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Document généré le 2 fév. 2018 23:33 Laval théologique et philosophique Le mystère trinitaire : quelques notations théologiques Jean-Guy Pagé Volume 30, numéro 3, 1974 URI : id.erudit.org/iderudit/1020438ar DOI : 10.7202/1020438ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Faculté de philosophie, Université Laval et Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval ISSN 0023-9054 (imprimé) 1703-8804 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Pagé, J. (1974). Le mystère trinitaire : quelques notations théologiques. Laval théologique et philosophique, 30(3), 227– 236. doi:10.7202/1020438ar Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique- dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © Laval théologique et philosophique, Université Laval, 1974

Le mystère trinitaire : quelques notations théologiques

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Laval théologique et philosophique

Le mystère trinitaire : quelques notationsthéologiques

Jean-Guy Pagé

Volume 30, numéro 3, 1974

URI : id.erudit.org/iderudit/1020438arDOI : 10.7202/1020438ar

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Éditeur(s)

Faculté de philosophie, Université Laval et Faculté dethéologie et de sciences religieuses, Université Laval

ISSN 0023-9054 (imprimé)

1703-8804 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet article

Pagé, J. (1974). Le mystère trinitaire : quelques notationsthéologiques. Laval théologique et philosophique, 30(3), 227–236. doi:10.7202/1020438ar

Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des servicesd'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vouspouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/]

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.

Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Universitéde Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pourmission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org

Tous droits réservés © Laval théologique etphilosophique, Université Laval, 1974

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LE MYSTÈRE TRINITAIRE : QUELQUES NOTATIONS THÉOLOGIQUES

Jean-Guy P a g ê

LA Trinité est le mystère chrétien sur lequel il est le plus présomptueux de / méditer. Pourtant, c’est un mystère que les plus grands théologiens et

contemplatifs ont scruté à la fois avec avidité et humilité. C’est, de plus, le mystère central du christianisme, non seulement au niveau de la structuration des vérités de la foi mais encore à celui de la vie de foi (vérité et vie étant d’ailleurs en connexion) : le chrétien se définit comme celui qui, par l’Esprit d ’amour répandu dans son cœur (cf. Rm 5,5), devient fils du Père dans le Fils fait homme et est appelé à vivre de plus en plus intensément cette vie filiale (cf. 2 Co 5,7 ; Jn 3,2).

Il n’est donc pas étonnant que le deuxième Concile du Vatican ait tenu à enraciner le mystère de l’Église et de sa mission dans le mystère trinitaire lui-même et dans celui de la mission des Personnes divines 2. L’action de Dieu est une et continue, elle s’identifie même à son Être. C’est pourquoi nous pouvons parler d’une continuité, relevant de l’ontologie divine elle-même, entre le mystère trinitaire, les missions divines et l’Église3. À propos des missions divines, saint Augustin ne disait-il pas: « Être envoyé, c’est se faire connaître » 4.

Le propos de cet article est de rappeler quelques notations théologiques sur ce mystère si important. Il veut particulièrement faire ressortir la complémentarité de deux grands courants théologiques sur la Trinité: le courant oriental ou grec et le courant occidental ou latin.

1. C f. H. d e L u b a c , La fo i chrétienne, Paris, Aubier, 1969, chap. II et III.2. C f. Lumen gentium, par. 2 ,3 et 4 ; A d gentes, par. 2 ,3 et 4 ; Gaudium et Spes, par. 40, 2.3. C f. cette remarque du P. C o n g a r : « Il y a toujours, dans le Nouveau Testament, une correspondance

entre l’en soi mystérieux de Dieu et l’activité salutaire que Dieu exerce... · (dans Problèmes actuels de christologie. Symposium de l ’Arbresle, présenté par H. Bouëssé et J.-J. Latour, DDB, 1965, p. 370). Dans le même sens J. M o u r o u x , Le M ystère du temps, Paris, Aubier, 1962, coll. Théologie. n° 50, p.113, note 27, avec les citations de M. Giblet et du P. Malevez.

4. De Trin., IV, 29 ; P.L. 42,908.

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J.-G. PAGÉ

LE COU RANT O R IENTAL ET LE C O U RA N T OCCID EN TA L;LA SYNTHÈSE THOM ISTE

Il existe dans l’Église, aussi bien pour la théologie trinitaire que pour d’autres traités théologiques (qui, d’ailleurs, en découlent), deux grands courants : le courant oriental (les Pères grecs) et le courant occidental (les Pères latins). Ils sont tous les deux orthodoxes, apportant chacun des données complémentaires, mais demeurant largement différents. Par rapport au sujet qui nous intéresse ici, notons la différence dans le choix du point de départ, comme dans la démarche de développement et de retour, bien que la préoccupation soit commune de sauvegarder à la fois l’Unité de nature et la Trinité des Personnes: « Unitas in Trinitate, Trinitas in U nitate»5.

Les Pères grecs insistent davantage sur la distinction des Personnes dans l’unité : «Trinitas in Unitate». Deux formules complémentaires indiquent leur démarche:

Du Père, par le Fils, vers l’EspritDans l’Esprit, par le Fils, vers le Père \

Ces deux formules leur servent à exprimer tant le mouvement interne des processions divines que le mouvement externe des missions \ La perspective plus « personnaliste » des Grecs s’explique par les hérésies qu’ils ont eu à combattre et qui niaient la personnalité divine du Fils ou de l’Esprit ; mais elle est aussi plus près des expressions du Nouveau Testament, des anciens symboles de foi et des premières formules liturgiques8. L’Orient a peut-être plus de difficulté à rendre compte de l’Unité dans la Trinité ou, plutôt, il le fait davantage en insistant sur la « périchorèse» dynamique, présence des personnes l’une en l’autre par l’amour, « koinonia », que sur l’unité statique de nature9.

Les Latins, eux, insistent d’abord sur l’unité dans la distinction des personnes : «Unitas in Trinitate». Par opposition à la représentation «linéaire» du mouvement

5. La même formule est utilisée tant en Orient qu’en Occident. « Il faut adorer l’Unité dans la Trinité et la Trinité dans l’U nité., dit S. Grégoire de N a z ia n c e , Oral., 25, 17; P.G. 35, 1221. Et le Symb. « Quicumque », d’inspiration augustinienne : « On doit révérer l’Unité dans la Trinité et la Trinité dans l’Unité», Denzinger-Schônmetzer 75; Foi catholique, 9.

6. Cf. Th. D e R ê g n o n , Études de théologie positive sur la Ste-Trinité, Paris, 1862, tome I, pp. 339-340. 350-351, 403-427; tome IV, pp. 6-79, 109-119, 241-250.

7. Le terme «mouvement» ne sera employé ici que dans un sens analogique qui le dépouille des imperfections impliquées dans le mouvement de la créature. Le P. Martelet parle de « mutabilité immuable » de la Trinité (dans Problèmes actuels de christologie, Symposium de l ’Arbresle, p. 404).

8. Le Nouveau Testament parle « d’un seul Dieu, le Père » et de même les Symboles : « Je crois en un seul Dieu». Cf. Th. de R êgnon, Études de théol. posit. T. I, pp. 439-499; K. R a h n e r , Écrits théologiques, t. I, Dieu dans le Nouveau Testament. La signification du mot " Theos", DDB, 1959, pp. 11-111. Pour les formules liturgiques, cf. C. V agaggin i, Initiation théologique à la liturgie, adaptation française de P. Rouillard, Bruges-Paris, Apostolat liturgique, 1959, t. I., pp. 135-174. Aussi J.-A. Jungm ann , Tradition liturgique et problèmes actuels de pastorale, trad. de P. Kirchhoffer, Le Puy, X.-Mappus, 1962, pp. 38-50 ; Y. T rém el, « Remarques sur l’expression de la foi trinitaire dans l’Église apostolique », Lumière et Vie 29 (1956), pp. 41-66, Y. C o n g a r, Le mystère du Temple, Paris, Cerf, 1963, p. 332, note 1.

9. Pour le sens premier du mot « perichorèse », cf. Th. d e R é g n o n , Études sur la S te Trinité, Paris, 1862, t. I. p. 421 : « non pas la coexistence statique, mais la circulation réciproque d ’une chose à l’autre, de telle sorte que chacune appelle l’autre, en même temps qu’elle s’y oppose ». Cependant, VI. Lossky défend l’Orthodoxie de faire « passer les Personnes avant la nature » (Essai sur la théologie mystique de l'Église d ’Orient, Paris, Aubier, 1944, p. 61).

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LE M YSTÈRE T R IN IT A IR E : QUELQUES NO TATIONS THÉOLOGIQUES

trinitaire chez les Grecs, la leur est plutôt « circulaire ou triangulaire »10 : en son sein même le Père se connaît dans son Verbe et, du retour de ce Verbe au Père, procède l’Esprit Les Latins ont élaboré leur doctrine plus paisiblement que les Grecs. Ceci est particulièrement évident dans la seconde partie du De Trinitate de saint Augustin (livres VIII-XV), où «celui qui a toujours ambitionné de connaître Dieu et l’âme, délaisse ces adversaires (il s’agit des hérétiques, particulièrement les Ariens), pour chercher dans l’homme une vivante image du Dieu-Trinité, qui est Charité » '2. C’est l’origine de la théorie dite « psychologique », qui établit une analogie très féconde entre les opérations humaines d’intelligence et de volonté et les processions divines selon la connaissance et l’amour. Cette théorie pose à son point de départ comme à son terme la contemplation d’un Dieu unique. En ceci, elle se montre fidèle elle aussi à d’autres aspects de l’Écriture et de la Révélation chrétienne, ainsi qu’à d’autres formules liturgiques13. En contre-partie, la théologie trinitaire des Latins, davantage encore après Augustin, est exposée à s’exprimer d’une façon plus « substantialiste » et n’échappera pas toujours au danger de « dépersonnaliser » Dieu 14. Elle établit bien la consubstantialité et l’égalité des Personnes de même que l’identité de leur opération ad extra, mais il y aurait lieu, spécialement en développant la théorie psychologique, d’éviter qu’elle ne noue les relations des personnes dans la seule substance et de promouvoir qu’elle en fasse davantage éclater le caractère «rencontre interper­sonnelle dans l’amour » ' 5.

Ce travail, Thomas d’Aquin, toujours préoccupé d’une fidélité parfaite à l’Écriture et à toute la tradition tant grecque que latine, l’a magnifiquement amorcé '6. Tout en accordant sa préférence à la théorie psychologique de saint Augustin, à laquelle il donne une expression encore plus parfaite mais dont il marque également les lim ites17, saint Thomas fournit les principes qui permettent de poursuivre la

10. Voici comment on pourrait, avec le P. de Régnon, expliquer ces épithètes : « Le diagramme grec de la Trinité n'était pas un triangle a — on pourrait ajouter «un cercle» — «se refermant sur soi-même. C ’était une ligne droite partant du Père, passant par le Fils et aboutissant au St-Esprit... » (op. cit., t. I, p. 340).

11. Cf. S. T h o m a s , De Pot., q. 9, a. 9.12. H. Ba r r é , Trinité que j'adore, Lethielleux, 1965, p. 32.13. Le Dieu de l’Exode, «Celui qui est», est Celui que l’Évangile nous manifeste comme « Père, Fils et

Esprit-Saint» (M t 28, 19). La liturgie primitive, comme celle d’aujourd’hui, connaît la formule «Gloire au Père., au Fils et au St-Esprit» à côté de la formule «Gloire au Père par le Fils dans l’Esprit». Cf. supra, note 8, citations des ouvrages de Vagaggini et Jungmann.

14. Qu’on songe à la théorie de Cajetan affirmant une subsistance commune aux trois Personnes. Jamais une telle théorie « n’aurait pu surgir de la conception antique, tandis qu’elle se présente assez naturellement à un esprit latin » (A. P o r t a l ié , Dictionnaire de théologie catholique, 1 ,2348).

15. Sur ces différences entre les deux théologies, leurs richesses et leurs faiblesses respectives, cf. H. B a r r é , op. cit., pp. 21-54 et 142-144.

16. C f. c a rd . C h a r le s J o u r n e t , L ’Église du Verbe incarné, DDB, t. II, p . 3 5 8 : « E n to u t c as , nous re g a rd o n s les é c r its d e s pères o rien tau x e t des m y stiq u es o cc id en tau x , m êm e q u a n d ils n ’on t p as réussi à re n c o n tre r l’exp ress ion th éo lo g iq u e ex ac te e t su p rêm e de cet in so n d ab le e t fu lg u ran t m y stè re , co m m e c h arg és de rich esses p ro fo n d es e t au th e n tiq u es . N o u s so m m es p e rsu ad é qu e la th éo lo g ie th o m is te e st c ap a b le de d o n n e r à ces richesses, en co re p a rtie lle m e n t in exp lo itées, un p le in d ro it de c ité , n on seu lem en t san s leu r fa ire v io lence, m a is bien p lu tô t, au c o n tra ire , en les lib é ra n t d es e n trav es d ’une fo rm u la tio n p a rfo is d é fec tu eu se , en c o o rd o n n a n t en tre eux leurs d ive rs é lém en ts , e t en s’e n rich issan t e lle -m êm e. »

17. Cf. Contra Gentes, IV, 26.

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J.-G. PAGÉ

conciliation et il indique en quel sens continuer ses efforts. En distinguant une double unité en la Trinité, unité d’essence et unité d’am our18, «il nous laisse le soin de les ramener l’une à l’autre sans leur enlever leur caractère propre»19. En conséquence, sans ambitionner de réaliser ce dont nous n’avons pas les capacités et qu’il n’y a pas lieu de faire ici, nous voulons simplement, à la lumière de la théologie trinitaire de saint Thomas, tenter de présenter en raccourci certains aspects du mystère trinitaire et des missions divines dans une optique scripturaire. Nous espérons ainsi rejoindre les préoccupations des hommes de notre temps, davantage impressionnés par les philosophies de la personne et de l’am our20.

QUELQUES NO TATIONS THÉOLOGIQUES

Dieu est l’Être: «Je suis celui qui suis» (Ex 3,14; cf. Jn 8,58)21. Il est l’Être spirituel : « Dieu est esprit » (Jn 4,24) 22, « l’Acte pur », disent les théologiens 23. En Lui, connaissance et amour s’identifient parfaitement à son Être et, par le fait même, entre eux 24. Pourtant, il nous faut en même temps tenir que, selon ces deux aspects de l’Acte

18. / Sent., d. 32, q .l, a.3, sed contra (1) : « Contra est quod dicitur Jo. 17,22 : “ Ut sint unum in nobis sicut et nos unum sumus” . Non enim loquitur ibi de unitate essentiali tantum, quia illo modo Deo non unimur, sed de unitate consonantiae vel amoris, quod est Spiritus Sanctus ». Cf. aussi InJoan. I., lect,1 (4) et XVII, lect. 3 (1).

19. H. Ba r r é , op. cit., p. 142.

20. Est-il nécessaire de rappeler que l’Écriture se situe d’abord au niveau de l’économie divine, i.e. des relations que les Personnes divines ont avec le fidèle? Cependant, cette économie est en dépendance d’une ontologie divine : les relations des Personnes divines avec le fidèle sont à l’image des relations qu’elles ont entre elles à l’intérieur de la Trinité; elles constituent même une certaine participation à ces dernières. À propos des hommes de notre temps, H. Ba r r é , op. cit., p. 20, n. 38, affirme que « les thomistes contemporains accordent volontiers une plus grande attention à l’amour mutuel du Père et du Fils et à l’idée d ’amitié». Il cite J. H. N ic o l a s ; H.-F. D o n d a in e ; E. Ba il l e u x , ■ Le personnalisme de S. Thomas en théologie trinitaire», Revue thomiste, 61 (1961), pp. 25-42; A. M a l e t , Personnalisme et Am our dans la théologie trinitaire de S. Thomas d ’Aauin. Paris, Vrin, 1956.

21. Sur ces textes et d’autres de l’Écriture, cf. F.-M. G e n u y t , Le mystère de Dieu, Tournai, Desclée, 1962, pp. 30-35; H. d e L u b a c , Sur les chemins de Dieu, Paris, Aubier 1956, pp. 162-166; M.-J. C o n g a r , « Le Christ dans l’économie salutaire et dans nos traités dogmatiques », .art. de Concilium (janv. 1966), pp. 12-14. On notera dans les trois passages mentionnés le même souci d’intégrer les apports différents de l’exégèse, de la théologie biblique, des Pères, de la théologie systématique et même de la simple réflexion chrétienne.

22. Il s’agit évidemment ici de l’aboutissement parfait d’une longue et graduelle révélation. Pour retracer le chemin emprunté par la pédagogie divine. Cf. F.-M. G e n u y t , op. cit.. pp. 51s; J. G u il l e t , dans Vocabulaire de théologie biblique, art. Dieu; P.-M. de la C r o ix , L'Ancien Testament, source de vie spirituelle, Bruges, Desclée de Br., 1952, pp. 19-109. Cette problématique n’est pas absente chez saint Thomas, S. Theol., I, q. 3. Noter, en passant, le lien établi par l’Écriture et, à sa suite, par la théologie entre spiritualité et sainteté en Dieu.

23. Pour des références à saint Thomas et aussi des éléments d’explication, cf. Éd. H u g o n , Principes de philosophie, les vingt-quatre thèses thomistes, Paris, Téqui, 1922, pp. 12-21, pp. 203-215; P. B. G r e n e t , Les vingt-quatre thèses thomistes, Paris, Téqui, 1962, pp. 57-76, 357-363.

24. Pour la connaissance, cf. S. T h o m a s , S. theol., I, q. 14, a. 4 : « ipsum ejus intelligere sit ejus essentia et ejus esse ». Pour l’amour, cf. d’abord, ibid., q. 19, a. 1 : ■ sicut suum intelligere est suum esse, ita suum velle » ; puis, q. 20, a. 1, dont le sed contra cite 1 Jn 4,6 (« Deux caritas est ») : dans le corps de l’article après avoir rappelé que l'amour est l’acte propre de la volonté, saint Thomas renvoie à la q. 19, a. 1.

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LE M YSTÈRE T R IN IT A IR E : QUELQU ES NO TA TIO N S THÉOLOGIQUES

pur, existe, dans l’unité même de cet Être, un mouvement, une vie où subsiste la distinction la plus radicale, celle de trois Personnes irréductibles l’une à l’autre, se définissant même par leur irréductibilité qui est le fondement de leur souveraine réciprocité. Une affirmation d’une telle densité n’est pas sans exiger quelques éclaircissements.

Cette activité intérieure prend son origine en une première Personne qui, dans la connaissance qu’elle a de son Être divin, engendre une image d’elle-même s’identifiant à ce point avec cet Être qu’elle aussi l’est substantiellement : « Au commencement le Verbe était, et le Verbe était avec Dieu, et le verbe était Dieu » (Jn 1,1). « Image du Dieu invisible» (Col 1,15); «resplendissement de sa gloire, effigie de sa substance» (He 1,3) 25. La première Personne est la nature divine en elle-même26 ; la seconde l’est aussi, mais en tant que cette nature est reçue par elle de la première Personne, selon l’aspect connaissance de l’Acte pur (procession selon l’intelligence). C’est pourquoi la deuxième Personne est appelée « Verbe », si on la considère comme procédant d’une connaissance ; elle est appelée « Fils » 27, si on la considère comme procédant d’une génération, i.e. « in similitudinem naturæ »28 : c’est pourquoi, d’ailleurs, la première Personne dont elle reçoit son origine est appelée « Père » 29.

Le Père et le Fils, selon l’aspect amour de l’Acte pur, s ’échangent mutuellement leur unique Substance et, comme un gage vivant de cet amour, de cet échange, procède une troisième Personne, l’Esprit, « baiser très suave du Père et du Fils », selon la belle expression de saint Bernard 30. Saint Thomas insiste fortement sur le fait que cette seconde procession ne peut être dite « génération » 3'. Si l’Esprit est consubstan- tiel au Père et au Fils, ce n’est pas en raison de son mode d’origine, mais parce que

25. Ces textes désignent d’abord le Christ, Verbe incarné, mais ils réfèrent en définitive à son être divin. Se rappeler notre no te (2 4 ) ; cf. aussi S. T h o m a s , 5 . theol., I, q. 34, a. 1, ad 3 : « Nam intelligere importât solam habitudinem ad rem intellectam... In Deo autem importât omnimodam identitatem; quia in Deo est omnino idem intellectus et intellectum ». H. F. Dondaine dit : « La ressemblance du verbe à la chose est devenue identité non seulement formelle, mais substantielle » (La Trinité, trad. franç. de la Som m e avec notes, Paris, Desclée, 1942, 1, 226).

26. II est de la nature divine d’être trine : non seulement les Personnes divines ont cette nature, mais elles la sont. « Il est aussi naturel à Dieu d’exister en trois Personnes que de subsister en une seule nature » (B. F r a ig n e a u - J u l ie n , Introd. à sa traduction de M . J . S c h e e b e n , Nature et grâce, DDB, 1957, pp. 15-16). Cf. S. A u g u s t in : «Nec aliquid ad naturam Dei pertinet, quod ad illam non pertineat Trinitatem > (De Trin., XV, 7, n. 11 ; P. L. 42, 1065). Cf. aussi S . T h o m a s , S. theol., I, q. 39, a. I et 2.

27. Sur la nécessité de multiples noms pour désigner la deuxième Personne, cf. spécialement 5. theol., I, q.34, a. 2, ad 3. C e que saint Thomas dit ici est cependant l’aboutissement d’une longue réflexion sur le donné révélé, réflexion dont on peut retracer l’évolution dans l’art, du P. Congar déjà cité (cf. n. 21) pp. 15-17, 20-23 ; pour plus de développements, cf. également Encyclopédie de la fo i, Paris, Cerf, T.II, art. Jésus-Christ (J. R. G e is e l m a n n ) ; C . C h o p in , Le Verbe incarné et rédempteur, Tournai, Desclée, 1961, p. 9-83. On trouvera en plus aux trois endroits une bonne bibliographie.

28. Dans la S. theol., I, q. 27, a. 2, après avoir défini la génération : « origo viventis a principio vivente in similitudinem naturae », S. Thomas conclut que la procession de la deuxième Personne peut être appelée · génération ».

29. Sur la théologie biblique de « Dieu Père », cf. Paul T e r n a n t , dans Vocabulaire de théologie biblique, art. Pères et Père; pour une synthèse de la théologie biblique, de la théologie patristique (avec une vue particulièrement sympathique sur les Pères grecs) et de la théologie systématique, cf. Encyclopédie de la Foi, art. Dieu-Père, pp. 355-363 (J. Alfaro).

30. In Cant. cant., V III, 1-2; P.L. 183,811.3 1 .5 . theol., I, q. 27, a. 4 ; q. 30, a. 2, ad 2 ; q. 34, a. 2 ; q. 35, a. 2.

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J.-G. PAGÉ

tout ce qui est réel en Dieu s’identifie avec la réalité de l’Être divin : « l’amour divin est Dieu, parce qu’il est divin, non parce qu’il est amour », dit-il

Qu’il nous soit cependant permis de faire remarquer que ce qui achève ce mouvement intérieur à Dieu, c’est l’amour ou, plutôt, qu’en la Trinité amour et connaissance trouvent la perfection de leur union et de leur complémentarité. Montcheuil a pu écrire : « La Trinité, c’est, en un seul Dieu, trois Personnes distinctes, Père, Fils, Esprit, dont le lien est l'amour » Maxime le Confesseur exprime la même idée, mais davantage dans la perspective de la pensée grecque : « Dieu le Père, mû par un éternel amour, a procédé à la distinction des hypostases » 34. Saint Augustin et, à sa suite saint Thomas insisteront plutôt sur le fait que l’Esprit est « le lien d ’amour » entre le Père et le Fils 35. Richard de S. Victor a mis en évidence ce rôle de l’amour dans les processions, bien qu’il l’ait peut-être exagéré en voulant les fonder toutes deux directement sur l’am our36.

Sans tomber dans cette exagération, mais selon l’intention de synthèse déjà annoncée, nous pouvons proposer une vue qui se rapproche davantage de la présentation scripturaire 37. Pour l’Écriture, en effet, l’Esprit-Saint est à la fois

32. De Pot., q. 2, a. 4, ad 7 ; cf. 5 . theol., 1, q. 36, a. 2, sub fine. Cf. card. Charles J o u r n e t , L ’Église du Verbe incarné, II, pp. 371-372: «C’est en effet, par un acte de connaissance unique que, d’une part, le Père connaît, en engendrant le Verbe, et que, d’autre part, le Verbe et l’Esprit connaissent, mais sans engendrer; et c’est par un acte d'am our unique que, d’une part, le Père et le Fils aiment, en spirant l’Esprit, et que, d’autre part, l’Esprit aime, mais sans spirer. Car, ne l’oublions pas, ce n’est pas en tant que telle (absolute) que Pintellection divine engendre le Verbe, c'est seulement en tant qu’elle appartient au Père et qu’elle procède du Père (in quantum personata a Pâtre) ; pareillement, ce n’est pas en tant que tel et absolument, que l’amour divin spire l’Esprit, c’est seulement en tant qu’il appartient au Père et au Fils et procède d’eux comme d’un seul principe ». Ajoutons, avec les théologiens thomistes, que le Père est, dans la génération du Verbe, le principe qui engendre (« principium quod »), alors que la nature et l’intelligence divine sont, respectivement, le principe éloigné et le principe prochain par lesquels (« principium quo ») il engendre. Or, ce qu’on dit du caractère paternel de la nature divine peut être dit de son caractère filial et de son caractère amoureux ou pneumatique. Cf. ibid., pp. 373-74.

33. Aspects de l ’Église, Paris, Cerf, 1948, p. 59.34. Scholia in Lib. de Div. Nom., II, 5 ; P.G. 4,221 A.35. S. A u g u s t i n , De Trinitate, V, 7 et XIX, 37 ; P.L. 42, 927-28 et 1086 ; S. T h o m a s , S. theol., I, q. 39, a.

8 .

36. Voir le De Trinitate de Richard de S. Victor, trad. française de G. Salet, Sources chrétiennes, 63, Paris, Cerf, 1959. À propos de la théorie trinitaire de R. de S . Victor, cf. H. B a r r é , op. cit., pp. 108-116 ; C. S p ic q , Dieu et l ’homme selon le Nouveau Testament, Paris, Cerf, 1961, pp. 107-108.

37. C ’est la pensée de M.-J. N ic o l a s , Revue Thomiste 47 (1947), p. 141 : « La tradition thomiste semble avoir voulu maintenir que le St-Esprit était essentiellement “nexus duorum” , le lien du Père et du Fils. L’amour dont il procède, dit Jean de S. Thomas, est un amour d'amitié, l’amour d'une Personne pour une Personne, du Père pour le Fils, l’amour même qui accompagne la génération du Verbe ; qui est commun aux deux Personnes, certes en tant qu’opération d’amour, et qui n’a qu’un m otif identique : la Bonté Infinie qui leur est commune; mais qui, en tant qu’appartenant au Père, porte sur le Fils; en tant qu’appartenant au Fils porte sur le Père, ce qui montre dans l’amour en tant que divin et principe spirateur du Saint-Esprit cette valeur essentielle d'altruisme qu’y attachaient les Victorins et qui jette une si transcendante lumière sur la vraie nature de l’amour. Le fait que saint Thomas n’ait nullement construit son traité sur les exigences de l’amour ne l’empêche dont pas, ou du moins n’empêche pas ses disciples, au nom de ses propres principes (c’est nous qui soulignons), d’intégrer la doctrine mystique de Richard de Saint-Victor ».

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«l’Esprit du Père» et «l’Esprit du Fils»: Ac 16,7; Rm 8, 9-11 et 14; Ga 4 ,6 38. Par ailleurs, l’Écriture insiste sur l’amour mutuel du Père pour le Fils et du Fils pour le Père: Jn 3,35; 5,20; 10,17 ; 14,31 ; 17, 23-24, 26. N ’est-ce pas suffisant pour conclure, avec saint Thomas, que le Père et le Fils s’aiment non seulement par leur essence, mais par l’Esprit-Saint?39.

Cependant, ayant donné sa préférence à la théorie psychologique, saint Thomas aura toujours tendance à insister davantage sur l’unité d’essence entre les Per­sonnes que sur l’unité d’amour. Mais il est loin d’exclure ce dernier aspect. Si la « périchorèse » ou « circumincession » se vérifie pour lui surtout du point de vue de l’essence divine — communiquée dynamiquement, d’ailleurs —, elle se vérifie également du point de vue de la relation et de l’origine. Le terme d’une relation (d’origine, ici) ne peut se concevoir sans connotation de son corrélatif40. En langage plus personnaliste, une Personne tirant son origine d’une ou de deux autres Personnes ne se définit que par rapport à la ou les Personnes dont elle tire origine. Ainsi sont mises en lumière non seulement les relations des Personnes entre elles dans leur unique nature, mais en même temps leurs relations suivant des modes différents d’origine.

De même, tout en maintenant les modes différents des deux processions, l’une étant selon la connaissance, l’autre selon l’amour, maintenons aussi leur intégration. L’amour n’est pas absent de la génération du Fils: sa procession du Père comme Verbe, donc selon l’intelligence, est en même temps et proprement une «généra­tion»41, ce qui implique l’amour. L’Écriture le dit «Fils bien-aimé» (Mt 3, 17)4\ le « fils de l’amour du Père » (Col, 1,13, note - 0 - dans la Traduction œcuménique de la Bi­ble), le « Bien-aimé » tout court (Ep 1,6). Saint Ambroise écrit : « Le Fils vit par le Père (Jn 6,57)... parce qu’il est le Verbejailli du cœur du Père... parce qu’il est engendré du sein paternel»43. En considération même de l’Écriture, «il est difficile d’évacuer de la génération éternelle toute intervention de l’agapè», comme le montre le P. Spicq44. Lorsque les textes synoptiques, johanniques et pauliniens traduisent les relations du Christ avec Dieu par les termes de « Père » et de « Fils », ils font appel non seulement à la notion de « génération », mais également à l’amour qu’un père porte à celui qu’il

38. À remarquer d’ailleurs que le nom de la troisième Personne lui est moins propre que ceux des deux autres. Spiritualité et sainteté sont deux attributs qui conviennent à la nature divine et donc aux trois Personnes. Cf. supra, note 22; saint Thomas, à la suite des Pères, le fait remarquer: 5. theol,I, q. 36, a. 1. Cf., M. J. S c h e e b e n , Les Mystères du christianisme, (Bruges, Desclée de Brouwer, 1947), pp. 98-110.

39. S. theol., I, q. 37, a. 2 et In lS e n t ., d. 32, q. 1, a. 1. Remarquer aux deux endroits comment S. Thomas considère la doctrine de Richard de S. Victor comme « plus proche de la vérité ».

40. 5. theol., I, q. 42, a. 5 ; cf. le commentaire de Cajetan, n° II et celui de Jean de S.-Thomas, disp. 16, a.4, n. 3, édit. Vivès, t. IV’ p. 432.

41. Cf. supra, note 27.42. Cf. M t 4,3 et la note h) de la Bible de Jérusalem en un tome, p. 1293; R m 1,4 et la note i) de la

Traduction oecuménique de la Bible. Sur M t 17,5, voir Pirot-Clamer, La Sainte Bible, Paris, Letouzey, 1950, t. IX, p. 228 : le commentaire du P. Buzy va dans le sens des pensées ici développées.

43. De Fide, IV, 10, 132 ; P.L. 16,642-643.44. Dieu et l ’homme selon le Nouveau Testament, Paris, Cerf, 1961, pp. 103-108. Ibid., p. 106, n. 3:

« Faire de Dieu, en tout cas du Père, un pur cérébral, ne rend certainement pas compte du donné néo- testamentaire ».

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engendre. « Pour saint Paul », dit Mgr Cerfaux, « la relation humaine de père à fils est avant tout une relation d’amour, cf. 1 Th. 2,11 ; 1 Co, 4,15; Ga 4,2 »45.

Évidemment, il faut ici être prudent et s’imposer certaines distinctions. Seul l’Esprit procède proprement selon la volonté ou l’amour: la charité lui est donc « appropriée ». Mais déjà saint Augustin, tout en reconnaissant la légitimité de cette appropriation, soulignait que la charité « n’est pas dans la Trinité le privilège du seul Esprit » 46. Ce qui permet de faire intervenir l’amour dans la génération du Verbe sans risquer de retomber dans l’erreur arienne qui prétendait que le Fils fût engendré « volontairement » 47, sans risquer également l’absurdité de faire engendrer le Verbe par le Père et l’Esprit48. D’ailleurs, même lorsqu’on parle d’une procession selon la volonté pour l’Esprit, il faut avoir soin de noter avec saint Thomas qu’une telle procession concilie à la fois la nécessité de nature et la liberté de volonté49.

Ces distinctions importantes étant posées, on peut procéder plus avant dans l’approfondissement des inter-relations entre connaissance et amour dans ce « mouve­ment vital» qui anime la Trinité. On pourrait le faire selon plusieurs voies dont l’inspiration se rattacherait à l’un ou l’autre des deux grands courants de pensée théologique que nous avons évoqués au début. Avec les Pères grecs, on pourrait rechercher cette intégration dans la « koinonia », la communion d’amour, la péricho- rèse des trois Personnes: ceci nous mettrait sur le chemin pour saisir mieux notre «koinonia» avec le Père et avec son Fils, Jésus-Christ (1 Jn 1,3; 1 Cor 1,9) dans l’Esprit (1 Jn 4, 12-16 ; cf. 2 Co 13,13) et notre « koinonia » entre nous (1 Jn 1,7 ; cf. Ac 2,42) 50. Par contre, à la suite de saint Augustin et encore plus de saint Thomas, on pourrait développer les rapports entre la connaissance et l’amour par analogie avec les rapports que nous découvrons en nous à ce sujet et en les décantant de tout ce qui ne convient pas à Dieu. Nous essaierons pour terminer ce point de synthétiser brièvement quelques données des deux courants théologiques31.

Déjà chez nous, les inter-relations entre connaissance et amour sont multiples. Toute connaissance implique un certain amour. L’acte de connaissance, comme tout autre acte est suscité par un amour et accompagné par cet amour qui le facilite 52. Et, lorsque l’intelligence atteint sa fin, le terme de son acte connote un mouvement de la volonté en lequel il s’achève, la « fruitio » 53. Par contre, tout amour suppose la

45. Le Christ dans la théologie de S. Paul, Paris, 1951, p. 338, n. 1. Cf. J. L e b r e t o n , Les Origines du Dogme de la Trinité. 5 ' édition, Paris, Beauchesne, 1919, p. 308, n. 3. Cité par C. Spicq, op. cit.. p.103, n. 4.

46. De Trinitate, XV, 19, 37 ; Oeuvres de S. Augustin. 16, DDB, édit. P. A g a e s s e , et J. M o in g t , Paris, 1955, p. 523-524.

47. Cf. S. T h o m a s , 5 . theol., I, q. 41, a. 2.48. Ce qu’exprime clairement Anselme de Laon : cf. C. S p ic q , op. cit., p. 105, n. 3.49. De Pot., q. 10, a. 2, ad. 5.50. Cf. Ph.־H. M e n o u d , La vie de l'Église naissante, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1969, ch. II.51. H. B a r r é , op. cit., leschap. II, III, IV. Vf. aussi Ch. M a s s a b k i, Le Christ, rencontre de deux amours,

Paris, éd. de la Source, 1958, I™ partie. Ch. IV et V ; II· partie, ch. XVII et X V III, pp. 452 ss.52. S. T h o m a s , 5. theol., I-II , q. 28, a. 6: «Omne agens, quodcumque sit, agit quamcumque actionem ex

aliquo amore ».53. S. T h o m a s , S. theol., I - II , q. 11, a. 4.

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connaissance54 et non seulement il la suppose, mais il est lui-même, à sa façon, connaissance : « Amor ipse est intellectus », disaient Guillaume de S. Thierry et Richard de S. Victor 55. Sur ce dernier point, saint Thomas préfère commencer par bien distinguer l’opération de l’intelligence de l’opération de la volonté 56, mais il parle aussi de cette connaissance qui résulte de la « connaturalité » établie par l’amour, en traitant du don de sagesse57. L’amour est source d’une connaissance plus profonde : seul celui qui aime peut pénétrer dans l’intimité d’une personne aimée. Et saint Jean applique cette vérité aux rapports de l’homme avec Dieu : « Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour» (1 Jn 4,8).

« C’est de cette connaissance amoureuse que les trois Personnes se connaissent et connaissent toutes choses dans le Verbe » 58. On pourrait dire, suivant un schéma plus grec, c’est de cette connaissance amoureuse dans le Verbe que le Père se connaît Lui- même comme Père et la Personne de l’Esprit et toute créature. Car le Verbe de Dieu, « n’est pas un Verbe quelconque, mais celui qui spire l’amour », dit saint Thom as59. Déjà, dans les Sentences, il avait écrit ceci, qui résume bien des choses dites jusqu’ici : « Il n’y a pas de connaissance parfaite sans intervention de la volonté. Mais il y a même rapport de l’intelligence à la volonté que du verbe à l’amour. Ainsi pas de verbe parfait sans amour. Or, le Verbe de Dieu est parfait. Il s’associe donc un amour parfait et c’est l’Esprit-Saint » 60.

On voit ainsi que la théorie psychologique des Latins et la « koinonia » des Grecs peuvent se rencontrer. En Dieu, la génération ne peut être que spirituelle, intellec­

54. « Nil amatum nisi praecognitum >, dit l’adage scolastique, C f. S . T h o m a s , 5 . theol. I, q. 27, a . 3, ad 3 : « nihil enim potest voluntate amari, nisi sit in intellectu conceptum » ; q. 36, a. 2 : « non enim aliquid amamus, nisi secundum quod conceptione mentis apprehendimus » ; De Pot., q. 10, a. 2 : « Nam amor alicujus rei non potest a voluntate procedere nisi praeintelligatur processisse ab intellectu illius rei verbum conceptum ·.

55. Cf. R. J a v e l e t , «Intelligence et amour chez les théologiens spirituels du X II ' siècle», dans Revue d ’Ascétique et de Mystique, 37 (1961), pp. 2 7 3 -2 9 0 et 4 2 5 -4 5 0 . Sur ce sujet, cf. J.-P. Ba g o t , Connaissance et amour, essai sur la philosophie de G. Marcel, Paris, Beauchesne, 1958, spécialement pp. 212 -2 3 3 .

56. Le P. Simonin observe qu’à partir du chapitre du Contra Gentes consacré au Saint-Esprit (IV, 19), « il n’est plus question d ’une forme immanente à l’appétit ; les mots de form e et de similitude sont réservés pour caractériser l’opération de la faculté intellectuelle... L’amour ne consiste plus dans la possession de la forme de l’aimé, dans une informatio, dans une terminatio appetitus. L’amour est appelé au contraire: Convenientia, inclinatio, proportion. La Som m e dira aussi: Coaptatio, complacentia. «Autour de la solution thomiste du problème de l’amour», dans Archives d'histoire doctrinale et littéraire du M oyen Âge 6 (1931), pp. 187-188 et 191 ; cf. aussi S. I. D o c k x , Fils de Dieu par grâce, Paris, 1948, pp. 145-147 : l’amour est-il forme ou principe?). Ainsi, saint Thomas préfère distinguer deux modes de présence à une personne ou à un objet : l’un par « similitude » (connaissance), l’autre par « inclination » (amour) (cf C. Gentes, IV, 26 ; Comp. theol. 4 5 -4 6 et 50 ; S. theol. I, q. 27, a. 3 ; q. 37,a. 1). Mais il ne renonce pas totalement à la ·transform ation » opérée par l’am our: «Amor dicitur transformare amantem in amatum, inquantum per amorem movetur amans ad ipsam rem amatam » (De Malo, q. 6, a. 1, ad 13) et «Ipsum delectabile... appetitum sibi adaptat quodammodo et conformat » (S. theol., I - I I , q. 30, a. 2).

57. S. theol.. I I-II , q. 45, a. 2.58. H. Ba r r é , op. cit., p 141. Cf. S . S h o m a s , S. theol., I, q. 34, a. 3 : « Sed quia Deus uno actu et se et

omnia intelligit, unicum Verbum ejus est expressivum non solum Patris, sed etiam omnis creaturae ». InJoan. I, lect. 1 (1 ) : «Unicum Verbum divinum est expressivum totius quod in Deo est, non solum Personarum, sed creaturarum ».

59. S. theol., I, q. 43, a. 5, ad 2.

60. I Sent. dist. 10, q. 1, a. 1, sed contra (2). Cf. S. theol., I, q. 37, a. 2, ad 3.

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tuelle, mais, comme chez nous et infiniment plus, elle s’accompagne d’amour. Si saint Grégoire de Naziance a pu dire que « tout fils est une définition silencieuse de son Père»61, combien plus justement pouvons-nous attribuer son expression au Verbe de Dieu. Il est l’expression, l’Image parfaite du Père (cf. Col 1,15; He 1,3); «la ressemblance du verbe à la chose est devenue identité, non seulement formelle, mais substantielle » C’est pourquoi il est « le Fils unique » (Jn 1,18). Par ailleurs, l’Esprit d’amour n’est-il pas dit « scruter les profondeurs divines » (1 Co 2,10)? Cette unité la plus totale dans l’Être est en même temps l’unité la plus parfaite dans l’Amour.

Cette unité dans l’être à laquelle chez-nous connaissance et amour tendent, à leur façon propre, mais conjointement et sans jamais y parvenir d’ailleurs, Dieu la réalise. Il n’y a pas en Lui, comme chez nous, antériorité et postériorité, ni extériorité des Personnes, mais, au point de départ comme au point d’arrivée et toujours, connaissance amoureuse et intériorité parfaite dans le jaillissement toujours le même et pourtant toujours dynamique de la Vie. « Le Père et moi nous sommes un » (Jn 10,30) dans « la communication de l’Esprit » (2 Co 13,13). « ô abîme de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu» (Rm 11,33).

CONCLUSION

Cette brève esquisse doit faire sienne — et avec combien plus de raison — la prière par laquelle saint Augustin terminait son De Trinitate (XV, 51): «Seigneur, Dieu Un, Dieu Trinité, tout ce que j ’ai dit de vôtre... que les vôtres le reconnaissent. Si j ’y ai mis du mien, pardonnez-le moi et les vôtres aussi ». Quand on parle de la Trinité plus que de tout autre sujet de l’ordre surnaturel, l’analogie joue davantage sur le registre de la négation que sur celui de l’aifirmation, même par voie d’éminence. Pourtant, sous la lumière de la Révélation, les réalités créées laissent apparaître ce qui en elles est ombre, vestige ou image de cette Trinité. Mais, par ailleurs et infiniment plus, ce que la Révélation nous dévoile de la Trinité projette un éclairage sur les réalités créées. Il y a particulièrement le rôle de l’amour dans la vie humaine qui aurait lieu de bénéficier de cet éclairage : c’est aussi haut que cela qu’il faut remonter si on veut comprendre un peu mieux le mystère du mariage, comme la chasteté parfaite « en vue du Royaume des Cieux» (M t 19,12). N e serait-ce pas ultimement, sinon uniquement, parce que l’amour humain, même dans le mariage chrétien, se heurte à des limites infranchissables que le Seigneur appellerait certains hommes et certaines femmes à être déjà sur terre des signes, des rappels du seul amour qui puisse combler notre cœur? C ’est, à plus forte raison, à la lumière de cette Source que peut se laisser pénétrer notre mystérieux appel à la communion avec Dieu par la grâce et l’insistance de Paul, après le Christ, sur la charité, « plénitude de la loi »(Ga 5,14; Rm 13,10; cf. Le 10, 25-28). Alors on comprend mieux aussi pourquoi la foi, chez saint Paul, c’est « la foi agissant par l’amour» (Ga 5,6; cf. 1 Co 13,13 ; Je 2,14; 1 Jn, 3,17; Mt 25, 41-45).

61. Oral.. 30,20; P.G. 36, 129 A.62. H. F. D o n d a in e , La Trinité, t. I, p. 226. Cf. S. T h o m a s , 5 . theol.. I, q. 34, a. 1, ad 3: .N am

intelligere importat solam habitudinem ad rem intellectam... In Deo autem importat omnimodam identitatem ».

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