, rapportés par les hôpitaux de Wuhan, ville laide et tentaculaire où Shi Zhengli vit depuis qu’elle y a fait ses études et où elle travaille. Un genre de SRAS, avec fièvre, toux et infection des poumons. Une de ces sales infections que Shi Zhengli, hélas, ne connaîtque trop bien.
En France, où elle a passé quelques annéespour sa thèse – à l’université de Montpellier, en 2000 –, aucun des chercheurs avec lesquels elle collabore parfois n’a rien su de sesinquiétudes. « Sheu », comme disent les Français dans une imitation approximative de l’accent chinois, est estimée. Mais hormis le fait qu’elle parle un peu français et qu’un ministre de la recherche lui a un jour décerné lespalmes académiques, on ne connaît d’elleque ses recherches. « Quand la maladie estarrivée en France, nous avons bien reçu de noscollègues de Wuhan un email de soutien, rapporte un chercheur de Lyon, qui la connaît bien. Mais pas un échange, tant que l’épidémie a sévi essentiellement chez eux. »
En Chine, c’est autre chose. Les journaux lasurnomment « Batwoman » depuis qu’elle a étudié ces chauvessouris qui, dans les régionssubtropicales et méridionales du Guangdong,du Guangxi et du Yunnan, paraissent de véritables usines à virus. En 2005, c’est chez unechauvesouris que la virologue avait identifiédeux coronavirus proches du SARSCoV, l’agent infectieux à l’origine de l’épidémie de SRAS de 2003. Depuis, les coronavirus sont sa spécialité. Et c’est aussi pour cela que, dès l’hospitalisation des premiers malades à Wuhan, elle s’est tout de suite inquiétée.
« Et si le virus provenait de nos laboratoires ? » Shi Zhengli a repris ses études des dernières années, anxieuse à l’idée de retrouver dans ce nouveau tueur, apparu précisément à Wuhan, les séquences caractéristiques quiauraient pu signaler une « fuite » venue deson département, le Centre pour les maladiesinfectieuses de l’Institut de virologie. « Cela m’a vraiment fait perdre la tête et empêché de fermer l’œil », atelle confié à Jane Qiu, journaliste au mensuel Scientific American.
À LA CHASSE AUX CHAUVES-SOURISShi Zhengli navigue entre plusieurs univers. Les grottes sombres et humides des provinceséloignées, où il lui faut pénétrer en combinaison, masquée et bottée, munie d’un grandfilet pour attraper les chauvessouris sans risquer l’infection. Et les laboratoires attribués à son département sur le campus de l’Institut de virologie de Wuhan, près du lac de l’Est.
Ses recherches sur les coronavirus, élaborées, nécessitent un laboratoire de niveau de sécurité P3. Mais Shi Zhengli est aussi directrice adjointe, toujours à Wuhan, du nouveaulaboratoire P4, pour les pathogènes de classe 4, ces virus dont le taux de contamination et de mortalité est le plus élevé, comme Ebola, qui tue près de 90 % de ceux qu’il contamine.
Le « P4 », comme disent les chercheurs pourdésigner le National Biosafety Laboratory de Wuhan, est un drôle d’endroit, une sorte de blockhaus carré et gris, flanqué d’une tour et d’un immeuble de bureaux, adossé à ungrand massif boisé. Construit dans le cadre d’un accord de coopération francochinois,sur le modèle du laboratoire P4 JeanMérieuxde Lyon, ce laboratoire hautement stratégique pour la Chine a mis près de quinze ans à voir le jour. Il est devenu opérationnel au début de l’année 2019, après deux ans detests et d’ajustements.
Le site qui l’accueille est situé dans la lointaine banlieue, à une trentaine de kilomètres au sudouest de Wuhan, là où les parcs industriels mangent les anciens villages et les cultures. L’endroit a longtemps été isolé, maisun nouveau campus de brique rouge, sorti deterre il y a deux ans, lui est aujourd’hui accolé : il accueille chercheurs et étudiants.L’adresse et la localisation du P4 sont difficiles à trouver : le site officiel de l’Académie des sciences et Google Maps le situent tous deux, de manière erronée, sur le campus historiquede l’Institut de virologie, près du lac de l’Est.
Shi Zhengli, donc, s’inquiète. Et elle n’estpas la seule. Bien avant que le Washington Post ne publie, le 14 avril, un article affirmantque des diplomates américains avaient alerté, dès mars 2018, sur le manque de « techniciens et d’enquêteurs correctementformés pour faire fonctionner en toute sécurité ce laboratoire de haute sécurité », lessoupçons sur une éventuelle fuite ontd’abord circulé en Chine même.
LE WEB CHINOIS EN ÉBULLITIONDès la fin du mois de janvier, le laboratoire P4et « Batwoman » mettent la blogosphère chinoise en ébullition. Celleci se penche aussi sur le cas d’un autre laboratoire, appartenantau Centre de contrôle et de prévention des maladies infectieuses, situé, lui, à 280 mètresdu marché aux fruits de mer de Huanan, aucœur de Wuhan, devenu le premier foyer de contamination par le SARSCoV2.
Il n’est pas difficile de retrouver, sur YouTube, le reportage qu’une chaîne de télévision de Shanghaï avait consacré, le 11 décembre 2019, à un technicien de ce labo, Tian Junhua, dans lequel on le voit escalader l’entrée de grottes sombres et terrifiantes de la province du Hubei, vêtu d’une combinaisonblanche et muni d’un filet à chauvesouris. « Près de 2 000 types de virus ont été découverts par les chercheurs chinois ces douze dernières années, claironne le reportage. Le reste du monde n’en avait découvert que 284 en deux cents ans. La Chine est désormais en tête de la recherche fondamentale sur les virus. »
Quelques semaines plus tard, dans lecontexte de l’épidémie qui s’étend à Wuhan, ce petit film prend cependant une tout autre résonance sur les réseaux sociaux chinois.Soudain, le chercheur ne paraît pas si bien protégé, avec sa mince combinaison et ses gants en latex. « Le simple contact des excréments de chauvesouris sur ma peau nuepourrait m’infecter », reconnaîtil sans fard. Il a d’ailleurs dû, une fois, se mettre en « qua
torzaine » volontaire, expliquetil, après avoir reçu quelques gouttes d’urine d’un chiroptère. Un incident similaire auraitil eulieu dans ce laboratoire ?
Peurs, rumeurs… Le Web chinois imaginemille scénarios plus ou moins rationnels. Ons’interroge ainsi, malgré les démentis officiels, sur le sort d’une ancienne étudiante de l’Institut de virologie, Huang Yanling, dont une partie de la biographie aurait été effacée du site Internet de l’institut. Même le quotidien Global Times, farouchement patriotique, juge « légitimes », dans une longue enquête datée du 18 février, les interrogations sur d’éventuels coronavirus de synthèse possiblement mis au point par l’Institut de virologie de Wuhan, et demande si des expériences « ont été menées sur des primates ». Lorsque le célèbre commentateur Cui Yongyuan lance, dix jours plus tard, sur Weibo, le Twitter chinois, un sondage sur l’origine du virus,51 % des 10 000 personnes qui répondentsont persuadées qu’il s’agit d’un « virus artificiel échappé par négligence », 24 % estiment qu’il a été répandu par malveillance. Seules 12 % pensent qu’il est d’origine naturelle…
LE SCAPHANDRE ET LE CONGÉLATEUR« Batwoman » a donc rouvert tous ses dossiers. Elle ou son équipe ontils pu commettre une négligence ? Ils sont pourtant unedemidouzaine de membres de l’institut àavoir suivi, des années plus tôt, à Lyon, au cœur du Laboratoire JeanMérieux, géré par l’Inserm, la difficile formation aux procédures de sécurité des P4. Car la France n’a passeulement fourni à la Chine la technologiedu laboratoire de Wuhan, ainsi que des PME françaises très spécialisées – même si les Chinois ont imposé leur propre maître d’ouvrage au dernier moment. Elle a aussi dûapprendre aux Chinois à s’en servir et à respecter les très rigoureuses mesures de sécurité. Bref, à travailler dans un univers ultracodé. « Trois semaines de manipulations enscaphandre, détaille l’immunovirologue d’origine croate Branka Horvat, à répétermille fois les gestes et les procédures, puis encore plusieurs semaines de tests et de suivi avant d’avoir le droit d’accéder au congélateuroù sont entreposés les virus. » Installée depuistrente ans en France, où elle travaille pourl’Inserm en collaboration avec les chercheurschinois sur le virus Nipah, Mme Horvat a suivila formation avec Shi Zhengli.
Pareil apprentissage est éprouvant. Il fautparvenir à respirer en scaphandre, calculerchaque geste, savoir débrancher et rebrancher son arrivée d’air pour circuler dans le laboratoire. Préparer soigneusement chaque expérience avant de la démarrer afin d’éviter l’oubli qui compromettrait la manipulation. Claustrophobes et distraits s’abstenir. Même les gants, plus épais que ceux réservés aux labos de type P2 et P3, offrent une sensibilité moindre à laquelle il faut s’habituer. L’endroit est en outre protégé par de multiples sas qui ne s’ouvrent que si l’on est dûment badgé. Et il faut encore prendre une douchedécontaminante à la sortie… Les chercheurs chinois venus à Lyon se former ont franchi
toutes les étapes. « Shi ellemême est une femme intelligente, vive et rigoureuse, poursuit Branka Horvat. Elle a eu beaucoup de contacts avec des chercheurs du monde entier.Scientifiquement, elle est de très bon niveau. Elle est aujourd’hui la cible de plusieurs questions, mais je lui fais confiance. »
La blogosphère n’est pourtant pas la seule às’agiter en cette nouvelle année lunaire chinoise, qui commence le surlendemain du confinement de Wuhan. Au plus haut niveaudu régime, une décision majeure a été prise : le 31 janvier est arrivée dans cette ville lamajor générale Chen Wei, de l’unité des risques bactériologiques au sein de l’armée. La presse nationale lui consacre des articles enthousiastes, tous écrits sur le même modèle. Dépeinte comme « une déesse de la guerre », la major Chen Wei a investi le laboratoire P4 pour, officiellement, y mettre aupoint dès que possible un vaccin contre le Covid19. La direction du Parti ne s’y seraitpas prise autrement si elle avait voulu missionner pour mener l’enquête un émissaire investi de tous les pouvoirs… Les dirigeants du pays croientils, eux aussi, à une « fuite »dans un des laboratoires de Wuhan ?
C’est que ce genre d’accident existe bien plusqu’on ne le croit. Et pas seulement en Chine. En 2014, l’Institut Pasteur luimême avait« égaré » 2 349 échantillons de SRAS, jusquelà stockés dans un de ses laboratoires de niveau P3. L’affaire, d’abord gérée sans aucune publicité ni déclaration aux autorités, n’avait heureusement eu aucune conséquence grave. Leséchantillons ne contenaient qu’une partie du virus, et ce dernier, incomplet, était inoffensif.En 2015, ce sont trois échantillons de MERS, cecoronavirus du système respiratoire venu duMoyenOrient, qui étaient arrivés à l’InstitutPasteur, transportés clandestinement par une chercheuse, à bord d’un vol SéoulParis. Le virus, rangé dans une petite boîte de produit cosmétique, était ensuite resté sur l’étagère du bureau d’un chercheur de l’Institut sans aucune précaution sanitaire pendanttoute une semaine…
En 2014, c’est aux EtatsUnis qu’uneenquête avait révélé que des échantillons non inactivés d’anthrax avaient été envoyés par erreur aux quatre coins du pays. L’enquête avait également mis en évidence une contamination accidentelle d’un échantillon de grippe classique par un virus bien plusmortel, le H5N1, et la découverte d’échantillons contenant un virus de la variole bien vivant alors qu’on le croyait inactivé.
MATIÈRES À HAUT RISQUEA Wuhan, cependant, l’hypothèse d’une fuiteprend un tour plus politique à mesure que l’épidémie s’étend. Quatre jours après la parution du Washington Post du 14 avril, YuanZhiming, directeur du laboratoire P4 et « patron » de Shi Zhengli, est monté au créneau pour assurer : « Il est impossible que levirus vienne d’ici. Nous avons des règles trèsprécises et rigoureuses pour éviter les fuites et nous sommes sûrs de cela. » Microbiologisteformé en Chine, en France et au Danemark, délégué à la chambre consultative du Parlement chinois, M. Yuan défend la réputation de l’ensemble de la recherche chinoise. Il est conscient des bruits qui courent, à l’étranger et dans son pays, sur les laboratoires locaux,et aussi sur le nombre important d’étudiantsqui y passent – « parfois vingt étudiants pour un chercheur, quand, en France, ils sont à peine trois », note Branka Horvat. Mais M. Yuan écarte sans ciller l’hypothèse d’une contamination accidentelle de l’un d’entreeux. « Aucun de nos étudiants ni aucun de noschercheurs n’ont été infectés », assuretil.
« IL EST IMPOSSIBLE QUE LE VIRUS
VIENNE D’ICI. NOUS AVONS DES RÈGLES TRÈS PRÉCISES ET
RIGOUREUSES POUR ÉVITER LES FUITES »
YUAN ZHIMINGdirecteur du laboratoire
P4 de Wuhan
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0123DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 2020 horizons | 17
La virologue Shi Zhengli au National Biosafety Laboratory, le laboratoire de niveau P4 ,de Wuhan, en février 2017. JOHANNES EISELE / AFP
Les recherches sur les coronavirus sontpourtant nombreuses dans les laboratoires de l’Institut. Shi Zhengli mène ainsi avec ses équipes des expériences « gain de fonction »,c’estàdire consistant à remodeler les virus pour les rendre contagieux et ensuite identifier des faiblesses qui permettraient de testerdes traitements. Par ailleurs, quand Shi Zhengli publie, le 20 janvier, le génome du nouveau virus, elle démontre qu’il est le plusproche, à 96 %, d’un coronavirus de chauvesouris, le RaTG13, jusqu’alors inconnu. Et pour cause : l’institut l’a enregistré au même moment, ce qui interroge sur ce que recèleson congélateur.
« RÉUNIONS HOULEUSES »En février, dans le Global Times, Yang Zhanqiu, le directeur adjoint du département debiologie des agents pathogènes de l’université de Wuhan, a ouvert une autre piste. Les chercheurs chinois en général – c’estàdireen dehors des rares scientifiques formés aux procédures P4 – sont connus pour être peu regardants sur le traitement des litières etdes cadavres d’animaux. Normalement,ceuxci exigent des processus très strictsd’emballage, de transport et d’incinération.
Or, a reconnu Yang Zhanqiu, « certains chercheurs déversent du matériel de laboratoiredans l’égout après des expériences, sans mécanisme d’élimination biologique spécifique ». Ces déchets, atil poursuivi « peuvent contenir des virus, des bactéries ou des microbes d’origine humaine ayant un impact potentiellement mortel sur les êtres humains, les animaux ou les plantes ». Les nouvelles règles que le gouvernement chinois vient d’édicterpour renforcer la biosécurité des laboratoiressontelles l’indice qu’une fuite de cette nature a pu être découverte au sein de l’un deceux de Wuhan ?
Ce risque de pollution biologique a toujoursinquiété les observateurs de la recherche chinoise. Notamment parce qu’il s’est accru avecla course aux découvertes à laquelle se livrentles laboratoires de ce pays, dans tous les domaines. « En Chine, la recherche est avanttout un instrument au service de la puissancenationale. Elle est menée de manière excessivement peu transparente et avec peu ou pas de respect de l’éthique scientifique et médicale.Cela rend possibles toutes les dérives », estime le neurobiologiste français Alexis Génin, qui s’est intéressé à la Chine en tant que conseiller scientifique de Dafoh, une association contre le trafic d’organes dans le monde. Ce contexte très productiviste implique un rou
lement très élevé des jeunes chercheurs, etdonc des risques accrus de mauvaises manipulations et d’infection. Quant à savoir si unvirus « retravaillé » a pu s’échapper par erreurd’un des sites de recherche de Wuhan, seules une mission d’inspection et la revue descahiers de virologie des laboratoires pourraient l’éclaircir, ajoute le professeur Génin.
Les épidémies jouent souvent le rôle derévélateur. On cherchait l’origine possiblede celleci et voilà que l’on découvre d’autresunivers, vastes et obscurs comme des gouffres. Les doutes sur le laboratoire P4 ontainsi révélé les difficultés de la coopérationavec la Chine. Jusquelà, en France, seules quelques entreprises déçues, un petit groupe de diplomates du Quai d’Orsay etquelques hauts cadres du ministère de la défense s’insurgeaient contre le comportement à la fois ultranationaliste et fondamentalement opaque de ce pays. A la lumière de l’épidémie, on découvre soudain les coulisses de l’accord de coopération francochinois autour de la construction du laboratoire P4 que dirigent Yang Zhiming et Shi Zhengli. Et il paraît de plus en plus clairque, malgré la dernière visite, en mars 2019,d’une délégation de diplomates du consulatde France à Wuhan, dont la photo figure surle site Internet de l’Institut de virologie, laFrance a en réalité été très vite écartée dufonctionnement de ce « labo ».
En 2004, ce P4 avait été voulu conjointement par le président français, Jacques Chirac, et son homologue chinois, Hu Jintao, afin, d’après Chirac, de « donner corps et amplifier cette alliance de nos chercheurs et cette confiance nées au cœur de la terrible épidémie de SRAS ». A l’époque, bon nombre dediplomates français n’avaient pas caché leursréticences. « Le Quai d’Orsay avait la conviction que les Chinois cherchaient à développer, comme d’autres pays, un programme de recherche sur les armes biologiques, se souvientGérard Araud, directeur des affaires stratégiques au ministère des affaires étrangèresentre 2000 et 2003. Il était très difficile de s’assurer que le P4 n’y contribuerait pas d’une façon ou d’une autre. »
Craignant l’isolement, après l’opposition dela France à une intervention occidentale en Irak, en 2003, le ministre des affaires étrangères, Dominique de Villepin, cherchait cependant un rapprochement à la fois avec Moscouet avec Pékin. Et puis, fait valoir aujourd’hui Hervé Raoul, le directeur du P4 lyonnais, « la virologie draine toujours derrière elle la peurdes guerres bactériologiques. Mais la collabo
ration scientifique est justement un bonmoyen d’écarter l’utilisation d’un laboratoire ou d’une recherche à d’autres fins ». Bref, dansl’enthousiasme d’une coopération sinofrançaise, les préventions avaient été balayées.
La France atelle été trop optimiste sur sacapacité à jouer à parts égales avec la Chine ? Le 23 février 2017, il fait beau et frais lorsque lepremier ministre, Bernard Cazeneuve, préside, aux côtés du secrétaire du Parti communiste à Wuhan et du maire de la ville, la cérémonie d’accréditation officielle du fameuxlaboratoire. Il n’est plus question de soupçonner les Chinois. Mieux, la France paraîtmultiplier les projets avec eux. En cette belle journée d’hiver, Bernard Cazeneuve estd’ailleurs d’abord venu à Wuhan pour célébrer, se souvientil, « un autre programme de coopération, cette fois sur la ville durable, surlequel avait beaucoup travaillé MartineAubry ». D’après lui, le directeur de l’Inserm de l’époque, Yves Lévy, mari d’Agnès Buzyn, lafuture ministre de la santé, « a beaucoupinsisté » pour qu’il fasse d’une pierre deuxcoups et vienne aussi inaugurer pour la France le P4. C’est que la coopération francochinoise concernant la recherche sur les maladies infectieuses est prometteuse. Le gouvernement français a promis d’allouer 1 million d’euros par an à ce laboratoire. Lesdeux pays échangeront, promet la Chine, moyens, informations et résultats.
L’UNILATÉRALISME DE PÉKINCe n’est qu’à la fin de 2017 que JeanYves Le Drian, qui a quitté le ministère de la défense occupé sous François Hollande pour devenir ministre des affaires étrangères du nouveauprésident Emmanuel Macron, charge l’ambassade de France à Pékin de rédiger unenote faisant le point sur la réalité de cette coopération scientifique. En vérité, elle semble inexistante. « Il y avait des réunions houleuses à Paris, avec l’Inserm et le ministère de la recherche, se souvient une source alors impliquée. Rien n’avançait. »
En effet, si Shi Zhengli a bien été reçue dansle P4 de Lyon, comme d’autres chercheurs de son pays, la réciproque est loin d’être vraie.L’industriel Alain Mérieux, qui s’était impliqué « personnellement », ditil, dans la construction du bâtiment, s’est retiré « dès la remise du laboratoire aux autorités chinoises ». Après l’accréditation de ces installations, une phase de dixhuit mois de montée en puissance a été prévue, avec un fonctionnement « à blanc », sans virus. Pendant cette phase, un « M. Qualité » a été mandaté par le
Quai d’Orsay, René Courcol, médecin infectiologue, afin de s’assurer de la bonne mise en place des procédures nécessaires. A quellesinstallations atil vraiment eu accès ? Quellessont aujourd’hui ses recommandations et seséventuelles inquiétudes ? Ce dernier a refusé de répondre aux questions du Monde.
En vérité, la France ignore totalement ce quise passe derrière les murs de ce laboratoire qu’elle a pourtant contribué à construire. Le directeur du P4 de Lyon, Hervé Raoul, qui a accompagné une bonne partie de la coopération francochinoise à Wuhan, souligne poursa part : « Le laboratoire avait l’air plutôt bienconçu, mais, pour en être certain, il aurait fallule voir en mode opérationnel. Je l’ai visité plusieurs fois, mais je ne l’ai pas vu en fonctionnement. » Et M. Raoul de reconnaître : « Il n’y a pas de chercheurs français dans le P4 de Wuhan, et je n’ai aucune idée de la façon dont il fonctionne. » En somme, la relation bilatérale célébrée par Jacques Chirac en 2004 est devenue unilatérale… « C’est très typique de ceque deviennent tous les projets francochinois,assure un conseiller des entreprises françaises désireuses de se lancer en Chine. Il y a toujours un immense écart entre les échanges attendus et le résultat à l’arrivée. »
C’est cette opacité qui préoccupeaujourd’hui. Pas seulement parce qu’un incident aurait pu se produire dans ce labo francochinois. A vrai dire, aucune preuve factuelle ne permet de corroborer cette hypothèse. « Il est même bien plus improbable, assure une source française qui a suivi le dossier, qu’un incident soit lié au P4 qu’aux autreslaboratoires », c’estàdire ceux de l’Institut de virologie de Wuhan ou du Centre de contrôle et de prévention des maladies, oùopérait le chasseur de chauvesouris célébré dans le reportage télévisé. Si cette opacité inquiète, c’est aussi parce que cette coopérationaurait dû permettre d’éviter la catastrophesanitaire et économique qui touche actuellement une large partie de l’humanité.
En 2016, l’ambassadeur de France à Pékin,Maurice GourdaultMontagne, avait décoré, àWuhan, Yuan Zhiming et Shi Zhengli de l’Ordre national du mérite et de la Légion d’honneur pour leur ardeur à promouvoir la coopération dans le domaine de la prévention et de l’émergence des maladies infectieuses. Quand le virus a frappé, ni les recherches de Shi Zhengli ni la situation de la France commepartenaire privilégié des scientifiques chinoisne semblent avoir aidé Paris à comprendre l’épidémie, ni à s’y préparer.
raphaëlle bacqué et brice pedroletti
« IL N’Y A PAS DE CHERCHEURS FRANÇAIS DANS
LE P4 DE WUHAN, ET JE N’AI AUCUNE IDÉE DE LA FAÇON
DONT IL FONCTIONNE »
HERVÉ RAOULdirecteur du laboratoire
Jean-Mérieux, à Lyon
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18 | GÉOPOLITIQUE DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 20200123
christophe ayad et thomas wiederberlin, hanau (hesse) envoyés spéciaux,
L a jeune femme a jeté un froid dansla salle comme on jette un pavé decolère dans une mare de consensus. Jusqu’ici, l’hommage funèbreaux dix victimes de l’attentat deHanau, commis le 19 février par un
extrémiste de droite, se déroulait dans le calme et le recueillement. En ce 4 mars pluvieux et venteux, le maire de la commune, Claus Kaminsky, le ministreprésident du Land (Etatrégion) de Hesse, Volker Bouffier, etle président de la République fédérale d’Allemagne, FrankWalter Steinmeier, avaient pris la parole avec émotion au centre de conférences de la ville. Entre chaque officiel, un parent ou un proche d’une victime. La cérémonieétait retransmise sur des écrans géants dans cette villedortoir située à une vingtaine de kilomètres à l’est de Francfort. La chancelière Angela Merkel, présente au premier rang, n’avait pas dit un mot pour des raisons protocolaires. Elle avait dénoncé quelques joursauparavant le « poison du racisme ». Tous avaient répété que l’extrémisme ne vaincrait pas, que le pays appartient à tous, quelle que soit la couleur de peau ou la religion.
Saida Hashemi s’est exprimée en dernier.Son frère, Said Nesar, a été abattu comme les autres, à bout portant. Tout de noir vêtue, la voix monocorde, de sages lunettes posées surun visage rond, elle a asséné quelques vérités : « Mon cœur s’est brisé quand j’ai appris la mort de mon frère, cette nuitlà. Mais mon cœur se brise aussi chaque fois qu’on écorchemon nom, chaque fois qu’on me demande de quelle nationalité je suis, alors que je suis allemande. Mon cœur se brise chaque fois que je dois cacher mon nom pour obtenir un travail ou un logement. Mon cœur est brisé de savoirqu’un homme qui portait tant de haine en soiet la diffusait sur Internet pouvait vivre parmi nous, au milieu de cette ville, sans que personne s’en inquiète. » Ce fut le seul accrocd’une cérémonie conclue par l’allumage d’une bougie pour chacune des victimes.
UNE QUESTION MAJEUREAudelà du racisme ordinaire d’une société allemande réticente à regarder en face ses démons, Saida Hashemi a soulevé une questionmajeure : la menace posée par l’extrême droiteradicale estelle prise au sérieux dans ce pays ? Le passé récent ne plaide pas pour l’affirmative. Bilan des douze derniers mois : l’assassinat, le 2 juin 2019, du préfet de Cassel (Hesse), Walter Lübcke, proche d’Angela Merkel, dont il avait soutenu la politique d’accueil en faveur des réfugiés ; l’attentat de Halle (SaxeAnhalt), le 9 octobre 2019 (une passante tuée devant la synagogue et un homme mitraillé dans un restaurant turc) ; la double attaque à l’arme à feu contre deux bars à chicha de Hanau, le 19 février (dix morts, dont la mère de l’auteur, lequel s’est ensuite suicidé) ; sans compter unemultitude de crimes et délits de moindre envergure, meurtres racistes non élucidés, incendies de centres de demandeurs d’asile et de
commerces ou domiciles appartenant à des immigrés, tags sur des synagogues, des mosquées et dans des cimetières…
Sur les trois attentats majeurs des douze derniers mois, deux – ceux de Hanau et de Cassel – ont été commis dans la Hesse, un Land du centre, pas le plus riche du pays mais loin d’être le plus pauvre. La ville principale, Francfort, est au cœur de la finance européenne. Au nord, un tissu industriel ; au sud, des bourgs agricoles. La preuve qu’il ne faut pas s’en tenir au cliché selon lequel le radicalisme d’extrêmedroite serait un phénomène propre à l’exRDA,où l’économie est à la traîne et la démocratie encore jeune. « Qu’il y ait des différences entre l’Est et l’Ouest, sans doute. Mais cela ne doit pasfaire oublier que les radicaux d’extrême droite sont aussi beaucoup moins nombreux au nord qu’au sud de l’Allemagne, ou encore qu’ils viventpresque tous dans des petites villes ou à la campagne, observe Matthias Quent, directeur de l’Institut pour la démocratie et la société civilede la Fondation Amadeu Antonio à Iéna (Thuringe). En en faisant un problème spécifique à l’exRDA, on s’empêche de penser le phénomèneà l’échelle de l’Allemagne, ce qui est rassurant mais totalement trompeur. »
DEUX PLACES FORTES DE NÉONAZISY atil quelque chose de pourri dans la Hesse ?Cette question, que la plupart de nos interlocuteurs officiels balaient d’un revers de la main, était pourtant le thème d’un article dutrès sérieux quotidien conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung, le 1er mars. L’auteure, Livia Gerster, se demande si la multiplication des violences dans cette région n’est pas le fruit d’une longue tradition politique. Elle cite ainsi l’idéologue antisémite Otto Böckel, qui fit son entrée au Reichstag en 1887.
La scène d’extrême droite dans la Hessecompte deux foyers majeurs : au nord, autour de Cassel, et au sud, à Seligenstadt et Wetterau.Cassel est sur l’axe reliant la Ruhr et la Thuringe, deux places fortes des néonazis. Quant au sud du Land, il est composé de gros bourgs agricoles marqués par une culture politique ultraconservatrice, antisémite et très favorable au nazisme dans les années 1920 et 1930.
A Hanau, la devanture du Midnight est recouverte de fleurs, de bougies et de mots écritsà la main. C’est l’un des deux bars à chicha attaqués par Tobias Rathjen, 43 ans, à l’arme automatique le 19 février. A côté des photos des victimes, plusieurs inscriptions accusatrices : « Meurtrier solitaire ? », peuton lire près d’une série de petits bâtons barrés illustrant le déni des autorités qui persistent à y voir des incidents isolés. Et cette inscription, incompréhensible pour qui n’est pas de la région : « Le dossier de la NSU doit être ouvert au public ! »
La NSU (Nationalsozialistischer Untergrund,« Clandestinité nationalesocialiste ») : le pire scandale policier de l’Allemagne du XXIe siècle. Entre 2000 et 2006, ce groupuscule de trois néonazis originaires de Zwickau (Saxe) a assassiné huit commerçants d’origine turque et un d’origine grecque à travers le pays. Il a également tué une policière, en 2007, braqué quinze banques et mené deux attentats à labombe, à Cologne, en 2001 et 2004. Il n’a été
démantelé qu’à la suite de l’explosion de l’appartement du groupe, en novembre 2011, dans laquelle les deux membres masculinssont morts. Leur partenaire, Beate Zschäpe,s’est rendue à la police : jugée à Munich avec quatre hommes accusés de complicité d’homicide et de soutien à une organisation terroriste, elle a été condamnée à la réclusion à perpétuité, le 11 juillet 2018. L’enquête a mis au jour d’innombrables complicités et destructions de preuves au sein des forces de l’ordre, notamment en Saxe et en Thuringe.
Mais c’est dans la Hesse que l’incident leplus grave s’est produit. Le 6 avril 2006, Halit Yozgat, 21 ans, était assassiné de deux ballesdans la tête dans son cybercafé de Cassel. Le
ENTRE 2000 ET 2006, LE GROUPUSCULE
NÉONAZI NSUA ASSASSINÉ,
À TRAVERS LE PAYS, HUIT COMMERÇANTS
D’ORIGINE TURQUEET UN D’ORIGINE
GRECQUE
Allemagne Aux racines
de la violence d’extrême droite
Après les attaques meurtrières contre deux bars à chichad’Hanau, près de Francfort, en février, le pays prend conscience
de la menace terroriste d’extrême droite à l’Est comme à l’Ouest. Les autorités sont accusées d’avoir sousestimé le phénomène, tandis que l’AfD contribue à banaliser la rhétorique xénophobe
LES DATES
20192 juin A Cassel (Hesse), un militant néonazi assassine à son domicile le préfet Walter Lübcke, membre de la CDU et connu pour son soutien à la politique d’accueil des réfugiés d’Angela Merkel.
9 octobre A Halle (Saxe-Anhalt), un homme tue deux personnes et en blesse deux autres après avoir tenté d’entrer dans une synagogue lors de la fête juive de Yom Kippour.
202014 février Dans six Länder, la police interpelle douze membres du Groupe S., alors qu’ils prépa-rent des attaques contre des mosquées et contre des person-nalités politiques, dont le copré-sident des Verts, Robert Habeck.
19 février A Hanau (Hesse), neuf personnes sont tuées dans deux fusillades contre des bars à chicha. Chez lui, le meurtrier tue sa mère puis se suicide.
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0123DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 2020 géopolitique | 19
LA SOUSESTIMATION DE LA MENACE A PERMIS
À DE NOUVEAUX GROUPUSCULES DE SE CRÉER, SURTOUT
DEPUIS LA CRISE DES RÉFUGIÉS
DE 2015
lendemain, plusieurs immigrés de la ville manifestaient au cri de « Qu’attendezvouspour agir ? » Aucun élu local, aucun représentant de l’Etat, de parti ou de syndicat n’était présent. L’enquête ultérieure a prouvé qu’un membre de l’Office fédéral de protection de laConstitution (Verfassungsschutz, BfV, le service de renseignement intérieur), AndreasTemme, était sur les lieux au moment du meurtre. Détenu vingtquatre heures par lapolice, il a été relâché sans explication et jamais poursuivi. Juste muté. Le dossier a été enterré et le ministreprésident de la Hesse en a interdit l’accès pour plusieurs décennies.Sollicités par Le Monde, l’Office de protection de la Constitution de la Hesse, le ministère de
l’intérieur local et le bureau du ministreprésident n’ont pas souhaité répondre.
Ce silence sur l’épisode le plus troublant dela sanglante saga de la NSU a été interprétépar les militants antifascistes au minimumcomme un déni, au pire comme une volonté de dissimulation de la part des autorités. Le parti de gauche radicale Die Linke a mêmedemandé la dissolution du Verfassungsschutz régional au Parlement de la Hesse.
L’institution, bien que restructurée et « épurée », ne s’est pas non plus montrée à son avantage dans l’affaire Walter Lübcke. Ce haut fonctionnaire conservateur, honni par l’extrême droite en raison de ses idées libérales sur les questions migratoires, était depuis 2009 le
préfet de l’arrondissement de Cassel. Là mêmeoù travaille désormais le fameux Andreas Temme. Walter Lübcke a été retrouvé avec uneballe dans la tête, le 2 juin 2019, sur le perron desa villa, dans la banlieue de Cassel.
Son assassinat, qui semblait être le fait deprofessionnels, a d’abord été attribué à un« mobile personnel » par des sources policières « en l’absence de menace particulière », malgré l’évidence. Deux semaines plus tard, Stephan Ernst était arrêté. Agé de 45 ans, ce militant néonazi aguerri a déjà été condamné à sept reprises entre 1993 et 2009, dont une fois pour avoir attaqué un centre dedemandeurs d’asile avec une bombe artisanale, au début des années 1990. A partir de2011, l’Office de protection de la Constitution avait abandonné toute surveillance en partant du principe qu’il était inactif.
L’enquête a par la suite démontré que Stephan Ernst disposait d’un véritable arsenal, qu’il était membre d’un club de tir, qu’il continuait à poster des messages haineux sur YouTube et avait fait un don au parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD). On aégalement appris qu’il était en relation avec deux complices, dont l’un répertorié commeun membre actif de l’extrême droite, et qu’il était aussi suspecté d’avoir assassiné un demandeur d’asile irakien, poignardé dans le dos en janvier 2016. Une telle accumulation d’erreurs et de négligences laisse pantois. « C’est au point que les associations antifascistes avaient plus d’informations sur Ernst quel’Office de protection de la Constitution », s’exclame Benno Hafeneger, professeur de sciences de l’éducation et spécialiste de la jeunesse et de l’extrême droite.
« QUATRIÈME PHASE DE RADICALISATION »Benno Hafeneger a dirigé le Centre pour la démocratie de Marburg, spécialisé dans l’observation des phénomènes politiques radicaux. « Nos études montrent qu’un quart de la population allemande a une affiliation politique populiste de droite. C’est l’humus dont se nourrit lascène violente d’extrême droite », expliquetil, rappelant que celleci est loin d’être une nouveauté dans l’histoire de la RFA depuis 1949.
« Nous en sommes à la quatrième phase de radicalisation d’extrême droite, ditil. La premièrea vu, dans les années 1950, la reconstitution desréseaux des anciens des Jeunesses hitlériennes. La deuxième débute au milieu des années 1960 avec l’entrée du Parti nationaldémocrate [NPD,néonazi] dans les assemblées de sept Länder (7,9 % dans la Hesse en 1966, 9,8 % dans le BadeWurtemberg voisin, en 1968), mais pas au Bundestag [Parlement fédéral], où il échoue. Dans les années 1970, on observe la constitution depetits groupes d’activistes enfants de l’aprèsguerre, le pendant des groupuscules violents d’extrême gauche. La dernière phase, dont nousconnaissons aujourd’hui le paroxysme, a débuté juste après la chute du Mur en 1989. »
Au lendemain de la réunification du pays,en 1990, de nombreux groupuscules néonazisont essaimé en exAllemagne de l’Est. Ce phénomène s’est traduit par une brusque hausse des incidents racistes au début des années 1990, notamment dans la région de Rostock (MecklembourgPoméranieOccidentale), près de la mer Baltique, avec plusieurs attaques de logements et de commerces de travailleurs étrangers en exRDA, mais aussi àl’Ouest avec l’incendie meurtrier (six morts, dont cinq enfants) d’un foyer d’immigrés à Solingen (RhénanieduNordWestphalie), le 29 mai 1993.
Stephan Ernst, le meurtrier présumé deWalter Lübcke, appartient à cette génération qui s’est structurée dans des « camaraderies » (Kameradschaft), des groupuscules violents autonomes. Aujourd’hui, de telles structures de politisation existent toujours, mais elles nesont plus les seules. « La nouveauté, c’est qu’Internet sert souvent de plateforme à ces groupesde rencontre, précise Reiner Becker, directeurdu Centre pour la démocratie de Marburg. Denouvelles sociabilités ont émergé, dans les clubsde sport, sur le Web, et cela rend le travail de renseignement plus difficile. »
Exemple typique : le « Groupe S », cette cellule démantelée le 14 février, alors qu’elle se préparait à attaquer des mosquées pendant des heures de prière et à commettre des attentats contre des dirigeants politiques, dont le coprésident des Verts, Robert Habeck. Liés pour la plupart à différents groupuscules d’extrême droite, les douze membres qui ont été arrêtés, originaires de six Länder différents, s’étaient connus quelques mois plus tôt sur ungroupe de discussion avant de se rencontrer physiquement. D’abord virtuelle, cette forme de sociabilité permet aux cellules de s’affranchir des logiques territoriales classiques, ce quiconstitue un défi dans un Etat fédéral comme l’Allemagne, où la communication entre les services de police et de renseignement d’un Land à un autre est souvent difficile.
Un autre point distingue la période actuelledes précédentes : l’existence, avec l’AfD, d’un parti capable de réaliser des scores auxquels ni le parti néonazi NPD ni les Republikaner –
une formation ayant connu de petits succèsélectoraux dans les années 1980 en Bavière – n’étaient jamais parvenus. Propulsé par le mouvement antiislam Pegida lancé à Dresdeen 2014, l’AfD est monté en puissance en 2015avec l’arrivée massive de migrants auxquelsAngela Merkel a laissé les portes du pays ouvertes. Depuis, les portes ont été refermées, mais rien n’a calmé la colère nationaliste.
C’est aussi à ce momentlà qu’une nette recrudescence des violences a été observée. Le 17 octobre 2015, Henriette Reker, aujourd’hui maire de Cologne, est gravement blessée dans une attaque au couteau par un militant d’extrême droite. Deux ans plus tard, le mairede la petite ville d’Altena, toujours en RhénanieduNordWestphalie, est agressé de lamême manière alors qu’il achetait un kebab.
Pendant ce temps, les attaques de foyers demigrants et de demandeurs d’asile se multiplient, à l’Est comme à l’Ouest. En août 2018, à Chemnitz (Saxe), des activistes d’extrême droite se livrent à une véritable chasse à l’homme en ville en représailles à l’assassinat d’un Allemand par des migrants. C’est à cette occasion que HansGeorg Maassen, le président de l’Office fédéral de protection de la Constitution, crée le scandale en mettant en doute la réalité de ces chasses à l’homme, n’hésitant pas, sur ce point, à contredire Angela Merkel en personne.
Critiqué de toutes parts, y compris au sein del’Union chrétiennedémocrate (CDU), le parti de la chancelière, dont il est membre, il se défend en s’estimant victime d’une « conspiration d’extrême gauche ». Mis à la retraite anticipée quelques semaines plus tard, Maassen a, depuis, rejoint l’Union des valeurs, un collectifultraconservateur fondé en 2017 au sein de la CDU, dont les membres envisagent des coopérations avec l’AfD, au moins au niveau local, enrupture totale avec la ligne de noncoopération absolue avec l’extrême droite, défendue par Mme Merkel.
Maassen incarne une frange importante duparti conservateur pour laquelle la violence d’extrême droite est la faute des gouvernements de grande coalition, coupables selon eux d’avoir fait de la CDU un parti de centredroit, voire de centregauche, au risque de brouiller les lignes de clivage politique. Trèsprésente dans les rouages de l’Etat, cette technostructure ultraconservatrice a tendance à minimiser les crimes d’extrême droite.
« Maassen a été nommé en 2012 à la tête del’Office fédéral de protection de la Constitutionpour remplacer Heinz Fromm, qui était là depuis 2000 et n’avait absolument pas fait la lumière sur les crimes de la NSU. On aurait pu croire que son arrivée allait changer les choses de ce côtélà. Ça n’a pas du tout été le cas », explique Hajo Funke, professeur émérite à l’université libre de Berlin et grand spécialiste de la droite radicale. Selon lui, cette « sousestimation durable et profonde » de la menace au cours des années 2000 et 2010 a permis à de nouveaux groupuscules de se créer, surtoutdepuis la crise des réfugiés de 2015. Des individus sans passé militant en ont également profité pour se radicaliser et passer à l’acte en solo.
MARGINAUX OU LOUPS SOLITAIRESEn examinant la liste des derniers attentats majeurs, le professeur Benno Hafeneger distingue ainsi deux profils bien distincts de terroristes : « Vous avez ceux qui sont socialement peu insérés, pas diplômés, vivant dans lamarge et souvent issus de familles défaillantes. Ils trouvent dans le compagnonnage radical une seconde famille et une identité : leur socialisation se fait sur le mode d’une radicalisation croissante, comme Stephan Ernst. Etpuis, vous avez les “loups solitaires” comme lestueurs de Hanau et de Halle. Ils ont fait des études et travaillent. Malgré leur insertion sociale, ce sont des individus très isolés et autocentrés, qui mûrissent leur acte en secret. Ilssouffrent fréquemment d’une pathologie mentale ou de fragilités psychologiques. Ceuxlà sont indétectables, à moins d’exercer une surveillance massive et intrusive. »
Pour les autorités, il s’agit là d’un défi majeur. Ainsi, le travail de l’Office de protectionde la Constitution, totalement séparé de celui
Hanau (Hesse), le 22 février. Fleurs, bougies et photos entourent la statue des frères Grimm, originaires de la ville. Les habitants ont ainsi rendu hommage aux victimes du massacre perpétré le 19 février par un extrémiste de droite allemand de 43 ans. MICHAEL DANNER/LAIF-REA
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de la police pour éviter les dérives de l’ère nazie, se limite souvent à la surveillance des organisations d’extrême droite dûment répertoriées et de leurs manifestations publiques,comme les concerts, dans un pays qui compte la scène rock identitaire la plus importante d’Europe. « C’est un phénomène très important, note Benno Hafeneger. C’est là quese nouent les amitiés, les amours, toute une connexion émotionnelle qui lie les jeunes gensbien plus fortement que des idées. » Ces concerts peuvent rassembler jusqu’à 3 000 participants et se tiennent souvent dans des propriétés privées, de grandes fermes de l’est del’Allemagne, pour échapper à la surveillance.
Quant aux « loups solitaires », un fait notable est leur proximité avec la sphère des « incels », ces célibataires involontaires qui ont théorisé leurs échecs amoureux en en rejetant la faute sur le féminisme. Partie des EtatsUnis, cette mouvance misogyne, incarnée par le jeune meurtrier de masse Elliot Rodger (6 morts en Californie, en 2014), a beaucoup essaimé sur les forums de jeux vidéo. Selon Nils Böckler, chercheur en psychocriminologie à l’Institut de psychologie deDarmstadt, Tobias Rathjen, le tueur de Hanau, se rattache à cette catégorie : « Dans sonmanifeste, il a consacré tout un chapitre à sahaine des femmes. Le terroriste de Halle, Stephan Balliet, souffrait aussi d’une inhabilité avec les femmes. L’extrême droite donne à cesindividus qui ont un problème avec leur identité masculine un cadre idéologique, une vision du monde mêlant “le grand remplacement” et l’antiféminisme. Elle leur donne aussil’occasion de se racheter une masculinité “active” à travers l’action radicale. »
Un autre point commun caractérise l’actuelle génération : une assimilation accélérée
du concept de « résistance sans chef » mis au point par les idéologues suprémacistes américains des années 1990. C’est le cas des terroristes de Halle et de Hanau, qui se sont inspirés d’Anders Behring Breivik, le Norvégien responsable de 77 morts en juillet 2011 surl’île d’Utoya, et de Brenton Tarrant, le tueur de Christchurch, en NouvelleZélande (51 morts dans deux mosquées, en mars 2019) : le premier en publiant un manifeste, comme Breivik, le second en cherchant à filmer en direct son attentat, à l’instar de Tarrant.
« C’est une mécanique infernale, relèveBenno Hafeneger. Ces attentats accélèrentl’avènement de la guerre civile appelée de sesvœux par l’extrême droite radicale, notamment sa frange “accélérationniste”. Parallèlement, l’extrême droite intellectuelle et politique se présente comme le dernier rempart contre la guerre civile. » Après chaque attaque, l’AfD réagit en effet en niant avec véhémence toute responsabilité, tout en se présentant comme la solution au problème etnon pas comme sa source.
Erika Steinbach est une figure connue de labonne société francfortoise. Quand elledonne rendezvous, c’est au très guindé Café Siesmayer, avec vue sur la palmeraie, le Jardin des plantes local. Tailleur rose et permanente blonde, elle y est accueillie avec déférence. Agée de 76 ans, elle était jusqu’à il y a peu un pilier de la CDU locale. Elle a été députée du parti d’Angela Merkel sans discontinuer de 1990 à 2013. Mais, en 2015, c’est larupture. Elle désapprouve la politique migratoire de la chancelière et quitte la CDU deux ans plus tard, « car la direction ne respecte plus les valeurs fondamentales du parti ». Depuis, elle dirige la fondation DesideriusErasmus, proche de l’AfD, sans avoir ellemême adhéré au parti d’extrême droite.
Mme Steinbach connaît très bien AlexanderGauland, le président d’honneur de l’AfD, auteur d’essais sur la pensée conservatrice et réputé pour avoir notamment déclaré, que « Hitler et les nazis ne sont qu’une fiented’oiseau » – autrement dit un point de détail –« à l’échelle de plus de mille ans d’histoire glorieuse » de l’Allemagne. « Il a milité pendant des années au sein de la CDU de la Hesse, lui aussi », rappelle Erika Steinbach. Sur l’attentat de Hanau, où elle est d’ailleurs née, elle n’arien à dire, ou presque : « C’est un acte isolé. Que voulezvous ? Il est clair que l’auteur souffrait de troubles mentaux. Mais je m’étonne que personne ne mentionne le fait que son père a milité chez les Verts. On préfère pointer du doigt l’AfD qui n’a rien à voir avec ça. Quandil y avait un terrorisme d’extrême gauche, on ne jetait pas l’opprobre sur les partis de gauche. Plus de la moitié des agressions d’hommes et femmes politiques visent des responsables de l’AfD. » Des militants antifascistes ontbombé à la peinture à deux reprises la façadede son local, se plaintelle. Elle tient aussi à souligner que l’AfD accueille des juifs etqu’elle a personnellement « toujours soutenu Israël ». Enfin, l’adhésion d’anciens membres du NPD, soulignetelle, est interdite par l’AfD.
« APPEL À LA GUERRE CIVILE »Ce discours victimaire met hors de lui le professeur Hajo Funke, pour lequel l’AfD, loind’être le respectable refuge d’un conservatisme pur et dur qui aurait déserté la CDU, estau contraire un aiguillon pour l’extrême droite la plus radicale. Dans un article publié dans l’hebdomadaire Die Zeit, en octobre 2019, le chercheur a ainsi montré en quoi l’essai doctrinal de Björn Höcke, chef de l’AfD en Thuringe, intitulé Nie zweimal in denselben Fluss (« Jamais deux fois dans la même eau », Manuscriptum, 2018, non traduit), pouvait se lire comme un véritable « appel à la guerre civile ». Dans ce texte, le leader de l’aile radicale de l’AfD défend notamment l’idée d’un « projet de remigration » dont l’objectif est de délivrer l’Allemagne de ses éléments « culturellement étrangers ». Un projet qui, pour être mené à bien, devra passer par« une politique de violence bien tempérée ».« Les crises existentielles exigent des actes horsdu commun », écrit Höcke, qui n’hésite pas à prédire une « saignée » purificatrice afin de « donner un coup de balai dans la porcherie ».
En Thuringe, où l’AfD de ce même Höcke aobtenu près de 25 % des voix aux élections régionales d’octobre 2019, et où une partie de laCDU a, pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, mêlé ses voix à celle de l’extrême droite pour tenter d’empêcherl’élection d’un ministreprésident de gauche à la tête du Land, cette évolution a de quoi inquiéter. Depuis son bureau d’Iéna, Matthias Quent, directeur de l’Institut pour la démocratie et la société civile de la Fondation Amadeu Antonio, n’hésite pas à le dire : « L’AfD est clairement un danger pour la démocratie, pas seulement parce qu’elle en bafoue les valeurs fondamentales, mais aussi parce que son discours peut être entendu comme une légitimation de la violence ». Certains dirigeants du parti s’en défendent d’ailleurs à peine. A l’ins
tar de Rainer Rahn, tête de liste de l’AfD aux régionales de 2018 dans la Hesse. « Les bars à chicha sont des lieux qui dérangent beaucoup de gens, moi, particulièrement. Quand quelqu’un se sent constamment dérangé par un établissement, ça peut d’une certaine façon contribuer à de tels actes », déclaraitil au lendemain des fusillades de Hanau.
Proférée par des élus dont le parti constitue,depuis 2017, la première force d’opposition auBundestag avec 91 députés, cette rhétoriqueprospère sur Internet. Erika Steinbach a ainsi été vivement mise en cause pour avoir participé à l’hallali contre le préfet Walter Lübcke sur les réseaux sociaux, en retweetant une vidéo prise lors d’une houleuse réunion publique en 2015, où il invitait avec maladresseceux qui n’étaient pas d’accord avec l’accueildes réfugiés « à quitter le pays ». « Je n’ai faitque relayer ses propres propos », se défendMme Steinbach.
Achtsegel (« Huit Voiles ») est une petiteONG basée à Francfort spécialisée dans la lutte contre l’extrémisme de droite sur Internet. Fabian Jellonnek et Pit Reinesch, deux anciens étudiants en science politique récemment diplômés de l’université de Marburg, en sont les permanents. « La scène estbeaucoup plus difficile à cerner sur Internet même s’il y a des groupes constitués commeles “gamers” de Reconquista Germanica (30 000 membres), très actifs en période électorale, concède Fabian Jellonnek. Une choseest évidente : la haine en ligne a exploséen 2015. Depuis, on observe une radicalisation croissante des messages. C’est dû à la déception, au fait que la révolution annoncée par ceux qui espéraient un soulèvement du peuplecontre le choix de Merkel ne s’est pas produite.L’arrêt des arrivées de migrants depuis 2016 n’apas fait cesser ce phénomène. » Dans leur dernier rapport, ils ont comptabilisé 540 actes d’extrême droite (de l’assassinat au taggage d’un commerce ou d’un foyer de demandeurs d’asile en passant par la profanation decimetière) dans la Hesse pour l’année 2019.
« UN DÉNI TERRIBLE »Depuis leur poste d’observation, les deux jeunes gens voient passer toutes les tentatives de l’extrême droite de mettre le feu au pays.Comme les diatribes du youtubeur Henryk Stöckl contre « l’invasion musulmane » de l’Allemagne et du monde entier. « Le problème, reprend Pit Reinesch, est que la majorité de lasociété, y compris la classe politique, refuse de reconnaître un dysfonctionnement systémique. Tant que l’AfD n’est pas au pouvoir, tout cela relève d’une minorité. Il y a un déni terrible. Les attaques des années 1990 étaient mises sur le compte de la délinquance juvénile.On a pensé qu’en grandissant et en se mariantces jeunes gens s’assagiraient. On a vu ce qu’il en a été avec l’assassin de Lübcke. » Depuis, lesautorités de la Hesse ont décidé que les écoliers devraient suivre un cours d’éducationcivique aux médias et à Internet. « Les réponses sont trop lentes et timides, renchérit Fabian Jellonnek. Il a fallu des années de procédure pour faire interdire Combat 18, un grouperadical d’extrême droite actif depuis le début des années 2000 et décrété illégal en janvier 2020 seulement. »
La législation destinée à éviter les abus de lapériode nazie, où syndicats et partis d’opposition avaient été interdits en six mois, est mise à profit, près d’un siècle plus tard, par l’extrême droite. Ainsi, le NPD continue d’exister malgré des années de « mise sous surveillance ». Quant à L’Aile, le courant de l’ultraradical Björn Höcke, ce n’est qu’en marsde cette année qu’il a subi le même sort. Une classification qui, en pratique, ne change pas grandchose : dès l’annonce de la « mise sous surveillance » du courant de Höcke, la direction nationale de l’AfD en a certes exigé la dissolution par souci de ne pas voir l’ensembledu parti soumis au même traitement. Mais les membres plus « modérés » de l’AfD savent aussi qu’ils n’ont pas intérêt à provoquer une rupture avec l’homme qui contrôle la plupartdes fédérations de l’est du pays, celles où l’AfDobtient ses plus gros scores, souvent bien audelà de 20 %…
Après des années d’aveuglement ou desousestimation de la menace, la confiance dans la volonté des autorités de s’attaquer vraiment au phénomène est fortement écornée. La structure fédérale du pays, destinée à empêcher toute centralisation excessive du pouvoir, est aussi vue comme un handicap.Les offices régionaux de protection de la Constitution peinent à communiquer entre eux et à se coordonner avec l’échelon fédéral.Même problème entre les polices régionales et fédérale. Cette dispersion des moyens ralentit les enquêtes. Ainsi, les deux militants de l’ONG Achtsegel refusent d’avoir affaire auVerfassungsschutz de la Hesse, tant le manque de confiance est grand depuis l’affaireAndreas Temme. « C’est une institution qui aété infiltrée par des anciens de la Gestapo à sesdébuts, fait remarquer Fabian Jellonnek. Et
par la suite, elle a été obsédée par la lutte anticommuniste et contre l’extrême gauche. En revanche, il nous arrive d’échanger avec des policiers dignes de confiance. »
Mais c’est loin d’être le cas de tous. Fin 2018,un autre scandale a ébranlé la Hesse : ungroupe de policiers est accusé d’avoiréchangé des propos racistes et des symbolesnazis sur le réseau WhatsApp. Plus grave, des menaces de mort par courriers anonymes sont parvenues à l’avocate d’origine turque Seda BasayYildiz, qui avait défendu les parties civiles dans le procès de la NSU. Certains de ces messages signés « NSU 2.0 » faisaientmention du nom et de l’adresse de ses parents ou de sa fille. Des journalistes, des activistes antifascistes et des politiciens ont aussiété visés. Les enquêteurs soupçonnent des complicités policières, au moins dans la transmission de renseignements personnels.
« La police allemande compte 250 000 membres, évidemment qu’elle n’est pas immunisée, admet Oliver von Dobrowolski, président desPoliciers verts, une association de membresdes forces de l’ordre affiliés au parti écologiste. Les violences du début des années 1990 n’ont pas été combattues avec la force nécessaire. Cela s’est amélioré par la suite. Mais cesdernières années, la menace djihadiste a accaparé les esprits et les efforts, et l’extrême droiteest passée au second plan. »
Dans la Hesse, une quarantaine de cas dedérives d’extrême droite ont été signalésdans la police, selon les statistiques des Policiers verts. « Ce sont souvent des policiers aigris qui voient quotidiennement le pire de la société et finissent par se radicaliser, tente d’expliquer Oliver von Dobrowolski. Mais iln’y a pas que la Hesse. Dans le BadeWurtemberg, une cellule du Ku Klux Klan a été mise aujour. Je pourrais aussi citer le SchleswigHolstein, la Rhénanie du NordWestphalie, etc. Pour combattre cela, il faudrait plus de diversité dans la police et plus d’enquêtes internes. »
A l’échelle nationale, le professeur BennoHafeneger évalue à 12 000 ou 13 000 le nombre d’activistes d’extrême droite susceptibles de commettre un acte de violence, dont 1 200dans la Hesse. « Ils étaient la moitié il y a cinq ans », notetil. Ces chiffres correspondent grosso modo à ceux donnés par l’Office fédéral de protection de la Constitution dans son dernier rapport annuel, publié en septembre 2019. Pour prendre la mesure de l’ampleur du problème, il suffit de savoir que c’estautant que le nombre de « fichés S » en Francepour radicalisme islamiste. Il faut, en outre, yajouter 19 500 Reichsbürger – une particularité allemande : des citoyens refusant les lois de l’actuelle République fédérale, qu’ilssoient nostalgiques de l’empire de Guillaume II (au pouvoir de 1888 à 1918) ou du IIIe Reich nazi. Une partie d’entre eux sontconsidérés comme potentiellement violents.Un de leurs membres a tué un policier en Bavière en 2016. La police a effectué une vasteperquisition (10 Länder sur 16) dans la nébuleuse des Reichsbürger le 19 mars, saisissant des armes et de la propagande nazie.
DES SERVICES D’ÉTAT INFILTRÉSPour Uli Jentsch, porteparole d’Apabiz, uneONG de Berlin qui archive la propagande d’extrême droite, ces données sont sousévaluées : « Si vous ajoutez 30 %, vous approcherez peutêtre de la réalité. Mais les chiffres ne sont pas le plus important. Le plus grave, c’est l’infiltration des services de l’Etat par des militants de l’extrême droite. » Il évoque le cas de Franco A., un officier du bataillon francoallemand originaire d’Offenbach… dans la Hesse,qui s’était enregistré sous une fausse identitécomme réfugié afin de commettre un attentat. Muté, il est toujours en liberté. D’aprèsune enquête du quotidien Tageszeitung, il était en contact régulier avec un certainAndre S., surnommé « Hannibal », un soldatdes forces spéciales à la tête d’un vaste réseausurvivaliste d’extrême droite. Ce réseau Hannibal, partiellement démantelé depuis, était en lien, dans le Land de MecklembourgPoméranie, avec le groupe Nordkreuz, composé
POUR MESURER L’AMPLEUR DU
PROBLÈME, IL SUFFIT DE SAVOIR QU’IL Y A
AUTANT D’ACTIVISTES D’EXTRÊME DROITE
EN ALLEMAGNEQUE DE « FICHÉS S »
EN FRANCE POUR RADICALISME
ISLAMISTE
« L’EXTRÊME DROITE DONNE
À DES INDIVIDUS QUI ONT UN
PROBLÈME AVEC LEUR IDENTITÉ
MASCULINE UNE VISION DU MONDE
MÊLANT L’ANTIFÉMINISME
ET LE GRAND REMPLACEMENT »
NILS BÖCKLERchercheur en crimino-
psychologie à Darmstadt
De haut en bas : portraits des néonazis (groupe NSU) Beate Zschäpe, Uwe Mundlos et Uwe Böhnhardt, diffusés dans la presse en février 1998. DR
Le 7 septembre 2018, des milliers d’extrémistes de droite manifestent à Chemnitz (Saxe) contre l’accueil de migrants, après l’assassinat d’un Allemand par des réfugiés. Sur la pancarte : « Chemnitz n’est ni gris ni brun ». JOHN MACDOUGALL/AFP
Tobias Rathjen, 43 ans, a tué neuf personnes à Hanau, le 19 février, avant de se suicider. GETTY IMAGES/AFP
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BRANDEBOURGBRANDEBOURG
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BAVIÈREBAVIÈRE
THURINGETHURINGE SAXESAXE
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MECKLEMBOURG-POMÉRANIE-OCCIDENTALE
BADE-WURTEMBERG
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SCHLESWIG-HOLSTEIN
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StrausbergStrausbergFürstenwaldeStrausbergFredersdorf-Vogelsdorf
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StrausbergStrausbergFredersdorf-Vogelsdorf
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StrausbergFürstenwaldeStrausbergFürstenwaldeStrausbergFürstenwaldeStrausbergFürstenwaldeStrausbergFürstenwaldeStrausbergFürstenwaldeFredersdorf-Vogelsdorf
FürstenwaldeFredersdorf-Vogelsdorf
FürstenwaldeFürstenwaldeFredersdorf-Vogelsdorf
FürstenwaldeFredersdorf-Vogelsdorf
FürstenwaldeNeu MahlischNeu MahlischKönigs WusterhausenNeu MahlischKönigs WusterhausenNeu MahlischNeu MahlischFredersdorf-VogelsdorfNeu MahlischKönigs WusterhausenNeu MahlischFredersdorf-VogelsdorfNeu MahlischKönigs WusterhausenNeu MahlischKönigs WusterhausenNeu MahlischNeu MahlischFredersdorf-VogelsdorfNeu MahlischKönigs WusterhausenNeu MahlischFredersdorf-VogelsdorfNeu Mahlisch
DahlewitzDahlewitzLehninLehninLehninLehninCaputhLehninLehninLehninCaputhLehnin
Bad BelzigBad Belzig
HoyerswerdaHoyerswerda
OschatzOschatz
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GeraGera
Milzau
Rotenburg an der FuldaRotenburg an der Fulda
Bad ReichenhallBad Reichenhall
Ost�ldern kemnat LammOst�ldern kemnat LammOst�ldern kemnat LammOst�ldern kemnat LammOst�ldern kemnat Lamm
WülfrathWülfrathWülfrathWülfrathWülfrathWülfrathWülfrathWülfrathWülfrathWuppertalVelbertWuppertalVelbertWuppertalVelbertVelbertVelbertVelbertVelbertVelbertWuppertal
MarlMarlMarlMarl
OberhausenOberhausenBochumOberhausenOberhausenOberhausenBochumOberhausen
WülfrathWülfrathWülfrathWülfrathWülfrathWülfrath Altena
Bad BlankenburgBad BlankenburgBad BlankenburgBad Blankenburg
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MagdebourgMagdebourgMagdebourg
StrausbergStrausbergFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-Vogelsdorf
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StrausbergKönigs WusterhausenKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-Vogelsdorf
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StrausbergKönigs WusterhausenKönigs WusterhausenKönigs WusterhausenKönigs WusterhausenKönigs WusterhausenKönigs WusterhausenKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-Vogelsdorf
StrausbergFredersdorf-Vogelsdorf
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Strausberg
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Bad BlankenburgBad BlankenburgArnstadtBad Blankenburg
Arnstadt
Bad BlankenburgBad BlankenburgBad BlankenburgArnstadtBad Blankenburg
Rotenburg an der Fulda
Eisenach
Rotenburg an der Fulda
EisenachBergisch GladbachBergisch GladbachBergisch GladbachBergisch GladbachBergisch GladbachBergisch GladbachBergisch GladbachBergisch GladbachBergisch GladbachBergisch GladbachBergisch GladbachBergisch Gladbach
Ex-RDAEx-RFA
50 km
A L L E M A G N E
Sources : Amadeu Antonio Stiftung ; Wahlatlas.net ; rapport de 2018 de l’O�ice fédéral de protection de la Constitution ;BAMF, O�ice fédéral des migrations et des réfugiés ; « Ergebnisse früherer Landtagswahlen », Der Bundeswahlleiter, 2020 ;N.K. Wissmann, « Le terrorisme d’extrême droite en Allemagne. Une menace sous-estimée ? », notes du Cerfa n° 151, IFRI, 2019 ;J. Vaillant, « L’AfD : un parti d’extrême droite entre recherche de respectabilité et radicalisation », Diploweb, 2020 ; Le Monde
Cartographie Sylvie Gittus-Pourrias, Flavie Holzinger et Véronique Malécot
28 %2019
23 %2019
24 %2019
4 %2017
10 %2018
15 %2016
7 %2017
6 %2017
6 %2015
22 %2016
6 %2017
16 %2016
24 %2016
13 %2018
14 %2016
L’extrême droites'installe dansle paysage politique...Le parti antimigrants Alternativepour l'allemagne ( AfD) s'enracine avec la crise des migrants
Nombre de demandeurs d’asile par année
Au niveau fédéralrésultats de l’AfD aux électionsdu Bundestag en 2017, en %
Aux élections régionalesrésultats de l’AfD
Aux élections législatives (2013 et 2017)et européennes (2014 et 2019)score national de l’AfD
L'héritage du Parti national-démocrate(NPD, nazi), créé en 1964
Land de RFA (Ouest)dans lequel le NPD a fait son entréeau Parlement régional au milieudes années 1960
Land de l’Est dans lequelle NPD est entréau Parlement régionaldans les années 2000
... tandis que la violencedes militants radicauxcontinue de sévirRépartition des morts liées à l’extrême droite,par Länder
Nombre de morts liées à l'extrémisme de droite
Localisation des morts liées à l'extrême droite entre 1990 et 2010
Militants d’extrême droite... considérés comme violents
Nombre d'attaques contre des centres d'hébergement pour demandeurs d'asile,en lien avec la mouvance d'extrême droite
Axe Est-Ouest : foyers majeursde groupuscules néonazis
Villes où le Parti national-socialiste clandestin (NSU) a commisdes assassinats d'immigréset des attaques de banquedans les années 2000
2010 2019
20134,7 %
20147,1 %
201911 %
201712,6 %
de 0 à 10
de 10 à 15
de 15 à 25
de 25 à 35
9
8
10
20
1
3
17 12
3232
2 24
15
19
17
BRÊMEBRÊME
SAXESAXE
XX %20xx
476 649
745 545
2010 2019
48 589165 938
1990 2010 2015 2018
65 000dont 1 400violents
25 000dont 5 600
23 850dont 11 800
24 100dont 12 700
2014 2015 2016 2017 2018
170
894 907
286 164
1990 2000 2010 202005
1015
202530
10
27
11
1 5 10 15
A l’Est comme à l’Ouest, la terreur d’extrême droite
d’une trentaine de membres des forces del’ordre (police criminelle, forces spéciales de l’armée et de la police), qui préparait activement le « jour X » en amassant des armes et en tenant à jour une liste de 25 000 personnes « à éliminer » avec la liste des casernes où les « éliminations » devaient intervenir. Plusieurs membres de Nordkreuz étaient encontact avec de hauts responsables politiques, sans que l’on sache la nature de leurs rapports. Un des policiers membres du groupe a été condamné à un an et neuf mois de prison, en décembre 2019, pour possession illégale d’armes de guerre.
Sans nier l’existence de ces « passerelles »,d’autres chercheurs mettent en avant des évolutions jugées plutôt encourageantes. D’abord, de la part de certains dirigeants politiques conservateurs qui, depuis l’attentatcontre Walter Lübcke, un membre de la même famille politique, ont compris qu’ils pouvaient être eux aussi la cible de l’extrême droite radicale.
Après l’attentat de Halle, le ministre de l’intérieur, Horst Seehofer, a présenté un plan d’embauches d’une ampleur sans précédent visant à créer 600 postes destinés spécifiquement à la lutte contre l’extrême droite, égale
ment répartis entre l’Office fédéral de protection de la Constitution et l’Office fédéral de police criminelle. Fin décembre 2019, M. Seehofer a aussi annoncé la création d’une « cellule » destinée à « mettre en lumière les activités d’extrême droite dans la fonction publique ». Implantée au sein du BfV, cette structure devra établir un audit concernant l’ensemble du secteur public, notamment l’armée et la police, au niveau de l’Etat fédéral et des Länder. Le résultat de cette investigation est attendu pour le courant de cette année.
« Ce sont des signes importants, notammenttoutes ces embauches, pour lesquelles les crédits ont été votés au Bundestag, même si cela prendra du temps », explique Matthias Quent.Pour ce jeune chercheur, cependant, « la réponse ne peut pas être que sécuritaire ». Une façon de dire que l’allocation de moyens supplémentaires aux services de police et de renseignement, si elle est indispensable, ne suffit pas : « La question doit être envisagée comme un sujet de société globale, en interrogeant notre culture politique, notre histoire, mais aussi en étant beaucoup plus ambitieuxdans l’éducation aux valeurs démocratiques ».
Dans un très long texte intitulé « Nousavons besoin d’un plan d’ensemble contre
l’extrême droite », publié dans Die Zeit après la tuerie de Hanau et cosigné avec Stephan J.Kramer, le président de l’Office de protection de la Constitution de Thuringe, et Farhad Dilmaghani, ancien secrétaire d’Etat à l’intégration du Land de Berlin, Matthias Quent réclame également la mention de l’antiracismedans la Loi fondamentale de la République fédérale, comme c’est le cas dans la Constitution du Land de Brandebourg depuis 2013. Unacte « pas seulement symbolique », estimetil,dans un pays qui a longtemps résisté à penserses immigrés autrement que comme des « travailleurs invités »…
UN FOSSÉ INVISIBLEA Hanau, l’attentat du 19 février a creusé un fossé invisible entre ceux qui se sentent viséset ceux qui ne le sont pas. Yonça, une lycéenne de 18 ans d’origine turque rencontrée en train de se recueillir devant la façade criblée du Midnight, couverte de fleurs et de bougies, pense que son avenir « n’est pas ici », bien qu’elle y soit née. « Maintenant que j’y repense, je réalise que même mes professeurs ne me considèrent pas comme une Allemande. Je ne suis jamais allée à une fête ou à un anniversaire chez des Allemands de souche. Je ne serai
pas forcément adaptée à la vie en Turquie, mais je sais que j’y serai mieux acceptée. Ici, je ne me sens plus en sécurité. » Puçât, ouvrierd’origine turque à l’usine Dunlop, se pose desquestions depuis l’attentat : « Ma femme medit que l’avenir est mort pour nous ici. Moi, j’hésite encore. »
Dans la région de Francfort, une nouvelleaffiche, placardée par des militants antifascistes, a fait son apparition : la liste des « 300meurtres commis par les nazis depuis 1989 »en Allemagne. Près d’un siècle après son invention, le nazisme est toujours un problèmedans son pays d’origine : à l’Est, on n’en a pas assez parlé aux gens, et, à l’Ouest, certains ont le sentiment qu’on l’a trop fait. Dans un monde de plus en plus nationaliste, une partie des Allemands revendique le droit de l’êtreaussi. Sur la place centrale de Hanau, une statue, entourée de fleurs et de bougies en souvenir des victimes de l’attentat, rend hommage aux frères Grimm, les enfants du pays, au nom de leur contribution à la culture « du peuple allemand ». L’histoire ressembleratelle à leurs célèbres contes qui commencent comme des fables pour enfants et se terminent en tragédies sanglantes ?
christophe ayad et thomas wieder
UNE AFFICHE,QUE DES MILITANTS
ANTIFASCISTESONT PLACARDÉEDANS LA RÉGIONDE FRANCFORT,
LISTE LES « 300 MEURTRES COMMIS PAR LES
NAZIS DEPUIS 1989EN ALLEMAGNE »
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22 | CULTURE DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 20200123
CINÉMA
C omme annoncé, le festival documentaire Visions du réel, sis à Nyon(Suisse), manifestation
de stature internationale, a basculé dans la spectralité numérique. Forums de spectateurs, conférences de cinéastes, inscriptionaux séances de son choix, dans la limite des places rendues disponibles par la jauge festivalière. Une partie du programme a déjà été montrée depuis le 17 avril, suivie, du 25 avril au 2 mai, par les quatorze films de la compétition internationale. Parmi beaucoupde belles tentatives qui perdent en cours de route de leur allant, parmi d’autres qui posent d’emblée question, l’attention se focalise sur deux titres très fortement recommandables, qui se révèlent quant à eux de bout en bout à la hauteur de leur ambition.
C’est le cas du nouveau film duFinlandais Markku Lehmuskallio, cinéaste au spectre ethnologique, qui connut son heure de gloiredocumentaire au début des années 2000, cosignant avec safemme, Anastasia Lapsui, une très belle trilogie consacrée auxNenets, peuple autochtone sibérien. Il revient aujourd’hui avec Anerca, Breath of Life, cette fois encompagnie de son fils, Johannes. Il semble donc entendu queMarkku Lehmuskallio a deux passions, et qu’il n’en changera pas : le travail en famille et l’intérêt, nourri d’une estimable mélancolie, pour les habitants du Cercle arctique. Anerca fait à cet égardl’effet d’un compendium ethnopoétique de son œuvre.
Distanciation froideIci donc, du Canada à la Russie,Sayisis, Inuits, Selkoupes, Nenets, Nganasans, Samis, d’autres encore, défilent dans l’anthologie inspirée des Lehmuskallio, qui peignent à chaque arrêt unesorte d’enluminure évocatrice. Peu de mots, pas d’histoires, un historique assez bref de l’histoirede chaque peuple, des archives de diverses époques, une mise enscène des rituels qui subsistent et qui révèlent un rapport aumonde et à la nature infiniment plus mystérieux et respectueuxque celui de la civilisation qui lesa assujettis. Cet univers restituécomme trace sensible nourrit un
sentiment profondément élégiaque. L’hétérogénéité et la justesse de la mise en scène évoquent la démarche de ce grandartiste du documentaire que fut Johan van der Keuken.
C’est vers de tout autres latitudes, géographiques et esthétiques, qu’entraîne The Pageant (« Le Concours »), du réalisateurEytan Ipeker. On ne voit rien demieux que de le « pitcher » sansambages pour donner la mesure du malaise avec lequel il nous confronte. Voici donc l’histoire d’un concours de beauté réservéaux survivantes de la Shoahd’une maison de retraite d’Haïfa, laquelle est financée, ainsi que ledit concours, par l’Ambassadechrétienne internationale de Jérusalem. Ce mouvement évangélique proIsraël, créé en 1980,
pense que la création de l’Etat d’Israël conditionne le retour duChrist, soutient fermement l’alya [l’immigration des juifs en Terre sainte] et la colonisation, et finance un certain nombre d’œuvres caritatives dans le pays.
L’énoncé est toutefois brutalpour un film qui tarde à révélerson sujet et avance à petits pas.Adoptant un parti pris de distanciation froide et des dispositifs deprises de vues et de son dépersonnalisants, il accuse sans mot dire, de manière très efficace etintelligente, l’étrangeté radicale, pour ne pas dire la doucereuse obscénité de son sujet. Au point qu’on se prend parfois à penserqu’Eytan Ipeker, consciemment ou non, a tourné un film d’horreur. Si ce n’est le cas, il montre du moins avec un brio certain la
collision fatale entre la Shoah et le défilé de mode, le malheur dumonde et la société du spectacle.
Nonobstant la philosophie rédemptionnelle des gentils organisateurs à l’égard de ces vieillesfemmes qui ne sont jamais vraiment ressorties de l’enfer, ici,rien ou presque ne pardonne.Cette exdauphine de Miss Israël
qui fait hystériquement valoirson expertise auprès des mortesvivantes. Cette séance de photographie qui donne des frissonstant les participantes, s’exécutant docilement, semblent en vérité absentes à ce qu’on leur demande. Cette harangue de foireaux bestiaux qui stimule la cérémonie en vantant la présencedes télévisions du monde. Cette chanteuse hors sol qui vocifèresur un air de casserole la rengaine « J’ai survécu ». Ce séjour àAuschwitz qui fait gagner despoints dans la notation du jury.Cette prime à l’atrocité qui faitaugmenter la cote d’une concurrente violée par les nazis. Cesserveurs qui débarrassent « en loucedé » durant l’hymne national en version pompier célébrant la fin de la cérémonie. Ce
Eytan Ipeker a filmé « The Pageant » dans une maison de retraite d’Haïfa, en Israël. KAMARA PRODUCTION
On se prend parfois à penser
que le réalisateur,
consciemmentou non, a tournéun film d’horreur
panier beauté miteux qui récompense les concurrentes hagardes.N’en jetons plus.
Mais quel est ce monde renversé ? Quel est ce kitsch innommable ? Le film n’en dit pas long sur le sujet, ce qui est sans doutedommage sur le plan de la compréhension politique, ni ne s’enindigne explicitement. Il donneen revanche une forme juste àce concours américain des élégances génocidaires, organisé avec la bénédiction d’un Etat hébreu passé depuis belle lurettedans la gestion évangélique dudestin juif. Vignette de la fin desharicots mondialisée. Aperçud’un affaissement moral. Rien d’une « bonne nouvelle ». On necherchera pas plus loin la raisonde sa nécessité.
jacques mandelbaum
Un concours pour survivantes de la ShoahLe festival Visions du réel, désormais numérique, présente « The Pageant », longmétrage d’Eytan Ipeker
Eytan Ipeker : « Mon film n’est pas un documentaire informatif »Le cinéaste turc explique qu’il veut « que les spectateurs puissent méditer sur la façon dont la politique, la mémoire et le spectacle sont interconnectés »
ENTRETIEN
N é à Istanbul en 1981, cofondateur de la sociétéde production Kamara,
le réalisateur et monteur turc Eytan Ipeker propose, avec The Pageant, son premier longmétrageaprès un court (Unmade Bed) etun moyen (Idil Biret : The Portraitof a Child Prodigy) en 2015.
Quelques mots sur votre parcours personnel. Vous êtes turc, mais votre prénom est israélien, voilà qui interpelle…
Je fais partie de la communautéjuive d’Istanbul. Ma famille a immigré en Israël quand j’avais2 ans et ma langue maternelleétait l’hébreu jusqu’à un certainpoint. Quand j’avais 6 ans, ils ontdécidé de retourner à Istanbul. Sij’ai été attiré par ce sujet, c’est enpartie à cause de mes problèmesnon résolus avec Israël, et doncmon enfance : d’une part, jesuis profondément lié à ce pays par mes souvenirs et mon héri
tage juif, mais en même temps, jesuis assez perturbé par sa politique et son idéologie. Sur le plan émotionnel, c’est une situation très conflictuelle.
Comment êtesvous venu au cinéma ?
J’étais passionné par le cinémadès mon enfance, avec des parents qui m’ont beaucoup soutenu. A cette époque, l’accès au « cinéma d’auteur » était limité.Ainsi, le Festival du film d’Istanbul est devenu un outil éducationnel crucial : cela m’a permisde voir pour la première fois desrétrospectives de cinéastes importants sur le grand écran. Plustard, j’ai étudié le cinéma à Bostonet New York, où la culture du cinéma expérimental a eu unegrande influence sur moi.
Comment avezvous découvert l’incroyable sujet de « The Pageant » ?
Grâce à un article en ligned’Haaretz, un journal israélien de
gauche. Il couvrait le deuxième concours et contenait ces photosvraiment troublantes des survivantes en coulisses, se faisantmaquiller. Dans ma famille, j’ai des parents qui sont morts à Auschwitz, ainsi que des survivants. J’ai visité les camps. L’idée d’unspectacle sur le thème de l’Holocauste mettant en scène des survivantes m’a donc choqué. Cela m’a obligé à poser des questions difficiles sur l’éthique de la commémoration : même si les survivantes semblent être heureusesde participer, estce que cela justifie un concours sur la souffrance et leur beauté extérieure ?Estce qu’on peut hiérarchiser lessouffrances ? Que transmettonsnous aux générations futures ausujet de l’Holocauste ? Et puis j’aidécouvert que c’était les évangélistes de droite qui finançaient leconcours, ce qui a tout ramené àun autre niveau, celui de la politisation de la mémoire, quandbien même, de leur point de vue,ils restent persuadés de mettre
en valeur « la beauté intérieure »des déportées.
Vous vous éloignez des prérequis pédagogiques d’un documentaire classique. On ne sait à peu près rien du mouvement évangélique à l’origine de ce concours. On ne sait pas davantage ce qu’en pensent les participantes. Pourquoi ce choix ?
Mes inspirations étaient desdocumentaristes contemplatifstels que Chantal Akerman et Frederick Wiseman. Je voulaisouvrir un espace pour que les spectateurs puissent méditer surla façon dont la politique, la mémoire et le spectacle sont interconnectés. Donc, vous avez raison, ce n’est pas un documentaire informatif. En mêmetemps, nous soulignons le soutien politique et financier desévangélistes et la façon dont ilsvisent à « restaurer Sion ».
En ce qui concerne les survivantes, j’ai essayé d’éviter les explica
tions psychologiques simples. Sophie, notre personnage principal, a ses propres contradictions, comme tout autre être humain.Elle n’aime pas l’idée de raconterson histoire devant un publicanonyme, mais elle décide departiciper au concours pour honorer sa sœur. Mais estce vraiment l’histoire complète ? Le concours offre une promesse deglamour et Sophie arrive à son interview pleine de bijoux. Et finalement, peutêtre qu’au fond elleveut partager son traumatismeface au public. On peut même sentir qu’elle aimerait gagner.C’est donc très complexe. Je veuxque les spectateurs sympathisent avec elle sans se contenter de réponses faciles. N’oublions pas non plus la question du financement de la maison de retraite : les survivantes sont très reconnaissantes du soutien des évangélistes et, bien que cela puisseêtre troublant, on ne peut s’empêcher d’éprouver de la sympathie pour ce geste.
Ce concours estil de notoriété publique en Israël ? Y faitil débat ?
Les deux premières années,le spectacle était assez controversé. Il y a eu des débats sur lesmédias et des personnes influentes comme Colette Avital, à latête du groupe de coordination des 54 organisations de survivants, l’a qualifié de « macabre ». Aujourd’hui, les critiques se poursuivent mais il semble que le concours soit devenu une nouvelle réalité.
Le film seratil vu en Israël ?Il y aura sûrement une distribu
tion grâce à notre coproducteurisraélien, Spiro Films, mais il estdifficile de savoir à l’avance, vu lasituation avec le virus. Pendant l’étape du montage, la plupartdes Israéliens à qui j’ai montré lefilm ont eu des réactions intenses. Le sujet est beaucoup pluschargé pour eux.
propos recueillis parj. ma.
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0123DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 2020 culture | 23
SÉ
LE
CT
IO
N
AL
BU
MS VÉRONIQUE GENS, I GIARDINI
NuitsMélodies de Lekeu, Fauré, Berlioz,La Tombelle, Massenet, SaintSaëns,Chausson, Liszt, Ropartz, Widor, Louiguy,Messager, Hahn. Véronique Gens(soprano), Shuichi Okada et PabloSchatzman (violons), Léa Hennino (alto),
Pauline Buet (violoncelle), David Violi (piano), I Giardini.Rodé à la flamme du concert, ce récital de mélodies françaises, mâtiné de transcriptions pour le quintette à cordes avec piano I Giardini, est remarquable. Comme tous les projets du Palazzetto BruZane, le programme mêle le rare au célébrissime. Ainsi Après un rêve, de Fauré, côtoyant l’un des Quatre poèmes, de Guy Ropartz. Il faut l’art consommé de Véronique Gens pour donner à ces saynètes vocales leur content de poésie, de mystère et de nuit, nonobstant quelques éclats lumineux comme le malicieux J’ai deux amants, de Messager. Amour du son, art de la langue, la chanteuse raffine la ligne et cajole le verbe qu’elle pare de demiteintes chatoyantes ou dramatiques. L’écrin chambriste et caressant des cordes, le toucher aérien du piano, que tentent parfois des horizons plus orchestraux (extrait du Quintette, de Widor), parent cette musique de salon de raffinements capitonnés. Qu’il s’agisse d’évoquer l’exotisme teinté de romantisme d’un La Tombelle ou d’un SaintSaëns, ou de brosser les paysages symbolistes d’un Chausson ou d’un Lekeu. marieaude roux1 CD Alpha Classics.
HENRI TEXIERChanceLe dernier opus du contrebassiste ne déroutera personne. Et c’est sa chance. VoirStanding Horse, deux minutes à mainsnues, confort, exactitude, sécurité. Régularité de Chaix, délicatesse des choses bienfaites, les huit thèmes de Chance, dont
quatre composés par ses partenaires, font le point d’une exploration en cours. Texier, acteur fondamental : outre la rondeur d’un son qui lui ressemble, le goût de la mélodie, Chance a des airs de famille. Avec Sébastien Texier et Vincent Lê Quang (saxophone), Gautier Garrigue (batterie) et Manu Codjia (guitare), la recherche de l’essentiel, sous photo de Guy Le Querrec (agence Magnum), un cheval né en 1945 dans la lande de Batz (Finistère). On nomme oologistes les collectionneurs de coquilles d’œufs et numismates, ceux de monnaies. Avis à ceux qui collectionnent les albums avec Manu Codjia : guitariste étonnant, il est plus discret qu’un sideman classique, et plus offensif. Il colore, détoure, augmente de quintes diminuées les musiques qui n’attendent que lui. Celle de Texier, ce n’est pas la première fois, comme une chance aussi prévisible qu’inattendue. francis marmande1 CD Label bleu/L’Autre Distribution.
RON SEXSMITHHermitageVoix douce, caressante, Ron Sexsmithravit avec Hermitage et ses quatorze chansons réalisées avec un soin d’orfèvre. LeCanadien allie pop et folkrock, allant plusou moins vers la première forme (Chateau Mermaid, Small Minded World…) ou
la seconde (l’allègre Lo and Behold, Winery Blues, Morning Town). Il y a ici une légèreté, une envie de luminosité musicale bien affirmées, qui avaient commencé à se faire entendre depuis quelques albums – Carousel One, en 2015, The Last Rider, en 2017 –, lui qui aura souvent évolué vers des ambiances au romantisme plus sombre. Guitares acoustiques ou légèrement électriques, piano, rythmique tranquille constituent la base instrumentale, ici ou là rejointe par quelques cordes, à un ensemble tout en courbes mélodiques. sylvain siclier1 CD Cooking Vinyl/V2-Bertus.
OTHER LIVESFor Their LoveChantre d’une popfolk feutrée mais pasmoins cinégénique, Other Lives, emmenépar Jesse Tabish, avait frappé un grandcoup en 2011 avec le spectaculaire TamerAnimals et ses orchestrations à donner letournis. Depuis, la formation basée à
Portland (Oregon) s’imposait comme trait d’union entre le Radiohead crépusculaire de Street Spirit (Fade Out) et la countrypop léchée d’un Glen Campbell. Alors que le précédent opus, Rituals (2015), explorait les champs de l’électronique, For Their Love marque le pas technologique pour revenir à une approche symphonique plus traditionnelle : la pop en Cinémascope de Cops exhume les bandes originales de John Barry, tandis que We Wait multiplie les clins d’œil à Ennio Morricone. On découvre chez ces adeptes de l’harmonie en clairobscur des éléments soul plus prononcés (Night’s Out, Sound of Silence), escortés d’envoûtants chœurs féminins. franck colombani1 CD PIAS.
DABABYBlame It on BabyVoilà la première pochette d’album d’unrappeur américain confiné, masque dechantier sur le nez. DaBaby est aussiconnu aux EtatsUnis pour ses disques(deux en 2019, Baby on Baby et Kirk), quepour ses frasques judiciaires (fusillade,
agression d’un producteur de concerts et gifle à une fan). Son troisième album, Blame It on Baby, rafle déjà les premières places sur les platesformes d’écoute en ligne. Enregistré sur la route lors de la dernière tournée de DaBaby, juste avant le confinement planétaire, il est produit par son DJ, K.I.D, qui avait lancé un appel sur Instagram en janvier pour compléter ses propres productions. Le résultat est étonnant. Le phrasé en notes détachées de DaBaby, proche du staccato, s’amuse sur un arpège de guitare et une avalanche de beats (Find My Way). Agrémenté de chant et de basses surpuissantes, il fait mouche sur Can’t Stop et Rockstar, avec la participation d’un autre prodige du rap américain, Roddy Ricch. Sont aussi invités Quavo, de Migos (Pick Up) et l’idole Future (Lightskin Sh*t). Parfait pour « s’ambiancer », confiné(e) dans son salon. stéphanie binet1 CD Interscope/Universal Music.
Lire aussi sur Lemonde.fr les critiques des albums de Pascal Dusapin et Lolomis
Fiona Apple orchestre la violence de ses émotions à la maisonUstensiles de cuisine, meubles… constituent la trame rythmique de « Fetch the Bolt Cutters »
POP
A ucun album ne feramieux l’éloge du confinement que Fetch the Bolt
Cutters, le cinquième de Fiona Apple, que la chanteuse et pianisteaméricaine a mis près de huit ans àconcevoir en restant chez elle. Composé et enregistré dans sa demeure de Venice Beach (Californie), ce disque fascinant doit autant à l’intimité d’une vie domestique qu’à l’organique mise enson de celleci. Refuge pour une artiste fuyant la violence du monde, ce havre s’est aussi transformé en instrument de musique, dont les murs, le plancher, la batterie de cuisine ou les animaux sont devenus les caisses de résonance d’une fiévreuse intranquillité.
Fêlures, vulnérabilité et puissance créative accompagnent Fiona Apple depuis un premier album, Tidal (1996), révélant le talent mature d’une NewYorkaise d’alors 18 ans. Tout en profondeur mélancolique, ses chansons imprégnées de culture classique et jazz, de John Lennon, des songwriters féminins (Kate Bush, Joni Mitchell, Carole King…) et du renouveau hiphop, vibraient aussi d’un malaise à vif. La musicienne,victime d’un viol à l’âge de 12 ans, confiait alors au Monde : « J’ai vécu des expériences douloureuses qui m’ont coupée rapidement des gens de mon âge. On m’a forcée à entrer dans le monde des adultes, alors que j’aurais dû rester une gamine paisible. Je suis extrêmement sensible, le moindre événement peut profondément m’affecter. Mais j’ai aussi appris à transformer ces épreuves de manière positive et créative. J’ai vieilli plus vite. »
Après un deuxième album,When the Pawn… (1999), qui laissait craindre que cette précociténe l’enferme dans une écriture« adulte » conventionnelle, la pianiste aux yeux bleus et à la voix grave a pris le temps de remettreen question son travail dans chacun des autres chapitres de sa discographie. Parfois au prix de violents conflits avec sa maison de disques (Epic, filiale de Sony), comme lors d’Extraordinary Machine (2005), mais en finissant parimposer toujours plus d’audace (The Idler Wheel…, 2012), et une
sensibilité radicale, n’hésitant pas à explorer une vie amoureuseécorchée ou à exposer la fragilitéde sa santé mentale, en précurseure de Lorde ou de Billie Eilish.
Rudesse intense et ludiqueLe titre de son nouvel album – littéralement « Allez chercher le coupeboulons » – dit beaucoup de la fonction émancipatrice de sonart. La formule fait référence àune phrase prononcée dans la série The Fall par une enquêtrice jouée par Gillian Anderson qui, découvrant une victime séquestrée et torturée, demande un « bolt cutters » pour la libérer. Pourcelle qui n’a jamais hésité à parler ouvertement du traumatisme sexuel de sa jeune adolescence, on devine à quel point la vague #metoo a pu contribuer à nourrir l’énergie d’un disque ciblant souvent une masculinité toxique.« Tu m’as violée dans le même lit [que celui] où ta fille est née », assènetelle dans « For Her ».
Fiona Apple construit la quasitotalité de ces treize titres à partir d’une trame rythmique lui permettant d’exprimer la violence de ses émotions, comme une guerrière chargeant au son du tambour. Œuvre confinée, Fetch the Bolt Cutters n’en est pas moins le fruit d’échanges avec la batteuse Amy Aileen Wood, le bassiste Sebastian Steinberg et le guitaristeet vibraphoniste David Gazza. Prêts à tous les jeux, ces musiciensont accompagné la chanteuse dans l’exploration d’un environnement lui fournissant une matière sonore. En tambourinant les cloisons de sa maison, en piétinant le plancher, en créant un instrumentarium à partir des ustensiles de cuisine, des meubles ou des aboiements de ses chiens, Fiona Apple a ancré dans le quotidien des compositions à l’impact d’autant plus cru qu’émotionnel.
Cette rudesse intense et ludiquepermet à son chant de s’évader comme jamais. Dans une même
chanson, elle passe d’une grave caresse à un âpre tremblement (I Want You to Love Me), d’une diction enfantine à une imprécation façon Patti Smith (Shameika). Sanshésiter aussi à souffler, grommelerou japper sauvagement.
Cette intensité pourrait éprouver les nerfs, si l’album n’était pas traversé par des figures rythmiques accrocheuses et une musicalité affleurant derrière la force cruede ces expériences. Fiona Apple se réinvente en demeurant une pianiste et chanteuse façonnée par les mélodies du jazz, du cabaret, dela chanson romantique (Cosmonauts), la puissance du gospel (Ladies) et du blues (Heavy Balloon, l’extraordinaire Relay). Tout cela sublimant, comme dans Under theTable (« Tu peux me donner des coups de pied sous la table tant quetu veux/Je ne la fermerai pas »), undésir ardent de se faire entendre.
stéphane davet
Fetch the Bolt Cutters, Epic/Sony.
Des inédits de Bowie réunis dans un nouvel album« ChangesNowBowie » rassemble des chansons qui avaient été enregistrées pour une émission de la BBC, à l’occasion des 50 ans du chanteur, en janvier 1997
MUSIQUE
M adison Square Garden,9 janvier 1997. Dans lagrande salle newyor
kaise, l’on fête, avec un jour de retard, les 50 ans de David Bowie, néle 8 janvier 1947 à Londres. Au répertoire des succès du chanteur, des reprises, dont des titres de Lou Reed, invité avec d’autres comme The Foo Fighters ou Robert Smith, de The Cure, des nouveautés d’un album à venir, Earthling (dont Little Wonder, Battle for Britain, Dead Man Walking…). Avant ce concert, Bowie a enregistré une douzaine de ses chansons,dans des versions acoustiques ou légèrement électriques, en vued’une émission pour la BBC, diffusée le jour de son anniversaire.
Si le concert n’a pas encoreconnu de publication officielle,alors qu’il est disponible depuis longtemps en version pirate, les neuf chansons conservées pour l’émission, elles aussi largement piratées, sont désormais réunies dans l’album ChangesNowBowie.
A l’origine, elles étaient entrecoupées d’entretiens avec le chanteuret de témoignages d’amitié et d’admiration de musiciens. Aux côtés de Bowie, qui joue de la guitare, la bassiste Gail Ann Dorsey etle guitariste Reeves Gabrels, tousdeux aux chœurs, ainsi que le claviériste Mark Plati par moments.
Bowie a surtout choisi des compositions du début des années 1970, plutôt acoustiques dansleurs premières versions. Ainsi,The Man Who Sold the World, plusdépouillé, Aladdin Sane, dans unesobriété à laquelle il manque lepiano torrentiel et free de MikeGarson, que Plati évoque lointainement, et le solo de saxophone final, Lady Stardust ou Quicksand,tout aussi superbe que l’original, qui a conservé son envol de cordes, ici réalisé aux claviers.
Plus surprenantes sont les reprises de Repetition, morceau unpeu oublié à la fin de l’album Lodger (1979), et Shopping for Girls, dudeuxième album studio de TinMachine, groupe formé par Bowie avec Gabrels et les frères
Tony et Hunt Sales, respectivement à la basse et à la batterie, et actif de 1988 à 1992. L’une etl’autre sortant gagnantes de cette révision, la seconde plus particulièrement, sans la pesanteur rythmique initiale. Et, pour rendre hommage, Bowie reprend White Light/White Heat du Velvet Underground, avec un appui métronomique de grosse caisse.
Sortie physique prévue le 20 juinA cet agréable ensemble, proposépour l’heure en dématérialisé surles principales platesformes de diffusion en ligne, par abonnement ou à l’achat – la sortie physique est prévue le 20 juin –, l’on ajoutera le minialbum Is It Any Wonder ?, lui aussi en dématérialisé, après une sortie physiqueen tirage ultralimité, mimars, épuisé. Dans un traitement nettement plus expérimental etélectrique, ce recueil comprendcinq inédits – et un mix anecdotique par Brian Eno de The ManWho Sold the World, qui figurait sur un CD single en 1995 –, en
relation avec l’album Earthling,sorti en février 1997 et la tournéequi a suivi.
Entouré de Gabrels, Garson,Dorsey et du batteur Zack Alford,Bowie remet Tin Machine à l’honneur avec Baby Universal et I Can’tRead, sans batterie. Lui et ses camarades réinventent aussi le funky Stay de l’une de ses grandesœuvres, l’album Station to Station (1976), avec fidélité et innovation. Le résultat est très réussi,comme l’est Nuts, un temps prévupour Earthling, sur une base drum’n’bass traversée de guitaressaturées. Dommage que la diffusion en ligne de ce court mais dense album omette, contrairement à l’édition physique, leClownboy Mix de Fun, bizarrerie qui trouve son origine dans la ligne de basse de Fame (Young Americans, 1975) et dont circulent plusieurs remixes.
sylvain siclier
ChangesNowBowie et Is It Any Wonder ?, Parlophone/Warner Music.
La chanteuse américaine Fiona Apple chez elle, aux EtatsUnis, en 2020. EPIC/SONY
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24 | télévision DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 20200123
HORIZONTALEMENT
I. Ne fera même pas bouger le fléau. II. Servent de référence, à tort ou à raison. Certaines sont restées vierges. III. Transformèrent en charmant pe-tit mouton. IV. Sortis de la boîte. Fit de nombreux tours et détours. V. Ro-bert De, acteur. Bon conservateur. Du narthex au chœur. VI. Attend les re-tours en cave. Point. Panade ou autre purée. VII. Réfractaire au labo. Pas toujours facile à entretenir ni à parta-ger. VIII. Bouffé par la ville. Pas très futé. IX. Cube chiffré. Débarquâtes. In-terjection. X. Ouverture instrumen-tale. Expérimentées.
VERTICALEMENT
1. Sans borne et beau comme du Sé-golène. 2. Extrêmement dangereux. 3. S’adresser avec insistance. Bonne appréciation. 4. Médecin du monde. Travailleur manuel. Salutation angé-lique. 5. Dans les temples grecs et égyptiens. Peut-être vu mais pas connu. 6. Fûtes dans l’obligation. Saintement protégé. 7. Difficile d’aller plus loin que lui. 8. Tristes comme des veuves. 9. Pour le repos ou le bat-tage. Chef de gang. Patron du jour. 10. Sans écailles et allongées, elles vivent en eaux douces. 11. En tête en attendant de passer au grattage. Fait appel. 12. Courriers express.
SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 099
HORIZONTALEMENT I. Dédoublement. II. Enervée. Ouïr. III. SVP. Es-gourde. IV. Toise. Ur. V. Rut. SNE. OPEP. VI. Utes. ONG. Eté. VII. Ce. Imites. Rt. VIII. Tumeur. Nuait. IX. Iseut. Giclée. X. Ferrailleurs.
VERTICALEMENT 1. Destructif. 2. Envoûteuse. 3. Dépité. Mer. 4. Or. Sieur. 5. Uvées. Muta. 6. Bès. Noir. 7. Lèguent. Gl. 8. Or. Genil. 9. Mou. Suce. 10. Europe. Alu. 11. Nid. Etrier. 12. Trempettes.
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allant de 1 a 9.
Chaque chiffre ne doit
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CHEZ VOTRE MARCHANDDE JOURNAUX
Chaque jeudi,l’essentielde la presseétrangère
lavied’aprèsDans quel état
allons-nous sortirdu confinement ?
Quels effets sur notrecorps, notre psychisme,
notre relation aux autres ?Pour la presse étrangère,
nous entrons dans l’èredu sans-contact
Afriq
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Algérie
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5,20€Japon850¥
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€Portugalcont.5,20€
Suisse
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Tunisie7,20
DT
No 1538 du 23 au 29 avril 2020courrierinternational.comFrance : 4,50€
D I M A N C H E 2 6 AV R I LTF121.05 Hôtel Transylvanie 2Film d’animation de Genndy Tartakovsky (EU, 2015, 85 min).France 221.00 La Guerre des boutonsFilm de Yann Samuell. AvecAlain Chabat, Eric Elmosnino, Mathilde Seigner (Fr., 2011, 110 min).France 321.05 Inspecteur BarnabySérie. Avec Neil Dudgeon (RU, 2017).Canal+21.05 Best of Top 14Rugby. Clermont-Auvergne.France 520.50 FannyPièce mise en scène par Irène Bonnaud. Avec Marie-Sophie Ferdane, Gilles David.Arte20.55 La Fille de D’ArtagnanFilm de Bertrand Tavernier.Avec Sophie Marceau, Philippe Noiret, Sami Frey (Fr., 1994, 125 min).M621.05 Zone interditeMagazine présenté parOphélie Meunier.
LU N D I 2 7 AV R I LTF121.05 Astérix et Obélixcontre CésarFilm de Claude Zidi. Avec Christian Clavier, Gérard Depardieu, Roberto Benigni (Fr.-All.-It., 1998, 125 min).France 221.00 Meurtres au paradisSérie. Avec Ralf Little (Fr.-RU, 2020).France 321.05 Le Monde de JamyCes animaux qui nous font du bienDocumentaire de Bruno Bucher et Mathieu Duboscq (Fr., 2019, 120 min).Canal+21.05 Le Bureau des légendesSérie. Avec Mathieu Kassovitz,Sara Giraudeau (Fr., 2019).France 520.55 Symphoniepour un massacreFilm de Jacques Deray. Avec Jean Rochefort, Charles Vanel, Michèle Mercier (Fr.-It., 1963, 110 min).Arte20.55 Opération juponsFilm de Blake Edwards. Avec Cary Grant, Tony Curtis (EU, 1959, 115 min).M621.05 Mon beau-père et moiFilm de Jay Roach. Avec Robert De Niro, Ben Stiller (EU, 2000, 100 min).
« Dix petits Nègres » adapté en thriller sans enquêteurSarah Phelps a réalisé pour la BBC l’une des meilleures versions du classique d’Agatha Christie
TF1 SÉRIES FILMSDIMANCHE 26 - 21 H 00
TÉLÉFILM
A Christie for Christmas »,autrement dit « unAgatha Christie pourNoël », fut longtemps
le plus futé des slogans pour écouler comme des petits pains les romans de celle qui est toujours surnommée « la reine du crime ». Remettant cette devise au goût du jour, la BBC réunissait les Britanniques devant le petit écran, le 26 décembre 2016, en leur offrant une nouvelle adaptation de Dix petits Nègres, le plus vendu de ses romans. Cette version nous est resservie en plein printemps par TF1, pour notre plus grand plaisir.
Pour cette adaptation en troisparties, la BBC avait fait appel àl’une des scénaristes les plus envue dans le pays, Sarah Phelps, laquelle décida, tout en restant parfaitement fidèle à l’esprit du roman, de fouetter le sang du spectateur, même le plus averti, en intensifiant encore la dimensionde thriller noir psychologique deDix petits Nègres.
Qui plus est, avec l’accord de lafamille de la romancière, la scénariste a apporté quelques touches plus « sexy » à la dramaturgie, esquissant ici une romance, ajoutant là une scène mêlant drogue et alcool, introduisant un
langage moins châtié que l’époque ne le supportait, et modifiantà la marge la façon dont certainspersonnages mourront.
Une comptine du XIXe siècleCar oui, mieux vaut le savoir, les assassinats ne manqueront pasdans cette minisérie, et aucun détective professionnel ou amateur à la Poirot ou à la Miss Marple ne
sera là pour enquêter et élucider les meurtres qui vont s’enchaîner.Jusqu’à l’image finale, le mystèrerestera entier.
Rappelons le point de départ dece thriller sans enquêteur. En août 1939, dix personnes qui ne seconnaissent pas (huit invités etdeux domestiques) sont conviées à rejoindre l’île du Soldat, un coin désolé de roc et de lande, au sud de
l’Angleterre. A leur arrivée dans la riche demeure, leurs hôtes, M. et Mme. A. N. O’Nyme, ne sont pas là pour les accueillir. Ils resteront tout autant absents lors du dîner réunissant pour la première fois leurs invités, lesquels se présenteront les uns aux autres avant qu’une voix, comme venue d’outretombe ou de la bouche d’un Commandeur, n’accuse cha
cun d’eux d’un crime qu’il aurait commis dans le passé sans que jamais justice ait pu être rendue…
Décors et musique, écriture ettension paranoïaque, réalisation et, surtout, jeu des acteurs, tout,ici, concourt à la réussite de cette adaptation télévisée. La scénariste et le réalisateur auront moins cherché à mettre en scènedes morts théâtrales, glauques eteffrayantes, qu’à instiller une oppressante sensation de mystère.
Il est à noter que ce roman calque son évolution sur celle d’une comptine du XIXe siècle, Ten Little Niggers (ellemême adaptée d’une chanson américaine, Ten Little Indians) : Dix petits Nègres s’en furent dîner/L’un d’eux but à s’en étrangler/N’en resta plus que neuf./Neuf petits Nègres se couchèrent à minuit/L’un d’eux à jamais s’endormit/N’en resta plus que huit. Etc. D’où le titre original du roman, Ten Little Niggers, qui devint And Then There Were None dans l’édition américaine (dernier vers de la comptine, ajouté par Agatha Christie), et qui fut adopté comme titre définitif.
martine delahaye
Agatha Christie : Dix petits Nègres, téléfilm adapté du roman d’Agatha Christie par Sarah Phelps. Avec Maeve Dermody, Charles Dance, Sam Neill (RU, 2015, 3 × 55 minutes).
Maeve Dermody, dans l’adaptation de la BBC de « Dix petits Nègres ». 20TH CENTURY FOX/TF1
Aux origines du culturisme de masseArte jette un regard historique, politique, économique et philosophique sur la démocratisation de la « gonflette »
ARTE.TVÀ LA DEMANDE
SÉRIE DOCUMENTAIRE
D epuis quand faiton dubodybuilding ? Réservé àla fin du XIXe siècle aux
« Hercule de foires », le culturismeest devenue en quelques décennies une norme qui s’affiche à la « une » des magazines, dans les blockbusters hollywoodiens, les salles de fitness et sur les réseaux sociaux. « Les muscles n’ont jamaisété aussi visibles que depuis qu’on n’a plus besoin d’eux », nous dit le
commentaire de Tous musclés, websérie en dix épisodes. Que révèle cette quête de notre société et de notre époque ? Jérôme Momcilovic et Camille Juza, déjà auteurs d’un film sur la star du milieu, l’acteur et homme politique américain Arnold Schwarzenegger, nous plongent dans l’histoire de cette pratique apparue avec les sociétés industrielles.
A la fin du XIXe siècle, l’épanouissement du capitalisme, qui valorise l’individu, accompagne ce quel’historien Johann Chapoutot appelle le « triomphe du darwinisme
social », qui veut que « seuls les plusforts s’imposent ». « Ce modèle s’imprime dans tous les domaines de l’existence » – y compris le corps –, explique l’économisteGuillaume Vallet.
« Corps d’un nouvel ordre »L’on apprend ainsi qu’il existe aujourd’hui 5 500 salles de fitness en Europe pour 60 millions de pratiquants et 27 milliards d’euros annuels de chiffre d’affaires. On y construit un « corps d’un nouvel ordre », qui n’incarne pas que laforce, le masculin, le féminin ou
l’érotisme, mais vient nourrir le rêve de parvenir au stade ultime du développement humain, voire au posthumain. « Le muscle estilpolitique ? » Forcément, répond l’historien Johann Chapoutot, puisqu’il s’agit « d’affirmer une puissance, la place d’un individu dans un champ concurrentiel ». Plus d’un siècle après ses débuts, ce processus d’individualisation du corps et cette quête de perfection s’étalent en long et en large sur les réseaux sociaux. Aux témoignages de bodybuilders, professionnels ou amateurs, Jérôme
Momcilovic et Camille Juza ajoutent des éclairages, tels ceux de l’anthropologue JeanJacques Courtine et de l’écrivain Nicolas Chemla, et des images spectaculaires. Tous musclés tisse l’histoire d’une pratique sportive et artistique souvent considérée comme une sousculture réservée à des « freaks ».
mouna el mokhtari
Tous musclés, de Jérôme Momcilovic et Camille Juza (France, 2019, 10 × 5 min). Sur Arte.tv à partir du lundi 27 avril.
V O SS O I R É E S
T É L É
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4SAMEDI 19 OCTOBRE 2019 - 75E ANNÉE - N O 23257 - 4,50 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR - FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
WEEK-END
MAGAZINESPÉCIAL DESIGNJAPONAIS
MASPÉCIAL DESIGN JAPONAIS idées Saviano, Ferrante, Vargas Llosa, Rushdie… :
« La cause des Kurdes nous concerne »
UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE,EN BELGIQUE ET AU LUXEMBOURG
BREXIT: UN NOUVEL ACCORD ET DES INCERTITUDES▶ JeanClaude Juncker,président de la Commission européenne,et Boris Johnson,premierministrebritannique, ont annoncé, à Bruxelles,jeudi 17octobre, avoirconclu un accord surla sortie du Royaume
1ÉDITORIALAMER COMPROMISPOUR L’EUROPE
la décision en juin 2016 desdu RoyaUni de l’UE▶ Approuvé par lesVingtSept, le textedoit encore être validé, samedi, par unParlement britannique qui resteextrêmement divisé
Britanniques de quitter l’UEreprésente une régressionpour le continent et traduitun échec collectif. Mais, acquise à 51,9%, elle doit êtrerespectée. L’accord sur lesmodalités de ce départ, conclujeudi 17 octobre à Bruxelles,prévoit une rupture nette, unBrexit plus dur que celui, flou,qui avait été vendu aux électeurs.Mais, face à lamenace
DIMANCHE 27 - LUNDI 28 OCTOBRE 201975E ANNÉE– NO 23264
2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
L’ÉPOQUE – SUPPLÉMENT LES ARTISTES MORTS N’ONT JAMAIS AUTANT TRAVAILLÉ
Chômage: l’espoir d’une amélioration durable▶ Au troisième trimestre,le nombre de demandeursd’emploi sans aucune activité a diminué de 0,4%,selon les chiffres publiésvendredi 25octobre
▶ Le reflux du nombrede chômeurs se confirmedoucement. Il s’agitdu quatrième trimestrede baisse. Sur un an, ladécrue est nette, à – 2,4%
▶ Ces résultats font écho àla bonne santé dumarchédu travail. Jeudi, le réseaudes Urssaf a fait étatd’une «augmentationsoutenue» des CDI
▶ Lamontée en régime duplan gouvernemental deformation contribue aussià cette baisse, encore fragile dans une conjonctureinternationale incertaine
▶ L’exécutif et samajoritéjugent atteignablel’objectif d’un taux dechômage ramené à 7%à la fin du quinquennatPAGE 10
CHILI AUX SOURCESDE LA COLÈRE▶ Lemouvement de contestation quidénonce les inégalités sociales a connu unemobilisation historique à Santiago vendrediPAGE 4
Géopolitique Le rêve briséd’autonomie des Kurdes
TURQUIE
SYRIE
▶ L’offensive turquedans le NordEst syrienmarque un coup d’arrêtau projet politique dupeuple apatridePAGES 16 À 19
Lubrizol Corse
IRAK
SYRIE
1 ÉDITORIAL
ÉTERNELS LAISSÉSPOURCOMPTEPAGE 30
19e
/mois
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Le Carnet
AU CARNET DU «MONDE»
Décès
Mme Françoise Baudin,son épouse,
Catherine et Florent Prévot,Jean-Bernard et Claire-Anne Baudin,François et Isabelle Baudin,Isabelle et Nicolas Fougeront,
ses enfants,Tous ses petits-enfantsEt ses arrière-petits enfants,
ont le chagrin de faire part du décèsde
Bernard BAUDIN,
survenu à Reims,le 9 avril 2020,dans sa quatre-vingt-treizième année.
Une messe sera célébrée dès queles circonstances le permettront afinde prier pour lui et se recueillir en samémoire.
Cet avis tient lieu de faire-part.
1, rue Jean-Jacques-Sardou,06110 Le Cannet.
Delphine, Sophie, Emmanuelleet Christophe,ses enfantsainsi que leurs conjoints,
Ses huit petits-enfantsEt ses trois arrière-petits-enfants,Françoise Auricoste,
sa sœur,
ont l’immense chagrin de faire partdu décès de leur sœur, mère, grand-mère ou arrière-grand-mère chérie,
Mme Claude BAUDOIN,née GIRARD,
qui s’est éteinte à son domicile,le 21 mars 2020,à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
A ceux qui l’ont connue et aimée,que vos pensées et prièresl’accompagnent.
Une cérémonie religieuse seracélébrée ultérieurement.
La famille de
Jean Claude BERGONZINI,
a la douleur d’annoncer son décès,survenu le 24 février 2020.
Bernard et Dina Boutin, Hubertet Jeanne Boutin, Florence et JacquesCurnillon,ses cousins,
Tanguy et Charlotte Boutin,Olivier et Clotilde Boutin,ses neveux,
Hélène Becharat-Reltgen,sa filleule,
Toute sa famille,Ses amis,Ses anciens collègues des éditions
Gallimard,Tous ceux qu’il a aimés,
font part du rappel à Dieu de
M. Gérard DUBUISSON,
le samedi 18 avril 2020, à Caen,à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.
La bénédiction suivie del’inhumation ont eu lieu le jeudi23 avril, au cimetière de Fleury-sur-Orne, dans la plus stricte intimité.
PF Barbier, Fleury-sur-Orne.Tél. : 02 31 82 34 43.
Le docteur Armelle George-Guiton,son épouse,
Julie et Sébastien Castegnaro,Lise George et Eli Commins,
ses filles et gendres,Ivanne, Gabin, Anna, Theodore,
ses petits-enfants,Thierry et Colette Sabin,
son frère et sa belle-sœur,Coralie, Amaury, Alban, Laetitia,
Priscille, Alexis,ses neveux et nièces,
Martine Guiton,sa belle-sœuret ses enfants, Romain et Marion,
Olivier Guiton,son beau-frèreet ses enfants, Thomas et Laura,
Les familles George, Ulrich,Touchot, Breton, Dellestable, Cazard,Gorsse, Butler, Maziol,ses cousins et cousines,
Les familles Guiton, Vergara,Richard,sa belle-famille,
ont l’immense tristesse de faire partdu décès du
docteur Christian GEORGE,ancien interne
des Hôpitaux de Paris - ACCAHP,ancien chef de service
de psychiatrie infanto-juvénile,
survenu à Paris le 18 avril 2020,à l’âge de soixante-dix-sept ans.
La cérémonie religieuse seraorganisée ultérieurement.
Le docteur Hélène LilianeGherchanoc,son épouse,
Florence et Jérôme,ses enfants,ainsi que leurs conjoints, Daniel etSophie,
Vladimir, Anouk, Ève et Ruben,ses petits-enfants qu’il aimait tant,
Toute sa familleEt ses amis,
ont l’immense tristesse de faire partdu décès de
Benoît GHERCHANOC,
survenu le 16 avril 2020.
Il a été inhumé au cimetièreparisien de Bagneux, le 20 avril.
Ce présent avis tient lieu de faire-part.
La famille Harbi
a l’immense tristesse de faire partdu décès de
Cherif HARBI,ancien journaliste
et fonctionnaire à l’ONU,
survenu à Paris le 16 avril 2020,à l’âge de quatre-vingts ans.
L’inhumation a eu lieu le 20 avril,au cimetière parisien de Thiais.
Lyon.
Les familles Houssel, Millet,Nagarettiname,
Jean-Marc, Dominique, Hadrien,Bertrand, Laurence, Nobel, Sophie,Alice, Arnaud, Antonin, Hanna,ses enfants, ses beaux-enfants etses petits-enfants,
Sa famille,Ses amis,Ses collèguesEt tous ceux qui l’ont connu, qui
nous témoignent leur amitié,
ont la douleur de faire part du décèsde
Jean-Pierre HOUSSEL,professeur émérite
à l’université Lumière - Lyon II,
survenu le 19 avril 2020,à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.
Il a été inhumé dans la plus stricteintimité au cimetière du Mazet-Saint-Voy, auprès de son épouse,
Suzanne,née BOUCHET.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Nous avons la grande douleurde faire part de la mort de
Claude NABOKOFF,née JOXE,
survenue le 22 avril 2020,dans sa quatre-vingt-onzième année.
Ivan Nabokoff,son mari,
Alexis et Barbara Nabokov,son fils et sa belle-fille,
Catherine Nabokov,sa fille,
Basile et Lisa Bretagne,ses petits-enfants,
Alain et Pierre Joxe,ses frères,
Cécilia Joxe et Roula Zein-Joxe,ses belles-sœurs,
Valérie Joxe,
Peter Nabokov et AlexandreNabokoff,ses beaux-frères,
Baptiste, Benoit, Julien, Marianne,Marie, Nicolas, Sandra, Simon Joxe,ses nièces et neveux.
« Quiconque vit et croit en moine mourra jamais. »
(Jean 11, 26).
Dès que les circonstances lepermettront, un culte commémoratifd’action de grâce aura lieu.
[email protected]@[email protected]
L’association Maisons Paysannesde France
a la grande tristesse de faire partdu décès de
Jean PEYZIEU,administrateur,
survenu à Montpellier,le 18 avril 2020.
Il avait mis sa forte personnalité etses compétences de grand journalisteau service de la défense du patrimoine.Ses actions et ses articles rendaientcompte, avec une grande exigence,des richesses de notre héritagevernaculaire et à son intégration dansle monde d’aujourd’hui.
Maisons Paysannes de Frances’associe à la peine de son épouseJacqueline et de ses enfants.
Cet avis tient lieu de faire-partet de remerciements.
La Celle-Saint-Cloud.
Ses enfants,Ses petits-enfantsEt ses arrière-petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décèsde
Françoise SABARLY,née LASMARTRES,
survenu le jeudi 9 avril 2020,dans sa quatre-vingt-quinzième année.
Elle sera inhumée le 7 mai, dansla plus stricte intimité au cimetièrede La Celle-Saint-Cloud.
Olivia, Gabriel et Lilia,ses enfants,
Elisabeth, Jean, Béatrice et Noa,ses petits-enfants,
Christiane Demoulin,sa sœur
Ainsi que toute la famille,
ont la douleur de faire part du décèsde
Me Marie-France SANCHEZ,née DEMOULIN,
avocate au barreau de Paris,
survenu le 22 avril 2020.
En raison des circonstancessanitaires actuelles, la cérémoniereligieuse aura lieu dans l’intimitéfamiliale, le lundi 27 avril.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Sa famille,Ses amis,
ont la tristesse de faire part du décèsde
Bernard TERRIEUX,lecteur assidu,
survenu à Toulouse, le 20 avril 2020.
Bourg-la-Reine.
Mme Teresita Morales de Velarde,son épouse,
Socorro et François, Juana et Denis,Sophie et Véronique, Anaë, Yaëlle,Roberta
Et toute sa famille,
ont la douleur de faire part du décèsde
M. Juan Hipólito VELARDETORRES,
avocat et enseignant,
survenu le 17 avril 2020,à l’âge de quatre-vingt-huit ans.
Pour nous joindre :[email protected]
Anniversaires de décès
Victor DEL JÉSUS
nous pensons à lui, à sa sœur,ses parents, ses grand-parents etses amis.
Victor DEL JÉSUS,
le temps ne fait rien.
Emma, Michèle, Thierry.
La Fondation AGESrend hommage
à ses généreux donateurs.
En désignant notre fondation,reconnue d’utilité publique,
comme bénéficiairede leur patrimoine,
ils contribuent à améliorerla vie quotidienne des personnes
âgées dépendantes, souvent isoléeset vulnérables, et à soutenir
leurs aidants à domicile et en ehpad.Leur mémoire restera à jamais
ancrée dans nos souvenirs.Nous ne les oublierons jamais.
Fondation AGES75, allée Gluck - BP 2147
68060 Mulhouse Cedex.www.fondation-ages.org/
Remerciements
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26 | L’ÉPOQUE DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 20200123
Ce soir, je serai la plus belle pour sortir la poubelleAller au supermarché, faire le ménage, ou sortir le chien. Pour beaucoup de confinés, les corvées du quotidien sont l’occasion de happenings quasi festifs
TRAI
N-T
RAIN
Par Maroussia Dubreuil
P as question pour Valérie, lavoisine du troisième étage,de manquer son tour de sortie des poubelles depuis quel’homme de ménage de sarésidence ne vient plus. « Sa
medi dernier, quand je suis descendue,elles étaient déjà vidées… Les jaunes comme les vertes ! Cela m’a agacée, j’ai tout de suite écrit sur le WhatsApp del’immeuble : “C’est ki ki a sorti les poubelles ? On m’a volé mon tour ?” » Frustréed’avoir perdu la triple occasion de se dégourdir les jambes, de se sentir utile et depapoter avec un riverain, la vaillante sexagénaire est rentrée se terrer et s’est inscrite illico pour le samedi suivant. « Cette fois, je prendrai de l’avance ! »
Depuis que le Covid19 nous a forcés au confinement, nous sommes nombreux à nous accrocher aux petites corvées habituelles qui jusquelà nous irritaient. En cette période incertaine où ilest difficile de se projeter audelà des JT et des frontières de notre logis, faire la poussière, nettoyer les vitres, déboucher un siphon, relever le courrier, s’approvisionner à la supérette, sont parfois même devenus nos petites épiphanies du quotidien. « J’éprouve un certain plaisir à noter religieusement dans mon agenda mes todo lists de tâches ménagères ! », avoue Caroline, 30 ans. Héritière inopinée de Georges Perec, qui nous invitait à traquer « les choses communes », à « les débusquer, les arracher à la gangue dans laquelleelles restent engluées » (L’Infraordinaire, Seuil, 1989), cette assistante juridique, contrainte au télétravail à temps partiel, s’attelle depuis un mois et demi à les revaloriser en leur accordant une place de choix dans son planning plus qu’amaigri.
Pour pimenter notre traintrain dereclus, nous pouvons suivre les conseils des spécialistes de la vie cloîtrée. « Vivre son quotidien au jour le jour », préconisait, tout en pléonasme, Aziz, le confinéde Loft Story, en 2001. Dans une vidéo diffusée début avril sur le YouTube de la Pastorale des Jeunes Cathos de Lyon, une moniale appelle, quant à elle, au travail manuel et à la créativité à partir des moyens du bord. En l’occurrence, la cired’un mini Babybel. « Je vais fabriquer un cierge pascal avec », annoncetelle, bienheureuse. Il suffit de la découper en forme de croix, de la faire fondre légèrement avec un sèchecheveux et de lacoller sur un cierge. Privés de messe de Pâques, nous voilà désormais suffisamment équipés pour ressusciter notreincroyable appétit de vie.
Si ces modestes activités ont lemérite de grignoter par les deux bouts notre jour sans fin du 17 mars, elles nous permettent aussi de secouer l’extraordinaire banalité de notre routine de marmotte. « Désormais, quand je fais mes exercices de renforcement musculaire, je baisse le son de mon tuto et j’envoie à la place la reprise de Hallelujah par Jeff Buckley… La gym devient cosmique ! », ventile Aude, une athlétique femme de 38 ans, tandis que sa colocataire, Claudia, court sur un tapis roulant en écoutant des cours de philosophie : « Une manière de revenir à l’essentiel et de développer ma vieintérieure puisqu’on n’a plus d’échappatoire… » D’autres se surprennent à admirer les aménagements paysagers à moins d’un kilomètre de chez eux quand jadisils focalisaient sur les crottes de chiens et les papiers gras. Serionsnous en train de suivre la voie des maîtres zen en rafraîchissant notre regard sur tout ce qui relève du « rien de spécial » ?
Serpillière au pied ou gamelle à lamain, nous nous étonnons même de mettre du cœur à l’ouvrage… « Il y a quelques jours, j’ai fait le premier flan de mavie !, se réjouit Maurice, cinquantenaire isolé dans sa résidence secondaire, en Espagne. J’en fais tout un flan de cette histoire mais je vous assure qu’il y a eu un avant et un après ! Non seulement il ressemble en tout point à celui que j’allais acheter après l’école, mais en plus il m’apermis de réaliser que je pouvais enfin mesubstituer au boulanger de mon enfance ! Ce flan, c’est une autonomie absolue. »
Quant à Léa, une jeune Parisienne qui ne sort plus de chez elle que pour faire ses courses, elle s’est empressée de « mettre des couleurs dans sonappartement » en présentant ses bonspetits plats sur la nappe rose fuchsiaqu’elle a ramenée de ses dernières vacances au Sénégal. Et chez Philippe,42 ans, étendre le linge revient désormais à jouer une bonne partie de Tétris :« Privé de mon job de commercial, je neme suis jamais autant appliqué… Pas unslip ni un teeshirt qui viennent se superposer. C’est simple, j’ai envoyé unephoto à mon exfemme », se gargarise
til, comme un enfant qui aurait fait sonpremier popo dans le pot.
Pour ne pas se lasser, les plus créatifs d’entre nous transforment les microévénements du quotidien en une sorte dehappening festif… Voyez ces Australiens,lanceurs du #BinIsolationOuting, déguisés en bébé Trump, dinosaure ou Fée Clochette, pour sortir les poubelles. SurInstagram, les défis de ce type, révélateurs sans doute d’une société qui a toujours besoin de se fixer des objectifs selon une logique de performance, se multiplient pour épicer nos besognes lesplus convenues et faire sortir notre banalité de son anonymat : le #BroomChallenge consiste à rendre au balai ses propriétés magiques ; le #PQChallenge, popularisé par les footballeurs, invite àdribbler avec un rouleau de papier toilette quand le #TableChallenge, du skieur suisse Andri Ragettli, propose de grimper sur une table et d’en faire le toursans toucher le sol ; moins prosaïque, le #TussenKunstEnQuarantaine recrée avec les moyens du bord des peintures célèbres. Le 20 avril, une jeune fille se collait un sceau sur la tête pour imiter Portrait d’une jeune fille (1465), du NéerlandaisPetrus Christus.
Forcés à hiberner au printemps, ilfaut bien avouer que notre vie quotidienne s’est transformée en une expérience radicale et bizarre qui se détache,qu’on le veuille ou non, de l’ordinaire. « Regardeznous ! Avec ma copine, nous faisons les courses, avec une chaussette en laine un peu épaisse sur le visage et unevalise pour éviter de sortir trop souvent, décrit Alexandre, 40 ans. Avant on allait au bout du monde pour vivre une expérience différente, aujourd’hui il suffit d’aller au supermarché au bout de sa rue. Tenez, cette chaussette qu’on prenait du bout des doigts et qu’on méprisait jusquelà, la voilà qui s’imprime sur nos faces et nous sauve la vie. C’est un peu comme sion marchait sur la Lune. »
Pique-nique d’intérieur, en avril, à Paris.FLORENCE LEVILLAIN/ SIGNATURES
« Il y a quelques
jours, j’ai fait
le premier flan
de ma vie ! »Maurice, 50 ans
Trois questions à Philippe Filliot, professeur de yoga et auteur d’Etre vivant, méditer, créer (Actes Sud, 2016). En 2014, il a publié le texte « Trouver l’extraordinaire dans l’infra-ordinaire : pour une mystique profane » dans la revue Sociétés.
Depuis le début du confinement, il nous arrive de partager avec nos amis des microévénements qu’on passait jusque-là sous silence : « J’ai fait le plein aujourd’hui ! », ou « Ça y est, j’ai nettoyé mes carreaux ! » Serions-nous en train de valoriser les petites choses du quotidien ?Lorsque nous ne sommes pas malades ou confrontés à l’angoisse, le confinement a le mérite de nous inviter à une sorte de conversion du regard. Par la force des choses, nous nous retour-nons vers des détails de notre environnement proche, dont la valeur s’accroît. Il devient plus aigu et plus sensible. Privés de l’ailleurs, nous retournons à l’ici et c’est l’occasion d’inventer une mystique de l’ordinaire qui s’éprouve vraiment dans la vie de tous les jours.
Qu’entendez-vous par « mystique de l’ordinaire » ?C’est une manière d’enchan-ter notre quotidien… Comme ces internautes qui reproduisent chez eux, en se déguisant, des peintures célè-bres. Ces tableaux vivants faits avec trois fois rien sont
un mélange de sublime et de dérisoire. C’est une manière de vivre ce moment de confi-nement comme une expé-rience mystique qui ne s’ins-crit pas dans un cadre reli-gieux mais advient dans le quotidien le plus banal. On peut aussi parler de mystique profane en clin d’œil à la formule de Walter Benjamin « l’illumination profane ». Je crois que nous vivons un temps très proche du zen, pas au sens du cool mais au sens spirituel du terme, qui invite à un retour total à la vie immédiate, sans échappa-toire, sans illusion, sans construction. Un retour à une réalité brute et évidente. C’est le sens d’un court dialo-gue entre un moine zen et son disciple qui lui demande : « Qu’y a-t-il d’extraordi-naire ? » Le maître lui répond : « Etre assis sans rien faire. » Voilà une manière de retour-ner à l’ordinaire et de le voir comme quelque chose de merveilleux.
C’est toute la difficulté, non…Oui… Mais alors que nous ne pouvons plus nous tourner vers nos activités extérieures, nous sommes plus enclins à chercher des ressources en nous-mêmes qui permettent d’inventer d’autres façons de faire et de penser. Nous vivons un temps d’arrêt, de mise entre parenthèses qui est mondial, comme une sorte de yoga planétaire – au sens originel du terme, « yoga » signifie « arrêt » et « repos ». Cela nous incite à un retour à soi, définition essentielle de la spiritualité.
Propos recueillis par M. Dl
« Il s’est développéune sorte de mystiquede l’ordinaire »
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0123DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 2020 l’époque | 27
Méditation,la grande évasion
La crise sanitaire a permis à la pratique de conquérir de nouveaux adeptes. Soyons zen !
Marlène Duretz
L a méditation atteindraitelle des sommetsen ces temps confinés, à commencer parceux des Etats ? « Un grand nombre de personnes, quelle que soit leur confession, se rendent compte qu’il y a là une occasion de ralentir, de réfléchir, dans la prière ou la médita
tion », a déclaré la reine Elizabeth II dans son allocutiontélévisée du 5 avril, préconisant à sa manière cette pratique au cœur de la pandémie.
Rien d’étonnant à cela pour Frédéric Lenoir, quipratique la méditation depuis plus de trentecinq ans.« Méditer entraîne notre esprit à être présent à tout ce qui est, ici et maintenant, ce qui augmente progressivement nos capacités de concentration et d’attention, souligne le philosophe et sociologue, auteur de Méditer àcœur ouvert (Nil Editions, 2018). Il en résulte toute unesérie de bienfaits, tant physiques que psychologiques. »
« C’est un peu comme une montagne encerclée denuages : la méditation en pleine conscience va agir comme le vent, dissiper les nuages et montrer quelquechose de stable sur lequel s’ancrer », confirme le méditant et formateur Franck Plüss, qui cumule les fonctionsd’« happyculteur » et de responsable du service culturel de Kingersheim (HautRhin), près de Mulhouse, où il anime des ateliers d’initiation à la méditation de pleine conscience à destination des agents municipaux.
La méditation de pleine conscience, adaptationlaïque de la méditation de tradition bouddhiste, est basée sur le programme éducatif et préventif de réduction du stress (ou méthode MBSR, pour mindfulnessbased stress reduction), élaboré dans les années 1970 aux EtatsUnis par le biologiste et professeur éméritede médecine Jon KabatZinn, et introduit en Francedans les pratiques de soin par le psychiatre Christophe André. Depuis une petite décennie, elle a pris son essor,notamment appuyée par les nouvelles technologies, et elle est actuellement plébiscitée avec le confinement.
En multipliant les initiatives gratuites en ligne,les instructeurs MBSR, coutumiers de séances en présentiel ou virtuelles, vont à la rencontre des méditants et néoméditants. « La période est compliquée etstressante, explique Franck Plüss, à l’origine d’unesérie de méditations vidéoguidées, égrenées depuis le23 mars sur YouTube et sa page Facebook, à travers lesquelles il accompagne ceux qui, « au front ou confinés,partagent tous l’incertitude et le stress d’une situationsanitaire inédite ». Si la méditation n’a rien d’une « pilule miracle », c’est toutefois un moyen de « redevenir maître de ses émotions ». 41 % des Français affirmentvivre des périodes intenses de stress, de nervosité oud’anxiété, bien plus qu’avant la crise sanitaire (étudeIfop/Consolab du 8 avril).
« C’est simple, je ne peux plus m’en passer », reconnaît Valentine, une énergique quadragénaire confinée avec mari et enfants de 5 ans et 9 ans. Plutôt adeptede la zumba, elle considérait jusqu’ici la méditation comme « une pratique limite ésotérique et tellementlente… ». Mais dans le contexte actuel, « très anxiogène », elle a « mordu à l’hameçon ». Comme 4,8 millions de personnes depuis 2015, elle s’est inscrite surl’application Petit bambou. Le nombre de nouveauxinscrits a décuplé depuis le début du confinement, et celui des séances quotidiennes suivies a triplé, selon son cofondateur Benjamin Blasco. « Cela démontre une soif de résilience, mais aussi un besoin de communion. »
L’instructrice bordelaise Emmanuelle Roquesanime, elle, des séances en ligne de méditation guidéesur l’application de visioconférence Zoom, dont plusieurs instaurées par le collectif d’enseignants Euthymia. Contrairement à une vidéo YouTube ou à un live àsens unique sur les réseaux sociaux, « cette plateforme gratuite permet non seulement les interactionsentre instructeur et méditants, mais aussi des retrouvailles d’une séance à l’autre, à l’instar de toute séance en présentiel ». Ce que confirme Martin Aylward, instructeur et cofondateur de l’appli Mind, 40 000 téléchargements depuis le 17 mars, soit 40 % de plus qu’entemps normal. « Ce sentiment de présence partagée,d’intention et d’attention communes, de s’asseoir ensemble, c’est très fort et très touchant. J’ai le sentiment d’accueillir les méditants dans une salle de pratique.Même si la salle est virtuelle, on s’écoute, on s’aligne, on est là ensemble. Et c’est de suite plus rassurant. »
Myriam pratique la méditation depuis 2012, etça fait quelques jours qu’elle suit, devant l’écran de son ordinateur, une formation MBSR. « C’est tout nouveaupour moi, la méditation par écran interposé. Je prends cequi vient, sans attendre, dans ma présence de chair, et, bien que seule chez moi, je me sens reliée à l’autre », se félicite cette professeure de yoga et réflexologue. « Pourcertains, la méditation aura été une béquille pendant cette période, mais ça laissera des traces », projettetelle.« Le confinement est un indéniable levier. Beaucoup vontvenir à la méditation parce que les ingrédients sont là : du temps à soi et la volonté d’explorer son espace intérieur, considère Emmanuelle Roques. Mais ce ne sera pas la panacée pour tous. »
ANTI
-STR
ESS
De la série« D’un autre côté »
(avril 2020).IVAN GUILBERT/REA
XAVIER LISSILLOUR
C’ était un matin deconfidence, devantun bol de céréales auchocolat : « Moi, je neveux plus jamais êtredéconfiné. Le confi
nement, papa, c’est trop cool ! », m’a dit mon fils de 5 ans. Même si l’enfermement est loin d’être une partie de plaisir pour tout le monde, le sentiment exprimé ici de manière abrupte est partagé – pour des raisons diverses et avec unengouement plus mesuré – par de nombreux adultes. Selon un sondage BVA pour Europe 1 et Orange, un quart des Français espèrent que le déconfinement sera repoussé audelà du 11 mai, là où 38 % souhaitent qu’il soit lent, et étalé surplus de deux mois.
Audelà des craintes sanitairesliées à une reprise de l’épidémie, on peutvoir, dans ce refus d’abandonner le cocondomestique, l’aveu qu’il est toujours psychologiquement compliqué de faire le deuil d’un refuge. « Lorsque les conditions nécessaires sont réunies pour que l’individu, enfant comme adulte, vive bien son confinement, il va percevoir ce “temps” de quarantaine comme hors du temps ordinaire, un moment où il est possible de profiter davantage de son chezsoi, de ses parents, ses frères et sœurs, ses animaux. Le logement devient alors un “sociofuge”, soit un lieu qui, en période incertaine, permet d’instaurer une normalité provisoire et rassurante », explique l’anthropologue Fanny Parise.
Pas faciledonc de s’imaginer sortir de nouveau de sa bulle et interagir avec ses contemporains alors que rôde, de poignées de main en poignées de porte, un virus potentiellement mortel. Mais ce rejet diffus du déconfinement a incontestablement d’autres racines, qui vont bien audelà d’un pragmatisme social embarrassé.« Certains craignent que tout s’effondre, d’autres ont peur que rien ne change », résume Fanny Parise. Cette idée que le monde d’après pourrait reprendre levisage hideux du monde d’avant est dansbeaucoup de têtes. Lorsque j’ai interrogé mon fils aîné sur la question, il m’a fait savoir qu’il souhaitait être déconfiné leplus tard possible. Pourquoi ? « Je préfère le télétravail, c’est mieux que d’être assis pendant quatre heures sur une chaise. »
En brisant la routine, cette inéditepériode de quarantaine nous a donc arrachés à l’état d’hébétude dans lequel nousnous trouvions, nous faisant toucher du doigt des évidences alternatives que l’on ne voyait pas. Les enfants ont compris qu’on pouvait continuer à apprendre
sans forcément être enfermé entre quatremurs. Les adultes, eux, ont constaté que l’on ne disparaissait pas du monde des vivants parce qu’on cessait soudain defaire du shopping et de prendre l’avion.
A petits pas, le confinement (physique) a débouché sur un déconfinement (mental), soit l’idée que la vie pouvait êtrevécue différemment, en faisant l’économie d’habitudes superflues, en s’autorisant enfin à penser les choses autrement.C’est Marguerite Duras qui, en 1969, dans une interview télévisée à l’ORTF, appelait de ses vœux cette tabula rasa introspective comme moyen d’inventer une nouvelle société de demain authentique, qui ne serait pas la redite de celle d’hier : « Je crois que si l’on ne fait pas ce pas intérieur, si l’homme ne change pas dans sa solitude,rien n’est possible. Je suis pour qu’on recommence tout. Le départ à zéro. Qu’il n’y ait plus aucune mémoire de ce qui a étévécu. C’estàdire de l’intolérable. Sur tous les fronts, sur tous les points. »
Sans le savoir, les enfants ont étéles premiers à mettre en œuvre ce programme de révolution intérieure. Avecune ferveur innocente découlant de leur science inégalable du présent, ils ont rapi
dement réinventénos façons de vivreen partant de zéro.En s’amusant etsans que personnene les y invite, lesmiens ont créé unenouvelle monnaie,le schling, abondante pour tout lemonde, car sonunité de base est lecaillou. Entre deuxexercices de maths,quelques bagarresaussi, ils ont montéune structure desoins pour abeillesmalades dans deuxboîtes à chaussuresreconverties en
hôpitaux de fortune. Pour tenter de les réanimer, ils ont soufflé avec des pailles sur ces butineuses hagardes, tombées des fleurs dans un semicoma. J’ai trouvécela admirable, comme si, parce que tenus à distance des institutions adulteset des contraintes qu’elles imposent, lesenfants revenaient d’euxmêmes, instinctivement, vers les véritables priorités.
Sensibilité aux animaux, aux pierres, aux végétaux. A notre environnement. Chez certains adultes, le confinement a eu un effet similaire, revivifiant eneux la biophilie réprimée du postenfant.Ce temps suspendu leur a fait apparaître comme une évidence désirable tout ce à quoi notre société invite quotidiennement à renoncer : l’air pur, l’eau non souillée, le chant des oiseaux, la présence attentive aux siens… Qui, franchement, aurait envie d’être déconfiné pour vivrede nouveau dans ce monde suffoquant où les espèces meurent, les glaciers fondent et les SUV prospèrent ? « Je ne laisserai plus faire. Le premier jour du déconfinement, j’entrerai en résistance active et déverserai des milliers de clous sur mon avenue au moment où des hordes de voitures et de deuxroues se remettront à déferler ! », écrivait sur Facebook un ami à moi. Un postenfant, manifestement.
Mes fils ont créé une nouvelle
monnaie, le « schling »,
abondante pour tout le monde, car son unitéde base est
le caillou
PARENTOLOGIE
Le déconfinement ? Non merci !
Journal d’un parent confiné, semaine VI. Nicolas Santolaria s’interroge sur le rejet du retour au « monde d’avant » chez ses enfants, qui ont vite
réinventé une façon de vivre en partant de zéro
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28 | IDÉES DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 20200123
L’application StopCovid, dont l’usage est fondé sur le volontariat et l’anonymat, serait un outil indispensable
contre la diffusion du virus, affirme un collectif de scientifiques et professionnels de santé, alors qu’un débat
sur le traçage numérique est prévu à l’Assemblée le 28 avril
Le 11 mai, seule une faible fractionde la population française, auxalentours de 5 %, aura été infectéepar le virus SARSCoV2. D’importantes mesures de contrôle del’épidémie resteront nécessaires.
Elles sont indispensables pour éviter uneseconde crise sanitaire majeure et, à terme, un nouveau confinement. Face à ce risque, considérable, la gageure est d’obtenir, après le confinement, les mêmes effetsque le confinement, mais sans le confinement. Le contrôle de la transmission duSARSCoV2 doit être obtenu par des mesures moins éprouvantes pour la sociétéfrançaise grâce à de nouveaux moyens, tout à la fois humains et technologiques.
Si les instruments d’action restent, enmai, les mêmes que ceux dont nous disposons aujourd’hui en dehors du confinement, le risque d’une seconde crise sanitaire est considérable et les options seront alors limitées et éprouvantes. A nouveau, seules des mesures drastiques, difficilement supportables sur le long terme, devraient être envisagées : fermeture des écoles et de la plupart des commerces, réduction de la vie collective, voire confinement global de nos concitoyens.
Pour relâcher ces contraintes, il est possible de nous inspirer de pays comme Taïwan, la Corée du Sud ou Hongkong, qui ont endigué la progression de l’épidémie avec des mesures moins lourdes que le confinement.
La stratégie est d’identifier et d’isoler lescas contagieux et de retracer tous leurscontacts, afin de les diagnostiquer et de lesisoler à leur tour s’ils sont contagieux.Etant donné la transmissibilité élevée du virus, mettre en place cette stratégie est un
nouveau défi majeur pour notre pays. Elle nécessite des moyens humains et technologiques inédits pour réaliser des centaines de milliers de tests, organiser unmaillage des centres de dépistage et rendretrès vite les résultats. Elle nécessite aussiune prise en charge adaptée des personnesinfectées et le traçage de leurs contacts.
Garantir le contrôle de l’épidémiePour un virus comme le SARSCoV2, la détection rapide et exhaustive des contacts est essentielle pour garantir le contrôle de l’épidémie. C’est le seul moyen d’identifier les personnes déjà infectées et contagieuses, mais ne présentant pas de symptômes. Ces personnes peuvent être des proches comme des inconnus croisés dans des lieux publics. Dans ce contexte, un consortium d’acteurs publics et privés pilotés par l’Inria [Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique] a développé, en lien avec des partenaires européens, l’application StopCovid.Cette application « trace » les contacts dansle respect des règles de consentement et d’anonymat, conformément au Règlement général sur la protection des données [de l’Union européenne].
Installée volontairement, l’applicationenregistre de façon chiffrée les contactsdes utilisateurs, en prenant en compte la distance entre téléphones et la durée ducontact, sans géolocalisation. Lorsqu’une personne est diagnostiquée positive, ses contacts au cours des jours précédents sont alors informés par l’application, sans que la source possible de l’infection ne leursoit révélée. Ils sont alors invités à s’isoler et à se faire tester rapidement. L’intérêt sanitaire est ici majeur : les contacts à risque sont tracés de façon instantanée et anonyme pour l’ensemble des cas détectés un jour donné. Une telle performance est impossible avec les seules approches traditionnelles de traçage des contacts.
Le Conseil scientifique juge ces méthodes innovantes indispensables pour contenir l’épidémie. Elles posent certes de nombreuses questions et imposent une grandevigilance quant à l’utilisation des données.Mais ces interrogations ne doivent pas conduire à renoncer à un outil qui, adopté sur la base du volontariat, pourrait être décisif. Nous pensons qu’une telle décisionméconnaîtrait ce qui fera l’efficacité du dis
positif global de sortie du confinement.Aucune application ne sera jamais la solution miracle au contrôle de l’épidémie. D’ailleurs, aucun outil, pris isolément, ne suffira à éviter une seconde crise sanitaire.Mais la combinaison de différentes approches, parce qu’elles touchent différents publics et se complètent, offre une chance d’éviter une seconde crise. Cette application est un moyen innovant de tracer les contacts, qui séduira peutêtre une partie de la population moins réceptive à d’autres mesures. Elle complétera les mesures de traçage des contacts plus habituelles, s’adressant en particulier à nos concitoyens éloignés du numérique.
Compléter le travail des équipes mobilesCette application est un moyen parmi d’autres, mais elle est un atout incontestable pour identifier de nombreux contactsde façon instantanée. Elle permet de gagner du temps. Elle viendra compléter le travail des nombreuses équipes mobilesqui seront déployées dans les territoires pour effectuer des investigations et accompagner les personnes vers les systèmes de diagnostic et de soins. Elle pourra informer ces patients des autres programmes innovants pour organiser au mieux leur isolement. Associé aux tests et aux investigations épidémiologiques, cet outil contribuera à casser précocement les chaînes de transmission, à contrôler l’épidémie et à limiter la morbidité et la mortalitéliées à ce virus. Son adoption et son utilisation dépendront en tout état de cause de son appropriation par la société.
Si nous voulons éviter une seconde crisesanitaire, nous devons nous en donner les moyens. D’un point de vue sanitaire, l’application StopCovid, dûment encadrée,doit faire partie d’une stratégie nationalede contrôle de l’épidémie.
Pierre-Yves Boëlle, Simon Cauche-mez, Vittoria Colizza, Dominique Costagliola, Jean-Claude Desenclos, Arnaud Fontanet, Chiara Poletto, Alfred Spira, Alain-Jacques Valle-ron, épidémiologistes ; Patrick Cou-vreur, Liliane Keros, Elias Fattal, Christiane Garbay, Alain Gouyette, Philippe Liebermann, pharmaciens ; Philippe Aegerter, Jacques Beni-chou, Anita Burgun, Fabrice Carrat, Gilles Chatellier, Alain Duhamel, Stefan Darmoni, Jean-Charles Du-four, Pierre Dujols, Bruno Falissard, Jean Gaudart, Roch Giorgi, Sophie Grabar, David Hajage, Nathanaël Lapidus, Delphine Maucort-Boulch, Laurence Meyer, Jean-Jacques Pa-rienti, Pascal Roy, Roger Salamon, Louis-Rachid Salmi, Rodolphe Thié-baut, professeurs en santé publique ; Franck Chauvin, médecin de santé publique ; Daniel Benamouzig, sociolo-gue ; Lila Bouadma, Eric Maury, Jean-François Timsit, Frédérique Schortgen, Romain Sonneville, Paul-Henri Wicky, réanimateurs ; Philippe Sansonetti, microbiologiste ; Bruno Lina, Félix Rey, virologues ; Jean Laurent Casanova, immunolo-giste ; France Cazenave-Roblot, Karine Lacombe, Odile Launay, Denis Malvy, infectiologues ; Pierre Corvol, Pascale Cossart, Nathalie Kapel, Philippe Vernier, biologistes ; Olivier Faugeras, chercheur en neuros-ciences mathématiques ; Patrick Flandrin, physicien ; Pierre Léna, astrophysicien ; Olivier Pironneau, mathématicien, professeur d’analyse nu-mérique ; Didier Roux, physico-chimiste
LA DÉTECTION RAPIDE ET EXHAUS-TIVE DES CONTACTS EST ESSENTIELLE POUR GARANTIR LE CONTRÔLE DE L’ÉPIDÉMIE
SERGIO AQUINDO
Pour éviter une seconde
crise sanitaire, il faut s’en donner
les moyens
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0123DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 2020 idées | 29
Antonio Casilli, Paul-Olivier Dehaye et Baptiste SoufronStopCovid est un projet désastreux piloté par des apprentis sorciersIl faut renoncer à la mise en place d’un outil de surveillance enregistrant toutes nos interactions humaines et sur lequel pèse l’ombre d’intérêts privés et politiques, à l’instar du scandale Cambridge Analytica, plaident trois spécialistes du numérique
Le mardi 28 avril, les parlementaires français seront amenés à votersur StopCovid, l’application mobile de traçage des individus im
posée par l’exécutif. Nous souhaitons que, par leur vote, ils convainquent l’exécutif de renoncer à cette idée tantqu’il est encore temps. Non pas de l’améliorer, mais d’y renoncer tout court. En fait, même si toutes les garanties légales et techniques étaient mises en place(anonymisation des données, open source, technologies Bluetooth, consentement des utilisateurs, protocole décentralisé, etc.), StopCovid serait exposée au plus grand des dangers : celui dese transformer sous peu en « StopCovidAnalytica », une nouvelle version duscandale Cambridge Analytica [siphonnage des données privées de dizaines de millions de comptes Facebook].
L’application StopCovid a été imaginée comme un outil pour permettre desortir la population française de la situation de restriction des libertés publiques provoquée par le Covid19. En réalité, cette « solution » technologique neserait qu’une continuation du confinement par d’autres moyens. Si, avec cedernier, nous avons fait l’expérienced’une assignation à résidence collective, les applications mobiles de surveillance risquent de banaliser le portdu bracelet électronique.
Tous les citoyens, malades ou nonC’est déjà le cas à Hongkong, qui impose un capteur au poignet des personnes en quarantaine, et c’est l’objet de tests et de propositions en Italie, en Corée du Sud etau Liechtenstein pour certaines catégories de citoyens à risque. StopCovid, elle, a vocation à être installée dans les smartphones, mais elle concerne tous les citoyens, malades ou non. Chaque jour,toutes les interactions humaines de chacun d’entre nous seraient enregistrées par un outil de surveillance étatique, sur lequel pèse l’ombre d’intérêts privés d’entreprises technologiques.
L’affaire Cambridge Analytica, révéléeau grand jour en 2018, avait comme pointde départ les travaux de chercheurs de l’université anglaise. Une application appelée « Thisisyourdigitallife », présentée comme un simple quiz psychologique,
avait d’abord été proposée à des utilisateurs de la plateforme de microtravail Amazon Mechanical Turk. Ensuite, cesderniers avaient été amenés à donner accès au profil Facebook de tous leurs contacts. C’était, en quelque sorte, du traçage numérique des contacts avant la lettre. A aucun moment ces sujets n’avaient consenti à la réutilisation de leurs informations dans la campagne du Brexit, dans celle de Donald Trump, ou dans des élections en Inde et en Argentine.
Cela est arrivé ensuite, lorsque les chercheurs ont voulu monétiser les données, initialement collectées dans un but théoriquement désintéressé, par le biais de l’entreprise Cambridge Analytica. En principe, cette démarche respectait les lois des différents pays et les règles de ces grandes platesformes. Néanmoins, de puissants algorithmes ont été mis au service des intérêts personnels etde la soif de pouvoir d’hommes politiques sans scrupules.
Les mêmes ingrédients sont réunis ici :des scientifiques « de bonne volonté »,des géants de la « tech », des intérêts politiques. Dans le cas de StopCovid, c’est leconsortium universitaire européen PanEuropean Privacy Preserving Proximity Tracing (PEPPPT), qui a vu le jour à la suite de la pandémie. Ces scientifiques sesont attelés à la tâche de concevoir dans l’urgence le capteur de contacts le plus puissant, dans le respect des lois. Cela s’articule avec les intérêts économiquesd’acteurs privés, tels les grands groupes industriels nationaux, le secteur automobile et les banques en Italie, les télécoms et les professionnels de l’hébergement informatique en France. Mais surtout les GAFA, les géants américains dunumérique, se sont emparés du sujet.
Cette fois, ce ne sont pas Facebook etAmazon, mais Google et Apple, qui onttout de suite proposé d’héberger les applications de suivi de contacts sur leursplatesformes. La menace qui plane audelà de tous ces acteurs vient des ambitions de certains milieux politiqueseuropéens d’afficher leur détermination dans la lutte contre le Covid19, ense targuant d’une solution technique àgrande échelle, utilisant les données personnelles pour la « campagne dudéconfinement ».
Le projet StopCovid n’offre aucunegarantie sur les finalités exactes de lacollecte de ces données. L’exécutif français ne s’autorise pas à réfléchir à la phase qui suit la collecte, c’estàdire au traitement qui sera fait de ces informations sensibles. Quels algorithmes lesanalyseront ? Avec quelles autres données serontelles croisées ? Son courttermisme s’accompagne d’une myopie sur les dimensions sociales des données.
Que se passeraitil si, comme plusieursscientifiques de l’Inria, du CNRS et d’Informatics Europe s’époumonent à nous le dire, des entreprises ou des puissances étrangères décidaient de créer des « applications parasites » qui, commeCambridge Analytica, croiseraient les données anonymisées de StopCovidavec d’autres bases de données nominatives ? Que se passeraitil, par exemple,si une plateforme de livraison à domicile décidait (cela s’est passé récemmenten Chine) de donner des informations en temps réel sur la santé de ses coursiers ? Comment pourraiton empêcherun employeur ou un donneur d’ordres de profiter dans le futur des données sur l’état de santé et les habitudes sociales des travailleurs ?
L’affaire Cambridge Analytica nous apermis de comprendre que les jeux depouvoir violents et partisans autour de la maîtrise de nos données personnelles ont des conséquences directes sur l’ensemble de la vie réelle. Il ne s’agit pas d’une lubie abstraite. Le cas de StopCovid est tout aussi marquant. En focalisant desressources, l’attention du public et celle des parlementaires sur une solution technique probablement inefficace, le gouvernement nous détourne des urgences les plus criantes : la pénurie de masques,de tests et de médicaments, ou les inégalités d’exposition au risque d’infection.
Recul fondamentalCette malheureuse diversion n’aurait pas lieu si le gouvernement n’imposait pas ses stratégies numériques, verticalement, n’étant plus guidé que par l’urgence de faire semblant d’agir. Face à ces enjeux, il faudrait au contraire impliqueractivement et à parts égales les citoyens, les institutions, les organisations et les territoires pour repenser notre rapport à la technologie. Le modèle de gouvernance qui accompagnera StopCovid sera manifestement centré dans les mainsd’une poignée d’acteurs étatiques et marchands. Une telle verticalité n’offre aucune garantie contre l’évolution rapide de l’application en un outil coercitif, imposé à tout le monde.
Ce dispositif entraînerait un reculfondamental en matière de libertés, à lafois symbolique et concret : tant sur la liberté de déplacement, notamment entre les pays qui refuseraient d’avoir dessystèmes de traçage ou qui prendront ceprétexte pour renforcer leur forteresse, que sur la liberté de travailler, de se réunir ou sur la vie privée. Les pouvoirspublics, les entreprises et les chercheurs qui, dans le courant des dernières semaines, sont allés de l’avant avec cette proposition désastreuse, ressemblent à des apprentis sorciers qui manient des outils dont la puissance destructrice leur échappe. Et, comme dans le poème de Goethe, quand l’apprenti sorcier n’arrive plus à retenir les forces qu’il a invoquées, il finit par implorer une figure d’autorité, une puissance supérieure quiremette de l’ordre. Sauf que, comme lepoète nous l’apprend, ce « maître habile » ne reprend ces outils « que pour les faire servir à ses desseins ».
Antonio Casilli est sociologue,membre de La Quadrature du Net ;Paul-Olivier Dehaye est mathématicien, expert aux sources de l’affaire Cambridge Analytica ;Jean-Baptiste Soufron est avocat, ancien secrétaire général du Conseil national du numérique
La crise due au nouveau coronavirus a invité au débat le sujet de la détention de nos données personnelles de santé. Il
est notamment question de mettre en place une application de traçage, permettant de suivre les données mobiles pour lutter contre le Covid19. L’utilisation de ces données peut s’avérer décisive pour la phase très sensible du déconfinement.
Déjà nombre de nos données fontaujourd’hui l’objet d’un traitement par l’Etat. Soit il les détient directement, comme les données fiscalesou familiales, soit indirectement, car le détenteur fait luimême l’objet d’un contrôle par l’Etat.
C’est par exemple le cas de nosdonnées bancaires. Nos relations àl’Etat sont donc, de ce point de vue, marquées du sceau de la confiance. En effet, en définissant le régime juridique de ces données, l’Etat seporte garant de leur utilisation et garantit par là même le respect de laliberté de chacun.
Mais par une sorte de schizophrénie effarante, si nous acceptons que l’Etat trace au quotidien l’usage de nos cartes Vitale, la plaque d’immatriculation de notre voiture ou encore la composition de nos produitsalimentaires courants, nous hésitons à lui confier nos données personnelles et spécifiquement notre état de santé.
Aucun régime juridique aujourd’hui ne les encadrant, nous confions de fait nos données aux Gafam (Google, Amazon, Facebook,Apple et Microsoft). Notons d’ailleurs que, demain, Google sera unegigantesque entreprise de santépour deux raisons simples : la santé est le domaine d’activité le plus utile et c’est le domaine dans lequel il y a le plus d’argent à gagner.
Unité nationaleDès lors, en matière de données et en l’état actuel du droit, c’est le droitaméricain qui s’applique car les serveurs, les logiciels, les dispositifs de cryptage et les algorithmes d’analyse sont américains.
Que préféronsnous ? Livrer aveuglément nos agendas aux EtatsUnis, dont l’administration a toutpouvoir pour les exploiter, ou faireconfiance à notre propre pays ?Nous faisons confiance à l’Etatpour assurer notre sécurité dans larue, il doit aussi garantir notre sécurité numérique.
Le moment est donc venu d’établir notre souveraineté numérique.C’est le préalable à toute question detraçabilité et d’utilisation des données. Et c’est un débat qui dépasse de loin les clivages politiques traditionnels. Si l’unité nationale doit se faire, c’est sur ce sujet.
Ne nous trompons pas d’enjeu : ilne peut y avoir de juste milieu en lamatière. Evoquer l’anonymisationde la donnée ou son utilisationpour un temps déterminé audelà duquel elle serait détruite est une plaisanterie. Sans la garantie de lasouveraineté numérique, toute donnée numérisée et collectée est éternelle et publique. C’estàdire
qu’actuellement elle est américaine et fait la joie des capitalisations boursières des Gafam.
L’intervention de l’Etat en la matière n’est pas un problème mais lasolution : il est le garant du respectdu droit et de nos droits sur nosdonnées. Il s’agit donc de comblerun vide juridique en introduisant le droit dans ce champ numérique.Eriger une souveraineté françaiseconsiste simplement à faire ensorte que nos données résident surnos serveurs et soient donc soumises à nos lois.
Solidarité Le droit et la Constitution pourronts’appliquer aux données lorsquecellesci seront résidentes. Ce n’estpas le cas aujourd’hui. Il y a donc urgence à établir la République et le droit dans ce champ nouveau etvirtuel qu’est le domaine des données. C’est la raison pour laquellenous proposons une révision constitutionnelle en vue d’instaurerune charte du patrimoine commun numérique.
Notre vie entière migre sur le réseau. Notre passé, par nos souvenirsnumérisés, est sur le réseau. Notreprésent y transite de plus en plus qui, sans cesse, oriente nos décisions. Notre futur dépend du réseaucar les informations collectées sur nous, aujourd’hui, déterminent les choix qui nous seront proposés demain. Chacun a une vie virtuelle surle réseau. Il convient que celleci aussi soit protégée par le droit et que l’Etat y exerce sa souveraineté.
De la même manière que le coronavirus de quelqu’un peut devenir celui de plusieurs autres, les données de quelqu’un renseignent surde nombreuses autres personnes. Il doit donc y avoir une solidarité numérique comme il existe une solidarité sanitaire. Seul l’Etat peut en être le garant. Etablir notre souveraineté numérique est une protection juridique supplémentaire nécessaire dont les Français ont besoin.
La souveraineté numérique par lacréation du patrimoine commundes données, qui les place sous notre droit, est la seule manière de garantir simultanément notre liberté, notre sécurité et notre santé.
Sans cette fondation, il nous faudra sans cesse faire des choix déchirants : la mort de nos proches ou la dépendance à des tiers étrangers ; la mort de nos proches ou la fin des libertés civiles.
La souveraineté numérique està la fondation de notre avenir,chaque jour plus en réseau. Elleest la réponse qui détermine toutesles autres pour un pays en urgenceabsolue.
Jean-François Husson est sénateur de Meurthe-et- Moselle (LR) ; Robin Reda, est député de l’Essonne (LR)Liste complète des signatairessur Lemonde.fr
L’EXÉCUTIF FRANÇAIS NE S’AUTORISE PAS À RÉFLÉCHIR À LA PHASE QUI SUIT LA COLLECTE, C’EST-À-DIRE AU TRAITEMENT QUI SERA FAIT DE CES INFORMATIONS SENSIBLES
Le moment est venu d’établir notre souveraineté numériqueA l’initiative du sénateur Jean-François Husson et du député Robin Reda, 108 parlementaires de la droite et du centre appellent à une révision constitutionnelle pour une charte du patrimoine commun des données numériques
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30 | idées DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 20200123
Philippe Delmas L’Etat doit en sortir par le hautL’expert en stratégie industrielle considère que l’utilisation d’un éventuel outil de traçage sanitaire doit donner l’occasion aux autorités de se montrer créatives en matière de respect des libertés
La technologie a l’efficacité pourseule valeur. C’est sa nature. De cefait, si nous en attendons autrechose, il faut le lui imposer, et donc,
forcément, la restreindre. Sur tout sujet, ilen résulte des compromis instables et jamais loin de l’incohérence, pour les Etatscomme pour les citoyens.
Ces derniers assument leurs antagonismes. La tech améliore leur vie tous lesjours et la période actuelle en est une preuve magistrale, du suivi scolaire desenfants aux soirées de streaming, en passant par le télétravail et la télémédecine. Mais s’ils utilisent ses outils, ils s’enméfient aussi. En cinq ans, la part des utilisateurs de Google qui en redoutent l’espionnage est passée du quart au tiers – etdu tiers à la moitié pour Facebook. 75 % desFrançais ne font confiance ni à leur messagerie, ni aux sites marchands, ni aux réseaux sociaux. Dans aucun pays européen, plus d’un quart des citoyens ne fait confiance à l’information trouvée sur cesréseaux. Cette méfiance est nourrie par unflux de révélations sur des abus. Après le scandale Cambridge Analytica, Facebook vient d’être condamné pour avoir utilisé sans leur accord les photos de ses clients
pour faire de la reconnaissance faciale, tandis que Google a obtenu l’accès aux données médicales nominatives d’un grand réseau de cliniques aux EtatsUnis. Et demultiples travaux ont montré que l’anonymisation des données était assez illusoire.
Ces ambivalences se retrouvent à l’identique dans les attentes des citoyens envers l’Etat. D’un côté, ils peuvent être très critiques sur son défaut de modernité et d’efficacité. De l’autre, ils détestent les abus de pouvoir, privés comme publics.
La tech doit donc être contrôlée, y compris son emploi par l’Etat. L’administration« tout numérique », qui vide les territoires de leurs services publics, ou encore l’excès de surveillance sont très mal vécus. Il y a une vraie sagesse très française dans ce souci de mesure et d’équilibre.
Textes liberticides Cette qualité complique la tâche de l’Etat, luimême pris dans ses propres contradictions. En effet, l’attente des citoyens est celled’un contrat moral très exigeant : l’Etat doit faire tout ce qu’il faut et pas plus, cet équilibre étant évolutif. C’est un assez bon résumé de ce que la plupart des Etats nesavent pas faire, car ils sont fascinés par l’efficacité de la tech, comme on l’a vu face au terrorisme. Les révélations d’Edward Snowden ont mis un coup au crédit moral des démocraties, y compris en Europe, où il s’est avéré que les Etats n’en faisaient pas moins mais avaient seulement moins de moyens. Partout, des textes sérieusement liberticides ont été votés à la quasiunanimité par les Parlements avec l’argument, repris des régimes autoritaires, que cela ne peut pas nuire aux « honnêtes gens ». Argument censé justifier aussi une surveillance systématique des sites marchands pour lutter contre la fraude fiscale. Cette attitude ne révèle pas une pulsion totalitaire, mais laconscience de l’attente de résultats de la part des citoyens et une confiance naïve
que la discipline républicaine des fonctionnaires suffit à éviter les dérapages.
Dans ces conditions, nos dirigeants ontraison d’être prudents sur l’utilisation du traçage pour suivre le SARSCoV2. Et d’autant plus que la géolocalisation est en train d’émerger comme un risque majeur d’atteinte à la vie privée : qu’en restetil avec une localisation à cinq mètres près chaque minute ? Elle n’est pas spécifiquement réglementée par le règlement général de la protection des données (RGPD), alors que plus d’un millier d’applications comportent une telle fonction sans qu’elle soit indiquée ni annulable, et c’est le prochain grand procès de la tech.
Sans en être encore bien informés, les citoyens ont une réserve instinctive : en Europe, les deux tiers sont réticents à fournir des données de santé captées par un smartphone à leur assureur, et même pour la recherche médicale. Evoquer les différences entre telle ou telle technologie de traçage est politiquement sans objet s’il n’y a pas une confiance au préalable que les limites seront respectées. Faute d’avoir jamais montré un réel intérêt pour ce contrat moral, l’Etat risque aujourd’hui, face au dilemme, soit d’être soupçonné de réduire encore plus les libertés, soit de ne pas défendre au mieux la santé publique.
Cette situation n’est cependant pas sansissue et pourrait même fonder un nouveaudépart. En effet, la démocratie numérique commence à prendre forme. Non pas celle naïvement imaginée où les outils de la techpermettraient l’égale information et participation au débat public. Cette démocratielà est largement dévaluée par quinzeans de fausses informations et manipulations diverses. En revanche, les citoyens sont de plus en plus actifs pour définir leslimites de l’acceptable et en demander la réglementation. Aux EtatsUnis, un nombre croissant de villes et d’Etats limitent la reconnaissance faciale sous la pression des
citoyens, lesquels ont imposé en Californie – berceau de la tech – une loi équivalente auRGPD et qui fait des émules. Quand Facebook a été condamné, en 2019, à 5 milliardsd’amende pour l’affaire Cambridge Analytica, une violente campagne a dénoncé la clémence du verdict. Et l’Europe est souvent en tête sur ces sujets.
Dans ces conditions, nos dirigeants pourraient saisir l’occasion du traçage sanitaire pour montrer que l’Etat a changé. Il pourrait se montrer aussi créatif en matière de respect des libertés et donner de sérieuxgages qu’il n’est pas prêt à tout au nom de l’efficacité, sécuritaire, fiscale ou sanitaire, et qu’il n’est pas naïf non plus : les outils dela tech sont trop puissants pour que l’on puisse se reposer sur le respect des libertéset de la démocratie par les fonctionnaires.
Les pistes abondent : rendre obligatoiresles avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, pour l’instantconsultatifs ; un éventuel outil de traçage sanitaire serait confié à une autorité indépendante, seule détentrice des données personnelles ; certaines dispositions passées depuis 2015 en matière de surveillanceet de gestion des données personnellespourraient être réexaminées… Pas plus qu’en matière de terrorisme, l’Etat ne peut se reposer sur le fait que, dans l’instant de la crise, l’opinion paraît acquiescer. Pour que l’Etat puisse attendre de nous que nouslui confiions un peu (plus) de notre liberté, nous devons ’être assurés qu’elle est bien sapremière préoccupation.
Philippe Delmas est président de PhD Associates, cabinet de conseil en straté-gie. Il a notamment écrit « Un pouvoir implacable et doux. La Tech ou l’effica-cité pour seule valeur » (Fayard, 2019)
Claire Gerardin Le tracking, un danger pour nos libertés
Pour la consultante en communication, il y a un risque que le contrôle des citoyens mis en place à l’occasion de la crise sanitaire devienne pérenneE
n période de crise sanitaire, legouvernement bénéficie de pouvoirs extraordinaires qui lui permettent de restreindre nos libertés personnelles. En ce moment,c’est le cas pour notre droit d’aller
et venir. Et pour vérifier la bonne mise en application de ces restrictions, le gouvernement se dote, entre autres, d’instruments numériques de surveillance : le « backtracking » (le traçage, en français).
Le backtracking est la collecte, par lesopérateurs télécoms, de nos données degéolocalisation issues de nos smartphones. A la demande de la Commission européenne, huit opérateurs européens (dont Orange, Deutsche Telekom,Vodafone et Telefonica) ont communiqué ces données aux gouvernements del’Union afin de lutter contre la pandémie de Covid19, en cartographiant entemps réel les déplacements des populations, ce qui permet d’identifier les lieux où elles se concentrent et l’intensité des interactions entre les personnes. Le but est, à ce jour, de prédire leszones où le virus se déploiera le plusafin d’adapter le système de soins. Ces informations sont anonymisées, et il n’est pour le moment pas autorisé deremonter à un individu et de l’identifier. Cette collecte de données sans leconsentement des individus est permise par le règlement général de la protection des données (RGPD), en cas denécessité liée à l’intérêt public. Dans le cas de la pandémie actuelle, elle est utilisée pour des motifs de santé publiqueet de protection des intérêts vitaux.
Le backtracking va aussi permettre dedévelopper, dans ce même cadre réglementaire, l’application StopCovid. Celleci vise à identifier les personnes qui ont été en contact avec des malades afin de juguler la circulation du virus. Audelà du fait que la technologie au cœur de cette application (le Bluetooth) n’est pas très performante pour le résultat visé, et que la condition d’atteindre 60 % d’utilisateurs pour qu’elle soit effective est quasi irréalisable, ce projet relève d’un choix politiquequi ne fait pas l’unanimité.
Trois niveaux d’informationLe risque d’une telle mesure est en effetsa pérennisation, alors qu’elle ne doit concerner que des situations extraordinaires, comme celle que nous vivonsactuellement. Certains Etats pourraientdécider de conserver ce dispositif en invoquant, par exemple, l’incertitude surla fin de l’épidémie puisque les médecinsaffirment qu’elle pourrait ressurgir. Ils le feraient pour instaurer des systèmes de surveillance et de contrôle des populations, en vue de leur sécurité, mais aux dépens de leurs libertés. Plus on s’accoutume à ces systèmes de surveillance, pluson les considère comme anodins, et plusils sont intégrés à notre quotidien. Parexemple, après les attentats de 2015, plu
sieurs mesures exceptionnelles instaurées durant le régime temporaire de l’état d’urgence ont été transposées dans le droit commun (à titre expérimental jusqu’au 31 décembre 2020). Parmi cellesci : les perquisitions administratives,la fermeture de lieux de culte, ou encore la création de périmètres de sécurité lors d’événements publics.
En temps « normal », voici ce qui sepasse derrière la collecte de nos données.Ceux qui la font (opérateurs et entreprises) possèdent trois niveaux d’information sur nous. Le premier, qui est sous notre contrôle, recense les informations
que nous postons sur les réseauxsociaux et applications mobiles (informations de profil, publications, messages privés, inscription à des événements,sites Web visités, etc.).
Le deuxième analyse nos comportements. Il est composé de métadonnées,c’estàdire des informations qui fournissent, sans que nous en soyons conscients, un contexte à nos profils. Il s’agit, via des informations de géolocalisation, de cartographie de nos relationsintimes et sociales et de nos comportements (récurrence et durée des lieuxvisités, des contenus consultés, de lanature des achats en ligne, et même de la vitesse à laquelle on tape sur le clavieret du mouvement de nos doigts sur les écrans), de construire le canevas de noshabitudes de vie.
Mine d’orLe troisième niveau interprète les deux premiers, grâce à des algorithmes qui nous comparent avec d’autres profils afin d’opérer des corrélations statistiques. Il ne s’agit plus de savoir ce que nous faisons, mais qui nous sommes.
Dans le secteur privé, cette collected’informations est une mine d’or pourle développement de l’intelligenceartificielle. Car avec elle vient la promesse d’automatiser, sur la base de nosprofils créés par les algorithmes, lesdécisions des banques, des assureurs,des recruteurs ou encore des administrations publiques.
Dans le cadre d’une politique de surveillance de la mise en application de
mesures exceptionnelles, la collecte de données par les gouvernements (ou la demande de leur mise à disposition parles collecteurs) pourrait être élargie àtout moment. A ce jour, elle est partielle – elle ne concerne « que » nos déplacements et le fait d’avoir été ou non encontact avec une personne infectée – etanonymisée. Mais la réglementation européenne permet aux Etats, s’ils enfont la demande et pour des raisons d’intérêt général, de légiférer afin de désanonymiser ces données ou d’en collecterd’autres (de niveau un, deux ou trois). Onpourra alors identifier les individus auteurs de comportements considéréscomme transgressifs et les pénaliser. C’est déjà le cas de la Pologne, qui a lancé une application exigeant des personnesmalades de prouver quotidiennementqu’elles restent chez elles, sous peine d’intervention policière.
Il ne faudrait pas que, en en forçant l’acceptation sociale pour cause d’urgence, ces méthodes se muent par la suite en mesures ordinaires. Ce choix d’utilisation des outils technologiques pourrait alors donner lieu à la mise en place d’un mode de gouvernement fondé sur la surveillance sécuritaire, ce qui n’est un idéalpour aucun régime démocratique…
Claire Gerardin est consultante en communication, spécialiste des nouvelles technologies
L’INSOLUBLE ÉQUATION DU TRAÇAGELes modalités d’une application de suivi sanitaire des citoyens
seront débattues et votées mardi 28 avril par l’Assemblée nationale. Comment concilier efficacité et démocratie ?
PLUS ON S’ACCOUTUME À CES SYSTÈMES DE SURVEILLANCE, PLUS ON LES CONSIDÈRE COMME ANODINS
LA TECHNOLOGIE DOIT ÊTRE CONTRÔLÉE, Y COMPRIS SON EMPLOI PAR L’ÉTAT. IL Y A UNE SAGESSE TRÈS FRANÇAISE DANS CE SOUCI DE MESURE ET D’ÉQUILIBRE
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0123DIMANCHE 26 LUNDI 27 AVRIL 2020 idées | 31
IL FAUDRAIT UN TAUX D’ADOPTION SUPÉRIEUR À 60 % POUR QUE STOPCOVID SOIT EFFICACE
David Bounie, Winston Maxwell et Xavier Vamparys Les paradoxes de l’application StopCovidLes trois chercheurs se demandent s’il y a un sens à lancer une application qui ne serait efficace que si elle était obligatoire, mais qui susciterait, si elle était obligatoire, la défiance légitime des citoyens
Comme sa cousine singapourienne TraceTogether,l’application françaiseStopCovid serait intro
duite sur la base du volontariat. C’est un pari : l’application asiatique n’a été téléchargée que par 10 % de la population alors que, selon le réseau européen eHealth, il faudrait un taux d’adoption supérieur à 60 % pourque StopCovid soit efficace.
Y atil un sens à lancer uneapplication fondée sur le volontariat, sachant qu’elle sera probablement inefficace ? La Commission européenne, comme le président de la République, compte sur la confiance et la solidarité des citoyens pour que le dispositif soit massivement adopté, deux éléments qui semblent avoir fait défaut à Singapour. La confiance des citoyens ne sera acquise que si certaines conditions techniques, opérationnelles et juridiques sont remplies et présentées clairement aux citoyens. Quelles sont ces conditions ?
En premier lieu, la confiance descitoyens dépendra de la finalité del’application. D’après l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), StopCovid ne servira qu’àprévenir de manière anonyme les personnes qui ont eu un contact récent avec une personne testée positive. Elle permettra également à Santé publique France d’étudier la progression de l’épidémie grâce à des données anony
misées (même si on peut se demander comment Santé publique France pourra étudier la progression de l’épidémie sans données géographiques). Contrairement à son équivalent polonais, StopCovid ne servira pas à vérifier le respect du confinement ; contrairement aux approches israélienneet sudcoréenne, StopCovid ne permettra pas de retracer les déplacements passés. Mais la finalité exacte de l’application demande à être confirmée.
Deuxièmement, la confiancedes citoyens dépendra d’un encadrement juridique précis. Le système devra être soumis au contrôle d’une commission indépendante, qui veillera à son efficacité, à sa sécurité et au respect des droits individuels. Nous préconisons que le système en France soitplacé sous la responsabilité de Santé publique France, qui gère déjà la collecte de données pour
les maladies à déclaration obligatoire (Zika, fièvre jaune, VIH…). LesFrançais partagent avec l’Etat de très grandes quantités de donnéesmédicales, notamment au travers du système d’assurancemaladie. La confiance des citoyens repose sur la protection institutionnelle et technique de ces données sensibles, et le respect du secret médical par l’ensemble des acteurs de la santé en France. StopCovid devrait s’insérer dans cet écosystème de confiance.
Messages contradictoiresTroisièmement, la confiance des citoyens dépendra de la durée de validité du dispositif ; autrement dit, l’Etat devra s’engager sur unedate ferme de fin du traçage. Comme nous en avons fait l’expérience en matière de lutte contre le terrorisme, des mesures annoncées comme temporaires peuvent devenir permanentes, créant une menace pérenne pour la vie privée. Limitation dans le temps, mais aussi limitation des donnéescollectées à ce qui est strictementnécessaire pour la finalité recherchée et la sécurité du système. Selon l’Inria, l’application StopCovid ne stockera que des « cryptoidentifiants » éphémères. Ainsi, lorsque l’Etat enverra un message à une personne via l’application pour la prévenir d’une possible exposition au virus, il ne pourra obtenir ni l’identifiant du téléphone contacté, ni le nom du patient à l’origine de l’alerte.
Mais quid des fausses alertes, déclenchées par négligence ou par des personnes malintentionnées ?Pour éviter ces dérives, le réseau eHealth européen recommande que ce soit un professionnel de santé – le laboratoire d’analyse ou le médecin traitant – qui déclenche l’alerte. Mais si le laboratoire ou le médecin aide le patient àdéclencher l’alerte, sommesnous toujours dans un régime purement volontaire ?
Ce qui nous amène au plusgrand paradoxe du dispositif. Pour être légitime, StopCovid doit prouver son efficacité, c’estàdire, comme indiqué cidessus, être adopté par plus de 60 % de la population. On sait, grâce à l’expérience singapourienne mais aussi à la vivacité des débats publics, que ce pourcentage ne sera probablement pas atteint sur la base du seul volontariat.
Dans l’affaire des masques, dontle port avait été rendu obligatoire par la municipalité de Sceaux, le Conseil d’Etat a souligné la nécessité d’assurer une cohérence d’ensemble des mesures de lutte contre le virus et de ne pas semer la confusion dans l’esprit du public par des messages contradictoires. Dans le cas de StopCovid, on risque de buter sur la même difficulté. Si l’application est importante pour la santé publique, elle devrait en toute logique être obligatoire pour espérer atteindre le taux minimal d’adoption nécessaire à son efficacité. Les obstaclespratiques d’une application obligatoire ne doivent pas être ignorés, mais la démarche serait au moins cohérente. A l’inverse, si l’application ne s’avère pas essentielle en matière de santé publique, son efficacité est de peu d’importance et nous pouvons rester sur une approche volontaire. Mais se poserait alors la question de la légitimité et de laproportionnalité du dispositif.
David Bounie, Winston Maxwell et Xavier Vamparys sont chercheurs à Télécom Paris
Thierry Klein Le RGPD, contrainte absurdeL’entrepreneur estime quele règlement général sur la protection des données est un monstre juridique dont la France subira les conséquences quand elle mettra en place des outils de suivi de la contagion
Vous vous rendez compte de l’existencedu règlement général sur la protectiondes données (RGPD) quand, en surfantsur le Web, chaque site commence par
vous demander si vous acceptez bien tous ses cookies. Ça vous gêne profondément 50 fois par jour mais, comme vous n’avez pas le tempsde sélectionner les cookies, vous les acceptez sans regarder, et donc la situation est inchangée par rapport à avant, sauf que vous devez faire deux clics de plus par site visité.
L’autre effet notable du RGPD a été l’ubuesque génération de spams au moment de sa mise en place. Toutes les entreprises de la planète vous ont écrit pour vous demander si elles avaient le droit de vous écrire. Chaque demande d’autorisation était ellemême illégale,car non sollicitée. Un énorme progrès, donc.
Si on en croit Cédric O, le secrétaire d’Etat aunumérique, le RGPD symbolise « nos valeurs », ce qui nous différencie des EtatsUnis ou de la Chine. Il y a une certaine forme de protectionnisme compréhensible derrière tout ça, puisqu’il s’agit de créer des lois favorisant le développement d’un écosystème spécifiquement européen. Mais surtout, c’est un aveu inconscient d’impuissance : comme nous sommes incapables de peser réellement dans la révolution numérique, nous nous réfugions derrière
des prétextes bidons, mais qui nous rassurent. Nous jouons aux purs pour ne pas admettre que nous sommes faibles.
Le RGPD est totalement inefficace visàvisdes applications des pays tiers, car il est impossible de vérifier qu’il est appliqué. Les PMEaméricaines ou chinoises passeront outre sansrisque, les GAFA passeront outre au risqued’amendes légères devant les enjeux et qui, arrivant trop tard, ne changeront pas la donne. Les entreprises françaises, forcées, elles, de s’y soumettre, sont retardées dans leurs projets.Ainsi, nous avons encore enfanté un monstre juridique, nous nous sommes encore tiré une balle dans le pied avec cette loi.
Pour une quarantaine numériqueBeaucoup de Français sont sincèrement trèsattachés au RGPD. Il y a d’abord une sorte de méfiance paranoïaque envers toute constitution de fichier, considérée a priori comme un flicage liberticide, qui est une sorte de retour d’une culpabilité refoulée remontant à notrepassé collaborationniste et vichyste – c’est pourquoi tous les pays européens, Allemagne comprise, sont pour une fois d’accord.Ensuite, ne se rendant pas compte que leursdonnées sont déjà ailleurs, les Français ont l’illusion que cette loi les protège réellement.
Le pompon de la bêtise, celle qui tue, est enpasse d’être atteint avec le traitement du coronavirus. Au moment où nous déconfinerons, il devrait être possible de mettre une application traceuse sur chaque smartphone (« devrait », car il ne faut pas préjuger des capacitéstechniques d’un pays qui n’a su procurer ni gel ni masques à ses citoyens). Cette application, si vous êtes testé positif, va être capable de voir quels amis vous avez croisés et ceuxcipourront être euxmêmes testés. Ainsi utilisée, une telle application réduit significative
ment la contagion, sauve des vies (par exemple en Corée du Sud), mais réduirait, selon certains, nos libertés et, drame national, enfreindrait le RGPD.
Une telle interprétation est un détournement de la notion de citoyenneté, au bénéfice d’une liberté individuelle mal comprise – de fait, la liberté de tuer. Pour bien le comprendre,il faut faire le parallèle avec la quarantaine. Quand une maladie contagieuse se déclare sur un bateau, on le met en quarantaine. Aucun passager n’a le droit de débarquer jusqu’à la visite des services sanitaires.
L’immense majorité des passagers ne présentent aucun symptôme, la plupart des passagers ne développeront pas la maladie. On leur empêche donc en quelque sorte injustement lelibre accès au port. Mais peuton considérer que les passagers du bateau sont injustement privés de liberté ? Evidemment non. La mise enquarantaine, c’est la participation citoyenne dechaque passager à la sécurité sanitaire générale. Le passager qui ne s’y soumet pas est moralement complice de la maladie. Il en va demême pour la noninstallation de l’applicationsur un portable. Ceux qui refusent de le faire devraient être strictement confinés et, si cetisolement les empêche de se rendre au travail, leur salaire devrait être suspendu sans compensation sociale. Jusqu’à présent, le RGPDnous ennuyait sans raison et sans bénéfice.Maintenant, il risque de nous tuer.
Thierry Klein est fondateur et PDG de Speechi, éditeur de solutions matérielles et logicielles de formation et de communication à distance
Les banques non plus n’ont pas de vaccin
LA CHRONIQUE DE JÉZABEL COUPPEYSOUBEYRAN
La « grande récession » de 2008 avaitété causée par la crise financièremondiale. Aujourd’hui, avec lacrise sanitaire, c’est l’économie à
l’arrêt qui pourrait, à son tour, entraînerune crise bancaire et financière, bienaudelà des turbulences des marchés boursiers des dernières semaines. Mieuxvaudrait l’éviter.
La contamination des bilans bancairespourrait emprunter plusieurs canaux. Des défauts de paiement et de remboursement de crédits arrivant à échéance vont faire augmenter la part des créances douteuses à l’actif des banques. Les titres détenus à des fins de transactions risquent de voir leur valeur baisser avec la chute des valeurs boursières. Et la sollicitation des réseaux informatiques bancaires, intensifiée par le confinement, va également augmenter le risque de panne, d’erreur humaine, de piratage, etc.
Les banques pourraient ainsi enregistrer des pertes conséquentes à l’actif de leur bilan. Ce n’est pas leur clientèle de particuliers, qui se sait protégée par la garantie des dépôts couvrant jusqu’à 100 000 euros par personne et par banque, mais celle de leurs créanciers professionnels – les autres banques, les fondsd’investissement, les assurances, etc. – qui, à court de liquidités, pourraient se ruer sur leurs guichets virtuels.
Quelle est leur capacité de résistance face à ces risques ? Le cadrede résilience forgé par les réformes post2008 suffiratil ? Certes,grâce au rehaussement des exigences de ratio des fonds propres sur bilan à la suite des accords dits « de Bâle III », ceuxci ont augmenté en proportion des actifs risqués : de 8,8 % en 2008 à 14,7 %en 2016 pour la zone euro, de 9,8 % à 12,9 % aux EtatsUnis, de 8,7 % à 13,6 % au Japon, selon les données de la Banque des règlements internationaux (BRI). Les banques européennes seraientelles donc les plus solides ? Ce n’est pas sûr, car ces mêmes fonds propres rapportés au total du bilan (c’estàdire sans les pondérations de risques opérées, et parfois manipulées, par les modèles utilisés en interne par les banques ellesmêmes) sont passés sur la même période de 3,7 % à 5,8 % pour les banques de la zone euro,mais de 7,2 % à 9,3 % pour les banques américaines.
En clair, une perte supérieure à 5,8 % de la valeur des actifs desbanques de la zone euro épuiserait en totalité leurs fonds propres.Avec un montant total d’actifs de 34 000 milliards d’euros, dont un tiers de crédits à la clientèle (selon les données de la BRI et de laBanque centrale européenne, BCE), il suffirait que moins d’un crédit sur cinq ne soit pas remboursé pour faire tomber à zéro lesfonds propres des banques européennes. Cela peut paraître beaucoup comparé à la moyenne de 5 % de prêts non performants observée avant la crise sanitaire, mais c’est au niveau des 18 % affichés par les banques italiennes en 2015… Et si ce crash test de coin
de table peut effrayer, c’est moins parson arithmétique simple que par sonexcès d’optimisme, puisque les risques ne se réduisent pas au risque decrédit et que des effets de contagionet d’amplification sont toujours lesprémices des crises bancaires.
De telles difficultés obligeraient àmobiliser les « mécanismes de résolution » des faillites bancaires, autrevolet des réformes post2008. Celuides banques de la zone euro prévoitque les créanciers seniors des banques prennent au moins 8 % des pertes, avant l’entrée en scène du Fondsde résolution unique (FRU), dont les40 milliards d’euros environ serontbien insuffisants s’il faut recapitali
ser plusieurs banques en même temps. Or, d’après le Comité européen du risque systémique, la probabilité qu’au moins deuxgrandes banques européennes fassent défaut a dépassé la barre des 5 % en mars… On est certes encore loin des 15 % observés lorsde la crise des dettes souveraines, mais cela monte vite.
Dégonflement des « coussins »Le Mécanisme européen de stabilité (MES), qui pourrait venir enrelais, prévoit des instruments de recapitalisation directe et indirecte pour les banques de la zone euro. Ceuxci seraient toutefoislimités à 60 milliards, ce qui incite deux économistes allemands,Moritz Schularick et Sascha Steffen, à proposer de les étendre à 200 milliards d’euros (A Protective Shield for Europe’s Banks,Macrofinance Lab Bonn, 15 mars 2020).
Face à ces difficultés probables, les banques centrales, dont laBCE, ont offert aux banques un refinancement sans limite et sans coût, ce qui devrait très vraisemblablement éloigner tout risque d’une rupture de liquidité. De leur côté, les superviseurs bancaires (dont la BCE en zone euro) recommandent aux banques d’utiliser pleinement la flexibilité des limites de fonds propres – le « coussin contracyclique ». Mais toléreraientelles queceuxci descendent en deçà des standards de Bâle III ?
Le 16 avril, la BCE a certes annoncé une diminution des exigences de fonds propres relatives aux risques de marché. Ce choixest justifié par la volonté d’accroître, le temps de la crise sanitaire, la capacité de réponse des banques aux difficultés de l’économie. Mais d’une part, pratiquement rien ne vient lier le soutien dont les banques bénéficient à celui qu’elles doivent apporter à l’économie. Et d’autre part, mieux vaudrait que la crise sanitaire ne soit pas trop longue, sinon l’accumulation des pertes et le dégonflement des « coussins » de fonds propres mèneront droit aux défauts bancaires.
Quant aux plans d’aide budgétaire, ils soulageront indirectement les banques, comme tout ce qui vient aider l’économie à faire face à la crise, mais aucune ligne de crédit n’est prévue pour,par exemple, rehausser les capacités du FRU ou du MES. Les banques non plus n’ont pas de vaccin contre le Covid19.
UNE PERTE SUPÉRIEURE
À 5,8 % DE LA VALEUR DES ACTIFS
DES BANQUES DE LA ZONE EURO
ÉPUISERAIT EN TOTALITÉ LEURS
FONDS PROPRES
Jézabel Couppey-Soubeyran est maîtresse de conférences à l’université Paris-I, Ecole d’économie de Paris
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Q ue de la catastrophe ilpuisse naître quelquechose : c’était l’espoirde ceux qui se soucient de l’environne
ment. Il aura fallu très peu de temps pour que cet espoir soit douché. Le « monde d’après » la pandémie de Covid19 s’annonce, en dépit des discours, la copie conforme de celui d’avant. En Europe, aux échelons communautaires comme nationaux, tout concourt à relancer les économies sans considération pour la question écologique. Le Green Deal dont la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, veut faire le pilier de son mandat, est attaqué par les lobbys industriels et remis en cause par une majorité d’Etats membres.
Même l’Allemagne tarde à transmettre à Bruxelles son plan énergieclimat, qui doit préciser les moyens qui seront mis en œuvre pour réduire ses émissions d’ici à 2030. De toutes parts, la gestion de la pandémie de Covid19 et les mesures nécessaires à la sortie decrise conspirent à faire de l’environnement une question subsidiaire, qui pourrait, au mieux, être remise à plus tard une fois l’économie relancée.
L’industrie de la plasturgie réussit la prouesse d’un retour en grâce du plastique à usage uniquepour des motifs discutables d’hygiène, les agrochimistes et l’agroindustrie demandent des assouplissements de normes sur l’usage des pesticides et les limites maximales de résidus autorisées dans l’alimentation, voire sur les distances de sécurité entrehabitations et zones traitées… Parla voix de son patron, Geoffroy Roux de Bézieux, le Medef exigecarrément, en réponse à la pandémie, « un moratoire sur la préparation de nouvelles dispositionsénergétiques et environnementales », dans une lettre du 3 avril, au ministère de la transition écologique et solidaire, révélée par Le Canard enchaîné.
Rendez-vous (presque) manquéUn peu partout, ces demandes rencontrent l’oreille compatissante de ceux qui sont aux affaires. Relancer l’activité économique, reconstruire la demande, remettre le monde sur les rails qu’ila brièvement quittés : cela semble la priorité. En France, par exemple, aucune contrepartieenvironnementale ou climatique n’a été demandée aux grands groupes qui se verront soutenusà hauteur de 20 milliards d’euros d’argent public.
Pourtant, la mise à l’arrêt del’économie était une occasion de refaire de la politique au sens premier du terme, c’estàdire de définir et de poursuivre des objectifs communs désirables. L’occasion était inespérée de reprendrele contrôle de la marche du monde, et de commencer à l’infléchir en choisissant les secteurs d’activité à relancer et à soutenir. Ce n’est pas ce qui semble se préparer, et ce rendezvous (presque)manqué met en lumière l’un desgrands paradoxes de notretemps : faire de la politique au XXIe siècle, c’est refuser d’en faire.C’est décider qu’on ne décidera pas, c’est s’en remettre à l’offre et à la demande. Et c’est aujourd’hui d’autant plus paradoxal que le
hiatus avec l’opinion, en Franceau moins, semble béant. Interrogés par l’institut Ipsos entre le 7 etle 14 avril, c’estàdire dans la période la plus aiguë de la crise sanitaire, les Français ont placé sans surprise l’épidémie en tête de leurs préoccupations (76 %), puis le système de santé (42 %) et le changement climatique (33 %). Tout cela devant les sujets habituels que sont le pouvoir d’achat(31 %), la dette publique (24 %), le chômage (18 %), ou encore l’insécurité (16 %).
Face au rouleau compresseur dela pandémie, qui détruit les emplois, aggrave les inégalités, dépossède chacun de nous de ses libertés les plus fondamentales – se déplacer, se réunir, embrasser ses proches ou simplement mettre le nez dehors –, le réchauffement climatique demeure unepréoccupation majeure.
Pourquoi ? Ce n’est sans doutepas que la propagation de la maladie est attribuée à la dégradation de l’environnement. De nombreuses voix se sont certes élevées, ces joursci, pour faire le lienentre l’irruption de la maladie etla déforestation, la destruction des habitats, etc., qui auraientcréé les conditions de l’émergence et de la transmission du virus. De tels liens de causalité univoques sont à la vérité hasardeux.
Si la catastrophe en cours renforce la sensibilité à la questionenvironnementale, c’est plutôt qu’elle nous ouvre à la fragilité dusystème que forme l’interconnexion des structures sociales, dusystème productif et de la biosphère. Tout à coup, nous prenons conscience qu’un événement présentant peu de risques à l’échelle de l’individu (pour une grande majorité de la population, la probabilité de mourir du Covid19 est très faible) se révèle capable de confiner la moitié de l’humanité et d’arrêter l’économie mondiale.
Cette question – celle de l’appréciation du risque – est au cœur dudébat sur l’environnement : les réticences à prendre des mesures de protection fortes reposent généralement sur une approche individualiste des risques. De fait, laprobabilité demeure objectivement faible de mourir directement d’une intoxication au plastique ou aux pesticides, ou du réchauffement. Mais cette manièrede cadrer la question, sous une apparence de calcul froid et rationnel, est en réalité politique.Elle postule que l’individu est lamétrique de toute chose, elle occulte la fragilité des structures économiques et sociales dont nous dépendons, et de l’équilibre de cellesci avec l’environnement au sens large.
Il y a, en somme, une pédagogiede cette crise. Si le réarrangementde quelques nucléotides sur l’ARNd’un virus transporté par un petitmammifère est capable du désastre en cours, qui peut imaginer ceque produira sur le long terme l’élévation de plus d’un mètre desocéans, comme le promettent les experts du climat pour les prochaines décennies ?
C e n’est qu’à la fin de l’épidémie liéeau Covid19 que pourra être dressé,pays par pays, l’inventaire de ce qui a
fonctionné et de ce qui a échoué dans la lutte contre ce fléau mondial. Il est cependant indéniable que, depuis le début de la crise, la France est apparue en retard de deux guerres. Elle a d’abord dû faire face àune pénurie de masques, que les pouvoirs publics ont, dans un premier temps, tenté de nier. Elle a ensuite eu beaucoup de mal à se conformer à l’injonction du directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui, dès le 16 mars, conseillait aux pays contaminés de « tester, tester, tester ».
Le dépistage précoce des personnes susceptibles d’être porteuses du virus, même faiblement symptomatiques, permet en ef
fet de les isoler et de rompre la chaîne de transmission de la maladie. Des pays comme l’Allemagne ont suivi à la lettre cette recommandation, avec jusqu’à présent des résultats évidents. La France, aucontraire, est apparue à la traîne. Selon les chiffres fournis par l’Organisation pour lacoopération et le développement économiques (OCDE), la proportion de personnes testées, au 15 avril, était de 5,1 pour 1 000 habitants, soit près de trois fois moins que lamoyenne des autres pays.
Le gouvernement s’est engagé à monteren puissance, mais les conséquences sontlourdes : pour éviter que l’épidémie n’explose et sature le système de santé, l’ensemble de la population se trouve, depuis le 17 mars, confinée pour une période de deux mois, ce qui a de fortes conséquences sur l’activité économique, mais aussi sur le moral et la santé des personnes assignées à résidence. « Le coût humain est effrayant », constatait, dans une récente interview au Monde,le médecin et épidémiologiste William Dab, directeur général de la santé de 2003 à 2005.Il opposait l’« héroïsme » des soignants et l’« excellence » des soins aux graves lacunes du système de santé publique qui, de plus enplus atomisé et soumis aux pressions du marché, a dangereusement négligé, ces dernières années, le volet préventif.
Pour les tests comme pour les masques, laFrance ne manque ni de compétences ni de
bonne volonté pour les produire. On a vu fleurir ces dernières semaines à travers toute la France des ateliers de couture et mille initiatives, nombre de laboratoires ont proposé leurs services pour activer laréalisation de tests. Mais, soudainement mis en tension, le système administratif,davantage formaté pour la gestion, a eu le plus grand mal à s’adapter. Toutes sortes delourdeurs sont apparues, qui n’étaient passeulement liées à la nécessité de s’assurerde la fiabilité des tests : respect excessif des procédures, désir de protéger telle ou telle citadelle, ou manque de dialogue entre les préfectures et les agences régionales desanté. Près d’un précieux mois a été perdu ;ce n’est qu’à la miavril que le gouvernement est parvenu à rassembler enfin tous les acteurs publics et privés au sein d’une « cellule de tests ».
Interrogé la semaine dernière par le Financial Times, Emmanuel Macron estimait que la France, comme ses partenaires, était en train de « faire l’expérience de notre vulnérabilité ». La leçon à tirer, disaitil, c’estqu’il faut désormais mettre au premierplan « l’agenda éducatif, sanitaire et climatique ». Il ne suffira cependant pas d’injecter des milliards d’euros dans le système de santé français pour le consolider. Tout devra être repensé pour assurer, dans les meilleures conditions possible, la protection des Français.
LE GREEN DEAL DE LA COMMISSION
EUROPÉENNE EST ATTAQUÉ PAR
LES LOBBYS ET REMIS EN CAUSE PAR UNE MAJORITÉ D’ÉTATS
MEMBRES
LES LEÇONS DE LA PÉNURIE DE TESTS
PLANÈTE | CHRONIQUEpar stéphane foucart
L’écologie au temps du Covid-19
FAIRE DE LA POLITIQUE AU XXIE SIÈCLE, C’EST REFUSER
D’EN FAIRETirage du Monde daté samedi 25 avril : 166 934 exemplaires
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Désormais, l’ensemble de vos journaux sera livré 4 jourspar semaine, au lieu de 3 jours précédemment.A partir dulundi 20 avril, vous les recevrez les mardi, mercredi, jeudiet vendredi. Les deux semaines suivantes, compte tenudes jours fériés du 1er mai et du 8 mai, vous les recevrezexceptionnellement le lundi, lemardi, lemercredi et le jeudi.Pour les abonnés livrés par portage, la distribution resteassurée quotidiennement pour le moment.
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