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Direction du numérique pour l’éducation (DNE) Inspection générale de l’éducation nationale Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche Du 13 au 16 octobre 2014 ESENESR - POITIERS Colloque international e-éducation Le numérique en questions Articles Contributions des intervenants Liens Émissions webradio, interviews, conférences vidéo Pour agir Des propositions, des réflexions

Le numérique en questions - ih2ef.education.fr · • les interviews vidéo des intervenants, disponibles en VOD streaming (format .flv ou .mp4) sur le site web de l'ESENESR ou celui

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  • Direction du numérique pour l’éducation (DNE)Inspection générale de l’éducation nationaleInspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche

    Du 13 au 16 octobre 2014ESENESR - POITIERS

    Colloque international e-éducation

    Le numériqueen questions

    Articles Contributions des intervenants

    Liens Émissions webradio,

    interviews, conférences vidéo

    Pour agirDes propositions, des réflexions

  • Colloque international e-éducation

    P2 - © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014

    Actes numériquesLes ressources de ce 4e colloque sont mises à votre disposition selon différentes modalités.

    Vous trouverez ici :• la version intégrale des articles préparatoires aux interventions des conférenciers,• les synthèses des ateliers conduits pendant le colloque à l'ESENESR et dans le réseau Canopé.

    À partir de ce document, vous pourrez également accéder directement à l'intégralité des res-sources du colloque :

    • les émissions enregistrées sur la Webradio de l'école avec les intervenants du colloque et d'autres invités - ces émissions sont disponibles en podcast (format .mp3) sur le site web de l'ESENESR, et directement accessibles à partir des QR codes* contenus dans ce livret ;

    • les interviews vidéo des intervenants, disponibles en VOD streaming (format .flv ou .mp4) sur le site web de l'ESENESR ou celui du réseau Canopé (pour celle d'Evgeny Morozov), également accessibles directement à partir des QR codes* accompagnant les articles prépa-ratoires.

    Vous pourrez enfin retrouver ce livret en version numérique ainsi que l'ensemble des res-sources du colloque sur le site web de l'ESENESR : www.esen.education.fr

    * QR codesLes QR codes sont des éléments graphiques qui intègrent des informations codées. Une application gratuite installée sur une tablette ou un smartphone iOS ou android permet de lire ces informations et d'accéder directement à des ressources Internet.Testez votre application avec le QR code ci-contre, qui vous permettra d'accéder à la version numérique de ce livret.

    RemerciementsL'équipe d'organisation s'associe aux partenaires pour remercier chaleureusement :

    • l'ensemble des conférenciers pour la qualité de leurs productions et de leurs prestations,• l'ensemble des animateurs d'ateliers à l'ESENESR et dans le réseau Canopé, ainsi que

    les intervenants qui en ont assuré la synthèse,• les témoins et animateurs des soirées à l'ESENESR et à l'atelier Canopé de Chasseneuil,• l'ensemble des participants pour leurs apports et leur dynamisme,• les différentes équipes des partenaires pour la préparation et l'organisation du colloque.

    www.esen.education.fr

  • Colloque international e-éducation

    © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014 - P3

    ÉditorialPlus que jamais, le numé-rique est au cœur de l’action de l’Éducation nationale mais également de l’ensemble des ministères. Le président de la République lui-même a ainsi pointé l’importance, pour la compétitivité de la France, pour l’accès à l’emploi mais aussi pour garantir une ci-toyenneté éclairée dans ces

    espaces digitaux, de permettre à nos jeunes de maî-triser les usages récents mais aussi émergents du numérique.

    Le ministère de l’Éducation nationale est ainsi en-gagé dans une véritable révolution qui impose à ses cadres d’appréhender tous les aspects d‘un "éco-système" numérique, afin d’être les moteurs d’une action dont l’objectif final reste l’amélioration de la réussite des élèves. La transformation de la nature de la relation pédagogique est en effet au cœur de cette révolution numérique.

    Après avoir longtemps favorisé l’expérimentation de nombreux usages, assuré le raccordement des établissements et l’équipement de ceux-ci, c’est désormais, à l’instar du projet M@gistère ou de la banalisation des ENT, de généralisation des usages du numérique dont on parle. Celui-ci est maintenant omniprésent dans notre quotidien, il fait évoluer notre société contemporaine et nos jeunes avec elle. Cette accélération jamais connue des transfor-mations sociales, sociétales et comportementales interroge directement les éducateurs que nous sommes.

    L’esprit de ce colloque est simple : "Mettre en ques-tions !" Alors que de nombreux gourous du numé-rique tentent de nous imposer une pensée unique, une nouvelle doxa, nous avons souhaité préserver une démarche critique, entendre des avis parfois dissonants pour les intégrer dans nos réflexions pour finalement toujours essayer de faire émerger des solutions efficaces, robustes, contradictoire-ment étayées.

    Le public de ce colloque dépasse volontairement très largement celui des seuls personnels d’enca-drement. En effet, comment réellement mettre en questions sans entendre l’avis de l’autre ; celui du chercheur, de l’enseignant, du gestionnaire, de l’élève, du parent mais aussi de nos collègues d’autres ministères comme celui de nos amis étran-gers. C’est grâce à cette variété des points de vue que nous finirons par nous poser les bonnes ques-tions, et que, souhaitons-le, s’esquisseront cer-taines réponses.

    Depuis cinq ans, l’ESENESR a résolument trans-formé son modèle de formation. C’est pourquoi ce colloque, au-delà des interrogations levées, se propose d’identifier de nombreuses pistes réalistes pour agir, dès demain, chacun au plus près de son terrain professionnel.

    Mais au-delà des discours, le numérique éducatif s’expérimente et se met en pratique. C’est pourquoi le choix a été fait de diffuser chaque étape de ce colloque en direct dans 40 ateliers Canopé répartis sur le territoire national. Au-delà de l’événement lui-même, nous avons souhaité permettre à des équipes locales de bénéficier des contenus propo-sés mais aussi et surtout de contribuer à l‘élabora-tion des propositions issues de cette action. Cette formation collaborative d’un genre nouveau préfi-gure également une nouvelle approche de la diffu-sion des savoirs et du développement des compé-tences.

    Ces actes numériques, enrichis de ressources textuelles et numériques, vous permettront de "revivre" cet événement. Ils se veulent être un outil concret, utilisable par les personnels d’enca-drement avec leurs équipes, au service de la réus-site des élèves par le numérique.

    Jean-Marie PANAZOLInspecteur général de l’éducation nationale

    Directeur de l’ESENESR

  • Colloque international e-éducation

    P4 - © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014

    Sommaire

    Mardi 14 octobre Société numérique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 5Emmanuel Davidenkoff . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 6

    Evgeny Morozov. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 10

    Divina Frau Meigs et Élisabeth Schneider. . . . . . . . . . . page 20

    Ghislaine Azémard. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 24

    Mercredi 15 octobre Apprentissages et numérique. . . . . . . . . . . . . . . page 29Elena Pasquinelli. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 30

    Rémi Thibert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 36

    Eddie Playfair. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 38

    Antonine Goumi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 42

    Jeudi 16 octobre Vers l'école du futur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 47Marc Durando. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 48

    Lionel Formentelli. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 52

    Au programme

    Synthèse des ateliers page 61

    Émissions de WebradioVers une école numérique ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 19Le numérique, une nouvelle façon d'apprendre. . . . page 35

    Les espaces d'apprentissage de l'ère numérique. . . . page 57

    Ateliers témoignages. . . . . . . . . . . . . pages 28 - 34 - 56 - 58

    Les soirées du colloque. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . pages 18 - 46

    Au fil du colloque

  • Colloque international e-éducation

    © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014 - P5

    La première journée de ce colloque, consacrée à la société numérique, a permis d'engager notre questionnement à travers trois prismes différents :

    Mardi 14 octobre 2014 Société numérique

    Ouverture du colloqueLes interventions d’ouver-ture du colloque sont acces-sibles en ligne sur le site web de l’ESENESR :

    http://huit.re/eeduc14_conf

    ou grâce aux QR codes ci-dessous :

    Les pages suivantes vous présentent les inter-venants et les articles communiqués en vue du colloque. Vous pourrez également accéder aux interviews (vidéo), émissions de Webradio et ressources complémentaires en ligne de cette journée.

    Jour

    née

    1

    Ouverture institutionnelle :

    • Jean-Marie Panazol (ESENESR)• Jean-Marc Merriaux (Canopé)• Serge Bergamelli (CNED)

    Intervention de Catherine Becchetti-Bizot, directrice du numérique pour l’éducation (DNE)

    BONUSInterview vidéo de Catherine Becchetti-Bizot : http://huit.re/eeduc14_itwDNE

    Avec Emmanuel Davidenkoff, auteur du Tsunami nu-mérique, et Evgeny Morozov, penseur et découvreur des côtés obscurs du numérique, nous avons d’abord voulu planter le décor de la société à venir et de la place qu’elle fera à l’éducation.

    Enfin, avec Ghislaine Azémard, professeur des uni-versités, et Patrick Treguer, professionnel de la culture, nous avons abordé la place de l’émotion et de son avenir dans un univers traversé par la tech-nique.

    Avec Divina Frau-Meigs et Élisabeth Schneider, uni-versitaires, c’est aux conséquences déjà mesurables du numérique sur les jeunes individus que nous nous sommes intéressés : conséquences parfois étonnam-ment positives, mais qui ne laissent pas de poser des défis d’envergure à l’éducation : littératie, translitté-ratie, éducation aux médias et à l’information…

    http://huit.re/eeduc14_confhttp://huit.re/eeduc14_itwDNEhttp://huit.re/eeduc14_itwDNE

  • P6- © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014

    EmmanuelDAVIDENKOFF

    Quels enjeux pour l’éducation dans une société numérique ?

    "La première question que la démocratisation du

    numérique pose à l'école n'est pas d'ordre technologique

    mais pédagogique."

    Journaliste et auteur.

    Directeur de la rédaction du magazine "L’Étudiant", chro-niqueur pour Radio France, L’Écho Républicain, l’Express.

    Expert de l’éducation et des nouvelles formes d’apprentis-sage.

    Emmanuel DAVIDENKOFF est également auteur de nom-breux ouvrages, dont le récent "Le tsunami numérique" (Stock).

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    à propos d' EmmanuelPourquoi diable tant de cadres de la Silicon Valley inscrivent-ils leurs enfants dans une école qui interdit les écrans jusqu'à l'âge de 13 ans – l'école Waldorf of Peninsula ? Disposent-ils de quelque in-formation confidentielle sur les ravages que le numérique commet-trait sur les cerveaux des petits ? Non. S'ils choisissent cette école, c'est simplement parce qu'ils espèrent, comme tant de parents, que leurs enfants pourront faire le même métier qu'eux et tirer parti de la formidable mutation entraînée par le numérique.

    Cette école est en effet entièrement tournée vers le déploiement de la créativité des enfants, vers le travail en groupe, vers leur épanouissement. Cela n'empêche pas d'y apprendre à lire, écrire et compter, mais sans enfermer les élèves dans la gangue de pro-grammes qui tiennent pour accessoires les savoirs et savoir-faire extra scolaires.

    Ce qu'ils ont compris : l'avenir appartient à ceux qui sauront inventer les machines numériques du futur – donc conceptualiser, collaborer avec les autres, innover... – et à ceux qui sauront développer des compétences difficilement automatisables et peu susceptibles de se traduire en algorithmes – créer, être dans la relation aux autres, produire l'empathie, penser, développer son esprit critique, etc.

    Ils ont compris que la première question que la démocratisation du numérique pose à l'école n'est pas d'ordre technologique mais pédagogique.

    Retrouvez l'inter-view d'Emmanuel en streaming grâce au QR code ou à l'URL courte http://huit.re/eeduc14_itwED

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    http://huit.re/eeduc14_itwED http://huit.re/eeduc14_itwED

  • Colloque international e-éducation

    © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014 - P7

    Paradoxalement – mais est-ce une surprise ? –, il a fallu l'irruption des Moocs, les cours massifs en ligne, pour que le débat sur le numérique éducatif émerge enfin en France. Paradoxe, car le Mooc, sous sa forme dominante, se contente d'actualiser la forme la plus classique de l'enseignement : il est centré sur la déli-vrance de savoirs par un maître omniscient. Que le dispositif s'enrichisse de moyens de dialogue et de systèmes d'évaluation entre pairs n'y change pas grand-chose : les Moocs ont rapidement conquis droit de cité car ils pro-longent la pédagogie héritée des collèges jé-suites qui se pratique en-core massivement dans notre enseignement secondaire et supérieur. Et l'on devine aisément comment d'autres outils numériques pourraient venir au service d'une pédagogie de l'imitation et de la répétition – la ma-chine n'aime rien moins que le psittacisme et le geste reproductible.

    Il n'y a pas, en somme, de "modèle éducatif numé-rique".

    Notre premier exemple montre que l'on peut être de plain-pied dans la révolution digitale en se pas-sant d'écrans ; le second, que l'on peut intégrer des écrans au service de dispositifs pédagogiques extrê-mement classiques.

    Cette contradiction n'échappe pas aux tenants de l'innovation et de la "disruption". Depuis plusieurs semaines, le débat est vif à la Harvard Business School autour de cette question. Lorsqu'elle se crée, au début du XXe siècle, l'école invente la méthode des cas et chasse le cours magistral, vu comme l'ex-pression d'un monde ancien, inadapté aux défis que rencontre alors l'économie américaine. Doit-elle, un siècle plus tard, au nom d'une prétendue "disrup-tion", se mettre à produire et à utiliser les Moocs ? La modernité lui impose-t-elle de renoncer à sa moder-nité ? Elle n'a pas, à cette heure, tranché.

    Pas de modèle, donc.

    Le numérique permet en revanche d'améliorer les modèles existants et l'on peut se demander si les changements de degré qu'il apporte n'entraîneront

    pas un changement de natur e de certains de ces modèles.

    S'il est bien peu innovant en matière de délivrance des connaissances, le Mooc l'est dans les systèmes d'aide à l'enseignement qu'il offre : la possibilité de collecter massivement des données sur la façon dont chacun comprend – ou pas – telle notion laisse entrevoir la possibilité, inédite, d'industrialiser l'indi-

    vidualisation de l'ensei-gnement, en offrant aux enseignants des données aujourd'hui inaccessibles sur les mé-canismes et stratégies d'apprentissage.

    Le Mooc, toujours, per-met à l'évidence de mo-derniser et de rendre plus engageantes les "classes inversées" (le

    cours est appris à la maison ou en bibliothèque, la séance présentielle permettant de revenir sur les points mal acquis et de mettre la théorie à l'épreuve de faits ou de problèmes à résoudre).

    Si elle n'a pas été conçue à cette fin, l'imprimante 3D pourrait réenchanter les pédagogies tournées vers le "faire" (learning by doing). Le jeu sérieux (serious game), lointain héritier du serio ludere du XVe siècle, pourrait profiter de l'augmentation de la puissance de calcul des ordinateurs pour offrir des environne-ments graphiques aussi engageants que ceux des jeux moins sérieux.

    La facilité à produire et à diffuser des contenus ac-tualise les outils imaginés en son temps par Freinet pour faire produire des textes aux enfants et les in-viter à communiquer par l'écrit – voir le succès des "twittclasses". Les systèmes de vision en 3D comme le casque Oculus sont déjà en train d'offrir aux fi-lières technologiques et professionnelles des outils de simulation qui révolutionnent les apprentissages. Le seul courrier électronique, qui fait figure d'anti-quité technologique, offre des potentialités formi-dables dont s'emparent, parmi d'autres, les ensei-gnants qui pratiquent la correspondance scolaire ou ceux qui déploient des approches des sciences comme "La main à la pâte" (le mail permet d'échan-ger facilement et rapidement avec des savants, où qu'ils soient). Les tablettes tactiles pourraient déjà sauver bien des colonnes vertébrales si les collectivi-

    L'on peut être de plain-pied dans la révolution digitale en se passant d'écrans. (...) L'on peut intégrer des écrans au service de dispositifs pédagogiques

    extrêmement classiques.

  • Colloque international e-éducation

    P8 - © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014

    tés se décidaient à les préférer aux manuels scolaires en papier et si les éditeurs s'engageaient résolument dans cette voie et les alimentaient en contenus inte-ractifs et plurimédias.

    Ces innovations permettront-elles l'émergence de nouveaux modèles ou, à tout le moins, bouleverse-ront-elles l'actuelle hiérarchie entre modèles exis-tants ? Il leur faudra pour cela franchir deux obs-tacles, majeurs.

    Le premier tient à la na-ture de ces outils. L'in-dustrie numérique est culturellement tournée vers la quête de plus-value pour les utilisateurs. Elle cherche à faire plus simple, plus efficace, plus engageant, souvent moins cher. Elle se nourrit d'horizontalité, de coopération, de confiance a priori. Le système éducatif, lui, réagit à une commande verticale – celle des programmes et de l'autorité fondée sur la maîtrise des savoirs –, aux notes et aux hiérarchies, à la mise en compétition des élèves, au contrôle a priori.

    Le second, possiblement plus important, touche à la défiance que suscite chez une majorité d'élèves l'idée qu'on peut apprendre si ce n'est en s'amusant, du moins en faisant l'économie de quelques souf-frances, constante à laquelle se heurtent déjà tant d'enseignants, de l'école élémentaire à l'enseigne-ment supérieur. Cette défiance, bien évidemment, n'est pas innée. Mais elle prospérera tant qu'il ne sera pas prouvé que l'on peut apprendre autrement et en tirer les mêmes bénéfices que via les voies tra-ditionnelles.

    Le numérique sera-t-il capable d'administrer cette preuve ? D'inventer un Amazon, un iTunes ou un Google de l'éducation – un standard universel qui bouleverse le fonctionnement d'un marché ? Il y tra-vaille résolument. Des dizaines de start up en France,

    des centaines aux États-Unis, les millions de dollars de fondations comme celle de Melinda et Bill Gates ou de Georges Lucas, en embuscade les géants du web comme Google ou Amazon, en soutien les millions des sociétés de capital-risque... Mais ne nous y trom-pons pas : Amazon n'a pas réinventé la littérature, iTunes ne compose pas de chansons, Google n'écrit pas d'articles ni ne produit de la recherche de haut

    niveau. Ces pla-teformes ne font qu'amplifier, de manière parfois exponent ie l le , des tendances de co n s o m m a t i o n existantes. Il en ira probablement

    de même en matière éducative.

    Le fond de la question est donc probablement de savoir qui, du privé ou du public, concevra l'offre la plus convaincante. Le numérique peut-il faire baisser les prix des écoles privées en délégant aux machines une partie du travail actuellement réalisé par des en-seignants, ce qui rebattrait les cartes de la compéti-tion public-privé en faisant émerger une réelle offre concurrentielle "low cost" (qui n'existe que de ma-nière factice, aujourd'hui, entre public et privé sous contrat, ce dernier étant essentiellement financé sur fonds publics puisque l'État assume les salaires des enseignants) ? Le numérique peut-il organiser des modalités de validation et de certification concur-rentes qui seront reconnues par les employeurs au point de fragiliser les actuels diplômes des universi-tés ou grandes écoles ?

    Telles sont les questions qui se posent aujourd'hui ; elles sont avant tout pédagogiques et politiques, pas numériques.

    Le fond de la question est donc probablement

    de savoir qui, du privé ou du public, concevra l'offre la plus convaincante.

  • © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014 - P9

    Au fil de la conférence...

    Retrouvez la conférence d'Emma-nuel Davidenkoff et d'Evgeny Moro-zov en streaming grâce au QR code ou à l'URL courtehttp://huit.re/zYP1fFDe

    #eeduc14 : Davidenkoff a cité en moins d'1h le bac pro : en colloque, c'est un record absolu ! Merci pour eux-nous :)

    #eeduc14 : Davidenkoff précise

    que le numérique peut servir le pire comme le meilleur, tt dépend du projet politique (et éducatif).

    #eeduc14 : le chef d’établissement au

    carrefour de tous les changements, il est au centre des stratégies réticulaires.

    #eeduc14 : 6 minutes : durée

    moyenne de l'attention sur les Moocs !

    #eeduc14 : faut-il revenir à la plume Sergent-major pour faire des progrès en orthographe ?

    http://huit.re/zYP1fFDe

  • P10- © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014

    "Nos relations sociales, une fois numérisées, sont, de par leur gra-nularité et leur traçabilité, désor-

    mais transformables en un nouvel outil de ce que Michel Foucault nommait "gouvernementalité".

    Rédacteur pour "The New Repu-blic".

    Chercheur qui étudie les impli-cations politiques et sociales des technologies numériques.

    Auteur de "To Save Everything, Click Here : The Folly of Techno-logical Solutionism" (2013).

    (traduction française : "Pour tout résoudre, cliquez ici" ).

    à propos d' Evgeny

    EvgenyMOROZOV

    Surveillance numérique :tels des cobayes désorientés

    Pour les grands pontes des technologies de l’information, tous nos problèmes peuvent être résolus par la collecte de données.

    Plus on en donne, plus on en reçoit. Mais dès lors, c’est la "phy-sique sociale" qui tiendra lieu de politique.

    Même les petits génies de la Silicon Valley ont parfois raison. Disons-le donc d’emblée : oui, la production, l’accumulation et l’analyse de nos traces numériques produit des avantages réels. À l’instar du Dividende de la Paix – un slogan populaire au début des années 1990, basé sur l’idée qu’une diminution des dépenses mili-taires devait favoriser la croissance économique – nous pouvons parler du Dividende de la Surveillance : l’idée que l’Internet des Objets, le Big Data et plus généralement l’inéluctable dérègle-ment de l’univers tout entier à cause d’une poignée de start-ups californiennes, doit se traduire à terme par l’abondance écono-mique, l’émancipation politique et la prospérité universelle.

    Grâce à la traçabilité accrue de tout, nous pouvons concevoir mieux, optimiser mieux, gouverner mieux, connaître mieux. Le Dividende de Surveillance augmente l’efficacité. Il économise de l’argent. Il prolonge la vie. Ses avantages sont réels. La bonne question à poser, alors, n’est pas : "le Dividende de Surveillance nous permet-il de gouverner mieux ou de connaître mieux ?" Non, la bonne question, c’est : mieux que quoi ?

    Pour répondre à cette question, peut-être est-il utile d’analyser, au préalable, comment les promoteurs du Dividende de Surveil-lance nous vendent ses avantages dans divers domaines. Dans

    Retrouvez l'inter-view d'Evgeny en streaming grâce au QR code ou à l'URL courte http://huit.re/eeduc14_itwEM

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    http://huit.re/eeduc14_itwEMhttp://huit.re/eeduc14_itwEM

  • Colloque international e-éducation

    © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014 - P11

    son nouveau livre Social Physics, Alex Pentland, pro-fesseur au Laboratoire des Médias (Media Lab) du MIT, conseiller auprès du Forum Économique Mon-dial de Davos et personnage très important (selon son site Web, il a dîné "avec la Royauté Britannique et le Président de l’Inde"), décrit une expérience bap-tisée FunFit qu’il a menée à Boston.

    Le but était d’amener des habitants d’un quartier à être plus actifs physiquement. Dans le passé, une telle étude aurait peut-être recouru à une campagne de publicité sociale sur les avantages de la santé. Ou encore payé les gens pour rester en forme. Mais c’est une stratégie différente qu’a choisie Pentland : tous les sujets de l’étude ont été asso-ciés à deux pairs de leur communauté, qu’ils connaissaient parfois à peine, par-fois au contraire très bien. Les deux parrains se voyaient remettre de petites sommes d’argent pour motiver leur fil-leul commun à faire davantage d’activité physique, suivie par des accéléromètres intégrés dans les smartphones fournis par l’étude. L’idée était que, si un individu faisait plus de marche que d’habitude, c’étaient ses parrains (et non pas lui !) qui empochaient l’argent.

    Les résultats ont été étonnants : l’opération s’est ré-vélée presque quatre fois plus efficace que lorsque c’étaient les individus qui étaient payés directement, comme dans les expériences classiques antérieures. En outre, si les parrains étaient des gens très proches des individus testés, l’efficacité était multipliée par huit et non plus par quatre. C’est ainsi que Pentland peut annoncer la naissance d’une nouvelle discipline, la "physique sociale". Donc, par l’étude de nos rap-ports sociaux existants et l’exploitation des résultats de cette étude pour fabriquer des motivations sur mesure pour chaque individu, nous pouvons enfin nous attaquer à des problèmes sociaux trop long-temps négligés.

    L’observation résout les problèmesPentland donne un autre exemple : lors des élections au Congrès de 2010 aux États-Unis, des universi-taires américains ont mené une étude sur 61 millions d’utilisateurs de Facebook, qu’ils ont divisés en deux sous-groupes. Les deux ont reçu des messages les exhortant à voter, mais là où le premier sous-groupe n’avait qu’un message générique et impersonnel, le second recevait un message personnalisé, montrant les visages de leurs amis ayant déjà voté. Les lois de la physique sociale se sont vérifiées : c’est dans le deuxième groupe que les gens ont davantage voté. Et pour les amis intimes – par opposition à de simples

    connaissances en ligne – les résultats étaient particuliè-rement impression-nants, car le taux de votants était quatre fois supérieur après le message person-nalisé.

    Les systèmes basés sur la physique so-ciale fonctionnent parce qu’ils savent tout de nous : pas seulement nos dé-placement quoti-diens et nos profils

    de communication mais aussi qui sont nos amis et la nature de nos relations. Les conséquences à long terme de la physique sociale sont proprement verti-gineuses. Avec un bon data-mining (exploration de données massives), on peut trouver les bons voisins pour nous convaincre de réduire notre consomma-tion d’énergie, les bons amis pour nous mettre en garde contre la malbouffe, les bons collègues pour nous rappeler de ne pas nous relâcher pendant les heures de travail. Tout se ramène, en somme, à trou-ver les bonnes personnes au bon moment et à leur faire envoyer les bons messages.

    Nos relations sociales, une fois numérisées, sont, de par leur granularité et leur traçabilité, désormais transformables en un nouvel outil de ce que Michel Foucault nommait "gouvernementalité". Au lieu d’en appeler au bien-être de la communauté ou à l’intérêt personnel du consommateur sur le marché, on peut réguler des comportements individuels en utilisant

    (...) Nous pouvons parler du Dividende de la Surveillance : l’idée que l’Internet des Objets, le Big Data (...), doit se traduire à terme par l’abondance économique,

    l’émancipation politique et la prospérité universelle.

    (...) La bonne question à poser, alors, n’est pas : "le Dividende de Surveillance nous

    permet-il de gouverner mieux ou de connaître mieux ?" Non, la bonne ques-

    tion, c’est : mieux que quoi ?

  • Colloque international e-éducation

    P12 - © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014

    l’amitié elle-même comme outil de gouvernance, nous exposant ainsi sélectivement à divers aspects de ce que les mastodontes de la haute technologie nomment notre "graphe social". Pentland propose un certain nombre de solutions institutionnelles pour résoudre les problèmes de confidentialité, mais cela dépasse notre cadre ici. Ce qui importe, c’est que le Dividende de Surveillance est bel et bien avéré : oui, l’observation continue des individus peut résoudre des problèmes.

    Les laboratoires vivantsL’expérience de Facebook pour encourager le vote est en fait un comparatif randomisé, un type très courant d’expérience scientifique, initialement popu-larisé dans un contexte médical, où les sujets testés sont répartis au hasard en deux groupes ou plus. Un groupe reçoit un stimulus quelconque – par exemple, ses membres voient les photos de leurs amis ayant déjà voté – et pas l’autre. Ces études étant de plus en plus populaires parmi les spécialistes des sciences sociales, on comprend que des services comme Face-book – avec leurs millions d’utilisateurs et des para-mètres facilement réglables pour lais-ser voir telle ou telle chose et pas d’autres aux utilisateurs – soient des terrains d’expérimentation privilégiés, plein de cobayes involontaires (c’est-à-dire nous).

    La colère suscitée par une récente étude où Facebook mon-trait à certains utili-sateurs heureux des messages positifs, et des messages négatifs aux utilisateurs malheureux, paraît bien naïve. Comme le formulait l’un des spécialistes scientifiques des données chez Facebook quelques mois avant le scandale, "chez Facebook, nous faisons plus de mille expériences par jour. Alors que nombre de ces expé-riences sont conçues pour optimiser des résultats spécifiques, d’autres visent à éclairer des décisions de conception à long terme". Traduction : mieux vau-drait vous inquiéter des milliers d’expériences quoti-diennes dont nous ne vous disons rien !

    À une époque de forte demande de politiques fon-

    dées sur des preuves et axées sur des résultats, Face-book nous fournit une infrastructure intellectuelle idéale pour tester l’efficacité ou la non-efficacité de telle ou telle intervention. Le Dividende de Surveil-lance à nouveau : plus Facebook nous suit à la trace, plus efficaces seront les politiques qui véritablement changent le monde – et en temps réel plutôt que deux ans plus tard. Pentland prétend même "faire revivre les sciences sociales en construisant des labo-ratoires in vivo pour tester et prouver les idées pour construire des sociétés orientées données". James Fowler, co-auteur de l’étude Facebook sur l’élection, pousse le raisonnement encore plus loin lorsqu’il affirme que "nous devons faire tout notre possible pour mesurer les effets des réseaux sociaux et ap-prendre à les amplifier afin de pouvoir créer une épi-démie de bien-être".

    De l’observation à l’explicationUn récent article dans la revue Foreign Affairs dé-taillait d’autres avantages du Dividende de Surveil-lance. Étant donné que les pauvres sont sous "la pression constante... d’utiliser leur argent exclusi-

    vement en dépenses contraintes", les au-teurs, qui travaillent pour la Fondation Bill & Melinda Gates, encensent le poten-tiel de la téléphonie mobile à "coup-de-poucer" les pauvres à faire des versements d’épargne réguliers. Dépenser ou épar-gner n’est pas la seule grande décision à laquelle doivent faire face les pauvres ; dans

    les pays en développement, ces décisions-là – sur la vaccination, l’éducation, l’assurance-récolte – sont nombreuses et ne sont pas toujours prises dans les meilleures conditions.

    Pourquoi, alors, ne pas transformer les téléphones cellulaires en Siri ou Google Now (les deux assis-tants virtuels populaires) du pauvre ? Et dès lors, leur faire surveiller en permanence ce que fait l’uti-lisateur, faire le suivi des contraintes environnemen-tales et leur suggérer les bonnes décisions ? Le Divi-dende de Surveillance une fois encore : grâce à un suivi constant, des personnes par ailleurs vulnérables

    Les systèmes basés sur la physique sociale fonctionnent

    parce qu’ils savent tout de nous : pas seu-lement nos déplacement quotidiens et

    nos profils de communication mais aussi qui sont nos amis et la nature de nos

    relations. (...) Tout se ramène, en somme, à trouver les bonnes personnes au bon

    moment et à leur faire envoyer les bons messages.

  • Colloque international e-éducation

    © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014 - P13

    peuvent devenir plus résilientes et plus ingénieuses pour s’attaquer à leurs problèmes. Un jour, avec de meilleurs smartphones, nous pourrons même leur enseigner comment coder !

    Ces idées paraissent fort attrayantes, et ce pour deux raisons. Tout d’abord, la persistance des problèmes sociaux, depuis le changement climatique jusqu’à l’obésité, en passant par la pauvreté, a généré un consensus presque univer-sel : il nous faut des me-sures plus radicales. C’est ainsi que des méthodes ouvertement paternalistes autrefois frappées de ta-bou sont aujourd’hui sur la table. On voit des universitaires produire à jet conti-nu des livres aux titres tels "Contre l’autonomie" ou "Pour un paternalisme épistémique", qui mettent l’accent sur la nécessité d’intervenir dans le proces-sus décisionnel des particuliers, dans l’intérêt de la communauté ou pour leur propre bien.

    L’attrait persistant de l’économie comportemen-tale, qui vise à corriger ce qu’elle analyse comme des postulats naïfs de l’économie néoclassique sur la rationalité humaine, est un autre facteur décisif dans l’affaire. Ces économistes comportementaux se proposent d’expliquer comment les gens se com-portent dans le monde réel et non pas dans certains modèles théoriques sophistiqués. À cette fin, ils – et en particulier les universitaires travaillant sur la pau-vreté mondiale – vont sur le terrain et, après avoir soigneusement observé les pauvres, mènent des es-sais contrôlés randomisés pour voir si leurs intuitions sont correctes.

    Une application contre la pauvretéCes intuitions ne donnent pas toujours des théories ou des explications causales élémentaires : si les chercheurs découvrent par exemple que telle école rurale obtient avec un instituteur unique de meil-leurs résultats avec ses élèves que telle autre avec deux, cette découverte devient "exploitable" même sans théorie. Il y a ici une certaine similitude avec l’attitude dynamique, axée sur les résultats, adoptée par les entreprises de haute technologie : Facebook n’a pas besoin de savoir pourquoi des histoires heu-reuses font davantage cliquer les utilisateurs pour pouvoir utiliser ces connaissances. Prédite par Chris Anderson dans le magazine Wired en 2008, la fin de la théorie a en fait touché ce champ-là plus tôt en-

    core : quand tant de choses peuvent être observées, étudiées et testées, les grands débats théoriques et philosophiques deviennent inutiles et encombrants.

    L’un des postulats implicites partagés par beaucoup d’économistes comportementaux est que nous ne nous comportons pas toujours dans notre meilleur intérêt, et ce pour des raisons bien précises que l’on peut identifier, classer et rectifier. Dans leur récent

    ouvrage Scarcity, Eldar Shafir et Sendhil Mullainathan, deux émi-nents économistes, pionniers de l’application de l’économie comportementale à l’étude de la pauvreté, avancent que les pauvres sont tellement accablés

    par l’angoisse des soucis d’argent permanents qu’ils finissent par prendre des décisions qui vont à l’en-contre de leur intérêt propre. La pauvreté, affirment-ils, découle de l’insuffisance cognitive, qui "plutôt qu’un trait personnel... est le résultat de conditions environnementales... qui peuvent souvent être re-médiées" – perspective qui, selon eux, aboutit à "une redéfinition conceptuelle radicale de la pauvreté". En d’autres termes, les pauvres prennent de mau-vaises décisions financières parce que leurs autres préoccupations tirent trop sur leur "bande passante cognitive", exactement comme l’utilisation de Skype ou de Spotify peuvent réduire votre connectivité Internet. Dans cette perspective, si seulement les pauvres pouvaient avoir le bon message au bon mo-ment, ils pourraient effectivement finir par épargner davantage. Dès lors, pour lutter contre la pauvreté, il nous faut "'raretéfuger' notre environnement" afin que des décisions mauvaises et irrationnelles soient exclues ou minimisées grâce à un quelconque sys-tème de surveillance permanente (que Mullainathan et Shafir comparent à un détecteur de fumée).

    Solutions magiquesLa pauvreté deviendrait alors un programme d’infor-mation qui peut être combattu avec les outils d’infor-mation du type de ceux qui produisent le Dividende de Surveillance. Prenons par exemple une applica-tion pour smartphone baptisée BillGuard. Elle va non seulement vous avertir dès que votre plafond men-suel de dépenses est dépassé, mais va également effectuer une recherche Internet pour trouver des coupons qui réduiront vos factures, sur la base de vos habitudes de dépenses. Autre exemple : l’iBag – un vrai sac, mais équipé de capteurs et connecté, qui se verrouille automatiquement (et verrouille aussi

    Une politique faite de dispositifs intelligents

    n’est pas nécessairement une politique intelligente.

  • Colloque international e-éducation

    P14 - © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014

    sans doute votre portefeuille) lorsqu’il estime que vous approchez de votre plafond de dépenses. Un suivi constant, voilà ce qui rend ces innovations pos-sibles. Ces applications pourraient bien faire sortir certaines personnes de la pauvreté. Elles pourraient même rendre leurs développeurs riches. Mais quel est le coût de cette "informationalisation" de la pau-vreté ? Et est-ce ainsi que nous ("nous" désignant ici cette entité presque oubliée, une communauté de citoyens, pas de capital-risqueurs rusés ni d’entre-preneurs iconoclastes) voulons lutter contre elle ?

    On peut observer dans d’autres domaines des cas similaires d’informationalisation, où un problème se voit dépouillé de ses dimensions matérielles et poli-tiques et présenté simple-ment comme une question d’information insuffisante ou tardive. Max Levchin, co-fondateur de PayPal, espère pouvoir appliquer l’apprentissage automa-tique et l’exploration de données massives pour résoudre des problèmes de santé. "La santé n’est ja-mais qu’un gros problème d’information en attente d’analytique de données et de capteurs portables", explique-t-il en annonçant Glow, son application pour aider les femmes à concevoir. C’est très exactement ce que fait Glow en observant leur activité sexuelle (y compris les positions) et leurs cycles menstruels et en leur envoyant des alertes diverses ("début de fenêtre de fertilité !" ou encore "Waouh ! Vous ovu-lez !).

    Même à supposer que Levchin ait des motivations nobles, reste à savoir si la santé – ou d’ailleurs n’im-porte quoi d’autre – constitue un "problème d’infor-mation" ; et ce n’est pas là une question à prendre à la légère. Silicon Valley, pour l’essentiel, a déjà répondu pour nous – par l’affirmative. Donnez-leur n’importe quel problème et, quelques applications plus tard, une solution d’"information" émergera comme par magie. Reformulé ainsi, le problème conduit inévi-tablement à l’invocation du Dividende de Surveil-lance et de ses avantages incontestables. Mais ne devrions-nous pas nous demander également ce qui se passe une fois la santé, l’éducation ou la pauvreté reformulées comme problèmes réputés résolubles par l’information ?

    Problèmes et SurveillanceLa fascination croissante pour le potentiel de l’éner-gie intelligente est un autre exemple spectaculaire de cette informationalisation à l’œuvre : réduite à des applis, des thermostats intelligents et autres compteurs intelligents, l’énergie se voit découplée du vaste complexe de réseaux politiques et écono-miques qui président à sa production, et présentée uniquement comme un problème d’information, résoluble par les sempiternelles boucles de rétroac-tion. Comme l’écrit l’universitaire australienne Yo-lande Strengers dans son nouveau livre Smart Energy Technologies in Everyday Life, les consommateurs sont fantasmés comme "orientés données, avides

    d’information, experts en technologie", tandis que l’apport de données "est le seul moyen par lequel [ils sont] censés fonctionner et évoluer".

    Il existe des voies alter-natives, non-information-nelles, plus politiques pour s’attaquer au problème de

    l’énergie ; mais votre compteur intelligent ne vous en dira rien. Avec lui, il y a peu de chances que votre connaissance et votre expertise sur la consomma-tion d’énergie se développe beaucoup, et du coup, comme le souligne Stengers, "les consommateurs commencent à assimiler ‘gestion de l’énergie’ et ‘gestion des données’". Mais la compréhension de l’énergie n’est pas seulement fonction de préfé-rences individuelles et de boucles de rétroaction  ; elle exige également une réflexion sur les normes d’efficacité énergétique, la conception de l’habitat, les habitudes de consommation, les pratiques de cli-matisation intérieures.

    Plus inquiétant encore, les problèmes que le Divi-dende de Surveillance permet de résoudre – change-ment climatique, obésité, pauvreté – sont de plus en plus reformulés en termes de sécurité nationale ; et une fois ce saut rhétorique effectué, le grand public, terrifié, va accepter même les mesures les plus dra-coniennes. Il n’est nullement exagéré de parler de sécurité nationale : il existe de plus en plus d’études qui visent à montrer les liens entre changement cli-matique et risques de guerres civiles, niveau de pau-vreté et degré de radicalisation de la jeunesse, etc. Le complexe militaro-industriel sait comment étendre

    Ces applications pourraient bien faire sortir certaines personnes de la pauvreté. Elles pourraient

    même rendre leurs développeurs riches. Mais quel est le coût de

    cette "informationalisation" de la pauvreté ?

  • Colloque international e-éducation

    © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014 - P15

    ses tentacules vers des domaines apparemment non militaires.

    Les lois sur la liberté de l'informationTout cela est parfaitement connu des partisans du Dividende de Surveillance. Voici par exemple com-ment Pentland lie applis, santé publique et ques-tions de sécurité nationale : "une application sur un téléphone, argumente-t-il dans Social Physics, pour-rait enregistrer en toute discrétion des variations inhabituelles du comportement, puis calculer si elles sont indicatives du développement d’une maladie". Ainsi, "la capacité de suivre des maladies telles que la grippe au niveau de l’indi-vidu devrait aboutir à une protection réelle contre les pandémies, car nous pour-rions prendre des mesures pour traiter les individus in-fectés avant qu’ils ne trans-mettent la maladie". Étant donné que le paradigme de la sécurité domine encore largement le débat politique des deux côtés de l’At-lantique, de tels arguments trouveront forcément écho au FBI, à la CIA, la NSA et autres agences en trois lettres.

    Dans ces conditions, il ne servira pas à grand-chose de remettre en cause les avantages du Dividende de Surveillance. Physique sociale, essais comparatifs randomisés (ECR), "coups de pouce", rien de tout cela n’est inutile, et les partisans du Dividende de Surveil-lance présentent leurs avantages comme évidents et apolitiques : on nous dit que les problèmes d’informa-tionalisation les rendent seulement plus accessibles et plus faciles à gérer. Mais il n’y a rien d’évident ni d’apolitique dans les outils et les méthodes du Divi-dende de Surveillance. En réalité, ils ne voient que ce qu’ils veulent voir et ils savent seulement ce qu’ils veulent savoir. Ce que souvent ils ignorent et ne veulent pas voir est leur propre politique.

    Nous vivons une époque de profonde asymétrie épistémique. L’hyper-visibilité de chaque citoyen, désormais traçable par toutes sortes de dispositifs intelligents, n’a d’égale que l’hyper-invisibilité crois-sante de tous les autres acteurs sociaux. Les gouver-nements continuent de classifier de plus en plus de documents, externalisant au passage leurs fonctions à des sociétés privées qui ne sont pas tenues de res-pecter la législation sur la liberté de l’information.

    Les grandes sociétés sèment la confusion sur l’im-pact réel de leurs activités, fabriquant délibérément l’ignorance en finançant de douteuses recherches pseudo-scientifiques. Et du côté de Wall Street, on produit à la chaîne des instruments financiers si opaques qu’ils défient tout effort de compréhension.

    Le marchéLe mouvement pour des données ouvertes pour-rait relever quelques-uns de ces défis, mais son plus grand succès à ce jour a été de contraindre les gouvernements à libérer des données qui sont pour la plupart d’utilité économique et sociale. Les don-

    nées politiques sensibles sont toujours jalousement gardées. Il n’y a aucune "physique sociale" pour des Goldman Sachs ou des HSBC : nous ne savons rien des liens entre leurs filiales et leurs sociétés écrans enregistrées dans des pa-radis fiscaux. Personne ne

    conduit d’ECR pour voir ce qui se passerait si nous avions moins de lobbyistes. Qui va donner le "coup de pouce" amenant les militaires états-uniens à dé-penser moins d’argent en drones et faire don aux pauvres de l’argent ainsi économisé ?

    Les outils du Dividende de Surveillance fonctionnent à un seul niveau : celui de chaque citoyen. Ils rendent celui-ci totalement transparent et manipulable, créant un semblant de "résolution de problèmes" tout en laissant gouvernements et grandes socié-tés libres de poursuivre leurs propres projets. Pour paraphraser Foucault, nous sommes tous devenus éminemment traçables et éminemment coup-de-pouçables. Nos mauvaises habitudes peuvent être détectées, analysées et corrigées en temps réel, éli-minant du même coup pas mal des problèmes qui étouffent actuellement les services sociaux. Ainsi, la notion même de la politique en tant qu’entreprise communautaire se transforme en spectacle indivi-dualiste et consumériste de l’environnement, où les solutions – que nous nommons applis de nos jours – se recherchent sur le marché plutôt que sur la place publique.

    Il n’y a rien de très surprenant à cette individualisa-tion de la politique, dans la mesure où les méthodes qui nous donnent le Dividende de Surveillance ont délibérément abandonné toute recherche systé-

    Les grandes sociétés sèment la confusion sur l’impact réel de

    leurs activités, fabriquant délibé-rément l’ignorance en finançant

    de douteuses recherches pseudo-scientifiques.

  • Colloque international e-éducation

    P16 - © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014

    matique de facteurs et de causes de changement social transcendant l’individu. En troquant les expli-cations causales contre l’"applicabilité", leurs promo-teurs ont, de fait, abandonné toute théorie et sont donc contraints à feindre l’ignorance ou la naïveté à chaque fois qu’ils sont confrontés à un problème qui ne peut être facilement réduit à la prise de décision individuelle.

    Faut-il vraiment recourir à une étude contrôlée ran-domisée pour savoir ce que lobbyistes ou banquiers font toute la journée ? Le monde a beau être d’une complexité à vous rendre fou, il est aussi d’une sim-plicité fort embarrassante : les grandes sociétés veulent toujours faire de l’argent, les gouvernements veulent tou-jours bâtir des empires bu-reaucratiques, les agences de sécurité veulent tou-jours prendre le pouvoir. Fin de la "théorie" peut-être, mais pourquoi alors renoncer à ce qui est évident ?

    Se dispenser d’explications causales peut sans doute être une stratégie rentable en affaires. Un conces-sionnaire automobile peut tirer profit de savoir que les voitures d’occasion orange sont plus fiables que les voitures d’occasion d’autres couleurs – une corré-lation typique (et authentique) révélée par l’analyse de données volumineuses – sans avoir à expliquer pourquoi. La transposition de ce modèle de l’entre-prise à la politique, toutefois, revient à spéculer à l’excès sur la portée et les objectifs de la politique ainsi que la répartition des responsabilités entre les acteurs.

    Rétrécissement de l'imaginaire poli-tique

    Le prisme individualiste à travers lequel les outils et les méthodes du Dividende de Surveillance appré-hendent les problèmes sociaux a tout simplement pour effet de faire passer certaines questions sous le tapis. Dans ce qui est peut-être la plus cinglante critique de l’économie comportementale dans le domaine du développement, l’économiste Sanjay G. Reddy met le doigt sur la façon dont cette quête de solutions empiriques, fondées sur des preuves,

    vide le débat d’un certain nombre de questions-clés. "Les grandes questions que posait autrefois la disci-pline, portant sur l’effet d’institutions économiques et politiques alternatives (par exemple partage de propriété, commerce, politique agricole, industrielle et financière et rôle des mécanismes de protection sociale)... ont été mises de côté en faveur de ques-tions telles ‘les moustiquaires imbibées d’insecticide doivent-elles ou non être distribuées gratuitement ?’, ou bien ‘deux enseignants en classe sont-ils beau-coup plus efficaces qu’un seul ?’", écrit-il.

    Le Dividende de Surveillance réduit la politique à des bou-tons à tourner, comme si la société était simplement un poste de radio qu’il fallait ajuster. Pire encore, lorsque la solution basée sur l’infor-

    mation est immédiatement disponible (ce qui sera le cas une fois tout numérisé et interconnecté), c’est à quiconque cherchera une solution non-informa-tionnelle qu’incombera le fardeau d’avoir à prouver pourquoi cette méthode réputée moins efficace est meilleure qu’un nouveau recours au Dividende de Surveillance.

    Et pourtant, une politique faite de dispositifs intelli-gents n’est pas nécessairement une politique intelli-gente. Récemment, le Wall Street Journal décrivait des toilettes intelligentes capables de "se synchroni-ser avec les smartphones des utilisateurs... et passer leur musique préférée grâce à des haut-parleurs inté-grés dans la cuvette". Il est notoirement facile de lui faire exécuter des essais contrôlés randomisés pour voir si la musique rend heureux les utilisateurs et les orienter vers une alimentation plus saine après avoir analysé leur… production. Qu’un tel gadget puisse, en toute plausibilité, passer pour un instrument de politique contemporaine – idéal pour la création d’une épidémie de bien-être – atteste fort tristement du rétrécissement de notre imaginaire politique.

    30 juillet 2014Article paru dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung,

    Reproduit avec accord de l'auteur

    Le monde a beau être d'une complexité à vous rendre fou, il

    est aussi d'une simplicité fort embarrassante.

  • © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014 - P17

    Au fil de la conférence...

    Retrouvez la conférence d'Evgeny Morozov et d'Emmanuel Daviden-koff en streaming grâce au QR code ou à l'URL courtehttp://huit.re/zYP1fFDe

    #eeduc14 : récup des données ok, mais ne peut-on pas décider de ce qu’on donne et qu’on puisse encore chercher même si tout est prémâché ?

    #eeduc14 : Morozoff : Il y a une idéologie de la Silicon Valley, c’est le solutionnisme.

    #eeduc14 : le numérique nous invite plus que jamais à placer l’humain au centre.

    #eeduc14 : E.Morozov est en train de nous dire que nous sommes tous des digital laborers.

    http://huit.re/zYP1fFDe

  • Colloque international e-éducation

    P18 - © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014

    Les soirées du colloque Pour les participants présents à l’ESENESR, les activités du colloque se sont étendues à des propositions en soirée, que nous vous présentons au fil de ces actes numériques.

    13 octobre : BARCAMP

    Afin d'introduire le colloque avec une véritable occa-sion de rencontres, de confrontation des points de vue et d'éveil des curiosités, un Barcamp, organisé le lundi 13/10 en début de soirée, a permis à tous les présents de commencer à se familiariser avec les questions liant numérique, pédagogie et éducation/formation.

    Sous la direction de Christophe Batier, de l’université de Lyon 1, plusieurs participants se sont portés volon-taires pour animer les 6 ateliers proposés :

    • Les Moocs : opportunité ou danger ?• Qui sont les nouveaux opérateurs de savoir ?• Trouve-t-on du contenu académique sur Youtube ?• Twitter pour apprendre, twitter pour enseigner ?• Quelles ressources web pour les enseignants ?• Qu'est-ce que la littératie numérique ?

    Suite des soirées page 46

  • © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014 - P19

    Retrouvez l'émission

    en mp3 :

    Émission spéciale d’Échafaudages, le magazine radio de l’ESENESR, avec :

    Divina Frau-Meigs,

    Emmanuel Davidenkoff,

    Simon Fau.

    Vers une école numérique ?

    Émission animée par Thierry Revelen.Régie : Olivier Kappes.

    http://huit.re/ eeduc14_WR1

    http://huit.re/%0Aeeduc14_WR1http://huit.re/%0Aeeduc14_WR1

  • P20- © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014

    "De vrais espaces d’innovation résident dans la construction de pratiques sociales et spatiales

    dans la mobilité, en utilisant le numérique, mais c’est aussi là que résident

    les risques d’inégalités et d’exclusion."

    Docteure en géographie, qualifiée en Sciences de l’éducation et en Sciences de l’information et de la communication, Élisabeth Schnei-der est actuellement formatrice et chargée de mission "pédagogie du numérique et des médias" à l’ESPÉ de l’académie de Caen. Elle poursuit des recherches sur les usages du numérique des adolescents et sur l’écriture, en particulier dans le cadre de l’ANR Translit.

    DivinaFRAU MEIGS

    ÉlisabethSCHNEIDER

    Savoir-devenir dans la société du numérique :

    pertinence de la translittératie pour l'action et la formation

    De la société de l’information à la société de la connaissance, de la nécessaire adaptation aux nouveaux outils à l’apparente maîtrise, qu’il s’agisse des jeunes, des enseignants ou de l’encadrement, les usages du numérique sont au cœur des questions éducatives de ces dernières années. Cependant, le développement des usages du nu-mérique dans la société a été l’objet de discours parfois performa-tifs qu’il fallait interroger pour permettre la réflexion et la décision. Un certain nombre de travaux de recherche en sciences sociales et humaines se sont ainsi intéressés à l’évolution des pratiques sociales et culturelles impliquant le numérique. Nous présenterons les résultats et les démarches les plus récents, fondant ainsi des propositions du côté de l’ingénierie professionnelle enseignante, des décisions publiques et de la prise en compte des jeunes dans une perspective du développement de leur pouvoir d’agir.

    Dans un premier temps, en nous appuyant entre autres sur des enquêtes ethnographiques, nous préciserons en quoi le mythe du digital native a vécu, tout en soulignant la réalité des ruptures dans les pratiques culturelles et les évolutions dans les formes sociales impliquant les jeunes.

    Ces derniers utilisent les outils de communication numérique, ils produisent et font circuler informations, vidéos, mais sont aussi créateurs de contenus. L’enquête menée (Schneider 2013) montre

    à propos d' Élisabeth

    Enseignante-Chercheure, Université Paris 3 - experte auprès de l’UNESCO - directrice scientifique du CLEMI - publie sur les ques-tions de diversité culturelle et d’acculturation, ainsi que sur la formation en ligne, l’iden-tité numérique et la gouvernance d’internet. Autres recherches : la régulation et l’auto-ré-gulation des médias.

    à propos de Divina

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    Retrouvez l'interview de Divina en streaming grâce au QR code ou à l'URL courte http://huit.re/eeduc14_itwDFM

    Retrouvez l'interview d'Élisabeth en streaming grâce au QR code ou à l'URL courte http://huit.re/eeduc14_

    itwES

    http://huit.re/eeduc14_itwDFMhttp://huit.re/eeduc14_itwDFMhttp://huit.re/eeduc14_itwEShttp://huit.re/eeduc14_itwES

  • Colloque international e-éducation

    © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014 - P21

    en particulier que les usages s’articulent entre "hors" et "en ligne", entre support traditionnel – comme le papier – et numérique. Entre les différentes activités que les jeunes ont à mener, de l’école au domicile, les outils du numérique peuvent ouvrir un possible pouvoir d’agir. De vrais espaces d’innovation ré-sident dans la construction de pratiques sociales et spatiales dans la mobilité, en utilisant le numérique, mais c’est aussi là que résident les risques d’inégali-tés et d’exclusion.

    Comprendre les usages réels des jeunes, de la mater-nelle à l’université, et dans une perspective de for-mation tout au long de la vie, nécessite de passer de la prise en compte des pra-tiques des technologies de l’information à des enjeux bien plus complexes : ceux de la translittératie, com-prise comme la convergence de l’éducation aux médias, à l’information et à l’informatique dans les cultures de l’information. Ce concept en chantier est au cœur des travaux de l’ANR TRANSLIT, qui rassemble une équipe pluridisciplinaire s’attachant à la fois à com-prendre les pratiques des jeunes lycéens, l’émer-gence de nouvelles compétences mais aussi à dresser un état des lieux des politiques européennes sur ces questions. Celui-ci inscrivant les perspectives tracées dans un cadre international à la hauteur des enjeux éducatifs, sociaux et économiques (www.translit.fr).

    Nous présenterons les premiers résultats significa-tifs des travaux de l’ANR TRANSLIT, articulés autour de 3 axes : 1. les politiques publiques, 2. les retours de terrain, 3. les retombées pour l’action et la forma-tion.

    1. L’analyse des politiques publiques a révélé un certain nombre de tendances permettant d’ores et déjà de poser un diagnostic en France et en Europe.

    L’éducation aux médias voit sa place contestée à côté d’autres "éducations à", mais s’enrichit de l’augmen-tation numérique. La richesse des ressources et de l’engagement associatif peut générer un trompe-l’œil préjudiciable à une mise en œuvre efficiente. C’est aussi la question de l’évaluation que nous sou-lèverons (Frau-Meigs et al, 2014).

    2. Les premiers résultats des enquêtes de terrain permettent de dégager des tendances essen-tielles pour des responsables éducatifs.

    2.1. En milieu scolaire

    • Il se confirme l’existence d’une translittératie en émergence dans la mesure où les jeunes érigent le numérique comme cadre de référence tandis que les enseignants l’utilisent dans le discours d’accompagnement ;

    • l’organisation des activités est en hybridation (en ligne/hors ligne, papier/numérique) et dépend des situations ;

    • le sentiment d’expertise est très présent et se produit de manière "répartie", selon les tâches,

    entre apprenants ;• les outils nu-mériques utilisés va-rient énormément, et diffèrent selon l’usage formel et non formel (en liaison partielle aux contraintes de l’institu-tion) ;

    • les observations en contexte de projet montrent que les compétences se transforment largement dans le cadre du groupe ;

    • la distribution des compétences et de la connais-sance dans le cadre du groupe s’observe autour de trois axes : la collecte de l’information, l’écri-ture et la synthèse, la communication ;

    • les modalités de travail observées montrent que la fracture la plus large est celle qui sépare la culture scolaire des pratiques culturelles indivi-duelles, particulièrement dans les modes de re-présentation et de légitimation de l’information.

    2.2. En milieu informel

    • Les tensions existent en matière de créativité, entre "le faire en créant" et "le faire en imitant" qui reflètent, même dans les terrains informels, un difficile "lâcher prise" des modèles mimé-tiques plus traditionnels ;

    • les distinctions se manifestent entre les compé-tences opératoires et les compétences d'édito-rialisation, celles envisageables en ligne étant sous-utilisées mais très prégnantes (injonction).

    3. De l’ensemble des travaux présentés, nous pourrons dégager quelques pistes.

    3.1. La nécessité d’une médiation pédagogique

    C’est dans la médiation entre le non scolaire et le travail scolaire que des usages translittéraciques

    (...) ceux de la translittératie, com-prise comme la convergence de

    l’éducation aux médias, à l’information et à l’informatique dans les cultures de l’information.

    www.translit.fr

  • Colloque international e-éducation

    P22 - © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014

    semblent pouvoir se mettre en place de façon effi-cace. Cette médiation repose sur l’existence de dis-positifs qui comprennent des conditions minimales d’apprentissage : un projet explicité, des consignes, la levée de blocages techniques éventuels, l’accom-pagnement par des ensei-gnants qui eux-mêmes sont mobilisés sur les questions de littératie et pas seule-ment sur les contenus de programmes. La proposition de formats de connaissances permet la mise en place de conditions communication-nelles et fournit un cadre facilitant l’émergence de compétences translittéraciques et d’une grammaire des usages. Ainsi, trois facteurs d’intégration appa-raissent associés aux scénarios translittéraciques  : les stratégies individuelles et collectives, les compé-tences instrumentales mises en place autour d’outils et de dispositifs et l’accompagnement pédagogique proposé.

    3.2. L’enjeu de la translittératie est bien un "savoir-devenir"Il s’agit de développer la capacité projective des apprenants, qui s’approprient le potentiel informa-

    tionnel des environnements distribués mis à leur disposition, par le biais de la translittératie et la maî-trise des cultures de l’information (Frau-Meigs 2013). C’est un pilier qui s’ajoute aux 4 piliers de l’éducation du rapport Delors (1996) : apprendre à connaître,

    apprendre à faire, apprendre à vivre ensemble, apprendre à être. Dans ces usages auxquels il faudra former les jeunes, ces derniers s’engagent dans des processus de médiation de soi, de modélisation ludique et de prise de décision, développant ainsi leur pouvoir d’agir.

    3.3. Les politiques publiques doivent évoluer en cohé-renceIl s’agit de mettre en phase l’évaluation et le finan-cement, soulevant en cela la question essentielle du rôle des acteurs de l’édition/publication/documenta-tion, dans le secteur public, privé et associatif.

    C’est dans la médiation entre le non scolaire et le travail scolaire

    que des usages translittéraciques semblent pouvoir se mettre en

    place de façon efficace.

  • © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014 - P23

    Au fil de la conférence...

    #eeduc14 : l’institution est contraignante et n'autorise pas toujours le passage de l'école au hors l'école.

    #eeduc14 : c'est dans le collaboratif que les compétences augmentent.

    Retrouvez la conférence de Divina Frau-Meigs et d'Élisabeth Schnei-der en streaming grâce au QR code ou à l'URL courtehttp://huit.re/q9oWelm8

    #eeduc14 : digital na-tive désigne un être qui n'existe pas, pur mythe, ados agacés qu'on les nomme ainsi.

    #eeduc14 : ce qui est sûr par contre c’est que nous sommes des digital migrants.

    #eeduc14 : les univers information-nels des ados com-portent toujours l'écrit sous sa forme traditionnelle ...

    #eeduc14 : translittératie : éducation aux médias / à l'information / l'informatique. Culture de l'info. Pas du numérique : trop axé sur outils.

    #eeduc14 : la translittératie est une convergence, hybridation et appropriation de tous actes ou système d'écrit ?

    #eeduc14 : nécessité d'une média-tion pédagogique entre le non-scolaire et le travail scolaire.

    #eeduc14 : digital natives qui sont "digital naïves" sont à présent à l'ESPE : fort besoin de formation sur intérêts pédago-gie du numérique.

    #eeduc14 : distribution des com-pétences : collecter, écrire, synthétiser, communiquer.

    #eeduc14 : il faut des enseignants qui accom-pagnent - mobiliser sur la notion de littératie, médiation pédagogique.

    #eeduc14 : le numérique en France ou le syndrome du bonzaï : croître et prospérer dans la contrainte.

    #eeduc14 : belle réflexion #eeduc14 commencée avec cette phrase "c'est avec la recherche qu'on ne cède pas à la panique et au sentiment de déshérence".

    http://huit.re/q9oWelm8

  • P24- © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014

    Ghislaine Azémard est professeur des universités en SIC (sciences de l'information et de la communica-tion) à l’Université Paris 8.

    Titulaire de la Chaire Unesco Unitwin (FMSH/UP8) Innovation, Transmis-sion et Édition Numériques, elle est spécialiste des innovations d’usage dans le secteur numérique et des nouvelles formes d’éditorialisation.

    Elle dirige le programme Idéfi Créa-TIC qui propose aux étudiants des modules de formation et d’expéri-mentation transdisciplinaires dans le cadre d’un MédiaLab.

    Elle dirige la collection d’ouvrages scientifiques hybrides "100 notions" aux éditions de l’Immatériel.

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    à propos de Ghislaine

    GhislaineAZÉMARD

    "S’il est aujourd’hui admis que certaines formes d’intelligence

    sont programmables et rendent les machines productives de

    manière quasi-autonome, l’émotion reste l’attribut humain

    le plus difficile à modéliser, à virtualiser et à synthétiser."

    En posant cette question, ce sont les limites de la médiation numé-rique que l’on interroge. S’il est aujourd’hui admis que certaines formes d’intelligence sont programmables et rendent les machines productives de manière quasi-autonome, l’émotion reste l’attribut humain le plus difficile à modéliser, à virtualiser et à synthétiser.

    Même si la notion d’émotion artificielle cherche encore ses ancrages théoriques et expérimentaux, on peut considérer que l’environne-ment technologique a un impact important sur les comportements, les humeurs, les sensations et émotions des individus. La média-tion homme-machine concurrence fortement la médiation humaine traditionnelle dans les rapports amicaux, ludiques, pédagogiques ou encore dans les pratiques artistiques ou les activités profes-sionnelles. L’espace de vie, d’apprentissage, d’action et de relation devient, et cela encore bien davantage pour les "digital natives", un espace hybride qui se nourrit à la fois d’un certain décollement de la réalité et paradoxalement aussi d’une réinscription territoriale inédite par la géolocalisation des données personnelles. C’est un espace hybride où les informations apportées par la réalité sont augmentées par celles provenant de l’immersion dans un univers immatériel, proposées par les ressources informationnelles mas-sives disponibles sur internet. Par ailleurs, la dominance des inte-ractions exclusivement et directement humaines est remplacée par un va-et-vient entre les interactions humaines et celles assistées par ordinateurs, ou par des machines et objets communicants.

    Éprouver et exprimer des émotions dans l’univers numérique dé-pend en grande partie de l’interface homme-machine. Qu’il s’agisse d’un écran de cinéma, de télévision, d’ordinateur ou des objets communicants, les interfaces numériques opèrent de manières

    L'émotion est-elle compatible avec

    le numérique ?

    Retrouvez l'interview de Ghislaine en strea-ming grâce au QR code ou à l'URL courte http://huit.re/ee-duc14_itwGA

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    http://huit.re/eeduc14_itwGAhttp://huit.re/eeduc14_itwGA

  • Colloque international e-éducation

    © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014 - P25

    radicalement différentes pour provoquer des émo-tions et des réactions. Dans le cadre des médias tra-ditionnels, c’est le phénomène de la projection qui domine, alors que pour les objets communicants c’est la dimension de l’interaction qui est centrale. Le phénomène de la projection a été longuement ana-lysé par les chercheurs et on sait aujourd’hui à quel point des récits émouvants sont susceptibles de pro-voquer chez l’individu de l’empathie pour des per-sonnages de fiction. Les jeux vidéo, eux aussi, sont le théâtre d’engouements qui génèrent des émotions telle-ment intenses qu’elles peuvent provoquer l’addiction.

    L’immersion dans un univers virtuel peut avoir des vertus thérapeutiques pour l’individu, lui permettre d’apprendre à contrôler certaines émotions, le guérir de phobies. La ma-chine prend toute sa valeur en ce qu’elle limite les émotions négatives provoquées par le regard d’autrui, ses ju-gements de valeur ou ses injonctions directes. Les applications numériques cherchent aussi à susciter des émotions positives pour faciliter l’apprentissage. Dans les pratiques de transmission et de quantified self, la médiation numérique devient un outil d’en-traînement en soi, pour soi, indépendamment même de tout avatar.

    L’avatar est considéré par certains comme un support projectif, en particulier pour les enfants et dans le cadre de l’apprentissage ; ce serait l’accompagnant idéal, le doudou numérique qui stimule et réconforte. Dans cet esprit, et suivant un implicite théorique so-cio-constructiviste, de nombreux programmes pro-posent des plateformes dont l’avatar est la pierre an-gulaire du dispositif. Médiateur projectif et incitatif, on cherche à l’inscrire dans un dialogue émotionnel

    avec l’utilisateur à travers des comportements-ré-ponses construits à partir des codifications verbales et non verbales des émotions.

    Si la relation émotionnelle homme-machine est uni-latérale, le numérique peut être un medium perti-nent pour communiquer et partager des émotions entre êtres humains. Lorsque le débit ne permettait pas d’utiliser le son ou la vidéo dans les conversa-tions instantanées, pour reproduire au plus près la

    communication interper-sonnelle présentielle et sa charge d’émotion sur Inter-net, les codes émotionnels ont été adaptés à ce nou-veau média avec les smileys et autres émoticônes qui ponctuaient et continuent à illustrer les communica-tions écrites succinctes.

    La créativité des pionniers et celle des usagers sont au rendez-vous des réali-

    sations, des services et œuvres numériques. Elles optimisent chacun des médias, elles travaillent leur pertinence et leur impact conjugué. Elles inventent de nouvelles écritures crossmédia, elles scénarisent ce nouvel espace hybride. Elles le contextualisent pour augmenter le rapport à la réalité, la plus triviale comme la plus artistique. La complémentarité Arts, Sciences et Technologies est à l’œuvre dans tous les secteurs de l’activité humaine.

    C’est au cœur de ces nouvelles configurations technologiques et symboliques que l’individu réin-vente ses relations interpersonnelles et les émotions qu’elles lui procurent, qu’il cultive son imaginaire pour créer et participer à un monde que nous ne qua-lifierons pas de posthumaniste ou transhumaniste mais qui devra trouver le chemin d’un nouvel huma-nisme numérique.

    Si la relation émotionnelle homme-machine

    est unilatérale, le numérique peut être un

    medium pertinent pour communiquer et partager des émotions entre êtres

    humains.

  • Colloque international e-éducation

    P26 - © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014

    La conférence de Ghislaine Azémard s'est tenue conjointement avec Patrick Treguer, responsable du "Lieu Multiple" à Poitiers (86).

  • © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014 - P27

    Au fil de la conférence...

    #eeduc14 : réaliser la quantification du lexique de l’émotion.

    #eeduc14 : présentation du blog de veille du Mas-ter création et édition.

    #eeduc14 : les émotions en monde virtuel et en simulation médicale.

    #eeduc14 : capacité à inférer l’émotion des autres à partir d'indices.

    #eeduc14 : émotion associée à l'humeur mais aussi à la motivation, essentiel.

    #eeduc14 : le like (aimer) c'est déjà une émotion

    #eeduc14 :

    c'est l'e.motion ? :-)

    Retrouvez la conférence de Ghis-laine Azémard et de Patrick Treguer en streaming grâce au QR code ou à l'URL courtehttp://huit.re/WzXzcqvh

    http://huit.re/WzXzcqvh

  • Colloque international e-éducation

    P28 - © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014

    TémoignagesTout au long des trois journées du colloque, les participants présents sur le site de l’ESENESR ont pu rencon-trer des acteurs du numérique éducatif venus présenter leurs expériences.

    Des temps spécifiques ont été aménagés dans le programme avec une organisation en séquences courtes de nature à favoriser les échanges avec les participants.

    Le format recommandé pour les présentations était celui du Pecha Kucha 20x20 Pour en savoir plus : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pecha_Kucha ou QR code :

    Nous remercions encore l’ensemble des acteurs venus partager leur expérience du numérique en pédagogie :

    L’équipe des enseignants et des élèves du lycée pilote innovant international (LP2I) du Futuroscope :

    • Hélène Paumier• Numérique et média - exemple de la radio scolaire• Pédagogie de projet et webfolio

    • Xavier Garnier : Living School Lab• Antoine Coutelle : Usages du numérique dans les disciplines• Pierric Bergeron : Retour sur 25 ans de numérique éducatif• Joël Coutable : Living Cloud, ou fonctionnement d’un lycée tout numérique

    Suite page 34

    Méthodologie, découpage et cahier des charges des interventions

    • Séquences déployées sur 1h15 (75 minutes) - pour chaque séquence, possibilité de participer à deux témoignages successifs sur 30 minutes (avec des intervalles de 5 minutes pour les déplacements) ;

    • pour chaque atelier, présentation de 10 minutes (15 maximum), suivie de 20 minutes d’échanges avec le public .

    Au fil du colloque

    http://www.lp2i-poitiers.fr/

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Pecha_Kuchahttp://www.lp2i- poitiers.fr/http://www.lp2i- poitiers.fr/

  • Colloque international e-éducation

    © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014 - P29

    Mercredi 15 octobre 2014 Apprentissages et numérique

    Cette deuxième journée était placée au cœur de la problématique des apprentissages, sous le double signe de la science et de la pratique.

    La science et l’expérimentation d’abord, avec l’intervention d’Elena Pasquinelli, universitaire et auteur, membre de la fondation La main à la pâte, et de François Villemonteix, universitaire, traitant de l’impact du numérique sur les apprentissages à travers divers travaux de recherche.

    La pratique ensuite, avec une analyse croisée sur la mise en pratique du numérique à l’école, par Eddie Playfair, principal de NewVIc – Newham 6th form College, à Londres, et Rémi Thibert, de l’IFÉ, ainsi qu'une réflexion sur les interactions entre pédagogie et numérique.

    Cette journée s’est conclue par une intervention d’Antonine Goumi, maître de conférences, qui a pu apporter des réponses à la question sensible des transformations de l’écriture numérique.

    Retrouvez l’interview de F. Villemonteixen streaming grâce au QR code ou à l'URL courte

    http://huit.re/eeduc14_itwFV

    Jour

    née

    2

  • P30- © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014

    Membre associé de l'Institut Nicod (Centre national de la recherche scientifique - CNRS, École des hautes études en sciences sociales - EHESS, École normale supérieure - ENS). Membre de la Fondation "La main à la pâte" pour l ’éducation à la science. Auteur de "L’illusion de réa-lité", éditions Vrin, 2013.

    à propos d' Elena

    Elena PASQUINELLIPour un usage raisonné

    des technologies numériques

    Pour bien utiliser les technologies numériques, de façon intel-ligente et sage, dans un contexte de recherche comme dans un contexte pédagogique, il ne suffit pas de mieux comprendre les technologies. Il faut aussi développer une compréhension plus ap-profondie de notre cerveau et de ses fonctions – ses possibilités et limites. Les sciences cognitives ont par conséquent un rôle à jouer dans l’idée d’usage raisonné des technologies numériques.

    Qu’est-ce qu’un usage raisonné des technolo-gies numériques ?

    La diffusion progressive des technologies numériques, qui inté-resse tous les âges de la vie, pénètre tous les moments et les lieux du quotidien, suscite de nombreuses interrogations, ainsi qu’es-poirs, craintes, et parfois mythes. Au sein de la communauté péda-gogique, ce questionnement a souvent pour objet l’usage raisonné de ces technologies.

    D’un côté, l’idée d’usage raisonné renvoie à celle d’usage intelli-gent, efficace : il s’agit d’apprendre à utiliser les nouvelles tech-nologies pour en ti rer un maximum d’avantages, de la simplifica-tion des tâches communes de la vie quotidienne à la montée en puissance des instruments pour la recherche et le travail. Même dans des domaines à basse technologie comme la philosophie, ou l’éducation, l’accès facilité aux sources transforme la pratique et les contenus de la recherche : il est désormais possible d’accéder à d’énormes quantités de données, mais aussi à des synthèses de ces mêmes données – les méta-analyses, de vrais outils de recherche secondaire. Ce rôle des technologies est certes plus évident lorsque

    "Si les limites ne sont plus imposées par l’espace

    et par le temps, elles le sont par notre nature : limites d’attention, d’intégration des connaissances

    dans l’espace mental, de pensée."

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    Retrouvez l'inter-view d'Elena en streaming grâce au QR code ou à l'URL courte http://huit.re/ee-duc14_itwEP

    http://huit.re/eeduc14_itwEPhttp://huit.re/eeduc14_itwEP

  • Colloque international e-éducation

    © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014 - P31

    l’on se tourne vers d’autres domaines de recherche, tels la physique des particules. Le world wide web naît au CERN pour faciliter les échanges de données entre physiciens des particules dispersés aux quatre coins de la planète (le CERN est cependant, en même temps, un lieu physique, siège d’un appareillage tech-nologique mastodontique pour détecter des parti-cules qui ne "vivent" qu’à très grandes énergies et où ces mêmes chercheurs se donnent rendez-vous).

    D’un autre côté, l’idée d’usage raisonné renvoie à celle de sagesse dans l’utilisation. Bien que d’énormes quantités d’in-formation soient à la por-tée de quelques frappes sur un clavier, personne ne peut espérer exploiter toute cette connaissance. Si les limites ne sont plus imposées par l’espace et par le temps, elles le sont par notre nature : limites d’attention, d’intégration des connaissances dans l’espace mental, de pensée. Il est donc nécessaire de comprendre ce qu’on peut faire avec les technolo-gies, non pas en vertu de leurs caractéristiques, mais des nôtres : développer une compréhension plus ap-profondie de notre cerveau et de ses fonctions, de ses possibilités et limites.

    Les sciences cognitives ont un rôle à jouer dans l’idée d’usage raisonné des technologies numériques.

    Un projet pédagogiqueEn 2013, la fondation "La main à la pâte" a produit un ouvrage, fruit de plus de 2 ans de réflexion et de mise à l’épreuve dans les classes. "Les écrans, le cerveau… et l’enfant" s’adresse en particulier aux élèves des cycles 2 et 3, et a pour but de les ame-ner à réfléchir à l’usage des écrans et à leurs effets. Ceci à partir d’un point de vue qui n’est pas celui de la technologie, mais celui des sciences de la cognition et du cerveau. Qu’est-ce qui se passe lorsque notre attention est focalisée sur une tâche particulière, ou quand nous cherchons à prêter attention à plusieurs choses en même temps ? Qu’est-ce qui influence notre perception du temps qui passe ? Et nos émo-tions ? Comment reconnaissons-nous les émotions sur le visage des autres, comment surgissent-elles en nous ? Dans quelles conditions percevons-nous des images statiques comme étant en mouvement, com-ment donnons-nous une signification à ces mêmes images et aux sons qui les accompagnent ?

    Accompagnés par leurs enseignants, les enfants sont amenés à explorer ces questions, à mettre en place des expériences, des observations "de terrain". Ils développent ainsi une meilleure compréhension de certains aspects de fonctions cognitives telles que la perception, l’attention, la mémoire, les émotions, la communication, … C’est à ce moment que l’ensei-gnant leur demande de faire un petit pas en arrière, de réfléchir aux usages et aux effets des écrans.

    Par exemple, à partir de la nouvelle compréhension qu’ils viennent d’acquérir sur les limites de l’atten-

    tion, ils vont réfléchir à la difficulté de faire plusieurs choses en même temps. Après avoir travaillé sur la perception du temps, et sur la difficulté d’estimer cor-rectement le temps passé à faire quelque chose, ils

    vont transposer la compréhension nouvellement ac-quise au cas des écrans.

    La compréhension "scientifique" des phénomènes cognitifs crée ainsi les conditions pour un usage des écrans plus raisonné, réfléchi. Cette compréhension peut aussi être transmise de l’école à la maison. Dans le cadre du projet "Les écrans, le cerveau … et l’en-fant", il est proposé aux enseignants de faire réaliser aux enfants des expositions, des démonstrations pu-bliques, pour permettre d’ouvrir le dialogue autour de l’usage des écrans au-delà de l’école en direction des familles.

    Quelle recherche pour devancer les innovations ?

    La recherche en sciences cognitives est susceptible de contribuer de plusieurs manières à un usage rai-sonné des écrans. Si la recherche empirique rigoureu-sement conduite permet d’établir l’effet des écrans sur des fonctions telles que l’attention, la mémoire, ou l’impact des écrans sur les comportements addic-tifs, violents, elle ne nous éclaire pas sur les causes des effets observés. C’est plutôt la recherche fonda-mentale qui, en ouvrant une fenêtre sur les possibili-tés et les limites de notre cerveau, permet d’émettre des prévisions et de généraliser les effets des nou-velles technologies sur la cognition. Il est donc cru-cial que les deux lignes de recherche soient poursui-vies de manière intégrée si l’on souhaite devancer les innovations plutôt que d’en évaluer les effets après coup.

    La compréhension "scientifique" des phénomènes cognitifs crée

    ainsi les conditions pour un usage des écrans plus raisonné, réfléchi.

  • Colloque international e-éducation

    P32 - © ESENESR, Colloque international e-éducation, 2014

    Une question qui, à titre d’exemple, mérite d’être en-visagée à partir de cette double démarche, concerne les raisons pour lesquelles nous nous sentons atti-rés par certains usages du numérique : jeux vidéo, réseaux sociaux, shopping sur Internet… Qu’est-ce qui les rend tellement séduisants – au point de craindre d’en abuser ? Lesquelles de leurs compo-santes peuvent-elle être utilement réinvesties pour imaginer des situations éducatives motivantes, enga-geantes ? Nous savons que notre cerveau a un "goût naturel" pour les stimuli perceptifs, les surprises, les quêtes, la recherche des causes, mais aussi pour la socia-lisation, le gossip, les émotions, les récom-penses… Ces ingré-dients, présents de façon variable dans les jeux vidéo, et notamment dans ceux en ligne, pour multiples joueurs, excitent dans notre cerveau des réponses automatiques, difficiles à contrôler car ils stimulent des préférences et des réactions profondé-ment enracinées dans notre nature. Dans cette pers-pective, qui prend inspiration de la théorie de l’évo-lution pour mieux comprendre le fonctionnement de la cognition, les nouvelles technologies n’ont pas besoin de changer notre cerveau pour nous plaire, mais sont faites pour activer un certain nombre de "boutons darwiniens". Raison pour laquelle il peut être difficile, sans recourir à de bonnes stratégies, de résister à certai